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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 15 - Témoignages du 30 avril 2007


OTTAWA, le lundi 30 avril 2007

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 9 h 40 pour examiner, afin d'en faire rapport, la politique de sécurité nationale du Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Avant que nous ne commencions, j'aimerais vous présenter les membres du comité. Le sénateur Tommy Banks est de l'Alberta et il a été nommé au Sénat au terme d'une carrière d'un demi-siècle dans le secteur du divertissement. Il préside le Comité permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

Assis à ses côtés est le sénateur Joseph Day, du Nouveau-Brunswick, qui est le président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Il est membre des barreaux du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Québec, et membre de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Il est également ancien président-directeur général de l'Association des produits forestiers du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Rod Zimmer est de Winnipeg. Il a mené une longue et distinguée carrière comme homme d'affaires et philanthrope et a travaillé bénévolement au service de nombreuses causes et organisations de bienfaisance. Il est membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ainsi que du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Nous sommes également très heureux de compter parmi nous le sénateur Mobina Jaffer, qui est de la Colombie- Britannique. Elle est avocate et a une vaste expérience du droit des réfugiés et de l'immigration. Elle est membre active de la communauté et appuie une vaste gamme d'organisations communautaires. Elle siège également au Comité spécial sur la Loi antiterroriste, ainsi qu'aux comités sénatoriaux permanents des droits de la personne, de la régie interne, des affaires juridiques et constitutionnelles et des langues officielles. C'est toute une liste.

Honorables sénateurs, nous accueillons devant nous aujourd'hui M. Jim Judd, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS. M. Judd est directeur du SCRS depuis novembre 2004. Il s'était joint au ministère des Affaires étrangères en 1973. Il a eu une longue et distinguée carrière en tant que secrétaire du Conseil du Trésor et sous-ministre de la Défense nationale, entre autres postes qu'il a occupés. La dernière fois que nous l'avons entendu remonte au 19 juin 2006.

Monsieur Judd, d'après ce que nous avons compris, vous n'avez pas de déclaration liminaire à nous faire, et nous pouvons donc tout de suite nous lancer dans le vif du sujet.

Jim Judd, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : Lancez-vous, sénateur.

Le sénateur Banks : Je vais commencer par vous poser une question qui témoignera de ma naïveté. Je suis membre de ce comité depuis sa création, et je ne connais pas très bien, aujourd'hui, le mandat du SCRS ou les contraintes à l'intérieur desquelles celui-ci doit fonctionner, ce en partie parce que son mandat a, dans une certaine mesure, changé au cours des dernières années. Je vous demanderais donc de commencer par nous donner un aperçu de ce qu'est le mandat du SCRS, tel qu'il est énoncé dans la loi, et du degré auquel cette loi, d'après l'interprétation que vous en faites, impose au SCRS des contraintes dans le cadre de son travail.

Je poursuivrai ensuite mon interrogatoire à partir de là. Je m'excuse de la naïveté de ma question, mais je tiens à bien comprendre où en est le service et ce qu'il fait.

M. Judd : De façon générale, l'agence a été créée par une loi habilitante en 1984. Sans aller dans le détail du libellé, il s'agit d'un service national de renseignement de sécurité qui s'intéresse principalement aux menaces à la sécurité du Canada ou de Canadiens, où que celles-ci se trouvent.

L'agence est également responsable de conseiller le gouvernement au sujet des évaluations de sécurité, c'est-à-dire les vérifications de sécurité pour tout un éventail de personnes, de réfugiés, d'immigrants et de postulants à des emplois au sein du gouvernement fédéral et qui exigent une cote de sécurité. Nous offrons ce même service à plusieurs gouvernements provinciaux, dont ceux de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick.

Le mandat de l'organisation est de recueillir des renseignements de sécurité et de conseiller le gouvernement relativement aux menaces à la sécurité du Canada ou de Canadiens, et nous faisons cela par le biais de la collecte, au moyen de toute une gamme de mécanismes, de données et de renseignements.

Nous avons également pour responsabilité, à la demande du ministre de la Défense nationale et du ministre des Affaires étrangères, de faire la collecte de ce que l'on appelle souvent des renseignements étrangers, mais ce uniquement à l'intérieur du Canada.

Le sénateur Banks : Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous expliquer ce que sont des « renseignements étrangers à l'intérieur du Canada »?

M. Judd : Il s'agit de la collecte de renseignements au sujet des activités ou des intentions de gouvernements étrangers, mais nous ne nous y adonnons qu'à la demande expresse du ministre de la Défense nationale et du ministre des Affaires étrangères, sous réserve du consentement du ministre dont nous relevons.

Lorsque l'agence a été créée, elle a été dotée d'un ensemble exhaustif de contrôles politiques et juridiques — et sans doute d'un arrangement unique en matière d'examen et de plaintes — en vertu duquel deux agences indépendantes revoient ce que nous faisons et comment nous nous y prenons tout au long de l'année et annuellement. L'une d'entre elles, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, soit le CSARS, joue également le rôle d'agence de plaintes pour les activités du SCRS.

Le sénateur Banks : Quelle est l'autre agence?

M. Judd : L'inspecteur général, qui rend compte au ministre tout au long de l'année ainsi qu'annuellement. L'inspecteur général peut également entreprendre des examens indépendants de nos opérations et activités.

Le sénateur Banks : D'après ce que je comprends, ces agences traitent les plaintes venant de personnes qui pensent peut-être que le SCARS a été plus intrusif, ou encore lorsqu'une entreprise ou un particulier a une plainte. L'une ou l'autre de ces agences examine-t-elle l'efficacité de ce que fait le SCRS, ou pose-t-elle des questions en vue de déterminer si celui-ci poursuit une piste intéressante donnée?

M. Judd : Ces agences se concentrent très largement sur notre respect des lois et des politiques. Pour ce qui est de l'efficacité, elles jugent de ce que nous faisons et de la façon dont nous nous y prenons. Il y a tout un volant d'autres intervenants du gouvernement fédéral, à commencer par le ministre responsable de l'agence, et Sécurité publique et Protection civile Canada, qui est responsable du portefeuille des agences relevant de la sécurité publique. Il y a, bien sûr, d'autres éléments de gouvernement, notamment le Secrétariat du Conseil du Trésor et le Bureau du Conseil privé, qui sont appelés à trancher davantage sur l'efficacité et les dossiers ciblés. Examinons-nous les bonnes choses de façon aussi détaillée et en déployant autant d'efforts que par le passé?

Le sénateur Banks : Lorsque vous avez dit que l'un des rôles est d'examiner la sécurité du Canada dans le contexte de l'incidence sur elle d'activités de gouvernements étrangers, entendiez-vous par là que le SCRS se pencherait, par exemple, sur les activités des gouvernements américain ou iranien au Canada, ou bien vous efforcez-vous de cerner les activités et les intentions dans un contexte davantage mondial?

M. Judd : En ce qui concerne les gouvernements étrangers, notre travail est cantonné à l'intérieur du Canada. La Loi régissant le SCRS, à l'article 16 plus précisément, limite la portée de ses activités au territoire canadien pour ce qui est de l'obtention par nous d'information au sujet des activités et des intérêts de gouvernements étrangers. Ce travail peut être mené par le biais du ministère des Affaires étrangères ou d'autres agences, comme par exemple le Centre de sécurité des télécommunications, ou CST.

Le sénateur Banks : S'il se trouvait pour quelque raison à Bucarest un employé du SCRS, s'attendrait-on à ce que cette personne examine les attitudes du gouvernement roumain et ses visées futures relativement au Canada et au reste du monde? Le SCRS en ferait-il rapport au gouvernement canadien pour son édification?

M. Judd : Un employé du SCRS déployé à l'étranger ne ferait rapport que de renseignements ayant une incidence directe sur notre mandat essentiel en matière de sécurité nationale à l'égard du Canada et des Canadiens. Le genre de rapport plus vaste auquel vous songez serait davantage l'affaire du ministère des Affaires étrangères dans le cadre de ses rapports diplomatiques et de sa surveillance des politiques, programmes, activités et ainsi de suite de gouvernements étrangers.

Le sénateur Banks : J'imagine que l'agence fait ce travail d'une façon que je qualifierais de déclarée.

M. Judd : Oui.

Le sénateur Banks : Je devine que certaines des activités du SCRS sont secrètes et qu'elles doivent l'être. Y a-t-il quelqu'un qui se charge de ce genre de choses, pour poursuivre avec mon exemple, à Bucarest?

M. Judd : Nous ne nous engageons pas dans des activités secrètes de collecte de renseignements à l'étranger relativement aux activités, politiques et intentions de gouvernements étrangers, non.

Le sénateur Banks : D'après ce que vous en savez, y a-t-il quelqu'un qui fasse ce travail pour le compte du Canada?

M. Judd : Le Centre de sécurité des télécommunications a cette capacité.

Le président : Vous avez fait état, si je ne m'abuse, de la sécurité nationale de base. Quelle différence y a-t-il entre sécurité nationale de base et sécurité nationale?

M. Judd : C'est une question intéressante, sénateur. La distinction habituelle repose sur le fait que la sécurité nationale de base renvoie à des menaces directes pour le Canada ou les Canadiens, quelle qu'en soit la source. Traditionnellement, cela nous a exclus. Nous sommes en vertu de la loi exclus de la collecte de tels renseignements à l'étranger lorsqu'il est question des activités correspondant aux intérêts et interventions plus larges en matière de politique étrangère de gouvernements étrangers. Un exemple serait une menace particulière émanant d'un gouvernement étranger et source de préoccupation pour nous. Ce serait là quelque chose de différent, et je citerais à titre d'exemple l'espionnage ou l'appui au terrorisme de la part d'un gouvernement donné.

Il s'agit d'une curieuse distinction qui trouble depuis toujours les gens. C'est la meilleure explication que je puisse donner.

Le président : Peut-être que cela serait plus clair pour nous si vous pensiez que l'un des gouvernements des pays entourant l'Afghanistan prenait des mesures mettant en péril nos troupes. Le SCRS aurait-il en la matière un rôle de rapporteur?

M. Judd : Oui, cela nous intéresserait certainement.

Le président : Pourriez-vous nous donner d'autres exemples de situations qui vous intéresseraient certainement?

M. Judd : Comptent parmi les questions dont nous traitons et qui ont un rapport direct avec la sécurité nationale, la prolifération d'armes de destruction massive, le terrorisme entretenu par un État ou l'appui, par un État, d'ingérence étrangère au Canada ou d'activités de renseignement étranger au Canada.

Le président : Est-il nécessaire que ces activités soient appuyées par un État, ou bien pourrait-il s'agir d'activités non étatiques?

M. Judd : Nous nous intéresserions également aux activités non étatiques.

Le président : En fait, l'intérêt que vous portez aux menaces au Canada est tel que la base est plutôt large, n'est-ce pas?

M. Judd : Elle est plutôt large.

Le président : Pourriez-vous nous expliquer cela davantage?

M. Judd : L'une des réalités auxquelles nous nous trouvons confrontés — et il s'agit bien sûr d'un terme galvaudé — est que nous vivons réellement aujourd'hui dans un monde planétaire. La mobilité des gens à l'échelle internationale, y compris en partance et à destination du Canada, est tout à fait extraordinaire. Dans le cas de la plupart des menaces que nous avons relevées ici ou dans d'autres pays occidentaux, il semble qu'il y ait toujours eu une certaine dimension internationale. Cela peut prendre la forme d'activités terroristes ou d'efforts visant la prolifération d'armes de destruction massive ou de systèmes de livraison, par exemple missiles balistiques, ou encore d'espionnage — dont les racines se trouvent inévitablement à l'extérieur du pays.

Le président : Ces éléments constituent-ils chez vous des dossiers?

M. Judd : À l'heure actuelle, le gros de notre activité d'enquête concerne le terrorisme. Nous avons des programmes relativement actifs pour ce qui est des armes de destruction massive, du renseignement étranger et de l'ingérence étrangère dans les affaires du Canada. Laissant de côté notre programme de filtrage de sécurité, ce seraient là les trois priorités opérationnelles pour nous en ce moment.

Le président : Effectueriez-vous une ventilation de ces dossiers par sous-classification, selon que le problème soit né dans une zone géographique particulière ou chez un groupe donné? Si je vous pose la question, c'est que j'essaie de comprendre combien d'éléments sont en jeu.

M. Judd : J'ignore si nous avons fait une ventilation du genre des dossiers, mais nous avons à tout moment des centaines d'enquêtes actives en cours et qui recoupent tous l'éventail, soit prolifération d'armes de destruction massive, terrorisme et espionnage.

Le président : Et ce travail d'enquête se fait-il à l'étranger?

M. Judd : Les frontières ne veulent plus dire grand-chose pour ce qui est de ces questions. Certaines des personnes qui nous intéressent dans le contexte du terrorisme peuvent avoir des liens avec d'autres dans jusqu'à une douzaine de pays différents. Bien sûr, les activités d'espionnage ont leur origine en pays étranger. Les questions relatives à la prolifération des armes peuvent traverser des frontières nationales et intervient également la distinction entre secteurs public et privé, du fait du rôle que peuvent jouer les entreprises privées dans la facilitation du développement de tels programmes. Les choses sont embrouillées du fait qu'il n'existe aucune distinction claire entre secteurs national et international et secteurs privé et public.

Le président : Le sénateur Banks vous a demandé de brosser pour le comité un tableau d'ensemble du travail mené par le SCRS à l'étranger. J'essayais pour ma part d'obtenir de vous que vous nous donniez une idée de l'ordre de grandeur quant aux dossiers et aux groupes dont vous vous occupez à l'étranger. Pourriez-vous être plus précis?

M. Judd : Pour ce qui est du terrorisme, de la prolifération des armes et de l'espionnage, la quasi-totalité des dossiers comportent une dimension internationale. Le SCRS limite son travail au détail des menaces pour la sécurité, ce qui le distingue d'autres agences que vous connaissez, comme par exemple la CIA aux États-Unis et le MI6 au Royaume- Uni. Ces agences-là sont des cueilleurs et des producteurs actifs de renseignements étrangers sur les circonstances politiques et économiques générales de gouvernements étrangers. Le travail du SCRS cible de façon beaucoup plus étroite les menaces visant le Canada.

Le président : Ces renseignements aident-ils le comité à comprendre ce qu'est la sécurité nationale de base?

M. Judd : Si vous regardez la politique de sécurité nationale d'il y a quelques années, vous y verrez qu'elle identifiait huit menaces à la sécurité nationale, dont les pandémies et les catastrophes naturelles. Il est certain que les menaces identifiées à l'époque relativement au terrorisme, à l'espionnage étranger, à l'ingérence étrangère et à la prolifération d'armes de destruction massive constituent l'activité fondamentale du SCRS.

Le sénateur Zimmer : Monsieur Judd, le président vous a interrogé au sujet des dossiers, et nous en avons discuté, mais cela m'aiderait que l'on se penche sur l'infrastructure. Sommes-nous les auteurs des dossiers ou bien allons-nous à la pêche à partir du Canada? Avons-nous des agents répartis un petit peut partout dans le monde et qui fournissent ces renseignements au personnel ici au Canada? Comment fonctionne le système? Quelle est l'infrastructure?

M. Judd : La très grande majorité de notre personnel travaille au Canada. Nous avons des bureaux d'un bout à l'autre du pays, y compris dans la région de la capitale nationale. Nous avons également du personnel du SCRS en poste à l'étranger dans, je pense, quelque 30 pays. La grande majorité d'entre eux sont des agents de liaison auprès d'agences étrangères dans ces pays. Ces employés font également du travail en vue d'appuyer le programme d'immigration sur le plan du filtrage de sécurité.

Il arrive à l'occasion que nos gens à l'étranger exécutent en permanence des activités opérationnelles, comme par exemple l'appui aux Forces canadiennes en Afghanistan. Il nous est déjà arrivé d'envoyer du personnel à l'étranger dans des cas particuliers où la sécurité et la sûreté des Canadiens ont été menacées, comme par exemple lors du conflit au Liban, il y a un an, et de la prise d'otages en Iraq, il y a de cela environ 15 mois. Cela fait plus ou moins partie de la donne que des employés travaillant au Canada soient envoyés à l'étranger pour s'occuper de dossiers particuliers ayant une dimension internationale. Le SCRS est cependant principalement un service national. Nous comptons environ 2 600 employés, dont une cinquantaine environ sont en poste en permanence au Canada.

Le sénateur Zimmer : Lorsque ces personnes sont envoyées travailler à l'étranger, on les appelle des agents de liaison. S'agit-il véritablement d'agents de liaison ou bien savons-nous que ces personnes assurent un autre rôle? Le SCRS compte-t-il des employés à l'étranger qui ne sont pas appelés agents de liaison et qui travaillent peut-être comme agents clandestins affectés à des dossiers plus vastes? Le SCRS compte-t-il des employés en poste à l'étranger et dons la présence là-bas est censée être tue?

M. Judd : Non. Tous les agents de liaison du SCRS sont déclarés en tant que tel au gouvernement hôte. C'est habituellement cette même pratique qui est suivie par les gouvernements étrangers qui mènent des activités au Canada. Il peut y avoir de la suspicion quant à la participation d'un agent de liaison déclaré à des activités paraprofessionnelles, mais nous ne nous adonnons pas à ce genre de choses. Cela arrive cependant de temps à autre que des agents d'autres pays mènent ici de telles activités.

Le sénateur Banks : Compte tenu de ce que vous venez à l'instant de dire, serait-il juste de supposer que de tels Canadiens, travaillant dans des pays étrangers dans lesquels les intérêts du Canada pourraient être touchés d'une façon ou d'une autre, porteraient sur eux un grand drapeau rouge, du fait que nous ayons averti le gouvernement intéressé que ces personnes sont des agents de liaison? Personne du SCRS ne part travailler dans un pays étranger en prétendant, par exemple, être un importateur-exportateur, ou encore de façon complètement clandestine, n'est-ce pas? Est-ce bien ainsi que les choses fonctionnent à l'heure actuelle?

M. Judd : C'est le cas de nos agents de liaison qui sont déployés de façon permanente à l'étranger. Cependant, il nous arrive d'envoyer des gens du Canada mener des activités clandestines.

Le sénateur Banks : Des personnes qui ne sont pas forcément annoncées ni identifiées?

M. Judd : Non.

Le sénateur Banks : Vous avez, il y a un instant, fait une distinction entre, d'un côté, le MI6 et la CIA, dont les mandats sont quelque peu semblables, et, de l'autre, le SCRS. Vous avez dit que, de façon générale, le SCRS ne fait pas les mêmes choses que le MI6 et la CIA. Dois-je en déduire que, si nous devions faire une comparaison injuste, le SCRS se rapprocherait davantage du MI5?

M. Judd : C'est exact.

Le sénateur Banks : Cela signifie-t-il qu'il y a des lacunes quant à la défense des intérêts du Canada?

M. Judd : Parlez-vous là de la possibilité que le Canada dispose des mêmes capacités que ce qu'assurerait le MI6 ou la CIA?

Le sénateur Banks : Oui.

M. Judd : Le gouvernement se penche en ce moment même sur cette question. Elle fait l'objet d'un examen et d'un débat intensifs au sein du gouvernement. Nous n'en sommes pas encore arrivés à l'étape où des avis ou des recommandations fermes pourraient être livrés aux ministres, alors le débat se poursuit toujours.

Le sénateur Banks : Serait-il juste pour un Canadien de supposer, sur la base de cette situation, qu'il y a certains types d'intérêts dont on s'occupe — relativement aux intérêts des États-Unis d'un côté et à ceux de la Grande-Bretagne de l'autre, selon les exemples que vous avez donnés — et dont le Canada ne s'occupe tout simplement pas du tout; que l'on devrait y porter une certaine attention et que c'est là une lacune dans le paysage actuel?

M. Judd : Pour aller droit au but, pour ce qui est de l'exécution de ce que l'on appelle normalement la « collecte de renseignements humains » à l'étranger au sujet d'activités politiques, économiques ou autres de gouvernements étrangers, nous ne nous y adonnons pas. C'est cependant le cas de la plupart de nos alliés, et ce depuis longtemps.

Cependant, avec le Centre de la sécurité des télécommunications — et je pense que son chef, John Adams, comparaît devant vous plus tard aujourd'hui —, nous avons la capacité de faire de la collecte par voie électronique grâce à l'interception des signaux. J'estime que ce centre fait dans ce domaine ici au Canada une importante contribution quant aux intérêts du gouvernement. Il nous manque le facteur du renseignement actif dit humain.

Le sénateur Day : Dans une réponse que vous avez donnée un petit peu plus tôt à une question du sénateur Banks, vous avez parlé du paysage mondial changeant et du suremploi du terme « mondialisation », qui est tel que ces distinctions claires entre activités nationales et activités internationales sont un petit peu plus difficiles à cerner. Cela amène-t-il la conclusion que la division qui existe au Royaume-Uni entre le MI5 et le MI6, et celle qui existe entre la CIA et l'activité nationale américaine, était logique par le passé, mais qu'en ce qui concerne l'avenir, la nécessité d'avoir des organisations distinctes est moins claire?

M. Judd : Ce que vous dites est très intéressant. Dans le cas du Royaume-Uni, mon impression est que la distinction opérationnelle entre les deux agences est en train de commencer à s'estomper. Le MI5 n'est sans doute pas aussi actif que nous le sommes, à l'échelle internationale; mais étant donné les circonstances qui existent au Royaume-Uni et certains de ses engagements à l'étranger, j'ai l'impression que le MI6 consacre davantage de temps à son volet antiterroriste que jamais auparavant, comparativement à son rôle plus traditionnel de collecte de renseignements politiques et économiques relativement aux intentions et activités de gouvernements étrangers. Il est certain qu'étant donné la non-pertinence croissante des frontières nationales, nous constatons de plus en plus de chevauchement entre ces activités chez ces genres d'agences.

Je sais que dans le cas des deux pays occidentaux qui ont, au cours de la dernière décennie, opté pour une collecte de renseignements étrangers plus explicite — les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande —, les deux services ont été réunis au sein d'une seule et même agence, ce dans le but d'éviter le phénomène des silos ou du cloisonnement.

Le sénateur Day : Historiquement, que s'est-il passé en Russie?

M. Judd : Historiquement, la Russie était l'Union soviétique.

Le sénateur Day : Oui, l'Union soviétique à cette époque-là.

M. Judd : L'Union soviétique était dotée de l'agence de renseignement unifiée par excellence, selon vos normes, et je veux parler du KGB. Cependant, après l'effondrement de l'Union soviétique, le KGB a été scindé en deux services. L'un est largement axé sur la cueillette d'informations et des opérations à l'étranger, un peu dans le genre de la CIA ou du MI6. C'est ce que nous appelons le SVR. Puis il y a une agence nationale qui travaille à l'intérieur du territoire russe et qui s'appelle le FSB. Côté mandat, ce service est beaucoup plus important que notre organisation. Il s'occupe également de choses comme le contrôle des frontières, un peu à la manière de ce que fait l'Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC. Voilà qui résume l'expérience soviétique.

Le sénateur Day : Avec l'éclatement de l'Union soviétique, a-t-on jugé que le KGB, l'organisation unifiée, n'était pas aussi efficace? Était-ce là la raison de la scission de cette organisation en une agence nationale et une agence internationale, ou bien y avait-il à cela d'autres raisons?

M. Judd : Je ne connais pas toutes les considérations qui ont amené cette décision, mais je devine que cela relevait en partie du désir de changer d'image. Le KGB n'était pas une très bonne marque à l'intérieur du territoire russe. L'idée était peut-être également d'avoir deux organisations se consacrant chacune à son mandat respectif, au lieu d'essayer de tout réunir au sein d'une seule et même institution.

Le sénateur Day : Vous avez indiqué tout à l'heure que l'activité de notre SCRS compte sans doute un plus gros élément étranger que celle du MI5, par exemple. Est-ce parce que le MI5 compte une organisation sœur qui s'occupe du renseignement étranger? Nous n'avons pas cela, alors la voie toute naturelle a été l'expansion du SCRS dans certaines de ces activités étrangères plus importantes.

M. Judd : Je devine que c'est en partie cela. Par ailleurs, le MI5 est beaucoup plus axé que nous ne le sommes sur l'antiterrorisme, et ce presque à l'exclusion de nombreuses autres choses. Ce service fait toujours du contre-espionnage et du travail de contre-prolifération, par exemple, mais pour ce qui est des questions de contre-prolifération, le MI6 est sans doute le plus actif des deux services. Les circonstances que vit depuis quelque temps le Royaume-Uni sont telles que le dossier du terrorisme à l'intérieur de ses frontières occupe une part disproportionnée de l'attention du MI5.

Le sénateur Day : Pour revenir au cas du Royaume-Uni, et tout particulièrement à celui de l'Angleterre, avec son terrorisme indigène et la récente activité à ce niveau-là, et gardant à l'esprit, encore une fois, la mondialisation de tout cela et la possibilité que certains de ces terroristes intérieurs reçoivent de l'argent depuis l'étranger et peut-être même des directives depuis l'étranger, le MI5 interviendrait-il au niveau international d'un point de vue contre-terrorisme? Ou bien serait-il tenu de faire appel au MI6 en disant : « C'est vous qui vous occupez de l'étranger. Aidez-nous avec cette activité particulière »?

M. Judd : C'est un petit peu une combinaison des deux. Le MI6 s'est de plus en plus concentré sur son travail de contre-terrorisme. Les deux agences travaillent assez étroitement ensemble. Il se fait beaucoup d'échange de personnel entre les agences, surtout du MI6 au MI5 par les temps qui courent, ce pour appuyer le portefeuille du contre- terrorisme.

Le sénateur Day : Et tous ces éléments semblent tendre vers un concept d'agence unique.

M. Judd : En fait, il me semble que le gouvernement britannique s'est peut-être penché là-dessus au cours de la dernière décennie et qu'il a fini par décider de s'en tenir aux deux entités distinctes. Sur le plan opérationnel, en ce qui concerne surtout le contre-terrorisme, il y a là toute une interrelation entre les agences.

Le sénateur Day : Étant donné qu'il doit y avoir une interrelation claire entre agences, supposons qu'il soit décidé qu'il nous faille augmenter notre activité de renseignement étranger relativement à des dossiers politico-économiques. Si l'on tentait d'envisager la chose d'un point de vue théorique et politique, quels sont les arguments pour et contre l'élargissement de l'agence existante que nous avons avec le SCRS ou la création d'un ministère ou d'un groupe plus important au sein d'Affaires étrangères et Commerce international Canada afin de mener cette activité, et qui pourrait travailler étroitement avec nos ambassades partout dans le monde, ou encore la création d'une agence canadienne indépendante qui serait semblable à la CIA ou au MI6? Quels seraient les avantages et les inconvénients de chacune de ces propositions?

M. Judd : D'après ce que j'ai constaté lors de débats publics au sujet de ces questions, d'aucuns diraient que nous ne pouvons pas avoir une seule agence qui assure les deux activités, celles-ci étant si différentes que cela ne pourrait pas fonctionner efficacement.

Par exemple, si nous œuvrons à l'intérieur du pays à un mandat de sécurité nationale, avec une surveillance politique très stricte, une surveillance par les tribunaux et une surveillance par le biais d'examens externes, alors tout est fait conformément à la loi, alors que si nous nous engageons dans de l'espionnage à l'étranger, il y a de fortes chances que cela enfreigne les lois de quelqu'un d'autre — pas les nôtres, mais probablement celles du pays hôte.

Un autre facteur compensateur qui a été mentionné renvoie à l'aspect mondialisation, en ce sens que les distinctions entre ce qui est national et ce qui est international sont si floues ou si peu pertinentes aujourd'hui qu'il est préférable que les opérations soient intégrées. Un autre reproche que l'on fait traditionnellement à l'endroit des communautés de renseignement de sécurité dans le monde — et nous avons certainement vu cela dans le cas du rapport de la commission américaine sur les événements du 11 septembre — est que celles-ci ont tendance à être trop cloisonnées, et que plus on décloisonne, mieux c'est.

Un autre facteur dont on parle lorsqu'il est question de créer une nouvelle agence à partir de zéro — et c'est un petit peu ce que nous avons vu aux États-Unis avec la création du Office of the Director of National Intelligence — est que lorsqu'on crée une toute nouvelle institution dans ce secteur, la plupart du temps on prend à Pierre pour donner à Paul, car l'on puise dans les institutions existantes le talent qui est nécessaire pour la nouvelle agence que l'on crée. Aux États-Unis, par exemple, l'Office of the Director of National Intelligence a dû arracher du personnel à tout un tas d'agences américaines.

Il y a du pour et du contre. J'ai discuté de la question avec mon homologue hollandais, tout simplement pour savoir à quels problèmes il s'était trouvé confronté. D'après ce qu'il m'a dit, il semble que cela fonctionne relativement bien pour les Pays-Bas, bien que, si j'ai bien compris, leur activité de renseignement étranger soit très ciblée. Le mandat et l'activité opérationnelle ne sont pas aussi vastes, si vous voulez, que ceux du MI6 ou de la CIA, qui sont des entités davantage mondiales.

Le sénateur Day : Pour que les choses soient bien claires, vous avez mentionné plus tôt que les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande ont élargi leur activité nationale jusque dans la sphère internationale par le biais de ce concept d'agence unique.

M. Judd : Oui.

Le sénateur Jaffer : Pour préciser ce que vous avez dit, envisageriez-vous d'élargir les mandats du SCRS, afin d'avoir la capacité de faire ce que font la CIA ou le MI6?

M. Judd : Comme je l'ai dit plus tôt, sénateur, le gouvernement est en ce moment en train d'examiner cette question en vue de déterminer ce qui devrait être fait à cet égard.

Pour le moment, je dirais que je suis plus qu'entièrement occupé par mon actuel mandat, qui m'accapare la plupart des jours de la semaine, et je ne cherche pas à assumer de responsabilités supplémentaires.

Le président : Monsieur Judd, lors de votre échange avec le sénateur Day sur les avantages et les inconvénients, vous n'avez pas parlé de la base, c'est-à-dire de la question de savoir s'il faudrait qu'il y ait une capacité plus robuste de collecte de renseignements étrangers.

M. Judd : La base institutionnelle?

Le président : Oui.

M. Judd : D'après ce que je peux comprendre, toutes les agences de renseignement, qu'elles soient canadiennes ou étrangères, sont des institutions indépendantes ou, dans quelques rares cas, combinées, comme c'est le cas aux Pays- Bas et en Nouvelle-Zélande.

Les relations politiques ou institutionnelles qu'elles entretiennent avec leur gouvernement sont différentes. Le MI6, par exemple, est la responsabilité du secrétaire au Foreign Office au Royaume-Uni. Dans la plupart des pays, vous constaterez que les services institutionnellement nationaux ont tendance à relever, sur le plan politique, de la fonction ministre de l'Intérieur, à défaut d'un terme meilleur. Les agences de service extérieur ont tendance à être la responsabilité politique des ministres des Affaires étrangères, avec, je pense, quelques exceptions.

Le président : Lorsque vous vous êtes penché sur cette question avec vos amis, les Hollandais ou les Néo-Zélandais, lorsqu'ils se sont dotés d'une agence unique, de quelle manière ont-ils abordé ce problème?

M. Judd : En Nouvelle-Zélande, c'était assez facile. C'était le premier ministre. Aux Pays-Bas, mon collègue a une responsabilité institutionnelle envers l'équivalent du ministre de l'Intérieur hollandais, mais il entretient également une étroite relation avec le ministre des Affaires étrangères hollandais. D'ailleurs, certaines des personnes qui travaillent pour le service hollandais sont sorties du ministère des Affaires étrangères. La dernière fois que je suis allé là-bas, le directeur du volet renseignement étranger du service était un diplomate de carrière sorti du ministère des Affaires étrangères, et les liens sont donc étroits.

J'ai toujours pensé que pour se lancer dans le domaine du renseignement humain — la cueillette à l'étranger de renseignements sur des dossiers étrangers — il faudrait qu'il y ait une relation très étroite avec le ministre des Affaires étrangères, ostensiblement votre principal client.

Le sénateur Zimmer : J'aimerais vous interroger au sujet de votre réponse relativement aux personnes qui se font envoyer en pays étranger pour y mener des activités clandestines. D'autres pays font-ils la même chose? Je présume que oui. Les gens disent que la guerre froide est terminée, mais je n'en suis pas toujours entièrement convaincu. Est-ce que d'autres pays envoient des gens chez nous? Je présume que oui. Si c'est le cas, le savons-nous, lorsque ces personnes viennent chez nous, et savons-nous où elles se trouvent à tout moment lorsqu'elles sont sur notre territoire? De quelle partie du globe viennent-elles?

M. Judd : Oui, il y en a qui viennent ici. Nos espérons savoir, lorsque ces personnes arrivent ici, où elles vont et qui elles sont, et c'est souvent le cas. L'un de mes homologues étrangers a un jour dit que dans ce domaine nous passons le gros de notre temps à nous inquiéter de ce que nous ne savons pas, et ce constat s'appliquerait certainement en l'espèce.

Il est parfois étonnant de constater le nombre de touristes hyperactifs qui viennent ici et leur pays d'origine. Je ne voudrais pas être politiquement incorrect, alors je ne vais pas nommer de pays en particulier, mais il y a peut-être à tout moment une quinzaine de pays qui nous intéresseraient à cet égard. Cela va et vient, selon les dossiers du jour.

Le sénateur Zimmer : Cela est-il assez équilibré, ou bien y a-t-il un plus grand nombre de personnes émanant de certains pays bien particuliers?

M. Judd : Il semble en effet qu'il y ait une certaine concentration, oui.

Le président : Il ne serait assurément pas politiquement incorrect de faire état des rapports publics que nous avons vus au sujet des Chinois et de ce qui est réputé être un programme agressif qu'ils mènent dans notre pays. Le gouvernement s'est prononcé publiquement là-dessus.

M. Judd : Ce pays compterait parmi les 15.

Le président : Est-il en haut de la liste?

M. Judd : Plutôt.

Le président : Ce pays accapare-t-il 50 p. 100 de votre temps?

M. Judd : À peu près.

Le sénateur Zimmer : Passant maintenant à autre chose, en ce qui concerne les menaces, nous avons toujours entendu employer l'expression « armes de destruction massive ». D'après ce que je sais de la question, on n'en a toujours pas trouvé. Des termes comme cela sont peut-être employés à l'occasion pour semer la peur et peut-être que cela vise également d'autres objectifs, mais la question est réellement celle du degré de sérieux de la menace.

En ce qui concerne notre participation aux opérations en Afghanistan, au départ, nous étions connus partout dans le monde comme étant des soldats de la paix, et nous en sommes très fiers. Cependant, nous avons maintenant entrepris de nouvelles activités et nous ne sommes plus seulement des soldats de maintien de la paix mais également des soldats de combat. La sécurité de notre pays est-elle menacée de ce fait?

M. Judd : Je ne le crois pas. Il y a, bien sûr, eu une augmentation de la menace pour les membres des Forces canadiennes qui sont en train de servir là-bas. Cependant, historiquement, plusieurs des problèmes de terrorisme dans le monde ont pris naissance en Afghanistan avant qu'il n'y ait là-bas de forces étrangères, de forces de l'Organisation du Traité de l'Atlantique-Nord, l'OTAN, ou une quelconque mission humanitaire.

Sa stature en tant que menace ne date pas d'hier. Je ne peux pas dire si notre présence en Afghanistan avec les Forces canadiennes a exacerbé cette menace pour le Canada. Je dirais au contraire que cela a eu l'effet inverse, soit une légère diminution de la menace pour le Canada.

Le sénateur Zimmer : J'aurais pensé que depuis que nous avons changé notre rôle de celui de force de la paix à celui de force de combat, cela aurait pu déboucher sur des mesures de représailles du fait du rôle différent que nous jouons aujourd'hui. Il s'agit d'un rôle plus actif en vertu duquel nous sommes en vérité en guerre avec l'Afghanistan à l'heure actuelle, si je puis dire. Nous pouvons parler de tradition, mais cela a changé du fait que notre rôle soit passé de celui de force de maintien de la paix à celui de membres des Forces armées, qui, malheureusement, sont en train de tuer des Afghans.

Le fait que notre rôle ait véritablement changé pourrait-il enclencher une menace pour notre pays ou en augmenter l'importance?

