Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 16 - Témoignages du 1er mars 2007
OTTAWA, le jeudi 1er mars 2007
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été déferré le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel) se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour examiner ce projet de loi.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous sommes très limités par le temps; je présente de nouveau le sujet qui nous réunit. Nous examinons le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel). Je souhaite la bienvenue à nos collègues. Je tiens aussi à accueillir chaleureusement notre ancienne collègue le sénateur Madeleine Plamondon, qui a, d'une certaine de façon, parrainé cette initiative. Cette initiative ne sera peut-être pas ce qu'elle a préconisé, elle prendra cependant la parole dans quelques instants.
Présenté à la Chambre des communes le 6 octobre 2006 et reçu en première lecture au Sénat le 7 février 2007, le projet de loi C-26 modifie l'article 347 du Code criminel, qui criminalise la perception d'intérêts à des taux usuraires.
Bien que les gouvernements provinciaux et fédéral aient la possibilité de réglementer toute industrie du crédit qui relève de leur compétence en accord avec la limite énoncée à l'article 347 du Code criminel, ils seraient tenus d'obtenir une exemption à cet article avant de pouvoir autoriser des transactions de crédit qui dépassent cette limite. C'est la position du gouvernement sur ce projet de loi.
Ce projet de loi est issu des efforts du comité et particulièrement de ceux de notre ancienne collègue le sénateur Plamondon, lorsque nous étudions toute la question des petits prêts et de la protection du consommateur. Elle se souviendra que notre comité avait approuvé son projet de loi pour traiter de cette question. Il est mort au Feuilleton, mais il a permis de signaler aux gouvernements, fédéral et provinciaux, que cette lacune au niveau de la prospection des consommateurs devait être réglée. Ce projet de loi propose une façon de combler cette lacune.
Selon l'article 347 du Code criminel, commet une infraction quiconque conclut une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel, c'est-à-dire supérieur à 60 p. 100 ou perçoit des intérêts à un taux criminel. Il faut obtenir le consentement du procureur général de la province afin d'intenter des poursuites en vertu de cet article; à ce jour, aucun gouvernement provincial n'a encore poursuivi de prêteur sur salaire. De plus, l'article 347 n'a jamais été invoqué dans un contexte pénal à l'égard des activités des prêteurs sur salaire.
Il est évident que ce service est recherché en raison de l'incroyable croissance de ce secteur. Les témoignages que nous entendrons plus tard nous permettront d'en apprendre plus sur la croissance de ce secteur. Le fait que la compétence en matière de prêt sur salaire soit partagée entre le fédéral et les provinces/territoires signifie que le secteur est essentiellement déréglementé sauf au Québec, où les prêteurs sont exclus. Les provinces/territoires ne peuvent réglementer le coût des prêts, car ce faisant elles entreraient en conflit avec l'article 347 du Code criminel et l'on pourrait déclarer ultra vires la mesure provinciale.
La Constitution canadienne confère des pouvoirs aux provinces et aux territoires relativement à la protection des consommateurs par l'entremise de leur compétence en matière de propriété et de droits civils; la compétence du fédéral, elle, découle de son pouvoir au chapitre de la loi criminelle. Si le secteur des prêts sur salaire n'est pas réglementé, son avenir pourrait enfin de compte être déterminé par certains recours collectifs, ce qui n'est évidemment pas un processus satisfaisant. Il semble que l'industrie des prêts sur salaire recherche une certaine forme de réglementation. Notre objectif dans l'examen de ce projet de loi est de savoir si cette approche est appropriée ou non. Nous sommes heureux d'accueillir comme témoin pour la réunion d'aujourd'hui, l'honorable sénateur Plamondon, une ancienne de nos collègues et une éminente protectrice des consommateurs dans la province de Québec et dont la réputation dépasse les frontières du Québec. Je vous souhaite la bienvenue.
L'honorable Madeleine Plamondon, à titre personnel : La flatterie, c'est comme l'eau de Cologne, elle doit être sentie, non avalée.
Le président : Je vois que vous n'avez rien perdu de votre esprit.
[Français]
Mme Plamondon : Selon moi, le projet de loi C-26 est de la poudre aux yeux parce qu'on n'a pas besoin de ce projet de loi, comme le Québec l'a prouvé, pour réglementer ou empêcher d'avoir des prêts usuraires. Il s'agissait de donner des licences pour opérer à des compagnies qui ne dépassaient pas 35 p. 100. Comme ce n'était pas payant pour l'industrie des prêts sur salaire, ils ne sont pas allés dans la province de Québec, ce qui prouve que non seulement ils veulent avoir plus que 35 p. 100, mais on s'apprête à leur donner, avec ce projet de loi, une permission — si les autres provinces le désirent — d'aller au-delà du 60 p. 100. Cela va complètement à l'encontre du projet de loi S-19, adopté non seulement par le comité, mais aussi à l'unanimité par le Sénat. Si cela a été adopté à l'unanimité par le Sénat en disant que 60 p. 100 est un taux trop élevé et qu'un an plus tard, on vient proposer que le taux puisse dépasser 60 p. 100, s'il y a « des mesures de protection », le Sénat va avoir l'air d'une girouette ou d'une marionnette.
Je ne peux pas comprendre comment les provinces ont été, comme on lit dans le préambule, en accord avec cela. Pour protéger les consommateurs, les provinces n'ont pas besoin de l'assentiment du gouvernement fédéral. C'est une prérogative provinciale. C'est ce que le Québec fait sans avoir demandé la permission au gouvernement fédéral. Donc, pourquoi le gouvernement fédéral se met le doigt entre l'arbre et l'écorce en disant : « Nous allons évaluer vos méthodes pour voir si vous défendez bien les consommateurs et nous allons vous accréditer. Ensuite, si vous ne le faites pas, nous pourrons vous enlever votre accréditation »? Les représentants des provinces n'accepteront jamais cela, en particulier le Québec.
La preuve qu'on n'a pas besoin du projet de loi C-26, le Québec a été capable d'exclure l'industrie des prêteurs sur salaire, sans avoir recours à ce projet de loi. Les autres provinces peuvent faire la même chose. Qu'est-ce qui me convainc? J'ai lu les extraits de ce qui s'est passé à la Chambre des communes. Tout le monde dit que si on réglemente, on devrait regarder ce qui se passe au Québec parce que c'est un très bon modèle. J'ai lu les témoignages et c'est ce qu'on admet.
Encore là, le Québec l'a fait sans le projet de loi C-26. Si les procureurs généraux des provinces n'ont jamais poursuivi, ce n'est pas la faute des consommateurs, c'est qu'ils n'ont jamais eu assez d'épine dorsale pour vouloir poursuivre, en vertu de l'article 347 du Code criminel, les compagnies qui chargeaient plus de 60 p. 100. On a constaté, lors des témoignages au moment de l'étude du projet de loi S-19, que cela dépassait 1 000 et pouvait même aller jusqu'à 2 000 p. 100.
Quand on voit que les succursales de la Banque royale du Canada sont en moins grande nombre que les comptoirs qu'on veut réglementer, on a des questions à se poser. Plutôt qu'adopter le projet de loi C-26, le Sénat devrait se pencher sur la question du microcrédit pour les défavorisés et le rôle des banques dans ce domaine. Si on pense que le microcrédit, ce sont les compagnies de prêt sur salaire et qu'il faut accommoder ces dernières en les exemptant du Code criminel, on envoie un mauvais message et on dit aux gens qui sont pauvres : « Vous allez vous embourber davantage; elles ne seront jamais poursuivies. » C'est un très mauvais message et c'est complètement contraire à vos conclusions, après l'étude du projet de loi S-19. Je ne vois pas comment on pourrait faire cela.
Il y aura des élections; les rumeurs sont dans l'air. Je me demande comment sera perçu le fait que vous vous mêlez de ce qui relève des provinces, et qui, au gouvernement fédéral, sera le comité ou la personne qui va décider qu'une province offre une protection suffisante. Et à quelle condition? Une telle situation, selon moi, empiète sur le pouvoir des provinces.
J'aime mieux répondre aux questions, mais le vrai problème, c'est que 60 p. 100 est un taux trop élevé. On devrait baisser le taux déclaré criminel à 60 p. 100 parce que le taux de la Banque du Canada est très bas. On avait dit que dépasser 35 p. 100 — que vous aviez adopté en deça du taux préférentiel — devrait être considéré criminel. Là, on s'apprête à faire exactement le contraire. Le Sénat aura l'air d'une girouette s'il accepte un tel projet de loi.
Je termine en disant que votre comité devrait effectuer une étude sur le microcrédit et les consommateurs à faible revenu.
[Traduction]
Le président : Merci, sénateur Plamondon. J'ai écouté attentivement ce que vous avez dit. Au cours de mes 22 années au Sénat, je n'ai jamais pensé être la marionnette de qui que ce soit. Je ne pense pas que le comité, sous quelque forme que ce soit, et autant que je le sache, ait été la marionnette d'un gouvernement ou ait adopté des positions partisanes sur des questions touchant le consommateur. Je vous remercie de votre témoignage qui, je crois, est important et pertinent. Tous les sénateurs veulent poser des questions. Cependant, supposer que le comité ou qu'un sénateur soit la marionnette de quelqu'un n'est pas, à mon avis, approprié, juste ou acceptable.
Mme Plamondon : J'aimerais répondre à cela, si vous le permettez. J'ai dit qu'il serait mal aisé que le Sénat arrive à des conclusions différentes en moins d'un an; cela pourrait faire croire que le comité rendait des comptes à quelqu'un d'autre.
Le président : Je comprends. Le comité a déjà subi des pressions de la part du gouvernement pour adopter une position particulière dans des délais très courts. Le comité a toujours défendu, de façon non partisane, ce qui lui semble être l'intérêt du consommateur et de l'économie, c'est ce que nous comptons faire dans ce cas. C'est la raison pour laquelle nous sommes heureux d'entendre votre témoignage et ceux des prêteurs sur salaire qui comparaîtront plus tard.
Si vous avez des commentaires ou des critiques à faire sur les témoignages que vous allez entendre aujourd'hui, nous vous prions de le faire par écrit. J'ai dit la même chose aux témoins de l'industrie des prêts sur salaire. Nous tiendrons compte de tous les commentaires.
Nous avons l'esprit ouvert sur cette question. Vous avez soulevé une question importante que nous devons examiner, c'est-à-dire notre position précédente concernant votre projet de loi. Un grand nombre d'entre nous n'étaient pas satisfaits de ce projet de loi, comme vous l'avez dit. Cependant, une décision collective a été prise disant qu'il était très important d'exercer des pressions sur les gouvernements, fédéral et provinciaux, afin qu'ils approchent cette question du point de vue du consommateur. C'est la raison pour laquelle nous sommes prêts à faire des concessions et à accepter d'autres mesures, qui pousseront, à notre avis, les gouvernements provinciaux et fédéral à faire le travail qu'ils sont supposés faire : protéger le consommateur tout en permettant à l'association de prêts sur salaire d'offrir un service dont ont évidemment besoin les consommateurs et que les banques ne fournissent pas.
C'est une situation délicate et nous essaierons de trouver une solution. Nous vous remercions pour votre témoignage.
[Français]
Le sénateur Angus : Bonjour madame Plamondon, bienvenue parmi nous. C'est un plaisir de vous revoir. Vous savez que le comité a toujours tenté de comprendre et d'accommoder vos positions pour empêcher que des taux exorbitants pèsent trop lourd sur les consommateurs du Québec et d'ailleurs. Sur ce plan, nous n'avons pas changé d'avis. Nous avons l'esprit ouvert et sommes prêts à faire le nécessaire dans l'intérêt de tous les Canadiens. Vous avez commencé votre exposé en disant que le projet de loi C-26 n'était pas nécessaire, ai-je bien compris?
Mme Plamondon : Oui.
Le sénateur Angus : D'après les témoignages des fonctionnaires du ministère de l'Industrie et du Commerce et de celui des Finances qui ont comparu hier, les taux d'intérêt criminels et le Code criminel relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Alors si on accorde un pouvoir de contrôle sur les taux d'intérêt, les exemptions devraient être accordées par le gouvernement fédéral afin que les gouvernements provinciaux aient compétence pour réglementer les droits des consommateurs.
Mme Plamondon : Si on donne une exemption, c'est pour pouvoir charger plus cher que 60 p. 100 pour des prêts qui vont jusqu'à 1 500 $ pour 60 ou 62 jours.
Le sénateur Angus : Et même plus.
Mme Plamondon : Même plus. On crée différentes catégories. Des gens seront assujettis à 60 p. 100 alors que d'autres pourront demander des taux qui excéderont 60 p. 100 si certaines provinces le demandent. Je suis allée à Halifax l'année dernière, du temps où j'étais sénateur. Je me suis postée à l'entrée d'un « cash store ». J'ai interviewé des gens qui en ressortaient et je leur demandais combien ils avaient emprunté. Une dame m'a dit que pour emprunter 100 dollars pour une semaine, elle devait remettre 130 dollars. Vous n'avez pas besoin d'une calculatrice pour savoir que vous excédez un taux de 60 p. 100. Ce taux a été fixé en 1981 quand les taux de la Banque du Canada étaient de 20 et 21 p. 100 et que tout monde perdait sa chemise et sa maison. Il était normal qu'on rabaisse le taux. Maintenant, avec le projet de loi C-26, on essaie de favoriser des taux excédant 60 p. 100 pour une certaine catégorie de prêts.
Le sénateur Angus : Je comprends votre exemple. Si j'ai bien compris, vous dites que la loi n'est pas nécessaire. Vous citez Québec, où on a effectivement aboli l'industrie du prêt sur salaire. Dois-je en conclure que vous êtes contre cette industrie? Vous n'acceptez pas le fait qu'il s'agisse d'une industrie légitime. Les grosses banques ne font pas partie de ce marché qui n'est pas payant pour elles, à moins qu'elles ne soient prêtes à faire des cadeaux aux petites gens. Cette industrie en a profité pour prendre cette part du marché en offrant de petits prêts entre 100 et 150 $. D'après les témoignages que nous avons entendus, il n'y a aucune marge de profit si on ne peut charger des taux élevés. Cependant, des Canadiens ont besoin de ces petits prêts et sont prêts à payer les frais encourus.
Voici ma question : si on accepte le fait que cette industrie soit légitime — et je pense que vous n'acceptez pas le fait que ce soit une industrie légitime et qu'elle puisse exister —, s'il faut charger un montant pour couvrir les coûts et qu'il y ait une petite marge de profit légitime alors quelle serait une marge acceptable, 34 ou 17 dollars ou un autre montant?
Le réseau de télévision CTV a fait enquête. Ils ont emprunté 100 dollars dans trois succursales différentes de prêt sur salaire. La première chargeait 17 $ sur le solde, la deuxième 34,02 $ et la troisième 59 $. La dernière a certainement trop chargé et, en ce sens, l'industrie doit être réglementée. Peut-être que cette industrie n'est pas légitime, si je comprends bien ce que vous dites, car les taux requis pour couvrir les coûts, que les profits soient grands ou petits profits, sont usuraires et terribles, d'après vous, malgré la demande des consommateurs.
Mme Plamondon : J'ai suggéré que l'on fasse une étude plus poussée sur le microcrédit par rapport aux populations défavorisées au Canada. Il est vrai que le microcrédit répond à un besoin que les banques ne veulent pas combler, mais de là à dire qu'il faut favoriser des taux d'intérêt qui dépassent 60 p.100 et que c'est une solution, alors c'est non.
D'ailleurs, le rapport de votre comité, auquel j'ai participé, disait qu'il faudra faire une étude plus poussée sur le crédit alternatif. Or, aucune étude plus poussée n'a été faite sur le crédit alternatif et on dépose le projet de loi C-26. À mon avis, on mets la charrue devant les bœufs.
Il faudrait absolument faire cette étude et peut-être aussi forcer les banques, qui font des milliards, à participer au microcrédit. Le microcrédit n'est pas juste pour les populations d'Afrique. Il est également pour les populations défavorisées du Canada. La réponse aux besoins des Canadiens vivant sous le seuil de la pauvreté n'est certes pas les prêts sur salaire, comme c'est le cas en ce moment.
