Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 12 - Témoignages du 15 février 2007
OTTAWA, le jeudi 15 février 2007
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 8 h 37 pour examiner la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999, chap. 33) conformément au paragraphe 343(1) de ladite loi.
Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Voici que se réunit le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui, suivant les exigences de la loi, procède depuis quelques mois à un examen de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Nous considérons des études de cas en vue de déterminer dans quelle mesure la loi protège bel et bien les citoyens canadiens. Le premier sujet examiné était le mercure. Maintenant, nous portons notre regard sur les composés perfluorés de divers genres. Nous allons accueillir aujourd'hui M. Joe Schwarcz, de l'Université McGill, et Mme Gail Krantzberg, de l'Université McMaster.
Je m'appelle Tommy Banks. Je suis sénateur originaire de l'Alberta et président du comité. La vice-présidente de notre comité, le sénateur Cochrane, vient de Terre-Neuve-et-Labrador, le sénateur Lorna Milne, de l'Ontario et le sénateur David Angus, du Québec.
Gail Krantzberg, professeure et directrice, Dofasco Centre for Engineering and Public Policy, Université McMaster, à titre personnel : Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de parler de la loi et du traitement des composés perfluorés. Pendant mon exposé, je vais traiter de la question du principe de la prudence qui se retrouve dans la LCPE. Je tiens également à soulever des questions qui importent du point de vue des mesures gouvernementales touchant les polluants organiques persistants au sens général du terme, à l'échelle nationale et dans la région des Grands Lacs.
Nous le savons tous : au printemps de l'an 2000, le monde a été étonné lorsque la société 3M a annoncé qu'elle mettrait progressivement fin aux produits Scotchgard et à son commerce florissant de produits chimiques fluorés d'une valeur de 300 millions de dollars. Des chercheurs avaient découvert un de ces produits chimiques persistants dans le sang d'humains et d'animaux se trouvant dans des régions éloignées des sources connues. Le sulfonate de perfluorooctane (SPFO), produit de la décomposition d'autres produits chimiques fluorés de 3M, s'est révélé très répandu dans l'environnement.
Le comité sait que les composés organiques fluorés tels que le SPFO, l'APFO et le SAPFO sont utilisés en grandes quantités dans la fabrication des plastiques, des produits électroniques, des textiles, des cuirs et des matériaux de rembourrage. Ce sont des composés utiles. On a également décelé des COF dans des échantillons de sang humain.
Étant donné que la plupart des composés perfluorés sont incorporés dans des polymères, les scientifiques et les responsables de la réglementation ont présumé qu'ils ne se retrouveraient pas dans l'environnement et qu'ils ne s'accumuleraient pas dans les organismes vivants. Cette hypothèse s'est révélée incorrecte. Après l'interdiction volontaire imposée par 3M sur les produits contenant du SPFO, l'attention s'est tournée vers une autre famille de composés de fabrication courante ayant des utilisations similaires — les perfluorocarboxyliques. L'acide perfluorooctanoïque, ou APFO, est le mieux connu des produits chimiques de ce groupe, parce qu'il sert à fabriquer le Téflon, lequel se retrouve dans de nombreux articles courants, notamment les poêles à frire à revêtement antiadhésif, les ustensiles, les hottes de cuisinière, les tapis antitaches, des meubles et des vêtements. Il imprègne littéralement la salle où nous nous trouvons, de fait. Extrêmement résistant à la décomposition environnementale, le SPFO est maintenant un contaminant très répandu. Pendant longtemps, les appareils classiques de surveillance des polluants persistants n'ont pas décelé sa présence, car, contrairement à la plupart des POP, les polluants organiques persistants, le SPFO ne s'accumule pas dans les tissus adipeux. Il s'accumule plutôt dans les protéines. On le trouve chez les dauphins de la Floride, les phoques et les otaries de la Californie, les albatros du milieu du Pacifique et les humains du monde entier. Sa présence dans l'Arctique en particulier est la preuve du transport sur grande distance de ces substances persistantes. Sa teneur déterminée dans les tissus d'espèces d'oiseaux et de l'ours blanc inquiète grandement les chasseurs et pêcheurs de subsistance, y compris nos collectivités autochtones. Si ces substances sont nocives pour la santé humaine, la LCPE, dans la mesure où elle n'en tient pas compte, manquera à son objectif qui consiste à protéger les populations vulnérables comme nos collectivités autochtones.
Les composés perfluorés sont très persistants. Même si leur production devait prendre fin aujourd'hui, leurs concentrations continueraient à augmenter dans l'environnement pendant de nombreuses années. Les chercheurs estiment que certains composés perfluorés posent de graves problèmes pour la santé, notamment un risque accru de cancer. C'est pourquoi, à mon avis, le recours à une approche comme celle du CCME serait tout à fait malavisé.
Dans un livre récent publié sous la direction de Karen Bakker, les avocats Paul Muldoon et Theresa McClenaghan signent une critique du CCME. J'ai cru qu'il serait utile de vous en faire la lecture, même si cela ne se trouve pas dans mon mémoire.
Le président : Madame Krantzberg, avant de poursuivre, pouvez-vous nous dire ce à quoi correspond l'acronyme CCME?
Mme Krantzberg : CCME est l'acronyme du Conseil canadien des ministres de l'Environnement. Pour vos téléspectateurs, en particulier, je dirais qu'il s'agit d'une tribune où les ministres provinciaux viennent échanger avec le gouvernement fédéral pour en arriver à l'adoption de normes communes touchant divers composés. Tout récemment, ils ont tenu un long débat sur la question du mercure.
Permettez-moi de citer Paul Muldoon et Theresa McClenaghan :
Le CCME reconnaît bien que les questions environnementales, dont la gouvernance et la protection de l'eau, ne connaissent pas la géographie politique et qu'il faut adopter une approche coopérative en la matière, mais il ne saurait assurer l'approche robuste, originale et efficace qu'il faut au Canada en ce qui concerne la gouvernance de l'eau. En outre, sa structure (qui exclut les gouvernements des Premières nations), son approche (qui tient pour périphérique la consultation publique) et les résultats médiocres de nombre de ses mesures font voir que le CCME n'est pas la solution à la crise de la gouvernance de l'eau au Canada.
Je pourrais continuer, mais je crois que vous avez compris.
Même si les conclusions des scientifiques étaient quasi certaines, il a fallu de nombreuses années pour élaborer les normes pancanadiennes relatives au mercure, dont la mise en application tarde encore. Étant donné la persistance des composés organiques fluorés et les risques qu'ils posent pour la santé, c'est un programme d'action plus rapide, dirigé par le gouvernement fédéral, et faisant appel à une loi fédérale qui s'impose.
Aux États-Unis, l'EPA étudie actuellement le mieux connu de ces composés perfluorés, l'APFO, ou acide perfluorooctanoïque. Son Science Advisory Board a publié en juillet 2006 une ébauche d'évaluation des risques liés à l'APFO, dans laquelle il recommande que l'EPA classe ce produit chimique comme une substance cancérigène probable pour les humains. Cette recommandation constitue une étape importante qui pourrait éventuellement mener à une réglementation aux États-Unis.
L'APFO est une substance cancérigène probable pour les humains. Il cause des tumeurs hépatiques, pancréatiques, testiculaires et mammaires chez les animaux de laboratoire. Le SPFO cause le cancer du foie et de la glande tyroïde chez les rats. Les PFC causent un éventail d'autres problèmes chez les animaux de laboratoire, y compris des dommages au foie et aux reins ainsi que des problèmes de reproduction. Fait important, la demi-vie de l'APFO dans notre organisme, ou le temps que nécessiterait l'expulsion de la moitié d'une dose de ce produit, est estimée à plus de quatre ans. La demi-vie du SPFO est estimée à plus de huit ans.
L'EPA résume son évaluation par l'observation suivante :
Le SPFO s'accumule en des concentrations élevées chez les humains et les animaux. Il a une demi-vie estimative de quatre ans chez les humains. Il semble donc combiner à un degré extraordinairement élevé persistance, bioaccumulation et toxicité.
La recherche se concentre maintenant sur la caractérisation des mécanismes de toxicité du SPFO, sur la détermination de la gamme complète de ses répercussions, sur l'établissement d'un tableau plus complet des niveaux de contamination chez les humains et la faune et sur l'examen des composés perfluorés associés, notamment l'acide perfluorooctanoïque (APFO), produit chimique utilisé dans la production du Téflon.
Avant que les préoccupations environnementales ne se posent, ce sont les chaînes carbone-fluor des composés perfluorés — qui consistent en huit atomes de carbone et 17 atomes de fluor — que l'on utilisait pour fabriquer les agents de surface fluorés : la longueur de cette chaîne — C8-F17 — était considérée comme optimale par les scientifiques de l'industrie.
Bien que la société 3M ait abandonné ses activités chimiques relatives à cette chaîne, d'autres fabricants produisent encore les composés en question en utilisant les mêmes formules chimiques, dont DuPont, Atofina, en France, Clariant, en Allemagne, ainsi que Asahi Glass et Daikin, au Japon.
Pour mettre au point des produits de remplacement écologiques de ce fluor halogène, la principale stratégie consiste à raccourcir la chaîne C8-F17, car, comme vous l'avez entendu dire la semaine dernière, la longueur de la chaîne exerce une grande incidence sur la bioaccumulation et la toxicité. La liaison C-F est si forte que toutes les chaînes C-F sont susceptibles de persister dans l'environnement, mais, selon certaines études, les chaînes de huit atomes de carbone et plus sont davantage susceptibles de subir une bioaccumulation et de présenter une toxicité accrue. Les chaînes contenant quatre atomes de carbone ou moins ne semblent pas s'accumuler dans les tissus biologiques.
En 2002, l'OCDE a déclaré que les composés perfluorés sont le résultat d'une chimie très particulière et qu'ils ont des propriétés toxicologiques qui, à l'heure actuelle, ne sont pas bien comprises. Il est clair que la présence de chaînes de carbone de longueurs différentes et de groupes fonctionnels différents influe probablement sur la toxicité. On ne sait pas bien si les craintes concernant les risques posés par le SPFO peuvent être extrapolées à d'autres composés perfluorés, sauf dans les cas où ces composés peuvent se dégrader en SPFO.
Le SPFO est persistant, bioaccumulable et toxique pour les mammifères. Des études épidémiologiques ont montré qu'il existe une association entre l'exposition au SPFO et l'incidence du cancer de la vessie. Il faudrait d'autres travaux pour mieux comprendre cette association, mais elle existe bel et bien.
Malgré son retrait en l'an 2000, le Scotchgard est de retour sur le marché après avoir été reformulé en ce que le fabricant et l'EPA déclaraient être un produit chimique fluoré plus bénin pour l'environnement. La société 3M y est arrivée en partie en réduisant la longueur de la chaîne carbone-fluor, de manière que le nouveau composé ne se bioaccumule pas. Il existe des preuves que les résidus provenant des traitements de surface sont une source de composés perfluorés dans les maisons et l'environnement, et que les fabricants devaient trouver des moyens pour éliminer les résidus en question.
En outre, l'idée de ne pas se préoccuper des chaînes moins longues représenterait une lacune majeure dans l'approche du gouvernement : il est possible que les chaînes plus courtes soient envisagées en guise de replacement des chaînes plus longues, mais il se peut qu'il y ait quand même bioaccumulation dans leur cas. Dans la mesure du possible, il est donc utile de déterminer si les acides perfluorocarboxyliques à chaînes plus courtes se retrouvent, oui ou non, dans le biote pour élaborer une stratégie efficace de gestion de ses composés.
Nous avons été étonnés en l'an 2000. Je crois que l'étude s'impose pour que nous ne soyons pas encore surpris en 2007.
Aux États-Unis, l'EPA étudie actuellement l'APFO en raison de préoccupations concernant sa longue rémanence dans l'organisme humain et la possibilité qu'il puisse poser des risques pour le développement des enfants aux concentrations observées actuellement dans le sang maternel.
On pense que certaines molécules entièrement fluorées avec un groupe carboxylate à l'extrémité, et particulièrement l'acide perfluooctanoïque, présentent des mécanismes de toxicité semblables à ceux du SPFO, ce qui ajoute à l'effet toxique global des produits chimiques perfluorés.
Il existe suffisamment de preuves pour démontrer les risques potentiels que posent ces substances pour l'environnement et les être humains, malgré leur faible teneur dans l'environnement. Il y a suffisamment de preuves pour avancer que la classe des substances perfluorées présente des modes d'action et des sites d'action toxique similaires sinon exactement semblables, un mode de bioaccumulation unique et des modes de transport dans l'environnement qui justifient qu'on lui porte attention. De plus, bien que leurs teneurs actuelles soient faibles par comparaison aux BPC, par exemple, ces concentrations sont à la hausse. Selon le principe de la prudence, il ne faudrait pas attendre de constater des dommages avant de prendre des mesures préventives.
