Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 17 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 21 mars 2007
Conformément à l'ordre de renvoi du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel), le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-26. L'audience est télévisée sur CPAC d'un océan à l'autre et partout dans le monde sur Internet. Tout ce que nous dirons fera l'objet de délibérations mûrement réfléchies.
Je vais situer un peu le projet de loi pour permettre aux gens qui nous regardent de comprendre la question dont nous sommes saisis aujourd'hui. Le projet de loi C-26 a été déposé à la Chambre des communes le 6 octobre 2006; il a été approuvé en première lecture au Sénat le 7 février 2007, il y a à peine un mois. Il a été approuvé en seconde lecture le 28 février, après quoi il a été renvoyé à notre comité.
Le projet de loi vise à modifier l'article 347 du Code criminel, qui criminalise le fait d'exiger des taux d'intérêt usuraires. Bien entendu, les gouvernements sont libres de réglementer tout secteur du prêt relevant de leurs compétences, dans les limites stipulées à l'article 347 du Code criminel. Toutefois, une exemption de l'application de cet article les obligerait à autoriser des opérations de prêt dépassant la limite stipulée.
Ce n'est pas la première fois que nous examinons cet article du Code criminel, ni les questions liées aux prêteurs sur salaire. Par le passé, notre comité a étudié un projet de loi proposé par notre ancien collègue, le sénateur Plamondon — qui a d'ailleurs témoigné devant le comité —, projet de loi qui visait également à modifier l'article 347 du Code criminel. En outre, nous avons étudié toute la gamme de questions ayant trait à la protection des consommateurs dans le secteur des services financiers, notamment des audiences sur les fournisseurs de rechange de services financiers, ce qui a donné lieu au dépôt de notre rapport sur cette question en juin 2006. Le comité a donc consacré un temps considérable à l'étude de la question et à tout ce qui rendait nécessaire une mesure législative.
Selon l'article 347 du Code criminel, il est criminel de conclure une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel, dépassant 60 p. 100 du taux annuel effectif, ou de percevoir des intérêts à un taux criminel. Il faut le consentement du procureur général de la province pour engager des poursuites pour une infraction prévue au présent article. À ce jour, que nous sachions, les gouvernements provinciaux n'ont pas poursuivi de prêteurs sur salaire. C'est un article du Code criminel qui n'a pas été appliqué aux activités quotidiennes des prêteurs sur salaire.
La croissance du secteur des prêts sur salaire nous amène à penser que les services qu'ils fournissent sont recherchés par les consommateurs. D'après la Constitution, la protection des consommateurs relève de la compétence des provinces et des territoires, cela relevant de leurs pouvoirs à l'égard des droits de propriété et des droits civils; le droit pénal, pour sa part relève de la compétence du gouvernement fédéral. Dans la pratique, c'est un domaine de compétence général qui est partagé.
En l'absence de réglementation, ce sont des poursuites au civil qui décideront de l'avenir du secteur des prêts sur salaire, ce qui, selon nous, n'est pas une façon satisfaisante de traiter un service que les Canadiens et les Canadiennes veulent et dont ils ont manifestement besoin. Le secteur des prêts sur salaire semble rechercher une forme de réglementation et nous tenons des audiences ayant trait au régime qui serait mis en place par le projet de loi C-26.
Nous avons avec nous aujourd'hui Bruno Lévesque et John Rossi, de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada; Colette Downie et Dave McAllister, du Bureau de la concurrence; et David Agnew, l'ombudsman des services bancaires et d'investissement.
Je cède maintenant la parole à M. Lévesque.
[Français]
Bruno Lévesque, directeur intérimaire, Direction de l'éducation des consommateurs et des affaires publiques, Agence de la consommation en matière financière du Canada : Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir invité l'Agence de la consommation en matière financière du Canada à se présenter devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Bruno Lévesque, je suis le directeur intérimaire de la Direction de l'éducation des consommateurs et des affaires publiques à l'agence. Je suis accompagné de John Rossi, le directeur de la Direction de la conformité et de l'application.
Étant donné le peu de temps dont nous disposons et à la demande du président, je serai le plus bref possible.
Nous croyons comprendre que le comité s'intéresse tout particulièrement au rôle joué par l'ACFC pour informer les Canadiens sur la question des prêts sur salaire. Je traiterai donc essentiellement de ce sujet mais, avant de commencer, j'aimerais préciser la place qu'occupe l'ACFC dans le contexte.
[Traduction]
Le mandat de l'ACFC est énoncé dans la Loi sur l'Agence de la consommation en matière financière du Canada. Notre mandat comprend un volet d'application de la loi et un volet d'information des consommateurs canadiens sur les produits et les services financiers de façon générale. Pour remplir notre mandat d'application de la loi, nous veillons à ce que les institutions financières s'acquittent de leurs obligations envers les consommateurs, qui sont prescrites par les lois qui régissent les institutions financières fédérales. Les activités touchant les prêts sur salaire ne tombent pas sous le coup des lois dont nous surveillons le respect. Par conséquent, nous n'avons pas le pouvoir de réglementer les fournisseurs de services de prêts sur salaire. Nous ne sommes pas non plus autorisés à surveiller le comportement des fournisseurs de services de prêts sur salaire sur le marché.
[Français]
Le deuxième volet de notre mandat est l'éducation des consommateurs. À ce titre, l'ACFC informe les consommateurs au sujet de leurs droits et responsabilités lorsqu'ils traitent avec les institutions financières et leur fournit des renseignements objectifs en temps opportun pour les aider à comprendre les produits et services financiers courants et à magasiner pour se les procurer.
Nous diffusons cette information de différentes façons, notamment au moyen de publications imprimées, d'outils interactifs sur notre site Web et de communications directes grâce à nos multiples initiatives de liaison externe et de partenariat.
Nos publications et nos outils interactifs en ligne contiennent de l'information sur les produits et services financiers comme les cartes de crédit, les hypothèques, les comptes bancaires, les dossiers de crédit et les prêts sur salaire.
[Traduction]
Depuis que l'agence a été mise sur pied, il y a cinq ans, nous assistons à une augmentation exponentielle de la demande pour les produits et les services de l'ACFC. En effet, chaque année, les Canadiens sont de plus en plus nombreux à communiquer avec nous par téléphone, courriel ou lettre, ou à visiter notre site web pour télécharger nos publications. Les relations que l'ACFC entretient sur une base constante avec les consommateurs, grâce à ces divers modes de communication, sont une importante source d'information dont nous nous servons pour élaborer et perfectionner notre programme d'éducation des consommateurs.
Comment en sommes-nous venus à produire une publication sur les prêts sur salaire? Dans son premier rapport annuel au Parlement, déposé en 2001-2002, l'ACFC disait craindre que les consommateurs utilisent les services de prêts sur salaire sans comprendre parfaitement les coûts de ces services et sans connaître les autres possibilités d'emprunt à court terme qui leur sont offertes. Parallèlement, l'ACFC a accepté une demande du Comité fédéral-provincial des mesures en matière de consommation visant à préparer des documents d'information pour aider les consommateurs à comprendre les coûts et les conséquences des services de prêts sur salaire. Et de concert avec le CDIP, le centre pour la défense de l'intérêt public, nous avons conçu la publication Le coût des prêts sur salaire, dont on vous a remis un exemplaire aujourd'hui. Nous avons commencé par cerner les lacunes en matière d'information sur le marché financier, puis nous avons travaillé seuls ou avec nos partenaires pour combler les lacunes repérées. L'ACFC suit une approche proactive en fournissant aux Canadiens l'information et les outils dont ils ont besoin pour s'y retrouver sur le marché financier complexe.
[Français]
J'aimerais conclure en disant que même si nous n'avons pas de rôle à jouer dans la réglementation des fournisseurs de services de prêt sur salaire, nous faisons notre possible pour nous assurer que les Canadiens ont accès à une source de renseignements précise, objective qui, nous l'espérons, les aidera à faire les choix les plus judicieux et les moins coûteux possible pour répondre à leurs besoins.
J'aimerais vous remercier de nous avoir donné la possibilité de prendre la parole devant le comité. Mon collègue et moi-même nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
Colette Downie, sous-commissaire intérimaire, Bureau de la concurrence Canada : Honorables sénateurs, je suis accompagnée de mon collègue Dave McAllister, conseiller principal de la Direction générale des affaires législatives et parlementaires au Bureau de la concurrence. Le commissaire à la concurrence vous prie d'accepter ses excuses de n'avoir pu comparaître aujourd'hui. Pour gagner du temps, je n'ai pas préparé de remarques liminaires; ainsi, vous pourrez passer rapidement aux questions.
Le président : Avez-vous des commentaires d'ordre général sur le projet de loi?
Mme Downie : Généralement parlant, le bureau est toujours résolument en faveur de toute mesure apportant plus de renseignements, de divulgation et de transparence aux consommateurs et le projet de loi donnera aux provinces la capacité d'y veiller.
Généralement, le bureau préfère s'en remettre aux forces du marché pour choisir les gagnants et les perdants sur un marché; nous sommes peu enclins à réglementer les prix. Si je comprends bien les témoignages entendus par le comité, le but du projet de loi est de donner aux provinces la capacité de réglementer les prix, si elles le désirent. Ce choix résulte de questions de compétence et de protection des consommateurs qui ne relèvent pas de notre mandat. Nous n'avons pas de commentaires à ce sujet, vu qu'il ne relève pas de nous.
Les mesures législatives présentées par les provinces leur permettent de tenir compte des répercussions d'une réglementation des prix sur la concurrence ou de l'éventail de choix qui s'offrent aux consommateurs. Dans le cadre d'une réglementation de ce type, la Loi sur la concurrence continuera de s'appliquer au secteur des prêts sur salaire au Canada.
David Agnew, ombudsman des services bancaires et d'investissement : Honorables sénateurs, je suis heureux d'être à nouveau parmi vous. Je sais d'expérience que vous aimez les déclarations liminaires succinctes. J'ai distribué quelques commentaires et je compte les survoler. Pour les gens qui nous écoutent en général, je vais commencer par décrire brièvement qui nous sommes.
L'Ombudsman des services bancaires et d'investissement offre actuellement un service indépendant et impartial de règlement des différends. Nous nous penchons sur les plaintes restées sans solution des clients de plus de 600 firmes de services financiers partout au Canada, dont des banques, des sociétés de fiducie, des sociétés de prêt, des maisons de courtage, des sociétés de fonds communs de placement et, à notre grande satisfaction, de plus en plus de caisses d'épargne et de crédit — mais pas de prêteurs sur salaire, du moins pas encore, ce qui explique sans doute ma présence parmi vous aujourd'hui.
Je vais commencer par une déclaration pleine de bonnes intentions : il est bon qu'un fournisseur de services financiers canadien soit réglementé. Il est quasiment surprenant qu'en 2007, certains échappent à la réglementation. C'est pourquoi le projet de loi est manifestement une bonne chose, à un premier niveau. Quant à la méthode de réglementation adoptée, j'avoue être agnostique, d'autant que la question relève à juste titre des législateurs, pas de nous.
J'ai suivi une bonne part des discussions sur la protection des consommateurs dans le cadre du projet de loi, sans entendre mentionner un élément qui est toutefois très important : récupérer son argent, pour le dire crûment, ce qui importe avant tout aux consommateurs dont nous traitons les plaintes. C'est ce que veulent les consommateurs; et c'est ce que nous faisons. Nous nous penchons sur les différends. Si nous constatons qu'il y a eu une mauvaise administration, une erreur ou des renseignements erronés fournis au consommateur, nous recommandons que le consommateur soit rétabli dans la situation qui était la sienne avant l'opération. Nous ne traitons pas de dommages- intérêts; nous ne sommes pas un organisme de réglementation. Nous n'infligeons pas d'amendes ou de sanctions. Ce sont des aspects importants du système, mais ils ne sont pas de notre ressort. Nous laissons les organismes de réglementation s'occuper de ces aspects et nous nous concentrons sur la restitution, qui est, elle aussi, un élément important du système. C'est pourquoi j'aimerais voir la restitution incluse dans les mesures de protection du consommateur envisagées lors de vos délibérations et de vos réflexions, même si c'est un domaine qui semble devoir être dévolu aux provinces, pour la mise en œuvre au jour le jour, sur le terrain, de la réglementation du fonctionnement des prêteurs sur salaire.
En voyant qui est membre et qui pourrait l'être, on constate que les organismes de réglementation et les associations autoréglementées encouragent systématiquement les fournisseurs de services financiers à souscrire à nos services et à offrir notre protection aux consommateurs. Dans vos délibérations et dans le travail que vous effectuez, toute mesure qui encouragerait les prêteurs sur salaire eux aussi à souscrire au service de l'ombudsman serait une bonne chose pour les consommateurs. Nous avons pour objectif d'être un jour en mesure de dire que tout Canadien ayant recours à un service bancaire, à un service d'investissement ou à un produit d'investissement peut avoir recours à l'ombudsman dès qu'un différend reste sans solution.
Le président : Merci beaucoup. Peut-être pourrais-je présenter les membres du comité présents, pour que vous sachiez à qui vous avez affaire.
Je commencerai avec le sénateur Baker, de Terre-Neuve, puis le sénateur Massicotte, le sénateur Banks, le sénateur Meighen, le sénateur Angus, le sénateur Harb, le sénateur Goldstein et le sénateur Biron. Le comité au grand complet se concentre avec sérieux sur vos commentaires. Nous allons maintenant commencer avec le sénateur Angus, qui est vice-président du comité et parrain du projet de loi. C'est lui qui posera la première question.
Le sénateur Angus : Laissez-moi d'abord préciser, monsieur le président, que je ne suis pas le parrain du projet de loi, bien que je sois vice-président du comité. C'est le sénateur Trevor Eyton qui en est le parrain et il l'a d'ailleurs déjà défendu avec éloquence.
