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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 24 - Témoignages du 6 juin 2007


OTTAWA, le mercredi 6 juin 2007

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour examiner, afin d'en faire rapport, les obstacles au commerce interprovincial.

Le sénateur W. David Angus (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Mesdames et messieurs, nous sommes ici aujourd'hui pour poursuivre notre examen des obstacles au commerce interprovincial qui existent au Canada et pour nous demander, en particulier, si ces obstacles au commerce interprovincial limitent la croissance et la rentabilité des secteurs touchés, ainsi que la possibilité pour les entreprises et les provinces touchées de créer des régions économiques interprovinciales ou transfrontalières, en faisant appel aux États américains intéressés, afin d'accroître la prospérité.

Je crois que la question des obstacles au commerce intérieur est extrêmement importante au moment où nous cherchons à bâtir un avenir prospère au Canada. À mon avis, les obstacles en question contribuent souvent à augmenter les coûts d'exploitation des entreprises et peut-être, au bout du compte, le prix que paient les consommateurs. De même, ils peuvent se traduire par des pratiques non efficientes qui entraînent une diminution de la compétitivité et de la productivité. De ce fait, nous devons mettre l'accent sur les mesures qui permettent d'améliorer la compétitivité et la productivité et sur les obstacles au commerce intérieur qui nous nuisent. C'est une façon d'atteindre le but.

Nous accueillons aujourd'hui deux témoins, un en chair et en os, l'autre, par vidéoconférence depuis Saskatoon. Au nom de la Fédération du travail de la Saskatchewan, Larry Hubich, le président, viendra témoigner; et ici même à Ottawa, nous accueillerons Larry Brown, secrétaire-trésorier du Syndicat national des employées et des employés généraux du secteur public.

Je peux dire aux deux témoins, à titre d'information, qu'il n'y a pas que les sénateurs, que je vais présenter dans un instant, qui sont présents. Nos travaux sont diffusés sur le Web et aussi à la télévision grâce aux bons soins de la CPAC.

Je m'appelle David Angus, et je suis sénateur originaire de Montréal, au Québec. Je suis le vice-président du comité et je remplace aujourd'hui notre estimé président, le sénateur Grafstein, qui a été retenu à Toronto.

Nous avons parmi nous l'éminent avocat et sénateur, Yoine Goldstein, de Montréal. À la suite, vous voyez le sénateur Harb, qui représente l'Ontario, et, à côté de lui, un membre relativement nouveau et néanmoins dynamique qui nous vient de la Colombie-Britannique, le sénateur Campbell. Puis le dernier et non le moindre, de Toronto, anciennement de Montréal, un sénateur qui représente l'Ontario : le sénateur Meighen.

Aujourd'hui, nous travaillons sous le coup d'une légère contrainte : il y a un vote prévu au Sénat à 17 h 30. Nous devons y être. Nous ne disposons donc que d'une heure. Espérons que nous allons pouvoir faire ce qu'il y a à faire. Je vous demanderais de prendre la parole en premier, monsieur Hubich. Nous allons écouter votre exposé, puis nous écouterons M. Brown présenter le sien, et ensuite il y aura la période de questions.

Larry Hubich, président, Fédération du travail de la Saskatchewan : Merci de l'occasion que vous m'offrez de comparaître devant le comité. Je représente plus de 93 500 membres de la province de la Saskatchewan, où les autorités procèdent actuellement à un examen approfondi des effets possibles de l'adhésion à l'accord conclu entre la Colombie- Britannique et l'Alberta sur le commerce, les investissements et la mobilité de la main-d'œuvre, ou TILMA (pour Trade, Investment and Labour Mobility Agreement). Notre fédération a étudié attentivement la question des obstacles au commerce intérieur et celle des obstacles à la mobilité de la main-d'œuvre. Nous avons tiré plusieurs grandes conclusions dont j'aimerais vous faire part.

D'abord, d'après des recherches économiques indépendantes, les obstacles au commerce intérieur ne sont pas particulièrement importants.

J'ai remis aux sénateurs un certain nombre de documents. Je vous demanderais de vous reporter ici à l'étude de Brian Copeland intitulée Interprovincial Barriers to Trade : An updated review of the evidence; à celle d'Erin Weir et Marc Lee, soit The Myth of Interprovincial Trade Barriers and TILMA's Alleged Economic Benefits; et encore celle de Kathleen Macmillan et Patrick Grady, dont le titre est Inter-provincial Barriers to Internal Trade in Goods, Services and Flows of Capital : Policy, Knowledge Gaps and Research Issues, ainsi qu'à la demi-douzaine d'autres documents que j'ai remis au Sénat.

Lee et Weir ont conclu que, à l'exception possible de l'interdiction au Québec de la margarine colorée et de la restriction en Ontario des substituts à base d'huile végétale, [Traduction] « les véritables obstacles au commerce sont tout à fait modestes et existent seulement dans quelques secteurs. » Copeland conclut que le défaut d'efficience économique attribuable à ces obstacles est modeste — il représenterait environ un dixième de 1 p. 100 du PIB. Macmillan et Grady examinent l'ensemble des recherches effectuées depuis 25 ans et en concluent que [Traduction] « les obstacles au commerce intérieur ont un effet minimal sur le produit intérieur brut dans l'ensemble ». Ce passage provient de la page 2 de leur analyse.

Nous faisons valoir quant à nous qu'il n'existe pas de crise des relations commerciales intérieures au Canada. Depuis l'adoption de l'Accord sur le commerce intérieur, l'ACI, en 1994, bon nombre des obstacles au commerce qui existaient avant ont été aplanis. L'ACI, conçu pour faciliter la libéralisation des échanges et favoriser la mobilité des travailleurs au Canada, sous l'impulsion du Conseil de la fédération, n'a eu à se pencher jusqu'à maintenant que sur 22 différends touchant les biens, les services et les capitaux, ce qui, à notre avis, est une preuve supplémentaire du fait qu'il n'y a pas urgence.

Nous croyons que l'ACI a beaucoup fait avancer le dossier de la libéralisation des pratiques d'approvisionnement dans le secteur public et facilité la libre circulation des boissons alcoolisées, par exemple. Les provinces devraient être encouragées à respecter les engagements qu'elles ont contractés sous le régime de l'ACI et à faire respecter l'accord comme il se doit, mais nous ne sommes pas d'avis qu'un accord du type du TILMA soit nécessaire.

Notre deuxième préoccupation porte sur la question de la mobilité de la main-d'œuvre. À notre avis, il n'y a pas de crise de la mobilité de la main-d'œuvre au Canada. À l'heure actuelle, les quatre cinquièmes du secteur de l'emploi ne sont pas réglementés, sinon il s'agit de secteurs professionnels où il existe des obstacles d'ordre réglementaire; soulignons que c'est là 80 p. 100 du total. Je vous demande de vous reporter aux recherches complémentaires de Macmillan et Grady, l'étude intitulée Inter-provincial Barriers to Labour Mobility in Canada : Policy, Knowledge Gaps and Research Issues.

