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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 9 - Témoignages du 25 octobre 2006


OTTAWA, le mercredi 25 octobre 2006

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 5 afin d'examiner, pour en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus parmi nous. Nous sommes ravis de reprendre nos audiences du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous nous réjouissons également d'accueillir aujourd'hui des hôtes éminents, M. David A. Dodge, gouverneur de la Banque du Canada, et M. Paul Jenkins, premier sous-gouverneur. Soyez tous les deux les bienvenus parmi nous.

Mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le gouverneur, ainsi que vous le savez sans doute, le Comité sénatorial des banques et du commerce est le plus ancien comité permanent du Parlement canadien. Il a été mis sur pied peu de temps après la Confédération en 1867 afin d'examiner et de surveiller l'ensemble de la situation économique. Notre mandat précis porte donc sur les activités bancaires et commerciales, mais de manière plus générale, il nous confie la responsabilité d'étudier l'économie dans son ensemble.

Monsieur le gouverneur, nous avons encore une fois le plaisir de vous accueillir parmi nous et d'entendre les réflexions que vous a inspirées votre examen du système financier national et international. Nous avons déjà participé à de fort intéressantes discussions avec vous par le passé et nous avons bien hâte d'écouter vos propos aujourd'hui. Nous tenons aussi à ce que le public comprenne du mieux qu'il peut ce qui se passe dans notre économie. Monsieur le gouverneur, la parole est à vous.

David A. Dodge, gouverneur de la Banque du Canada, Banque du Canada : Je tiens d'abord à dire que nous vous sommes reconnaissants de la possibilité que nous avons, deux fois l'an, de vous rencontrer à la suite de la parution du Rapport sur la politique monétaire. Ces séances nous aident, tout au moins je l'espère, à bien renseigner les sénateurs, et par votre entremise tous les Canadiens, au sujet de notre point de vue sur l'économie, de l'objectif de la politique monétaire et des mesures que nous prenons pour l'atteindre.

[Français]

Lorsque Paul et moi nous sommes présentés devant vous en mai dernier, peu après la publication de la livraison du printemps de notre Rapport sur la politique monétaire, nous vous avons indiqué que l'économie mondiale affichait un dynamisme légèrement plus grand que prévu. Les prix du pétrole étaient plus élevés que ce qui avait été anticipé et les métaux étaient considérablement enrichis. À l'époque, la Banque du Canada prévoyait que la croissance serait d'environ 3,1 p. 100 en 2006, de 3 p. 100 en 2007 et de 2,9 p. 100 en 2008.

[Traduction]

La situation a quelque peu changé ces derniers six mois. Bien qu'on s'attende à ce que l'expansion à l'échelle mondiale soit un peu plus forte qu'on ne l'avait d'abord pensé, la détérioration des perspectives à court terme aux États-Unis est venue assombrir celles des exportations et de la croissance au Canada. La Banque a revu légèrement à la baisse son scénario de référence concernant l'économie canadienne par rapport à celui exposé dans la livraison d'avril du rapport ainsi que dans la mise à jour e celui-ci, parue en juillet, et estime maintenant que le PIB progressera en moyenne de 2,8 p. 100 en 2006, de 2,5 p. 100 en 2007 et à nouveau de 2,8 p. 100 en 2008.

Je n'ignore pas que la productivité préoccupe votre comité, et la faible croissance de la productivité du travail a amené la Banque à réduire à 2,8 p. 100 le taux d'accroissement de la production potentielle postulé pour la période 2006-2008. Ensemble, ces facteurs impliquent que la faible demande excédentaire observée en ce moment se résorbera d'ici le milieu de 2007.

[Français]

L'inflation mesurée par l'indice de référence devrait demeurer légèrement au-dessus de 2 p. 100 au cours des prochains mois, mais être redescendue à ce niveau au milieu de 2007 et y demeurer jusqu'à la fin de 2008.

Par ailleurs, le recul des cours de l'énergie a entraîné une révision à la baisse du taux d'augmentation de l'IPC global attendu à court terme. Ainsi, l'inflation mesurée par l'IPC global, y compris l'incidence temporaire de la réduction de la TPS, avoisinera probablement 1,5 p. 100 en moyenne jusqu'au deuxième trimestre de 2007, avant de remonter à la cible de 2 p. 100, où elle devrait rester jusqu'à la fin de 2008.

[Traduction]

Mesdames et messieurs les sénateurs, ainsi que nous l'avons indiqué le 6 septembre dernier, dans notre communiqué relatif à l'établissement du taux directeur, nous sommes d'avis que les risques pesant sur le scénario de référence se sont légèrement accentués depuis juillet. Le principal risque à la hausse est lié au dynamisme des dépenses des ménages et des prix des logements, tandis que le plus important risque à la baisse tient à la possibilité que l'économie américaine ralentisse plus fortement que prévu, ce qui provoquerait une diminution des exportations canadiennes. Ce qu'il y a à retenir ici à nos yeux, c'est que nous considérons que les risques entourant notre projection au sujet de l'inflation sont relativement équilibrés.

En conclusion, je précise que la semaine dernière, nous avons décidé de maintenir notre taux directeur à 4,25 p. 100. Nous jugeons à l'heure actuelle que celui-ci se trouve à un niveau compatible avec la réalisation de la cible d'inflation à moyen terme. Nous continuerons de suivre de près l'évolution des risques ainsi que la situation économique et financière au pays et à l'étranger.

Monsieur le président, M. Jenkins et moi-même participerons avec plaisir aux discussions d'aujourd'hui.

Le président : Je vous remercie beaucoup de votre exposé et de votre présence devant notre comité.

Le sénateur Angus : Monsieur le gouverneur et monsieur le sous-gouverneur, soyez les bienvenus parmi nous. Je me réjouis toujours à la perspective de vous accueillir ici, et je sais fort bien que tous mes collègues partagent ce sentiment. Toutefois, notre orgueil en prend un coup lorsque nous remarquons que vous semblez avoir pris l'habitude d'aller à l'autre endroit avant de venir ici. Nous pourrions peut-être en discuter ailleurs qu'ici.

Hier, nous avons reçu un communiqué de presse précisant qu'il y aurait une séance d'information à huis clos ce matin à 9 heures et que vous feriez un important discours à Niagara-sur-le-lac en Ontario. Nous nous sommes demandés sur quoi cela porterait et pourquoi vous vous rendriez d'abord à Niagara-on-the-Lake et viendriez seulement ensuite devant le Comité sénatorial des banques et du commerce. Puisque vous deviez témoigner ici aujourd'hui, nous nous sommes demandés pourquoi vous avez modifié vos plans. Nous avons écouté les nouvelles ce matin et pris bonne note de vos propos. Nous comprenons maintenant que vous avez assisté à une conférence économique qui portait précisément sur l'expansion économique et d'autres questions liées à l'Ontario.

Monsieur le gouverneur Dodge, lors de vos trois dernières participations à nos audiences, vous nous avez laissé savoir que votre plus grande préoccupation sur le plan macroéconomique, ce sont les déséquilibres mondiaux. J'ai scruté l'exposé que vous avez présenté en Ontario ce matin, et je n'ai pas été étonné d'y trouver ce qui suit :

J'aimerais faire une dernière remarque au sujet de la conjoncture internationale avant de passer au contexte canadien. Depuis un certain temps déjà, les décideurs publics s'inquiètent des déséquilibres mondiaux, c'est-à-dire du déficit considérable de la balance courante des États-Unis et des excédents qu'affichent en contrepartie des pays d'Asie et les principaux pays exportateurs de pétrole.

Il s'agit des pays de l'OPEP.

J'ai demandé à mes attachés de recherche de m'aider à comprendre ce qu'on entend par des déséquilibres mondiaux, et qu'on m'explique cela en termes simples. Tous les Canadiens s'intéressent à vos propos. Je suppose que vous demeurez préoccupé par ces déséquilibres. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure vous l'êtes et en même temps, pouvez-vous simplifier ces réalités, à l'intention des non-spécialistes, c'est-à-dire nous expliquer ce que sont ces déséquilibres mondiaux? Aussi, lorsque ces phénomènes vont commencer à causer des bouleversements, si cela se passe de manière subite et abrupte, quelles peuvent en être les conséquences?

M. Dodge : Vous avez très bien décrit la situation, sénateur. Les déséquilibres résultent des excédents considérables du compte courant de la Chine, dans une moindre mesure aussi des excédents courants du Japon et de quelques autres pays asiatiques comme Taïwan. Ces pays tirent davantage d'argent de leurs exportations qu'ils n'en paient pour leurs importations, quand, en même temps, particulièrement en Chine, on a observé des entrées considérables de capitaux.

Dans les pays de l'OPEP, la situation est identique. Le prix du pétrole a grimpé de façon vertigineuse et les balances commerciales de ces pays se sont donc améliorées, ce qui a eu comme contrepartie une détérioration aux États-Unis. En fait, les États-Unis sont devenus la source de demande résiduelle du monde entier. La demande des consommateurs y a été très forte; plus récemment, la demande d'investissement a aussi été ferme, et les gouvernements sont cependant dans des situations déficitaires. Lorsqu'on tient compte de tout cela, la demande américaine est plus forte que l'offre, tandis que dans d'autres pays, l'offre est plus forte que la demande.

Nous savons fort bien qu'à terme, des pays ne peuvent continuer à fonctionner en traînant des déficits aussi lourds que celui des États-Unis, et à un moment ou l'autre, la demande américaine devra modérer sa croissance si les Américains veulent réduire le déficit et se mettre au même diapason que le reste du monde.

Si en même temps, il n'y a pas de remontée de la demande dans les autres pays, l'expansion mondiale ralentira énormément. Bien entendu, on s'inquiète aussi énormément devant la possibilité que les Américains tentent de corriger la situation au moyen de restrictions au commerce, ce qui serait très préjudiciable au reste du monde.

Enfin, on craint que les investisseurs ne perdent leur confiance dans le système américain, qu'ils doutent que les Américains réussissent enfin à assainir la situation et qu'à cause de cela, ils ne veulent plus acheter ces reconnaissances de dette qu'on émet aux États-Unis pour payer pour tout cela.