J'ai très peu de questions, mais je voudrais faire écho à la bienvenue que vous a souhaitée le président. Je vous ai tous déjà rencontrés, y compris Mme Downie. Vos efforts pour veiller au bon fonctionnement du secteur des services financiers et au traitement équitable des consommateurs dans ce domaine nous facilitent beaucoup le travail.
Le projet de loi C-26 cible justement la protection du consommateur. Comme certains d'entre vous ont comparu à cette occasion, ils se souviendront sans doute que le comité a effectué une étude sur les nouvelles mesures de protection des consommateurs pour savoir si, cinq ans après, les modifications majeures apportées à la Loi sur les institutions financières donnent des résultats. Nous en avons conclu qu'elles fonctionnaient plutôt bien et avons publié un rapport à cet effet. Nous avons toutefois constaté l'existence d'une nouvelle industrie qui ne cesse de grandir : les prêts sur salaire.
Il s'agit de savoir si le gouvernement fédéral était habilité ou non à réglementer ce nouveau secteur. Comme l'a dit le président, l'article du Code criminel sur la question existait déjà. Comme les prêteurs sur salaire exigeaient des taux d'intérêt qui, sur analyse, étaient en fait usuraires selon le code, même si ces prêts n'étaient que pour quelques jours, ils souhaitaient trouver une façon de contourner la loi, une exemption à l'application des dispositions du Code criminel.
Le nouveau gouvernement du Canada, dans sa sagesse, a décidé que c'était un domaine qui relevait plutôt des provinces et c'est précisément de cette question que traite le projet de loi que nous avons sous les yeux. Avant que nous l'adoptions, toutefois, j'aimerais m'assurer de votre appui à tous : l'ombudsman, M. Agnew, l'Association des consommateurs, l'ACFC et le Bureau de la concurrence.
Selon certains témoins, le projet de loi risque de nuire à la concurrence. Il existe dans le secteur un ou deux gros intervenants et toute une série de plus petites sociétés. On nous a dit que le projet de loi, dans son libellé actuel, risquait de nuire à la concurrence; c'est pourquoi nous tenons beaucoup à connaître votre opinion. D'où ma question, à chacun d'entre vous : Tel que rédigé, le projet de loi vous préoccupe-t-il? Nous pourrions peut-être commencer par le Bureau de la concurrence. Avez-vous une objection à ce que nous adoptions le projet de loi?
Mme Downie : Non nous n'en avons pas, pour les raisons que j'ai soulignées dans mes remarques liminaires.
Le sénateur Angus : C'est ce que j'avais cru comprendre. Vous, monsieur McAllister, avez-vous des objections? Mme Downie ne va pas être mise à la porte demain, n'est-ce pas?
M. McAllister : Non.
Le sénateur Angus : Qu'en dites-vous, monsieur Agnew?
M. Agnew : Je m'abstiens généralement de commentaires sur des questions de politique publique telle que celle-ci, mais le projet de loi résulte manifestement de nombreuses années de négociations. Il semble jouir d'un certain consensus. De plus, il laisse aux provinces une certaine liberté et latitude. Certaines provinces ont décidé de se prévaloir du projet de loi; d'autres ne semblent pas pressées d'exercer les pouvoirs que leur conférerait la loi. Quoi qu'il en soit, l'absence de réglementation et la paralysie qui frappent la question ne peuvent durer; elles sont extrêmement nuisibles à la protection du consommateur.
Le sénateur Angus : Le projet de loi mettrait-il fin à cette paralysie, selon vous?
M. Agnew : Oui.
Le sénateur Angus : Je crois me souvenir vous avoir entendu mentionner dans vos remarques liminaires que seuls le Manitoba et la Nouvelle-Écosse étaient allés de l'avant; mais nous avons été informés cette semaine que la Saskatchewan leur avait emboîté le pas et avait adopté une loi. Les trois provinces semblent d'accord. Je comprends que l'entente résulte peut-être des consultations qui ont eu lieu entre le gouvernement fédéral et les provinces avant le dépôt du présent projet de loi. Cela me semblerait logique et j'imagine que vous êtes du même avis.
M. Agnew : Je ne fais que supposer, mais j'imagine qu'aucune des provinces, particulièrement les plus petites, n'a les moyens de réinventer la roue. J'imagine qu'il y a eu des échanges en ce qui concerne l'approche et la mesure législative, pas seulement pour la rédaction de la loi, mais aussi quand le pouvoir de faire des distinctions peut relever des commissions de services publics, etc. Je sais que le Nouveau-Brunswick a lui aussi indiqué son intention d'aller de l'avant, ainsi que l'Alberta.
[Français]
Le sénateur Angus : Êtes-vous d'accord avec vos collègues?
M. Lévesque : Étant donné notre mandat, nous ne sommes pas en mesure de commenter les politiques qui sont développées. Cela dit, la préoccupation principale de l'agence par rapport aux produits et services de prêt sur salaire concernait le fait qu'une partie de la population qui utilise ces produits ou que ces produits ciblaient ne semblait pas comprendre les coûts et les implications reliés à ce produit ni connaître les autres services de prêt à court terme qui pouvaient être disponibles.
C'est dans ce contexte que nous avons imprimé notre publication sur les prêts sur salaire. Toutefois, nous ne nous opposerons pas au projet de loi si une réglementation en résulte et qu'elle réponde aux besoins des consommateurs.
[Traduction]
Le sénateur Angus : Monsieur Rossi, avez-vous des objections?
John Rossi, directeur, Agence de la consommation en matière financière du Canada : Je peux juste faire écho au point de vue de M. Lévesque. L'agence est en faveur de toute mesure susceptible d'améliorer la protection des consommateurs. Il importe toutefois de préciser que le mandat de l'agence est assez clair, tel qu'énoncé dans notre loi habilitante. Il se limite aux institutions financières réglementées par la loi, et le secteur des prêts sur salaire est tout à fait en dehors de ce mandat. Oui, nous sommes en faveur d'une protection accrue des consommateurs. Toutefois, en ce qui concerne l'agence, le respect de cette loi ne relèverait pas de notre mandat.
Le sénateur Angus : Le président et moi avons entrepris cette mission depuis longtemps, notamment en ce qui concerne l'étude sur la protection des consommateurs, et nous avons été impressionnés par votre livret. Je suppose qu'il existe dans les deux langues officielles? Celui que j'ai ici est en anglais; il est bien fait et, à ce que je comprends, existe aussi en français.
M. Lévesque : Oui.
Le sénateur Angus : Très bien. Merci beaucoup.
Le sénateur Goldstein : Malgré la détermination de certains d'entre vous à ne pas émettre d'opinion sur une politique publique, il est encourageant de vous entendre appuyer le projet de loi.
J'ai rarement l'occasion de féliciter ce nouveau gouvernement et je n'entends pas le faire aujourd'hui non plus, car ce serait une entorse aux traditions. Mais je trouve particulièrement élégante la façon dont on envisage de résoudre le problème. Les juristes ont changé la caractérisation comme intérêt des coûts d'un prêt, les caractérisant à la place comme fonction des coûts d'un prêt. Du coup, cette question relève alors de la compétence des provinces à protéger les consommateurs, étant donné le fait que deux limites entrent en jeu : la durée du prêt et son montant.
J'aimerais m'adresser d'abord à vous, monsieur Lévesque. Vu qu'il s'agit de préoccupations des provinces, votre rôle changera-t-il quant à la protection des consommateurs, la publication de documents et le mécanisme des plaintes?
M. Lévesque : Le mandat d'éducation du consommateur que nous avons est assez étendu et assez souple quant aux questions dont nous pouvons traiter. Nous nous efforçons toutefois d'éviter de dédoubler le travail déjà effectué par d'autres intervenants aux niveaux fédéral et provincial. Dans le domaine des prêts sur salaire, comme dans tout domaine où il existe selon nous des lacunes dans les renseignements disponibles, nous avons une attitude proactive et informons le consommateur afin de l'aider à mieux s'orienter sur le marché. Si un organisme de réglementation était amené à légiférer ou à réglementer le secteur, ainsi qu'à fournir des renseignements sur le produit qu'il réglemente, nous serions tout disposés à travailler avec un tel organisme, à mettre notre expertise en commun ou à travailler à des projets conjoints afin d'aider le consommateur à mieux comprendre les produits et les services.
Le sénateur Goldstein : Avez-vous eu l'occasion de collaborer à la sensibilisation de la population avec, non pas vos homologues provinciaux, mais de véritables organismes de protection du consommateur?
M. Lévesque : Oui, autant sur une base permanente que dans le cas de projets précis, avec certains organismes provinciaux.
Le sénateur Goldstein : Aurais-je raison de penser que rien dans le présent projet de loi ne nuirait à votre capacité de communiquer avec la population?
M. Lévesque : Vous auriez raison. Le projet de loi n'aurait aucune incidence sur notre capacité de communiquer avec le public.
Le sénateur Goldstein : Avez-vous des objections?
M. Lévesque : Non.
Le sénateur Goldstein : Je voudrais passer à une question de concurrence. Certaines personnes qui ont comparu devant le comité voudraient que nous changions le projet de loi afin d'y inclure un plafond. Alors, pour être reconnues, les provinces devraient adopter une loi qui respecte ce plafond ou fixe un plafond inférieur. Selon vous, serait-ce salutaire, pour la concurrence?
Mme Downie : Si je comprends bien les propositions qui ont été présentées, il s'agirait de fixer un plafond pour les prix, et de laisser les provinces libres de fixer un plafond inférieur. Est-ce bien cela?
Le sénateur Goldstein : Sans parler de ce qui se ferait dans la province ou ailleurs, il s'agirait d'insérer un coût maximal dans le projet de loi fédéral. À votre avis, est-ce que cela diminuerait la concurrence, est-ce que cela l'augmenterait ou est-ce que ce serait sans effet?
Mme Downie : Cela dépendrait vraiment du niveau du plafond adopté. Tout plafond fixé dans ce domaine aura des répercussions, certains intervenants seulement étant en mesure d'entrer en concurrence sur le marché en-dessous de ce plafond. Cela dépendrait donc du plafond. S'il existait un plafond fédéral et un plafond provincial, cela risquerait d'engendrer de la confusion et d'augmenter le coût des affaires, coût qui serait répercuté sur les consommateurs. Ce ne serait pas une bonne chose. Dans le même ordre d'idées, tout dédoublement des règlements qui pourrait décourager de nouveaux venus de se joindre au secteur, au même titre que n'importe quelle incertitude, peut nuire à la concurrence. Généralement parlant, ce serait notre opinion quant à un plafond fédéral.
Le sénateur Goldstein : Savez-vous qu'il existe dans le secteur des prêts sur salaire un gros volet sur Internet qui résulte non d'institutions canadiennes mais d'institutions étrangères ou contrôlées par des intérêts étrangers, y compris au Costa Rica et ailleurs. Elles échappent au contrôle d'une province et du Canada. Vu la prolifération de ces entreprises de prêts sur salaire sur Internet, je ne peux m'empêcher de me demander dans quelle mesure le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux peuvent effectivement contrôler ce secteur. Si la part des services sur Internet augmente de jour en jour, si, plus cela va, plus les gens se tournent vers Internet pour emprunter de petites sommes d'argent, comment pouvons-nous influer sur ce phénomène? Pour commencer, êtes-vous au courant de la prolifération de ces prêteurs sur salaire sur Internet?
Mme Downie : C'est seulement en me renseignant sur le secteur avant ma comparution d'aujourd'hui que j'ai appris l'existence du volet Internet. J'ai lu certains des témoignages devant le comité qui mentionnaient le fait. Internet est en tout cas un facteur pour ce qui est de faire respecter les dispositions de la Loi sur la concurrence telles qu'elles existent aujourd'hui; c'est manifestement un problème dans les enquêtes sur les fixations de prix et les publicités trompeuses, également. Pour lutter contre le crime, les organismes d'application de la loi doivent créer des partenariats avec leurs homologues à l'étranger.
David Allister, conseiller principal, Bureau de la concurrence Canada : En nous préparant à comparaître, nous en sommes venus à envisager d'examiner ce secteur. Vu du dehors, curieusement, le marché semble accueillir un bon nombre d'intervenants : certes de grosses entreprises, de petites entreprises, un accès à Internet pour les consommateurs, ainsi que toute une série de solutions de rechange. Toutefois, les taux sont si élevés qu'ils suscitent une préoccupation générale. Je ne suis pas bien placé pour dire si ces taux sont appropriés ni quel serait un prix raisonnable. Mais voici un secteur où il n'existe pas d'obstacle à la venue sur le marché, où interviennent bon nombre d'entreprises et où pourtant les taux sont très élevés. Cela implique qu'il y a bien un problème, qu'il soit lié à des renseignements ou une divulgation inadéquats pour les consommateurs ou à autre chose. Comme je l'ai dit plus tôt, cela semble être à la source du désir de réglementer. Nous rechignons toujours à réglementer les prix. Nous préférons laisser les forces du marché jouer leur rôle. Mais s'il faut protéger le consommateur en réglementant les prix, c'est une décision que les provinces ou les organismes de réglementation peuvent prendre.
Le sénateur Goldstein : Monsieur Agnew, vous êtes l'ombudsman des services bancaires et d'investissement et vous avez eu l'occasion de comparaître devant notre comité par le passé. Si ces institutions relèvent désormais de la réglementation provinciale, continuerez-vous d'être habilité à traiter des plaintes de consommateurs ayant eu affaire à des prêteurs sur salaire dans leurs provinces respectives?
M. Agnew : À l'heure actuelle, nous ne sommes aucunement habilités quand il s'agit du secteur des prêts sur salaire. Avoir recours aux services de l'ombudsman était au départ un choix laissé aux entreprises. Pour certains de nos membres, souscrire à nos services n'est désormais plus tout à fait volontaire, vu que les sociétés d'investissement ou les courtiers en fonds mutuels ou encore les membres de l'Institut des fonds d'investissement du Canada sont tenus d'être membres de notre organisme.
