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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 17 - Témoignages du 3 mai 2007


OTTAWA, le jeudi 3 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-288, Loi visant à assurer le respect des engagements du Canada en matière de changements climatiques en vertu du Protocole de Kyoto, se réunit aujourd'hui, à 8 h 8, pour en faire l'étude.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui poursuit son étude du projet de loi C-288.

Avant de commencer, j'aimerais vous présenter les membres du comité. À ma droite se trouve le sénateur Ethel Cochrane, éminente vice-présidente du comité, qui représente Terre-Neuve-et-Labrador. À sa droite, nous avons le sénateur David Angus, du Québec, et le sénateur Elaine McCoy, de l'Alberta. À ma gauche se trouvent les sénateurs Willie Adams, du Nunavut, et Grant Mitchell, de l'Alberta. Le sénateur Mitchell est le parrain du projet de loi dont le comité est saisi.

Nous accueillons parmi nous, ce matin, un représentant de la David Suzuki Foundation, M. Dale Marshall, analyste de la politique sur les changements climatiques; de Natsource, M. Doug Russell; et du Groupe TSX, M. Richard Nesbitt, chef de la direction.

Richard Nesbitt, chef de la direction, Groupe TSX : C'est avec plaisir que je prends la parole devant le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, chargé d'étudier le projet de loi C- 288. Mes collègues et moi sommes heureux d'avoir cette occasion de vous faire part de notre point de vue et de contribuer à cet important volet de l'élaboration des politiques publiques.

Le Groupe TSX gère la Bourse de Toronto, qui existe depuis environ 150 ans; la Bourse de croissance TSX, dont les bureaux sont à Calgary et qui compte 2 000 petites entreprises cotées; et le Natural Gas Exchange, le NGX, à Calgary, qui négocie dans les secteurs du gaz naturel et de l'électricité; ce sont, de façon générale, les grands émetteurs finaux qui font le commerce de l'énergie sur nos marchés.

Nous nous occupons également des marchés des valeurs à revenu fixe et des marchés de la dette avec Shorcan et CanDeal. Nos cinq bureaux au Canada sont situés respectivement à Vancouver, Calgary, Winnipeg, Toronto et Montréal, et dans chacun d'eux, les gens servent leur clientèle localement.

Nous sommes la septième bourse en importance au monde sur le plan de la capitalisation boursière depuis mars dernier, et la première en importance au monde pour le nombre sociétés ouvertes œuvrant dans les secteurs des mines et de l'énergie. Plus de 50 p. 100 des sociétés pétrolières et gazières et plus de 60 p. 100 des sociétés minières dans le monde sont inscrites au TSX, ce qui est en rapport avec le sujet dont nous traitons aujourd'hui.

Je viens vous parler aujourd'hui pour vous exprimer le point de vue d'un opérateur de marché, qui travaille avec une foule d'intervenants. Je veux souligner que je ne suis ni un économiste ni un scientifique de l'environnement. Je ne suis pas en mesure de commenter les effets économiques ou environnementaux du projet de loi ou de me prononcer sur les changements climatiques en général. Je ne suis pas un spécialiste de ces questions. Toutefois, il y a trois points dont je voudrais parler brièvement : tenir compte des émetteurs qui agissent dans un cadre stratégique destiné à entraîner des réductions cumulatives des émissions de gaz à effet de serre; encourager le Canada à utiliser le plus possible des mécanismes de marché qui favorisent l'efficience économique, tout en poursuivant les réductions des émissions; et je vous présenterai mes commentaires au sujet de Kyoto et de ses conséquences sur les marchés.

Pour respecter les engagements du protocole de Kyoto et contribuer aux réductions cumulatives des émissions, il faudrait entreprendre d'importants changements dans le mode de fonctionnement de plus de 3 800 sociétés ouvertes au Canada et, bien sûr, de beaucoup d'organisations. C'est ce qu'un grand nombre d'émetteurs nous ont indiqué. En effet, ils savent que diriger une société ouverte exige de faire des compromis, et que les entreprises florissantes peuvent gérer ces compromis dans le cadre d'une stratégie globale. Ces compétences seront essentielles pour faire face aux changements climatiques.

Il y a d'autres facteurs que les sociétés ouvertes doivent prendre en considération. Nous en avons discuté plus tôt cette année à Toronto, à nos installations du TSX, lorsque la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie a lancé son rapport final.

Par exemple, il y a des questions d'établissement et de divulgation des risques liés à des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, et de relation entre les fournisseurs de capitaux — investisseurs — et ceux qui se servent de ces capitaux pour financer leurs stratégies de croissance dans un contexte de prise de conscience accrue de ces facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance.

La transparence — autrement dit, faire rapport sur ces questions — revêt une importance grandissante et intéresse beaucoup les sociétés publiques. C'est ce qui se passe aujourd'hui sans l'adoption du projet de loi C-288 ou de toute autre mesure; les sociétés publiques examinent des façons de satisfaire à leurs exigences en matière de divulgation à cet égard.

La transparence dans les politiques publiques aide ces sociétés à remplir leurs obligations envers les actionnaires et les responsables de la réglementation. Alors, en sachant qu'un cadre stratégique est en place, les règles du jeu seront plus ou moins stables dans un avenir prévisible.

Par conséquent, dans vos délibérations sur le projet de loi C-288 — et sur les lois en matière d'environnement, de manière plus générale —, je vous recommande de tenter de trouver un équilibre entre la réduction appropriée de l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre et la santé économique tout en tenant compte des répercussions que ces modifications législatives auront sur les exigences auxquelles devront se plier les sociétés publiques canadiennes dans des domaines comme la transparence.

S'il y avait un cadre stratégique clair et des objectifs atteignables, les marchés de capitaux canadiens — qui comprennent les sociétés publiques dont j'ai parlé — s'adapteraient et continueraient de contribuer à la création d'emplois et de richesse d'un océan à l'autre.

Permettez-moi d'insister sur la question des objectifs parce qu'il s'agit d'une question cruciale pour nos clients. Ces objectifs en matière de politiques doivent être clairs et réalistes. À mon avis, ces objectifs font partie intégrante de la bonne gouvernance d'une société publique.

La deuxième partie de mon exposé porte sur l'utilisation des mécanismes du marché. Je tiens à expliquer clairement ce que nous considérons comme un mécanisme du marché, car c'est une expression au goût du jour que l'on emploie pour parler de la réglementation relative aux émissions de gaz à effet de serre.

Nous considérons qu'un mécanisme du marché est tout système de conformité qui permet à une entité de respecter les règlements en échangeant des droits d'émission avec d'autres, en plus de réduire ses émissions. Cela est particulièrement vrai s'il y a peu de restrictions concernant l'utilisation de tels échanges.

Trois éléments réduiront l'efficacité des mécanismes du marché : des solutions de rechange à la conformité qui font intervenir des taxes ou des contributions à un fonds, surtout s'il y a un plafonnement des prix; la sélection et le financement des projets de réduction des émissions et des occasions pour un groupe financé par des sanctions, des taxes et des contributions obligatoires et administré sans une surveillance constante du marché; et enfin, des obstacles interprovinciaux importants pour trouver les moyens les plus efficaces de réduire les émissions. Ces facteurs sont peut- être appropriés pour d'autres raisons de politique publique, mais je voulais signaler qu'ils réduiront l'efficacité des mécanismes du marché.

J'ai insisté sur cette différence pour une raison bien simple. Nous croyons que l'utilisation des mécanismes du marché par l'entremise d'échange de droits d'émission permettrait aux émetteurs de gaz à effet de serre canadiens de trouver le moyen le moins coûteux de respecter la réglementation relative aux émissions de gaz à effet de serre et, de cette façon, de réduire les difficultés économiques globales. Bref, les mécanismes du marché peuvent financer et financent l'innovation.

Je voulais parler de ce que nous commençons à appeler le secteur des technologies propres dans notre économie. Il est constitué d'un certain nombre des sociétés qui s'intéressent aux affaires liées à l'environnement.

Nous n'avons pas de définition exacte des technologies propres au Groupe TSX — mais nous y travaillons —, mais nous avons de nombreuses sociétés au Canada qui participent à ce secteur de notre économie. En fait, nous comptons plus de 80 sociétés au Canada cotées à l'une de nos deux bourses nationales qui oeuvrent dans le secteur des technologies propres. La capitalisation boursière de ces 80 sociétés s'élève probablement à environ 3,8 milliards de dollars à l'heure actuelle.

Parmi ces sociétés, citons notamment BioteQ Environmental Technologies Incorporated, qui est un émetteur de la Bourse de croissance TSX spécialisé dans l'épuration de l'eau, surtout dans les projets d'exploitation minière; Polaris Geothermal Incorporated, qui était inscrite à la Bourse de croissance TSX par le passé et fait maintenant partie de la Bourse de Toronto, et qui se consacre principalement à l'élaboration de projets géothermiques en Amérique latine; Ballard Power Systems Incorporated, établie un peu à l'extérieur de Vancouver, qui est cotée à la Bourse TSX et est un chef de file mondial en technologie de la pile à hydrogène; et enfin, la Canadian Hydro Developers Incorporated, qui est inscrite à la Bourse TSX et se spécialise dans les technologies liées à l'énergie renouvelable, éolienne, hydraulique et de la biomasse. De nombreux changements s'opèrent déjà dans l'industrie en vue d'assainir l'environnement et de réduire les émissions.

Pour terminer, j'aurais quelques mots à dire au sujet du Protocole de Kyoto. La plupart des discussions portant sur le protocole ont trait à des objectifs quantitatifs. Cependant, quelques-uns des mécanismes dans le protocole ne sont peut-être pas appropriés pour le Canada, pour le moment du moins, peu importe les objectifs quantitatifs choisis. Je proposerais que le Canada adopte séparément les mécanismes du marché qui lui conviennent le mieux dans l'avenir immédiat pour réduire les émissions et maintenir la santé économique, au lieu d'adopter tout simplement les mécanismes prévus dans le Protocole de Kyoto.

Les émetteurs et autres pollueurs à qui nous avons parlé se sont dits très préoccupés de l'efficacité des échanges de droits d'émission. Ils craignent surtout l'incidence de leurs propres échanges sur les prix du marché. Puisque nous sommes dans un marché petit au Canada, en termes relatifs, les crédits d'émissions seront restreints. Nous avons travaillé avec des émetteurs pour cerner des structures de marché précises qui réduiront ce risque pour les émetteurs.

Nous savons également qu'un bon nombre d'émetteurs canadiens semblent s'attendre à une activité importante au pays au chapitre des occasions de réduction des émissions — et nous espérons qu'ils ont raison. On les appelle des crédits de compensation, que nous trouvons encourageants. Toutefois, nous savons aussi que les mécanismes du Protocole de Kyoto sont davantage axés sur l'achat de crédits auprès des pays en voie de développement que sur d'importants crédits de compensation nationaux. C'est peut-être intentionnel. De plus, les mécanismes du Protocole de Kyoto ne sont pas facilement adoptés par des marchés d'échange d'argent. Ils semblent être plus facilement adoptés par des marchés hors cote.

Dans un contexte plus large, le Canada fait de plus en plus partie d'une économie continentale. Les gestionnaires d'entreprises qui travaillent dans ce contexte ont des décisions à prendre pour diriger leur société. Ces décisions font partie intégrante des échanges dont je parlais plus tôt.

Je vais revenir à ce que je disais tout à l'heure sur l'établissement d'objectifs réalistes et atteignables dans la loi que votre comité et l'ensemble du Parlement étudient. Peu importe ce qui se produira à cet égard, j'insiste sur le fait qu'il est temps d'agir; les marchés réagissent à l'action.

En résumé, nous exhortons les législateurs à trouver un équilibre entre la réduction appropriée de l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre et la santé économique tout en gardant à l'esprit les répercussions que cette modification législative aura sur les sociétés publiques. Nous encourageons vivement l'utilisation des mécanismes du marché et incitons le Canada à aspirer à être un chef de file dans le domaine des technologies propres dans le cadre de cette utilisation des mécanismes du marché.

Nous recommandons également que l'on accorde une grande attention à la conception de mécanismes du marché qui sont efficaces pour le Canada et cadrent avec sa situation actuelle particulière tout en demeurant ouverts à des partenariats nord-américains — avec les États-Unis et le Mexique. Là encore, nous croyons qu'il faut agir maintenant.

Dale Marshall, analyse de la politique sur les changements climatiques, Fondation David Suzuki : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous ce matin sur le projet de loi C-288. Il est important de se rappeler pourquoi nous sommes ici et quel est l'objet de notre discussion et de notre étude.

Le projet de loi C-288 est une mesure qui appuie le Protocole de Kyoto, l'autre possibilité étant que nous n'atteignions pas les objectifs du Protocole de Kyoto et options plutôt pour le plan des conservateurs en matière de changements climatiques dont nous avons pris connaissance la semaine dernière. L'approche que nous adopterons déterminera si nous nous attaquons de front aux changements climatiques ou si nous acceptons les changements potentiellement dangereux qui touchent notre planète.

J'emploie le mot « dangereux », car il se trouve dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui est une entente à laquelle le Canada a adhéré en 1992. Il y a 188 autres pays qui l'ont signée aussi. L'objectif de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est d'empêcher toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique — autrement dit, de prévenir un changement climatique dangereux. Évidemment, la question qui s'impose, c'est qu'est-ce qui est dangereux sur le plan des changements climatiques? Quel niveau de changement et de réchauffement est dangereux?

L'UE et de nombreux autres pays ont convenu qu'un réchauffement planétaire moyen de 2 degrés Celsius est le seuil au-dessus duquel les changements climatiques seraient dangereux.

