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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 11 - Témoignages du 8 février 2007


OTTAWA, le jeudi 8 février 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 41, pour l'examen de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999, ch. 33) conformément au paragraphe 343(1) de ladite Loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. La séance est ouverte.

Nous allons tenir la réunion et entendre le témoignage de notre invité conformément à l'article 89 du Règlement, qui prévoit que le président est autorisé à tenir des réunions pour entendre des témoignages et en permettre la publication en l'absence de quorum, pourvu qu'un représentant du gouvernement et un représentant de l'opposition soient présents.

Monsieur Mabury, merci beaucoup d'être ici; nous ne sommes pas des scientifiques. Nous nous préoccupons des effets de la recherche scientifique, et nous espérons que vous allez nous aider à comprendre certains de ces effets dans le cadre de notre étude de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

Le sénateur Ethel Cochrane, de Terre-Neuve-et-Labrador, est assise à côté de moi; elle est vice-présidente du comité et elle représente le gouvernement au sein de celui-ci.

Veuillez commencer, monsieur Mabury. J'espère que vous êtes prêt à répondre aux questions que nous vous poserons après votre exposé.

Scott Mabury, professeur de chimie de l'environnement et président du département de chimie, Université de Toronto : Merci de votre invitation. Je suis heureux d'avoir l'occasion d'aborder le sujet en question, et je suis honoré que vous ayez pensé que ma présence ici serait utile.

Le sujet que nous abordons aujourd'hui est la LCPE. On m'a invité pour parler tout particulièrement des polluants chimiques perfluorés en rapport avec la LCPE. Je suis chercheur, membre d'un vaste groupe du département de chimie de l'Université de Toronto, et je travaille surtout avec des étudiants diplômés. Nous essayons de comprendre ce qui explique une si importante contamination de l'Arctique et des humains par les substances perfluorées. Il y a deux produits chimiques perfluorés spécifiques, qui sont le SPFO, qu'on appelle aussi Scotchgard, et l'APFO, qui sont les deux substances les plus connues de la presse et des gens en général. Il s'agit aussi des produits chimiques perfluorés dont la concentration est la plus élevée chez les humains. Toutes les personnes qui sont dans cette salle en ont dans le sang, à des concentrations relativement élevées par rapport à d'autres polluants chimiques. La question de savoir pourquoi ils se trouvent dans le sang de tout un chacun et comment ils s'y sont retrouvés est importante. Sans le savoir, il est difficile de régler le problème.

Mon exposé d'aujourd'hui — qui consiste en une série de diapos — va nous permettre de faire le tour du problème. Je vais guider le comité dans la consultation des documents que j'ai distribués.

Le problème tient à d'importantes concentrations de SPFO, d'APFO et d'APFC chez les ours polaires et chez les humains. Ces sigles décrivent la structure chimique des substances en question. Ces substances se trouvent dans votre sang, et les concentrations sont particulièrement élevées dans l'Arctique.

Il y a deux théories. À la diapo suivante, vous allez voir qu'on a formulé deux idées au sujet de la manière dont une contamination si importante s'est produite dans l'Arctique. Lorsque je dis que l'Arctique est contaminé, c'est que les concentrations des substances en question chez les ours polaires qu'on a constatées il y a seulement cinq ans sont du même ordre que les concentrations, qu'elles dépassent de beaucoup, d'autres polluants chimiques d'aussi mauvaise réputation : le DDT, les biphényles polychlorés, et tous les autres composés industriels que nous étudions depuis des dizaines d'années et qui ont été bannis et n'ont pas été utilisés depuis des dizaines d'années, du moins en Amérique du Nord. Récemment, on a découvert les composés perfluorés chez les ours polaires, et leurs concentrations dépassent souvent celles de ces autres polluants — ce qui a un peu causé une surprise. La vraie surprise, c'est la personnalité chimique du SPFO et de l'APFO — je parle souvent de la personnalité des produits chimiques. Cette personnalité découle des atomes de la molécule et de la manière de les mettre ensemble. L'édifice dans lequel nous nous trouvons a une fonction et une personnalité, et on pourrait dire la même chose d'un igloo. On construit un igloo avec des matériaux différents, et sa fonction est différente. C'est la même chose pour les produits chimiques. C'est surprenant, parce que les produits chimiques en question ne volent pas — en d'autres mots il est impossible qu'ils aboutissent dans l'Arctique dans l'état dans lequel on les retrouve dans l'atmosphère. Vu que les ours polaires ne portent pas de manteau en téflon, qu'ils n'ont pas de tapis dans leur maison ni de poêle à frire en téflon, comment se peut-il que ces bêtes soient contaminées? Il y a deux idées.

Selon la première, l'industrie, au cours du processus de fabrication de ces composés fluorés, a rejeté ces matières directement dans l'environnement, dans les parties industrialisées du monde. Une usine de Virginie occidentale rejetait 60 000 livres d'APFO dans les eaux de l'Ohio chaque année, jusqu'à l'an 2000 environ. Il s'agit d'une quantité très importante. L'une des hypothèses qu'on a formulées, c'est que les matières en question ont suivi le cours de l'Ohio, jusqu'au Mississippi, qu'elles ont atteint le golfe du Mexique, puis l'Atlantique et, finalement l'Arctique. C'est une première idée.

L'idée sur laquelle nous nous penchons — les scientifiques font des hypothèses; nous devons avoir une question à mettre à l'épreuve, parce que c'est ça, la méthode scientifique. Notre théorie est que la source est une source indirecte, et qu'il s'agit de précurseurs fluorés — le mot « précurseur » va être important aujourd'hui — parce que ce sont les précurseurs qu'on utilise en fait pour élaborer les matières qui entrent dans la composition des tapis, des tissus et des produits de papier. Nous croyons que ce sont ces précurseurs qui peuvent voyager dans l'air, parce que leur personnalité chimique les rend très volatils et fait qu'ils s'évaporent facilement. Je suis convaincu que nous pourrions mesurer une concentration relativement élevée des substances en question dans l'air de la pièce où nous nous trouvons. Les chercheurs ont établi des mesures à l'intérieur de bâtiments, et nous trouvons les substances en question. Dehors, nous les avons mesurées partout dans l'atmosphère de l'Amérique du Nord. Elles sont là. Nous avons formulé l'hypothèse selon laquelle elles agissent comme agents de voyage transportant jusqu'en Arctique les éléments de base puis, dans l'atmosphère, se dégradent pour former la structure des acides que nous détectons dans l'organisme des phoques et des ours polaires. Les substances en question remontent la chaîne alimentaire.

Il y a donc deux hypothèses très différentes. La première concerne un problème du passé, c'est-à-dire que, il y a quatre ou cinq ans, l'industrie a dit qu'elle ne pouvait rejeter 60 000 livres d'APFO par année dans l'Ohio, et qu'elle allait simplement cesser de le faire et se débarrasser de la substance autrement. L'autre hypothèse concerne non pas un problème du passé, mais bien un problème actuel. Elle a trait à l'utilisation et à la conception des produits chimiques. Par conséquent, il convient de mettre à l'épreuve et d'interroger ces deux grandes hypothèses, parce qu'elles donneront lieu à des ensembles de mesures très différents pour régler le problème de la contamination de l'Arctique, et au bout du compte, la contamination des humains, et parce que nous avons besoin de savoir comment la contamination s'articule et se produit en pratique, sans quoi nous ne pourrons résoudre le problème.

Dans le bas de la deuxième page du document que j'ai distribué, vous pouvez voir, à gauche, que les précurseurs sont des composés qui ont un aspect différent. Qu'on soit chimiste ou non, ces maisons ne se ressemblent pas. Le côté gauche de la molécule constitue la partie fluorée — tous ces F bleus — et c'est ce qui donne à la molécule les propriétés que nous recherchons. Cette chaîne fluorée, parce qu'elle ressemble à une barre, est très stable. Si nous enduisions la surface de la moquette de cette substance, nous pourrions renverser de l'eau ou du vin dessus, ou encore de la graisse; aucune de ces matières ne pénétrerait le tapis, parce que ces fluors bleus les repoussent. Ces fluors bleus repoussent l'eau et les corps gras. Nous disons qu'ils sont hydrophobes — ils n'aiment pas l'eau — et lipophobes — ils n'aiment pas les gras.

Il s'agit de matières aux propriétés extraordinaires lorsqu'il s'agit de permettre aux tissus, aux tapis et même aux produits de papier de continuer de bien remplir leurs fonctions. Les sacs de pop-corn, par exemple, ont un revêtement intérieur qui empêche le corps gras de traverser le sac lorsqu'on met le pop-corn dans le micro-ondes. C'est cette extrémité fluorée qui fait que la molécule repousse certaines substances. Il s'agit d'une propriété que nous aimons. Elle est liée à une industrie de plusieurs milliards de dollars en produits de consommation. À eux seuls, les polymères qu'on ajoute aux tissus coûtent quelques milliards de dollars. J'ai appris que les produits eux-mêmes se chiffrent dans les dizaines de milliards. Il s'agit d'un marché de consommation très important à l'échelle internationale.

Il y a des hypothèses selon lesquelles les précurseurs volatils en question s'échappent des tapis, des tissus et des usines où ils sont fabriqués et ils se dispersent dans l'environnement. Si vous jetez un coup d'œil au bas de la figure 3, vous pouvez voir qu'il y a de nombreuses manières d'incorporer — le bleu dans le haut; des alcools fluorés pour des surfaces fluorées, tous ces bleus sont ce qui donne à la molécule des propriétés de surface. Nous pouvons les intégrer, dans le bas, à des agents de surface. Un « agent de surface » n'est ni plus ni moins qu'un nom spécial pour les savons. C'est ce que nous utilisons pour le revêtement intérieur des sacs de pop-corn, des produits de papier. Leur utilisation est très courante.

À la diapo 4, vous pouvez voir que les enduits à base d'alcool fluoré entrent dans la composition de nombreux produits de consommation. J'indique dans cette diapo que la production est de l'ordre de millions de kilogrammes par année, à tout le moins ceux du haut, les composés à base de télomère. On a mis fin à la production de composés à base de SPFO en 2000-2001, mais elle était de l'ordre de millions de kilogrammes à l'époque. Les différents fabricants utilisent différents processus. Cela est attribuable à la protection de la propriété intellectuelle par des brevets, en fonction du type de processus auquel a recours un fabricant.

Dans cette figure, j'ai mis mon tapis dans le bas, puis l'une des fibres de celui-ci, et cette fibre enduite. On peut se poser la question de savoir si des matières résiduelles, en gros, des produits de départ qui restent dans le tapis, s'échappent. L'alcool est un précurseur à droite. C'est la substance qui s'échappe dans l'air. Ou bien est-ce que ces matières se décomposent sur place?Il s'agit d'une question importante sur le plan scientifique. Aux États-Unis, l'EPA a demandé à l'un des principaux fabricants de dépenser cinq millions de dollars pour y répondre. Ces composés se décomposent-ils sur place au cours du processus? C'est une question à laquelle nous essayons de répondre nous aussi. La majeure partie de ces matières restent dans les polymères eux-mêmes. Ils finissent par aboutir dans une décharge ou une station d'épuration des eaux d'égout. La question est de savoir si ce très grand réservoir de matières va finir par libérer les composés en question dans l'environnement.