Très simplement, c'est cela le problème. Bien entendu, en temps normal, on s'attend à assister à une adaptation à l'échelle internationale. Ainsi par exemple, la hausse des revenus en Chine mènerait à une augmentation de la demande dans ce même pays; les Américains cesseraient de s'endetter et la demande serait à la baisse aux États-Unis. Tout irait comme sur des roulettes. En règle générale, nous disposons de mécanismes de prix pour que cela se produise. Cela pourrait prendre la forme, d'une part, d'un recul du dollar américain et, d'autre part, d'une réévaluation à la hausse du yuan chinois. Il pourrait y avoir beaucoup d'inflation en Chine. Il pourrait d'ailleurs se produire beaucoup de choses. Le problème, c'est que ces rajustements des prix ne se sont pas manifestés, que ce soit par l'entremise d'un contrôle des changes ou grâce à des taux différentiels d'inflation.

Les pressions ont donc augmenté. Au cours de l'année écoulée, nous avons toutefois commencé à observer un rééquilibrage. La demande américaine progresse plus lentement tandis qu'elle augmente au Japon et quelque peu en Europe. Toutefois, on n'observe pas la même chose de la part des ménages en Chine, mais on peut au moins dire que les choses commencent à évoluer dans la bonne direction.

Nous demeurons très préoccupés, mais au cours des 12 derniers mois, les choses ont commencé à bouger dans la bonne direction. Au Canada, nous ressentons le contrecoup de la situation à cause d'un recul des mises en chantier et de la demande d'automobiles aux États-Unis, ce qui nous affecte beaucoup ici.

Le sénateur Angus : À Niagara-on-the-Lake aujourd'hui, vous avez utilisé l'expression, « le risque d'une résolution abrupte et chaotique », or ce n'est manifestement pas ce que nous observons. Si j'en juge d'après vos réponses, vous êtes optimiste, mais que se passerait-il dans le pire des cas et comment serions-nous affectés?

Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : Le pire des cas peut provenir de deux causes. Il pourrait premièrement y avoir un ralentissement subit de l'économie américaine, sans que cela ne soit compensé par une expansion de la demande dans le reste du monde, éventualité déjà mentionnée par le gouverneur. Dans un tel cas, on assisterait à un ralentissement de la demande mondiale, ce qui nous affecterait ainsi que les autres, y compris certains de nos partenaires commerciaux.

L'autre cause d'une telle situation, également mentionnée par le gouverneur, serait la détérioration des marchés financiers. À l'heure actuelle, le très lourd déficit courant des États-Unis est financé par des investisseurs étrangers, et il se pourrait bien qu'un jour, ils disent ça suffit. Si les choses évoluaient ainsi, cela entraînerait deux conséquences : une dégringolade du cours du dollar américain et des taux d'intérêt plus élevés, ce qui aurait des ramifications dans l'économie mondiale tout entière.

Ces deux possibilités sont bien réelles, mais nous demeurons encouragés par ce qu'on appelle la rotation de la demande. Si l'on tient à atténuer ces déséquilibres, il faut absolument que la demande à l'extérieur des États-Unis soit plus forte et qu'on assiste à une progression de l'épargne aux États-Unis ou à un ralentissement de la croissance de la consommation. Selon certains signes, on peut penser que cela a commencé.

Le sénateur Angus : Si vous permettez, j'aimerais maintenant passer à la situation nationale, toujours au sujet des déséquilibres; ce n'est peut-être pas la même chose, mais peut-être y a-t-il moyen de faire une analogie. Selon certains économistes, le taux d'expansion de l'économie de l'Alberta atteint présentement 18 p. 100 ou même davantage, tandis que dans certaines autres provinces, la croissance est stagnante ou inexistante, et dans d'autres encore, quelque part entre ces deux extrêmes.

Dans votre rapport du mois d'octobre et votre déclaration liminaire d'aujourd'hui, vous avancez des chiffres précis — 2,8 pour cette année, 2,5 pour l'année prochaine, ce qui est assez précis. Comment pouvez-vous calibrer les déséquilibres de la croissance au sein de la fédération canadienne.

M Dodge : Vous avez raison, ces chiffres ont l'air très précis. Toutefois, il faut toujours garder à l'esprit qu'ils sont fondés et qu'on peut donc leur faire confiance. Évidemment, ce n'est que dans cinq ans, grâce aux dernières révisions de Statistique Canada, que nous saurons dans quelle mesure la croissance réelle était conforme à ces chiffres, et ce, jusqu'au dernier point décimal.

Si nous parlons de pourcentages avec point décimal, c'est que cela se retrouve au centre d'une fourchette. Cela ne signifie pas toutefois que nous sommes tellement intelligents que nous pouvons faire des calculs au point décimal près. Cela indique tout simplement qu'on se trouve au centre de la fourchette, et, ainsi que nous l'avons affirmé, à nos yeux, la marge qui entoure de part et d'autre ce pourcentage est bien équilibrée.

Permettez-moi maintenant de répondre à votre principale question. Il ne fait aucun doute que la demande albertaine, surtout la demande en matière d'investissement, a été très ferme, tout comme elle l'a été au sud de la Colombie-Britannique ainsi qu'à Terre-Neuve-et-Labrador; ce sont les trois endroits au Canada où la demande d'investissement est très élevée. Il ne fait aucun doute que les économies de l'Alberta et du sud de la Colombie- Britannique sont en situation de surchauffe. On assiste donc à une escalade des prix et des salaires, signes de cette demande très forte.

Ce n'est pas inapproprié. Permettez-moi de m'expliquer ici. Ce n'est pas inapproprié car si l'on veut que les ressources réelles affluent vers les endroits où la demande est très forte, il faut que le mécanisme des prix fonctionne; des salaires et des prix plus élevés encouragent justement les ressources à entrer. Ces salaires et ces prix sont plus élevés par rapport à ce qui se passe en Ontario.

La question à se poser est la suivante : dans quelle mesure nos marchés peuvent-ils s'adapter et être suffisamment souples pour réagir à cela? Ainsi que nous l'avons dit à maintes reprises, et aussi par rapport à notre expérience des années 70, nos marchés de l'emploi et des capitaux semblent beaucoup plus souples maintenant qu'à l'époque. Cela étant dit, ainsi que nous l'avons déjà précisé dans notre rapport, il se peut qu'il ne soit quand même pas suffisamment souple et que les pressions s'exerçant à la hausse pour les salaires et les prix en Alberta se répandent dans l'est de notre pays. C'est certainement l'une de nos préoccupations.

Le sénateur Angus : Vous n'ignorez pas que nous nous sommes penchés sur les obstacles au commerce interprovincial, et si je me reporte à l'un de vos rapports précédents, je ne peux m'empêcher de faire une analogie avec ce que disait Lord Durham dans son rapport à Londres, à avoir qu'il avait découvert deux nations qui luttaient entre elles au sein d'un même État. Je me demande s'il y a 10 économies au Canada qui luttent entre elles au sein d'une seule structure économique. C'est là où je voulais en venir.

M. Dodge : Bien sûr qu'il y a 10 économies. Toutefois, nous disposons également de salaires et de prix raisonnablement souples et surtout si on les compare à la situation qui prévalait à d'autres périodes de notre histoire.

Selon nos observations, il y a adaptation, mais cette adaptation s'effectuerait plus rapidement et de manière plus aisée si nous pouvions éliminer certains des obstacles au commerce entre nos provinces. Si tout le monde s'entendait pour mettre sur pied des services identiques d'émission de permis dans les métiers et les professions, les travailleurs pourraient se déplacer sans problème, et l'adaptation s'effectuerait plus facilement.

Le président : À cet égard, nous avons reçu des bonnes nouvelles de la Colombie-Britannique et de l'Alberta en ce qui a trait à des pactes de mobilité de la main-d'œuvre, et aussi de la part de l'Ontario et du Québec. Nous nous penchons en permanence sur les obstacles interprovinciaux, et notre comité va certainement insister là-dessus, car à notre avis, c'est un frein à la productivité.

Le sénateur Moore : J'ai lu votre rapport et le discours que vous avez prononcé ce matin, monsieur le gouverneur, et j'aimerais me pencher sur la question des marchés monétaires. Selon votre rapport, et je cite :

Il semble que le recul du dollar canadien en raison de la baisse des prix de l'énergie depuis le mois de juillet a été en partie annulé par une augmentation des flux monétaires, en raison des fusions et des acquisitions transfrontalières au Canada.

Pouvez-vous m'expliquer cela, ainsi qu'au public canadien qui suit peut-être nos travaux?

M. Dodge : Nous sommes un grand pays exportateur net, par conséquent, lorsque le prix de nos exportations est élevé, on assiste à une augmentation de la demande étrangère de dollars canadiens pour payer les fournisseurs canadiens, ce qui exerce une pression à la hausse sur notre monnaie. Nous avons d'ailleurs discuté de cela devant votre comité ces trois dernières années.

En même temps, lorsque des étrangers tiennent à investir au Canada, ils ont également besoin de dollars canadiens. Récemment, nous avons observé que ces mouvements d'argent ont été plus considérables qu'au cours des deux ou trois dernières années, beaucoup plus considérables. Justement, en ce moment, les gens de notre banque s'occupent de gérer un important mouvement de capitaux en raison de la transaction CVRD.

Le sénateur Moore : Qu'est-ce que c'est?

M. Dodge : Il s'agit de l'achat d'Inco par CVRD, la transaction est en train de s'effectuer au moment même où nous nous parlons. CVRD est la minière brésilienne, la Companhia Vale do Rio Doce.

Le sénateur Moore : Lorsque vous affirmez que la demande de dollars canadiens nécessaires à ces acquisitions est à la hausse puisqu'il s'agit d'étrangers qui achètent des entreprises canadiennes, à combien s'élève cette hausse? S'agit-il de chiffres sans précédent? S'agit-il de 5 p. 100, de 10 p. 100?

M. Dodge : Monsieur le sénateur, nous ne serons jamais en mesure d'obtenir des chiffres précis là-dessus du fait que ces flux monétaires sont considérables, quel que soit le jour où ils s'effectuent, même lorsqu'on les compare à une transaction aussi importante que celle de la CVRD, qui se trouve à rapporter 12 milliards de dollars. Bien entendu, c'est la marge bénéficiaire qui a vraiment une incidence sur les cours monétaires. Nous ne le saurons jamais cependant de manière exacte parce que les Canadiens peuvent décider d'investir ces sommes à l'étranger.

Le sénateur Moore : L'argent qu'ils reçoivent des acheteurs?