Les membres du Conseil circumpolaire inuit ont annoncé qu'une hausse de 2 degrés Celsius entraînera fort probablement la disparition de la culture inuite au cours du siècle actuel. Elle signifiera que 25 p. 100 des espèces dans le monde seront en voie de disparition. Des segments importants de diverses calottes glaciaires, au Groenland et en Antarctique, de même que de nombreux glaciers, fonderont. C'est pourquoi le Climate Action Network International, une coalition de groupes environnementalistes internationaux qui luttent contre les changements climatiques, veut que cette hausse se stabilise à une température bien inférieure à 2 degrés Celsius. Bien franchement, nous manquons de temps pour agir, pour maintenir la hausse de température à moins de 2 degrés Celsius.

Qu'est-ce que cette stabilisation de la hausse de température en dessous de 2 degrés Celsius signifie pour le Canada et la planète? Essentiellement, en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, pour que le Canada assume l'entière responsabilité de sa propre contribution, il faudrait qu'il réduise ses émissions de 25 p. 100 d'ici 2020 et de 80 p. 100 d'ici 2050. À l'échelle planétaire, on doit réduire les émissions de plus de 50 p. 100, alors que le Canada, étant donné que nous sommes un pays riche et industrialisé qui produit des niveaux d'émissions élevés, doit les réduire de 80 p. 100.

Si nous prenons le plan des conservateurs que nous avons étudié la semaine dernière, au lieu d'une réduction de 25 p. 100 d'ici 2020, nous constatons qu'il prévoit une augmentation de 5 p. 100 d'ici 2020. Bien évidemment, ce pourcentage est nettement inférieur à ce que les scientifiques jugent nécessaire pour prévenir des changements climatiques dangereux.

En matière de droit international, le Protocole de Kyoto et le projet de loi C-288 obligent le Canada à réduire d'ici 2010 ses émissions de gaz à effet de serre de 6 p. 100 par rapport aux niveaux enregistrés en 1990. Le plan des conservateurs que nous avons étudié la semaine dernière permet que d'ici 2020 les émissions dépassent de 5 p. 100 les niveaux enregistrés en 1990 et, par conséquent, de 11 p. 100 l'objectif du Protocole de Kyoto en 2020, huit ans après la fin de la première étape du Protocole de Kyoto. Nous n'atteindrons pas les objectifs du Protocole de Kyoto avant 2025 environ.

La semaine dernière, le ministre de l'environnement a proposé essentiellement que le Canada aille à l'encontre du droit international en ne respectant pas ses engagements relatifs aux changements climatiques.

En ce qui concerne le rôle du Canada dans le monde et ses pairs mondiaux, 30 des 34 pays qui se sont fixé des objectifs sont en voie d'atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto. Le Canada est le seul pays qui n'essaie même pas de réaliser ces objectifs. Nous ne pouvons pas pointer du doigt la Chine et l'Inde et leur dire de prendre des engagements en matière de réduction des émissions si nous ne respectons même pas les nôtres.

Après la période de 2008 à 2012, l'UE a dit qu'elle sera prête à réduire ses émissions de 30 p. 100 d'ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990 si cela peut inciter ses partenaires mondiaux à en faire autant. La Norvège a déclaré catégoriquement que d'ici 2020, elle réduira ses émissions de 30 p. 100 par rapport aux niveaux de 1990, alors que les émissions du Canada seront toujours supérieures aux niveaux de 1990 d'ici 2020 s'il n'adopte pas le projet de loi C-288 et ne respecte pas ses engagements pris en vertu du Protocole de Kyoto.

Le ministre Baird a mis les gens qui l'ont critiqué au défi de nommer un pays qui déploiera plus d'efforts au cours des 13 prochaines années pour lutter contre les changements climatiques. Je viens de mentionner 26 pays qui mettront plus d'efforts au cours des 13 prochaines années. Tous ces pays ont une longueur d'avance sur nous. Les émissions par personne de l'UE sont en moyenne nettement inférieures à la moitié de celles enregistrées au Canada. Elle a déjà une économie qui produit peu de gaz à effet de serre. Elle a déjà pris des mesures importantes afin de les réduire et est disposée à aller encore plus loin.

Évidemment, il reste à savoir si le Canada sera capable d'atteindre les objectifs qu'il s'est fixés, compte tenu que le plan qui a été proposé est plein de lacunes, ce qui sape sa crédibilité.

Pour terminer, le Protocole de Kyoto visait uniquement à faire un premier petit pas pour permettre au Canada et au monde entier de commencer à entreprendre des réductions considérables des émissions pour éviter des changements climatiques dangereux. Le Protocole de Kyoto n'est pas uniquement un objectif; c'est aussi un processus. La période de 2008 à 2012 n'est que la première étape. Nous négocions actuellement avec le reste du monde pour déterminer les réductions d'émissions qui suivront. Nous avons pratiquement dit que nous n'étions pas vraiment intéressés par ces négociations puisque nous ne sommes pas vraiment intéressés à respecter même la première étape de notre engagement.

Le projet de loi C-288 nous permet de faire ce premier pas nécessaire et d'amener le reste du monde à participer à ces négociations. Nous devons faire preuve de leadership plutôt que de défaitisme. Le plan des conservateurs signifie un plus grand nombre d'années de retard et n'offre pas une réponse suffisante compte tenu des connaissances sur les changements climatiques, compte tenu du droit international et compte tenu de nos pairs internationaux.

Doug Russell, directeur général, Services de recherche et de consultation, Natsource : Je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui afin de parler des marchés du carbone, particulièrement en ce qui a trait au projet de loi C- 288, une loi visant à assurer le respect des engagements du Canada en matière de changements climatiques en vertu du Protocole de Kyoto.

En guise d'introduction, je travaille pour une entreprise appelée Natsource, un chef de file dans la gestion des émissions et des actifs en matière d'énergies renouvelables. Depuis 1995, Natsource se consacre aux marchés des émissions, le premier étant le marché du dioxyde de soufre qui a vu le jour grâce à la Clean Air Act aux États-Unis. Nous gérons actuellement l'un des plus grands pools du secteur privé dans le monde — d'une valeur d'environ 670 millions de dollars US — qui est conçu pour acheter des crédits pour la réduction des émissions de carbone, dans le cadre de projets dans le monde entier. Nous gérons également d'autres fonds pour investir dans des projets de réduction des émissions qui présentent un potentiel de haut rendement.

Mon rôle au sein de l'entreprise consiste à superviser le volet consultation et recherche de nos activités ici au Canada et de repérer des occasions d'investissement prometteuses dans d'autres pays, plus récemment en Extrême-Orient et en Afrique du Sud.

Avant de me joindre à Natsource en 2002, je dirigeais une petite entreprise de consultation qui offrait des conseils à plusieurs grandes sociétés canadiennes et multinationales sur leurs stratégies de lutte contre les changements climatiques. Avant de démarrer cette entreprise en 1996, j'ai eu le privilège de travailler pendant 20 ans au sein du gouvernement du Canada, dont trois ans à titre de codirigeant de la délégation de négociateurs du Canada pour la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la CCNUCC, soit le précurseur du Protocole de Kyoto.

Ce matin, j'aimerais souligner quelques-uns des faits saillants d'un rapport publié tout juste hier à Cologne, à une conférence qui se déroulait là-bas. Publié par la Banque mondiale et l'Association internationale pour l'échange de droits d'émission, le rapport porte sur l'état et les tendances du marché mondial du carbone. Natsource figure parmi l'un des collaborateurs à ce rapport annuel depuis sa création en 1996. Ces rapports, qui font autorité, présentent un aperçu du marché mondial du carbone d'aujourd'hui. Le rapport est résumé dans notre communiqué de presse, qui vous a été distribué.

Voici les principales constatations. Le marché mondial du carbone est passé à une valeur estimative de 30 milliards de dollars US en 2006, soit le triple de sa valeur en 2005. Pour placer cela dans un contexte, M. Nesbitt soulignera que la somme de 30 milliards de dollars représente une semaine de transactions dans la Bourse de Toronto. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit du marché environnemental ayant plus forte valeur dans le monde à l'heure actuelle.

Le système d'échange d'émissions de l'Union européenne, connu sous l'acronyme EU ETS, constitue de loin le plus grand marché du carbone, avec une valeur de 24,4 milliards de dollars US en 2006. De 2005 à 2006, la valeur des marchés fondés sur des projets a doublé dans le cadre des dispositions du Protocole de Kyoto concernant le Mécanisme de développement propre, le MDP, et la Mise en œuvre conjointe, la MOC, pour atteindre une valeur de 5 milliards de dollars. Les marchés volontaires de réduction par les entreprises et les particuliers ont connu une forte croissance, avec une valeur estimative de 100 millions de dollars l'année dernière.

Le marché de l'UE a connu une grande volatilité en 2006 pour les quotas portant sur la période de 2005-2007 — la première phase de leur exploitation — alors que les marchés fondés sur des projets du Protocole de Kyoto ont affiché une plus grande stabilité des prix.

Les acheteurs européens ont dominé le marché du MDP et de la MOC avec une part de marché de 86 p. 100. La part des acheteurs japonais a baissé de façon marquée en 2006 par rapport à 2005. Les acheteurs du secteur privé, surtout les banques et les fonds de carbone, ont continué d'acquérir de grands volumes d'actifs liés au MDP.

Comme perspective d'avenir, les analystes du marché s'entendent pour dire que le système d'échange d'émissions de l'UE, l'ETS, créera probablement une demande de 1 à 1,5 milliard de tonnes de crédits durant la période de 2008-2012. Cette quantité correspond presque exactement aux volumes non utilisés prévus dans la filière MDP-MOC à l'heure actuelle.

En m'appuyant sur le rapport de la Banque mondiale et sur l'expérience directe de notre entreprise dans le marché, j'aimerais faire valoir deux points en ce qui concerne l'offre mondiale potentielle et le prix des crédits de carbone pour la période de Kyoto, de 2008 à 2012.

Le rapport intitulé Coût du projet de loi C-288 pour les familles et les entreprises canadiennes, présenté à ce comité le mois dernier par le gouvernement, indique que seulement 85 millions de tonnes de crédits fondés sur des projets seront potentiellement disponibles pour achat par année durant la période de Kyoto. Le rapport dit que cela «... équivaut à moins d'un tiers de l'objectif de réduction annuelle du Canada. » Le même rapport présume que le coût de ces réductions fondées sur des projets durant la même période sera de 25 $CAN par crédit.

En se basant partiellement sur ces hypothèses, le gouvernement a postulé que les entreprises canadiennes seraient en mesure d'acquérir 75 p. 100 des 85 millions de tonnes, soit environ un quart des engagements du Canada en vertu du Protocole de Kyoto, et que le reste serait accompli en imposant une taxe sur le carbone de 195 $ la tonne afin de remplir les exigences du protocole.

Monsieur le président, le premier point que je veux faire valoir, c'est que nous croyons qu'il existe, et qu'il continuera d'exister, une offre mondiale beaucoup plus importante de crédits d'émissions fondés sur des projets disponibles pour achat. Au 31 mars 2007, il y avait 1,9 milliard de tonnes disponibles dans la filière d'approbation de projets MDP, valides pour la période de 2008 à 2012. Cela représente environ 380 millions de tonnes par an durant la période de Kyoto; une partie de ce montant a déjà été promise à des acheteurs, mais elle est potentiellement disponible pour achat sur le marché secondaire.

Toutefois, la filière ne tient pas compte du nombre de crédits d'émissions provenant des nouveaux projets qui sont actuellement en cours d'élaboration partout dans le monde — dans des endroits comme la Malaisie, l'Indonésie, l'Afrique du Sud et d'autre pays, où il y a beaucoup d'activités à la suite du Mécanisme de développement propre. Bien qu'il n'existe aucune façon de quantifier le nombre exact de crédits que ces nouveaux projets pourraient générer, le fait est que le volume des crédits fondés sur des projets a augmenté considérablement chaque année depuis l'entrée en vigueur du Protocole de Kyoto en 2005. La même année, on comptait 382 millions de tonnes de crédits fondés sur des projets. En 2006, ce chiffre a augmenté à 508 millions de tonnes — une hausse de 30 p. 100. Dans son rapport, la Banque mondiale indique qu'il ne serait pas surprenant qu'une forte demande additionnelle et que les signaux de prix parviennent à stimuler davantage la croissance dans la filière.

Par conséquent, si le Canada devait envisager l'achat de crédits d'émissions sur le marché international, il y aurait considérablement plus de crédits disponibles que les 85 millions de tonnes prévues par le gouvernement dans son analyse économique.

Le deuxième point concerne le prix pour les crédits d'émissions fondés sur des projets. Il est intéressant de noter que la Banque mondiale a indiqué hier que le prix payé en 2006 pour la vaste majorité de ces crédits dans les échanges commerciaux futurs durant la période de Kyoto entre 2008 et 2012 variait de 6 à 11 euros et que le prix moyen de tous ces échanges commerciaux en 2006 était de 8,4 euros, c'est-à-dire 12,65 $CAN. Ce prix était supérieur d'environ 50 p. 100 au prix observé en 2005.

Il n'est pas possible de prévoir avec certitude quel pourra être le prix dans les années à venir, donc je ne vais pas contester le prix de 25 $ présumé par le gouvernement dans son rapport au comité. Toutefois, je dirais que les entreprises et les gouvernements qui ont décidé de participer très tôt au marché du carbone ont été en mesure d'acquérir des unités valides de conformité de Kyoto à un coût raisonnable et qu'ils ont acquis une expérience précieuse pour la participation future au marché mondial.

