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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 9 - Témoignages du 23 novembre 2006


OTTAWA, le jeudi 23 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 42, afin d'examiner la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999, chap. 33), conformément au paragraphe 343(1) de ladite loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour à tous. Je déclare la séance ouverte. C'est pour moi un plaisir que de vous accueillir à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Au cours des derniers mois, le comité a tenu un certain nombre de réunions afin de définir la portée de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement de 1999. Nous avons décidé d'examiner cette loi très vaste en prenant quelques exemples précis pour voir comment la mesure législative s'applique.

Aujourd'hui, nous allons parler du mercure. Nous recevons Mme Linda Duncan, qui est consultante internationale en matière de droit et de politiques sur l'environnement. Nous avons déjà eu le plaisir de rencontrer Mme Duncan lorsque notre comité s'est rendu à Edmonton, l'année dernière.

Je m'appelle Tommy Banks, je suis sénateur et je viens de l'Alberta. J'ai également l'honneur de présider ce comité. Avant de commencer, je vais vous présenter mes collègues.

Le sénateur Ethel Cochrane est vice-présidente du comité. Elle vient de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle est titulaire d'une maîtrise en éducation de l'Université St-François-Xavier, à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, et elle siège également au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie ainsi qu'au Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

Le sénateur Willie Adams vient du Nunavut et a été nommé au Sénat en 1977. Il est électricien et homme d'affaires. Il a été notamment propriétaire de Kudlik Electric, Kudlik Construction, Polar Cave Investments et Nanuq Inn, à Rankin Inlet. Il est aussi membre du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans ainsi que du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Le sénateur David Angus nous vient de Montréal. Il est avocat, possède une vaste expérience au sein de la communauté et est actuellement associé principal au cabinet montréalais Stikeman Elliott. Il est aussi vice-président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Le sénateur Lorna Milne est originaire de l'Ontario et vice-présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Par le passé, le sénateur Milne s'est intéressée à la légalisation du chanvre dans le but d'en faire une culture industrielle, et elle s'est opposée à l'utilisation des hormones de croissance chez les bovins pour stimuler la production laitière. Dernièrement, le sénateur Milne s'est intéressée à la publication des dossiers des recensements menés après 1901 ainsi qu'aux aliments génétiquement modifiés.

Le sénateur Claudette Tardif vient de l'Alberta. Elle est reconnue depuis longtemps comme l'une des principales championnes des droits linguistiques et culturels des minorités au Canada. Elle est aussi connue pour son importante contribution aux domaines de l'éducation secondaire et postsecondaire. Elle siège au Sénat depuis 2005 et s'est adaptée très rapidement. Elle est actuellement membre du Comité sénatorial permanent des langues officielles et du Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.

Madame Duncan, vous avez la parole.

Linda F. Duncan, à titre personnel : En plus du mémoire que je vous ai envoyé en début de semaine, je vous ai apporté des documents complémentaires; je vous encourage à en prendre connaissance dans le cadre de vos travaux. Parmi ces documents, il y a le règlement albertain relatif aux émissions de mercure provenant des centrales électriques alimentées au charbon. Je suis fière de vous dire que j'ai joué un rôle très important dans l'adoption de cette mesure. Elle est parfaite pour servir de modèle à l'établissement d'un règlement fédéral, comme je vais vous l'expliquer dans les prochaines minutes. Malheureusement, nous avons eu de la difficulté à télécharger le document du site de l'Imprimeur de la Reine, ce dont je me suis plainte; je vous ai néanmoins apporté une copie papier que je remettrai au comité.

Deuxièmement, j'ai aussi le plaisir de vous informer qu'à la suite de l'examen quinquennal que nous avons effectué en Alberta, le gouvernement de cette province a décidé d'établir ce que l'on appelle le protocole sur les points chauds. Vous en avez reçu une copie. Ce protocole est très important. On y indique essentiellement que la production des centrales électriques alimentées au charbon en Alberta se limite à un secteur, la région du lac Wabamun. Ceci est préoccupant car, étant donné que le mercure est une neurotoxine qui s'accumule dans l'environnement, il peut se concentrer dans une zone géographique donnée.

Nous avions un comité multipartite, auquel siégeaient les représentants des gouvernements fédéral et provincial ainsi que ceux de l'industrie et du grand public; et le gouvernement a accepté d'émettre ce protocole. On y indique qu'en présence de quatre éléments déclencheurs, il faut prendre sans tarder des mesures pour corriger la situation. L'un de ces éléments serait toute nouvelle donnée scientifique fiable indiquant qu'il peut y avoir un risque pour la santé ou l'environnement. En se fondant sur le principe de précaution, le gouvernement doit alors constituer un comité et prendre immédiatement les mesures qui s'imposent. Ceci est un autre document intéressant pouvant servir de modèle dans le cadre de l'examen de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, ou LCPE, ou de toute autre loi fédérale pertinente.

Je vous ai également remis un exemplaire de l'examen que m'a demandé de faire le gouvernement de l'Alberta. Le document en question présente un résumé de toutes les mesures législatives et initiatives réglementaires prises aux États-Unis et au Canada en ce qui a trait à la réglementation relative aux émissions de mercure provenant des centrales électriques alimentées au charbon. Il donne une bonne vue d'ensemble de la situation. Toutefois, il n'a pas été mis à jour depuis au moins un an. Le seul élément nouveau est qu'il y a maintenant beaucoup plus de lois en la matière aux États-Unis. Ce document fait aussi état de toutes les obligations internationales du Canada ainsi que des accords bilatéraux et trilatéraux que notre pays a signés pour réduire les émissions de mercure provenant des centrales électriques alimentées au charbon.

Le quatrième document, qu'on vient de vous remettre, vise une étude qu'a commandée l'organisation pour laquelle je travaille, la Wabamun Lake Organization. Je suis sûre que vous avez déjà entendu parler de M. David Schindler, un scientifique canadien de renom. Nous avons demandé à quelques-uns de ses collaborateurs d'approfondir leurs recherches. M. Schindler et son équipe ont réalisé des études en Alberta et ailleurs au Canada pour déterminer quelle est la provenance des métaux lourds et où on les retrouve dans l'environnement, les ressources halieutiques et la nappe phréatique. L'organisation pour laquelle je travaille leur a demandé de faire une étude plus poussée dans la région du lac Wabamun. Ils ont prélevé des carottes dont les données permettent de remonter jusqu'à 100 ans en arrière. Ce document, tout à fait fiable et publié dans le Journal of Paleolimnology, indique que depuis la création des premières centrales électriques alimentées au charbon en Alberta, les taux de mercure dans l'environnement local n'ont cessé d'augmenter.

Je pense que tout cela vous sera fort utile. Il y a enfin un dernier document, que je ne vous ai pas apporté car il est très volumineux, mais que je pourrais remettre à tous ceux qui aimeraient le consulter. Tim Lambert, qui, je crois, a déjà comparu devant votre comité, et moi-même, avons participé à une étude pour le compte d'un organisme appelé Clean Air Strategic Alliance. Lorsque j'ai témoigné devant votre comité en Alberta, je représentais cette organisation. Le ministre provincial de l'Environnement nous a demandé de trouver une meilleure façon de gérer les émissions dans l'atmosphère provenant des centrales électriques en Alberta. Ceci constitue donc un code pour les centrales électriques alimentées au charbon, car la plupart de l'électricité produite en Alberta vient de centrales alimentées au charbon. Trois ans après cette étude, nous avons proposé un tout nouveau cadre incluant un régime d'échange d'émissions pour les oxydes d'azote et les oxydes de soufre. Un règlement est actuellement en vigueur. Je félicite l'Alberta pour cette initiative. Lorsqu'elle décide de faire quelque chose, c'est du bon travail. Nous avons aussi recommandé l'élaboration d'un règlement pour le mercure, et c'est ce règlement que je vous ai apporté aujourd'hui.

Il vous sera également utile, tout comme les rapports connexes, que vous trouverez tous sur le site de la Clean Air Strategic Alliance. Ceux-ci proposent notamment des modèles pour l'établissement des coûts afin de savoir ce qu'il en coûterait pour réduire les contaminants de façon significative. Ce travail minutieux nous a permis de déterminer que réduire sensiblement les émissions de mercure ne coûterait que 1,20 dollar par mégawatt. Le gouvernement nous a appuyés et a adopté le règlement.

Il présente en détail les raisons pour lesquelles il est nécessaire de réglementer les émissions de mercure au Canada.

Pourquoi est-ce que cela me préoccupe? Parce que la seule source de mercure industriel au Canada, et la plus importante, se trouve dans mon lac, le lac Wabamun. En participant à cet examen, je me suis rendu compte que les gouvernements fédéral et provinciaux se souciaient peu de réduire les émissions de cette neurotoxine.

Comme je le précise dans mon mémoire, le Canada doit déjà, en vertu de ses obligations internationales, prendre des mesures draconiennes pour réduire le mercure industriel, y compris les émissions provenant de centrales électriques alimentées au charbon. Dans le rapport, vous trouverez une longue liste de lois et ententes internationales que notre pays a signées. Par l'intermédiaire de la Commission nord-américaine de coopération environnementale, qui est établie à Montréal et où j'ai travaillé, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont signé un accord visant à agir rapidement pour réduire les émissions de mercure industriel.

Mais nous avons déjà des obligations. En réalité, notre obligation légale consistant à réduire le mercure industriel existe depuis décembre 2003, soit depuis bien avant le protocole de Kyoto. Pourtant, nous n'avons aucun signe indiquant que le gouvernement fédéral a véritablement l'intention de prendre des mesures pour respecter ses engagements internationaux. Voilà où nous en sommes. Ceci est un autre dossier dans lequel le gouvernement est à blâmer pour son inaction. Nous nous dépêchons de signer des ententes et de les ratifier, mais ensuite, nous ne faisons rien.

Le gouvernement fédéral a déjà un mandat très clair, en vertu de la loi, pour réglementer les émissions de mercure. Tel est l'objet fondamental de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Je le sais parce que je faisais partie de l'équipe qui, dans le milieu des années 1980, avait exercé des pressions sur le gouvernement fédéral pour qu'il adopte une loi très contraignante. C'est d'ailleurs ce que nous avons maintenant, puisque celle-ci confère des pouvoirs très clairs.

Par ailleurs, en vertu de cette loi, le gouvernement fédéral a le pouvoir de désigner dangereuses les substances pouvant présenter, selon lui, un risque sérieux pour la santé et l'environnement. Il a décidé d'ajouter le mercure à la liste en 1988. Puis, quelques années plus tard, il s'est engagé à prendre les dispositions nécessaires devant le Conseil canadien des ministres de l'Environnement. Mais depuis, qu'a fait le gouvernement fédéral? Absolument rien.