M. Jenkins : Cela peut aller dans les deux directions.

M. Dodge : Si nous observons les cours monétaires et essayons d'en tirer quelque chose, on peut affirmer sans trop se tromper que cela a exercé des pressions à la hausse sur le dollar canadien car il y en a eu beaucoup récemment. Il y a donc eu des pressions à la hausse très nombreuses, qui ont annulé quelque peu ce qui nous paraissait être des pressions à la baisse à la suite de la chute des prix de l'énergie, particulièrement du recul des prix du gaz naturel et du pétrole.

Le sénateur Moore : Dans la partie « Les risques pesant sur les perspectives » figurant à la page 34 de votre rapport, vous affirmez ce qui suit, et je cite :

Le principal risque à la hausse touchant l'économie canadienne demeure lié au dynamisme des dépenses des ménages et des prix des logements. Ce dynamisme est associé au vif essor du crédit à la consommation... Il est possible que ces liens soient plus forts qu'on ne le présume ou que la valeur des maisons continue à grimper plus rapidement qu'on ne l'avait prévu, ce qui pourrait donner lieu à des majorations plus substantielles qu'escompté des dépenses des ménages et, de ce fait, à des pressions à la hausse plus intenses sur l'inflation.

Pour que vous ayez mis cela dans votre rapport, vous avez dû observer quelque chose d'important. Est-ce que le prix des maisons est excessif à cause de l'inflation? Est-ce que les gens financent ou empruntent à même l'avoir net de leurs maisons en fonction des nouveaux prix du marché dans l'immobilier?

M. Dodge : Ces enjeux sont immobiliers et financiers.

M. Jenkins : Pour ce qui est des risques, ainsi que vous l'avez lu dans notre rapport, ils sont doubles. La hausse du prix des maisons a une incidence directe sur l'indice des prix à la consommation, et nous en avons déjà vu des signes. Par conséquent, nous allons continuer à suivre attentivement ce secteur. L'autre risque immobilier ressemble beaucoup à ce que vous avez décrit. Étant donné l'augmentation du prix des maisons, l'avoir net lui aussi est plus élevé du point de vue du propriétaire, et ce dernier peut emprunter en prenant comme garantie cet avoir, ce qui nourrit ensuite sa consommation d'autres biens et services. Encore une fois, nous avons observé une très forte expansion du crédit au foyer, et cela soutient certainement en partie la consommation de biens durables et d'autres biens de consommation. Cela est manifeste dans les données. Pour ce qui est des risques, nous les avons jugés assez graves pour souligner comment ils pourraient influer sur la situation économique, car ces deux sources peuvent exercer des pressions inflationnistes.

Le sénateur Moore : À long terme, est-ce qu'on craint que les gens n'auront pas suffisamment d'argent pour rembourser le crédit que leur ont obtenu les prix actuels du marché de l'immobilier?

M. Dodge : Nous estimons que les risques de déstabilisation financière sont assez faibles. Nous en parlons dans notre examen du système financier et aborderons de nouveau le sujet dans notre rapport du mois de décembre, mais en attendant, à notre avis, il y a peu de risques que la situation entraîne des problèmes systémiques.

Le sénateur Moore : Est-ce que ces emprunts financés à même l'avoir propre sont garantis au moyen d'hypothèques, ou s'agit-il de prêts sur cartes de crédit et d'hypothèques subsidiaires, dont les taux d'intérêt peuvent être plus élevés et plus risqués?

M. Dodge : Avec l'apparition des lignes de crédit personnelles garanties non pas par une hypothèque classique mais par l'avoir propre de sa résidence, le consommateur peut emprunter pour moins cher qu'avec sa carte de crédit ou un autre instrument. L'emprunt à moindre coût a permis au consommateur d'emprunter plus à des taux plus bas.

Le sénateur Tkachuk : Soyez le bienvenu, monsieur le gouverneur. Après m'être surtout intéressé au dollar pendant des années et aux taux d'intérêt lors de notre dernière rencontre, je me suis un peu transformé en trublion. Je vais donc passer à un autre sujet. Je vais parler de productivité. Le ministre des Finances a déclaré que la productivité allait être le grand axe de son prochain budget. Un des principaux thèmes, c'est la productivité et l'offre de main-d'oeuvre ainsi que les travaux de recherche de 2006 sur le potentiel de production. Sur votre site Web, vous posez la question suivante : quels facteurs peuvent expliquer l'évolution historique de la productivité du travail au Canada, et notamment les écarts constatés avec les États-Unis? C'est presque textuellement la même que vous posiez l'an dernier. Je me demandais si vous pourriez nous donner le dernier renseignement sur le sujet. Qu'avez-vous de nouveau aujourd'hui?

M. Dodge : Je crains que la même question s'y trouve aussi l'an prochain.

Le président : Monsieur le gouverneur, il serait utile pour notre auditoire que vous expliquiez en termes de profane ce que l'on entend par productivité. Il est très important que la population comprenne ce dont on parle.

Le sénateur Tkachuk : Ça nous aiderait tous.

M. Dodge : Sénateur, il y a beaucoup de mesures différentes. La plus largement employée, parce que la plus compréhensible par le plus grand nombre, c'est la productivité du travail. C'est tout simplement le volume de production obtenu pour une heure de travail. Évidemment, ce n'est pas la seule mesure, parce qu'il est très important aussi que le capital soit productif, et il y a une mesure plus raffinée appelée la productivité des facteurs, mais tenons- nous-en à la plus répandue, la productivité du travail.

Tout d'abord, la productivité du travail au Canada, comme nous l'avons déjà dit, et comme vous l'avez vous-même signalé dans vos travaux, n'a pas progressé aussi rapidement qu'aux États-Unis. Deuxièmement, elle n'a pas progressé aussi rapidement que ce que nous jugeons être nécessaire à long terme, soit de 1,75 p. 100 par année.

Il y a lieu de croire qu'avec le temps nous devrions commencer à voir les résultats des investissements technologiques et en particulier dans la technologie de l'information et des communications sous forme de productivité plus élevée. Malgré des chiffres de productivité plus bas en 2001, 2002 et 2003, nous pensons que l'on commencerait à observer une remontée. De fait, en octobre dernier, lorsque nous sommes venus ici, nous pensions qu'elle se dessinait et nous avions l'intention à notre retour d'introduire notre hypothèse à long terme de 1,75 p. 100, ce qui aurait occasionné une croissance de la capacité si l'on ajoute une croissance de la main-d'oeuvre de 3 p. 100.

Malheureusement, quand les chiffres se sont mis à monter, nous n'avons pas vu cette amélioration de la performance. Cette année, dans notre rapport d'octobre, nous avouons être allés peut-être trop vite en affaires et avons postulé un taux de 1,5 p. 100, ce qui nous donne un pourcentage de croissance de la capacité de 2,8 p. 100.

Pour ce qui est de l'influence sur la politique monétaire, il est très important d'avoir plus ou moins le bon chiffre. Si nous le fixons très au-dessus de la réalité, il y a des possibilités qu'on se retrouve dans une situation très inflationniste. Si nous le jugeons en deçà, l'économie est en situation d'offre excédentaire et elle aurait pu progresser plus rapidement. C'est une question de jugement et il est très difficile de déterminer le chiffre avec justesse.

Se pose ensuite la question de savoir ce qui nous permettra, collectivement, de travailler plus judicieusement, en quelque sorte, de manière à obtenir une plus grande production par heure de travail. La réponse, comme je l'ai dit, ce sont les investissements dans des machines et du matériel neufs et plus productifs, en particulier dans les techniques de l'information, les investissements dans la formation, pour que les travailleurs aient les bonnes compétences et de meilleures compétences, leur permettant d'être plus productifs. Autre chose importante, il faut enlever les ressources qui se trouvent dans les secteurs peu productifs de l'économie pour les affecter aux secteurs à haute productivité.

Ce processus d'adaptation est toutefois coûteux à court terme. C'est peut-être bien la raison pour laquelle nous ne constatons pas des retombées plus immédiates des investissements qui ont été faits.

Le sénateur Tkachuk : Vous n'avez pas expliqué les différences historiques entre le Canada et les États-Unis. Peut- être pourriez-vous revenir là-dessus. Ces dernières années, est-ce le dollar fort qui les a rendus plus efficients ou qui les a incités à devenir plus efficients. Était-ce plutôt l'éducation et le perfectionnement? Qu'est-ce qui a fait que l'économie américaine est devenue plus productive, tandis que nous avons pris du retard?

M. Dodge : Nous savons que la grande différence se situe dans le secteur des services. Dans le secteur de la fabrication de biens, les différences n'ont pas été très importantes entre le Canada et les États-Unis en termes de croissance de la productivité mesurée selon le nombre d'heures de travail par unité de production. C'est dans le secteur des services qu'on constate une différence. Les États-Unis ont une longueur d'avance sur le monde entier quant au rythme de croissance de la productivité dans le secteur des services. La différence s'explique peut-être en partie, mais pour une faible part seulement, par un système de mesure différent. Il est certain que des différences conceptuelles au chapitre des mesures pourraient rétrécir quelque peu l'écart. Cependant, fondamentalement, il semble que le secteur des services aux États-Unis a tiré profit de la technologie de l'information et des communications beaucoup plus rapidement que nous l'avons fait au Canada.

Cela semble raisonnablement clair. Nous, à la banque, sommes censés être au courant de ce qui se passe dans le secteur des services financiers et nous avons donc décidé de faire enquête sur cette activité parce que, à première vue, les différences sont énormes. Nous sommes en train d'accomplir cette tâche extraordinairement difficile. Nous ne sommes pas suffisamment avancés dans notre enquête pour donner des réponses au comité. Ma réponse à votre question est très incomplète, mais posez-nous-la de nouveau l'année prochaine, et nous serons alors plus avancés dans notre tâche ardue.

Le sénateur Tkachuk : J'ai une autre question sur la productivité. Elle découle d'un reportage du réseau CTV dans lequel on vous cite; vous auriez dit que le moment est bien choisi pour encourager des partenariats entre le gouvernement de l'Ontario et des fournisseurs privés, étant donné que les taux d'intérêt nominaux sont bas et que d'importantes caisses de retraite cherchent justement de telles possibilités d'investissement. En plus de l'éducation et du perfectionnement des compétences, vous avez évoqué les partenariats public-privé. Que voulez-vous dire par là et jusqu'où devrait-on aller?