Nous avons examiné la question des résidus dans le haut et mesuré les alcools résiduels, ces précurseurs qu'on fait intervenir dans le processus. La synthèse chimique n'est jamais efficace à 100 p. 100. Mon meilleur chimiste du département de chimie de l'Université de Toronto ne peut faire réagir un produit à 100 p. 100, peu importe à quel point il est excellent et à quel point la réaction est une bonne réaction. Il y aura toujours des impuretés, une partie du produit de départ qui ne réagit pas. Nous avons mesuré ces résidus dans des matières industrielles et dans des produits de consommation — le liquide lave-glace Motomaster, par exemple. Nos mesures sont de l'ordre de quelques points de pourcentage par unité de poids. Quelques points de pourcentage ne semblent pas représenter une grande quantité, mais en multipliant 2 p. 100 par 12 millions de kilogrammes, on obtient 250 000 kilogrammes libérés chaque année.

Nous avons détecté les composés en question partout en Amérique du Nord. Lorsqu'on calcule la quantité des substances qu'il faut libérer dans l'environnement chaque année pour maintenir ces concentrations, on obtient un résultat de l'ordre de 250 000 kilogrammes par année. Nous croyons que les résidus sont très importants. Les impuretés dont j'ai parlé — les produits de départ — qu'on fait intervenir dans le processus et qui n'ont aucune fonction dans le produit que les consommateurs utilisent peuvent être une source importante, ou même la source la plus importante, de ces composés dans l'environnement. Nous allons revenir plus tard sur ce qu'il faut faire pour régler le problème, mais il est certain qu'un produit de consommation final plus propre fait partie de la solution.

Je ne vais pas lire l'hypothèse qui figure à la page suivante. Dans cette diapo, j'explique l'hypothèse concernant les voies indirectes. Vous pouvez aussi voir, dans le bas, que nous devons mettre à l'épreuve les hypothèses. Il est vrai qu'on ne peut prouver une théorie, et qu'on ne peut que l'infirmer. L'une des choses que les bons chercheurs font, c'est d'essayer d'infirmer leur propre théorie. Quelqu'un a dit un jour qu'il suffit d'un seul fait affreux pour démolir une belle théorie. Il est possible d'obtenir des preuves à l'appui d'une théorie, mais, au bout du compte, prouver une théorie demeure un problème. Par conséquent, nous avons mis à l'épreuve la théorie que nous appelons PAART, la théorie du transport et de la réaction dans l'atmosphère des alcools précurseurs, parce que l'atmosphère joue un rôle important. Nous avons mis cette théorie à l'épreuve. Nous avons publié quelque chose comme 40 articles soumis à des comités de lecture dans lesquels nous tentons de déterminer s'il y a des preuves à l'appui de la théorie qui expliquent pourquoi l'Arctique est contaminé.

Je vais décrire une partie de ce que nous avons découvert. À la diapo suivante, celle qui s'intitule « Chimie de l'atmosphère : très simplifiée [...] », vous pouvez constater que nous avons appris que les alcools en question ont une durée de vie d'environ 20 jours dans l'atmosphère. Ça ne semble pas beaucoup, mais, en fait, c'est long. Dame Nature fait un travail exceptionnel lorsqu'il s'agit de nettoyer l'atmosphère. Elle dispose d'un détergent appelé radical hydroxyle, qui réagit très rapidement avec la plupart des composés que nous rejetons dans l'atmosphère. Dans les faits, Dame Nature est une pollueuse beaucoup plus grande que nous. Les émissions naturelles sont 10 fois plus importantes que la quantité de composés organiques que les humains rejettent chaque année. Quoi qu'il en soit, mis à part le fait qu'il fait froid ce matin et qu'il neige, la visibilité est assez bonne à l'extérieur. C'est parce que l'atmosphère se nettoie très bien.

Vingt jours, en fait, c'est long. La plupart des composés organiques se décomposent dans l'atmosphère en quelques heures, ou, tout au plus, en quelques jours. La décomposition des composants de l'essence, par exemple, se compte la plupart du temps en heures. Le fait important, en ce qui concerne cette période de 20 jours, c'est que les composés en question peuvent franchir de grandes distances. Nous avons calculé que la molécule peut parcourir au moins 8 000 kilomètres avant de se décomposer.

La bonne nouvelle est que, 90 p. 100 du temps, Dame Nature prend ces composés industriels d'une utilité remarquable pour les consommateurs et les décompose entièrement, jusqu'à ce qu'il ne reste que des éléments inorganiques, les constituants naturels qui sont le fluor, les ions et le dioxyde de carbone. C'est une bonne chose. Dame Nature est très efficace pour recevoir ce que nous lui envoyons, même des choses qu'elle n'a jamais vues auparavant, et pour les ramener aux constituants élémentaires qui sont indistincts avant que nous y touchions.

Ce qui pose problème, ce sont les 10 p. 100 du temps qui restent, la réaction que vous voyez dans le bas de la diapo, qui est une découverte relativement nouvelle de mon groupe de recherche, et selon laquelle de 1 à 10 p. 100 des composés en question sont transformés en acides perfluorocarboxyliques. Il s'agit de composés très importants, parce qu'ils sont extrêmement persistants; personne ne les a jamais vus se décomposer dans quelque condition naturelle que ce soit. J'ai déjà dit qu'ils redéfinissent la persistance. Dans Silent Spring, Rachel Carson parle des pesticides chlorés, en raison du fait qu'ils sont si persistants. La persistance du DDT se mesure en dizaines d'années. Dans le cas qui nous occupe, la persistance — je ne peux vous donner de chiffres, parce que personne n'a vu les substances en question se décomposer dans quelque condition naturelle que ce soit. Cependant, parce que je dis qu'elles redéfinissent la persistance, je parle d'une durée de vie beaucoup plus longue que des dizaines d'années.

Si on ajoute à cela le fait que la substance est transportée vers des régions éloignées; elle se combine à une molécule suffisamment grosse — c'est-à-dire qui comporte plus de sept atomes de carbone et des atomes de fluor, ce qui va être important tout à l'heure — ces substances sont bioaccumulables. Lorsqu'il y a moins de sept atomes, la molécule a tendance à ne pas être bioaccumulable; lorsqu'il y en a plus de sept, elle tend à l'être. Ce n'est pas un hasard si l'une des molécules dont la concentration est la plus élevée dans votre sang est composée de sept atomes de carbone, avec des atomes de fluor. Ce sont des molécules qui présentent un intérêt sur le plan de la toxicologie, du moins lorsque la concentration en est élevée.

Ainsi, il y a l'hypothèse selon laquelle l'atmosphère transporte les substances en question vers des régions éloignées, puis les décompose et transporte dans l'Arctique les produits finaux de la décomposition, qui remontent ensuite la chaîne alimentaire. Comment peut-on mettre cette hypothèse à l'épreuve? Comme je l'ai dit plus tôt, nous mesurons les alcools présents dans l'air. Nous les avons détectés partout en Amérique du Nord. Cinq ou six ans après que nous en avons mesuré la concentration, d'autres chercheurs font de même et publient leurs résultats. C'est l'autre chose qui doit se passer pour faire avancer la recherche — un autre groupe, indépendant du premier, doit obtenir les mêmes résultats. C'est encourageant de voir que cela se fait.

Cependant, pour mettre notre hypothèse à l'épreuve, nous avons établi un modèle définissant la quantité de substances en question qui pouvaient être transportées jusque dans l'Arctique. Nous pensons qu'il s'agit d'environ 400 kilogrammes par année dans le Grand Nord canadien. Pour effectuer les mesures, j'ai envoyé Cora Young, une étudiante diplômée — sur la photo de la page suivante, c'est elle qu'on voit sur la calotte glacière de Devon, en avril. Il fait plutôt froid là-bas. Il leur a fallu une semaine pour creuser un trou d'environ sept mètres de profondeur dans la calotte glacière, parce que c'est comme casser de la glace dure, évidemment. Nous voulions faire entrer notre appareil d'échantillonnage dans la paroi de ce trou, pour obtenir des échantillons des dépôts des années 1999, 2000 et 2001. Nous voulions non seulement mesurer la quantité des substances en question qui se déposent chaque année à partir de l'atmosphère — et la raison pour laquelle nous nous sommes rendus jusqu'au milieu de l'île Devon, c'est que nous voulions mesurer ce qui vient de l'atmosphère — mais aussi savoir si les concentrations varient avec le temps. Je vais y revenir dans quelques instants, mais il y a eu des changements draconiens dans la production industrielle de certains des composés en question.

Le problème, en ce qui concerne les mesures que nous avons effectuées, c'est que les concentrations sont très faibles. Cela pose un défi réel. La plupart des articles de camping contiennent des matières fluorées, pour des raisons fonctionnelles. Nous ne pouvions donc pas en apporter trop près du lieu d'échantillonnage, parce que nous aurions contaminé les échantillons, et cela aurait introduit une erreur systémique dans la mesure de la quantité de substances provenant de l'atmosphère.

Mon étudiante a dû appeler ses oncles et visiter le grenier de plusieurs familles pour trouver des sacs de couchage et de l'équipement adapté aux conditions de l'Arctique ou au temps froid datant d'avant les enduits fluorés. Comme elle l'a dit, cet équipement n'était pas aussi bon. Il ne la gardait pas toujours au chaud ou au sec comme elle l'aurait souhaité, mais, au moins, en ce qui concerne les essais, nous avons obtenu les échantillons qui nous manquaient sans les contaminer.

La diapo suivante présente des données. Je l'ai mise en partie pour que vous puissiez voir que nous avons effectué des mesures rétrospectives jusqu'à 1996. Nous avons pu mesurer le flux annuel, ce qui est un grand mot pour dire la masse de substances par centimètre carré par année. Dans les quatre diagrammes du haut, on peut voir que le flux augmente, mais dans celui du bas, celui qui porte sur le SPFO, on voit que le flux augmente dans les années 1990, puis qu'il diminue rapidement après 1998 ou 1999.

Dans le bas à droite de la diapo, vous pouvez voir que nous avons mesuré, à trois endroits et sur une période de deux ans, entre 114 et 586 kilogrammes par année pour l'ensemble de l'Arctique. La prédiction du modèle était de 400 kilogrammes par année.

C'est un exemple de la démarche qui consiste à poser une hypothèse, à intégrer à un modèle tout ce qu'on sait au sujet du milieu, puis à effectuer une mesure. Tous ceux qui participent au débat concernant les changements climatiques et le réchauffement de la planète discutent de la qualité des modèles. Bien entendu, on mettra ces modèles à l'épreuve avec le temps, et on pourra vérifier dans quelle mesure ils sont précis et permettent de faire des prédictions. Nous avons fait un assez bon travail. Cela signifie que nous comprenons la majeure partie de ce qui se produit dans l'atmosphère, et que, si nous formulons les bonnes hypothèses, celles-ci se rapprocheront de ce qu'on peut réellement mesurer dans l'environnement. Cela nous a encouragés. Les travaux de recherche sont en cours d'évaluation, en vue de la publication des résultats.