Dans les conclusions de l'évaluation écologique préalable effectuée en vertu de la LCPE, le Canada a déclaré que le SPFO, ses sels et ses précurseurs seront traités en tant que groupe conformément aux dispositions de la LCPE de 1999, l'objectif étant d'atteindre le plus bas niveau de rejets dans l'environnement qui demeure techniquement et économiquement possible, à partir de toutes les sources d'émissions. Il s'agit là d'une mesure heureuse qui devrait être louée, mais elle ne va pas aussi loin que le principe de précaution le voudrait.
Le registre environnemental de la LCPE fait voir aussi qu'il existe des produits de remplacement du SPFO, de ses sels et de ses précurseurs pour la vaste majorité des applications industrielles et manufacturières. L'élimination volontaire de la production de SPFO, adoptée en 2002, a accéléré la conversion à d'autres produits. Je dois demander pourquoi on n'a pas exigé plus fermement et plus rapidement le remplacement de ces produits, car il est clairement dit qu'il existe des produits de remplacement.
Étant donné les connaissances tirées du processus de déclaration, le Canada devrait établir un processus national qui appuie l'élimination de ces substances et d'autres substances toxiques présentes dans des articles manufacturés. Le gouvernement fédéral devrait agir pour éliminer l'APFO ainsi que les produits chimiques qui se décomposent en APFO.
Afin d'encourager la mise au point de produits de remplacement, le Canada devrait mettre en œuvre divers outils, notamment : le recours à des programmes prolongés de responsabilisation des producteurs, pour veiller à l'utilisation de méthodes d'élimination sans danger pour les produits contenant des APFO et leurs précurseurs. Autre possibilité : en matière d'étiquetage, cibler les détaillants et les fabricants de substances à base de télomères fluorés et faire identifier et énumérer toutes les substances à base de télomères fluorés provenant de la LIS qui satisfont aux critères de catégorisation. Le Canada pourrait aussi exiger des producteurs et des utilisateurs de substances à base de télomères fluorés encore en usage au Canada qu'ils fournissent certaines données; et, si l'emploi des substances demeure justifié, élaborer un programme de sensibilisation à l'intention des détaillants et des consommateurs.
Le gouvernement pourrait établir un processus multipartite qui permettrait d'aborder avec efficacité les problèmes constants que suscitent les produits importés contenant des substances toxiques au regard de la LCPE. Des outils de gestion tels que l'étiquetage et le dépistage de substances toxiques dans les produits en question, qui n'ont pas vraiment servi au contrôle de l'importation des biens manufacturés, devraient faire partie d'une approche intégrée appuyée par une solide réglementation. C'est une façon de faire qui s'est répandue au sein de l'Union européenne.
D'ici 2007, le Canada devrait parachever un plan d'action visant l'APFO et les produits chimiques qui se dégradent en APFO, et l'intégrer à la LCPE. De même, il devrait effectuer avec diligence un examen des composés perfluorés restants et prendre des mesures là où des problèmes ont été décelés.
Enfin, je souligne l'importance de disposer d'une LCPE fonctionnelle qui soit utile au contrôle des nouvelles substances préoccupantes en usage dans l'écosystème du bassin des Grands Lacs. Je rappelle aux membres que l'Accord Canada-Ontario concernant l'écosystème du bassin des Grands Lacs est un accord fédéral-provincial qui vise à améliorer et à protéger l'écosystème du bassin en question. Il décrit en quoi les deux gouvernements coopéreront et coordonneront leurs efforts en ce qui concerne le bassin des Grands Lacs et les mesures qui le touchent.
Cet accord a été signé en 1971 en prévision de l'Accord Canada-États-Unis relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs. Il y a eu sept accords Canada-Ontario jusqu'à présent. Huit ministères fédéraux et trois ministères provinciaux ont entériné la plus récente version, en 2002. Celle-ci doit prendre fin en mars 2007. Le Canada n'a pas signifié à l'Ontario s'il avait décidé de prolonger l'accord, de le réviser ou de le renégocier. Cela est très préoccupant.
L'Accord Canada-Ontario comprend une annexe sur les polluants nocifs dont le but est d'éliminer entièrement, sinon de réduire les polluants nocifs qui se trouvent dans les Grands Lacs. Cette tâche n'a pas été accomplie. Les produits chimiques vendus sur le marché, comme ceux dont nous avons parlé aujourd'hui, menacent toujours la santé et l'intégrité du réseau des Grands Lacs.
L'écosystème des Grands Lacs soutient les deux tiers de l'économie industrielle du Canada, dont la contribution à l'économie canadienne dans son ensemble se chiffre dans les milliards de dollars tous les ans. Cela tient à la santé de l'environnement des Grands Lacs. Ce n'est rien d'insignifiant.
Les principes énoncés dans l'Accord Canada-Ontario de 2002 reflètent les ententes et les recherches contemporaines sur la protection et la gestion de l'environnement, mais ils n'ont pas été ouvertement pris en considération. J'ai déjà porté ces questions à l'attention du Comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes. Je vais maintenant les signaler à votre attention à vous. Nous vous demandons d'envisager la transparence, l'apprentissage continu, l'innovation et l'amélioration; la réduction de la pollution — le contrôle à la source est une étape primordiale du rétablissement de l'écosystème, et il faut poursuivre les efforts en vue de la quasi- élimination des substances toxiques persistantes et de la réduction des concentrations d'autres substances. Nous vous demandons d'envisager le principe de précaution : l'absence de certitudes scientifiques ne doit pas retarder l'adoption de mesures visant à prévenir un risque de dommage grave et irréversible à l'environnement, à un coût économiquement acceptable. Nous demandons que le principe de précaution soit inscrit dans l'Accord Canada-Ontario et dans la LCPE.
Réussira-t-on, dans la LCPE, à faire appel à ces principes, compte tenu de la mesure dans laquelle on se fie actuellement à l'évaluation et à la communication des risques? L'Accord Canada-Ontario continuera-t-il à intégrer une LCPE plus audacieuse? Dans la région des Grands Lacs, nous comptons sur vous pour que cela se fasse.
Par ailleurs, le régime actuel prévoit un examen constant par les gouvernements de l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs. Au cours de cet examen, bon nombre de citoyens, de représentants de l'industrie, d'universitaires et de bureaucrates l'ont signalé : il importerait de plus en plus d'étudier les données scientifiques actuelles, les politiques en place et les concepts nouveaux en protection des écosystèmes et en protection de la santé humaine. La LCPE a une très grande importance à cet égard, car elle peut déterminer l'orientation que prendra le Canada relativement à l'atténuation des dommages chimiques, objet de nombreux engagements dans l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs.
Étant donné la grande superficie des Grands Lacs et la durée de rétention observée des substances, qui s'échelonne sur des années, voire des siècles, le bassin est extrêmement sensible aux substances toxiques persistantes comme celles dont nous avons parlé aujourd'hui. Je réitère mon appel et insiste pour que l'on prévoie dans la LCPE des dispositions spéciales visant à accélérer l'adoption de mesures énergiques relatives aux polluants chimiques, comme les composés perfluorés, qui se trouvent dans la région des Grands Lacs, bercail de huit millions de Canadiens et, comme je viens de le dire, socle des deux tiers de la production manufacturière du Canada, d'où la nécessité de protéger les ressources naturelles.
Nous, qui habitons cette région, nous souhaitons que vous demandiez instamment à notre gouvernement de prendre au sérieux la tâche dont il s'agit et de réviser ou de réécrire l'accord de manière à ce que l'on puisse y invoquer des dispositions solides tirées de la LCPE en matière de gestion des produits chimiques et inciter nos collègues américains à relever la barre. Nous vous demandons de faire cela en donnant au ministre le pouvoir de désigner la région « secteur d'importance ». C'est que la région est particulièrement vulnérable aux effets des substances toxiques et qu'un volume particulièrement élevé des substances en question s'y trouvent à être rejetées dans l'environnement.
Je recommande l'adoption, à l'initiative du fédéral, d'une approche réglementaire visant à atténuer la menace que posent les composés perfluorés, à la place de la démarche du CCME. Je recommande que le gouvernement fédéral se conforme au principe de précaution énoncé dans la LCPE et qu'il agisse dès maintenant devant l'incertitude qui existe, en sachant d'ores et déjà que de nombreux composés perfluorés comportent des effets néfastes. Je recommande que le gouvernement fédéral agisse de manière plus ferme pour imposer la substitution de produits, étant donné que les solutions de rechange existent. Je recommande que le gouvernement fédéral signale sa volonté de renouveler l'Accord Canada-Ontario et de réviser l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, en recourant en partie à un plan d'action solide lié à la LCPE en vue de protéger l'écosystème des Grands Lacs.
Le président : Vos recommandations sont très claires; merci. Mesdames et messieurs, si cela vous convient, nous allons entendre M. Schwarcz, avant de passer à la période de questions. Voilà que nous rejoint le plus nouveau des membres du comité, qui est tout à fait le bienvenu, le sénateur Mitchell, de l'Alberta.
Joe Schwarcz, directeur, Office for Science and Society, Université McGill, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Avant de m'engager dans un exposé sur les composés fluorés, je ferais peut-être bien d'expliquer un peu pourquoi vous m'avez demandé de donner mon point de vue et ce que je fais dans la vie.
Je dirige l'Office for Science and Society de l'Université McGill, projet unique — certainement en Amérique du Nord et, nous nous plaisons à le croire, dans le monde. C'est la première fois qu'une grande université affirme que notre responsabilité ne s'arrête pas dès que nos étudiants franchissent les portes Roddick, rue Sherbrooke, à Montréal. De nos jours, il y a chez les membres du grand public une telle soif d'informations scientifiques qu'il doit y avoir un endroit où ils peuvent poser leurs questions et obtenir des précisions qui ne souffrent pas de quelque partialité. C'est la raison pour laquelle notre bureau a été fondé en 1999.
Nous ne recevons pas de fonds de la part de parties intéressées. Notre financement provient de l'université elle- même, de sorte que nous n'avons aucune raison de défendre des intérêts particuliers. Nous sommes là pour vulgariser la science et non pas pour plaider une cause. Notre responsabilité, c'est d'enseigner aux étudiants et aux membres du grand public non pas ce qu'il faut penser, mais comment le faire.
Outre la direction du bureau à McGill, j'enseigne au département de chimie et à la faculté de médecine de l'université. J'anime également une émission radio hebdomadaire sur les ondes de CJAD, à Montréal et de CFRB, à Toronto. À cette émission, je parle de la science tel qu'il en est question dans les actualités et je réponds aux questions des auditeurs. Cela me permet de tâter le pouls du grand public, de sonder ses intérêts et ses préoccupations, ce qu'il faut faire. J'anime aussi au canal Discovery des segments où nous traitons des sujets de l'heure et essayons de les comprendre. J'explique cela pour donner un peu le contexte : c'est que nous croyons avoir une certaine responsabilité qui consiste à donner au public des informations impartiales sur toutes les méthodes en cause.
Au téléphone et par courriel, nous recevons des questions sur toutes sortes de sujets. Permettez-moi de vous donner quelques exemples de questions qu'on nous a posées au cours des dernières semaines. Les gens nous ont interrogés au sujet des éléments que contient le 2,4-D, substance qui sert à tuer les mauvaises herbes. On nous a déjà posé des questions sur l'amiante, sur le mercure et sur le plomb, particulièrement l'acétate de plomb que contiennent les teintures pour hommes, qui visent à éliminer les cheveux gris. Les gens se soucient du chloroforme qu'il peut y avoir dans la douche étant donné que l'eau du robinet est le plus souvent chlorée et que cela produit des trihalométhanes, catégorie de composés considérés comme étant potentiellement cancérigènes — sauf qu'il faut probablement oublier le qualitatif « potentiellement », car ils le sont bel et bien. On nous appelle au sujet du bisphénol A, qui peut s'échapper des plastiques polycarbonates et sert parfois aux interventions dentaires. On en trouve partout. Les gens se soucient de l'éther méthyltertiobutylique, parfois employé comme additif d'essence aux États-Unis. Nous recevons des appels au sujet des phthalates — plastifiants qui sont peut-être des composés oestrogéniques et de l'arséniate de cuivre et de chrome, qui est un agent utilisé pour préserver le bois. Les gens nous font part de leur souci au sujet de l'aspartame, cet édulcorant artificiel, et du glutamate monosodique. On nous pose des questions sur les colorants alimentaires et sur l'hyperactivité chez les enfants. Les gens nous demandent ce qu'il en est du parfum de musc, que certains tiennent pour extrêmement toxique. On nous pose des questions sur les parabens, agent de conservation qui entre dans la composition de nombreux articles de beauté. Les gens nous disent s'inquiéter du trioxide de diantimoine, qui fait office de catalyseur, et de la polymérisation du polyester, procédé qui permet de fabriquer les bouteilles d'eau que tout un chacun consomme; on s'inquiète de l'idée que le diantimoine s'échappe du plastique, car le diantimoine a l'effet de l'arsenic dans le corps humain. Les gens nous posent des questions sur la morphyline, qui entre dans la fabrication de la cire synthétique qui est appliquée sur les pommes. Il y a des gens qui nous interrogent sur le formaldéhyde qui émane des panneaux de particules et sur les BPC que l'on trouve dans le saumon. Les gens nous disent qu'ils s'inquiètent des poêles à bois, qui représentent une très grande préoccupation et avec raison : ils rejettent dans l'atmosphère des quantités massives de substances cancérigènes, bien davantage en termes de volume que tout ce que j'ai mentionné jusqu'à maintenant. On nous pose des questions sur les produits ignifuges, par exemple les éthers bromés et le perchloroéthylène, solvant qui sert au nettoyage à sec et qu'on est en train d'éliminer progressivement parce qu'on le considère comme cancérigène. Pour moi-même, je ne voudrais pas travailler dans cette industrie-là. Les gens s'inquiètent du benzène qui se trouve dans les boissons gazeuses, qui préoccupait énormément les gens. Vous vous souviendrez peut-être que c'était le cas il y a quelques mois, mais le produit existe toujours. Puis il y a les nanoparticules que l'on trouve dans les articles de beauté et le dichlorobenzène, qui sert de produit antimite et qui se retrouve dans notre sang. Les gens nous disent s'inquiéter des monophénols, soit des agents de surface qui entrent dans la composition de divers shampooings et autres articles de beauté. Les gens nous appellent pour poser des questions sur le perchlorate, agent oxydant qui entre dans la composition du combustible de fusées aux États-Unis, mais qui s'est infiltré dans l'eau et se trouve presque partout; c'est peut-être une substance cancérigène. Enfin, on nous sonde sur le laurylsulphate de sodium, autre détersif, et sur laurethsulphate de sodium, en raison de possibles effets œstrogéniques.