Si cette pratique continue, les Canadiens pauvres vont continuer à s'embourber dans une plus grande pauvreté et ce avec notre bénédiction.
Le sénateur Angus : Mais tous les pauvres ne sont pas obligés d'utiliser le microcrédit. À mon avis, les Canadiens n'en sont pas encore au point où il faille leur offrir un cadeau de 100 dollars par semaine. Les autres partis, comme le NPD, ont peut-être une vision différente des choses, un peu comme ce qui se passe dans les régimes socialistes.
Les banques sont là pour faire des affaires. Nous ne sommes pas prêts à forcer une industrie à perdre de l'argent. Cette industrie a vu le jour dans le but de répondre à ces besoins du petit peuple et aux gens qui sont prêts à payer. On parle de taux d'intérêt de 150 p. 100, mais il ne faut pas toujours se fier aux apparences.
[Traduction]
Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être. Il semble parfait, mais les gens sont quelquefois prêts à accepter n'importe quoi.
[Français]
Les témoignages indiquent qu'un grand nombre des clients de ces institutions sont des personnes ayant un revenu annuel de 50 000 $ et plus. Cette information est contenue dans les documents fournis aux fins de nos audiences. Quoi qu'il en soit, passons à un autre sujet.
[Traduction]
Mme Plamondon : Vous pouvez me croire que les personnes que j'ai rencontrées à Halifax ne gagnaient pas 50 000 $ par an. Je peux vous l'affirmer. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de demander un intérêt supérieur à cela. Une étude devrait être faite pour examiner les besoins de ces pauvres gens. S'ils n'ont pas suffisamment d'argent pour joindre les deux bouts à la fin du mois, comment peuvent-ils avoir suffisamment d'argent pour payer 30 $ d'intérêt sur un prêt de 100 $? Ils ne peuvent pas se le permettre.
[Français]
Le sénateur Angus : Je crois qu'on entre dans des questions philosophiques. J'ai dit à plusieurs reprises que si, par hasard, j'étais élu premier ministre, je retarderais l'aide à l'étranger pour résoudre le problème des sans-abri au Canada. Ce fléau est terrible.
Nous sommes là pour aider et faisons beaucoup de choses. Mais nous ne sommes pas prêts à forcer une industrie à perdre de l'argent.
Mme Plamondon : Lorsque j'ai quitté le Sénat, j'ai reçu une médaille du mouvement des caisses populaires — ce geste est courant. Sur cette médaille se trouvait une inscription qui disait que le mouvement des caisses populaires est né, il y a longtemps, grâce aux taux usuraires destinés aux petites gens qui ne pouvaient, à cette époque, obtenir de prêts bancaires.
Le sénateur Angus : Au Québec, au lieu des prêts sur salaire, on a les prêts sur gages. Plusieurs pauvres perdent leurs bijoux et leurs avoirs à ces fins. À mon avis, cette pratique est bien pire que les prêts sur salaire réglementés.
Mme Plamondon : En passant, vous les avez exemptés du projet de loi C-26.
[Traduction]
Le président : Je tiens à remercier l'honorable sénateur pour cet échange. Il ne nous reste plus que 15 minutes pour ce témoin; j'espère que les autres sénateurs se retiendront de poser des questions. J'ai donné un peu plus de temps au vice- président, parce qu'il est important d'avoir une idée générale de la situation. Je l'en remercie.
[Français]
Le sénateur Goldstein : Madame Plamondon, nous comprenons votre point de vue. Vous avez fort bien défendu votre position, et ce de façon constante, lorsque vous étiez au Sénat — et vous continuez à la défendre. Vous êtes reconnue à travers le Canada, et ailleurs, pour l'excellence de vos positions en matière de protection des consommateurs, et nous partageons avec vous ce sentiment.
Nous devons composer avec le problème suivant. Des millions de Canadiens, pour toutes sortes de raisons, transigent avec ces compagnies de prêts sur salaire. Le besoin existe. Que ce soit juste ou non, le fait est que la population l'exige.
Il est vrai que cette pratique est interdite au Québec. Il est d'usage au Québec d'utiliser les gages à titre d'instruments, ou encore on emprunte sur la rue d'éléments criminels. Ces pratiques ne sont pas réglementées mais répondent à une demande de la population.
Il faut se rendre à l'évidence, la population canadienne a besoin de cet outil, pour des raisons qui lui sont propres. Par conséquent, nous devons voir à ce que cette industrie, qui existe et continuera d'exister, soit réglementée de façon objective et constante à travers le Canada, dans la mesure où les provinces veulent bien y participer, afin que ces personnes puissent avoir accès à ces prêts.
Vous suggérez que les banques s'en chargent. Je ne suis pas une banque et je ne pourrait les forcer à faire ces prêts. D'après vous, comment pourrons-nous répondre à cette demande et cette exigence de la population canadienne?
Mme Plamondon : Mon message est le suivant. L'étude qui était prévue sur le crédit alternatif n'a pas été faite. On fait semblant de donner un pouvoir aux provinces, alors qu'elles l'ont déjà. Le Québec l'a utilisé en refusant d'octroyer une licence à ceux qui dépassent le taux de 35 p. 100. Toutes les autres provinces peuvent faire de même sans recours au projet de loi C-26.
Il suffirait aussi, chaque fois qu'on dépasse le taux de 60 p. 100, que les procureurs généraux soient assez alertes pour entamer des poursuites.
En attendant, s'il est vrai que le besoin existe, le microcrédit devrait faire l'objet d'une étude plus poussée. Il ne suffit pas de faire des exemptions.
On ne reconnaît pas un criminel que par ses tatouages de Harley-Davidson. Le criminel peut se promener en habit trois pièces, avoir pignon sur rue et contrevenir à l'article 347 du Code criminel. Il faudrait enlever cette image de notre tête.
Je ne veux pas employer de termes qui peuvent sembler antisémite — on m'a déjà reproché d'avoir utilisé le terme « shylock ». Toutefois, au Québec, les personnes qui ignorent la signification du terme « shylock » savent très bien qu'il s'agit de quelqu'un qui va égorger les autres.
Suite à votre remarque de l'année dernière, j'ai regardé le film Le marchand de Venise. J'en ai retenu que Shylock disait : I want my pound of flesh. Le projet de loi C-26 leur donne justement leur « pound of flesh ».
Le sénateur Goldstein : La situation est un peu plus compliquée. Je ne veux pas entrer dans le débat sur Shakespeare, ni au sujet du terme « shylock ». Ce thème pourra faire l'objet d'une discussion en privé. Vous comprendrez que mon optique diffère de la vôtre sur ce point.
Vous n'avez pas répondu, cependant, à la question. Faire une étude sur le crédit n'ajoutera pas grand-chose.
Si ces gens qui utilisent les « payloans » ont des cartes de crédit et les utilisent au maximum, c'est également une forme de crédit. C'est également une forme d'emprunt en marchandise et non pas nécessairement en argent. Cela ouvrirait toute une série de questions pour ce qui est de la protection du consommateur, et ce n'est pas de ressort du fédéral mais du provincial.
Mme Plamondon : Lors du témoignage des représentants de l'Association des banquiers canadiens l'année dernière ils disaient que le taux demandé pour une marge de crédit était loin d'être le taux de crédit demandé par les « payday loans ».
Pour recevoir un prêt sur salaire, il faut que vous ayez un salaire, il faut que vous ayez aussi un compte en banque, donc il suffirait de demander une marche de crédit qui va avec votre compte en banque pour pouvoir utiliser votre marge de crédit en attendant que vous ayez votre paie. La marge de crédit existe pour cela. Il faudrait peut-être, en coopération avec les banques, que mêmes ceux qui ont un petit salaire, puissent avoir une marge de crédit qui serait minime, peut-être de 200 ou 300 $, et quand un imprévu survient avant la fin du mois, avant la paie, les gens pourraient avoir accès à leur marge de crédit et ne pas avoir à aller vers les compagnies de prêts sur salaire. C'est ce que l'Association des banquiers était venue vous dire. Et d'habitude je ne suis pas de ceux qui défendent l'Association des banquiers canadiens.
[Traduction]
Le sénateur Eyton : Je vous remercie d'être venue aujourd'hui. Je vous prie de m'excuser d'être arrivé en retard. J'ai manqué votre déclaration préliminaire, mais je crois avoir une idée générale de ce que vous avez dit.
N'avez-vous aucune sympathie pour ce secteur, ne voulez-vous pas lui accorder de soutien alors qu'il s'est développé si rapidement qu'aujourd'hui il dessert plus de un million de Canadiens et, bien que nous ne soyons pas sûrs du chiffre, distribue environ 2 à 3 milliards de dollars? Tout cela en l'espace de quelques années. Cela semble indiquer que c'est un secteur flexible qui s'est développé en très peu de temps, ce qui serait difficile pour beaucoup d'institutions. Ce secteur a été bien accueilli par les Canadiens qui s'en sont servis pour faire usage du crédit qui leur est accordé.
J'ai du mal à croire, comme vous le dites, que le secteur ne devrait pas exister ou qu'il devrait être interdit d'affaires. Il faut dire que dans le contexte économique, la limite du taux d'intérêt est de 60 p. 100. Appliqué à, par exemple, un prêt de 100 $ pour deux semaines, cela fera un coût total de 2,50 $. Ce qui équivaut à interdire ce genre de transaction, afin que les gens ne puissent pas emprunter 100 $ pour deux semaines et les 2,50 $ ne couvriront pas les frais d'administration de cette transaction.
Nous savons tous aujourd'hui qu'il faut payer entre 3 $ et 3,50 $ environ pour envoyer une lettre par la poste. Si j'avais besoin d'argent pendant deux semaines, payer des frais de 5 $, soit 120 p. 100 d'intérêt, me semblerait assez juste. Par conséquent, j'ai du mal à accepter les critiques que vous émettez à l'encontre de toute l'industrie, une industrie qui répond à la demande de tous les citoyens.
Mme Plamondon : Si j'accepte votre raisonnement, vous permettez ainsi — quel que soit le besoin — qu'une personne puisse demander jusqu'à 1 500 $. Si vous demandez 1 500 $, pourquoi ne pas demander alors 2 000 ou 10 000 $? S'il n'est pas illégal d'emprunter 1 500 $, pourquoi le serait-ce d'emprunter plus? Où est la limite?
Je pense que c'est un mauvais message à envoyer aux Canadiens. En tant que personnes du gouvernement et de personnes qui se soucient de ces questions, nous devrions rechercher des solutions qui aideraient ceux qui doivent emprunter 100 $ en attendant le versement de leur salaire. C'est envers eux qu'il faut avoir de la compassion, pas envers l'industrie. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à une étude sur le micro-crédit qui se pencherait en particulier sur les gens à faible revenu. C'est ce que je préférerais. À mon avis, ce projet de loi est prématuré.
Le sénateur Eyton : Je vous ai peut-être mal compris, mais le micro-crédit nous vient de pays moins développés. Généralement, cela implique des cercles d'emprunt pour une entreprise particulière à court terme.
Mme Plamondon : Quelques expériences ont aussi été faites au Québec. Les Caisses populaires ont distribué un certain montant d'argent à des groupes à but non lucratif, qu'ils ne peuvent utiliser que pour des prêts sans intérêt ou à taux d'intérêts très bas, pour les nécessiteux.
C'est de cela dont je parlais en mentionnant la coopération avec les banques. Je ne voulais pas dire que quelqu'un aille dans une banque pour dire : « Je veux 100 $ et après je vous donnerai un dollar ». Je voulais dire qu'ils consultent un expert qui les aiderait à faire un budget, des économies, à les remettre sur pied au lieu de leur dire : « Vous avez l'industrie de prêt sur salaire, pourquoi ne pas y aller et payer 1 000 p. 100 d'intérêt? »
Le sénateur Eyton : Nous avons toutes sortes de programmes pour les gens qui sont sans le sou et qui ont du mal à joindre les deux bouts. Notre système d'imposition est conçu pour aider aussi ces gens. J'arrête de poser ce genre de questions.
Ce que nous avons devant nous est le résultat de plusieurs années de discussions. Vous avez parlé d'une étude. Il y a quatre ou cinq ans que le gouvernement fédéral, nos représentants et les provinces, à l'exception du Québec je suppose, discutent avec des intervenants de l'industrie. Le projet de loi est conforme à la Constitution ou aux dispositions habilitantes. Des réunions se sont tenues, il en est ressorti ce type de déclaration : « Nous savons quel est le problème. Nous avons une solution qui permettra l'imposition d'exigences par les autorités locales ». Cette solution préconise que la province elle-même prenne des mesures pour protéger les emprunteurs et limiter le coût de ces prêts.
Il est difficile de critiquer un processus qui dure depuis si longtemps et dans lequel sont impliquées beaucoup de personnes compétentes et réfléchies qui ont proposé un projet qui permettra à la Colombie-Britannique, à la Nouvelle- Écosse ou au Manitoba d'imposer des limites appropriées surtout au coût des prêts et la façon dont ils sont administrés. Par conséquent, une étude de plus ne semble pas nécessaire. J'estime que beaucoup de travail a été fait, que l'on a abouti à une solution et que nous pouvons aller de l'avant.
Mme Plamondon : Le message du projet de loi C-26 est que le Québec n'a pas la bonne solution. En même temps, les personnes à l'autre endroit disent que nous devrions étudier l'expérience du Québec. Cependant, le Québec a décidé que quiconque veut faire payer des intérêts supérieurs à 35 p. 100 n'obtiendra pas de licence. Comment cela est-il perçu comme un exemple? Vous vous demandez de quelle façon le projet de loi C-26 pourrait donner une autorisation aux autres provinces. En même temps, vous dites : « Voyez ce que fait le Québec et faites de même ». Ce qui est contradictoire.
Le sénateur Eyton : Peu importe l'interprétation, je ne suis pas sûr que je prendrai l'exemple du Québec. Il se peut que le système fonctionne dans cette province, mais je peux vous assurer qu'il y a d'énormes subventions. Quelqu'un paie pour tout cela; ce n'est peut-être pas l'emprunteur, mais quelque part vous, d'autres personnes et moi payons pour cela. Je ne suis pas sûr que cet exemple soit le bon.
Finalement, les activités de ce genre doivent avoir une raison et un système commerciaux. Sans cela, on ne sait pas où cela mène. Quand faut-il arrêter de verser des subventions? Quand faut-il arrêter les programmes à l'intention des petits emprunteurs?
Mme Plamondon : Le Québec et le gouvernement fédéral ne versent aucune subvention particulière. Les groupes de pression ont dû être très actifs. Je me souviens qu'il y avait plus de 20 lobbyistes pour le projet de loi S-19. Je pense que les groupes de pression ont eu le dessus.
Le président : J'ai deux autres sénateurs qui ont été très patients. J'ai l'intention d'accorder aux sénateurs six ou sept minutes de plus pour bien examiner les points de vue intéressants et instructifs de l'honorable Madeleine Plamondon sur cette question. Il est important que nous comprenions bien ses points de vue relatifs au projet de loi particulier et aussi ceux des sénateurs.
[Français]
Le sénateur Biron : On peut dire qu'il y a une augmentation du nombre de compagnies de prêt sur salaire parce que le vacuum créé par les banques a fait naître cette possibilité. Il ne fait aucun doute qu'une grande majorité de consommateurs qui font affaire avec ce type de compagnie le font parce qu'ils ont un mauvais dossier de crédit. De leur côté, les compagnies de prêt sur salaire obtiennent de bons rendements en récupérant l'argent qu'ils prêtent. Ce sont des prêteurs de dernier recours.
Lorsque les gens n'ont pas d'autre alternative d'emprunt, ils remboursent à n'importe quelle condition. Plus il y aura de prêteurs sur salaire, moins les banques seront intéressées. Celui qui emprunte à la banque se dit que s'il ne paie pas, il peut toujours recourir aux prêts sur salaire. Et puisqu'il y a toujours un endroit pour emprunter, cela fait augmenter le nombre de compagnies de prêts sur salaire.
Au Québec, la loi limite le taux d'intérêt à 35 p. 100. Il existe également une exemption à l'article 347 du Code criminel qui prévoit une limite de taux à 60 p. 100. Cela limite donc à 60 p. 100 les possibilités que les différentes provinces pourront créer. La limite de taux est-elle à 60 p. 100?