Le degré de contamination évolue-t-il avec le temps? À la diapo suivante, vous pouvez voir une photographie d'un phoque, une carte du nord du Canada, avec un point rouge là où se trouve Resolute, les concentrations en ordonnée et les différentsproduits chimiques en abscisse. Ce qui est en bleu, c'est le temps nécessaire pour que les concentrations doublent.APFN — « N » signifie qu'il s'agit d'un acide nonanoïque, qui comporte neuf atomes de carbone. Les quatre premiers augmentent de 1972 à 1993, à 2000, à 2004. Il se peut que leurs concentrations aient diminué entre 2004 et 2005. Nous ne tirons pas vraiment de conclusions de ce changement, puisqu'il s'agit d'une observation sur une seule année.

J'ai mis le SPFO, c'est-à-dire le Scotchgard, à droite. La concentration de ce produit double en sept ans — c'est-à- dire qu'elle a doublé tous les sept ans, de 1972 à 1993, à 2000. Puis un changement spectaculaire s'est produit. Entre 2000 et 2004, la concentration a diminué, comme entre 2004 et 2005.

C'est à ce moment que nous avons publié nos résultats, parce que nous avons constaté une tendance très similaire en ce qui concerne le SPFO dans un endroit différent, à Arviat, dans la Baie d'Hudson. Nous avons constaté une diminution de la concentration étalée sur deux ans. Les données laissent croire qu'il s'agit d'une diminution réelle. Nous avons recueilli des échantillons au cours du printemps 2006. Nous allons les analyser au cours du mois prochain, pour voir si la diminution se poursuit. Nous pensons que les données indiquent uniformément qu'il s'agit d'une diminution réelle.

Quelle est l'importance de ce phénomène? En 2000 et 2001, 3M, le principal fabricant de SPFO à l'échelle internationale, sinon le seul, a mis fin à la production. En fait, pendant l'année 2000, la production a diminué d'environ 90 p. 100.

C'est absolument phénoménal qu'un changement industriel ait pu se produire en 2000 — la première publication concernant la contamination de l'Arctique a paru en 2000 — et que,en 2004, nous constations une diminution, un changement réel, des répercussions positives dans l'environnement. À mon avis, il s'agit d'une nouvelle incroyablement bonne. Le DDT et les PCB, dont Rachel Carson a été la première à parler à la fin des années 1960, et qui ont été bannis en 1972 — de temps à autre, on peut lire dans les journaux que les concentrations dans le sédiment en Ontario semblent diminuer, ou encore la concentration chez les humains qui mangent de la viande; cependant, nous sommes encore très contaminés.

Le résumé de la mise à l'épreuve de l'hypothèse concernant la voie indirecte, la théorie PAART — je ne fais que prendre toutes les expériences et les mesures que nous avons réalisées et qui mettent directement la théorie à l'épreuve. Nous avons constaté la présence des précurseurs dans l'atmosphère. Leur durée de vieest-elle suffisante pour qu'ils soient transportés sur de longues distances? Oui. Les transformations atmosphériques, en d'autres termes, Dame Nature, décomposent-elles ces composés avec pour résultat les polluants qui nous intéressent? Oui. Comprenons-nous le mécanisme? Oui. Est-ce que le modèle laisse croire qu'il pourrait y avoir une production importante? Oui. Retrouve- t-on les polluants en question dans l'eau de pluie? Je ne vous ai pas présenté les données, mais nous avons publié un article dans lequel nous expliquons que nous avons retrouvé ces acides dans l'eau de pluie, et, ce qui est encore plus important, que nous y avons retrouvé les intermédiaires. Il ne s'agit pas de la transformation directe d'un produit chimique en un autre. Nous avons découvert beaucoup d'intermédiaires. Encore une fois, cela ne prouve pas qu'il y a un lien, mais il s'agit d'un indice important de l'existence d'un lien.

Tout comme les humains ont des empreintes uniques, nous pouvons souvent déterminer quel fabricant a élaboré tel ou tel produit chimique, parce que la signature isomérique varie en fonction du fabricant. Il s'agit là aussi d'un élément cohérent.Est-ce que les flux mesurés dans l'Arctique sont conformes au modèle? Oui. Quelles sont les tendances temporelles dans ces biotes? Elles sont aussi conformes. Dans le bas de la diapo, j'ai écrit que toutes les données expérimentales publiées sont compatibles avec la théorie qui fait des précurseurs la principale source de contamination de l'Arctique.

Il y a une autre théorie, selon laquelle la contamination importante de l'environnement qu'engendrait l'industrie en rejetant les composés en question directement dans les égouts, ce qui s'est produit jusqu'en 1999 au moins, constitue la source de la contamination. On a publié deux articles portant sur un modèle qui semble indiquer qu'il s'agit d'une source importante. Comme je l'ai dit plus tôt, les produits chimiques ont pour origine une usine de la Virginie occidentale, ils descendent l'Ohio, puis le Mississippi, pour aboutir dans le golfe du Mexique, remonter la côte atlantique, pour finir dans l'Arctique, où ils remontent la chaîne alimentaire. Le problème est qu'aucune mesure n'est venue appuyer cette théorie. Bon nombre des éléments que j'ai mis dans le haut de la diapo, des éléments de preuve de la PAART, entrent en contradiction directe avec l'idée d'une source directe.

Passons à une question plus pertinente. Qu'en est-il de nous? J'ai mis dans la diapo une photo de la Mecque locale du patin. Ce que je montre dans le bas, ce sont des données publiées — l'auteur, l'année et le lieu — concernant les composés dont on a mesuré les concentrations dans le sang humain.

D'après ce que je sais, on a détecté le premier composé, l'APFO, et le dernier composé, le SPFO, dans tous les échantillons de sang recueillis aux fins d'essais dans le monde. Dans les régions éloignées de l'Amérique du Sud, les concentrations sont très faibles. Les concentrations dans le monde industrialisé sont très semblables, mais elles sont uniformes, en gros, dans l'ensemble des pays industrialisés, et propres à ceux-ci.

Le sénateur Milne : Je suis curieuse de savoir s'il s'agit de parties par million.

M. Mabury : Je m'excuse. Il s'agit de parties par milliard.

Les substances sont là. Comment ont-elles abouti là? L'image de la diapo suivante montre les possibilités. Encore une fois, il y a une voie indirecte et une voie directe. À droite se trouve la voie directe. En fait, il s'agit de l'ingestion de nourriture et d'eau. L'APFO, ou acide perfluorooctanoïque est utilisé pour faire tout le téflon qu'on trouve dans le monde; il s'agit d'un additif nécessaire. L'usine de Virginie occidentale était une usine de fabrication de téflon. Ce qui sortait au bout du tuyau, c'était de l'APFO. On peut être contaminé à l'APFO à partir de la nourriture et de l'eau, et je suis persuadé que c'est le cas. Il s'agit d'une voie directe.

Il y a aussi une voie indirecte, ce qui signifie que nous sommes exposés à une substance qui est décomposée ou métabolisée en APFO. C'est ce que je montre au milieu de la diapo. Ces alcools précurseurs — le symbole OH signifie alcool — en fait, le côté droit de cette molécule est tout à fait semblable à de l'éthanol, mais avec une extrémité fluorée. Lorsque nous sommesexposés aux alcools, nous les métabolisons en acides. Comment sommes-nous exposés aux alcools? Dans le bas de la diapo, vous pouvez voir que les polymères fluorés, ou alcools résiduels, s'échappent des tapis dont nous avons parlé. M. Tom Harner, du Service météorologique du Canada, a mesuré la concentration de ces substances dans des maisons d'Ottawa, quelque chose comme quelques centaines de maisons, et je ne crois pas que les données sont déjà publiées, mais il a mesuré de très fortes concentrations de ces alcools dans presque toutes les maisons. Les concentrations sont plus élevées dans certaines maisons que dans les autres. La variation est de quelques ordres de grandeur, de quelques centaines de fois, mais il y en a dans toutes les maisons. En respirant l'air de ces maisons, on est exposé à l'alcool, et on le métabolise en ces composés que nous retrouvons dans le sang.

Il y a une autre source, une source que nous avons envisagée : les agents de surface fluorés ou les emballages alimentaires. Il s'agit de phosphates. Comme je l'ai déjà dit, on utilise ces phosphates avec une extrémité fluorée pour fabriquer les boîtes à pizza, les emballages des repas-minute et les sacs de pop-corn. L'utilisation en est très répandue. La FDA a présumé trois choses. Elle a présumé que ces produits chimiques n'allaient pas se retrouver dans la nourriture; qu'ils allaient demeurer à la surface du papier. Elle a aussi présumé que si les produits chimiques se retrouvaient dans la nourriture, ils ne deviendraient pas biodisponibles — c'est-à-dire qu'ils n'entreraient pas dans la circulation sanguine; ils seraient tout simplement évacués. Enfin, elle a présumé que, si les produits chimiques devenaient biodisponibles, ils ne seraient pas métabolisés et ne libéreraient pas l'alcool; ils seraient plutôt persistants et demeureraient dans le sang.

La FDA avait tort dans les trois cas. Un chercheur de l'agence a publié un article dans lequel il démontrait que ces agents de surface passent bel et bien des sacs de pop-corn à une substance simulant de la nourriture.

Le sénateur Cochrane : Est-ce que les faire chauffer fait une différence?

M. Mabury : Oui. La chaleur et la cuisson facilitent le déplacement. Pour être honnête, on n'a pas encore procédé à une enquête ou à des essais exhaustifs quant à la manière dont les substances en question contaminent la nourriture, la quantité de ces substances qui passent dans la nourriture et la manière dont on peut faire varier cette quantité. On n'en est qu'à l'étape de savoir si cela se produit ou non.

Nous avons effectué certaines expériences. Nous avons synthétisé les agents de surface en question, puis nous en avons administré une certaine dose à des rats. Dans un article qui est devant un comité de lecture à l'heure actuelle, nous démontrons en gros que les agents de surface qu'on trouve dans les sacs de pop-corn sont transformés en alcools fluorés, qui sont transformés à leur tour. Vous êtes exposé aux phosphates. Vous les métabolisez en alcools fluorés. Les alcools fluorés sont métabolisés, comme l'éthanol, qui devient de l'acide-aldéhyde et ensuite de l'acide acétique. Vous métabolisez ces alcools fluorés en produits intermédiaires, dont certains sont très réactifs. Dans la diapo, j'ai encadré les intermédiaires réactifs et j'ai mis une étoile à côté, parce qu'ils peuvent causer des problèmes.

Il y a enfin l'APFO. Nos données laissent croire qu'une partie de l'APFO qu'on trouve dans le sang humain emprunte cette voie — c'est-à-dire la voie métabolique. C'est nous qui le fabriquons. Il a des références dans le bas de la diapo. Nous pensons qu'il s'agit d'une chose importante, parce que les intermédiaires peuvent être toxiques.

Pour conclure, qu'avons-nous appris? Il y a des éléments de preuve importants à l'appui de l'hypothèse de la voie indirecte. Quelle est la différence, en pratique? La différence, c'est que la voie indirecte n'est pas un problème du passé, c'est un problème actuel.