Nous nous sommes attachés à ces questions au cours des dernières semaines, et je vous en touche un mot pour signaler que, dans chacun des cas en question, il y a un groupe militant non gouvernemental qui a d'innombrables opinions sur chaque question. Ce sont des questions qui sont largement débattues. Nous sommes là aujourd'hui pour parler des composés fluorés, mais il y a des gens partout dans le monde qui sont installés dans des salles comme celle où le comité se trouve en ce moment pour discuter de chacun de ces produits chimiques en essayant d'approfondir la question tout autant. Le monde est extrêmement complexe. Il est difficile de tirer des conclusions au sujet de chacun des produits en question, du rapport qu'il a à notre vie et de l'interaction entre les deux. On ne saurait tirer de conclusions simplistes à propos de ces choses. C'est un sujet extrêmement complexe.
Je ne m'étendrai pas sur les caractéristiques chimiques des composés fluorés, mais je serai heureux de répondre à vos questions à ce sujet. Si je ne le fais pas, c'est que vous avez déjà entendu Scott Mabury, le Wayne Gretzky des composés fluorés; à côté de lui, je suis un joueur des lignes mineures. Je saisis assez bien l'aspect chimique de ces composés et je suis certainement en mesure de répondre à des questions à ce sujet. Le professeur Mabury s'est taillé une réputation à ce chapitre parce que, de manière très intelligente, il a élucidé l'énigme qui consiste à savoir comment ces composés fluorés, et particulièrement les télomères, circulent en fonction des courants atmosphériques, comment ils passent de l'emballage à l'aliment et comment certains des groupements fonctionnels de l'alcool se transforment en acide par oxydation. Il a fait un travail extraordinaire, notamment pour faire voir comment les composés fluorés finissent par se retrouver dans le foie des ours polaires, ce dont il a été beaucoup question.
Le pauvre ours polaire est devenu la figure centrale du jeu, ce qui est très intéressant. Les gens disent s'inquiéter à l'idée de manger le foie de l'ours polaire, du fait que des composés fluorés s'y trouveraient. Je m'inquiéterais davantage de la vitamine A qui se trouve dans le foie de l'ours polaire. À l'époque ancienne où les explorateurs de l'Arctique devaient s'en remettre à cela, ils sont morts d'une intoxication à la vitamine A, qui se trouve en très fortes concentrations dans le foie de l'ours polaire. J'ai soulevé l'exemple pour montrer que la toxicologie est une chose extrêmement complexe et qu'il existe un grand nombre de substances dont il faut tenir compte.
La nature n'est pas inoffensive. De fait, elle est très dangereuse. Nous passons notre vie entière à essayer d'éviter les ravages de la nature. De nombreux composés se trouvent à l'état naturel; s'il fallait les scruter comme nous le faisons avec certains produits chimiques de l'industrie, nous en serions horrifiés, mais personne ne le fait, parce que ce sont des substances naturelles. Le carbonate de diéthyle, qui se trouve à l'état naturel dans la bière, est cancérigène. Si c'était un additif, il ne serait jamais permis. Les furocoumarines, que l'on trouve dans le céleri, provoquent des réactions chez certaines personnes. Il existe une affection, la « dermite des prés » et les gens qui ramassent le céleri font toujours voir des éruptions cutanées sur les mains, quand on les expose à la lumière ultraviolette tout juste après. C'est tout à fait naturel.
Le café contient au moins cinq substances cancérigènes connues comme telles et que je peux nommer, de l'acide férulique au benzène en passant par le furfural. Ce ne sont pas des cancérigènes potentiels. Ce sont des substances dont on sait qu'elles ont causé le cancer chez des animaux.
Une substance est qualifiée de cancérigène parce que les études scientifiques ont fait voir que, pour certaines espèces animales, à certaines doses, elle provoque un cancer. Le terme « cancérigène » ne doit pas être interprété comme voulant dire que la substance cause le cancer chez les humains. Ce n'est pas là l'interprétation scientifique. Si le café était une nouvelle substance, un aliment concocté à partir des ingrédients qui le composent, les autorités ne permettraient jamais qu'il soit mis sur le marché, car il ne répond pas du tout aux critères établis. Le furfural, une des substances qui se trouvent dans le café, est cancérigène. Toutefois, il est cancérigène à une concentration qu'on ne s'attend pas à trouver, en étant réaliste, chez l'humain. Il faut environ 200 mg de furfural par kilogramme pour déclencher un cancer chez le rat, mais c'est un cancer qui est bien déclenché; la substance est donc cancérigène. Parfois, les gens disent : si vous donnez quelque chose à un rat, cela causera un cancer si la dose est suffisamment forte. Ce n'est pas vrai. Si vous administrez une dose assez élevée à un rat, il en mourra, qu'il s'agisse de sel ou d'eau, mais le cancer ne sera pas forcément la cause. Il existe quelque 50 substances dont on sait qu'elles provoquent des cancers; elles sont dont qualifiées de cancérigènes. Cela en soi ne suffit pas à dire qu'elles provoquent des cancers chez les humains.
Par exemple, nous savons que ce n'est pas le cas du café. S'il y a bien une substance à propos de laquelle nous disposons de données épidémiologiques suffisantes dans le monde, c'est bien le café. Il y a assez de café qui se consomme pour que nous le sachions s'il provoquait des cancers chez les humains. Ce n'est pas le cas, même s'il contient au moins cinq cancérigènes différents.
Chaque fois que nous mangeons un hamburger ou un steak, nous nous exposons à une panoplie d'hydrocarbures aromatiques polycycliques, des cancérigènes connus. De fait, ce sont les premières substances qui ont été reconnues comme étant cancérigènes. Cela remonte aux années 1700, époque à laquelle on a constaté que les ramoneurs présentaient une fréquence accrue de cancers des testicules. C'était parce qu'ils étaient constamment exposés à la fumée des poêles à bois. Évidemment, c'est un hydrocarbure aromatique polycyclique, un cancérigène, mais nous en consommons tout le temps dans les viandes grillées sur charbon de bois.
Il y a une panoplie de moisissures qui infestent nos aliments. Par exemple, le maïs peut être infesté de diverses moisissures, qui produisent des composés appelés mycotoxines, qui est le terme général. Nous savons que ce sont des substances cancérigènes et, malheureusement, elles se trouvent dans nos aliments. La nature n'est certainement pas bienveillante.
Permettez-moi d'aborder la question des composés fluorés pour voir comment elle s'inscrit dans l'ensemble. Au fil des ans, on m'a souvent posé des questions à ce sujet. J'ai dû examiner à la loupe la documentation pertinente et, d'après les principes de la toxicologie et de la chimie, j'en suis venu à certaines conclusions quant à la façon dont tout cela s'imbrique à mon avis.
C'est un sujet intéressant. L'histoire remonte à la fin des années 1930, époque à laquelle la société DuPont a engagé un chimiste du nom de Roy Plunkett. Celui-ci s'est vu donner pour défi de trouver une nouvelle substance réfrigérante. C'est que, à l'époque, les réfrigérateurs classiques fonctionnaient à l'anhydride sulfureux et à l'ammoniac, qui sont très toxiques. Si on avait un tel réfrigérateur à la maison, on espérait que les conduites tiennent bon, car une fuite nous exposerait à une substance très toxique.
Arrive Plunkett, qui a pour défi de trouver une substance nouvelle qui serait moins toxique. Il y avait lieu de penser que lesdits fréons, les chlorofluorocarbures, s'imposaient comme solution, car ils n'avaient pas d'effet toxique aigu. On pouvait être exposé à des quantités énormes des substances en question sans subir d'effet toxique; c'était donc d'excellents réfrigérants.
Il a décidé de trouver des fréons qui seraient efficaces dans un réfrigérateur et qui pourraient être produits de manière économique. Il a d'abord essayé une substance qui s'appelle tétrafluoroéthylène, de laquelle il allait tirer une substance qui pouvait servir de réfrigérant. Arrive un jour de grand étonnement : il avait mis un échantillon de ce tétrafluoroéthylène dans une bouteille à gaz. Le lendemain matin, il voulait libérer une partie de la substance pour fabriquer un de ces fréons, mais rien n'est sorti de la bouteille. Il l'a soulevée, puis a constaté qu'elle avait le même poids; il n'y avait donc pas eu de fuite. Il l'a coupée en deux et, plutôt qu'un gaz, il a trouvé à l'intérieur une matière solide blanche. La matière en question avait une surface extrêmement glissante. Les gens du laboratoire ont essayé de la faire brûler; elle ne brûlait pas. Ils ont versé dessus de l'acide; la substance ne réagissait pas avec l'acide ni avec rien d'autre. Voilà la naissance du Téflon. Par accident, à l'intérieur de la bouteille, les petites molécules de tétrafluoroéthylène avaient réagi et formé un polymère, une molécule géante. Ils ne savaient pas quoi en faire. DuPont en a simplement accumulé les stocks, en attendant le moment où la substance pouvait devenir utile.
Au début des années 1940, au moment où le projet Manhattan s'est mis en marche, un besoin s'est manifesté. Les responsables du projet Manhattan devaient séparer de l'uranium 235 et de l'uranium 238. L'uranium 238 est l'isotope d'uranium qui se trouve le plus facilement à l'état naturel, mais l'uranium 235 n'existe qu'en infimes quantités. Or, il faut les séparer pour fabriquer une bombe atomique. Pour faire cela, il faut convertir l'uranium en hexafluorure d'uranium, qui est un gaz; ensuite, on sépare les deux isotopes. Il faut pour cela du fluor, qui est un élément extrêmement réactif. Heureusement, leurs conduites pouvaient tenir le coup. Ils se sont adressés à la société DuPont, qui a dit : nous avons tout à fait ce qu'il vous faut. Voilà le Téflon, solution au problème des responsables du projet Manhattan. La bombe atomique, selon toute vraisemblance, n'aurait pu se faire en l'absence du Téflon.
Après la guerre, le Téflon a été commercialisé, et sa nature non adhésive a fait qu'il est entré dans la fabrication de batteries de cuisine. C'était une merveilleuse invention, qui permettait aux gens de faire cuire des aliments à basse température sans les brûler; les poêles en Téflon ne dégageaient aucun hydrocarbure aromatique polycyclique. Cependant, pour le fabriquer à grande échelle, il fallait trouver un nouveau procédé. Le procédé employé pour revêtir de Téflon les batteries de cuisine s'appelle polymérisation en émulsion, qui fait qu'il faut utiliser de l'acide perfluorooctanoïque. Afin de pouvoir mélanger le Téflon et l'eau, étape nécessaire à la préparation du revêtement, il faut un agent de surface. Cela ressemble beaucoup à la préparation d'une vinaigrette : il faut mélanger l'huile et le vinaigre et, pour cela, il faut mettre un peu de jaune d'œuf car à l'extrémité de la molécule appelée lécithine dans le jaune d'œuf s'attache à la molécule d'eau, alors que l'autre s'attache à la matière grasse — d'où le mélange. C'est ce que fait l'APFO dans la fabrication du Téflon. Bien entendu, à l'époque, personne n'avait idée des problèmes qui pouvaient se poser à l'avenir. Il y avait un problème immédiat qu'il fallait régler, et les gens l'ont réglé, car c'était une substance extrêmement utile.