Mme Plamondon : Non, ce n'est pas le cas. C'est pour un montant de 1 500 $ ou moins avec une limite d'un certain nombre de jours. Dans le cas où les provinces prouvent qu'elles offrent une certaine protection, elles peuvent prêter au- delà de 60 p. 100 tout en étant exemptées de l'article 347 du Code criminel.
Le sénateur Biron : Au Québec, quelles sont les institutions qui prêtent à 35 p 100 et moins? Est-ce que ce sont les Caisses populaires?
Mme Plamondon : Lorsqu'on discute de cette façon, on admet qu'il est normal de manquer d'argent avant chaque paye. Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a découvert que le taux d'épargne était à zéro. Et voilà que maintenant on cherche un moyen pour permettre aux gens d'emprunter et payer encore plus de frais d'intérêt. Soyons logiques.
L'article 347 du Code criminel qui prévoit le dépassement de la limite de 60 p 100 s'applique à aux prêts d'une somme inférieure à 1 500 $ payables sur un certain nombre de jours. On prétend que l'article en question offrira une certaine protection, mais la province doit demander au gouvernement fédéral d'approuver.
Puisque la protection du consommateur est de juridiction provinciale, le Québec n'est pas tenu de demander l'autorisation du gouvernement fédéral pour faire quelque chose qui relève de sa juridiction.
Le sénateur Biron : Suite à l'adoption de cette loi, est-ce qu'il y a eu augmentation du nombre de prêts usuraires au Québec?
Mme Plamondon : Non. Le fait est qu'il y aura toujours un marché clandestin, que ce soit l'épicerie, qui exige des frais en changeant un chèque, ou dans les endroits où on retrouve des machine vidéo-poker qui avancent de l'argent.
Il aurait été préférable de baisser ce taux de 60 p. 100 afin que les procureurs généraux des provinces soient plus proactifs. Ce qui arrive, c'est que non seulement on garde le taux de 60 p. 100, mais on permet également aux prêteurs sur salaire de prêter en deça de 60 p. 100 s'ils peuvent prouver qu'ils mettront certaines mesures en place. Je ne suis pas d'accord avec cette disposition.
Le sénateur Biron : Les compagnies qui prêtent sur salaire disent qu'il existe réellement un besoin. Vous dites c'est qu'au Québec, elles opèrent à 35 p. 100 et ça fonctionne quand même?
Mme Plamondon : Ça fonctionne quand même, oui.
Le sénateur Biron : C'est pourquoi je me demandais si on avait remarqué une augmentation des prêts usuraires.
Mme Plamondon : Ce qui est fascinant, c'est que dans les témoignages de la Chambre des communes il est suggéré que les provinces examinent attentivement ce qui se passe au Québec. Cela va à l'encontre des propositions contenues dans le projet de loi C-26.
Le sénateur Biron : Diriez-vous que ce sont surtout les Caisses populaires qui accordent des prêts à 35 p. 100 et moins?
Mme Plamondon : Aujourd'hui, même les étudiants ont accès à une marge de crédit de 300 dollars. Sans vouloir me faire le défenseur des banques ou des caisses populaires, je suis d'accord avec la remarque de l'Association des banquiers selon laquelle un salarié devrait détenir un compte de banque pour bénéficier d'un prêt sur salaire. De cette façon, il serait facile pour lui de se rendre à la banque et demander une marge de crédit et bénéficier d'un taux d'intérêt moins faramineux. Peut-être que de cette façon le taux d'épargne serait au dessus de zéro au Canada.
Le sénateur Biron : C'est ce qui se passe au Québec actuellement?
Mme Plamondon : Oui.
Le sénateur Massicotte : Je remercie l'honorable Madeleine Plamondon de sa présence. Elle sera toujours la bienvenue pour nous éclairer sur des sujets très importants pour les Canadiens et les Canadiennes.
Évidemment, les institutions financières pourraient faire une contribution additionnelle, peut-être de façon plus charitable, pour mieux servir la clientèle des prêteurs sur salaire.
Si on prend l'hypothèse que nous n'existons pas et que nous devons nous fier aux règles du marché typique pour satisfaire cette clientèle, on a un dilemme : Ceux qui offrent ces fonds à court terme supportent des coûts de plus ou moins 18 $ par transaction pour les frais fixes — disons que c'est 12 $ ou 15 $. Généralement, on accepte un taux d'intérêt raisonnable, donc un taux certainement inférieur à 60 p. 100, et le marché peut décider du taux raisonnable s'il y a assez de compétitions dans le secteur.
Acceptez-vous le concept que, au départ, le prêteur doit quand même être payé pour ses frais fixes et, suite à cela, être payé pour les risques encourus? En d'autres mots — et ce n'est probablement pas raisonnable de demander qu'ils encourent ces risques sans contrepartie —, acceptez-vous que le calcul des intérêts devrait se faire séparément du remboursement de frais, si on se fie aux règles du marché?
Mme Plamondon : Non, parce que le paragraphe 347 du Code criminel implique — et la Loi de la protection du consommateur aussi a toute une liste, que j'ai déjà énumérée devant le comité —, tout ce qui comprend l'intérêt. Parce que, pour contourner le 60 p. 100, on rajoute toutes sortes de frais.
Si vous regardez la Loi sur la protection du consommateur au Québec, concernant le crédit, vous avez toute une liste de frais incluant le coût de crédit et le taux de crédit. Je vous ai déjà présenté un contrat au taux de 50,63 p. 100; si vous admettez que prêter à un taux de 50,63 p. 100 répond aux lois du marché et que cela sert les consommateurs, c'est votre problème, mais je pense que consentir un tel prêt tient du domaine de l'exploitation.
Et maintenant, on s'apprête à leur donner la permission d'aller au-delà de 60 p. 100 sous prétexte que l'on va desservir une partie de la population. L'industrie des prêts sur salaire pousse comme des champignons, les banques ont la permission de fermer leurs succursales et les gens, dans certaines régions, se battent pour garder leurs guichets automatiques. Nous devons surveiller attentivement le secteur financier, et c'est votre travail ici, au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, de regarder de quelle façon la population canadienne est desservie.
Le sénateur Massicotte : Je suis très au courant que l'intérêt inclut tous les coûts, même une portion assurance-vie, mais vous savez aussi bien que moi qu'il se peut que sur un prêt de 1 000 $, une somme de 15 $ soit perçue pour une période de deux ou trois jours; même si l'institution ne se fait pas rembourser pour ses frais, cela peut facilement dépasser 60 p. 100. Et l'une des raisons d'être du projet de loi est qu'on va laisser la discrétion aux provinces de faire un calcul qui serait plus équitable pour les deux parties.
Mme Plamondon : Pour une partie !
Le sénateur Massicotte : Et probablement que les banques ne sont pas dans le marché à cause de ce 60 p. 100, parce qu'elles ont peur de se faire dire que leur taux est usuraire car, selon leur manière de calculer, selon le terme du prêt, elles peuvent facilement dépasser le 60 p. 100 même si cela n'est pas payant pour eux. Si on n'a pas d'organismes qui font des prêts de charité, si on n'a pas une autre solution, si on doit se fier au marché actuel, nous avons un problème. Elles ne sont pas dans le marché et c'est probablement parce qu'elles ne voient pas la possibilité de faire un profit raisonnable avec les limitations actuelles. Nous devons trouver une solution à ce sujet et c'est l'une des raisons d'être du projet de loi.
Je comprends bien votre point à savoir pourquoi déléguer cela sans point de référence. On a un problème aujourd'hui. Le statu quo n'est pas rentable ni souhaitable pour personne, ni pour la personne qui fait l'offre ni pour la personne qui demande.
Mme Plamondon : Ce qui m'agace avec ce projet de loi, c'est que les mesures proposées désavantagent le consommateur et avantagent totalement l'industrie. En plus, le montant de 1 500 $ et le nombre de jours ouvrent la porte à élargir cela. Si vous vous souvenez des discussions sur le projet de loi S-19, on avait dit que la limite était de 100 000 $ parce qu'on savait que des financiers, comme vous par exemple, peuvent facilement emprunter un million de dollars dans une banque et rembourser dans les cinq jours suivant. Ils ont leur batterie d'avocats et ils sont là pour faire de l'argent. Les deux parties savent dans quoi ils s'engagent. Tandis que la personne qui va chercher 100 $ trois jours avant la paye pour faire l'épicerie et qui doit en rembourser 130 ne noue pas le même jeu. Votre raisonnement est celui d'un financier et non celui d'un consommateur mal pris.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Je veux bien comprendre la situation au Québec. Les prêts sur salaire ne sont pas autorisés, mais les prêteurs sur gages peuvent demander un intérêt maximal de 35 p. 100. Est-ce bien cela?
Le président : Il n'y a pas de limite.
Mme Plamondon : Il n'est pas dit que les prêts sur salaire sont interdits. Seulement que si vous avez une licence, le taux d'intérêt débiteur ne doit pas être supérieur à 35 p. 100. Ils se sont eux-mêmes éliminés parce qu'ils ne font pas d'argent.
Le sénateur Moore : Est-ce que l'intérêt de 35 p. 100 s'étend sur la période du prêt où est-ce annuellement?
Mme Plamondon : C'est toujours annuellement.
Le président : Je crois comprendre, sénateur, que les prêteurs sur gages ont une licence, mais que les termes relatifs aux crédits sont essentiellement déréglementés.
Mme Plamondon : Je n'ai pas fait d'étude sur les prêteurs sur gages; vous devriez le faire.
Le président : C'est ce que j'ai compris. Je vous laisse réfléchir sur deux points. Premièrement, nous allons examiner prochainement la Loi sur les banques qui est pour le moment au Parlement. Le comité devrait la recevoir dans une semaine environ. Nous espérons vous revoir pour témoigner de vos préoccupations concernant le microfinancement et l'étude, car nous pensons que c'est un point valide. Nous pouvons examiner cela, mais c'est aux banques de se présenter. Nous pouvons exercer une persuasion morale pour les intéresser à cette question qui nous intéresse aussi. Nous nous demandons sérieusement pourquoi les banques n'ont pas pu s'occuper de cet aspect de leurs activités. Nous acceptons ce point de vue.
Pouvez-vous nous donner une idée de l'importance du secteur du prêt déréglementé au Québec?
Mme Plamondon : Je ne sais pas. Je me renseignerai.
Le président : Est-ce que le secteur du prêt déréglementé a fait l'objet d'études au Québec?
Mme Plamondon : Vous voulez dire les prêteurs sur gages?
Le président : Les prêteurs sur gages ne sont pas soumis à une réglementation. D'après ce que m'ont dit les sénateurs, le prêt d'argent au marché noir peut se faire de plusieurs façons. Avez-vous une idée de l'importance de ce marché au Québec?
Mme Plamondon : Non. C'est une bonne question. Je ne pense pas que ce soit plus important que le secteur du prêt sur salaire ici. Ils sont partout.
Le président : Le marché noir ne se fait pas au grand jour. Pour revenir à ce qu'a dit le sénateur Eyton, il y a assurément une demande pour ce genre de service.
Mme Plamondon : Cela veut-il dire qu'il n'y a pas de prêteurs sur gages à l'extérieur du Québec?
Le président : Bien sûr qu'il y en a.
Mme Plamondon : Il faut aussi voir ce qu'il y a dans les autres provinces. Pour pouvoir demander un prêt sur salaire, il faut avoir un emploi et un compte en banque.
Le président : Nous le savons. Nous essayons d'examiner la question sous tous les angles. S'il s'agit de grand secteur qui n'a pas été desservi, il est important de le savoir. Si aucune étude n'a été faite, nous devons en tenir compte. Je vous remercie d'être venue. Nous vous inviterons à revenir pour notre examen sur les banques.
Mme Plamondon : J'aimerais recevoir de la documentation.
Le président : Nous ferons en sorte que vous la recevez. Nous vous remercions pour vos efforts visant à protéger les consommateurs.
Nous accueillons M. Norman Ayoub et M. Robert A. Whitelaw. Si vous essayez de raccourcir votre déclaration préliminaire, cela permettra aux sénateurs d'avoir plus de temps pour vous poser des questions.
Norman Ayoub, premier vice-président, chef de l'exploitation, Caisse Alterna : Nous remercions les honorables sénateurs de nous donner l'occasion de parler aujourd'hui. Caisse Alterna est heureuse d'avoir l'occasion de se prononcer sur cette question particulière. Je suis accompagné de M. Robert A. Whitelaw, directeur, Projet de prêts de dépannage, qui pourra répondre aux éventuelles questions techniques sur les activités de Alterna. Je suis aussi accompagné de représentants de nos services des produits et de la fixation des prix. Nous avons étudié sérieusement cette question afin de pouvoir donner une réponse, en particulier à nos membres.
Nous avons surveillé de près la croissance des exigences relatives aux prêts à court terme dans nos propres opérations à la Caisse Alterna. Nous avons quelques solutions, mais certainement pas de solution à long terme, et c'est la raison pour laquelle, au mois de mai 2006, nous avons lancé un projet particulier. Nous avons découvert, suite à ce lancement, plusieurs raisons pour lesquelles nos membres utilisaient ce système et avons essayé d'inclure ces raisons dans l'exposé.
Nous essayons de déterminer aujourd'hui si nous pouvons ou non offrir des prêts sans garantie et à des frais raisonnables à nos membres et à ceux qui ont besoin de prêts à court terme jusqu'à ce qu'ils reçoivent leur salaire ou leur chèque de pension. Le projet comporte trois phases, dans la première nous avons fait une analyse de rentabilisation. Puisque nous sommes dans les affaires, il faut qu'il y ait un profit, mais aussi une possibilité que la caisse populaire joue son rôle, tel que nous le concevons, au pays. C'est-à-dire s'assurer, de manière générale, que les collectivités que nous servons aient accès aux services financiers.
Nous savons que le projet de loi C-26 prévoit une réglementation. Même si nous n'allons pas participer directement à l'établissement des frais, il nous semble logique de nous préparer à l'aboutissement du processus.
Le projet a été extrêmement bien reçu. Nous avons reçu des encouragements de la part du gouvernement, de groupes de défense des consommateurs, d'autres caisses populaires dans notre système et des médias. Cependant, nous avons l'impression d'être les seuls à faire cette analyse particulière pour le moment. Nous n'avons jamais voulu être un leader, nous ne voulons pas aussi être à la suite. De ce point de vue, nous avons beaucoup appris et nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions.
J'espère que vous avez lu l'exposé. Je vous le distribuerai afin de gagner du temps.
Le sénateur Angus : Nous avons discuté entre nous. Si je comprends bien, le secteur que vous représentez est légèrement différent de celui du prêt sur salaire. N'est-ce pas?
M. Ayoub : Nous représentons le système des caisses populaires.
Le sénateur Angus : Pouvez-vous nous donner une idée de l'importance des prêts dans votre organisation, par exemple?
M. Ayoub : Notre organisation a un chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars avec des centaines de millions de dollars pour les prêts; en grande partie, elle fait concurrence aux grandes banques dans tout le pays. Il est question d'un système qui a environ 90 milliards de dollars d'actifs administrés et qui est considérablement bien établi dans les petites collectivités partout au pays. En ce qui nous concerne, nous avons 24 succursales; principalement à Toronto et dans la région d'Ottawa, mais nous sommes à Pembroke, à Kingston et à la North Bay et nous desservons directement ces collectivités.
Le sénateur Angus : Est-ce que le projet que vous avez décrit vise à combler la même lacune que le secteur du prêt sur salaire essaie lui aussi de combler?
M. Ayoub : Nous avons découvert que 10 à 15 p. 100 de nos membres font des emprunts à court terme ou ce que nous appelons des prêts de dépannage. Ils en ont besoin pour une semaine ou deux en attendant leur chèque de paye. Évidemment, nous avons affaire avec beaucoup de pensionnés. Les pensionnés sont dans la même situation.