Je ne vous donnerai pas en détail les raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral devrait placer le mercure en tête de liste des substances dangereuses. Je pense que d'autres témoins ayant comparu devant votre comité ont déjà parlé, entre autres, des effets de la neurotoxine qu'est le mercure. J'imagine donc que vous êtes au courant. Quoi qu'il en soit, c'est bien décrit dans les rapports que je vous ai soumis. Les effets sur la santé ont été bien documentés. L'agence américaine de protection de l'environnement ne prend jamais l'initiative d'émettre des règlements pour quelque substance que ce soit si elle n'a pas d'abord des preuves solides à l'appui. Dans une étude très volumineuse réalisée aux États-Unis, on explique clairement le lien existant entre le mercure industriel, et particulièrement les émissions de mercure provenant des centrales électriques alimentées au charbon, et la santé. L'Ontario a réalisé également une étude, et je crois savoir que certains groupes environnementaux ontariens vous en ont déjà parlé. J'y fais allusion dans mon mémoire.

Il est important de ne pas perdre de vue que les centrales électriques alimentées au charbon sont la plus grande source de mercure industriel au Canada. Par conséquent, nous devons les surveiller de près. De mon point de vue, c'est essentiel, car je viens d'une province où le gouvernement affirme publiquement qu'il veut promouvoir rapidement la création de centrales électriques alimentées au charbon pour exporter l'électricité vers les États-Unis. Si c'est vraiment ce que nous envisageons de faire ou si nous prétendons qu'il peut exister du charbon propre, le gouvernement fédéral doit veiller à ce que la façon de produire l'électricité que l'on vendra ensuite sur les marchés internationaux soit la plus écologique possible. Mais nous n'avons absolument rien fait dans ce sens, à part de beaux discours.

En 1998, Environnement Canada, par l'intermédiaire du Conseil canadien des ministres de l'Environnement, et en collaboration avec les gouvernements provinciaux, y compris celui de l'Alberta, s'est engagé à fixer un objectif national de réduction des émissions de mercure provenant des centrales électriques alimentées au charbon. Il a promis en 1998 qu'il y aurait des normes en 1999.

En 2000, je me suis jointe à ce comité et j'ai travaillé de façon diligente avec des représentants de l'industrie, du grand public et des gouvernements fédéral et provinciaux afin de fixer une cible. Cette norme pancanadienne n'a finalement été appliquée qu'en août dernier. Pendant plus de 10 ans, nous avons négligé de nous occuper de l'une des toxines les plus nocives que l'on connaisse.

Ce manque d'initiative me préoccupe grandement car une norme pancanadienne n'a absolument aucune force exécutoire. Elle ne signifie absolument rien. Elle n'est qu'une déclaration d'intentions. Cette norme pancanadienne n'est qu'un premier pas dans la bonne direction, mais quelqu'un doit prendre ses responsabilités afin de réglementer cette substance.

À part l'Alberta, qui mérite toutes nos félicitations pour avoir imposé des règles, aucune autre province au Canada qui produit de l'électricité au moyen de centrales alimentées au charbon n'a pris de mesures pour réduire de manière significative les émissions de mercure dans l'environnement — ni le gouvernement fédéral, ni le Nouveau-Brunswick, ni la Nouvelle-Écosse, ni la Saskatchewan et ni la Colombie-Britannique, qui envisage maintenant de se lancer dans la production d'électricité au moyen de centrales alimentées au charbon. Voilà l'objet fondamental de la loi fédérale. La LCPE est très claire à cet égard. Lorsque le gouvernement du Canada estimait qu'il était nécessaire d'intervenir pour protéger la santé et l'environnement, les provinces pouvaient agir et réglementer. Toute province qui promulgue un règlement équivalent peut simplement réclamer que celui-ci ait préséance sur le règlement fédéral.

En vertu de la LCPE, notre système réglementaire prévoit exactement ce que je propose, c'est-à-dire une intervention immédiate pour publier dans la Gazette un règlement fédéral sur le mercure inspiré du modèle albertain. Ne pas le faire revient à créer une subvention pernicieuse pour toutes les autres centrales au charbon du pays. Dans la situation actuelle, les centrales albertaines devront payer la technologie pour capter les émissions de mercure. Aucune autre centrale électrique alimentée au charbon au Canada n'est obligée de le faire. Pour qu'il y ait des règles du jeu équitables dans la production d'électricité, il faut un règlement fédéral.

Le mécanisme voulant que les mesures soient prises de manière volontaire a complètement échoué. Aucune centrale électrique fonctionnant au charbon n'a volontairement décidé de réduire ses émissions de mercure. La seule province où cela s'est produit, c'est en Alberta, et c'est simplement depuis que nous avons adopté un règlement.

Je tiens également à dire aux sénateurs que le Canada, en n'imposant pas de normes pour réduire les émissions de mercure, perd toute crédibilité face aux États-Unis et au reste de la communauté internationale. Il y a quelques années, le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire d'Environnement Canada, avait présenté une demande à l'agence américaine de protection de l'environnement, l'implorant d'émettre des normes beaucoup plus contraignantes que celles en vigueur sous l'administration Bush. Comment est-il possible d'aller demander aux Américains qu'ils fassent plus si nous-mêmes ne faisons rien, sauf en Alberta? Simplement pour fixer des normes et montrer aux États-Unis et au reste de la communauté internationale qui, selon le Programme des Nations Unies pour l'environnement, le PMUE, essaye d'élaborer un traité international afin de réduire les émissions du mercure, nous devons être sans reproche si nous voulons négocier; et il faut que le gouvernement fédéral élabore un règlement. S'il n'a pas la volonté politique de réglementer les émissions de mercure, qu'est-ce qui nous dit qu'il a la volonté d'adopter des règlements pour toute autre toxine ou contaminant en vertu de cette loi?

Et voilà que l'actuel gouvernement fédéral dit qu'il va même durcir la loi. Permettez-moi de faire une observation au sujet de quelque chose qui me préoccupe au plus haut point : en fait, ce projet de loi sur la qualité de l'air aurait pour effet d'affaiblir tout règlement sur le mercure puisqu'on y propose que le mercure, une neurotoxine, ne soit plus désigné comme tel, mais considéré comme un contaminant. Cela ne fera que minimiser la dangerosité de cette substance. On ne peut pas la comparer aux oxydes d'azote ni aux oxydes de soufre, que l'on peut traiter différemment.

Nous ne pouvons absolument pas tolérer que l'on établisse un système de crédits d'émissions pour le mercure, particulièrement dans ma province, où cela reviendrait à échanger des crédits entre les deux rives du lac. Cela n'a absolument aucun sens. Je vous implore de recommander au gouvernement, s'il décide d'adopter de tels amendements, qu'il exclue le mercure. Cette substance ne doit pas entrer dans la catégorie des contaminants.

La responsabilité incombe non seulement à Rona Ambrose, bien qu'elle en ait une énorme en sa qualité de ministre de l'Environnement, mais aussi, aux termes de l'article 55 de la LCPE, au ministre de la Santé, qui a également l'obligation d'agir lorsqu'il est porté à son attention le fait qu'une substance peut présenter des risques pour la santé, et même des risques mortels. J'insiste vigoureusement pour dire que, dans le cas du mercure, l'existence de ces risques est bien étayée. Où est notre ministre de la Santé?

Je recommande au nouveau gouvernement fédéral de publier immédiatement un règlement dans la Gazette du Canada. Je dis cela parce que, depuis 30 ans, je préconise des consultations approfondies avec les personnes touchées. Pendant plus d'une décennie, il y a eu des consultations intensives entre le public, le secteur privé et les gouvernements provinciaux et fédéral. Évitons d'autres retards. Le gouvernement fédéral peut étudier le règlement de l'Alberta, à la négociation duquel il a contribué. Des représentants d'Environnement Canada ont participé à notre examen quinquennal du nouveau régime de réglementation de l'énergie en Alberta. Ils connaissent dans les moindres détails les propositions qui ont été avancées en Alberta.

Je recommande de former un bon comité, chargé d'examiner le projet de loi de l'Alberta, en ajoutant la houille bitumineuse et le lignite. Le projet de loi de l'Alberta porte sur le charbon subbitumineux, car c'est tout ce que nous brûlons, étant donné qu'il est situé à proximité de l'usine et qu'il est bon marché pour les entreprises. D'autres provinces utilisent le lignite, comme la Saskatchewan, ou encore consomment de la houille bitumineuse ou des mélanges de charbon bitumineux et subbitumineux. Nous avons besoin d'un comité qui se chargera de faire rédiger et publier dans la Gazette du Canada cette réglementation, ce qui, en vertu de la loi, fournit l'occasion de donner son avis et de formuler des commentaires. Allons de l'avant, adoptons un règlement et incitons les provinces à agir.

En conclusion, je tenais à ajouter que je suis favorable au mémoire de l'organisation PollutionWatch. Il faut modifier la LCPE de manière à obliger davantage le gouvernemental à agir dans les cas où des éléments de preuve probants indiquent qu'une toxine peut causer des torts graves à la santé ou à l'environnement. La loi américaine qui réglemente les polluants dangereux impose clairement une obligation à l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis. Si elle a des éléments de preuve clairs montrant qu'une toxine pose un risque pour la santé et pour l'environnement, elle a l'obligation, devant la loi, d'agir pour réglementer cette substance. À mon avis, cette intervention ne devrait pas être discrétionnaire. Il s'agit ici de substances qui peuvent avoir des effets très graves. Il est facile d'ajouter des conditions qui empêchent le gouvernement d'agir à moins que des éléments de preuve clairs aient été réunis, mais il existe de nombreux modèles de lois que nous pouvons adopter.

Selon la législation actuelle, tant le ministre de la Santé que le ministre de l'Environnement sont tenus de préconiser des codes et des objectifs s'ils craignent qu'une toxine ne pose un risque pour la vie et la santé. À mon avis, il nous faut aller plus loin que cela. Il nous faut une obligation de réglementer dans les cas où un problème grave se pose.

Trois choix se présentent à nous. Ou bien nous réglementons les émissions de mercure ou nous fermons les usines et cessons progressivement de produire de l'énergie au moyen du charbon, ce que l'Alberta est en train de faire. Nous avons conclu l'entente suivante avec le secteur de la production d'énergie : s'il acceptait de fermer ses centrales dépassées dans les délais prévus et calculés en vertu d'une formule équitable, nous n'obligerions ce secteur d'activité à appliquer les limites de mercure que dans les centrales qui restent.

Il importe de savoir qu'en Alberta, la réglementation s'applique aux installations existantes. Elle ne vise pas les nouvelles. C'est un revirement assez important. Auparavant, l'Alberta accordait des droits acquis à toutes ses installations. Cette loi a brisé la tradition en indiquant que les toxines ne seraient plus ainsi protégées. D'ici 2009, toutes les installations existantes doivent effectuer des contrôles sur le mercure et, deux années plus tard, elles doivent déposer des propositions visant à réduire les taux de mercure dans une proportion supplémentaire de 10 p. 100 à 20 p. 100.