M. Judd : Non, je ne le pense pas.

Le sénateur Zimmer : Pour passer maintenant à un autre domaine, les conclusions et recommandations résultant d'examens menés par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ne lient pas votre organisation. Typiquement, comment le SCRS réagit-il aux examens du CSARS, et dans quelles circonstances les conclusions et recommandations de ce dernier résultent-ils en des changements dans la façon dont sont menées les activités du SCRS?

M. Judd : Vous avez raison lorsque vous dites que les recommandations émanant du CSARS ne sont pas exécutoires. Je n'ai pas les chiffres ici, mais je devine que dans la plupart des cas, s'il émane du CSARS une recommandation quant à la façon dont nous faisons quelque chose, nous y apporterons des changements pour refléter la recommandation.

Notre organisation n'est pas du tout statique pour ce qui est de ses politiques et pratiques opérationnelles. Lorsqu'une chose est portée à notre attention par une agence externe, dans ce cas-ci le CSARS, nous ne sommes pas tenus de nous plier à la recommandation. Cependant, dans la plupart des cas, nous l'adopterons, sous une forme ou une autre.

Le sénateur Zimmer : La dernière fois que vous avez comparu devant le comité, vous avez abordé la question de la divulgation et des renseignements utilisés aux fins de poursuites au criminel. À l'époque, le SCRS était engagé dans une discussion avec la GRC et le ministère de la Justice au sujet de questions de divulgation. Pourriez-vous s'il vous plaît nous éclairer quant à l'issue de ces discussions et l'incidence que cela pourrait avoir sur les opérations du SCRS?

M. Judd : Oui. Nous avons entamé cette discussion avec nos collègues de la GRC et du ministère de la Justice il y a environ un an du fait du risque qu'il y ait de plus en plus de cas dans lesquels des renseignements secrets pourraient être déposés lors de poursuites. Il y a toutes sortes de questions entourant la divulgation de renseignements confidentiels intéressant la sécurité nationale dans un cadre public, et telles qu'il a souvent été difficile d'utiliser ce genre de renseignements devant une cour. Il me faudrait ajouter qu'il ne s'agit pas simplement d'un problème canadien. Le problème se pose dans de nombreux autres pays occidentaux.

Quoi qu'il en soit, le travail entre nous, le ministère de Justice et la GRC est toujours en cours. Nous espérons qu'il pourra être terminé d'ici quelques mois. Dans le cadre de cet exercice, nous nous penchons également sur ce que cela signifie pour nos opérations. Je vais vous donner quelques exemples. Les unités de surveillance policière consignent leurs activités grâce à la prise de notes, comme c'est notre cas également, mais il y a certaines différences entre les façons de faire pour la surveillance dans le but d'obtenir des renseignements et la surveillance policière.

Nous examinons également ce que cela signifierait pour certains aspects, notamment la transcription de messages interceptés en langue étrangère, pour lesquels il nous faut satisfaire à certaines normes lorsque cela va être utilisé en cour. Nous avons également des inquiétudes quant à la mesure dans laquelle il nous faudrait divulguer les méthodes employées pour obtenir des renseignements, c'est-à-dire la technologie utilisée pour effectuer une interception.

Nous nous penchons sur encore un autre aspect. Il est courant que des membres de forces policières comparaissent devant les cours de justice. Or, ce n'est pas le cas de nos membres, bien qu'ils puissent être sommés à comparaître lors de certaines actions en justice au Canada. C'est ainsi que nous réfléchissons également à la façon de former les gens pour bien s'acquitter de ce rôle, comme ce qu'a fait, par exemple, le MI5, il y a de cela 15 ans, lorsqu'il a fallu que ses membres fassent la transition vers une participation plus active dans les poursuites, ce qui a exigé un rajustement des politiques et pratiques. Cela nécessitera également, sur le plan opérationnel, une connectivité plus étroite avec les procureurs et les forces policières à un stade beaucoup plus précoce que cela n'a été le cas jusqu'ici pour les enquêtes pouvant déboucher sur des poursuites criminelles. Toute une gamme de facteurs sont à l'étude en ce qui concerne notre façon de travailler.

Le sénateur Jaffer : Cela m'intéresserait de savoir comment vous traitez les renseignements obtenus par la torture. Le SCRS a-t-il une politique quant à la façon dont vous traitez ou filtrez les renseignements ayant pu être obtenus du fait qu'une personne ait été torturée?

M. Judd : Oui, nous avons des politiques là-dessus, ainsi que sur les renseignements que nous livrerions à un gouvernement étranger, et qui sont assez claires. Il s'agit là d'une question qui a été placée au premier plan de l'enquête de M. O'Connor. Il a de façon générale été rassuré par l'ampleur de nos politiques en la matière. Même pendant l'enquête de M. O'Connor, nous avons pris des mesures pour renforcer encore certaines des dispositions.

Le sénateur Jaffer : Vous parliez des Pays-Bas, qui sont une moyenne puissance. Y a-t-il d'autres moyennes puissances semblables à nous et qui cherchent à élargir leur activité de collecte de renseignements étrangers et, dans l'affirmative, envisageons-nous de forger des partenariats avec certaines d'entre elles?

M. Judd : La plupart des moyennes puissances font déjà cela. Si le Canada devait se lancer dans cette activité, peu importe qui s'en chargerait et où, une certaine forme de collaboration avec des partenaires occidentaux serait à prévoir, à moins, bien sûr, que ceux-ci ne soient les cibles visées.

Le sénateur Jaffer : Je vous ai posé la question, et d'après ce que je comprends, le Cabinet en est en ce moment saisi, alors il ne vous est peut-être pas possible de répondre. Cependant, j'aimerais connaître votre opinion quant au rôle qui devrait revenir à Affaires étrangères et Commerce international Canada dans la cueillette de renseignements étrangers.

M. Judd : En vérité, le mot « renseignement » signifie tout simplement information. Ce qui distingue les renseignements d'information générale est la façon dont ceux-ci sont obtenus. En règle générale, selon mon vocabulaire, les renseignements sont des informations qui sont recueillies subrepticement ou clandestinement. Tout cela étant dit, des quantités énormes d'information peuvent être obtenues par des moyens non clandestins. Je songe notamment aux interactions normales quotidiennes des membres de notre corps diplomatique avec des gouvernements étrangers, des experts étrangers et d'autres encore, et qui, à certains égards, sont peut-être tout aussi précieuses voire plus précieuses que les renseignements qui sont obtenus clandestinement, selon le sujet dont il est question.

Notre ministère des Affaires étrangères et du Commerce international est un ramasseur actif d'information à l'étranger par le biais de ses activités diplomatiques normales, comme c'est le cas de la plupart des ministères des Affaires étrangères.

Le sénateur Jaffer : Le Canada est considéré comme un intermédiaire impartial. Si Affaires étrangères et Commerce international Canada était perçu comme recueillant ouvertement des renseignements, cela entraverait-il son travail?

M. Judd : Ce pourrait être le cas, mais je pense qu'il y a d'autres gouvernements occidentaux qui sont perçus comme étant de bons citoyens membres de la communauté internationale, si je peux dire les choses ainsi, et qui rassemblent des renseignements étrangers, et c'est le cas notamment des Pays-Bas et de certains autres pays d'Europe de l'Ouest. Je ne pourrais pas dire que cela aurait forcément une incidence néfaste sur notre image internationale. Je devine que les gens sont nombreux dans le monde à penser que nous faisons déjà cela.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais, s'il vous plaît, que vous me donniez votre opinion. Après le 11 septembre, la menace pour nous a été très sérieuse. Où sur l'échelle se situe aujourd'hui la menace à laquelle est exposé le Canada?

M. Judd : Relativement au terrorisme en particulier?

Le sénateur Jaffer : Exactement.

M. Judd : Comme vous le savez, al-Qaïda nous a, à plusieurs reprises, cité comme cible. Il y a eu des cas — et il y en a en ce moment au moins deux devant les tribunaux, et sur lesquels je ne peux pas me prononcer — où l'activité terroriste au Canada a posé problème. Il y a à tout moment au Canada différents individus — Canadiens, visiteurs ou résidents étrangers — qui font l'objet d'enquêtes relativement au terrorisme. De façon générale, pour nous et pour la plupart des gouvernements occidentaux, la menace posée par le terrorisme demeure la principale menace à la sécurité, et ce sera sans doute le cas pour un avenir prévisible.

Le sénateur Jaffer : Mon collègue, le sénateur Zimmer, vous a posé cette question, et peut-être que c'est de la répétition : pensez-vous que la menace à notre endroit ait augmenté du fait que nous ayons changé notre rôle en Afghanistan?

M. Judd : Non. Comme je l'ai dit, je ne pense pas que cela ait eu pour effet d'augmenter la menace pour le Canada. Cela a bien sûr eu pour effet d'augmenter la menace pour les Canadiens en Afghanistan, qu'il s'agisse de militaires ou, comme dans le cas de Glyn Berry, de diplomates. Cependant, je crois que, dans la mesure où l'Afghanistan pourra, en tant que pays, être amené à un état de paix et de sécurité intérieures, largement défini — sécurité physique, sécurité économique et ainsi de suite —, alors le reste du monde, y compris le Canada, ne s'en portera que mieux.

Le sénateur Jaffer : Immédiatement après les événements du 11 septembre, la perception de certaines communautés était que vous les regardiez et que vous ne les connaissiez pas vraiment. Le constat que je fais est que la communauté est maintenant un partenaire dans vos efforts visant à rendre notre pays plus sûr. Est-ce le bon constat?

M. Judd : J'espère certainement que oui. Nous avons investi énormément de temps et d'efforts pour dialoguer avec diverses communautés au Canada. L'an dernier, nous avons tenu plus de deux douzaines d'événements un petit peu partout au pays. Pour la plupart de nos agents, cela fait tout simplement partie de leur travail normal. Le dialogue avec les communautés a servi à apaiser certaines de leurs craintes, et il nous a également beaucoup apporté du fait que cela nous ait permis de les engager plus activement pour nous aider à recruter des membres de ces communautés, ce que nous faisons à un rythme beaucoup plus accéléré depuis quelques années.

Le sénateur Jaffer : Avez-vous amélioré la formation que vous donnez au sein du SCRS en vue de mieux comprendre ces communautés de façon à être en mesure de mieux travailler avec elles?

M. Judd : Oui. Nous sommes en vérité nous-mêmes une organisation plutôt diversifiée pour ce qui est de la composition de notre effectif, et nous faisons appel à des membres de notre service qui représentent une communauté donnée et qui sortent souvent voir des leaders respectés des différentes communautés et les amènent à participer aux activités de formation que nous offrons à notre propre personnel.

Il s'agit d'un volet très actif et nous recourons pour ce travail à des ressources tant internes qu'externes.

Le président : Monsieur Judd, vous comptez moins d'employés aujourd'hui qu'en 1987.

M. Judd : Oui.

Le président : Avez-vous moins de dossiers à traiter?

M. Judd : Je ne sais pas; je n'étais pas là en 1987, mais notre travail a certainement changé. En 1987, au beau milieu de la guerre froide, le SCRS était principalement un service de contre-espionnage. Le terrorisme devenait à l'époque davantage un facteur du fait de certains dossiers. Quelques années seulement s'étaient écoulées depuis l'attentat à la bombe qui a fait s'écraser l'avion d'Air India, et il y avait des questions relativement à l'Armée républicaine irlandaise, l'IRA, et d'autres.

L'environnement auquel nous sommes aujourd'hui confrontés est certainement différent. Quant à savoir s'il est aujourd'hui plus difficile qu'il ne l'était à l'époque, je ne sais pas. J'imagine que c'est un petit peu plus diversifié et plus international. J'estime en tout cas que les défis qui se posent aujourd'hui sont suffisants.

Le président : Vous avez discuté avec le sénateur Banks et le sénateur Day du travail qui se fait à l'extérieur du Canada. Pour ce qui est du contre-espionnage ou du contre-terrorisme, quel volume de ce travail vous occupe à l'intérieur du Canada? Combien de dossiers avez-vous en la matière et environ combien de groupes retiennent votre attention?

M. Judd : Pour ce qui est du contre-espionnage et de l'ingérence étrangère, cela peut aller jusqu'à — cela varie — 15 gouvernements étrangers qui nous intéressent à tout moment. Les niveaux d'activité varient beaucoup entre eux.

Pour ce qui est des dossiers des armes de destruction massive, il y a sans doute dans le monde six à dix régions pour lesquelles nous avons un intérêt actif. Certaines d'entre elles font assez régulièrement la une des journaux, et je songe notamment à la Corée du Nord et à l'Iran, mais il y en a d'autres également. En ce qui concerne le terrorisme, nous avons sans doute à tout moment une centaine de personnes ou de groupes sur lesquels nous faisons enquête.

Le président : Que répondez-vous aux Canadiens qui disent que notre pays est sûr et que nous ne sommes pour le moment exposés à aucune menace?

Pour mettre un peu mieux les choses en contexte, nous nous percevons comme étant des gens bien — des bons, pour reprendre les termes employés tout à l'heure par le sénateur Zimmer. Le sénateur Jaffer a dit que nous pensons que notre image ailleurs dans le monde est positive. Nous avons de vastes océans à l'est et à l'ouest, et un pays ami au sud. Les gens sont nombreux à se demander pourquoi il y a toute cette agitation au sujet de la sécurité.

M. Judd : Je vais commencer par faire quelques commentaires contradictoires.

Le président : Vous ne serez pas le premier témoin à faire cela.

M. Judd : Je n'aimerais pas du tout créer un précédent.

Je crois depuis longtemps que nous sommes sans doute le pays le plus chanceux du monde, et ce pour quantité de raisons : ressources géographiques, économie, population, diversité et ainsi de suite. Cela étant dit, personne, où que ce soit dans le monde, n'est à l'abri de menaces à sa sécurité, et nous ne faisons certainement pas exception à la règle. Nous avons vu l'explosion de l'avion d'Air India et d'autres actes terroristes qui ont réussi, qui ont été entravés ou dont les responsables ont été arrêtés. L'espionnage étranger continue d'être un fait brutal de la vie. D'autre part, certains gouvernements et intervenants non gouvernementaux continuent de chercher à obtenir des armes de destruction massive. Les gens seraient peut-être surpris par la facilité avec laquelle des technologies à double usage peuvent être obtenues ici et utilisées pour la fabrication d'armes de destruction massive.

Tout cela étant dit, en règle générale, je m'efforce de décrire le risque de façon modulée, car je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à gagner à semer la peur chez les gens. Mon espoir a toujours été que nous traitions des menaces de la façon la plus efficace possible et, dans un monde idéal, que nous les empêchions de se matérialiser. Malheureusement, l'histoire montre que cela n'a pas toujours été le cas, comme nous l'avons vu avec l'avion d'Air India et les attaques contre des diplomates et des intérêts turcs, même ici à Ottawa.

Malheureusement, ce sont là les réalités auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés et auxquelles nous serons confrontés à l'avenir. Il n'en demeure pas moins que nous sommes malgré tout l'un des pays les plus chanceux du monde, pour toutes les raisons que j'ai données.

Le président : En votre qualité de gestionnaire, pourriez-vous aider le comité en nous esquissant l'analyse de cas sur laquelle vous vous appuieriez pour ce qui est de la valeur du renseignement humain versus l'investissement de vos ressources dans des sources ouvertes? Si vous aviez un dollar de plus à dépenser, à quoi le consacreriez-vous?

M. Judd : En vérité, nous faisons les deux choses. Nous avons au sein de notre organisation un centre d'information de source publique, qui est à la hauteur de tout ce qui peut exister dans le monde pour ce qui est de sa capacité de cueillette et de la qualité de ses informations de source publique.

Pour ce qui est de l'aspect source publique, je crois que quelqu'un en a peut-être fait état lors d'une réunion antérieure du comité. Ce travail suppose un effort multilatéral avec certains de nos partenaires étrangers et il s'intéresse exclusivement aux renseignements de source ouverte dans le cadre d'une chose que l'on appelle le Global Futures Forum.

En bout de ligne, cependant, bien que les informations de source ouverte puissent être extrêmement utiles et instructives — il serait possible de vivre une journée sans —, il y aura toujours des indications ou des renseignements qui ne pourront être obtenus que par des moyens clandestins. Je songe notamment à l'activité d'interception du CST, ou de notre travail en la matière ici au Canada, ou du fait de cultiver des sources humaines ou l'utilisation de renseignements humains.

Il y a certaines choses qui ne relèveront jamais du domaine public et qui ne pourront être obtenues que par le biais de moyens clandestins.

Le président : Avez-vous épuisé tous les éléments de votre témoignage de ce matin dans ce débat au sujet de la question de savoir si nous devrions avoir une plus robuste capacité de cueillette de renseignements étrangers?

M. Judd : J'ignore si je les ai ou non tous épuisés. Il y a eu des articles publics au sujet de la question et que j'ai trouvé intéressants.

L'un de mes prédécesseurs, Reid Morden, a écrit un article là-dessus l'an dernier ou l'année d'avant, et il y est couvert beaucoup de choses. Cet article a paru dans l'une des publications d'un institut à Calgary. Il y en a peut-être quelques-uns qui m'ont échappé, mais je vais continuer d'y réfléchir.

Le président : Pourriez-vous nous revenir une fois votre réflexion terminée?

M. Judd : Oui, avec plaisir.

Le sénateur Banks : En ce qui concerne le renseignement étranger, lorsque nous avons rencontré des gens en Australie, par exemple, nous avons appris que leur activité de cueillette de renseignements étrangers est très axée sur des questions qui revêtent manifestement beaucoup plus d'intérêt pour l'Australie que pour nous, dont par exemple les questions ayant très à l'Indonésie et à cette partie de l'Asie du Sud-Est, du fait que l'Australie y soit sans cesse confrontée. Nous n'avons pas un très grand intérêt direct là-dedans, et les Australiens ne s'attardent pas non plus beaucoup sur certains éléments qui revêtent un très grand intérêt pour le Canada.

Si vous en arriviez au stade où vous seriez plus solides pour ce qui est de ces différentes activités à l'étranger, pensez- vous que le Canada devrait s'organiser de telle façon que, si nous relevions quelque chose qui pourrait intéresser l'Australie, nous soyons en mesure de la lui communiquer? Et lorsque les Australiens repéreraient en Asie du Sud-Est quelque chose qui pourrait nous intéresser nous, nous pourrions faire un échange, au lieu de procéder d'une autre façon.

M. Judd : Ce que vous dites est très juste. Les Australiens ont cette vertu de s'inscrire géographiquement à l'intérieur d'un voisinage qui les intéresse de manière très aiguë.

C'est peut-être un ancien secrétaire d'État américain qui a un jour défini le Canada comme étant une puissance régionale sans région. Notre voisinage tend à n'être occupé que par un très petit nombre de personnes.

Pour ce qui est des aspects qui sont à l'étude ici, et pour en revenir à la question du sénateur Kenny, si nous comptions faire cela, de quelle manière souhaiterions-nous vraiment procéder? J'estime pour ma part que même les grosses organisations comme la CIA et le MI6 et d'autres de la même envergure ne peuvent pas, de manière crédible, assurer une couverture mondiale.

Quant à la question de savoir sur quoi serait dirigé l'effort canadien, cela relève, en bout de ligne, de nos maîtres politiques, à qui il revient de décider et d'ordonner quoi faire aux gens qui sont censés s'occuper de la collecte de renseignements.

Cependant, je pense que le cas que vous citez relativement à la possibilité d'échanges avec les Australiens serait tout à fait logique, car j'ai l'impression qu'ils ont dans cette partie du monde et au nord de leur territoire une capacité hautement développée qu'il nous serait très difficile de reproduire. En conséquence, des échanges continus avec eux au sujet de cette partie du globe présenterait pour nous une valeur considérable.

Le sénateur Banks : Dans le cadre d'un tel échange d'information, vous faudrait-il mettre quelque chose sur la table avant d'obtenir quelque chose en retour? Il vous faut, pour être le bienvenu à la table, avoir quelque chose à offrir.

M. Judd : Oui, dans une certaine mesure. À l'heure actuelle, nous obtiendrions des Australiens des renseignements concernant un souci particulier en matière de sécurité pour le Canada, tout comme, je l'espère, nous ferions la même chose à l'inverse. Selon moi, c'est la même chose qui s'applique en tout temps : rien n'est jamais gratuit.

Le sénateur Banks : À l'heure actuelle, nous avons l'impression que nous ne possédons peut-être pas ce qu'il faudrait pour pouvoir négocier.

Pour en revenir à la question nationale, et gardant bien à l'esprit ce que vous avez dit au sujet des préoccupations de base et des agents du renseignement étranger qui viennent ici pour découvrir des choses sur le Canada, il s'agit dans une grande mesure de renseignements commerciaux ou de nature exclusive ou encore reliés à de la propriété intellectuelle.

Vous avez dit tout à l'heure que ce n'est pas souvent que vous vous aventurez dans ce domaine. Cependant, au Canada, considéreriez-vous cela comme intéressant la sécurité de base du Canada? Par exemple, le vol de renseignements au sujet d'un nouvel outil de forage ou d'un nouveau composé chimique relèverait-il de votre mandat actuel?

M. Judd : Oui. Si cela arrivait et si nous l'apprenions, nous veillerions certainement à ce que l'entreprise soit elle aussi mise au courant.

Nous entretenons une relation continue et plutôt active avec certains éléments de l'économie canadienne pour ce qui est de questions de sécurité. Par exemple, nous participons à un groupe de travail sur la sécurité avec le secteur pétrolier et gazier de l'industrie énergétique de votre province, l'Alberta. Nous entretenons des relations assez étroites avec d'autres éléments encore de l'économie, comme par exemple le secteur des télécommunications, et ainsi de suite.

S'il se présentait des circonstances particulières mettant à risque la propriété intellectuelle ou les secrets d'une entreprise et que nous en étions au courant, nous nous efforcerions certainement de veiller à ce que le gouvernement y sensibilise d'une façon ou d'une autre l'entreprise concernée.

Le sénateur Banks : Seriez-vous en mesure d'empêcher que de tels renseignements sortent du pays? En d'autres termes, où est le marteau? Si vous apprenez que des gens sont en train de voler quelque chose à des personnes ayant des intérêts canadiens, y feriez-vous quelque chose ou bien est-ce que ce serait quelqu'un d'autre qui interviendrait? Appelleriez-vous la police?

M. Judd : Nous userions peut-être de diplomatie, encourageant le gouvernement étranger d'y mettre fin, car il nous arrive à l'occasion d'être convaincants.

Le sénateur Banks : J'aimerais poser une dernière question, qui se rattache à une question qu'a posée le président au sujet de l'effectif de votre agence. La même chose se passe à l'échelle du gouvernement, dans d'autres volets de la sécurité ainsi que dans les Forces canadiennes, où il y a une bulle démographique qui avance. À l'heure actuelle, il y a de nombreux employés chevronnés, qui ont des compétences très aiguisées, et qui s'en vont. Vous avez perdu le sous- directeur des opérations, le directeur adjoint des opérations, le directeur adjoint des affaires générales et le directeur adjoint des finances. Cela veut dire qu'il y a un mouvement vers le haut, dont je présume qu'il est souvent alimenté depuis l'intérieur. Comment les choses se passent-elles sur le plan du recrutement? Estimez-vous que vous accueillez un nombre suffisant de nouveaux arrivants à la base?

M. Judd : Oui, de façon générale. Toutes les personnes que vous avez mentionnées ont été remplacées.

Le sénateur Banks : Leurs postes ont été comblés; je suis certain qu'il y en a parmi ces gens qui ne pourraient pas être remplacés.

M. Judd : Ils sont tous remplaçables. On leur a à tous trouvé un successeur, dans la plupart des cas à l'intérieur du service, mais nous avons également accueilli quelques éléments de l'extérieur.

Pour ce qui est du recrutement en général, l'an dernier nous avons embauché 100 nouveaux agents du renseignement, venus d'un petit peu partout au pays, sur un total de 14 500 candidats. Il existe un marché très sain de jeunes gens doués, et le calibre des personnes que nous recrutons est très élevé.

Le sénateur Banks : Ces 100 agents suffisent-ils à vos besoins ou bien n'avez-vous pas trouvé d'autres bons candidats?

M. Judd : Nous en avons embauché plus qu'il nous en fallait. Nous voulons nous ménager un peu de flexibilité. Je m'attends à ce que nous en embauchions encore 100 cette année, et je m'attends également à ce qu'il y ait autant de demandes que la dernière fois.

Le sénateur Banks : La concurrence est assez ardue, si vous ne prenez que 100 personnes sur 14 000 demandeurs.

M. Judd : Une concurrence très ardue, oui, pour les 13 900 qui ne sont pas pris.

Le niveau d'intérêt est étonnant, mais la qualité des gens est très élevée : près des deux tiers possèdent deux diplômes universitaires ou plus, 50 p. 100 possèdent des langues autres que nos langues officielles; et plusieurs d'entre eux on déjà une certaine expérience professionnelle, y compris à l'étranger ou chez les militaires. Nous nous portons donc plutôt bien sur ce plan-là.

Il nous faut maintenant leur assurer formation et perfectionnement et les amener au niveau opérationnel.

Le sénateur Banks : Et combien de temps cela demande-t-il?

M. Judd : Simplement la formation de base?

Le sénateur Banks : Depuis l'entrée d'une personne jusqu'à ce qu'elle vous soit utile.

M. Judd : Cela demande plusieurs années.

Le sénateur Banks : Combien : trois, cinq?

M. Judd : La formation de base dure six mois. Vient s'ajouter à cela toute une série d'autres cours de formation, selon le travail que la personne sera appelée à faire. Traditionnellement, le service a considéré cinq ans comme étant la période notionnelle de probation pour les gens, si vous voulez. Nous sommes en fait en train de revoir cela à l'heure actuelle, compte tenu des décalages démographiques dont vous avez parlé, avec le départ de la génération du baby- boom et l'intégration dans l'effectif d'une si forte proportion de nouveaux entrants.

Certains de mes collègues diraient que les recrues qui ont été accueillies au sein de l'organisation au cours des cinq ou six dernières années sont beaucoup plus intelligentes que jamais auparavant. Certaines d'entre elles ont davantage d'expérience, d'expérience de la vie, si vous voulez, en plus de leurs titres et diplômes, ce qui les rend plus facilement déployables que ce n'était peut-être le cas des recrues des générations antérieures.

Le sénateur Day : L'article 12 de la loi en vertu de laquelle vous travaillez comporte l'exigence d'une menace à la sécurité du Canada. Votre définition de ce qui constitue une menace à la sécurité du Canada englobe-t-elle les situations de surveillance des activités des 15 agents étrangers, qui sont au Canada pour des questions de nature industrielle, et non pas pour menacer la stabilité de notre gouvernement, par exemple? Ces activités s'inscrivent-elles toujours dans votre définition de votre travail de « base »?

M. Judd : Oui.

Le sénateur Day : L'article 16 autorise le renseignement étranger et votre intervention si votre ministre accepte une demande émanant du ministre de la Défense nationale ou du ministre des Affaires étrangères. Ce sont là les deux seuls ministères pouvant le faire. Vous faites également de temps à autre du travail de renseignement étranger pour Citoyenneté et Immigration Canada, l'ASFC, la GRC, l'ACDI et peut-être Transports Canada. Cela relève-t-il de votre mandat en vertu de l'article 12?

M. Judd : Cela s'inscrirait dans notre mandat découlant de l'article 12, notre cueillette de renseignements étrangers, que j'ai essayé de définir. Le travail de cueillette de renseignements au sujet des politiques et pratiques de gouvernements étrangers ne peut être qu'entrepris en vertu de l'article 16 à la demande des deux autres ministres, à condition que notre ministre soit d'accord.

Le sénateur Day : Vous faut-il une définition plus claire, ou bien est-il préférable de ne pas avoir une définition claire, afin que vous puissiez poursuivre les activités que vous menez à l'heure actuelle? Je ne veux pas revenir au débat que nous avons eu tout à l'heure au sujet de l'élargissement de vos activités, mais parler des activités que vous menez à l'heure actuelle et les définitions qui étaient là en 1984 lors de l'adoption de la loi créant le SCRS. Pensez-vous qu'il vous faudrait des changements à la loi actuelle pour couvrir les activités que vous menez?

M. Judd : Je dirais que jusqu'ici tout fonctionne assez bien.

Le sénateur Day : La dernière partie de cette question que je vous pose concerne l'activité en matière de renseignement que mènent à l'heure actuelle un certain nombre d'autres groupes, dont la Défense nationale, Affaires étrangères et Commerce international Canada, vraisemblablement la GRC, Transports Canada, et ainsi de suite. Comment ce travail est-il coordonné? Le centre intégré d'évaluation des menaces qui existe à l'intérieur de votre structure fonctionne-t-il? Est-ce qu'avec le fait que tous les renseignements en matière de sécurité nationale à destination du premier ministre doivent passer par le Conseiller à la sécurité nationale permet au système de fonctionner et d'être coordonné comme il se doit?

M. Judd : Oui, en réponse à toutes les questions. Permettez que j'y réponde une à une. L'actuelle conseillère à la sécurité nationale, Mme Bloodworth, est, incontestablement, la fonctionnaire fédérale la plus expérimentée en matière de sécurité et de renseignement, du fait de son expérience passée : elle a été sous-ministre des Transports et sous- ministre de la Défense. Elle a également été pendant plusieurs années coordonnatrice de la sécurité et du renseignement au Bureau du Conseil privé. Elle est sans doute la haute fonctionnaire la plus au courant de toutes ces questions. Elle est très bien armée pour ce rôle.

Mme Bloodworth et le Bureau du Conseil privé assurent la coordination avec l'ensemble des intervenants par le truchement d'une vaste gamme de groupes de travail — certains ponctuels et d'autres plus structurés — à différents paliers, tant chez les sous-ministres et les sous-ministres adjoints, que chez leurs subalternes.

Le Centre intégré d'évaluation des menaces, le CIEM, est fonctionnel. Il est actif depuis l'automne 2004. Nous avons 12 agences distinctes représentées, dont la police provinciale de l'Ontario et celle du Québec et 10 agences et ministères fédéraux, dont le Bureau du Conseil privé, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, notre organisation, le CST, Transports Canada et quelques autres qui m'échappent. Selon le dossier dont il est question, nous créons ponctuellement des organes de coordination qui s'en chargent.

Nous menons par ailleurs beaucoup d'activités bilatérales avec d'autres ministères et agences, ce pour éviter le problème potentiel du cloisonnement. Nous entretenons un ensemble exhaustif de relations avec la GRC — y compris pour la gestion de cas —, le Centre de sécurité des communications, Affaires étrangères et Commerce international Canada, Citoyenneté et Immigration Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada et quelques autres.

Le système fonctionne dans l'ensemble assez bien.

Le président : Peut-on dire que les besoins en matière de renseignement du Canada pourront être remplis de façon satisfaisante en l'absence d'une capacité de renseignement étranger plus robuste?

M. Judd : Il nous faudrait dire, en principe, qu'en l'absence de cette capacité, les besoins ne sont pas pleinement remplis.

Le président : Merci.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier d'être revenu nous voir. Nous nous lançons dans une étude sur les questions relatives au renseignement, y compris la cueillette à l'étranger, et nous espérons que vous accepterez une invitation à revenir nous voir, car nous trouvons que ces réunions sont très utiles. Nous envisageons avec plaisir de vous revoir.

M. Judd : Merci beaucoup.

Le président : Collègues, nous accueillons maintenant M. John Adams, chef, Centre de la sécurité des télécommunications. M. Adams a été nommé sous-ministre adjoint de la Défense nationale et chef du Centre de la sécurité des télécommunications, le CST, en juillet 2005.

Avant sa nomination au poste de chef, M. Adams a, de 2003 à 2005, servi comme sous-ministre adjoint des Services de la marine et Commissaire de la Garde côtière canadienne. Avant de se joindre à la Garde côtière canadienne, M. Adams a eu une longue et distinguée carrière au Forces armées canadiennes, de 1967 jusqu'à sa retraite en 1993, alors qu'il était major-général.

Suite à son départ à la retraite des Forces armées, il a été nommé sous-ministre adjoint, Infrastructure et environnement, pour la Défense nationale, poste qu'il a occupé jusqu'en 1998.

M. Adams est aujourd'hui accompagné par M. Robert Gordon, chef associé, Opérations, et par M. David Akman, avocat général et directeur des Services juridiques.

Monsieur Adams, bienvenue au comité. Nous sommes heureux de vous revoir, cette fois-ci dans un autre rôle que celui qui était le vôtre à l'époque. Nous croyons savoir que vous avez une brève déclaration à nous faire. Vous avez la parole, monsieur.

[Français]

John Adams, chef, Centre de la sécurité des télécommunications : Monsieur le président, merci de me donner l'occasion de me présenter devant vous aujourd'hui. Je n'ai pas souvent la chance de profiter d'une tribune publique comme celle-ci et je suis heureux de votre invitation.

Je vais décrire le rôle du CST le plus ouvertement possible et j'espère que le comité comprendra qu'il y a des limites sur ce que je peux dire en public en raison de la nature très sensible du travail que nous réalisons.

Comme vous le savez, le gouvernement a beaucoup augmenté les capacités du Canada en matière d'antiterrorisme suite aux attentats du 11 septembre 2001. Pour le CST, l'adoption de la Loi antiterroriste de 2001 a été décisive de deux façons.

[Traduction]

D'abord, la Loi antiterroriste modifiait la Loi sur la Défense nationale en accordant au CST un cadre législatif pour mener ses activités. En vertu de la Loi sur la Défense nationale, le CST œuvre dans trois grands domaines d'activité : la collecte de renseignements étrangers, la protection de l'information électronique et des réseaux essentiels au gouvernement — ce que nous appelons la sécurité des technologies de l'information, ou TI — et l'assistance aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité.

Ensuite, la Loi antiterroriste a accordé au CST des pouvoirs lui permettant de mieux répondre aux priorités du gouvernement en matière de sécurité et, plus particulièrement, en matière de terrorisme. Avant 2001, le Code criminel interdisait au CST d'intercepter des communications privées, c'est-à-dire des communications en provenance ou à destination du Canada et dont l'auteur peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elles ne soient pas interceptées par un tiers.

Ainsi, en pratique, le CST ne pouvait intercepter aucune communication sans savoir au préalable si ses deux extrémités étaient étrangères — une tâche impossible dans un environnement où les communications sont acheminées de façon imprévisible.

La Loi antiterroriste a résolu ce problème en instaurant un mécanisme, une autorisation du ministre de la Défense nationale, par lequel le CST peut intercepter des communications privées dans le cadre de ses activités de renseignement étranger ou de sécurité des TI. Ces autorisations font l'objet des mêmes conditions qui régissent toutes les activités de renseignement étranger et de sécurité des TI du CST, à savoir que ces activités ne visent ni les Canadiens ni les personnes au Canada.

Elles comprennent également des conditions propres aux autorisations mêmes qui permettent de protéger encore davantage les droits des Canadiens. Je n'insisterai jamais assez sur l'importance de ces autorisations dans le cadre du travail actuel du CST, et c'est donc avec grand plaisir que j'ai constaté que le Comité sénatorial et le Comité de la Chambre qui ont examiné la Loi antiterroriste ont tous deux reconnu la nécessité de ces autorisations dans leurs rapports.

Au cours des six dernières années, le CST a vécu d'autres gros changements, dont des augmentations importantes de l'effectif et du budget. Le CST emploie actuellement 1 700 personnes — soit une augmentation de 80 p. 100 depuis 2001.

Ces personnes ont été recrutées parmi un bassin regroupant une grande diversité de disciplines et se joignent à un personnel déjà talentueux et dévoué d'analystes, de linguistes, de mathématiciens, d'ingénieurs et d'informaticiens. Pour ce qui est des ressources, le CST a reçu d'importantes augmentations dans le cadre des budgets fédéraux de 2001 et 2004, financement qui lui a permis de relever des défis technologies et opérationnels d'alors.

Enfin, j'aimerais souligner l'évolution des activités du CST à la lumière des priorités changeantes du gouvernement en matière de sécurité.