M. Dodge : Un certain nombre d'autres pays, notamment le Royaume-Uni et l'Australie, mais aussi la Scandinavie et l'Europe ainsi qu'un certain nombre d'États américains, ont eu recours dans une beaucoup plus grande mesure à l'entreprise privée pour se charger du financement et de la conception de l'infrastructure publique, en comparaison du Canada, qu'il s'agisse de construire des routes, des réseaux d'aqueduc ou autres ouvrages. En général, mais pas toujours, l'expérience semble indiquer que cela a débouché sur une plus grande efficience, parce que le fournisseur privé assume une partie du risque, ce qui veut dire que sa gestion est plus serrée et que le financement est obtenu à des taux très bas à cause de la demande des caisses de retraite et des investisseurs dans le monde entier qui cherchent à investir dans ce type d'activité.

Pourquoi n'avons-nous pas utilisé davantage ce mécanisme chez nous? En partie, nous n'avons pas déblayé le terrain autant que d'autres pays l'ont fait pour ce qui est d'établir le cadre juridique, ce qui est important. C'est en partie parce que nous n'avons pas acquis l'expertise voulue pour rédiger des ententes de partage du risque. De plus, l'opposition vient en partie du fait que deux ou trois projets ont été marqués par de mauvais arrangements de partage du risque. Cela ne veut pas dire que nous devrions écarter cette solution. En fait, ce serait extraordinairement important parce que nos besoins sont immenses en matière d'infrastructure dans notre pays.

Le sénateur Tkachuk : Et les hôpitaux?

M. Dodge : Cela dépend de ce que vous voulez dire par « hôpitaux »; il faut bien préciser. Il pourrait s'agir de la construction de l'immeuble, ou bien de l'exploitation de l'hôpital, ou encore de l'entité au complet. Par conséquent, il faut utiliser ce mot avec prudence. Cependant, oui, il est clair qu'il y a des possibilités, mais le contrat doit être rédigé soigneusement si l'on veut qu'il soit à l'avantage à la fois des contribuables et des gens qui ont besoin du service.

Le président : J'ai une autre question sur le progrès au chapitre de la productivité. Comme vous le savez, le comité a fait une étude sur la productivité qui a fait date; c'est d'ailleurs vous et d'autres intervenants qui nous aviez exhortés à la faire. Elle a été bien reçue. Notre comité estime qu'il assume une responsabilité spéciale à cet égard et qu'il doit y donner suite. Avez-vous des suggestions quelconques quant à la manière dont le comité pourrait procéder dans cette démarche — aiguillonner chaque secteur pour qu'il accélère la croissance de sa productivité? Monsieur Dodge, vous et moi avons discuté du fait que chaque secteur a ses propres problèmes en matière de productivité. Il peut y avoir des modèles que l'on pourrait appliquer plus généralement. Comment, à votre avis, notre comité pourrait-il se rendre utile pour atteindre cet objectif national, de manière productive et efficiente?

M. Dodge : Loin de moi l'idée de vouloir donner des conseils aux parlementaires quant à la manière de conduire leurs affaires. Cependant, il serait extraordinairement utile si votre comité pouvait consacrer une journée par année à la productivité et convoquer les gens de Statistique Canada pour qu'ils fassent rapport sur ce qu'ils ont observé au cours de l'année écoulée. Vous pourriez convoquer diverses personnes qui travaillent dans ce domaine pour qu'elles vous parlent de leurs travaux et des tendances observées. Ainsi, vous mettriez en relief ce dossier et son importance à nos yeux à tous, employés, employeurs ou gouvernement. Fondamentalement, comme vous l'avez signalé dans votre document sur le vieillissement, si nous n'augmentons pas la productivité, nous n'aurons aucune augmentation du revenu réel, parce que notre population active va cesser de croître dès le milieu de la prochaine décennie.

Le président : Merci. Votre réponse correspond aux conclusions de notre comité, mais je voulais que vous fassiez part de votre point de vue aux membres du comité et au grand public. Telle est notre intention. Nous accueillons favorablement cette recommandation.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence. J'aimerais faire le suivi sur la notion de productivité tout particulièrement au Québec. Monsieur Bouchard a parlé du manque de productivité au Québec et du besoin de travailler plus d'heures. Statistiquement, on voit qu'au Québec on travaille moins d'heures qu'en Ontario et beaucoup moins qu'aux États-Unis. Il a insisté sur cela.

Et au Québec, notre problème de démographie est encore plus grave que dans le reste du Canada et certainement beaucoup plus grave qu'aux États-Unis. Avec ces deux constats, feriez-vous une recommandation particulière pour le Québec, en particulier pour répondre aux questions de M. Bouchard, et sur le fait que des défis importants se rapprochent de plus en plus?

M. Jenkins : Comme nous avons discuté, l'enjeu de la productivité est très difficile. Il y a certains facteurs qui expliquent ce fait, mais aussi d'autres qui expliquent la croissance de la productivité à l'avenir.

Les incitatifs dans l'économie sont critiques, par exemple la formation, l'éducation, l'investissement des entreprises, la capacité d'utiliser les ressources humaines et les ressources financières pour aider le taux de croissance d'une économie. Pour chaque secteur et chaque province au Canada, on doit trouver et suivre des étapes critiques pour le fonctionnement des marchés capitaux pour aider les investissements dans la machinerie, les technologies et les équipements pour l'avenir.

Les politiques publiques sont importantes sur ce plan. Il y a aussi la flexibilité au sein des marchés. Il faut aussi avoir la capacité de faciliter le mouvement des ressources d'un secteur à l'autre et d'une province à l'autre. Il n'y a pas qu'un élément, à mon avis. Les gouvernements, les entreprises et les travailleurs jouent un rôle pour faciliter le taux de croissance de la productivité.

Le sénateur Massicotte : J'aimerais passer à un autre sujet d'actualité au Canada : le fait que le dollar est très élevé. La Banque du Canada a comme priorités le taux d'inflation, la croissance économique et, indirectement, le bien-être des Canadiens. Comme l'Ontario, on a un secteur économique de grande importance. Récemment, on a entendu M. Beaudoin — et plusieurs autres économistes du Québec — expliquer que l'on peut accepter que le dollar soit très élevé, mais pour une très courte période. C'est difficile pour les entreprises de s'ajuster en conséquence. Comme on le constate chaque jour au Québec, il y a des pertes d'emplois très importantes du côté forestier, manufacturier, ainsi de suite.

Je peux prédire votre réponse, mais que dit-on aux chômeurs lorsque le dollar est très élevé et que cette situation entraîne des conséquences aussi graves? Est-ce une situation temporaire? Que doit-on faire?

M. Dodge : Il existe véritablement un problème sur le plan de l'industrie forestière. Il s'agit d'un problème à long terme qui est lié à la demande. La demande mondiale pour le papier journal est faible et il y a une compétition assez forte qui vient entre autres du Brésil et de l'Indonésie. Le coût pour le bois dans l'Est du Canada, au Québec ou en Ontario est plus élevé. Il y a donc un problème assez particulier dans ce secteur et ce qui est important, c'est de faire des investissements pour renouveler les scieries, même si certaines doivent être fermées. Il faut canaliser les compétences des travailleurs de ces moulins, qui doivent fermer, vers d'autres secteurs. Il s'agit d'une transformation qui est difficile à faire parce que les scieries sont toutes éloignées des grands marchés de Montréal ou de Québec.

Il n'y a pas de remède miracle à ce problème. C'est un problème structurel. Dans les domaines de l'industrie du meuble et du textile, par exemple, la concurrence vient d'Asie. Il n'est pas possible de payer un travailleur canadien 50 cents de l'heure — ou quelque chose comme ça — pour être concurrentiel avec les autres.

Ce qui est important, c'est de trouver des niches, des créneaux de marché avec une valeur ajoutée accrue. On observe que les manufacturiers québécois sont sur le point de faire ces ajustements, mais cela se passe assez lentement.

En conclusion, ce qui est extrêmement important, c'est de faire la transformation, de procéder aux ajustements et de ne pas garder les travailleurs dans des emplois qui n'ont pas d'avenir. Il faut aider les employés à faire ce qui s'impose. Il ne faut pas seulement fournir les subsides aux industries qui n'ont pas un futur réaliste.

Le sénateur Massicotte : Je suis d'accord avec ce que vous dites, mais le défi est le fait qu'on a changé le niveau du dollar pendant une période très courte. Ceci entraîne la perte d'une part de marché très importante. Il faut peut-être se redresser en conséquence. C'est difficile de gérer une entreprise lorsque le dollar change aussi vite. Ce n'est pas évident de comprendre ces situations. Il se peut qu'on perde des centaines de milliers d'emplois à cause de situations très temporaires. Peut-être que d'ici un an et demi, deux ans, le dollar sera à 83 ou 84 cents et cela changera encore les décisions des entreprises. La Banque est sensible aux variations.

M. Dodge : Oui, effectivement, il y a une grande variation dans les prix. Le prix du baril de pétrole brut est passé de 20 dollars à 70 dollars, le prix de l'aluminium a plus que doublé, le prix du nickel a quadruplé. Dans le prix des biens, et même des services, il y a aussi des changements rapides. La variation du dollar est la conséquence de ces variations. Il est difficile, à cause de ces fluctuations, de faire des changements, mais il est encore plus difficile de ne pas en faire.

Le sénateur Massicotte : J'ai vu que la Banque du Canada a fait quelques commentaires, il y a deux semaines, sur les fiducies de revenus canadiennes. Vous avez observé que les fiducies de revenus offrent des avantages à l'économie canadienne. Pouvez-vous nous parler brièvement des bienfaits que vous y voyez?

M. Dodge : Je pourrais en parler pendant quelques minutes parce que l'article dans le Globe and Mail...

[Traduction]

Le président : C'est une question importante pour nous, alors prenez votre temps parce que je suis certain qu'il y aura des questions supplémentaires là-dessus.

M. Dodge : Je vais reprendre depuis le début. L'article publié dans le Globe and Mail que vous avez probablement lu la semaine dernière sur ce que nous avons dit à notre conférence de presse n'était pas erroné, mais il faut bien dire qu'il présentait les choses sous un angle assez particulier et que ce n'était vraiment pas notre intention.

En juin dernier, dans notre rapport sur le système financier, nous avons publié les résultats des travaux que nous avons faits là-dessus. Pour que ce soit bien clair, je voudrais récapituler ce que nous avons dit.