Plusieurs de nos services s'occupaient de cette question. Nous avons un plan qui permet de sauter un paiement, c'est- à-dire que les gens peuvent littéralement sauter un remboursement d'emprunt pendant une période d'une, de deux, de trois semaines ou d'un mois si le prêt est remboursable mensuellement. Nous avons découvert qu'ils utilisaient ce plan et que dans beaucoup de cas, ils utilisaient les services de prêt sur salaire. Par conséquent, nous avons recruté M. Whitelaw afin qu'il étudie ce secteur et détermine si nous pouvions offrir ce type de services, d'abord à nos membres.
Le sénateur Angus : Pensez-vous que le projet de loi C-26 soit acceptable? Devrait-il être adopté?
M. Ayoub : Votre question est directe. Il nous est difficile d'y répondre directement. Cependant, nous serons heureux de comparaître de nouveau avec d'autres commentaires sur ce projet de loi particulier, à moins que mon collègue, M. Whitelaw, a quelque chose à dire.
Robert A. Whitelaw, directeur, Projet de prêts de dépannage, Caisse Alterna : Le projet de loi nous intéresse, le Sénat l'examine. Nous avons accepté votre invitation à comparaître ici. Mis à part le projet de loi, nous envisageons un prolongement d'un prêt comportant plusieurs parties. Il est simple et pratique pour nos membres; il y a un degré de tolérance du risque; son prix a été établi raisonnablement et c'est un produit qui permet de mettre fin au cycle. Ce produit comprend un programme d'épargne forcée efficace qui est aussi important, à notre avis.
Ce produit va de pair avec le projet de loi, mais il est très connu du public maintenant que les Canadiens font de plus en plus des prêts à court terme. C'est la raison pour laquelle Alterna a un peu pris les devants en disant que nous, parmi les banques et les institutions financières, devrions examiner cette situation. Je me souviens que lors de ma comparution ici il y a environ un an et demi les sénateurs m'ont demandé pourquoi les caisses populaires et les banques n'offraient pas ce service.
Le sénateur Angus : Je suppose que pour faire ce que vous faites, réaliser ce projet et travailler parallèlement, vous n'avez pas besoin du projet de loi. Il est tout à fait légal de faire ce que vous faites maintenant.
M. Ayoub : Oui, tout à fait.
Le sénateur Meighen : Monsieur Whitelaw, je me souviens que la question et la réponse, du moins en ce qui concerne les banques, était que les emprunts axés sur les risques, autrement dit, les emprunts qui tiennent compte des risques, placent les banques, quoique dans un domaine juridique de charges d'intérêts, en position de subir des critiques de la part de la population en raison des frais trop élevés qu'elles demandent. Elles ont jugé qu'il ne valait pas la peine de subir des critiques et de faire des efforts à cette fin.
Avez-vous relevé des preuves de cela? Quelle est la réponse aux questions que vous avez posées sur la raison pour laquelle ce service n'est pas fourni?
M. Whitelaw : Pas plus tard qu'hier, j'ai remis la phase un, soit la recherche des faits, à M. Ayoub et au personnel. Vous pourrez maintenant trouver dans certains des éléments qui s'y trouvent des réponses directes à votre question.
M. Ayoub : La procédure relative au traitement du crédit traditionnel mis en place dans les caisses de crédit ou les banques est souvent très coûteuse.
Le sénateur Meighen : Elle est complexe et chère.
M. Ayoub : Si nous devions suivre la procédure traditionnelle, je crois que nous reviendrions ici avec la même réponse que celle qu'obtiendraient les banques aujourd'hui. Pour nous, ce serait tout simplement trop onéreux de suivre la procédure traditionnelle sans imposer des frais pour couvrir nos coûts et faire des bénéfices, pas forcément à un taux d'intérêt de 60 p. 100. Nous envisageons un montant supérieur aux valeurs de prestations actuelles, certainement plus que 9 ou 10 p. 100.
Cependant, si cela est fait, de la façon préconisée par M. Whitelaw simplement et sans trop de recherches, comme le font aujourd'hui les sociétés de prêts sur salaire, ce sera alors peut-être efficient. N'oublions pas qu'il y a 1 300 points de vente et que ce nombre croît. En ce qui concerne le traitement, ils ont mis au point une méthode pour le faire de manière efficace. C'est ce que nous avons étudié.
La première phase comportait des questions telles que : Existe-t-il un marché? En quoi consiste ce marché? À quelle vitesse croît-il? Nos membres en ont-ils besoin aujourd'hui? Car nous les servons d'abord et avant tout. Nous en sommes là pour le moment. Nous étudions nos processus et essayons de trouver une méthode efficace et répondre de manière socialement responsable aux demandes du public qui pourraient profiter à nos membres, pas à nous.
Le sénateur Goldstein : Monsieur Ayoub et monsieur Whitelaw, merci d'être revenus pour nous parler et nous éclairer. J'ai aussi eu le privilège de correspondre avec vous, je suis donc bien placé pour apprécier l'excellent service que vous fournissez à vos membres.
Je suppose que vous réservez vos viabilités à vos seuls membres.
M. Whitelaw : Oui, pour le moment.
Le sénateur Goldstein : Dans ce cas, dans quelle mesure votre modèle peut être utilisé plus généralement afin de permettre à d'autres personnes de faire des emprunts à un coût raisonnable? Votre exposé qui est très bien écrit indique que plus de 8 p. 100 de notre population vivent d'un salaire à l'autre. N'oublions pas que ce segment de la population n'a pas d'actifs lui permettant de créer ou de maintenir les crédits. Cette population ne dispose que d'un seul actif, ses gains futurs.
Pendant de nombreuses années, ce segment de la population a hypothéqué et cédé ses gains pour pouvoir emprunter. La Loi sur la faillite et l'insolvabilité a finalement mis fin à cela; cela ne s'applique pas en cas de faillite. Selon vous, quelle méthode pourrait être mise à la disposition des institutions plus traditionnelles pour les inciter à opérer dans ce secteur, une méthode exigeant des évaluations et des conservations du risque différentes auxquelles ces institutions ne participent pas? Autrement dit, si les prochains amendements à la Loi sur les banques prévoyaient qu'elles devaient fournir ce genre de service, seraient-elles en mesure de le faire? C'est-à-dire, si elles imposent des frais plus élevés, ce qu'elles devront faire, diront-elles en réponse aux critiques du public, que cette augmentation des coûts aura soulevées, qu'elles ne font qu'exécuter le mandat qui leur est imposé par le peuple canadien en demandant des frais conformes à la loi?
M. Ayoub : Vous avez raison de dire que nous sommes en position de développer un modèle que les autres pourront utiliser. C'est certainement notre intention, tout d'abord pour nos membres, mais plus tard, si nous réalisons des profits, d'autres institutions suivront.
Nous procurons des micro-prêts depuis de nombreuses années. En règle générale, le système des caisses de crédit au Canada a considéré ce service comme une obligation, en quelque sorte rendre quelque chose à la collectivité. Notre expérience dans ce domaine, bien que les prêts soient très petits, a été très bonne. Nos taux d'intérêt ne sont pas bas; ils se situent autour de 15, 16 ou 18 p. 100 selon la proposition du particulier empruntant de l'argent. Nous avons appris que nous pouvions aider non seulement des Canadiens, mais aussi des immigrants débarquant au Canada pour ouvrir des petites entreprises. Si nous pouvons fournir avec succès certains services, nous pensons alors pouvoir mettre au point un modèle pour offrir à nos membres d'autres services tels que les prêts sur salaire à court terme ou les prêts d'un chèque à l'autre ou comme nous préférons les appeler les prêts de dépannage.
Le sénateur Goldstein : Avez-vous calculé ce que vous coûtera le modèle de micro-prêt?
M. Ayoub : Je laisse à M. Whitelaw le soin de vous répondre parce qu'il connaît mieux la question. Je crois que la réponse est oui.
M. Whitelaw : Nous avons développé 15 modèles et avons évalué leurs coûts. Cinq de ces modèles sont entièrement conformes aux lois fédérales-provinciales-territoriales en vigueur au Canada aujourd'hui. Les autres éléments anticipaient la situation que pourrait créer le projet de loi C-26 et ont prévu un dollar par facturation du coût de 100 $. Chaque modèle a fait l'objet d'une analyse en se basant, premièrement, sur le coût d'obtention de l'argent; deuxièmement, sur le coût d'acheminement de l'argent et troisièmement sur le taux de rendement ou le rendement sur le bénéfice net que les caisses de crédit ou les banques considèrent comme des sommes socialement responsables à utiliser. Le quatrième élément concerne des versements dans un compte d'épargne incitatif afin de briser le cycle. À un certain moment, le membre aura 200, 300 ou 100 $ lui permettant de passer à des produits plus traditionnels.
Voilà les modèles que nous avons élaborés l'an dernier en prévision du changement et en réponse aux lois fédérales- provinciales-territoriales du Canada en matière de consommation.
Le sénateur Goldstein : Savez-vous ce que coûtent ces modèles?
M. Whitelaw : Au plan de l'évaluation commerciale, cela fait partie d'une analyse complétée à la phase un et en cours de révision chez Alterna. Nous savons bien sûr ce que coûtent ces modèles.
Le sénateur Goldstein : Pouvez-vous nous les communiquer? Je ne veux pas vous mettre sur la sellette. Je sais qu'il y a eu une propriété exclusive, mais j'estime qu'il serait important que nous sachions, grossièrement, ce qu'il vous en coûte, tout en tenant compte du fait que votre situation et votre personnel sont uniques, par définition, et qu'ils sont bien employés dans votre caisse de crédit.
M. Whitelaw : Il faut passer par une étape. Le processus relatif à un prêt dans une institution financière traditionnelle prend de deux à trois heures, coûte de 200 à 300 $, il faut compter le temps consacré par le personnel, la technologie de l'information, TI, le temps. Nous devons mettre au point un processus simple et pratique et évaluer son coût à partir de ces critères.
M. Ayoub : Si nous devions examiner les coûts traditionnels comme le feraient les banques, nous ne pourrions certainement pas être aussi efficaces qu'elles. Nous ne sommes simplement pas aussi grands. Nous essayons de le faire à notre manière en pensant : « Cessons de considérer cette question comme le feraient les banquiers traditionnels. Commençons à zéro en tenant compte des exigences de nos membres ». Je dis « nos membres » car nous les servons d'abord et avant tout; je ne suis pas sûr que nous soyons en mesure d'offrir ce service au grand public.
Le sénateur Goldstein : C'est très intéressant, monsieur Ayoub. Merci. Il se pourrait que je revienne là-dessus avec vous dans un autre contexte.
Le sénateur Eyton : Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur la Caisse Alterna? Il semble que vos antécédents et le soutien soient liés aux caisses de crédit. Vos membres peuvent ne pas faire partie de la même classe que celle du citoyen ordinaire qui veut emprunter 100 $. Il faut avoir un certain passé et quelques connaissances. Comment devient-on membre de la Caisse Alterna? Je suppose qu'il y a une catégorie précise de particuliers.
M. Ayoub : Monsieur le sénateur, nos origines sont solidement ancrées ici à Ottawa en ce qui concerne l'ancienne Civil Service Credit Union qui est l'un des membres fondateurs de la Caisse Alterna.
Nous avons environ 100 000 membres ici, des personnes qui travaillaient ou qui travaillent à la fonction publique. Metro Credit Union de Toronto est l'autre associé fondateur de la Caisse Alterna. Ces deux organisations ont fusionné il y a un peu plus de deux ans pour former la Caisse Alterna. Elle a été créée principalement dans les universités, les collèges et les commissions scolaires de Toronto suite à la fusion d'un certain nombre d'autres petites caisses de crédit au cours des ans.
Tout résident de l'Ontario peut devenir membre. Tout résident de l'Ontario peut entrer dans n'importe quelle succursale de la Caisse Alterna et devenir membre de cette caisse de crédit.
Le sénateur Eyton : Je suppose, de manière générale, que c'est un groupe de personnes assez bien défini. Il peut y avoir des personnes qui se présentent spontanément. Vous avez mentionné environ 100 000 employés à Ottawa. Vous devez avoir un historique.
M. Ayoub : Nous en avons un, mais ce moule a été brisé il y a plusieurs années quand nous avons ouvert nos portes au grand public au lieu d'être une caisse de crédit fermée. Aujourd'hui, je dirais qu'un certain nombre de nos membres, qui n'ont rien à voir avec nos anciennes organisations, ne faisaient pas partie de la caisse de crédit.
Le sénateur Eyton : Si je le voulais, pourrais-je entrer dans une succursale de la Caisse Alterna et emprunter de l'argent?
M. Ayoub : Oui. Vous y trouverez une demande.
Le sénateur Eyton : Vous avez mentionné le fait d'examiner cette occasion peut-être dans le contexte du projet de loi C-26. Je m'y perds un peu. Vous avez mentionné ce que vous appelez le micro-crédit, ce qui veut dire je crois des petits prêts accordés aux membres. Je suppose que vous faites cela depuis plusieurs années.
M. Ayoub : Oui.
Le sénateur Eyton : Ce dont nous parlons fait référence à ce que vous qualifiez dans votre documentation de prêts de dépannage. Ce n'est pas la même chose que les petits prêts que vous administrez depuis quelques années. N'est-ce pas?
M. Ayoub : Oui.
Le sénateur Eyton : Le projet de loi C-26 fait mention d'un montant de 1 500 $ ou moins pour une durée n'excédant pas 62 jours. Y a-t-il un moment de rupture entre votre ancienne façon de traiter avec les membres et cette nouvelle initiative que vous appelez « prêts de dépannage »?
M. Ayoub : Vous avez bien défini la différence entre le micro-crédit qui s'applique généralement à des durées dépassant 62 jours. Nous parlons de petits prêts — 750, 1 000, 1 500 $ — accordés à des organisations ou des petites sociétés qui démarrent. Le recouvrement se ferait sur une certaine période. Ces prêts sont plus traditionnels à l'exception des prêts très petits et moins réglementés, à notre avis, au niveau de l'évaluation des risques.
Le président : Vous avez entendu les témoins précédents se prononcer sur ce point. Il y a une différence en ce qui concerne le micro-crédit, parce que ce que je comprends du micro-crédit, c'est ce que vous venez de décrire : le micro- crédit aux petites entreprises pendant un certain temps afin de leur permettre de s'établir. La définition que donne Mme Plamondon du micro-crédit concerne les petits prêts pour des courtes périodes. C'est un micro-crédit différent.
M. Ayoub : Tout à fait. Nous parlons, tout comme le sénateur Eyton, d'un petit prêt de 500 ou de 1000 $, par exemple, pour une période de deux semaines ou jusqu'à ce que le chèque de paye ou de pension arrive. Cette période pourrait être de deux semaines; elle pourrait être de 30 jours. De façon générale, la période de récupération est limitée à un délai aussi court que cela.
Le sénateur Eyton : Avez-vous un programme pour mettre ce projet en œuvre maintenant dans le cadre de l'étude ou est-ce quelque chose que vous examinez?
M. Ayoub : C'est notre prochaine étape. Nous le mettrions vraisemblablement à l'essai, de même que nos modèles, que M. Whitelaw a décrits.
Le sénateur Eyton : Vous ne les avez pas encore mis en pratique?
M. Ayoub : Non, pas encore.
Le sénateur Eyton : Votre description en quatre points du projet de prêts de dépannage a retenu mon attention. Le premier point était simple et pratique, et nous en sommes ravis, et expliquait pourquoi cette industrie a connu un essor aussi rapide dans tout le pays. Vous avez parlé d'une initiative qui briserait le cycle, avec laquelle nous sommes tous d'accord. Engendrer au Canada des économies, peu importe de quel ordre, est toute une réalisation.
Ensuite, vous avez évoqué deux autres facteurs. L'un était un prêt à risque. Je comprends bien cela. Pour moi, le prêt à risque signifie généralement des termes plus contraignants et des taux plus élevés. Vous l'avez combiné au prêt socialement responsable. Il me semble qu'avec ces deux facteurs, vous êtes devant une énigme.
Que voulez-vous dire? Je crois que vous avez parlé de termes ou de limites responsables pour ce genre d'activité. « Socialement responsable » est l'expression que j'ai entendue. Comment la définissez-vous? Quelles sont vos limites?