Après la guerre froide, les activités de renseignement étranger du CST étaient surtout axées sur les enjeux de politique internationale pour satisfaire aux priorités du gouvernement de l'époque. Depuis le 11 septembre 2001, par contre, la sécurité est devenue son principal objectif au point où une grande part de nos rapports découlant du renseignement étranger portent maintenant sur ce sujet. Une transformation semblable a eu lieu dans le domaine de la sécurité des TI, plus particulièrement dans les six dernières années, puisque le CST se concentre de plus en plus sur la protection des communications et des biens d'information les plus sensibles du gouvernement contre des menaces de plus en plus graves et sophistiquées.

Ces résultats auraient été impossibles sans les modifications apportées par la Loi antiterroriste et sans les investissements consentis dans le cadre des récents budgets.

J'aimerais maintenant parler des partenariats nationaux et internationaux du CST. Au Canada, les partenaires les plus importants du CST sont le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes. Le CST travaille en étroite collaboration avec la Défense nationale pour appuyer les opérations militaires à l'étranger, y compris, par exemple, la mission du Canada en Afghanistan.

Plus précisément, le CST travaille avec le Groupe des opérations d'information des Forces canadiennes pour fournir du renseignements étrangers aux troupes canadiennes en Afghanistan. Dans le cadre de cet effort, le CST a déployé plusieurs employés dans ce pays. L'année dernière, plus du quart des rapports sur la sécurité concernaient l'Afghanistan.

Ces rapports aident le gouvernement à réaliser ses objectifs politiques, économiques et militaires en Afghanistan. Je ne peux pas entrer dans les détails, mais je peux dire que l'information qu'a fournie le CST a, par exemple, aidé à faire avancer les intérêts du Canada et de ses plus proches alliés et a directement contribué à protéger les troupes canadiennes en combat.

De plus, grâce à son mandat de renseignement étranger, le CST appuie plusieurs autres partenaires nationaux, dont le SCRS, la GRC, Affaires étrangères et Commerce international Canada et Sécurité publique et Protection civile Canada, tous des intervenants clés dans le cadre des enjeux de sécurité nationale. Nous leur fournissons du renseignement étranger qui aide les hauts fonctionnaires à prendre des décisions éclairées sur les questions de sécurité nationale et internationale.

Nous offrons aussi des services et de l'assistance pour défendre leurs réseaux informatiques contre des cyberattaques et aider à protéger la vie privée des Canadiens. En ce qui concerne l'assistance, je voudrais préciser que les relations du CST avec le SCRS et la GRC sont d'une importance toute particulière, car le CST fournit un soutien technique et opérationnel à ces organismes dans la conduite de leurs enquêtes de sécurité publique et de sécurité nationale en vertu de leurs mandats conférés par la loi.

Comme l'a souligné Margaret Bloodworth, dans son discours qu'elle a prononcé devant vous en mars, le Canada est un importateur net de renseignements. C'est pourquoi le CST travaille en très étroite collaboration avec ses alliés internationaux aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande, pour échanger du renseignement, faire le suivi des menaces à la sécurité nord-américaine et relever des défis technologiques considérables.

Ces relations, surtout celle avec la National Security Agency des États-Unis, donnent au Canada un accès, qu'il n'aurait autrement pas, à du renseignement et à des technologies extrêmement onéreux qu'il ne pourrait pas obtenir de son propre chef. Ces relations, comme toutes les activités du CST, s'inscrivent dans les priorités du Canada qu'établit tous les ans le Cabinet, et sont gérées dans le respect le plus strict des lois et de la Charte canadiennes.

Comme le sait le comité, la Commission O'Connor a récemment proposé un certain nombre de recommandations à l'égard des organes d'examen au sein de la collectivité du renseignement du Canada. La plupart de ces recommandations sont très précises et ne concernent pas le CST, mais certaines font référence de façon plus générale au régime d'examen du Canada.

Dans ce contexte, j'aimerais vous expliquer un petit peu la notion d'examen au CST. D'abord, j'aimerais indiquer que le CST a sur place une équipe d'avocats du ministère de la Justice, qui fournit constamment des conseils sur les activités et les procédures du CST. Il y a aussi une Direction de vérification et d'évaluation chargée d'étudier l'efficacité et l'à-propos des activités du CST et de proposer des recommandations en vue d'une amélioration constante.

Pour ce qui est d'examens externes, notre relation la plus importante est, bien sûr, celle qui nous entretenons avec le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, qui examine les activités du CST en vue d'en assurer la conformité avec la loi. Le commissaire a les mêmes pouvoirs que ceux d'une commission d'enquête officielle, a accès à toute l'information et à tout le personnel du CST, et peut examiner n'importe quelle de ses activités. Il incombe aussi au commissaire de faire enquête au sujet de toute plainte qui est faite.

Par ailleurs, le CST collabore à la fois avec le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire à l'information et la vérificatrice générale. Ce cadre d'examen permet au CST de mettre au point ses activités et de donner au ministre, au Parlement et au public canadien l'assurance que le CST protège de façon efficace la vie privée des Canadiens.

Je vous ai fait là un survol de l'évolution du CST, de ses partenaires et de ses mécanismes d'examen. Je vais maintenant traiter de certains des défis auxquels se trouve confrontée l'organisation.

Lorsque la conseillère à la sécurité nationale est venue ici en mars, elle a mentionné que personne au gouvernement ne dirait qu'il dispose de suffisamment de ressources pour faire tout ce qu'il pourrait faire. Cela est tout particulièrement vrai pour les ministères et organismes qui œuvrent à la sécurité nationale du Canada. Le CST, pour sa part, est confronté à plusieurs défis de taille.

Premièrement, la demande augmente pour ses produits et services liés à la sécurité. Voilà qui illustre la nécessité et la valeur de son travail, mais qui l'a également obligé à refuser certaines demandes et à limiter son aide aux ministères et organismes ayant les besoins les plus pressants.

Deuxièmement, le CST doit suivre le rythme des changements technologiques qui s'opèrent. Comme vous le savez, l'environnement des communications vit en permanence des changements, changements qui peuvent être à la fois évolutifs et révolutionnaires. En voici deux exemples parlants : en 1991, il y avait 16 millions d'abonnés à la téléphonie cellulaire dans le monde; en 2005, ce nombre dépassait les deux milliards. Depuis l'an 2000, le nombre d'internautes a doublé, pour dépasser le milliard, la croissance la plus importante étant enregistrée en Afrique et au Moyen-Orient.

Pour que le CST puisse s'adapter à ces changements et continuer de répondre aux priorités du gouvernement, il doit continuer d'investir avec discernement dans le recrutement, le perfectionnement des compétences et les efforts de rétention — pressions qui sont communes aux autres agences de renseignement et de sécurité. Plus important encore, le CST doit continuer d'investir dans des technologies, de l'équipement et des techniques de pointe — les équipements et les techniques qui sont au cœur même de sa capacité opérationnelle.

Enfin, le CST doit veiller à ce qu'il dispose des pouvoirs nécessaires pour assurer son efficacité et répondre aux priorités clés du gouvernement en matière de renseignement. Le CST travaille actuellement avec le ministère de la Justice et d'autres partenaires gouvernementaux en vue de satisfaire à ces exigences.

[Français]

En conclusion, depuis six ans, le CST a connu des changements qui ont aidé à moderniser et réorienter nos objectifs et la nature de nos activités pour les aligner sur les réalités du nouveau contexte de sécurité. Toutefois, la sécurité n'est pas statique, vous le savez bien, et le CST doit continuer à évoluer pour rester efficace et aider le gouvernement à contrer les menaces et les défis que le Canada doit affronter.

Une fois de plus, monsieur le président, je vous remercie de l'occasion que vous m'avez offerte de comparaître devant votre comité aujourd'hui. J'espère que j'ai pu vous éclairer sur le fonctionnement du CST. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions et à celles de vos collègues.

[Traduction]

Le sénateur Day : Merci d'être ici. Nous apprécions votre participation et vos remarques liminaires.

J'aimerais mieux comprendre comment le Centre de la sécurité des télécommunications s'intègre à l'intérieur du tableau d'ensemble en ce qui concerne le renseignement. M. Judd, du SCRS, nous a expliqué son rôle et celui du SCRS. Pourriez-vous me dire, par exemple, si le Centre de la sécurité des télécommunications — votre organisation — participe aux activités du Centre intégré d'évaluation des menaces?

M. Adams : Oui, nous y participons. Nous avons à l'heure actuelle trois analystes. Nous avons en fait quatre postes là-bas, et nous sommes justement en train de remplacer le quatrième analyste.

Le sénateur Day : Si je comprends bien, il s'agit d'un centre qui fait partie du SCRS.

M. Adams : En effet.

Le sénateur Day : Ce centre et ses participants contribuent-ils à l'établissement des priorités pour ce qui est du renseignement, au travail correspondant aux priorités ainsi fixées et à la coordination de toutes les activités?

M. Adams : Ce centre ne traite pas des priorités à proprement parler. Il a une responsabilité relativement étroite d'évaluation, centrée sur le contre-terrorisme. Ce centre récupère des rapports d'information auprès de nous, de sources ouvertes, du SCRS et de la GRC et les fusionne pour en faire une évaluation d'un dossier ou d'une région en particulier, évaluation qui est alors à la disposition de toute la communauté de la sécurité et du renseignement. Voilà ce qu'est le CIEM.

Le sénateur Day : Pour ce qui est de l'établissement des priorités, votre organisation réagit-elle donc, en gros, aux priorités qui sont établies ailleurs au gouvernement, ou bien participez-vous à l'établissement des priorités en matière de renseignement?

M. Adams : Le CST n'a pas, lui-même, de priorités en matière de renseignement. Vous avez raison de dire que nous accueillons les priorités telles qu'elles sont exprimées par les ministres de ces ministères qui ont des sujets de préoccupation. Les ministres évaluent chaque année quelles sont ces priorités et les classent en ordre d'importance, et nous nous en servons ensuite pour élaborer notre plan de travail. Nos priorités découleront de cela, et nous établissons nos propres priorités en matière de renseignement d'origine électromagnétique, et qui sont le miroir des priorités du gouvernement.

Le président : Ne vous arrive-t-il pas parfois de mettre au point une capacité que le reste de la communauté ne connaît pas et qui viendrait, en fait, modifier les priorités?

M. Adams : Les priorités ne sont pas gravées dans la pierre, alors il est tout à fait concevable qu'elles viennent à changer, mais seulement avec l'autorisation des ministres.

Le sénateur Day : Vos explications sont utiles. Nous nous efforçons simplement de comprendre comment tous les éléments s'imbriquent les uns dans les autres. Nous vous poserons peut-être des questions qui sont un petit peu à côté, mais vous pourrez nous remettre sur les rails.

Je ne sais plus si c'est la loi antiterroriste ou la loi sur la sécurité publique qui ont été adoptées après les événements du 11 septembre 2001, mais cela a changé votre rôle. Vous avez fait état d'une augmentation importante sur les plans financement et personnel.

J'aimerais être bien certain de comprendre ce que vous avez dit au sujet du renseignement étranger. Vous avez indiqué que le ministre de la Défense nationale autorise votre organisation à obtenir des renseignements étrangers — pour la sécurité du renseignement étranger et des TI. Je n'ai pas compris la partie suivante de votre explication, dans laquelle vous avez indiqué qu'il ne faut pas que cela vise des Canadiens. Pourriez-vous m'expliquer cela?

M. Adams : En tant que membre d'une agence de renseignement étranger, nous ne nous intéressons qu'au renseignement étranger; nous ne visons pas de Canadiens. Cela étant dit, à une époque, au bon vieux temps, si je peux m'exprimer ainsi, cela était facile, car nous avions une seule cible : l'Union soviétique. De façon générale, il s'agissait de communications filaires, de telle sorte que nous savions qui parlait à qui. Le problème des communications aujourd'hui est qu'il ne s'agit pas de service fixe. Avec Internet, nous ne pouvons pas savoir à tout moment qui parle avec qui. Nous visons les étrangers, mais nous ne saurons pas forcément s'ils discutent avec des étrangers. Lorsque Internet est devenu le mode de communication privilégié, nous avons en définitive été bâillonnés, car nous ne pouvions pas viser un étranger du fait que nous ne savions pas s'il n'allait pas s'entretenir avec un Canadien. On nous a damé le pion.

La Loi antiterroriste nous a permis de nous mettre à l'abri du Code criminel, qui interdit l'interception de communications privées. Nous pourrions cibler un étranger, mais si celui-ci s'entretenait avec un Canadien, alors cela enfreindrait le Code criminel. L'autorisation ministérielle prévue dans la Loi antiterroriste nous met à l'abri du Code criminel à condition que nous protégions ces communications privées et les gardions pour nous. De cette façon, si nous ciblons un étranger qui parle à un Canadien, nous n'enfreignons pas la loi.

Le sénateur Day : La question est-elle celle de la cible?

M. Adams : Oui, nous ciblons les étrangers. Bien sûr, dans de nombreux cas la cible étrangère va s'entretenir avec un autre étranger, alors cela n'intervient pas. Cependant, si la cible étrangère s'entretient avec un Canadien, nous ne sommes pas empêchés d'intercepter la communication. Cela étant dit, nous ne pouvons pas poursuivre plus loin la chose, car cela serait considéré comme le ciblage de Canadiens.

Le sénateur Day : Pourriez-vous en aviser le SCRS afin que celui-ci puisse donner suite?

M. Adams : Oui, nous pourrions transmettre l'information au SCRS, qui est responsable de ce qui se passe à l'intérieur du pays. C'est là la principale différence entre le SCRS et le CST.

Le sénateur Day : Vous faut-il obtenir l'autorisation du ministre de la Défense nationale si vous savez que les deux participants à la communication sont étrangers?

M. Adams : Non.

Le sénateur Day : Comment pouvez-vous savoir qu'il est probable que la communication aboutisse au Canada?

M. Adams : Nous ne le savons pas. Si nous savions que les deux intéressés étaient étrangers, nous n'aurions pas besoin d'autorisation, mais du fait que nous ne le sachions pas, il nous faut obtenir préalablement l'autorisation.

Le président : C'est une distinction que le Parlement a inscrite dans la loi, après quoi le Parlement a rajusté la loi en conséquence. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de cette distinction, et, étant donné que vous pouvez transmettre le dossier au SCRS ou que d'autres agences puissent s'attaquer au problème, pour quelle raison votre agence devrait être ainsi limitée?

M. Adams : C'est parce que nous nous intéressons à ce qui passe à l'étranger. Si ce n'était pas le cas, il y aurait deux agences qui, chacune, s'occuperait de ce qui se passe à l'intérieur du pays. C'est pourquoi il a été décidé que le SCRS se concentrerait sur l'activité intérieure et le CST sur l'activité extérieure.

Le président : En quoi le citoyen canadien moyen est-il mieux servi du fait de cette distinction?

M. Adams : Il ou elle est mieux servi car le CST peut faire son travail. D'autre part, avec une seule agence qui se consacre à la situation à l'intérieur du pays, il n'y a pas d'ingérence de la part d'une deuxième agence.

David Akman, avocat général et directeur des Services juridiques, Centre de la sécurité des télécommunications : Ceci nous amène à la question de la protection du droit au respect de la vie privée et des renseignements personnels. La loi créant le CST et, plus particulièrement, le régime d'autorisation ministérielle, a été élaborée en fonction du renseignement étranger à destination d'étrangers.

Le président : Le seuil est inférieur à celui qui s'applique lorsqu'il s'agit de mettre sur écoute des Canadiens.

M. Akman : Oui. Pour ce qui est du Canada, les tribunaux ont dit qu'il faut une autorisation judiciaire préalable. Ce seuil étant donc beaucoup plus élevé, le CST serait dans l'impossibilité de faire son travail s'il lui fallait l'atteindre. Il importe de céder sur une chose pour que le travail de renseignement étranger puisse se faire. La loi a accordé un peu plus de marge au CST, à condition que nous protégions la Charte des droits et que nous ne visions pas de Canadiens.

Le président : Pourriez-vous faire les mêmes acrobaties que le personnel du SCRS si vous y étiez autorisés?

M. Akman : Oui, si nous étions chargés de ce qui se passe à l'intérieur du pays, nous pourrions faire cela, mais ce ne serait pas le bon régime pour la collecte de renseignements étrangers lorsque les cibles sont des étrangers qui se trouvent à l'extérieur du pays. C'est la prérogative du gouvernement de mener des activités de renseignement étranger à l'extérieur du pays.

Le sénateur Day : Nous parlions de communications pour lesquelles il y aurait à l'un ou l'autre bout un Canadien ou une organisation canadienne.

M. Adams : Ce pourrait être un Canadien ou n'importe quelle personne au Canada, y compris une société.

Le sénateur Day : Vous est-il jamais arrivé de cibler une communication dont vous pensiez qu'elle était menée entièrement à l'extérieur du Canada mais dans laquelle est intervenue une troisième personne qui était ou un Canadien ou une personne se trouvant au Canada?

M. Adams : Il nous faudrait pour cela une autorisation, car nous ne voudrions pas risquer d'enfreindre la loi.

Le sénateur Day : Qu'en serait-il si vous n'en aviez pas eu connaissance au préalable?

M. Adams : Nous demandons d'abord l'autorisation.

Le sénateur Day : Recevez-vous une autorisation globale ou pouvez-vous obtenir l'autorisation après coup?

M. Adams : Nous sommes tenus d'obtenir préalablement l'autorisation. Nous ne pouvons pas demander pardon si nous avons enfreint la loi.

Le sénateur Day : Cela doit arriver souvent que vous n'ayez en la matière aucune certitude, et vous demandez donc une autorisation pour constater en bout de ligne que cela n'était pas nécessaire.

M. Adams : Nous avons bon nombre d'autorisations, mais elles sont couchées en des termes très larges et ne concernent pas une cible individuelle donnée.

Le sénateur Day : À quoi ressemble une telle autorisation? Y est-il fait état des activités de la cible?

M. Adams : Oui. Ce pourrait être des groupes d'activités.

Le sénateur Day : Et celles-ci peuvent-elles survenir n'importe où dans le monde?

M. Adams : Oui, ce peut être n'importe où, en fonction des priorités du gouvernement.

Le sénateur Day : Le ministre de la Défense nationale n'a pas à s'asseoir et à signer des autorisations pendant toute une après-midi.

M. Adams : Non.

Le sénateur Day : Le ministre ou le ministère procède-t-il à un examen pour déterminer si le ministre devrait signer une autorisation particulière?

M. Adams : Nous les passons en revue et il précise les conditions à remplir avant qu'il ne signe l'autorisation. L'examen est ensuite effectué par un commissaire du CST.

Le sénateur Day : À quelle fréquence le ministre de la Défense nationale s'assoit-il pour signer des autorisations?

M. Adams : Cela fait deux ans que je suis au CST, et pendant ce temps environ cinq combinaisons d'autorisations pour renseignement électromagnétique et sécurité des TI ont été signées.

Le sénateur Day : Vous avez indiqué, dans vos remarques liminaires, qu'au cours de l'année écoulée, plus du quart de nos rapports de sécurité ont porté sur l'Afghanistan. Parlez-vous là de toute l'activité qui est menée?

M. Adams : Je parlais des rapports. Vingt-cinq pour cent des rapports qui ont été préparés ont porté sur l'Afghanistan.

Le sénateur Day : Les rapports résument les résultats de toute l'activité.

M. Adams : Les rapports sont l'aboutissement des activités de ces personnes ciblant l'Afghanistan.

Le sénateur Day : Il semble que cela penche plutôt du côté de la Défense nationale, sans oublier que le CST assure un appui au SCRS, à la GRC, au contre-terrorisme, à l'espionnage, et cetera. Cela a-t-il toujours fonctionné ainsi?

M. Adams : Non. Avant 2001, cela pouvait être mesuré avec un nombre à un seul chiffre, alors que depuis, environ 80 p. 100 des activités du CST sont axées sur la sécurité et l'appui à des opérations militaires.

Le sénateur Day : Le comité appuie les activités militaires et les activités de nos Forces armées en Afghanistan. Nous savons que le CST assure un important appui à l'appareil militaire canadien et à ses alliés. Cela nous est régulièrement rapporté par différentes sources. Mon souci est que le SCRS, la GRC et d'autres groupes responsables de la sécurité intérieure n'obtiennent peut-être pas de vous le service qu'ils recevaient auparavant. Pouvez-vous donner au comité l'assurance que tel n'est pas le cas?

M. Adams : Je peux assurer le comité qu'il n'y a pas eu de dégradation de nos services offerts à nos partenaires de la sécurité et du renseignement, soit la GRC, le SCRS, Sécurité publique et Protection civile Canada, et cetera. Nous avons dû réorganiser nos priorités dans d'autres domaines, mais pas aux dépens de la sécurité et du renseignement pour la communauté de la sécurité.

Le sénateur Day : Si tout était merveilleux et que vous disposiez de tout l'argent que vous souhaitiez, y aurait-il davantage d'activité en matière de sécurité intérieure et de renseignement de sécurité du point de vue canadien pour le SCRS et la GRC?

M. Adams : Pas du côté de la sécurité intérieure; il y a d'autres domaines relevant du gouvernement dans lesquels il y a plus que nous pourrions faire.

Le sénateur Day : Pourriez-vous nous en entretenir?

M. Adams : Nous avons au gouvernement une multitude de clients. Ils sont très larges, mais je ne peux pas vous en dire plus; je ne veux pas aborder cela ici.

Le sénateur Day : S'agit-il d'organisations et d'agences gouvernementales qui fonctionneraient mieux si elles disposaient de plus de renseignements de type communications?

M. Adams : Peut-être, dirais-je. Ce serait à elles de dire si ce serait meilleur, mais nous pourrions certainement leur fournir ces renseignements.

Le sénateur Day : Vous font-elles des demandes que vous ne pouvez remplir?

M. Adams : Comme l'a dit Mme Bloodworth, la conseillère à la sécurité nationale, personne ne dispose de toutes les ressources qu'il souhaiterait avoir. En ce moment, le seuil n'est pas en train d'être atteint.

Le sénateur Day : Mme Bloodworth a comparu devant nous il y a une semaine ou deux, et nous avons eu avec elle un bon échange. Vous faites rapport à elle ainsi qu'au ministre de la Défense nationale, n'est-ce pas?

M. Adams : Oui, j'ai un régime de rapport bifurqué.

Le sénateur Day : Comment cela fonctionne-t-il?

M. Adams : Mme Bloodworth est responsable des opérations et de la politique, et le sous-ministre de la Défense est responsable des finances et de l'administration.

Le sénateur Day : Le sous-ministre de la Défense contrôle les finances et l'aspect administratif et le ministre de la Défense nationale donne son aval pour ce qui est de toutes les activités dont vous avez fait état.

M. Adams : Il est le ministre responsable du CST, qui relève de lui.

Le sénateur Day : Pour vous donner les autorisations requises?

M. Adams : C'est exact.

Le sénateur Day : Mme Bloodworth intervient-elle à quelque niveau dans ce genre d'approbation de vos activités?

M. Adams : La plupart des choses passent par elle et le sous-ministre avant d'aboutir chez le ministre.

Le sénateur Day : Vous avez indiqué, vers la fin de votre déclaration, que vous êtes confronté à des défis technologiques, et que vous avez travaillé en complément de nos partenaires pour ce qui est de certaines des technologies que ceux-ci ont pu partager avec vous. Seriez-vous en mesure de nous dire, en des termes généraux, ce dont nous parlons ici? S'agit-il d'un changement important, le passage de l'analogue au numérique — l'adaptation à ce genre d'activité?

M. Adams : Cela, parmi d'autres choses, bien sûr. Le volume et le genre de communications sont littéralement illimités. C'est cette combinaison qui est le défi pour nous. Notre vision est celle de la sécurité par le biais de la supériorité fondée sur le renseignement. Nous voulons maîtriser Internet. Il s'agit là d'un défi qu'aucune institution — que ce soit la nôtre ou la National Security Agency, la NSA — ne peut gérer toute seule. Nous nous efforçons de faire cela conjointement avec nos alliés.

En même temps, nous avons une menace qui est très diverse, très distribuée dans le monde — c'est un petit peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Nous avons la combinaison de la technologie et de la menace qui, ensemble, font qu'il est presque impossible pour une seule et même organisation, quelle qu'elle soit, de gérer cela toute seule. Voilà ce que nous entendons par travailler ensemble. Si nous voulons maîtriser l'Internet, il nous faudra le faire ensemble, et c'est là-dessus que nous mettons l'accent.

Le sénateur Day : Vous faut-il davantage de matériel que vous n'avez pas à l'heure actuelle, ou bien parle-t-on ici d'agents du renseignement, qui puissent utiliser ce matériel?

M. Adams : On parle des deux choses. Il nous faut nous efforcer, dans toute la mesure du possible, de rester en avance par rapport à l'évolution technologique; et il nous faut avoir des personnes qui soient en mesure d'utiliser ce matériel technologique hautement sophistiqué. C'est un mélange des deux.

Avons-nous ce qu'il nous faut? Nous avons ce qu'il nous faut en ce moment. Nous sommes en train d'examiner ce qu'il nous faudra à l'avenir pour soutenir ce genre d'opération. Nous y consacrons beaucoup de temps.

Le sénateur Day : Vous avez, en vertu de la loi, un rôle en matière de technologie de l'information ainsi qu'un rôle en matière de renseignement étranger.

M. Adams : Oui, en effet.

Le sénateur Day : Votre rôle est-il de protéger toute la technologie de l'information du gouvernement?

M. Adams : C'est exact.

Le sénateur Day : Si, par exemple, un virus était installé dans Internet, est-ce là quelque chose dont vous vous occuperiez? Essaieriez-vous d'en retracer l'origine et indiqueriez-vous à la GRC sa provenance probable et la façon de s'attaquer au problème?

M. Adams : Nous nous en occuperions s'il s'agissait d'une menace sophistiquée — en d'autres termes, d'une menace parrainée par un État —, mais pas si c'était le fait d'un simple pirate informatique. Sécurité publique et Protection civile Canada est responsable de cet aspect de la protection des infrastructures essentielles.

Le sénateur Day : Cela relève-t-il du ministère de M. Day?

M. Adams : Oui.

Le sénateur Day : A-t-il un groupe de personnes, qui est distinct de votre équipe, et qui s'occupe de la protection des communications et du renseignement transmissions?

M. Adams : C'est exact, mais ce groupe s'occupe davantage de protection que de renseignement. Il n'est pas là en train d'essayer de voir qui est en train d'installer un virus; il réagit une fois que le virus est là ou qu'il y a quelque chose qui ne va pas.

Le sénateur Day : Qui fait ce travail à l'heure actuelle? Il vous faut réagir rapidement face à ce genre de problème. Il nous arrive de temps à autre de voir des avertissements du genre : faites attention, fermez votre ordinateur. Ou bien les médias vont faire un reportage au sujet d'un programme-ver qui est en train de se propager. Qui s'occupe du dossier public en la matière et essaie de trouver une solution?

M. Adams : C'est Sécurité publique Canada qui s'occupe de cela, mais nous jouerions le rôle de conseiller technique si on nous en faisait la demande.

Le sénateur Day : En dehors du volet technologie de l'information de votre mandat, vous vous êtes décrit, en définitive, comme étant une agence de renseignement étranger pour les communications.

M. Adams : C'est exact.

Le sénateur Day : Nous venons tout juste d'avoir une discussion hypothétique intéressante avec M. Judd au sujet de « qu'est-ce qui se passerait si ». Qu'est-ce qui se passerait si nous décidions d'avoir une activité de renseignement étranger autre que celles qui relèvent de l'article 16 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité? Si nous avions une activité de renseignement de sécurité à part entière, dirigée contre ce que l'on aurait décidé, serait-il logique que votre activité d'agence de renseignement étranger soit combinée avec tout ce que nous mettrions en place pour les agents partout dans le monde?

M. Adams : Parlez-vous d'une activité de renseignement humain étranger?

Le sénateur Day : Oui.

M. Adams : Il est peu probable que cela puisse être combiné; il existe des exigences, des défis technologiques et des régimes de formation très différents. Cependant, cela viendrait certainement compléter ce que nous faisons à l'échelle internationale en matière de renseignement étranger. Il y aurait combinaison de nos renseignements transmissions étrangers et du renseignement humain étranger, qui seraient complémentaires.

Le sénateur Day : C'est ce qui serait logique. Les renseignements sont des informations qui sont évaluées, analysées et synthétisées de façon à s'appliquer au groupe ou à l'organisation qui recueille toutes ces informations pour s'efforcer ensuite d'en tirer quelque chose d'intelligent.

M. Adams : Tout cela se retrouverait au centre, mais, par exemple, nous n'avons pas d'agents. L'activité renseignement humain est fondamentalement différente de notre activité. Nous, nous nous occupons d'électrons; eux, ils s'occupent d'êtres humains. Il y a une demande toute différente pour ce qui est des compétences qui sont requises au sein de l'institution elle-même.

Le sénateur Day : Quoi qu'il en soit, les renseignements qui sont recueillis doivent être ajoutés à d'autres renseignements qui sont rassemblés. C'est comme s'il y avait deux agents différents qui réunissaient tous les renseignements quelque part.

M. Adams : C'est exact, et ce serait là la responsabilité des agences d'évaluation que nous avons, notamment le Secrétariat de l'évaluation du renseignement, ou SER, au sein du Bureau du Conseil privé, et le Centre intégré d'évaluation des menaces, le CIEM, au sein du SCRS. Il y aurait rencontre à ce niveau-là.

Le sénateur Day : Quelles directives, s'il y en a, vous viennent d'Affaires étrangères et Commerce international Canada?

M. Adams : Encore une fois, les seules directives émanant de ce ministère seraient celles découlant de la participation par le ministre à l'établissement des priorités. Nous prenons ces priorités, et s'il y en a qui viennent des Affaires étrangères, alors elles doivent être conformes au seuil qui a été établi quant aux priorités les plus importantes. Nous traiterions alors avec chacun de ces ministères, y compris Affaires étrangères et Commerce international Canada, pour déterminer précisément ce que nous pourrions faire pour les aider dans la poursuite de leur mandat.

Le sénateur Day : Votre activité — le quart des rapports concernant l'Afghanistan — est-elle axée sur des renseignements et de l'information d'intérêt pour le ministère des Affaires étrangères ou bien le renseignement militaire tactique?

M. Adams : C'est une combinaison des trois « D » — défense, ce qui concerne bien sûr les militaires; développement, ce qui concerne l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI; et diplomatique, c'est-à-dire ce qui est externe. J'aurais dû préciser que tout ce travail n'a pas forcément pour objet de servir la défense ou l'appui aux opérations militaires; il s'agit d'appuyer l'ensemble des activités menées en Afghanistan.

Le sénateur Day : Je suis heureux que nous ayons eu l'occasion de préciser cela.

Le président : Dans cette capacité étrangère hypothétique, vous avez probablement un rôle à jouer sur le plan de l'aide aux communications.

M. Adams : Oui.

Le président : La façon dont les intervenants communiqueraient en retour et dont on pourrait communiquer avec eux, c'est là votre domaine.

M. Adams : Encore une fois, nous serions là pour l'aide technique si c'est cela qui est requis, oui.

Le président : Cinq autorisations au cours des 18 derniers mois ne semblent pas correspondre à beaucoup de supervision. Auriez-vous l'obligeance d'expliquer davantage cela, afin que nous comprenions mieux les autorisations?

M. Adams : Vous parlez de la supervision ou des autorisations?

Le président : J'ai dit que cinq autorisations, cela ne semble pas constituer une grande supervision, alors peut-être que nous ne comprenons pas la nature ou la qualité des autorisations.

M. Adams : Les autorisations sont de vastes documents qui explicitent dans le menu détail ce que nous voudrions faire. Elles ne sont valables que pendant un an, après quoi il nous faut retourner les rafraîchir. Je n'aime pas le terme « renouveler », car il n'est pas question de tout simplement les estampiller de nouveau. Il nous faut littéralement retourner en incluant de nouveau les pièces justificatives. Le ministre examine alors toutes les exigences et impose ses limites et conditions. Tous les six mois, nous retournons voir le ministre pour lui dire ce que nous avons fait dans l'application des autorisations. Cela inclut, par exemple, le nombre de communications privées, s'il en est, que nous avons interceptées et ce que nous en avons fait très exactement. En plus de cela, chaque année, le commissaire du CST revoie dans le détail chacune de ces autorisations ministérielles.

Le président : Pourriez-vous nous donner les éléments d'une autorisation hypothétique?

M. Akman : Comme l'a expliqué M. Adams, une demande est acheminée par les deux sous-ministres au ministre, en vue de l'autorisation de l'interception d'une activité ou d'une catégorie d'activités.

Le président : Lorsque vous dites « activité » ou « catégorie d'activités », donnez-nous un exemple hypothétique au fur et à mesure du processus.

M. Akman : Nous nous aventurons un petit peu ici du côté des opérations.

Robert Gordon, chef associé (Opérations), Centre de la sécurité des télécommunications : Nous parlons ici d'un genre d'activité de collecte. Le ministre autorise une technique opérationnelle bien particulière.

Le sénateur Banks : Une technique, et non pas un sujet?

M. Gordon : C'est exact. C'est une catégorie d'activités.

Le président : Un exemple serait l'interception d'un appel par téléphone cellulaire. Vous ne livrez pas de secret aux méchants en disant cela.

M. Gordon : Oui, sénateur, ce pourrait être là un exemple de ce que nous intercepterions. Nous ferions peut-être de l'interception dans une catégorie plus vaste qui ne se limite pas à la simple activité sur téléphone cellulaire.

M. Akman : Il nous faut ensuite prouver au ministre que l'interception viserait des entités étrangères à l'extérieur du Canada. La loi énonce un certain nombre de conditions, la plus importante étant les mesures en place pour protéger la vie privée des Canadiens en cas d'interception d'une communication privée.

Pour retourner un petit peu en arrière, lorsque nous dirigeons notre activité sur une entité étrangère, nous ne connaissons pas au préalable la cible, à qui la cible va parler. Pour reprendre votre exemple du téléphone cellulaire, nous ne savons pas à l'avance à qui téléphonera quelqu'un dans un pays étranger. C'est pourquoi nous ne pouvons pas obtenir cette autorisation judiciaire préalable à laquelle nous avons fait allusion tout à l'heure. Le CST obtient une autorisation selon laquelle, si une communication est envoyée à destination ou en partance du Canada, et s'il y a un risque d'atteinte à la vie privée, le CST serait à l'abri du Code criminel.

Cela a été expliqué lors de l'adoption du projet de loi C-36, et au Sénat et à la Chambre des communes. L'autorisation ministérielle est un écran, car lorsque nous visons une entité étrangère, nous ne disposons pas des renseignements au préalable. C'était là le problème qui existait antérieurement et que le CST voulait voir régler dans le cadre du projet de loi C-36. Avec la définition de « communication privée », nous enfreignions la loi si nous interceptions la communication d'une cible étrangère qui appelait quelqu'un se trouvant au Canada.

Nous ne pouvons pas savoir à l'avance s'il y aura, pendant l'année, une communication à destination ou en partance du Canada ou plusieurs d'entre elles. Cette autorisation ministérielle est le mécanisme qui a été mis en place pour mettre à l'abri le CST du fait d'interception de communications privées.

Si la communication arrive au Canada et qu'elle n'a aucune valeur sur le plan renseignement étranger, alors elle est détruite. La condition énoncée dans la loi dit que seules des communications de renseignements étrangers essentielles seront conservées si elles concernent les relations internationales, la sécurité ou la défense. En conséquence, s'il y a, à destination ou en partance du Canada, une communication qui n'a rien à voir avec le renseignement étranger, alors elle est détruite. Si la communication a trait au renseignement étranger et est essentielle, alors elle sera utilisée et conservée.

Le président : Pourriez-vous fournir au comité une copie papier d'un échantillon d'autorisation?

M. Adams : Non, nous ne le pourrions pas.

Le président : Pourquoi?

M. Adams : En règle générale, il s'agit de renseignements COMINT très secrets, classifiés — nous parlons de renseignements transmissions.

Le président : J'ai parlé d'un échantillon. Il ne s'agirait pas de nous donner une autorisation que vous avez fournie au ministre, mais juste un échantillon.