Personne ne saurait prédire les conséquences à long terme de bon nombre de nos interventions. Au moment où le fréon a été inventé, il était la solution au problème immédiat. Qui aurait cru que, 30 ans plus tard, les gens allaient se soucier de ce que le fréon favorise la pénétration de la lumière ultraviolette de la stratosphère? La notion n'avait pas cours au départ.
À mesure que la technique a évolué et que les chimistes analytiques ont perfectionné l'art de trouver des substances nouvelles, l'APFO a commencé à se répandre largement dans l'environnement et, plus particulièrement, dans notre sang, où il peut se trouver en concentration allant jusqu'à cinq parties par milliard. Ce n'est pas énorme. Une partie par milliard, c'est une seconde dans une durée de 32 ans. Il est incroyable que nous puissions détecter quelque chose d'aussi infime que les parties par milliard. Cela témoigne du travail accompli par les chimistes analytiques. En réalité, ce sont eux qui posent le problème : ils trouvent absolument tout et, bientôt, nous allons découvrir que tout est contaminé par tout.
Les molécules sont si petites et elles se déplacent si facilement que les échanges sont constants. Lorsque vous serrez la main à quelqu'un ou, pire encore, que vous l'embrassez, vous vous échangez des milliards et des milliards et des milliards de molécules. Notre air regorge de composés en tout genre. Prenez tout de suite une respiration : je peux vous assurer que vous inhalez des molécules qui ont été, auparavant, inhalées puis exhalées par Napoléon, Hitler ou le personnage historique de votre choix, parce qu'il y a ce mélange mondial des molécules.
De nos jours, notre faculté de percevoir les choses est incroyable. Ce n'est pas parce qu'une chose est là qu'elle nuit. Cela veut simplement dire qu'elle est là. Il faut faire un effort pour déterminer si quelque chose est nuisible. C'est là que nous éprouvons des difficultés.
Déterminer la toxicité aiguë, c'est facile. Vous donnez à manger à un rat, en augmentant toujours les quantités, puis vous notez si quelque chose se passe tout de suite. Par contre, la toxicité aiguë ne détermine pas forcément la toxicité chronique. Nous nous inquiétons d'être exposés à des petites doses sur une longue période.
Prenez le cas de la vitamine D. Elle a un effet toxique aigu; 10 milligrammes par kilogramme de masse corporelle suffisent à tuer un homme, mais, en doses nettement plus petites, c'est une vitamine qui est absolument nécessaire. Pour être en bonne santé, il nous faut environ 10 microgrammes de vitamine D tous les jours — en fait, peut-être un peu plus : nous constatons que c'est un composé anticancéreux. Voilà une substance qui a un effet toxique extrêmement aigu, mais prise en petites doses et à long terme, elle est salutaire. Ce sont des choses qui sont difficiles à prédire.
Il nous faut mentionner un autre concept, celui de l'hormèse, idée relativement nouvelle dont le grand défenseur est M. Edward Calabrese, de l'Université du Massachusetts — c'est un des toxicologues les plus réputés dans le monde. Selon cette théorie, les substances se comportent différemment selon qu'elles se trouvent en très faibles concentrations ou, au contraire, en concentrations élevées. C'est intrinsèquement imprévisible.
Encore une fois, je vais vous donner un exemple. La vitamine A se comporte très différemment selon qu'elle est consommée à faibles doses ou à doses élevées. Les exemples sont nombreux. Le DDT, par exemple, est très différent en faibles concentrations et en concentrations élevées. De fait, lorsque les doses sont faibles, les substances en question peuvent être bénéfiques, alors que, à doses élevées, elles posent de grandes difficultés.
Le brocoli est un bon exemple. Il génère du sulphurophane, un des composés anticancéreux les plus puissants qui soient, qui déclenche la production d'enzymes de détoxification dans l'organisme. En concentrations élevées, il serait toxique, mais, en très faibles quantités, les substances toxiques forcent l'organisme à produire des enzymes ayant un effet de détoxification. À petites doses, le monde se distingue de ce qu'il est à l'échelle macroscopique. C'est pourquoi il est difficile de savoir si les substances décelées en faibles concentrations dans notre sang ou dans l'environnement nuisent ou non. Est-ce l'effet de l'hormèse? Qui sait?
En 2000, la société 3M a décidé de retirer du marché les APFO. En guise de remplacement, elle a trouvé le substitut du butyle, qui est un meilleur choix à mon avis, mais personne ne peut prouver qu'il est sécuritaire dans toutes les conditions. On peut seulement prouver qu'une substance est nuisible, jamais qu'elle ne pose aucun danger. Le principe de précaution a quelque chose de séduisant. Nous essayons de nous y tenir, mais il ne peut jamais être porté à l'extrême : on ne peut prouver que quelque chose est tout à fait sans danger parce qu'on ne peut la soumettre à toutes les conditions pour la tester.
Le grand public a eu vent de la situation lorsque l'émission 20/20 a présenté un reportage sur un jeune homme malheureux qui souffrait de diverses difformités. De façon générale, on croyait qu'il y avait eu dommages au fœtus, et l'émission s'est attachée à son cas particulier parce que sa mère avait travaillé chez DuPont, à l'usine de fabrication des substances perfluorées. Les substances en question avaient été décelées dans le sang de la mère et s'étaient probablement retrouvées chez le fœtus. L'homme en question avait subi 30 interventions chirurgicales visant à corriger les difformités. C'est un cas qui arrachait le cœur.
Du point de vue scientifique, les éléments d'information présentés sont anecdotiques. Or, l'addition d'anecdotes ne donne pas une somme scientifique. Il nous faut une meilleure évaluation des choses. Il nous faut étudier un grand nombre de personnes ayant été exposées aux produits chimiques en question pour voir si elles souffrent de difformités. Jusqu'à maintenant, ce fait n'a pas été révélé.
Le SPFO et l'APFO soulèvent des questions dont je mettrais en lumière le côté préoccupant. Il y a la possibilité de l'effet œstrogénique, soit de savoir si de très petites quantités des substances en question auraient des effets hormonaux, ce qui serait inquiétant. Récemment, nous avons constaté que l'APFO et d'autres composés perfluorés administrés à des animaux, à des poissons dans le cas qui nous occupe, ont bel et bien eu des effets œstrogéniques. Ces substances ont provoqué de grands dérèglements hormonaux en faibles concentrations. C'est une question à laquelle nous devons nous attacher, mais nombreuses sont les substances œstrogéniques qui se trouvent dans l'environnement à l'état naturel.
La semaine dernière, vous avez peut-être lu la communication publiée dans le New England Journal of Medicine, où un médecin futé a fait le lien entre trois cas d'apparition de seins chez de jeunes garçons et un article de beauté avec un parfum de lavande qu'ils utilisaient. C'est la première fois où nous entendons parler d'une telle chose. La lavande, qui est utilisée de manière universelle pour la plaisante odeur qu'elle dégage, se trouve à avoir un potentiel œstrogénique. Allons-nous interdire de ce fait le parfum de lavande? Nous n'interdisons pas le tabac, alors pourquoi interdire la lavande? Voici un composé œstrogénique naturel. Si nous nous y attachions, nous aurions le même débat que dans le cas de l'APFO et du SPFO. Cela ne veut pas dire que le débat n'est pas légitime.
Les composés fluorés en question sont-ils cancérigènes? Cela est tout à fait discutable. Ils causent bel et bien des tumeurs chez les animaux de laboratoire, à fortes doses, et les tumeurs en question sont bénignes. J'ai passé à la loupe les études en question, et je ne trouve nulle part de cas où le composé est à l'origine de tumeurs malignes. Qu'elle soit bénigne ou maligne, une tumeur soulève toujours des questions, mais, dans le cas qui nous occupe, les doses administrées étaient extrêmement fortes.
De toute façon, ce serait très bien de faire en sorte qu'il y ait moins de ces substances car il y a des questions qui restent sans réponse. Je ne crois pas qu'elles soient extraordinairement dangereuses, d'après les informations que j'ai pu voir, mais il serait possible d'en limiter l'usage. Je crois que le débat va disparaître de lui-même du fait que les chimistes, je me plais à le croire, sont des gens assez futés. La chimie est l'étude de la matière et des transformations de la matière, ce qui veut dire que nous étudions tout — la matière, c'est tout ce qui a une masse et qui occupe de l'espace.
Quand les choses se corsent, les solutions aux problèmes apparaissent. Dans le cas qui nous occupe, ça s'est corsé : DuPont a reçu le coup qui fait le plus mal, un direct dans le portefeuille. La société a déjà versé une amende à l'EPA non pas pour les raisons dont le public est au courant, mais en lien avec des données publiées plus tôt : elle avait décelé la présence de composés fluorés dans le sang de ses travailleurs sans le signaler à l'EPA. Elle aurait dû le faire, mais comme elle ne l'a pas fait, elle a dû acquitter une amende.
De même, la société DuPont s'est entendue à l'amiable dans une autre histoire avec les gens qui vivent autour de son usine de production de la Virginie occidentale. Les gens affirmaient qu'il y avait des APFO dans l'eau potable, ce qui était bien le cas, et DuPont n'en avait pas contrôlé les quantités rejetées pendant la fabrication du Téflon. Elle n'a pas prêté suffisamment d'attention à la question parce qu'elle n'y voyait pas de problème. Elle a été poursuivie en justice et a opté pour un règlement à l'amiable chiffré à 300 millions de dollars, sans aveu de culpabilité, mais avec l'admission que l'APFO était présent. Les gens de DuPont ne veulent pas être aux prises avec ce problème, de sorte qu'ils mettent leurs chimistes à la tâche. À l'instigation de l'EPA, la société s'est engagée à y arriver d'ici 2015.
La semaine dernière, DuPont a annoncé qu'elle était bien en avance sur son horaire et qu'elle arriverait au terme trois ans avant le moment prévu. Elle a trouvé une façon de fabriquer le Téflon en produisant une quantité minimale d'APFO et également une façon d'éliminer tout APFO résiduel, avant que le Téflon ne soit rejeté dans l'atmosphère. Elle a aussi beaucoup fait pour régler le problème des télomères. Au moment de la fabrication des substances en question, certains des produits de dégradation des télomères sont convertis. Selon la société, ce serait 96 p. 100 de l'ensemble des composés fluorés qui est éliminé du produit final. La société semble s'être attelée à la tâche, et elle s'en acquitte avec succès.
Les inquiétudes des gens au sujet de leurs batteries de cuisine avec revêtement de Téflon ne représenteront plus une si grande question, car, à mon avis, la quantité d'APFO rejetée dans l'environnement est minimale. C'est déjà minimal, selon moi, lorsque la batterie de cuisine est utilisée correctement. Si on les chauffe à température élevée et qu'on les oublie sur la cuisinière, le Téflon se dégrade et rejette dans l'environnement certains APFO. D'un point de vue clinique, la seule chose qu'on ait pu démontrer, c'est que les vapeurs ainsi libérées sont mortelles pour les oiseaux, dont les poumons sont sensibles à toute forme de composés fluorés. Quant aux humains, le seul problème qui a pu être observé, c'est la fièvre des polymères, qui s'apparente à la grippe et dure quelques jours.
Je serais heureux de répondre à toute question que vous voulez poser à ce sujet, mais je voudrais d'abord vous faire part d'une dernière idée. À étudier des questions comme celles-ci, notre première préoccupation est le cancer. C'est ce dont tous les gens s'inquiètent, car il s'agit de la plus horrible des maladies.
En vérité, depuis que Richard Nixon a lancé sa guerre contre le cancer au début des années 1970, le traitement de la maladie n'a pas fait de progrès énormes. Certes, nous avons fait certains progrès, mais pas d'avancées énormes; il y a donc lieu de s'inquiéter. Nous nous inquiétons surtout des cancers précoces, les cas qui touchent les gens avant qu'ils n'aient atteint le terme de leur espérance de vie.
Aujourd'hui, environ 35 p. 100 des cas de cancer précoce peuvent être attribués à un régime alimentaire mal équilibré. C'est à cela que nous devons vraiment prêter attention. Cinq à dix portions de fruits et légumes tous les jours, voilà qui est excellent pour réduire la fréquence des cancers. Les gens n'aiment pas entendre cela. Je suis toujours ébahi d'entendre les gens dire qu'ils ne peuvent consommer cinq à dix portions de fruits et légumes par jour. Ce n'est pas si difficile. Je donne des conseils à la radio et je rédige une chronique dans The Gazette. Les mêmes personnes qui s'inquiètent à ce sujet se rendront dans un magasin d'aliments naturels et, sans esprit critique aucun, prendront sur la tablette un truc qui promet de leur donner la vie éternelle en raison des caractéristiques antioxydantes d'une pilule. C'est la fille derrière le comptoir, qui porte un sarrau blanc, qui leur remet ça; ça a l'air officiel. La semaine d'avant, peut-être qu'elle lavait les planchers chez McDonald, mais, maintenant, elle dispense des conseils médicaux. Ils ne jettent pas de regard critique sur cet achat, mais ils affirment qu'ils ne peuvent consommer cinq à dix portions de fruits et légumes. Nous pouvons réduire sensiblement la fréquence des cancers en ayant une alimentation adéquate.