En ce qui concerne le projet de loi C-288 et la possibilité pour le Canada d'atteindre ses objectifs du protocole dans les délais prescrits et à un coût raisonnable pour le pays, il nous faudra faire des achats importants sur le marché international, probablement bien au-delà des 50 p. 100 de l'écart prévu qui nous sépare de nos objectifs du Protocole de Kyoto. Nous croyons que l'offre serait disponible, dans l'hypothèse que le Canada, en plus de faire d'importants achats de crédits fondés sur des projets — MDP et MOC — achèterait également des unités de quantité attribuée, des UQA, en vertu du Protocole de Kyoto, auprès de pays en transition vers une économie de marché. Cependant, le Canada risque d'arriver bien tard sur ce marché à l'heure où les bonnes affaires s'envolent et, par le fait même, d'avoir une expérience limitée pour faire des transactions. Par conséquent, même avec un recours intensif au marché international du carbone, je crois que la réalisation des objectifs du projet de loi C-288 poserait un défi de taille pour le Canada.

Le sénateur Adams : Vous avez mentionné certaines de nos préoccupations concernant les changements climatiques, surtout lorsqu'on vit comme moi dans un pays froid comme l'Arctique. Je vis à Rankin Inlet depuis plus de 40 ans. Avant de descendre ici, je vais habituellement à la chasse durant les fins de semaine. J'installe mes filets dans les lacs en hiver et je fais la chasse aux phoques au début de l'hiver et au printemps.

L'année dernière, je me trouvais sur la glace marine — je connais bien la région après 40 ans. Les glaces et la mer sont en train de changer, surtout cette année. En octobre, à marée haute, la mer avait atteint un niveau supérieur d'environ trois pieds au niveau normal. C'est la première fois que je vois cela dans les 40 ans où j'ai vécu à Rankin Inlet. Nous utilisons cette marée haute pour mettre nos embarcations à l'eau. Nous avions des huskies attachés près du rivage et, comme la marée était si élevée, certains de nos chiens se sont noyés. Les habitants n'avaient jamais vu une telle marée haute.

Nous parlons du CO2, du carbone qui pollue l'air et du mercure. Les scientifiques étudient actuellement les effets sur les mammifères. Quel pourcentage s'en va dans l'air et se retrouve dans l'Arctique? Ou ces produits se déplacent-ils dans l'eau? Comment faire pour le savoir? Le taux de mercure dans le sang est trois fois plus élevé chez les habitants de l'Arctique et cela touche les phoques, les baleines, le poisson et les caribous. Le climat change-t-il à cause de la pollution ou est-ce un phénomène naturel? Nous voulons savoir pourquoi le climat est en train de changer, surtout à cause du fait que ce phénomène est plus visible dans l'Arctique.

M. Marshall : Je ne suis pas un expert en matière de contamination chimique et de sa circulation dans le monde. Vous soulevez deux questions différentes. À cause des systèmes de transport mondiaux, les produits chimiques utilisés partout dans le monde finissent par se retrouver dans le Nord. Même si les régions du Nord utilisent ou émettent peu de contaminants chimiques, ceux-ci finissent par s'accumuler là-bas.

L'autre question concerne les changements climatiques. Malheureusement, encore une fois, le Nord semble être touché de façon inversement proportionnelle à sa contribution au problème. En ce qui a trait aux changements climatiques, il est clair que le Nord se réchauffe beaucoup plus rapidement que le réchauffement moyen planétaire, ce qui explique pourquoi il s'agit d'une préoccupation importante pour l'infrastructure et la culture des habitants du Nord.

Je peux expliquer, si vous voulez, la raison pour laquelle le Nord se réchauffe plus rapidement qu'ailleurs, mais nous constatons essentiellement que le Canada, qui est un pays nordique, connaîtra un réchauffement supérieur à la moyenne. Cela vaut particulièrement pour le Nord, même si les répercussions se feront sentir — et se font déjà sentir — dans le sud du pays.

Le sénateur Adams : Je n'ai aucune connaissance de scientifiques qui font de nouvelles études; ils ne font que parler du réchauffement planétaire. Qu'en est-il du cas de cette famille il y a deux ans dans une mine de cuivre? Ces gens se déplacent habituellement sur la mer. Nous pouvons voir que le danger est différent dans le cas de l'eau douce et dans celui de l'eau salée. Au cours des dernières années, nous ne pouvons plus le voir, surtout pour ce qui est de la glace marine. L'année dernière, au cours d'une chasse, j'ai eu l'impression de voir de l'eau à la surface de l'eau tempérée. Je me suis approché avec ma motoneige pour constater qu'il s'agissait d'eau libre. En général, avant que cela devienne dangereux, tout se vide dans le trou, jusqu'à la mer, à partir de la surface de la glace. Maintenant, il y a encore de la neige au-dessus et la fonte se fait par en dessous.

C'est le genre de phénomènes que les gens connaissent, surtout les aînés. Ils connaissent les dangers différents de la glace d'eau douce et de la glace d'eau salée. Maintenant tout est un peu différent. Les scientifiques n'examinent pas ce fait; ils ne font qu'examiner le CO2 dans l'air et les toxines, et il n'existe aucune étude sur les différences que l'on observe maintenant dans la neige et dans la glace.

M. Marshall : Votre expérience concrète et celle des résidents du Nord sont utiles pour la science et contribuent à son avancement. Je sais que le gouvernement du Nunavut a réussi à bien intégrer les connaissances autochtones, et surtout celles des aînés, aux modes plus conventionnels de compréhension scientifique du changement climatique.

Il est important que nous poursuivions dans le même sens. Il y a des gens qui sont disposés à nous faire profiter de leurs connaissances directes des changements qui surviennent, particulièrement dans le Nord où la situation évolue beaucoup plus rapidement.

Le sénateur Cochrane : Le gouvernement a présenté une analyse des moyens à mettre en œuvre par le Canada pour satisfaire aux exigences de ce projet de loi. Est-ce que vous-même ou votre organisation avez mené une analyse approfondie semblable?

M. Marshall : Non, mais je suis tout à fait prêt à examiner les hypothèses qui ont servi de base à cette étude et à vous expliquer pour quelles raisons elles ne correspondent pas à la réalité.

Le sénateur Cochrane : Mais vous n'avez effectué aucune analyse?

M. Marshall : Aucune.

Le sénateur Cochrane : Et vous, monsieur Russell?

M. Russell : Non, nous n'avons pas réalisé d'étude sur la question. Cela ne relève pas de nos compétences.

Le sénateur Cochrane : Qu'en est-il de votre organisation, monsieur Nesbitt?

M. Nesbitt : Nous non plus. Nous nous sommes penchés sur les différents aspects liés aux mécanismes du marché et aux effets des échanges, mais nous n'avons pas poussé plus loin notre analyse.

Le sénateur Cochrane : Monsieur Marshall, à notre dernière séance, nous avons reçu les représentants de l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Voici ce que nous a dit M. Hyndman :

Le commerce nord-américain soulève beaucoup de discussions. C'est comme si nous disions que parce que nous n'allons pas atteindre notre objectif, nous allons payer les Américains pour effectuer des réductions. Les États-Unis sont le plus grand émetteur au monde. Le monde a besoin de toutes les réductions qu'ils peuvent faire eux-mêmes sans prétendre qu'il s'agit de réductions canadiennes, de manière à ce qu'au total, nous réduisions tous moins nos émissions. Nous ne faisons que nous soumettre à des taxes des entreprises américaines, que nous payons pour qu'elles réduisent leurs émissions alors qu'elles devraient les réduire de toute façon.

Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Êtes-vous d'accord avec les points de vue exprimés par M. Hyndman?

M. Marshall : En toute franchise, je ne comprends pas parfaitement la position de M. Hyndman.

Le Protocole de Kyoto et le projet de loi C-288 obligent le Canada à atteindre les objectifs établis. Nous n'aurions rien à payer aux États-Unis parce que ce pays n'est pas signataire du Protocole de Kyoto. Si nous devions acheter des crédits internationaux, nous nous adresserions à des pays qui ont adhéré au protocole. Comme M. Russell pourrait vous l'expliquer et comme il l'a déjà fait, de nombreux crédits sont disponibles sur le marché. Dans le cas du Mécanisme pour un développement propre, 1,9 milliard de tonnes d'émissions sont accessibles dans le pipeline, une quantité beaucoup plus considérable que celle utilisée comme base par M. Baird pour son modèle.

Il faudra que nous participions au marché international du carbone, mais je ne pense pas qu'il va y avoir des échanges avec les États-Unis parce qu'ils n'ont pas adhéré au protocole.

Le sénateur Cochrane : Ce sont des déclarations de M. Hyndman, de l'Association canadienne des producteurs pétroliers. C'est ce qu'il nous a affirmé mardi.

M. Nesbitt : C'est exactement ce que je disais. Le Canada évolue désormais essentiellement au sein d'une économie continentale. Nous sommes régis par l'Accord de libre-échange nord-américain. La moitié du gaz naturel que nous produisons est exporté aux États-Unis. Nos industries respectives sont fortement intégrées.

Pour bien des entreprises, les décisions se prennent dans une perspective continentale. Si les opérations au Canada deviennent plus coûteuses par rapport aux États-Unis, nous pourrions voir davantage d'investissements en capitaux au sud de la frontière. C'est ce que je disais tout à l'heure, et je crois que M. Hyndman aborde la situation sous un angle différent pour faire valoir que si nous avons un marché nord-américain d'échanges d'émissions, nous pourrions acheter des crédits à l'échelle du continent auprès des États-Unis ou encore du Mexique. On injecterait ainsi des fonds dans ces économies qui pourraient les utiliser sous forme de compensations ou de crédits.

Est-ce une bonne ou une mauvaise chose, ou est-ce que cela permet d'atteindre les objectifs de réduction des émissions de carbone? C'est une question sur laquelle il convient de se pencher.

Je serais plutôt en désaccord avec M. Hyndman. On ne peut pas se permettre de porter un jugement sur la valeur de telles mesures. Il s'agit d'une autre façon d'atteindre les objectifs en matière de réduction des émissions à l'échelle nord- américaine. Il est préférable d'intervenir dans une perspective continentale étant donné que nos économies sont très étroitement liées. Si nous n'agissons pas à l'échelle du continent, nous pourrions inciter les investisseurs à diriger leurs capitaux ailleurs, ce qui n'est pas nécessairement ce que nous souhaitons.

Le président : Nous comprenons bien; on nous a dit que l'achat de crédits d'émissions générés aux États-Unis ne peut être pris en compte pour l'atteinte des objectifs de Kyoto.

M. Nesbitt : Les États-Unis ne sont pas signataires du Protocole. Ce projet de loi vise l'atteinte des objectifs du Protocole de Kyoto. Par conséquent, cela ne vous servirait à rien. Si ce sont ces objectifs que vous souhaitez atteindre, cela ne vous aiderait aucunement.

Le sénateur Cochrane : Est-ce qu'un régime canadien d'échanges de droits d'émissions diminuerait les coûts totaux associés à l'atteinte des cibles réglementées?

M. Marshall : Oui, bien évidemment. Avec l'ouverture du marché international, le Canada et les entreprises canadiennes ont accès à des crédits, peu importe l'endroit où ils sont générés. Nous avons l'occasion d'acquérir des unités de réduction certifiée des émissions à moindre coût par l'entremise, notamment, du Mécanisme pour un développement propre. Ainsi, l'hypothèse fondamentale qui sous-tend le rapport du ministre Baird est tout à fait erronée, parce qu'elle limite considérablement la quantité de crédits disponibles et parce qu'elle nous oblige à générer toutes les réductions requises ici même au Canada au cours des cinq prochaines années en imposant une taxe de 195 $ la tonne sur le carbone. Personne n'a dit rien de tel. Si vous ouvrez le marché international dans le cadre du Protocole de Kyoto et permettez l'échange d'unités de réduction certifiée des émissions venant s'ajouter à celles qui auraient été réalisées de toute façon, avec vérification par un tiers, vous donnez la possibilité au Canada de respecter ses engagements de Kyoto d'une façon beaucoup moins coûteuse et beaucoup plus avantageuse sur le plan économique.

M. Russell : Vous demandiez si un régime canadien d'échanges de droits d'émissions permettrait théoriquement de réduire les coûts. Bien évidemment, la réponse est oui.

Il faut noter que les marchés fonctionnent mieux lorsqu'ils sont de plus grande taille et que pour profiter des économies que nous recherchons, nous avons besoin de liquidités. En vertu du programme actuellement mis de l'avant par le nouveau gouvernement, on pourrait réaliser, au cours de la première année, 70 p. 100 des réductions d'émissions visées au prix de 15 $ via la contribution à un fonds. Il n'existe nulle part ailleurs au monde un marché fixant un plafond de ce genre sur les prix. On a dans certains cas des dispositifs qui s'enclenchent lorsque les prix sur le marché intérieur dépassent un certain seuil; on ouvre alors l'accès aux autres marchés. Il n'est pas question de fixer un prix pour le paiement d'un droit qui est versé à un fonds pour se conformer aux engagements pris.

On introduit ainsi un élément artificiel dans le marché ce qui, comme M. Nesbitt l'indiquait précédemment, nuit à son bon fonctionnement. Nous le savons tous.

Par conséquent, si nous envisageons la possibilité d'un marché intérieur au Canada, il faut d'abord considérer le fait que nous ne constituons pas une force économique d'importance. Si on se compare à d'autres pays, nous ne figurons pas parmi les premiers. À l'échelle planétaire, le marché des émissions est d'une valeur de 30 milliards de dollars. Pour l'instant, c'est l'Europe qui détient la plus importante part du gâteau à ce chapitre.

En réalité, il faut considérer l'option de payer 15 $ pour une conformité garantie par rapport à la possibilité d'un marché intérieur de compensation pour lequel des preuves doivent être fournies. Il faut démontrer que le projet génère effectivement les réductions prévues, dans les délais impartis, et dans la mesure envisagée, en sachant que le marché pour ces réductions serait limité à environ 30 p. 100 du total imposé comme objectif aux grands émetteurs finaux. Il y a donc peu d'espoir à court terme qu'un marché canadien puisse être établi afin d'offrir une indication de prix significative ou une approche véritablement rentable quant au respect des engagements.

