Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 12 - Témoignages du 7 décembre 2006


OTTAWA, le jeudi 7 décembre 2006

Le Comité sénatorial permament des banques et du commerceà qui a été renvoyé le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, la Loi de l'impôt sur le revenu et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 50 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, bonjour. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, la Loi de l'impôt sur le revenu et une autre loi en conséquence. Souvenez-vous, le comité avait préparé un rapport provisoire dans lequel il avait soulevé une série de questions concernant ce projet de loi. Nous nous sommes réjouis hier du témoignage du ministre qui nous a affirmé qu'un certain nombre de nos recommandations avaient été intégrées au projet de loi afin de donner au Parlement un rôle de surveillance plus important en matière de proteciton de la vie privée.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui des représentants de la Gendarmerie royale du Canada, Raf Souccar, Denis Constant et Richard Reynolds. Messieurs, bienvenue. Nous savons que la gendarmerie traverse une période difficile, mais le comité respecte la GRC, son intégrité, son honnêteté et sa décence. La GRC incarne à nos yeux ce qu'il y a de mieux au Canada. Nous sommes heureux que vous puissiez témoigner devant le comité ce matin au sujet du projet de loi C-25. Vous avez appris que nous nous intéressons à ce que fait la GRC pour la mise en œuvre de cette mesure. Nous sommes impatients de vous entendre et de suivre avec intérêt tout ce que vous avez à dire. Vous avez la parole.

Raf Souccar, commissaire adjoint, Opérations fédérales et internationales, Gendarmerie royale du Canada : Merci, sénateur, pour votre soutien. Nous en sommes reconnaissants.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner l'occasion de faire des observations au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce sur l'importante question du blanchiement d'argent et du financement des activités terroristes au Canada.

Je suis accompagné de Denis Constant, surintendant principal, directeur général, Crimes financiers, Opérations fédérales et internationales; et de Richard Reynolds, directeur, Sous-direction des opérations en matière de sécurité nationale. Mes deux collègues possèdent une riche expérience dans leur domaine respectif et ensemble, j'espère que nous pourrons tous les trois répondre à vos questions.

Le régime canadien de lutte contre le blanchiement d'argent et le financement des activités terroristes a une incidence sur deux sous-directions de la GRC : la Sous-direction des produits de la criminalité de la GRC, qui s'occupe du régime de lutte contre le blanchiement d'argent; et la Sous-direction des opérations de sécurité nationale, qui s'occupe du régime de lutte contre le financement des activités terroristes. La GRC continue de collaborer étroitement avec le ministère des Finances, le CANAFE et d'autres partenaires interministériaux afin d'accroître les efforts du Canada dans ces domaines.

L'initiative a été évaluée deux fois en 2004 — une première fois par EKOS, une entreprise privée, et une seconde fois par le Bureau du vérificateur général. À la suite de l'examen du cadre de lutte, les deux rapports ont mentionné le manque de renseignements figurant dans les rapports du CANAFE, ainsi que la nécessité d'augmenter les ressources accordées à la GRC. Comme vous le savez, à part l'examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes qui a mené au dépôt du projet de loi C-25 à la Chambre des communes le 5 octobre 2006, le régime canadien fera l'objet d'une évaluation mutuelle par le Groupe d'action financière en mars 2007. Compte tenu de l'évaluation mutuelle du régime canadien par le Groupe d'action financière, des modifications législatives et réglementaires à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et des augmentations de fonds ont été annoncées dans le budget de 2006 afin de renforcer le cadre de lutte du Canada. La présentation au Conseil du Trésor en vue d'obtenir des fonds pour accroître la capacité fédérale de lutte contre le blanchiement d'argent et le financement des activités terroristes a été approuvé le 5 octobre 2006.

La Sous-direction des produits de la criminalité de la GRC recevra des fonds pour 12 enquêteurs de plus afin d'aider à accroître la capacité d'enquête dans les trois principaux centres financiers, soit Montréal, Toronto et Vancouver. La Sous-direction des opérations de sécurité nationale de la GRC recevra des fonds pour 33 enquêteurs, ce qui permettra à la GRC de constituer des groupes spécialisés de lutte contre le financement des activités terroristes dans chacune des équipes intégrées de la Sécurité nationale de la GRC.

[Français]

La GRC apprécie la contribution du CANAFE dans sa lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Le CANAFE est une des nombreuses sources de renseignements sur lesquelles se fondent les divers dossiers que nous poursuivons.

Comme il a été déclaré dans nos rapports de 2004 de la vérificatrice générale et dans l'évaluation quinquennale de l'initiative nationale de lutte contre le blanchiment d'argent, les restrictions prévues dans la loi qui limitent les renseignements que le centre peut communiquer nuisent à l'utilité des renseignements transmis par le centre.

En raison de ces restrictions quant à l'étendue des renseignements que le CANAFE peut échanger avec les organismes d'application de la loi, les pistes du CANAFE parviennent rarement à rivaliser avec les autres sources de renseignements qui se disputent les ressources limitées, en particulier lorsque les renseignements ne sont pas fournis en temps opportun.

[Traduction]

La GRC est d'avis que le CANAFE devrait pouvoir communiquer les motifs qui le portent à considérer qu'une opération financière est douteuse, lorsqu'il communique des renseignements aux organismes d'application de la loi. La GRC est également d'avis que le critère des « motifs raisonnables de croire » que des activités de blanchiment d'argent ont lieu ou ont eu lieu devraient être abaissés aux motifs raisonnables de soupçonner que les activités de blanchiment d'argent ont lieu ou ont lieu. Je tiens à préciser que les organismes d'application de la loi ne demandent pas l'accès direct aux renseignements du CANAFE. La GRC continue de préserver sa relation d'indépendance avec le CANAFE et de respecter la nécessité de protéger les renseignements personnels sous sa responsabilité.

Cependant, une fois que cet organisme indépendant a des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements qu'il détient pourraient être pertinents à une enquête ou à la poursuite d'une infraction liée au blanchiment d'argent, ces renseignements devraient être plus facilement accessibles aux organismes canadiens d'application de la loi qui se trouvent à l'avant-plan du processus d'enquête. Actuellement, les organismes d'application de la loi doivent effectuer quasiment une enquête complète avant d'avoir accès aux rapports d'analyse produits par le CANAFE.

En vertu de la nouvelle loi, CANAFE devient le registraire des entreprises de transfert de fonds. La GRC croit que le CANAFE devrait mettre le registre à la disposition des organismes d'application de la loi. Il s'agirait d'une amélioration très positive au régime courant. La GRC transmet volontairement au CANAFE des renseignements qui énoncent qu'une enquête relative au recyclage de produits de la criminalité est effectuée. La GRC fournit un sommaire complet de l'enquête criminelle ainsi que les détails pertinents sur les sujets visés par cette enquête.

Finalement, la GRC appuie l'inclusion de la profession juridique dans le projet de loi C-25. L'inclusion des avocats comblerait une grande lacune dans le régime actuel. Ceux-ci sont très vulnérables au recours à leurs services, sciemment ou à leur insu, par des organisations criminelles nationales ou internationales opérant au Canada et à l'étranger. Je m'arrête là-dessus. Merci encore une fois de m'avoir donné l'occasion de vous fournir ces renseignements.

Le président : Je dois dire, chers collègues, que j'ai été quelque peu injuste envers certains témoins hier, à cause de notre maîtresse, l'horloge. Aujourd'hui, je vais changer l'ordre des interventions et je donnerai d'abord la parole au sénateur Massicotte.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Bienvenue parmi nous aujourd'hui. Pendant les 12 derniers mois, on a saisi 132 millions de dollars d'actifs. Certains experts disent que le blanchiment d'argent représente de 3 à 20 milliards de dollars annuellement. Les Canadiens et les Canadiennes ont peut-être l'impression que les changements ont beaucoup de mérite, mais qu'on n'arrive pas vraiment à contrôler la situation du blanchiment d'argent. Comme certains pays peuvent en témoigner, quand les gens perdent confiance dans l'économie, cela a des effets très importants sur la qualité de vie.

Pouvez-vous nous assurer que les amendements sont adéquats et que la GRC a les ressources nécessaires pour contrôler et gérer cette menace très importante sur notre économie et notre qualité de vie?

[Traduction]

M. Souccar : Vous avez absolument raison. L'intégrité économique du Canada dépend grandement de la mesure dans laquelle nous continuerons à tolérer que soient perpétrés des crimes financiers. La GRC en est consciente, et nous avons fait de l'intégrité économique une de nos cinq priorités stratégiques.

Sur quelle proportion des renseignements qui nous parviennent sommes-nous en mesure de faire enquête? Nous sommes au courant de l'existence de 800 organisations criminelles au Canada, et nous avons la capacité d'enquêter sur peut-être 150 d'entre elles. Chaque enquête que nous effectuons comporte un volet produits de la criminalité et un volet blanchiment d'argent. Voilà pour ce qui est du crime organisé.

S'agissant de sécurité nationale, il existe le même type d'initiative, c'est-à-dire que nous essayons de faire des enquêtes sur le financement des activités terroristes, parallèlement à l'enquête sur les menaces terroristes à la sécurité nationale. Les ressources posent problème. Il serait merveilleux d'avoir une équipe complète qui se consacre entièrement au blanchiment d'argent ou au financement des activités terroristes dans le cadre de chaque enquête. Le seul point commun qui existe entre les groupes organisés, c'est l'argent. Ces groupes veulent de l'argent, coûte que coûte. L'activité comme telle importe peu. En ce qui concerne les enquêtes relatives à la sécurité nationale, c'est un moyen de parvenir à une fin. Les groupes ont besoin de financement pour être en mesure de mener à terme leurs activités. C'est quelque peu différent, mais il y a néanmoins un point en commun.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Si je comprends bien, la somme de 3 millions de dollars qu'on vous donne pour 12 personnes additionnelles n'est pas adéquate?

[Traduction]

M. Souccar : Vous avez absolument raison. C'est une amélioration, mais dans toutes nos enquêtes, nous devons avoir le moyen de nous attaquer à la source de l'argent. Dans le cadre d'une enquête sur le crime organisé, si nous saisissons par exemple une cargaison de 500 kilos de cocaïne, l'organisation touchée considérera que cette perte est le prix à payer. En effet, les organisations criminelles s'attendent à perdre des cargaisons de temps à autre. Pour notre part, nous estimons avoir pris les bonnes mesures si nous remontons à la source de l'argent, c'est-à-dire aux racines profondes, et si nous déstabilisons l'organisation en nous attaquant à ses finances. Cela contribue aussi à protéger l'économie du Canada en ceci qu'on élimine la concurrence déloyale qui risque de découler de l'utilisation de l'argent sale pour livrer concurrence à une entreprise légitime.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Est-ce que cela pourrait expliquer le manque de ressources? On fait l'observation en tant que simple citoyen canadien. Lors de notre récent séjour aux États-Unis, on a pu remarquer certaines choses. Prenons l'exemple de M. Eagleson ou Conrad Black ou encore M. Tremblay, qui a récemment été accusé aux États-Unis. On dirait que même les Canadiens et les Canadiennes font l'objet d'un suivi plus sérieux de la part les Américains que nous ne le faisons nous-mêmes. On a l'impression qu'on ne fait pas notre travail. Un rapport de la GRC, publié il y a environ 5 semaines, disait que la raison principale était qu'ils étaient en train de s'organiser et qu'ils allaient y arriver. Va-t-on vraiment y arriver? Et dans cinq ans, est-ce qu'on va dire encore la même chose?

Denis Constant, surintendant principal, directeur général, Criminalité financière, Gendarmerie royale du Canada : La question soulevée en est une très importante. Je pense, qu'à toute fin pratique, il faut partir de la perspective que le problème associé aux produits de la criminalité au Canada est un problème international. C'est un fléau international et pour s'attaquer à ce fléau, cela exige une réponse internationale. Je pense que le Canada fait sa part jusqu'à un certain degré. Dans ce domaine, les agences qui ont un rôle à jouer dans cette perspective font un bon travail avec les instruments et les outils dont ils disposent à l'heure actuelle. Je pense que de vouloir tirer des parallèles avec certains autres pays ne suffirait pas à définir tout ce qu'est le problème. Le système américain dispose de certains mécanismes que nous n'avons pas au Canada. Ils ont un processus civil sur le plan des produits de la criminalité mis à leur disposition.

Les Américains font un grand usage de cet outil. Nous n'avons pas cet outil ici. Nous avons le processus civil, qui commence à être entériné dans certaines provinces au Canada, mais c'est purement à l'intérieur de certaines provinces. Ce n'est pas un processus étendu dans un contexte fédéral.

Le sénateur Massicotte : Certains diront que mon sujet favori est celui « des avocats « . On remarque que le projet de loi propose des amendements pour donner aux avocats la responsabilité de se gérer. Est-ce que les changements proposés sont adéquats? Est-ce qu'on va faire confiance à la profession, au Barreau de se gérer et exiger des règlements? Êtes-vous satisfait des règlements proposés par le Barreau? Et est-ce qu'on va pouvoir se fier à la profession pour s'autodiscipliner?

[Traduction]

M. Souccar : À mon avis, c'est mieux que ce qui existe actuellement, mais je pense que nous devrions aller plus loin.

Je ne veux pas faire de remarques désobligeantes sur les avocats. Je suis moi-même avocat et je suis membre de l'Association du Barreau de l'Ontario, ce qui me donne plus de latitude. Il s'agit de protéger les avocats qui sont dupés et qui participent, à leur insu, à des activités de blanchiment d'argent. Obliger les avocats à déclarer les transactions dépassant un certain plafond renforcera l'intégrité de la profession. Ainsi, ceux qui sont dupés laisseront le soin à quelqu'un d'autre de déterminer s'il s'agit d'une transaction de blanchiment d'argent ou d'une transaction légitime. Du coup, on jette un second regard serein sur la transaction.