M. Adams : Permettez-vous qu'on y réfléchisse?

Le président : Oui, s'il vous plaît. Nous ne vous demandons pas une autorisation que vous avez véritablement donnée au ministre, mais simplement un échantillon, pour voir à quoi cela ressemble.

M. Adams : Nous verrons ce que nous pouvons faire.

Le président : Il y a la question de la gestion de l'échange d'information avec vos alliés. Vous avez parlé de la NSA. Il y a les Five Eyes, qui sont membres de la communauté internationale du renseignement sur les communications : le Canada, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Est-ce votre tâche de décider ce qui est échangé? Qui, à l'intérieur du système, détermine quelles informations, parmi celles que vous recueillez, sont partagées avec nos alliés avec qui nous travaillons étroitement?

M. Adams : Cela est très largement déterminé par les priorités. S'il s'agit d'une priorité et qu'il y a un intérêt mutuel à partager les renseignements, alors c'est ce que nous faisons, conformément à nos priorités et aux intérêts du Canada.

Le président : Qui prend la décision? La décision vous appartient-elle ou bien est-ce l'affaire de quelqu'un d'autre à l'intérieur du système?

M. Adams : Certaines décisions sont les miennes, et dans d'autres cas, si j'ai des doutes, je monte plus haut et demande une autorisation.

Le sénateur Banks : Je suis confus. M. Akman a décrit l'autorisation. C'est au sujet de la nature de l'autorisation que je vous interrogeais. M. Akman a souvent appelé cela « la communication », mais vous avez dit plus tôt que la nature de l'autorisation que vous obtenez est telle qu'il ne s'agit pas pour vous d'obtenir une communication entre Fred, en Indonésie, et moi.

M. Adams : Non.

Le sénateur Banks : Il s'agit d'intercepter ce genre de communication. Ai-je bien compris? L'autorisation vous permet d'utiliser un dispositif technologique particulier pour intercepter un certain genre de communication, n'est-ce pas?

M. Adams : C'est exact.

Le sénateur Banks : Ayant obtenu cette autorisation, pouvez-vous l'appliquer à n'importe qui?

M. Adams : À quantité d'interceptions, oui.

Le sénateur Banks : Certaines de ces autorisations englobent le pouvoir d'intercepter une communication d'une personne en Indonésie, et ce dans des circonstances dans lesquelles le Canadien concerné se serait normalement attendu à un degré raisonnable de protection de sa vie privée.

M. Adams : C'est exact.

Le sénateur Zimmer : Major-général, vous êtes sans doute trop jeune pour vous en rappeler, mais il y a de cela de nombreuses années j'ai travaillé pour le ministère de la Défense nationale, et nous nous sommes croisés. Je suis un petit peu comme le phénix, brûlé, renaissant de ses cendres sous la forme que vous voyez. Je suis heureux de vous revoir.

La relation qu'a votre organisation s'inscrit dans la Défense nationale. À votre avis, est-elle située au bon endroit?

M. Adams : Oui.

Le sénateur Atkins : Pourquoi?

M. Adams : Historiquement, il est vrai qu'en un sens c'est là notre ministère d'attache depuis l'après-Seconde Guerre mondiale. Cependant, sur le plan pratique, c'est là que sont concentrés la grande majorité de nos efforts en ce moment. Quel serait un meilleur endroit? Peu importe de quel côté vous vous placez, il y a du pour et du contre dans les deux cas, mais nous sommes très à l'aise avec notre situation. Cela semble fonctionner. Pour en revenir à la bifurcation, cela fait partie de la raison pour laquelle j'ai une responsabilité envers le Bureau du Conseil privé. Peu importe où je suis, il me faut être prudent et veiller à ne pas devenir la ressource de ce ministère, car j'ai un mandat beaucoup plus vaste, comme cela a été dit, qui ne se limite à aucun ministère.

Clairement, la conseillère à la sécurité nationale surveille la situation de très près pour veiller à ce que je ne me trouve pas casé exclusivement dans la défense. C'est là une explication raisonnable.

Le sénateur Zimmer : Pensez-vous que les choses resteront telles quelles à l'avenir, ou bien y a-t-il des possibilités que vous soyez versé sous un commandement différent ou une autorité différente?

M. Adams : Entendez-vous par-là un régime différent?

Le sénateur Zimmer : Oui.

M. Adams : Quoi que décide le gouvernement, nous serons là où il souhaite que nous soyons, mais à l'heure actuelle, nous sommes à l'aise avec la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Le sénateur Zimmer : Margaret Bloodworth a souligné, lors de la déclaration qu'elle vous a faite en mars, que le Canada est un importateur net de renseignement. Vous avez mentionné cela. Techniquement, est-ce net par opposition à brut ou net comme dans « aller à la pêche pour des renseignements »? Qu'entendez-vous par « importateur net »?

M. Adams : J'entends par là toutes ces choses. Nous sommes petits, proportionnellement, bien sûr, comparativement à la National Security Agency des États-Unis. Nous sommes même relativement petits comparativement aux Government Communications Headquarters, ou GCHQ, au Royaume-Uni. De façon générale, nous obtiendrions plus que nous ne donnerions. Il y a certains domaines dans lesquels nous sommes plus actifs qu'eux, et c'est là le jeu qui est déterminé par nos priorités nationales. Il y a certaines régions du monde dans lesquelles nous sommes présents alors que d'autres ne le sont pas. Bien évidemment, dans pareil cas, nous serions un exportateur de renseignements, si ces renseignements étaient nécessaires ailleurs.

Voilà qui résume un peu le tout, sénateur.

Le président : Existe-t-il des protocoles en vertu desquels vous avez en quelque sorte divisé le spectre entre vous?

M. Adams : Non, sénateur. Cela s'appuie purement sur nos priorités, telles que définies par le gouvernement.

Le président : Les pays alliés ne se réunissent pas pour dire : « Vous semblez vous débrouiller assez bien dans telle région, mais il y a un petit écart par ici; y a-t-il quelque possibilité pour vous de vous en occuper? »

M. Adams : Non. Si c'est important pour le Canada, nous serons là, si nous pouvons y être, bien sûr.

Comme je l'ai déjà dit, lors des discussions que nous pouvons avoir, compte tenu des priorités que nous avons, nous partageons les informations s'il y a des priorités et des intérêts nationaux mutuels.

Le président : Vous pourriez même occuper le terrain. Pour vous donner un exemple, les Australiens s'intéressent de très près à l'Indonésie.

M. Adams : C'est exact.

Le président : Il semble redondant de ne pas profiter de la compétence reconnue des Australiens dans cette région.

M. Adams : Il est peut-être redondant de ne pas le faire, mais si notre gouvernement souhaitait avoir des renseignements sur l'Indonésie, nous nous efforcerions d'obtenir ces renseignements sur l'Indonésie. Si nous pouvions compléter cela en puisant dans des renseignements australiens, nous le ferions.

Le président : Vous commenceriez par un message aux Australiens disant : « Que voulez-vous savoir là-dessus? »

M. Adams : Possiblement.

Le président : Très bien.

Le sénateur Zimmer : Ce qui suit est davantage une demande d'éclaircissement. J'ai été intrigué par votre commentaire au sujet du changement technologique. Vous avez indiqué que le nombre d'usagers d'Internet a presque doublé, pour atteindre plus d'un milliard, la croissance la plus importante étant enregistrée en Afrique et dans le Moyen-Orient. Je peux comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient; je suis agréablement surpris d'apprendre qu'un continent sous-développé comme l'Afrique se développe à une telle vitesse. Quel est l'écart entre ces deux régions du globe?

M. Adams : Je ne peux pas vous fournir ce genre de détail, mais la raison est fort simple : ils ont sauté une génération de communication et sont passés directement à Internet. Le protocole est sans fil. Des tours sont nécessaires.

Le sénateur Banks : La plupart d'entre eux appartiennent au ministère des Affaires étrangères du Nigeria et ils veulent vous donner un million de dollars.

M. Adams : Ils ont choisi cette voie. C'est pourquoi ils bougent si rapidement.

Le sénateur Zimmer : Je comprends également que le CST observe toutes les lois canadiennes et que les vérifications menées par la vérificatrice générale, le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire à l'information n'ont fait état d'aucune inquiétude quant au respect par votre organisation de ces lois. Y en a-t-il parmi les opérations de cueillette de renseignements étrangers du CST qui soient assujetties à des lois internationales?

M. Adams : Il me faudrait poser la question à mon avocat.

Le sénateur Zimmer : Je pensais bien que c'est à cela que les choses mèneraient.

M. Akman : Cette question est intéressante. En ce qui concerne les activités de cueillette que nous menons, nous respectons la loi canadienne. L'on pourrait presque supposer que, dans certains pays, ce serait un crime d'intercepter leurs communications, et si l'on part de cette prémisse, cela mène à la réponse. Nous observons nos propres lois lorsque nous faisons de la cueillette de renseignements.

Le sénateur Zimmer : Vous est-il arrivé, ce faisant, de recevoir des plaintes au sujet de votre ignorance d'autres lois dans le monde?

M. Akman : Que je sache, nous n'avons jamais reçu de plainte, et j'œuvre depuis longtemps dans le domaine.

Le président : Comment une personne saurait-elle que ses communications ont été interceptées?

M. Adams : Nous souhaiterions qu'elle ne le sache pas.

Le président : Cela rend redondante la surveillance, n'est-ce pas?

M. Adams : Pardon?

Le président : C'est difficile, si personne ne peut se plaindre.

M. Adams : Il n'y a pas que ces plaintes-là. Cela inclut les plaintes de mes employés. Cela inclut les plaintes de quiconque a des doutes — une plainte du genre « J'ai entendu un clic sur ma ligne ».

Le président : Cela arrive tout le temps aux sénateurs.

M. Adams : Il me faut dire qu'à ma connaissance il n'y a jamais eu la moindre plainte au sujet du CST. Nous nous débrouillons fort bien.

Le président : Le juge Lamer est-il trop bien payé?

M. Adams : Il ne s'occupe pas de plaintes. Il s'occupe de beaucoup de surveillance.

Le sénateur Zimmer : Vous espérez que les gens ne soient pas au courant. C'est comme le sous-marin dans l'océan; on espère que personne ne sache qu'il est là, mais il l'est.

Il est indiqué sur votre site Web que le CST compte sur ses plus proches alliés en matière de renseignement étranger — États-Unis, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande — pour partager le fardeau de la cueillette et les renseignements ainsi obtenus. Pourriez-vous nous expliquer de façon un peu plus détaillée la nature de la relation qu'entretient le CST avec ces agences analogues d'autres pays? Quelle est votre relation avec elles? Dans quelle mesure travaillez-vous étroitement avec elles?

M. Adams : Cette relation est très étroite et productive, et elle englobe toute la gamme de nos activités. Comme je le disais plus tôt, si la question revêt un intérêt pour nous et pour nos alliés, alors nous échangeons. Clairement, cela est toujours fondé sur nos intérêts nationaux et dicté par nos priorités, mais nous partageons les renseignements étrangers; nous partageons le détail quant aux menaces à notre infrastructure — tout particulièrement en Amérique du Nord, où nous sommes très étroitement interreliés avec la National Security Agency des États-Unis — et aux percées technologiques, et ainsi de suite. Nous couvrons plus ou moins toute la gamme à cet égard.

Le sénateur Zimmer : Merci. Peut-être que nous pourrons nous raconter des souvenir d'ici quelques minutes.

M. Adams : Certainement.

Le président : Pour poursuivre encore un peu la discussion au sujet de l'échange de renseignements, monsieur Adams, il n'y a pas de loi aux États-Unis qui interdise à cette agence d'intercepter des appels entre Canadiens.

M. Adams : C'est exact. Pour les Américains, ce serait une communication étrangère.

Le président : C'est exact. Et ils partagent leurs renseignements?

M. Adams : C'est exact.

Le président : Serait-il déraisonnable de supposer que si les Américains recueillaient des renseignements, lors d'une conversation entre deux Canadiens, dont ils pensaient qu'ils pourraient intéresser les autorités canadiennes, alors ils nous les livreraient?

M. Akman : La loi du CST indique clairement que le CST ne peut pas, dans le cadre de ses activités, viser des Canadiens où que ce soit dans le monde, ni toute personne se trouvant au Canada. Le CST ne pourrait pas être complice en demandant de telles informations.

Le président : Vous ne pourriez pas en faire la demande, mais pourriez-vous les recevoir?

M. Akman : Pour commencer, nous ne serions probablement pas au courant de la méthode de cueillette et ne saurions donc pas comment ils auraient obtenu les informations. Nous recevrions un rapport disant que quelque chose se passe. Nous n'en connaîtrions pas l'origine.

Le président : La suggestion qui a été faite lors de l'examen du projet de loi C-36 était que si la loi vous interdit d'écouter ce que disent des Canadiens, vous pouvez toujours aller voir vos amis, qui peuvent les écouter à votre place.

M. Adams : Puis-je dire quelque chose là-dessus? Il y a deux aspects. Premièrement, il y a entre nous un protocole tel que nous ne ciblons pas les citoyens les uns des autres.

Deuxièmement, nous ne pourrions pas être complice d'eux dans ce qu'ils feraient. Je ne pourrais pas demander à mes collègues, où que ce soit, de cibler des Canadiens, car si je faisais cela, cela reviendrait à contourner notre loi et je l'enfreindrais donc. Cela ne pourrait pas se faire.

Cependant, s'ils ciblaient des Canadiens à notre insu, et s'ils décelaient une menace, peut-être pour le Canada, je dirais — étant donné que si la menace est proche du Canada, elle est proche des États-Unis — qu'il se pourrait fort bien qu'ils nous livrent ces renseignements. Comme l'a dit M. Akman, nous n'en connaîtrions pas la provenance et nous n'aurions pas participé à l'opération. Nous ne pouvons pas contourner nos lois.

Le sénateur Atkins : Cela m'étonne toujours un peu que le CST relève de la Défense nationale. Au fur et à mesure de votre expansion, même si le gros de votre activité concerne des questions qui sont liées à la Défense nationale, ne serait- il pas préférable que vous soyez indépendant de tout ministère?

M. Adams : Vous voulez dire dans le cadre du centre?

Le sénateur Atkins : Dans le cadre du centre et dans le cadre du processus de reddition de comptes que vous suivriez. Cela pourrait-il vous arriver de rencontrer le premier ministre?

M. Adams : Je ne l'ai pas fait, mais la chose serait possible. Il reçoit notre produit, ou plutôt c'est son cabinet qui le reçoit. S'il me fallait rencontrer le premier ministre, il me faudrait passer par le Conseiller à la sécurité nationale.

Le sénateur Atkins : Ce serait là votre chaîne de commandement?

M. Adams : C'est exact.

Pour ce qui est de votre autre question, la norme historique du BCP, le Bureau du Conseil privé — qui serait le centre — est que cela est resté à l'écart des ministères et des secteurs axiaux. S'il nous fallait rendre compte au centre, il nous faudrait également rendre compte au premier ministre, au vice-premier ministre ou autre, en tout cas à une personne ne s'inscrivant pas dans l'axe hiérarchique, si vous voulez.

La beauté de la situation actuelle est que le BPC peut s'occuper de la fonction contestation, et notre chaîne de responsabilité remonte au ministre de la Défense nationale. Cela semble fonctionner dans notre contexte historique. Cela ne veut pas dire que cela ne pourrait pas fonctionner de l'autre façon. Cela fonctionne de l'autre façon dans certains pays. Par exemple, en Grande-Bretagne, l'agence relève du Foreign and Commonwealth Office. En Nouvelle- Zélande, elle rend compte directement au premier ministre, et en Australie, elle rend compte au ministre de la Défense. Cela varie d'un pays à l'autre, selon sa tradition et son contexte historique.

Le sénateur Atkins : Êtes-vous convaincu que tout renseignement que vous avez à transmettre atteindra son objectif?

M. Adams : Absolument. Nous avons deux principales voies pour ce qui est des ministères clés. L'une est un système électronique que nous contrôlons, et qui est hautement classifié. L'autre est géré par nos agents de relations avec les clients. Ces personnes sont en poste dans les ministères clés et livrent littéralement en mains propres l'information aux intervenants clés et recueillent immédiatement auprès d'eux la rétroaction.

Nous sommes convaincus que l'information arrive là où elle le doit.

Le sénateur Atkins : Il n'y a aucune interruption?

M. Adams : Non, il n'y a aucune interruption.

Le sénateur Atkins : Rencontrez-vous la GRC et le SCRS?

M. Adams : Oui, de façon régulière. Nous n'avons personne qui soit intégré dans la GRC, mais nous avons des employés du CST qui sont intégrés dans le SCRS, en plus de ceux que nous avons au CIEM. Nous avons en ce moment même de nos éléments au SCRS, et celui-ci a, à son tour, des gens chez nous, ce pour assurer collaboration étroite et intégration de nos efforts.

Le sénateur Atkins : Pour ce qui est des ressources humaines, êtes-vous convaincu d'avoir le personnel requis pour vous permettre d'exécuter votre mandat?

M. Adams : Oui, j'en suis convaincu. Même si je ne l'étais pas, ce serait tout un défi, car nous recrutons aussi vite que nous le pouvons. Nous accueillons chez nous des gens extrêmement compétents — ce sur quoi nous insistons, du fait des défis que nous devons relever. Mais nous ne pouvons les recruter et les absorber qu'à un rythme donné. Il nous faut d'autre part tenir compte de l'aspect locaux. Nous avons élargi autant que cela nous a été possible notre campus actuel.

Nous sommes en mesure de nous acquitter de notre mandat. Nous avons encore l'autorisation de recruter quelques recrues de plus. Nous avons cependant atteint dans les temps nos objectifs d'embauche et sommes convaincus d'être en mesure de faire ce que nous devons faire.

Le sénateur Atkins : Cela m'amène à la question suivante. Que recherchez-vous lorsque vous recrutez?

M. Adams : Nous nous intéressons à ce que les gens ont entre les deux oreilles.

Le sénateur Atkins : Comme c'est le cas de nous tous.

M. Adams : Je vous ai énuméré certaines des compétences clés. Il nous faut des linguistes, des mathématiciens, des informaticiens et des gens capables, dotés d'un esprit d'analyse.

Le sénateur Atkins : Quel genre de formation leur offrez-vous?

M. Adams : Presque toute notre formation est assurée par nous ou par le biais de possibilités que nous offrent nos alliés.

Le sénateur Atkins : Envoyez-vous ces personnes à l'étranger?

M. Adams : Oui, certaines d'entre elles. Nous les envoyons là où il s'offre des cours qui seront bénéfiques pour nous. Il nous faut en faire des analystes. Ce sont en général des personnes très douées. Nous utilisons bien sûr les informaticiens pour nos systèmes. La plupart de nos linguistes ne sont pas des traducteurs. Ce sont des linguistes. Ce sont véritablement des élèves de la langue, et ils viennent avec un bagage culturel et nous leur apprenons à analyser. C'est là la principale formation que nous assurons.

Nous continuons d'être les décodeurs et les codeurs que nous sommes depuis la Seconde Guerre mondiale. L'encodage étant aujourd'hui si aisément disponible, nous tenons nos mathématiciens très occupés, et ils se consacrent principalement au décryptage.

Le sénateur Atkins : Êtes-vous satisfait de la Loi antiterroriste?

M. Adams : Sauf tout le respect que je dois à mes amis spécialistes du droit, nous pourrions l'améliorer.

Le sénateur Banks : Non, nous pourrions l'améliorer.

M. Adams : Le « nous royal » pourrait l'améliorer, exactement.

Il y a certains aspects qui sont quelque peu ambigus, alors nous pourrions certainement recommander en la matière des amendements. Nous y travaillons conjointement avec le ministère de la Justice et d'autres qui se penchent sur la loi.

Le sénateur Atkins : Vous avez parlé de modifications nécessaires. Pourriez-vous nous donner une petite idée de ce que vous entendez par là?

M. Adams : Le commissaire de la CST a cité trois fois de suite quelque chose du genre de ceci :

[...] Je soulignerais également que le peaufinage et l'éclaircissement de certaines de ces dispositions — notamment celles liées aux autorisations ministérielles d'interception de communications privées dans le but d'obtenir du renseignement étranger — aideraient à éliminer les ambiguïtés...

Il s'agit là d'un aspect dont nous avons parlé abondamment. Nous en avons parlé car cet aspect n'est pas aussi clair qu'il pourrait l'être dans la loi. Comme l'ont dit les trois commissaires de la CST, ce n'est pas qu'ils craignent que nous ne respections pas la loi. Ils craignent que la loi soit mal interprétée et que, de ce fait, les gens aient l'impression que nous ne respectons pas la loi. Celle-ci pourrait donc être améliorée de ce point de vue-là.

Le sénateur Atkins : Vous faut-il tenir compte des droits de la personne?

M. Akman : La législation a été rédigée de façon à se conformer à la Charte. Si elle ne le faisait pas, le ministère de la Justice ne l'aurait jamais laissée introduire. Pour ce qui est des droits de la personne et des droits à la vie privée des Canadiens, elle est conforme à la Charte. Les commissaires du CST n'ont jamais vu de problème à cet égard. Comme M. Adams l'a dit, si vous avez le luxe du temps pour la réécrire, on pourrait la rendre un peu plus claire.

Le président : M. Judd, dans son témoignage, a assez longuement décrit comment l'Internet a transformé son travail. Pouvez-vous nous parler un peu de la manière dont il a changé le travail de votre organisation?

M. Adams : L'Internet, en substance, est le mode de communication préféré et l'adversaire connaît des méthodes ingénieuses pour s'en servir. Il n'est pas exceptionnel qu'une personne possède deux ou trois téléphones cellulaires avec cinq ou sept cartes SIM — module d'identification d'abonné. C'est très difficile pour nous. Voilà comme il a changé notre travail. C'est très difficile à cerner.

Le président : Vous parlez des téléphones cellulaires, mais qu'en est-il de l'Internet?

M. Adams : La plus grande partie de ces communications passent par l'Internet. C'est le protocole voix par Internet, VoIP. C'est un exemple de la façon dont notre vie a été bouleversée.

Le sénateur Banks : Sans vouloir jeter des blâmes ou manquer de respect le moins du monde, vous ne devez pas et ne pouvez pas toujours vous fier à l'opinion du ministère de la Justice Canada disant que quelque chose ne contrevient pas à la Charte. Je pourrais vous nommer trois projets de loi en particulier qui ont suivi toutes les phases et dont le Sénat a constaté qu'ils contrevenaient à la Charte. Ce n'est pas toujours aussi évident. Les opinions peuvent diverger.

J'aimerais revenir à la question de l'autorisation. Je suis désolé d'insister, mais je veux m'assurer de bien comprendre ces autorisations et leur nature. Vous dites qu'il y en a eu cinq différentes?

M. Adams : Depuis que je suis là, j'ai eu à connaître de cinq autorisations environ.

Le sénateur Banks : Cela ne fait pas beaucoup d'autorisations. Je présume qu'en vertu de chacune il pourrait y avoir au moins 20 000 interceptions de communications d'une sorte ou d'une autre. Cela pourrait englober, comme il se doit, des intrusions dans la vie privée de Canadiens lorsqu'il se passe quelque chose d'inquiétant.

À cet égard, et connaissant votre souci de ne pas enfreindre la Charte et les droits des Canadiens et de peut-être clarifier les dispositions du projet de loi C-36 et d'autres lois connexes, dans quelle mesure est-il raisonnable que vous jouiez selon les règles du marquis de Queensberry avec des gants blancs et observiez courtoisement les droits de tout le monde, en veillant soigneusement à ne pas empiéter, alors que les méchants, je suppose, ne se soucient guère de ces belles règles et n'ont aucun scrupule à enfreindre les droits de quelqu'un? Est-ce que nous nous battons à armes égales?

M. Adams : Ma philosophie est simple : on ne guérit pas le mal par le mal. Je ne m'abaisserai pas à ce niveau.

Le sénateur Banks : Aimeriez-vous voir des changements qui vous autoriseraient à faire plus?

M. Adams : Non. Les changements dont j'ai fait état visent à clarifier, préciser le sens, et non pas à apporter de changements fondamentaux à ce stade.

Le sénateur Banks : Pourriez-vous décrire cela plus précisément? Dans votre exposé vous avez dit que l'un de vos défis est de veiller à disposer des pouvoirs nécessaires pour rester efficace. Je présume que cela est en rapport avec les changements technologiques, et cetera.

Pourriez-vous nous donner des exemples précis de ces pouvoirs nécessaires — dont je présume qu'ils laissent à désirer?

M. Adams : Je ne dirais pas qu'ils laissent à désirer. Ils rendent notre travail un peu plus difficile. Nous pensons qu'avec quelques changements, nous pourrions le rendre moins difficile. Je ne dirais pas que ce sont des lacunes à ce stade. Ce sont des changements qui faciliteraient la vie.

Le sénateur Banks : Quelles sortes de changements?

M. Adams : Je ne pense pas pouvoir vous donner de précisions. Ce pourrait être gênant. Je n'aimerais pas que quelqu'un exploite ces faiblesses et je ne peux donc pas en parler.

Le sénateur Banks : S'il s'agit de modifications de la loi, nous les recevrons car elles ne pourront être apportées sans notre accord.

M. Adams : Ce serait bien, mais je ne veux pas en parler publiquement tant qu'ils ne font pas l'objet d'un projet de loi. Je préfère éviter cela.

Le sénateur Banks : Prendraient-ils la forme d'un projet de loi modifiant la loi actuelle?

M. Adams : Oui. Je vais vous donner un exemple d'une préoccupation qui nous été exprimée, qui met en jeu toute la notion d'interception. Quelle est votre interprétation de la notion d'interception, si on vous le demandait? Si vous me le demandiez, je dirais que c'est lorsque j'entends quelqu'un parler à quelqu'un d'autre ou si je lis ce que quelqu'un a écrit.

Regarder l'extérieur d'une enveloppe n'est pas une interception. À mes yeux, ce n'est pas une interception. Malheureusement, ce n'est pas l'interprétation de tout le monde et il s'agirait donc de définir cela dans la loi.

Le sénateur Banks : Est-ce que la loi devrait dire que vous pouvez examiner l'extérieur de l'enveloppe?

M. Adams : Je ne répondrai pas à cela. C'est un exemple montrant que la loi n'est pas parfaite.

L'interception est définie dans une autre loi et si les gens cherchent une définition de l'interception, c'est probablement là qu'ils iraient chercher. Ils disent que cela pourrait être gênant pour nous et qu'il vaudrait mieux mettre une définition dans notre loi pour éviter ce problème. Ce genre de choses ne nous a pas encore posé de problème, mais cela pourrait arriver.

Le président : Pourriez-vous envoyer au greffier une liste des problèmes que vous avez en tête afin que nous puissions l'examiner?

M. Adams : Le problème est que cette liste est entre nous. Il faudrait qu'elle vous soit remise par le centre. Nous n'avons pas d'accord là-dessus.

Le sénateur Banks : Nous nous la procurerons.

M. Adams : Vous l'aurez. Vous l'aurez, mais elle ne viendra pas de nous.

Le sénateur Banks : En réponse à une question du sénateur Day portant sur le fait que 25 p. 100 de vos rapports ces derniers temps concernent l'Afghanistan, vous avez dit que cette proportion ne nuit pas pour autant à votre service habituel relatif à la sécurité nationale.

M. Adams : Exact.

Le sénateur Banks : La sécurité nationale, n'est-ce pas là le travail que vous faites?

M. Adams : Non, nous faisons du renseignement extérieur.

Le sénateur Banks : Est-ce différent?

M. Adams : Oui. C'est beaucoup plus large.

Le sénateur Banks : Est-ce que le renseignement extérieur a quelque chose à voir avec la sécurité nationale?

M. Adams : Oui, en partie.

Le sénateur Banks : Faites-vous du renseignement extérieur qui n'est pas en rapport avec la sécurité nationale?

M. Adams : Oui. Le renseignement extérieur signifie des informations ou des renseignements intéressant les capacités, les intentions ou les activités de particuliers, d'État, d'organisations ou de groupes terroristes étrangers dans la mesure où elles concernent les affaires internationales, la défense et la sécurité. C'est beaucoup plus large que la seule sécurité.

Le sénateur Banks : Cela pourrait-il englober les communications entre entités ou personnes étrangères relatives à des affaires commerciales intéressant des intérêts nationaux canadiens?

M. Adams : C'est vous qui l'avez dit, pas nous.

Le sénateur Banks : Mais je vous pose la question.

M. Adams : Je ne puis parler de ce que nous ciblons et ne ciblons pas. C'est toujours en rapport avec les affaires internationales.

Le sénateur Banks : Vous venez de décrire ce que vous êtes capable de faire.

M. Adams : C'est dans la loi.

Le sénateur Banks : Lorsqu'il est question de renseignement, quel que soit le but poursuivi, il y a la collecte — l'information brute — puis le traitement, l'évaluation et l'analyse et, enfin, la distribution et l'exploitation. Jusqu'où va le CST sur ce chemin? Faites-vous de l'analyse?

M. Adams : Nous analysons — nous distribuons rarement de l'information brute — et c'est là où intervient l'analyste linguiste. Même si nous ne faisons que traduire, l'information n'est pas brute. Nous la groupons ensuite avec d'autres et rédigeons notre rapport. Nous distribuons ensuite le rapport. Nous faisons la collecte, l'analyse et la distribution, et nous plaçons des restrictions à la distribution selon la nature et la provenance.

Le sénateur Banks : Vous avez parlé de l'extérieur des enveloppes. J'en déduis que le CST n'est pas nécessairement limité à l'interception de communications électroniques d'une sorte ou d'une autre. Ai-je raison, ou bien s'agit-il exclusivement de communications électroniques?

M. Adams : Nous ne nous occupons que de communications électroniques. J'ai utilisé l'enveloppe comme exemple. Nous ne faisons rien dans ce domaine, non.

Le sénateur Banks : Par conséquent les communications autres qu'électroniques relèvent de quelqu'un d'autre?

M. Adams : Absolument. Nous sommes le Centre de la sécurité des télécommunications.

Le président : Lorsque nous avons visité vos installations la dernière fois, tout le matériel, tous les ordinateurs étaient construits par la NSA. Avez-vous aujourd'hui la capacité d'en construire vous-même une partie?

M. Adams : Nous avons la capacité, mais nous ne le faisons pas. Cela coûterait beaucoup trop cher. Nous voudrions franchir le pas suivant, soit entreprendre de la recherche-développement, et cela dépasse notre capacité à ce stade.

Le président : Est-ce que le fait qu'un pays étranger ait le monopole du matériel que nous utilisons nous rend vulnérables?

M. Adams : En quoi?

Le président : Il connaît le matériel mieux que nous; il l'a construit et conçu.

M. Adams : Il l'a construit et conçu, mais il ne le connaît pas mieux que nous maintenant.

Le président : Qu'est-ce qui vous en donne l'assurance?

M. Adams : Notre personnel. Je porte une confiance énorme à nos mathématiciens et informaticiens. Les Américains ne reconnaîtraient probablement pas notre matériel aujourd'hui, vu les modifications que nous avons apportées dans l'intervalle. Ils ont fait la recherche initiale, oui. L'ordinateur que nous avons payé 12 millions de dollars a probablement coûté 200 millions de dollars en frais de développement. C'est ce que nous évitons en achetant, mais une fois qu'il est à nous, il est à nous.

Le président : Je comprends certainement l'intérêt économique d'acheter chez eux, mais il me semble que cela crée aussi un cordon ombilical qui est difficile à rompre. Sont-ils le seul membre des Five Eyes qui puissent fabriquer ce matériel, ou bien y en a-t-il d'autres qui peuvent en construire du bon?

M. Adams : Ils sont la force dominante dans ce domaine parmi les Five Eyes.

Le sénateur Zimmer : Lorsque le 11 septembre est survenu, c'était un événement horrifiant qui a retenti non seulement sur la vie des Américains mais aussi les habitants du monde entier. Chacun a dû faire le point et se demander comment cela changerait sa vie et ses déplacements dans le monde. Est-ce que cet événement a changé aussi la mission de votre centre?

M. Adams : La mission n'a pas changé mais cela a insufflé une vie nouvelle au Centre et lui a donné une raison d'être différente de tout ce que l'on a connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce sont des vies réelles qui ont été perdues et qui continuent de l'être. Cela a insufflé une vigueur nouvelle au Centre.

Comme tous les autres services de sécurité dans ce pays et dans la plupart des pays occidentaux, nous avons connu un déclin assez brutal après la Seconde Guerre mondiale et ensuite après la chute du mur de Berlin. À un moment donné il y a eu un débat sur l'efficacité et l'utilité du CST, mais le 11 septembre a mis fin à tout cela. Ces chiffres ont été utilisés. La prépondérance du renseignement maintenant, certainement en Iraq, provient du renseignement électromagnétique, le travail que nous faisons, car il est tellement difficile de pénétrer l'adversaire avec des agents humains. Du coût, les gens se passionnent et cela nous a aidés dans nos efforts de recrutement et de maintien du personnel. Notre taux de rotation normal est presque nul — moins de 4 p. 100 — si l'on fait abstraction des départs à la retraite. Cela a fait une énorme différence.

Le sénateur Zimmer : Il est regrettable qu'il ait fallu cela pour en arriver là. C'est comme avec l'environnement, lorsque les gens réalisent ce qui pourrait arriver, cela se répercute sur tout ce qu'ils font. Les gens prennent conscience que c'est une réalité possible.

Le président : Merci, monsieur Adams. Votre témoignage nous a été très utile. Nous vous sommes reconnaissants ainsi qu'à vos collègues d'avoir pris le temps de vous préparer et de venir nous rencontrer. Nous espérons faire appel à vous de nouveau.

Collègues, nous entendons maintenant Mme Bev Busson, commissaire de la Gendarmerie royale du Canada. Mme Busson est entrée à la GRC en 1974. Elle a occupé divers postes opérationnels de première ligne, notamment enquête sur les fraudes, lutte antidrogue et enquête sur les crimes graves en Colombie-Britannique. Elle a été promue inspectrice en 1992 et a servi à North Battleford, en Saskatchewan, avant de retourner en Colombie-Britannique. En 1996, elle a été promue surintendante et, l'année suivante, promue surintendante principale responsable de la Police criminelle pour la Saskatchewan.

En 1998, elle accède au rang de commissaire adjointe à titre de commandante sous-divisionnaire de la Saskatchewan. En 1999, elle quitte la Gendarmerie pour diriger l'Organized Crime Agency de la Colombie- Britannique. Elle rejoint les rangs de la GRC en 2000 comme commandante sous-divisionnaire de la Colombie- Britannique, et, en 2001, elle devient sous-commissaire pour la Région du Pacifique, tout en conservant ses fonctions de commandante sous-divisionnaire de la Colombie-Britannique.

Elle est nommée vingt-et-unième commissaire de la GRC le 16 décembre 2006.

La commissaire Busson est accompagnée aujourd'hui de M. Mike McDonell, commissaire adjoint, Enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale, et de M. Raf Souccar, commissaire adjoint, Opérations fédérales et internationales.

Bev Busson, commissaire, Gendarmerie royale du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président et membres du comité, de nous avoir invités à comparaître.

Je suis ici aujourd'hui pour expliquer certains éléments de base afin, je l'espère, de clarifier la place de la GRC dans le monde du renseignement au Canada, et son rôle en matière de sécurité nationale.

La GRC recueille des renseignements de nature criminelle — des renseignements sur des criminels, sur des organisations criminelles et sur des activités criminelles — qui déterminent la nature et les modalités de notre action visant à prévenir et détecter les crimes. Nous ne recueillons pas des renseignements de sécurité intéressant les menaces à la sécurité du Canada. Cela ne fait pas partie de notre mandat sur le plan de la sécurité nationale. C'est plutôt là le rôle du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS. Nous ne recueillons pas des renseignements à l'étranger sur les plans, les intentions et les activités de ressortissants, de gouvernements et autres organes étrangers.

Nous sommes responsables des enquêtes criminelles liées à la sécurité nationale. Cela a toujours été l'une de nos fonctions principales et demeure un rôle très important. Nous nous sommes adaptés à l'environnement actuel de sécurité nationale. Nous avons séparé notre Direction des renseignements criminels et notre Groupe des enquêtes criminelles sur la sécurité nationale afin que les deux secteurs reçoivent toute l'attention nécessaire.