M. Whitelaw : Au chapitre de la tolérance au risque, tout d'abord, ce sont là nos membres actuels ou potentiels, alors nous les connaissons déjà. Leur chèque de paie est déposé à la caisse de crédit, où ils ont leur compte de chèques. Dans le cadre de nos études auprès d'autres caisses de crédit établies aux États-Unis qui offrent un produit semblable, nous avons découvert que leur risque était minime. Bien entendu, notre personnel de service de gestion des risques veut s'assurer que tout programme ait un certain degré de tolérance au risque. C'est minime, d'autant plus que nous n'aurions pas besoin d'effectuer une vérification de la solvabilité pour ce programme. Leur cote Beacon ou leur indice de faillite ne serait pas calculée dans le risque. Voilà ce qu'est la tolérance au risque. Le coût socialement responsable est que nous examinons les critères pour prêter le montant au particulier et reconnaissons que l'établissement des coûts soulève de l'intérêt au Canada à tous les échelons, y compris chez le gouvernement, les groupes de protection du consommateur, les médias et les consommateurs.
Pour ce qui est du fonctionnement des caisses de crédit, Alterna veut veiller à ce que les coûts soient établis en tenant compte du loyer de l'argent, des coûts d'administration et de la valeur ajoutée. Nous avons alors la structure de fixation des prix.
En ce qui concerne les questions de responsabilité sociale, il s'agit d'un prolongement aux prêts courants offerts aux Canadiens qui n'ont peut-être pas de comptes d'épargne pour les temps difficiles; qui ont quand même d'autres ressources, mais n'ont pas accès à des fonds dans l'immédiat. Si ces particuliers viennent nous voir et demandent 500 $, nous n'avons pas de mécanisme en place pour l'instant pour répondre à leurs besoins. Nous nous penchons sur la question pour voir à ces besoins. Comme M. Ayoub l'a signalé, nous avons cerné les besoins tant des particuliers qui travaillent que de ceux qui reçoivent un chèque de pension tous les mois. Nous croyons qu'il est très important de répondre à nos membres et plus tard à de nouveaux membres en instaurant ce type de programme.
Le sénateur Moore : J'aimerais donner suite à quelques-unes des questions posées par le sénateur Eyton concernant l'adhésion. Vous avez dit que tout résident de l'Ontario peut participer. Cette politique est-elle comprise dans votre acte constitutif ou dans la loi? Pourquoi l'adhésion se limite-t-elle à l'Ontario?
M. Ayoub : C'est notre politique à l'heure actuelle. Tous les résidents de l'Ontario sont admissibles. Bien entendu, comme vous le savez, les caisses de crédit sont réglementées par les provinces, c'est pourquoi nous sommes limités aux résidents de l'Ontario.
Le sénateur Moore : Vous avez mentionné que vous comptez près de 100 000 membres à Ottawa. Vous avez également signalé que vous aviez des membres à Toronto et 24 succursales. Combien comptez-vous de membres au total et combien d'entre eux sont à Toronto?
M. Ayoub : Nous avons en tout 150 000 membres, dont les deux tiers sont à Ottawa.
Le sénateur Moore : Vous avez donc 50 000 membres à Toronto?
M. Ayoub : Oui, à peu près.
Le sénateur Moore : Vous avez mentionné d'autres succursales, mais vous avez en tout 150 000 membres.
M. Ayoub : C'est exact. Nous avons des succursales à Pembroke, à North Bay et à Kingston.
Le sénateur Moore : Pour participer à l'un de vos programmes de prêts actuels ou à votre projet de prêts de dépannage, il faut être membre.
M. Ayoub : Oui, il faut être membre d'une caisse de crédit.
Le président : Je vous remercie infiniment pour votre témoignage. Nous allons poursuivre avec les témoignages d'aujourd'hui. Nous entendrons d'autres témoins après notre période de congé dans quelques semaines. Cela vous laisserait deux semaines pour nous remettre par écrit vos observations sur le projet de loi, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Si nous avons des questions, notre personnel communiquera avec vous. Nous sommes très satisfaits du travail que vous faites. Nous croyons que vous tentez de pallier de façon responsable une lacune dans les services dont la population a manifestement besoin.
Nous sommes très au fait des études auxquelles vous avez fait référence, dont une qui a été menée par Environics Research Group Limited, un groupe de recherche digne de confiance. L'étude qu'il a réalisée en 2006 a révélé que 10 p. 100 des Canadiens éprouveraient des difficultés financières si leur chèque de paie était retardé de deux jours seulement, ce qui est évidemment l'une des sources du problème relativement à la satisfaction de ce besoin.
Vous avez ensuite ajouté, et je reviens à l'argument du sénateur Goldstein, qu'une étude réalisée en août 2006 par le Strategic Solutions Group — un groupe bien établi et très consciencieux — a montré que 8,1 p. 100 de la population canadienne vit d'une paie à l'autre.
Ces chiffres sont accablants et témoignent d'une lacune dans notre économie que nous devons combler de façon responsable. Nous nous attaquons à la question pour trouver un moyen de régler le problème de façon responsable. Je vous assure que notre comité et notre personnel se pencheront sur tout ce que vous avez à dire. Nous vous remercions beaucoup du sens de l'initiative dont vous avez fait preuve en préparant ces modèles. Vous essayez de combler un vide dans notre économie pour venir en aide aux gens qui ont peine à joindre les deux bouts entre deux chèques de paie. Nous essayons aussi de trouver une solution qui réglera le problème. Je demande aux prochains témoins à comparaître immédiatement.
Nous continuons notre étude du projet de loi C-26, qui porte sur les taux d'intérêt criminels. Nous souhaitons la bienvenue à M. Keyes et à M. Bishop, deux représentants de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire (ACPS). J'aimerais accueillir plus particulièrement un vieil ami et collègue, M. Keyes, un membre et un ami de longue date, un brillant chef de file au Parlement quand il y siégeait et qui, maintenant, assure un rôle de dirigeant dans le secteur privé.
Je m'excuse du retard pour votre témoignage. Vous comprendrez que nous manquons de temps. J'espère que votre déclaration liminaire sera très brève pour laisser amplement de temps aux sénateurs de vous interroger sur cette question.
Stan Keyes, président, Association canadienne des prêteurs sur salaire (ACPS) : Je vous remercie de donner l'occasion à l'Association canadienne des prêteurs sur salaire d'exprimer son opinion sur le projet de loi C-26.
Je suis Stan Keyes, président de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire (ACPS). M. Norm Bishop m'accompagne aujourd'hui. Il est le secrétaire général de l'Association et a déjà témoigné deux fois devant cet auguste comité.
L'ACPS représente 24 compagnies de prêts sur salaire de partout au Canada. Il convient de signaler qu'elles sont dirigées par des entrepreneurs — tous des concurrents — et qu'elles se sont toutes réunies dans l'intérêt commun de réglementer l'industrie des prêts sur salaire. Ensemble, nous réclamons une réglementation.
Non seulement nous représentons les deux plus grandes sociétés — Money Mart et Cash Money — mais aussi 22 des plus petites compagnies de l'industrie. Nous adhérons au Code de déontologie des meilleures pratiques de gestion et nous nous soumettons à des évaluations mystère et à une surveillance menées par un commissaire à l'éthique et à l'intégrité indépendant, qui a le pouvoir d'imposer des amendes pouvant aller jusqu'à 30 000 $ par infraction au code. Nous prenons la réglementation au sérieux.
Cette industrie sert jusqu'à deux millions de personnes par année, ce qui veut dire que près de deux millions de Canadiens ont besoin de petits prêts à court terme. Les provinces veulent réglementer ces services comme elles le font avec de nombreux autres produits financiers. L'ACPS appuie entièrement le projet de loi C-26, dans sa forme actuelle, sans amendement.
Pour donner suite à votre éloquente explication, monsieur le président, le projet de loi C-26 habilite les provinces à réglementer l'industrie, si elles le veulent. Fait également important, le projet de loi C-26 n'oblige aucune des provinces à changer le statu quo. Une province comme le Québec, qui n'autorise pas le prêt sur salaire, pourra maintenir ses politiques car elles ne seront absolument pas touchées par le projet de loi C-26.
Il aura toutefois des répercussions réelles sur le reste des provinces qui ont exprimé la volonté de réglementer cette industrie. Les provinces du Manitoba et de la Nouvelle-Écosse ont déjà légiféré en ce sens et sont prêtes à tenir des audiences publiques pour fixer des taux dès que le projet de loi C-26 sera adopté. Par ailleurs, les provinces de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et de l'Ontario se préparent actuellement en vue d'aller de l'avant avec le projet de loi au printemps, tandis que les provinces de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick visent l'automne.
C'est un dossier important pour les provinces sur lequel elles tiennent des consultations, en collaboration avec Industrie Canada, depuis plus de six ans.
Cette mesure législative comporte trois parties essentielles. Tout d'abord, la clause spéciale dont je viens de parler, qui permet aux provinces qui le désirent de réglementer l'industrie des prêts sur salaire. Pour répondre directement à la question que le sénateur Angus a posée hier, si le projet de loi C-26 n'est pas adopté, l'article 347 du Code criminel reste la loi au pays. Les provinces qui ne veulent pas réglementer de facto demeurent assujetties à l'article 347.
Ensuite, le projet de loi est l'obligation pour toute province qui veut réglementer de mettre en évidence des mesures législatives pour protéger les consommateurs; c'est un élément clé. De cette manière, on s'assure que les règles concernant les prêts sur salaire soient décrites en détail — selon les règles du droit — et qu'il y ait un cadre pour les adopter et les appliquer. Cette partie comportera probablement une interdiction de chevauchement des prêts et d'autres pratiques préjudiciables que l'ACPS et tous ses membres ont proscrit il y a plus de deux ans.
Enfin, le troisième élément indispensable du projet de loi est que les provinces sont tenues de fixer un plafond aux frais que peuvent imposer les prêteurs sur salaire. Cette obligation est d'importance vitale en matière de protection du consommateur.
Quand le projet de loi C-26 deviendra loi, les provinces qui veulent réglementer l'industrie entameront un processus rigoureux et réfléchi pour établir des règlements et fixer des frais maximums. Elles tiendront compte de l'avis d'intervenants, y compris de représentants de l'industrie, de défenseurs des consommateurs et d'experts — notamment des économistes — pour déterminer les mesures de protection du consommateur qui conviennent à leur province.
Certaines provinces, comme le Manitoba et la Nouvelle-Écosse, ont déjà annoncé qu'elles tiendront des audiences publiques, qui réuniront des experts et présenteront de nouvelles études pour aider à fixer un taux maximal assez élevé pour assurer une véritable concurrence sur le marché tout en veillant à ce que les consommateurs soient protégés.
Je voudrais prendre quelques instants pour répondre directement aux préoccupations soulevées par votre prochain témoin, Rentcash Inc. L'entreprise Rentcash Inc. a évoqué une question concernant la concurrence, qui laisse entendre que les provinces ne comprennent pas l'industrie et pourraient involontairement créer des monopoles et acculer des entreprises à la faillite.
L'ACPS se compose de 24 compagnies. J'ai parlé aux propriétaires de chacune d'elles. Ils sont tous en faveur de la réglementation et estiment qu'ils pourront demeurer concurrentiels malgré un plafonnement des frais et une réglementation. Vingt-deux des compagnies sont les plus petites dans l'industrie. Elles dirigent de une à 15 succursales chacune. Si ces petites entreprises croient qu'elles peuvent être concurrentielles malgré un plafonnement des taux, alors les plus grandes entreprises de l'industrie ayant les économies d'échelle les plus élevées peuvent assurément l'être elles aussi. Elles réaliseront peut-être moins de profit, mais elles seront quand même viables.
La réalité est la suivante. Nous avons une concurrence absolument libre à l'heure actuelle sans aucun plafonnement des taux. À quoi le marché ressemble-t-il? La plupart des prêteurs sur salaire demandent un montant de 15 à 25 $ pour un prêt de 100 $, tous frais perçus. Rentcash Inc. demande environ 50 $ pour le même prêt. J'ai remis à la greffière des exemplaires de contrats de prêt, si vous voulez les comparer.
Voici les faits : La plupart des compagnies demandent le taux courant de 35 $ si vous faites un chèque sans provision alors que Rentcash réclame 125 $. Rentcash vous oblige à signer un document dans lequel vous renoncez à votre droit d'inclure votre prêt si vous déclarez faillite. Ils vous font signer un document qui autorise Rentcash à saisir vos biens, y compris votre voiture, si vous ne remboursez pas votre prêt dans les délais. Ils vous font signer un document qui leur donne le droit de communiquer avec votre employeur et de lui réclamer de l'argent si vous avez omis un paiement. C'est exactement ce genre de pratiques que les provinces veulent faire cesser.
Je vous ai remis la transcription d'une enquête-reportage réalisée par CityTV en Alberta qui a découvert que Money Mart demandait 17 $ pour un prêt de 100 $ alors que Cash Money réclamait 20 $ — deux compagnies membres de l'ACPS — et que Rentcash exigeait 52 $ pour un emprunt de 100 $. Voilà ce que donne actuellement une libre concurrence sans plafonnement des taux.
J'invoque ce problème afin que vous, honorables sénateurs, ne soyez pas induits en erreur par de faux arguments bien présentés pour protéger la concurrence sur le marché. L'amendement qu'ils vous proposeront supprimerait l'obligation des provinces de fixer un plafond sur les frais. Nous avons besoin d'un plafonnement, pas pour dénaturer l'industrie ni tuer la concurrence car ce plafond doit être suffisamment élevé pour permettre une concurrence réelle.
Rentcash ne craint pas la concurrence sur le marché ni les monopoles. Elle est préoccupée par les plafonds interdisant de demander 30, 40 ou 50 $ pour un prêt. Le profit prévaut sur la protection du consommateur. Puisque le reste de l'industrie demande de 15 à 25 $, je soutiens que nous devons protéger les consommateurs des sociétés qui les arnaqueront en leur imposant des frais élevés. La raison d'être d'une réglementation de l'industrie est justement de protéger le consommateur.
L'ACPS croit que les consommateurs sont mieux servis par un marché concurrentiel qui laisse place à une libre concurrence. Nous estimons que les provinces comprennent les principes de la concurrence. Les provinces ne veulent pas d'un monopole, mais ne veulent pas non plus que leurs consommateurs se fassent escroquer. Elles sont conscientes des réalités politiques et des politiques publiques entourant les taux.
Je vais citer un passage tiré d'un document de consultation de la province de l'Ontario qui nous a été remis il y a deux semaines. Ils déclarent que leur objectif pour réglementer l'industrie est le suivant :
[...] concevoir une démarche en matière de réglementation qui assure un juste équilibre entre la protection des consommateurs vulnérables et le maintien d'un milieu qui permet aux exploitants d'entreprises responsables de prospérer.
Ils ont compris, honorables sénateurs. Toutes les provinces ont compris.
Le dernier point que j'aimerais aborder aujourd'hui est l'ancien projet de loi du sénateur Plamondon, connu sous le nom de projet de loi S-19. Nous convenons qu'un débat sur le taux d'intérêt maximal au Canada et ses effets sur tous les organismes de crédit à la consommation, y compris les banques, les sociétés de fiducie et les entreprises qui octroient des prêts à la consommation telles que The Brick et Future Shop, doit être envisagé, mais distinctement du projet de loi C-26.
Les objectifs du projet de loi S-19 diffèrent fondamentalement de ceux du projet de loi C-26 à l'heure actuelle. Le projet de loi C-26 porte particulièrement sur l'industrie des prêts sur salaire tandis que le projet de loi S-19 aurait eu une incidence sur toutes les sociétés de crédit à la consommation au pays.
Le projet de loi C-26 prévoit la prise de mesures immédiates et la protection du consommateur par les provinces, alors que les principes du projet de loi S-19 demanderaient plusieurs mois, voire même des années, avant qu'il n'y ait d'autres interventions et débats à ce sujet. Le projet de loi C-26 est bien connu des provinces, qui s'apprêtent d'ailleurs presque toutes à le mettre en œuvre. Il gagne la faveur du public dans la plupart des provinces. Une fois adopté, le projet de loi pourrait assurer une protection véritable aux consommateurs dans les 90 jours suivant son entrée en vigueur dans certaines provinces. C'est une mesure réelle et immédiate qui s'attaque efficacement aux problèmes touchant l'industrie des prêts sur salaire.