Cependant, si un tel marché parvient à s'établir à plus long terme, ce serait formidable. Je ne crois pas que le plan actuellement proposé soit susceptible de stimuler l'émergence d'un marché intérieur.

Le sénateur Cochrane : Pourriez-vous nous dire, monsieur Marshall, si d'autres pays éprouvent des difficultés à atteindre leurs objectifs de Kyoto?

M. Marshall : Oui. Comme je l'ai déjà indiqué, il y a trois autres pays qui ont des problèmes.

Le sénateur Cochrane : Seulement trois?

M. Marshall : L'Union européenne a un objectif global inférieur de 8 p. 100 aux niveaux d'émissions de 1990. Certains pays européens ont des émissions très élevées; d'autres ont déjà atteint leurs objectifs de réduction. Les pays de l'UE se sont entendus pour partager le fardeau à cet égard. L'Union européenne dans son ensemble est en bonne voie d'atteindre ses cibles pour Kyoto; certains pays feront mieux encore, alors que d'autres n'atteindront pas leurs objectifs.

En plus de ces 25 pays, une poignée d'autres devraient aussi atteindre leur objectif; il y a toutefois quelques pays comme le Japon et la Norvège qui éprouvent des difficultés. Le Canada se distingue en étant le seul pays à avoir déclaré qu'il n'allait même plus essayer d'y parvenir. Le Japon et la Norvège continuent de mettre de l'avant des plans, de renforcer leurs politiques et d'investir dans des crédits internationaux et même d'exercer de fortes pressions en prévision des négociations qui suivront 2012. La Norvège s'est déjà engagée à réduire ses émissions de 30 p. 100 par rapport aux niveaux de 1990 d'ici 2020. Il s'agit d'un exemple intéressant, car la situation de ce pays est assez semblable à celle du Canada. C'est un pays nordique qui n'a pas une population importante par rapport à sa superficie. C'est également un pays exportateur de pétrole et de gaz. Par conséquent, tous les motifs invoqués pour faire valoir que le Canada ne peut rien faire relativement aux changements climatiques se révèlent fallacieux à la lumière des interventions plutôt musclées de la Norvège à ce chapitre.

Le sénateur Cochrane : M. Page, un professeur de l'Université de Calgary, a également participé à notre séance de mardi. Il nous a dit que tout le processus du Mécanisme pour un développement propre est trop bureaucratique. Il faut compter un minimum de 18 mois uniquement pour la conceptualisation des projets, ce qui ne garantit même pas la génération de crédits suffisants pour atteindre les objectifs de Kyoto. Dans ce contexte, comment allons-nous parvenir à réduire nos émissions de 35 p. 100 dans un délai de huit mois?

M. Marshall : Je vais répondre, mais il se peut que M. Russell ait également des commentaires à ce sujet.

Nous ne pouvons pas jouer sur les deux tableaux pour ce qui est du Mécanisme pour un développement propre. Le gouvernement et les critiques de Kyoto ont fait valoir qu'il y avait une grande quantité de crédits peu significatifs, et c'est tout à fait vrai. Le Mécanisme pour un développement propre est davantage bureaucratique parce qu'il faut s'assurer que les réductions sont certifiées; c'est un tiers qui se charge de cette vérification. C'est un outil qui nous permet de garantir que les projets qui obtiennent des crédits génèrent de véritables réductions des émissions. Certaines formalités administratives sont nécessaires si nous voulons nous assurer de ne pas simplement acquérir des crédits d'air chaud. Nous ne pouvons pas critiquer, d'une part, le Protocole de Kyoto parce qu'il permet l'échange de tels crédits et, d'autre part, le Mécanisme pour un développement propre en raison de son caractère bureaucratique.

Le sénateur Cochrane : Nous avons une échéance à respecter, cependant.

M. Marshall : Comme M. Russell l'a souligné, il y a 1,9 milliard de tonnes de crédits dans le pipeline du Mécanisme pour un développement propre, alors même que le Canada envoie un message négatif en indiquant que nous n'allons pas participer de façon significative au marché du carbone.

M. Russell : Le Mécanisme pour un développement propre a amorcé ses activités pour de bon en 2004-2005. On n'avait jamais rien connu de tel auparavant. Il fallait arriver à comprendre toutes les méthodologies utilisées pour être en mesure de déterminer ce qui serait survenu si un projet n'avait pas été mis en œuvre et de quelle ampleur auraient été les émissions. Une fois le projet mis en place, il fallait quantifier les réductions réalisées. C'est exactement ce que ce mécanisme permet de faire.

Effectivement, le processus était bureaucratique au départ. Et oui, il est encore bureaucratique. Il faut du temps; cela ne fait aucun doute. Cependant, les délais ont pu être raccourcis grâce à l'expérience acquise. En définitive, il existe différentes formes de technologies et d'approches qui peuvent être envisagées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, cela demeure limité et comme nous nous sommes déjà penchés sur un nombre croissant de ces possibilités qui créaient des précédents, il n'est plus nécessaire pour nous de refaire à chaque fois ce laborieux travail d'approbation de la méthodologie, comme c'était le cas au départ.

Nous avons constaté une diminution des délais d'approbation de ces crédits à la faveur de l'expérience accumulée. Le processus demeure lent; bon nombre des échanges se font sous forme de ventes à terme. Autrement dit, nous achetons les crédits en prévision du moment où le projet sera effectivement mis en œuvre. Disons par exemple qu'un projet débutera en 2009. Toutes les approbations requises peuvent être fondées sur les plans établis, ce qui fait qu'au moment où le projet commencera à générer des réductions, toutes les étapes nécessaires à l'approbation auront été franchies et on pourra maximiser le nombre de crédits obtenus. Il est avantageux pour les promoteurs, ceux qui seront payés pour les crédits découlant de ces projets, d'obtenir les approbations voulues aussi rapidement que possible.

J'admets qu'il y a beaucoup de bureaucratie, mais les délais d'approbation ont diminué et il faudra toujours compter sur un processus semblable parce que, en définitive, si l'intégrité environnementale n'est pas assurée, les crédits sont sans valeur. C'est un élément qu'il faut absolument prendre en compte. J'estime aussi important de souligner que le gouvernement a reconnu, dans son propre mémoire présenté à ce comité relativement au projet de loi C-288, que le Mécanisme pour un développement propre permet d'assurer l'intégrité environnementale. Il faut surtout noter que c'est la première fois que le gouvernement fait une telle affirmation.

Le président : Nous semblons concentrer notre attention sur les échanges ce matin. Je tiens à rappeler aux membres que notre comité directeur a déterminé que nous allions recevoir jeudi prochain les représentants de l'Association internationale pour l'échange de droits d'émission. Nous obtiendrons alors plus d'information à ce sujet.

Je voudrais que vous me considériez pendant un instant comme un citoyen canadien qui regarde nos délibérations à la télévision. Je comprends jusqu'à maintenant — parce que c'est ce que m'ont dit les gouvernements qui se sont succédé, y compris le gouvernement actuel et celui qui l'a précédé — que l'objectif visé est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre au Canada. Je vous demande donc de m'expliquer comment nous pouvons y parvenir en achetant des crédits d'émission, que la réduction soit certifiée ou non, qui ont été générés en Malaisie.

Le sénateur Angus : Si vous me permettez d'intervenir un instant, monsieur le président, je voulais poser exactement la même question, sauf peut-être que j'aimerais pousser l'affaire un peu plus loin. Nous sommes très privilégiés d'avoir ces experts à notre disposition ce matin. Pour obtenir une perspective différente à ce sujet, et en guise de contexte pour notre séance de la semaine prochaine, j'aimerais compléter votre question en demandant à nos témoins de nous considérer comme des citoyens qui regardent à la maison et de nous expliquer tout le système de l'échange des crédits d'émission et son fonctionnement. C'est ainsi qu'on peut en arriver à se demander comme vous comment diable ces échanges pourraient amener une réduction des émissions de gaz à effet de serre ici même au Canada. Je suis persuadé que vous avez d'excellentes réponses à nous donner à ce sujet.

M. Russell : Je vais devoir puiser dans mon bagage d'expérience. Il y a fort longtemps, j'ai été spécialiste des prévisions météo pour des endroits comme Gander, à Terre-Neuve.

Le président : Vous aviez une bonne moyenne?

M. Russell : On ferait mieux de parler d'autre chose.

Le sénateur Angus : Je peux vous dire, après avoir entendu l'histoire tragique de ces chiens huskies qui se sont noyés lors de la première grande marée de l'année à Rankin Inlet, que nous avons vraiment besoin de spécialistes météo dans ces régions.

M. Russell : Peut-être bien.

J'ai eu le privilège de passer du temps avec des scientifiques. Le dioxyde de carbone et les gaz à effet de serre qui sont à l'origine du réchauffement planétaire se prêtent bien à un système d'échange des droits d'émission — de fait, ce sont peut-être les substances qui s'y prêtent le mieux, surtout sur le plan mondial. Il ne faut pas oublier que toute molécule de dioxyde de carbone émise dans l'atmosphère y demeure pendant une centaine d'années. Cette substance fait donc partie intégrante de notre atmosphère. Une telle molécule émise en Malaisie pour se retrouver dans l'atmosphère peut contribuer à causer un forçage radioactif — lequel serait alors à l'origine du réchauffement climatique selon les scientifiques — et aurait en ce sens exactement le même impact environnemental qu'une molécule semblable émise à partir du Canada.

Par conséquent, si l'on tient compte de l'environnement et d'un objectif environnemental — et il s'agit d'un accord environnemental mondial — peu importe que nous éliminions une tonne de dioxyde de carbone en Malaisie ou au Mexique ou ailleurs, si nous éliminons cette tonne quelque part dans le monde, l'effet sera exactement le même sur le problème que nous essayons de régler.

C'est pourquoi, dès le début des négociations de la CCNUCC, dès les années 1990, lorsque je faisais partie de la délégation et que je m'occupais de la dimension politique, de la dimension juridique de la convention, le monde avait reconnu qu'il faudrait certaines dispositions pour que nous puissions amener d'autres pays à y participer. La CCNUCC reposait sur le postulat qu'il y aurait des responsabilités communes, mais aussi différenciées pour divers pays.

Le forçage radiatif est causé en majeure partie par les molécules de dioxyde de carbone émises par l'industrialisation des pays développés. Par conséquent, il a été négocié — et ce sont des accords politiques négociés — que les pays développés prendraient les devants dans la réduction de leurs émissions. Toutefois, nous avions reconnu également que les pays en développement devaient donner leur adhésion et qu'il fallait s'assurer d'une certaine façon que des mesures seraient prises dans ces pays.

Le gouvernement d'un pays développé ne peut forcer d'autres pays à déployer certaines technologies pour la lutte aux gaz à effet de serre. Les droits souverains des pays doivent être respectés. Ce serait ridicule que des gouvernements qui ne possèdent pas ces technologies s'engagent à les déployer dans des pays comme la Chine, l'Inde ou ailleurs. La seule façon d'en arriver là, c'est d'instaurer un mécanisme de marché pour que ce soit avantageux pour les entreprises d'investir dans ces divers projets de réduction des émissions dans divers pays du monde.

Une partie du raisonnement derrière l'accord original qui a conduit au Protocole de Kyoto était qu'il serait possible au fil du temps d'établir un système mondial d'échange des émissions qui permettrait d'atteindre l'objectif environnemental, c'est-à-dire réduire les tonnes de dioxyde de carbone et de gaz à effet de serre, et de faire en sorte que ce système soit lié à un signal de prix mondial.

C'était le raisonnement sous-jacent aux discussions qui avaient lieu à cette époque. Un marché mondial est donc apparu, qui n'est pas encore entièrement mondial, mais il est en train d'apparaître. Je peux dire d'après mon expérience qu'il y a beaucoup d'activité dans divers pays du monde visant à réduire les gaz à effet de serre, beaucoup plus qu'il y a trois, quatre ou cinq ans, parce que tout à coup, il existe un signal de prix dans ces pays.

Chose paradoxale, il n'y a pas autant d'activité au Canada à ce chapitre. D'autres pays du monde sont plus actifs. Des technologies plus novatrices y sont déployées parce qu'il y a un profit à en retirer.

Pour répondre à votre question, du point de vue de l'environnement — et nous parlons d'un traité environnemental ici, ou du moins d'un traité ayant une dimension environnementale qui comporte aussi des éléments économiques — peu importe dans quel pays où nous éliminons une molécule de dioxyde de carbone, l'effet avantageux pour l'environnement serait exactement le même. C'est pourquoi un système d'échange des émissions fonctionne en particulier pour un enjeu mondial de cette nature.

M. Nesbitt : Je vais être très franc. Je ne rejette pas ce que M. Russell a dit, mais le fait demeure que si on achète un crédit en Malaisie, on ne réduit aucunement le bilan carbone de l'industrie canadienne. C'est ce que j'ai fait valoir au sujet de la technologie propre. Nous aimerions qu'un investissement dans la technologie propre soit fait au Canada pour réduire la production globale de carbone au pays.

Nous devons décider ce que nous voulons atteindre. Essayons-nous d'atteindre les objectifs du Protocole de Kyoto — et c'est ce que vise le projet de loi C-288 — ou avons-nous la mission plus large de réduire notre production de carbone ici au Canada et de créer des industries dans ce sens? C'est ce que nous préconisons, et c'est pourquoi nous avons besoin d'un marché intérieur d'abord; sinon, nous allons acheter des crédits sur le marché international. Je crois que nous en viendrons là à un moment donné, mais nous réduirons beaucoup moins nos émissions ici au Canada si nous permettons d'emblée l'achat de crédits à l'étranger.