D'ici 2015, les centrales thermiques au charbon en Alberta devront réduire le taux de mercure de 80 p. 100 à 90 p. 100, sinon elles ne seront pas autorisées à fonctionner. On peut espérer que, d'ici là, elles adopteront des procédés de gazéification ou de meilleures solutions de rechange pour la production d'électricité. Voilà l'élément qui donne l'impulsion au processus.

Concernant les États-Unis, je vous recommande de vous procurer un document auprès d'un organisme qui s'appelle NESCAUM, pour Northeast States for Coordinated Air Use Management. Cet organisme réunit de nombreux gouvernements des États du littoral est. Il a fait des recherches incroyables pour établir les mesures qui poussent à faire davantage d'investissements dans la lutte contre la pollution ou qui incitent des PDG à dépenser pour améliorer leur système de lutte contre la pollution. L'organisme a fait un relevé des régimes applicables à cinq polluants, comme le benzène et d'autres substances, en se demandant ce qu'il faudrait faire pour réduire le mercure provenant de la combustion du charbon aux États-Unis. Dans l'ensemble, il est apparu clairement que c'était toujours la réglementation.

Nous avons fait des enquêtes au Canada. Mme Dianne Saxe a fait du bon travail. KPMG a réalisé une étude au milieu des années 1990 et Environnement Canada en a effectué une aussi. Ils ont constaté que lorsqu'on va soumettre à des PDG d'entreprises un éventail de mesures, la plus stricte étant la réglementation d'un polluant et la moins contraignante étant une intervention strictement volontaire, dans tout l'échantillonnage, la seule fois où des administrateurs d'entreprises décident d'investir de l'argent, c'est lorsqu'une réglementation existe. Nous avons les données empiriques à ce sujet. Il ne manque plus que la volonté politique d'agir.

Je voudrais que nous agissions maintenant en adoptant un règlement fédéral, et je tiens à ce que les règles du jeu soient égales pour tous partout au Canada. Tous les Canadiens ont droit à un environnement propre et sain.

Le président : La loi de l'Alberta à laquelle Mme Duncan a fait allusion sera distribuée. Vous en aurez un exemplaire.

Je suis très fier d'être un Albertain aujourd'hui, madame Duncan, d'après ce que vous avez dit. Une fois de plus, l'Alberta montre à tous la voie à suivre.

Le sénateur Cochrane : Madame Duncan, quelle évaluation faites-vous de l'efficacité des lignes directrices, des normes pancanadiennes et des plans de prévention de la pollution, par opposition à des règlements, dans la lutte contre les rejets de mercure dans l'atmosphère? Les entreprises, d'après leurs nombreux porte-parole qui ont comparu devant nous, appliquent les normes pancanadiennes. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.

Mme Duncan : Ce ne sont que de belles paroles. On ne peut s'en remettre uniquement à de belles paroles lorsqu'il s'agit d'une neurotoxine. J'ai siégé à la table de concertation sur les normes pancanadiennes et, en fait, j'en fais toujours partie. Au cours des 18 derniers mois, il n'y a pas eu de réunion. Le public ne peut assister aux réunions du CCME.

J'ai également participé, pendant trois années intensives, à titre bénévole, à l'examen du régime de l'Alberta et, pendant deux autres années, toujours à titre bénévole, aux travaux d'un comité de l'environnement de l'Alberta qui préparait la réglementation. Tant et aussi longtemps que le gouvernement n'a pas adopté et signé ce règlement, les représentants de ce secteur ont continué de faire du lobbying afin qu'il n'y ait pas de règlement, de manière à ce qu'ils n'aient rien à faire. Ils faisaient du lobbying pour affaiblir ce règlement. Nous observons cette sorte de comportement répréhensible au Canada depuis trop longtemps. Il faut que le gouvernement ait la volonté politique d'intervenir lorsqu'il y a un risque grave pour la santé des êtres humains.

Ce serait bien que ce secteur d'activité propose de réduire volontairement les gaz à effet de serre ou essaie de lui- même de ne pas exploiter les installations qui émettent des toxines. Toutefois, je n'observe pas ce comportement volontaire. C'est pour cette raison que nous avons des règlements. Les règlements permettent de lutter contre les comportements qui sont répréhensibles. Malheureusement, tout ce que font les centrales thermiques alimentées au charbon à l'heure actuelle est répréhensible, sauf en Alberta. Aucun de ceux qui les exploitent n'admet qu'il doit réduire ses émissions de mercure dès maintenant.

Ça suffit. Il est clair que la seule mesure à laquelle ces dirigeants réagissent, c'est la réglementation. Un règlement ne doit pas forcément être répressif. Il peut offrir de nombreuses solutions de rechange. Par exemple, le règlement de l'Alberta indique que les entreprises peuvent utiliser toutes les technologies qu'elles veulent, mais qu'elles doivent réduire les émissions de mercure à un certain niveau. Nous avons passé trois années intensives à étudier les technologies de remplacement, celles qui étaient à l'étude et celles qui faisaient déjà l'objet de tests, et nous sommes arrivés à un moyen terme.

Un règlement peut être très équitable. Dans les cas où la technologie existe et où les risques sont démontrés, je crois qu'il incombe au gouvernement de rendre les normes obligatoires, parce que cela assure l'uniformité des règles pour tous. C'est ainsi que nous arriverons à offrir une énergie plus propre au Canada. Nous allons montrer au monde que nous pouvons vraiment produire de l'électricité propre, sans polluer l'environnement. Il se peut que la plus grande partie du mercure qui atteint l'Arctique et qui contamine les ressources alimentaires traditionnelles vienne d'ailleurs dans le monde et non pas de sources canadiennes. Comment pouvons-nous faire comprendre à d'autres pays comme l'Inde et la Chine qu'ils devraient mettre de l'ordre dans leurs affaires si nous ne le faisons pas nous-mêmes? Au lieu de vraiment réglementer le mercure sur le territoire canadien, le gouvernement fédéral va en Chine et dit : « Vous devriez utiliser toutes ces technologies. » Je crois que nous aurions davantage de crédibilité, lorsque nous allons voir les représentants de ces pays, si nous disions : « Voici toutes les technologies. Nous en avons besoin au Canada. Nous en avons mis quelques-unes à l'essai et elles fonctionnent. Nous vous encourageons à faire de même. » Cela envoie un message complètement différent.

Le président : On a eu, je pense, l'impression que vous vous opposiez à des normes obligatoires, mais en fait, c'est le contraire.

Mme Duncan : Oui.

Le sénateur Cochrane : Je suis persuadée que vous avez lu le compte rendu de ce que les témoins ont déclaré devant notre comité, connaissant vos antécédents et ce que vous nous avez dit ce matin. Que diriez-vous à ces entreprises qui nous ont affirmé qu'elles réduisaient les émissions en appliquant les normes pancanadiennes?

Mme Duncan : Je dirais que c'est un mensonge éhonté.

Le président : Cessez de tourner autour du pot.

Mme Duncan : Il faut reconnaître que la Saskatchewan Power Corporation, même si elle n'a pas indiqué ce qu'elle va faire pour réduire les émissions de mercure provenant de ses centrales, a commencé à tester certaines technologies. Je dois dire qu'il faut également critiquer l'actuel gouvernement fédéral, parce que je viens d'apprendre qu'il a subitement retiré les millions de dollars qu'il s'était engagé à verser pour mettre cette technologie à l'essai, à frais partagés. Les entreprises de ce secteur d'activité n'ont tout simplement pas proposé de le faire.

Les normes pancanadiennes ne veulent rien dire. Tout ce qu'elles signifient, c'est que les gouvernements fédéral et provinciaux, aux prises avec le même problème, après avoir consulté, espérons-le, le secteur d'activité touché et la population, se sont fixé un objectif afin de faire en sorte de réduire les émissions de tant à Terre-Neuve, de tant au Yukon, et ainsi de suite. Nous travaillons là-dessus depuis dix ans. Toutefois, pendant tout ce temps, l'Alberta ne s'est pas tourné les pouces; nous avons œuvré avec diligence pour garantir que, dès l'instant où la norme pancanadienne serait déposée, nous aurions notre mesure en place. Les autres gouvernements n'ont rien fait. L'Ontario et le Nouveau- Brunswick ont promis de fermer leurs centrales au charbon. Maintenant, ils disent qu'ils ne peuvent le faire. Ils n'ont rien fait, même pas commencé à discuter de la réglementation. Je suis désolée, mais je ne fais pas confiance aux normes pancanadiennes.

L'accord d'harmonisation a été conclu dans un seul but : se débarrasser du gouvernement fédéral. Voilà ce à quoi servent les normes pancanadiennes. Nous avons une loi fédérale intitulée la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Elle confère au gouvernement fédéral le pouvoir d'intervenir et d'établir des normes lorsque les provinces n'agissent pas. Vient ensuite l'accord d'harmonisation, selon lequel le gouvernement est le mieux placé pour agir. Cela veut dire : n'importe quel gouvernement, sauf le gouvernement fédéral. Dans le cas du mercure et des neurotoxines, je dirais que c'est le gouvernement fédéral qui est le mieux placé pour agir, parce que nous devons veiller à ce que tous les Canadiens bénéficient d'un environnement propre et sain. Nous devons veiller à ce que nos eaux intérieures ne soient pas polluées par le mercure. L'utilisation que l'homme fait du poisson relève également de la compétence fédérale, en vertu de la Loi sur les pêches. Nous devons donner l'exemple sur la scène internationale et non pas contribuer localement à l'accumulation de cette neurotoxine ou à la contamination de l'Arctique.

La norme pancanadienne aurait peut-être été une bonne idée il y a dix ans, mais aujourd'hui, elle donne la preuve de son inefficacité, sauf s'il y a un gouvernement qui agit pour réglementer, et il y a alors des mesures concrètes qui se prennent.

Le sénateur Cochrane : Nous avons très bien compris votre message. Merci beaucoup.

Le sénateur Carney : Je suis heureuse de vous revoir et heureuse, aussi, que vous ayez fait preuve de tant de cohérence dans votre témoignage et que vous ayez parlé aussi clairement d'un sujet complexe.

Nos excellentes notes préparées par la Bibliothèque du Parlement indiquent que dans le récent projet de loi sur la qualité de l'air qui a été déposé, le projet de loi C-30, le mercure est classé comme un polluant de l'air, mais il demeure inscrit à l'Annexe 1. Vous avez indiqué qu'on l'a retiré de la liste des toxines et qu'on l'a ajouté à la catégorie des polluants. C'est une contradiction. Est-ce qu'il est classé parmi les toxines inscrites à l'Annexe 1?