Le sénateur Massicotte : Est-ce suffisant?

M. Souccar : Ma proposition rendrait les choses suffisantes. Toutefois, la proposition actuelle ne va pas assez loin. Au lieu de laisser au Barreau le soin de surveiller les avocats qui en sont membres, nous proposons d'aller un peu plus loin en exigeant que la déclaration soit faite à un organisme externe, comme le font les banques.

[Français]

Le sénateur Biron : Le président de l'Association du Barreau canadien dit que tout renseignement supplémentaire découlant du projet de loi C-25 sera utilisé de façon licite, responsable, transparente et compatible avec l'intérêt du public et les valeurs constitutionnelles.

L'association s'oppose à un plus ample échange de renseignements d'ici à ce que ce degré de surveillance et de responsabilités indépendantes et efficaces soit garanti. De quelle façon allez-vous garantir que les renseignements ne seront pas donnés à l'extérieur du pays ou partagés avec d'autres?

[Traduction]

M. Souccar : Je crois que nous agirions de la même façon que nous le faisons pour garantir que tous les renseignements que nous recevons soient protégés. À titre d'exemple, si un renseignement nous parvient du CANAFE, nous l'examinons et nous déterminons s'il s'agit d'une transaction impliquant du blanchiment d'argent dans le cadre d'infractions criminelles plus graves. Sinon, on ne va pas plus loin. À mon avis, nous utiliserions les mêmes méthodes que celles que nous utilisons dans nos enquêtes ordinaires.

M. Constant : J'aimerais simplement ajouter que le régime du blanchiment d'argent au Canada sera aussi fort que notre maillon le plus faible, et si nous choisissons d'exempter les avocats de la loi, nous offrirons alors une occasion au crime organisé, aux groupes terroristes de concentrer leurs efforts sur l'utilisation, consciente ou inconsciente, de la profession d'avocat pour blanchir les produits de leurs crimes.

J'aimerais attirer votre attention sur quelque chose qui est très important : M. Stephen Schneider, professeur de sociologie et de criminologie à l'Université Saint Mary's à Halifax a fait énormément de recherches sur le blanchiment d'argent au Canada, au cours des 15 dernières années. Il a eu l'occasion d'étudier tous les dossiers de la GRC sur le blanchiment d'argent et a découvert que 49,7 p. 100 de toutes les enquêtes sur le blanchiment d'argent entreprises par la GRC impliquaient des avocats qui avaient manipulé des produits de la criminalité, soit en connaissance de cause ou à leur insu. C'est pourquoi nous mettons l'accent non seulement sur la nécessité de protéger l'intégrité de l'économie canadienne, mais aussi sur la nécessité de protéger la profession juridique canadienne contre tout abus de la part d'éléments criminels.

Le président : J'ai quelques questions complémentaires sur le sujet. Pourriez-vous remettre le document de M. Schneider au comité? Il est important que le comité ait un document auquel un témoin a fait allusion.

Je vois que nous l'avons déjà. Merci.

Le sénateur Angus : Ma question complète la question du sénateur Massicotte sur l'adéquation des dispositions du projet de loi C-25, en ce qui a trait aux avocats. Je suis, moi aussi, membre de l'Association du Barreau canadien et du Barreau du Québec et je suis très troublé par ce projet de loi. À mon avis, les dispositions du projet de loi initial relatives aux avocats était suffisantes. Ai-je raison? Même si les avocats les ont attaquées et que vous n'avez pas réussi à les réintégrer au projet de loi, les dispositions existantes seraient-elles suffisantes? Ont-elles été confirmées par les tribunaux? Voyez-vous à quoi je fais allusion? Dans le projet de loi initial, les banques et certains particuliers étaient tenus de faire des déclarations, notamment au sujet de transactions douteuses et des plafonds financiers, mais les membres de la profession légale aussi étaient visés par ces dispositions. Durant les audiences sur le projet de loi précédent, nous avons entendu des témoignages de la part des différentes associations du Barreau sur le risque d'empiétement sur le secret professionnel et le risque que les dispositions soient illégales. Ces dispositions du projet de loi ont été critiquées. Après avoir fait des recherches, le comité a appris que le Royaume-Uni, la France et les États- Unis avaient des dispositions strictes à l'endroit des avocats, dispositions qui ne sont pas attaquées en raison de leur empiétement sur le secret professionnel. Ici au Canada, pour une raison quelconque, l'opinion est différente. Pouvez- vous éclairer la lanterne du comité? Je crois que la question du sénateur Massicotte était claire :

[Français]

Est-ce que les dispositions dans le projet de loi C-25 sont adéquates vis-à-vis des avocats?

[Traduction]

Vous avez répondu non, n'est-ce pas?

M. Souccar : Au sujet de ce que vous venez de dire, la réponse est non; il faut que ce soit beaucoup plus fort. Si le Canada s'attire des critiques en ce qui concerne sa participation au Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux, le GAFI, ce sera certainement parce qu'il est perçu comme étant le maillon faible dans ce domaine.

Le sénateur Angus : Hier, le ministre Flaherty nous a expliqué que le gouvernement veut recevoir une bonne note lors de cet examen du GAFI. Les régimes juridiques des États-Unis et de l'Angleterre sont essentiellement les mêmes que le régime canadien. Nous, les avocats, nous comprenons ce qu'est le secret professionnel de l'avocat, mais certaines décisions récentes de la Cour suprême semblent indiquer que son interprétation se ressert. Nous nous préoccupons de vos opinions sur la question, car nous savons que les avocats étaient impliqués dans 49,7 p. 100 des enquêtes. C'est un élément essentiel de ce projet de loi.

Richard Reynolds, directeur, Sous-direction des opérations en matière de sécurité nationale, Gendarmerie royale du Canada : Je peux vous donner davantage d'explications à ce sujet. Il y a un autre groupe qui est visé par la loi : les agents immobiliers. Les avocats sont des intermédiaires financiers dans la plupart des transactions immobilières et une forte proportion de l'argent passe entre les mains des avocats et il semble donc y avoir un grave déséquilibre.

Le sénateur Massicotte : Je souhaitais obtenir un éclaircissement.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je veux seulement clarifier les commentaires de M. Constant. Si j'ai bien compris, le point faible serait le système des avocats?

M. Constant : C'est effectivement cela.

[Traduction]

Le sénateur Goldstein : À ce propos, monsieur Constant, vous avez cité une statistique que nous connaissions déjà, soit qu'environ 50 p. 100 des transactions qui ont fait l'objet d'une enquête par la GRC impliquaient des avocats d'une manière ou d'une autre. En vertu de la loi actuelle, les avocats sont exonérés, or vous avez pu faire enquête sur des affaires dans lesquelles des avocats étaient impliqués. Cela étant, ne seriez-vous pas prêt à dire que les statistiques de M. Schneider donnent raison à ceux qui disent qu'il n'est pas essentiel que les avocats soient entièrement visés par ce projet de loi et que la loi actuelle répond déjà à vos besoins?

M. Constant : Je crois que l'étude de M. Schneider confirme ce que le sénateur disait. Elle montre combien d'argent passe entre les mains des avocats et que ceux-ci sont exposés en raison de leur profession. Qu'ils aient été pleinement informés ou que cela se soit fait à leur insu, c'est ce qui s'est passé. Parallèlement, la loi actuelle n'est pas suffisante pour protéger les avocats, car en excluant les avocats on a exclu du même coup le mécanisme de déclaration. Tant que les avocats sont exclus, et qu'ils n'auront donc pas à faire de déclaration, on encourage les criminels à se servir des avocats.

Le président : Ce qui vous déplaît, ce n'est pas le processus, vous n'êtes pas contre l'autoréglementation des avocats. C'est plutôt la question de savoir si l'autoréglementation est suffisante dans ces circonstances. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Souccar : Nous allons plus loin en disant que l'autoréglementation serait insuffisante.

Le président : Nos prochains témoins seront des représentants de l'Association du Barreau canadien et nous attendrons leur réponse.

Le sénateur Goldstein : Je voudrais me faire l'écho du président et dire que nous respectons et admirons le travail que fait la GRC. À nos yeux, vous êtes la crème de la crème et nous vous félicitons. Nous sommes également avec vous de tout coeur pendant cette période qui doit être assez troublante pour vous. Nous tenons à ce que vous sachiez que vous avez notre appui.

L'enquête que nous avons menée la dernière fois, celle que nous faisons maintenant, porte sur le même problème — la nécessité et l'application adéquate de la loi, d'une part, et notre volonté à tous de protéger la vie privée des Canadiens, d'autre part. Nous ne sommes pas les seuls à souhaiter cela; c'est un sentiment qui est partagé par vous et par tous les Canadiens.

Nous tâchons d'établir un équilibre compte tenu du fait que les agents de maintien de l'ordre, particulièrement des personnes qui exercent des fonctions de leadership comme vous le faites, préféreraient être autant en mesure que possible d'assurer le maintien de l'ordre et certains partisans des droits civils, comme moi, préféreraient limiter ce genre de pouvoir, peut-être, dans l'intérêt général de la société. C'est donc le genre de dynamique qui existe à cet égard. Aucune de ces positions n'est bonne ou mauvaise. Il s'agit de positions saines dans une économie libre et particulièrement dans une société libre.

Cela dit, la dernière fois nous avons demandé des renseignements sur les méthodes, la position et la politique de la GRC en ce qui concerne la conservation des dossiers concernant les produits du blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes au Canada. Nous vous remercions de nous avoir fourni une réponse mais certains d'entre nous considéraient que cette réponse était insuffisante. Êtes-vous maintenant en mesure de nous fournir une réponse complète en ce qui concerne la politique? Si cette politique existe par écrit, nous aimerions en avoir un exemplaire, et si elle ne l'est pas, nous aimerions le savoir. Nous aimerions également une copie de la politique de la GRC en ce qui concerne la conservation des dossiers dans ce secteur d'activité.

M. Souccar : Je commenterai d'abord la première déclaration que vous avez faite à propos de la nécessité de concilier les deux points de vue : c'est essentiel, tout à fait essentiel. C'est ainsi que l'on établit l'équilibre, et c'est précisément ce qui contribue à faire du Canada ce qu'il est. Je vous remercie de votre commentaire et il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un aspect très important.

Pour ce qui est de la conservation des dossiers, je peux vous donner ma réponse, et j'ai aussi trois cahiers sur la table qui renferment l'ensemble de nos politiques. Nous pouvons les mettre à votre disposition, si vous le souhaitez. C'est la raison pour laquelle nous les avons apportés avec nous.

À titre d'exemple, si nous recevons de l'information du CANAFE en ce qui concerne les transactions douteuses, la GRC conserve cette information pendant huit ans, après quoi elle est éliminée. Si l'information est corroborée, une enquête s'ensuit. Si l'enquête dure quatre ans, en tenant compte des comparutions devant les tribunaux et des résultats, on ajoute huit années supplémentaires à la fin des quatre années — soit un total de 12 ans — après quoi l'information est détruite.

Si l'information est fournie et qu'on détermine qu'elle est sans fondement, et que deux ans plus tard des renseignements supplémentaires sont fournis à propos des mêmes questions et qu'une fois de plus l'information est considérée sans fondement, la période de huit ans ne recommence pas à courir à partir de ce moment-là mais continue.

Le sénateur Goldstein : Cette politique existe-t-elle par écrit?

M. Souccar : Oui.

Le sénateur Goldstein : Est-ce que l'on vérifie la façon dont cette information est recueillie?

M. Souccar : Oui, et tous les renseignements se trouvent dans les cahiers. Je peux les mettre à votre disposition.

Le sénateur Goldstein : J'aimerais y jeter un coup d'œil. Le projet de loi C-25 prévoit que le CANAFE peut conserver les renseignements si aucune enquête ou transfert à un organisme de maintien de l'ordre n'a lieu pendant 10 ans. Supposons qu'on vous remet ces renseignements sur une période de neuf ans et onze mois, vous pouvez alors conserver ces renseignements pendant huit années supplémentaires. Cela signifie que vous pouvez avoir des renseignements non fondés que vous conservez dans les dossiers d'une personne pendant 18 ans. Ne croyez-vous pas que c'est excessif?

M. Souccar : Vos calculs sont exacts. Le CANAFE serait en mesure de répondre à la question. Je crois que si les renseignements ne nous sont pas transmis dans les deux premières années, on ne les renvoie pas. Le CANAFE reçoit tellement d'information que je ne crois pas qu'il revoit des renseignements qui dorment depuis longtemps dans les dossiers, qu'il les filtre et les transmet à nouveau. Je crois qu'il s'occupe des nouveaux renseignements lorsqu'ils arrivent. Il est possible qu'il fasse le recoupement entre de nouveaux renseignements et des renseignements qui remontent à plus longtemps et il peut alors fournir le tout.

Le sénateur Goldstein : La période de 10 ans recommencerait à courir au moment de la réception de la nouvelle information?

M. Souccar : En ce qui concerne le CANAFE?

Le sénateur Goldstein : Oui.

M. Souccar : Je ne peux pas répondre pour eux.

Le sénateur Goldstein : Personnellement, j'ai de la difficulté à comprendre ou à accepter que des renseignements concernant des Canadiens dorment dans des dossiers pendant des dizaines d'années — et sont disponibles de façon restreinte mais n'en demeurent pas moins dans ces dossiers, à moins qu'il existe une probabilité très réelle que la personne sur laquelle ces dossiers existent soit impliquée dans le blanchiment d'argent ou des activités terroristes. Personnellement, je trouve cela excessif.