J'aimerais expliquer comment l'échange d'émissions fonctionne, d'une manière simple. L'échange d'émissions n'est pas une panacée à la production de carbone. Nous ne disons pas : « Procédons tous à des échanges et le carbone sera réduit. » Les choses ne se feront pas du tout de cette façon.

Le sénateur Angus : C'est bien ce qu'ils semblent dire.

M. Nesbitt : Oui. Ce que nous devons faire est clair. Prenons un exemple simple. Disons que notre production de carbone est de 1 000 unités. Nous devons commencer par dire que ce ne sera plus 1 000, mais 700 unités. Puis nous devons dire que la production totale va diminuer, mais que beaucoup de torts seront causés à notre économie, aux entreprises et aux gouvernements, entre autres. Nous disons donc qu'il y aura des gagnants et des perdants : certains auront plus de crédits, certains auront besoin de plus de crédits et certains seront en mesure d'avancer plus rapidement que d'autres. À l'intérieur des 700 unités, les gagnants et les perdants peuvent faire des échanges. J'utilise les mots « gagnants » et « perdants » pour désigner ceux qui auront un excédent de crédits par rapport à ceux qui auront un déficit.

Nous devons commencer avec le chiffre total que nous avons aujourd'hui et fixer un objectif et un échéancier. L'objectif doit être un chiffre inférieur à ce qu'on atteindrait autrement, sinon les échanges ne sont qu'une activité de barattage. Pour simplifier les choses, nous commençons par abaisser le chiffre à un certain moment dans l'avenir et nous permettons les échanges comme mécanisme d'ajustement pour permettre aux entreprises, aux municipalités « et cetera » d'atteindre leurs objectifs.

Ce mécanisme paraît plus efficace que si nous ramenions tout à un gouvernement central, par exemple, si nous avions un gouvernement qui distribue les crédits au compte-gouttes et qui décide quel projet est bon ou mauvais, si nous ramenions tout à une bureaucratie centrale. Bien sûr, nous mettons en place une bourse de valeurs, alors nous croyons que les mécanismes du marché sont généralement plus efficaces qu'une approche centralisatrice.

Pour dire les choses simplement, c'est pour cette raison que le système d'échange fonctionne, parce que le chiffre total est forcément réduit.

Le président : Monsieur Nesbitt, vous dites qu'il faut choisir entre un système d'échange international et un système d'échange intérieur. Nous savons qu'il existe un marché international. Y a-t-il un marché national d'échange d'émissions en place?

M. Nesbitt : Non. Un petit nombre d'échanges ont été effectués au Canada d'une entreprise à l'autre, mais il n'y a pas de marché organisé aujourd'hui; on attend que ce marché soit défini.

Le président : Le TSX a-t-il l'intention d'établir pareil marché?

M. Nesbitt : Oui.

M. Russell : J'aimerais ajouter une chose à ce que M. Nesbitt a dit. Un système d'échange d'émissions, quel qu'il soit, doit être réglementé. Nous ne pouvons pas avoir un système d'échanges d'émissions sans un objectif quelconque, ce qui signifie que des objectifs doivent être établis par règlement et que le système doit produire les résultats environnementaux prévus.

Le but d'un tel système est d'atténuer les coûts d'immobilisation liés à la transition. Si une entreprise se trouve dans un cycle où elle ne peut se moderniser à un coût raisonnable pendant une certaine période de temps, elle doit alors avoir autant d'options que possible pour le faire tout en minimisant les coûts.

À moins que le gouvernement ne soit prêt à intervenir et à fixer un prix plafond quelconque, la meilleure façon de minimiser ces coûts est d'avoir accès au marché le plus vaste possible. À l'heure actuelle, ce marché se trouve dans la communauté internationale, et non à l'échelle nationale. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il faudra un certain temps pour mettre en place un marché intérieur qui sera assez attirant pour que les gens investissent au Canada au lieu de verser 15 $ dans un fonds de technologie qui serait probablement administré par le gouvernement, et le gouvernement choisirait les gagnants dans cette situation.

Encore une fois, le but d'un marché, c'est de trouver une réduction d'émissions au plus bas coût. Par conséquent, si vous vous tournez vers le marché, vous trouverez le plus bas coût — que ce soit à l'étranger ou au Canada — mais si vous fixez des prix plafonds dans votre système intérieur, vous limitez du coup ce que vous pourriez obtenir comme vendeur sur ce marché. À moins que les prix plafonds soient très hauts, cette mesure ne stimulerait pas le marché intérieur comme vous le souhaiteriez.

Le sénateur Mitchell : Cette question m'intéresse beaucoup. Merci à chacun de vous pour vos exposés. C'est vraiment très pointu. La création de ces marchés est une aventure extraordinaire pour le monde, dans un sens.

J'ai lu des ouvrages sur l'histoire des marchés et sur les 12 personnes dans un restaurant du centre-ville de Toronto qui ont lancé le TSX; regardez maintenant ce que c'est devenu. J'ai lu des choses sur les possibilités et comment l'esprit et l'effort humains peuvent produire et réaliser ce qui semble être impossible. Nous faisons déjà des progrès énormes.

Ce que le sénateur Angus a dit au sujet des mécanismes de marché et leur fonctionnement m'intéressent beaucoup. Ceux qui s'opposent au Protocole de Kyoto ou aux mesures visant le changement climatique mettent en doute l'efficacité de ces marchés. En général, ils font valoir deux arguments, notamment qu'il n'y a pas assez de crédits, et vous avez répondu à cela. Même aujourd'hui, avec les 1,9 milliard de dollars, il y en a assez, et à mesure que l'effervescence grandira, il y en aura de plus en plus et les marchés seront plus concentrés.

Le deuxième argument, auquel le sénateur Angus répond, est le suivant : si je peux acheter ce crédit à l'étranger — et je peux l'acheter à un prix relativement peu élevé, parce qu'il est beaucoup moins coûteux de réduire la production de carbone dans un pays où les technologies sont déficientes que dans un pays où les technologies sont déjà relativement bonnes — je pourrais dépenser 100 $ ici pour obtenir une réduction « X », tandis que je n'ai qu'à dépenser 1 $ en Indonésie pour obtenir cette même réduction. Alors pourquoi n'irais-je pas là, et pourquoi cesserais-je de le faire?

Ce système comporte-t-il un incitatif qui me pousserait à cesser de dépenser cet argent ailleurs, à me retirer graduellement de là, un incitatif qui me pousserait à investir dans la technologie ici, dans mon entreprise, ici au Canada? Ils disent qu'il n'y a aucun incitatif et que nous sommes heureux de continuer à dépenser ces 20 $ la tonne ailleurs dans le monde sans avoir à changer quoi que ce soit dans ce que nous faisons avec les sables bitumineux. Est-ce le cas?

M. Russell : Non. Si nous regardons tous les autres marchés d'émissions qui sont apparus — et le plus souvent cité est le marché des émissions de soufre créé à la suite du Clean Air Act aux États-Unis — dans tous ces marchés, le gouvernement doit imposer une limite sur les gaz à effet de serre. Kyoto n'était qu'un point de départ, qui était réalisable à l'époque. La communauté internationale a toujours eu l'intention de passer à l'étape suivante, puis à l'autre, pour que les planificateurs des entreprises, ceux qui regardent vers l'avenir, sachent clairement qu'il s'agit uniquement d'un point de départ, que les gagnants sont les entreprises qui peuvent réduire leurs émissions et faire ce qui sera exigé d'elles dans l'avenir. Celles qui pourront prendre le tournant avant les autres auront un avantage concurrentiel.

Je crois donc que toutes les entreprises canadiennes, dès le début des années 1990, ont regardé attentivement ce qu'elles pouvaient faire à l'interne, dans leurs opérations, pour devenir plus compétitives et ce, dans un monde où la production de carbone est limitée.

Il ne fait aucun doute que la recherche se poursuit. Ce qu'il faut retenir concernant l'échange d'émissions, c'est qu'il s'agit d'un transfert temporel des coûts, qui nous permet d'atténuer les coûts d'immobilisation liés à la transition. Nous pouvons le voir en Europe et dans d'autres parties du monde, où les entreprises font continuellement des gains pour se départir des combustibles fossiles, comme le font les entreprises au Canada.

Des efforts extraordinaires ont déjà été déployés pour réduire les émissions, dans l'exploitation des sables bitumineux et les installations de production énergétique. Toutefois, ces efforts ne coïncident pas avec l'échéancier établi pour l'atteinte des objectifs de Kyoto.

Au bout du compte, nous nous trouverons dans une situation où — à mesure que la demande augmente, autrement dit les objectifs se resserrent et le prix augmente — tout à coup il devient plus économique de faire les choses au pays. Nous le faisons ici parce que nous avons déjà planifié de le faire. Tôt ou tard, chacun travaille dans son propre pays à la réalisation de ses objectifs.

Le système d'échange d'émissions n'est qu'une mesure d'atténuation temporelle. Ce n'est pas la solution à tous les problèmes, loin de là. Ce sont les règlements des gouvernements et la volonté politique qui règleront ce problème, et non les marchés. Les marchés existent pour aider les entreprises à atténuer et à réduire leurs coûts en faisant ces choses.

Une entreprise qui ne porte pas attention à ce dossier aujourd'hui et qui ne planifie pas ses prochains investissements de capitaux de manière à réduire le plus possible son bilan carbone est vouée à disparaître d'ici 20 ou 30 ans. Tous les dirigeants d'entreprises au Canada ont compris cela. La plupart sont très attentifs.

Le sénateur Mitchell : Un autre argument, qu'avancent les détracteurs de Kyoto, est que si nous investissons en Malaisie ou en Indonésie, cet argent ne stimule pas l'économie ici. Nous ne décourageons aucune entreprise inscrite au TSX à investir à l'étranger. Nous voulons être des chefs de fil sur la scène internationale.

Il me paraît bizarre que les opposants disent soudainement qu'ils ne veulent pas encourager les entreprises à investir dans l'écotechnologie à l'extérieur du Canada. Elles peuvent investir dans des armes à feu, des chars et des hélicoptères qui sont utilisés à l'autre bout du monde et qui sont construits ailleurs, mais on ne veut pas qu'elles investissent dans une écotechnologie qui se trouve à 50 milles de chez eux.

Il y a là un paradoxe absurde, il me semble. Le fait est que, par des mécanismes tels que le MDP ou d'autres, comme le système canadien que vous proposez, une entreprise pourrait investir dans un projet à l'étranger qui rapporterait, comme tout autre investissement que l'on fait à l'étranger maintenant, et qui profiterait à l'économie canadienne. C'est une entreprise canadienne qui paye des impôts canadiens et emploie des Canadiens pour faire toutes ces choses; par exemple, les pétrolières qui ont des puits de forage en Afrique. Ai-je raison?

M. Nesbitt : Je suis d'accord avec vous à 90 p. 100. Vous abordez un sujet important, soit le commerce extérieur. S'il est moins coûteux de produire ailleurs tout en ayant un avantage concurrentiel, pourquoi ne pas le faire? Je dirais qu'il s'agit d'un argument très valable. Sur le plan de l'efficacité, nous aurions tendance à appuyer ce genre d'argument.

Comparons cela à la production alimentaire. Disons que nous pouvons produire tous nos aliments en Malaisie; nous ne produisons plus aucun aliment au Canada, parce que c'est moins coûteux de le faire en Malaisie. Serait-ce une bonne politique publique de se débarrasser de notre industrie agroalimentaire?

C'est la même chose ici. Nous voulons qu'une industrie de la technologie propre se développe au pays, et non pas uniquement en Malaisie. Au bout du compte, il faut un équilibre entre les deux. C'est donc dire qu'il faut qu'une telle industrie puisse naître ici au Canada, car autrement, cet équilibre n'existera jamais. Je dois tempérer ma grande foi dans le libre marché et le libre-échange par un désir de bénéficier au Canada d'une solide industrie de la production alimentaire et de la technologie propre.

Le sénateur Mitchell : Je suis d'accord avec vous. Cela revient à ce que M. Russell a dit tout à l'heure, c'est-à-dire que cela est possible parce qu'il existe ici des incitatifs. Les coûts nous porteront à créer une telle industrie ici.

Un des témoins a signalé que trois centrales au charbon allaient être construites en Chine toutes les semaines dans un avenir assez rapproché. Ce serait merveilleux si le Canada mettait au point une technologie dans ce domaine; nous pourrions prendre part à la construction là-bas et créer ainsi une nouvelle industrie.

Il est question d'un mécanisme de marché particulier. Je pense à la valeur des actions de Cisco Systems Incorporated en 1999. En raison de l'offre et de la demande et d'une distorsion sur le marché à cette époque, l'action de cette société a été surévaluée.

Le sénateur Angus : C'est ce qu'on appelle l'exubérance irrationnelle.

Le sénateur Mitchell : C'est exact. Il faut qu'il y ait un lien entre le coût du crédit et la réduction réelle des émissions de carbone. Cependant, dans les marchés aujourd'hui, il ne doit pas nécessairement exister un lien entre la valeur d'une entreprise et celle que lui accorde le marché.

Pourquoi les marchés que vous créez pourraient-ils assurer l'existence d'un tel lien? Il doit être réel.

M. Nesbitt : Il faut choisir : le faire soi-même ou acheter des crédits. Nous faisons personnellement ce genre de choix tous les jours. Par exemple, je peux décider de tondre moi-même ma pelouse ou de le faire faire par quelqu'un d'autre.

Le sénateur Mitchell : Dans ce dernier cas, vous êtes alors libre de faire autre chose.