Le président : Il l'est maintenant. D'après ce que je crois comprendre, le projet de loi dont nous sommes actuellement saisis aura pour effet de retirer le mercure de l'Annexe 1 et de l'inscrire sur la liste des polluants par opposition à celle des neurotoxines, mais il faudrait que je relise le projet de loi pour en être bien sûr.

Le sénateur Milne : Il s'agit du projet de loi sur la qualité de l'air.

Le président : Oui.

Le sénateur Milne : Nous n'en avons pas encore été saisis.

Le sénateur Carney : Dans sa question, la Bibliothèque du Parlement demande si la double inscription causera une incertitude sur le plan juridique par rapport à la réglementation actuelle et future concernant le mercure. Je tiens à être tout à fait claire : sera-t-il inscrit à la fois comme polluant et comme toxine, ou simplement comme polluant? Si c'est ce dernier cas, comment explique-t-on cela?

Mme Duncan : S'il n'en tenait qu'à moi, c'est tout le projet de loi qui serait rejeté. Il présente un grave risque. Que le mercure soit inscrit ou non dans cette annexe ou dans une autre, si le gouvernement choisit de considérer le mercure comme un polluant et non comme une toxine, cela devient alors un grave risque, parce que nous ne savons pas ce que la Cour suprême va faire. Nous ne savons pas si elle va maintenir le pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer un polluant par opposition à une toxine. Je suis persuadée que des avocats beaucoup perspicaces que moi sont venus vous expliquer la différence. La Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, par une majorité assez courte, en se fondant surtout sur le pouvoir du gouvernement en matière de droit pénal. Ce pouvoir existe tout simplement parce qu'il y a un risque pour la santé des Canadiens. Si on classe le mercure parmi les polluants, on considère généralement qu'il relève de la compétence des provinces. Les provinces règlementent les travaux et activités de nature locale dans les centrales énergétiques. L'intervention du gouvernement fédéral est justifiée avant tout par les conséquences sur la santé humaine. Si des éléments du nouveau projet de loi sont retenus — qui ne formeraient pas vraiment une nouvelle loi, mais feraient partie de la LCPE —, le mercure ne devrait pas être désigné comme un polluant, mais plutôt demeurer dans la catégorie des toxines.

Le président : Nos excellents attachés de recherche ont confirmé que je me trompais et que l'actuel projet de loi sur la qualité de l'air, comme il est appelé, qui est devant la Chambre des communes, aurait pour effet d'ajouter le mercure à la liste des polluants, mais il demeurerait inscrit à l'Annexe 1. Toutefois, cela ne répond pas à la question que le sénateur Carney a posée.

Le sénateur Carney : Je ne connais pas l'Annexe 1. Est-ce une liste de toxines?

Le président : Oui. Mme Duncan a fait allusion à la décision de la Cour suprême, qui a été serrée, quant à l'application de la LCPE. Il importe de se souvenir que la décision dépendait beaucoup de la question de savoir si la loi traitait des pouvoirs en matière de droit pénal, en raison de la description des toxines et de leur effet, alors que cette description aurait pu se trouver ailleurs. L'inquiétude que d'autres personnes nous ont formulée, c'est que si le facteur de toxicité est enlevé de la LCPE ou de tout élément ou substance visé par la LCPE, l'efficacité et l'applicabilité de la LCPE comme mesure de réglementation seront mises en doute sur le plan constitutionnel.

Le sénateur Carney : La Bibliothèque du Parlement se demande si la double inscription causerait une incertitude sur le plan juridique : la réponse est oui, cela causerait une incertitude sur le plan juridique. Quand nous réviserons la loi, nous devons veiller à supprimer cette dualité et à ce que le mercure soit inscrit comme une toxine. Voilà un exemple simple du travail qui est le nôtre.

Mme Duncan : Sénateur Carney, la LCPE a été adoptée en 1984. Si la longue série de gouvernements au pouvoir depuis cette date n'a pas trouvé la force de réglementer une toxine, je ne crois pas qu'il y ait une chance crédible qu'il trouve celle de réglementer un polluant. C'est pour cette raison que j'insiste fermement sur la nécessité de garder des substances comme le mercure dans la catégorie des toxines; il nous faut faire un acte de foi et espérer que la volonté politique existe d'utiliser vraiment ce texte de loi.

Malheureusement, au lieu de consacrer du temps à la mise en œuvre de cette loi et de nous en servir pour protéger la santé et l'environnement au Canada, nous la révisons tous les cinq ans. J'ai recommandé vivement au comité de faire passer cette périodicité de l'examen à 10 ans et, dans l'intervalle, que le comité consacre son temps et ses ressources à la mise en œuvre de la loi et à l'adoption de quelques règlements.

Le sénateur Carney : Le grand public ne fait pas une grande distinction entre les toxines et les polluants. Nous sommes tellement habitués à l'idée que les polluants sont mauvais. L'idée qu'il y a peut-être quelque chose de pire appelé toxine est importante et il faut en informer la population et, à n'en pas douter, les membres du public que je représente.

Vous avez également fait allusion au mouvement transfrontalier du mercure. Des témoins nous ont dit que bon nombre de problèmes que pose le mercure trouvent leur origine en dehors de nos frontières. Y a-t-il des pratiques internationales exemplaires que l'on pourrait appliquer pour lutter contre ce problème? Que peut faire le Canada, outre l'adoption et l'application de ses propres lois, pour réduire les apports au bassin mondial de mercure?

Mme Duncan : Je ne me souviens pas si vous étiez présente quand j'ai traité de cette question, mais j'ai mentionné que, dans son processus d'examen et dans l'élaboration subséquente d'un règlement, le gouvernement de l'Alberta a procédé à un examen exhaustif des technologies disponibles. Une norme ferme n'a pas été recommandée à cette époque au gouvernement fédéral, parce que les représentants du secteur nous ont convaincus que les technologies évoluaient si rapidement qu'il vaudrait mieux attendre une année avant d'imposer une norme.

Le sénateur Carney : Je ne parle pas des technologies, mais plutôt du bassin mondial.

Mme Duncan : C'est exactement ce dont je parle.

Le sénateur Carney : Je parle des sources extracôtières de mercure.

Mme Duncan : Souvent, les sources extracôtières sont les mêmes qu'au Canada. On produit énormément d'énergie dans des centrales thermiques au charbon en Chine et en Inde, ce qui forme le bassin mondial. Il pourrait être utile d'obtenir qu'Environnement Canada fasse comparaître Luke Trip, qui travaille maintenant pour la Commission de coopération environnementale. Lorsqu'il était à Environnement Canada, il a commandé une étude intéressante qui nous montre le mouvement de l'air, la provenance de la plus grande partie du mercure et son déplacement dans l'Arctique. La raison pour laquelle nous exerçons des pressions en faveur de l'adoption d'un règlement en Alberta, c'est qu'il existe deux façons par lesquelles le mercure va s'accumuler. Une partie du mercure émis par les centrales va se retrouver dans le bassin mondial, dont la plus grande partie finit sa course dans l'Arctique, mais une partie du mercure se dépose aussi à l'échelle locale. C'est pour lutter contre les dépôts à proximité que nous voulions l'adoption d'un règlement en Alberta.

La même technologie réduit les dépôts aux échelles locale et internationale. Je tiens à ce que nous exigions l'utilisation des technologies, parce que, malheureusement, la combustion du charbon laisse échapper du mercure. Il existe de nombreuses autres solutions de rechange. Par exemple, nous pourrions cesser de brûler du charbon et investir dans des carburants de remplacement.

Toutefois, nous ne pouvons pas nous présenter aux tables internationales si nous n'avons pas les mains propres. Tant que nous n'aurons pas démontré que nous sommes disposés à réduire le mouvement des toxines résultant de notre production d'électricité, nous ne pouvons pas aller en Chine, en Inde ou dans n'importe quel autre pays et demander à leurs représentants de cesser de brûler du charbon. Nous disposons des ressources nous permettant d'investir dans la mise à l'essai de ces technologies. Nous pouvons ensuite présenter ces technologies à d'autres pays.

À mon avis, c'est ainsi que l'on gagne de la crédibilité sur la scène internationale, en montrant que nous sommes déterminés à apporter des correctifs chez nous et que nous sommes disposés à investir notre argent dans la mise à l'essai de ces technologies. Puis, on peut dire aux autres pays que nous avons trouvé un moyen de réduire les quantités énormes de mercure qui contaminent l'Arctique.

Le sénateur Carney : Je meurs d'envie de vous demander ce que vous pensez du projet de loi sur la qualité de l'air. Est-ce que je peux vous demander votre impression générale du projet de loi sur la qualité de l'air présenté par le nouveau gouvernement du Canada, le projet de loi C-30?

Le sénateur Angus : Elle a indiqué qu'elle souhaitait le rejet de ce texte de loi.

Le sénateur Carney : Voilà ce que je n'ai pas bien compris.

Mme Duncan : Je suis plutôt favorable à l'approche de Jack Layton, qui est d'essayer de réunir les partis. Ces questions devraient se situer au-delà de la partisannerie politique. J'espère que le comité, qui regroupe les quatre partis, pourra élaborer un projet de loi assorti des délais voulus pour réduire les gaz à effet de serre.

Mon intérêt pour ce nouveau projet de loi porte également sur le mercure. Je fais un peu exception à la règle. Près de 99 p. 100 des gens parlent des gaz à effet de serre. J'ai été abasourdie de la décision du gouvernement de désigner le mercure, une neurotoxine qu'il n'avait pas encore réglementée, comme appartenant à une catégorie inférieure, celle d'un polluant, éventuellement à des fins d'échanges de droits d'émission. C'est cette partie que je voudrais voir retirée. Je souhaiterais qu'on renforce les mesures afin que nous puissions mieux contrôler les gaz à effet de serre, particulièrement dans l'article du projet de loi qui concerne les relations internationales. Toutefois, je ne veux pas aller beaucoup plus dans les détails.

Le sénateur Carney : Nous avons hâte de l'étudier.

Le sénateur Tardif : Vous avez mis en doute dans votre exposé l'existence du charbon épuré. Vouliez-vous laisser entendre qu'il est impossible de mettre au point des procédés de combustion écologique du charbon? Ensuite, où en sommes-nous en matière de dépenses et de R-D visant à doter le Canada d'une énergie propre?

Mme Duncan : La situation est très mauvaise. Un journal a publié récemment un article fantastique. On y lit que, de tous les secteurs industriels qui investissent en R-D, celui l'énergie se classe au dernier rang. Au sein du secteur énergétique, celui de l'électricité est le plus à blâmer. Cela vous donne le tableau d'ensemble. Cette étude a été réalisée par un institut qui a ses bureaux à Ottawa. Le Globe and Mail en a rendu compte. Je suis désolée de ne pas l'avoir avec moi. Il est intéressant d'y jeter un coup d'œil.