Nous avons des relations de travail étroites avec le SCRS. Nous nous échangeons les renseignements criminels et les renseignements de sécurité afin de prendre les mesures voulues à l'égard des renseignements que le service recueille et qui peuvent comporter une dimension criminelle nécessitant la collecte de preuves, l'arrestation des responsables et l'ouverture de poursuites. Cette relation et cette collaboration n'ont jamais été aussi bonnes grâce à un nouveau protocole d'entente et à la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme qui reconnaît nos rôles distincts mais complémentaires.

Par ailleurs, tout organisme canadien qui recueille des renseignements étrangers peut communiquer ceux concernant l'activité criminelle à la GRC pour complément d'enquête. C'est ainsi que nous travaillons avec nos partenaires pour lutter contre les activités criminelles qui menacent notre sécurité nationale. En qualité de police nationale du Canada, notre structure facilite l'échange de renseignements car nous œuvrons aux échelons municipal, provincial, fédéral et international.

D'aucuns se demandent si le mandat de la GRC n'est pas trop vaste et voudraient que la GRC soit exclusivement un service de police fédéral, comme le FBI. Notre modèle de service de police intégré est le mieux à même de répondre aux besoins du pays. Nos responsabilités fédérales couvrent tout le Canada et dans le cadre de ses services contractuels, la GRC couvre 73 p. 100 du territoire et 20 p. 100 de la population du Canada. Nous sommes aussi la force de police nationale pour la totalité des Canadiens. Nous assurons la police dans huit provinces, les trois territoires et dans de nombreuses municipalités qui choisissent la GRC comme leur service de police.

Nous sommes convaincus de la valeur de notre modèle de police intégrée et de ce qu'il apporte aux collectivités. Il fonctionne bien parce que les compétences qui sont nécessaires au travail complexe de lutte contre le crime organisé et de sécurité nationale, compétences déployées dans nos ports, nos aéroports et postes frontaliers, sont développées et perfectionnées dans le cadre des services de police à contrat. Leur diplôme en poche, tous les cadets de la GRC passent quelques années à servir les Canadiens directement dans leur localité. Tous les enquêteurs fédéraux ont commencé leur carrière en première ligne. Nous devons pouvoir déplacer rapidement, efficacement et économiquement des agents bien formés, afin de les déployer là et quand nous en avons besoin. La GRC l'a fait à maintes et maintes reprises pour répondre aux catastrophes et crises telles que le 11 septembre, les inondations, les feux de forêt et les grèves.

Si la GRC était uniquement une police fédérale, elle n'aurait pas les compétences ni les effectifs pour assurer la sécurité des Canadiens en situation de crise. Les services de police à contrat fonctionnent parce que nous avons 11 000 policiers pleinement formés qui peuvent facilement s'adapter n'importe où dans le pays.

C'est également la raison pour laquelle la GRC trouve dans ses propres rangs les leaders pour diriger cette organisation remarquable. Ce point est important car tous les services de police sont confrontés au départ à la retraite de la génération du baby-boom. La GRC embauche et cherche des moyens novateurs de retenir ceux qui songent à la retraite. L'an dernier, plus de 1 500 cadets sont sortis de la Division dépôt de Regina, le nombre le plus élevé de l'histoire de la GRC. Nous continuons d'avoir besoin d'une nouvelle génération de policiers bien entraînés et avons adopté un programme dynamique de recrutement et de formation.

Tous les Canadiens méritent un service de police de haut niveau, où qu'ils habitent. Nous travaillons tous les jours avec de nombreux partenaires pour fournir ce service. La portée mondiale et la complexité de la criminalité d'aujourd'hui nous obligent à reconnaître que les criminels ne respectent pas les frontières. Notre rôle aux plans fédéral et international nous permet de nouer des partenariats avec une multitude d'organismes partout dans le monde afin de prévenir et de détecter la criminalité avant même qu'elle n'atteigne nos frontières.

Nous devons collaborer avec nos partenaires des services de police et de sécurité et d'application de la loi à l'échelle locale partout dans le monde. Cela dit, nous sommes tout aussi déterminés que vous à travailler avec nos partenaires selon une approche intégrée et homogène afin d'assurer la sécurité de notre pays.

Je tiens à dire aux membres du comité que la GRC ne prend pas à la légère la confiance des Canadiens. Le grand public se pose en permanence trois questions lorsqu'il est en contact avec la police : Suis-je en sécurité? Savez-vous ce que vous faites? Puis-je vous faire confiance? Ces questions, les Canadiens qui ont de plus en plus peur de la criminalité, alors même que la fréquence de certains crimes est en baisse, ne sont pas seuls à se les poser. Ces trois questions sont également à l'esprit de nos partenaires, de nos clients et de nos employés.

Les services de police de tout le Canada jouissent de niveaux de confiance du public entre 65 et 80 p. 100, parmi les plus élevés de toutes les professions. Le travail effectué par nos employés aujourd'hui bénéficie de la confiance que les Canadiens portent à la GRC et y contribue en retour. Mais la confiance ne doit jamais être tenue pour acquise car elle constitue un bien précieux qui se mérite.

Je serais ravie de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

Le sénateur Atkins : Eh bien, c'est un plaisir d'être le premier à poser des questions à la commissaire. Cela a été un plaisir pour moi que d'être assis à vos côtés aux cérémonies de Vimy, une merveilleuse journée. Je vous souhaite la bienvenue ici.

Depuis votre nomination au poste de commissaire, quels sont les grands messages que le ministre de la Sécurité publique vous a communiqués, pour ce qui est de l'exécution de votre mandat?

Mme Busson : Lorsque je suis devenue commissaire de la GRC, j'ai rencontré le ministre. Nous avons parlé de la nécessité d'un leadership fort dans la police du pays à cause des problèmes qui confrontent le Canada et le monde sur le plan de la criminalité et de la lutte à mener contre la criminalité organisée et le terrorisme mondial.

Le sénateur Atkins : Vous a-t-il demandé de modifier en quoi que ce soit vos priorités?

Mme Busson : Non.

Le sénateur Atkins : Quels sont les principaux défis auxquels la GRC fait face aujourd'hui et de quelle manière les relève-t-elle?

Mme Busson : Le plus gros enjeu est la capacité. J'ai relevé dans mes conversations sur toutes sortes de sujets avec des personnes à différents niveaux de différents ministères que certains semblent penser qu'il faudrait revoir la conception de la GRC au Canada, de la cantonner davantage dans un rôle fédéral. L'une des plus grosses gageures pour la GRC à l'avenir sera de démontrer la beauté de la conception canadienne, avec une GRC présente aux niveaux municipal, provincial, fédéral et international, avec tous les atouts concrets que cela apporte aux Canadiens.

À l'heure actuelle, la principale difficulté est le maintien de la capacité. Nous sommes en concurrence avec d'autres services de police et organismes pour attirer les meilleurs parmi les jeunes Canadiens. Nous avons une stratégie de recrutement robuste et dynamique, mais d'autres que nous viennent aussi courtiser les mêmes jeunes gens.

Nous renforçons l'infrastructure de la Division dépôt à Regina afin de dispenser la meilleure formation possible aux jeunes recrues qui vont assurer la relève.

Le sénateur Atkins : Quelle sorte de liste de candidats avez-vous? Quels sont les chiffres?

Mme Busson : Nous nous en tirons bien. On nous dit que le ratio des demandeurs par rapport aux candidats retenus se situe entre huit pour un et dix pour un. Cela donne beaucoup de travail à nos recruteurs, mais nous recevons un grand nombre de demandes, comme auparavant. Les ratios sont un peu en baisse et je crois que c'est dû au fait qu'il y a une augmentation des besoins d'effectifs, tant au niveau contractuel qu'au niveau fédéral. Les mandats et responsabilités se sont élargis. Nous avons certainement besoin du plus d'effectifs que dans le passé. Nous recevons toujours un bon nombre de demandes et nous sommes en mesure de constituer nos troupes.

Au cours des trois prochaines années, notre objectif est de former 72 troupes par an, ce qui correspond à environ 2 100 nouveaux agents de police déployés dans les rues chaque année.

Le sénateur Atkins : Pouvez-vous m'indiquer quel est le taux d'attrition?

Mme Busson : Le taux d'attrition tourne autour de 700 ces dernières années. Nous pensons que ce chiffre va augmenter. Il y a ce que l'on appelle une bulle et un serpent dans la société canadienne, avec la génération du baby- boom, et le même phénomène se manifeste dans la GRC. Il va y avoir une augmentation des taux de départ à la retraite pendant quelques années.

Le sénateur Atkins : Cela indique qu'il faudra une augmentation nette d'environ 1 600 agents.

Mme Busson : C'est entre 1 400 et 1 600, selon le taux d'attrition.

Le sénateur Atkins : Est-ce que Regina peut suffire à la tâche?

Mme Busson : Regina achète des lits de camp et accroît son infrastructure. Nous avons donné au commandant sous- divisionnaire là-bas le défi de former 2 100 jeunes membres et la Division dépôt a répondu qu'elle en est capable. Elle se prépare à ce rythme. Ce sera notre objectif pour 2008-2009.

Le sénateur Atkins : Quel sera selon vous le principal défi à relever par la GRC au cours des cinq à dix prochaines années?

Mme Busson : Le principal défi pour la GRC au cours de cette période sera de continuer à créer les partenariats et l'infrastructure qui faciliteront l'échange d'information et les intégrations coopératives pour la sécurité du pays.

Le sénateur Atkins : En quoi les quatre niveaux de police ont-ils influencé la pensée de la GRC par rapport à la police contractuelle? Est-elle toujours considérée comme aussi importante que dans le passé?

Mme Busson : Elle est plus importante que jamais du point de vue de l'efficacité et de l'efficience de la police. Les services contractuels sont non seulement un terrain de formation mais aussi un environnement où chaque agent apprend ce que c'est que d'être un policier et apprend les normes et les attentes qu'il lui faudra atteindre chaque jour. Porter l'uniforme et faire partie d'une communauté fait réellement comprendre à chaque agent le sens de cette mission. Dans un grand nombre, voire la plupart, des environnements de police contractuelle, l'on apprend à un très jeune âge comme être un leader, comment négocier la réussite, tant au bord de la route que dans les assemblées communautaires, et à avancer sur le chemin de la compétence professionnelle.

Du point de vue organisationnel, sachant que nous sommes une organisation tributaire du renseignement, la GRC bénéficie triplement du fait d'être un service de police à la fois municipal et provincial et fédéral. Lorsque j'étais responsable des enquêtes sur les crimes majeurs, de nombreuses affaires ont été résolues grâce aux renseignements recueillis lors des contrôles de la circulation d'un jeune agent ou de quelque autre acte insignifiant sur le moment. Le renseignement est souvent un réseau fait de pièces éparses, et le crime est résolu pas nécessairement par les grosses pièces mais plutôt par le fait d'avoir sous la main une multitude de petites pièces qui, une fois assemblées, vont dessiner un tableau d'ensemble de la situation.

Le sénateur Atkins : Vu l'importance de la sécurité nationale et du danger croissant que pose le terrorisme, est-ce que le maintien des services contractuels de la GRC ne détourne pas son attention de ces dangers croissants?

Mme Busson : C'est tout le contraire. Comme j'ai tenté de l'expliquer et comme je vais le répéter, les problèmes que posent les services contractuels tiennent strictement à la capacité. Au fil des ans, nous avons connu une concurrence entre les ressources pour la police contractuelle et les ressources pour la police fédérale parce que nous manquions d'effectifs des deux côtés. Au cours des trois prochaines années, avec notre programme ambitieux de recrutement et de formation, nous n'aurons aucun poste vacant. La conception va s'avérer être efficiente et efficace.

Le sénateur Atkins : Dites-nous, aux fins du procès-verbal, combien de provinces sont desservies par contrat?

Mme Busson : Nous avons huit provinces et les trois territoires.

Le sénateur Atkins : Le travail de police est quelque chose de bien particulier.

Mme Busson : C'est vrai.

Le sénateur Atkins : Pourriez-vous décrire la culture d'organisations telles que la GRC?

Mme Busson : La culture de la GRC est enracinée dans une longue et fière tradition de présence dans la société, en combinant la participation sociale et la création d'un environnement sûr. La GRC représente un modèle qui ne se limite pas à l'application de la loi, ce que d'aucuns considèrent comme étant le seul rôle de la police. Un agent de la GRC va plus loin en sa capacité d'agent de la paix, d'élément positif des collectivités et de contributeur positif à toute la culture canadienne. Nous avons la chance d'être partie intégrante de la culture canadienne et la culture de la GRC reflète ce fait.

Le sénateur Atkins : Si vous deviez choisir votre propre successeur, chercheriez-vous dans les rangs de la GRC ou bien en dehors?

Mme Busson : Je chercherais certainement à l'intérieur car, pour diverses raisons, la GRC possède les leaders voulus pour conduire la Gendarmerie jusqu'au niveau suivant. Nous avons d'étonnants jeunes dirigeants dans la GRC, qui sont issus des rangs, qui connaissent le travail, qui savent ce que c'est que de sortir d'une voiture de patrouille au milieu de la nuit et qui sait ce qu'il faut pour donner le courage à la génération suivante de faire la même chose afin de soutenir les Canadiens et poursuivre cette tradition. Cela fait partie de la culture canadienne. Certes, il faut aussi d'énormes compétences en sus du talent de leader, et nous les avons aussi.

Le sénateur Atkins : Selon votre expérience, est-il possible de se former à cette fonction?

Mme Busson : Chaque jeune agent qui entre à la GRC se forme à cette fonction dès le premier jour. Nous travaillons plus précisément dans des petites localités mais, de façon générale, lorsque vous endossez l'uniforme et vous présentez sur les lieux d'un accident de voiture ou sur une scène de violence familiale, vous faites de la résolution de problèmes et vous projetez l'image de la Gendarmerie à l'extérieur. Les agents se forment à la fonction, en quelque sorte, dès le premier jour. Ceux qui aspirent à ce niveau de responsabilité ne le perdent certainement pas de vue. La plupart des membres de la GRC sont à ce niveau de leadership tout simplement parce qu'il est inhérent au travail que nous faisons.

Le sénateur Atkins : Qu'est-ce qui vous a le plus surpris lorsque vous avez assumé votre fonction actuelle de commissaire?

Mme Busson : Je n'y ai pas réfléchi. Lorsque je me déplace dans le pays et que je rencontre les jeunes agents qui me parlent du travail qu'ils font, je vois qu'ils ont besoin de savoir que je comprends et que je vais les aider à faire de leur mieux et à être les meilleurs qu'ils puissent être. Lorsqu'ils réalisent que je sors des rangs et que je connais bien les opérations, ils m'accordent leur soutien automatique pour exercer ce leadership. Le leadership est une rue à double sens.

Le président : Commissaire, pourriez-vous nous expliquer, du point de vue administratif, en quoi les services contractuels vous donnent de la flexibilité sur le plan de la gestion de vos ressources?

Mme Busson : Certainement. Chacun des contrats avec les provinces prévoit la possibilité pour la GRC de puiser au moins 10 p. 100 des effectifs de toute autre province pour répondre aux situations d'urgence. Cela peut être fait automatiquement. Étant donné les relations avec les provinces, j'ai pu constater personnellement que c'est presque automatique lorsqu'une situation de crise surgit quelque part.

La GRC est capable de déplacer à très court préavis des effectifs d'une province à l'autre lorsqu'il se produit une situation d'urgence, tel qu'un incendie de forêt, une grève, un carambolage sur les routes, un déraillement ferroviaire ou quelque autre incident sérieux.

Le président : Si, par exemple, nous parlons d'un problème en Saskatchewan et que l'on détache des gendarmes du Manitoba pour porter assistance, est-ce que quelqu'un en Saskatchewan se rend compte de la différence?

Mme Busson : Certainement, il faut trouver le juste équilibre. Selon la perspective de la Saskatchewan, les uniformes sont les mêmes et le public est habitué à cette image et a l'impression que tout se passe pour le mieux. La confiance du public dans ces situations de crise fait partie du tableau d'ensemble de la prestation de services.

Le président : Comme cela se passe-t-il dans le cas du Québec et de l'Ontario qui ont leur propre police provinciale?

Mme Busson : Comment cela se passe chez eux?

Le président : Par exemple, si l'une des deux provinces a besoin d'effectifs supplémentaires, comment cela se passe-t- il? Existe-t-il un programme comparable dans le cadre duquel l'Ontario aurait signé un accord pour envoyer sa police provinciale en situation de crise?

Mme Busson : C'est beaucoup moins automatique. Les demandes doivent passer de gouvernement à gouvernement et de ministre à ministre. Ces demandes peuvent se heurter à quelques délais administratifs.

Le président : Est-ce que les citoyens de la province voisine remarquent et reconnaissent l'uniforme différent?

Mme Busson : Je pense qu'ils remarqueraient la différence d'uniforme, absolument.

Le sénateur Zimmer : Je me trouve être la deuxième personne à pouvoir vous féliciter, madame Busson. J'ai une affinité avec vous car j'ai grandi en Saskatchewan. J'ai fréquenté l'Université de Saskatoon et je connais très bien North Battleford.

J'aimerais poser quelques questions concernant la sécurité et les frontières, puis parler de vos ressources, et terminer par une activité ou un événement sur lequel vous travaillez.

Outre les équipes intégrées de la police des frontières, que fait la GRC pour assurer la sécurité entre les postes frontaliers? Je me reporte au témoignage du 2 octobre 2006 où M. Souccar a déclaré : « Nous savons que la plupart des interceptions se font aux points d'entrée, mais peut-être davantage de choses passent-elles à notre insu entre les points d'entrée ».

Mme Busson : Nous faisons plusieurs choses. Cela ne suffit jamais et les conditions à nos frontières varient, mais notre responsabilité persiste.

Nous travaillons très fort avec des gens qui vivent et travaillent le long des frontières pour maintenir la plus grande vigilance et établir un genre de relations tel que les gens sachent quoi chercher et soient nos yeux et nos oreilles à certains passages frontaliers sans personnel.

Depuis peu nous travaillons aussi avec le service frontalier américain. Il a mis en place une surveillance technologique très robuste entre les postes frontières et nous sommes très intéressés par le matériel déployé pour surveiller la frontière sans avoir des effectifs épaule contre épaule pour couvrir la distance entres les postes frontaliers.

Le sénateur Zimmer : Le gouvernement s'est lancé dans un programme décennal d'armement des agents de sécurité frontalière canadiens. Dans l'intervalle, quelles propositions précises a faites la GRC pour assurer une présence armée aux principaux postes frontaliers et réduire les délais d'intervention d'urgence à la frontière?

Mme Busson : Je vais demander à M. Souccar de compléter ma réponse. Dans les régions du pays où nous sommes la première force de police, nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts à la formation pour assurer que les agents dans ces régions soient pleinement conscients de l'impératif d'une réaction immédiate aux demandes d'assistance émanant de l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, lorsqu'elle s'attend ou entre en possession de renseignements indiquant qu'une intervention armée sera nécessaire. Dans les régions où nous ne sommes pas la première force de police, nous travaillons avec la police locale pour lui donner notre appui en cas de besoin.

M. Souccar : Vous avez fait le tour. Nous avons une relation de travail étroite avec l'ASFC. Ces agents font partie de nos équipes intégrées de police frontalière, ainsi que des unités des produits de la criminalité — nos Groupes spéciaux interpolices — et nous avons donc une relation de travail étroite avec l'Agence.

Nous avons parlé de l'armement des gardes frontières. Nous contribuons à l'entraînement de ces agents. Je crois que d'ici juillet de cette année, le premier groupe aura achevé la formation au tir que nous fournissons.

Comme la commissaire Busson l'a indiqué, le délai de réponse dépend de la gravité de la situation et du niveau de danger relatif associé à l'intervention, étant donné que nous avons d'autres priorités à l'intérieur. Entre les points de passage, nous avons renforcé nos programmes de sensibilisation de telle façon que le public collabore aussi avec nous en signalant les activités suspectes entre les points d'entrée. Nous nous efforçons d'éduquer et de sensibiliser le public afin qu'il puisse nous aider aussi.

Le sénateur Zimmer : S'agit-il d'assurer que le public sache repérer les activités suspectes?

M. Souccar : Exactement.

Le sénateur Zimmer : Le comité a recommandé que la GRC soit la première force de police responsable de la sécurité dans les aéroports canadiens. Quel rôle voyez-vous la GRC jouer à l'égard de la sécurité aéroportuaire?

Mme Busson : Étant donné notre mission relativement au volet pénal de la criminalité organisée et de la sécurité nationale, la GRC a un rôle important à jouer dans les deux environnements. Plus particulièrement, il y a un volet énorme concernant le crime organisé dans les ports et un volet énorme relatif à la sécurité nationale.

Les aéroports sont un environnement très similaire. Il y a un recoupement entre la lutte contre le crime organisé et la sécurité nationale. Dans certains cas, ce n'est qu'une fois que l'enquête est déjà bien avancée que l'on sait exactement à quoi l'on a affaire.

L'ASFC et tous nos organismes partenaires collaborent étroitement sur le plan de la sécurité. Il est rare qu'une affaire relève entièrement du mandat d'un seul organisme; souvent deux organismes sont mis en jeu. Le premier rôle peut appartenir soit à l'ASFC soit à la police. Au fur et à mesure que nous devenons plus robustes dans ces domaines, nous allons devoir veiller à préciser les mandats respectifs pour éviter les chevauchements et les doubles emplois et ne pas engendrer la confusion.

Le sénateur Zimmer : Étant donné le rôle passé de la GRC dans les aéroports, est-ce que ce serait un problème pour la GRC que d'assumer de nouveaux ces responsabilités?

Mme Busson : Voulez-vous dire sur le plan de la capacité?

Le sénateur Zimmer : Oui, et aussi des responsabilités — de la juridiction.

Mme Busson : Sur le plan juridictionnel, cela devient compliqué lorsque nous ne sommes pas le service de police de première juridiction dans la région de l'aéroport. Il se pose un problème juridictionnel dans ces endroits, selon la nature du crime concerné et la manière dont ces choses sont traitées en droit constitutionnel canadien. De façon générale, ces questions pourraient faire l'objet de négociations et se régler ainsi.

L'autre problème est celui de la capacité. Lorsque le mandat d'un organisme est élargi, celui-ci doit adapter ses stratégies et veiller à se doter de la capacité de répondre à ce nouveau défi.

Le sénateur Zimmer : Vous avez mentionné les ressources. Si vous assumiez de nouveau ces responsabilités dans les aéroports, pensez-vous que vous auriez des ressources suffisantes pour accomplir ces objectifs?

Mme Busson : Il nous faudrait une augmentation des ressources pour accomplir ces objectifs. Ils exigent une main- d'œuvre considérable et des compétences et une expérience bien particulières.

Le sénateur Zimmer : Il n'y a que 24 agents de la GRC affectés au 19 ports canadiens qui constituent le réseau portuaire national. Quel rôle voyez-vous la GRC jouer à l'égard de la sécurité des grands ports maritimes?

Mme Busson : J'espère que le mandat de la GRC — en conjoncture et en partenariat avec les autres forces de police — sera élargi au point que nous puissions tous collaborer et construire une structure intégrant ce que la police de première juridiction apporte à la table et ce que nous, comme service de police national, apportons à la table. Dans certains des grands ports — en Colombie-Britannique, par exemple, où nous sommes également la police provinciale — nous pouvons mettre à profit ce savoir-faire pour assurer d'avoir un système robuste et intégré, tant sur le plan de la sécurité que sur le plan de la lutte contre la criminalité organisée.

Le sénateur Zimmer : J'aimerais aborder un sujet différent, un domaine où vous travaillez côte à côte avec le Service canadien du renseignement de sécurité. Ce dernier a un rôle spécifique sur le plan de la sécurité et vous avez un rôle de police, si je saisis bien. Est-ce que vous prévoyez des changements à l'envergure de la mission de la GRC en Afghanistan? Prévoyez-vous des modifications de vos responsabilités sur le plan du travail de police et de formation que vous effectuez là-bas?

Mme Busson : Nous avons là-bas 12 agents de police maintenant et nous allons porter ce chiffre à environ 25 au cours des deux prochaines années pour contribuer à former des agents de police afghans et leur apprendre à traiter leurs citoyens de façon plus démocratique et offrir un service de police plus professionnel à la démocratie pour laquelle combattent les Afghans.

Le sénateur Zimmer : J'ai une note ici disant que le gouvernement du Canada a fourni jusqu'à 60 formateurs canadiens de policiers, en sus du contingent actuel de six.

Le président : C'était notre recommandation. À ce sujet, commissaire, comment enseignez-vous l'intégrité? La police nationale afghane est notoirement corrompue. L'une des raisons principales en est qu'elle semble ne pas être payée. Si vous ne payez pas les policiers, ils vont probablement prendre ce dont ils ont besoin. Je peux certes comprendre comment on enseigne à quelqu'un les méthodes d'enquête, comment on enseigne le tir et comment manier sans danger une arme à feu. Je peux voir comment on forme quelqu'un à rédiger correctement un rapport. Comment faire face à la corruption lorsqu'elle est systémique et comment les Afghans pourront-ils surmonter ce problème?

Mme Busson : C'est un défi incroyable lorsqu'on est confronté à une autre culture et que l'on cherche à distiller l'intégrité dans un système qui en est notoirement démuni depuis longtemps. Cependant, il faut bien commencer quelque part. Nos agents de police expliquent chaque jour comment nous abordons le travail de police et comment nous interagissons avec le public. Ce sera un effort de longue haleine. Nous espérons montrer la voie aux jeunes recrues afin d'étouffer dans l'œuf cette mentalité, en tout cas du point de vue professionnel. Je sais que ce n'est pas une tâche facile et d'après ce que me disent ceux qui ont travaillé là-bas, c'est un énorme défi.

Le président : Pourriez-vous nous décrire les produits. Que produisent les 12 agents là-bas dans le courant d'une année? Qu'en retirons-nous? Quel est le produit de la présence de ces 12 personnes? Si ce chiffre était porté à 25, quel changement résulterait de la présence de ces 25 agents en Afghanistan?

M. Souccar : Si vous le permettez, je pourrais peut-être ajouter un complément de réponse à la question précédente, sénateur. La corruption et l'avidité peuvent varier, et parfois la corruption obéit à l'appât du gain, comme c'est le cas en Occident, et parfois la corruption répond à un besoin élémentaire. Je me souviens de la campagne d'éradication dans la jungle de Colombie et du mitrailleur servant la mitrailleuse de calibre 50 derrière moi, dans l'hélicoptère, qui m'a désigné sa maison alors que nous décollions de l'aéroport de la brigade antidrogue à 4 heures et demie du matin, et je pouvais littéralement voir l'intérieur de sa maison parce qu'elle n'avait pas de toit; elle n'était que partiellement couverte. Parfois la corruption sert à satisfaire des besoins élémentaires, tels que la nourriture et un abri pour la famille, et les besoins élémentaires pourraient être satisfaits par une augmentation de salaire. L'autre élément consiste à créer un environnement de sécurité et de confiance, où ils peuvent travailler sans être intimidés ou contraints de participer à la corruption qui existe dans certains pays. Tout cela doit aller de pair si l'on veut se débarrasser de la corruption.

Pour ce qui est de l'action de nos agents en Afghanistan dans le courant d'une année, ils font partie de l'Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar, l'EPR. Ils s'occupent de la formation de la police nationale afghane. C'est une formation très élémentaire : perquisitions, saisies, techniques de menottage, fouilles de véhicule, travail de police de base. Nous essayons de sortir du camp de Kandahar pour nous rendre dans les villages avec la police nationale afghane afin de parfaire son entraînement jusqu'à un point où elle peut fonctionner de manière efficace.

Le président : Nous avons visité l'EPR en Afghanistan. Nous avons parlé avec vos gens là-bas. Nous sommes repartis avec l'impression que c'est un nombre incroyablement faible de gens pour accomplir un travail aussi massif. Nous comprenons les techniques qui sont enseignées. Nous avions beaucoup de mal à comprendre comment, en fin de compte, nos agents là-bas pourraient modifier la mentalité, en quelque sorte, et amener la police locale à agir de manière impartiale, de telle façon que peu importe la tribu à laquelle vous appartenez, la police appliquera la loi d'une manière conforme à nos habitudes ou, peut-être plus important encore, d'une manière que les Afghans pourront considérer équitable et raisonnable. La police afghane semble être incroyablement impopulaire et on peut comprendre pourquoi, vu la façon dont elle se comporte. Quel programme ou quelle formation nos agents peuvent-ils donner pour contrebalancer cela?

M. Souccar : Ce n'est pas du tout un travail facile et l'environnement le rend encore plus difficile. Il existe un centre de formation, un bâtiment qui a été construit et qui est à peu près terminé. Cela nous permettra au moins d'accueillir ces policiers et de les garder pendant quelques temps pour les former dans de bonnes conditions de sécurité.

Le président : Existe-t-il des techniques que vous utilisez à la Division dépôt que vous pourriez employer dans cette école?

M. Souccar : Oui, absolument. Certaines méthodes sont similaires. Elles sont appliquées dans un milieu différent, mais certaines sont des techniques policières de base.

Le président : J'entends du point de vue du caractère, de la culture, de l'honnêteté et de l'intégrité.

M. Souccar : Je ne pense pas que cela provienne de la formation que nos agents dispensent en Afghanistan. Cela s'inscrit dans une problématique du milieu beaucoup plus large, comme je l'ai dit, qui met en jeu la sécurité de l'environnement, peut-être des augmentations de salaire, et cetera.

Mme Busson : Si je puis ajouter un mot, je sais, d'après certains des breffages que j'ai eus, que la police canadienne jouit d'un assez grand respect et d'une bonne visibilité auprès des membres de l'ERP. Je crois que cela est retransmis à certaines des jeunes recrues qui suivent la formation. Ils admirent les Canadiens de façon générale et leur portent un certain respect. Nous sommes pour eux un exemple dans leur cheminement vers la démocratie.

Le sénateur Zimmer : Pour aborder un autre sujet, en rapport avec vos ressources et votre activité, le National Post a récemment écrit que l'enquête de la GRC sur le World Tamil Movement sera prolongée d'une autre année. Pourquoi cela est-il nécessaire? Est-ce parce que vous n'avez pas les ressources voulues pour contribuer à cette enquête, ou bien existe-t-il d'autres enquêtes complexes qui prennent plus de temps que nécessaire à cause du manque de ressources, du manque d'enquêteurs formés, par exemple? Pourquoi ce prolongement est-il nécessaire?

Mme Busson : Je crois savoir que cette enquête porte sur une affaire de financement, et ce genre d'enquête finit souvent par prendre plus de temps qu'on ne le pensait au départ. Surtout dans le cas d'enquêtes internationales de cette nature, nous devons traiter avec des agents et des organismes qui échappent à notre contrôle pour les mener à bien.

Mike McDonell, commissaire adjoint, Enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale, Gendarmerie royale du Canada : La commissaire l'a évoqué et je peux vous parler de ces enquêtes en général plutôt que de cette enquête particulière qui est toujours en cours. Ces enquêtes exigent beaucoup de ressources et sont rendues encore plus complexes par les connaissances linguistiques requises pour faire le travail et pour la collaboration avec nos partenaires étrangers qui suivent la piste. Le fait que l'argent était au Canada et est sorti du Canada ne constitue qu'une facette de l'enquête. Ce sont des enquêtes longues et complexes qui mettent en jeu des partenaires étrangers, comme c'est le cas de la plupart des enquêtes sur le terrorisme. La langue est une autre difficulté.

Le président : Le problème est-il un manque d'effectifs ou est-il simplement dû au fait que d'autres organisations tardent à vous répondre?

M. McDonell : Les deux. Avoir des effectifs est une chose, encore faut-il avoir les bons agents, ceux qui possèdent les connaissances linguistiques. Ensuite, il y a tout le travail de base à accomplir pour maintenir l'intégrité de nos enquêtes et de la Gendarmerie royale du Canada.

Le sénateur Zimmer : Parlons maintenant d'une activité concrète. Le SCRS surveille depuis quelque temps les activités du World Tamil Movement. En quoi les rôles et les responsabilités respectifs du SCRS et de la GRC diffèrent- ils en ce qui concerne cette enquête? Il y a deux domaines de responsabilité.

Mme Busson : La fonction du SCRS en vertu de son mandat de sécurité nationale consiste à recueillir des renseignements lorsqu'il y a une possibilité d'activité criminelle se répercutant sur les Canadiens. Nous avons en place une structure robuste telle que nous nous réunissons chaque mois pour passer en revue nos deux missions respectives et les enquêtes en cours au titre de chacune, pour voir les possibilités de dédoublement et les recoupements. Lorsqu'une activité semble devenir criminelle, nous prenons en main l'affaire et poursuivons l'enquête.

Le sénateur Zimmer : Subsiste-t-il des problèmes au niveau de l'échange de renseignements entre le SCRS et la GRC?

Mme Busson : Les problèmes qui peuvent subsister n'ont rien à voir avec la relation entre les deux organisations. Je pense que nous avons une relation saine sur le plan de la collaboration, de la compréhension et de la coordination de nos mandats respectifs.

Il subsiste des difficultés au point d'intersection entre ce qui relève du renseignement et ce qui relève de la preuve. La protection de l'information et des informateurs contre la divulgation dans un contexte pénal peut être très épineux pour le SCRS, qui doit pouvoir faire son travail de renseignement et protéger ses activités secrètes et ses sources.

Le sénateur Zimmer : Trouvez-vous que le service vous transmet régulièrement les renseignements dont vous avez besoin pour vous acquitter de votre rôle et de vos responsabilités?

Mme Busson : Oui, absolument.

Le sénateur Zimmer : Ma question suivante porte sur le Centre intégré de l'évaluation des menaces, le CIEM. En quelle capacité la GRC intervient-elle au CIEM du point de vue de l'évaluation des menaces? Comment les évaluations du CIEM sont-elles communiquées aux services concernés à l'intérieur de vos organisations?

Mme Busson : Je crois que M. McDonell pourra vous donner une réponse plus complète à cette question technique.

M. McDonell : Nous avons du personnel détaché au Centre intégré de l'évaluation des menaces et celui-ci a accès à toutes nos bases de données. Ses agents ont un accès immédiat à tous nos renseignements et peuvent les contribuer à l'évaluation d'ensemble du CIEM. La réciproque est vraie en passant par le même canal. Les renseignements du centre sont acheminés à notre Centre national des opérations. Les rapports du CIEM sont transmis à la GRC dès qu'ils sont disponibles et nous les disséminons ensuite à l'interne.

Le sénateur Zimmer : Quel rôle jouent vos agents de liaison internationale dans les opérations du CIEM?

M. McDonell : Nos agents de liaison sont en rapport avec les services de police des pays dans lesquels ils sont affectés ou dont ils sont responsables, et nous transmettent les renseignements pertinents provenant de ces pays. Ces renseignements sont versés à nos banques de données et deviennent ainsi accessibles par les analystes du CIEM. S'il s'agit de renseignements nouveaux et importants pour une enquête spécifique, ils seront mis en exergue et feront l'objet d'une communication verbale.

Le sénateur Banks : Peut-être avez-vous lu certains des rapports précédents et des recommandations du comité. En ce qui concerne votre discussion avec le président au sujet de l'Afghanistan, notre comité a recommandé en février de cette année d'engager en Afghanistan des forces spéciales et des agents de renseignements de la GRC et d'utiliser leur savoir-faire dans un programme accéléré ciblant les barons de la drogue et leurs réseaux de distribution, afin d'étouffer le narcotrafic en provenance et à destination de l'Afghanistan. Que pensez-vous de cette idée?

Mme Busson : Nous savons que l'Afghanistan est un important pays source pour le trafic d'héroïne dans le monde. Une grande partie de l'héroïne qui se retrouve dans les rues de Montréal, d'Ottawa et de Vancouver provient d'Afghanistan. Une fois que nous serons dotés de la capacité d'exploiter correctement ces renseignements, nous serions certainement intéressés à ce que nos spécialistes de la lutte contre le trafic de drogue jouent un rôle plus robuste dans la répression à la source.

Le sénateur Banks : Est-ce en train?