Premièrement, nous avons dit que les fiducies de revenu présentent des caractéristiques différentes de celles des titres boursiers ordinaires. Certains faits donnent à penser que les fiducies de revenu peuvent enrichir le marché et le rendre plus complet en offrant aux investisseurs des possibilités de diversification et aux entreprises une source de financement à laquelle elle n'aurait peut-être pas accès autrement. C'est le premier point.

Nous avons dit que les fiducies de revenu ressemblent davantage aux titres boursiers et aux obligations, mais qu'elles ont des caractéristiques de rendement et de risques suffisamment différentes des titres boursiers ou des obligations pour permettre aux investisseurs de créer des portefeuilles présentant des combinaisons de risque et de rendement qui ne seraient pas disponibles autrement. Dans notre langage, ces fiducies rendaient les marchés plus complets et, par conséquent, étaient un bon instrument additionnel à la disposition des marchés.

Nous avons conclu qu'il y a encore des secteurs où les normes pour les fiducies ne sont pas l'équivalent de celles qui s'appliquent aux sociétés. Nous avons signalé en particulier deux domaines où des améliorations s'imposent : en matière de comptabilité et de gouvernance des sociétés.

Voilà donc ce que nous avons dit. C'est un peu différent de la manchette publiée dans le journal, qui disait « Dodge vante les avantages des fiducies ». Voilà les travaux que nous avons faits en réalité.

Nous n'avons pas fait de travaux pour vérifier comment les fiducies de revenu influent globalement sur le rendement économique ou la productivité du Canada. Nous n'avons pas fait de travaux là-dessus. En fait, ce serait extraordinairement difficile. Vous pouvez demander à d'autres de s'en charger, mais soyez bien conscient qu'il est très difficile de dégager des conclusions le moindrement fermes.

Enfin, aucun des travaux que nous avons faits ne porte sur l'adéquation de l'ensemble du régime fiscal pour ce qui est de l'incitation à mener ces activités dans le cadre d'une fiducie de revenu ou d'une société. Nous n'avons pas fait de travaux là-dessus. Rien de ce que nous avons fait ne doit être interprété de manière à dire que nous croyons que le régime fiscal actuel, pris globalement, est nécessairement idéal.

Le seul principe dont vous devriez tenir compte, à titre de législateurs, c'est que dans la mesure où le régime fiscal, globalement, encourage fortement à utiliser une forme d'organisation par opposition à une autre, il est bien possible que les entreprises et leurs actionnaires choisissent en conséquence une forme d'organisation qui n'est peut-être pas absolument idéale, et qui n'est pas celle qu'ils choisiraient s'ils n'y étaient pas incités par le régime fiscal. Cependant, nous n'avons pas fait de travaux sur cette question et nous ne pouvons pas vous aider dans vos éventuelles délibérations là-dessus.

Le président : Je vais permettre à d'autres sénateurs de poser des questions supplémentaires sur cette question des fiducies de revenu. Peut-être pourraient-ils poser leurs questions, après quoi vous y répondriez globalement avant qu'on passe à un autre sujet.

La raison en est que le vice-président et moi-même avons discuté et continuerons de discuter demain de ce que nous entendons faire à propos des fiducies de revenu. Nous en déciderons demain et nous ferons alors une recommandation au comité quant au suivi.

Le sénateur Goldstein : J'ai plusieurs questions que je vais poser en temps voulu. Quel est votre avis quant aux conséquences des pressions visant à consacrer la quasi-totalité des revenus tirés des fiducies de revenu à la R-D dans l'économie canadienne?

Le sénateur Massicotte : Je me reporte à Jack Mintz, qui est un expert en fiscalité. Son article montre qu'il n'y a aucune différence fiscale sur le plan individuel en ce qui a trait à l'avantage pour les contribuables canadiens. Cela fait une différence notable au chapitre des unités des fiducies détenues par les caisses de retraite, et aussi par les particuliers qui les possèdent par l'entremise de leurs REER, pour un total d'environ 1,1 milliard de dollars aujourd'hui.

Serait-il dans l'intérêt public d'imposer ou de supprimer cette incitation pour ces deux intervenants? Étant donné qu'ils sont déjà avantagés en ne payant pas d'impôt sur le capital ni d'impôt sur le revenu, devrions-nous aller plus loin en faisant en sorte que tous soient placés sur le même pied?

[Français]

Le sénateur Biron : Pour faire suite à la question du sénateur Goldstein, non seulement il y aura, à plus long ou moins long terme, une diminution en distribuant leurs profits, mais ils vont avoir de la difficulté à réinvestir pour la recherche et aussi pour améliorer leur productivité et, finalement, ils vont devenir vulnérables face à la compétition avec les compagnies américaines et les compagnies sur le marché mondial.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je suis content que vous ayez évoqué cet article, monsieur le gouverneur, parce qu'il se trouve que j'en ai le texte ici. On vous cite en ces termes :

D'après les travaux que nous avons faits sur le marché des capitaux, on peut dire que, probablement, dans l'ensemble, les fiducies de revenu rendent les marchés des capitaux un peu plus complets et un peu plus efficients.

Je voudrais que vous nous expliquiez en quoi les fiducies rendent les marchés plus complets. Je comprends que c'est un autre outil permettant d'amasser de l'argent, mais à part cela, en quoi les fiducies rendent-elles le marché plus efficient?

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : C'est surtout la question d'intérêt public qui nous concerne comme membres du comité, et je suppose que c'est un peu la même chose pour le gouverneur de la Banque du Canada.

Pense-t-il que l'analyse de risques sur ce véhicule, qui se veut complémentaire, est bien faite ? Parce qu'il semblerait que ce type de titre ou d'investissement d'unité serait plus populaire auprès des retraités. En cas d'impossibilité de donner le rendement qui est vendu au moment où on achète l'unité, le coût ou le prix payé aussi va diminuer; à ce moment, le retraité perdra son investissement et perdra également sur son revenu. Comment pourrait-on, nous, comme législateurs, protéger les gens qui y mettraient une bonne partie de leurs économies et qui n'auraient pas la chance de se rattraper plus tard? C'est un véhicule qui est surtout utilisé pour les retraités. Je ne m'inquiète pas particulièrement pour les gens qui sont dans la force de l'âge et qui comprennent le risque qu'ils prennent, mais je me demande si ce genre de frénésie de se tourner vers ce domaine ne causera pas de risque pour notre population vieillissante.

[Traduction]

Le président : Nous reviendrons à ce sujet. J'espère que vous aurez des réponses pénétrantes. On vous a posé des questions pertinentes. Je croyais qu'elles seraient brèves; elles ne le sont pas. Veuillez faire de votre mieux pour résumer afin que nous puissions passer à une autre question. Nous y reviendrons car il est manifeste que les membres du comité sont fortement intéressés à approfondir cette question.

M. Dodge : Je vais d'abord aborder la question du marché « plus complet » et de la protection des investisseurs. Nous allons voir à ce que vous receviez tous copie de notre mémoire. Ce que nous avons voulu dire par « plus complet », c'est que pour les investisseurs, une fiducie de revenu est différente sur le plan de ses caractéristiques de risque, par rapport à un titre boursier ou une obligation. Peut-être bien que pour certains investisseurs, les caractéristiques particulières en matière de risque d'une fiducie de revenu sont très attrayantes. Cela peut occuper un créneau, rendant ainsi le marché plus complet à cet égard, et cela peut permettre à certains d'aller chercher des fonds sur le marché des capitaux alors qu'ils ne le pourraient pas autrement. C'est ce que nous voulions dire par « plus complet ». Je vous exhorte toutefois à lire intégralement le mémoire.

Quant à la protection des investisseurs, nous sommes préoccupés par l'aspect comptabilité. Il n'y a aucune norme pour la distribution de l'argent. La communauté des comptables et l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières font des travaux sur cette question parce que cela permet d'obtenir des renseignements, sur une base comparable, dont ont besoin les citoyens ordinaires qui gèrent leurs investissements dans un REER. Cela aiderait beaucoup.

À part cela, la protection de l'investisseur, en termes de représentation, est une affaire qui concerne les commissions des valeurs mobilières. Chose certaine, la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario déploie beaucoup d'efforts dans ce domaine, et je pense que beaucoup d'autres en font autant, et il vaudrait donc la peine que vous discutiez avec eux.

Je passe maintenant aux deux questions plus difficiles, à savoir l'impact sur la R-D et l'impact sur les machines et l'équipement. Nous ne sommes pas compétents pour en parler et, de manière abstraite, ce n'est vraiment pas possible d'en discuter. Comme je l'ai dit tout à l'heure, une fiducie de revenu est un outil approprié dans un certain nombre de circonstances, pourvu que l'incitation à choisir cet outil ne soit pas tellement forte qu'elle entraîne le choix du mauvais outil. Voilà le véritable problème, et il est difficile pour moi d'en parler.

Cependant, il est vrai, comme le sénateur l'a dit, que les étrangers et ceux qui sont exonérés d'impôt sont confrontés à des incitations plutôt différentes en matière de rendement net, par rapport aux Canadiens qui investissent ailleurs que dans leur REER. C'est une évidence, mais je ne peux pas vous en dire plus quant à savoir ce que l'on pourrait faire à ce sujet.

Le président : Monsieur le gouverneur, merci beaucoup. Comme je l'ai dit, nous reviendrons à ce sujet. Le sénateur Eyton veut faire un bref commentaire, après quoi j'espère qu'il abordera une autre série de questions.

Le sénateur Eyton : Monsieur le gouverneur, je pensais vous avoir parfaitement bien compris quand vous avez fait votre déclaration originale sur les fiducies de revenu, mais je suis heureux de vous entendre répéter vos observations aujourd'hui et donner de plus amples explications afin que nous vous comprenions mieux.

De manière générale, je comprends très bien les fiducies de revenu, mais j'ai compris de vos observations que l'on a certaines préoccupations relativement au traitement comptable et à la gouvernance. Je veux seulement faire observer que dans les deux cas, cela s'applique non seulement aux fiducies de revenu, mais aussi aux compagnies par action.

M. Dodge : Absolument.

Le sénateur Eyton : Il y a aujourd'hui une tendance, en particulier aux États-Unis, visant à faire marche arrière par rapport aux normes qui ont été imposées au titre boursier et qui se révèlent difficiles à appliquer ou impraticables. Voilà ce que j'avais à dire sur les fiducies de revenu et je vais maintenant passer à un autre sujet.