Les métabolites réactifs des alcools fluorés constituent un tout autre enjeu. La communauté scientifique internationale, en raison de tous les intérêts liés aux polluants perfluorés dans le sang humain, a effectué des essais, dans le cadre d'un effort important visant à déterminer si l'APFO est toxique, le produit final de la décomposition. Le produit est-il toxique, et dans quelle mesure? Nous ne savons pas grand-chose au sujet des versions à longue chaîne. Nous avons été le premier groupe à les découvrir dans l'Arctique. Les plus grosses molécules ont 15 atomes de carbone avec des atomes de fluor. L'APFO fluoré, qui compte sept atomes de carbone, est le plus populaire, et on en entend parler tout le temps dans la presse, mais les molécules à chaîne plus longue existent aussi. Les gens qui ne les ont pas observées ne les ont pas cherchées. Cela ne signifie pas qu'elles n'existaient pas. Nous savons relativement peu de choses au sujet de leur toxicité. À mon avis, cela n'est pas aussi important que le fait que, si c'est notre organisme qui les fabrique, ce seront les intermédiaires qui présentent le plus grand intérêt sur le plan toxicologique.

Le président : Pouvez-vous nous en dire davantage là-dessus? Vous avez mis l'accent sur l'importance ou sur l'importance éventuelle de ce caractère réactif. Je pense comprendre que c'est ce que vous voulez dire. Nous synthétisons ces composants pour en faire une substance nuisible.

M. Mabury : Je pense que nous fabriquons des choses dont n'importe quel toxicologue dirait « Wow, voilà quelque chose qu'il serait intéressant d'étudier », à cause de ce trait de personnalité chimique qui consiste à être très réactif. La molécule a la même structure que bon nombre de produits chimiques dont nous savons qu'ils sont hautement toxiques, qu'ils sont cancérigènes, par exemple, et dont nous savons qu'ils posent problème. Personne ne les a étudiés. Nous les étudions. Les chercheurs veulent travailler à des problèmes difficiles, qui sont significatifs et qui vont être importants. Travailler sur la toxicité du produit final de la décomposition ne m'intéresse absolument pas, parce que je ne trouve pas le problème intéressant. Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est de creuser la question des intermédiaires réactifs, parce que, de mon point de vue, il s'agit d'un problème plus important. C'est certainement un problème plus intéressant sur le plan intellectuel. Nous pensons qu'il est plus important.

Résoudre différents problèmes exige différentes mesures. Il y a au moins trois possibilités, et cela vaut la peine de les énumérer.

Voyez l'image que j'ai ici. Les molécules bleues sont celles qui sont liées, collées au tapis. Les rouges, comme vous pouvez le voir, n'ont pas de lien. Elles ne sont pas collées, alors elles s'en vont. À la diapo suivante, elles ne sont plus là.

S'il y a des résidus en proportions significatives — et, comme je l'ai dit déjà, s'il s'agit de quelques points de pourcentage, il ne faut pas oublier que cela représente 250 000 kilogrammes par année. Si 250 000 kilogrammes par année constituent la charge principale dans l'atmosphère, cela laisse croire que, si l'on enlève les résidus, on modifie les concentrations dans l'air, et, au bout du compte, on résout les problèmes. Nous pensons qu'il s'agit d'une chose importante. Nous ne savons pas s'il s'agit de la seule source, et, en fait, j'en doute, mais nous pensons qu'il s'agit d'une source importante.

Que faire? Le numéro 2? Raccourcir les chaînes perfluorées. Six atomes de carbone ou moins donnent comme résultat final des APFC dont on ne s'attend pas qu'ils soient bioaccumulables. Si on raccourcit suffisamment la chaîne, même si les molécules s'échappent, même si elles sont transportées jusque dans l'Arctique et décomposées en acides, des centaines de kilogrammes de ces molécules vont aboutir dans l'Arctique chaque année, mais elles vont demeurer dans l'eau.

Le président : Seront-elles toujours efficaces?

M. Mabury : Assurément, certains fabricants disent que non, d'autres disent que oui. 3M a parié sa réputation sur la structure qui figure en bas de la diapo. À mon avis, 3M n'est pas une entreprise suffisamment téméraire pour prendre Scotchgard, une marque populaire connue, et commencer à mettre en marché un produit chimique qui ne fonctionne pas. Le nouveau Scotchgard ne comporte que quatre atomes de carbone avec des atomes de fluor. Pourquoi? Parce que le produit final de la décomposition, les acides sulfoniques de perfluorobutane ou SPFB, ne sont pas bioaccumulables. On peut en mettre dans l'eau où il y a des poissons, et on n'en détectera pas dans le poisson. Par contre, si on y met du SPFO, qui possède huit carbones, on mesurera des concentrations élevées dans le poisson.

Il n'y a pas de toxicité sans exposition. C'est ce sur quoi le fabricant compte. Il va continuer d'élaborer un produit de la décomposition qui ne se décomposera dans aucune condition naturelle que nous connaissons, et qui aura donc une longue durée de vie, mais, sans exposition, il n'y a pas de toxicité.

Notre société considère que le produit de remplacement du CFC, le HFC-134a fluoré, que nous utilisons dans les réfrigérateurs et les systèmes d'air climatisé, est énormément avantageux par rapport aux produits chimiques qui détruisaient la couche d'ozone auparavant. Le fait est que ce produit chimique se retrouve dans la pluie en quantités importantes, sous forme d'acide trifluoroacétique. L'acide trifluoroacétique ne se décompose dans aucune condition naturelle connue. Il va rester dans le milieu pour 100 000 ans. Est-ce grave? Notre société, par l'intermédiaire des chercheurs et des décideurs, dit que non, ce n'est pas grave, parce que la substance reste dans l'eau, et il ne se produit jamais rien. C'est probablement ce qui va se passer dans le cas qui nous occupe.

Est-ce que le produit fonctionne? 3M pense qu'il va fonctionner, et j'ai entendu parler de travaux de recherche sous contrat au sujet de ces produits analogues mais à chaîne plus courte, et on m'a demandé d'en faire, ce que je tends à refuser. Les substances vont-elles se comporter de la même manière? Je n'ai qu'à regarder la structure, et je peux dire que oui, elles vont encore se transformer en acides, mais nous avons déjà publié deux articles dans lesquels nous disions que les molécules dont la chaîne comporte moins de sept atomes de carbone ne sont pas bioaccumulables. Il ne s'agit pas de travaux intéressants pour moi, ni sur le plan scientifique ni sur plan intellectuel. Si les produits fonctionnent, alors ce sont, à mon avis, les meilleurs produits, du point de vue du problème de contamination de l'environnement, parce que les produits de la décomposition ne sont pas bioaccumulables.

Que faire? Utiliser des produits chimiques dont les liens sont stables. S'il s'avère que les polymères eux-mêmes, les réservoirs, se décomposent lentement dans les stations de traitement des eaux d'égout, dans le sédiment du lac Ontario ou dans les décharges, alors il y aura un problème, parce qu'il s'agit d'émissions à long terme de faibles quantités de ces composés. Nous ne savons pas encore si c'est le cas, mais si l'on démontre que cette décomposition a lieu — et les premières données que nous avons recueillies semblent l'indiquer — alors la façon dont on crée les liens entre la matière fluorée et la surface aura de l'importance. Les différents fabricants utilisent différents processus. Les spécialistes de la chimie organique connaissent la différence entre un éther, un ester et un uréthane. Il s'agit de substances différentes. La force dans la poignée de main n'est pas la même. Celle de la molécule qui figure à droite dans la diapo est ferme. Si vous serrez sa main, vous allez la serrer encore et encore pendant les dix prochaines années. En ce qui concerne la molécule du milieu, l'ester, si vous mettez un peu d'eau chaude dessus, elle se décompose. Voilà une approche un peu plus complexe.

Le message à retenir, c'est que nous comprenons dans une grande mesure le problème de pollution chimique. Nous sommes en train d'en débattre, ce qui est une bonne chose. En fait, la science ne progresse que grâce à un débat vigoureux. Cependant, nous comprenons assez bien le problème. La question n'est plus de savoir comment; les arguments et le débat portent sur la quantité et l'importance relative des différents processus. Nous comprenons beaucoup de choses. Il y a des étapes évidentes à franchir qui ne permettront peut-être pas de régler tout le problème, mais qui vont certainement améliorer la situation de beaucoup.

Il semble que le SPFO lui-même disparaît des milieux éloignés, trois ans seulement après que l'industrie a pris des mesures. Il s'agit d'une excellente nouvelle. Je présente les données à la diapo suivante. Les chimistes devraient être des architectes des structures chimiques suffisamment habiles pour être en mesure d'élaborer des matières qui leur permettent d'obtenir les propriétés souhaitables sans causer de problèmes de pollution. À titre de président du département de chimie de l'Université de Toronto, c'est ma conviction intime, et je pense que c'est une chose qui est vraie. Je crois assurément que cela devrait être le but recherché.

Entrevoyons-nous des progrès? Voici les données queje trouve les plus intéressantes. Si vous jetez un coup d'œil sur la partie droite de la diapo — les phoques de Resolute encore une fois — le SPFO — c'est-à-dire le Scotchgard — a atteintun point culminant en 2000, puis il a chuté en 2004 eten 2005. L'année 2000 a été celle où 3M a produit le plus de ces matières. À la fin de 2002, tout était fini. En 2001, la production a diminué de 80 à 85 p. 100.

Y a-t-il un lien? Nous croyons que les données indiquent uniformément un lien entre la diminution de la production et ce que nous avons constaté dans un milieu éloigné sur une très courte période. Des deux hypothèses, celle de la voie indirecte et celle de la voie directe, seule la première peut expliquer cette réaction, en raison de la rapidité avec laquelle elle s'est produite. Les alcools s'échappent et prennent dix jours pour se déplacer jusque dans l'Arctique. Ils se décomposent en route, et ils aboutissent dans les couches superficielles de l'Arctique, où les activités d'alimentation sont les plus intenses, puis ils remontent la chaîne alimentaire.

La vitesse à laquelle s'est produite la diminution que nous avons constatée nous a surpris. Si cela est vrai, nous ne comprenons pas aussi bien la biologie de l'Arctique que nous l'avions pensé, alors il y a probablement d'intéressants travaux de recherche à faire là-dessus aussi. Cependant, il semble y avoir un lien. Si c'est le cas, cela signifie que les mesures des fabricants ou des décideurs peuvent avoir rapidement une incidence sur la pollution chimique. La bonne nouvelle à ce sujet est que, même si la population ne s'y intéresse plus et préfère lire des articles sur un autre polluant chimique dont nous entendrons parler pendant des décennies, je crois que celui-ci a du potentiel, parce que l'industrie, les chercheurs et les décideurs peuvent prendre les mesures que nous aimerions qu'ils prennent.