M. Souccar : Nous en avons parlé, sénateur. Ce n'est pas imminent. Le Canada travaillait traditionnellement de l'intérieur à l'extérieur plutôt que dans la direction inverse. Nous commençons les enquêtes au Canada et suivons la piste jusque dans le pays source, en espérant que la personne responsable de l'exportation au Canada y sera arrêtée et poursuivie.

Le sénateur Banks : Il n'y a pas grand-chose à espérer de ce côté en Afghanistan, n'est-ce pas?

M. Souccar : Vu la situation là-bas, c'est plus difficile à faire que si la source se trouvait dans un pays non déchiré par la guerre. Il circule toutes sortes d'idées sur la façon dont on pourrait s'y prendre. On pourrait avoir des équipées éprouvées, comme certains pays en ont constitué dans diverses pays du monde, composées des meilleurs éléments de la police locale, qui subissent un test polygraphique pour s'assurer qu'ils ne jouent pas double jeu. Ils suivent un entraînement spécial et leur salaire est accru et ils travaillent pour le compte du pays étranger qui les a recrutés.

Le sénateur Banks : Ne serait-il pas efficace d'aller à la source du problème pour en réduire considérablement l'envergure? Vos gens savent faire cela. Il existe des gens en Afghanistan, pensons-nous, qui seraient prêts à aider pour cela. Ne serait-ce pas une bonne idée, prévenir plutôt que guérir?

Mme Busson : Cela devient un plus gros problème vis-à-vis de nos militaires et de la guerre en Afghanistan. Cela s'inscrit dans une stratégie plus large. Des renseignements indiquent que si l'on intensifie la lutte contre le narcotrafic en Afghanistan, cela pourrait avoir des effets négatifs sur le plan de notre action militaire et exposer nos troupes canadiennes à de plus grands dangers. À ce stade ce n'est pas réellement un problème de drogue, c'est un enjeu beaucoup plus vaste dans lequel nous ne jouons qu'un tout petit rôle.

Le sénateur Banks : Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec cela, mais je porte cette recommandation à votre attention.

Si vous avez lu certains de nos rapports, vous aurez vu que nous sommes grandement préoccupés par tout ce qui concerne la sécurité nationale et le renseignement : l'existence de silos et de domaines réservés, les difficultés de l'échange d'information, et cetera. Vous avez renforcé nos craintes à cet égard en disant, en réponse à la question sur les aéroports et les ports, que tout dépendait de ce que vous avez appelé les points d'intersection des compétences dans les ports et aéroports et quel est le service de police exerçant la responsabilité première.

Comment avez-vous réagi à nos recommandations relatives aux ports, aéroports, aux ports maritimes et aux frontières, où nous disions qu'il serait efficient et efficace pour le Canada d'avoir un seul service de police responsable de la sécurité dans tous ces endroits, et préconisons que ce service soit la GRC.

Mme Busson : Je pense que vous pourriez extrapoler la foi que je porte au service contractuel et à ce qu'il contribue à notre capacité d'assurer la police au Canada, mais puisque nous ne vivons pas dans un monde parfait, les relations que nous nouons avec les autres avec lesquels nous travaillons comblent cet écart, à mon avis.

Le sénateur Banks : Nous ne pensons pas que ce soit le cas. Notre comité a fait savoir très clairement que l'écart n'est pas comblé à ses yeux, que l'application de la loi dans chacun de ces domaines présente des déficiences et serait considérablement amélioré si une politique nationale dictait que le service de police de première juridiction dans les ports et les aéroports soit la GRC, laissant de côté la frontière terrestre.

Mme Busson : Du point de vue de la sécurité nationale, et étant le service de police national, je serais certainement en faveur de cela.

Le sénateur Banks : Cela exigerait davantage d'agents et de gendarmes.

Mme Busson : Peu importe qui fera le travail, il faudra davantage d'effectifs.

Le sénateur Banks : Parlant spécifiquement des menaces, j'aimerais vous demander quelques définitions. Je ne suis jamais parvenu à me faire une idée précise de certaines de ces définitions. Pourriez-vous décrire votre perception du contexte de sécurité au Canada et de la manière dont la GRC répond à cette menace? C'est relié à une question qui vous a été posée tout à l'heure concernant les défis qui confrontent la gendarmerie dans les années à venir. Quel est le contexte sécuritaire ici aujourd'hui?

Mme Busson : Si vous regardez ce qui s'est passé à Toronto l'an dernier, à ce stade il n'existe pas, croyons-nous, de groupe précis qui soit désireux ou en train d'édifier une telle conspiration au Canada. Cependant, nous sommes le seul pays sur la liste des cibles des talibans à ne pas avoir encore subi le genre d'attaques lancées contre nos partenaires. Le réseau de renseignements que nous possédons nous rappelle sans cesse l'impératif de la vigilance.

Il n'est pas facile, la plupart du temps, de se procurer les renseignements sur ces choses. Les réseaux dans ce domaine sont difficiles à construire. Les relations avec les autres services avec lesquels nous travaillons ne cessent de s'améliorer, mais nous n'avons pas la certitude de disposer d'un réseau de renseignement suffisant pour contrer ces menaces.

La menace est difficile à évaluer, mais nous pensons qu'à ce stade elle est faible à l'intérieur du Canada. Cela peut changer à tout moment, selon l'agressivité de certains groupes.

Le sénateur Banks : L'évaluation de la menace est-elle arbitraire?

Mme Busson : Elle peut évoluer. Elle peut être jugée élevée demain.

Le sénateur Banks : Qu'en est-il du contexte sécuritaire? Vous avez raison si vous tirez une ligne à une certaine date et dites que nous sommes le seul pays d'une liste donnée à ne pas avoir encore été frappé. Cependant, le Canada a été l'un des premiers pays du monde à subir une attaque terroriste, avec le vol Air India, en guise d'exemple. Il n'y a pas qu'une seule menace.

Mme Busson : C'est ce qui rend très difficile la conversation sur ce sujet. Il ne s'agit pas de se laisser aller à un faux sentiment de sécurité car il faut se montrer constamment vigilant et réaliser que vous n'avez pas forcément le doigt sur chaque pouls. Il suffit d'une personne qui parvient à se faufiler à travers un poste de contrôle pour commettre un attentat.

Mais à stade nous n'avons pas de renseignements qui fassent augmenter le volume, en quelque sorte, et nous fassent craindre une attaque imminente.

Le sénateur Banks : J'en viens à ma question sémantique. Nous avons posé cette question deux fois ce matin, sous une forme ou sous une autre, au Centre de la sécurité des télécommunications et au SCRS. Dans votre exposé, vous avez dit que la GRC ne recueille pas de renseignements de sécurité focalisant sur les menaces à la sécurité du Canada. C'est là le travail de quelqu'un d'autre. Vous ne recueillez pas non plus de renseignements à l'étranger. Vous dites que la GRC est responsable des enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale. Je comprends cela. Cependant, le terrorisme est par définition un acte criminel.

Mme Busson : Absolument.

Le sénateur Banks : Si vous êtes soucieux de protéger les Canadiens contre le terrorisme, de quelque nature ou de quelque source que ce soit — Timothy McVeigh était un terroriste et il était né en Amérique du Nord — comment pouvez-vous ne pas vouloir recueillir des renseignements de sécurité en rapport avec des agissements spécifiquement criminels?

Mme Busson : Nous recueillons des renseignements sur des agissements spécifiquement criminels.

Le sénateur Banks : Si quelqu'un va faire sauter quelqu'un, c'est criminel.

Mme Busson : Oui. Dès l'instant où nous savons qu'un agissement est de nature criminelle, nous devenons incroyablement intéressés. Le SCRS n'applique pas la loi. Son mandat se limite clairement à recueillir des renseignements. Lorsque ces renseignements deviennent une affaire pénale, nos agents détachés auprès du SCR sont alertés le plus rapidement possible. Lorsqu'un renseignement concerne une activité criminelle, nous sommes mis en jeu très rapidement.

Le sénateur Banks : Êtes-vous alerté aussi rapidement qu'il le faut?

Mme Busson : Oui, je crois, et cela va en s'améliorant sans cesse. Les agents respectivement détachés dans l'autre organisation sont très conscients du risque lorsque la communication se fait mal.

La difficulté pour ce qui est de la séparation de nos mandats est de stopper le dédoublement et ne pas considérer que l'autre s'occupe de la boutique, pour ainsi dire. Il faut délimiter de façon claire et concise les responsabilités et avoir le signal d'alarme à portée de la main.

Le sénateur Banks : Voici une question que poserait à la GRC un Canadien insomniaque qui a suivi tous les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui. Vous n'avez pas d'activités de renseignement relatives à la sécurité du Canada et vous n'avez pas d'activités de renseignement à l'étranger. Recherchez-vous des renseignements autres que ceux concernant expressément l'activité criminelle au sens normal du mot, tel que le vol?

Mme Busson : Je pourrais peut-être préciser le sens de mes remarques liminaires. Nous ne recueillons pas de renseignements qui concernent exclusivement la sécurité des Canadiens. Mais une fois qu'une activité devient criminelle, une fois que le renseignement tombe dans le domaine criminel, nous intervenons très rapidement. Ce n'était pas notre renseignement au départ, mais lorsque une activité devient une affaire criminelle, nous poursuivons le travail de renseignement. Nous avons des réseaux robustes pour assurer le volet criminel de ce travail.

Le sénateur Banks : Quelle partie d'une menace à la sécurité canadienne n'est-elle pas criminelle?

Mme Busson : Il peut s'agir d'activités d'espionnage à des fins autres que criminelles, de nature politique.

Le sénateur Banks : Cela n'est pas un crime?

Mme Busson : Ce n'est pas nécessairement criminel. Ces personnes sont expulsées avant d'être poursuivies. L'affaire ne va pas jusqu'au stade pénal.

Le sénateur Banks : Cependant, si elles mettent à exécution leurs intentions, ce serait un crime, n'est-ce pas, tel que conspiration ou trahison?

Mme Busson : Mon collègue pourrait peut-être répondre mieux que moi.

Le sénateur Banks : Je suis désolé de vous poser ces questions naïves. C'est juste que je ne comprends pas.

M. McDonell : Elles ne sont pas naïves. Il faut faire une distinction entre une information et le renseignement. Nous n'allons pas à l'étranger pour faire du renseignement ou en rassembler des informations par d'autres moyens. Nous exploitons l'information en rapport spécifiquement avec des actes criminels.

Si nos prenons un instantané de l'automne dernier, 28 p. 100 de notre travail à l'époque était généré par des contacts avec le public canadien qui nous signalait des choses dans les alentours qui exigeaient une enquête. Nos agents de liaison nous aident à interagir avec différents services de police et à faire circuler l'information criminelle autour du globe. Nous avons des relations très étroites avec des services de police, par exemple en Angleterre et aux États-Unis, et nous échangeons très facilement l'information de nature criminelle. Le même instantané révèle que 11 p. 100 de notre travail l'automne dernier était généré par l'interaction de nos agents de liaison avec d'autres services de police.

Le sénateur Banks : Entendez-vous des services de police étrangers?

M. McDonell : Oui, des services de police étrangers. La menace dont nous nous occupons est planétaire et nous avons de très bonnes relations avec nos partenaires dans le domaine de l'application du droit criminel. Nous nous échangeons avec beaucoup de facilité et de rapidité l'information de nature criminelle.

Le sénateur Zimmer : La distinction est ténue entre l'application de la loi et la sécurité nationale. Existe-t-il la possibilité que votre responsabilité à l'égard de l'application de la loi déborde sur les responsabilités du SCRS, vous amenant à commettre des délits criminels et à enfreindre des lois? Si oui, est-ce que cela éprouverait les relations entre les deux organisations?

Mme Busson : Demandez-vous s'il arrive que ce que nous faisons contrarie une enquête du SCRS?

Le sénateur Zimmer : Oui, contrevienne aux lois existantes.

Mme Busson : Je ne vois aucun cas où ce soit arrivé.

M. McDonell : Non. Le protocole d'entente actuel, qui a été signé en septembre dernier, reflète notre relation, au lieu que notre relation soit dictée par le protocole d'entente. Nous avons des réunions régulières avec le SCRS. Lorsque des enquêtes actives sont en train, nous sommes totalement transparents pour lui. La responsabilité du Service est d'informer le gouvernement du Canada et de nous fournir des renseignements. Je ne vois pas comment il pourrait le faire à moins d'être pour lui un livre ouvert et c'est ce que nous lui donnons. Nous avons un dialogue clair sur chaque enquête et c'est le Service qui nous donne nos priorités stratégiques, c'est-à-dire les domaines où nous devons renforcer nos activités l'année suivante.

Nous avons un dialogue constant avec lui. Le tableau est très clair à chaque niveau de nos mandats. Nous avons maintenant un contrôle centralisé, avec des gens qui veillent sans cesse à ce que nous n'empiétons pas sur le mandat du Service. Il est un service de renseignements très bon et efficace. Nous sommes un service de police très bon et efficace. Nous nous complétons l'un l'autre et assurons la sécurité des Canadiens, en reconnaissant nos mandats et en nous complétant l'un l'autre. Nous avons travaillé très fort pour construire cette relation.

Le sénateur Banks : Commissaire, d'autres pays, certains proches de nous, et même certaines juridictions canadiennes, ont formé des partenariats avec le secteur privé pour travailler sur le plan de la sécurité, du renseignement et de l'application de la loi. Cette question a été soulevée dans le pays la semaine dernière, comme vous ne l'ignorez certainement pas. En tant que commissaire de la GRC, quel est votre jugement professionnel à cet égard?

Mme Busson : Me demandez-vous si nous devrions le faire ou non?

Le sénateur Banks : Oui.

Mme Busson : Nous devons travailler en collaboration très étroite avec le secteur privé, particulièrement sur le plan de la protection de l'infrastructure, si c'est de cela dont vous parlez. Nous devons travailler en collaboration très étroite dans ce domaine. Nous devons collaborer avec les fournisseurs de l'énergie atomique et cette sorte de partenaires du secteur public. Nous devons travailler fort pour construire tous les partenariats nécessaires pour rendre cela robuste.

Le sénateur Banks : La possibilité a été évoquée d'avoir des services de sécurité armés, même aux frontières, fournis par des entreprises privées. Que pensez-vous de cela?

Mme Busson : L'une des centrales nucléaires de l'Ontario envisageait précisément ce genre de chose. Il faudrait examiner le protocole d'entente, mais s'il y a un ensemble précis et bien délimité de circonstances dans un lieu bien circonscrit, nous ne serions pas opposés à ce genre d'arrangement par principe.

Le sénateur Banks : Il s'agirait de la fourniture de services de sécurité privés par du personnel armé.

Mme Busson : Un peu comme les convoyeurs de fonds de Brink's sont armés et d'autres gardiens protégeant des éléments particuliers d'infrastructure.

Le sénateur Banks : Les convoyeurs de fonds de Brink's et la police ferroviaire. Y en a-t-il d'autres au Canada?

Mme Busson : Le réseau ferroviaire léger de Vancouver a des gardiens armés, tout comme certains métros au Canada.

Il faut être très prudent avec ce genre de choses, car il peut se poser des questions concernant la responsabilité de ces groupes privés agissant comme un service de police ou une agence de sécurité privée, et certains aspects peuvent mettre en jeu la Charte. Il existe différentes zones grises à examiner. Il est difficile de répondre par oui ou non sans connaître les paramètres et le mandat. Nous ne serions pas opposés par principe, avec les garde-fou voulus.

Le sénateur Atkins : Qu'en est-il de gardiens armés sur la colline du Parlement?

Mme Busson : À l'intérieur des bâtiments?

Le sénateur Atkins : Armer le personnel de sécurité du Sénat.

Mme Busson : Il faudrait examiner les besoins, les risques et les paramètres. Dans le cas du Sénat, il vous incomberait de faire la demande. Nous examinions à quoi cela pourrait ressembler selon une autre perspective. Je sais qu'il est de tradition de ne pas avoir des gens armés se promenant à l'intérieur du Sénat ou de la Chambre des communes.

Le sénateur Atkins : Votre prédécesseur a comparu devant le comité et s'est prononcé contre.

Mme Busson : Les temps changent et l'évaluation des menaces change. J'espère que nous ne sommes pas à un stade où cela devient nécessaire, mais il ne faut jamais dire « jamais » de nos jours. Nous sommes dans un environnement en évolution sur le plan des menaces et une position judicieuse un jour peut s'avérer un peu naïve le lendemain.

Le sénateur Atkins : Certains membres du personnel de sécurité de la Chambre des communes portent des armes. L'argument est que s'ils sont armés, nous devrions l'être aussi.

Le président : Sénateur Atkins, il faut avouer que la question a été longuement débattue par le Comité de la régie interne. Le Bureau de régie interne de la Chambre des communes a pris une décision et le Comité sénatorial de la régie interne, des budgets et de l'administration a pris une décision différente. Je ne pense pas que le commissaire soit la bonne personne à qui poser la question.

Le sénateur Atkins : Très bien.

Le sénateur Day : Sur la question plus générale, arrive-t-il jamais à la GRC de se prononcer, soit à titre consultatif soit à titre d'organe de décision, sur la possibilité d'une entreprise privée, d'un groupe ou d'une municipalité de porter des armes en public? Cela relève-t-il du gouvernement provincial?

Mme Busson : Je peut vous en parler d'expérience. Lorsqu'il a été question d'armer les gardes de sécurité du réseau ferroviaire léger de Vancouver, nous avons participé au mécanisme de concertation avec la province et les municipalités, puisque les lignes traversent plusieurs municipalités.

Le sénateur Banks : Les gardiens armés du réseau ferroviaire léger de Vancouver sont des agents de la paix.

Mme Busson : Ils le sont maintenant, Oui.

Le sénateur Banks : Ce n'est pas le cas des convoyeurs de fonds de la Brink's.

Mme Busson : Ils ne sont pas agents de la paix. Les agents de police du réseau ferré ne sont des agents de la force publique que dans le cadre précis où ils sont déployés. Si vous aviez des centrales nucléaires gardées par du personnel privé, il est possible que ces gardiens soient agents de la paix à l'intérieur de cette enceinte. Il existe différentes façons de structurer ces choses. Je ne dis pas qu'ils seraient comme les convoyeurs de fonds de la Brink's, mais ils auraient un ensemble très limité de pouvoirs d'agent de la force publique pour une fin précise.

Le sénateur Day : Est-ce que le gouvernement provincial a pouvoir d'autoriser du personnel de sécurité privé à porter des armes à feu?

Mme Busson : Je crois qu'ils ont un permis de la province dans certaines juridictions.

Le sénateur Day : Si le Nouveau-Brunswick estimait souhaitable d'avoir des gardiens privés pour garder une raffinerie ou la centrale nucléaire de Pointe Lepreau, est-ce que la province pourrait le décider seule sans que la GRC ait son mot à dire?

Mme Busson : Il faudrait que je vérifie pour cette province. Mes connaissances concernent la Colombie-Britannique, et je ne suis pas sûre pour ce qui est du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Day : Je pense que, de façon générale, le public canadien n'aime guère voir une prolifération d'armes portées par différents groupes. Nous avons beaucoup de respect et de confiance pour la GRC, mais lorsque d'autres groupes commencent à porter des armes, je pense que nous aimerions que la GRC supervise tout cela et ait son mot à dire.

Les armes sont-elles utilisées de façon appropriée? Me dites-vous que vous ne savez pas si vous avez un rôle de supervision?

Le président : C'est une question de juridiction provinciale, sénateur Day. Chaque province possède les pouvoirs pour faire cela.

Mme Busson : Je disais que chaque cas devrait être examiné individuellement en fonction de la menace, de la capacité et de l'aptitude. Dans le cadre de la concertation, les décisions seraient prises au cas par cas en fonction de l'évaluation de la menace. Au fur et à mesure que la réflexion avancerait, nous aurions beaucoup de choses à dire.

Le président : Commissaire Busson, j'aimerais revenir brièvement sur la question de la frontière, si je puis. L'Agence des services frontaliers du Canada a indiqué lors de sa comparution devant le comité qu'au cours d'une période de six mois récente, on a enregistré 300 passages en force de la frontière à différents postes frontaliers du pays.

Est-ce que nous effectuons des tests pour éprouver notre capacité à sécuriser la frontière entre les postes? Autrement dit, avez-vous chargé des agents de franchir intentionnellement la frontière pour voir si vous êtes capables de détecter le passage?

Mme Busson : Je ne suis pas sûre. Je sais que la frontière dans l'Okanagan fait l'objet d'essais spécifiques au poste frontalier d'Osoyoos. Je ne sais pas si cela s'inscrit dans un plan global à l'échelle nationale, mais on y a déployé pas mal de dispositifs et je sais qu'on teste les appareils.

Le président : Comment pouvez-vous déterminer l'efficacité de la sécurité frontalière si de temps à autre vous ne la mesurez pas et si vous ne vérifiez pas s'il est possible de franchir facilement la frontière sans être détecté? Voilà la question plus générale.

M. McDonell : Je peux parler des endroits où nous utilisons des détecteurs. Nous y effectuons des tests.

Le président : Si quelqu'un traverse à pied, une photo est-elle prise ou bien une alarme retentit-elle?

M. McDonell : Non. Nous savons si c'est une personne ou un renard. Il faut faire une mise au point. Ensuite on vérifie régulièrement.

Le président : Par exemple, dans les aéroports, nous avons des personnes qui effectuent des tests pour voir si l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien fonctionne efficacement ou non. Il y a un groupe de personnes qui passent leurs journées à essayer de déjouer le système et on peut mesurer leur taux de réussite pour déterminer la qualité du travail de l'ACSTA.

Avons-nous une méthode pour éprouver la sécurité de nos frontières dans ce pays?

M. McDonell : Là où nous avons des détecteurs, nous avons des méthodes pour déterminer s'ils sont efficaces.

Le président : Que se passe-t-il là où nous n'avons pas de détecteurs?

M. McDonell : Je ne connais pas la réponse à cette question. Je répondais à la question sur la base de mon expérience d'ancien commandant d'un détachement qui avait des détecteurs.

M. Souccar : Je ne suis pas sûr que nous fassions cela, sénateur. Cependant, c'est une excellente idée.

Le président : Quelqu'un pourrait-il nous revenir ultérieurement pour nous expliquer comment vous mesurez l'efficacité des mesures de sécurité à nos frontières? C'est une très vaste question, car nous avons une longue frontière avec des topographies et des situations très différentes. Comment savez-vous si nos frontières sont sûres et quel degré de confiance pouvez-vous avoir? Et comment pouvez-vous me démontrer qu'elles sont sûres? Apportez-nous une réponse, pas nécessairement aujourd'hui, mais prochainement?

Mme Busson : Je m'engage à faire cela, absolument. L'expérience de nos équipes de police frontalière montre certainement qu'il y a une certaine perméabilité des parties de la frontières sans personnel et sans sécurisation technique. Nous vous apporterons une réponse à ce sujet.

Le président : Je vous en serais reconnaissant. Si nous parlons d'une politique de défense « le Canada d'abord » et si notre objectif est de sécuriser le pays, il devrait exister des façons de déterminer dans quelle mesure nous y parvenons. Nous serions très curieux de savoir quelles sont ces méthodes.

M. Souccar : Nous en avons, et je sais que vous n'ignorez pas que nous effectuons des évaluations de menaces à la frontière pour déterminer ce que nous avons, comment cela fonctionne, comment cela est intégré avec le travail de nos partenaires du sud et d'autres organismes canadiens, l'emploi de la technologie, l'intégration entre nos équipes frontalières, nos équipes de l'intérieur, et leur efficacité et la formation qu'ils reçoivent pour le travail frontalier.

Ce type d'évaluation de la menace existe, pour évaluer l'efficacité de notre équipe. Cependant, je ne peux pas vous dire si nous avons des agents qui éprouvent le système.

Le président : Lorsque vous parlez d'évaluer l'efficacité de l'équipe, le vrai problème est de savoir comment vous mesurez cela. Nous sommes curieux de connaître les paramètres. Nous serions très intéressés si vous pouviez nous communiquer cela.

Mme Busson : Nous vous apporterons la réponse.

Le président : Enfin, j'aimerais parler des terroristes de l'intérieur. C'est un phénomène apparu au cours des dernières années et qui nous préoccupe grandement.

Vous avez dit plus tôt que la menace est jugée faible. Pouvez-vous nous indiquer de manière générale ce que fait la GRC et quelle est sa réponse à la menace du terrorisme intérieur?

Mme Busson : Nous avons un certain nombre de mécanismes et de procédures pour faire face au terrorisme de l'intérieur. Grâce aux breffages et au partage d'information avec nos collègues de Londres et d'autres lieux où le phénomène s'est produit, nous savons qu'il tourne beaucoup autour des jeunes désenchantés qui se sentent détachés de leur pays. Nombre de ces jeunes sont des immigrants de deuxième génération qui se sentent coupés de leur nouveau pays et qui de ce fait se laissent facilement séduire par des groupes fondamentalistes qui recherchent des jeunes, un peu comme les gangs de rue cherchent à recruter de jeunes adolescents.

Nous avons des équipes de proximité actives et robustes qui travaillent à travers le Canada, non seulement auprès des adultes mais aussi des adolescents pour tenter de nouer des relations et avoir une sorte de système d'alerte précoce. Sur deux fronts, nous travaillons avec des jeunes pour instaurer une relation positive au départ, afin que des jeunes qui savant que des camarades dans leu milieu sont susceptibles de passer à l'acte le mentionnent à quelqu'un au sein de notre organisation ou d'un autre groupe de soutien.

Nous travaillons également très fort avec les groupes arabes musulmans établis au Canada et les dirigeants de ces associations pour bien faire comprendre que l'action de la police au Canada est différente de ce à quoi ils ont pu être accoutumés dans leur pays d'origine.

Moi-même je suis membre du groupe de travail du commissaire sur la diversité. Chaque commandant divisionnaire, certainement ceux des provinces de l'Ouest, a un groupe de travail sur la diversité qui établit le contact avec les leaders dans les provinces et moi, ici dans la région de la capitale nationale. Ils travaillent très fort pour mettre ces questions à l'avant-plan et trouver avec nous de nouvelles façons de dialoguer avec ces groupes et assurer que nous fassions tout le possible, comme je l'ai dit, sur deux fronts, l'aliénation et la construction de relations afin que nous obtenions un meilleur flux d'information en provenance de ces communautés. Nous considérons cela comme très important.

Le sénateur Atkins : Étant donné ce qui s'est passé à Virginia Tech, on commence à parler de profilage et de repérage du type de personnes dangereuses dans une société. Avons-nous quoi que ce soit qui corresponde à ce qu'ils cherchent à faire en matière de profilage de ces personnes?

Mme Busson : Effectivement, c'est intéressant. Un certain nombre de psychologues criminalistes travaillant avec la Gendarmerie sur la science du comportement criminel se penchent sur ces questions depuis Taber et quelques autres tragédies canadiennes. Ils s'intéressent à la dimension imitation et au profil des ces jeunes gens qui deviennent tellement isolés et enragés qu'ils explosent de cette manière. Nous avons parlé de cela et nous avons des gens très qualifiés dans notre organisation qui vont se pencher là-dessus expressément. Outre les massacres qui se sont produits, nous avons vu de nombreux cas étouffés dans l'œuf ou des cas où des jeunes se livraient à une intimidation caractérisée. Dans de nombreux cas, c'est dû à une dynamique très dysfonctionnelle à l'œuvre dans les écoles de ce pays. Nous considérons cela comme une occasion d'y voir un peu plus clair. Je pense que ce travail va devenir beaucoup plus focalisé dans un avenir proche.

Le président : Je remercie la commissaire Busson et ses collègues de leurs témoignages d'aujourd'hui.

Notre prochain témoin est le professeur Wesley Wark, de l'Université de Toronto. M. Wark est membres du Munk Centre for International Studies et membre de l'Institut de recherche en politiques publiques, l'un des groupes de réflexion les plus anciens du Canada. Il est expert des questions de renseignements et de sécurité internationale. Il est l'auteur de nombreux ouvrages publiés, articles, chapitres et essais. On le voit fréquemment dans les médias canadiens et étrangers à titre de commentateur et chroniqueur. Il siège au Conseil consultatif de la sécurité nationale du gouvernement canadien et au Comité consultatif sur les services frontaliers du Canada. M. Wark est bien connu de notre comité et nous sommes ravis qu'il se joigne à nous aujourd'hui.

Wesley Wark, professeur, Université de Toronto, à titre personnel : Je suis reconnaissant de l'invitation à comparaître devant votre comité dont j'admire sincèrement le travail. La nécessité est patente pour le Parlement d'avoir la capacité d'analyser intelligemment le travail et les capacités des services de renseignements canadiens.

Je vais passer en revue brièvement le contexte sécuritaire d'après le 11 septembre et l'évolution de la communauté canadienne du renseignement, ainsi que la question d'une capacité de renseignement extérieur qui a fait l'objet d'une discussion intéressante ici ce matin.

L'environnement sécuritaire international s'est considérablement dégradé à d'importants égards depuis le 11 septembre. Al-Qaïda reste puissant et semble se reconstituer dans ses sanctuaires des régions tribales frontalières du Pakistan et des provinces occidentales de l'Iraq. Un rapport récent du Joint Terrorism Analysis Centre britannique, le JTAC, qui a été l'objet d'une fuite, fait état d'une inquiétude croissante face à la perspective d'un retour à l'offensive d'al-Qaïda contre « l'ennemi étranger », visant plus particulièrement cette fois-ci des États européens comme la Grande-Bretagne et la France. Le dernier numéro de Foreign Affairs publie un commentaire d'un haut responsable retraité de la CIA, Bruce Riedel, mettant en garde contre de futures actions de type 11 septembre contre les États-Unis de la part d'un al-Qaïda résurgent.

Le message d'al-Qaïda reste puissant et séducteur : peu de progrès semblent avoir été faits dans la guerre d'idées contre l'extrémisme islamiste. La situation en Iraq a largement contribué à la spirale descendante de la sécurité internationale depuis le 11 septembre, comme l'a conclu le U.S. National Intelligence Council et rien ne permet d'espérer une amélioration. Les perspectives de paix en Afghanistan et de reconstruction à long terme du pays restent ténues et les Talibans ont gagné en force et en agressivité au cours des deux dernières années, comme l'a découvert le contingent canadien de la Force internationale d'assistance à la sécurité.

Aux anciens chaudrons terroristes s'en ajoutent de nouveaux, comme le Bangladesh et la Somalie. Le monde, cinq années et demie après les événements du 11 septembre, semble être un terrain lamentablement favorable à la dissémination de l'idéologie extrémiste islamiste et au terrorisme islamiste.

Les intérêts sécuritaires canadiens sont directement touchés par l'absence de progrès sensible dans ce que l'on a initialement qualifié, à tort, de « guerre contre la terreur ». Nos intérêts sécuritaires nationaux s'en ressentent de trois grandes façons : premièrement, le Canada a un enjeu majeur dans l'environnement sécuritaire international. Nous vivons à l'ère de la mondialisation et, comme vous l'avez entendu ce matin, en tant que société nous nourrissons l'aspiration de rendre meilleure la communauté planétaire. Deuxièmement, le Canada est une cible potentielle pour le terrorisme tant international qu'intérieur et est exposé à d'autres formes de menaces mentionnées par M. Judd, telles que la prolifération nucléaire et l'espionnage. Nous sommes une cible non parce que nous choisissons de l'être mais parce que nous sommes une nation occidentale et un proche allié des États-Unis. Troisièmement, le Canada est un participant aux opérations de sécurité internationale, principalement en Afghanistan en ce moment, et cela fait de nous un ennemi aux yeux de certains.

Non seulement le contexte sécuritaire a-t-il profondément changé depuis le 11 septembre, le renseignement canadien a fait de même. Notre pays a investi massivement dans le renforcement des capacités des services de renseignement canadiens. Nous avons entrepris une restructuration fondamentale de l'administration gouvernementale et avons formulé une doctrine nouvelle de la sécurité nationale qui est sans précédent dans notre histoire.

Toute cette activité traduit une nouvelle façon de penser le renseignement — nouvelle à tout le moins pour le Canada, mais familière de longue date à certaines des grandes puissances auxquelles nous sommes alliées. Cette nouvelle façon de penser se reflète, entre autres, dans la nouvelle stratégie de sécurité nationale énoncée dans le rapport Protéger une société ouverte : La politique canadienne de sécurité nationale, publié par le gouvernement en avril 2004. En bref, l'idée est que le renseignement occupe aujourd'hui une place qui n'a jamais encore été la sienne dans l'État canadien, celle de « première ligne de défense ».

La première ligne de défense impose au renseignement canadien le fardeau énorme d'être au courant d'un large éventail de menaces à la sécurité du Canada et d'avoir une capacité prédictive de façon à pouvoir éviter, amortir ou minimiser ces menaces. Ce n'est pas une mince tâche dans le contexte sécuritaire du XXIe siècle, surtout lorsqu'elle reflète une nouvelle conception de l'importance du renseignement. Cette nouvelle conception, je le crains, reste encore fragmentaire et n'est pas pleinement intégrée aux opérations gouvernementales. Il est d'autant plus important que le Parlement soit en mesure d'exercer une surveillance pendant cette période d'immaturité.

Les développements clés dans le monde canadien du renseignement depuis le 11 septembre sont l'octroi de nouvelles ressources financières, les mesures législatives antiterroristes du projet de loi C-36, la restructuration des services de renseignement entamés en décembre 2003, avec la création de la fonction de Conseiller à la sécurité nationale, du ministère de la Sécurité publique et de l'Agence des services frontaliers du Canada, ainsi que la création d'un centre de synthèse du renseignement connu sous le nom de CIEM, Centre intégré de l'évaluation des menaces. La publication en avril 2004 de la Politique de sécurité nationale a représenté une autre étape importante, consécutive à ces mesures.

Notre capacité à analyser publiquement l'efficacité de tous ces changements est limitée. À mon avis, ces changements vont dans le bon sens mais le CIEM semble être devenu un conduit pour les évaluations de renseignement des alliés, selon le rapport le plus récent du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS. Le poste de conseiller à la sécurité nationale est pratiquement à temps partiel et le ministère de la Sécurité publique reste une œuvre inachevée, comme ses hauts fonctionnaires le reconnaissent. L'Agence des services frontaliers du Canada souffre de l'absence d'un volet ou d'une stratégie de renseignements efficace. La politique de sécurité nationale est à la fois trop ambitieuse et d'une grande prudence politique.

Il faudra encore longtemps avant que la notion du renseignement comme première ligne de défense prenne racine véritablement dans les profondeurs et les rouages du gouvernement canadien, et peut-être encore plus longtemps pour qu'elle s'enracine dans l'esprit du public canadien.

Le débat sur la capacité de renseignement à l'étranger du Canada est un produit de la nouvelle importance accordée au renseignement : nous n'aurions pas ce débat sans cette importance nouvelle et sans le nouveau contexte sécuritaire. Cependant, il est bon de savoir que c'est un débat ancien. La première fois que l'on a sérieusement envisagé de créer un service de renseignement étranger était en 1945. On a parlé épisodiquement de la création d'un service de renseignement étranger au cours des 62 dernières années. Cependant, la question a acquis une gravité nouvelle depuis le 11 septembre.

C'est une question complexe qui exige que l'on fasse au départ la distinction entre une capacité de renseignement à l'étranger et la création d'un service de renseignement extérieur. Il importe de ne pas atteler la charrue avant les bœufs. Il ne fait aucun doute que le Canada a besoin d'une plus grande capacité de renseignement à l'étranger. Une fois que nous acceptons la notion, alors nous pouvons discuter de la façon d'y parvenir.

La solution ne consiste pas simplement à créer un service de renseignement extérieur. La solution ne passe peut-être même pas par une telle création. Le Canada a besoin d'une meilleure connaissance des développements sécuritaires internationaux, d'une meilleure capacité de collecte, d'une meilleure capacité d'évaluation et d'une culture politique permettant que de tels renseignements soient routinièrement intégrés à la prise de décisions.