M. Nesbitt : Exactement. Je tiens à souligner que dans le cas de Cisco Systems Incorporated et d'autres cyberentreprises, les marchés ont graduellement fait baisser leur valeur. C'est un argument qui est invoqué, à savoir que le temps rétablit les choses.

Je pense honnêtement que les entreprises feront ce choix tant qu'elles sauront exactement ce qu'elles veulent faire. Elles ont des objectifs à atteindre, alors elles prendront la décision de façon assez rationnelle. Elles se demanderont s'il est moins cher qu'elles le fassent elles-mêmes ou s'il vaut mieux qu'elles achètent des crédits.

M. Russell : Pour en venir plus précisément aux marchés du carbone, il serait utile de nous pencher sur deux marchés qui existent actuellement dans le monde. L'un d'eux est le marché des quotas de l'Union européenne, qui est un système de plafond et échange dans le cadre duquel les gouvernements accordent l'émission d'un certain nombre de permis dans le marché que les entreprises peuvent s'échanger — acheter ou vendre — comme bon leur semble, en fonction de leur propre situation.

Lors de l'ouverture de ce marché en Europe en 2005-2006, on a observé une hausse très rapide du prix des permis, qui à un moment donné, a atteint 32 et même 33 euros. Cela était attribuable à la perception des marchés. Bien des intervenants au sein du marché ne comprenaient pas nécessairement le système et ne savaient pas s'ils devaient vendre ou non et ils n'étaient donc pas des négociateurs actifs. Le prix a augmenté et il est descendu soudainement lorsque les entreprises ont commencé à divulguer leur taux d'émissions. C'est à ce moment que la valeur a chuté.

Les prix sont volatils dans ce marché depuis le début, c'est-à-dire depuis 2005, mais on vise à régler ce problème.

Le président : Si une entreprise a acheté des crédits dès le début à 12 euros, et que, par la suite, la valeur a augmenté pour atteindre 33 euros, est-ce qu'elle pourrait les vendre à ce prix?

M. Russell : Oui, si elle peut trouver un acheteur.

Le président : Il s'agit d'un mécanisme qui pourrait être profitable ou désastreux, comme dans le cas du marché boursier.

M. Russell : Certaines entreprises qui connaissaient très bien l'échange des crédits d'émission s'en sont très bien tirées parce qu'elles avaient fait leurs devoirs. Comme dans tous les marchés, l'acheteur doit être bien informé.

À propos du marché du MDP, dont nous avons parlé tout à l'heure, la Banque mondiale a affirmé qu'il existe une certaine stabilité des prix dans ce marché. La valeur correspond beaucoup plus aux coûts associés à la réduction des émissions.

Si j'étais un initiateur de projet qui aurait l'idée d'installer à l'usine pour laquelle je travaille un biodigesteur servant à produire de l'éthanol et ensuite de l'électricité, je sais ce qu'il en coûtera. Je sais aussi que je recevrai un certain nombre de crédits et je peux donc savoir également que j'obtiendrai par exemple un rendement de 25 p. 100 sur mon investissement.

Si je trouve cela acceptable — étant donné que ce projet comporte d'autres éléments — c'est bien. Les entreprises ont tendance à examiner le coût du projet en soi plutôt que l'ensemble des facteurs qui entrent en jeu.

Bien que la valeur des crédits sur le marché européen ait augmenté jusqu'à atteindre environ 33 euros et qu'elle ait ensuite baissé au cours des trois ou quatre dernières années, la valeur des crédits échangés sur le marché du MDP est demeurée relativement stable, s'établissant entre 6 et 11 euros. Dans la réalité, deux choses se passent, à savoir que le détenteur de crédits détermine ce qu'il considère être un rendement raisonnable et il décide ensuite de vendre ou d'acheter.

L'autre marché — le EU ETS — ressemble bien plus à un marché habituel, la valeur des crédits étant beaucoup plus volatile.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Nesbitt, lorsque ce marché sera créé au Canada, je crois que la bourse en question devrait être établie à Calgary. Je suis originaire de l'Alberta et j'estime que Calgary serait un excellent choix. Qu'en pensez-vous?

M. Nesbitt : Il s'agit là d'une question délicate. D'autres provinces se sont aussi proposées, à savoir le Québec, le Manitoba et l'Ontario.

Le sénateur Cochrane : Ou les provinces de l'Atlantique.

M. Nesbitt : Peut-être bien, mais aucune d'elles ne s'est exprimée à ce sujet.

Le sénateur Cochrane : C'est pour bientôt.

M. Nesbitt : Plusieurs provinces possèdent la technologie nécessaire. Quoi qu'il en soit, ce que nous avons souligné principalement, c'est qu'une fois que le marché existera, le gouvernement ne devrait pas y intervenir. Il devrait laisser le marché se développer.

Serions-nous ravis que la bourse se trouve en Alberta? Tout à fait. Il existe déjà deux autres bourses dans cette province et nous n'avons pas d'objection à ce qu'il y en ait une troisième.

Le sénateur Mitchell : Ce serait très efficace.

M. Nesbitt : Le fait est qu'une très bonne partie des grands émetteurs se trouvent là-bas, les producteurs et les consommateurs d'énergie, et ce sont eux qui vont faire fonctionner le marché, car les émissions sont en fin de compte un sous-produit de leurs activités. Ce marché sera étroitement lié à celui de l'énergie.

Le président : Je tiens à dire aux fins du compte rendu que tout le monde fait signe que oui.

Le sénateur McCoy : Les industries pétrolière et gazière ne sont pas aussi importantes au Canada que celle de l'électricité. Elles ne sont même pas aussi importantes que l'industrie du transport.

Le président : Voulez-vous dire sur le plan des émissions?

Le sénateur McCoy : Oui, sur le plan des émissions totales. Nous concentrer sur les industries pétrolière et gazière contribuerait à induire la population canadienne en erreur.

Le président : C'est exact.

Le sénateur Mitchell : Il est également vrai que le plus grand émetteur au sein de l'industrie de l'exploitation des sables bitumineux, qui produit dix mégatonnes d'émissions, en produit tout de même moins que la centrale au charbon de Nanticoke, en Ontario, qui produit 17 mégatonnes d'émissions.

Comment fonctionne le marché? Je peux acheter à la bourse des actions de l'entreprise XYZ, que je peux ensuite vendre et que l'acheteur peut à son tour vendre lui aussi. C'est ce qui se produit sur un marché secondaire.

Vous laissez entendre que c'est ainsi sur les marchés du carbone, mais si un émetteur d'ici achète un crédit en Malaisie qui correspond à une réduction de dix tonnes, comment peut-il le revendre? Quand il sera vendu à nouveau, il ne correspondra plus à une réduction de dix tonnes. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Russel : Comme nous en avons parlé tout à l'heure, dans le cas du MDP, on attribue un numéro de série pour chaque réduction. Par exemple, les certificats attribués pour la réduction de dix tonnes dont vous venez de parler comporteraient un numéro de série de sorte qu'on puisse en suivre la trace. Dès que le certificat sera utilisé à nouveau, il sera immédiatement retiré du système et ne pourra plus être utilisé.

Cependant, tant que les certificats ne sont pas retirés, ils peuvent être achetés ou vendus sur un marché secondaire. Si j'en ai acheté un pour 5 euros et qu'il vaut maintenant 20 euros, ou si je peux le vendre sur le marché intérieur à 10 euros, j'ai toujours un avoir de 5 euros, mais la valeur est passée à 10 ou 15 euros. Je peux vendre le certificat à 15 euros, réduire les émissions de ma propre entreprise pour 10 euros et ainsi réaliser non seulement un profit de 10 euros, mais aussi économiser 5 euros parce que j'ai négocié sur le marché intérieur.

Le président : En plus, vous aurez peut-être d'autres crédits d'émissions à vendre.

M. Russell : Tout à fait. C'est ainsi que le marché fonctionne. Il y a un marché secondaire, et le rapport dont je vous ai parlé plus tôt indique que dans le marché secondaire, en ce qui concerne le MDP, la valeur est d'environ 10 p. 100 de celle du marché primaire, où le premier achat s'effectue. On s'attend à ce qu'il y ait davantage de ventes sur le marché secondaire à mesure que les gens auront plus d'expérience de ce marché.

Voilà comment ce marché fonctionne. À mesure que la demande progresse, les prix augmentent et il devient plus profitable de négocier au pays. Si vous achetez des crédits tôt, cela vous fait un avoir que vous pouvez vendre.

Le sénateur Mitchell : Ceux qui sont réticents font souvent valoir que lorsqu'on achète un crédit à l'étranger, il faut en acheter chaque année. C'est ce qu'on a fait valoir à propos de la première période d'engagement de quatre ans qui va de 2008 à 2012.

Si je suis propriétaire d'une entreprise au Canada et que je mets en place une technologie qui me permet de réduire de dix tonnes mes émissions dès maintenant et d'atteindre le niveau prévu, en supposant que cette technologie ne soit pas dépassée l'année suivante, je n'aurai pas besoin de dépenser davantage pour atteindre le niveau fixé pour l'année qui suit et les autres. Si j'achète une technologie équivalente pour une usine en Malaisie et que cela me coûte la moitié moins cher et qu'il est beaucoup plus facile d'atteindre l'objectif là-bas, je n'aurai pas à investir davantage l'année suivante parce que l'usine ne dégage pas encore des marges. Est-ce exact?

M. Nesbitt : Vous avez tout à fait raison. À mesure que le marché évolue, vous pourrez acheter pour quatre, cinq ou dix ans. On peut vendre quatre ans à votre entreprise et cinq ans à une autre. Il n'est pas nécessaire de limiter cela à un an. C'est ainsi que les marchés de l'énergie fonctionnent aujourd'hui. Dans le domaine de l'électricité, on peut acheter pour deux, trois ou quatre ans.

Le sénateur Mitchell : Si j'estime que je ne peux pas y arriver d'ici 2010, je peux en acheter moins pour 2011 et pour 2012, car je sais que j'améliore ma propre technologie.

M. Russell : Je tiens à être très clair, car il s'agit d'un point important. Prenons par exemple la période de cinq ans allant de 2008 à 2012. Dans la plupart des cas, en ce qui concerne les acheteurs qui souhaitent se conformer aux exigences durant cette période, nous allons accepter de payer la personne en Malaisie une somme donnée pour chaque tonne qu'elle émettra en 2008. La somme est toujours la même. Il y aura un autre paiement en 2009 et on vérifie si le nombre de tonnes prévu est exact. C'est ce qu'on fait chaque année.

Par exemple, lorsque j'achète dix tonnes par année, je me trouve en fait à acheter 50 tonnes multipliées par le prix qui est convenu. Il faut savoir que lorsqu'on donne un numéro de série, on sait que cette tonne en particulier correspond à un projet quelconque et que c'est pour 2008; l'année suivante, soit en 2009, une autre quantité d'émissions sera émise. Les certificats sont retirés lorsque les exigences ont été respectées. Ils correspondent à une année et à un projet précis.

M. Marshall : Si je puis me permettre, je tiens à dire que nous parlons essentiellement des marchés. Tous les témoins s'entendent pour dire que la réduction des émissions est l'objectif ultime. Les cibles ont été fixées à l'échelle internationale et les moyens pour les atteindre sont mis en œuvre au niveau national. C'est la réduction des émissions qui donne sa raison d'être au marché. Les entreprises évalueront combien il leur en coûte pour acheter des crédits sur le marché international et pour réduire leurs propres émissions. Il est clair que ces deux éléments entreront en ligne de compte.

Au fil du temps, comme M. Russell l'a dit, grâce à l'achat de crédits à l'étranger, le marché se stabilisera. À court terme, nous allons voir beaucoup d'investissements en vue de réduire les émissions au Canada.

Je vais vous citer un rapport, qui ne provient pas d'un groupe environnemental, mais bien de la Petroleum Technology Alliance Canada, une association de l'industrie. Selon elle, le secteur pétrolier peut réduire ses émissions de 29 mégatonnes par année en quatre ans, sans aucun coût net, car chaque dollar investi sera récupéré sous forme d'économies d'énergie.

C'est ce qui se produira durant la période d'application du protocole de Kyoto si nous décidons d'atteindre les réductions obligatoires des émissions. Cela favorisera l'investissement dans l'infrastructure.

S'il n'y a pas de réduction des émissions, et si on n'établit pas de prix pour les émissions de carbone, notamment par l'entremise d'un système de plafond et échange, les investissements dans l'infrastructure auront lieu dans les trois, cinq ou même sept prochaines années. Plus il faudra du temps avant de constater une réduction des émissions — ce qui ne peut se produire que grâce au projet de loi C-288 et à nos engagements internationaux — plus les entreprises feront des investissements dans l'infrastructure sans tenir compte du marché du carbone et du coût associé à l'atteinte des cibles de réduction des émissions.

En Alberta, deux autres centrales au charbon seront construites, et elles seront là pendant 40 à 50 ans. Plus les industries comprendront rapidement qu'il y aura un coût associé à l'émission de carbone, plus tôt elles seront en mesure de décider si elles veulent investir à l'étranger ou ici et quel type d'investissements dans l'infrastructure elles veulent faire à court et à long terme.

Le sénateur Angus : Je présume que vous avez tous suivi nos délibérations et que vous avez constaté que nous nous efforçons de mieux comprendre ce sujet complexe.

Monsieur Nesbitt, il y a tout un débat autour de l'emplacement de la bourse du carbone. Nous venons de plaisanter un peu à ce sujet. Selon les documents que j'ai lus, le choix serait surtout entre Montréal et Toronto. Ce n'est rien contre l'Alberta, mais Jean-Charles Robillard, du Marché climatique de Montréal, qui existe déjà, a dit que ce ne serait pas un problème à ses yeux et qu'il y avait de la place pour les deux. Est-ce bien ce que vous disiez il y a un instant?