Enfin, qui effectue le travail, dans les faits? Je parle beaucoup; ce sont les gens suivants qui font tout le travail : des étudiants diplômés, des étudiants postdoctoraux; les noms en bleu sont les noms des personnes qui ont les données dont j'ai parlé. En ce qui concerne le financement, le CRSNG a été notre principal bailleur de fonds. Nous avons aussi reçu des fonds de l'industrie. Parmi nos collaborateurs, il y a Derek Muir et Brian Scott d'Environnement Canada, des universitaires de Guelph et des chercheurs du milieu industriel. Nous effectuons tous nos travaux sur l'atmosphère chez Ford, et ça a été une collaboration très intéressante.

Je serai heureux de répondre aux questions.

Le président : La marque d'un grand professeur, ce que vous êtes, c'est qu'il arrive à faire comprendre ce qu'il dit à des gens ordinaires et à des néophytes comme nous, et je pense que nous comprenons à peu près. Merci beaucoup.

M. Mabury : J'aime bien ce « à peu près ». Merci.

Le président : Le sénateur Sibbeston s'est joint à nous, et il représente les Territoires du Nord-Ouest, ce qui fait qu'il a un intérêt particulier pour l'aspect arctique de ce dont vous avez parlé, et le sénateur Milne s'est aussi jointe à nous, après avoir participé à une réunion préliminaire du comité de l'environnement.

Est-ce que la durée de vie des substances en question est un argument contre l'hypothèse de la voie directe, en ce qu'elles disparaissent trop rapidement pour que la voie directe puisse être concernée?

M. Mabury : Oui.

Le président : Vous avez dit qu'il y a dans les produits de consommation des substances qui n'ont aucune fonction réelle. Dans ce cas, pourquoi se trouvent-elles dans ces produits?

M. Mabury : C'est attribuable à la synthèse. Lorsqu'on fabrique les polymères qui entrent dans la composition du tapis, la réaction n'est pas efficace à 100 p. 100. Certains fabricants ne croyaient pas que leurs produits comportaient des produits de départ n'ayant pas réagi, jusqu'à ce que nous effectuions des mesures et leur disions que c'était le cas. J'imagine que d'enlever ces résidus coûte quelque chose. Il faudrait assurément que je débourse de l'argent pour purifier un produit. Nous purifions les produits lorsque nous avons à le faire, et nous ne le faisons pas lorsque nous n'avons pas à le faire, c'est-à-dire lorsque nous élaborons nos propres produits.

Avant qu'on détermine que ces produits de départ n'ayant pas réagi pouvaient être une source importante d'émissions dans l'environnement, personne n'y faisait attention. C'est maintenant une chose reconnue. Dans le cadre d'une entente intervenue entre l'EPA et les principaux fabricants de fluorotélomères, ces derniers ont accepté de supprimer, d'ici 2010, 90 p. 100 des matières résiduelles, et, d'ici 2015, essentiellement tous les précurseurs résiduels dans les matières qu'ils produisent. Nous sommes dans la bonne direction.

Un important fabricant a annoncé dans son site Webavant-hier qu'il avait presque déjà réalisé cela. C'était donc clairement possible de le faire. Il est clair qu'il ne s'agissait simplement que d'un problème d'ingénierie et de volonté.

Le président : Les matières inutiles qui se trouvent dans les produits ne s'y trouvent donc que par accident?

M. Mabury : Oui. C'est comme des restes, si vous voulez.

Le président : Est-ce que les mesures louables prises par les fabricants en question sont le fruit de leur bonté ou de la coercition, ou d'une combinaison des deux?

M. Mabury : 3M est la compagnie sur laquelle je peux m'étendre le plus puisque le dossier public à son sujet est clair. Vers 1987, John Fenn a réalisé une invention pour laquelle il a remporté le Prix Nobel il y a quelques années. Il s'agit de l'électronébulisation, qui est une technique de mesure. Il était impossible d'acheter un outil qui utilisait l'électronébulisation avant 1992. En 1993-1994, le président de 3M a affirmé qu'il y avait, selon les responsables de l'entreprise, du SPFO dans l'environnement parce que ce nouvel outil leur avait permis de le mesurer pour la première fois. Ils ne savaient pas comment cette substance s'était libérée dans l'environnement ni ce que seraient les conséquences, mais ils allaient étudier le problème.

Dans les années 1990, 3M a dépensé beaucoup d'argent et a embauché les meilleurs scientifiques du monde afin de déterminer s'il y avait vraiment du SPFO dans l'environnement. Ils n'ont pas appris comment la substance s'y était retrouvée jusqu'à ce que nous le déterminions.

Cependant, le 16 mai 2000, ils savaient qu'ils trouveraient du Scotchgard — le SPFO — dans tous les échantillons prélevés d'un coin à l'autre de la planète. Ils savaient qu'il y aurait du SPFO dans tous les échantillons de sang humain prélevés, quelle que soit la région du monde où le prélèvement serait effectué. Ils avaient également des éléments de preuve toxicologiques qui montraient que la substance pourrait poser un problème, tout au moins à doses élevées.

C'est ce qui leur a fait dire : « Ça y est, à partir du 16 mai 2000, nous ne produirons plus de Scotchgard ». Il s'agissait pour eux d'un marché d'un demi-milliard de dollars canadiens par année.

L'EPA ne savait que très peu de choses à ce sujet un an avant que cette annonce ait été faite. La plupart des organismes de réglementation ne savaient pas du tout que ces composés étaient présents dans l'environnement, surtout parce que nous n'avions pas les outils de mesure nécessaires à leur détection. Ça a été, en quelque sorte, une surprise. Cela n'aurait pas dû les surprendre, mais ça a été le cas.

Je félicite la compagnie 3M d'avoir été proactive. Elle aurait peut-être pu agir plus rapidement, mais soyons réaliste, elle faisait beaucoup d'argent. Tout compte fait, l'approche adoptée par 3M est très différente de celle adoptée par l'industrie des produits ignifuges, par exemple, qui applique un modèle de gestion très différent.

Depuis 2001-2002, les fabricants de télomères sont actifs dans le domaine des études scientifiques. Les organismes de réglementation du monde se sont réveillés. Je dis cela de manière positive, car ils ont obtenu l'information dont ils avaient besoin pour travailler — Environnement Canada, les Européens, l'EPA, et cetera. Ils sont beaucoup plus attentifs, et l'influence de la réglementation est beaucoup plus grande. L'industrie n'adopte actuellement pas de mesures que les organismes de réglementation n'ont pas étudiées et n'encouragent pas déjà. Il est difficile de distinguer ce qui relève d'une initiative de bonne volonté de ce qui découle simplement d'un respect de la réglementation. Il est difficile pour moi de répondre à cette question. Selon ma compréhension de la chose, 3M a longtemps exécuté ses activités en vase clos et ne recevait que très peu de commentaires en ce qui concerne la réglementation.

Le président : De toute manière, ils ont fait ce qu'il convenait de faire, ce qui n'est pas toujours le cas pour les autres. J'espère qu'ils seront récompensés.

Dans le même ordre d'idées, quand l'usine qui libérait 58 000 livres de cette substance dans l'environnement a arrêté de le faire, a-t-elle fait faillite? S'agissait-il de la fin pour elle?

M. Mabury : Pas du tout. Les responsables de l'usine ont tout simplement arrêté. Ils ont trouvé une façon de ne pas libérer la substance.

Le président : Un exemple de ce que vous avez dit est que les chimistes peuvent, pour relever le défi, trouver une façon de poursuivre la production sans inclure les substances nocives.

M. Mabury : Je crois que c'est possible.

Le sénateur Cochrane : Je vais poursuivre la discussion sur la compagnie 3M. Il doit y avoir d'autres entreprises qui cherchent des manières et des moyens d'éliminer le Téflon et ces autres substances. Est-ce que j'ai raison?

M. Mabury : Les grands fabricants sont actuellement en train de conclure des accords avec l'EPA en vue de réduire les résidus et de limiter la quantité de ces substances chimiques qui sont rejetées. Il y a deux jours, la compagnie DuPont a annoncé sur son site web qu'elle a déjà accompli ce qu'elle ne devait réaliser qu'en 2010.

Le milieu des fabricants a énormément changé. Tout le monde cherche des solutions de rechange. Toutes les entreprises veulent améliorer leur façon de faire. C'est une bonne chose.

Certains groupes d'industries se mobilisent pour affirmer que ce qu'ils font actuellement n'a pas d'importance. Nous ne débattons plus des mécanismes; nous débattons des quantités. Quelques entreprises maintiennent qu'il s'agit d'un problème hérité, que la contamination de l'Arctique s'est faite dans les années 1990 et que cela ne se passe plus. C'est là la différence entre une voie directe héritée et la voie indirecte qui se poursuit. Il s'agit en quelque sorte d'une stratégie de temporisation. Ce sont ces entreprises qui tentent de trouver des solutions. Pour demeurer compétitif sur le marché, il faut être rapide. J'ai vu des changements remarquables. En ce qui concerne les résidus, il y a des entreprises qui affirment que leurs matériaux n'en contiennent pas. Je leur répondrais qu'elles n'ont pas cherché parce qu'il y a toujours des résidus. Nous ne sommes pas efficaces à 100 p. 100. Aucun chimiste ne l'est.

Par exemple, dans son exposé public à l'intention de l'EPA en 1999-2000, à l'époque où ces problèmes ont été mis en lumière, 3M a avoué que ses matériaux contenaient de 1 à 3 p. 100 de sous-produits — ces matières initiales découlant de la fabrication. Certains autres fabricants ont déclaré un taux de 0 p. 100. Ce n'était pas vrai. Tout le monde le sait maintenant. Toutes les entreprises font maintenant un pas dans la bonne direction à cet égard.

Le sénateur Cochrane : Quand pensez-vous que cela a commencé? Vous avez dit que vous avez remarqué des changements importants. Quand avez-vous remarqué ces changements?

M. Mabury : En 2004, nous avons recueilli les premières données sur le terrain qui nous ont permis d'observer un changement dans les échantillons prélevés chez les phoques d'une région éloignée. Nous ne nous attendions pas nécessairement à ça. Si nous avions formulé une hypothèse, nous aurions présumé qu'une décennie passerait avant que des changements importants soient remarqués. Nous avons été surpris par la rapidité de ces changements.

Nous avons un document, que je parcours à l'instant, etqui fait état de la mesure de ces précurseurs dans deséchantillons d'air prélevés à Toronto depuis 2002. Nous les avons également mesurés en 2001. Leur concentration était plus élevée en 2001 qu'en 2002. Nous avons trouvé ce changement passablement rapide. Quand 3M a cessé de produire la substance, on a remarqué qu'une moins grande quantité d'alcools, qui sont très volatils, s'échappaient. Cela ne veut pas dire que ces alcools ne sont plus rejetés dans l'air. Leur concentration était élevée, puis, elle a diminué, pour enfin se stabiliser à un niveau plutôt bas. On utilise pourtant toujours ces composés. Si 3M a cessé de les produire, les gens n'ont pas tous commencé à déchirer leurs tapis.

Nous avons constaté que la concentration des composés utilisés dans les produits de papier a chuté plus rapidement parce que ces produits ont une durée de vie moins longue sur le marché que les tapis et les tissus. Cela pourrait expliquer ce qu'on a observé, mais il est difficile de prouver le lien.