Dans cette équation, nous tendons à focaliser uniquement sur le volet collecte, ce qui est une erreur. Même sur le plan de la collecte, nous focalisons trop étroitement sur la notion titillante d'une agence d'espionnage extérieur ou de renseignement d'origine humaine, ROHUM. Nous aurons peut-être besoin d'un tel service ultérieurement. Nous avons besoin aussi de meilleurs rapports diplomatiques, d'un meilleur système d'attachés militaires, d'un meilleur service de renseignement militaire, de porter une plus grande attention au renseignement dans le cadre du développement et dans les activités de l'ACDI et d'autres organismes gouvernementaux, et de consacrer davantage de ressources au contrôle d'immigration et de sécurité à l'étranger — ceux que l'on appelle les agents de contrôle de la migration. Nous devons également investir dans de nouvelles façons de recueillir les renseignements, dont certaines peuvent mettre en jeu la haute technologie et être coûteuses — je ne songe pas seulement à ce que fait le CST, le Centre de la sécurité des télécommunications, mais aussi aux possibilités futures du renseignement par imagerie ou IMINT, si vous voulez ajouter un autre sigle à la soupe alphabétique.

Le Canada a besoin d'un meilleur renseignement pour exécuter la mission de première ligne de défense, ce qui est le nouveau rôle du renseignement. Il a besoin d'un meilleur renseignement car sans un bon renseignement, le Canada ne sera jamais pleinement souverain ni ne jouira d'une sécurité relative. Il a besoin d'un meilleur renseignement parce que nous voulons être une puissance intelligente et une force activiste dans les relations internationales. On peut imaginer toutes sortes de définitions du Canada futur — une puissance à principes, un géant énergétique, et cetera. Nous ne réaliserons aucune de ces aspirations sans devenir en même temps, ou peut-être d'abord, une puissance du renseignement.

Le sénateur Zimmer : Merci de comparaître aujourd'hui et de l'exposé que vous avez présenté. Il est intéressant de voir que les événements historiques façonnent nos vie — les changent, les touchent ou les influencent. Les plus marquants dont je me souvienne au cours de ma vie sont l'assassinat de Kennedy et le 11 septembre. C'est un peu comme l'environnement : il y a 20 ans, les gens ne pensaient pas que l'environnement était un problème jusqu'à ce qu'il commence à peser sur leur vie. Aujourd'hui, il est un problème que nous devons résoudre.

J'aimerais parler du monde de la sécurité et du renseignement. Pourriez-vous nous faire un bref survol des développements intervenus sur le plan du renseignement de sécurité au Canada, en mettant l'accent sur les changements depuis le 11 septembre?

M. Wark : Je ferai de mon mieux pour le faire succinctement.

Je vais d'abord dire un mot sur l'histoire de l'action du Canada dans ce domaine, qui remonte à la Seconde Guerre mondiale. C'est alors que le Canada s'est découvert un appétit pour le renseignement, en même temps qu'un besoin de renseignements, tant intérieurs qu'étrangers.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, nous avons expérimenté différentes façons de recueillir et d'exploiter des renseignements, souvent avec l'aide et sous la directive de nos alliés. La Seconde Guerre mondiale a été pour le Canada dans la sphère du renseignement — tout comme dans la sphère économique, politique et militaire — une période de maturation rapide. Nos yeux se sont ouverts sur les possibilités du renseignement.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale et au début de la guerre froide, un débat s'est déroulé à l'intérieur du gouvernement sur la question de savoir si le gouvernement devait faire du renseignement de manière autonome, ce que nous n'avions réellement jamais fait vraiment avant la Seconde Guerre mondiale, et, si nous avions besoin d'une telle capacité de renseignement, quelle forme elle devrait prendre. Le débat a été intéressant et complexe et la conclusion a été que le Canada avait besoin de renseignements et devait se doter de ses moyens propres d'aller les chercher.

Cependant, dans le contexte de la guerre froide, entre 1945 et le début des années 1990, ou 1989, je dirais que le Canada a investi dans une certaine mesure dans le renseignement tant étranger qu'intérieur, mais que la plus grande partie de l'activité de renseignement n'était pas conçue spécifiquement pour contribuer à la prise de décision canadienne ou à notre sécurité nationale. Nous nous imaginions nous-mêmes, entre 1945 et 1989, comme une puissance de renseignement d'une sorte particulière. Nous étions une puissance de renseignement qui voulait évoluer à l'intérieur d'une alliance du renseignement, alliance que le Canada considérait alors et considère toujours comme très importante. Nous faisions notre part et nous établissions des relations à l'intérieur de cette communauté du renseignement qui restent encore très vivaces encore aujourd'hui.

La raison pour laquelle je souligne cela est qu'au cours de cette période — les décennies formatives entre 1945 et 1991 — nous faisions du renseignement dans l'intérêt de l'alliance. Le Canada a toujours été soucieux de recueillir des renseignements pour ses alliés, et c'était la raison essentielle de l'activité. Cela, indépendamment des fardeaux du secret et de la compartimentalisation qui ont toujours été l'apanage du travail de renseignement, a produit un phénomène très curieux et propre au Canada, à savoir que la notion de renseignement comme ingrédient clé de la prise de décision relativement à toutes sortes d'enjeux nationaux et internationaux n'a jamais vraiment pris racine.

Je dirais que le problème n'a fait que s'intensifier avec la fin de la guerre froide. Nous avons connu une décennie, de 1991 à 2001, dans laquelle nous sommes revenus aux vieilles interrogations sur le type de renseignement dont le Canada a besoin, la façon de structurer ces activités et l'importance à leur allouer. C'était une décennie de quête de réponses, mais je ne suis pas sûr que nous n'en ayons jamais trouvées.

Diverses raisons étaient avancées pour lesquelles le Canada avait besoin de faire du renseignement. Peut-être tournerions-nous notre attention vers l'activité criminelle internationale, peut-être tournerions-nous notre attention vers des balayages environnementaux, qui pouvaient être un nouveau domaine d'enquête pour les services de renseignement. Il subsistait quelques problèmes traditionnels qu'il fallait continuer de surveiller mais, de façon générale, je qualifierais la décennie de l'après guerre froide comme la recherche par les services de renseignement d'une nouvelle mission pour remplacer celle qu'ils avaient pendant la guerre froide.

Les attaques du 11 septembre ont été surprise et un choc pour la communauté canadienne du renseignement. Nous devons reconnaître que le 11 septembre a représenté pour le Canada sa propre forme de défaillance en matière de renseignement. Nous n'étions pas directement visés. Des vies canadiennes ont été perdues dans les tours jumelles et ailleurs, mais nous partagions l'incapacité des milieux du renseignement alliés de pleinement imaginer la possibilité d'une frappe d'al-Qaïda.

Après le 11 septembre, en contrecoup de ce choc, nous avons été précipités dans une période de changement profondément révolutionnaire, mais une révolution qui s'est faite pendant une bonne partie du temps sans programme. Nous savions qu'il nous fallait plus de renseignement et nous savions qu'il nous fallait y consacrer plus de ressources. Nous savions qu'il nous fallait organiser différemment notre gouvernement. Nous tenions à rester membres du club allié, et nous voulions nouer de nouveaux partenariats avec d'autres États pouvant posséder des informations utiles pour nous. Nous avons donc entrepris de reconstruire le visage du renseignement canadien — mais je le répète, sans scénario à suivre.

Le scénario est arrivé en avril 2004 avec la stratégie de sécurité nationale, qui était conçue de manière à définir les intérêts sécuritaires nationaux et donner les ordres de marche à un ensemble de nouveaux organes administratifs créés quelques mois plus tôt — plus particulièrement le ministère de la Sécurité publique, l'Agence des services frontaliers du Canada, le poste de Conseiller à la sécurité nationale, et des organismes tels que le CIEM, le Centre intégré de l'évaluation des menaces.

La période consécutive au 11 septembre 2001 a été marquée par un rythme de changement très rapide. Il s'agissait essentiellement d'une réaction, d'un effort de rattrapage de la menace, de reconstitution des renseignements manquants, de rattrapage de l'histoire manquante du renseignement avant les attaques du 11 septembre, pour chercher les moyens de renforcer les capacités canadiennes selon des modalités décidées au Canada. Cependant, il n'y avait pas de conception d'ensemble pour y parvenir ni même beaucoup d'occasions de réfléchir aux mesures prises, car il s'agissait de décisions ponctuelles et réactives après le 11 septembre.

La chose la plus prometteuse, dans mon optique, est que s'est imposé l'idée que le renseignement a un rôle profondément différent et beaucoup plus important à jouer dans l'appareil d'État canadien. L'interrogation qui subsiste encore pour moi, observateur de longue date — mon intérêt pour les questions de renseignement remonte à 1978 — concerne l'exécution. La frustration de tout observateur public, et peut-être est-elle partagée par quelques sénateurs dans ce comité, tient à la difficulté de réellement éprouver l'efficacité et le raisonnement qui sous-tendent certains des changements intervenus.

Je pense que nous suivons le bon scénario pour ce qui est des ressources, du nouvel intérêt pour le renseignements, des nouvelles structures administratives à certains égards. La dimension manquante, celle qui est relativement insaisissable et plus difficile à cerner, c'est la culture du renseignement. Réalise-t-on vraiment, surtout au niveau supérieur du gouvernement, dans l'administration et au niveau de la prise de décisions politiques, le rôle potentiellement important que peut jouer le renseignement? Est-il pleinement intégré à l'appareil décisionnel? En même temps, comprend-on suffisamment les limites du renseignement? Il ne faut trop attendre du renseignement. On est fondé à en attendre quelque chose, mais pas trop.

Outre cette dimension manquante, l'autre problème que nous connaissons dans ce pays tient au fait que, en tant que gouvernement ou plus généralement en tant que société, nous n'avons guère prêté attention à la notion de renseignement canadien avant le 11 septembre. Depuis le 11 septembre, nous devons nous débattre avec un nouveau phénomène — l'activité de renseignement au Canada. Le public en est très peu informé. On a très peu dit au public à ce sujet, on ne lui a pas dit assez. Bien que quelques petites mesures aient commencé à réduire le fossé entre ce que fait le gouvernement et ce que le public sait, l'écart reste considérable. Il y a une grave défaillance de l'éducation publique, qui fait que l'on n'a pas expliqué suffisamment non seulement la menace à laquelle les Canadiens sont confrontés mais aussi les types d'instrument et les capacités que le gouvernement canadien possède et utilise pour contrer ces menaces.

Le sénateur Zimmer : Pourriez-vous brièvement donner au comité votre appréciation du contexte sécuritaire aujourd'hui? Est-ce un état de haute d'alerte? Décrivez comment vous le voyez évoluer au cours des dix prochaines années et dites-nous quelles sont les plus grandes sources d'instabilité actuelle dans le monde et comment elles se répercuteraient sur notre pays — pas sur les États-Unis, sur notre pays.

Pendant longtemps, notre rôle international a été le maintien de la paix. Aujourd'hui, nous assumons un rôle différent en Afghanistan. Pensez-vous que cela nous expose davantage ou que la menace ciblant notre pays s'est intensifiée à cause de ce changement de rôle, du passage du maintien de la paix à l'action armée?

M. Wark : Ce sont là deux bonnes questions, sénateur. Je vais faire de mon mieux pour y répondre.

Pour ce qui est du contexte sécuritaire, la menace pour le Canada est différente de celle que connaissent nos alliés, mais il est difficile de cerner ou de quantifier la différence et il n'existe pas de garantie qu'elle sera toujours différente. Certains pays européens, comme la Grande-Bretagne et la France, connaissent et reconnaissent un niveau de menace beaucoup plus grand que le Canada, du point de vue des dangers présentés par le terrorisme tant intérieur qu'international. Cela est vrai aussi des États-Unis.

La difficulté pour nous est que, si nous ne sommes au centre de la cible d'aucun groupe terroriste international, principalement al-Qaïda ou l'un de ses multiples groupes dérivés, il est néanmoins possible que nous soyons attaqués, soit parce que la possibilité existe d'opérer au Canada soit parce qu'un groupe désaffecté quelconque décide de frapper le Canada en représailles de quelque activité du Canada à l'étranger. Il est certes vrai, comme M. Judd, le directeur du SCRS l'a fait remarquer à maintes reprises, que le Canada reste le seul pays donné par al-Qaïda comme cible à ne pas avoir été réellement attaqué.

Nous sommes face à une menace. La difficulté est de déterminer les dimensions précises de cette menace. Le problème sur le plan de notre réaction, c'est que, à certains égards, nous sommes acculés à une situation inconfortable où nous devons supposer le pire, ou fonctionner sur la base du pire scénario. Même si nous ne sommes pas au centre de la cible, nous pourrions être attaqués et nous devons prendre les mêmes mesures et précautions. Aussi, si vous suivez la logique du renseignement comme première ligne de défense, il nous faut investir lourdement dans le renseignement en vue de l'éventualité. Il est presque impossible de cerner quelle est cette éventualité ou de faire des prévisions confortables pour l'avenir.

Je rejetterais les deux points de vue extrêmes à cet égard. À un extrême, on vous dira — et j'ai entendu dire cela dans le milieu du renseignement — que la question n'est pas de savoir si, mais quand nous allons être attaqués. Nous pouvons dire cela, mais cela ne sert à rien. À l'inverse, je rejetterais d'emblée la notion que le Canada ne sera jamais attaqué par des terroristes.

Nous avons de nombreux avantages dans notre pays. Nous avons une société civile fonctionnant très bien. Nous avons des services de renseignement efficaces. Nous avons de bonnes relations avec des pays étrangers qui nous apportent un certain degré de sécurité, mais cette sécurité ne sera jamais de 100 p. 100.

Nous sommes menacés et ce n'est pas ainsi que nous aimons penser ces choses. Nous sommes impliqués dans la guerre à la terreur, et peu importe que l'expression soit inappropriée et qu'il faudrait appeler cela autrement. C'est une guerre qui n'a pas encore trouvé une bonne désignation. Appelez cela la lutte contre le terrorisme mondial, appelez cela comme vous voudrez, mais nous y sommes engagés et nous y sommes engagés depuis que nous avons décidé de signer l'article 5 de l'OTAN sur la sécurité collective, en septembre 2001. Nous sommes menacés et rien n'indique que le terrorisme transnational planétaire va disparaître ou se transformer en activisme politique ou que ses capacités ont été amoindries et réduites. C'est une menace à long terme qu'il sera très difficile d'entamer et de maîtriser.

Franchement, le Canada a un rôle important à jouer à cet égard, en agissant au moyen de divers instruments, pas seulement le pouvoir militaire, mais aussi l'aide au développement, la réflexion sur les causes profondes de ces menaces, la participation occasionnelle à des coalitions internationales, l'exploitation de ces renseignements et l'emploi de ses relations avec les puissances étrangères. Nous avons un rôle distinctif à jouer dans cet affrontement avec le terrorisme.

Nous aimons nous considérer comme une puissance internationale activiste et il incombe au Canada de considérer le terrorisme comme l'un des pires fléau du monde. Il y en a d'autres, bien entendu, et nous pouvons décider à l'occasion de consacrer à d'autres une plus grande part de notre attention et de nos ressources, qu'il s'agisse du sida, ou d'épidémies, ou de catastrophes naturelles ou de tout ce que vous voudrez, mais le terrorisme a maintenant rejoint les rangs des fléaux planétaires que la communauté mondiale se doit d'éradiquer.

En ce qui concerne la pacification, par opposition à la guerre, mon point de vue, à moi qui ai jadis été historien militaire, est que le Canada a une longue et fière tradition de combat qui remonte à la Guerre des Boers, la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale et la Corée. Il n'est pas nécessairement vrai que notre action en Afghanistan s'inscrive dans cette tradition, mais cette tradition fait partie de notre culture militaire et politique.

Le rôle que les Forces armées canadiennes ont joué en Afghanistan à partir du début de 2002 n'en a jamais été un d'établissement de la paix. Cela a toujours été un rôle de combat, de reconstruction d'après conflit et de sécurisation. Dans certains environnements militaires, vous ne pouvez faire la paix. Cela peut sembler simpliste et je vous demande pardon si c'est le cas, mais vous ne pouvez faire la paix si vous n'êtes pas prêt à livrer quelques combats en cours de chemin. C'est la situation dans laquelle nous sommes en Afghanistan.

La véritable question en Afghanistan est de savoir combien de temps nous y serons bienvenus à titre de combattants pour le compte des Afghans. Le temps joue contre nous et peut-être la bienveillance d'une partie de la population afghane, particulièrement dans la province de Kandahar et dans le sud de l'Afghanistan, va-t-elle s'épuiser face à la présence de troupes étrangères et à leurs activités.

Mais je ne nous conçois pas comme fondamentalement embarqués en Afghanistan dans une aventure sans précédent ou inouïe. Cela s'inscrit dans une tradition canadienne.

Vous avez demandé si cela accroît le danger pour le Canada. La réponse est qu'il est impossible de le savoir. Nous ne pouvons probablement ou ne devrions pas juger la mission sous cet angle. Il se peut qu'elle accroisse le désir chez des éléments d'al-Qaïda ou les Talibans de se venger contre le Canada. S'ils vont le faire, le terrain opérationnel le plus fécond pour une telle vengeance se situe, bien sûr, en Afghanistan même. Nous ne pouvons tout simplement pas négliger la possibilité que, du fait que le Canada est devenu une partie visible de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, de la coalition et un participant actif aux opérations militaires de cette coalition à Kandahar et ailleurs, nous devenions la cible d'attentats de rétribution.

L'autre possibilité est que des personnes désaffectées au Canada qui sont fortement opposées à l'intervention occidentale en Afghanistan prennent sur elle de punir leur propre société pour cette activité anti-islamiste, ou quelle que soit la perception qu'ils peuvent en avoir, et prennent les choses en main elles-mêmes. On a entendu dire dans les médias au sujet des présumés terroristes de Toronto que c'est leur colère devant les activités canadiennes en Afghanistan qui les a amenés à concocter leur complot. On ne peut négliger cette possibilité. Qui sait ce qu'il en est réellement? Nous ne le saurons qu'une fois qu'ils seront jugés en procès public, mais la possibilité existe toujours.

Le sénateur Zimmer : Très brièvement, pensez-vous que les ressources allouées aux services de renseignement dans notre pays suffisent à contrer la menace aujourd'hui? Pensez-vous que la communauté du renseignement soit prête à faire face à ces menaces intérieures?

M. Wark : Ma réponse sera conforme à ce que vous ont dit, entre autres, M. Adams et, si je me souviens bien, M. Judd, à savoir que les services de renseignements ont reçu énormément d'argent pour développer leur capacité en relativement peu de temps. Il n'est pas facile pour des services de renseignement d'absorber des fonds, car c'est de personnel de haute qualité et de capacité technologique dont ils ont besoin et il faut du temps pour les produire.

J'accepte l'observation des dirigeants de la communauté du renseignement canadienne qu'ils ont toutes les ressources qu'ils peuvent absorber en ce moment. Cela dit, je prévois que le budget du renseignement va continuer de croître dans l'avenir prévisible, et peut-être même grimper en flèche, selon ce qui va se passer à l'échelle nationale ou internationale. Nous sommes dans une courbe de forte ascension des dépenses de renseignement et je pense que c'est ce qu'il faut.

Il est difficile d'analyser le budget du renseignement car l'essentiel en est caché. Nous en connaissons quelques éléments, mais nous ne savons pas comment il est ventilé et comment les grandes enveloppes budgétaires sont dépensées. Peut-être vaudrait-il mieux dépenser davantage dans un domaine plutôt que dans un autre, mais nous n'avons guère la capacité d'examiner cela de l'extérieur, ou du moins je ne l'ai pas. Le vérificateur général et le Parlement peuvent faire une partie de ce travail pour nous, et nous avons le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Si les recommandations du juge O'Connor sont suivies, nous aurons peut-être un jour une meilleure capacité de surveillance de la communauté du renseignement.

Le sénateur Zimmer : Nous avons parlé avec nos témoins précédents, les représentants de la GRC, de la sécurité entre les postes frontaliers, non pas au niveau des postes mais entre les postes. À cet égard, on cherche à sensibiliser et éduquer le public et à créer une culture telle que le public soit à l'affût de certaines choses et signale des situations. Pour faire l'analogie avec la situation du renseignement et de la lutte contre le terrorisme ici au Canada, dans une certaine mesure la culture, la mentalité, a toujours été que cela ne peut se produire chez nous. Je crois que c'est en train de changer un peu, mais on parle beaucoup de l'absence d'une culture du renseignement au Canada.

Pensez-vous que cela soit le processus mental en ce moment? Que faudrait-il, à votre avis, pour intéresser davantage le gouvernement et le public à la sécurité nationale?

M. Wark : Merci de la question car cela me donne l'occasion de dire ceci avec autant de force que je puis. Je suis persuadé que le Canada connaît un réel problème du point de vue de cette chose que nous appelons la culture du renseignement. J'entends par-là une conception qui imprègne toutes les activités du gouvernement, que ce soit sur le plan de la politique intérieure ou celui de la sécurité internationale. Toutes ses opérations doivent être imprégnées de la notion que les connaissances issues du renseignement, en particulier des évaluations du renseignement, ont quelque chose à contribuer à la prise de décision. Le renseignement ne va pas déterminer les décisions, il peut parfois les infléchir dans un sens ou un autre, parfois n'avoir aucun effet du tout, mais il a une contribution à faire. Historiquement, cela n'a jamais été le cas de la prise de décision au Canada, sauf en de rares moments de crise où nous avons peut-être mal exploité les renseignements à notre disposition.

Nous n'apprécions et ne prenons pas suffisamment au sérieux le renseignement comme facteur de la prise de décision, et c'est un problème. Comment peut-on y remédier? Je pense que rien ne pourra changer cela à court terme. Il s'agit de familiariser les hauts fonctionnaires avec le produit du renseignement et les amener à le respecter. La même chose doit se passer au niveau des ministres, dont beaucoup, lorsqu'ils assument leur portefeuille, n'ont jamais entendu parler du renseignement autrement que dans les films de James Bond. C'est un processus à long terme consistant à inoculer le respect pour le renseignement et ce qu'il peut faire.

Un ingrédient essentiel pour cela, bien entendu, est que le renseignement mérite ce respect. Il doit être un bon produit afin de convaincre les décideurs et les ministres d'en tenir compte et de fonder leurs décisions sur lui. Il y a une relation symbiotique entre du bon renseignement et une bonne culture politique prête à prendre le renseignement à bord.

Une grande faiblesse, s'agissant d'enraciner cette culture politique du renseignement dans la prise de décision gouvernementale canadienne, était l'absence d'un produit de haut niveau issu du renseignement. Vous avez entendu, je crois, Margaret Bloodworth, ou peut-être son adjoint Rennie Marcoux, vous dire que le Cabinet et le premier ministre reçoivent maintenant à intervalles réguliers un breffage de renseignement. Cependant, je pense qu'il faudrait un mécanisme encore plus systématique pour assurer que les principaux ministres du Cabinet et le premier ministre reçoivent une ration quotidienne complète de renseignements.

Nous nous approchons d'une pratique britannique et américaine ancienne, qui dans le cas britannique prend la forme du fameux Joint Intelligence Committee Red Book, qui est une évaluation stratégique hebdomadaire des renseignements et des menaces. Voilà le genre de choses que la communauté du renseignement canadienne doit créer. Il doit s'agit d'un produit de très haut niveau que les décideurs deviendront accoutumés à recevoir et à prendre en compte. Nous expérimentons par petites touches, mais sans avoir trouvé la solution, avec ces rapports de haut niveau qui ne faisaient jusqu'à présent pas partie de notre pratique parce que le renseignement n'était pas au cœur des opérations gouvernementales avant le 11 septembre.

Du côté du public, là non plus je ne pense pas qu'il y ait de solution à court terme. Il faudra longtemps au public canadien pour se sevrer des images caricaturales de l'espionnage. Il faudra longtemps à mes collègues universitaires pour se sevrer de ces caricatures. Je le constate tout le temps. Le renseignement, pour les Canadiens, c'est un peu une plaisanterie. C'est un phénomène culturel populaire, cela n'a rien de sérieux, ce n'est pas ce que nous faisons. La réalité, c'est que c'est une affaire d'importance vitale pour le Canada dans le monde d'après le 11 septembre.

L'une des façons de contrer un peu ces miasmes de la culture populaire réside entre les mains du gouvernement canadien. Je recommande fortement que le gouvernement mette en place un mécanisme de rapport annuel public d'évaluation de la menace par l'intermédiaire du Parlement, mais sans être entouré des strates de secret qui encombrent souvent les rapports des services de renseignement au Parlement et au-delà, qu'il s'agisse des rapports annuels du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou de tout le reste. Il faudrait un document public dans lequel le gouvernement décrirait ce qu'il considère être les menaces courantes cette année, l'année précédente et à l'horizon, ainsi que les capacités que possède le Canada d'y réagir. Je pense que ce serait un outil important d'éducation du public que certains de nos alliés ont déjà adopté.

Le sénateur Zimmer : Depuis le 11 septembre, le gouvernement américain s'est montré extrêmement proactif pour pousser et aider les universités et collèges américains sur le plan de l'étude du renseignement, l'accent étant mis sur l'analyse. On a mentionné ici tout à l'heure la tragédie survenue dans l'une des universités il y a quelques semaines. C'est un événement qui n'est pas directement en rapport avec notre sujet mais qui s'inscrit dans la même veine.

Est-ce la même chose au Canada? Sinon, pourriez-vous expliquer brièvement au comité pourquoi cela n'arrive pas au Canada et proposer des façons d'améliorer la situation?

M. Wark : Merci encore pour la question.

Le sénateur Zimmer : Mon honorable collègue vient de me rappeler que c'est effectivement arrivé à Montréal. C'est vrai.

M. Wark : Sénateur Zimmer, j'ai une triste histoire à vous raconter en réponse à cette question. Je pense que le monde universitaire, dont je suis membre, a lamentablement failli à répondre à ce nouvel environnement sécuritaire international et au rôle du Canada dans le monde de l'après 11 septembre. Les milieux universitaires ont prêté très peu d'attention à la problématique du renseignement et de la sécurité. Seuls une poignée d'entre nous ont tenté de se spécialiser dans ce domaine, en étant mus généralement par notre intérêt propre et sans aucun soutien institutionnel et guère de soutien gouvernemental. Je pourrais probablement compter sur les doigts des deux mains, voire d'une seule, le nombre d'experts universitaires du renseignement et de la sécurité dans ce pays. C'est une défaillance choquante. La défaillance est de telle ampleur que j'ai beaucoup de mal à l'expliquer.

En partie, la défaillance est due à l'absence de leadership gouvernemental. Il n'y a eu aucun programme gouvernemental systématique pour encourager l'étude et la recherche dans ce domaine. Les conseils subventionnaires vers lesquels nous nous tournons ont été particulièrement fautifs à cet égard. Il y a aussi l'omission du monde académique et des universités elles-mêmes à s'emparer du sujet et à y investir. D'une certaine façon, dans les milieux académiques de ce pays, les questions relatives au renseignement et à la sécurité restent des sujets caricaturaux et ne sont pas considérés comme importants ou dans le vent.

Le monde universitaire est coupé de la réalité à cet égard. Ce qui m'alarme le plus, c'est que ceux d'entre nous qui se sont investis afin de se spécialiser dans ce domaine au cours des dernières décennies appartiennent à la génération grisonnante du baby-boom. Lorsque l'un d'entre nous part à la retraite, personne ne vient le remplacer.

L'exemple le plus récent est Martin Rudner de l'Université Carleton, qui a fondé le Canadian Centre of Intelligence and Security Studies et lancé un programme d'enseignement de deuxième cycle sur le renseignement et la sécurité, le premier de son genre au Canada. Il ne va pas être remplacé. L'université n'a personne pour enseigner ce cours. C'est une situation choquante. Le blâme est à partager entre ma cohorte universitaire et le gouvernement. Les seuls que l'on ne puisse blâmer sont les étudiants, qui adorent le sujet et s'inscrivent en masse. J'ai 300 étudiants de premier cycle inscrits dans un cours sur le renseignement et la sécurité. J'organise des séminaires complets de deuxième cycle pour quantité d'étudiants qui sont fascinés par le sujet et pensent qu'il leur offre un potentiel académique ou professionnel.

Mais le soutien infrastructurel et les ressources sont totalement absents et la discipline dépérit dans ce pays. C'est totalement différent de ce qui se passe aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Le sénateur Zimmer : Est-ce que Peter St. John, de Winnipeg, fait partie de ceux que vous nommeriez?

M. Wark : Il a pris sa retraite depuis longtemps et n'a pas été remplacé.

Le sénateur Zimmer : J'apprécie votre franchise.

Le président : Cela ressemble énormément au Sénat. Ils partent à la retraite et ne sont pas remplacés.

M. Wark : Vous pouvez vous faire élire.

Le président : Le sénateur Banks et moi-même voulons nous porter candidats demain.

Vous avez mentionné le juge O'Connor. Il est peu probable qu'il nous apprenne grand-chose sur l'efficacité du dispositif de renseignement, n'est-ce pas?

M. Wark : J'ai deux réponses à cela. L'une est peut-être un peu confidentielle et je me sens un peu tiraillé.

J'ai entendu des propos de la bouche du juge O'Connor donnant à penser qu'il considère que le Canada est bien servi par ses services de renseignement, d'après tout ce qu'il a pu observer au cours de son enquête. Il est vrai également que, surtout dans la Partie I de son rapport, il a clairement souligné l'importance du renseignement pour la sécurité du Canada et l'importance du maintien de nos relations avec les services de renseignement alliés. Il a attiré l'attention sur certains dysfonctionnements dans l'affaire Arar où les services de renseignement n'ont pas respecté leurs propres règles ou lignes directrices ou ne se sont pas comportés aussi bien qu'ils l'auraient dû.

Selon ma lecture du rapport, tout cela revient à dire que les services de renseignement sont nécessaires et font un bon travail dans l'ensemble mais qu'il faut apporter quelques ajustements, particulièrement au niveau des activités de la GRC relatives à la sécurité nationale.

Le président : J'ai été intrigué, et peut-être un peu surpris, par votre explication de l'absence d'intérêt des milieux universitaires pour le renseignement. Je pensais que vous alliez dire que ce désintérêt est dû au fait que le sujet ne se prête pas aux méthodes d'étude universitaire traditionnelles. Il n'existe pas dans ce domaine de sources auxquelles se fier. On se retrouve à lire à la marge du sujet que l'on cherche à étudier sans pouvoir valider aucune de ses conclusions. N'est-ce pas là une partie de l'explication?

M. Wark : C'est un facteur, mais on peut retourner l'argument et dire que, pour tous ceux d'entre nous qui se sont passionnés pour le sujet et qui encouragent la jeune génération de chercheurs à s'y intéresser, c'est stimulant. Certes, vous allez tôt ou tard vous heurter aux barrières et cloisons du secret, que votre recherche soit historique ou porte sur le fonctionnement plus contemporain des services de renseignement.

Cependant, nous vivons dans une ère d'ouverture et dans une société où une grande masse de documents sur le fonctionnement de la communauté du renseignement et la problématique du renseignement en général sont disponibles. Ce qui m'intéresse en particulier dans le fonctionnement du renseignement, c'est la raison pour laquelle l'évaluation du renseignement est défaillante. Quels sont les éléments constitutifs d'une bonne évaluation, comparés à une mauvaise? Où intervient le dérapage de la pensée? On peut faire cette analyse sans nécessairement disposer de toute la matière première que possède la communauté du renseignement. Vous pouvez tirer des conclusions remarquables qui sont directement en rapport avec l'efficacité opérationnelle.

Si je suis prêt à admettre que la discipline serait un peu plus attrayante si certaines recherches étaient moins difficiles dans ce domaine, je n'y vois pas un obstacle majeur qui découragerait de faire ce travail. Certains spécialistes du renseignement aiment à se considérer un peu comme des archéologues ou des médiévalistes. La documentation est toujours limitée, mais à partir de ce que vous avez vous pouvez néanmoins raconter des histoires importantes et parfois merveilleuses.

Le président : Vous avez parlé du fait que le renseignement n'est pas utilisé aux fins de la prise de décision. Franchement, si l'on ne va pas utiliser le renseignement pour prendre des décisions, il ne sert à rien d'avoir des services de renseignement. C'est juste un gaspillage. Nous semblons vivre dans une société où le renseignement doit s'imposer plutôt que d'être recherché. Vous avez fait état du manque de préparation ou d'intérêt des hauts fonctionnaires et dirigeants politiques. Comment envisagez-vous de leur démontrer qu'ils devraient utiliser le renseignement dans le processus décisionnel?

M. Wark : Il y a deux façons de le faire. La première serait que les décideurs canadiens se familiarisent avec la réalité de la culture du renseignement dans d'autres pays. Il suffit de passer un peu de temps avec des responsables et décideurs britanniques pour voir à quel point ils apprécient le renseignement, et la même chose vaut pour nos homologues américains. La connaissance de ce que font d'autres États est utile, même sur une base comparative, par exemple la façon dont le renseignement est utilisé dans le système australien où, même aujourd'hui, il est beaucoup plus influent de façon générale qu'au Canada. Les comparaisons internationales pourraient aider, et la connaissance des pratiques étrangères.

Pour en revenir à ce que je disais, vous ne parvenez à ce degré d'appréciation que si vous avez un produit régulier de bonne qualité et lorsque la diffusion de ce produit ne s'arrête pas aux rangs intermédiaires de l'administration, comme c'était souvent le cas des fiches de renseignements avant le 11 septembre. Les rapports circulaient dans les rangs intermédiaires des administrations, dans des comités formés pour créer des évaluations de renseignement et discuter des menaces et cetera, à un niveau hiérarchique moyen. Il faut que tout cela remonte jusqu'aux échelons supérieurs et y reste, en sus d'influencer la prise de décision et la connaissance aux niveaux intermédiaires et inférieurs.

J'ai lu le témoignage donné par Margaret Bloodworth au comité. J'hésite à me dire en désaccord avec sa description. Je sais qu'en réponse à une question similaire posée par vous sur le sujet, elle a dit que ce n'était pas strictement une question de poussée d'en bas et de traction d'en haut. Je soupçonne qu'elle a raison et que les choses sont en train de changer, mais elles ne changent probablement pas assez vite.

Il nous faut un mécanisme quelconque pour sensibiliser les hauts responsables au renseignement. Chaque ministre, en accédant à son portefeuille, devrait recevoir un breffage sur le renseignement, traitant non seulement des faits mais expliquant aussi la nature des services. Nous avons besoin de ce produit régulier qui remonte. Nous avons besoin d'une sorte de bible du renseignement qui sera le révélateur des capacités de la communauté du renseignement et le révélateur de la capacité des hauts responsables à comprendre ce matériau et à l'utiliser intelligemment. Tant que nous n'en arriverons pas à cela, à cette combinaison consistant à savoir où se situe le Canada au plan international et comment mettre à profit les leçons internationales et avoir cette expérience quotidienne du renseignement, nous ne pourrons l'imaginer autrement, mais avec ces deux choses en place nous pourrons facilement l'imaginer.

Le président : La plupart des ministres ne peuvent imaginer une situation où ils auraient besoin du renseignement pour exercer leurs responsabilités. Ils ne voient pas en quoi il s'inscrit dans le contexte du travail qu'ils font.

L'autre aspect est que ces ministres qui ont un rôle direct dans le renseignement n'ont pas assez d'heures dans la journée pour s'y intéresser. Lorsque la ministre Anne McLellan a comparu devant le comité, nous avons passé en revue ses responsabilités en tant que vice-première ministre, ses responsabilité vis-à-vis du dossier frontalier, le fait qu'elle passait une heure par jour à la Période des questions et peut-être une autre heure à s'y préparer, et le fait qu'elle devait ensuite traverser la moitié du pays chaque semaine pour se rendre dans sa circonscription — qu'elle ne remportait que par 200 voix ou moins, selon l'élection — si elle voulait se faire réélire. Nous étions étonnés. Une fois qu'elle en avait terminé avec les comités qu'elle présidait et le volume de travail qui lui fallait abattre rien que pour fabriquer les saucisses, il ne lui restait pas grand temps pour la lecture de loisir.