Je passerai maintenant à un autre sujet.

Le projet de loi va alourdir la charge de travail puisqu'il l'obligera à signaler également les tentatives d'opérations douteuses. Je ne sais pas en quoi consistera cette charge de travail supplémentaire. Vous avez indiqué aujourd'hui, et nous avons eu des indications par le passé en ce sens, que les ressources sont limitées. Par conséquent, vous n'êtes pas en mesure de vous occuper de plus de 20 p. 100 au maximum des renseignements qui vous sont communiqués, compte tenu du fait que ces renseignements ne vous sont pas communiqués à moins que le CANAFE ait des soupçons. Si, en plus, on vous demande de faire enquête sur des tentatives de transactions douteuses, ne devriez-vous pas demander des ressources supplémentaires de façon plus insistante que vous ne l'avez fait jusqu'à présent?

M. Souccar : Vous avez raison, dans la mesure où la quantité de renseignements et l'augmentation des renseignements alourdiront la charge de travail. Cependant, nous examinons les renseignements qui nous arrivent, qu'il s'agisse de renseignements provenant du CANAFE ou de renseignements provenant d'autres sources concernant des organisations criminelles. Nous n'avons pas les ressources et nous ne les aurons jamais, et nous ne pouvons pas non plus envisager d'avoir un jour suffisamment de ressources pour nous attaquer à toutes les organisations criminelles au Canada. Nous devons examiner tous les renseignements que nous recevons, les passer au crible, monter un dossier et à partir de là évaluer la menace et les incidences de chaque élément d'information. Nous procédons alors à un tri pour déterminer les éléments d'information auxquels nous consacrerons d'importantes ressources.

C'est la difficulté à laquelle nous faisons face dans le cadre de toutes nos activités. Avons-nous besoin de ressources supplémentaires? Oui. Quand doit-on établir une limite? Nous devons établir un équilibre, et je considère que nous avons reçu des ressources importantes par l'intermédiaire de la GRC au cours de l'année dernière. C'est un secteur où à mon avis notre effectif est loin d'être suffisant, parce que, comme je l'ai souligné plus tôt, l'objectif commun de toutes ces organisations criminelles, c'est de faire de l'argent. À moins de suivre l'argent, nous n'obtiendrons pas les résultats que nous devrions obtenir. En ce qui concerne la sécurité nationale, comme je l'ai déjà dit, l'argent est un moyen en vue d'une fin et nous devons être en mesure de suivre les traces de cet argent pour que notre action soit efficace.

Le sénateur Tkachuk : En ce qui concerne les avocats, vous avez parlé de transactions faites à leur insu. Dans quelle mesure cela est-il possible dans le cas d'un avocat? J'ai beaucoup de difficulté à comprendre comment une valise pleine de billets de banque n'éveillerait pas les soupçons, particulièrement si le montant est important. Pourriez-vous nous donner un exemple d'une transaction qui serait faite à l'insu d'un avocat?

M. Reynolds : Ce n'est pas forcément un cas comme celui que vous décrivez, c'est-à-dire d'une valise pleine de billets de banque. Il est à espérer que cela éveillerait des soupçons. Par exemple, un transfert de fonds à l'étranger par l'intermédiaire d'un compte en fiducie d'un avocat laisserait essentiellement, ou brouillerait, une trace écrite, parce que ce genre de transaction à l'heure actuelle n'est pas enregistrée. Il y aurait donc une entrée d'argent de l'étranger au Canada, et cet argent serait alors investi. Dans de tels cas, les avocats font partie intégrante de l'investissement et de la création des sociétés. Il existe d'autres opérations que la simple réception d'argent comptant qui seraient alors inscrites.

Le sénateur Tkachuk : L'Association du Barreau canadien serait au courant de ce genre de situation, n'est-ce pas?

M. Reynolds : Je crois que l'Association du Barreau canadien a produit une publication à l'intention des avocats sur la façon de repérer le blanchiment d'argent.

Le sénateur Tkachuk : Cela permettrait de repérer les cas où cela se fait à l'insu des avocats, mais la situation serait sans doute plus difficile lorsqu'il s'agit d'avocats qui coopèrent à une opération de blanchiment d'argent. Il est à espérer que l'on prendra connaissance de la politique publique et que l'on prêtera attention à ce genre de choses, mais si un avocat participe sciemment à ce genre d'opération, il serait très difficile d'y mettre fin.

M. Souccar : Vous avez raison. Cependant, il n'y a pas vraiment de différence par rapport aux lois qui existent; il y a des personnes qui enfreindront la loi délibérément. Même s'il existe des lois contre le vol, par exemple, les voleurs existent. Pour ce qui est d'un avocat qui participe sciemment au blanchiment d'argent, cela au moins l'avertit de l'existence de règles, de règlements et de lois qui, il est à espérer, décourageront ce genre de comportement.

Le sénateur Tkachuk : S'il y a un transfert d'argent d'un autre pays au compte en fiducie d'un avocat, il est déclaré de toute façon, n'est-ce pas, si le montant est supérieur à 10 000 $?

M. Reynolds : Cette transaction est enregistrée dans le cadre du transfert international, effectivement.

Le sénateur Tkachuk : Comment nous comparons-nous à d'autres pays? Le sénateur Angus a abordé plus tôt la comparaison des lois concernant les transactions effectuées par l'intermédiaire d'un cabinet d'avocat, mais comment le Canada se compare-t-il à d'autres pays en ce qui concerne les autres aspects de la loi? Quel est notre taux de réussite, pas seulement au niveau des poursuites, mais pour ce qui est des montants d'argent, en proportion de notre population?

M. Souccar : Je crois que nous soutenons bien la comparaison, et je crois que l'examen par le GAFI indiquera l'existence de certaines critiques dont certaines porteront sur le projet de loi.

Le sénateur Tkachuk : Ce projet de loi ou d'autres lois?

M. Souccar : Ce projet de loi. Cependant, je crois qu'on nous félicitera pour une bonne partie du travail qui est effectué. Le modèle intégré que nous avons adopté au Canada fait, je crois, l'envie de bien des pays. Il s'agit du modèle intégré que nous utilisons avec les forces du maintien de l'ordre, les juricomptables, l'Agence des services frontaliers du Canada, Revenu Canada et Justice Canada. Nous travaillons de façon intégrée en collaboration avec d'autres services de police. Nous travaillons en fonction d'un objectif commun, à l'aide de l'ensemble des pièces du casse-tête, et nous collaborons pour atteindre notre objectif. La même chose est vraie des groupes qui financent les terroristes. Ils fonctionnent également de façon intégrée.

Nous assurons une formation à l'échelle mondiale sur les techniques d'enquête des cas de blanchiment d'argent pour permettre aux autres pays d'être en mesure de travailler en coopération avec nous au même niveau, compte tenu du fait qu'un grand nombre de nos enquêtes ne commencent pas et ne finissent pas à l'intérieur de nos frontières.

Le sénateur Meighen : En ce qui concerne le maillon faible, l'argent comptant et les avocats, une présentation — que nous entendrons plus tard je crois — de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, la FOPJC, parle d'une règle interdisant aux avocats d'accepter l'argent comptant. Si la Fédération adoptait une règle selon laquelle les avocats ne pouvait pas recevoir d'argent comptant, dans quelle mesure cela permettrait-il d'apaiser vos inquiétudes?

M. Souccar : Comme le surintendant Reynolds l'a expliqué, cela pourrait être utile jusqu'à un certain point, parce que je ne crois pas que ce soit ce qui nous préoccupe le plus, compte tenu des transactions électroniques.

M. Reynolds : Cela se résume à la distribution des fonds et à la sortie des fonds destinés à l'investissement qui transitent par les comptes. À l'heure actuelle, ce genre de transaction n'est pas déclarée.

Le sénateur Tkachuk : Il y a un aspect sur lequel vous pourriez peut-être nous apporter des éclaircissements. À la page 6, premier paragraphe de votre exposé, où vous parlez du CANAFE, la dernière phrase se lit comme suit :

Actuellement, les organismes d'application de la loi doivent effectuer quasiment faire ce qui équivaut pratiquement à une enquête complète avant d'avoir accès aux rapports d'analyse produits par le CANAFE.

Je ne suis pas sûr exactement de la façon dont cela fonctionne. Par exemple, le CANAFE soupçonne l'existence d'une transaction douteuse. Quelle est la quantité de renseignements qu'il doit recueillir pour demander alors à votre bureau de faire enquête? Vous décidez ensuite de faire enquête. Pour quelle raison attendent-ils la fin de l'enquête pour vous fournir les données qui expliquent pourquoi ils vous ont transmis ces renseignements?

M. Souccar : C'est exactement ce qu'on leur interdit de faire. À l'heure actuelle, ils nous fournissent le nom, l'adresse, et des renseignements de ce type, ainsi que le montant d'argent impliqué dans une transaction louche. Si nous voulons obtenir des renseignements supplémentaires, nous devons alors fournir une ordonnance de production.

Le sénateur Tkachuk : Qu'est-ce que vous entendez par « ordonnance de production »?

M. Souccar : Une ordonnance de production est une ordonnance émise par les tribunaux pour obliger le CANAFE à nous communiquer des documents. Afin d'obtenir une telle ordonnance, il doit y avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction liée au blanchiment d'argent a eu lieu, et à partir de là, on peut exiger qu'ils nous fournissent des renseignements supplémentaires.

Le « motif raisonnable de croire » constitue, à notre avis, un seuil très élevé. Pour que nous puissions satisfaire à ce seuil de motif raisonnable, nous devons entreprendre ce qui équivaudrait à une enquête approfondie.

À notre sens, si le seuil est abaissé à des « motifs raisonnables de soupçonner » plutôt que de « croire », nous aurons alors moins de travail d'enquête à faire avant d'obtenir une ordonnance de production exigeant que le CANAFE nous indique la raison pour laquelle il soupçonne une transaction en particulier. C'est ce que nous cherchons à savoir : pourquoi croient-ils que la transaction est suspecte?

Le sénateur Tkachuk : Ce n'est peut-être pas le cas des autres, mais il me semble que ce serait encore plus dangereux s'ils vous fournissaient des informations pour que vous puissiez entreprendre une enquête alors qu'ils n'ont eux-mêmes pas trouvé de raison suffisante de faire une enquête. Ils pourraient vous fournir n'importe quel nom. En d'autres termes, vous feriez enquête sur quelqu'un du simple fait que le CANAFE vous dit qu'il faudrait le faire, et il me semble que ce n'est pas une raison suffisante à moins que vous ne disposiez de renseignements qui vous portent à croire qu'une enquête s'impose.

M. Souccar : Ils font leur travail de leur côté.

Le sénateur Tkachuk : Or vous avez dit que vous ne savez pas quel est leur travail.

M. Souccar : Effectivement. Ce que j'ai dit, c'est qu'ils font leur travail de leur côté afin de déterminer si une transaction est douteuse, mais ils ne nous communiquent pas ces renseignements à moins que nous ne soyons en mesure de fournir une ordonnance de production pour justement obtenir ce genre de renseignements. Vous avez donc raison. Quand nous agissons, nous le faisons sans pour autant comprendre pourquoi ils considèrent que la transaction est douteuse.

Le sénateur Tkachuk : Le CANAFE n'est pas un organisme policier, mais plutôt un organisme administratif.

M. Souccar : C'est un organisme de renseignements, composé d'analystes.

Le sénateur Tkachuk : Je trouve cela quelque peu troublant, mais peut-être les autres qui connaissent mieux le droit pourraient-ils explorer cette question davantage.

Le sénateur Goldstein : Le seuil actuel pour obtenir une ordonnance de production, soit des « motifs raisonnables de croire », est élevé. Le seuil que vous préférez, « motifs raisonnables de soupçonner », est moins élevé. Savez-vous qu'il n'existe aucune disposition dans le droit canadien, hormis ce que vous êtes en train de demander dans ce projet de loi, qui permet la production de documents ou d'un mandat de perquisition ou d'arrêt à moins d'avoir des motif raisonnables de croire? Votre demande s'écarte radicalement de la tradition juridique canadienne.

M. Souccar : Savoir pourquoi il est nécessaire d'entreprendre une enquête améliorerait le système. D'ailleurs, il se peut très bien que, une fois le motif connu, nous choisissons de ne pas faire enquête. Cela étant, à l'heure actuelle, si l'on soupçonne qu'une transaction d'un million de dollars est douteuse et qu'on nous ait fourni uniquement les noms, adresses et autres renseignements du genre, nous entamons une enquête sans avoir une idée claire de ce qui rend la transaction suspecte.

Le sénateur Goldstein : Si vous faisiez enquête sur un meurtre et que vous ayez besoin d'un mandat de perquisition, vous iriez alors voir les tribunaux en affirmant que vous avez des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu meurtre, pas des motifs raisonnables de le soupçonner. Pourquoi est-ce qu'une ordonnance de perquisition ou de production liée au produit de la criminalité devrait-elle être assortie d'un seuil inférieur à celui qu'on exigerait dans le cas d'un meurtre, d'une trahison, d'un viol ou de tout autre type d'infraction prévue par le droit canadien?

M. Reynolds : Le CANAFE nous informe des transactions où il soupçonne qu'il y a blanchiment d'argent, mais ne nous communique pas les motifs de ses soupçons. En revanche, on exige de la GRC de satisfaire au critère des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu infraction pour connaître les motifs raisonnables qui ont amené le CANAFE à soupçonner qu'il y a eu infraction, ce qui est injuste. Avant d'arriver au point de demander une ordonnance de production — dans bien des cas nous avons dépassé ce stade — il serait préférable, bien que cela pose problème dans certains cas, de commencer à exécuter des mandats de perquisition à l'endroit d'institutions financières. Quoi qu'il en soit, en pareil cas, les résultats de l'enquête limitée que pourrait effectuer CANAFE pour satisfaire à son propre seuil quant à une opération douteuse n'auraient plus qu'une valeur restreinte pour nous.