Le sénateur Cochrane : Je suis heureuse d'apprendre que les APFO semblent déjà être moins présents dans les régions éloignées trois ans après que l'industrie a agi.

Selon vous, le gouvernement fédéral se sert-il de la LCPE de 1999 de manière efficace pour éliminer les CPF qui sont sur la Liste intérieure des substances et qui sont utilisés de nos jours dans notre pays?

M. Mabury : Oui. Je ne suis pas spécialiste de la LCPE ni des questions de réglementation. Je suis un scientifique, mais voici ce que je sais. L'EPA est l'un des organismes de réglementation de la planète. Je me suis présenté à l'EPA à plusieurs reprises, et on m'a demandé de présenter un exposé et de fournir mes commentaires. Je lis des documents sur les activités de l'EPA. Je suis allé à l'OCDE et j'ai parlé aux responsables européens. Aucun d'entre eux n'est en mesure d'agir aussi rapidement qu'Environnement Canada. La LCPE leur a permis de reconnaître le problème et d'incorporer les dernières recherches. Ils me disent qu'ils sont davantage limités relativement à ce qu'ils peuvent accomplir. Ils mettent encore l'accent sur l'APFO malgré le fait que la chaîne carbonée de l'APFO dans le sang humain est composée de huit atomes; il existe de chaînes carbonées de 9, 11 12 et 13 atomes. Apparemment, ils ne sont pas en mesure de les étudier. Du point de vue toxicologique, je crois que des études de ce genre seraient plus intéressantes, car nous connaissons peu de choses sur ces chaînes plus longues. Ils n'ont pas pu agir rapidement en ce qui concerne la notion des précurseurs.

Dans le cadre de l'une de ses mesures les plus importantes, Environnement Canada devait interdire l'importation de quatre polymères fluorés. Tout porte à croire qu'il y a un lien entre ces polymères fluorés et les résidus ou la décomposition des polymères eux-mêmes, ce qui donnerait lieu au rejet d'alcools, qui, en tant que précurseurs, se décomposent et deviennent des acides qui contaminent les milieux éloignés. C'est, à mon avis, la seule explication des acides à longue chaîne chez les ours polaires.

Le sang des humains est très contaminé par des chaînes carbonées composées de huit atomes. Les ours polaires et les phoques sont les animaux les plus contaminés par des chaînes carbonées composées de 11, 12 et 13 atomes. Nous pouvons établir un lien solide entre les polymères fluorés et ces acides à longue chaîne. Il ne s'agit pas d'un lien définitif, car, comme je l'ai déjà dit, on ne peut pas le prouver, mais la preuve semble indiquer ce lien. On est en mesure de faire quelque chose, et cela montre une rapidité et une capacité d'agir très rapidement dans l'intérêt du public. L'intérêt public est, selon moi, lié à la contamination de l'environnement, et la contamination des humains est clairement liée à ces matières fluorées.

S'agit-il d'un problème hérité ou d'un problème continu? Le ministère agit prudemment à cet égard. Selon ma compréhension de la LCPE, on a été en mesure d'agir de manière appropriée. J'insiste sur ce point.

Le sénateur Milne : Cela me rappelle les heures que j'ai passées dans le laboratoire de chimie, à l'Université de Guelph. Ça fait très longtemps.

Il est difficile pour moi de comprendre comment des chimistes ont pu fabriquer ces molécules à longue chaîne, ces alcools, et ne pas immédiatement les analyser. Comment savaient-ils qu'ils les avaient s'ils ne pouvaient pas les analyser?

M. Mabury : Il y a bien sûr une façon de les analyser en laboratoire quand on dispose d'un gallon de la substance. Il est important de souligner que nous décelons des dizaines ou des centaines de picogrammes de ces substances dans un mètre cube d'air. Il y a d'abord les grammes, puis, les milligrammes, les microgrammes, les nanogrammes et, enfin, les picogrammes. Chaque picogramme équivaut à un millième de milliardième de gramme. Il y aurait 300 picogrammes dans trois mètres cubes d'air. C'est vraiment très peu. Ça nous a pris au moins six mois pour trouver une manière de mesurer ces composés à des niveaux aussi bas et les piéger parce qu'ils sont très volatils.

Dans le cadre de la procédure normale d'échantillonnage de l'air d'Environnement Canada et de l'EPA, on déploie des efforts considérables pour prélever des échantillons d'air tous les 12 jours tout autour des Grands Lacs. Les échantillonneurs qu'ils utilisent n'auraient pas piégé ces composés. Ils sont si volatils qu'ils passent au travers.

Intellectuellement, ces molécules sont très intéressantes parce qu'elles sont immenses, mais ont une toute petite personnalité. Les scientifiques croyaient que la pression de vapeur de ces molécules, qui étaient très grosses, serait semblable à celle des BPC et que, s'ils les cherchaient, ils les trouveraient. Cependant, ils ne les ont pas trouvées parce qu'elles sont si volatils qu'elles passaient à travers l'échantillonneur. Elles n'étaient pas jamais piégées.

Nous avons dû élaborer une méthode de piégeage et des méthodes d'analyse. Pensez au chromatographe en phase gazeux qui est utilisé aux Jeux Olympiques pour détecter les substances illicites améliorant la performance. Le chromatographe en phase gazeuse est l'un de ces outils. On a mis les molécules dans le chromatographe en phase gazeuse, et rien n'est sorti à l'autre bout. On croyait que les molécules devaient être prises à l'intérieur des machines, alors on a continué à élever la température. On l'a élevée encore plus. On a fini par comprendre que, même à la température de départ, les molécules traversaient l'outil si rapidement qu'elles n'étaient pas détectées. Il s'agissait d'un biais systématique. Pour mesurer certaines substances chimiques, nous devons refroidir le chromatographe en phase gazeuse pour qu'il atteigne une température de -40 ºC. Personne n'avait encore fait cela pour des substances chimiques qui pèsent autant. Les gens qui étudient les grosses molécules ne s'attendent pas à ce qu'elles soient si volatiles; ceux qui étudient les petites molécules ne s'attendent jamais à ce que quelque chose d'aussi gros fasse partie du même mélange. Nous en avons appris beaucoup.

En 1968, un professeur en dentisterie à Rochester s'est intéressé à la fluoruration de l'eau. Il s'est demandé s'il y avait des composés de fluorure organique — c'est-à-dire moins F lié à un composé carboné — chez les humains, et il a commencé à analyser le sang humain. Il l'a fait de manière grossière. Il prélevait le sang, mesurait le fluorure et le brûlait à une température de 3 200 ºF, puis, mesurait de nouveau le fluorure. Il a affirmé que la différence devait être le fluor organiquement lié. Dans tous les échantillons de sang humain qu'il a analysés, il a affirmé qu'il y avait du fluorure organique. On sait maintenant qu'il n'y a pas du tout de lien avec l'eau fluorée; cette réaction n'a pas lieu.

À la fin des années 1960, dans l'une des meilleures revues sur le temps, la nature et la science, il a affirmé que le sang des humains contenait des fluorures organiques. Le manque de technologie nous a empêchés de mesurer cela jusqu'au début des années 1990 parce que nous n'avions tout simplement pas les connaissances nécessaires pour analyser, avec précision et exactitude, la nature de ces molécules. Nous n'avons pas acquis les connaissances nécessaires assez tôt.

Le sénateur Milne : Dans quelle mesure l'industrie serait-elle en mesure de suivre l'exemple de 3M ou de commencer à éliminer les résidus? S'agit-il d'un processus dispendieux ou d'un processus facile?

M. Mabury : Selon le dossier, les fabricants de ces matières à l'échelle de toute la planète ont accepté de les réduire de 90 à 95 p. 100 d'ici 2010. Je ne crois pas qu'ils auraient accepté si c'était impossible. Il y a deux jours, les représentants de DuPont ont annoncé, sur le site Web, qu'ils ont déjà atteint cet objectif, ce qui prouve que c'était faisable. À ce que je sache, leurs produits ne coûtent maintenant pas plus cher parce qu'on en a retiré les résidus. Je ne connais pas grand- chose à l'établissement des coûts dans le milieu industriel, mais le processus ne semble pas avoir eu d'effets négatifs sur leur capacité de continuer à produire des matériaux. Tout semble indiquer que l'objectif n'était pas aussi difficile à atteindre qu'on le croyait.

Le sénateur Milne : DuPont suit déjà l'exemple de 3M?

M. Mabury : Ils n'ont pas accompli les mêmes choses. 3M a cessé de produire un composé à huit atomes de carbone et, il y a environ quatre ans, il a commencé à produire un composé à quatre atomes. Dans leur annonce, il y a deux jours, les représentants de DuPont ont affirmé : « Nous avons déjà accompli ce que nous ne devions réaliser qu'en 2010. » Ils ont retiré la grande majorité des sous-produits résiduels non voulus de leurs matériaux. Cela voudrait dire qu'ils ont trouvé des solutions de rechange et qu'ils ne produiront plus de molécules à longue chaîne. J'essaie d'interpréter leurs déclarations. Je ne pourrais pas concevoir que l'entreprise la plus importante au monde, ou celle qui a le plus d'expérience dans la production de composés fluorés en général, n'avait pas déjà effectué des recherches sur un marché de rechange.

Il y a trois ans, l'un des représentants les plus intelligents de DuPont, Bruce Smart, a affirmé, dans la revue professionnelle Chemical & Engineering News, C&EN, qu'il y avait des solutions de rechange. J'ai compris que l'entreprise travaillait pour trouver des solutions de rechange.

DuPont est l'entreprise qui a le plus œuvré pour régler le problème de la réduction de l'ozone en trouvant des solutions de rechange aux chlorofluorocarbures. Avant cela, l'industrie affirmait que ce serait difficile. Cependant, un jour, ce n'était plus difficile. Il s'agit de nouvelles industrielles.

Le sénateur Milne : Hypothétiquement, croyez-vous que ces alcools à longue chaîne peuvent être responsables de ce qu'on appelle la maladie du XXIe siècle, qui empêche les gens de sortir de chez eux parce qu'ils sont allergiques à tout ce qui les entoure? C'est-à-dire que la maison doit être fabriquée uniquement de bois et de matériaux naturels.

M. Mabury : Je n'en sais rien. Je doute beaucoup que ces deux phénomènes soient liés. Si les niveaux de concentration de ces alcools sont considérables, ils ne sont pas du tout comparables à notre exposition à d'autres substances. Je ne sais pas quoi vous dire.

Le sénateur Milne : Je trouve que ce que vous avez dit au sujet de la LCPE est encourageant, tout comme le fait que certaines entreprises américaines, dont DuPont et 3M, prennent volontairement ce genre de mesures malgré le fait que l'EPA prenne du retard. C'est vraiment très encourageant.

M. Mabury : J'ai laissé entendre que l'EPA n'agissait pas aussi rapidement qu'Environnement Canada ni aussi libre en ce qui concerne la recherche et les données probantes. L'EPA réalise tout de même des choses importantes. Il y a des membres de l'EPA qui croient que ces résidus sont importants, et il faut adopter une approche pour régler ce problème. Il s'agissait d'une mesure volontaire, qui n'exigeait pas de règlement.