M. Nesbitt : Oui, c'est exactement ce que je disais. Il y a de la place pour les deux. Il y a déjà une entente entre la bourse de Montréal et le Groupe TSX pour que Montréal s'occupe des produits dérivés et que les transactions au comptant, soit les transactions immédiates, relèvent du Groupe TSX. Cette entente est valide jusqu'en 2009. Si l'échange commençait d'ici là, Montréal s'occuperait des produits dérivés et nous, des transactions au comptant. Qu'arriverait-il après 2009? Personne ne le sait pour l'instant, mais nous pourrions participer aux deux.

Pour cette raison seulement, la bourse du carbone sera à deux endroits. Il y a d'autres personnes qui ont des espoirs, comme les gens de la Bourse des marchandises de Winnipeg. Nous tenons vraiment à ce que ce marché soit lié à ce que nous faisons en Alberta par la NGX, la Natural Gas Exchange, pour les secteurs du gaz et de l'électricité.

Vous allez voir que ce marché existe sous diverses formes dans ces quatre provinces au moins. Il importe que le gouvernement permette ce type d'innovation plutôt que de désigner un endroit. Si nous désignons un endroit ou un marché en particulier, il va y avoir des effets perturbateurs.

Je pense qu'il y a de la place. Ce ne sera pas un très grand marché. Au Canada, ce marché va se développer d'une façon unique, canadienne. Nous avons des idées pour favoriser l'essor de ce marché dès que les règles du jeu vont être établies. Il ne ressemblera pas à la bourse des valeurs mobilières d'aujourd'hui, surtout les premières années. Il va être très différent. Il y a d'autres techniques de marché que nous pouvons utiliser. Si les règles du jeu étaient établies aujourd'hui, nous pourrions être prêts à négocier des crédits en trois à six mois sans problème.

Le sénateur Angus : Je vais revenir aux éléments de base des crédits d'émission. Monsieur Russell et monsieur Nesbitt, en particulier, vous avez de l'expérience : est-ce que l'échange international de crédits de carbone ou de droits d'émissions de CO2 ressemble à l'échange de produits dérivés? Est-ce un marché à facteur d'endettement? Vous avez utilisé le mot magique de « spéculatif » il y a une minute, mais dans un autre contexte.

M. Nesbitt : Dans tous les marchés, on commence par la demande de base, soit les producteurs et les consommateurs; dans ce cas-ci, il s'agit des émetteurs et des producteurs de crédits. C'est la demande de base, mais dans tous les marchés qu'on peut imaginer, il y a des spéculateurs qui contribuent à l'établissement des prix, qui créent un flux.

Dans beaucoup de marchés, on constate qu'il y a beaucoup plus d'échanges que de demande naturelle. Si la demande naturelle est de 1 000, il peut y avoir 5 000 échanges. C'est le résultat de toutes les transactions des spéculateurs. C'est le cours naturel des choses.

Il faut commencer par la demande naturelle. Si ce marché n'a pas encore démarré au Canada, c'est à cause de la demande naturelle. Aujourd'hui, les émissions de carbone n'ont pas vraiment de prix. Ce n'est pas comme une action, une obligation ou du gaz naturel.

Le sénateur Angus : Ce n'est pas comme une marchandise.

M. Nesbitt : Non, ni comme une marchandise telle que le grain ou le canola. Il n'y a pas encore de demande naturelle sur le marché. De toute évidence, elle s'en vient, et en Europe, il y a une demande naturelle régie par règlement. C'est le rôle du gouvernement ici.

Le président : Sans règlement, il n'y aura pas de demande, n'est-ce pas?

M. Nesbitt : Il y a des entreprises qui se sentent très responsables sur le plan de la gouvernance, dont sur les plans environnementaux et sociaux, donc il y en a qui agissent déjà de toute façon. On pourrait peut-être dire qu'elles attendent un règlement, mais elles ont des consommateurs, des employés et des actionnaires qui exigent qu'elles fassent certaines choses. Il y a beaucoup d'activité en ce sens, mais il n'y aura pas de marché organisé sans l'intervention du gouvernement.

Le sénateur Mitchell : Il est également vrai que bien qu'elle soit encore faible, il y a une demande naissante pour le CO2 comme produit de récupération assistée des hydrocarbures, donc il pourrait devenir un produit ayant sa propre valeur sur le marché.

M. Nesbitt : Peut-être.

M. Russell : Au Canada, il y a une province où il y a déjà une exigence réglementaire. Elle découle des critères sur le choix de site pour les nouvelles usines de Genesee. Pour obtenir des permis, les promoteurs ont dû prouver qu'ils allaient compenser les émissions dans la même mesure que les centrales à cycle mixte. Cela a créé de la demande, de sorte qu'il y a dorénavant des transactions sur le marché.

Vous avez raison. Pour revenir à ce que M. Nesbitt disait, il est intéressant de constater que les acteurs du marché secondaire et les spéculateurs commencent à se positionner rapidement sur ce marché du carbone. Nous commençons à voir un intérêt poindre chez les grands acteurs financiers des États-Unis et de l'Europe.

J'aimerais également appuyer l'argument de M. Nesbitt que le gouvernement ne devrait pas désigner le lieu d'une bourse. En Europe, quand tout le monde commençait à songer à se doter d'un système d'échanges, il y a beaucoup de bourses qui voulaient leur part du gâteau, qui voulaient être la bourse désignée. Le gouvernement a dit : « Très bien. Que la bourse qui offre le plus de produits innovateurs gagne. »

C'est exactement ce qui s'est passé. Il y en a 15 ou 20 qui y ont vu une occasion d'affaire, et les bourses les plus fortes se sont avérées être les plus attirantes pour le marché.

Il y a aussi l'idée de la participation volontaire au marché volontaire. J'en ai parlé dans mon témoignage. Il y a un marché volontaire où convergent des entreprises de l'Amérique du Nord : le Chicago Climate Exchange. Vous en avez probablement entendu parler un peu.

Il existe; il est petit. Par exemple, en 2005, on y a échangé un million de tonnes de droits d'émissions, selon le rapport de la Banque mondiale, et ce chiffre a décuplé en 2006 pour atteindre le seuil de 10 millions de tonnes. Cependant, c'est encore un petit marché. Les prix sont assez bas (environ 4 $US la tonne), mais il a été conçu comme un outil pour acquérir de l'expérience du marché. Les entreprises qui y ont participé en retirent une expérience du marché. Ce marché existe en Amérique du Nord, même s'il est très petit en comparaison avec d'autres.

Le sénateur Angus : Pour ce qui est de l'aspect macroéconomique de ces marchés, nous lisons tous beaucoup pour comprendre ce phénomène. Autrement, nous ne pourrions pas faire notre travail et prendre des politiques publiques qui comptent.

Je consacre beaucoup de temps à ma fonction de vice-président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous nous penchons sur la situation des marchés, donc nous en savons un peu sur eux, sur les effets leviers et les fonds de couverture mondiaux. Le phénomène qui nous occupe en ce moment a une valeur fondamentale à flot de 350 trillions de dollars en raison de la folie des prêts.

J'ai lu dans The Economist que le système d'échange de droits d'émissions de l'UE avait perdu 90 p. 100 de sa valeur depuis le 31 décembre. Pour commencer, le saviez-vous? Y a-t-il une explication? A-t-elle fondu?

M. Russell : Elle a fondu pendant la première phase du système d'échange de droits d'émissions de l'Union européenne. Je vais vous expliquer comment il a été établi. Le gouvernement a prévu deux périodes pour son système d'échanges. La première allait de 2005 à 2007, et les quotas étaient valides pour cette période. La deuxième phase va de 2008 à 2012. Pendant la première phase, les gouvernements se sont réunis et ont alloué aux quelque 10 000 entreprises touchées par ce système un quota jugé raisonnable alors.

Depuis décembre, le bilan des émissions réelles produites par ces entreprises entre 2005 et 2007 a commencé à sortir, et tout portait à croire qu'elles allaient atteindre leurs objectifs, donc les prix ont chuté considérablement. Dès qu'elles savent qu'elles ont atteint leurs objectifs, la demande cesse sur le marché, donc ils chutent. C'est exactement ce qui s'est passé pendant cette période, mais seulement en 2007. C'est le moment où une période se termine et une autre commence.

Ils ont appris de cette expérience. Les gouvernements, comme ce sont eux qui créent la demande, vont revoir les plans nationaux d'allocation des quotas, les PNAQ, pour ces diverses entreprises et ces pays; ils sont d'ailleurs en train de le faire. Ils les examinent de près afin que la demande soit assez robuste pour soutenir le marché.

Du point de vue de la valeur, en 2005, la valeur totale des droits d'émissions de l'UE, pour les phases un et deux, était de 7,9 milliards de dollars, et à la fin de 2006, elle était de 24 milliards de dollars.

Il faut toutefois voir au-delà de la phase un, comme c'est écrit dans The Economist, et tenir compte aussi de la phase deux.

Le sénateur Angus : Nous avons reçu ici des représentants du Carbon Trust d'Angleterre, et nous avons entendu parler de la taxe sur le carbone. Vous avez bien répondu aux questions ce matin. Cependant, j'aurais besoin d'un peu plus d'aide.

Dans le contexte du Protocole de Kyoto, on peut obtenir des crédits. En quoi consiste un crédit d'émission? Je présume qu'il doit y avoir des acheteurs qui échangent des crédits pour respecter leurs objectifs. Est-ce que ce sont les émetteurs? Est-ce que ce sont des pollueurs qui veulent éviter de devoir faire autre chose qu'ils ne peuvent pas faire dans le temps prévu? Qui en échange pour obtenir un bon bulletin de conformité, pour ainsi dire? Pouvez-vous me donner une réponse élémentaire? Par exemple, ce serait comme de dire que Mme Jones a un REER et qu'il lui reste 200 $, donc elle va acheter une action de Warren Buffet.

Nos débats sont télédiffusés, donc nous devons vraiment comprendre de quoi il s'agit, et je ne comprends pas encore.

M. Nesbitt : Je vais essayer de faire des analogies avec les marchés existants.

Par exemple, prenons le marché des obligations, parce que ces crédits ressemblent plus à des obligations qu'à des actions. Les actions représentent une part de propriété dans une entreprise, alors qu'une obligation est une promesse de paiement et une promesse de compensation future.

Ces crédits doivent être vérifiés et conservés dans un dépôt central. Quelqu'un doit les vérifier, et les gouvernements vont devoir établir des règles sur les crédits admissibles. Il y a des règles dans le Protocole de Kyoto, mais le Canada va devoir adopter ses propres règles, celles de Kyoto ou d'autres. Sinon, chacun va appliquer sa propre définition. Il nous faut une seule et même définition de ce en quoi consiste un crédit admissible. Il doit y avoir un vérificateur indépendant et fiable qui travaille en continu, parce que ces crédits vont se concrétiser plus tard.

Il faut établir cette partie du système, pour que les crédits soient vérifiables, par un arbitre indépendant, et qu'ils soient conservés dans un dépôt, sous la surveillance d'un registraire qui prendrait en note le nom des propriétaires de chacun. C'est la création du système d'approvisionnement.

M. Marshall : Nous n'en créons que quand nous réduisons nos émissions. C'est ce que l'entité indépendante vérifie. Dès qu'il y a une réduction d'émissions, un crédit est créé.

M. Nesbitt : Ce sont des projets qui mènent à la réduction des émissions de carbone d'une certaine façon. Il y a beaucoup de façons d'y parvenir.

Le président : Supposons que je dirige une usine de nickelage. Est-ce que je dois présenter une demande à quelqu'un, à un bureau? Comment les crédits sont-ils créés?

M. Nesbitt : Donnez-moi un exemple de projet qui fait quelque chose pour débarrasser l'atmosphère du carbone.

M. Russell : Prenons un exemple réel. On crée un parc éolien en Namibie. En ce moment dans ce pays, on génère de l'électricité de diverses façons, notamment à partir de charbon. Supposons qu'en produisant 10 mégawatts d'électricité sans émettre de carbone, parce qu'on utilise du vent, on remplace la source d'électricité qui aurait été utilisée. Du coup, on pourrait remplacer cette production et réduire les émissions de dioxyde de carbone de 5 000 tonnes, par exemple (je ne connais pas les véritables chiffres).

Pour répondre à votre question, sénateur Angus, l'échange vise l'équivalent d'une tonne de dioxyde de carbone, parce qu'il y a d'autres gaz à effet de serre qui compliquent les choses aussi, qui ont un potentiel de réchauffement de la planète différent, mais l'unité que le monde a choisie se fonde sur l'équivalent d'une tonne de dioxyde carbone. Cela équivaut au forçage radiatif d'une tonne de dioxyde de carbone. C'est ce qu'on échange partout sur ces marchés.

Il y a deux types d'échanges, il faut bien le comprendre. Il y a d'abord ce que nous venons de décrire pour les projets, où nous examinons le contexte d'origine pour un projet X, comme celui d'un parc éolien en Namibie, où l'électricité était générée par une source non renouvelable quelconque avant et où il y avait tant d'émissions.

On installe un parc éolien, puis soudainement, il n'y a plus d'émission, on n'en produit plus aucune. La différence entre ce niveau d'émission et la production d'avant correspond aux crédits que le projet obtient chaque année.

Le sénateur Angus : Dans cet exemple, vous établissez un parc éolien et réduisez les émissions, puis quelqu'un vient mesurer scientifiquement la situation pour déterminer que vous allez avoir dix crédits. Vous essayez de vous conformer; vous pouvez les utiliser; vous pouvez aller les échanger quelque part. Ai-je bien compris?