J'ai une brève question qui est en fait la répétition d'une question que j'ai posée à l'occasion d'une autre de vos récentes comparutions. Y a-t-il des limites au crédit à la consommation? Je pense vous avoir déjà posé cette question à trois reprises.

Le sénateur Massicotte : Vous n'aimez pas la réponse?

Le sénateur Eyton : Non, c'est une réponse très intelligente.

Le président : Quand on ne réussit pas du premier coup, on essaie de nouveau et sans relâche.

Le sénateur Eyton : À chaque fois que j'ai posé la question, le crédit à la consommation avait augmenté et je crois savoir qu'il se situe maintenant à un niveau record.

Que ce soit en vous fondant sur votre expérience, vos connaissances ou votre instinct, pouvez-vous imaginer une limite quelconque à partir de laquelle la dette poserait un problème pour le Canada et, bien sûr, pour vous-même dans votre rôle à la Banque du Canada?

M. Dodge : On a constaté depuis 2005 un ralentissement du taux de croissance du crédit à la consommation, ce qui se trouve au tableau de la page 23. La croissance est encore rapide, à environ 10 p. 100. L'endettement des ménages par rapport au revenu augmente. Y a-t-il une limite? La limite tient bien sûr en partie à la fraction du revenu qu'un ménage peut consacrer au service de la dette. Cette dette représente maintenant environ 125 p. 100 du revenu des ménages.

En même temps, depuis 2000, la proportion du revenu des ménages qui est consacrée au service de la dette a diminué, passant de 8 p. 100 à environ 6,5 p. 100 du revenu des ménages. On ne peut pas s'attarder seulement au chiffre brut sans tenir compte de la capacité de gérer les liquidités.

L'un des grands avantages de notre système de ciblage de l'inflation est qu'il a donné aux consommateurs et aux prêteurs la confiance que les taux d'intérêt vont demeurer à l'intérieur d'une fourchette raisonnable dans un avenir prévisible. Le coût du service de la dette ne va probablement pas augmenter en flèche, contrairement à la situation qu'on a vue en 1981 ou en 1990 et dont vous vous rappelez bien. Tout à fait rationnellement, les ménages ont tendance à s'endetter davantage quand les taux d'intérêt sont bas et relativement stables que durant les périodes où les taux d'intérêt sont élevés et peuvent monter en flèche en tout temps.

Nous concluons que, à l'heure actuelle, il ne s'agit pas dans l'ensemble d'une situation préoccupante pour les ménages canadiens ou pour ceux qui leur consentent des prêts.

M. Jenkins : J'aimerais rajouter quelques observations. Vous pouvez également analyser cette question en étudiant le bilan du secteur des ménages, dans lequel vous soustrayez les dettes et les actifs pour parvenir à la valeur nette du secteur. La valeur nette du secteur des ménages canadiens croît de manière constante depuis plusieurs années.

Pour revenir à votre question, il faut étudier la valeur de l'actif par rapport aux dettes et voir s'il y a quelque chose dans l'économie qui pourrait changer cet équilibre.

Nous effectuons des analyses de sensibilité à cet effet. Ainsi, qu'arriverait-il si les taux d'intérêt augmentaient? Quelle incidence auraient-ils sur le service de la dette et la capacité de financer ces dettes? Nous avons étudié exhaustivement le bilan du secteur des ménages et conclu que, tel que l'a mentionné le gouverneur, au niveau de l'agrégat, ce secteur est relativement sûr. Nous allons néanmoins continuer à en faire le suivi, pour les raisons que vous avez mentionnées.

Le sénateur Eyton : J'aimerais que vous nous parliez de la mondialisation et de son incidence sur notre monde financier. Je donnerai deux exemples qui se trouvent dans nos nombreuses institutions financières.

Il existe une tendance pour les marchés boursiers mondiaux de se fusionner ou de se regrouper. Si ces tendances se maintiennent, le jour viendra où il y aura quatre ou cinq marchés boursiers principaux qui se trouveraient à New York, Tokyo, Londres et deux autres villes.

Un deuxième exemple serait celui des sièges sociaux d'entreprises internationales qui peuvent s'établir un peu n'importe où dans le monde. Vous avez mentionné la société brésilienne CVRD qui vient de terminer une transaction de taille et a pris le contrôle d'une société canadienne établie depuis longtemps. Xstrata a récemment acquis Falconbridge. Ces exemples sont des tendances qui se retrouvent dans de nombreuses autres institutions.

Est-ce que cet aspect international de notre monde financier, en rassemblant toutes ces tendances, crée un problème pour le rôle de la Banque du Canada?

M. Dodge : Ces questions sont extrêmement pertinentes. En ce qui concerne votre deuxième exemple sur les sièges sociaux, nous ne pouvons pas vous éclairer sur cette question. Pour ce qui est des marchés financiers et de la concurrence à laquelle font face les marchés financiers canadiens par rapport à New York, Chicago, Londres et Singapour, c'est un enjeu de taille puisque la concurrence est énorme.

Vous devez vous demander, en tant que parlementaires, ce que les gouvernements canadiens peuvent faire par l'entremise des lois et des règlements pour créer un avantage comparatif au Canada pour nos marchés financiers. Nous l'avons fait, ainsi que nous l'avons mentionné suite à la Commission Porter, et pendant plusieurs années nous avions une longueur d'avance sur le monde. Toutefois, au cours de la dernière décennie, le monde a changé très rapidement.

Votre question est très importante. Nous avons besoin d'un mécanisme décisionnel qui soit relativement simple, uniforme et adapté à nos besoins, afin de nous permettre de continuer à être concurrentiels sur des marchés où nous jouissons d'une véritable spécialisation, tel que le marché minier. Nous pouvons faire encore beaucoup de choses. Nous avons fait la promotion de cette idée à de nombreuses réunions. Ces modifications ne sont pas nécessairement faciles, mais à moins que nous ne tentions d'obtenir un avantage comparatif, la taille des autres marchés va nous rendre la tâche très difficile.

Vous aviez mentionné l'article 404 de la loi Sarbanes-Oxley, et c'est particulièrement pertinent. Nous n'avons pas rédigé ces règles compliquées.

Le président : Monsieur le gouverneur, veuillez réexpliquer au public ce qu'est la loi Sarbanes-Oxley.

M. Dodge : Je parle des règles de la loi Sabarnes-Oxley qui traitent de la gestion du risque financier dans les sociétés.

Nous avons été un peu plus intelligents et, en toute honnêteté, cela a aidé nos marchés. Nous devons être aussi intelligents dans tous les domaines de la réglementation des marchés financiers.

Le président : Nous voulons également que le Canada ait au moins un petit avantage comparatif, soit celui d'avoir un seul organisme de réglementation. Après toutes ces années, nous n'avons toujours pas d'organisme de réglementation au Canada, nous sommes la seule démocratie moderne au monde qui n'en ait pas. Cette question nous passionne. Nous allons user de notre influence du mieux qu'on peut pour atteindre cet objectif. C'est difficile, mais nous nous y employons.

Le sénateur Goldstein : J'aimerais poser une question supplémentaire par rapport à une des réponses que M. Jenkins a données sur la valeur nette des ménages. Vous avez indiqué qu'en règle générale la valeur des ménages a augmenté au cours des années pour atteindre un niveau qui ne vous préoccupe plus. Si les taux d'intérêt augmentaient, cela serait un problème en raison des coûts reliés au service de la dette. N'est-il pas également vrai qu'une partie importante de la valeur nette des ménages se rapporte au logement? Et, si cette bulle, telle que l'appellent certains, éclatait, ça pourrait avoir une incidence désastreuse sur la valeur nette des ménages.

M. Jenkins : Vous avez soulevé deux points très importants. J'aimerais revenir à ce que je mentionnais tout à l'heure, et parler des coûts reliés au service de la dette. Nous avons effectué des analyses de sensibilité en étudiant le bilan du secteur des ménages et en nous posant la question suivante : si les taux d'intérêt augmentaient de 100, 200 ou 300 points, quelle incidence est-ce que cela aurait sur les niveaux du service de la dette auxquels font face les ménages en ce moment? Même si de telles augmentations avaient lieu, les niveaux du service de la dette demeureraient très bas par rapport à ce qu'on a connu dans les années 1970 et 1980. N'oubliez pas que nous avons réussi à créer un milieu avec des faibles taux d'inflation, car c'est ce qui permet de maintenir les taux d'inflation faibles et stables. Ils vont fluctuer en fonction de la conjecture, mais les taux hypothécaires sur cinq ans sont beaucoup plus stables qu'ils ne l'étaient dans les périodes où l'inflation fluctuait considérablement. Nous étudions cette question car elle est très importante.

En ce qui concerne l'actif, la valeur est liée au marché du logement. Il existe des marchés où le taux d'augmentation du prix des maisons est très élevé. C'est le cas dans une grande partie de l'Alberta. Est-ce un risque macroéconomique? Elle ne pose pas de risque du point de vue national, mais les gens doivent comprendre l'incidence des dettes qu'ils encourent. Ils doivent s'assurer de ne pas le faire à des fins de spéculation et de se surendetter. C'est un risque qu'il faut éviter.

Nous estimons qu'au Canada, du point de vue macroéconomique ou de la stabilité financière, la situation est raisonnablement bonne.

Le sénateur Goldstein : Dans quelle mesure le taux de change entre le dollar canadien et américain influe-t-il sur la fluctuation du taux de financement à un jour? Si la valeur relative du huard joue un rôle dans l'établissement du taux, est-ce en raison de son incidence sur la croissance économique, sur l'inflation, ou sur les deux?

M. Dodge : Il n'y a pas d'interaction entre la croissance et l'inflation, ne l'oubliez pas.

Nous avons tenté de répondre à cette question dans notre Rapport sur la politique monétaire de janvier 2005. Nous avons peut-être trop simplifié la chose, mais nous avons dit qu'il y a des mouvements de change qui sont motivés par des facteurs réels. Lorsque la demande pour des biens et services canadiens augmente, le taux de change augmente aussi, la croissance du taux de change contrecarre la demande additionnelle. Les taux de change sont alors dans la bonne direction pour ce qui est de contrôler l'inflation.