Par exemple, il y a de nombreux litiges concernant une usine de la Virginie occidentale parce que bon nombre de personnes dans la région ont un taux élevé d'APFO dans le sang — plus élevé que partout ailleurs. On parle des États- Unis. Il y a donc de nombreux litiges concernant ce problème. Je ne peux pas du tout analyser la situation. Je crois qu'il se passe des choses positives un peu partout.

Le sénateur Milne : Nous examinons la LCPE et ce que nous pouvons faire pour la rendre plus efficace. Vous dites qu'elle a des effets positifs dans ce domaine. Avez-vous des suggestions pour accorder encore plus de souplesse aux intervenants et leur permettre d'agir plus rapidement?

M. Mabury : Il n'y a pas de solutions évidentes. Je n'ai pas étudié la LCPE en elle-même, mais le Canada a bonne réputation. Nous analysons les milliers de substances chimiques et établissons des priorités relativement à celles qui doivent être étudiées et réglementées, ce qui est très avantageux. L'Europe et les États-Unis tentent également de faire la même chose. L'Europe est une entité beaucoup plus bureaucratique que le Canada; elle a pris beaucoup de retard en ce qui concerne l'établissement des priorités relativement aux substances chimiques devant faire l'objet d'une analyse.

Quand j'assiste à des réunions, j'entends beaucoup dire que le Canada a pris beaucoup d'avance par rapport à ces mesures. À mon avis, les organismes de réglementation au Canada ont les outils dont ils ont besoin pour accomplir leur travail. Le défi auquel nous faisons face est davantage lié à notre technologie, qui n'est pas aussi avancée qu'elle pourrait l'être. Ce sont des gens très savants qui ont découvert la méthode nécessaire pour détecter les composés de manière sûre.

Certains des problèmes auxquels nous faisons face sont simplement endémiques. Je n'arrive pas à penser à une modification de la LCPE qui donnerait plus de pouvoir aux organismes de réglementation. Selon moi, ils ont les outils dont ils ont besoin pour faire du bon travail.

Je suis réaliste en ce qui concerne la vitesse à laquelle les entités gouvernementales peuvent agir et, à mon avis, elles agissent rapidement.

Le sénateur Sibbeston : Je suppose que vous réalisez vos études par intérêt scientifique. C'est-à-dire que rien ne vous pousse à mener de telles études. Le gouvernement fédéral mène-t-il des études semblables dans le Nord?

M. Mabury : Tous les travaux que j'ai accomplis dans le Nord ont été financés par le Canada par l'entremise de divers organismes subventionnaires. Chaque voyage dans le Nord coûte environ 30 000 $. Ma subvention d'exploitation est de 42 000 $; ce n'est pas suffisant. Toutes les études ont été menées en collaboration avec des scientifiques d'Environnement Canada, dont l'un était ici la semaine dernière. Il cosupervise la plupart des étudiants que j'envoie dans le Nord. L'Arctique nous intéresse d'un point de vue scientifique.

Selon l'hypothèse de la condensation froide, qui tente d'expliquer pourquoi l'Arctique est aussi contaminé qu'il l'est par des substances chimiques, la pression de vapeur varie selon la température. Dans un laboratoire de chimie, si vous voulez retirer un solvant et concentrer une substance chimique, vous la mettrez dans un ballon à fond rond avec beaucoup de solvant, vous la passerez sous-vide et la chaufferez dans un bain d'eau chaude. Vous ne voudrez pas qu'elle soit libérée dans la salle. Vous la piégeriez donc dans un piège froid sur le côté. Le globe terrestre fonctionne de la même manière. Les régions tempérées sont très chaudes. La pression de vapeur des substances chimiques qui s'y trouve est donc plus élevée, et les substances s'échappent dans l'atmosphère. L'Arctique est une région très froide, et les substances chimiques qui s'y trouvent, ne voulant pas subir une pression de vapeur peu élevée, se condensent. Ainsi, le tissu adipeux des Inuits dans l'Arctique est davantage contaminé par le DDT que ne l'est le nôtre dans le Sud. C'est intéressant d'un point de vue scientifique parce que ces substances chimiques ont tendance à se segmenter dans ces régions, de préférence. Le fait que les acides perfluorés y sont très concentrés et qu'ils n'auraient pas pu, selon moi, se retrouver là par eux-mêmes en tant que produit final, pose un problème scientifique intéressant. Nous avons une théorie, que nous devons mettre à l'essai. Nous allons donc dans l'Arctique pour prendre des mesures et mettre nos prévisions à l'essai parce que les théories prévisibles et vérifiables sont nécessaires à la science. Vous devez être en mesure de formuler des hypothèses pour les vérifier et déterminer si elles sont valides.

Il y a également un aspect pratique à cela. Il n'est pas approprié pour une société industrielle moderne de contaminer des parties isolées du globe qui ne tirent que peu d'avantages, voire aucun, de ces produits — et l'Arctique est tout à fait conforme à ce jugement philosophique. Je vis et je travaille au Canada, et l'Arctique canadien est de plus en plus contaminé. Il est donc logique que j'effectue des travaux là-bas.

Le sénateur Sibbeston : Dans le Nord, on a mené des études sur divers contaminants, comme le mercure. Dans vos études sur les polluants chimiques perfluorés, avez-vous découvert qu'il y a davantage de ces polluants dans l'Arctique et chez les habitants de cette région que dans le Sud?

M. Mabury : Certainement. Il y a plus de polluants perfluorés chez les mammifères du Nord, comme les ours polaires et les phoques, que chez des animaux semblables dans des régions plus au sud. Selon les données de Santé Canada que j'ai vues, les humains dans le Nord ne semblent pas être plus contaminés que ceux dans le Sud. Cependant, ces composés sont tout de même présents dans le Nord, et certains d'entre eux ressemblent à la contamination que nous subissons ici. Je me demande comment cela est possible dans le contexte de l'exposition. Je n'aurais pas prévu une contamination équivalente chez les humains des deux régions, mais, il semble qu'elle soit plus ou moins la même.

Le sénateur Sibbeston : À mesure que le Nord se développe et que des matériaux, en particulier des tapis, et divers aliments du Sud deviennent de plus en plus disponibles, je soupçonne que la région sera touchée par les mêmes types de pollution que celle que nous avons ici. Si les sources de certains polluants sont l'air et l'eau, les matériaux dont j'ai parlé contiennent peut-être d'autres contaminants.

M. Mabury : Vous avez tout à fait compris ce que la preuve démontre et ce que je crois — c'est-à-dire que les humains sont contaminés différemment des ours polaires en raison de leurs biens de consommation. La nature de ces substances chimiques est telle que, dans les ours polaires et les phoques, elles ne se logent pas dans la graisse et les muscles. Elles se logent plutôt dans le sang, le foie, la rate et d'autres organes riches en sang, et les humains mangent très rarement ces éléments. Les animaux sont contaminés parce qu'ils mangent de nombreuses portions riches en sang, tandis que les humains ont tendance à manger davantage les parties non contaminées des animaux. Une bonne part de notre contamination se fait donc exactement comme vous l'avez décrite — par l'entremise de nos biens de consommation. S'ils sont des biens de consommation. Ils sont également des précurseurs, ce qui veut dire que nous fabriquons les contaminants dans notre corps. Nous devons donc passer par les intermédiaires réactifs qui mènent à la voie vers la matière finale. C'est pourquoi nous nous intéressons scientifiquement à ce processus et à cette voie.

Le sénateur Cochrane : Comme je suis curieuse et que je ne suis pas un scientifique, je dois vous poser quelques questions sur vos diapositives. Vous insérez des tuyaux dans la glace afin de recueillir des éléments de preuve datant de diverses années. Le tuyau est-il enfoncé plus creux selon le nombre d'années?

M. Mabury : Nous avons enfoncé le tuyau à 6,8 mètres, ce qui nous a fourni des éléments de preuve datant de 1996. Nous avons nettoyé les parois du trou, inséré le tuyau en acier inoxydable, qui est un matériau au potentiel de contamination très peu élevé, avons prélevé un échantillon de glace et placé l'échantillon dans des sacs et des bouteilles que nous savions propres.

Je devrais avoir une photo de la paroi du trou après le prélèvement de la carotte pour que vous puissiez voir les nombreuses strates qui se forment, année après année. Ce processus nous a permis d'isoler de la glace et des dépôts de 1998. Nous avons rapporté l'échantillon au laboratoire, fait fondre la glace, pris l'eau, extrait les composés à examiner et, grâce à un outil d'un demi-million de dollars, détecté ces composés.

Le sénateur Cochrane : C'est fascinant.

M. Mabury : Le fait que nous puissions maintenant mesurer ces composés en picogrammes par litre, pg/l, d'eau est incroyable parce que nous n'aurions pas pu le faire il y a cinq ans.

Le sénateur Cochrane : Nous ne pouvons mesurer ces substances que depuis très récemment. Combien de temps devrons-nous attendre pour que des études de toxicologie nous révèlent si les montants trouvés chez les humains sont dangereux pour notre santé?

M. Mabury : Je ne sais pas.

Le sénateur Cochrane : Mais vous savez tellement de choses, monsieur Mabury.

M. Mabury : Je ne peux pas formuler de prévisions relativement aux études de toxicologie. C'est simplement trop difficile. Je peux toutefois affirmer que les représentants de 3M ont fait preuve d'intelligence quand, le 16 mai 2000, ils ont déclaré que la substance chimique était partout et qu'elle ne se dégradait pas; des études menées sur des rats et des singes les rendraient mal à l'aise, et ils ont décidé de mettre fin à leur production. Une entreprise n'élimine pas une gamme de produits d'une telle importance sans risquer de graves conséquences pour son bénéfice net.

Selon moi, il importe peu de savoir si les concentrations actuelles des acides à longue chaîne dans le sang humain sont dangereuses pour la santé. Personne ne veut de telles concentrations de ces substances dans son sang, et, à mon avis, elles ne devraient pas y être.

Je ne sais pas si c'est sur la toxicologie qu'on finira par s'appuyer. Des études sont menées, mais, au bout du compte, on s'appuiera sur une analyse coûts-avantages, et ce sont les entreprises qui détermineront que ces matières ne peuvent plus se retrouver chez les humains. Nous ne connaîtrons jamais les effets de ces substances avec certitude, car ce phénomène n'est pas comme celui du réchauffement planétaire.

Le sénateur Milne : J'aimerais que vous m'expliquiez quelque chose parce que j'ai raté la première partie de votre exposé. J'examine votre diagramme à barres, qui montre le flux de ces substances vers l'Arctique. Ce flux est-il mesuré en nanogrammes, ng, par mètre carré?

M. Mabury : Oui. Les gens peuvent facilement visualiser des centimètres carrés, et, dans le coin inférieur droit, le flux de ces substances vers l'Arctique canadien par année est indiqué. À vrai dire, 500 kilogrammes par année n'est pas une quantité considérable, mais c'est suffisant pour causer une contamination.

Le sénateur Milne : Cette quantité cause une bioaccumulation chez certaines espèces.