M. Russell : Oui. Vous pouvez les vendre à quelqu'un qui doit se conformer à Kyoto dans n'importe quel pays.

Le sénateur Angus : Même si les acheteurs n'offrent que de l'argent?

M. Russell : Exactement.

Le sénateur Angus : Est-ce que ce pourrait être un émetteur? Est-ce que ce pourrait être une centrale au charbon de l'Ontario? Elle voudrait ces dix crédits.

M. Russell : Habituellement, lorsque les dirigeants d'entreprises prennent ce type de décision, ils étudient la situation en Ontario, par exemple, et se demandent : « Combien est-ce qu'il va m'en coûter pour réduire mes émissions pendant cette période si je le fais à l'interne? » Ils reconnaissent que s'ils investissent de l'argent tout de suite, ils vont diminuer leurs émissions pour toujours. Ils répartissent donc leurs efforts sur une plus grande période et évaluent combien il va leur en coûter par année. S'il leur en coûte 20 $ la tonne pour réduire leurs émissions, mais qu'ils peuvent acheter des crédits à 10 $, le calcul va les porter à conclure d'en acheter pour 10 $.

Le sénateur Angus : Ils vont continuer de faire leurs autres choses.

M. Russell : Ils vont continuer de faire leurs autres choses, mais ils ne pensent pas pouvoir les faire pour moins de 20 $. Si tout à coup, voilà qu'ils peuvent les réduire pour moins de 20 $, ils vont avoir un actif qu'ils ont acheté 10 $ et qu'ils peuvent vendre.

L'idée, c'est de procéder de la façon la plus logique pour l'entreprise.

Le sénateur Angus : Est-ce que cela dépend surtout du secteur privé? Qui décide? Dans votre exemple, la société hydroélectrique qui utilise un générateur au charbon a déterminé que pour atteindre ses objectifs, il lui en coûtait moins cher de se procurer ces dix crédits, donc elle va les acheter. Y a-t-il une quelconque participation publique qui pousserait la société hydroélectrique à le faire?

M. Nesbitt : Seulement dans l'établissement des objectifs. Votre rôle, au gouvernement, c'est d'établir l'objectif. Par cet objectif, vous dites : « Vous êtes ici, vous devez vous rendre là; il y a plusieurs façons d'y arriver, vous pouvez utiliser de nouvelles technologies, fermer l'usine, acheter des crédits... »

Le rôle du gouvernement consiste également à s'assurer que ces crédits compensatoires sont réels, vérifiables et légitimes. Sinon, il y a toutes sortes d'organismes qui vont surgir et vous allez naturellement finir par vous demander si ces crédits sont réels ou artificiels. Sur ce marché, les gouvernements ont un rôle important à jouer pour garantir la validité des crédits.

Le sénateur McCoy : Les objectifs doivent préciser le tonnage national qu'on ne peut pas dépasser d'ici telle ou telle date.

M. Nesbitt : D'abord, il faut établir l'objectif global et ensuite, le définir pour chaque grand émetteur, c'est-à-dire entreprise. Sinon, les entreprises ne se sentiront pas concernées. Il ne s'agit pas de fixer un objectif pour l'industrie — car qu'est-ce que l'industrie au juste? —, mais pour l'entreprise. Ce sera ensuite à l'entreprise de décider de faire des investissements, d'acheter des crédits ou de fermer ses portes et d'aller s'établir ailleurs. Elle pèsera le pour et le contre, et c'est ce dont je parlais plus tôt.

Lorsque les entreprises sauront combien il en coûte pour mettre en œuvre les différentes solutions, elles prendront une décision comme elles le font pratiquement tous les jours. Je le répète, nous devons préciser les objectifs pour chaque entreprise.

Le sénateur Angus : Monsieur Marshall, il me semble que si nous comparons la situation d'aujourd'hui à celle d'il y a quatre ans, vous et vos collègues de la Fondation David Suzuki devez être ravis de voir des gens que vous n'auriez jamais imaginés croire aux changements climatiques et réaliser que quelque chose est réellement en train de se produire. Même si vous pensez qu'il ne s'agit pas de la façon la plus rapide d'atteindre les objectifs de Kyoto, vous admettez que les gens se mobilisent et dépensent énormément d'argent. Cela ne plaît-il pas un peu à M. Suzuki?

Il me semble que c'est vraiment le jour et la nuit par rapport à il y a quatre ans, et ce n'est pas une question de gouvernement. Prenons notre comité, par exemple, et tout ce que nous avons appris. Nous sommes un microcosme, mais nous nous intéressons maintenant aux problèmes que David Suzuki et Greenpeace, entre autres, ont dénoncés avec tant d'insistance pendant des années sans toutefois qu'on leur prête une oreille attentive; c'est un revirement soudain de situation. Et c'est bien réel; les gens ont compris les enjeux et essaient maintenant de faire leur part. Cela ne vous réjouit-il pas un peu? J'aimerais que vous soyez honnête.

M. Marshall : Eh bien, pour être franc, avec tout le respect que je vous dois, ce qui me satisferait, en fait, c'est de voir nos émissions diminuer. Mais c'est le contraire qui se passe, et ce sera le cas encore pendant cinq ans. Je vous suis reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de pouvoir vous en parler aujourd'hui. Tout le monde semble désormais concerné, et pourtant, nos émissions continuent d'augmenter.

Au bout du compte, nous voulons protéger l'environnement. Le fait que le public reconnaisse qu'il y a un problème et qu'il faut prendre les choses en mains est un pas dans la bonne direction. Néanmoins, rien de tangible n'a été fait jusqu'à présent. Ce qui nous ferait vraiment plaisir, à moi et à M. Suzuki, c'est qu'on intervienne concrètement.

Le sénateur Angus : Le reste vous réjouit quand même un peu.

Le sénateur Mitchell : Au fond, c'est comme si votre sous-sol était inondé de trois pieds d'eau et que vous instauriez un système pour empêcher que le niveau d'eau dépasse les quatre pieds, et qu'on vous demandait si vous êtes heureux d'avoir quatre pieds d'eau dans votre sous-sol au lieu de cinq. Évidemment, vous ne l'êtes pas, vous voudriez éliminer toute l'eau de votre sous-sol.

Le président : Ce n'est pas comme ça que j'ai compris la question.

Ne trouvez-vous pas encourageant de voir qu'il y a maintenant des gens préoccupés par les changements climatiques, alors qu'ils ne l'étaient pas il y a quatre ans? N'est-ce pas rassurant?

M. Marshall : Nous ne cherchons pas l'appui du public, mais bien une action concrète en matière d'environnement. Nous n'avons rien vu de tel encore. Évidemment, je suis heureux que les gens se rallient à notre cause et considèrent qu'il est temps d'agir. Finalement, la raison pour laquelle nous sommes ici et que nous existons, c'est pour pousser les gens à prendre des mesures qui nous permettront d'éviter le pire. Toutefois, rien n'a encore été accompli au Canada.

Le président : Quand le sénateur Angus vous a parlé du soutien public, cela se rapportait aussi aux entreprises qui se sont engagées à faire leur part.

M. Marshall : L'engagement de la société est maintenant évident. Tous les partis politiques sont supposément en faveur, et pourtant, nos émissions continuent d'augmenter. Il n'y a encore aucun effet positif sur l'environnement. C'est pourtant ce que j'aimerais voir.

Le sénateur Angus : Absolument.

Le sénateur McCoy : Jusqu'à présent, les questions des sénateurs ont permis d'établir qu'il n'y avait pas qu'un seul marché. En matière de droits d'émission, il y a différents types d'échanges, et par conséquent, divers marchés. Est-ce que je me trompe? On ne vise pas une solution unique.

Nous aimerions avoir notre propre marché au Canada, parce que c'est un moteur économique en soi. Toutefois, c'est impossible tant que le gouvernement n'aura pas fixé de plafond et alloué les droits d'émission. Cela ne s'est pas encore fait, ni ici ni en Alberta.

Le président : Parlez-vous de fixer un plafond ou un objectif?

Le sénateur McCoy : Un plafond. Nous devons fixer une limite pour les émissions autorisées, sans quoi nous n'aurons rien à échanger sur le genre de marché que nous aimerions développer au Canada. En attendant, nous pouvons tout acheter et tout vendre sur les autres marchés, qui ont des certificats MDP ou AC. Cela se fait, et c'est très utile.

Le gouvernement fédéral, de même que le gouvernement albertain — qui a légiféré en la matière —, ont tous deux convenu d'autoriser les achats de crédits compensatoires. Cela signifie qu'on peut aider quelqu'un d'autre à réduire ses émissions si cela coûte moins cher, et ce sera considéré comme une mesure de réduction envers sa propre usine. Par contre, le gouvernement albertain exige que les investissements se fassent dans sa province, tout comme le gouvernement fédéral, si je ne m'abuse, limite les investissements au Canada.

En Alberta, les entreprises estiment que ce n'est pas assez, que le marché n'est pas suffisamment grand. J'aimerais connaître votre avis concernant l'approche du Canada.

M. Nesbitt : Comme je l'ai dit dans ma déclaration, plus nous limitons la région géographique ou la base industrielle, moins le marché sera dynamique.

Nous l'avons vu ailleurs dans le monde, comme en Australie, où les États ont devancé le gouvernement fédéral. Nous commençons à observer des mouvements importants dans certaines provinces canadiennes; chacune suit sa propre voie.

Pour créer un mécanisme de marché, il faudrait avoir une plus grande assise industrielle, à savoir étendue à tout le pays. Ce serait préférable.

Le sénateur McCoy : Nous parlons du point de vue du gouvernement fédéral. Le Canada est-il un marché assez grand pour que ce soit efficace sur le plan économique?

M. Nesbitt : Nous pourrions faire une analogie avec le marché des valeurs mobilières, que je connais assez bien. Plus de 40 p. 100 de nos transactions se font maintenant avec l'étranger. Les marchés ont besoin de liquidités, d'où qu'elles viennent, pour bien fonctionner.

Ce que j'essayais de faire valoir dans ma déclaration, c'est que nous avons une économie fondamentalement continentale. Nous avons beau tout savoir sur la mondialisation et ses effets, il reste que nous sommes une économie continentale. Nous devrions d'abord nous intéresser aux mécanismes continentaux, parce qu'ils sont un indicateur des décisions que prendront les entreprises. Si nous pouvons construire une raffinerie au Canada ou aux États-Unis, nous tiendrons compte de tous les coûts, y compris ceux liés aux crédits d'émissions de carbone, dans la décision finale. C'est ainsi que cela se passe.

Ce que je dis, et nous ne pouvons pas le nier, c'est que nous faisons partie d'une économie continentale et que nous voulons que les gens prennent les bonnes décisions dans le contexte.

Nous avons cité d'autres pays dans les exemples que nous avons donnés, mais nous faisons principalement des échanges et des affaires en Amérique du Nord.

Le sénateur McCoy : Si un gouvernement provincial limite les investissements à sa province, et le gouvernement fédéral au pays, ne pensez-vous pas qu'il s'agirait d'une ingérence injustifiée dans le marché?

M. Nesbitt : Non, je n'irais pas jusque-là.

Le sénateur McCoy : Jusqu'où iriez-vous?

M. Nesbitt : Je dirais que cela réduirait l'efficacité du mécanisme de marché. Autrement dit, ce ne serait pas un marché très solide.

M. Russell : C'est ce que je pense aussi. Si chaque province décidait de mettre en place son système d'échanges de droits d'émission, ceux-ci ne tiendraient pas la route bien longtemps. Il n'y aurait aucune liquidité.

J'aimerais attirer votre attention sur un document important que nous avions rédigé pour une table ronde nationale tenue l'an dernier et qui portait sur les difficultés de s'ouvrir aux marchés — particulièrement les marchés du carbone — avec le plan du gouvernement fédéral de l'époque, qui ressemblait beaucoup à celui présenté récemment.

Nous nous sommes d'abord interrogés sur les raisons pour lesquelles nous voulions aller vers d'autres marchés. La réponse : pour avoir davantage de liquidités et des signaux de prix plus clairs. Il est préférable pour un marché d'avoir le plus de sources de liquidités possible.

Étant donné que les exigences varient d'un pays à l'autre, selon les circonstances et les programmes en place, le tout est de savoir quoi faire pour stabiliser notre propre situation politique sans que cela constitue une entrave qui nous empêche d'aller vers d'autres marchés.

Par exemple, si on fixait un plafond, cela nous limiterait et rendrait encore plus difficile l'accès à d'autres marchés. Si nous déployons des efforts et que nous n'arrivons pas à réduire nos émissions autant qu'un autre marché, celui-ci ne voudra probablement pas faire affaire avec nous.

Tout cela est très concret dans une perspective de marché seulement. Lorsqu'un pays élabore un programme de réglementation pour s'intégrer à l'économie globale, il devra prendre tous ces éléments en considération.

Par exemple, l'idée de fixer un plafond à 15 $ ou de devoir cotiser à un fonds technologique, pour les clients, risque de ne pas plaire aux marchés américains et d'ailleurs dans le monde, car les règles du jeu ne seraient pas équitables.

De plus, si on ne fait pas bien les choses, cela laissera beaucoup de place à l'arbitrage. C'est le genre de choses que nous devons prendre en compte si nous voulons aller vers d'autres marchés.

À ce stade-ci, il est important que votre comité se penche là-dessus, si vous souhaitez que les marchés jouent un rôle. Plus le marché sera grand, plus il y aura de liquidités et meilleure sera la situation de ces entreprises qui essaieront de se conformer aux divers règlements.

Le président : Merci beaucoup. Au nom de tous les membres du comité et de tous ceux ici présents, je tiens à vous remercier pour vos excellents témoignages. Nous avons beaucoup appris et cela nous sera très utile pour nos futures discussions.

La séance est levée.


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