Les principes du projet de loi S-19 devront être étudiés davantage pour évaluer toute leur incidence. Par exemple, dans certains cas, des instruments de prêt comme le financement provisoire des banques et des caisses de crédit devraient être complètement révisés.
Je vous demande, honorables sénateurs, de reconnaître la simplicité et l'importance du projet de loi C-26. Il a reçu le soutien des libéraux, des conservateurs et des néo-démocrates à la Chambre des communes. Presque toutes les provinces du pays l'appuient et celles qui ne le préconisent pas ne sont pas tenues de l'appliquer.
C'est une composante fondamentale et importante des mesures législatives relatives à la protection du consommateur, et je vous demande, honorables sénateurs, de l'appuyer. Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant vous sur cette mesure législative de premier plan. Il me tarde de répondre à vos questions.
Le président : Hier, vous avez entendu mes questions et la question du sénateur Angus que nous avons posées aux témoins du gouvernement concernant la position de l'Ontario, la province où vous résidez et que je représente.
Vous avez entendu des témoignages où les représentants de la province de l'Ontario se sont dits préoccupés par ce projet de loi en particulier. Ils ont opté pour une méthode différente. Avez-vous une idée de la position de la province de l'Ontario concernant la politique sous-jacente au projet de loi, auquel elle semble s'opposer?
M. Keyes : Oui, nous connaissons sa position. Il y a quelques semaines, nous avons rencontré des représentants du gouvernement de l'Ontario. Il y a environ un mois, M. Bishop et moi-même nous sommes également entretenus avec le ministre des Services gouvernementaux. Nous sommes constamment en rapport avec eux. M. Bishop pourrait donner quelques précisions sur les points dont nous avons discutés exactement lors de notre rencontre avec le sous-ministre adjoint de l'Ontario.
Chose certaine, ils estiment que même si ce dossier est entre les mains du gouvernement fédéral, ce sont les provinces qui devraient réglementer...
Le président : Ce n'est pas ce qui a été dit, monsieur Keyes. Selon M. Jenkins, qui a témoigné hier, ce qu'il a entendu en dernier est que la province de l'Ontario souhaite que le gouvernement fédéral réglemente les frais imposés sur ces prêts. Avez-vous remarqué un changement d'attitude, d'après les données que vous avez recueillies, ou l'attitude est- elle toujours la même?
Norm Bishop, secrétaire général, Association canadienne des prêteurs sur salaire (ACPS) : Je reviens sur les propos du sénateur Angus concernant ceux qui voudraient avoir le choix. Quand nous avons parlé aux représentants il y a deux semaines, ils nous ont signalé que, si le projet de loi C-26 était adopté, ils entameraient probablement des consultations avec des intervenants de l'industrie et des défenseurs des consommateurs dès ce printemps sur la façon de réglementer l'industrie et les mesures à prendre aux termes du projet de loi C-26.
Ils travaillaient aussi activement à la rédaction de règlements. Ils font savoir qu'ils commencent dès maintenant à divulguer des coûts d'emprunt pour l'industrie des prêts sur salaire en particulier. Ils parlent de placer une affiche de deux pieds et demi sur deux pieds dans le hall d'entrée de chaque prêteur sur salaire qui mettrait clairement en évidence le coût d'emprunt en dollars par prêt de 100 $, tous frais compris. Par conséquent, un consommateur peut voir l'information affichée au mur lorsqu'il entre.
Ils discutent également d'inclure un encadré type de divulgation de renseignements en haut des contrats. Tout porte à croire que la province de l'Ontario est consciente que ce projet de loi sera adopté et attend avec impatience d'adopter la réglementation.
Le sénateur Angus : Monsieur Keyes, c'est avec plaisir que nous vous accueillons de nouveau à Ottawa. C'est bon de vous revoir. Vous avez de longs états de service dans la fonction publique, et j'ai trouvé que votre témoignage était très clair.
Le président a couvert la situation en Ontario. Je pense que vous savez que nous étions préoccupés hier que la province la plus importante au pays, qui compte de très nombreux intervenants dans ce secteur, se retirerait de l'initiative. Par expérience personnelle, vous nous assurez que la province interviendra effectivement si ce projet de loi entre en vigueur.
M. Keyes : C'est exact.
Le sénateur Angus : J'ai deux autres questions à vous poser. Tout d'abord, je crois comprendre que votre association représente 23 compagnies, mais moins de 50 p. 100 des gens de l'industrie.
M. Keyes : Nous représentons 40 p. 100.
Le sénateur Angus : D'accord, mais je ne comprends pas trop pourquoi. Vous avez été très clair dans vos propos, avez des opinions bien arrêtées que vous avez présentées de façon éloquente et avez même montré du doigt l'une des compagnies qui étaient autrefois dans le secteur — un membre de votre association qui n'en fait plus partie à l'heure actuelle. Vous avez utilisé des propos assez durs à l'égard de cette compagnie, Rentcash. Pourriez-vous préciser?
De toute évidence, la question ne fait pas l'unanimité parmi les intervenants de l'industrie. Ai-je raison?
M. Keyes : Vous avez tout à fait raison. Cela me rappelle l'époque où j'ai été pressenti pour combler le poste de président de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire. Au début, j'étais réticent. Nous sommes aux prises avec une idée préconçue de l'industrie; les gens croient qu'ils sont juste une bande d'usuriers qui pratiquent en toute légitimité.
Ce n'est qu'après m'être renseigné sur la question que j'ai vite appris qu'il existe des prêteurs respectés et responsables qui font partie de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire — 24 pour l'instant mais ce nombre va augmenter, puisque de plus en plus de prêteurs soumettent des demandes d'adhésion.
Ce sont ces prêteurs respectés et responsables qui soutiennent que des règles devraient être établies. Nous avons un Code de déontologie des meilleures pratiques de gestion qu'ils doivent respecter. Si nous n'adhérons pas à l'une ou l'autre des clauses du code, nous avons un commissaire à l'éthique et à l'intégrité indépendant, qui arrive à l'improviste deux fois l'an chez environ 15 p. 100 de nos membres pour veiller à ce qu'ils respectent le Code de déontologie des meilleures pratiques de gestion. S'ils n'agissent pas comme il se doit ou dérogent au code, le commissaire à l'éthique et à l'intégrité suit une procédure établie. Le non-respect du code est passible d'amendes pouvant aller jusqu'à 30 000 $ ou à l'expulsion de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire. Ces 40 p. 100 des compagnies de l'industrie doivent se conformer au code.
Pour ce qui est des 60 p. 100 restants, je ne dis pas que ces compagnies n'adhèrent pas toutes au code. Nombre d'entre elles choisissent de ne pas se joindre à une association. Elles préfèrent agir de leur propre chef, avoir leur propre entreprise, mener leurs affaires et bien le faire. Un grand nombre de ces entreprises sont situées dans des secteurs ruraux de nombreuses provinces au pays où, pour tout dire, payer une cotisation ou non a une incidence sur leur bénéfice net et leur revenu. Elles agissent effectivement de façon convenable.
Puis, il y a les compagnies qui sont littéralement la cause de cette idée préconçue de l'industrie selon laquelle tous les prêteurs sur salaire sont mauvais, qu'ils arnaquent le consommateur, et rien ne saurait être plus loin de la vérité. C'est pourquoi j'ai accepté l'emploi. Je crois que nous sommes confrontés au défi de prouver que c'est l'industrie même qui demande d'être réglementée.
Chaque membre que j'ai convoqué dans notre association m'a dit ce qui suit : « Veuillez leur dire que nous sommes prêts à avoir un plafonnement des taux. Nous le respecterons. » Il n'y a pas si longtemps, nous avons même publié un communiqué de presse annonçant des frais de 20 $ sur un prêt de 100 $, ce qui comprend l'intérêt, les coûts administratifs, le capital — tous les coûts combinés. En Ontario, on parle de placer une affiche dans la fenêtre des compagnies pour que les gens sachent ce que leur coûtera un emprunt de 100 $.
Le sénateur Angus : Si je demande ce que votre association recommanderait, compte tenu que le projet de loi C-26 exige qu'un plafonnement soit stipulé dans la loi provinciale adoptée conformément à cette mesure législative habilitante, selon vous, quel plafonnement serait, aujourd'hui, juste, raisonnable et approprié de nos jours?
M. Keyes : Les membres de l'association — tous les propriétaires de compagnies — se sont réunis à Toronto il y a quelques mois. Lorsque je suis arrivé au service de cette association, on m'a prévenu que je ne parviendrais jamais à obtenir l'unanimité parmi les compagnies concernant le taux à imposer pour un prêt de 100 $. Leurs taux oscillent entre 17 $ et un maximum de 26,50 $. Dans cette fourchette, les compagnies ont des modèles de gestion différents et essaient d'octroyer des prêts à court terme à deux millions de clients. Elles travaillent fort à ce qu'elles font.
Après une réunion d'une journée, les membres sont arrivés tous à la même conclusion : nous devons nous attaquer sérieusement à ce problème et montrer aux provinces que nous sommes crédibles.
Le sénateur Angus : Sur quel chiffre vous êtes-vous entendus?
M. Keyes : Un plafond de 20 $ serait approprié. Je nuance ma pensée en disant que si l'industrie prouve à une province que le taux plafond devrait être de 21 ou de 22 $, l'association ne va pas s'acharner à dire « Vous devez rester à 20 $, vous ne pouvez accepter 22 $ ». Si l'on peut démontrer que c'est le montant qui convient pour préserver la concurrence et la viabilité de l'industrie, tout en protégeant le consommateur, alors ce sera le montant à adopter. Cependant, le taux ne peut dépasser 30 $.
Le sénateur Angus : C'est bien. Nous avons recueilli de nombreux témoignages. Vous êtes un homme très intelligent. Je vous ai vu à l'œuvre et j'ai beaucoup de respect pour vous. Les coûts assumés par les grandes sociétés comme la Banque royale du Canada, qui réalisent des économies d'échelle, sont sans contredit moindres que ceux des petites coopératives de crédit. Prenons l'exemple de Money Mart, une importante société publique américaine — et l'un de vos estimés membres —; je suis certain qu'elle peut tirer davantage profit des économies d'échelle qu'un petit acteur. Ne pensez-vous pas?
M. Keyes : Absolument.
Le sénateur Angus : Des 40 p. 100 des prêteurs sur salaire qui sont membres de votre association, y en a-t-il des petits et des grands ou sont-ils tous de la même taille que Money Mart?
M. Keyes : Nous représentons deux grandes compagnies — Money Mart et Cash Money — et 22 petites. Bon nombre d'entre elles n'ont même pas de succursale.
Le sénateur Angus : Parmi celles qui ne sont pas membres de votre association, combien y en a-t-il qui l'ont déjà été par le passé?
M. Keyes : D'après mon expérience jusqu'à maintenant, je pourrais en nommer qu'une seule. Y en a-t-il d'autres, monsieur Bishop?
M. Bishop : Je ne saurais dire. Peut-être deux.
Le sénateur Angus : Il n'y en a donc pas cinq ni dix. Il y aurait donc Rentcash Inc. et peut-être une autre, n'est-ce pas?
M. Keyes : C'est exact.
Le sénateur Angus : Nous sommes préoccupés, et je ne veux pas parler pour tout le monde, par la société Rentcash Inc. — et je cite son nom parce que vous l'avez déjà fait; vous l'avez visée particulièrement. Des représentants de cette compagnie ont déjà comparu devant nous dans le cadre de notre étude sur la protection des consommateurs et nous ont dit qu'ils étaient membres d'une association et qu'ils appuyaient le projet de loi C-26. Ils sont encore ici aujourd'hui et pourront nous en parler davantage.
Avez-vous exclu cette société? S'est-elle vu imposer une amende de 30 000 $? Pourquoi ne fait-elle plus partie de votre association?
M. Keyes : Je n'ai pas pour habitude de révéler le motif du départ d'un membre.
Le sénateur Angus : Rentcash Inc. a-t-elle volontairement quitté votre association?
M. Keyes : Elle est partie de sa propre initiative; elle a tout simplement décidé de ne plus être membre. Votre prochain témoin sera probablement mieux placé que moi pour répondre à cette question.
Le sénateur Angus : Monsieur Keyes, 60 p. 100 des prêteurs sur salaire ne sont pas affiliés à votre association. Comme vous le dites, ils ont leurs raisons, et l'une d'elles pourrait être les frais d'adhésion. Combien cela coûte-t-il pour devenir membre?
M. Keyes : C'est 1 000 $ par année et succursale, payables par versements trimestriels.
Le sénateur Angus : On a soulevé la question de la concurrence, et vous en avez parlé dans votre déclaration préliminaire. J'aimerais en savoir plus à ce sujet parce qu'en vertu de ce projet de loi, les provinces doivent faire la preuve de l'existence de mesures législatives appropriées avant qu'on puisse accorder aux prêteurs sur salaire une exemption de l'application d'un article donné du Code criminel.
Serait-il juste de dire qu'un cadre de réglementation destiné à protéger le consommateur favoriserait la concurrence? Autrement dit, empêcherait-il de limiter la concurrence?
M. Keyes : C'est une bonne question. Je suis allé dans plusieurs provinces — Colombie-Britannique, Alberta, Manitoba, Ontario, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick — et je suis sur le point de me rendre en Saskatchewan. Nous retournons au Nouveau-Brunswick dans une semaine et demie. Dans chacune de ces provinces, nous avons rencontré des élus et des fonctionnaires — ensemble ou séparément — et, pour être franc, que ce soit pour des raisons d'intérêt public ou des motifs purement politiques, je peux vous garantir qu'ils ne resteront pas les bras croisés. Ils sont conscients qu'ils doivent prendre des mesures pour assurer la protection des consommateurs. Fixeront-ils un taux plafond? Chose certaine, ils feront ce que leur dicte le projet de loi.
En outre, ce qui m'encourage, c'est qu'ils comprennent aussi que cette industrie doit être viable et concurrentielle. Autrement, si ce taux est abusif et lèse le consommateur mais, en même temps, maintient la viabilité et la compétitivité de la compagnie, nous nous retrouvons avec un monopole.
Le sénateur Angus : Vous pourriez voir une augmentation.
Le sénateur Moore : Merci à vous deux d'avoir comparu aujourd'hui. Je crois que vous avez en partie répondu à ma question. J'ai été intéressé par vos propos sur le Manitoba et la Nouvelle-Écosse car ce sont deux provinces ayant adopté une mesure législative qui sera exécutoire aussitôt que ce projet de loi prendra effet.
M. Keyes : Oui.
Le sénateur Moore : Comme je viens de Nouvelle-Écosse, il y a certaines choses que j'aimerais savoir. Lorsque vous avez rencontré les législateurs et les fonctionnaires néo-écossais, vous ont-ils demandé une copie des règles d'adhésion à l'ACPS? Que dites-vous de les rassurer sur l'application de ces règles?
M. Keyes : Pour vous donner une réponse courte, sénateur Moore, sachez que nous sommes une association entièrement transparente. Nous avons un site web, que vous pouvez consulter en tapant simplement « CPLA » dans un moteur de recherche. Vous serez automatiquement dirigé vers le site Web de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire dans lequel vous trouverez la description de notre mandat, la liste de nos membres ainsi que le nom du commissaire à l'éthique et à l'intégrité. Vous pourrez aussi voir les 18 règles du Code de déontologie des meilleures pratiques de gestion et, pour votre information, monsieur le président, le sondage du groupe de recherche Environics, l'étude sur la tarification du groupe Ernst and Young, de même que d'autres études pertinentes. De plus, notre site Web contient des extraits d'articles de journaux et de communiqués de presse. Lorsque les gens nous appellent, nous leur recommandons avant tout de visiter notre site Web et, si ensuite ils ont des questions, je suis disposé à y répondre à tout moment.
Le sénateur Eyton : Vous avez parlé du « Code de déontologie des meilleures pratiques de gestion ». Pourrions-nous en avoir une copie? Fait-il état d'un plafond au coût total des prêts?