Pour moi, l'autre signal est la décision, prise au cours des deux ou trois derniers mois, par le gouvernement fédéral actuel, d'éliminer les crédits fédéraux d'aide à la R-D. Le secteur albertain des centrales alimentées au charbon était passablement irrité que son homologue de la Saskatchewan ait pensé à cette initiative en premier. Il a présenté au gouvernement fédéral une demande d'aide financière complémentaire en vue de la mise à l'essai de technologies. C'était très bien. Apparemment, le gouvernement fédéral a supprimé tous ces crédits.

Le même rapport nous informait que le gouvernement fédéral avait engagé 200 millions ou 350 millions de dollars, quelque chose comme cela, en vue de la fermeture des centrales thermiques ontariennes alimentées au charbon. Il semble que ces crédits aient, eux aussi, été supprimés.

Franchement, je pense que l'argent des contribuables ne devrait pas être consacré à des activités de R-D. Je crois fermement au principe du pollueur payeur auquel le Canada a souscrit sur la scène internationale. Je préférerais que ces coûts me soient transmis à moi, le consommateur, parce que cela m'incite de manière supplémentaire à réduire ma consommation d'une énergie polluante.

Indépendamment de cela, si nous devons affecter de l'argent des contribuables à la R-D, je préférerais que ce soit pour la lutte contre la pollution ou la découverte de sources d'électricité et d'énergie plus propres. De toute évidence, d'après cette étude réalisée par un institut ayant son siège social à Ottawa, notre activité de R-D axée sur la mise au point d'une énergie plus propre ne donne pas de bons résultats.

Le charbon épuré, ça n'existe pas. Il est possible d'en obtenir avec certains procédés comme le lavage ou le mélange du charbon. La plus grande partie de l'est du Canada mélange le charbon, qu'elle fait venir d'aussi loin que l'Amérique du Sud. On peut également ajouter des contrôles sur les tas de charbon afin de réduire les oxydes d'azote et de soufre, et d'emprisonner les gaz à effet de serre, et ainsi de suite. Toutefois, le charbon est une forme d'énergie incroyablement sale et archaïque. Il est la source d'énergie la plus sale sur la planète.

Le président : C'est également la moins chère.

Mme Duncan : La raison pour laquelle il est si bon marché, c'est que nous n'exigeons pas qu'il soit épuré. Au lieu de cela, nous pourrions uniformiser les règles du jeu et supprimer ces subventions perverses. Lorsque l'on parle de subventions perverses, les gens pensent à des versements d'argent ou à des baisses d'impôt, mais la subvention la plus perverse consiste à avoir des contrôles environnementaux déficients. Vous permettez aux gens de gagner de l'argent à vos dépens.

Voilà pourquoi j'ai vivement recommandé et préconisé un règlement sur la lutte contre le mercure en Alberta et voilà également pourquoi j'exerce des pressions pour qu'il y ait un règlement semblable dans le reste du Canada. Mettons le charbon sur le même pied que d'autres sources d'énergie plus propres. Ce faisant, nous pouvons apporter des améliorations et nous aurons moins d'énergie produite à l'aide du charbon.

Pourquoi ne pas emboîter le pas à la Californie? La Pacific Gas and Electric Company investit maintenant 2 milliards de dollars dans la conservation. Il s'agit pour cette entreprise d'une saine pratique commerciale car lorsqu'elle investit dans la conservation, l'organisme de règlementation des services publics lui permet d'augmenter ses tarifs de telle sorte que le consommateur en vient à payer le même montant, mais en utilisant moins d'électricité. Il faut que nous commencions à mettre en place des mesures du genre au Canada. Pour ce faire, nous devons notamment nous assurer que le charbon est assujetti aux mêmes règles du jeu.

Bien des gouvernements parlent de gazéification du charbon. Il est actuellement proposé en Alberta d'agrandir une autre centrale thermique sans recourir à la gazéification. Ce ne sont que de belles paroles. Je veux que l'on prenne des dispositions réglementaires qui permettraient effectivement d'agrandir les centrales thermiques alimentées au charbon, mais uniquement dans une proportion égale aux efforts de gazéification. On serait également ouvert à toute nouvelle technologie, si cela était proposé. De telles mesures stimuleraient le développement de technologies plus efficaces.

Le sénateur Tardif : Lorsque les gens parlent de charbon épuré et de l'utilisation des technologies qui s'y rattachent, de quoi est-il question exactement?

Mme Duncan : Il existe des technologies pour rendre le charbon moins polluant. Il est possible d'en extraire une partie du souffre. On peut y incorporer des stabilisants pour réduire les émissions d'oxyde nitreux. Cependant, le mécanisme que nous avons recommandé en Alberta pour réduire les émissions de mercure permettrait les mêmes résultats avec tous les autres métaux lourds. Il y a de nombreuses substances nocives dans les centrales alimentées au charbon. En Alberta, nous nous sommes intéressés seulement aux cinq les plus importantes : les gaz à effet de serre, les particules en suspension, l'oxyde nitreux, l'oxyde de soufre et le mercure. Dans ce rapport, vous pourrez constater qu'il existe une autre chaîne complète de substances auxquelles nous n'avons même pas commencé à nous attaquer. Il y aurait notamment les hydrocarbures polyaromatiques ou HAP, ainsi que le fluorure d'hydrogène. Les centrales au charbon émettent davantage de polluants que les alumineries et ce sont pourtant ces dernières qui sont réglementées. Le charbon est une source d'énergie extrêmement polluante.

Les gens ne cessent de nous répéter à quel point il est merveilleux de pouvoir compter sur du charbon épuré. Le charbon épuré est peut-être moins polluant, mais il n'est pas entièrement propre. En outre, il ne faut pas oublier de se demander ce que nous allons faire avec le mercure qui sera récupéré ou capturé. En fin de compte, il faudrait en venir à cesser complètement la production de mercure. Il serait bon de pouvoir utiliser de plus en plus d'énergies renouvelables et de moins en moins de charbon, mais d'ici à ce que cela soit réalisé, nous devons tout au moins nous assurer de ne pas le laisser s'échapper dans l'environnement.

Le président : Est-ce que la gazéification permet d'obtenir du charbon propre ou tout simplement du charbon moins polluant?

Mme Duncan : C'est effectivement moins polluant, mais je crois que le processus de gazéification émet une grande quantité de gaz à effet de serre. On réduira une partie des polluants provenant du charbon, mais on se retrouvera avec un autre problème; c'est toujours une question d'équilibre. La mesure à privilégier est la conservation. Autrement dit, la solution la moins polluante est celle qui utilise le moins d'énergie.

Le sénateur Tardif : Le mieux serait de fermer toutes les centrales alimentées au charbon.

Mme Duncan : Tout à fait. Cela devrait être notre objectif. C'est ce que nous cherchons à réaliser en Alberta.

Par le passé, ces centrales ont bénéficié de droits acquis. Autrement dit, vous construisez une centrale en 1950, vous l'exploitez pendant 40 ou 60 ans, et vous n'avez pas à y apporter de transformations majeures. On peut parler de véritable percée lorsque la table de concertation albertaine reconnaît qu'il s'agit d'une neurotoxine importante et qu'on ne peut pas laisser simplement ces installations en place pendant encore 40 ans sans imposer des mesures de contrôle. On a malheureusement permis à l'industrie de poursuivre ses activités sans réduire les particules en suspension, ce qui pose un grave problème.

Le sénateur Tardif : Vous avez dit que l'Alberta était devenue un modèle. Est-ce que des coûts additionnels sont associés aux normes à satisfaire dans le cadre de ce modèle?

Mme Duncan : Comme je l'ai indiqué dans le rapport que vous pouvez consulter sur le site de la CASA, nous avons effectivement établi différents modèles. Nous avons fait appel à des experts-conseils qui ont produit des modèles de projection pour ces cinq types d'émissions. Nous avons aussi créé des modèles pour déterminer les coûts des différentes technologies. On a ainsi établi que l'utilisation des technologies que nous proposons pour réduire tant le mercure que les particules en suspension ne coûterait qu'un 1,20 $ de plus par mégawatt. Il s'agit d'un coût tout à fait négligeable. C'est de cette manière que nous avons pu finalement convaincre le gouvernement que cela était réalisable.

Le groupe NESCAUM dont j'ai parlé tout à l'heure en est également arrivé à la conclusion, d'après l'examen des mesures de contrôle prises à l'égard de cinq polluants au fil des ans et dans l'ensemble du processus, que les coûts sont toujours inférieurs à ce que l'industrie veut nous laisser croire. Il a été établi avec preuves à l'appui qu'une fois qu'une industrie accepte la mise en place de normes et l'utilisation de certaines technologies, de nouveaux investissements sont consentis pour trouver des technologies plus efficaces et plus efficientes encore, ce qui en réduit sans cesse les coûts.

Le président : Vous avez indiqué que la solution à privilégier serait la fermeture de toutes les centrales thermiques alimentées au charbon, mais que cela ne risque pas de se réaliser dans un délai raisonnable. Par quoi remplaceriez-vous ces centrales?

Mme Duncan : C'était effectivement le cas, sénateur Banks. Les solutions de rechange qui s'offrent à nous sont de plus en plus vraisemblables. Il fut une époque où l'on prétendait, dans ma province comme ailleurs, que l'on ne pourrait jamais se fier aux énergies renouvelables; c'était une option plutôt risible. Mais voilà que d'autres pays exigent le recours à des énergies renouvelables dans des proportions allant de 20 p. 100 jusqu'à 35 p. 100. C'est donc tout à fait réalisable.

Je ne demande pas que l'on ferme sur-le-champ les centrales alimentées au charbon. Je dis que nous devrions chercher à établir des règles du jeu équitables de telle sorte que les centrales au charbon soient tenues de soutenir la concurrence de sources d'énergie plus propres. C'est la seule façon pour nous de susciter des investissements. Dans une perspective plus fondamentale, je souhaiterais qu'on investisse davantage dans la conservation.

Dans ma province, le problème vient du fait que notre gouvernement n'a pas pour objectif d'assurer une alimentation stable en électricité non polluante à un coût raisonnable aux Albertains. Ce n'est pas le but visé. On cherche plutôt à générer des profits supplémentaires en augmentant la capacité des centrales alimentées au charbon aux fins de l'exportation. L'application d'une norme obligatoire est la seule façon de s'assurer que la santé des citoyens est protégée.