Le chapitre 7 de l'ACI expose les mesures à adopter pour régler les questions liées à la mobilité de la main-d'œuvre. Vous le savez sans doute, le premier ministre manitobain Gary Doer est à la tête du forum des ministres du marché du travail, qui vise à assurer que toutes les professions réglementées remplissent d'ici avril 2009 leurs engagements sous le régime de l'ACI. Cela se fait en ce moment.

Nous relevons aussi le fait que, depuis 12 ans que l'ACI existe, seules 23 plaintes ont été déposées en rapport avec la question de la mobilité de la main-d'œuvre. Deux seulement ont abouti, les deux dans le domaine de la comptabilité. La plupart ont été soit réglées, soit retirées. On en a réglé un grand nombre officieusement.

Les accords de réciprocité représentent une excellente façon de réduire les obstacles. Nous avançons que cela témoigne d'une approche qui fonctionne. Macmillan et Grady font remarquer que, en date de janvier 2007, 30 des 50 professions réglementées dans plus d'une province ou d'un territoire ont conclu des accords de réciprocité qui s'étendent à la majeure partie de leur champ d'action. Seize d'entre elles ont conclu un accord de réciprocité ayant relié toutes les instances, et quatre seulement n'en ont pas encore.

La Fédération du travail de la Saskatchewan et ses syndicats affiliés appuient sans réserve le programme du Sceau rouge, qui permet très bien d'assurer la mobilité de nombreux travailleurs des métiers et de maintenir des normes de première qualité.

De par sa conception et l'intention de ses auteurs, le TILMA menace de diluer les normes professionnelles. Je vous renvoie à l'analyse juridique de Steven Shrybman, qui montre que, en cas de différend entre deux normes de qualifications professionnelles sous le régime du TILMA, il appartient à la province qui applique la norme relativement plus rigoureuse de se justifier à cet égard. De fait, dans l'analyse en question, M. Shrybman fait allusion à un exposé présenté par l'Institut canadien des comptables agréés devant votre comité. L'Institut y exprime sa préoccupation quant aux pressions à la baisse qui s'exercent sur les normes de qualifications dans son industrie.

La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante et d'autres regroupements d'affaires citent les études réalisées par le Conference Board du Canada pour le compte des gouvernements de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan à propos des retombées économiques supposées de l'adhésion au TILMA, mais plusieurs économistes, dont Lee et Weir, ont remis en question les méthodes et les conclusions des études en question.

Je vous renvoie à l'étude de Patrick Grady intitulée The Conference Board of Canada's $4.8-Billion Estimate of the Impact of the BC-Alberta TILMA is not Credible et à celle de John Helliwell, qui a pour titre Assessing the Impact of Saskatchewan Joining the BC-Alberta Trade, Investment and Labour Mobility Agreement. Ces deux analyses remettent en question la méthodologie employée par le Conference Board du Canada pour attribuer des retombées économiques à l'adhésion au TILMA et l'exactitude des résultats obtenus.

Le TILMA est l'accord commercial le plus large que nous ayons vu. Je vous renvoie à l'étude d'Ellen Gould : Asking for Trouble : The Trade, Investment and Labour Mobility Agreement. Toute mesure ayant pour effet de restreindre ou d'entraver le commerce, les investissements ou la mobilité de la main-d'œuvre est assujettie au TILMA, à moins d'en avoir été expressément exclue au départ. Nous sommes d'avis qu'il n'y a pas lieu d'adopter une telle approche descendante pour corriger ce qui, selon nous, n'est pas un problème urgent.

En toute sincérité, nous sommes d'avis que la réforme de la réglementation représente le véritable enjeu pour les entreprises commerciales. Les entreprises souhaitent pouvoir accéder au plus grand nombre possible de marchés libres tout en faisant l'objet du taux d'imposition le plus bas possible. Nous reconnaissons tout à fait que les entreprises peuvent se trouver en butte à des irritants réglementaires inutiles quand elles essaient de faire des affaires interprovinciales; de ce fait, nous appuyons les efforts déployés pour réduire les irritants en question, là où il y a des redondances ou des formalités administratives inutiles.

Nous croyons que les gouvernements réglementent afin de répondre aux besoins des collectivités locales. Les provinces et autres entités gouvernantes dans une démocratie peuvent avoir des raisons impérieuses d'adopter des règles favorisant l'engagement ou l'approvisionnement local, par exemple. Dans un pays aussi vaste et diversifié que le Canada, il est certain que les politiques officielles et les réglementations comporteront certaines différences d'une province à l'autre, de manière à répondre à des réalités locales. Nous avançons que c'est là l'essentiel de la démocratie.

Nous nous soucions vraiment de la possibilité que, sous le régime du TILMA, la possibilité que les parties se retrouvent devant une commission d'arbitrage en cas de différend commercial, avec des sanctions financières pouvant atteindre cinq millions de dollars, incitera des gouvernements élus démocratiquement à favoriser les intérêts des sociétés au détriment de la protection et de la promotion du bien commun.

Je laisse cela à votre réflexion et je me tiens prêt à participer à un dialogue là-dessus et à répondre à toute question que vous voudrez me poser.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Hubich. Pendant que vous donniez votre savant exposé, nous avons reçu deux autres sénateurs, le sénateur Paul Massicotte, du Québec, et le sénateur Trevor Eyton, de Toronto, en Ontario.

Larry Brown, secrétaire-trésorier, Syndicat national des employées et des employés généraux du secteur public : Merci d'avoir accepté de nous écouter. Comme M. Hubich, nous avons affaire à l'accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre, le TILMA. Je vais formuler quelques observations avant d'aborder la teneur de l'accord lui-même.

Voilà un phénomène un peu curieux pour un pays fédéré comme le Canada : nous entendons sans cesse dire que plus on libéralise le commerce entre les provinces et qu'on élimine toute forme de restriction entre elles, plus ce sera bon, forcément. Il nous semble bien que, si l'idée consiste à avoir un système absolument unitaire sans aucun obstacle ni aucune limite entre les provinces, il y a une façon de procéder : il s'agit d'éliminer les provinces et de se donner un seul et unique système centralisé. Ce serait la conclusion logique de tous ces appels en faveur de l'élimination des restrictions entre les provinces.

À nos yeux, il est intéressant de savoir que la plupart des forces qui semblent militer en faveur de l'élimination des obstacles au commerce interprovincial sont les mêmes forces que celles qui militent en faveur des responsabilités et des pouvoirs des provinces, et d'un pays décentralisé. Les gens qui font valoir que le gouvernement fédéral intervient trop dans l'économie semblent être les mêmes, chose étrange, qui voudraient voir l'élimination des obstacles au commerce interprovincial. Nous avons de la difficulté à comprendre. C'est peut-être une sorte de contradiction.