M. Mabury : Oui. Selon la théorie de la voie directe, celle dont j'ai parlé auparavant, tôt ou tard, si ce n'est pas déjà le cas, des milliers de kilogrammes de ces substances se rendront dans l'Arctique par année, ce qui représente plus de dix fois 500 kilogrammes. C'est une théorie qui fait peur. Je ne sais pas si c'est vraiment ce qui va se passer, mais c'est ce que l'on prévoit. C'est la raison pour laquelle on doit mener des études temporelles.

Nous avons vu les niveaux de SPFO chuter. Les modèles donnent à penser que la voie directe fera en sorte que ces matières feront leur chemin vers le Nord au cours des prochaines décennies, et que leur niveau remontera. Je ne sais pas si c'est vraiment le cas; j'espère que non, mais c'est une possibilité.

Le sénateur Milne : Cela nous ramène à la question du sénateur Sibbeston et au fait que vous nous avez dit plus tôt que les niveaux de concentration chez les humains dans l'Arctique sont semblables à ceux chez les humains dans le sud de l'Ontario.

M. Mabury : Je crois qu'ils sont plus semblables que différents. Je pense que ces constatations ne sont pas encore publiées, mais j'en ai pris connaissance dans le cadre d'exposés présentés à des réunions.

Le président : Quand vous creusez à 6,8 mètres de profondeur, vous pouvez voir les strates, et elles montrent clairement...

M. Mabury : Oui. Nous utilisons un certain nombre de méthodes pour déterminer de quelle année il est question. Premièrement, on peut voir les strates parce que la glace varie selon le temps de l'année où elle s'est formée; son aspect variera selon la température.

Nous appuyons cette observation évidemment subjective par une analyse d'ions. Nous pouvons mesurer les ions fluorures et sulfates, et ils évoluent au cours d'une année selon le type de dépôt — estival ou hivernal. Il y aura plus d'ions dans les dépôts estivaux que dans les dépôts hivernaux.

Nous les alignons afin de nous assurer d'associer la bonne année à un échantillon en particulier. Nous nous fions à Fritz Koerner, l'un des doyens de la glaciologie au Canada; il travaille pour la Commission géologique du Canada. Je crois qu'il a officiellement pris sa retraite, mais ça ne se voit pas. Toutes les années, il se promène d'un bout à l'autre de l'Arctique. Il nous aide énormément, et nous comptons sur lui. Il descend dans le trou et nous montre les strates correspondant à chaque année. Nous le mettons à l'essai en effectuant des analyses d'ions, et il a toujours raison.

Le président : Les glaciologues en savent beaucoup. Je sais que vous êtes un scientifique et non un politicien. J'aimerais aborder l'une des questions qui nous préoccupent de manière générale. Nous n'avons aucun doute que la LCPE fournit la capacité nécessaire pour faire ce qui doit être fait; à cet égard, devrait-elle être plus normative?

Autrement dit, dans les cas où elle aborde les mesures que le ministère « pourrait » prendre, serait-il plus efficace — si l'objectif est d'éliminer les substances dont nous ne voulons pas dans notre sang, dans l'air et dans l'eau — d'affirmer qu'il y a des événements déclencheurs en réaction auxquels le gouvernement « fera » quelque chose? Je me suis expliqué de manière exagérément simple, mais mon idée est liée à la question que le sénateur Milne vous a posée au sujet de la LCPE actuelle.

Nous posons en partie cette question parce que, malgrétout ce que nous savons, la liste de substances chimiquesqui ont été bannies en vertu de la LCPE ne contient qu'une des 27 000 substances qui figurent dans la liste de priorités dont vous avez parlé. Cette lacune doit s'expliquer en partie par une volonté d'attendre que la vérité soit connue, qu'on établisse de meilleures preuves et que l'on mette les théories à l'essai. Nous sommes inquiets, car nous croyons que la lacune découle peut-être également d'autres obstacles à l'action.

Avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Mabury : On a laissé entendre que j'ai une opinion sur beaucoup de choses, alors j'ai probablement une opinionlà-dessus.

En ce qui concerne le terme « normatif », je crois qu'il serait inapproprié d'établir des normes pour cibler certaines substances chimiques parce qu'on ne peut pas prévoir les problèmes dont on ne sait rien. Ce serait comme tenter d'obliger les scientifiques canadiens à se pencher sur un problème en particulier. Cela ne s'est jamais révélé être une bonne décision. Il est mieux de les laisser étudier ce qui les préoccupe d'un point de vue créatif, et leurs ambitions sont ce qui importe le plus. Aucun gouvernement ni aucun politicien ne peut cerner les problèmes importants aussi bien que les gens qui travaillent sur le terrain.

Le président : C'est une façon de voir les choses.

M. Mabury : C'est vrai. John Polanyi fait partie de mon département. Je connais donc un autre point de vue.

En ce qui concerne la volonté d'être normatif relativement aux types de propriétés ou à la présence de substances chimiques chez les humains, par exemple, je ne crois pas que le public ait le temps ou la volonté de se dire : « Eh bien, cette substance est présente, mais ce n'est pas un problème. » Comment pouvons-nous savoir qu'elle ne pose pas problème? Je ne crois pas que le public veuille certaines concentrations de ces substances chimiques dans son sang. Le problème est donc de définir ces « concentrations ». Pour moi, il importe peu que la concentration soit peu élevée, car il y a des chimistes qui peuvent mesurer les substances jusqu'à la molécule près.

Le président : Nous sommes de plus en plus capables de le faire.

M. Mabury : Oui. La détection de molécules simples est maintenant possible dans certaines situations très particulières. Il existe toutefois des quantités qui sont des dizaines de fois moins élevées que celles que nous pouvons actuellement mesurer. Nous ne voulons pas dire que ces quantités ne sont pas détectables, car cela reviendrait à mettre les chimistes au défi de modifier les seuils de détection.

Cependant, selon moi, le public veut que le gouvernement adopte une position plus proactive. Nous ne voulons pas de ces substances dans notre sang ni dans notre corps — c'est mon opinion personnelle en tant que citoyen. Je crois que les gens ne veulent pas de concentrations considérables de ces substances dans leur corps. On doit donc définir le terme « considérable ». On ne peut pas se servir du terme « détectable » parce que cela ne constituerait à inciter les gens à faire baisser les seuils de détection.

En somme, si une substance est commercialisée, vous la trouverez probablement dans le corps de tout le monde si vous cherchez bien. Cela veut-il dire quelque chose? Non. Quelle est la limite entre une quantité qui est sans intérêt et l'attitude qui consiste à dire : « Eh bien, nous ne savons pas »? Je crois qu'il y a une juste mesure dans laquelle on pourrait servir le public sans limiter indûment l'industrie.

Mettons l'industrie de côté un instant. Il y a plus de substances naturelles que de composés industriels dans le corps humain; tout dépend de ce que nous décidons de chercher. Nous avons tendance à chercher des composés industriels parce que c'est ce genre de recherches qui attirent l'attention et sont publiées.

Comme je l'ai mentionné, Dame Nature libère environ dix fois plus de composés organiques dans l'atmosphère que ne le font les humains — presque exactement dix fois. Il ne faut pas l'oublier.

Le sénateur Milne : Les humains ont toutefois survécu, et leur nombre a augmenté.

M. Mabury : Ma réponse n'était pas claire, mais je crois qu'il devrait y avoir des éléments déclencheurs. Il s'agit d'une ligne de conduite prudente que d'examiner les centaines de milliers de substances chimiques, ainsi que leurs propriétés — un certain niveau de persistance, le potentiel de bioaccumulation et le potentiel de toxicité — parce que ce ne sont pas les substances chimiques particulières, mais la personnalité de ces substances, qui détermine ces propriétés. Ce sont les propriétés et leurs déclencheurs — la durée de vie, par exemple — qui sont d'un intérêt pour la réglementation. Je pense que cette façon de faire est appropriée.

Le président : J'ai deux questions pour finir. En ce qui concerne le potentiel de toxicité et la portée de cette toxicité, croyez-vous qu'il est sage d'adopter le principe de précaution? Les politiques du gouvernement dans de nombreux domaines sont fondées sur ce principe depuis des décennies.

Ensuite, dans le cadre de la LCPE, la « quasi-élimination » est considérée comme une solution à certains problèmes. Cependant, comme vous l'avez mentionné, la quasi-élimination n'est pas aujourd'hui ce qu'elle était il y a dix ans simplement parce que nous pouvons détecter des concentrations de substances de moins en moins importantes. Il s'agit donc d'une cible mobile.Pouvez-vous aborder ces deux questions?

M. Mabury : J'aborderai tout d'abord la deuxième question. Il sera difficile de définir le terme « quasi-élimination ». Les concentrations d'APFO qui se trouvent dans votre sang n'auraient pas été mesurables il y a dix ans. On aurait donc cru que la substance était, pour ainsi dire, éliminée. De nos jours, bien des litiges et des règlements importants à l'échelle de la planète tiennent au fait que nous sommes en mesure de détecter ces substances. Nous reconnaissons bien sûr qu'elles sont présentes. Il faut toutefois déterminer ce que leur présence veut dire d'un point de vue quantitatif.

Le principe de précaution est bien sûr une approche appropriée et logique. Il me dérange seulement quand il est utilisé pour pratiquement célébrer l'ignorance. Je ne sais pas s'il existe toujours un problème au sujet duquel nous ne savons rien. Cette attitude reflète simplement l'ignorance d'une personne qui n'est pas renseignée. Dans le cadre des nombreuses études, scientifiques ou autres, suscitées par la curiosité ou par d'autres facteurs, je crois qu'il existe peu de problèmes sur lesquels on ne s'est pas penché et au sujet desquels on ne peut pas s'exprimer de manière intelligente. Quand on simplifie les choses de manière exagérée, ça me rappelle que nous connaissons effectivement beaucoup de choses.

J'espère que les 165 étudiants qui terminent mon cours de chimie environnementale de troisième année ont l'expertise nécessaire pour s'exprimer de manière intelligente sur n'importe quelle composition chimique que je leur soumets. Ils peuvent vous dire environ combien de temps une substance chimique durera dans l'environnement, et dans quelle sphère — qu'il s'agisse de l'atmosphère, de la lithosphère, de l'hydrosphère ou de la biosphère. Je m'attends à ce qu'ils puissent formuler des hypothèses raisonnables et exactes sur la toxicité de la substance sans jamais avoir vu sa structure et même sans savoir si la substance existe véritablement. Je suis donc fortement en faveur d'un principe de précaution dans le contexte d'une évaluation intelligente.

Le président : Monsieur Mabury, mes collègues seront sûrement d'accord avec moi. Vos explications sur le sujet ont été parmi les plus claires et les plus intéressantes que nous avons eu la chance d'entendre. Je vous félicite de votre capacité de jeter de la lumière sur le sujet et de me permettre même à moi de comprendre.

M. Mabury : Merci.

Le président : Je crois que nous voudrons peut-être vous poser une question ou deux par écrit plus tard.

M. Mabury : Je crois que Mme Hogan sait comment me joindre.

Le président : Mme Hogan sait joindre beaucoup de gens.

La séance est levée.


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