Soit dit en passant, la loi albertaine a été modifiée pour inclure une définition de la sécurité de l'approvisionnement en électricité. Pour déterminer sa capacité d'exportation, notre office de l'énergie doit tenir compte de la possibilité pour les centrales alimentées au charbon de générer davantage de profits. Ce genre de politique ne me laisse guère le choix. Je peux seulement exiger des normes plus strictes pour veiller à ce que la production alimentée au charbon soit moins polluante. Dans un monde idéal, nos politiques viseraient une production d'énergie dans l'intérêt des Canadiens et dans le souci de pouvoir compter sur des sources moins polluantes pour les générations à venir. D'ici à ce que cette transformation s'opère, la réglementation est le meilleur outil à notre disposition pour protéger la santé de nos enfants.

Le président : Il ne faut jamais perdre espoir.

Le sénateur Angus : Madame Duncan, c'est formidable de vous accueillir ici. Je me souviens avec grand plaisir de votre comparution devant notre comité lorsque nous nous sommes arrêtés à Calgary et à Edmonton en route pour notre visite des sables bitumineux et je sais que votre témoignage nous a été d'une grande utilité. Il ne fait aucun doute que la documentation que vous nous avez fournie aujourd'hui est tout à fait pertinente à l'étude que nous menons.

Dans nos notes d'information, il est indiqué que vous avez occupé un poste de direction à Environnement Canada. Quel était ce poste et à quel moment étiez-vous là?

Mme Duncan : De 1988 à 1989, j'étais en détachement de l'Environmental Law Centre en Alberta, un organisme que j'ai fondé. J'ai réclamé avec tant de véhémence l'application de lois fédérales plus rigoureuses qu'Environnement Canada en est venu à m'approcher pour mettre en place son système d'application et d'observation des lois. Je crois avoir été la première responsable de ce système. J'ai occupé ce poste pendant une seule année.

Le sénateur Angus : Je constate que votre personnalité n'a pas vraiment changé. Je crois d'ailleurs que c'est une bonne chose.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de l'année 1988 dans le dossier du mercure. Je veux m'assurer que je vous ai bien comprise. Vous avez indiqué que, dès 1988, le gouvernement fédéral a affirmé catégoriquement qu'il était nécessaire de réglementer la production de mercure, mais que rien n'avait été fait depuis. Est-ce à peu près ce que vous avez dit?

Mme Duncan : Il ne faut pas oublier que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement n'est pas la première loi fédérale à ce sujet. Il y avait auparavant la Loi sur les contaminants de l'environnement et la Loi sur la lutte contre la pollution atmosphérique qui ont été fusionnées au sein de la LCPA. Nous sommes nombreux à croire que c'est à partir de ce moment-là que la loi a commencé à perdre de la vigueur.

Le président : Pour le bénéfice de ceux qui nous regardent, il faut préciser qu'on ne parle pas ici du présent projet de loi sur la qualité de l'air.

Mme Duncan : C'est exact. Nous avons déjà pu compter sur une telle loi qui comportait plusieurs dispositions d'application internationale.

Dès 1988, le mercure aurait été désigné comme substance prioritaire. Si mon souvenir est exact, le mercure était déjà désigné comme tel dans la Loi sur les contaminants de l'environnement. Lorsque la Loi canadienne sur la protection de l'environnement a été mise en application au milieu des années 1980, cette disposition a été maintenue. Ce n'est pas d'hier qu'on s'inquiète des répercussions toxiques du mercure. Le problème c'est qu'aucune action concrète n'a jamais été menée.

Le sénateur Angus : Je comprends.

Mme Duncan : L'exception est le chloralkali. Les dispositions réglementaires s'appliquant à cette industrie ont permis de réduire considérablement la quantité de mercure produite. Voilà ce qu'il nous faut. Vous avez ici un cas type, un règlement qui a permis une diminution substantielle du mercure. Voilà maintenant plus de deux décennies que les centrales thermiques alimentées au charbon s'en tirent impunément sans exercer aucun contrôle sur le mercure. C'est la seule industrie où la production de mercure est en hausse.

Le sénateur Angus : J'en prends bonne note. J'ai écouté très attentivement tout ce qui s'est dit ce matin. Comme vous pouvez sans doute vous en rendre compte, il n'y a pas de scientifiques parmi nous. Nous voulons mener à terme cet examen de la LCPA et nous convenons que c'est un exercice très compliqué. On touche à environ 37 lois différentes avec leur règlement d'application. Ce serait formidable si on pouvait simplement effacer l'ardoise et recommencer à neuf, mais ce n'est pas comme ça que les choses se passent.

Nous avons beaucoup entendu parler du mercure au cours des six dernières semaines. Nous sommes des néophytes, mais nous essayons de comprendre. Jusqu'à ce matin, je croyais pour ma part que la situation n'était pas aussi catastrophique que ce que vous laissez entendre. On nous a démontré, et ce, très clairement avec données scientifiques et tableaux à l'appui, que la pollution par le mercure avait diminué de pas moins de 90 p. 100 au Canada depuis 1988. Voilà six semaines maintenant que nous prêtons foi, peut-être naïvement, à ces constatations. Si on établit le parallèle avec ce que vous nous avez déclaré ce matin, on ne peut qu'être confus.

Je comprends que les centrales thermiques alimentées au charbon sont néfastes. Ce serait très bien si l'on pouvait faire cesser dès maintenant leur exploitation. Je crois d'ailleurs que c'est ce que vous avez vous-même affirmé. C'est autour de cette volonté première que s'articule votre exposé.

Si l'on pense aux treize années au pouvoir du gouvernement précédent, je suis le premier à affirmer que le premier ministre le plus vert de notre histoire n'a jamais rien fait de concret. C'est une question politique. Nous nous efforçons d'éviter la partisannerie. Je conviens que rien n'a été fait au cours de ces treize années. Mais en réalité, il s'est bel et bien passé quelque chose. Nous devons nous montrer justes et équitables. Ne convenez-vous pas que des progrès énormes ont été réalisés?

Mme Duncan : Mes propos de ce matin portaient essentiellement sur la production d'électricité à partir du charbon. Il y a effectivement eu des progrès dans certaines industries, mais cela ne s'est pas fait de manière volontaire; c'est la menace de la réglementation qui a fait bouger les choses. Il y a notamment eu des réductions considérables dans l'industrie du chloralkali. Je ne suis pas non plus une scientifique, mais je crois me souvenir qu'avant que cette industrie change ses processus, elle constituait une source de mercure plus importante encore que le charbon. Une fois la transformation effectuée, ce sont les centrales alimentées au charbon qui sont devenues la source principale et qui continuent d'émettre le plus de mercure.

Autrement dit, non seulement les centrales au charbon sont-elles demeurées la plus grande source industrielle de mercure, mais elles ont poussé l'affront jusqu'à se permettre un accroissement de leur capacité. Absolument rien n'a été fait pour réduire les émissions de mercure. Il est vrai que l'on s'est employé à contrôler les émissions de soufre et d'oxyde nitreux ainsi que, dans une moindre mesure, de particules en suspension, mais si peu. Aucune action n'a été entreprise en ce qui a trait au mercure. Et, si on fait exception de l'Alberta, aucun gouvernement ne fait encore quoi que ce soit pour contrôler ces émissions.

Le sénateur Angus : Voilà qui est très encourageant.

Comme je vous aime bien et que j'ai un grand respect pour votre travail et votre feuille de route, je veux vous encourager à poursuivre dans la même veine. Par ailleurs, je vais vous transmettre une partie des documents que nous avons reçus d'autres témoins.

Si je comprends bien, et j'en conviens avec vous, cela ne provenait pas des centrales thermiques au charbon.

Vous avez indiqué qu'il existait trois options relativement à ces centrales. Vous avez fait une petite digression à ce sujet. Comme première option, vous avez parlé de l'application d'une réglementation efficace, comme l'Alberta a commencé à le faire dans le cadre de cette nouvelle loi qui, vous l'espérez, deviendra un modèle. Je suis persuadé que dès que notre rapport sera rendu public, la situation changera du jour au lendemain.

Notre deuxième option consistait à fermer complètement les centrales. Nous avions donc comme première option une réglementation efficace et comme deuxième option une fermeture complète. Quelle était la troisième option?

Mme Duncan : Fournir des incitatifs pour l'utilisation d'une énergie moins polluante. On peut se servir du pouvoir de réglementation fédéral ou provincial pour exiger des réductions considérables. L'Alberta a démontré que cela était réalisable sans entraîner des coûts astronomiques pour l'industrie.

Je veux simplement faire valoir que l'une des options consiste à cesser l'exploitation de toutes les centrales. Tout le monde est toutefois conscient de la force du lobby de l'industrie du charbon. L'ancien PDG de TransAlta deviendra probablement le prochain premier ministre albertain. Est-ce que je crois que les centrales alimentées au charbon vont fermer leurs portes? Absolument pas.

Le président : Mais il faut bien dire que nous aimerions tous pouvoir continuer à allumer nos lampes et à chauffer nos maisons.

Mme Duncan : Je ne suis pas venue ici pour demander que toutes les centrales au charbon soient fermées. C'est bien pourtant ce que je souhaiterais. Ces centrales ont détruit mon lac. Les centrales au charbon ne se contentent pas de polluer l'air, elles endommagent les bassins hydrologiques. Il ne fait aucun doute que je serais très heureuse de les voir toutes cesser leurs activités. Est-ce que j'ai fait valoir cette option à la table albertaine? Non. Est-ce que j'estime que les centrales qui sont désuètes ou qui ont des normes rétrogrades devraient être fermées? C'est ce que je crois, mais les gouvernements fédéral et provinciaux sont du même avis.

Il n'est pas déraisonnable d'envisager une fermeture plus rapide que prévue. Nous nous sommes fixés des dates cibles à cet égard en Alberta. Les quatre ou cinq centrales de la province auront un choix à faire au cours de la prochaine année. Elles pourront mettre en œuvre des mesures de contrôle de la pollution ou cesser carrément leurs opérations. C'est ce que le gouvernement albertain a décrété; ou bien ces centrales font le nécessaire, ou bien elles ferment leurs portes.

La troisième option consiste donc à offrir des incitatifs intéressants pour l'utilisation d'une énergie moins polluante. On peut notamment faire en sorte que le charbon soit tenu de livrer une concurrence plus honnête aux autres sources d'énergie. Obligeons les centrales au charbon à être moins polluantes de telle sorte que les autres sources d'électricité puissent vraiment leur livrer un combat à armes égales. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il y a trois options. Il n'y en a en fait seulement deux qui sont envisageables pour le gouvernement fédéral. Il peut imposer des normes plus strictes et offrir des incitatifs pour une énergie moins polluante.

Le sénateur Angus : Vous avez pris la peine de souligner la présence à la table de représentants fédéraux d'Environnement Canada qui ont eu droit à ces argumentations. Vous avez dit espérer les voir rentrer à Ottawa sur-le- champ pour mettre le processus en branle.