Il nous semble aussi intéressant de savoir que tous ces travaux sont presque automatiquement dépeints de manière négative, que toute mesure de coopération visant à éliminer les obstacles entre les provinces est bonne. S'il s'agit d'éliminer ou de réduire les obstacles, c'est une proposition négative, mais rien n'est dit de quelque coopération que ce soit entre les provinces en vue de relever les normes. Tout projet de coopération interprovinciale qui servirait à améliorer nos systèmes sociaux ou à améliorer nos prestations sociales n'entre pas dans l'équation. La seule chose dont il semble être question, c'est ce qui est négatif : la manière de s'y prendre pour réduire les normes et les obstacles. Nous ne savons pas pourquoi une si belle place est faite à la coopération interprovinciale.

Il est fascinant pour nous de constater que le gouvernement de l'Alberta, qui affirmait publiquement que le reste du Canada ferait mieux de ne pas essayer de mettre la main sur l'argent du pétrole albertain — il me semble que la citation est assez proche de ce qui a été dit —, concluait en même temps le TILMA, qui a pour effet de céder une bonne part des pouvoirs provinciaux. Les deux idées nous paraissent être mal mariées.

Dans le mémoire que nous vous avons remis, nous abordons beaucoup des mêmes questions que M. Hubich a soulevées; je vais donc vous en faire grâce. Nous avons formulé d'autres observations sur les mêmes questions. Nous pourrons en discuter pendant la période de questions, justement.

Je veux parler en particulier de ce que fait, dans les faits, cet accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre. Nous faisons valoir qu'il permet trois choses. Comme M. Hubich l'a dit, il donne à l'entreprise le droit de contester pratiquement toute décision gouvernementale. Cela ne veut pas dire que toutes les contestations porteraient fruit, mais nous savons qu'il existe des phénomènes comme la crainte du libelle qui font que, là où les gens craignent de voir ce qu'ils font remis en question, la liberté d'agir au départ est restreinte par l'éventualité de devoir se défendre contre une action.

Sous le régime du TILMA, l'entreprise peut remettre en question pratiquement n'importe quelle mesure décidée par les gouvernements. Tout ce qu'il lui faut affirmer, c'est que la mesure en question restreint sa capacité de s'adonner au commerce interprovincial. Une fois la mesure contestée, tous devront se plier à la démarche et défendre l'activité qu'ils souhaitent entreprendre. Nous croyons que, tout d'abord, bon nombre de contestations vont porter fruit. Ensuite, le fait que ces contestations soient autorisées, et qu'elles aient une portée assez vaste, nuira à la capacité de gouverner des élus.

En même temps, la manière dont les causes en question seront entendues nous inquiète vraiment. L'accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'œuvre prévoient qu'il y aura des audiences publiques à ce chapitre, sous réserve de certaines conditions, ce qui veut dire que le caractère public lui-même pourra être remis en question. L'accord ne renferme aucune exigence quant à la composition des commissions d'arbitrage. Les commissions en question pourraient se composer de professionnels en commerce, qui entendront des causes sur toutes sortes de sujets n'ayant rien à voir avec le commerce. C'est ce que nous observons à l'Organisation mondiale du commerce et avec l'Accord de libre-échange nord-américain. Des spécialistes en commerce doivent trancher des litiges dans des secteurs qui ne relèvent pas de leurs domaines de compétence.

La procédure d'appel prévue dans TILMA est très limitée. Ce sont les mêmes droits que ceux qui s'appliquent en ce moment en matière d'arbitrage, situation que nous connaissons bien au sein du mouvement syndicaliste, et qui veut dire que le droit d'en appeler d'une décision rendue par une commission d'arbitrage sous le régime du TILMA sera très limité. Nous croyons que la démarche associée aux commissions d'arbitrage constituera une entrave grave au travail des gouvernements, bien au-delà de ce qui est entrevu à la première lecture de l'accord.

Deuxième souci pour nous : l'accord s'applique à tous les ordres de gouvernement, dont les municipalités, les conseils scolaires et les conseils d'administration d'hôpitaux, n'importe quelle administration à l'intérieur de la province. La municipalité de Regina a déjà obtenu un avis juridique selon lequel le TILMA limiterait sérieusement sa capacité de prendre des décisions. Cela est vrai, et l'accord s'applique à tous les ordres de gouvernement, y compris là où on n'a même pas lu l'accord et on ne saurait pas ce qui a été cédé pour nous.

Enfin, et c'est le fait le plus important, nous croyons que l'accord cède le droit qu'ont les gouvernements provinciaux de gouverner au nom de leurs citoyens et le droit des paliers de gouvernement intermédiaires de gouverner au nom des gens qui les ont élus.

Notre mémoire comporte deux citations. Dans un cas, c'est quelqu'un à la Canada West Foundation qui affirme que, essentiellement, le TILMA efface toutes les différences entre les provinces sauf la couleur des plaques minéralogiques. Je ne rends pas justice au passage cité, mais voilà l'effet. Le magazine Maclean's a dit que l'accord fait effectivement disparaître les limites interprovinciales.

Cela me ramène au premier point que j'ai formulé. Si nous allons éliminer les limites des provinces, pourquoi donner aux élus la tâche de faire semblant de gouverner, alors que c'est le TILMA qui décide de tout, jusqu'à la couleur des plaques minéralogiques?

Cela est avancé par les tenants du TILMA et c'est ce qu'ils affirment... nous devrions au moins respecter l'idée qu'ils ont, présumons-le, lu l'accord et tiré cette conclusion de manière intelligente. Même si la véritable conclusion n'équivaut pas à cet extrême, cela est probable, la capacité qu'ont les gouvernements de prendre des décisions au nom de leurs commettants fait l'objet de contraintes graves, et il n'y a pas moyen d'éviter cela. Voilà l'essence du TILMA.

Dans notre mémoire, nous avons passé en revue plusieurs subdivisions, par exemple, celles qui portent sur l'environnement. Le TILMA l'emporte sur la réglementation en matière d'environnement. La seule chose qui est exemptée du TILMA en ce qui concerne la protection de l'environnement, c'est le traitement des déchets. L'environnement est une question beaucoup plus vaste, mais même une question aussi fondamentale sera assujettie au nivellement par le bas qu'imposera le TILMA aux autorités de réglementation des provinces. Si l'environnement se trouve sous le joug du TILMA, il n'y a pas grand-chose qui sera exempté concrètement.

Je terminerai mon exposé là-dessus. J'espère que les observations de M. Hubich et mes observations à moi déboucheront sur des questions et des échanges.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Brown.