Virtuellement tous les ministres vivent cette situation et semblent presque totalement dépendre de quelqu'un pour leur donner une synthèse et faire une recommandation précise. Lorsque nous parlons aux fournisseurs, ils disent qu'ils n'ont pas accès, qu'ils n'ont jamais l'occasion de parler au ministre, qu'ils transmettent un dossier à un sous-ministre qui, à son tour, l'envoie au Bureau du Conseil privé. Finalement, le produit se trouve diminué simplement à cause de tout ce qui vient accaparer le temps.

M. Wark : Je suis sûr que c'est un travail difficile et je ne doute pas que les ministres sont totalement surchargés de travail. Je soupçonne que la ministre McLellan est heureuse d'être de retour à la faculté de droit de l'Université de l'Alberta.

Il s'agit de réordonner les priorités. Les services de renseignement du pays et d'autres dans le monde ont trouvé des façons de retenir l'attention des politiciens surchargés. Ce n'est pas un problème propre au Canada. Il existe différentes façons de présenter l'information, d'une manière succincte et percutante. Le génie canadien est capable de trouver des façons d'acheminer un message succinct et important aux décideurs supérieurs. C'est davantage une affaire d'appétit et de conscience de l'importance du matériau.

Au risque de paraître un peu frivole, le renseignement possède quelques avantages naturels s'agissant de se tailler une place dans la chaîne alimentaire de l'information soumise à un ministre. Tout ce qui se présente dans une chemise rouge peut avoir des attraits. Les ministres, comme tout le monde, aiment connaître des secrets que personne d'autre ne connaît et les ministres n'aiment pas être tenus à l'écart des secrets que d'autres connaissent. Je mentionne cela car c'est un phénomène bien connu dans l'histoire du renseignement qu'il y a un désavantage concurrentiel, même autour d'une table de Cabinet, d'être surpris à ignorer ce que savent vos collègues, les autres ministres.

Il existe ce type d'avantages, mais l'élément sérieux dans tout cela est que, parmi toute l'information qui passe sous les yeux d'un ministre sous toutes sortes de forme, le renseignement doit apporter des éléments absolument cruciaux que tous les ministres doivent connaître. Ce n'est pas une question de choix. Ils doivent être mis au courant des menaces fondamentales à la sécurité du Canada. Il ne peut donc pas s'agir de rapports frivoles qu'ils perdraient leur temps à lire. Il doit s'agir d'information importante qu'ils doivent absolument connaître. Présentée sous cette forme, et lorsque les ministres commenceront à réaliser que ce ne sont pas là de petites nouvelles glanées au hasard par les services de renseignement mais au contraire des analyses réfléchies des dangers qui mettent en jeu la sécurité nationale du Canada, les attitudes vont changer.

Dans la tradition qui s'est établie chez nous au cours des décennies depuis la Seconde Guerre mondiale, le renseignement n'a jamais été auréolé d'un tel prestige. C'est un phénomène nouveau et il faudra du temps avant que les responsables des services de renseignement en prennent conscience. Je les encourage à organiser des breffages des ministres et à prendre contact avec leurs homologues étrangers. Aucun ministre canadien ne voudrait paraître moins bien informé que ses homologues étrangers dans des domaines cruciaux.

Le président : Le dernier aspect que j'aborderai à cet égard est la mauvaise réputation que les services de renseignement ont acquise au fil du temps. Nous avons vu, dans des pays proches de nous, le renseignement manipulé à des fins politiques et les défaillances du renseignement sont toujours plus présentes à l'esprit que ses réussites. Cela désavantage sensiblement la communauté du renseignement si elle veut s'insérer dans le processus décisionnel.

M. Wark : Je suppose que oui, mais en revanche peut-être peut-on inverser la proposition et dire que si le Canada a été témoin récemment de profondes défaillances du renseignement chez nos alliés, particulièrement avec l'évaluation par les Britanniques, les Américains, les Australiens et les Israéliens de la présence d'armes de destruction massive en Iraq, évaluations qui allaient toutes dans le même sens, cela nous donne la possibilité d'en tirer les leçons. La première est l'importance de fournir des renseignements fiables et l'autre est la prudence qui doit entourer la politisation du renseignement.

Il serait bon que nous réfléchissions à l'histoire récente de notre prise de décision dans le domaine international lorsqu'on parle du rôle du renseignement et de ses défaillances et succès. Sur la base de quelle connaissance sommes- nous allés en Afghanistan? Sur la base de quelle connaissance avons-nous décidé de ne pas aller en Iraq? Ce sont des questions importantes et je ne suis pas sûr que la réflexion à leur sujet amènerait nécessairement à la conclusion que le renseignement a été tellement dévoyé et sensationnalisé qu'il n'est pas important. Nous pourrions nous apercevoir qu'il y avait des déficiences considérables dans nos connaissances, déficiences dont nous devrions prendre conscience et qui renforceraient l'idée que, même si le renseignement peut et va fréquemment être défaillant — certains argueront qu'il va toujours être défaillant parce que le domaine est si difficile — que cela nous plaise ou non, nous allons devoir dépendre des évaluations du renseignement pour certaines décisions difficiles et délicates et qu'il y a beaucoup de travail à faire dans les milieux du renseignement canadiens pour arriver à un stade où nous pouvons à la fois disposer d'un bon produit et en connaître les limitations.

Le sénateur Banks : Pourriez-vous parler du fait que, d'une certaine façon au moins, le renseignement au sujet de l'Iraq avant l'invasion a été efficace car il a amené les gens à faire la guerre, alors même que l'information était erronée? N'est-ce pas l'une des raisons pour lesquelles les services de renseignement en général ont acquis une mauvaise réputation? L'information était erronée.

M. Wark : Absolument, les services de renseignement se sont totalement fourvoyés. Bien entendu, il y a une grande controverse sur la question de savoir dans quelle mesure l'information était fausse parce qu'elle a été politiquement manipulée et le débat ne sera sans doute pas entièrement tranché du vivant d'aucun d'entre nous.

Je suppose que vous pourriez en tirer la conclusion que le renseignement va être erroné et qu'il est très dangereux de se fier au renseignement pour prendre des décisions aussi importantes que la guerre ou la paix. Cependant, dans une perspective historique plus longue, nous savons que pour les décisions cruciales de guerre et de paix, il faut souvent s'en remettre au renseignement et parfois, dans des situations critiques, le renseignement vous évitera une catastrophe.

Mon exemple favori à cet égard, dans lequel le Canada a joué un rôle, est la crise des missiles cubains. Sans les informations dont disposaient les États-Unis lors de cette crise, le monde se serait précipité tête baissée dans une guerre nucléaire. Seuls les renseignements alors disponibles, et le fait que le gouvernement Kennedy ait accepté d'écouter et de façonner ses options en fonction d'eux, nous ont évité le pire.

On peut toujours trouver des exemples à citer contre la longue et sensationnelle litanie des défaillances. La vérité est que nous demandons aux services de renseignement l'impossible, d'une certaine façon. Nous voulons qu'ils connaissent le monde, connaissent toutes les menaces et prédisent leur provenance. C'est une impossibilité, mais nous leur demandons de tomber juste à 100 p. 100.

Le sénateur Banks : Nous leur demandons une information juste, quelle que soit l'interprétation qu'ils en donnent.

M. Wark : Oui, mais parfois c'est difficile à faire. Sans vouloir trop m'attarder sur l'évaluation concernant l'Iraq, je l'ai étudiée et j'ai parlé à quantité de personnes impliquées. Tout compte fait, on sort de là en se disant que le plus surprenant était que Saddam Hussein n'ait pas eu d'armes de destruction massive. Si vous y réfléchissez, vous commencez à voir combien il était difficile pour les services de renseignement du monde, qu'ils soient britanniques, américains, australiens ou israéliens — et nous connaissons la nature de leurs évaluations grâce aux enquêtes publiques parlementaires et autres — d'arriver à une conclusion autre que celle que Saddam Hussein devait posséder ces armes.

Le sénateur Banks : Nous ne voulons pas passer trop de temps là-dessus, mais l'information disant qu'il devait en avoir figurait sur un côté de la page, et sur l'autre côté était l'information sur laquelle le Canada a principalement fondé sa décision, à savoir le rapport d'un inspecteur des Nations Unies disant qu'il n'avait pas ces armes. Il y avait deux jeux de renseignements. Certains ont décidé de se fier au mauvais jeu. Mais laissons cela.

Un témoin ce matin nous a dit qu'il faut entendre « renseignement » au même sens que le mot « information ». Un autre témoin ce matin a dit qu'il faut faire une distinction entre renseignement et information.

M. Wark : Cela fait des décennies que l'on cherche une définition de « renseignement » et de la distinction entre renseignement et information. Je ne suis pas sûr de pouvoir faire mieux. Cependant, certains éclaircissements nous rapprochent du but. Lorsque les services de renseignement modernes ont vu le jour après la Première Guerre mondiale, ils faisaient le trafic d'information secrète acquise clandestinement par des êtres humains. Ce monde est révolu depuis longtemps.

Aujourd'hui, les services de renseignement fournissent au gouvernement des informations acquises tant clandestinement qu'auprès de sources ouvertes. Comme la plupart des praticiens vous le diront, une bonne part de l'éventail des informations qu'ils fournissent aujourd'hui aux gouvernements provient de sources ouvertes, et seule une partie relativement petite provient du flux clandestin, soit la surveillance des transmissions ou des télécommunications. Certains États ont même maintenant une capacité de renseignements par imagerie.

Les services de renseignement, selon mon estimation, fournissent aux gouvernements des jugements éclairés sur les menaces et la nature de l'environnement sécuritaire international et national. Ces jugements éclairés sont importants car ils ne consistent pas seulement en des informations brutes. Ce qui compte réellement, c'est l'analyse et l'évaluation qu'ils font de ces informations. L'évaluation de renseignement est le cœur de cette activité.

Les services de renseignement fournissent des jugements éclairés aux gouvernements sur les menaces à la sécurité actuelle et future sur le territoire national et à l'étranger. Voilà comment je définirais ce travail.

Le sénateur Banks : Pour ce qui est du traitement et de l'analyse d'évaluation, vous avez parlé d'une époque où nous étions mieux accueillis qu'aujourd'hui aux tables internationales. Depuis la fin de la guerre jusqu'à la fin de la guerre froide, approximativement, le principal article de commerce du Canada n'était pas la collecte et l'acquisition d'information brute, mais plutôt son savoir-faire sur le plan du traitement de cette information.

Vous avez dit que la solution ne consiste pas simplement à créer un service du renseignement extérieur. La solution ne réside peut-être même pas dans une telle création. Pourrions-nous nous spécialiser, en quelque sorte, dans une meilleure capacité d'évaluation des renseignements et en faire notre créneau?

M. Wark : C'est une question intéressante. Je pense que nous pourrions faire plus à cet égard et nous avons perdu la place qui était jadis la nôtre. C'est difficile à juger. C'est une illustration des remarques du sénateur Kenny. Il est difficile de faire une histoire générale des évaluations du renseignement canadiennes parce qu'une si grande partie de la documentation reste fermée.

Pendant certaines période de la guerre froide le Canada était intimement branché à un réseau allié à l'intérieur duquel nous échangions les évaluations du renseignement. Les évaluations canadiennes étaient souvent accueillies avec un certain respect. Nous étions perçus comme une communauté du renseignement prudente et sceptique qui ne bondissait pas sur la moindre menace pour en exagérer l'importance.

Mon sentiment est que le partage intime des évaluations du renseignement, par opposition au matériau brut, a reculé au fil du temps, mais il est certainement possible de reconstruire cela. Je pense que nous aurions une bonne aptitude à devenir leaders en matière d'évaluation du renseignement, étant donné les ressources humaines, financières et technologiques dont nous disposons dans ce pays, ainsi que nos intérêts planétaires.

Le sénateur Banks : Lorsque vous parlez de recul, parlez-vous du recul de notre capacité à les faire, ou bien de recul de leur valeur pour la communauté du renseignement international?

M. Wark : Non, je parle de notre capacité à contribuer. Je pense que nous pourrions reconstituer cette contribution. Cela exigerait de réinvestir dans certains mécanismes que nous avons laissé dépérir, en particulier les réseaux d'agents de liaison qui nous mettaient en rapport avec la Grande-Bretagne et Washington et cetera.

Ce pourrait être fait. Il faudrait pour cela avoir un très bon produit d'évaluation du renseignement car nous aurions à rivaliser avec quelques organisations très capables : le National Intelligence Council aux États-Unis, le Joint Intelligence Committee au Royaume-Uni et d'autres de cette nature.

Nous pourrions devenir ce créneau, mais je n'aimerais pas que nous nous limitions à cela. Je pense que cela pourrait faire partie de l'identité du Canada en tant que puissance de renseignement. On ne peut pas faire de bonnes évaluations du renseignement si vous n'avez pas suffisamment de pouvoir de collecte propre. Il faut disposer de toutes sortes d'informations. Il faut disposer d'informations de source ouverte, d'informations acquises clandestinement, d'informations provenant de la surveillance des transmissions et une certaine capacité à mettre la main sur des données d'imagerie ou bien en générer soi-même. Il faut collecter tout l'éventail des informations avant de pouvoir effectuer de bonnes évaluations du renseignement. Autrement, ce qui se passe, comme nous l'avons vu avec la guerre en Iraq, c'est que tous les services de renseignement finissent par singer les conclusions des autres services de renseignement.

Le sénateur Banks : Sauf les nôtres.

M. Wark : J'aimerais croire que nous avions une opinion divergente à ce sujet, mais je n'en ai pas encore vu la preuve.

Le sénateur Banks : Vous parliez du rapport du juge O'Connor. Le président en a discuté avec vous. Sous le dernier gouvernement, certains d'entre nous étions membres d'un comité mixte pluripartite qui a parcouru le monde pour examiner certains des services des « Five Eyes », et nous avons rédigé un rapport contenant des recommandations sur la supervision parlementaire. Le Canada est la seule des démocraties occidentales à ne pas avoir une forme de supervision parlementaire des affaires de sécurité et de renseignement, et le juge O'Connor en a fait état dans son rapport.

Je suppose que vous avez vu nos recommandations.

M. Wark : Oui, certainement.

Le sénateur Banks : Quelle est votre opinion? Pensez-vous qu'il faudrait une supervision parlementaire à priori ou à posteriori? Devrait-ce être une surveillance ou un examen à posteriori?

M. Wark : Je répondrai d'abord à la deuxième question car je pense que c'est la plus facile.

Dans l'ensemble, l'examen parlementaire de la communauté du renseignement doit être rétrospectif. C'est ainsi qu'il peut fonctionner le mieux. Je ne pense pas que le Parlement ait réellement un rôle, ou puisse contribuer ou se prononcer sur les opérations courantes. Je ne puis imaginer cela et ce n'est pas la pratique habituelle dans les régimes parlementaires.

Je crois savoir que le gouvernement réfléchit toujours à la question d'un comité parlementaire ou d'un comité de parlementaires. Mon point de vue est que le moment d'avoir une telle institution est venu. Ma préférence personnelle irait à un comité parlementaire mixte, comme vous l'avez recommandé, plutôt qu'au modèle britannique d'un comité de parlementaires, qui peut être plus facilement endigué et contrôlé. Mais je serais prêt à accepter l'un ou l'autre pour que la pratique voie le jour, et on pourra toujours apporter des changements ultérieurement.

Je pense qu'il est essentiel que le Parlement ait une plus grande capacité qu'à l'heure actuelle de scruter le travail de la communauté du renseignement, mais non pas — et cela aurait été l'attente principale dans le passé — parce que les services de renseignement se livraient à quantité de coups fourrés ou d'infractions à la loi. Ce n'est pas là-dessus que doit porter le travail, mais sur toute la question de l'efficacité. Dans quelle mesure les services de renseignement font-ils un bon travail?

Un comité parlementaire, à mon avis, pourrait aider la communauté du renseignement à faire un meilleur travail en étant un stimulant externe la poussant à s'améliorer. La communauté du renseignement tend à être hermétiquement scellée et ses membres vivent dans un monde clos où il est difficile de générer une critique interne; ils ont besoin d'une critique externe.

Un comité parlementaire pourrait avoir un profond impact sur l'éducation du public, par le biais de rapports et d'audiences qui retiendraient l'attention des médias. À long terme, cela pourrait modifier toute la conception que les gens se font des milieux du renseignement dans ce pays.

Le sénateur Banks : Si le comité obtenait l'accès requis pour faire son travail, c'est-à-dire une certaine habilitation de sécurité, des limites strictes restreindraient ce qu'il pourrait dire au public.

M. Wark : C'est souvent le problème, mais je crois que les pratiques des Britanniques, des Australiens, des Américains ou des Israéliens ne suscitent pas ces soucis. Il y aura toujours la question des sources, des méthodes et détails opérationnels qui ne devront pas être dévoilés au public, mais ce n'est pas cela qui compte dans les rapports parlementaires de toute façon. Il s'agirait plutôt d'un regard plus large, plus stratégique, sur la communauté de la sécurité et du renseignement — comment elle fonctionne et comment les services s'intègrent, comment les missions sont définies et quelles défaillances se sont produites et devaient être étudiées. Les rapports traiteraient de ces aspects et n'entreraient pas dans le détail des sources et méthodes opérationnelles. Ce ne serait pas là le rôle d'un tel comité. C'est une vieille rengaine dépassée que de dire que si vous avez un comité parlementaire dont les membres et le personnel ont une habilitation sécuritaire, il va être coupé du public et des affaires parlementaires ordinaires. Ce ne doit pas nécessairement être le cas.

Le sénateur Day : J'avais décidé dans mon esprit que la définition du « renseignement » était une information de toute provenance, clandestine ou non, qui est analysée et qui se transforme ainsi en renseignement.

M. Wark : C'est une définition sensée et appropriée.

Le sénateur Day : Comme le sénateur Banks l'a relevé, l'une des définitions était effectivement celle remontant à la Première Guerre mondiale, où le renseignement était une information recueillie de manière clandestine. C'est ce que l'on appelait le renseignement, mais on est loin de cela aujourd'hui.

Vous avez mentionné le renseignement par imagerie. Pouvez-vous nous en donner une définition? Parlons-nous là d'information géopolitique?

M. Wark : Le renseignement par imagerie, de façon générale, est tout ce qui est recueilli par des plates-formes technologiques dans les airs ou dans l'espace. Il a aussi une longue histoire qui remonte à la Première Guerre mondiale ou même avant. C'est un regard d'en haut sur des pays, ou des armées, ou tout ce qui peut intéresser.

Le renseignement par imagerie fait de longue date partie de l'éventail de la collecte d'information. Il était jadis coûteux et l'apanage des grandes puissances. Nous assistons aujourd'hui à une révolution technologique et économique. Il est aujourd'hui beaucoup moins coûteux et à la portée de beaucoup plus de gens de faire du renseignement par imagerie. Il y a les coûteuses « Cadillacs » du ciel que le Canada ne pourra jamais s'offrir, et je suppose que nous profitons des fruits de toute façon par le biais de nos alliés. Il existe des plates-formes de collecte moins coûteuses, dont nous avons déployé certaines en Afghanistan, et qui joueront à l'avenir un rôle important en matière de renseignement. On discute de la façon dont le Canada pourra accroître sa connaissance des développements dans l'Arctique et au niveau de la sécurité de l'Arctique. L'un des moyens pourrait être d'investir dans l'imagerie.

On a parlé dans ce comité des préoccupations relatives à la sécurité frontalière et la surveillance des frontières. On a mis en place des détecteurs mais il pourrait y voir à l'avenir des plates-formes qui feront ce travail pour nous. On les perçoit souvent comme des dispositifs militaires, mais ce sont des outils de renseignement qui deviennent bon marché et miniaturisés et assez facilement disponibles pour être utilisés par le Canada. Nous sommes juste au début de cela. En Afghanistan, je crains que nous n'ayons pas suffisamment réfléchi au type de technologie d'imagerie qui serait utile pour nous. Lorsque nous sommes allés en Afghanistan, nous avons acheté des UAV de série moyennement performants et nous devons réfléchir au type de système d'imagerie qui répondrait le mieux aux besoins du Canada. On pourrait faire usage davantage des satellites commerciaux en place et nous avons besoin de la capacité d'exploiter cette information si nous l'achetons. Nous pourrions décider de lancer nos propres satellites à l'avenir et il existe d'autres dispositifs de plus faible altitude que nous pourrions utiliser également.

Le sénateur Day : Les véhicules aériens sans pilote équipés de caméras sont l'une des sources d'image dont vous parlez. Est-ce que cette source d'information est moins coûteuse que les images satellites que nous recevons? Sont-ils efficaces également avec une couverture nuageuse ou bien volent-ils en dessous des nuages? Est-ce la raison pour laquelle nous les utilisons?

M. Wark : Il y a différentes catégories de capacité et de prix. Il faudrait regarder les capacités et les prix. Le Canada possède une assez bonne capacité technologique dans ce domaine. Nous sommes chef de file dans la technologie des satellites à rayons X depuis pas mal d'années. Nous ne nous sommes jamais demandé quelle partie de cette technologie nous permettrait de renforcer la capacité du Canada en tant que puissance de renseignement. L'Afghanistan est réellement la première fois que nous sommes contraints de nous poser cette question. Peut-être notre sécurité va-t-elle nous contraindre à la poser.

Je pense qu'il y a un rôle de sécurité frontalière et de sécurité arctique pour cette technologie. Je pense qu'il y a un rôle pour elle dans les opérations de pacification et de maintien de la paix futures. Nous pourrions très bien décider de nous doter d'une capacité spécialisée sur le plan de la surveillance d'autres aspects aux fins du renseignement. Nous pourrions vouloir jouer un rôle dans la surveillance mondiale de l'environnement au moyen de satellites commerciaux. Soit il nous faudrait posséder les satellites soit être disposés à acheter du temps d'utilisation sur les satellites d'autrui.

Il y a là un très grand champ de possibilités pour la communauté du renseignement canadienne, qui historiquement a toujours dépendu de ses alliés pour le produit et en a fait bon usage mais sans jamais en être le propriétaire.

Le sénateur Day : Au cours de votre exposé vous avez fait état d'un certain nombre de changements intervenus depuis le 11 septembre 2001. Vous avez formulé quelques remarques judicieuses.

Vous avez parlé du Centre intégré de l'évaluation des menaces, le CIEM, qui semble être devenu un conduit pour les évaluations du renseignement alliées. Selon ce que vous avez observé, nous ne faisons pas nos propres évaluations, nous agissons simplement comme courroie de transmission ou point de collecte d'informations venant de nos alliés. Est-ce là ce que vous dites?

M. Wark : C'est ce que je devine. On trouve quelques données statistiques sur la nature des rapports du CIEM dans le rapport annuel le plus récent du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité qui donnent à penser que la majorité des évaluations de menaces qu'il produit sont des évaluations alliées reconditionnées provenant de services étrangers.

Le CIEM a été créé en partie pour établir un équivalent canadien des centres de synthèse antiterroriste similaires créé à Washington et à Londres. Le JTAC est le Joint Terrorism and Analysis Centre au Royaume-Uni. Le nom du centre américain a changé au fil du temps, mais c'est à toutes fins pratiques l'équivalent de notre Centre intégré de l'évaluation des menaces terroristes.

Cette impression qu'une bonne partie du produit provient des alliés reflète peut-être le fait que nous n'avons pas encore trouvé une façon d'exploiter le CIEM pour nous-mêmes. Il est important que ces produits provenant des pays alliés parviennent au CIEM. Je ne dis pas du tout le contraire. Mon impression, d'après un aperçu statistique, est que le CIEM ne rédige pas suffisamment de rapports propres pour donner une vision canadienne des menaces terroristes pesant sur notre pays ou plus largement sur le monde. J'ai été assez frappé de voir dans quelle mesure ces rapports sont de provenance étrangère et reconditionnés.

C'est dû à la motivation de l'expérience effectuée avec le CIEM, soit le souci de créer un équivalent canadien des autres centres aux fins de la liaison et de la relation avec les alliés; c'était une expérience de coopération en matière de renseignement qui n'était destinée à être rien de plus que cela; et c'était fondé sur une sorte de soupçon généralisé que peut-être le SCRS en savait plus qu'il ne le disait aux autres organismes gouvernementaux, et donc on allait créer ce centre intégré où tout serait mis sur la table. Tout cela pour dire qu'il n'y avait pas pour le CIEM d'objectif stratégique canadien très clair au moment de sa création et peut-être le cherchons-nous toujours.

Le sénateur Day : Est-ce que l'information provenant de la surveillance des communications, dont beaucoup de sources nous parlent et qui est la spécialité du Centre de la sécurité des télécommunications, est canalisée par le CIEM et comparée à d'autres informations que le SCRS recueille de son côté?

M. Wark : Je n'ai jamais vu aucun des produits du CIEM et n'ai jamais effectué aucun travail avec lui et je ne fais donc que spéculer, mais je crois savoir que l'idée était qu'il s'agirait là d'un centre de synthèse. Il regrouperait du personnel représentant leurs ministères et organismes respectifs et contribueraient les bases de données et le savoir-faire de ces ministères et organismes en apportant tout cela à un organe central focalisant spécifiquement sur les menaces terroristes. Il s'agissait de veiller à ce que ne passe pas inaperçu un élément d'information pouvant exister ou émerger quelque part dans la bureaucratie. Comment cela fonctionne en pratique, dans quelle mesure cette idée d'un centre de synthèse fonctionne bien et dans quelle mesure toute l'information est canalisée vers ce centre, il m'est impossible de le savoir.

Le sénateur Day : Nous devrions donc poser davantage de questions. Il existe aussi un groupe d'analystes au sein du Bureau du Conseil privé. C'est également là où est logé le Conseiller à la sécurité nationale. Où l'analyse a-t-elle lieu, ou bien a-t-elle lieu en différents endroits pour des fins différentes?

M. Wark : Le groupe du Bureau du Conseil privé existe depuis longtemps. C'est probablement lui qui a les racines historiques les plus profondes. Il remonte à une expérience qui a commencé pendant la Seconde Guerre mondiale et son existence est plus ou moins continue depuis. On l'appelle aujourd'hui le Bureau de l'évaluation internationale, ou BEI. Il se distingue du CIEM parce que son rôle est d'effectuer des évaluations stratégiques étrangères sur toute une gamme d'enjeux. Le rôle du CIEM est de focaliser sur les menaces terroristes et autres types d'urgence qui pourraient se répercuter sur le Canada. Voilà la distinction entre les fonctions.

Outre ces deux principaux organes d'évaluation du renseignement, il existe une foule de petites unités d'évaluation dispersées à travers l'administration gouvernementale. C'est un phénomène de l'environnement post-11 septembre. Il existe une unité d'évaluation à l'Agence des services frontaliers du Canada. Il y en a une au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Il y en a une au ministère de la Défense nationale. Nous avons à la fois ces efforts de coordination, d'intégration et de synthèse et cette prolifération d'unités d'évaluation distinctes et spécialisées.

Dans quelle mesure avons-nous besoin de cette prolifération, voilà une vaste question. Dans quelle mesure ces organes communiquent-ils bien ensemble et disposent tous des ressources individuelles dont ils ont besoin? Pour ce qui est de l'expérience de l'ASFC avec son propre personnel d'évaluation, je suis frappé de voir à quel point la section manque de ressources, d'après ce que je sais, mais aussi à quel point son travail pourrait être crucial pour cette agence.

Le sénateur Day : Manifestement ils n'obtenaient pas le type de renseignement qu'ils jugeaient nécessaire pour leurs fins particulières et peut-être, dans une certaine mesure, faut-il analyser l'information plus en aval en fonction d'une application spécifique, c'est-à-dire que l'on ne peut avoir un organe analysant l'information pour toutes les applications possibles.

M. Wark : Oui. Il y a un grand débat au sujet de la structure des services de renseignement entre centralisateurs et décentralisateurs. J'aborde ce sujet car il est important dans le contexte canadien. Vaut-il mieux avoir une communauté du renseignement centralisée et hiérarchisée, strictement contrôlée depuis le sommet, ou vaut-il mieux avoir une structure décentralisée et plus horizontale? La raison pour laquelle vous pourriez vouloir réfléchir à ces options est que, de plus en plus, les écrits spécialisés sur le renseignement penchent pour la combinaison d'une structure centralisée et d'une structure décentralisée, parce qu'il est bon d'avoir ce que l'on appelle souvent du « renseignement concurrentiel ». Il s'agit de la capacité d'avoir différents jugements en circulation, qui vont se heurter et s'éprouver mutuellement, pour obtenir en fin de compte la meilleure conclusion possible.

Soit dit en passant, cela a été l'une des grandes difficultés de la relation SCRS-GRC. Selon le partage initial des responsabilités, lorsque le SCRS a été créé, ce dernier devait être le fournisseur de tout le renseignement et la GRC devait agir sur la base de cette information, sans aucune capacité de renseignement propre. Nous avons vu les problèmes qui ont émergé avec cela lorsque la GRC a estimé qui lui fallait sa propre unité d'évaluation du renseignement pour assurer sa fonction de sécurité nationale, après le 11 septembre, en rapport avec l'affaire Arar.

Il existe toujours des arguments en faveur d'unités d'évaluation spécialisées existant dans leur propre silo, à condition d'avoir la capacité de mettre leurs jugements en concurrence avec ceux formés ailleurs dans la communauté et à condition que quelqu'un chapeaute le tout. L'une des raisons pour lesquelles c'est une erreur d'avoir fait de la fonction de Conseiller à la sécurité nationale un poste à temps partiel est qu'il reste encore beaucoup de travail de coordination à faire dans cette communauté qui reste toujours très décentralisée, plus de travail que ne peut en abattre un conseiller à temps partiel.

Le sénateur Day : Est-ce là ce qu'est en pratique Mme Bloodworth, Conseillère à la sécurité une partie de son temps et chargée d'autres activités au Bureau du Conseil privé pendant l'autre partie?

M. Wark : Elle porte plusieurs chapeaux. Elle les porte extrêmement bien mais nous sommes seuls à avoir décidé que nous n'avons pas besoin d'un conseiller à la sécurité nationale à plein temps. C'est une erreur.

Le sénateur Day : Est-ce en 2004 que le poste de Conseiller à la sécurité nationale a été créé, par la stratégie de sécurité nationale?

M. Wark : Le poste a été créé par le gouvernement de Paul Martin. Il a été annoncé en décembre 2003 et il a été occupé depuis par plusieurs personnes. Le poste est antérieur à la stratégie de sécurité nationale. Le premier titulaire était un nommé Rob Wright qui, en cette capacité, a contribué à l'élaboration de la stratégie de sécurité nationale.

Le sénateur Day : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le Conseil consultatif de la sécurité nationale? Que fait-il et qu'est-il censé faire?

M. Wark : Maintenant je peux me réfugier derrière la confidentialité. Le gouvernement a annoncé son désir de créer un Conseil consultatif sur la sécurité nationale dans la stratégie de sécurité nationale d'avril 2004. Il l'a ensuite constitué en lançant un appel à candidature aux personnes intéressées à y siéger. Il a vu le jour en septembre 2005 et ses membres initiaux y siègent toujours, bien que leur mandat va prendre fin prochainement.

L'idée derrière le Conseil consultatif de la sécurité nationale était de donner au Conseiller à la sécurité nationale et au comité du Cabinet auquel il fait rapport des conseils indépendants relatifs au renseignement et à la sécurité nationale. C'était l'idée. Je pense pouvoir dire que le Conseil a connu quelques difficultés de jeunesse et il est toujours en quête d'un rôle et le gouvernement se tâte toujours concernant l'idée d'un conseil indépendant. J'étais un promoteur de cette idée. Elle a de l'avenir et j'espère que le Conseil sera maintenu. Il est difficile de savoir dans quelle mesure le gouvernement actuel y est favorable. Je ne le sais pas.

Le sénateur Day : Avec quelle fréquence se réunit le Conseil?

M. Wark : Selon son mandat, il doit se réunir entre deux et quatre fois par an. Vu les changements de gouvernement et de Conseiller à la sécurité nationale, ses réunions ont été un peu irrégulières. La meilleure année, il s'est réuni quatre fois et au cours de son année moins active, il s'est réuni deux fois.

Le sénateur Day : L'Agence des services frontaliers du Canada a également un organe consultatif. A-t-il un rôle et un mandat similaires?

M. Wark : Il est constitué différemment. L'idée est la même, conseiller le président de l'ASFC sur les enjeux stratégiques de la sécurité frontalière. L'Agence y a nommé les personnes qu'elle souhaitait avoir. Il est constitué différemment du Conseil consultatif. Il se réunit assez fréquemment. L'ASFC est réellement intéressée à recevoir ses avis. Là encore, le code de la route est rédigé au fur et à mesure. C'est un peu une expérience — une expérience importante car l'une des choses qui a rendu la communauté du renseignement canadienne plus insulaire qu'elle ne le devrait au fil des ans a été son incapacité à dialoguer avec une communauté d'experts externes, qu'il s'agisse d'universitaires, d'anciens praticiens ou des experts du secteur privé. Ces deux conseils ou comités, avec leurs formes différentes, sont tous deux conçus pour mettre en marche un processus de construction de passerelles entre les experts externes et le gouvernement sur le plan d'une capacité consultative.

Le président : Professeur Wark, étant donné que le renseignement extérieur est un ingrédient nécessaire du mélange, pourriez-vous nous parler brièvement du lieu où il conviendrait de le loger, dans un SCRS élargi, ou dans une agence distincte, dans une entité indépendante ou dans une agence responsable devant le Parlement par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères? Avez-vous des opinions à ce sujet?

M. Wark : Oui. Je vais préfacer ma réponse en disant que j'ai également été invité par l'Institut de recherche en politiques publiques à rédiger un rapport sur les capacités de renseignement extérieur, ce que je prévois de faire cet été. Je me ferai un plaisir de transmettre ce rapport au comité.

La route réaliste consiste à réécrire la Loi sur le SCRS afin de lever l'obstacle sémantique des « menaces à la sécurité du Canada » qui pourrait empêcher le SCRS d'entreprendre des opérations à l'étranger et de lui confier le mandat, initialement, de créer une capacité de renseignement extérieur à service intégral. Il serait entendu que ce projet prendrait probablement une dizaine d'années. Il exigerait quelques ressources et, à la fin de la période, il serait important de déterminer la meilleure localisation institutionnelle d'un tel service. Il doit commencer au sein du SCRS. Ce dernier est la seule agence du gouvernement canadien à posséder la capacité de créer une telle organisation et d'injecter l'information recueillie dans les circuits gouvernementaux. Cependant, la question du logement institutionnel futur devrait rester ouverte. Le SCRS devrait prouver, au fil de l'élaboration d'une telle capacité, qu'il peut en être le domicile responsable à long terme. D'autres domiciles sont possibles, notamment le modèle britannique de la domiciliation dans l'équivalent de notre ministère des Affaires étrangères, dans des conditions d'autonomie.

Pour ce qui est de l'encadrement politique et de la surveillance, il importerait qu'une sous-agence du renseignement extérieur au sein du SCRS soit flanquée d'un comité directeur composé du vice-premier ministre, si un tel poste existe à l'avenir, du ministre de la Sécurité publique et du ministre des Affaires étrangères. Il serait ainsi doté d'un mini-cabinet ou comité directeur qui superviserait régulièrement les opérations et approuverait les missions, et cetera. C'est un sujet délicat et complexe. Les relations interalliées sont l'un de aspects qu'il s'agirait de superviser, car il est important pour le fonctionnement et l'efficacité d'un service du renseignement extérieur canadien.

Il démarrerait au sein du SCRS et je rendrais cela possible en modifiant la Loi sur le SCRS. Je fixerais une échéance à la création d'un service étranger au sein du SCRS et j'imposerais un examen complet de cette activité à la fin de la période spécifiée en vue de décider des arrangements institutionnels et de la direction future.

Le président : Excellent. Merci. Au nom du comité, je vous remercie infiniment d'être venu partager vos vues avec nous. Cela a été très utile. Cela a été un contraste utile avec les fonctionnaires que nous avons reçus plus tôt et nous vous sommes reconnaissants de vos connaissances et de vos commentaires. J'espère que vous nous transmettrez cette étude.

M. Wark : Ce sera avec plaisir.

Le président : Nous serons ravis de maintenir le contact avec vous.

M. Wark : Merci, monsieur le président.

Le président : Collègues, je suspens la séance et nous allons continuer pendant environ trois minutes dans la pièce d'à-côté.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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