Le secteur des investissements se penche actuellement sur des propositions selon lesquelles toutes les entreprises inscrites devraient être membres d'un service de règlement des différends. Sans nous nommer, c'est ce qu'indique une mesure législative fédérale. Nous serions en faveur de voir tout fournisseur de services bancaires ou d'investissement être tenu de souscrire à nos services, mais tel n'est pas le cas à l'heure actuelle. Il semblerait que si les entreprises choisissent de devenir membres de notre organisme, c'est en partie parce que certaines dispositions législatives ou certains règlements stipulent qu'elles doivent être membres d'un service de règlement des différends indépendant.
C'est un élément essentiel de la protection des consommateurs dans le domaine financier.
Le sénateur Goldstein : Suggérez-vous un amendement au projet de loi ou votre suggestion s'adresse-t-elle aux provinces?
M. Agnew : Vu les circonstances, vu que je ne suis pas un juriste, vu la teneur du projet de loi et ce qu'il accomplit, c'est sans doute quelque chose qu'il conviendrait de traiter au niveau provincial.
Le sénateur Goldstein : Avez-vous fait valoir ces arguments aux provinces?
M. Agnew : Oui.
Le sénateur Goldstein : Vous n'avez pas trouvé d'oreille attentive, manifestement. Savez-vous pourquoi?
M. Agnew : Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai déployé ces efforts il y a relativement peu de temps et il est toujours possible de régler la question par le biais de la réglementation et des conditions d'octroi de licences. Je n'ai pas dit mon dernier mot.
Le sénateur Goldstein : Ce pourrait être un règlement intervenant après la loi.
M. Agnew : Cela pourrait être volontaire de la part du secteur, comme c'est déjà le cas pour plusieurs de nos membres.
Le sénateur Harb : J'aimerais savoir si le Bureau de la concurrence a reçu des plaintes portant sur les prêteurs sur salaire et, dans l'affirmative, de quelle nature étaient ces plaintes. J'ai été particulièrement intéressé de vous entendre dire que vous appuyiez le projet de loi, vu que, traditionnellement, vous êtes contre l'imposition d'un plafond aux prix, tout comme moi d'ailleurs. Vous avez toujours insisté sur l'importance de ne pas fixer un plafond, vu que le secteur adopte aussitôt le plafond comme limite et que cela se traduit par des comportements contraires à la concurrence dans le secteur. J'aimerais avoir votre opinion sur cette question, ainsi que sur celle des 60 p. 100.
D'où sort ce chiffre de 60 p. 100? Est-ce un chiffre choisi au hasard? Comment le chiffre que nous avons retenu se compare-t-il à ceux choisis par d'autres pays? Connaissez-vous, par exemple, les taux exigés en Europe? Y inclut-on tous les autres frais, l'assurance, etc.? J'aimerais avoir de plus amples renseignements vu que, manifestement, comme le président et vous l'avez signalé, il y a un marché; les consommateurs veulent ce service; il y a donc un besoin auquel il faut répondre. Dans un marché libre et ouvert, est-il approprié que nous nous efforcions de dire au secteur privé le taux qu'il devrait exiger?
M. McAllister : Je vais répondre d'abord à votre première question, pour laquelle je vous remercie. Nous n'avons pas d'objections au projet de loi, mais cela ne veut pas dire que nous sommes en faveur de la réglementation des prix. Nous rechignons à réglementer des prix et y voyons une mesure de dernier recours. Nous préférons toujours voir la concurrence et les forces du marché déterminer les résultats, comme nous l'avons indiqué dans nos remarques liminaires.
Dans le cas qui nous intéresse, toutefois, après de nombreuses discussions, il semblerait qu'il existe un problème sur le marché, malgré la gamme d'intervenants présents. Dans plusieurs provinces, les taux exigés sont si élevés qu'ils suscitent des préoccupations quant à l'intérêt du public; ainsi, pour protéger les consommateurs, certaines des provinces ont décidé qu'il serait bon de réglementer les prix. Nous reconnaissons ce fait. Ce n'est pas à nous de dire qu'on ne devrait pas réglementer les prix. La décision relève des provinces.
J'aurais juste une chose à ajouter : la Loi sur la concurrence nous habilite non seulement à faire respecter la loi en cas d'infraction, mais aussi à présenter aux organismes de réglementation notre point de vue quant aux effets de la réglementation sur la concurrence. C'est une option à laquelle nous pouvons avoir recours dans ce secteur, au fur et à mesure que les provinces adoptent leurs lois. Nous avons donc la possibilité de faire valoir notre point de vue, et d'adopter d'autres approches qui seraient une moindre intrusion. C'est une question que nous étudions à l'heure actuelle.
En ce qui concerne la seconde partie de votre question, sur l'origine du taux de 60 p. 100, je l'ignore. À ce que je comprends, l'article vise les usuriers, non les prêteurs sur salaire. Son adoption prédate la parution du secteur des prêts sur salaire, qui semblerait être un domaine d'activité légitime. C'est un service que les consommateurs exigent et qui leur est fourni. Toutefois, je n'ai pas entrepris d'étude du secteur des prêts sur salaire dans d'autres pays.
Le sénateur Baker : Premièrement, j'ai une question concernant la définition qui se trouve à l'article 2. Comment interprétez-vous la définition de « prêt sur salaire » telle qu'elle est libellée? En voici la teneur : opération par laquelle une somme d'argent est prêtée en échange d'un chèque postdaté, d'une autorisation de prélèvement automatique ou d'un paiement futur de même nature et à l'égard de laquelle n'est fourni aucun cautionnement, et cetera. D'après vous, est-ce qu'on entend, par cette définition, une opération par laquelle une somme d'argent est prêtée en échange d'un chèque postdaté, etc., une autorisation de prélèvement automatique, c'est-à-dire autre qu'un chèque postdaté, une autorisation de prélèvement automatique ou de paiement futur de même nature, mais à l'égard de laquelle n'est fourni aucun cautionnement? Est-ce que c'est ainsi que vous l'interprétez ou est-ce que vous l'interprétez comme étant une interdiction de l'utilisation ou du cautionnement d'un prêt sur salaire par un nantissement?
Est-ce que vous comprenez ce à quoi je veux en venir? Les institutions financières sont régies par la Loi sur les banques. Celle-ci énonce clairement ce qu'on peut utiliser comme garantie en échange d'un prêt. D'après votre interprétation, la définition limite-t-elle les garanties qu'on peut fournir pour obtenir un prêt sur salaire comme étant simplement une liste de choses définies comme des prêts sur salaire, ou est-ce que vous voyez ce qui me pose problème?
M. Agnew : Je ne suis pas l'auteur du projet de loi. Il ne m'appartient donc pas de l'interpréter, mais je comprends au moins le but visé, soit restreindre la définition des prêts sur salaire, d'une part, et ne pas permettre aux prêteurs sur salaire d'exiger un nantissement en échange d'un prêt, d'autre part.
Le sénateur Baker : Si on exclut certaines choses, ou si on prévoit un article d'exclusion qui dispose que les prêts sur salaire ne s'appliquent pas à la liste suivante, article très court, de cinq phrases, pourquoi ne pas simplement ajouter cinq phrases à la Loi sur les banques aux fins des garanties de prêt? Je présume que, selon le vice-président, on ne peut pas utiliser de bien pour garantir ce genre de prêt en particulier. Qu'en est-il de l'utilisation des permis de pêche pour sûreté? Les permis de pêche ne sont pas inclus.
Le sénateur Angus : Peu importe le bien.
Le sénateur Baker : N'importe quel bien, et pourtant, on énumère les biens meubles, les prêts marginaux, les prêts sur gage, les marges de crédit et les cartes de crédit. Pourquoi ne pas simplement dire ce que le vice-président a dit, c'est- à-dire simplement interdire l'utilisation d'un bien pour sûreté? Pourquoi prévoir une liste de choses? C'est simplement une question légale, et je suis sûr que le vice-président a une opinion là-dessus. En avez-vous une?
M. Agnew : Je m'en remets toujours à l'avis du vice-président sur ces questions.
Le sénateur Baker : Vous ne trouvez pas étrange de lire la Loi sur les banques et d'y voir des centaines de pages définissant ce qu'on peut utiliser comme sûreté ou pas, et à peine cinq phrases dans le présent projet de loi pour faire la même chose? Ne serait-il pas merveilleux si la Loi sur les banques était ainsi?
Le sénateur Goldstein : Ce n'est pas possible.
Le sénateur Angus : En fait, le but du projet de loi est de s'éloigner de la Loi sur les banques.
Le sénateur Baker : Je vais poser une autre question, alors. Le gouvernement de Terre-Neuve s'oppose au projet de loi pour une raison. Il a envoyé une lettre au comité dans laquelle il indiquait qu'il était favorable à la modification du Code criminel pour exempter les prêts de 1 500 $ ou moins, et dont la durée est d'au plus 62 jours, mais qu'il s'opposait à l'exigence relative à la délivrance de licences ou d'une autre forme d'autorisation aux prêteurs en vertu d'une loi provinciale. En d'autres termes, le gouvernement de Terre-Neuve est en train de dire « Écoutez, changez l'article du Code criminel en question, mais ne nous obligez pas à gérer les prêteurs sur salaire. » Sa raison est simple — et le vice- président n'est pas d'accord, bien entendu, alors qu'il devrait l'être — : cela coûtera de l'argent à la province, pas seulement pour la réglementation mais aussi pour l'application de cette disposition, et au bout du compte, les prêteurs sur salaire vont faire payer la note aux utilisateurs de leurs services. Le gouvernement estime que c'est injuste, et c'est pourquoi il se demande pourquoi ne pas simplement laisser les choses à l'échelon fédéral. Qu'en pensez-vous?
M. Agnew : Malheureusement, une des caractéristiques de notre merveilleux pays est que nous ne ferons pas toujours l'unanimité sur ce genre de questions. N'étant plus chargé d'élaborer des politiques publiques, je ne pense pas qu'il m'appartienne, ou qu'il appartienne aux autres témoins assis à la table maintenant, de me prononcer sur ce qui aurait pu ou aurait dû être fait. Nous devons composer avec la réalité.
À l'heure actuelle, le problème, du point de vue de la protection des consommateurs, réside dans le fait que nous nous trouvons, s'agissant des prêts sur salaire, en terrain neutre. Évidemment, la voie choisie ne fait pas l'unanimité. Je sais que certaines provinces, bien qu'elles ne soient pas farouchement opposées, sont, à tout le moins, réfractaires à l'idée d'assumer une compétence qui leur a été imposée. Peut-être Terre-Neuve devrait-elle choisir une autre voie pour se faciliter la tâche.
Le sénateur Baker : Si le projet de loi est adopté tel quel, et que la province ne réglemente pas le secteur, les prêteurs sur salaire ne pourront plus faire affaire dans cette province. Quelqu'un a-t-il une opinion là-dessus? En d'autres termes, Terre-Neuve-et-Labrador ne compterait plus de prêteurs sur salaire, aux termes de la loi.
Permettez-moi de poser une dernière question.
M. Agnew : Mes collègues attendent impatiemment une question.
Le sénateur Baker : Vos collègues ont-ils une observation à faire au sujet de la position du gouvernement de Terre- Neuve par rapport au projet de loi? Ont-ils quelque chose à ajouter au sujet de la définition de « prêt sur salaire » prévue dans le projet de loi? Une réaction au changement proposé au Code criminel quant aux infractions commises et aux sanctions prévues en vertu d'une déclaration de culpabilité sommaire et des infractions criminelles prévues dans le projet de loi?
M. Rossi : Sauf votre respect, sénateur, vous êtes en train de poser des questions d'orientation fondamentales autour du libellé du projet de loi. Les témoins assis à la table aujourd'hui ne sont pas des législateurs comme tels, il est donc difficile de répondre à une question de ce genre.
À ma connaissance, le projet de loi a émané de discussions entre deux ministères fédéraux et des provinces, et c'est ce qui a présidé à la discussion stratégique. Par conséquent, il serait déplacé de notre part de tenter d'aborder la question sous l'angle proposé, bien que nous croyions comprendre votre point de vue.
Le sénateur Baker : Je vais alors poser une dernière question. Si quelqu'un se plaint d'une institution financière ou d'une banque et qu'il s'adresse à un de vos organismes, il me semble que vous êtes tous limités quant aux types de plaintes que vous pouvez régler. En effet, vous pouvez régler des plaintes concernant une transaction en particulier, mais vous n'êtes pas constitué en personne morale. Je n'arrive pas à trouver, par écrit, une entité morale à laquelle le consommateur peut s'adresser pour faire une plainte au sujet d'une banque qui aurait agi en dehors du cadre de la Loi sur les banques, c'est-à-dire une banque qui agit en marge de la loi. Ai-je raison ou tort?
M. Rossi : En fait, cela relèverait de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada. Cela étant, nous traitons les plaintes des consommateurs en cas de violation des lois régissant les institutions financières fédérales. Nous faisons le suivi de ces plaintes et examinons la situation pour déterminer s'il y a eu violation ou pas. Nous menons à terme notre enquête, et notre commissaire a la capacité, par voie législative, de noter les violations commises par les institutions financières en vertu de la législation régissant les institutions financières fédérales. C'est ainsi qu'est régi le secteur bancaire, comme vous l'avez mentionné. De même, c'est ainsi que nous agirions de façon systématique. À titre d'organisme, nous ne sommes pas habilités à dédommager les consommateurs. C'est là qu'intervient le rôle de l'ombudsman.