Qui étaient ces gens présents à la table de concertation en Alberta et quelles étaient leurs fonctions?

Mme Duncan : À mon grand regret, trois des principaux scientifiques qui ont participé à cet examen ont maintenant pris leur retraite. La perte de ces précieuses ressources est l'un des éléments qui nourrit nos inquiétudes à l'endroit du gouvernement fédéral.

Peter Blackhall, un haut fonctionnaire d'Environnement Canada pour la région de l'Ouest et du Nord, a joué un rôle de premier plan. Il a participé activement à l'initiative pendant une période de trois ans.

Le sénateur Angus : Il a dû accumuler une grande frustration si rien n'était fait.

Mme Duncan : Il a été frustré jusqu'à ce que nous en arrivions à un résultat.

Le sénateur Angus : C'est un fonctionnaire fédéral, n'est-ce pas?

Mme Duncan : Oui. En Alberta, c'est comme ça que nous faisons les choses.

Le sénateur Angus : Restons-en à ma question. Quel est le nom de ces trois personnes?

Mme Duncan : Les autres personnes faisaient partie des sous-groupes. Il y avait des petits groupes consultatifs qui s'occupaient de l'établissement des modèles. Vous en trouverez la liste à l'endos du rapport déposé devant le Cabinet. Le Cabinet albertain a d'ailleurs souscrit à ce document.

Peter Blackhall est resté en contact avec Environnement Canada tout au long de ce processus. Le ministère préconise le principe des MTEAR, soit les meilleures techniques existantes d'application rentable. Nous avons tout mis en œuvre afin de dégager les MTEAR pour le mercure, mais Peter Blackhall était persuadé que nous pouvions probablement faire encore mieux. Plutôt que de mettre en place une norme fédérale moins rigoureuse, il a convenu que nous allions indiquer qu'il était nécessaire de procéder à des réductions équivalentes à ce que permet la technologie existante décrite dans le rapport.

Le gouvernement est tenu d'effectuer un examen à tous les cinq ans de telle sorte que les processus soient continuellement mis à niveau. Le rapport approuvé par le Cabinet indique que nous souscrivons aux principes voulant que les zones propres soient gardées intactes et que des améliorations soient apportées sans cesse. Les objectifs établis concernent l'oxyde nitreux, l'oxyde de soufre, les particules en suspension, les gaz à effet de serre et le mercure. Non seulement pouvons-nous compter maintenant sur des normes en la matière, mais nous nous sommes également engagés à les rendre plus rigoureuses. À tous les cinq ans, les gens de l'industrie devront se présenter à cette table avec les représentants des gouvernements provincial et fédéral et de la population pour examiner les technologies mises de l'avant en Europe et aux États-Unis et en déterminer les coûts. Si vous voulez construire une nouvelle centrale dans deux ans, vous devrez respecter des normes plus sévères.

Ces normes étaient en vigueur au moment où ce rapport a été ratifié il y a deux ans, mais il y est clairement indiqué qu'elles pourraient être modifiées en tout temps. C'est là que le gouvernement fédéral est intervenu. Il a indiqué qu'il n'allait pas approuver une norme qui pourrait être rendue plus rigoureuse au bout de quelques années. On prévoyait que des MTEAR seraient définies dès cette année ou l'an prochain. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut aller de l'avant et mettre en place la norme fédérale.

Le sénateur Milne : Vous nous avez dit que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement pourrait et devrait s'appliquer dans sa forme actuelle, mais devrait pouvoir s'appuyer sur une réglementation plus contraignante.

Le président : Est-ce le règlement en vigueur qui est déficient ou est-ce simplement parce qu'on ne l'applique pas correctement?

Mme Duncan : Il y a des lacunes sur les deux plans. Il est impossible d'appliquer des règlements qui n'existent pas. Et ce sont les règlements qui mettent en place les normes de fond.

Le sénateur Milne : C'est bien beau des normes pancanadiennes, mais c'est inefficace.

Mme Duncan : Les provinces peuvent intervenir de deux façons pour mettre en application une norme fédérale en vertu de la loi existante qui est d'ailleurs tout à fait valable. Dans le premier cas, supposons qu'il existe une norme fédérale. Si une province instaure une norme équivalente en offrant à la population tout autant de possibilités d'en exiger l'application, alors la province peut aller de l'avant et appliquer sa propre norme sans que le gouvernement fédéral n'intervienne. Dans le second cas, une province peut conclure une entente administrative avec le gouvernement fédéral en vertu de laquelle elle mettra en application la loi fédérale. Il n'est donc pas question d'ingérence cavalière de la part du gouvernement fédéral. Il s'agit simplement pour le gouvernement fédéral d'assumer les responsabilités que lui confère la loi et d'imprimer une orientation générale.

Dans le cas qui nous intéresse, c'est l'Alberta qui établit la norme. Le gouvernement fédéral a raté le coche, alors l'Alberta a pris l'initiative. Il est maintenant facile pour le gouvernement fédéral de dire quelle forme devrait prendre la réglementation, ce qui devrait inciter les autres gouvernements à passer à l'action.

Malheureusement, l'intervention réglementaire de l'Alberta n'a pas été imitée par les autres provinces. Celles-ci n'ont pas le contrôle de la situation. Pour les autres gouvernements provinciaux, c'est encore une question qui relève du fédéral.

Le sénateur Milne : L'autre partie de la solution réside dans la création d'incitatifs.

Mme Duncan : Oui, et de contre-incitatifs également. Il faut que des normes réglementaires rigoureuses servent de contre-incitation à l'augmentation de la capacité des centrales au charbon polluantes. Il convient alors de se demander si nous voulons investir dans les centrales au charbon ou nous tourner vers l'énergie éolienne ou la conservation.

Par ailleurs, j'ai trouvé la réponse à la question de tout à l'heure concernant l'ampleur des investissements. C'est au point 5 de mon document, à la page 10. Le Groupe consultatif national sur les sciences et les technologies relatives à l'énergie durable a mené cette étude qui révèle que les dépenses en R-D ne représentent que 3,8 p. 100 des recettes du secteur énergétique. Dans le secteur de l'électricité, on parle d'un maigre 0,36 p. 100 des recettes.

Le sénateur Milne : La nouvelle loi sur la qualité de l'air est présentement à l'étude à la Chambre des communes. Nous espérons voir le comité de la Chambre réécrire ce projet de loi avant qu'il ne soit soumis au Sénat. Nous n'exerçons toutefois aucun contrôle sur ces questions et le gouvernement en poste n'a pas fait montre d'une grande ouverture à l'égard des amendements proposés par le Sénat.

Avez-vous été invitée à témoigner devant ce comité?

Mme Duncan : Je ne suis pas sûre qu'il soit disposé à inviter des gens à témoigner. J'espère que oui. Il est certain que j'aimerais bien pouvoir le faire.

Le sénateur Milne : Oui, absolument. Assurez-vous d'ajouter votre nom à la liste, si c'est possible. C'est encore en négociation. La question est de savoir quand cela se fera, si toutefois cela se fait.

Le sénateur Carney : Il se trouve que je suis une fervente supporter du processus réglementaire. C'est un processus qui est mal compris, même par les parlementaires. Cependant, certaines lois stipulent que la loi doit être appliquée par le biais de règlements. Souvent, on ne sait pas vraiment ce que sont les règlements, ou ils ne sont pas en vigueur, et c'est le cas ici.

Puisque c'est une bonne loi et que l'Alberta a agi, pourquoi d'autres provinces ou le gouvernement fédéral n'ont-ils pas fait quelque chose pour adopter des règlements? Ce n'est pas un processus difficile. Qu'est-ce qui manque à la volonté politique pour réglementer ce secteur, formuler des règlements, les publier dans la Gazette du Canada et les mettre en vigueur?

Mme Duncan : Je suppose que ce sont les mêmes pressions qui sont exercées sur le gouvernement de l'Alberta. Croyez-moi, jusqu'à la dernière heure, même après que l'industrie ait approuvé ce rapport, une entente consensuelle pour réglementer le mercure, l'industrie continuait son lobbying auprès du cabinet pour empêcher que cela se fasse. On doit entièrement au ministre provincial de l'Environnement et au cabinet d'avoir tenu bon.

Cette industrie exerce d'énormes pressions. Le groupe de pression de l'industrie alimentée au charbon est énorme, au Canada. La seule façon de l'emporter sur lui est de suivre l'exemple qu'a donné l'Alberta, et le gouvernement peut fixer les limites.

Les gouvernements provinciaux sont plus vulnérables à ce type de lobbying, à bien des égards, que le gouvernement fédéral. Vous en voyez la pleine mesure avec les gaz à effet de serre. La plupart de ces activités de lobbying sont généralement centrées sur le gouvernement provincial parce qu'on considère généralement les provinces comme l'entité qui réglementera l'environnement.

Le sénateur Carney : Ce ne sont pas tous les gouvernements provinciaux qui se fient sur le charbon. Par exemple, la Colombie-Britannique, comme vous l'avez fait remarquer, ne se fie pas sur lui.

Mme Duncan : L'Ontario a promis de fermer ses usines, et c'est pourquoi la province n'a pas imposé de règlements. Nous étions nombreux à dire que nous le croirions quand nous le verrions. Ils sont revenus sur leur promesse, comme l'a fait le Nouveau-Brunswick, m'a-t-on dit.

Le sénateur Milne : Alors ils ont découvert qu'il y avait tout simplement trop de demande et qu'ils ne pouvaient pas le faire tout de suite.

Mme Duncan : S'il y a un règlement en vigueur, l'industrie a un choix : se mettre à niveau et continuer de fonctionner, ou fermer ses portes.

Le sénateur Carney : Est-ce que vous voulez dire que la raison qui fait qu'il n'y a pas de règlements pour appliquer cette excellente loi qui réalise les obligations internationales du Canada, ce sont les groupes de pression politique? Environnement Canada ne s'est pas montré très souple devant les groupes de pression à d'autres occasions.

Mme Duncan : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord. Je ne peux pas dire. Je ne suis pas le gouvernement fédéral. Je ne suis pas à l'intérieur, mais je suis au courant de l'existence d'un groupe de pression extrêmement vigoureux.

Le gouvernement fédéral a d'ailleurs fait une autre tentative, par le biais d'une stratégie de réduction des émissions de polluants multiples, une SREPM. J'y ai participé aussi. L'industrie a fait là une telle démonstration de force contre le gouvernement qu'il a tout simplement abandonné la partie. Pour l'initiative sur le mercure à laquelle j'ai participé, ils ont dit qu'il faudrait une éternité pour parvenir à s'entendre sur les émissions de polluants multiples. Nous allons seulement aller de l'avant avec le mercure parce que c'est tellement sérieux.