Environ 30 p. 100 des cas précoces de cancer sont attribuables au tabagisme. C'est une question à laquelle nous ne nous attachons pas. Nous discutons du fait que l'APFO soit, oui ou non, un cancérigène à des concentrations de tant de parties par milliard, alors que nous avons un cancérigène connu qui est vendu légalement au public. Autrement, 10 p. 100 des cas précoces sont attribuables à des infections, 7 p. 100 à certains comportements sexuels, à la transmission de virus, et 5 p. 100 environ à des cas d'exposition en milieu de travail, ce qui comprend les gens de l'industrie des substances antiparasitaires ou les gens amenés à manier le mercure dans le cadre de leur travail. Je suis sûr que vous avez parlé de la maladie du chapelier, ou maladie de Danbury lorsque vous avez étudié la question du mercure. Puis, il y a l'alcool : 3 p. 100 de cancers précoces sont attribuables à l'éthanol, qui est cancérigène; il donne le cancer de l'œsophage et de la langue. Si l'éthanol était une substance synthétique fabriquée par quelques sociétés de l'industrie des produits chimiques, qui souhaiteraient le mettre sur le marché, ce ne serait jamais permis; cependant, comme il s'agit d'un produit naturel de la fermentation, nous en chantons les louanges.
Cela m'amène à la dernière statistique : soit 1 p. 100. Les chercheurs s'entendent pour dire que les produits industriels comptent pour 1 p. 100 des cas précoces de cancer en question. Parmi les substances en cause, citons les substances antiparasitaires, les herbicides, l'amiante, l'APFO, les composés chlorés : toutes ces substances présentent des problèmes en elles-mêmes.
Il importe de mettre tous ces problèmes en perspective, de voir en quoi ils s'inscrivent dans l'ensemble, et de déterminer ce que devraient vraiment être nos conseils — ce que nous devrions recommander. Une des choses les plus importantes dans la vie, c'est de savoir de quoi il faut s'inquiéter. L'inquiétude elle-même est dangereuse; elle nous prédispose à la maladie.
Oui, ayons des inquiétudes, mais surtout, inquiétons-nous de ce que le grand public ait une bonne alimentation et trouvons une façon quelconque d'éliminer le tabac, puis, ensuite, inquiétons-nous des parties par milliard de produits chimiques qui se trouvent dans le sang. Ce n'est certes pas négligeable, mais, par rapport aux autres problèmes dont j'ai parlé, cela n'occupe pas le même rang dans l'ordre des inquiétudes.
Je serai heureux de répondre à toute question portant sur la chimie ou, plus particulièrement, sur les composés fluorés.
Le sénateur Angus : Je dois dire, la tête me tourne. Je ne sais pas si je devrais vendre mon poêle à bois ou devenir végétarien ou encore jurer de ne plus jamais prendre une pilule.
M. Schwarcz : Vous n'avez pas à devenir végétarien; il s'agit simplement de réduire la quantité de viande que vous consommez. Il n'est pas utile d'avoir le steak qui déborde de l'assiette, au côté de quelques pois anémiques et bâtonnets de carottes. Faites une place plus grande aux légumes et une place moins grande au steak.
Le sénateur Angus : Maintenant je sais pourquoi le canari dans ma cuisine est tombé de son perchoir. C'est assez incroyable.
Nous sommes très chanceux au comité, et nous sommes tous pris d'un grand étonnement depuis quelques semaines. À la première séance, nous avons eu droit au cours chimie 101, à la deuxième, à chimie 404, et, aujourd'hui, à chimie 1000. Tout cela me dépasse à coup sûr. Madame Krantzberg, même vous, vous aviez de la difficulté à faire la lecture de la communication très savante que vous avez préparée : c'est si complexe.
Nous essayons de recueillir des données en vue d'appuyer les recommandations qui s'imposent, en vue d'améliorer le cadre dans lequel s'inscrivent les lois environnementales, et particulièrement le cadre de la LCPE. Je crois, madame Krantzberg, que vous avez formulé quatre recommandations qui sont très claires. Je crois que c'est extrêmement utile.
En les lisant, je me dis que la LCPE convient à la situation, selon vous. Les instruments qu'il faut y figurent bien, mais ils ne sont pas nécessairement appliqués correctement. Ai-je bien compris? Autrement dit, je ne vois pas où vous auriez recommandé une modification législative particulière.
Mme Krantzberg : C'est bien cela. Je crois que la LCPE est un bon texte de loi; tout de même, des difficultés sont liées à la mise en œuvre des dispositions réglementaires entourant les substances qui se trouvent dans les produits. La LCPE comporte les instruments nécessaires pour réglementer, pour déterminer qu'une substance est toxique au regard de la LCPE, et en arriver à la quasi-élimination des produits chimiques qui sont rejetés dans l'environnement. Là où le bât blesse, dans le cas de la LCPE, c'est dans les cas où les substances en question entrent dans la composition de certains produits qui se trouvent déjà sur le marché. La LCPE n'est pas conçue pour réglementer un produit. Voilà donc une contrainte qui y est liée.
L'autre question que je soulèverais au sujet de la LCPE — et M. Schwarcz en a parlé —, c'est l'idée que le principe de précaution est complexe. La LCPE énonce le principe de précaution. Il y est dit que l'absence de certitudes scientifiques ne doit pas empêcher d'agir. Il s'agit de savoir quelle part d'incertitude le gouvernement est prêt à accepter avant d'agir.
Si nous étudions la situation ailleurs dans le monde, nous constatons que certains des composés perfluorés ont été bannis sous le coup d'une loi de l'Union européenne, par exemple, où le principe de précaution a été invoqué. C'est à dessein que nous avons invoqué le principe de précaution au Canada, mais il semble que le gouvernement soit moins à l'aise face à l'incertitude scientifique dans le dossier que les pays membres de l'Union européenne.
Les principes sont bien inscrits dans la LCPE, mais c'est la mise en œuvre qui pose problème. On parle beaucoup de la LCPE en rapport avec la gestion des risques et la communication des risques, en tant que façons de veiller à la réduction de l'exposition à certaines substances. Qui dit communication des risques ne dit pas forcément réduction des risques. La véritable réduction des risques consiste à éliminer les possibilités d'exposition à la substance. Si les humains ne sont pas exposés à la substance, le risque est réduit. La communication des risques semble atteindre le même but par la voie de l'éducation, mais cela ne fonctionne pas toujours. Fondamentalement, la LCPE comporte les instruments voulus. C'est la façon d'utiliser et de mettre en œuvre les instruments en question qui doit être examinée avec soin.
Le sénateur Angus : C'est très intéressant. J'ai été saisi d'apprendre que nous respirons les mêmes molécules que Mussolini, Hitler et peut-être même Oussama ben Laden. Je me suis demandé : est-il trop tard? L'ensemble des toxines et des cancérigènes produits par les êtres humains, mis à part ceux qui se trouvent à l'état naturel, dont vous avez parlé, ont-ils fait à notre environnement un tort irréparable?
M. Schwarcz : Je ne crois pas. Dans tout cela, il y a la question des avantages et des risques. Dans la plupart des cas, les substances que nous avons introduites dans l'environnement comportent quelques avantages.
Le Téflon a révolutionné la discipline des microcircuits. Si ce n'était du Téflon, nous n'aurions pas notre technologie informatique ni ne pourrions voyager dans l'espace. La route est intéressante, mais il faut parfois franchir un poste de péage. Posez-vous la question : le chemin était-il beau, valait-il la peine?
Le sénateur Angus : C'est vraiment une question de gestion des risques. Pour chaque truc que nous obtenons, il y a un petit prix à payer.
M. Schwarcz : Oui, nous devons comprendre qu'il est impossible d'éliminer tous les risques. Nous devons accepter de vivre avec un certain nombre de risques. Nous devons déterminer si les avantages sont plus importants que les risques.
Mme Krantzberg : Vous avez demandé s'il était trop tard. Je suis d'accord pour dire qu'il n'est pas trop tard, et je vais vous donner un exemple concret.
Il y a 25 ou 30 ans, Rachel Carson publiait son fameux livre controversé intitulé Silent Spring. Nous avons assisté à la disparition du pygargue à tête blanche, du cormoran et du faucon pèlerin de la région du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Ces oiseaux ont disparu. Pourquoi? La quantité de DDT dans la coquille des œufs en développement était tellement élevée qu'elle était trop mince pour supporter la pression pendant l'incubation. Nous avons interdit la production de DDT. Même chose pour les BPC. Les taux de ces substances ont instantanément chuté, et, devinez quoi? Le pygargue à tête blanche et le faucon pèlerin sont de retour dans la région. Nous avons constaté qu'un produit chimique posait problème, pris des mesures, et l'écosystème a réagi avec résilience.
Oui, ces molécules sont présentes autour de nous. L'eau demeure dans le lac Supérieur pendant 190 ans, alors il va falloir un bon bout de temps pour se débarrasser de ces substances. Tant que les concentrations diminuent pour atteindre un niveau où les effets ne sont pas aigus et où les effets chroniques commencent à diminuer, l'être humain et les écosystèmes ont la capacité de réagir.
M. Schwarcz : Nous avons éliminé le SPFO en 2000, et nous avons constaté une diminution des concentrations dans l'environnement dès 2003.
Le sénateur Angus : La semaine dernière, j'ai raté la réunion du comité, mais j'ai lu la documentation. M. Mabry, dont vous avez dit qu'il était le Wayne Gretzky du domaine, semble prôner la tolérance zéro ou être un abolitionniste. En ce qui vous concerne, cela dépend de la dose.
M. Schwarcz : Je ne suis pas sûr qu'il soit un abolitionniste. Je pense qu'il est convaincu qu'on peut régler le problème par la chimie, de façon à éliminer les télomères en question pour les remplacer par des substituts.
Le sénateur Angus : Il a dit que les toxicologues débattent de la question de savoir si les concentrations dans le sang humain posent problème. Mon point de vue, c'est que les substances en question ne devraient pas se trouver dans le sang, un point c'est tout.
M. Schwarcz : Je suis d'accord; on ne devrait pas retrouver ces substances dans le sang.
Le sénateur Angus : Dans un monde parfait.
M. Schwarcz : Dans un monde parfait, on aurait le choix. Cependant, on peut pouvoir continuer d'utiliser des produits de papier que la graisse ne peut transpercer. Lorsqu'on commande une pizza, on veut qu'elle ait l'air de quelque chose qui se mange au moment où elle arrive à la porte. On veut le Téflon. Il y a des solutions au problème.
Bien entendu, s'il fallait choisir, on choisirait de ne pas avoir les substances en question dans le sang. Cependant, ce n'est pas la simple présence dans le sang qui peut permettre d'affirmer que la substance est dommageable.
Le sénateur Angus : C'est un air connu. Hier soir, nous avons examiné un projet de loi visant à conférer au gouvernement fédéral la compétence législative de supervision des différentes provinces et municipalités pour s'assurer que les approvisionnements en eau des collectivités sont adéquats. Certains d'entre nous se sont demandé pourquoi créer un dédoublement?
Je vois dans le mémoire que vous avez présenté aujourd'hui que vous proposez une surveillance et une législation fédérales dans certains domaines où il y a eu échec; est-ce que je me trompe?
Mme Krantzberg : Le Conseil canadien des ministres de l'Environnement offre une tribune précieuse pour les débats et pour le partage d'information. Lorsqu'on a affaire à des produits chimiques importants à l'échelle nationale, qui sont couramment utilisés et répandus et dont on ne peut pas nécessairement s'occuper à l'échelle régionale, le gouvernement fédéral doit intervenir pour protéger la santé humaine, la société, la qualité de l'eau, et cetera. Il est clair que le gouvernement fédéral a un rôle de surveillance à jouer auprès des provinces sur certaines questions. Je ne veux pas parler en mal du processus du CCME, mais il ne s'agit pas d'une politique fédérale de gestion de l'eau suffisante pour protéger les Canadiens; il s'agit d'un bon espace de discussion.
Le sénateur Angus : L'application de cette politique ne répond pas nécessairement aux mêmes normes partout.
Mme Krantzberg : Lorsqu'il est question de substances chimiques complexes, si chacune des administrations définit ses propres normes, cela a des conséquences énormes pour le commerce dans chacune de ces provinces. En outre, lorsque les substances sont largement transportées comme elles le sont à l'heure actuelle, ce que M. Schwarcz vient de dire, je crois que le gouvernement fédéral doit définir une norme nationale que les provinces doivent respecter ou même dépasser.