Le sénateur Baker : En d'autres termes, si vous avez des ennuis avec une banque, l'ombudsman vous suggérerait alors d'aller voir la banque pour essayer de les régler. Vous iriez voir l'ombudsman s'il s'agit d'une question d'interprétation de la loi — si le consommateur croit que la banque ou l'institution financière en question a agi en dehors du cadre législatif. Autrement dit, si on vous demande une sûreté qui n'est pas autorisée par la Loi sur les banques ou, dans le cas des prêts sur salaire, une sûreté non autorisée par la définition des prêts sur salaire. Dans un tel cas, on irait vous voir.
M. Rossi : Pas dans le cas des prêts sur salaire, puisque ceux-ci ne tombent pas sous le coup des lois régissant les institutions financières. En vertu du régime proposé par le projet de loi C-26, ils tomberaient sous le coup de la législation provinciale. Là encore, notre action est limitée par la loi fédérale.
Le sénateur Baker : Si quelqu'un veut se plaindre d'une institution financière, estimant que celle-ci a agi en dehors du cadre de la Loi sur les banques en exigeant une sûreté pour des créances, il pourrait alors consulter directement votre site web — et quelle en est l'adresse? — et déposé sa plainte?
M. Rossi : En effet, le site se trouve à l'adresse www.acfc.gc.ca, et on y trouve une liste des choses que notre agence peut faire dans le cas de plaintes.
Le sénateur Baker : Vous m'avez déjà dit que vous pouvez donner suite à une plainte contre une institution financière faite par un consommateur qui croit que la Loi sur les banques a été violée, notamment en ce qui a trait aux sûretés ou aux prêts.
M. Rossi : Si la banque a violé une des dispositions de la Loi sur les banques relatives aux consommateurs, la réponse est oui. Nous sommes l'Agence de la consommation en matière financière du Canada, et notre loi habilitante comporte certaines dispositions relatives aux consommateurs. Nous veillons à l'application de ces aspects de la loi. Tout ce qui déborde de ce cadre serait réglementé par le Bureau du surintendant des institutions financières. Ce serait l'autre organisme de réglementation, sinon ce serait un organisme provincial. La loi comporte un certain nombre de dispositions relatives à la protection des consommateurs et nous veillons à leur application.
Le sénateur Baker : Très bien. Aimeriez-vous nous faire part de vos impressions sur les nouvelles dispositions du Code criminel, lesquelles n'ont absolument rien à voir avec ce sujet en particulier mais qui sont néanmoins contenues dans le projet de loi? Non?
Le sénateur Banks : Je suis un néophyte, et j'aimerais poser une question aux représentants de l'ACFC et à M. Agnew, car je crois que vos intérêts portent notamment sur la protection des intérêts des consommateurs. Dans un cas, je présume que c'est une sorte de rôle d'intermédiaire entre les banques et les consommateurs, et dans l'autre, votre rôle est de protéger les consommateurs. Si vous deviez tout recommencer depuis le début et commencer à partir d'une page vierge, préféreriez-vous que les questions qui tombent sous le coup de la Loi sur les banques, et plus précisément les articles relatifs à la protection des consommateurs, soient confiées aux provinces?
M. Rossi : C'est une question stratégique fondamentale, et nous ne sommes pas des législateurs, même en ce qui a trait à la Loi sur les banques. Cela relève du ministère des Finances. Les questions de ce genre devraient probablement être posées à des responsables du ministère.
Le sénateur Banks : Ma question était celle-ci : si vous étiez le roi et que vous vouliez tout refaire, que vous vouliez vous assurer de faire le meilleur travail pour représenter les intérêts des consommateurs de services financiers, et si cela était de votre ressort et que j'étais votre sujet, diriez-vous alors que vous pourriez représenter le mieux les intérêts des consommateurs si la réglementation était une compétence fédérale ou provinciale? Je vous pose la question, parce que vous êtes un expert dans ce domaine.
M. Rossi : Il y a deux raisons pour lesquelles je ne pouvais être le roi au Canada. Premièrement, il y a la Constitution, ce qui n'est pas de mon ressort. La Constitution établit certains pouvoirs, et ces pouvoirs doivent être respectés. Je ne pourrais pas être roi pour cette raison.
Le sénateur Banks : Vous n'êtes pas assez grand non plus.
M. Rossi : La deuxième raison est que, du point de vue de l'agence, je ne suis pas le commissaire. Je ne voudrais donc pas m'aventurer en essayant de deviner ce que notre commissaire penserait ou ne penserait pas de cette question en particulier.
Le président : Si le commissaire a des avis là-dessus, je vous invite à nous en faire part par écrit. Il est clair que nous nous intéressons à ce genre de points de vue.
Le sénateur Banks : Êtes-vous limité par les contraintes imposées aux fonctionnaires? C'est la même question.
M. Agnew : Permettez-moi de l'esquiver d'une autre façon, c'est-à-dire en vous disant ce qui n'est pas utile. Il n'est pas utile d'avoir une multitude d'agences, de compétences et de textes législatifs. Si un sénateur a de la difficulté à comprendre les rôles des personnes ici présentes et les fonctions de chacun d'entre nous, sachez que le consommateur moyen, qui n'a pas d'interaction quotidienne avec nous, ne sera guère mieux placé. En effet, je sais que le travail du comité consiste notamment à essayer d'insister sur la nécessité de faciliter la vie des consommateurs qui éprouvent certaines difficultés et qui veulent faire des plaintes.
Le sénateur Banks : J'habite dans une province où il y a une ville qui s'appelle Lloydminster, et la frontière provinciale longe le milieu de la rue principale. Je présume qu'il y a la possibilité, à tout le moins, que la loi qui sera mise en vigueur dans les diverses provinces comporte quelques différences. En fait, il se peut qu'une province décide de ne pas adopter de loi.
M. Agnew : Tout à fait. Nous avons vu la difficulté éprouvée quand il a fallu harmoniser dans d'autres domaines la position, pas seulement des 10 provinces, mais également celle des trois territoires, et la position du gouvernement fédéral.
Pour garder les choses à l'échelon le plus général possible, je pense que tout ce qui pourrait être fait pour harmoniser et démystifier l'approche serait souhaitable. Pour l'instant, je ne suis pas tellement préoccupé par l'aspect réglementaire, c'est-à-dire le fardeau réglementaire que devront assumer les entreprises. D'ailleurs, ce n'est pas l'objet de l'étude dont est saisi le comité, puisqu'il s'agit davantage de la protection des consommateurs. Évidemment, on aide en rien le consommateur si celui-ci ne sait plus où donner de la tête. Nous avons travaillé très fort ensemble. Par exemple, l'Agence de la consommation en matière financière du Canada et mon bureau, de concert avec les organismes de réglementation provinciaux et grâce à des investissements consentis par d'autres organismes, avons voulu faire en sorte que, quand quelqu'un nous appelle — et j'emprunte ici l'expression du gouvernement fédéral —, l'approche qui prévaudra sera celle de l'accès « sans fausse route ». Peu importe à qui on s'adresse, on entre dans le système et c'est la bonne porte d'accès. Nous nous rapprochons de cet objectif, plus qu'auparavant. Au bout du compte, pour ce qui nous intéresse tous, ce serait beaucoup plus utile que si nous essayions de redéfinir le système.
Le sénateur Banks : Je présume que vous serez d'accord avec la proposition voulant que, et j'utilise l'exemple de Lloydminster où il y aurait une personne vivant en Saskatchewan qui emprunterait de l'argent à un prêteur de l'autre côté, de l'Alberta, ou l'inverse, l'égalité de l'accès à la sécurité du consommateur, sa représentation, ses intérêts, seraient mieux assurés s'il y avait concordance et harmonisation absolues des législations provinciales ou s'il y avait une loi fédérale qui s'appliquait à l'ensemble du pays.
M. Agnew : Nous vivons dans le monde du possible, le monde du fantastique. Le monde du possible est ce monde où 14 gouvernements peuvent s'asseoir ensemble avec des représentants sectoriels et des représentants des consommateurs pour esquisser un consensus, même si celui-ci n'est pas absolu. L'autre monde, celui du fantastique, est celui où l'on dit à tous, allez-y, arrangez-vous entre vous. Je me brancherais sur Internet et j'emprunterais de l'argent. Cela nous préoccupe tous, car nous voulons trouver un moyen de contenir le problème.
Le projet de loi actuel, comme vous le savez mieux que moi, s'attaque à ce genre de symptôme, pas à tout le problème. En effet, nous avons un problème de taille entre les mains, soit celui des connaissances économiques et financières. Nous avons des problèmes systémiques relatifs à l'accès aux infrastructures ainsi qu'aux systèmes électroniques qui ne permettent pas aux gens d'avoir accès à des services financiers.
Valhalla sera construite brique par brique. En dernière analyse, c'est à vous qu'il incombera de décider si le projet de loi constitue une telle brique.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Ma question s'adresse à monsieur Lévesque. Si le droit de réglementation est délégué aux provinces, est-ce l'adresse de résidence du particulier qui déterminera quel règlement s'appliquera ou celle de l'établissement qui offre le prêt?
M. Lévesque : Je ne peux pas spéculer sur la manière dont la législation s'appliquera une fois mise en place mais actuellement, au Québec, les prêteurs sur salaire ne peuvent obtenir de permis d'opération. Pourtant, cela n'empêche pas les consommateurs québécois de traverser la frontière pour obtenir un prêt sur salaire en Ontario, ce qui est le cas des résidents de l'Outaouais, par exemple.
Le sénateur Massicotte : Selon la législation provinciale, c'est l'adresse de la résidence du consommateur qui est déterminante. Donc un propriétaire d'établissement situé proche de la frontière d'une autre province doit gérer deux règlements différents dépendamment de la résidence du consommateur?
[Traduction]
M. Rossi : Ne pas se livrer à de la spéculation est, à notre avis, la meilleure façon de faire. Nous ne savons pas ce que les discussions entre les provinces signifieront pour la mise en place d'un système réglementaire que le projet de loi faciliterait. Il nous serait donc très difficile de dire comment les choses se dérouleront s'il devait y avoir un accord entre les provinces. Cela déborde du cadre des discussions auxquelles nous prendrions part.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Chaque province pourra décider. Il est possible qu'il y ait des différences entre l'application et l'intention du projet de loi. Pour le consommateur, cela devient compliqué. Même l'Ontario a réagi. Le calcul du taux d'intérêt, quant à eux, relève de la compétence fédérale. On espère qu'il y aura une uniformité, mais ce ne sera pas nécessairement le cas. Le fédéral sort complètement du champ de la pratique. Il n'y a pas de discipline comme telle. Alors cela risque d'être compliqué pour le consommateur.
M. Lévesque : Ce qui compte pour nous c'est que le consommateur, qui fait face à différents produits et services financiers, puisse prendre une décision éclairée qui réponde à ses besoins et qui soit la moins coûteuse possible.
Le sénateur Massicotte : Le consommateur devra trouver quel endroit lui est le plus favorable et éviter la réglementation de certaines provinces. C'est peut-être le cas aujourd'hui aussi.
M. Lévesque : C'est possible, mais je ne pourrais pas commenter cela.
Le sénateur Massicotte : Le consommateur peut aussi être une corporation, membre important de notre économie. Ce projet de loi s'adresse à ceux qui prêtent un montant d'argent de 1 500 $ ou moins. Il existe sur le marché de multiples ententes où le prêteur a possiblement une participation, une équité, une dette et des profits de l'entreprise à qui il prête. Conséquemment, la loi est très contraignante pour ces prêteurs. Le monde des affaires a toujours dit qu'il faudrait trouver une solution à cette situation. Ce projet de loi n'apporte aucune solution.
Est-ce que c'est quelque chose que l'on devrait regretter ou devrait-on plutôt s'engager à faire un autre projet de loi pour régler ce problème?
M. Lévesque : Étant donné notre mandat, comme on l'a mentionné un peu plus tôt, étant donné que nous ne sommes pas en mesure de commenter sur les politiques qui sont développées — personnellement et peut-être que mon collègue est du même avis — on ne peut malheureusement pas vous aider sur cette question.
M. Rossi : Tout à fait, les personnes qui s'occupent de la politique seraient plus en mesure de répondre à cette question qui est une question de politique fondamentale.
[Traduction]
Le sénateur Meighen : Je ne sais pas si l'un d'entre vous peut répondre à cette question, mais elle s'inscrit dans le même ordre d'idées que la question développée par le sénateur Baker. Supposons que Terre-Neuve-et-Labrador décide de ne pas réglementer le secteur. Quelle serait alors notre position? Le Code criminel est en place, bien entendu, est-ce que ce serait le statu quo en vertu duquel les procureurs généraux des provinces doivent donner leur consentement avant que ne soient engagées des poursuites en vertu de l'article 347. Est-ce que c'est dans cette situation que nous nous trouverions? Quelqu'un est-il en désaccord?
Le président : Je pense que c'est unanime. C'est le droit de tous les procureurs généraux provinciaux. Bien entendu, certains se sont plaints des pratiques des prêteurs sur salaire. Nous supposons que la raison pour laquelle les provinces ont opté pour des recours collectifs civils est que les procureurs généraux provinciaux ont décidé de ne pas invoquer le Code criminel dans ce domaine. C'est au procureur général provincial qu'il incombe de faire ce choix, mais cela semble être le cas.
Les éléments d'information dont nous disposons jusqu'ici signalent qu'un certain nombre de recours collectifs ont été intentés à l'échelle du pays, mais à la lumière des informations dont nous disposons pour le moment, aucun procureur général provincial n'a intenté de poursuites pénales.
Le sénateur Meighen : Voyez-vous là un danger de législation fragmentaire, de choix sélectif de compétences et de dangers consécutifs? Cela vous inquiète-t-il?
M. Rossi : Vous me posez des questions d'orientation fondamentale, et aucun d'entre nous ici à la table n'est un décideur en matière stratégique. Il est donc difficile de répondre à cette question.