C'est un type de mouvement qu'on peut constater. Il existe également un mouvement autonome dans le huard qui n'est pas relié à la demande de biens et services canadiens. Ce mouvement autonome peut avoir une incidence et pourrait nous obliger à rajuster la politique monétaire. Ce n'est pas la demande pour des biens et services ou l'inflation, c'est l'inflation survient en raison des demandes excédentaires de biens et services ou la menace de se retrouver en deçà de notre objectif en matière d'inflation résultant d'un écart de production d'une insuffisance de la demande de biens et services.

Le sénateur Goldstein : Vous avez parlé ce matin de la nécessité pour l'Ontario — et j'imagine que vous parliez du Canada également — de créer une infrastructure humaine et physique pour améliorer la productivité de notre économie. Pouvez-vous nous dire comment le gouvernement devrait équilibrer ses efforts entre la promotion de la croissance par le biais d'un allègement fiscal ou par le biais de dépenses gouvernementales ciblées pour générer un capital financier et humain? Comment peut-on relier ces deux méthodes? Quel est le meilleur moyen de rendre l'économie plus efficace et productive?

M. Dodge : Vous devriez poser cette question au ministre des Finances.

Le sénateur Goldstein : J'aimerais connaître votre opinion.

M. Dodge : Je ne crois pas vraiment que ce soit approprié. Nous étudions à la banque l'incidence de l'équilibre fiscal sur ce que nous faisons. C'est complètement intégré. Nous en parlons beaucoup parce que ça touche l'essentiel de nos affaires. Cela va jouer un rôle important au cours des 18 à 24 prochains mois.

En ce qui concerne les questions structurelles, bien que nous soyons ravis de discuter des conditions qui ont une incidence sur les marchés financiers à court et à long terme, nous ne croyons pas qu'il soit approprié de discuter d'enjeux qui relèvent du ministre des Finances. Je ne peux pas fournir d'observations à cet effet.

Le sénateur Goldstein : D'accord.

Vous n'allez peut-être pas vouloir répondre à la prochaine question, elle concerne plusieurs d'entre nous. J'aimerais parler du manque à gagner croissant des fonds de pension dans les sociétés de moyenne et de grande taille au Canada pour répondre à leurs exigences en matière de paiement des pensions au fil du temps. Est-ce que votre banque a effectué des études à cet effet?

M. Dodge : Contrairement à votre question précédente, celle-ci a une incidence considérable sur les marchés financiers. Nous avons donc étudié ce sujet. C'est très important puisqu'une partie substantielle des économies personnelles des travailleurs ordinaires proviennent soit de leurs fonds de pension — c'est un bassin de capital important pour nous — soit de leurs régimes de retraite. Historiquement, les fonds de pension ont couvert environ 45 p. 100 des travailleurs canadiens et représenté plus d'un tiers de l'épargne. Cela représente de toute évidence une préoccupation générale, ainsi qu'une préoccupation de taille pour les marchés financiers.

Nous avons parlé de plusieurs enjeux reliés aux normes de solvabilité, à notre évaluation des dettes, et sur notre manière équitable de permettre aux services de croître lorsque ça va bien et de décroître lorsque ça va mal. Je ne voudrais pas épuiser tout le temps du comité cet après-midi, car les enjeux sont nombreux. Nous devons faire les choses de la bonne manière pour que nos marchés financiers fonctionnent bien et pour garantir l'avenir de nos travailleurs. Il y a eu relâchement, en raison de décisions prises par les tribunaux et d'autres décisions, qui ont fait en sorte que les sociétés n'étaient pas obligées d'adhérer à des régimes de retraite à prestations déterminées. Cela a détérioré l'efficacité de nos marchés financiers.

Le sénateur Harb : Merci beaucoup. Votre exposé était excellent. Monsieur Dodge, dans votre Rapport sur la politique monétaire, vous parlez du déséquilibre mondial et du risque potentiel. Vous indiquez que si nous restons immobiles, il y aura des répercussions négatives sur l'économie. J'imagine que vous parlez de l'économie nord- américaine et peut-être de l'économie européenne.

Lorsque nous parlons des échanges commerciaux en général, de même que des excédents et des déficits, nous parlons habituellement du commerce des biens, des services et des investissements effectués par une seule société ou plusieurs sociétés. J'ai été étonné que les ministres des Finances, du Commerce et de l'Industrie dans le monde n'aient pas accepté que le secteur privé ait des longueurs d'avance sur eux. Une société peut être établie aux États-Unis, mais avoir une section qui produit des biens pour elle en Chine, en Europe ou ailleurs. Bien que la société puisse avoir son siège social aux États-Unis, l'administration peut se faire ailleurs, par le truchement de succursales en Inde ou ailleurs.

Lorsque nous parlons de déséquilibre mondial, je ne suis pas convaincu qu'il faille étudier plus sérieusement et généralement ces trois éléments. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Si nous demandons à diverses personnes si elles connaissent l'équilibre des investissements entre les pays, nous recevrons des réponses différentes. Si nous leur demandons s'il y a des services, nous recevrons des réponses différentes. Et si nous posons des questions sur les services, elles nous répondraient qu'elles ne tiennent pas compte des services et ne suivent pas tous ces échanges de services. Il y a de l'argent dans les trois composantes, mais statistiquement on ne semble pas en avoir beaucoup autour de nous.

M. Dodge : Votre question est très vaste, sénateur, je ne crois pas pouvoir y répondre adéquatement. Le compte courant, dont M. Jenkins et moi avons tenté de parler plus tôt, se trouve dans le commerce des biens et des services. Cela inclut toutes les transactions actuelles, dont les remises, et cetera. Le compte financier se trouve à être l'autre aspect. Si vous affichiez un déficit dans votre compte courant, quelqu'un doit être en train de faire un investissement, soit en achetant vos obligations ou vos sociétés. En effet, en bout de ligne, les comptes s'équilibrent.

Il faut aussi voir les deux côtés de la médaille. Une interruption potentielle du côté financier pourrait provenir d'un des ajustements désordonnés dont nous parlions, où les gens arrêtent d'acheter des obligations américaines et le dollar américain chute et les marchés s'arrêtent. Nous avons vu ce qui s'est passé en Asie en 1997, lorsqu'il y a eu un important décalage entre les monnaies qu'ils empruntaient et prêtaient. C'est un problème du compte financier qui a mené à un énorme repli du compte courant.

C'est une situation complexe et nous ne pouvons pas répondre à vos questions en quelques mots. À la conférence qui s'est tenue à Jackson Hole cette année, un exposé extrêmement intéressant indiquait qu'il y avait eu mondialisation de ces composantes. Il ne s'agit pas nécessairement du commerce des biens ou de celui des services finals, mais plutôt du commerce des services d'affaires ou des composantes qui entrent dans les biens et services. C'est plus complexe, mais c'est le même résultat pour le compte courant.

M. Jenkins : Cela revient à ma question principale. Tel que l'a mentionné M. Dodge, c'est extrêmement compliqué. Le cadre du compte courant que nous utilisons tente de cerner ces éléments. Cela nous réconforte de savoir que les chiffres auxquels on travaille se retrouvent dans l'agrégat. Même si une société peut aller produire ses biens et services ou une autre composante en Chine, nous croyons que cela se retrouverait dans les flux commerciaux dont nous parlions, qui mènent à des déséquilibres. Il y a toujours des erreurs d'évaluation et d'autres problèmes. Nous en avons notamment parlé dans le contexte de la productivité. Il faut exercer son jugement, mais du point de vue de la politique monétaire. Nous estimons que nous avons les renseignements nécessaires pour prendre des décisions éclairées.

Le sénateur Harb : Vous avez abaissé à 2,8 p. 100 votre prévision pour 2006. Était-ce hier ou avant-hier qu'on a annoncé que l'excédent avait presque doublé? J'aimerais savoir si cet excédent se reflète dans ces chiffres. Avez-vous pris en considération le dernier chiffre?

M. Dodge : Comme nous le disions tout à l'heure, les gouvernements imposent le revenu nominal, non pas le revenu réel. Il peut y avoir un large écart entre le taux de croissance du revenu nominal et celui du revenu réel en raison de variations dans les échanges. En fait, il est intéressant d'examiner ces chiffres, monsieur le sénateur. Par exemple, en 2003, le taux de croissance du revenu nominal était de 5 p. 100; il était de 6 p. 100 en 2004, de 6 p. 100 encore en 2005; et pour 2006, nous pensons qu'il sera probablement de 5 p. 100 seulement et pour 2007, il sera probablement de 4 p. 100 seulement. Cela correspond au taux de croissance du revenu réel que nous vous avons fourni.

Ce ralentissement du taux de croissance du revenu nominal nous incite à être prudents au sujet des recettes que les gouvernements provinciaux et fédéral pourraient continuer à recevoir de l'impôt sur le revenu des sociétés et sur le revenu des particuliers au cours des prochaines années. Cela ne veut pas dire que les recettes vont s'effondrer, mais que si ces prévisions du revenu nominal sont exactes — et ce n'est pas du tout certain — cela veut dire une croissance plus lente des recettes gouvernementales, du moins celles provenant de l'impôt sur le revenu des sociétés et des particuliers.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur le gouverneur, vous avez parlé tantôt d'une question qui m'intéresse depuis longtemps, ayant été chez SNC, il s'agit de la question des infrastructures et partenariats public-privé. Il faut rappeler que cette firme, SNC-Lavalin est aujourd'hui l'une des plus grandes entreprises d'engineering au monde et a des bureaux dans tout le Canada. Parmi les infrastructures de transport, il me semble qu'un exemple de succès est l'autoroute 417 en Ontario.

J'aimerais que vous nous expliquiez une chose, alors que cette infrastructure est un projet tellement intéressant que, finalement, tout le monde en bénéficie du point de vue du rendement. Vous avez parlé de manque d'expertise, de cadre légal, mais si on fait déjà le travail avec des banques étrangères, car ce sont des banques étrangères qui ont financé la 417, expliquez moi, alors que nos propres banques veulent grandir, aller à l'étranger pour faire des fusions — je ne commencerais pas à faire des projets chez nous — quelle est cette barrière qui fait que nos propres situations financières ne poussent pas même les gouvernements à aller dans cette direction? Quelles sont les barrières à l'entrée dans cette philosophie?