Le sénateur Angus : C'est fascinant. Je viens de Montréal. Monsieur Schwarcz, je vous écoute à la radio, je lis votre chronique dans The Gazette et je regarde votre émission au canal Discovery. Dans certains de ses livres, M. Schwarcz a démystifié les formules scientifiques compliquées en question. Ses livres sont très constructifs, et ils aident le lecteur à comprendre les questions importantes qui nous occupent aujourd'hui. Je me sens très éclairé et chanceux d'entendre parler du problème d'une façon compréhensible. Nous pouvons apprendre sur les choses terribles que nous faisons et sur ce que nous pouvons faire pour éviter le problème. C'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Milne : Monsieur Schwarcz, dans votre exposé, vous avez dit qu'il fallait tout mettre en perspective; c'est plus important pour moi de manger la pomme que de m'inquiéter au sujet de la cire qui l'enrobe.
M. Schwarcz : Oui, c'est exact.
Le sénateur Milne : L'exposé de Mme Krantzberg tournait tout entier autour du principe de précaution, qui est intégré à la LCPE, et qui est très important à mon avis.
Nous savons tous que si je ne buvais que du café toute la journée, je tomberais gravement malade. Si je ne mangeais que des pommes, je tomberais aussi gravement malade. Trop de quoi que ce soit peut nous tuer.
Je veux vous poser mes questions, madame Krantzberg, parce que vous avez été très précise et que vous avez terminé votre mémoire par une série de recommandations directes et fortes.
Je vis dans le bassin des Grands Lacs. Je viens de Brampton. Votre exposé a été excellent, mais je suis inquiète au sujet de la question secondaire que vous avez abordée à la fin de celui-ci, la question de l'ACO, l'Accord Canada- Ontario sur l'écosystème du bassin des Grands Lacs. L'accord le plus récent est intervenu en 2002, et il prend fin en 2007. Cette année, donc.
Mme Krantzberg : Oui, il prend fin en mars 2007.
Le sénateur Milne : C'est le mois prochain. Jusqu'à maintenant, le Canada n'a absolument rien fait au sujet du renouvellement de cet accord.
Mme Krantzberg : Les ministres provinciaux et fédéral de l'Environnement se sont rencontrés pour lancer les discussions, mais, d'après ce que nous savons, le ministre fédéral n'a pas reçu de directives concernant le renouvellement de l'ACO et le calendrier de ce renouvellement.
L'ACO s'assortit de fonds pour la protection des Grands Lacs et la prise de mesures correctives les visant, pour la réduction de l'émission de polluants dangereux et pour le nettoyage dans le havre de Hamilton, qui n'est pas loin de Brampton ou de l'Université McMaster, où j'enseigne. L'industrie de la pêche sportive engendre à elle seule des recettes d'environ quatre milliards de dollars par année en Ontario. Sans fonds, tout cela est à risque.
Le Canada et l'Ontario peuvent prolonger l'ACO actuel de quelques années, mais, ce qu'il faut, c'est un engagement sur papier, dès maintenant. Lorsque cet accord prendra fin, les paris sont ouverts quant à ce que seront les priorités du gouvernement fédéral au sujet des Grands Lacs et de la manière dont le gouvernement fédéral coordonnera avec l'Ontario, qui est la seule province dont les Grands Lacs relèvent.
Le Canada a besoin de l'Ontario pour l'aider à respecter ses engagements binationaux concernant les Grands Lacs. L'ACO porte en grande partie sur la réduction du déversement de polluants dangereux dans les Grands Lacs, qui exige la prise de mesures coordonnées par le gouvernement fédéral et les provinces. La manière dont les bureaucrates, qui ont de très bonnes intentions, continueront de prendre ces mesures en l'absence d'un ACO demeure inconnue.
Le sénateur Milne : Quels étaient les fonds affectés à l'ACO dans le passé?
Mme Krantzberg : De 2002 à 2007, la province de l'Ontario a investi 50 millions de dollars. Le gouvernement fédéral a présenté au Cabinet une proposition concernant un programme d'une valeur de 1 milliard de dollars sur cinq ans, et il a reçu 40 millions de dollars, pour lui permettre de s'occuper uniquement de 15 lieux géographiques particulièrement détériorés. Le gouvernement a consacré les fonds à des zones suscitant l'inquiétude, comme le havre de Hamilton et le secteur riverain de Toronto, mais il n'y avait pas de fonds pour les autres lieux.
Le président : Était-ce en 2002?
Mme Krantzberg : Oui.
Le sénateur Milne : A-t-on obtenu l'argent?
Mme Krantzberg : Oui, et on l'a dépensé.
Le sénateur Milne : Ces projets sont terminés.
Mme Krantzberg : En fait, on a débloqué les fonds en 2001, en prévision de l'Accord Canada-Ontario de 2002.
Le sénateur Milne : Cela nous ramène à un intérêt que le comité a exprimé avant de se voir confier l'examen de la LCPE et qui avait pour objet les études portant sur l'eau et sur la qualité de l'eau à l'échelle du pays. Nous nous intéressions à différentes régions, et le bassin des Grands Lacs était une partie importante de cette étude.
Mme Krantzberg : Le programme fédéral pour lequel on s'est adressé au Cabinet avait pour objet la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent, y compris le golfe du Saint-Laurent. Les fonds n'étaient destinés qu'à l'Ontario et à 15 collectivités
Le sénateur Milne : C'est évident que, dans le cadre de l'ACO, les fonds ne sont destinés qu'à l'Ontario. Le gouvernement fédéral aurait dû conclure un accord avec la province de Québec.
Mme Krantzberg : Il l'a fait. Il s'agit de l'accord Québec-Canada.
Le sénateur Milne : Cet accord prend-il fin aussi?
Mme Krantzberg : Je ne sais pas. Je pense qu'il est encore en vigueur, mais il va aussi falloir le renouveler.
Le sénateur Milne : Il s'agit d'une préoccupation importante pour tous les Canadiens, parce que le bassin des Grands Lacs est le principal moteur économique du pays.
Pour en revenir au principe de précaution :
L'absence de certitudes scientifiques ne doit pas retarder l'adoption de mesures visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économiquement acceptable.
M. Schwarcz : Je ne pense pas que nous puissions jamais obtenir de véritables certitudes scientifiques.
Le sénateur Milne : Exactement; il n'y en a jamais. Il y aura toujours des chercheurs pour dire le contraire.
M. Schwarcz : Mme Krantzberg a parlé du problème du mercure, et c'est un bon exemple. Dans ce cas, nous disposons d'éléments probants concrets. Si quelqu'un demande si nous devrions limiter la quantité de mercure dans l'environnement, nous répondons qu'il faut absolument le faire, parce que des études ont montré que le mercure est toxique pour les humains. La réponse est catégorique. Il n'y a aucun doute à ce sujet.
Le sénateur Milne : Comme vous le dites, l'hydrargyrie des chapeliers est une réalité.
M. Schwarcz : Aux États-Unis, on appelle cette maladie Danbury shakes, et le nom vient de Danbury, au Connecticut. Je n'ai pas vu l'équivalent en ce qui concerne l'APFO. J'ai passé la documentation au peigne fin, mais je n'ai pas trouvé d'études comparables à celles qui ont été réalisées au sujet du mercure, qui montrent le problème engendré chez les humains. On a effectué des études chez les animaux, qui semblent indiquer certaines choses, mais ce genre d'études est toujours bourré de défauts; un humain n'est pas un rat géant.
C'est très difficile. Je ne vois pas d'études correspondantes. On a réalisé des études au sujet de l'APFO, notamment les propres études épidémiologiques de DuPont, très complètes. Les gens ont tendance à rejeter ces études parce que c'est DuPont qui les a réalisées, mais qui d'autre l'aurait fait? DuPont a un intérêt direct envers ce sujet. Les études épidémiologiques de l'entreprise n'ont rien révélé que je puisse voir. Je n'envisage pas les composés fluorés comme appartenant à la même catégorie que le mercure, le plomb ou d'autres substances qu'on a reconnues qui posaient problème.
Mme Krantzberg : Ce qui me préoccupe, c'est que si l'on continue de fabriquer ces substances et de les rejeter dans l'environnement, les concentrations vont augmenter. Le retrait volontaire de nombreuses substances du marché m'encourage. Les substances qui nous intéressent sont un exemple intéressant. Ce n'est pas une chose à laquelle on assiste pour tous les composés. Je crois qu'il est toujours nécessaire de respecter le principe de précaution, en raison de notre incapacité de prédire les effets de concentrations élevées. Tant et aussi longtemps que la population augmente, que de plus en plus de gens utilisent les substances en question et qu'on utilise davantage ces substances dans le commerce, les concentrations vont augmenter. Ainsi, le principe de précaution veut que nous n'attendions pas la preuve d'un effet négatif avant de prendre des mesures.
Est-ce à cette situation précise que nous faisons face dans le cas de l'APFO à l'heure actuelle? La réponse est complexe. L'EPA a dit de l'APFO qu'il s'agissait peut-être ou probablement d'un produit cancérigène. Le fait que l'EPA dise cela et que l'industrie retire volontairement le produit du marché me porte à croire qu'il s'agit de produits qui posent problème et qui devraient faire l'objet d'un règlement, si l'industrie ne le fait pas volontairement, puisque les produits de rechange sont disponibles.
Les substances en question comportent des avantages pour la société, mais si la chimie novatrice ou verte peut nous offrir des produits de rechange moins dangereux, comme dans le cas des CFC, pourquoi ne les utiliserions-nous pas? Nous ne voulons pas des substances en question dans notre sang, comme le sénateur l'a déjà mentionné, et, si la chimie peut nous fournir des produits de rechange, adoptons-les.
Le président : Êtes-vous d'accord pour dire que les polymères dont la chaîne comporte moins de quatre liens, qui sont moins susceptibles d'être bioaccumulables font partie des produits de rechange?
Mme Krantzberg : Je crois que oui. Nous devons nous assurer, en faisant preuve de diligence raisonnable, que ces substances ne sont pas bioaccumulables. Sur le plan de leur structure, il semble qu'elles ne devraient pas l'être. Faisons la démonstration de cela, pour être certains, et ces substances pourraient constituer des produits de rechange viables.
M. Schwarcz : Le problème se caractérise par le fait qu'il y a un problème, que nous essayons de le résoudre et que nous espérons que la solution ne crée pas un problème encore plus important que le problème initial. C'est ainsi que les choses fonctionnent habituellement, mais pas toujours. Il y a eu quelques situations dans le passé où nous avons résolu un problème pour en créer un autre, plus important.
Il convient de signaler que notre capacité de prédire l'évolution de certains composés est beaucoup plus grande qu'auparavant. Nous comprenons beaucoup mieux qu'avant comment les systèmes de détoxication du corps fonctionnent, quelles enzymes remplissent cette fonction et quels composés elles peuvent éliminer. Nous savons beaucoup plus de choses sur la chimie des molécules, sur les types de molécules qui sont susceptibles d'être bioaccumulables et sur celles qui sont susceptibles de se dégrader dans l'environnement.
Notre connaissance des façons de prévoir l'avenir est beaucoup plus grande qu'auparavant. Les prédictions concernant les composés fluorés à chaîne courte sont valables, et elles sont moins susceptibles de poser problème.
Le sénateur Milne : Sénateur Angus, c'est précisément ce que nous a dit le professeur la semaine dernière. Il a dit qu'il existait des produits de rechange. Il y a les acides perfluorés à chaîne courte qui semblent pouvoir remplir la même fonction, et, si les résidus du traitement de surface sont bien nettoyés dans le cadre du processus de fabrication, il a dit qu'il y aurait peu ou pas de dommage; il y a encore de l'espoir.
Le sénateur Cochrane : Certaines des choses que vous avez dites vers la fin de votre exposé m'ont intéressée. Je vais vous poser une question personnelle.
M. Schwarcz : Cela s'est déjà vu.
Le sénateur Cochrane : Lorsque j'allume le climatiseur, dans ma voiture, j'ai mal à la gorge.
M. Schwarcz : Il y a probablement de la moisissure dans votre climatiseur. C'est un problème qui n'est pas rare.
Le sénateur Cochrane : Dois-je m'acheter une nouvelle voiture?
M. Schwarcz : La première chose à faire, c'est de vaporiser du Lysol dans votre climatiseur. Cela règle souvent le problème. Sinon, vous devez demander à un spécialiste de vidanger l'appareil, mais c'est probablement ça le problème.
Le sénateur Cochrane : Vous avez aussi parlé de cinq à dix portions de légumes. Voulez-vous dire de fruits et de légumes?
M. Schwarcz : Oui, de fruits et de légumes. Nous n'allons pas vous forcer à manger dix portions de légumes.
Le sénateur Cochrane : Madame Krantzberg, dans votre exposé, vous avez dit : « Afin d'encourager la mise au point de produits de remplacement, le Canada devrait mettre en œuvre divers outils... »
Pouvez-vous nous dire précisément comment vous pensez qu'on doit mettre en place ces outils dans le cadre de la LCPE?