Le sénateur Meighen : Je ne vous demande pas d'approuver ou de désapprouver l'orientation. Nous sommes en train de discuter d'une orientation proposée. À supposer qu'elle entrera en vigueur, quelles en seront les conséquences pour votre travail? Sera-t-il plus facile ou plus difficile?
M. Rossi : Je peux vous donner le point de vue de l'agence. S'agissant de l'application de la loi, elle n'aura pas d'incidence sur notre travail. Notre cadre réglementaire est clairement défini dans la Loi sur les banques et d'autres lois relatives aux institutions financières. La Loi sur l'ACFC dispose clairement que notre mandat doit être exécuté dans les limites du cadre établi pour l'application de la loi.
La discussion initiale que nous avons eue au sujet de la sensibilisation suivra son cours, mais comme mon collègue l'a mentionné, du point de vue fédéral, notre agence a pour mission de colmater les brèches, ce que nous pouvons faire même s'il s'agit de questions de compétence provinciale. C'est là toute l'incidence sur notre agence, puisqu'il n'y a pas de répercussions sur les plans de la conformité et de l'application de la loi.
Le sénateur Meighen : C'est peut-être votre cas, monsieur Rossi, mais qu'en est-il des autres?
M. Agnew : C'est la différence entre une situation idéale et la réalité. Nous mesurons nos progrès littéralement au millimètre près. Si cela signifie qu'à une certaine date, les consommateurs dans six provinces peuvent demander un dédommagement en raison d'une irrégularité liée à un prêt sur salaire, ce serait alors une situation meilleure que celle d'aujourd'hui, puisque le dédommagement serait nul aujourd'hui. Doit-on en conclure que j'adhère sans réserve à cette loi? La réponse est non.
Comme je l'ai dit, je suis agnostique quant à l'approche, dans une certaine mesure, et pour promouvoir la protection des consommateurs, on doit se demander si cela nuit à l'objectif. C'est une grande question d'intérêt général. Est-ce qu'elle nous distrait de notre objectif? J'entrevois la possibilité d'inclure, à terme, un plus grand nombre de personnes sous une même houlette de protection des consommateurs, notamment ceux qui font partie de la situation actuelle.
Le président : Nous avons entendu le sénateur Baker, le sénateur Massicotte et maintenant le sénateur Meighen, et j'ai l'impression que tous les sénateurs sont préoccupés par une loi fédérale qui risque de se traduire par une approche fragmentaire en matière de protection des consommateurs à l'échelle du pays. M. Agnew a déjà dit qu'un demi-pain ou trois quarts d'un pain, c'est mieux que pas de pain du tout. Cela étant, il n'en demeure pas moins que ce projet de loi déléguera le pouvoir aux provinces, et nous risquons de nous retrouver avec une mosaïque législative. Cela nous trouble quelque peu.
Je voulais vous faire part de ces réserves, car nous devons concilier le désir de régler un problème concernant les consommateurs, d'une part, et la nécessité d'établir une approche uniforme à l'échelle du pays, d'autre part.
Le sénateur Meighen : Monsieur le président, nous ne pouvons laisser le mieux être l'ennemi du bien.
Le président : Je soulève la question, simplement parce que c'est la question sur laquelle nous allons devoir nous prononcer.
L'essentiel des activités de prêts sur salaire a lieu en Ontario. Nous avons été heureux de recevoir une brève note en date du 19 mars signée par un ancien collègue et ami, Gerry Phillips, le ministre des Services gouvernementaux de la province de l'Ontario. Je vais lire deux paragraphes pour le compte rendu et pour l'édification des témoins, et je vous demanderais d'y réagir, car elle concerne la question des pouvoirs et responsabilités fédéraux dont sont investis les mandataires fédéraux. Voici la teneur des deux derniers paragraphes :
L'Ontario, qui est un chef de file en matière de protection des consommateurs, considère depuis longtemps que, s'agissant des prêts sur salaire, les emprunteurs sont mieux protégés par un programme d'établissement des taux national et sous responsabilité fédérale. Toutefois, je comprends que ce point de vue ne soit pas celui auquel adhèrent plusieurs autres provinces et territoires, ni même les députés à la Chambre des communes fédérale.
Et de conclure :
Avant l'adoption du projet de loi C-26, l'Ontario continuera à chercher des façons de s'attaquer aux pratiques inquiétantes du secteur des prêts sur salaire, de même qu'elle continuera à examiner les options pour renforcer la protection des emprunteurs. En effet, nous continuerons à offrir aux consommateurs ontariens le plus haut degré de protection possible, tout en gardant à l'esprit la position du gouvernement fédéral, à savoir que la réglementation de ce secteur devrait être une compétence provinciale.
La province de l'Ontario dit qu'elle préférerait une intervention fédérale pour réglementer le secteur en adoptant des normes nationales en matière de taux ou un programme sous responsabilité fédérale. Elle ne veut pas s'opposer à cette initiative.
Je voudrais me mettre à votre place en tant que mandataires fédéraux. Selon l'Ontario, une meilleure façon de procéder serait par le truchement d'un programme national d'établissement des taux, programme qui serait sous responsabilité fédérale. Qu'en pensez-vous?
Si vous n'êtes pas en mesure de répondre maintenant ou si vous préférez nous envoyer une réponse par écrit après la réunion, nous sommes tout à fait disposés à recevoir une telle lettre plus tard. Nous nous intéressons beaucoup à cette question. Vous pouvez voir que les sénateurs sont préoccupés. Nous n'aimons pas déléguer un pouvoir fédéral sans avoir la conviction qu'il sera remplacé par quelque chose qui préserve l'intérêt public de façon uniforme à l'échelle du pays. Aidez-nous dans ce sens.
Je vous invite à nous donner, dans vos champs de responsabilités respectifs, monsieur Rossi, monsieur Agnew, madame Downie, monsieur McAllister et monsieur Lévesque, des conseils en votre qualité de mandataires fédéraux. Vous avez une certaine responsabilité quant à ce pouvoir fédéral.
M. Agnew : Je ne pensais pas que vous vous adressiez à moi.
Le président : Je m'adresse à vous tous en fait.
M. Agnew : Je ne fais pas partie du régime de retraite.
Le président : Vous êtes un mandataire du Parlement, mais vous n'êtes pas un agent fédéral. Au bout du compte, nous sommes tous des représentants fédéraux ici.
M. Agnew : J'ai exprimé mon point de vue. Vous déléguez un pouvoir qui, pour le moment, selon les dispositions du projet de loi, est un exercice. En d'autres termes, la partie relative à la protection des consommateurs contenue dans le projet de loi n'est pas encore une réalité. C'est là notre point de départ. C'est le point A. Maintenant, le point B n'a pas encore été défini. Évidemment, la lettre laisse entendre que le dossier n'est pas tout à fait clos, et que la situation pourra changer si le pouvoir est délégué aux provinces. Je pense que la situation changera pour les provinces qui n'ont pas encore pris de décision à cet égard, car tout d'un coup, contrairement à la situation actuelle, elles se retrouveront avec ce dossier entre les mains
Le président : Monsieur Agnew, nous avons entendu dire que même si le projet de loi était adopté sans amendement, tel quel, Terre-Neuve-et-Labrador ferait exactement comme le Québec, c'est-à-dire qu'elle se retirerait essentiellement de ce secteur. Avez-vous des impressions sur la question que j'ai posée au sujet du problème?
Mme Downie : J'ai quelques observations à faire et qui se rapportent à la politique de la concurrence. Premièrement, pour ce qui concerne la délégation de pouvoirs, nous pensons que ce secteur n'est pas encore réglementé, et, donc, le gouvernement fédéral ne se retire pas du secteur comme tel, de sorte que la Loi sur la concurrence continuera à s'appliquer au secteur. Dans la mesure où il y a des plaintes concernant de la publicité trompeuse ou des fusions anticoncurrentielles ou encore la manipulation des prix, et concernant d'ailleurs toute autre question qui tombe sous le coup de la Loi sur la concurrence, nous continuerons à être habilités à les régler.
Le président : Pour résumer ce que vous dites, même si nous annulons en partie le pouvoir criminel, essentiellement nous n'annulons pas le pouvoir concurrentiel. Or, utiliser le pouvoir en vertu de la Loi sur la concurrence n'est-il pas la même chose que le pouvoir criminel, en fait, en d'autres termes, n'y a-t-il pas un chevauchement ici? Le pouvoir concurrentiel, qui est un pouvoir fédéral, doit utiliser les pouvoirs criminels pour faire respecter la Loi sur la concurrence.
Mme Downie : Même s'il y a différents pouvoirs criminels, il y a des pouvoirs criminels en vertu de la Loi sur la concurrence et ils vont continuer de s'appliquer.
Le président : Les deux utilisent le pouvoir criminel, mais différemment.
Mme Downie : Les pouvoirs criminels aux termes de la Loi sur la concurrence viennent en fait des dispositions de la Loi sur la concurrence comme telle.
Le président : Ils demeurent en place, et dans une certaine mesure cela nous rassure car les pouvoirs du Bureau de la concurrence ne sont pas annulés et ce dernier va continuer d'exercer une surveillance fédérale. Est-ce raisonnable d'affirmer une telle chose, en supposant que le projet de loi à l'étude serait adopté sans amendement?
Mme Downie : La Loi sur la concurrence continuera de s'appliquer.
Le sénateur Harb : Je ne suis pas certain de vous suivre. Si la province de l'Ontario adopte une loi afin de réglementer l'industrie en Ontario, est-ce que vous nous dites que vous allez continuer d'exercer votre pouvoir sur ce qui devient alors une compétence provinciale? En fait, vous voulez avoir le beurre et l'argent du beurre!
Le président : Pour être juste envers le témoin, je pense qu'elle dit que la Loi sur la concurrence, qui utilise le pouvoir criminel pour faire respecter la loi, n'est pas exemptée, tandis que le pouvoir en vertu du Code criminel aux termes de cet article est exempté.
Permettez-moi d'aller un peu plus loin. J'aimerais que vous examiniez tous ce petit livret qui nous a été présenté ici aujourd'hui. Il s'intitule Le coût des prêts sur salaire et qui a été publié par l'Agence de la consommation en matière financière du Canada, qui est représentée ici. J'aimerais que vous vous reportiez à la page 11. L'un des témoins — je crois que c'était M. Agnew ou quelqu'un d'autre, a dit qu'il n'était pas malheureux avec ce projet de loi — je crois que c'était le Bureau de la concurrence du Canada, car il donne essentiellement un choix au consommateur. Je crois que c'est M. Rossi ou M. McAllister qui a dit que le consommateur a le choix ici. Nous n'aimons pas réglementer. Nous aimons que les prix soient réglementés par le marché, et je ne suis pas contre cela. C'est une bonne politique économique, mais je voudrais maintenant parler de la question du choix.
Si on donne un choix aux consommateurs, ils peuvent donc exercer ce choix. On sait que 10 p. 100 de la population canadienne ne peut payer ses factures mensuelles; ce n'est pas une question de choix; ces gens ne peuvent joindre les deux bouts. Dix pour cent de la population doit faire appel à des prêts sur salaire. C'est la taille du marché au départ.
Regardons maintenant comment cela fonctionne et voyons si cela répond au critère minimum, comme le disait feu M. le juge Estey. Ce tableau est troublant. Ceux qui nous écoutent n'ont pas ce tableau devant eux, alors je vais le lire. On y compare le coût d'un prêt de 300 $ d'une durée de 14 jours.
En fait, le projet de loi parle de 1 500 $ et de 62 jours, mais je suppose que l'Agence de la consommation en matière financière du Canada a choisi ce montant comme étant un montant moyen. Je suppose qu'il y a une raison pour laquelle ces chiffres ont été choisis. M. Lévesque dit que c'est une approche modérée, et c'est très bien.
Il y a quatre titres ici : prêt sur salaire, avance de fonds sur carte de crédit, protection de découvert sur compte bancaire et enfin emprunt sur une marge de crédit d'une institution financière. On indique ensuite les frais applicables pour un prêt de 50 $ : 4,13 $, 2,42 $, 1,15 $. Enfin, on conclut que le coût annuel serait de 435 p. 100 pour un prêt sur salaire, de 36 p. 100 pour une avance de fonds sur carte de crédit, de 21 p. 100 pour la protection de découvert sur compte bancaire et de 10 p. 100 pour un emprunt sur une marge de crédit.
Supposons, pour fins de discussion, que 10 p. 100 de la population n'a pas le choix de recourir à une avance de fonds sur carte de crédit, de protection de découvert sur compte bancaire ou de marge de crédit, comme les témoins l'ont dit à notre comité. Ils sont obligés d'utiliser les prêts sur salaire s'ils veulent obtenir de l'argent comptant.
J'ai commencé par dire que nous comprenons tous qu'il s'agit d'un service dont les Canadiens ont évidemment besoin. Que pouvons-nous dire lorsque nous sommes confrontés à ce que n'importe qui considérerait comme étant un pourcentage exorbitant. Je n'aime pas utiliser d'autres adjectifs, mais cela semble être beaucoup d'argent, lorsqu'on parle de 435 p. 100 par an.
Je vous demande maintenant de me répondre en tant que fonctionnaires fédéraux. Si vous étiez saisis de la question et que votre agence ou vous-mêmes étiez chargés de la réglementation ou de la surveillance de cette question, qu'en penseriez-vous? Porteriez-vous la question à l'attention de vos gouvernements et de vos organismes d'application? Que feriez-vous? Je ne vous demande pas de donner un avis sur une question provinciale. Je vous demande de donner un avis sur une question fédérale qui relève de votre compétence. Aidez-nous.
M. Agnew : Franchement, je suis certain que cela est déjà arrivé. Ce ne sont pas de nouveaux chiffres. Il s'agit en fait d'un vieux livret.