D'après la documentation que vous nous avez remise, j'en conclus que vous êtes tous les deux des chefs de file du mouvement syndical au Canada.

Monsieur Hubich, vous pourriez peut-être nous dire combien de membres compte la Fédération du travail de la Saskatchewan.

M. Hubich : Trente-six syndicats sont affiliés à la Fédération du travail de la Saskatchewan. Ils occupent tout le terrain des métiers : cols blancs, cols bleus et professionnels. Nous représentons des infirmières et des pompiers. Nous représentons des gens qui travaillent pour des sociétés d'État et aussi des employés du secteur privé. La plupart des professions qui existent au Canada comptent des membres qui font partie de la Fédération du travail. Nous avons 93 500 affiliés. Nous collaborons étroitement avec plusieurs autres syndicats à des projets qui ne sont pas rattachés officiellement à la Fédération du travail, mais nous représentons plus de 100 000 travailleurs dans une province qui compte un million d'habitants. C'est un groupe important : nous rejoignons les gens jusque dans leur famille et leur foyer. Dans le contexte, nous croyons représenter 250 000 personnes dans la province de la Saskatchewan.

Le vice-président : C'est ce que je voulais faire valoir. Tous les membres se trouvent en Saskatchewan, et le pourcentage montre que vous êtes dominant. Et vous, monsieur Brown?

M. Brown : Je n'ai pas traité de cela; j'apprécie la question. Nous venons au deuxième rang parmi les syndicats du Canada au chapitre de la taille. Nous comptons 350 000 membres. Certains de nos membres sont mieux connus que nous. Notre syndicat est du type fédéré. Pour le sénateur Campbell, nous représentons la Government and Service Employees' Union de la Colombie-Britannique et la Health Sciences Association of British Columbia. En Ontario, nous représentons le Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l'Ontario. Environ 55 p. 100 de nos membres travaillent directement pour les administrations provinciales; les autres exercent divers métiers, depuis la fabrication de la bière à la prestation de soins de santé, en passant par le travail qui se fait dans les hôtels. Au début, notre syndicat était un syndicat de la fonction publique, puis nous avons décidé que les gens qui fabriquent de la bière offraient un service public; nous les avons donc accueillis au sein du syndicat.

Le vice-président : Vous n'êtes donc pas seulement en Ontario; vous êtes partout au Canada. C'est bien cela?

M. Brown : Nous sommes partout au Canada.

Le vice-président : Êtes-vous au Québec aussi?

M. Brown : Nous sommes installés dans toutes les provinces sauf le Québec.

Le sénateur Goldstein : Merci d'être venus, messieurs Brown et Hubich, et merci des excellents mémoires que vous nous avez remis. Je relève le fait que tous les documents que vous citez pour appuyer votre position, à une exception près, remontent à plus de dix ans. Il semble que rien ne s'est écrit récemment qui ferait autre chose que répéter des éléments d'information qui remontent à 1998 et même avant. Il y a une critique importante de la manière de procéder du Conference Board of Canada et de sa façon de mener sa recherche. Il ne semble pas y avoir quoi que ce soit qui date de 2005, soit l'année où le Conference Board a fait son travail, ou de 2006, sinon de cette année, qui puisse établir autre chose que ce que le Conference Board semble affirmer.

En oubliant ce qu'affirme le Conference Board pour l'instant, mais sans accepter le fait que les documents en question remontent à dix ans, car il s'est passé beaucoup de choses en dix ans, êtes-vous au courant de communications récentes attribuables à des économistes qui adopteraient les positions que vous avez adoptées en ce qui concerne le TILMA?

J'ai deux autres questions à poser. Une seule réponse suffirait peut-être pour les deux. Les questions s'adressent aux deux témoins. Ma deuxième préoccupation, c'est le fait que vous ayez passé beaucoup de temps à critiquer nombre des dispositions du TILMA, et vos critiques se justifient peut-être bien, mais vous n'avez pas consacré beaucoup de temps à l'idée de réduire les obstacles au commerce, sauf pour signaler que cela pourra avoir un effet néfaste sur certains aspects de compétence provinciale et, dans un cas, dans votre document à vous, monsieur Hubich, vous vous êtes attaché à la réduction des normes du travail; vous ne le dites pas directement, mais vous laissez entendre que, de la manière dont le TILMA est rédigé, c'est le plus petit dénominateur commun qui finirait par l'emporter en ce qui concerne les normes du travail.

Des témoins sont venus nous dire ici que les obstacles au commerce ont bel et bien un effet néfaste sur l'économie dans son ensemble. Vous n'avez pas vraiment traité de cette question. Vous avez affirmé tous les deux qu'il pourrait bien y avoir des effets néfastes — et je ne crois pas que nous ayons reçu des éléments d'information empiriques à ce sujet jusqu'à maintenant — pour d'autres questions comme les normes en matière d'environnement et de travail. Cela me déroute, car pratiquement tous les témoins que nous avons entendus semblent soutenir l'idée de réduire et d'éliminer les obstacles au commerce. Les seuls gens qui semblent s'opposer au TILMA et à la réduction des obstacles, ce sont les gens des syndicats. Cela me déroute : pourquoi? Est-ce que l'un ou l'autre d'entre vous pourrait m'aider à comprendre?

M. Hubich : C'est une question assez vaste; je vais faire de mon mieux pour y répondre en commençant peut-être par l'idée suivante : c'est le plus petit dénominateur commun qui l'emporterait pour ce qui est des normes. Mon mémoire traite non pas des normes du travail en particulier, mais plutôt de toutes les normes sur lesquelles l'accord en question aurait un effet néfaste. Un certain nombre d'observateurs confirment l'idée, dont des gens qui ne se trouvent habituellement pas dans le camp des défenseurs des travailleurs à ce sujet. Je parle en particulier de l'Institut canadien des comptables agréés, qui, je crois, à moins que je ne m'abuse, a présenté un mémoire au Comité sénatorial des banques. L'Institut se soucie aussi du fait que le TILMA, sous sa forme actuelle, exerce en quelque sorte des pressions à la baisse sur les normes. Cela donnerait donc le plus petit dénominateur commun. J'avancerais donc que si c'est le cas des normes, par rapport à ces personnes, ce serait certainement le cas des normes du travail, même si elles sont exemptées temporairement du TILMA.