M. Keyes : Bien sûr, nous vous en donnerons une copie, mais il se trouve également sur notre site Web.
Le président : C'est vrai. Je vous prie de nous transmettre ce code et tout autre document concernant votre commissaire à l'éthique et à l'intégrité ainsi que le fonctionnement de votre système. Tous ces renseignements sont très pertinents et viennent appuyer votre témoignage.
M. Keyes : Pour répondre à la deuxième partie de votre question, sénateur, je vous dirais que chaque compagnie établit le coût d'un prêt sur la base de 100 $. En tant que président de l'ACPS, je sais que chacune fixe le taux d'intérêt qu'elle juge approprié.
Le sénateur Eyton : Vous avez dit 20 $ de frais par tranche de 100 $. Quelle est la durée du prêt?
M. Keyes : Nous en avons parlé plus tôt. Nous savons que les provinces ont indiqué que tout ce qu'elles mettraient en place en réponse au projet de loi C-26 serait probablement renouvelé au moins tous les deux ou trois ans.
Le président : Le sénateur Eyton ne vous a pas demandé quand le taux serait renouvelé, mais plutôt quelle était la période à laquelle correspondait ce montant de 20 $.
M. Keyes : Je suis désolé. C'est le taux perçu habituellement pour 100 $ empruntés pour une période de 10 à 14 jours.
Le sénateur Eyton : Nous pourrions peut-être y revenir plus tard.
M. Bishop : La durée d'un prêt moyen est de 10 jours. Comme un prêt sur salaire est un prêt à court terme, les gouvernements reconnaissent qu'il n'est pas logique de le rattacher à une durée parce que les frais imposés pour un prêt de cinq jours sont les mêmes que pour dix jours, et ce, même si la durée est deux fois plus longue. Nous nous attendons à ce que le gouvernement établisse le coût pour la totalité du prêt parce que la durée de la convention serait d'au plus 62 jours en vertu du projet de loi. Le prêt n'est pas rattaché à un terme.
Le président : Je vous remercie, messieurs Keyes et Bishop.
M. Keyes : Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Angus : Monsieur Keyes, si vous avez d'autres commentaires, n'hésitez pas à les transmettre au greffier du comité.
Le président : Si vous avez des réponses aux questions des autres témoins, veuillez les faire parvenir par écrit au comité. Nous voulons nous assurer d'avoir un portrait précis de la situation.
Nous sommes heureux d'accueillir nos prochains témoins de Rentcash Incorporated, M. Michael Thompson, vice- président, et M. Michael Teeter, consultant — un nom bien connu dans le domaine des sondages. Messieurs, je vous invite à faire votre déclaration préliminaire devant le comité.
Michael Thompson, vice-président, Rentcash Inc. : Merci, monsieur le président. Nous avions déjà rencontré beaucoup d'entre vous avant aujourd'hui. J'aimerais remercier tous ceux à qui nous avons parlé et qui ont lu notre documentation de l'intérêt que vous portez à nos préoccupations. Nous estimons qu'elles sont d'intérêt public.
Nous avons demandé au comité de recommander quelques amendements au projet de loi C-26. Je tiens à préciser que nous ne nous opposons nullement au projet de loi C-26 ni à ses objectifs. Nous voulons seulement l'améliorer.
Nous recommandons que les paragraphes 347.1(3) et 347.1(4) soient amendés par le remplacement des mots « désigne » et « révoque » par les expressions « peut désigner » et « peut révoquer ». Cela permettrait au gouverneur en conseil de mieux s'assurer que les règlements provinciaux protègent les bénéficiaires de prêts sur salaire et ne limitent pas la concurrence ni le choix des consommateurs. Je tiens aussi à affirmer catégoriquement que nous ne sommes pas contre les taux plafonds.
Nous pourrions d'ailleurs renforcer cette mesure par un autre amendement au paragraphe 347.1(3) du projet de loi qui ferait de la transparence, de la concurrence et du choix des consommateurs des conditions préalables à la désignation d'une province.
D'après la déclaration préliminaire du sénateur Eyton à l'étape de la deuxième lecture, il semblerait que le gouvernement ait accepté, en principe, la nécessité d'avoir une industrie concurrentielle et transparente pour que les consommateurs fassent des choix éclairés. Nous sommes d'ailleurs reconnaissants au sénateur du bon travail qu'il a accompli à ce chapitre. C'est une question d'intérêt public. Nous sommes toutefois déçus que, malgré les remarques du sénateur, les représentants du gouvernement n'en aient pas fait mention hier dans leurs commentaires.
Nous estimons que ces engagements verbaux en faveur de la concurrence, du libre choix des consommateurs et de la capacité du gouverneur en conseil de révoquer la désignation d'une province lorsque ces conditions ne sont pas respectées doivent être inscrits dans la loi. C'est en fait le but des amendements que nous recommandons aujourd'hui. Une modification législative est le seul moyen de garantir que ces engagements verbaux seront exécutés.
L'an dernier, votre comité a recommandé au gouvernement de réaliser une étude sur l'industrie des prêts sur salaire; vous aviez mis l'accent sur l'incompréhension du gouvernement envers l'industrie et ses consommateurs. À notre connaissance, cette étude n'a été menée ni par le gouvernement fédéral ni par un gouvernement provincial. Il est difficile, voire même impossible, de réglementer efficacement une industrie afin de garantir le maintien de la concurrence et des choix pour les consommateurs quand on ne la comprend pas. Étant donné l'importance du projet de loi C-26 pour l'ensemble du cadre de réglementation de cette industrie, nous espérons que ce comité accordera toute l'attention nécessaire à nos recommandations.
Michael Teeter, consultant, Rentcash Inc. : Nous avons eu la chance d'entendre d'autres témoins avant de comparaître. J'aimerais revenir sur les commentaires d'hier du représentant du gouvernement. Au fond, il n'a rien dit qui puisse nous laisser croire que notre demande devrait être modifiée. En fait, je dirais qu'il a réitéré la nécessité que ce comité accueille favorablement l'amendement que nous proposons.
Le dépôt du projet de loi C-26 à la Chambre des communes a soulevé bien des discussions. Secrétaires parlementaires, ministres et autres membres du cabinet fédéral se sont clairement engagés à jouer un rôle dans ce processus et à s'assurer que les provinces désignées auront adopté des mesures législatives qui protégeront les bénéficiaires de prêts sur salaire et qui fixeront un plafond au coût total de ce type de prêt.
De plus, le sénateur Eyton est même allé jusqu'à dire que la concurrence et la transparence étaient deux principes qui devaient être pris en considération dans le processus de désignation. Par ailleurs, on a discuté, particulièrement à la Chambre des communes et au Sénat, du rôle du ministre de l'Industrie et de son obligation d'examiner ces plans de désignation et ces règlements afin de recommander au gouverneur en conseil de les approuver ou pas.
Pourtant, hier, nous n'avons rien entendu de tel. En réalité, les représentants ont dit que leur travail consistait simplement à approuver tout ce que demandaient les provinces. D'après ce qu'ils nous ont dit, nous ne sommes pas convaincus que ce qui a été soumis à la Chambre et au Sénat sera mis en application.
Grâce à cette petite modification législative, plutôt que le cabinet soit tenu de donner son approbation, il pourrait intervenir lorsqu'il juge, d'après les informations qu'il reçoit, que le choix des consommateurs et la concurrence sont compromis. Le cabinet aurait donc cette possibilité. À notre avis, rien n'a changé.
Je vais maintenant céder la parole à M. Thompson concernant l'ACPS.
M. Thompson : Il y a tellement d'allégations contre ma compagnie que je n'ai même pas pu toutes les noter.
Le président : Si vous préférez les traiter une à la fois, vous pourriez nous transmettre vos réactions par écrit et nous les examinerons. Nous essayons de garder l'esprit ouvert. Lorsqu'un témoin fait des commentaires sur d'autres témoins, nous voulons nous assurer que ces derniers auront la possibilité de s'exprimer pleinement. Veuillez répondre. Vous pouvez nous dire en gros ce que vous pensez, puis nous transmettre une réponse détaillée à toutes les questions ou observations au sujet de votre compagnie sur lesquelles vous n'êtes pas d'accord et nous en tiendrons compte.
M. Thompson : Tout ce que je voulais dire, monsieur le président, c'est que si vous estimez que ces commentaires méritent qu'on s'y attarde, je serais heureux de faire comparaître mon PDG afin qu'il puisse vous répondre directement.
Le président : Je vous prie de nous répondre par écrit.
Le sénateur Meighen : Monsieur Thompson, j'ai en main un document sur lequel est inscrit : Michael Thompson est en faveur des taux plafonds; Michael Thompson renonce aux taux plafonds; Michael Thompson s'oppose aux taux plafonds. Je vous ai pourtant entendu dire que vous étiez favorable à ces taux. Est-ce que je me trompe?
M. Thompson : Je n'ai jamais été contre.
Le sénateur Meighen : Et maintenant?
M. Thompson : Ça ne me dérange pas. Je vous rappelle que nous sommes une entreprise privée.
Le sénateur Meighen : Vous préféreriez qu'il n'y en ait pas, mais vous ne vous y opposez pas.
M. Thompson : C'est exact. Mais comme nous comprenons les préoccupations du public, nous acceptons ces taux.
Le sénateur Meighen : Vous avez proposé de modifier par substitution les expressions « peut désigner » et « peut révoquer » aux mots « désigne » et « révoque » dans le paragraphe 347.1(3) du projet de loi, n'est-ce pas?
M. Thompson : Exactement.
Le sénateur Meighen : S'agit-il du paragraphe 347.1(3) ou 347.1(4)?
M. Thompson : Les deux.
Le sénateur Meighen : Les deux en ce qui a trait à la révocation et à l'exemption, n'est-ce pas?
M. Thompson : Oui.
Le sénateur Meighen : Ce n'est pas obligatoire.
M. Thompson : J'ai appuyé activement ce projet de loi. J'ai présidé l'Association canadienne des prêts sur salaire avant de me joindre à Rentcash.
Quelque temps après le dépôt du projet de loi, il semblait que toutes les provinces allaient mener de vastes consultations auprès de l'industrie, comme l'ont proposé le Manitoba et la Nouvelle-Écosse, et à mon avis, c'est bien ce qu'il faut faire.
D'autres provinces voulaient établir les taux par l'adoption d'un texte réglementaire plutôt que par la tenue de consultations publiques. Après avoir discuté avec des représentants de Colombie-Britannique, je me suis sérieusement interrogé sur la formule de calcul du taux d'intérêt proposée il y a quelques mois. Quand j'ai vu que cette formule servirait de base aux consultations initiales de cette province, j'ai eu l'impression que beaucoup de compagnies — y compris la nôtre — pourraient être évincées du marché.
S'ils s'en tiennent à cette formule et que le processus de désignation est en place, tel que décrit dans le projet de loi C- 26, la province pourrait se retrouver avec une structure de taux qui exclurait une grande partie de l'industrie. Ils la proposeraient au gouvernement fédéral, qui serait tenu de l'approuver. Selon moi et beaucoup d'autres, il incombe au gouvernement fédéral de garantir et de stimuler la concurrence. Je crois que le processus de désignation prévu dans le projet de loi C-26 irait à l'encontre de cette obligation.
Nous voulons remplacer les mots « désigne » et « révoque » par les expressions « peut désigner » et « peut révoquer » pour que la loi confère un pouvoir discrétionnaire au gouverneur en conseil. Ainsi, le gouverneur en conseil serait en mesure de régler de nombreuses questions, dont plusieurs ont été soulevées hier, concernant les mesures, les préoccupations et les obligations sur lesquelles devraient se pencher les provinces.
À titre d'exemple, l'Ontario met présentement en place son propre cadre de réglementation en dehors du champ d'application du projet de loi C-26. Elle se concentre exclusivement sur la divulgation des conditions contractuelles, et nous appuyons la plupart de ses propositions.
J'ai demandé aux représentants de cette province pourquoi ils ne s'attaquaient pas à la question de la reconduction des prêts, qui est fondamentale pour l'industrie. Quand je leur ai demandé ce qu'ils feraient, ils ont répondu que rien du tout.
Nous, Rentcash, les membres de l'ACPS et les autres compagnies avons eu beaucoup de mal à mettre en œuvre cette politique sur la reconduction des prêts visant à protéger les consommateurs. Nous croyons qu'elle est essentielle et que le gouvernement fédéral devrait obliger les provinces à adopter des dispositions dans ce sens.
Les représentants vous ont dit, de façon très ambiguë, qu'on semblait s'entendre sur ce à quoi ressemblerait ce cadre de protection des consommateurs, mais celui-ci n'a pas été clairement défini hier. Je ne saurais dire à quoi il ressemble. Il reflète surtout les dispositions du code de l'Association canadienne des prêteurs sur salaire, mais il ne tient aucunement compte des lois ou lignes directrices provinciales ou fédérales. L'obligation de maintenir la concurrence n'est prévue nulle part.
Il s'agit d'une obligation fédérale. Étant donné le processus de désignation et la façon dont il est décrit dans la loi, on pourrait très bien instaurer quelque chose de permanent. Un gouvernement pourrait mettre en place un cadre particulier, puis le suivant décider de le modifier, particulièrement en ce qui a trait aux taux. Cependant, comme un processus de désignation serait déjà en place, il ne serait pas nécessaire d'exercer une surveillance.
À mon avis, le but visé par le projet de loi est louable, mais manque de rigueur. Notre amendement est le plus simple qui soit pour modifier la loi le plus rapidement possible sans avoir à proposer de nouveaux préambules ou articles. Nous estimons que l'ajout d'un seul mot pourrait permettre de régler rapidement le problème.
Le sénateur Meighen : Si je comprends bien, à votre avis, cela répondrait aux exigences dont a parlé le sénateur Eyton durant son discours à l'étape de la deuxième lecture.
M. Thompson : Tout à fait.
Le sénateur Meighen : Qu'adviendrait-il si les provinces adoptaient différents régimes de réglementation? Cela déboucherait inévitablement sur un ensemble de mesures disparates. Cette situation entraînerait-elle la recherche du palier de compétence le plus avantageux? Cela serait-il bon ou mauvais pour l'industrie, ou cela vous laisserait-il indifférent? Que feriez-vous, éventuellement, pour contrer ce phénomène?
M. Thompson : En général, dans le domaine de la réglementation, il est important d'être uniforme. C'est plus efficace et plus facile pour bien gérer la situation. Quand les mesures législatives diffèrent les unes des autres, tout le monde regarde ce que font les autres et apporte continuellement des changements.
Nous devons être réalistes quant au projet de loi C-26. Il s'agit d'un compromis, parce que hormis les dispositions de divulgation, les provinces et le gouvernement fédéral n'arrivaient pas à s'entendre sur une approche commune.
Vous avez entendu hier quelle était l'obligation fédérale en ce qui a trait aux taux d'intérêt, et cetera. Comme vous avez pu le comprendre, étant donné qu'au Canada, nous avons une structure de gouvernement axée sur le libre marché, le gouvernement fédéral n'a pas voulu s'embarquer dans l'établissement de taux plafonds. Il a plutôt confié cette responsabilité aux provinces. Nous l'acceptons parce qu'à long terme, un resserrement de la réglementation pourrait s'avérer une bonne chose pour l'industrie. C'est une option. Ce n'est pas la meilleure, mais nous l'acceptons. Nous préférerions que les mesures législatives soient uniformes. La réponse n'est pas simple car il y a plusieurs facteurs aggravants.
M. Teeter : Il existe un principe commercial que nous connaissons tous. Si nous avions un système unique pour les dix provinces, nous serions en mesure d'offrir des produits et services à un moindre coût que si nous avions dix différents systèmes. Cela va de soi. Étant donné que le but est de réduire le coût pour les consommateurs, l'adoption d'un système serait sans contredit dans l'intérêt public, mais le gouvernement fédéral en a décidé autrement. De toute évidence, un seul système serait plus efficace.
Le sénateur Meighen : Beaucoup de compagnies, dont la vôtre, n'ont pas adhéré à l'Association canadienne des prêteurs sur salaire.
M. Thompson : C'est exact.
Le sénateur Meighen : Pouvez-vous nous dire pourquoi l'association ne regroupe pas toutes les compagnies de l'industrie ou la plupart?