Le président : Je suppose qu'il s'agit d'une analyse très pratique.
M. Lévesque : Je dirais que c'est une analyse modérée.
M. Agnew : C'est une analyse très modérée. Nous savons cela d'après vos chiffres. Vous pourriez certainement présenter des faits qui seraient beaucoup plus choquants et avec des taux plus exorbitants. Ce sont des faits. Cela est une réalité connue et, comme vous le dites, les gens continuent de recourir à ce même service.
Pour être tout à fait répétitif et ennuyant, à l'heure actuelle, il n'y a absolument rien sauf les recours collectifs à titre de protection dans ce domaine. Nous savons que cela est sans doute une piètre consolation en réalité pour la plupart des gens. C'est le résultat, pour sortir de cette impasse. C'est là où nous en sommes. Votre adjectif est tout aussi bon que n'importe lequel que j'aurais pu trouver. Il y en a beaucoup qui pourraient s'appliquer.
Le président : Les représentants du Bureau de la concurrence du Canada pourraient peut-être nous aider?
M. McAllister : J'aimerais apporter un éclaircissement à ce que j'ai dit précédemment. Dans ce secteur, il y a un certain nombre d'intervenants sur le marché; ils semblent se regrouper. Selon les observations, on pourrait croire que les consommateurs ont un choix et cela devrait être un secteur extrêmement concurrentiel. Cependant, pour une raison ou une autre, il semblerait que cela donne les résultats comme ceux que l'on retrouve ici à la page 11.
C'est pour cette raison que j'ai dit que nous n'étions pas ici pour dire « Il faut compter uniquement sur la concurrence et sur les forces du marché. » Il semble que l'on a beaucoup considéré cet aspect. Lorsqu'on regarde ces chiffres, il semble qu'un certain nombre de gens en sont arrivés à la conclusion que l'on a désespérément besoin d'une certaine forme de protection des consommateurs, ce que le projet de loi à l'étude permettrait d'avoir.
Cela dit, le Bureau de la concurrence ne réglemente pas les prix quotidiennement. Dans la plupart des secteurs, nous comptons sur la concurrence et sur les forces du marché et ici la situation nous semble être tout à fait inhabituelle en ce sens qu'il y a de nombreux participants sur le marché et pourtant les taux sont apparemment très élevés. Est-ce parce qu'il s'agit d'une catégorie de consommateurs très vulnérables ou de consommateurs qui n'ont pas les renseignements adéquats pour prendre des décisions éclairées? Nous ne savons pas, mais il semble ici qu'on a désespérément besoin de redresser la situation.
Le sénateur Baker : Pourrions-nous demander aux témoins s'ils auraient des observations à faire sur le fond, la particularisation que vous avez utilisée dans votre question lorsque vous avez dit que ces autres services n'étaient pas offerts à un grand nombre de gens dans notre société. En d'autres termes, les banques et les institutions financières étant réglementées ici n'offrent pas un tel service à ces gens. Vous avez dit que c'était pour cette raison qu'il était nécessaire d'offrir ce service à un groupe de gens. Le problème ici est peut-être la nature non concurrentielle de nos institutions financières, le fait qu'elles ont quitté le domaine; peut-être que nous devrions légiférer nos institutions financières pour combler cette lacune. Qu'en pensez-vous?
M. Agnew : Clairement, c'est mon tour. J'ai quelques observations à faire. Tout d'abord, je ne sais pas si c'est la réponse. Je crois comprendre que le président et peut-être d'autres honorables sénateurs ont un sentiment de frustration du fait qu'il s'agit d'un projet de loi dont l'objectif est très étroit et qui prévoit une certaine possibilité de mettre en place certaines mesures de protection du consommateur dans certaines provinces, mais cela n'est pas satisfaisant. Ce n'est pas une réponse.
Ce n'est pas à moi de vous donner des conseils sur ce que vous devez faire; mais si j'étais à votre place, je ferais tout en mon possible pour m'assurer que ces autres questions dont nous avons parlé — ce n'est pas seulement un manque de services; il y a un problème de pauvreté intégrée qui crée une certaine partie de cette activité. Il y a un manque de connaissances en matière financière qui contribue également en partie à ce problème. Il y a toutes sortes de choses qui vont au-delà de mes compétences et de mon domaine dont on pourrait peut-être également parler.
Le président : Je soulève cette question car demain, nous allons examiner la Loi sur les banques et les institutions financières. Le sénateur Baker a été prévoyant en soulevant cette question et je suis certain qu'elle sera soulevée par les banquiers lorsqu'ils seront ici demain.
Avez-vous d'autres observations au sujet de ce que je vous ai proposé?
Mme Downie : Non, je ne pense pas en avoir.
Le président : Est-ce que l'absence de choix vous préoccupe?
Mme Downie : En fait, il semble qu'il y ait beaucoup de choix dans ce secteur, comme ils l'ont mentionné. En fait, il doit y avoir autre chose qui se passe; c'est peut-être un problème d'information du consommateur. Nous n'avons pas étudié l'industrie en détail pour pouvoir le dire.
Le président : Nous avons vu certaines études qui ont été faites par une organisation qui s'appelle Eterna. Ces études révèlent essentiellement qu'au moins 10 p. 100 de la population n'a pas d'autre choix que de recourir aux prêts sur salaire. C'est la nature de l'information que nous avons reçue. Par conséquent, ce n'est pas une question de choix; c'est une question de nécessité, ce qui est différent.
Je crois dans le modèle de la concurrence, mais cela présuppose une question de libre choix sur un libre marché. Cependant, lorsque le choix est limité, le gouvernement doit alors intervenir et tenter de protéger les consommateurs de son mieux.
Si vous avez une dernière observation à faire, vous pouvez la faire en 30 secondes environ, mais nous devrons ensuite passer aux témoins suivants.
M. Agnew : Ayant pris connaissance des transcriptions des audiences précédentes sur le projet de loi à l'étude devant votre comité, ce qui m'a frappé c'est que l'on a donné toutes sortes de chiffres et toutes sortes de faits, mais nous n'avons pas de bonnes connaissances à ce sujet. C'est peut-être une mesure mais nous ne devrions pas faire en sorte que ce soit le dernier mot sur la question.
Le président : Notre problème, c'est que si nous adoptons le projet de loi à l'étude sans amendement, dans sa forme actuelle, nous avons en fait annulé la surveillance fédérale, du moins du point de vue du Parlement, en ce qui a trait à cette question sauf pour ce qui est du Bureau de la concurrence, si j'ai bien compris. C'est donc un problème. Ce n'est pas une situation qui nous permet de revenir pour essayer autre chose. C'est pour cette raison que notre comité doit prendre une décision qui est ici cruciale.
Mesdames et messieurs, merci beaucoup. Nous allons demander aux témoins suivants, M. Bruce Cran et M. Mel Fruitman, de se présenter. Ces messieurs représentent l'Association des consommateurs du Canada. Nous sommes ravis que vous soyez ici. Veuillez commencer et nous passerons ensuite aux questions et réponses.
Mel Fruitman, vice-président, Association des consommateurs du Canada : Je vais tenter d'être bref. Fondée il y a 60 ans, l'Association des consommateurs du Canada est un organisme à but non lucratif, indépendant et constitué de bénévoles, dont le siège social est à Ottawa et qui a des représentants dans les provinces et territoires.
Le débat actuel a pour toile de fond l'abrogation, il y a 25 ans, de la Loi sur les petits prêts et, concurremment, l'inclusion d'un taux d'intérêt criminel dans le Code criminel. Aux termes de l'ancienne loi, le montant maximal pouvant être prêté avait été porté de 500 à 1 500 $ et, au moment de l'abrogation de la loi, des pressions s'exerçaient pour qu'on porte ce maximum à 5 000 $ et relève le taux d'intérêt maximal permis. Les petits prêts devenant de moins en moins fréquents, les revenus familiaux augmentant et l'économie canadienne se solidifiant, on a pensé qu'il n'était peut-être plus nécessaire pour les Canadiens de contracter des prêts se chiffrant à quelques centaines de dollars.
L'essor spectaculaire des prêteurs sur salaire depuis quelques années montre que l'on s'est bien trompé. Nous avons entendu des chiffres au sujet des types d'emprunt qui sont faits. Si le secteur prétend respecter les forces du marché et fournir un type de service nécessaire et acceptable, il est manifeste qu'il faut équilibrer la relation entre acheteurs et vendeurs.
Malheureusement, avec l'adoption du projet de loi C-26, le gouvernement fédéral est sur le point de décliner toute responsabilité à l'égard des consommateurs canadiens en se déchargeant de cette responsabilité sur les provinces. Cela est peut-être éloquent sur le plan politique, mais pas du point de vue des consommateurs. Ce transfert de pouvoir se complique du fait que la loi définira expressément ce qui constitue des prêts sur salaire, de sorte qu'elle ne protégera plus les consommateurs sauf dans les situations qui entrent dans la définition donnée. Il ne faudra pas longtemps aux prêteurs ingénieux pour modifier leurs produits de manière à ne plus répondre à cette définition et, ainsi, à échapper à toute surveillance.
Le climat d'aujourd'hui est très différent de ce qu'il était il y a une génération seulement, lorsque les cartes de crédit universelles en étaient à leur balbutiement, que la majorité des familles n'avaient qu'un seul revenu et que, pour la plupart des gens, vivre au-dessus de ses moyens ou acheter à crédit était tabou. Le moment est donc bien choisi pour se pencher de nouveau sur la protection des consommateurs dans le domaine des prêts.
Nous recommandons tout d'abord que les dispositions du Code criminel sur les taux d'intérêt usuraires soient conservées et que l'on prévoie une nouvelle Loi sur les petits prêts concernant les prêts de moins de 1 000 $ et d'une durée inférieure à trois mois. Cette loi ne porterait pas sur les emprunts contractés à partir d'un compte de crédit renouvelable comme ceux obtenus par des cartes de crédit universelles; et que la Loi sur les petits prêts soit administrée par l'Agence de la consommation en matière financière du Canada.
Cette nouvelle Loi sur les petits prêts devrait reprendre la définition du terme intérêt du projet de loi S-19, mais sans faire référence aux prêts hypothécaires. Le plafond actuel de 60 p. 100 devrait être maintenu. Toutefois, il faudrait également que la Loi prévoit des frais uniques de 25 $ pour couvrir les coûts administratifs d'établissement d'un compte pour l'emprunteur. Il faudra également veiller à ce que l'on ne puisse fausser l'intention de ces frais, lesquels devraient s'appliquer à tous les guichets qui font partie d'un même organisme ou d'organismes reliés, qu'ils fonctionnent ou on sous la même bannière.
De plus, compte tenu des coûts administratifs de traitement des opérations, il faudrait prévoir des frais minimums de 5 $ pour chaque emprunt, même si cela aboutit à un taux d'intérêt dépassant le plafond. Pour éviter que l'on ne dépasse abusivement ce minimum, il ne devrait pas s'appliquer plus d'une fois par période de 60 jours pour un emprunteur.
Les organismes souhaitant consentir des petits prêts devraient obtenir un permis auprès de l'ACFC. Tout organisme qui ne respecterait pas les dispositions de la Loi sur les petits prêts se verrait révoquer son permis et devrait payer des amendes de l'ordre de 100 000 $. De plus, l'ACFC devrait avoir le pouvoir d'intenter des poursuites en vertu du Code criminel contre toute personne ou tout organisme non agréé qui contreviendrait aux dispositions du code en matière d'intérêts.
Comme on ne nous impose aucune limite en ce qui concerne la politique publique, nous serions heureux de répondre à vos questions.
Le président : Ce projet de loi a été adopté à la Chambre très rapidement. Avez-vous demandé à comparaître devant la Chambre des communes sur ce projet de loi pour donner votre avis? Il a été adopté à la Chambre des communes sans amendement, si nos calculs sont bons en moins d'une journée. Peut-être qu'il a fallu un peu plus de temps, mais c'était certainement moins d'une journée devant le comité. Avez-vous eu l'occasion de présenter votre témoignage?
Bruce Cran, président, Association des consommateurs du Canada : On ne nous a pas demandé de témoigner. Nous avons surveillé le processus et le projet de loi a été adopté à la vitesse de l'éclair. Nous n'avons pas eu l'occasion de présenter notre point de vue, et nous l'aurions fait, si on nous en avait donné l'occasion.
Le président : Avez-vous par la suite écrit à qui que ce soit pour faire connaître votre position, ou est-ce que vous espériez que nous allions venir à la rescousse en tant que chambre de second examen modéré et réfléchi?
M. Cran : Nous pensions bien que le Sénat tiendrait des audiences, et nous avons décidé de procéder de la sorte en raison des coûts et de l'opportunité du moment. Nous ne sommes pas une organisation affluente. Aucun groupe de consommateurs ne demandait de tels changements. Je n'en connais aucun qui les réclame. L'industrie a une énorme structure de lobbying et tout cela est bien au-dessus de nous.
Je voudrais dire également que l'une des choses qui accélère peut-être tout cela c'est le recours collectif. Il y a un certain nombre de cas qui intéressent mon organisation. La semaine dernière, nous avons eu l'un des plus gros cas accrédité par madame la juge Brenda Brown de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Ce cas en particulier porte sur le taux d'intérêt de 1 850 p. 100 pour les deux personnes nommées dans cette affaire.
M. Fruitman : Nous sommes revenus à la charge de notre mieux par l'entremise du Comité consultatif des consommateurs auquel je siège en Ontario et j'aimerais croire que nous avons joué un rôle utile vu certaines des observations qui ont été faites par le ministre Phillips.