Mme Krantzberg : Bon nombre des outils n'ont probablement pas de lien direct avec la LCPE. Certains d'entre eux peuvent en avoir, surtout en matière de communications. Il y a tout un volet de la LCPE qui porte sur la gestion du risque.
Il y a un instant, je n'avais que des commentaires pas très indulgents au sujet de la gestion du risque. En ce qui concerne la communication des risques et le fait de donner des directives à l'industrie, si l'on exige de l'industrie qu'elle communique aux consommateurs les risques que présentent ces produits, cela incite l'industrie à être plus créative et à réduire les risques inhérents à ses produits, de façon à ne pas avoir à communiquer de risques au consommateur. En ce qui concerne le fait de susciter une réaction auprès de l'industrie, la participation de celle-ci au volet gestion du risque de la LCPE pourrait stimuler l'innovation.
Le sénateur Cochrane : Est-ce que la LCPE a cet effet à l'heure actuelle?
Mme Krantzberg : Selon moi, peu de signes l'indiquent. Maintenant que nous avons terminé le processus de caractérisation de produit chimique, il est temps de faire intervenir la LCPE. Je sais qu'on a posé un défi à l'industrie. C'est un bon premier pas. On pourrait y travailler davantage et pousser cela plus loin.
Le sénateur Cochrane : Vous dites avec raison que des produits de rechange existent qui peuvent remplacer le SPFO en ce qui concerne de nombreuses applications industrielles et de fabrication, et vous vous demandez pourquoi on n'a pas plus rapidement rendu obligatoire le remplacement des produits. Avez-vous une idée de la manière dont on pourrait utiliser la LCPE ou la modifier pour lancer le processus de remplacement des produits?
Mme Krantzberg : Si telle ou telle substance était interdite par la LCPE, cela accélérerait le changement, et c'est aussi simple que cela.
Vu que l'industrie canadienne s'inspire de l'Union européenne, où on remplace certains des composés fluorés à chaîne longue, une manière d'accélérer ce remplacement serait de le rendre obligatoire plutôt que volontaire; il faudrait que la loi l'exige, plutôt que de laisser l'initiative au fabricant.
Le sénateur Cochrane : Quel est le problème, en ce qui concerne l'ACO? Lequel des deux gouvernements ne fait pas son travail?
Mme Krantzberg : Au sein d'Environnement Canada, il y a beaucoup d'incertitude quant à l'importance des Grands Lacs et quant à la direction du régime relatif aux Grands Lacs. Il est difficile de trouver, à Environnement Canada, des gens qui comprennent l'importance des Grands Lacs. Le ministère, qui assume la principale responsabilité de négociations de l'ACO avec l'Ontario, a perdu des employés et une partie de sa capacité de s'occuper des enjeux liés aux Grands Lacs. Il y a huit ministères fédéraux; néanmoins, c'est Environnement Canada qui doit voir à l'ACO.
Le changement d'administration, ainsi que le changement de personnel, de sous-ministres et de ministres a créé une grande confusion au sein d'Environnement Canada. Quelle est la priorité? Les Grands Lacs seront-ils une priorité d'Environnement Canada, vu qu'ils sont une ressource nationale; ou le sont-ils? Je ne sens pas beaucoup de leadership de la part d'Environnement Canada.
Nous constatons que beaucoup de travail se fait à l'échelle provinciale, plus que ce que nous avons vu au cours des dernières années. La province est en train de faire le ménage chez elle, ce qui est encourageant. Cela offre d'excellentes occasions pour le gouvernement fédéral, de rencontrer les nouveaux représentants de la province, de travailler avec eux, avec énergie et en synergie. Nous ne voyons tout simplement pas de leadership à Environnement Canada.
Le sénateur Cochrane : Peut-être revient-il à l'Ontario de prendre l'initiative de faire voir aux gens de ce ministère le besoin de faire quelque chose.
Mme Krantzberg : C'est la situation actuelle. La province rencontre les gens du gouvernement fédéral, essaie de les faire participer davantage, mais ils ne savent pas où ils se situent. Ils reçoivent des messages ambigus de la part du gouvernement fédéral.
Le président : Pour être juste, beaucoup de choses qui auraient dû être faites à partir de 2002 n'ont pas été faites avant l'arrivée du gouvernement actuel. Est-ce juste?
Mme Krantzberg : Parlez-vous de la participation du gouvernement fédéral?
Le président : Ce n'est pas un problème nouveau.
Mme Krantzberg : En effet.
Le sénateur Milne : On a conclu un accord en 2002, et on aurait dû continuer de travailler en vue du prochain.
Le sénateur Cochrane : On aurait dû le faire.
Vous dites que les gens aimeraient voir dans la LCPE une disposition particulière visant à « accélérer l'adoption de mesures énergiques » en ce qui concerne les polluants chimiques dans les Grands Lacs. Vous demandez ce qui suit :
... de faire cela en donnant au ministre le pouvoir de désigner la région « secteur d'importance ». C'est que la région est particulièrement vulnérable aux effets des substances toxiques et qu'un volume particulièrement élevé des substances en question s'y trouvent à être rejetées dans l'environnement.
Pouvez-vous décrire l'effet que cela aurait?
Mme Krantzberg : Pendant l'examen de la LCPE, beaucoup de gens ont proposé que la loi confère au ministre de l'Environnement la capacité de désigner des régions spéciales du Canada comme étant particulièrement susceptibles de recevoir des produits chimiques ou d'en produire en grande quantité. Deux des régions qui se démarquent sont l'Arctique, qui est particulièrement vulnérable, et les Grands Lacs, qui sont à la fois vulnérables et le berceau de la pollution. Cette mesure législative aurait pour effet d'accélérer le processus d'élimination de fait de certaines substances dans ces régions ou permettrait d'élaborer des programmes visant à réduire les risques pour les populations vulnérables de ces régions. La LCPE est une loi de portée nationale, mais elle serait ainsi assortie de priorités régionales qui auraient pour effet d'accélérer l'élimination des substances par l'industrie, la réduction des risques ou la communication des risques aux gens les plus vulnérables dans ces régions.
Cette mesure aurait pour effet d'accorder la priorité à certaines régions au chapitre de la prise de mesures.
Le sénateur Cochrane : Qu'en pensez-vous, monsieur Schwarcz?
M. Schwarcz : Je ne défends pas de cause; je ne fais qu'informer les gens.
Le sénateur Cochrane : Je suis sûre que vous avez une opinion là-dessus.
M. Schwarcz : J'ai une opinion : la LCPE fonctionne bien. Comme Mme Krantzberg l'a mentionné, les outils existent. Il s'agit de les utiliser.
Il y a une chose que j'aimerais dire au sujet du terme « produit chimique ». Ce n'est pas un terme négatif. Tout ce qui existe est fait de produits chimiques, et je trouve souvent, dans les discussions du genre de celles que nous avons aujourd'hui, qu'on utilise le terme comme un synonyme de « toxine » ou « poison ». Dans la presse, on trouve plus souvent qu'autrement le terme « produit chimique » suivi d'un adjectif, qui est presque toujours péjoratif : « produit chimique toxique », « produit chimique nocif », « produit chimique dangereux », et cetera. Les antioxydants que je vous vois consommer au moment où vous mangez votre deuxième portion de fruits de la journée contiennent autant de produits chimiques que l'APFO, le mercure ou le plomb. J'aimerais que le compte rendu indique que j'ai dit que le terme « produit chimique » n'est pas un terme négatif.
Le sénateur Milne : Nous devrions peut-être parler de nouveaux produits chimiques.
Le président : Certains d'entre eux sont même bons.
Le sénateur Mitchell : C'est l'une des premières réunions du comité à laquelle je participe. Si les exposés d'aujourd'hui sont représentatifs de ce qui s'en vient, j'ai la chance de faire partie du comité. Avant de passer à quelque chose de plus important, j'aimerais savoir ce que représentent une portion de fruits et une portion de légumes?
M. Schwarcz : C'est une bonne question, qui revient très souvent. C'est habituellement exactement ce que vous pensez que c'est. C'est une pomme, une poignée de raisins, un verre de jus. Pour ce qui est des légumes, c'est habituellement une demi-tasse.
Le sénateur Mitchell : Je suis terriblement frustré, parce que, dans tant de cas, le gouvernement ne semble pas bien comprendre l'urgence de régler ces questions. Je vais être plus ou moins tranchant à ce sujet, parce que c'est ma nature. On semble avoir des raisons pour remettre les choses à plus tard qui ne sont pas très bonnes. Les raisons qu'on mentionne souvent sont qu'il s'agit d'un fardeau économique, que c'est impossible à réaliser ou que nous sommes en train d'adopter une nouvelle loi.
Savez-vous s'il y a quelque chose dans la loi sur l'assainissement de l'air — ce qui est probablement un emploi impropre de l'expression « assainissement de l'air » — qui est nécessaire pour compléter ou pour appuyer la LCPE?
Vous dites que la LCPE suffit pour régler les problèmes auxquels nous faisons face, et que nous n'avons pas à attendre l'adoption de la loi sur l'assainissement de l'air, que la question est simplement pour le gouvernement de faire preuve d'engagement et de volonté politique.
Mme Krantzberg : Je suis d'accord avec ce que vous dites.
M. Schwarcz : Moi aussi.
Le sénateur Mitchell : En outre, en ce qui concerne la technique classique d'atermoiement et d'évitement qui consiste à dire que la mesure envisagée va faire s'écrouler l'économie, nous avons entendu, la semaine dernière, le ministre de l'Environnement dire, ce qui est incroyable, que si nous réglons la question de Kyoto comme il se doit, l'économie du Canada va s'effondrer comme l'économie de la Russie l'a fait, ce qui contredit le fait que le problème économique qu'a connu la Russie avait rapport non pas à l'environnement, mais bien, dans une grande mesure, aux banques. Cela ne s'applique aucunement à la réalité canadienne, et je suis convaincu que rien n'indique que cela puisse se produire, d'une quelconque façon.
En réalité, l'expérience dont vous nous parlez et les exemples que vous nous avez donnés indiquent qu'il y a un avantage économique énorme à s'occuper de l'environnement comme il faut. Je pense à l'exemple que vous avez donné du fabricant de produits chimiques qui a constaté qu'il devait changer quelque chose. Il faut le répéter encore et encore, rien ne prouve que de bien s'occuper de l'environnement nuit à l'économie. C'est toujours le contraire.
Mme Krantzberg : Je suis tout à fait d'accord avec vous. L'idée que l'économie et l'environnement ne peuvent aller de pair est très vielle, dépassée et non fondée.
Le sénateur Mitchell : Il s'agit d'un mode de pensée anachronique, qui date du XIXe siècle.
Mme Krantzberg : En 1992, on a formulé une idée actuelle, contemporaine et valable qu'on appelle « développement durable ou durabilité ». Cette idée est fondée sur trois piliers. Pour qu'une société se porte bien, elle a besoin d'entretenir sa vitalité économique, sa vitalité environnementale et son bien-être social. On entretient ces trois choses en même temps. M. Schwarcz a répété quelques fois que les entreprises sont intelligentes. La chimie est une chose brillante. Les entreprises peuvent faire fortune en inventant des produits chimiques sans effets négatifs et en révolutionnant leur industrie. Il s'agit d'une occasion économique. Il faut offrir à nos entreprises l'occasion d'innover de façon constructive et d'apporter des modifications à leurs produits pour les rendre inoffensifs. Voilà ce qui est le monde de la chimie verte et du XXIe siècle. Cela ne va pas à l'encontre de la croissance économique. Il va de soi que l'environnement doit être sain si l'on veut préserver la santé humaine, et qu'on ne peut rien fabriquer s'il faut constamment traiter les ressources comme des déchets. Chaque fois qu'on jette quelque chose, cela coûte de l'argent. Il y a une volumineuse documentation qui montre que les entreprises qui font preuve de responsabilité sociale épargnent de l'argent. Prétendre qu'il faut choisir entre croissance économique et respect de l'environnement est malhonnête.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie de votre réponse, qui a été parfaite.
Mme Krantzberg : Je me suis un peu emportée sur ce sujet.
Le sénateur Mitchell : C'est pareil pour moi, et pour le sénateur Angus, évidemment. Il ne nous reste plus qu'à convaincre le chef de son parti.
Une idée importante qu'on retrouve dans la LCPE, c'est que l'incertitude n'empêche pas la prise de mesures. Est-ce qu'il y a des signes selon lesquels cette idée est récupérée par le gouvernement dans sa démarche de lutte contre les changements climatiques?
J'ai toujours dit que, si nous nous trompons au sujet des changements climatiques, mais que nous agissons comme si ceux-ci étaient en train de se produire, nous ne pouvons nous faire du tort, mais que, au contraire, si nous nous trompons au sujet des changements climatiques et que nous n'agissons pas même si ceux-ci se produisent bel et bien, alors nous pouvons vraiment nous faire du tort. Il ne semble pas qu'on ait appliqué ce principe dans le domaine des changements climatiques. Est-ce que je me trompe?