M. Thompson : Je peux vous expliquer pourquoi nous ne sommes pas membre de l'association. Ce n'était à moi de prendre la décision. Les dirigeants avaient l'impression que l'association favorisait les intérêts d'une ou deux compagnies, mais pas les nôtres, et cela transparaissait dans la composition du conseil de l'organisation.
Vous avez demandé plus tôt combien de membres avaient déjà fait partie de l'association. Ils étaient quatre-vingt dix et il n'en reste plus que 24 aujourd'hui.
Le sénateur Meighen : M. Keyes a indiqué que l'association représentait 24 membres, dont deux très grandes compagnies.
M. Thompson : Oui.
Le sénateur Meighen : Quelle est leur importance au sein de l'ACPS?
M. Thompson : Je peux seulement vous dire comment c'était avant que je ne parte, l'automne dernier. À cette époque, si je ne m'abuse, Money Mart disposait de 350 succursales et Cash Money en exploitait environ 90. On parle ici d'environ 440 succursales, sans compter les quelque 22 autres membres qui représentent 64 compagnies.
Le sénateur Meighen : Les deux grandes sociétés comptent 440 succursales; et les 22 autres membres?
M. Thompson : Près de 60 compagnies. L'une peut avoir 15 succursales et l'autre, environ 10. Vous pouvez donc en déduire ce que vous voulez.
M. Teeter : Manifestement, la grande majorité des revenus de l'ACPS proviendrait de ces deux compagnies.
Le président : J'ai une autre question mathématique. Nous avons entendu plus tôt que cette industrie affichait un taux de croissance annuel de 20 à 35 ou 40 p. 100 et représentait cinq milliards de dollars, un chiffre qui a beaucoup augmenté depuis son apparition. Hier, des représentants du gouvernement nous ont dit que cela représentait 1,7 milliard de dollars. La différence est énorme, et encore ce matin, on nous a confirmé que 10 p. 100 de la population avait recours à ce type de service. Nous essayons de mesurer l'importance de cette industrie et de ses problèmes.
Avez-vous une idée de la taille de votre industrie? Je sais que ce sont des données empiriques, mais nous ne croyons pas que le chiffre de 1,7 milliard de dollars soit exact. Il nous semble bas, mais nous n'avons rien pour étayer ces statistiques.
M. Thompson : Votre question comporte plusieurs volets. La meilleure façon d'y répondre serait de discuter des différentes tendances économiques établies. Je pourrais aussi parler de notre entreprise en particulier, ce que je vais faire.
À la fin de l'année financière 2005, notre volume de prêts s'élevait à 550 millions de dollars. Nous possédons 350 succursales. À l'heure actuelle, nous projetons ouvrir deux ou trois nouvelles succursales par mois. Compte tenu de ce rythme de croissance, il devrait y avoir quelques regroupements.
Nos projections de croissance pour les prochaines années sont loin d'être démesurées ou trop ambitieuses, et ce pour plusieurs raisons. Entre autres, nous pensons que le degré de saturation du marché suffit à ralentir notre taux d'expansion. Lors des exercices précédents, notre croissance était beaucoup plus rapide.
Quant aux tendances économiques, CIBC fait des études depuis quelques années — ses rapports sont basés sur les données de Statistique Canada — et affirme que le ratio d'endettement des ménages sur une période de 12 mois est passé de 117 à 122 p. 100 l'année dernière. Un certain nombre d'études sur les habitudes de dépenses des ménages ont été menées auprès des consommateurs et surtout des entreprises. C'est un fait clairement établi au Canada que la majorité des ménages dépensent maintenant plus qu'ils ne gagnent annuellement. Les projections, quant au pourcentage, varient un peu. C'est une tendance que le Canada est plus lent à adopter. D'autres pays, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, nous ont précédés à cet égard. Aux États-Unis, l'industrie prolifère : on y compte 22 000 sociétés de prêts sur salaire. Le problème des dettes à la consommation est plus grave dans ce pays qu'au Canada. Néanmoins, on constate ici une tendance marquée à dépenser plus qu'on ne gagne, et ce dans toutes les catégories de revenus. À la fin du mois, une fois qu'ils ont réglé toutes leurs factures, les gens n'ont plus aucun revenu disponible et ils ont besoin d'argent entre deux jours de paie. C'est un fait économique et c'est la raison de la croissance de l'industrie.
Le président : Si vous faites 5 milliards de dollars par année, quelle part de l'ensemble du marché cela représente-t-il?
M. Thompson : Vingt-cinq pour cent du marché, selon la répartition des succursales.
Le président : Et en volume?
M. Thompson : Là, je n'en sais rien.
Le président : En utilisant votre critère, il faudrait plus de 1,7 milliard de dollars pour occuper 20 ou 25 p. 100 du marché, et vos volumes ne sont pas fixes. Cela se chiffre sans aucun doute à plus de 2 milliards de dollars.
M. Thompson : C'est réaliste. Notre entreprise — et il est question de nos taux — est jeune; elle a seulement cinq ans. Bon nombre de nos succursales n'ont pas encore atteint un niveau de maturité suffisant. Nous pensons qu'elles y arriveront. Même si nous devenions stables et si nous n'augmentions pas le nombre de succursales, les volumes de prêts devraient quand même progresser.
Le sénateur Moore : J'aimerais revenir sur la question du président.
Monsieur Thompson, vous dites que vous étiez le président de l'association jusqu'à l'automne dernier?
M. Thompson : C'est exact.
Le sénateur Moore : Vous ne vous teniez pas au courant des chiffres? Comment peut-on ne pas le savoir? Comme le président l'a dit, nous avons entendu plusieurs fois parler de plus de 1 milliard et de 5 milliards de dollars dans les témoignages des derniers mois. Lorsque vous étiez président, n'aviez-vous pas de chiffres ou d'indications de vos membres quant au volume total d'activité?
M. Thompson : Comme vous l'aurez peut-être compris d'après les commentaires précédents, il y a beaucoup de concurrence au sein de l'association. De tels renseignements ne seraient normalement pas transmis au PDG. Si je me souviens bien, le chiffre de 1,7 milliard provient de Chris Robinson, professeur à l'Université York. D'après ce que j'en sais, il est la seule personne à avoir fait une analyse économique concertée de l'industrie. Je ne peux pas dire que je suis d'accord.
Le sénateur Moore : D'où tiendrait-il ces renseignements? N'aurait-il pas à s'adresser à votre association?
M. Thompson : De la façon dont il a préparé sa documentation, je dirais qu'il a probablement tiré ces informations des documents des sociétés cotées en bourse de l'industrie au Canada, soit Money Mart et Rentcash, et qu'il a fait certaines projections. Je ne peux pas me prononcer sur ses calculs, mais je pense que les taux qu'il présente ne reflètent pas la réalité.
Le sénateur Moore : Croyez-vous qu'ils sont trop bas?
M. Thompson : Je ne sais pas comment il est arrivé à ces chiffres.
Le sénateur Moore : Hier, des représentants du gouvernement nous ont dit avoir eu de longues consultations avec les provinces pour en arriver à une liste de critères permettant au fédéral de déterminer si une province a pris les mesures nécessaires pour protéger les bénéficiaires de prêts sur salaire. Cela ne semble pas vous plaire.
M. Thompson : Le refus, de la part des fonctionnaires, de vous fournir une liste précise de ce qui doit être pris en compte m'a consterné. Ils ont beaucoup parlé de consensus et d'échanges, mais ils ne vous ont rien dit de précis.
Le but de cette loi est, en partie, de resserrer la réglementation. Comme on en a déjà parlé, l'absence d'un cadre réglementaire approprié a entraîné certaines complications pour les consommateurs, l'industrie et les responsables provinciaux de la réglementation. Je crois que le fait de n'énoncer clairement aucun critère met le gouverneur en conseil dans le pétrin et ce n'est pas bon pour l'industrie, à mon avis.
Le sénateur Moore : Je ne pense pas que le résultat de leurs consultations était si vague que cela. Vous avez soulevé l'importance d'inclure une disposition concernant la possibilité de reconduire les prêts. On peut écrire aux représentants du gouvernement et leur demander s'il y en a une. Je comprends qu'ils considèrent ceci comme relevant des compétences provinciales et qu'ils affirment ne pas pouvoir établir les règles, mais nous avons discuté avec les provinces et les territoires, et nous comprenons qu'ils sont d'accord sur les règles fondamentales de protection du consommateur que nous jugeons appropriées. Voyons si la disposition sur la possibilité de reconduire les prêts est un élément à propos duquel on peut s'enquérir.
Le président : Je me trompe peut-être — et le sénateur Angus me corrigera —, mais j'ai compris, par les témoignages des fonctionnaires, que le gouvernement ne voulait pas s'approprier une responsabilité qui relève davantage des provinces. Ils ont écouté attentivement, reçu les documents et obtenu une longue liste. La Nouvelle-Écosse avait une liste énumérant beaucoup de principes qu'elle avait l'intention d'inclure dans la loi, et cela devait être couvert par son régime de réglementation. J'ai senti de l'hésitation, de la part des représentants et du gouvernement, à aller plus loin, si ce n'est pour les sonder afin d'élaborer ensuite une mesure législative qui couvrirait cette question. J'ai été frappé de constater qu'ils n'étaient pas prêts à aller de l'avant.
Le sénateur Angus : Selon ce que j'ai entendu, et sachant que les deux projets de loi sont presque identiques, l'industrie défendra très bien ses intérêts dans la loi. Tout ira bien. Il n'y a pas de raison qu'une province propose quelque chose de différent. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter à ce sujet.
Le président : Avez-vous vu la loi de la Nouvelle-Écosse?
M. Thompson : Oui, je l'ai vue, et celle du Manitoba aussi.
Le président : Est-ce qu'on y parle de la possibilité de reconduire les prêts?
M. Thompson : Pas comme tel, mais il y a des dispositions pour protéger les gens. En Saskatchewan, le projet de loi qui a été distribué me semble très favorable. En fait, cette loi comporte trois éléments. Le premier est le régime de délivrance des permis, qui permet au gouvernement de suivre l'évolution de l'industrie, et nous sommes tout à fait d'accord là-dessus. Ensuite, il y a le régime de protection des consommateurs. Je suis d'accord avec les fonctionnaires qu'on s'est déjà entendu sur les critères que les provinces devraient respecter.
Le troisième élément — et le plus fondamental pour l'industrie — est le régime tarifaire. En ce qui me concerne, tant qu'une province prend des mesures adéquates pour garantir un taux plafond qui permet l'arrivée de nouveaux venus et tient compte des différentes étapes de développement des entreprises, il n'y a pas de problème. D'après ce que j'ai constaté jusqu'à maintenant, ce n'est pas le cas. À mon avis, le projet de loi n'empêcherait pas la création d'un monopole dans les provinces ni la limitation du marché à quelques rares entreprises, qui bénéficieraient d'un avantage concurrentiel. Le régime tarifaire devrait être établi en fonction de ces éventualités, et la mesure législative devrait contenir une protection. C'est pourquoi nous avons proposé l'amendement.
Le sénateur Angus : Quand Rentcash s'est retirée de l'association, en étiez-vous le président?
M. Thompson : Non. J'ai quitté l'association, et l'entreprise s'est retirée peu de temps après.
Le sénateur Angus : Après avoir quitté l'association, avez-vous été immédiatement engagé par la société Rentcash?
M. Thompson : Oui.
Le sénateur Angus : Monsieur Teeter, vous êtes ni employé ni directeur. Avez-vous été embauché dans le but d'examiner le projet de loi?
M. Teeter : C'est exact. Je suis expert-conseil.
Le sénateur Angus : Pour ce qui est du taux plafond, je crois que vous avez dit que, dans un monde idéal, il n'y en aurait pas. Néanmoins, au point de vue de la politique gouvernementale, vous reconnaissez qu'il y a lieu de fixer un plafond. Dans un article paru dans le Toronto Star du 30 mai 2006, on peut lire que lorsque vous étiez président de l'association, vous étiez d'avis que le plafond devrait être fixé assez haut pour permettre aux sociétés de prêt sur salaire de réaliser des profits, et qu'il appartient aux consommateurs de chercher le meilleur taux.
Selon vous, quel serait un taux plafond approprié?
M. Thompson : À l'heure actuelle, nos frais s'élèvent à environ 21,60 $ par tranche de 100 $. Évidemment, nous aimerions que le plafond soit fixé en fonction de nos frais.
J'aimerais souligner que j'ai moi-même écrit à des représentants dans toutes les provinces pour leur faire savoir que l'industrie préconise la protection des consommateurs, et que nous accepterions volontiers d'ouvrir nos livres à huis clos pour que soient vérifiés nos coûts et structures.
Le sénateur Angus : Ma question est assez claire. M. Keyes nous a donné une réponse directe. Pensez-vous que des frais de 20 $ par tranche de 100 $ sont acceptables?
M. Thompson : Les frais que nous exigeons sont d'environ 21,60 $, et nous croyons que le taux plafond devrait être établi en fonction de ces frais.
Le sénateur Angus : Ce serait un plafond approprié. Je pensais qu'il s'agissait de vos coûts.
M. Thompson : Non.
Le sénateur Eyton : J'aimerais avoir une meilleure idée du marché comme tel. Nous avons entendu dire que l'association représente 40 p. 100 de l'industrie et on nous a informés qu'il y a deux gros joueurs, dont votre société. Quelles sont les quatre ou cinq grandes entreprises de l'industrie, et quelle part du marché occupent-elles? Je pense qu'il faut se baser sur le nombre de succursales.
M. Thompson : Ma mémoire n'étant pas très bonne, je ne suis pas en mesure de vous donner le nom de ces sociétés. L'industrie compte quelques entreprises, je dirais trois ou quatre, qui pourraient avoir entre 25 et 30 succursales. Les trois principales sont celles que nous avons mentionnées aujourd'hui : Money Mart, Cash Money et Rentcash, qui représentent environ 60 p. 100 de l'industrie.
Le sénateur Eyton : Le projet de loi C-26 est le fruit de longues discussions et consultations entre les provinces et le gouvernement fédéral. Vous avez proposé un changement qui est simple et facile à faire. Savez-vous comment cet amendement serait reçu par les provinces et les territoires?
M. Thompson : À mon avis, il n'y aura pas une grande réaction. Nous touchons à la dynamique des relations fédérales-provinciales. Cette mesure confère une obligation au gouvernement fédéral, et je pense qu'il a le devoir de s'en acquitter. J'ignore quelle sera la réaction des provinces. D'après la dynamique qui prévaut au Canada, les provinces feront ce qu'elles voudront. Je crois que nous avons intérêt à mettre en place une mesure de protection.
M. Teeter : Nous avons appris hier que les fonctionnaires ignorent la position des provinces dans ce dossier. Des représentants de certaines provinces, sinon toutes, ont été appelés à témoigner. Je crois que deux provinces ont fait savoir qu'elles avaient adopté des lois en la matière, mais en vérité, sénateur Eyton, on ne les a pas vraiment interrogées.
Le président : Nous allons arrêter ici, mais je vous demanderais de répondre par écrit à ma question. Il existe plusieurs façons de régler le problème que vous avez soulevé, mais j'ignore quelle serait la solution convenable ni même si nous accepterons votre suggestion. Le comité a l'esprit ouvert. Nous sommes en train d'examiner les enjeux et d'entendre des témoignages. Nous recevrons prochainement des consommateurs ainsi que des représentants du Bureau de la concurrence. Nous avons très hâte de savoir ce qu'ils pensent des problèmes et des principes dont vous avez parlé.
Il a été suggéré que le gouvernement fédéral reprenne ce champ de compétence au lieu de l'abandonner, en faisant valoir que les intérêts des consommateurs ne sont pas protégés. Le gouvernement pourrait ainsi choisir de ne pas se prononcer dans ce cas-ci plutôt que de carrément abandonner. Pensez-vous qu'il pourrait s'agir là d'une solution de rechange à ce que vous proposez?
M. Thompson : Je vous transmettrai ma réponse.
Le sénateur Angus : Le sénateur Plamondon pourrait se faire le porte-parole de l'industrie.
Le président : Nous vous remercions de votre témoignage et de votre patience.
La séance est levée.