Le sénateur Goldstein : Je vais tenter de présenter cela comme un syllogisme, bien que ce ne soit pas tout à fait le cas. Voici ce qui ressort jusqu'à présent des audiences et de l'étude que nous avons faite. Il est clair que la population canadienne a besoin de ce genre de prêts, de ce genre d'emprunts. Pourquoi ce besoin existe et qu'est-ce qui le motive, et qui sont les gens qui ont ce besoin, voilà autant de questions qui pour le moment ne sont pas abordées car dès que l'on détermine qu'il existe un besoin pour ce type de prêt, il faut alors faire un second choix. Le second choix consiste à décider si ce secteur ne sera pas réglementé, comme c'est le cas à l'heure actuelle, ou nous trouvons une façon de le réglementer. Si nous considérons les frais comme des intérêts, alors cela devient une question qui relève de la compétence fédérale aux termes de la Constitution. Si nous considérons les frais comme étant des coûts et des droits, et que cela ne relève plus des dispositions du Code criminel, on peut alors faire valoir qu'il s'agit d'une question de protection des consommateurs, et le gouvernement fédéral n'a pas compétence en la matière.
Par conséquent, à titre de législateurs nous sommes confrontés à la situation suivante : l'industrie comble un besoin. Si elle continue à ne pas être réglementée, alors les abus que l'on connaît à l'heure actuelle vont continuer et rien ne sera réglé par les recours collectifs.
Il est clair que les procureurs généraux provinciaux ne s'intéressent guère à autoriser des poursuites aux termes des dispositions usuraires du Code criminel car ils ne l'ont jamais fait, depuis que ces dispositions ont été introduites dans le Code criminel au siècle dernier. Ces dispositions n'ont jamais été utilisées. De façon réaliste, nous nous retrouvons dans une situation où aucune réglementation n'existe et le chaos existe soit dans l'industrie, ou parmi les consommateurs. Je ne m'intéresse pas à l'industrie. Je m'intéresse aux consommateurs, comme vous, sans oublier que réglementation ou pas, les consommateurs iront rapidement trouver ce qu'ils cherchent sur l'Internet où, peu importe ce que nous pourrions faire ou ce qu'une province pourrait faire, cela n'aura aucune importance car ces prêteurs se trouvent au Costa Rica ou Dieu sait où encore. Nous nous retrouvons donc dans une situation de réglementation partielle ou d'absence de réglementation. C'est une mauvaise situation. Je pense qu'une réglementation partielle vaut mieux qu'aucune réglementation. Êtes-vous en désaccord avec cela?
M. Fruitman : Premièrement, on a déterminé qu'il y avait un besoin de petits prêts pour une courte période, pas nécessairement selon les modalités offertes à l'heure actuelle sur le marché, et c'est pourquoi nous proposons une solution qui, selon nous, résout en fait tous les autres problèmes dont vous avez parlé. On ramène tout cela au niveau fédéral. On aurait une agence de surveillance de la réglementation et on imposerait des amendes, le Code criminel resterait en place pour punir les prêts usuriers, au lieu de légaliser ces prêts.
Le sénateur Goldstein : Savez-vous que l'Agence de protection des consommateurs au Québec a en fait créé une réglementation qui interdit aux prêteurs sur salaire de faire des affaires dans la province à la suite de deux choses qui se sont produites : premièrement, la mise en gage est devenue la rage pour les gens qui ont besoin d'argent temporairement. Deuxièmement, les gens empruntent de l'argent des motards. Ils ne paient peut-être pas les taux d'intérêt qui vous feraient plaisir à vous et à moi, mais ils les paient. Ils les paient pour éviter qu'on leur casse les jambes.
Nous nous retrouvons dans une situation où il doit y avoir une sorte de réglementation qui est mise en place par quelqu'un quelque part, car le consommateur qui a besoin trouvera le moyen de combler ce besoin. Il vaut mieux avoir un secteur réglementé pour répondre à ce besoin, même s'il ne l'est que partiellement.
M. Fruitman : Nous disons qu'il devrait être réglementé.
Le président : Veuillez répondre brièvement car je veux donner à d'autres sénateurs la chance de poser des questions.
M. Fruitman : Nous ne proposons pas une réglementation partielle; nous disons que cela doit être pleinement réglementé par une Loi sur les petits prêts.
M. Cran : La situation au Québec est acceptable. J'aimerais retrouver cette situation partout au pays. Ce n'est pas une bonne industrie. C'est la pire des pratiques des prêts usuraires. Ces usuriers ne leur cassent peut-être pas les jambes, mais ils vont aussi loin qu'ils peuvent aller. Nous recevons toutes sortes de plaintes au sujet de leurs méthodes de perception. Le recours collectif dont je parle représentera des centaines de millions de dollars s'il est réglé en faveur du consommateur, ce que je crois qui sera le cas car on commet en fait ici une infraction criminelle, et c'est ce que nous poursuivons. Cela aura des conséquences, cela aura un effet modérateur sur la façon dont ces gens opèrent. Ils s'en rendent compte également.
À l'heure actuelle, dans le contrat d'emprunt de Money Mart, il y a une clause disant qu'on ne peut prendre part à un recours collectif. Je ne suis pas certain que ce soit légal sur le plan constitutionnel mais c'est tout de même là. C'est une tentative de leur part. Au Québec, le taux d'intérêt sur ces prêts a été réduit à environ 30 ou 40 p. 100, si j'ai bonne mémoire, et cela a fait en sorte que ce groupe de gens s'est retiré des affaires, ce qui nous montre que ce qu'ils veulent, c'est des taux d'intérêt de 100 p. 100 et de 1 000 p. 100 même. J'ai vu des taux d'intérêt aussi élevés que 5 000 p. 100.
Un prêteur ne peut pas faire d'argent sur ces prêts à moins qu'il les refinance. Ce qu'il cherche, c'est le refinancement. Je ne sais pas comment vous pouvez contrôler cela. J'ai eu des gens dans mon bureau au cours des dernières années qui devaient d'énormes montants d'argent, 5 000 ou 6 000 $ alors qu'ils avaient emprunté 500 ou 1 000 $. Ce n'est pas ce que nous voulons.
Nous savons que les provinces ont différentes approches en ce qui concerne la loi qu'ils veulent mettre en place, et il y aura tout un mélange au sujet de ce qui est légal dans une province ou dans une autre. Ce n'est pas souhaitable non plus.
Comme le sénateur l'a mentionné tout à l'heure, les provinces ont cet outil dans le Code criminel et j'aimerais qu'il soit utilisé. Le Manitoba l'a utilisé une ou deux fois récemment; des accusations ont en fait été portées, même si je n'ai pas entendu parler du résultat de ces accusations. Le Manitoba a ensuite présenté une loi.
J'ai travaillé dans le dossier de la Colombie-Britannique, dans celui de l'Ontario et dans certains dossiers des Maritimes et je peux, à première vue, voir que les différences seront un problème. Qu'arrive-t-il si on passe d'une province à l'autre? Est-ce que cela affecte la façon dont les sommes sont perçues? Je ne le sais pas.
Le sénateur Baker : Aux termes de la Loi sur les recours collectifs dans les provinces, naturellement c'est le particulier qui doit intenter la poursuite. Personnellement, vous avez suivi ce processus. Avez-vous suivi tout le processus, de la certification à la désignation de l'avocat et tout le reste?
M. Cran : Croyez-moi, je connais tout cela de fond en comble, ayant récemment reçu 250 000 $ en dépend liquidé dans une poursuite de recours collectif. La CAC comporte quelque chose de semblable. Les juges aiment ce pouvoir. Au bout du compte, nous en avons gagné.
Le sénateur Baker : C'est évidemment le problème. Vous pouvez perdre.
Nous avons examiné les recours collectifs partout au pays et, dans pas mal de cas, l'objet était d'obtenir un avis de certification. Le vôtre l'a en fait obtenu. Dans ce cas, demandez-vous d'autres avis de certification dans les autres provinces?
M. Cran : Nous nous occupons de certains de ces autres cas, mais je ne pense pas qu'on puisse faire précisément cela parce qu'il s'agit de lois provinciales. C'est le premier recours important qui a été certifié. Nous en avons eu un autre pour lequel nous avons obtenu une décision mais ils n'avaient pas d'argent.
Le président : Dans quelle province a été intenté ce recours?
M. Cran : À la Cour suprême de Colombie-Britannique.
Le président : C'est toujours provincial.
Le sénateur Baker : Oui, mais rien ne l'empêche d'aller dans une province pour obtenir un avis de certification.
M. Cran : Après un certain point.
Le sénateur Baker : Indépendamment des recours collectifs, je voulais revenir à ce que le président avait demandé aux témoins précédents. Lorsque nous avons vérifié Quicklaw and Carswell, nous avons constaté qu'il n'y avait aucune procédure criminelle.
Vous préconisez la voie des petits prêts et une loi du même nom. Le problème, toutefois, c'est qu'une mesure législative sur les petits prêts dont le gouvernement fédéral prendra l'initiative exigerait qu'une institution financière s'occupe de cela. Autrement dit, une telle institution signerait, obtiendrait la garantie du gouvernement fédéral et garantirait le prêt pour la PME ou le particulier. Cela ne règlerait donc pas le problème.
Pour les gens concernés par les prêts sur salaire, les banques ne veulent tout simplement pas avoir affaire à eux. Si quelqu'un entre dans une banque au Canada, il lui est impossible de faire quoi que ce soit avant d'avoir déposé 100 $ et n'y avoir pas touché pendant un mois. Ce n'est qu'alors que la banque consentira à ouvrir un compte bancaire. Comme le dit le président, si l'on traite toujours avec la banque, pensez-vous que la catégorie de gens qui recourent aux services des prêteurs sur salaire se verront toujours refuser cet accès?
M. Fruitman : Une loi sur les petits prêts, comme nous la suggérons, sortirait tout cela de la Loi sur les banques.
Le sénateur Baker : Comment?
M. Fruitman : Il s'agirait d'une nouvelle mesure législative.
Le sénateur Baker : Il faut tout de même passer par la banque.
M. Fruitman : Non.
Le président : Le sénateur Baker sait et, je pense que vous devriez le savoir aussi, monsieur Fruitman, que nous avons une certaine expérience des organismes fédéraux. Adopter une loi est une chose mais s'assurer qu'elle fonctionne en est une autre. Nous savons que le besoin existe. Ce qu'il faut savoir, c'est comment le financer et le gérer de façon rentable. La proposition est intéressante et même séduisante mais nous pourrions très bien nous retrouver dans la même situation, avec un pouvoir fédéral qui n'est pas convenablement exercé.
M. Fruitman : Nous avons déjà un organisme — l'Agence de la consommation en matière financière du Canada — qui ne dispose malheureusement pas de pouvoir. Vous lui avez demandé si elle aimerait avoir ce pouvoir et elle a hésité à répondre. Nous n'avons aucune hésitation. Elle devrait l'avoir.
Le président : Vous comprenez combien est complexe le sujet qu'aborde le sénateur Baker. La proposition semble bonne mais sans le financement nécessaire et un bon système, si ce n'est pas offert partout au pays de façon équitable, le coût pourrait être énorme aussi.
M. Fruitman : L'option proposée actuellement est le transfert aux provinces, certaines l'acceptant et d'autres non. C'est un transfert de coûts administratifs aux provinces, de toute façon, et c'est la raison pour laquelle certaines n'en veulent pas. Terre-Neuve a déjà répondu : « Merci, pas question ».
Le sénateur Baker : À qui s'adresse-t-on pour obtenir l'avantage de la garantie fédérale sur le prêt? Il faut toujours se présenter aux mêmes institutions financières qui ne veulent pas s'occuper de ces gens-là, et qui mettent des tas de conditions à l'ouverture d'un compte, à moins que la loi sur petits prêts dont vous parlez les oblige de traiter avec ces gens-là.
M. Fruitman : Vous entrez dans les détails du projet de loi beaucoup plus que nous n'avons pu le faire. Nous n'y voyons pas nécessairement une option garantie par le gouvernement fédéral. Vous y voyez quelque chose que nous n'avons pas envisagé.
Le sénateur Banks : Quand j'emprunte de l'argent à quelqu'un, la différence sémantique entre frais bancaires et intérêt n'a en fait aucune importance — c'est de l'argent.
Le président : C'est une « dépense ».
Le sénateur Banks : Les gens qui prêtent de l'argent à des taux usuraires devraient être réglementés. Étant donné ce qu'ils font, il est possible qu'un taux de 435 p. 100 soit raisonnable. Toutefois, ceux qui exploitent ces entreprises devraient être réglementés par le gouvernement fédéral, par une loi qui s'applique spécifiquement à eux. L'argument sémantique quant à savoir s'il s'agit de frais ou une charge bancaire ou un intérêt n'a rien à voir à la question. Ce secteur doit être réglementé. Ces services à des gens qui en ont besoin ne peuvent pas et ne seront pas fournis par des banques et nous ne pouvons pas obliger les banques à les fournir.
Je sais que je ne tiens pas compte de la question du financement, mais le gouvernement ne peut pas reconnaître qu'il est flagrant que ces gens qui sont ainsi exploités doivent être protégés mais que cela coûte trop cher. Ce n'est pas là le problème et ce ne devrait pas être la recommandation de ce comité.
Le président : N'oubliez pas cela pour demain.
M. Cran : Si l'on veut empêcher ces usuriers de fonctionner, je suppose que vous savez que bien des États aux États- Unis l'ont fait. Il y a un mouvement au Congrès qui prétend que ces gens-là profitent des militaires et qu'il faut les interdire.
Nous commençons simplement à obtenir des résultats avec les recours collectifs. Ces gens-là ont fait des pieds et des mains pour essayer de retarder les recours collectifs qui, normalement, devraient être entendus dans les 30 ou 60 jours. Il nous a fallu des années pour en arriver là.
Le sénateur Angus : Soyons clairs. Êtes-vous vraiment en train de nous dire que si nous laissons passer ce projet de loi, cela revient essentiellement à légitimiser ce que vous qualifiez de commerce infâme?