Quant à ce que vous avez dit à propos de nouvelles études, je crois que l'analyse réalisée par des gens comme Helliwell, Grady, Erin Weir et Marc Lee, qui sont économistes, repose sur des données à jour mises de l'avant par le Conference Board du Canada. On donne à entendre, sans que cela ne soit contredit ailleurs, que même le Conference Board a cessé de se fier aux statistiques qu'il a utilisées, notamment pour prédire que le TILMA aurait pour effet d'injecter 4,8 milliards de dollars dans l'économie de la Colombie-Britannique et d'accroître le PIB de 3,8 p. 100. L'organisme semble s'être distancié de son analyse économique initiale. Il y aurait des raisons de croire que les statistiques de l'organisme étaient déficientes et que les arguments présentés par des gens comme Grady, Weir et Lee représentent, de fait, une évaluation exacte des lacunes qui minent l'analyse effectuée par le Conference Board.

Autre point. Le dernier point (je crois que c'était votre question) : pourquoi nous opposons-nous à l'élimination des obstacles? La Fédération du travail de la Saskatchewan ne s'oppose pas à l'élimination des obstacles. D'abord, nous appuyons le commerce; nous appuyons l'investissement; et, certes, en Saskatchewan, la raison pour laquelle nous appuyons le commerce, c'est que nous avons une économie fondée sur le commerce, économie de nature agricole, et la majeure partie de notre économie et de notre activité économique découlent des échanges commerciaux. Nous appuyons tout à fait le commerce. Nous appuyons tout à fait l'instauration d'un climat favorable à l'investissement, notamment parce que les pensions de nos membres reposent sur un climat qui est très bon pour l'investissement. Certes, nous investissons dans les REER, dans les actions, dans les obligations, et dans le marché des titres. Nous investissons dans le capital de risque parrainé par les travailleurs. Aux yeux de nos membres, il importe, il est essentiel même d'avoir un climat qui est bien favorable à l'investissement.

Enfin, à propos de la mobilité de la main-d'œuvre, les travailleurs de la Saskatchewan et d'ailleurs au pays sont depuis longtemps mobiles; ils font des kilomètres et des kilomètres pour trouver du travail. Nous ne sommes pas contre l'idée d'une mobilité du travail et de dispositions qui reconnaissent les titres de compétence d'une manière uniforme, d'une province ou d'un territoire à l'autre.

Nous nous opposons à cet accord descendant qui est le TILMA, parce que nous estimons que le prix à payer est trop élevé pour supprimer ce que nous jugeons être quelques obstacles du point de vue du cadre réglementaire pour les entreprises. Il y a des mécanismes et des moyens beaucoup plus appropriés de supprimer ces obstacles, là où ils existent. Nous pensons qu'il faut les supprimer, mais pas sacrifier la démocratie en voulant supprimer les obstacles au commerce.

Le vice-président : Avant que je donne la parole à M. Brown, le sénateur Goldstein aimerait obtenir des éclaircissements sur un point.

Le sénateur Goldstein : Vous ne faites que parler des défauts du TILMA. Vous avez peut-être raison. Nous ne sommes pas très intéressés à imposer une espèce de TILMA à l'échelle nationale. Nous sommes intéressés à réduire les obstacles. Nous allons peut-être le faire à partir du modèle de TILMA ou d'un autre modèle, mais, d'après ce que je comprends, vous nous dites que vous êtes d'accord avec l'idée de réduire les obstacles au commerce. Vous dites que vous êtes d'accord avec l'idée de la mobilité de la main-d'œuvre et la suppression des limites, et vous semblez d'accord pour régler un certain nombre d'autres problèmes que le TILMA cherche à régler, mais pas de façon adéquate. Est-ce que je comprends mal ce que vous nous dites?

M. Hubich : Nous ne sommes pas en faveur de cadres réglementaires qui ne soient pas nécessaires, et nous ne croyons pas qu'il est dans l'intérêt du Canada, des citoyens, des entreprises ou de la population qu'il existe des règlements superflus et frivoles. À cet égard, nous sommes d'accord pour faire ce que nous pouvons pour rationaliser les régimes réglementaires et appliquer les normes de façon cohérente, lorsque c'est possible. Cependant, nous reconnaissons l'autorité démocratique et le droit des administrations provinciales et municipales d'adopter des lois et des règlements dans l'intérêt de la population.

À notre avis, les accords commerciaux s'inscrivent dans un cadre démocratique, plutôt que l'inverse, c'est-à-dire que la démocratie s'applique dans le cadre d'un accord commercial. Ce n'est pas aussi simple que d'essayer d'adopter un point de vue idéologique et de ne pas y déroger. Le mouvement syndical et les membres de la Fédération du travail — je suis convaincu que M. Brown va être d'accord — ont négocié dans le passé beaucoup de compromis et de solutions à des problèmes complexes et difficiles auxquels étaient confrontés les employeurs au chapitre de la compétitivité, et ainsi de suite. Très sincèrement, nous pensons que le TILMA n'est pas une bonne façon de faire les choses, parce que le prix à payer est trop élevé.

Je dirais qu'aucune entreprise au monde n'accepterait de signer avec ses employés une convention collective qui donne à ceux-ci une emprise sur l'organisation de la même façon que le TILMA offre à l'entreprise privée une emprise sur le gouvernement. Nous pensons qu'il s'agit d'un défaut très important.

M. Brown : Premièrement, en ce qui concerne la raison pour laquelle nous nous penchons sur le TILMA, le gouvernement fédéral a dit, dans le cadre de son dernier budget, que son modèle de mobilité interprovinciale était le TILMA, alors nous pensons qu'il s'agit d'une question sérieuse, et nous pensons que ce serait une grave erreur que d'adopter ce genre de mesure. Nous félicitons le Sénat d'avoir le courage de se pencher sur la question plutôt que de se contenter d'accepter les vagues déclarations qui sont faites à la défense de l'accord.

Deuxièmement, en ce qui concerne la raison pour laquelle on accorde tant d'attention à l'étude réalisée par le Conference Board of Canada, en réalité, votre question est pratiquement inversée. Il n'existe aucune autre preuve empirique outre celle fournie dans l'étude du Conference Board du fait que le commerce interprovincial va prendre de l'ampleur, d'une manière ou d'une autre, autant que le Conference Board le prétend. Les deux gouvernements ont cité le Conference Board of Canada comme étant leur source de données justifiant leur désir d'emprunter cette voie. Il n'y pas d'autres données. Nous n'avons pas beaucoup d'éléments pour prouver la fausseté des données des autres études, parce qu'il n'y a pas d'autres études. La plupart des gens présument que les avantages supposés du commerce international sont beaucoup plus modestes que le prétend l'étude en question, et c'est la raison pour laquelle nous nous concentrons là-dessus et nous disons que ça n'a pas l'air vrai, à nos yeux.

Il faut admettre que, en ce qui concerne le TILMA, on ne dispose pas encore de données empiriques pour prouver ce que nous avançons. L'accord n'est en vigueur que depuis avril 2007. Malheureusement, nous nous trouvons en situation de dire que, si vous nous accordez un an, nous serons capables de le prouver. J'aimerais beaucoup avoir tort, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Je pense que, dans un an, nous allons pouvoir revenir et vous dire que nous vous avions prévenus.