Le président : Qu'en est-il de l'expérience et de la pratique américaines en la matière? Les Américains ont le même mécanisme de surveillance que le CANAFE. Comment se compare la pratique américaine à la nôtre?

M. Reynolds : L'organisme américain s'appelle le Financial Crimes Enforcement Network, FinCEN, qui est davantage une unité de renseignements financiers et d'application de la loi auquel les organes de répression ont un plus grand accès. En fait, les organes de répression ont accès à la majorité des renseignements disponibles de même qu'ils ont le pouvoir de faire des recherches dans le système du FinCEN. Par contraste, le CANAFE est plutôt une unité de renseignements financiers administrative.

Aux États-Unis, il y a un plus grand échange d'information entre le FinCEN et les organes de répression sans l'intervention de tribunaux.

Le sénateur Moore : Je trouve intéressant que vous ayez évoqué M. Steven Schneider. Il a fréquenté mon alma mater, l'Université Saint Mary's. J'ai essayé de le joindre hier, mais il ne m'a pas rappelé. J'ai pensé que le comité pouvait trouver utile son témoignage sur ces questions.

Vous avez mentionné le résultat de son étude : 49,7 p. 100 toutes les enquêtes impliquent des cabinets d'avocats. Qu'en est-il des autres 50 p. 100? Les agents immobiliers sont-ils impliqués? Avez-vous une réponse ou devrions-nous convoquer M. Schneider?

M. Constant : Il peut s'agir de toutes sortes d'éléments, notamment un virement bancaire. Les 49,7 p. 100 comprennent les transactions financières facilitées par un avocat.

Le sénateur Moore : Oui, et ce sont les transactions qui sont communiquées à la GRC.

M. Constant : C'est exact, dans le cadre de notre enquête.

Le sénateur Moore : En quoi est constitué l'autre 50 p. 100? Les banques et les agents immobiliers sont-ils impliqués? Quel est le pourcentage?

M. Constant : Je n'ai pas d'information concernant les pourcentages.

Le sénateur Moore : Je trouve intéressant que vous soyez au courant du volet juridique, mais je me pose des questions au sujet des autres éléments sur lesquels on a fait enquête.

Hier, des représentants du CANAFE ont comparu devant le comité. Je leur ai mentionné un article paru dans The Gazette de Montréal dans lequel on disait que des sommes d'argent considérables étaient transférées à ce genre d'institutions, qu'il y a à peine deux semaines, un Québécois a été inculpé à New York pour avoir blanchi un milliard de dollars en narco dollars par l'intermédiaire d'une firme d'investissement, et que Martin Tremblay, de Chicoutimi, avait plaidé coupable à l'accusation d'avoir utilisé Dominion Investments Limited pour cacher les produits du trafic de stupéfiants.

La GRC était-elle au courant et a-t-elle pris part à l'enquête?

M. Constant : Est-ce que vous faites allusion à la nouvelle concernant M. Tremblay et Dominion Investments?

Le sénateur Moore : Oui.

M. Constant : Nous avons eu des contacts avec M. Tremblay avant que les États-Unis n'entament leur enquête. Cependant, cette enquête était purement américaine et non pas le résultat d'une enquête conjointe Canada-États-Unis.

Le sénateur Moore : Si une somme aussi considérable échappait au système, c'est à se demander combien nous échappe v.ritablement.

M. Constant : Je suis d'accord avec vous, le sénateur. Il s'agit effectivement d'une somme substantielle. Sans entrer dans les détails de l'enquête, je dirais que cet individu était actif dans les Caraïbes depuis un certain temps déjà.

Le sénateur Moore : Y a-t-il une partie de ces sommes qui a été blanchie dans des comptes canadiens? Est-ce que nous le savons? Avez-vous posé la question à vos homologues américains? Peut-être la réponse pourrait-elle aider à prévenir ce genre d'activités à l'avenir. Est-ce que vous vous consultez les uns les autres?

M. Constant : Des organismes américains nous ont demandé, dans le cadre de leur enquête, d'explorer certains pistes d'intérêt pour eux au Canada. Bien que je n'ai pas les détails des transactions, ni les renseignements pertinents avec moi, sachez que nous aidons les autorités américaines dans leur enquête.

Le président : Ce serait utile pour le comité, car certains craignent que nous n'appliquions ni les ressources, ni l'énergie nécessaires à la répression des crimes en col blanc. Il est important que les membres du comité sachent si cette transaction illicite a transité par le Canada d'une façon quelconque pour déterminer si le système canadien est suffisamment protégé contre ce genre de transactions illégales.

Je comprends que vous soyez obligé de faire preuve d'une certaine retenue quand une enquête est en cours, mais il serait utile que nous ayons ces renseignements afin de déterminer si une transaction d'une telle ampleur a impliqué des comptes canadiens. Le cas échéant, pourquoi n'a-t-on pas pris des mesures au Canada?

M. Constant : Monsieur le président, nous explorons des pistes d'intérêt pour les États-Unis au Canada. Les transactions sur lesquelles nous faisons enquête au Canada ne sont pas de l'ampleur de celles évoquées par le sénateur. En effet, ces transactions sont moins importantes, mais elles impliquent néanmoins des sommes considérables, de l'ordre de quelques centaines de milliers de dollars.

Le sénateur Moore : Le fait que l'individu ait plaidé coupable ne signifie pas que, en coopération avec les autorités américaines, vous n'allez pas suivre la trace de l'argent. Ai-je raison?

M. Constant : Absolument, nous continuons de retracer ces transactions. Nous poursuivons notre travail, car nous estimons que le seul moyen de réussir à réprimer le crime organisé, comme l'a dit M. Souccar tout à l'heure, c'est de le priver de son argent. Cela nécessite un effort collectif soutenu à l'échelle mondiale.

Le sénateur Fitzpatrick : J'aimerais que vous nous disiez dans quelle mesure il y a blanchiment d'argent par l'intermédiaire d'investisseurs qui font des placements dans des comptes de courtage offshore. Le système de dépôt canadien est un processus complexe qui fait intervenir des firmes de courtage, des banques offshores et des comptes prête-noms. Nous venons d'entendre l'exemple du milliard de dollars qui a été blanchi, d'une façon ou d'une autre, par une firme de courtage. À quelle fréquence, d'après vous, se produit ce genre d'activités?

M. Constant : C'est une excellente question. Il m'est difficile de vous donner une réponse précise, car comme vous l'avez mentionné, le crime organisé cherche à réaliser des profits, et ce, à l'échelle mondiale. Imaginez l'ampleur du trafic de stupéfiants, où le crime organisé est impliqué de façon excessive. Les profits doivent circuler d'une quelconque façon. Cela devient le talon d'Achille de toutes les organisations criminelles du monde, c'est-à-dire comment faire circuler leur argent. La communauté internationale s'est donné la responsabilité d'essayer de s'attaquer à ce problème collectivement. Qu'à cela ne tienne, le crime organisé a encore énormément d'argent à blanchir. Pour liquider l'argent recueilli de ces transactions, on doit se tourner vers les institutions financières, les courtiers en placement, et autres.

Ce qui me ramène à mon argument de départ : un effort collectif s'impose. Quand le GAFI parle de normaliser les méthodes de répression des produits de la criminalité au Canada et aux États-Unis ainsi que de la nécessité d'agir collectivement, je pense que si nous voulons vraiment nous attaquer au problème, il est impératif que nous agissions collectivement.

Le sénateur Fitzpatrick : Quel programme spécifique a-t-on mis en place pour surveiller ce genre d'activités? Est-ce que vous examinez les transactions de courtage? Existe-t-il des indicateurs spécifiques de transactions douteuses? Est-ce que vous surveillez ces activités d'une façon quelconque?

M. Constant : Encore une fois, c'est une excellente question. Il y a beaucoup de sensibilisation à faire. Notre organisation a investi énormément d'efforts dans ce processus ces dernières années. En 1994, nous nous sommes dotés d'un régime pour la lutte contre le blanchiment d'argent. Avant cela, il en n'existait pas au Canada. Les institutions bancaires, à l'instar de tous les secteurs publics, ont adhéré à l'objectif de la répression de ce crime. Nous bénéficions de beaucoup d'appui de leur part. Pour connaître l'ampleur exacte de ce problème, nous nous fions fréquemment à des études des Nations Unies qui brossent un tableau du phénomène à l'échelle mondiale. Ce problème ne préoccupe pas uniquement le Canada, mais l'ensemble de la planète. En effet, nous utilisons des études publiées annuellement par les Nations Unies, lesquelles études renferment des renseignements sur l'importance des produits de la criminalité partout dans le monde.

M. Reynolds : Nous participons, par le truchement du ministère des Finances, aux activités du GAFI liées à la lutte contre le financement des activités terroristes et le blanchiment d'argent. De plus, nous sommes membres du Groupe du G8 Roma-Lyons sur la sécurité et Intergraf sous l'égide du sous-groupe de la répression et des praticiens chargés du contreterrorisme, du blanchiment d'argent et du financement des activités terroristes. Il y a en outre un groupe de travail international sur le financement des activités terroristes, constitué d'un nombre limité de participants qui s'occupent des questions de méthodologies. Nous essayons de mettre en commun des renseignements sur les types de méthodes qui évoluent et l'importance de ces mécanismes de blanchiment d'argent en particulier.

Le sénateur Meighen : Le sénateur Angus a dit, à tort ou à raison, qu'il y a une perception au Canada selon laquelle nous ne réprimons pas le crime en col blanc aussi sévèrement que d'autres pays. Une des raisons est peut-être attribuable au manque d'outils pour faire le travail nécessaire. L'un d'entre vous a évoqué l'exemple des États-Unis, où il existe un mécanisme de recours civil. L'envers de cette médaille, c'est la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario qui ne dispose pas de mécanisme de recours pénal comme celui de la Securities and Exchange Commission, la SEC, aux États-Unis. Pourriez-vous réagir à cela et nous expliquer en détail ce que vous entendiez au juste quand vous avez dit que des mécanismes de recours civils n'existent pas au Canada comme c'est le cas aux États-Unis?

M. Constant : Le mécanisme de recours civil fait partie d'une approche à deux volets qui existe aux États-Unis. Quand des transactions douteuses sont signalées, les autorités américaines ont la possibilité d'ouvrir une enquête sur la base des éléments de preuve recueillis et d'intenter des poursuites pénales ou civiles. Si elles estiment pouvoir prouver une implication criminelle dans le processus, elles peuvent alors se prévaloir du mécanisme de recours pénal ou civil. Dans un recours civil, le seuil est nettement moins contraignant aux États-Unis, car il suffit de demander à l'inculpé d'expliquer son enrichissement soudain à un moment donné. Il incombe à l'inculpé de prouver la source de son enrichissement. Dans le recours civil, il arrive souvent aux États-Unis, notamment quand le procès a lieu dans un contexte pénal, que l'inculpé trouve qu'il est beaucoup plus simple d'abandonner l'argent plutôt que d'avoir à assumer le fardeau de l'explication. Nous avons vu pareille chose se produire dans les tribunaux américains. Au lieu de comparaître devant un juge pour expliquer la source de son argent, l'individu choisit essentiellement de s'en aller. Dans une telle éventualité, l'argent est confisqué par l'État.

Au Canada, nous n'avons pas un tel processus. Nous commençons à en voir les premiers balbutiements dans les provinces, car le mécanisme de recours civil est une compétence provinciale. Je vais maintenant tenter d'expliquer le marché des capitaux au Canada.

Les choses se compliquent quand on commence à faire des comparaisons entre les États-Unis et le Canada, car les mécanismes des deux pays sont différents. En effet, au Canada, ils sont régis par des commissions de valeurs mobilières provinciales, tandis qu'aux États-Unis, les valeurs mobilières sont régies à l'échelle nationale par la Securities and Exchange Commission. D'aucuns pourraient dire que le système canadien est nettement plus faible, car même si les provinces font en sorte que leurs législations sont les mêmes d'une province à l'autre, il reste que ce n'est pas tout à fait la même chose. Cela donne l'occasion à certains de manipuler les règles du marché des capitaux d'une province à l'autre.

Cela rend également nos marchés vulnérables dans une certaine mesure. Je dois admettre que, dans certains cas, cela jette une ombre sur notre propre marché au Canada aux yeux des investisseurs étrangers qui estiment que, contrairement à bon nombre de pays industrialisés, le Canada ne dispose pas d'une seule commission des valeurs mobilières.

S'agissant du mécanisme de recours pénal, la GRC est responsable de l'aspect pénal du marché des capitaux sous l'égide des équipes intégrées de la police des marchés financiers, établies il y a trois ans.

Le sénateur Meighen : Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure les organisations criminelles ou terroristes utilisent les organismes de bienfaisance pour financer leurs activités et si le fait d'avoir autorisé l'Agence du revenu du Canada à divulguer des renseignements en vertu du projet de loi sera d'une grande utilité?

M. Reynolds : C'est une très bonne question. Les organismes de bienfaisance sont grandement utilisés par les organisations terroristes — pas seulement pour la levée et les mouvements de fonds, mais aussi, dans une large mesure, pour la logistique. Par exemple, ils permettent une présence dans certaines parties du monde où elles n'ont pas de raison d'être ou encore ils permettent d'inviter certaines parties au Canada grâce à des lettres d'invitation.

Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Agence du revenu du Canada dans le domaine de l'enregistrement des organismes de bienfaisance. La capacité de l'Agence à échanger des renseignements avec nous et notre capacité à utiliser ces renseignements dans nos enquêtes futures seront d'une grande importance. À l'heure actuelle, l'Agence ne peut nous fournir de renseignements que selon les termes de la Loi sur l'enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité), ce qui limite notre capacité à entreprendre des enquêtes périphériques. Le changement sera donc important et très bénéfique.

Le sénateur Angus : Bien que nous soyons en train d'étudier le projet de loi C-25 et que nous essayons de le faire adopter à temps pour l'examen du GAFI, vous n'êtes peut-être pas sans savoir que nous avons l'intention de poursuivre notre examen de la loi.

Vous avez vu notre rapport provisoire, et, je l'espère, vous allez pouvoir revenir pour nous aider à approfondir notre étude de certaines de ces questions. Le président et moi étions en train de discuter du fait que vous avez mentionné qu'il existait au Canada 800 organisations criminelles et que vos ressources ne vous permettent d'enquêter que sur 150 d'entre elles, ce qui nous a interpellé.

Peut-être pourriez-vous éclairer ma lanterne : ces 800 organisations criminelles, les avez-vous recensées vous-mêmes? Si on vous demandait de les nommer dans votre bureau, en toute confidentialité, sauriez-vous le faire?

M. Souccar : Oui, absolument, et c'est justement ce que je voulais faire ressortir. Le nombre augmente chaque année, pas forcément parce que la situation empire, mais à mesure que nous recueillons des renseignements et que nous travaillons ensemble sans obstacle à l'échelle du pays, nous sommes en mesure de mieux recense ces organisations criminelles.

Si nous avions 600 organisations criminelles l'année dernière et 800 cette année, ce n'est pas parce qu'il y en a 200 nouvelles qui se sont ajoutées, mais plutôt parce que 200 autres ont capté notre attention. Chaque province a sa propre division du renseignement et fait sa propre évaluation de la menace dans le cadre du Service canadien de renseignements criminels. Chaque province recense les organisations criminelles présentes sur son territoire.

Ces renseignements sont mis en commun à la fin de l'année dans le but de déterminer le nombre d'organisations criminelles au Canada. Il en existe un peu moins de 800 — grosso modo — mais le chiffre exact frise les 800. Nous effectuons une analyse de la menace que présente chacune d'entre elles et nous les classons par ordre d'importance avant de nous attaquer à elles l'une après l'autre. L'opération dont vous avez entendu parler récemment à Montréal visait une organisation qui s'est classée en haut de la liste. Nous les attaquons en fonction de l'incidence et de la menace qu'elles représentent pour nos foyers et nos collectivités.

Le sénateur Angus : J'accorde beaucoup d'importance au mot « organisation ». Nous entendons parler de voleurs de banque, c'est-à-dire des individus qui dévalisent une banque, causent beaucoup de dégâts et font un grand coup, mais ce n'est pas du crime organisé, si je ne m'abuse. Nous parlons bien des Hell's Angels et d'autres gangs de motards connus pour leurs activités illégales, n'est-ce pas?

M. Souccar : C'est exact.

Le sénateur Angus : Nous entendons aussi parler de ces organisations notoires comme les gangs de motards. Pouvez- vous nous brosser un tableau général sans divulguer de secrets ou compromettre votre enquête? Est-ce qu'il s'agit d'entreprises d'apparence légitime qui sont en fait des organisations criminelles?

M. Souccar : À mesure qu'une organisation criminelle devient sophistiquée, son objectif principal est de donner une apparence légitime à de l'argent sale. Par exemple, en investissant dans une entreprise légitime. Bien entendu, ce faisant, elle crée de la concurrence déloyale, et l'économie s'en ressent énormément.

Ce sont là des organisations criminelles. Évidemment, je ne suis pas en mesure de vous fournir des détails quant à leur identité, mais nul n'ignore le fait que les Hell's Angels en sont.

Le sénateur Angus : Prenons par exemple le restaurant XYZ. La rumeur veut que c'est avec de l'argent des Hell's Angels qu'on a pu ouvrir ce restaurant. Cela fait-il du restaurant une organisation criminelle? J'essaie simplement de comprendre en quoi consistent ces 800 organisations. Évidemment, il n'y a pas que les bandes de motards. Il ne s'agit pas uniquement des Hell's Angels ou de la famille Rizzuto.

M. Souccar : Les restaurants, les entreprises comme telles, sont des méthodes au moyen desquelles certaines organisations criminelles blanchissent leur argent. Le restaurant comme tel n'est pas une organisation criminelle, pas plus que ses employés ne sont forcément membres d'une organisation criminelle. Il peut en effet s'agir d'un restaurant avec des serveurs et des serveuses, un gérant, qui ignorait tous qu'ils travaillait pour une entreprise ou un restaurant financé par une organisation criminelle. C'est l'organisation criminelle elle-même que nous ciblons, pas le restaurant.

Dans le cadre de notre enquête, nous tentons de recenser tous les biens mal acquis et remonter la filière financière. C'est pourquoi il est important d'agir comme nous le faisons, c'est-à-dire en recensant tous les biens mal acquis, que ce soit des véhicules, des maisons, des entreprises, en essayant de nous attaquer à tous les biens pour avoir le plus grand effet sur l'organisation criminelle.

Le sénateur Angus : Ce à quoi je voulais en venir, c'est que les 800 organisations ne sont pas évidentes aux yeux de la population. Elles sont secrètes, elles agissent dans l'ombre. Ce peut être une famille, une société, mais ce ne sont pas des gens que nous rencontrons tous les jours sur la rue Bay ou la rue St. James, n'est-ce pas? Ce sont des organisations secrètes constituées de malfaiteurs.

M. Souccar : Pour la plupart d'entre elles, oui.

Le sénateur Angus : Quand nous poursuivrons notre étude, si vous n'avez pas suffisamment de ressources pour enquêter sur le tiers ou le quart des organisations criminelles œuvrant au Canada, nous aurons besoin de votre aide — nous voulons votre aide.

M. Souccar : Cela concerne les organisations criminelles. Nous pouvons parler de sécurité nationale et du nombre d'enquêtes en cours à l'heure actuelle. En sommes-nous à 1 200?

M. Reynolds : Nous avons un peu plus de 1 500 enquêtes terroristes en cours, dont environ 150 concernent le financement d'activités terroristes chez nous.

Le président : Nous devons terminer cet échange, mais comme vous pouvez le constater, les sénateurs sont friands de ce genre d'information.

Je veux revenir à la question du financement. En tant que pourcentage du problème, le blanchiment d'argent, nous le savons, se chiffre à quelques milliards de dollars — mais nous n'avons pas été en mesure de quantifier l'ampleur exacte.

Par ailleurs, nous savons que le crime en col blanc atteint des proportions monumentales en termes financiers. Votre organisme est responsable des poursuites pour les deux types de crime, et parfois, il y a manifestement chevauchement.

Aux États-Unis, nous avons rendu visite au procureur de district de Manhattan et nous avons découvert que son budget pour le district était pratiquement le même que le vôtre, qui est national. Il avait grosso modo un budget de 65 millions de dollars US et le vôtre est de 63 millions de dollars.

Le sénateur Angus : Était-ce un budget supplémentaire?

Le président : Quel est votre budget global pour la surveillance ou des poursuites en relation avec le CANAFE, ou autre, y compris les crimes en col blanc. Quel est votre budget total en dollars?

M. Constant : En ce qui concerne le volet produits de la criminalité, y compris la justice, l'investissement initial fait par le gouvernement du Canada, qui remonte à 1994, le budget se situe autour de 41 millions de dollars pour les 260 agents que nous avons consacrés à la lutte contre le blanchiment d'argent.

Le président : C'est votre budget annuel?

M. Constant : Oui, mais ce budget comprend également la justice, les procureurs et les juricomptables.

Le président : Nous essayons d'en arriver à une ventilation qui nous permette de faire une analyse comparative avec les États-Unis. Si la situation aux États-Unis est semblable à la vôtre, est-ce que nous accordons suffisamment de crédits pour la surveillance?

Les sénateurs ont été abasourdis d'apprendre qu'il y avait 1 500 organisations terroristes et 800 organisations criminelles, et qu'à peine 20 p. 100 d'entre elles ont été la cible d'une enquête quelconque. C'est carrément époustouflant, ce qui confirme ce que nous avons appris aux États-Unis quant à leur capacité à diriger les fonds nécessaires à cette lutte. Il n'y a pas que le bureau du procureur de district de Manhattan, mais également le bureau du procureur général de l'État de New York.

Nous avons besoin de connaître le budget total, c'est-à-dire toutes les sommes que consacre le gouvernement fédéral aux enquêtes et aux poursuites dans ces domaines qui tombent sous le coup de ce texte législatif, le projet de loi, ainsi qu'à la répression des crimes en col blanc en général. Nous aimerions avoir un chiffre. Nous aimerions aussi connaître la ventilation des effectifs, comment ceux-ci sont utilisés et la différence entre une enquête judiciaire et des poursuites. Nous savons que tout cela est coûteux. Nous savons également d'après l'étude de M. Schneider qu'il y a moyen de coordonner les efforts, de sorte que nous puissions travailler de façon efficiente.

Cela étant, il est important que nous connaissions le budget, car nous n'avons pas l'impression qu'on alloue suffisamment d'argent aux enquêtes, aux poursuites et à l'acquisition des compétences dont vous avez besoin. Il s'agit de criminels et de transactions criminelles très sophistiqués. Nous en sommes conscients. Donnez-nous autant de renseignements que vous pouvez, s'il vous plaît. Le rapport sur ce projet de loi sera un autre rapport provisoire, et nous y reviendrons plus tard. Nous sommes préoccupés par le fait que le Canada n'alloue pas des ressources suffisantes pour faire en sorte qu'il ne devienne pas un terreau fertile pour l'activité criminelle.

M. Constant : Merci, monsieur le président; je peux vous fournir toute cette information par écrit, si vous voulez.

Le président : Oui, volontiers. Cela nous permettra d'en faire l'analyse. Nous avons le plus haut respect pour votre organisme. Dans notre esprit, il représente ce que le Canada a de meilleur, et nous tenons à vous remercier de vos efforts et de votre travail acharnés. J'espère que vous traverserez sans encombre les tumultes actuels et que vous reparaîtrez comme le symbole de l'identité canadienne.

Nous allons poursuivre l'audition de nos témoins et nous sommes heureux d'accueillir l'Association du Barreau canadien, représentée par son président sortant, M. Simon Potter, accompagné de Mme Tamra Thomson; nous accueillons également la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, représentée par Kenneth Nielsen, c.r., et Jim Varro, avocat en politiques.

Nous avons également parmi nous M. Jean-Pierre Bernier, vice-président et avocat-général de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes.

Nous allons tout d'abord écouter la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.

Kenneth G. Nielsen, c.r., Président, Comité sur le blanchiment d'argent, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Je suis en compagnie de Jim Varro, avocat en politiques auprès du Barreau du Haut-Canada. Nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître. Je voudrais remercier particulièrement le Comité de l'accueil chaleureux qu'il nous a réservé lors de nos deux comparutions précédentes. En juin dernier, ce sont les comptables généraux licenciés qui ont terminé leurs exposés en disant que le plus gros problème de la nouvelle loi, c'était l'exclusion des avocats; et ce matin, nous avons entendu la GRC exprimer, je crois, le même point de vue. Il est toujours agréable d'avoir un suivi sur des propos aussi encourageants, même lorsqu'on sait, d'après les questions des sénateurs, que les avocats sont toujours sur la sellette.

Comme nous l'avons déjà indiqué et comme le montre la documentation que nous avons remise au comité, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada chapeaute les ordres professionnels constitués dans l'ensemble du pays en vertu de la loi. Dans chaque province et territoire, les ordres professionnels de juristes règlementent l'activité des avocats, et le font, ne l'oublions pas, dans l'intérêt public. C'est là le mandat des ordres professionnels de juristes. Certains se figurent que ces ordres professionnels sont là pour protéger les avocats. Ce n'est nullement le cas. Notre mandat est de protéger l'intérêt public. Mon ami M. Potter vous parlera du rôle de l'Association du Barreau canadien et de ce qu'elle fait en faveur des avocats. C'est là une distinction essentielle entre nos deux organismes.

Les ordres professionnels de juristes et leur Fédération approuvent les efforts du Canada visant à lutter contre le blanchiment d'argent. Évidemment, nous n'acceptons nullement le blanchiment d'argent ni le financement du terrorisme. Ce sont des maux contre lesquels il faut lutter. Nous ne donnons pas davantage absolution aux avocats qui se livrent à ce genre d'activités, ceux dont on dit qu'ils y sont sciemment impliqués.

D'après les rapports que nous avons eus au fil des années avec le ministère des Finances et le ministère de la Justice, tout le monde reconnaît, à mon avis, que l'on aura beau adopter toutes les lois et règlements imaginables, il reste que si un individu, voire même un avocat, veut se livrer à des activités criminelles, il le fera, nonobstant les règles et les lois applicables. Ce qu'on essaye de régler dans le présent projet de loi ainsi que dans les règlements adoptés par les ordres professionnels de juristes, c'est le cas des avocats qui y sont impliqués à leur insu.

Nous avons toujours considéré que dans la mesure où il faut aborder ces questions, on doit les aborder dans le cadre de la Constitution canadienne. Dans notre appareil juridique, il est essentiel de se conformer à la règle du droit, qui comprend non seulement un ordre judiciaire indépendant, mais également des avocats indépendants.