M. Cran : Oui, c'est cela. Je dirais aussi que vous menaceriez peut-être aussi notre principal recours collectif contre Money Mart. En fait, lorsque j'étais en cour il y a quelques semaines, l'argument de la défense était que la loi allait changer et qu'il était ainsi totalement injuste de certifier ce recours. La juge Brenda Brown a heureusement déclaré, à la fin, que peu importe que la loi soit ou non changée, elle certifiait le recours collectif.
Si ce projet de loi est adopté, je suppose qu'il y a de bonnes chances que cela démolisse le recours contre Money Mart que nous venons de remporter après des années de lutte juridique et cela nous empêchera probablement de poursuivre nombre des autres causes.
Je répète que c'est une mesure que préconise ce secteur, comme toujours. Parmi les organisations de consommateurs, aucun d'entre nous n'a jamais eu son mot à dire.
Le président : Monsieur Cran, à supposer que ce projet de loi soit adopté, avez-vous un avis juridique vous permettant de dire que cela entraverait les recours collectifs actuels? Nous avons des avocats ici, et je ne suis pas sûr qu'ils soient tous d'accord.
M. Cran : Je vous conseille de lire les commentaires de la juge Brenda Brown.
Le président : Avez-vous le texte de cette décision ou pourriez-vous le communiquer à la greffière?
Le sénateur Baker : Quel nom?
M. Cran : Je vais essayer de vous l'obtenir.
Le président : Merci infiniment.
Le sénateur Gustafson : Les personnes retraitées sont bombardées tous les soirs à la télévision d'annonces les incitant à emprunter quelques centaines de milliers de dollars sur leur maison ou de contracter un petit emprunt. Avez-vous quelque expérience de la question? Quand je vois cela, je suis furieux car je crains que ces gens perdent leur maison.
Le président : Cette question dépasse le cadre de ce projet de loi. Si vous avez écouté soigneusement ce qu'a dit le sénateur Baker, la définition exclut ce secteur.
Le sénateur Gustafson : J'aimerais entendre ce que les témoins ont à dire.
M. Cran : Je pourrais vous en parler dans les détails mais je ne suis pas préparé pour le faire. Je soupçonne que la majorité de ces annonces proviennent du secteur de l'assurance sur titre. Je ne pense pas que ce soit aussi prévalent qu'on puisse le craindre.
Le sénateur Gustafson : Quelqu'un paye tout de même les annonces.
M. Cran : Pour le moment, nous sommes totalement dépassés. Nous n'avons pas de lobbyistes qui s'agitent partout. C'est une initiative du secteur et c'est tout ce que je puis dire pour le moment.
Le président : Messieurs, merci beaucoup. Vos observations ont été très intéressantes. Merci aussi de votre mémoire. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. C'est une question complexe et nous essayons évidemment de protéger le consommateur. Nous voulons satisfaire le marché, puisque ce genre de service semble de toute évidence très nécessaire. C'est un équilibre qu'il est très difficile de réaliser mais nous essayons de faire le maximum.
Merci de votre aide. S'il y a quoi que ce soit que vous souhaitez nous signaler, n'hésitez pas à nous écrire. Nous sommes toujours ravis d'entendre vos commentaires.
Messieurs, c'est la fin de nos audiences. Il nous faudra quelque temps pour vérifier les bleus, consulter nos formations respectives et nous devrions pouvoir nous réunir à nouveau à la fin de la semaine prochaine.
Demain, nous commençons notre examen quinquennal de la Loi sur les banques. La prochaine séance sera le mercredi suivant, puis le jeudi. Nous espérons que d'ici à la fin de ces audiences jeudi, lorsque nous aurons eu la possibilité d'entendre les banques, nous serons mieux placés pour nous occuper de ce projet de loi. J'ai l'intention que le comité termine cette étude aussi rapidement que possible.
Le sénateur Harb : J'ai une question importante à poser. J'ai là une lettre envoyée par l'Association du Barreau canadien le 19 mars 2007. Elle dit que si le projet de loi est adopté tel quel, cela créera un problème extrêmement sérieux en ce qui concerne le financement provisoire d'habitations, ainsi que le refinancement d'entreprises. Elle dit en fait que le projet de loi S-19, qu'a étudié ce comité en 2005, traitait de la question, et que cela avait satisfait le comité, mais que ce projet de loi ne le fait pas.
Je ne voudrais pas retarder l'étude du projet de loi mais j'aimerais que le ministre responsable nous explique comment ce projet de loi traite de cette question.
Le sénateur Goldstein : Il n'en traite pas.
Le président : Nous avons demandé à l'Association du Barreau canadien de comparaître devant le comité. Nous étions prêts à la recevoir et elle a choisi de ne pas se présenter, ce qui nous place dans une situation difficile. Cette lettre est à la disposition de tous les membres du comité.
Au cours de la prochaine semaine environ, nous allons faire notre travail, lire la transcription et nous renseigner. Je suppose que les deux formations vont s'en occuper et que nous pourrons ainsi prendre position sur ce projet de loi. Il faut savoir si nous allons le garder sous sa forme actuelle ou y apporter des changements ou formuler des recommandations. Très franchement, tant que je n'aurai pas examiné la transcription de nos audiences, je reste neutre mais je crois qu'il est nécessaire de régler cette affaire. Comme me le signale le sénateur Angus, à juste titre, nous avons entrepris cette discussion lorsque nous avons commencé à étudier la protection du consommateur. Nous avons soulevé la question. Nous l'avons découverte et poursuivie. Le gouvernement, pour sa part, a essayé de trouver une solution.
Le sénateur Angus : Il faut que vous sachiez que j'ai imploré le président pour que nous passions à l'étude article par article de ce projet de loi ce soir. Vu l'heure tardive, ce ne sera sans doute pas possible mais l'argument du sénateur Grafstein, à savoir consulter les caucus et lire le compte rendu, me semble des plus fallacieux. Il n'a jamais été invoqué pour un autre projet de loi à l'étude. Il m'a dit que le projet de loi lui causait un souci et je voudrais savoir de quel souci il s'agit.
Ce projet de loi va réglementer ce que l'on a décrit avec divers qualificatifs, un secteur assez douteux. Les membres du comité avaient de graves inquiétudes. Il y a eu des mois d'audiences, et tous les témoins nous ont dit qu'on avait ici affaire à des gens peu recommandables et qu'il était urgent de réglementer leurs activités et de leur délivrer des permis, et que les provinces étaient les mieux désignées pour le faire.
Le Sénat a reçu le projet de loi au début du mois de février et le comité l'étudie depuis le 28 février. Toutes les provinces ont été invitées à comparaître et elles ont choisi de ne pas le faire. Nous avons reçu des lettres de dernière minute. Franchement, cela me cause une énorme difficulté en tant que représentant du parti ministériel. C'est là un bon projet de loi. C'est un petit projet de loi, car il ne contient que trois articles. Je déplore que nous ne passions pas à l'étude article par article ce soir, mais je voudrais qu'on me donne un engagement. Il n'y a jamais eu de dissidence au sein du comité. Notre comité s'efforce de procéder par consensus et j'espère que nous continuerons. J'ai parlé à d'autres membres réguliers du comité, et aucun d'entre eux ne m'a dit estimer devoir retarder l'adoption de ce projet de loi.
Par souci de respect et d'équité à l'égard du processus, expliquez-moi pourquoi nous ne pourrions pas passer à l'étude article par article dès maintenant?
Le sénateur Massicotte : Je ne préconise pas la consultation de notre caucus. J'aime rappeler l'indépendance théorique des sénateurs. Trop souvent, nous y avons dérogé, si bien que je ne voudrais pas aggraver les choses. Toutefois, je souhaiterais qu'il y ait un débat entre nous sur certains éléments, sans que ce ne soit nécessairement une étude article par article du projet de loi. Je voudrais apprendre des choses. J'ai besoin d'une discussion nourrie sur ces questions. Ce qui m'inquiète par dessus tout, c'est que nous pourrions aboutir à un processus de réglementation fractionné.
Je vous concède que ce projet de loi représente une énorme amélioration par rapport à la situation actuelle. Je me pose une question fondamentale : est-il assez parfait pour être adopté. Je n'ai pas de préjugés mais je voudrais qu'on ait entre nous une discussion sérieuse de la question.
Le président : Je pense que le sénateur Massicotte a résumé ma position. Je n'ai pas de préjugés sur la question, moi non plus, mais je voudrais avoir le temps d'en débattre. Nous avons invité des témoins à comparaître devant le comité. Il est vrai que j'ai demandé aux représentants de la province d'Ontario de présenter des recommandations, car d'après les témoignages reçus, la position de l'Ontario n'est pas très claire. Je ne m'en excuse pas. Ma tâche est de réunir autant de renseignements que possible à l'intention des membres du comité pour qu'ils puissent prendre une décision éclairée.
Je suis d'accord avec le sénateur Massicotte. Nous devrions tenir une discussion nourrie entre nous et j'espère qu'elle portera fruit. Nous procéderons comme nous l'avons toujours fait par le passé, sans partisannerie avec pour objectif la protection de l'intérêt des consommateurs. C'est ce que j'ai l'intention de faire.
J'ai besoin de réfléchir de façon indépendante à ces dossiers car de graves questions ont été soulevées ici.
Le sénateur Massicotte : Le vice-président demande quand cette discussion aura lieu, n'est-ce pas? Demain?
Le sénateur Angus : Le projet de loi a été approuvé en principe par les deux chambres. Le débat de deuxième lecture a eu lieu au Sénat. Les trois étapes ont été franchies à la Chambre des communes. Si nous avions un débat sur la question, je me prononcerais dans la même veine que le dernier témoin qui nous a dit : « Supprimons ce secteur. » Toutefois, il ne s'agit pas de cela dans cette mesure législative. Ne mélangeons pas tout. Il y a quelque chose à récupérer, et cela se trouve dans le projet de loi C-26. Il serait irresponsable que de retarder encore les choses et cela me contrarie. J'espère que mon message sera entendu.
Le sénateur Meighen : Nous pourrions discuter encore longtemps mais je pense qu'une chose est bien comprise — et personne ne le niera — c'est qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi parfait. Toutefois, un minimum de réglementation ne vaut-il pas mieux que l'absence de réglementation? Nous devons tous prendre une décision de ce point de vue-là.
Le président : J'espère que nous pourrons le faire d'ici jeudi en huit et, si possible, consacré une demi-heure à cette question que l'on ajouterait au temps réservé à l'étude de la Loi sur les banques.
Le temps du comité est très serré. Nous devons procéder à la révision quinquennale d'une loi majeure, la Loi sur les banques. On avait espéré que le gouvernement nous en saisirait plus tôt, mais cela n'a pas été le cas. Nous sommes forcés de nous atteler à la tâche mais le temps est court car nous devons avoir fini d'ici la fin du mois.
Je souhaiterais que nous prévoyons un emploi du temps tel qu'une demi-heure supplémentaire ou une heure supplémentaire soit réservée pour faire exactement ce que les sénateurs Massicotte, Meighen et Angus ont proposé, à savoir, tenir un débat nourri entre nous et aboutir à une conclusion qui soit dans le meilleur intérêt du comité et du pays.
Je n'essaie pas de retarder l'adoption de ce projet de loi, mais je pense que des questions graves ont été soulevées. J'ai été très troublé en constatant que les provinces, qui ont un enjeu majeur dans ce projet de loi, n'aient pas voulu venir nous aider.
Le sénateur Meighen : Qu'on se le dise.
Le président : En effet. Cela dit, nous avons reçu des lettres. J'en ai une de la province de la Nouvelle-Écosse et de la province de l'Ontario. Trois provinces ont déjà légiféré en la matière. Nous devons nous pencher sur tous ces renseignements et garder, je l'espère, l'esprit ouvert quant à la façon dont nous traiterons ce projet de loi. Le problème est ardu.
Ce qui me trouble le plus — et sénateur Angus devrez le comprendre — va dans le sens de ce qu'a dit le sénateur Massicotte. Je n'aime pas l'idée que le fédéral renonce à certains pouvoirs et qu'on aboutisse à une disparité d'intérêts d'un bout à l'autre du pays. Je voudrais m'assurer que tous sont traités également, et c'est là la difficulté.
Le sénateur Angus : Et quand procéderons-nous?
Le président : J'espère pouvoir trouver le temps d'ici jeudi en huit, soit à la fin de notre séance de jeudi ou encore j'espère trouver une demi-heure ou une heure, mardi ou mercredi prochain. Nous siégeons la semaine prochaine. Je vais essayer de trouver le temps de procéder à des discussions préliminaires et ensuite il y aura une discussion d'une demi-heure ou une heure. Nous pourrons alors passer à l'étude article par article. Je n'essaie pas ici de retarder l'adoption de ce projet de loi. Je reconnais qu'il s'agit d'une question urgente.
Le sénateur Angus : La date butoir pour que le projet de loi C-37 reçoive la sanction royale, est le 24 avril. Vendredi prochain, commencerons deux semaines de relâche ce qui ne nous laisse que deux jours d'audiences pour finir ce travail et ce projet de loi-ci. J'y vois un grave inconvénient.
Nous pouvons débattre de cette question ad vitam. Nous avons eu amplement le temps de le faire. Aucun témoin ne s'est présenté. Il faut bien dire que les provinces concernées ont déjà légiféré en la matière. La Saskatchewan nous a envoyé copie de son projet de loi ce week-end. Le Manitoba et la Nouvelle-Écosse ont déjà des mesures législatives. La Colombie-Britannique est prête à légiférer. Et il y a beaucoup de tergiversations ici. Nous avons des responsabilités. Je ne veux pas que l'on adopte des projets de loi en catastrophe, ce dont on se plaignait avant que le nouveau gouvernement prenne le pouvoir, mais je veux également agir de façon responsable. C'est tout.
La séance est levée.