Enfin, supposons qu'il existe quelque chose entre les provinces du Canada que nous pourrions appeler des « obstacles au commerce ». Il faut que la fin justifie les moyens. Dans ce cas-ci, la réaction est trop forte. Il faut tenir compte de l'ampleur du problème dans la manière de le régler. Pourquoi, si une chose qui peut être un obstacle pose un petit problème, allons-nous enlever au gouvernement son droit de gouverner comme le fait le TILMA? C'est une réaction qui n'a aucun rapport avec l'événement qui l'a déclenché. C'est comme si nous disions que, puisqu'il y a peut- être quelque chose sur quoi nous n'arrivons pas à mettre le doigt, ou juste au cas où il y aurait quelque chose, nous allons supprimer le droit des gouvernements et des administrations inférieures d'adopter des règlements. Je crois que ce n'est pas logique.

Le sénateur Meighen : Mes observations s'adressent à vous deux. Je fais partie de ceux qui, au fil du temps, ont été séduits par ce qui semble être l'idée généralement acceptée selon laquelle le Canada a souffert d'obstacles internes au commerce qui n'ont pas lieu d'être. Il y a eu plein de conférences, plein d'orateurs agités nous ont parlé de cette situation terrible, et nos premiers ministres ont formé le Conseil de la fédération pour régler ce problème. Pardonnez- moi si j'ai travaillé en pensant qu'il y avait un problème. J'ai beaucoup apprécié vos exposés. Je ne suis pas totalement convaincu, cependant, qu'il n'y a pas de problème. Si vous arrivez à vous en convaincre, cela jettera un éclairage tout autre sur la question.

Je pense toujours qu'il y a un problème, qui va de l'incapacité de mettre en place un organisme national de réglementation des valeurs mobilières, jusqu'à la nécessité d'installer une brasserie dans une province pour y produire de la bière, en passant par la réglementation, les dédoublements et les contradictions, qui sont certainement, à première vue, des problèmes auxquels est confronté le Canada.

Je présume que ni l'un ni l'autre d'entre vous ne remet en question le droit des gouvernements de négocier cet accord. Ai-je raison? J'aimerais que vous répondiez à cette question. Si l'accord retire au gouvernement le droit de gouverner, pourquoi n'y a-t-il eu aucune contestation judiciaire du TILMA?

Monsieur Brown, vous avez dit — et je me demande si M. Hubich est d'accord avec vous — que, d'ici un an, vous sauriez de façon définitive si le TILMA était aussi mauvais que vous le pensez. S'agit-il d'un délai raisonnable pour arrêter un jugement sur l'accord?

M. Brown : Je répondais au sénateur Goldstein, qui disait que nous ne disposons pas encore de preuves empiriques, et je dis que, d'après moi, d'ici un an, nous allons être en mesure de prouver que certaines idées au sujet des éléments négatifs du TILMA sont fondés. Je ne sais pas si c'est précisément une période de douze mois, mais si le TILMA est aussi mauvais que nous le pensons, les preuves vont se révéler très rapidement, et c'est risqué de faire ce genre d'expérience avec le système canadien juste au cas où nous aurions raison.

Le sénateur Eyton : Je pourrais dire que ce n'est pas une mauvaise expérience si vous avez tort.

M. Brown : Il faudrait alors que vous présumiez qu'aucune des conséquences que nous avons imaginées n'aura lieu. Je pense que vous avez dit que vous n'étiez pas totalement convaincu, et c'est peut-être une fausse candeur que vous affichez. Vous êtes peut-être encore moins convaincu que vous ne le dites. Cependant, nous avons parlé de certains éléments du TILMA qui soulèvent des inquiétudes importantes, et, à moins que les gouvernements ne soient en mesure de répondre à ces préoccupations et de dire qu'il n'est pas possible que les éléments en question soient mauvais, nous vous disons, à vous et à d'autres, qu'il faut ralentir le processus. Faisons un pas en arrière.

Voilà qui me ramène à votre deuxième question, celle de savoir si nous pensions que les gouvernements avaient le droit de le faire. Les deux gouvernements ont négocié le TILMA sans organiser de consultation ou de débat public. Ils ont signé le TILMA, ils ont ensuite adopté des lois portant sur cet accord et ont tenté de faire en sorte qu'il n'y ait essentiellement pas de débat public. Il n'y en a pas eu à l'extérieur du petit milieu des associations d'entreprises et des cabinets avant que le mouvement syndical ne s'approprie le dossier et dise souhaiter qu'il y ait un débat public.

Est-ce que je pense que les gouvernements ont le droit de faire ce qu'ils ont fait en concluant ce genre d'entente exhaustive? Pour être franc, non. Je ne pense pas que le gouvernement ait le droit d'appuyer ce genre d'entente exhaustive qui, selon les nombreux avocats que nous avons cités ici, menace fondamentalement le droit des gouvernements de gouverner dans le sens où nous entendons habituellement ce terme. Ils n'ont pas le droit de le faire sans obtenir l'autorisation de la population par l'intermédiaire de quelconques consultations et débats publics, et c'est la raison pour laquelle nous vous félicitons d'avoir lancé ce genre de débat public avant que le TILMA ne s'étende en quelque sorte au reste du pays.

M. Hubich : Je n'ai pas grand-chose à ajouter, sauf peut-être pour répondre à la question de savoir pourquoi il n'y a pas eu de contestation judiciaire. J'imagine que c'est parce que l'accord est entré en vigueur le 1er avril 2007, c'est-à-dire qu'il n'existe que depuis deux mois. Il se peut très bien qu'il y ait contestation judiciaire. Je ne suis pas sûr de ce que les gens envisagent de faire dans les deux provinces signataires. En Saskatchewan, nous avons réussi à convaincre notre gouvernement, que les gouvernements de la Colombie-Britannique et de l'Alberta courtisaient pour qu'il signe le TILMA, de tenir de grandes consultations publiques au sujet de cet accord. Le processus a commencé cette semaine, et il y a des audiences à Regina cette semaine, et à Saskatoon la semaine prochaine, qui visent à obtenir le point de vue d'un vaste échantillon de citoyens et de groupes de la Saskatchewan. À la fin du processus, la province va prendre une décision. Je pense qu'il y a des gens en Saskatchewan qui se penchent sur toutes les conséquences juridiques qu'aurait l'accord dans la province.

Le sénateur Meighen : Je pense que vous avez dit que vous étiez d'accord pour faire de votre mieux afin d'effectuer une réforme réglementaire. Il est évident que vous n'aimiez pas le TILMA ni le processus en place. Si vous pensez qu'une réforme réglementaire est nécessaire, par quel moyen vous acquitteriez-vous de la tâche de rationaliser des règlements contradictoires et qui font double emploi?