En ce qui concerne le projet de loi C-25, la profession juridique se réjouit d'y voir figurer le nouvel article 10.1. Comme vous le savez tous, ce nouvel article supprime la déclaration obligatoire des transactions douteuses pour les avocats, conformément à l'issue des contestations constitutionnelles que nous avons menées depuis cinq ans.

Dans le cadre actuel, si le projet de loi est adopté, les avocats ne seront plus assujettis à ces dispositions. Nous considérons qu'elles ne sont pas nécessaires. Il est conforme à la Constitution d'y soustraire les avocats. Nous avons réglé les questions concernant le blanchiment d'argent par l'adoption des règles interdisant les versements en espèce, dont nous avons déjà parlé et dont il a été question ce matin.

Rappelons qu'il est actuellement interdit aux avocats canadiens de détenir plus de 7 500 $ en espèces, sauf dans des circonstances précises, s'il s'agit d'un cautionnement restitué par la police ou d'une avance sur salaire. Cette initiative a été prise par la Fédération des ordres professionnels, et elle a ensuite reçu l'appui du ministère des Finances. En effet, les règles ont été fixées à l'issue de nombreuses rencontres avec des fonctionnaires du ministère des Finances. Elles s'appliquent maintenant dans toutes les provinces et territoires, à l'acception du Québec. L'Ordre professionnel et la Chambre des notaires du Québec ont adopté des règles identiques, qui sont actuellement à l'étude devant les organismes gouvernementaux du Québec.

Dans le projet de loi C-25, il est question de l'identification et de la vérification de l'identité des clients. Le gouvernement propose, selon nous, que les avocats soient régis par des règlements qui sont actuellement en préparation au ministère des Finances. Depuis un an, nous avons rencontré à plusieurs reprises des fonctionnaires de ce ministère. Le rapport provisoire avait préconisé la poursuite des négociations menées par le ministère des Finances, et nous continuons effectivement à négocier avec lui. Nous attendons de voir les règlements pré-publiés. Le véritable problème consiste à déterminer s'ils sont conformes à la Constitution. Autrement dit, ces règlements vont-ils faire l'objet des mêmes contestations que la loi, ou parviendrons-nous à nous entendre avec les autorités partout où ces règlements seront applicables?

Nous avons élaboré une règle modèle concernant l'identification et la vérification de l'identité des clients. Elle a reçu l'approbation de principe de la Fédération et tous les ordres professionnels de juristes envisagent actuellement de l'adopter. Pour l'essentiel, cette règle modèle devrait couvrir toutes les exigences recommandées par le Groupe d'action financière et devrait même régler les problèmes qui préoccupent le ministère des Finances. Il ne s'agit pas de savoir si les avocats doivent connaître ou non les personnes avec lesquelles ils traitent. Ils doivent indiscutablement les connaître. En réalité, la plupart des avocats le savent déjà.

Nous poursuivrons les négociations. Le ministère des Finances vous a dit hier, je crois, que le règlement est en cours de rédaction et que nous devrions voir prochainement la version destinée à la publication; nous devrions alors avoir une nouvelle rencontre avec les fonctionnaires du ministère des Finances.

En résumé, nous sommes convaincus que l'autoréglementation des avocats par les ordres professionnels de juristes peut résoudre ces questions. Nous sommes persuadés de pouvoir les régler en collaboration avec le ministère des Finances. C'est du reste la conclusion à laquelle est parvenu cet organisme dans son rapport intérimaire.

Simon Potter, président sortant, l'Association du Barreau canadien : Je suis ici à titre de suppléant, et je suis très honoré de représenter notre président actuel, M. Parker MacCarthy, qui est actuellement en Colombie-Britannique, je crois. Je suis en compagnie de Tamra Thomson, Directrice de la législation et de la réforme du droit à l'Association du Barreau canadien, qui est ici non seulement pour veiller à ce que je ne m'écarte pas du droit chemin, mais également pour répondre sans délai à vos demandes d'information factuelle.

L'Association du Barreau canadien défend les intérêts de la profession juridique, contrairement à la Fédération des ordres professionnels qui la représente. Cependant, nous considérons également que nous avons pour mission de protéger les droits des Canadiens et la primauté du droit au Canada, et de faire en sorte que l'administration de la justice conserve le respect dont elle jouit aujourd'hui.

Nous apprécions le fait que le projet de loi reconnaisse l'importance fondamentale du secret professionnel de l'avocat. Comme la Fédération, nous sommes très heureux de constater la suppression explicite de l'obligation, pour les avocats, de dénoncer leurs clients. C'était la décision à prendre. Le gouvernement et la justice ont accepté de renoncer à cette obligation. C'est une décision judiciaire qui a supprimé le mot « avocat »du projet de loi.

Nous approuvons également la recommandation de votre comité voulant que les discussions entre la Fédération et le gouvernement se poursuivent dans un souci de parvenir au juste équilibre entre la participation de la profession juridique à la lutte contre le blanchiment d'argent et la protection du secret professionnel de l'avocat. Nous pensons que cet équilibre existe dans le projet de loi. Nous estimons que la solution très élégante qui consiste à interdire aux avocats d'accepter de grosses sommes d'argent en espèces fait en sorte qu'ils n'ont rien à déclarer; tous les paiements se feront par chèques et seront donc déclarés, au besoin, par les banques.

Nous aimerions en revanche attirer votre attention sur deux points. Tout d'abord, nous ne demandons pas le rejet du projet de loi, mais sur la question du secret professionnel de l'avocat, il est prévu dans le projet de loi qu'une procédure de perquisition et de saisie doit être suspendue si l'avocat invoque le secret professionnel. Le droit canadien reconnaît formellement que ce secret professionnel n'apparaît pas lorsque l'avocat l'invoque; il existe dans l'absolu. Il nous semble évident que le projet de loi devrait exiger qu'un avis soit remis au bénéficiaire du secret professionnel, c'est-à-dire au client, avant que la perquisition ne se poursuive.

Deuxièmement, sur la question du partage de l'information, nous considérons qu'il n'est pas prudent, dans le monde où nous vivons, d'envoyer en grande quantité de l'information d'ordre privé à des organismes étrangers sans pouvoir vérifier l'utilisation qui en sera faite ni ce qui va être envoyé en retour. À notre avis, on ne peut pas protéger les renseignements personnels dans le cadre d'une fiducie sans droit de regard ou en faisant preuve d'une confiance aveugle. Nous demandons que les dispositions sur le partage de l'information n'entrent en vigueur que lorsque les sénateurs seront convaincus que les autorités canadiennes disposent de moyens suffisants de surveillance et d'imputabilité.

En résumé, nous sommes d'accord avec la Fédération pour dire que le projet de loi dans sa formulation actuelle est satisfaisant en ce qui concerne la participation des avocats à la lutte contre le blanchiment d'argent, et la poursuite des négociations entre la Fédération et le ministère afin de parvenir à une solution équilibrée fondée sur l'autoréglementation.

Le sénateur Angus : Voulez-vous entendre le point de vue des représentants de l'Association des compagnies d'assurance de personnes?

Le président : C'est une question distincte. Occupons-nous d'abord des avocats, nous passerons ensuite aux assurances.

Le sénateur Angus : Je vous souhaite à tous la bienvenue. Pour certains d'entre vous, ce n'est pas la première comparution. Votre présence nous est toujours utile. Je vais essayer d'adopter le style de M. Potter. J'ai trois messages à adresser aux juristes, et en particulier à M. Potter. Tout d'abord, nous saluons l'excellent travail fait au Canada par la Fédération des ordres professionnels de juristes au nom de la profession afin de protéger l'intérêt public, ainsi que l'excellent travail que fait l'Association du Barreau canadien dans l'intérêt de la profession.

Deuxièmement, même si vous avez pu croire le contraire, vous devez constater, d'après les propos des membres de ce comité qui sont avocats, que nous respectons les principes qui gouvernent votre profession ainsi que le principe du secret professionnel de l'avocat. Je peux vous assurer que vous auriez tort de croire le contraire.

Troisièmement, nous avons l'impression que vous n'avez pas parfaitement saisi le fond du problème. Il s'agit du problème le plus sérieux auquel notre économie se trouve confronté. On nous dit qu'il circule actuellement de 10 à 30 milliards de dollars de fonds illicites. Comme l'a dit M. Stephen Schneider, de l'Université Saint Mary's, ses travaux de recherche montrent que près de la moitié des transactions passent par les cabinets d'avocats. Nous sommes plusieurs à être avocats. Nous nous demandons pourquoi ce problème se pose au Canada, alors qu'il ne se pose pas aux États- Unis, au Royaume-Uni, en France et ainsi de suite. Nous savons que le Canada s'est doté d'une charte. Néanmoins, nous avons un problème qui est dû non seulement au blanchiment d'argent et aux opérations de trafic de drogue qui s'y rapportent, mais également au financement du terrorisme. Nous menons la guerre contre le terrorisme, et toutes ces questions font quotidiennement les manchettes.

Nous commençons à avoir l'impression que les avocats sont victimes de l'arbre qui leur cache la forêt. Je vous le dis en toute bonne foi. Nous voulons travailler avec vous, mais comme nous l'avons dit au ministre, il semble que ce dernier ait laissé les avocats se défiler, qu'il se soit laissé berner par eux. Les autorités policières nous ont encore répété ce matin que le projet de loi comporte une échappatoire énorme et qu'il deviendra totalement inopérant si on ne peut pas l'appliquer correctement. Le dernier élément de mon message sera le suivant : malgré l'utilité de l'accord que vous avez conclu avec le ministère des Finances du point de vue de la reconnaissance de la Charte et des injonctions en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, cet accord ne sera jamais applicable concrètement. Nous connaissons tous les vertus extraordinaires des organismes d'autoréglementation. Cependant, dans un domaine comme celui-ci où la loi doit s'appliquer avec rigueur, nous nous demandons bien ce que ce bel accord va donner dans le concret.

Voilà ce que je voulais dire. J'espère que vous comprenez le caractère inquisiteur de mon troisième argument.

M. Nielsen : Je pense que vous avez aussi posé quelques questions. Permettez-moi tout d'abord de vous assurer que nous avons parfaitement compris le problème. Nous ne prenons pas la défense du blanchiment d'argent ni du financement du terrorisme. Cependant, nous nous préoccupons également de la primauté du droit et de l'importance du secret professionnel. Je pense que parmi les gens assis dans cette salle, personne n'accepterait de venir se confesser à moi pour que j'aille ensuite tout raconter à la GRC ou au CANAFE. Mes clients s'adressent à moi en toute confiance, sachant que ce qu'ils me disent restera secret, tout comme l'avis que je leur donne; voilà comment nous voyons les choses.

Je ne comprends pas pourquoi la GRC affirme que le projet de loi comporte une échappatoire. Les avocats ne peuvent pas accepter de versements en espèces. La mallette pleine d'argent dont on a parlé n'a plus sa place dans les cabinets d'avocats. La transaction mentionnée avait été faite à l'étranger, et comportait un transfert électronique d'argent sur mon compte en fiducie. Elle aurait été détectée ailleurs par le système, et je n'avais personnellement rien à déclarer.

Où y aurait-il une échappatoire? Qui a-t-il de suspect dans le fait que je reçoive de l'argent au nom d'un client afin de financer l'achat d'un immeuble à Edmonton, par exemple? S'il n'y a rien qui puisse éveiller mes soupçons, que faudrait- il que je déclare dans une telle situation? Je ne vois absolument pas cette lacune à laquelle font référence les membres de la GRC.

Pour ceux qui s'inquiètent de savoir si les ordres professionnels de juristes appliquent leurs propres règles, permettez-moi d'écarter cet argument. Les ordres professionnels appliquent chaque règle à la lettre, et celles qui concernent le blanchiment d'argent et l'interdiction des versements en espèces seront appliquées comme toutes les autres. Si quelqu'un enfreint la règle, il s'expose à des réprimandes, à une suspension ou à la radiation du Barreau. Les ordres professionnels de juristes vont appliquer ces règles.

Le président : Permettez-moi de partager les inquiétudes du vice-président. Notre comité se trouve confronté à ce problème. Dans notre dernier rapport, nous espérions que l'autoréglementation parviendrait à le régler.

L'autorité gouvernementale chargée d'intenter des poursuites, à savoir la GRC, nous dit maintenant que tel n'est pas le cas. Le sénateur Moore a cité ce matin l'exemple d'une transaction de 1 milliard de dollars qui a été découverte aux États-Unis. L'argent est passé d'une entité à une autre et a fait l'objet d'une sorte de transaction juridique. Nous ne connaissons pas les détails de l'opération, mais lorsque M. Stephen Schneider nous dit que 49,7 p. 100, soit près de la moitié, de toutes les transactions juridiques passent par le prisme d'un cabinet d'avocats, il y a de quoi s'en préoccuper. Nous devons envisager un test ou un mécanisme plus strict pour faire barrage à ce type d'activité.

Le vice-président et moi-même sommes conseillers de la reine. Nous sommes avocats; nous respectons la profession juridique. Nous comprenons l'intérêt public. Vous n'avez pas à nous faire la leçon sur les avocats qui défendent l'intérêt public. Nous le savons déjà. Nous sommes ici pour essayer de résoudre un problème particulièrement flagrant.

Le sénateur Angus a signalé qu'au Royaume-Uni on est allé plus loin qu'au Canada. Jusqu'où sont allées les autorités britanniques pour protéger l'intérêt public? Les Américains sont allés plus loin que nous pour le protéger. Dites-nous jusqu'où ils sont allés et indiquez-nous quelle différence il y a entre leur système et le nôtre. Les Américains ont leur propre système de jurisprudence d'origine anglaise. C'est le même système qui prévaut au Canada, aux États- Unis et au Royaume-Uni. Pourquoi les entités qui protègent toutes l'intérêt public ont-elles des points de vue différents sur cette question? Indiquez-nous ces différences, leur origine et les raisons qui vous font les contester.