M. Dodge : Pour nos banques, nos institutions financières, il n'y a pas de barrière comme telle. Ils n'ont pas l'expertise, ils n'ont pas développé l'expertise qu'on peut observer dans les pays qui ont, eux-mêmes la législation et la volonté de procéder avec les partenariats. Ce n'est pas une surprise si, sans demande domestique pour ce type de financement, ils n'ont pas développé l'expertise.

On peut prendre l'exemple d'une banque Australienne, par exemple, qui a développé beaucoup d'expertises parce que les États australiens — Australie méridionale, Nouvelles Galles du Sud — ont eu une demande assez forte pour ce type d'investissements. Je ne sais pas qui est le premier de la poule ou de l'œuf, mais c'est un peu comme cela pour nos banques, je crois.

Le sénateur Hervieux-Payette : Tantôt vous nous avez dit que, probablement, le secteur des services était celui qui pouvait augmenter la croissance et la productivité. Lorsqu'on considère les services financiers, c'est évidemment un secteur dans lequel on pourrait développer l'expertise. Si j'ai posé cette question c'est que, d'une part, je me demande si l'expertise existe au niveau des gouvernements autant que dans les banques, car les banques pourraient certainement acheter l'expertise sur leur marché international.

De toute façon, dans le cas présent, on a un vide important. On sait qu'on a pour plus de 20 milliards de dollars de demandes d'infrastructure. Les gouvernements sont conscients de cela, les gens qui sont dans la construction sont prêts à ce partenariat.

Je pense que si, sur un espace de quelques années, on mettait en marche des chantiers de 20 milliards de dollars pour les routes — je me demande où serait la main-d'œuvre en Alberta ou en Colombie-Britannique, c'est une autre question. La question que je me pose est la suivante : pensez-vous qu'il y un manque d'expertise même à l'intérieur de nos propres gouvernements, que ce soit provincial ou fédéral, pour entamer ce processus ?

M. Dodge : Ce n'est pas simple de contracter avec un partage du risque qui est bon pour le secteur privé et pour le gouvernement. Maintenant, on a des exemples à l'extérieur du Canada qui peuvent nous aider. Il y a des faillites en dehors du Canada. Il y a des succès et des faillites. On peut apprendre des expériences des autres. C'est une chose. Il faut développer l'expertise, soit du côté des gouvernements ou du côté des entreprises.

Il y a un deuxième problème. Il y a un prix pour les services, soit pour le public ou pour le gouvernement. Il y a un prix établi pour faire fonctionner le marché et signer un contrat avec une entreprise. C'est vrai dans presque n'importe quelle branche d'infrastructures. Il y a une résistance, ici au Canada, à avoir des prix pour ces services. On n'aime pas le péage sur les autoroutes, le compteur d'eau, et cetera. Si on n'accepte pas qu'il y a un prix pour le service, c'est difficile. Il ne faut pas blâmer les gouvernements. L'attitude que nous, les citoyens, avons n'est pas totalement accommodante. Cependant, c'est extrêmement important et il y a des bénéfices en termes d'efficacité. Il faut y travailler du côté des gouvernements et du côté du secteur privé pour améliorer la situation parce que les besoins pour les infrastructures sont énormes.

Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce que vous voyez un rapport entre ce partenariat public-privé, qui serait bien expliqué à la population, et la productivité? Si on a une série de services, il me semble qu'on peut faciliter des investissements additionnels, par exemple un transport plus efficace. Il me semble qu'il y a quand même une relation de cause à effet, outre le fait qu'on injecterait dans l'économie les milliards qui sont dans les caisses de retraite.

Au Québec, la Caisse de dépôt et placement a investi des centaines de millions dans l'aéroport de Londres. Il me semble que si on est capable d'aller analyser le risque de l'opération de l'aéroport de Londres, on pourrait au moins penser à financer nos propres infrastructures. Où est le coupable? Quelle est la barrière? Vous me dites que c'est en partie le citoyen qui ne veut pas payer la facture, mais le citoyen est assez intelligent pour comprendre que si on perd des dizaines de milliers d'emplois, il faudrait peut-être en créer d'autres. Ce serait un mécanisme bénéfique pour toute la population.

M. Jenkins : Vous avez absolument raison. L'investissement dans les infrastructures est la priorité.

Le sénateur Biron : Sur le plan de la croissance annuelle moyenne du PIB réel en points de pourcentage, le logement en 2006 était de 0,2, en 2007 vous prévoyez moins 1, et en 2008, également moins 1. Aux États-Unis, les institutions financières — plus particulièrement en Floride — prêtent pour le logement en capitalisant la moitié du taux d'intérêt et en prêtant pour un montant minime. Si des personnes peuvent acheter un condo d'un million de dollars et donner un montant ridicule pour payer la moitié du taux d'intérêt qui est capitalisé, est-ce que vous auriez l'intention d'ouvrir le crédit pour permettre que nos institutions financières les suivent ou s'il y a un réel danger comme actuellement, en Floride, où il y a un effondrement sur la valeur des condos?

M. Dodge : Nous croyons que le marché du logement est en bon état ici. Nous n'avons pas les problèmes de même taille que ceux qui existent en Floride, à Boston ou en Californie, par exemple. À la Banque, on a été assez clair qu'il y a un risque en ce qui concerne les hypothèques exotiques et nous pourrions avoir les mêmes problèmes qui existent en ce moment en Floride.

[Traduction]

Le sénateur Angus : Notre comité revient d'une petite mission d'information à New York où nous avons rencontré des représentants d'organismes de réglementation et d'autres institutions du secteur des services financiers. À la Federal Reserve Bank de New York, en particulier, nous avons discuté de l'évolution des marchés financiers et la question des fonds de couverture revenait sans cesse. Nous avons constaté qu'au sein de la Federal Reserve Bank il y a une divergence d'opinion quant à la nécessité de réglementer ces fonds, mais au cours de nos rencontres sur une période de deux jours, nous avons appris que lorsqu'il y avait une réglementation qui exigeait l'enregistrement et la divulgation des investissements, le résultat était positif. Malheureusement, les dispositions réglementaires ont été invalidées à la suite d'un appel pour des raisons de forme et la décision n'a pas été contestée.

Nous constatons maintenant que ces investissements sont très populaires. Ils se multiplient partout et personne ne sait qui est propriétaire des fonds ni comment ils sont investis. Nous commençons à penser qu'il faudrait étudier la question. J'ai parcouru votre propre documentation, et ils ont une très grande influence sur les marchés financiers. Pensez-vous que ce serait une bonne idée que nous examinions ces fonds?

M. Dodge : Je vous encourage à le faire. J'aurais trois observations à faire. Premièrement, dans l'ensemble, les études qui ont été menées, que ce soit par la Federal Reserve Bank de New York ou par la Financial Services Authority de Londres, les deux organismes qui ont le plus approfondi la question, semblent indiquer que les fonds de couverture ont, tout bien pesé, contribué de manière positive à répartir le risque et au fonctionnement des marchés financiers.

Deuxièmement, tous les organismes de réglementation, y compris la Banque du Canada et le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada, reconnaissent clairement qu'un grave problème peut se poser lorsque les banques qui prêtent de l'argent aux fonds de couverture ne surveillent pas de près la situation et ne contrôlent pas leurs risques. Nos collègues au BSIF surveillent cela de très près, tout comme le fait la Federal Reserve Bank de New York dans le cadre de ses activités de réglementation des banques. C'est un élément important.

Troisièmement, je ne peux pas vraiment me prononcer sur la question de la protection des investisseurs et de la divulgation. Est-ce que des personnes qui devraient s'en abstenir achètent ces produits assez compliqués qu'ils ne comprennent pas? Il faudrait peut-être poser la question à la Commission des valeurs mobilières, car nous ne sommes pas experts dans le domaine de la protection des investisseurs. Voilà les trois questions principales.

Notre conclusion, d'un point de vue de la stabilité financière, est que même si le Canada ne compte pas autant de ces fonds de couverture, qui occupent donc une plus petite part du marché que ce n'est le cas à New York ou à Londres, ils ne posent pas de problème systémique pour le moment.

Le président : J'ai une courte question. Il y a tout un débat en Ontario et dans l'ensemble du pays sur l'augmentation du salaire minimum. Les statistiques montrent que le nombre de travailleurs à faible salaire augmente au Canada et qu'au sein de cette classe on retrouve des travailleuses chefs de famille monoparentale. L'une des principales solutions à certains de ces problèmes serait peut-être d'accroître le salaire minimum des adultes. Avez-vous réalisé des études économiques qui donneraient raison aux ministres qui disent qu'une augmentation du salaire minimum des adultes nuirait à la création d'emplois?

M. Dodge : Non, nous n'avons pas fait cette étude, monsieur le sénateur. Nous ne pouvons pas vous éclairer sur cette question pour laquelle nous n'avons aucune expertise, bien que ce soit une question importante et je suis sûr que votre comité va l'examiner.

Le président : En effet, nous avons l'intention de l'étudier.

Le sénateur Massicotte : Un rapport récent de l'Institut C. D. Howe, rédigé par un de vos anciens conseillers, s'interroge sur l'utilité de maintenir une cible d'inflation de 2 p. 100 et prétend qu'on devrait l'abaisser. L'accord entre la Banque du Canada et le gouvernement du Canada devrait être révélé prochainement. Que pensez-vous de cette question et vers quoi se dirige-t-on?

M. Dodge : Permettez-moi tout d'abord de dire que l'Institut C. D. Howe continue à contribuer de manière utile au débat sur la politique monétaire. Ce rapport rédigé par M. David Laider est une contribution précieuse. Vous constaterez que dans son rapport il dit que nous devrions commencer à réfléchir à ce que nous voulons pour le prochain accord car les attentes sont bien ancrées. Il avait raison de le dire.

Le président : Merci.

M. Dodge : Je voudrais être sûr de m'être exprimé clairement. Il ne s'agit pas de l'accord qui sera rendu public à la fin de l'année mais de l'accord suivant.

Le président : Si vous voulez corriger le compte rendu, n'hésitez pas à le faire. Monsieur Dodge, monsieur Jenkins, merci de votre comparution aujourd'hui. Le comité va poursuivre son étude des fiducies de revenu, des fonds de couverture et des entraves au commerce interprovincial. Nous suivrons également votre sage conseil de surveiller périodiquement la croissance de la productivité.

Nous avons hâte de vous revoir.

M. Dodge : Merci, monsieur le président. Je suis convaincu que vous maintiendrez l'illustre réputation qu'a ce comité depuis 1867.

La séance est levée.


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