M. Hubich : Ce qu'il faut commencer par faire, c'est déterminer où se trouvent les obstacles réels, puisque c'est une question qui n'est pas encore réglée; comme vous, sénateur, nous avons entendu dire qu'il y a une multitude d'obstacles. Cependant, chaque fois que je demande de quoi nous parlons précisément, on m'explique de façon anecdotique ce que sont ces obstacles. D'abord et avant tout, il est important de déterminer ce qui est considéré comme étant un obstacle. Une fois que nous l'aurons fait, il y aura un certain nombre de choses que nous pourrons faire.

Si nous parlons de réformer les normes de qualification ou de négocier une application uniforme des titres professionnels, c'est quelque chose que nous pouvons faire par des moyens comme les accords de reconnaissance mutuelle, là où ce genre d'accords existent. Je parle précisément de la mobilité de la main-d'œuvre. Le Programme du sceau rouge est un exemple classique de la façon dont on fait les choses au pays, et ce programme a été très utile aux partenaires de l'industrie, aux entreprises, aux syndicats et aux gouvernements, depuis des dizaines d'années. Il y a toutes sortes de choses.

L'Accord sur le commerce intérieur, avec ses défauts et ses problèmes, a permis de franchir des étapes importantes dans la rationalisation des normes dans l'ensemble des provinces du pays. Si j'interprète la critique de l'ACI correctement, les choses ne vont pas assez vite, et l'accord n'a pas suffisamment de mordant, d'après les gens qui pensent qu'il devrait être en mesure de forcer les gouvernements à s'acquitter de leurs obligations découlant de cet accord.

Voilà ce qui pose problème, et il y a moyen de se réunir quelque part et de négocier des solutions à certains de ces problèmes difficiles. La structure du TILMA est contraire au processus naturel, parce que c'est une structure descendante qui intègre tout et précise que la seule façon de sortir du TILMA, c'est de négocier une exemption. À notre humble avis, la démocratie est une chose trop importante pour qu'il s'agisse d'une exemption dans le cadre d'un quelconque accord commercial. Ainsi, nous devons aborder avec maturité le dialogue que nous devons tenir au pays pour nous assurer que les entreprises puissent prospérer, qu'il n'y ait pas de cadres réglementaires superflus et que les plaintes formulées sont réelles, plutôt que d'être de simples plaintes anecdotiques au sujet de quelques légères différences entre les règlements d'une province et ceux d'une autre.

Le vice-président : Le sénateur Campbell, qui est de la Colombie-Britannique, connaît beaucoup de choses à ce sujet. Il voudra peut-être vous demander si vous avez lu tous les témoignages que nous avons entendus sur la question.

Le sénateur Campbell : J'ai été métallurgiste, ce qui fait que j'ai certaines idées par rapport au mouvement syndical. J'ai deux ou trois questions à poser. Premièrement, il y a le fait que Regina a obtenu un avis selon lequel l'accord empêcherait effectivement la ville d'exercer ses pouvoirs réglementaires. Si je ne m'abuse, Vancouver a aussi obtenu un avis, un avis contraire. Je suppose que, comme d'habitude, lorsqu'on obtient un avis, celui-ci dépend de qui va écoper.

Devons-nous absolument trouver le plus petit dénominateur commun dans ce dossier? Allons-nous toujours tendre vers le petit dénominateur commun lorsqu'il s'agit de cet accord? Il semble, dans un sens, que nous révisons toujours nos normes à la baisse. Est-ce vrai?

M. Brown : Il y a deux réponses à cette question. La réponse simple, c'est qu'il y a un autre avis juridique qui dit qu'il y a une pression légale vers le bas, que, en fait, dans le cadre du TILMA, c'est exactement la conséquence — il faudra chercher le petit dénominateur commun —, que c'est une exigence de la loi. Si quelqu'un veut se situer au-dessus du plus petit dénominateur commun, cette personne devra prouver qu'il y a une possibilité d'exemption acceptable avant de le faire. La réponse courte à la question, c'est oui.

La pression vers le bas est encore plus forte que l'argument juridique. Toute l'idée du TILMA, comme les autres accords commerciaux que nous avons connus, c'est de déréglementer. L'idée, c'est de se débarrasser des règlements pour qu'il soit plus facile pour les entreprises d'effectuer des activités dans différentes provinces. Franchement, comme je l'ai dit dans mon exposé, et cela nous ramène à votre question, si nous voulons que le marché soit pur et absolument libre au Canada, alors il y a sur notre chemin toutes sortes de choses qu'on appelle les gouvernements provinciaux. Si les gouvernements provinciaux ont le droit d'exister au sein du Canada, alors il peut y avoir des obstacles, mais ces obstacles en sont parce que les gens gouvernent.

Toute l'idée du TLIMA, c'est de dire qu'il faut moins de règlements, moins d'obstacles, moins de choses qui puissent empêcher les entreprises de réaliser des profits comme elles l'entendent dans l'une ou l'autre province. Nous avons vu cela dans le cadre d'autres accords commerciaux. C'est le produit final qui découle automatiquement de ce genre de pression.

M. Hubich : La ville de Saskatchewan dont le nom a été mentionné aurait dû, à mon avis, être Saskatoon. L'avocat de la Ville de Saskatoon a effectué une analyse juridique du TILMA du point de vue de l'administration municipale, ce que les gens pourraient faire et ce que seraient les répercussions. Vous avez parlé d'une analyse semblable effectuée par la Ville de Vancouver. Il y en a une qui vient tout juste d'être publiée, la semaine dernière, qui se trouve dans le site web de la Ville de Vancouver et qui soulève des préoccupations importantes du point de vue de la Ville de Vancouver quant aux répercussions et aux conséquences sur le commerce du TILMA ainsi que sur la capacité de la ville de Vancouver. De plus en plus d'inquiétudes importantes sont soulevées, surtout par les gouvernements municipaux et les autres organisations gouvernementales qui sont touchées par cet accord qui a été élaboré sans aucune consultation.

Le sénateur Campbell : Merci; je ne savais pas qu'un nouvel avis avait été publié à Vancouver.

Revenons sur l'idée de M. Brown selon laquelle, dans un an, nous allons être en mesure de dire qui avait raison et qui avait tort. Quels sont les recours autorisés dans le cadre du TILMA? Est-il possible de s'en retirer ou encore de le modifier?