Je voudrais dire également, comme le rappelle le sénateur Angus, que notre comité est très embarrassé du fait que les principales poursuites contre des Canadiens sont intentées aux États-Unis, ce que nous jugeons inacceptable. Cela signifie que nous ne sommes pas une nation souveraine, que le Canada est le théâtre d'activités criminelles dont les auteurs sont appréhendés par nos voisins du Sud. C'est un argument accessoire, mais cette réalité préoccupe sérieusement les membres du comité, et nous avons l'intention d'y remédier. Aidez-nous à résoudre le problème.

En toute sincérité, le sénateur Angus et moi-même, ainsi que les autres sénateurs qui sont avocats, sommes très préoccupés par ce problème.

Nous sommes sénateurs et vous êtes ici avec nous. Nous avons une responsabilité. Aidez-nous. Présentez-nous une comparaison; dites-nous précisément pourquoi les Britanniques et les Américains sont allés plus loin que nous.

M. Nielsen : Il faut prendre les choses séparément. La situation du Royaume-Uni est due au fait que les avocats britanniques n'ont pas contesté la loi qui est en vigueur actuellement.

Le président : Je m'efforce de veiller à ce que les sénateurs ne réagissent pas à vos propos. Que s'est-il passé exactement au Royaume-Uni pour que les « barristers », qui portent la soie au revers de leur toge, décident de ne pas contester la loi?

M. Nielsen : Je peux vous dire qu'ils ne l'ont pas contestée, mais je ne peux pas vous dire pourquoi.

Le président : Que s'est-il passé? Quelle différence y a-t-il entre leur acceptation et votre refus? Qu'est-ce qui a été déterminant?

M. Nielsen : On aurait tort de s'imaginer que les avocats britanniques ont accepté cette procédure. Je viens de participer à une rencontre à Amsterdam, avec 80 personnes, essentiellement des avocats, venus du monde entier. La législation britannique est à peu près identique à la notre, mais elle n'a pas été contestée et les avocats britanniques sont désormais tenu par la nouvelle règle; je ne sais pas s'il leur est loisible de la contester.

L'Australie est en train de présenter une proposition législative, que le barreau australien a rejetée et qu'il s'apprête, je crois, à contester.

Le gouvernement japonais fait la même chose et le barreau japonais pourrait contester la loi.

M. Varro pourrait vous en parler mieux que moi, mais aux États-Unis, il n'y a pas de loi semblable à la nôtre et si on en présente une un jour, le barreau américain va lui aussi la contester. Il n'y a pas de différence entre le secret professionnel de l'avocat au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie ou au Canada. Les règles régissant le secret professionnel sont essentiellement les mêmes.

En présentant ce projet de loi, le sénateur Angus a parlé des problèmes qui se posent particulièrement aux États- Unis. Et il a signalé l'une des différences de notre système, à savoir la possibilité de contester la loi aux termes de la Constitution, et il avait parfaitement raison. Nous avons contesté la loi initiale en invoquant la Charte. Je ne peux pas dire si dans d'autres pays on peut également contester une loi en vertu de la constitution ou d'une charte similaire.

Le président : Sauf votre respect, nous savons cela. Nous comprenons également les différences entres les deux systèmes, ou plutôt entre le système britannique, qui n'a pas de constitution écrite, et les systèmes américain et canadien qui en ont une. Nous comprenons ces distinctions.

Je vous demande de nous dire ce qui a été autorisé aux États-Unis et au Royaume-Uni, et à quoi vous vous opposez — c'est-à-dire l'aspect mécanique de la question. Il est certainement possible d'obtenir cette information.

Comme le disait mon éminent professeur de droit : « Grafstein, c'est une question de droit comparatif. » Faites-nous donc un cours de droit comparatif.

M. Potter : Nous allons vous faire parvenir un tableau indiquant les différences qui existent.

En résumé, je peux cependant vous dire que l'une des différences, c'est que le Royaume-Uni est en Europe et qu'il a répondu à une directive européenne que le barreau de la Belgique conteste au Luxembourg.

Le président : Nous savons cela. Je vais en Europe quatre ou cinq fois par an. Je dirige un parti en Europe. Je connais les différences entre les deux systèmes. Mais parlez-nous de l'aspect mécanique de ces différences.

M. Potter : Sur le plan mécanique, les avocats britanniques doivent présenter des rapports sur les montants reçus, sur leurs clients et sur les transactions suspectes.

Comme l'a dit M. Nielsen, le système britannique correspond plus ou moins à la législation qui s'appliquait initialement dans notre pays. Les choses sont différentes aux États-Unis.

Le président : Arrêtons-nous un instant. Voyons s'il est possible de préciser les choses.

Nous comprenons la différence entre le doute raisonnable, ce qui est raisonnable et ce qui est suspect. Nous savons que le critère de la transaction suspecte est beaucoup plus difficile à appliquer pour l'avocat, et cetera.

Dites-moi comment vous définissez le terme « suspect ». Comment est-il défini par la profession juridique?

M. Potter : C'est l'un des principaux problèmes posés par ce projet de loi ainsi que par la loi du Royaume-Uni. Ma définition du terme « suspect » risque d'être différente de celle d'un autre. Il s'agit d'un critère très subjectif et c'est notamment pour cela que nos tribunaux canadiens l'ont déclaré inapplicable. On ne peut pas demander à un avocat de déterminer si ce que fait son client est suspect ou non.

Le président : Excusez-moi.

M. Potter : Je n'ai pas de définition du terme « suspect ».

Le président : Je vous prie respectueusement de m'excuser, mais un certain nombre d'entre nous avons pratiqué le droit. Nous avons une expérience considérable du droit commercial et du droit pénal. Et que pensez-vous de l'épreuve olfactive? Je me souviens d'un test simple dont m'a parlé un jour monsieur le juge Estey : Si je constate quelque chose un jour, est-ce que j'accepte que les journaux en parlent le lendemain? Si je ne veux pas qu'ils en parlent, cette chose a échoué à l'épreuve olfactive.

Nous comprenons parfaitement la complexité du terme « suspect » par opposition au doute raisonnable et à la conviction raisonnable. Les avocats sont certainement assez brillants pour trouver une définition qui permette de préciser le domaine d'application d'un test aussi difficile à définir. C'est même leurspécialité. C'est aussi ce que nous faisons ici, à Ottawa : nous nous servons de mots pour définir du contenu. Aidez-nous à définir celui-là.

Il est certainement possible de régler le problème de façon raisonnable et rationnelle tout en tenant compte de l'intérêt public. En ce qui concerne les banques, le sénateur Angus fait remarquer qu'elles ont elles aussi affaire à des transactions suspectes. Je sais que leur critère est différent. Elles ne revendiquent pas le secret professionnel au même titre qu'un avocat. Nous le comprenons bien. Cependant, il doit bien y avoir un juste milieu et nous avons besoin de vos aptitudes et de votre grande expertise, qui devraient nous aider à résoudre ce problème.

Nous avons vu la situation au Royaume-Uni. Quelle est la situation aux États-Unis?

M. Potter : C'est ce dont je voulais vous parler il y a quelques minutes, mais s'il est vrai que des Canadiens sont poursuivis aux États-Unis, ce n'est pas parce que les avocats américains doivent déclarer des choses que les avocats canadiens n'ont pas à déclarer. Aux États-Unis, on a envisagé d'obliger les avocats à faire certaines déclarations, et l'Association du barreau américain a dit qu'elle s'y opposerait.

Le président : Je reconnais que c'était un peu une gaffe.

M. Potter : J'aimerais parler d'une autre gaffe, soit celle qui se rapporte au chiffre de 49,7 p. 100. On ne peut pas dire que 49,7 p. 100 de toutes les transactions illicites impliquent des avocats. M. Schneider a déclaré que dans son bilan des enquêtes, il avait constaté que dans 49,7 p. 100 des enquêtes des cabinets d'avocats étaient mêlés aux transactions. Il n'est pas étonnant que des transactions nécessitent le recours à un cabinet d'avocats. On ne peut donc pas sauter à la conclusion que si des avocats devaient rapporter ces transactions, elles n'auraient pas lieu.

Le président : Je suis d'accord avec vous. Revenons aux critères appliqués aux États-Unis. Parlons de la précision. Quels critères américains vont plus loin que ceux du Canada?

M. Potter : Je ne pense pas qu'ils soient supérieurs aux nôtres, et vous le verrez dans le tableau que nous vous ferons parvenir.

Jim Varro, avocat en politiques, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Je peux vous répondre. C'est résumé dans le rapport du GAFI sur les États-Unis, dans le cadre du programme d'évaluation mutuelle. Je peux vous lire ce paragraphe, qui résume bien la situation aux États-Unis. Rappelons que BSA signifie Bank Secrecy Act, loi qui régit la lutte contre le blanchiment d'argent, AML signifie mesure de lutte contre le recyclage de l'argent et les formules 8300 se rapportent au seuil de 10 000 $ pour la déclaration des transactions :

Les avocats et autres juristes de profession aux États-Unis ne sont pas définis comme des « institutions financières » au sens de la BSA et ne font pas l'objet de la plupart des exigences de la lutte contre le blanchiment d'argent en vertu de la BSA, à part l'obligation de produire des formules 8300. Des représentants du Groupe de travail sur la réglementation (Gatekeeper Task Force) du barreau américain (American Bar Association, ABA) ont déclaré que l'ABA ne s'opposait pas en principe à l'application de certaines exigences de l'AML aux avocats, si elles n'allaient pas à l'encontre des règles d'éthique établies et du secret professionnel. L'ABA représente plus de 400 000 avocats américains. Le FinCEN (Financial Crimes Enforcement Network) examine le statut des avocats aux termes de la BSA, particulièrement pour ce qui est de leur rôle dans certaines opérations immobilières et de leurs fonctions dans la constitution de sociétés.

En fait, actuellement, les avocats ne sont régis par aucune mesure de lutte contre le blanchiment d'argent.

Le sénateur Fitzpatrick : Bienvenue, messieurs. Je ne suis pas avocat et je demande votre indulgence pour mes questions qui n'ont rien de juridique.

Quel mal y a-t-il à faire enquête à partir de soupçons? Je comprends qu'on ne puisse porter d'accusation uniquement à partir de soupçons, mais pourquoi ne pas faire enquête lorsqu'une situation est suspecte et pourquoi les avocats ne fourniraient-ils pas les renseignements nécessaires à ces enquêtes?

Il ne s'agit pas d'accusation, mais d'une enquête. Le ministère du Revenu fait constamment des vérifications. À moins qu'il ne trouve une malversation, il n'y a pas d'accusation, mais il peut toujours soupçonner qu'une déclaration de revenu n'a pas été faite en bonne et due forme.

M. Nielsen : Il n'y a pas de mal à cela, sénateur, et en effet, cela se fait. L'exemple de la déclaration de revenu est approprié. Reste à savoir qui obtient les renseignements et pour ce qui est de la loi initiale, on craignait, bien franchement, comme disait mon collègue, que les avocats ne deviennent des donneurs, des agents de l'État qui donneraient des renseignements sur leurs clients. Si le ministère du Revenu soupçonne un cas d'évasion fiscale impliquant le client d'un avocat, il devra convaincre un tribunal, un juge, qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un acte répréhensible a été commis, auquel cas un mécanisme est prévu en vertu de l'arrêt Lavallée de la Cour suprême pour que les renseignements lui soient fournis. Le problème, ce n'est pas de savoir si les avocats doivent collaborer, mais comment l'information sera fournie.

M. Potter : Il n'y a pas de mal à mener une enquête à partir de soupçons. Le problème, c'est si vous soumettez un problème fiscal à votre avocat, un fiscaliste, qu'il juge votre situation suspecte et que, sans vous en parler, il fasse une déclaration à l'État. Le problème, c'est que si les choses en allaient ainsi, vous ne consulteriez pas un avocat. Or, il est dans l'intérêt du Canada et de l'administration de la justice que tous les citoyens puissent parler librement à leur avocat pour s'assurer qu'ils respectent la loi. Voilà pourquoi on aurait tort de demander aux avocats de dénoncer leurs clients.

Le président : Nous somme bien d'accord avec vous là-dessus.

Le sénateur Goldstein : J'ai quelques réserves quant à la forme de la disposition censée s'appliquer aux avocats. Le nouvel article 10.1 proposé dans le projet de loi précise que certains articles ne s'appliquent pas aux conseillers juridiques lorsqu'ils fournissent des services juridiques. Autrement dit, si le conseiller juridique fait autre chose que fournir des services juridiques, s'il le fait autrement qu'à titre d'avocat, il doit alors respecter les exigences relatives à la déclaration.

Au sujet de ce libellé, voici ma question : si l'avocat participe à une transaction suspecte, mais non à titre d'avocat, il ne va certainement pas le rapporter à quiconque, puisqu'il participe à cette transaction, et on peut alors se demander à quoi peut bien servir le nouvel article 10.1.

Je veux bien afficher mes couleurs. À la lecture de nos délibérations et de notre rapport intérimaire, vous aurez sans doute constaté que l'unanimité ne règne pas au sein du comité au sujet du rôle des avocats. Quitte à me tromper, je préfère que soient respectées les garanties constitutionnelles dont le Canada peut être fier, au risque de perdre des moyens d'enquête sur des transactions suspectes ou inappropriées.

C'est mon opinion. J'ai une formation d'avocat et c'est toujours ma façon de voir les choses.

Parlez-nous d'abord du nouvel article 10.1 qui est proposé dans le projet de loi.