Le lobbying est phénoménal. La Canadian Clean Power Coalition est la plus fausse appellation que j'ai jamais entendue. Elle fait pression depuis longtemps pour qu'aucune norme ne soit imposée.

Le sénateur Milne : Vous avez parlé d'accord d'harmonisation. Je dois admettre mon ignorance; je n'en ai jamais entendu parler. De quoi s'agit-il, et comment est-ce géré pour diluer tout cela?

Mme Duncan : C'est un document très important. J'encourage le Sénat à le lire quand il le pourra, et même à tenir des audiences sur l'accord d'harmonisation. L'accord a été lancé en grande partie par l'Alberta pour le seul motif de se débarrasser du gouvernement fédéral en Alberta.

L'accord d'harmonisation, en gros, dit que le rôle du gouvernement fédéral est de s'asseoir à la table de négociation avec les provinces et, ensemble, nous définiront ce qui est appelé des « normes pancanadiennes ». Cette appellation est mal choisie. Ce ne sont pas des normes. Une norme est juridiquement contraignante et sont observation peut être obligée. Ce que nous avons, ce sont des lignes directrices pancanadiennes, un objectif national, et leur objet est d'éviter que le spectre du gouvernement fédéral, en vertu de la LCPE et d'autres lois, puisse réglementer l'industrie au Canada, ce contre quoi elle lutte depuis deux décennies. Enfin, le gouvernement fédéral a fini par céder et signer cet accord.

Le sénateur Milne : L'accord d'harmonisation, c'est ce qui a été à la source de nos normes pancanadiennes, c'est bien cela?

Mme Milne : Absolument, c'est le mécanisme. Il y a des ententes latérales sur les inspections et l'établissement de normes. Celle qui concerne l'établissement de normes est liée aux normes pancanadiennes. Elle exige d'ailleurs la participation du public, mais à ce que j'ai compris, par le biais du Conseil canadien des ministres de l'Environnement, le public est maintenant exclu. C'est en fait un accord conclu entre les sous-ministres. Je pense que c'est un mécanisme pour contrecarrer l'intervention fédérale quand c'est jugé nécessaire.

Selon la norme, lorsque décision est prise qu'il faut réduire un polluant, le gouvernement le mieux placé devrait agir. Pour le mercure, je suis d'avis que c'est le gouvernement canadien qui est le mieux placé. Le mercure est émis partout au Canada; il pollue les eaux canadiennes, les pêches et l'Arctique, et il y a une loi internationale, à laquelle est assujetti le gouvernement fédéral. Même si on accepte l'accord d'harmonisation, le gouvernement fédéral est l'organe qui devrait, logiquement, réglementer. Je vous encourage à examiner cela.

Le sénateur Adams : Peut-être ma question est-elle un peu différente. Je vivais au Nunavut. Le sénateur Carney était encore présidente de notre comité, et nous avons fait un voyage à French Creek, où il y a des éoliennes. Si le vent cesse de souffler, il est évident qu'on ne peut générer d'énergie.

Si le gouvernement de l'Alberta essaie de réduire le nombre de centrales alimentées au charbon, est-ce qu'il faut aussi autre chose? Je sais que vous vous souciez du lien entre le mercure et les centrales alimentées au charbon; mais est-ce que le gouvernement de l'Alberta s'intéresse aux éoliennes et à d'autres sources d'électricité pour réduire sa dépendance sur les centrales alimentées au charbon?

Mme Duncan : Je dois, avec tristesse, vous dire que le gouvernement de l'Alberta vient d'imposer une limite à la production d'électricité par éoliennes en Alberta. C'est scandaleux. L'industrie aérogénératrice, qui comprend TransAlta, est outrée.

Vous devez comprendre que dans le paysage politique où j'évolue, dans ma province, le seul outil à ma disposition maintenant, pour produire une énergie plus propre, c'est la réglementation. Dans ce document, nous avons convenu d'échanges de droits d'émissions d'oxydes d'azote et d'oxydes de soufre. Nous voulions pousser plus loin pour dire que c'est bon tant qu'on ne permet pas la concentration. Le problème, avec les échanges de droits d'émissions, c'est qu'il faut faire attention à ne pas se retrouver à intensifier le développement dans un secteur alors qu'il est restreint dans d'autres secteurs. Le gouvernement a refusé catégoriquement de fixer un plafond aux émissions d'oxydes d'azote et de soufre, y compris pour la production provenant des sables bitumineux, mais il a fixé une limite à l'énergie éolienne.

C'est pourquoi il y a des gens en Alberta qui adorent le gouvernement fédéral. Les Albertains qui se préoccupent de santé et d'environnement étaient connus, depuis 30 ans, pour constamment faire appel au gouvernement fédéral. Nous avons besoin que le gouvernement fédéral intervienne, parce que nous devons freiner les politiques provinciales sur l'environnement et la protection de la santé en Alberta.

Il serait bien de pouvoir produire plus d'énergie éolienne. Les compagnies de l'Alberta peuvent investir dans l'énergie éolienne n'importe où ailleurs au Canada maintenant, mais en Alberta, c'est maintenant limité.

Le sénateur Milne : Cela signifie que la ville de Calgary, dont le réseau de transport par train léger sur rail est maintenant alimenté par l'énergie éolienne, ne peut pas agrandir son réseau. C'est absolument ridicule.

Le sénateur Cochrane : Nous avons besoin de savoir pourquoi, madame Duncan. Pourquoi ont-ils fait cela?

Mme Duncan : Là encore, c'est l'œuvre du groupe de pression pour la production alimentée au charbon. Nous n'avons pas de ministère de l'Énergie, en Alberta; nous avons un ministère des Combustibles fossiles. Quand nous avons demandé à l'ex-ministre de l'Énergie, Murray Smith, d'appuyer quelques-unes de ces dispositions, il a dit à son propre personnel « Je ne suis pas le ministre de l'Énergie, je suis le ministre des Combustibles fossiles. Mon travail n'est pas de créer de l'énergie renouvelable ».

Le sénateur Carney : Le ministère de l'Énergie de l'Alberta, c'est le Cabinet du premier ministre.

Mme Duncan : L'argument posé, c'est la fiabilité. D'autres compétences ont trouvé une solution. Je ne suis pas très versée en technologie, mais je comprends que le problème avec le vent, c'est que quand il ne souffle plus, soudain, il n'y a plus de production. Les centrales alimentées au charbon prennent beaucoup de temps à se réchauffer et à démarrer. La justification donnée à la limite fixée, c'est qu'il faut avoir l'assurance de la production et que le vent présente un risque.

Je pense que d'autres compétences ont résolu ce problème. Par exemple, nous avons une ligne de transmission vers la Colombie-Britannique en ce moment. Nous pourrions presque instantanément passer à l'énergie hydroélectrique; mais le mot d'ordre, c'est toujours « il faut protéger la production alimentée au charbon » — et nous en avons beaucoup.

Le président : Je dois me montrer grossier et arbitraire. Je m'en excuse, mais nous sommes limités par le temps. J'ai besoin d'une réponse très brève à une dernière question.

Est-ce que la LCPE est bien telle qu'elle est, madame Duncan? Est-ce que la loi devrait être modifiée? Ou est-ce simplement et seulement qu'il faut créer et appliquer des règlements connexes? La loi est-elle bien telle qu'elle est?

Mme Duncan : Si nous parlons précisément du mercure, la loi est bien telle qu'elle est. C'est un problème seulement si le gouvernement fédéral reste discrétionnaire. Autrement dit, actuellement, le gouvernement fédéral peut prendre règlement à sa discrétion.

Si le gouvernement fédéral n'agit pas très rapidement, je dirais modifiez la loi, et faites que ce soit obligatoire, comme aux États-Unis. S'il y a preuve d'un polluant nocif, et qu'il fait du tort à la santé humaine et à l'environnement, il devrait être obligatoire de prendre règlement. Il n'est pas nécessaire que la loi stipule la nature du règlement, mais il serait obligatoire d'agir.

Le président : Est-ce que cette loi peut le permettre?

Mme Duncan : Non. Actuellement, c'est le seul changement que je recommanderais précisément en rapport avec ceci. Comme le gouvernement fédéral a omis d'appliquer ses pouvoirs, s'il n'agit pas très rapidement, le Sénat devrait prôner une modification de la loi pour qu'il soit obligatoire qu'Environnement Canada et Santé Canada agissent.

S'ils font maintenant preuve de volonté politique, je ne m'en inquiéterais pas trop. Pour l'avenir, il est certain que je songerais à modifier cet aspect de la loi.

Le sénateur Carney : Mme Duncan a dit à plusieurs reprises qu'elle favorise la conservation. À mon avis, la conservation, qui est permise, en Colombie-Britannique, qui a réussi à ralentir l'expansion du réseau hydroélectrique, à ses limites. Il y a des limites très nettes à ce qu'on peut conserver, compte tenu de la technologie actuelle.

Quel autre choix avons-nous? La limite, c'est que quand le coût de la conservation dépasse le coût d'une autre source d'énergie et qu'il faut chercher d'autres sources. Quelle limite absolue fixez-vous pour la conservation, et quel autre choix proposez-vous à ce moment-là?

Mme Duncan : Il nous faut une combinaison, et je n'ai qu'à penser à Arnold Schwarzenegger pour trouver un exemple. Le secteur énergétique de la Californie est privatisé, comme en Alberta, et la société privée de là-bas, Pacific Gas and Electric Company, investit des millions de dollars dans la conservation.

Il n'est pas juste que nous devions tous partager le fardeau. Pourquoi devrions-nous, vous et moi, avoir à payer de notre poche pour adapter nos maisons, tandis que les centrales alimentées au charbon continuent sans scrupules, sans mesures de contrôle appropriées? Je dis qu'au lieu d'accroître sans cesse notre dépendance sur le charbon, nous devrions assurer une gestion axée sur la demande. Nous ne devrions développer que si nous avons besoin d'électricité, et nous devrions exiger de ces compagnies qu'elles investissent dans la conservation pour nous aider à réduire nos besoins énergétiques. Il faut une combinaison équilibrée.

Le président : Je sais que nous aurons d'autres questions après votre départ, parce que vous avez chatouillé notre imagination et vous nous avez dit des choses importantes. Merci beaucoup d'être venue.

La séance se poursuit à huis clos.

La séance publique reprend.

Le président : Qui a proposé la motion d'approbation du budget? Est-ce que quelqu'un peut proposer une motion réaffirmant la confirmation du budget?

Le sénateur Angus : Je le propose.

Le président : Le sénateur Tardif appuie l'approbation de la demande de budget de 22 070 dollars, pour le voyage de deux sénateurs de ce comité qui accompagneront à Londres le commissaire à l'environnement et au développement durable. Sommes-nous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion est adoptée, et la séance est levée.

La séance est levée.


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