M. Brown : Voilà une question très intéressante. Non seulement il est très difficile pour un gouvernement de se retirer du TILMA, mais supposons que dans l'une ou l'autre province, le gouvernement qui a signé le TILMA est défait par un gouvernement qui ne croit pas en l'accord. Techniquement, selon mon interprétation de l'accord, le nouveau gouvernement peut s'en retirer. Je ne suis pas tout à fait sûr de ça, mais je pense que ce n'est pas précisé, et il est donc implicite que le nouveau gouvernement peut bel et bien mettre fin à l'accord. Cependant, comme vous le savez, la pression qui sera exercée sur ce gouvernement pour qu'il ne se retire pas de l'accord sera énorme. Techniquement, le Canada peut se retirer de l'ALENA, mais, chaque fois que quelqu'un évoque cette possibilité, ne serait-ce que pour en parler, une pression énorme est exercée, et on dit que ce serait la fin du monde, que la plupart des économies s'effondreraient et ainsi de suite. La pression qui serait exercée sur les gouvernements pour qu'ils ne se retirent pas du TILMA actuel serait énorme. Sur le plan pratique, se retirer du TILMA serait beaucoup plus difficile que de le signer.

Le sénateur Campbell : Je ne propose pas un retrait du TILMA. Tout accord constitue une expérience. Tout le monde peut présenter des chiffres, mais c'est un travail en cours.

Si le TILMA pose certains problèmes, qu'allons-nous faire pour les régler? Peut-on les régler facilement, ou sommes-nous bloqués? Peut-être que M. Hubich, qui est de la Saskatchewan, peut répondre à cette question.

M. Hubich : Ce qui est sûr, c'est que je ne suis pas avocat.

Le sénateur Campbell : Vous n'avez pas à vous en excuser.

M. Hubich : Je ne m'en excuse jamais; je ne fais que le dire. Mon autre frère, Larry, est avocat, alors je vais peut-être lui demander de répondre aux questions juridiques.

Je peux vous répondre en ce qui concerne ce qui a été décrit comme étant possible pour les autres provinces qui signeraient le TILMA. S'il y a une possibilité pour que les gouvernements provinciaux, par exemple, celui de la Saskatchewan, participent à cet accord bilatéral conclu entre la Colombie-Britannique et l'Alberta, est-ce que la porte serait ouverte pour qu'une province comme la Saskatchewan négocie des amendements au TILMA? D'après ce que j'ai entendu dire, la Colombie-Britannique et l'Alberta disent être prêtes à modifier un peu l'accord, mais que, si d'autres provinces veulent y participer, elles doivent accepter leurs conditions.

Si c'est le cas, et si c'est ce que laissent entendre les provinces de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, je ne vois pas pourquoi une autre province voudrait signer l'accord, certainement pas sans possibilité de négociation. Personnellement, je ne vois pas pourquoi elle voudrait le faire de toute façon. Si elle est prête à aller jusque là, je doute de la possibilité pour les gens de négocier des modifications.

Il y a un processus d'application progressive du TILMA qui doit durer deux ans et permettre la négociation d'exemptions. Nous sommes d'avis que tout le processus est faussé parce qu'on part du principe que l'accord vise tout et que la seule façon de s'en retirer, c'est de négocier le fait que certaines choses n'en fassent pas partie. Pour nous, cette idée pose un problème fondamental : des accords généraux, exhaustifs et descendants qui visent tout le monde et que tout le monde est forcé d'accepter, et qui font que la seule façon de s'en retirer, c'est de soutenir que, en quelque sorte, la démocratie doit avoir préséance sur cet accord commercial. Nous pensons que cette façon de voir les choses est malsaine et antidémocratique.

Le vice-président : Messieurs, il est 17 h 15. Je propose, si vous êtes d'accord, que nous suspendions la séance pour une demi-heure.

Le sénateur Goldstein : Ce n'est pas suffisant. D'après ce que je sais, il y aura un vote par assis et levé.

Le vice-président : De toute façon, nous devons suspendre la séance pour procéder au vote. Un certain nombre de sénateurs n'ont pas encore eu l'occasion de poser des questions. Le président, le sénateur Grafstein, a hâte d'entendre ce que vous allez répondre à ses questions. Votre témoignage est très important dans le cadre de notre étude. Comme vous le savez certainement pour vous être penchés vous-même sur la question, votre témoignage diverge de la majeure partie des témoignages que nous avons entendus, mais ce que vous dites et convaincant. Vous nous avez fourni beaucoup de renseignements, et je pense que nous devons bien creuser la question.

Chers collègues, dois-je comprendre que vous êtes prêts à revenir après le vote?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : Messieurs, à vous de décider. Pouvons-nous vous demander d'être ici dans une heure, disons?

Le sénateur Eyton : Ou un autre jour. J'ai d'autres réunions à mon horaire.

Le vice-président : Monsieur Hubich, pourrez-vous participer?

M. Hubich : Je ne suis pas sûr. Je me trouve au Saskatoon Club, et je n'ai pas pris de dispositions en ce qui concerne le branchement vidéo. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre va utiliser la caméra, ou si la salle dans laquelle je me trouve a été réservée par quelqu'un d'autre. Il faudrait que je me renseigne pour savoir ce qu'il est possible de faire. Assurément, si c'est possible, je peux revenir. Sinon, nous pourrions prévoir une réunion un autre jour, et je pourrais aménager mon horaire en conséquence. Je pourrais revenir à Saskatoon, et nous pourrions poursuivre la réunion, si c'est ce que préfèrent les sénateurs. Je vais faire de mon mieux pour exaucer vos souhaits.

M. Brown : L'une ou l'autre option me va.

Le sénateur Eyton : C'est très difficile.

Le sénateur Goldstein : C'est une soirée où il se passe beaucoup de choses. Il y a la réunion du Commonwealth et la rencontre Canada-États-Unis. Ça n'a pas de sens.

Le vice-président : Je vois que vous voulez que nous levions la séance, mais j'espère que nous pourrons recevoir de nouveau les témoins. J'ai encore quelques questions à poser.

Chacun d'entre nous, comme vous le constaterez, a suivi attentivement ces questions. Nous avons effectué une étude sur la productivité qui a montré, hors de tout doute raisonnable, que le Canada est en retard sur le plan de la productivité. Nous essayons d'attaquer le problème à la racine et nous pensons que le domaine que nous avons abordé aujourd'hui est l'un de ceux sur lesquels il faut se concentrer. Nous sommes d'accord avec vous pour dire que c'est un domaine très complexe, et nous aimerions tirer parti de votre sagesse avant de décider ce que nous devrions faire.

Nous allons lever la séance, mais nous allons vous demander de revenir témoigner en temps opportun, pour pouvoir poursuivre le dialogue, si vous êtes d'accord.

M. Brown : Puis-je vous donner une brève réponse? Les articles 20 et 21 du TILMA permettent d'autres négociations ou un retrait de l'accord sur préavis de 12 mois. Je ne voulais pas partir sans avoir dit cela.

Le vice-président : Merci beaucoup. Nous allons communiquer avec vous pour prévoir une nouvelle séance.

La séance est levée.


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