Mme Krantzberg : Vous avez raison, et vous avez décrit ce que bon nombre de gens appellent une politique « irréprochable ». Travaillons en vue d'appliquer des mesures d'atténuation et d'adaptation. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, qui compte 2 000 chercheurs, croit que les changements climatiques sont anthropiques. Certains chercheurs ne sont pas d'accord. Ce débat va être éternel, et je ne veux pas y participer. Cependant, si nous essayons d'atténuer les changements climatiques, nous adoptons une politique « irréprochable ». Si nous commençons à nous adapter aux changements climatiques dans une région où les événements météorologiques seront plus extrêmes, ce qui aura des incidences sur le climat, l'agriculture, la foresterie et ainsi de suite, nous adoptons une politique « irréprochable ».
Le sénateur Mitchell : Le corollaire est que même si l'on pense que les changements climatiques ne sont pas anthropiques...
Le président : Je ne voudrais pas être impoli, mais j'aimerais que nous parlions des CPF et de la façon de régler le problème qu'ils posent dans le cadre de la LCPE, ce qui n'est pas lié aux changements climatiques. J'aimerais que vous vous en teniez à ce mécanisme.
Le sénateur Mitchell : Les substances chimiques en question contribuent-elles aux changements climatiques?
Mme Krantzberg : Je ne crois pas.
Le sénateur Mitchell : J'aurai essayé. Je suis arrivé en retard ce matin parce que j'ai participé à une réunion avec Mark Jaccard, et il soutient qu'on ne peut régler le problème des changements climatiques ou des émissions par la prise de mesures volontaires ni même par des subventions. Son argument est le suivant : les personnes ou les entreprises qui feront quelque chose si on leur offre des subventions le feraient de toute façon, et il est impossible de trouver et d'encourager les gens qui ne feront rien avec ou sans subventions.
Je pense que ce que vous dites au sujet des enjeux qui nous occupent aujourd'hui, c'est qu'il faut être explicites. Vous avez parlé de mesures volontaires qui ont été une réussite dans une certaine mesure, mais il me semble aussi que vous défendiez l'idée selon laquelle il faut établir des normes et des limites par voie réglementaire et être explicites.
M. Schwarcz : Je suis d'accord avec ce que vous dites, pour autant que le problème exige clairement une solution réglementaire, et qu'il y a des preuves scientifiques du danger que comportent les produits en question.
Les substances chimiques dont nous parlons aujourd'hui n'ont aucun effet sur les changements climatiques, mais les changements climatiques peuvent avoir un effet sur la manière dont ces produits chimiques se répartissent dans l'environnement.
Le sénateur Mitchell : Il y a donc un lien avec ma question. La question porte sur l'adaptation. Même si l'on ne croit pas que les changements climatiques sont anthropiques, si l'on croit qu'ils se produisent, il faut à tout le moins élaborer des politiques d'adaptation. Les gens soutiennent souvent que les changements climatiques ne sont pas anthropiques. Nous savons qu'ils sont en train de se produire, mais aussi qu'il s'agit de cycles, que des changements du genre se sont déjà produits. Si l'on est d'accord avec le fait que cela est en train de se produire, pourquoi ne rien faire dans le domaine de l'adaptation?
M. Schwarcz : Que le problème soit d'origine humaine ou naturelle n'a pas beaucoup d'importance, parce que si on fait quelque chose à ce sujet, peu importe la cause, on fait bel et bien quelque chose.
Le sénateur Mitchell : Au strict minimum, si l'on dit que cela est en train de se produire, il vaut mieux travailler à des mesures d'adaptation.
Mme Krantzberg : C'est incroyable de constater qu'il se passe si peu de choses au chapitre de la planification des mesures d'adaptation.
Le sénateur Mitchell : Je viens de l'Alberta, où nous faisons assurément face à des problèmes de qualité de l'air. Je n'ai pas vu de chiffres plus récents, mais, à la fin des années 1990, l'Alberta avait probablement les taux d'asthme les plus élevés au pays, ainsi que les plus hauts taux de décès d'enfants attribuables à cette maladie.
Y a-t-il un lien entre l'industrie pétrolière et ce genre de composés qui serait propre à l'Alberta?
M. Schwarcz : Pas que je sache. En fait, on utilise les composés fluorés comme gaz propulseurs dans les pompes pour l'asthme, en raison du fait qu'ils sont inertes.
Mme Krantzberg : Le fluor est un halogène. C'est un élément gros, lourd et inerte, d'où son utilité dans les substances dont nous avons parlé aujourd'hui. Il s'agit de composés qu'on fabrique; je ne crois pas qu'ils soient liés au pétrole.
M. Schwarcz : Je ne savais pas que l'Alberta avait des taux d'asthme aussi élevés.
Mme Krantzberg : Je pensais que Windsor était la capitale canadienne de l'asthme.
Le sénateur Angus : Des Montréalais vont en Alberta parce que le climat y est sec.
Le sénateur Mitchell : Les choses ont peut-être changé, mais le taux d'asthme est vraiment très élevé en Alberta. Il y a plus de 67 usines de traitement du gaz naturel dans la région d'Edmonton. On finit par se demander si cela n'a pas à voir avec les émissions de ces usines.
M. Schwarcz : C'est très possible. Les hydrocarbures émis au cours du traitement sont des irritants respiratoires.
Le sénateur Mitchell : Vous avez parlé du fait que nous sommes parvenus à régler les problèmes du DDT, des CFC et de la couche d'ozone, même si cela semblait impossible. Il est possible de faire quelque chose dans le domaine qui nous occupe. C'est très encourageant, et cela a des répercussions sur le réchauffement de la planète, ce qui peut par la suite avoir une incidence sur la manière dont ces autres produits chimiques réagissent.
Le président : Vous avez présenté des arguments convaincants qui, dans certains cas, sont à mon avis contradictoires.
Mme Krantzberg et notre témoin de la semaine dernière ont dit que les CPF n'avaient pas leur place, et que, dans la mesure du possible, nous devrions nous en débarrasser.
Monsieur Schwarcz, vous avez dit : « Ne soyons pas alarmistes et ne disons pas que le ciel va nous tomber sur la tête et que nous allons tous mourir parce que ce produit s'accumule », parce que nous n'allons peut-être pas mourir pour cette raison.
M. Schwarcz : Nous savons que nous allons tous mourir; la question est de savoir quelle sera la cause de notre mort.
Le président : Vous avec dit qu'il fallait peut-être régler le problème autrement qu'en prenant des mesures draconiennes. Vous avez dit que nous risquions d'éliminer du commerce des choses qui nous sont très utiles, qui ne nous causeront jamais de tort. J'essaie de mettre dans la balance les bons conseils que vous nous avez tous les deux donnés, afin de déterminer où nous devons nous situer.
En ce qui concerne précisément le SPFO, nous sommes tous d'accord pour dire que notre rapport comportera des observations sur le mercure, parce que les preuves sont irréfutables. Cependant, en ce qui concerne le SPFO et l'urgence de s'occuper de cette substance dans le cadre de la LCPE, aurions-nous raison de présumer qu'il s'agit, pour le moment du moins, d'une chose moins urgente?
M. Schwarcz : Je crois que oui, parce que je pense que le problème a été réglé. On a déjà pris des mesures, et DuPont soutient avoir réduit de 96 p. 100 ses émissions d'APFO et avoir mis au point des outils technologiques de rechange pour la fabrication du Téflon. Je pense que le problème va diminuer en importance.
Le président : Mme Krantzberg a dit que, malgré le succès de 3M à cet égard, il y a d'autres gens dans le monde qui n'ont pas fait comme cette entreprise et qui vont continuer de fabriquer des produits dont la chaîne comporte plus de huit liens. Pourquoi ces autres entreprises n'ont-elles pas imité 3M?
Mme Krantzberg : Peut-être des entreprises comme 3M écoutent-elles l'oracle et pensent-elles que si elles ne prennent pas de mesures de leur propre chef, on les forcera à le faire par voie réglementaire et elles préfèrent donc prendre l'initiative. Les entreprises aiment faire cela; C'est de la bonne gestion des produits.
Le président : Ou il s'agit peut-être de bonnes personnes.
Mme Krantzberg : C'est bon pour les affaires de montrer qu'on fait quelque chose pour limiter les dommages plutôt que de dire qu'il s'agit d'un poids économique. Cela permet d'obtenir une plus grande part du marché. Les autres entreprises n'envisagent peut-être pas la menace d'un règlement et elles ne se sentent pas pressées d'agir. Je ne peux faire de commentaires là-dessus du point de vue public.
M. Schwarcz : Dupont et 3M peuvent résoudre les problèmes, parce qu'elles disposent de plusieurs milliards de dollars. Les entreprises plus modestes ne peuvent résoudre immédiatement les problèmes elles-mêmes, mais elles vont calquer les solutions lorsque la technologie va entrer sur le marché.
Mme Krantzberg : Je suis d'accord avec M. Mabury lorsqu'il dit que les substances en question n'ont pas leur place, et que si des produits de rechange existent qui pourraient nous permettre de nous débarrasser de celles-ci, nous devrions les utiliser.
Les preuves ne sont pas aussi convaincantes que dans le cas du mercure, ce qui fait que l'urgence n'est peut-être pas aussi grande, en raison de ce que M. Schwarcz a dit au sujet du fait qu'on procède à l'élimination progressive des substances en question. Cependant, je suis d'accord avec M. Mabury parce qu'il dit que nous devrions nous débarrasser de ces substances.
Le président : Vous connaissez tous deux la LCPE. Vous avez dit, en réponse à des questions posées par le sénateur Angus et le sénateur Mitchell, que la loi est en place et que les lacunes, s'il y en a, existent parce qu'on n'applique pas la loi de la façon qu'il faudrait l'appliquer et dans la mesure dans laquelle il faudrait le faire.
La partie 5 de la LCPE impose des échéances, qui ont trait au contrôle des substances toxiques, et il faut garder en tête que « toxique » ne veut pas dire mortel.
Ces échéances obligatoires de la LCPE sont-elles les bonnes? Devons-nous les examiner? Sont-elles appliquées? Ont- elles la portée nécessaire pour qu'on fasse ce qui doit être fait?
Mme Krantzberg : Je pense que ces échéances sont plus lointaines qu'elles ne devraient l'être. Je pense qu'on peut accélérer la prise de mesures beaucoup plus qu'avec les échéances actuelles. D'autres témoins ont probablement dit la même chose.
Ils sont comme des outils. C'est une bonne loi, mais il y a des points faibles dans son application et une certaine lenteur qui n'est pas nécessaire. Le fonctionnement de la bureaucratie est une chose complexe, et je comprends cela, puisque j'ai travaillé pour le gouvernement pendant de nombreuses années, il n'y a pas de raisons pour que les échéances définies dans le cadre de la LCPE soient aussi longues qu'elles le sont.
M. Schwarcz : Je suis d'accord avec ce que vous dites, parce que des échéances plus courtes poussent à l'action et que, comme on l'a constaté en voyant ce que DuPont a pu faire, on agit lorsqu'on est pressé de le faire. Je suis d'accord avec l'idée que des échéances plus courtes peuvent forcer les entreprises à prendre des mesures.
Le président : Merci beaucoup. Vous nous avez livré des témoignages précieux. Il se peut que d'autres questions nous viennent à l'esprit au cours de délibérations ultérieures, et j'espère que vous nous permettrez de vous écrire pour vous les poser et que vous pourrez nous donner une réponse à ces questions par l'intermédiaire de notre greffière.
Le sénateur Angus : Une petite précision, madame Krantzberg : vous écrivez dans votre mémoire que vous avez témoigné devant un comité de l'autre Chambre. De quel comité s'agit-il?
Mme Krantzberg : Le Comité permanent de l'environnement et du développement durable.
Le sénateur Angus : Sur le même sujet?
Mme Krantzberg : Pas sur les composés perfluorés, mais sur la LCPE.
Le sénateur Angus : Monsieur le président, nos travaux interfèrent-ils avec ceux de ce comité? Je n'avais pas pris conscience du fait que le dédoublement était aussi important.
Le président : Dans une certaine mesure, oui, même si le comité en question n'a pas adopté la même démarche que nous.
Faisons-nous interférence? Non. Le comité de la Chambre s'est penché sur la question de l'environnement et de la LCPE à un autre moment, d'une autre manière. Le président de ce comité et moi nous sommes rencontrés à l'époque, et nous nous sommes mis d'accord sur le fait que nous n'allions pas emprunter la même voie ni aborder le même domaine, et que nous allions effectuer nos études de façons différentes, ce qui est en partie la raison pour laquelle nous avons décidé de faire deux études très précises. Le comité de la Chambre a fait une chose, et nous faisons autre chose.
Merci beaucoup à nos témoins. Votre témoignage nous a été extrêmement utile, et nous vous remercions du temps que vous avez pris pour venir ici.
La séance est levée.