M. Nielsen : Pour répondre à votre dernière déclaration, je crois que votre point de vue est celui qui a été exprimé aussi par les tribunaux, et qu'il est donc tout à fait fondé.

Au sujet du nouvel article 10.1, si un avocat ou toute autre personne est mêlée sciemment à une transaction suspecte, il n'en fera pas la déclaration et ce n'est donc pas bien utile.

Dans certaines provinces, les avocats peuvent aussi être des agents d'immeuble, par exemple, ou des agents d'assurance. Dans certaines situations, il peut être difficile de passer d'un rôle à l'autre. Si j'étais l'une de ces personnes qui peut vendre des immeubles et pratiquer le droit, puisque je pratique le droit, le nouvel article 10.1 m'exempterait de toute déclaration de transaction suspecte.

Par ailleurs, si je facilite simplement une transaction immobilière, je ne suis pas assujetti à l'interdiction des paiements en espèce dont j'ai parlé. Je peux recevoir un sac plein de billets pour l'achat d'une propriété et si j'estime que c'est louche, alors, je serai obligé de le déclarer.

Il ne s'agit pas de viser les cas de complicité, mais de bien séparer les choses, afin que l'exemption ne s'applique que dans les circonstances limitées où l'avocat fournit des services juridiques. Dans toutes autres circonstances où il agit comme simple citoyen, il est dans la même situation que les autres.

Le président : Si je me souviens bien, c'était exactement la même situation en Ontario, quand les avocats ont pu devenir courtiers en hypothèque. Le Barreau du Haut Canada a beaucoup travaillé le dossier des avocats qui avaient décidé d'assumer ces deux responsabilités. Bien franchement, il a exigé beaucoup plus des avocats que des simples courtiers en hypothèque, parce qu'il a tenu à séparer les deux domaines et à imposer des règles minutieuses à ce sujet.

Notre temps est presque épuisé pour ce sujet. Nous voudrions beaucoup avoir votre aide pour régler ce problème. Vous entendrez les craintes du public. Vous avez entendu les préoccupations de la GRC et des autres. Dans notre dernier rapport, nous mettions toute notre confiance dans les mécanismes d'autoréglementation pour régler ce problème. Il y a un problème, et nous n'avons pas encore réussi à l'appréhender efficacement.

Nous espérons que votre talent, votre intelligence et vos fonctions d'auxiliaires de justice et de titulaires d'une charge publique vous permettront de nous aider. Nous allons certainement vous revoir. Si vous avez besoin de notre aide, nous vous l'offrons volontiers.

Le sénateur Massicotte : Je voudrais m'assurer de bien comprendre. J'ai quelques doutes quant à l'autoréglementation des professions. Il y a trois ou quatre ans, un pont est tombé à Montréal. Il semble que l'ingénieur en ait été responsable et il n'a pas pu pratiquer pendant tout un mois. Trois personnes sont décédées. Cela étant dit, quelle est la gravité des mesures disciplinaires prises contre les avocats qui sont pris à blanchir de l'argent? Au cours des 12 derniers mois, combien d'avocats ont été radiés pour avoir fait du blanchiment d'argent?

M. Nielsen : Je n'ai pas ces statistiques. Je peux vous dire que nous prenons au sérieux toute infraction. Les actes criminels sont les plus graves et des avocats sont radiés régulièrement.

Le sénateur Massicotte : Sont-ils radiés à vie ou pour un mois ou pour quelques années?

M. Nielsen : Chaque barreau à ses règles pour les avocats qui veulent revenir à la profession. Une radiation du tableau de l'ordre est une radiation.

Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous nous obtenir des chiffres sur le nombre de personnes qui ont été radiées au cours des 12 derniers mois, à cause d'actes criminels ou de criminalité en col blanc?

M. Nielsen : Je crois que nous pouvons recueillir ces statistiques. Nous pouvons vous les donner pour l'ensemble du pays.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Le président : Je crois que vous avez les mêmes préoccupations que nous quant à la façon de régler les problèmes de manière à respecter l'intérêt public. Si vous avez de nouveaux renseignements à notre intention, n'hésitez pas à nous les transmettre par l'intermédiaire de la greffière. Nous travaillons à un rapport intérimaire mais nous réétudierons cette question plus tard.

M. Nielsen : Merci. Nous sommes ravis d'être réinvités et nous vous aiderons de notre mieux.

M. Potter : Merci, sénateurs.

Jean-Pierre Bernier, vice-président et conseiller juridique, Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes : Monsieur le président, je ferai comme vous voudrez. J'ai préparé un exposé donnant les points saillants de notre mémoire.

Le secteur que je représente appuie dans l'ensemble le projet de loi C-25. Toutefois, quelques aspects méritent une attention particulière; il faut s'assurer que la mise en œuvre de la loi et des règlements y afférant soit conforme à une méthode axée sur les risques.

Il est crucial que l'approche axée sur les risques soit appliquée dans le projet de loi non seulement aux situations à risque élevé mais aussi aux situations à faible risque.

Chacune de nos recommandations est expliquée dans notre mémoire.

Il est important qu'un délai raisonnable soit prévu pour la transition. Il s'agit d'un projet de loi complexe. Nos membres font des affaires dans 20 pays. Au Canada, nous comptons près de 75 000 agents et courtiers d'assurance qui devront faire des déclarations en vertu de cette loi. Il faut du temps pour la mettre en œuvre.

Il faut aussi veiller à ce que la réglementation ne nuise pas à la compétitivité à l'échelle mondiale du secteur canadien de l'assurance-vie et de l'assurance-santé, en raison de certaines dispositions du projet de loi C-25 sur les opérations à l'étranger.

Les règlements pourront apaiser nos préoccupations. Dans notre mémoire, nous recommandons à votre comité d'entreprendre une étude des règlements afin de veiller à ce qu'il respecte l'intention de la loi et vos propres recommandations. Dans votre rapport d'octobre 2006, sous la rubrique « le système souhaité », vous préconisez une méthode axée sur le risque pour la loi et ses règlements.

Le président : Pour ce qui est de l'examen parlementaire, je vous signale que nous avons un Comité d'examen de la réglementation qui siège régulièrement. Il s'agit d'un comité mixte de la Chambre et du Sénat. Quand des règlements sont adoptés, ils le sont à la condition d'être conformes à la portée de la loi.

Si vous avez des préoccupations au sujet des règlements, retenez bien cela. Quand les règlements seront publiés, vous pourrez vous adresser à ce comité. Il étudie tous les règlements, de manière régulière.

Le sénateur Goldstein : Je ne suis pas convaincu que ce comité ait l'information contextuelle nécessaire pour étudier ceux-là.

Le président : Nous ne cédons pas notre responsabilité quant à l'étude de la portée de la loi. Je signale simplement au témoin qu'il y a un autre comité qui a précisément compétence pour vérifier que les règlements n'outrepassent pas la portée de la loi. C'est un contrôle parlementaire.

Le sénateur Meighen : Monsieur Bernier, il vous faut comprendre que nous venons de recevoir ce document et que je n'ai pas eu l'occasion de le lire au complet.

À la fin, vous dites tenir à ce que la mise en œuvre de la loi et du règlement afférent soit conforme à la méthode axée sur les risques, qu'il s'agisse de situations à risque élevé ou faible. Bien franchement, je ne comprends pas de quoi vous parlez. Pourriez-vous l'expliquer?

M. Bernier : Prenons un exemple. Si le suivi d'une assurance cancer de 5 000 $ coûte 20 $, alors que l'évaluation de l'importance relative et du risque permet de constater qu'on ne saurait appliquer plus de cinq dollars à ce produit, il serait bon de consacrer les 15 $ à des situations à risque élevé, pour améliorer la formation ou acheter des logiciels plus perfectionnés.

Le nouveau paragraphe 9.6(2) proposé par le projet de loi C-25 porte sur l'évaluation de risque. D'après l'Association canadienne des courtiers en valeur mobilière qui a comparu devant le Comité des finances de la Chambre des communes, il y a une école de pensée, qu'a défendue l'association, selon laquelle l'évaluation de risque s'applique aux situations à risque élevé, mais pas aux situations à faible risque.

Le sénateur Goldstein : J'aurais dû poser la question hier au Bureau du surintendant des institutions financières du Canada, ou BSIF, qui dans son rapport émet une opinion se rapportant aux assureurs-vie. Cela a piqué ma curiosité.

Voici ce qu'il dit : « Même si le RPCFAT est souvent associé aux comptes de dépôts, d'autres produits financiers, par exemple, les prêts, les hypothèques et d'autres produits de crédit, peuvent aussi être utilisés pour dissimuler les produits de la criminalité ou des fonds pour les activités terroristes. »

Je ne comprends pas comment un prêt hypothécaire consenti par une société d'assurance pour l'achat d'une maison pourrait être considéré comme ayant été utilisé pour dissimuler les produits de la criminalité. Pourriez-vous m'aider à comprendre?

M. Bernier : C'est si l'institution d'assurance et de crédit soupçonne une transaction douteuse.

Le sénateur Goldstein : J'essaie de comprendre d'où peuvent venir ces soupçons. Acheter une maison et emprunter pour cela, tous les Canadiens le font.

Le sénateur Angus : Oui, mais en remboursant le prêt, l'emprunteur recycle l'argent.

Le président : Nous allons profiter nous-mêmes du témoignage. Je suis curieux d'entendre votre réponse.

Le sénateur Goldstein : Nous essayons de comprendre la recommandation du BSIF.

Le président : Nous aimerions avoir votre avis. C'est un problème. Nous comprenons que l'assurance-vie, comme d'autres assurances, peuvent être un problème. Mais comment s'en sert-on pour recycler de l'argent.

M. Bernier : En général, les assureurs-vie ne sont pas des établissements de crédit. En vertu de la Loi sur les sociétés d'assurance, nous pouvons avoir des activités de crédit. En général, nous n'en avons pas. Quand une police d'assurance-vie est vendue avec une valeur de rachat, que son détenteur demande à la compagnie une avance sur police, qui est en fait une sorte d'avance sur la valeur au comptant de la police, nous recevons des signaux d'alerte de la GRC, du CANAFE, du BSIF et de l'Association internationale des contrôleurs d'assurance. Si nous soupçonnons une transaction liée au blanchiment d'argent ou au financement du terrorisme, nous ferons enquête et nous ferons une déclaration conformément à la loi.

Le président : Est-ce que cela s'est déjà produit?

M. Bernier : Non.

Le président : Vous dites qu'il y a des alertes pour des transactions à risque élevé. Pouvez-vous nous en donner des exemples?

M. Bernier : On considère qu'il y a un risque élevé s'il y a un contrat de rente à prime unique, particulièrement si la somme est importante.

Le sénateur Goldstein : Nous le comprenons. Mais je ne comprends pas pourquoi on juge suspect qu'un Canadien emprunte de l'argent sur sa police d'assurance.

M. Bernier : Nous ne sommes pas au courant de cas semblables associés au blanchiment d'argent, pour ce genre de prêt hypothécaire résidentiel.

Le sénateur Goldstein : Pourquoi vous les surveillez?

M. Bernier : Nous sommes obligés de suivre toutes transactions.

Le sénateur Goldstein : Trouvez-vous qu'il est normal qu'on vous demande de suivre ces transactions, selon votre expérience?

M. Bernier : La réponse, est oui, s'il y a des doutes.

Le président : Les avocats ont-ils quelque chose à dire à ce sujet?

M. Potter : Que voulez-vous dire par « des doutes », sénateur?

Le sénateur Moore : Vous semblez dire que vous avez des doutes selon le montant en question.

M. Bernier : Nous avons toute une liste de signaux d'alarme. Par exemple, si l'argent provient d'un autre pays; s'il y a des réclamations qui arrivent rapidement; ou bien s'il y a changement de bénéficiaire. Il y a toute une liste de transactions faites après l'achat, d'une police, qui sont un signal d'alarme indiquant la possibilité d'une transaction de blanchiment d'argent.

Le sénateur Moore : Pouvons-nous avoir une copie de ces lignes directrices?

Le président : Pourriez-vous nous donner copie de votre liste de signaux d'alarme?

M. Bernier : Certainement. Nous avons la nôtre, mais le CANAFE a aussi sur son site web une liste semblable à l'intention des assureurs.

Le président : Nous allons examiner la vôtre, si vous voulez bien nous la communiquer.

Le sénateur Eyton : Je n'ai pas lu votre mémoire, mais j'en ai lu les conclusions, que j'ai trouvées curieuses. Vous dites que votre secteur appuie le projet de loi et bien sûr, il s'oppose aux produits de la criminalité et au financement des activités terroristes, mais ensuite vous mentionnez certaines réserves ou conditions. Il y a trois points et le troisième dit qu'il faut que cela « ne fasse pas obstacle à la compétitivité à l'échelle internationale », autrement dit, « s'il faut rester concurrentiel... » Je ne comprends pas très bien ce troisième point. Je ne vois pas comment le projet de loi et les activités dont il y est question pourraient avoir une incidence sur votre « compétitivité à l'échelle internationale ».

M. Bernier : Je vais vous donner l'exemple mentionné dans notre mémoire. Une des dispositions du projet de loi C- 25, de portée extraterritoriale, énonce les exigences concernant l'identité du client, qui comportent toute une liste de procédures. Au Canada on exige deux pièces d'identité avec photo. Dans les pays où l'on n'en exige qu'une, il serait difficile, pour les agents, d'en demander une seconde. Voilà un exemple.

Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons lever la séance. Je tiens à remercier les éminents représentants des avocats et également M. Bernier. Votre contribution a été fort utile. Notre objectif, c'est de résoudre un problème dans l'intérêt supérieur du Canada.

La séance est levée.


Haut de page