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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 3 - Témoignages du 3 octobre 2006


OTTAWA, le mardi 3 octobre 2006

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 32 afin d'étudier, pour en faire rapport, les questions relatives à l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers niveaux de gouvernement du Canada.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, je déclare cette séance ouverte. Le comité commence ce matin une nouvelle étude sur l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers ordres de gouvernement au Canada. Cette étude vient à point sur une question qui suscite beaucoup d'attention. Nous allons tabler sur les travaux de 2001-2002 de ce comité concernant la formule de péréquation. Tous les sénateurs ont reçu le rapport du comité.

Nous allons commencer par un survol des questions qui entourent actuellement l'équilibre horizontal, dont les récents développements comme les recommandations des divers groupes d'experts et de consultation ainsi que l'état actuel des négociations intergouvernementales.

J'ai le plaisir d'accueillir le professeur Robin Boadway du département des sciences économiques de l'Université Queen's. Le professeur Boadway a des diplômes du Collège militaire royal du Canada, de l'Université Queen's et de l'Université Oxford. Il enseigne à Queen's depuis 1973 et a enseigné dans diverses autres institutions à l'étranger. Il est membre de la Société royale du Canada et a à son actif une longue liste de publications et d'études.

Je vous souhaite la bienvenue, Monsieur Boadway. Je prierais de nous présenter votre exposé, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.

Robin W. Boadway, professeur, Département des sciences économiques, Université Queen's, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président, c'est un plaisir de comparaître de nouveau devant le comité. En tant que grand féru du fédéralisme et étudiant du fédéralisme canadien, je me réjouis que le comité entreprenne ce travail. L'un de vos derniers rapports sur la péréquation constitue d'ailleurs un excellent exemple d'aperçu réfléchi et équilibré. J'ai préparé des notes, que je n'espère pas trop arides, et je vais vous en parler brièvement, mais je vais commencer par une mise en contexte générale.

On entend souvent parler de l'équilibre fiscal dans les nouvelles. Il s'agit du résultat de divers aspects de la fédération et de sa décentralisation, de la séparation des responsabilités de dépense, de la séparation des responsabilités de perception de revenus et du système fédéral — provincial de transferts, dont le Transfert canadien en matière de santé et le Transfert canadien en matière de programmes sociaux sont les principales composantes. Le concept de l'équilibre fiscal n'est pas précis. Il renvoie à peu près au pouvoir de chaque gouvernement provincial et du gouvernement fédéral de s'acquitter de ses responsabilités respectives avec les ressources qui sont à sa disposition dans le respect des objectifs de la fédération. La perception de l'équilibre fiscal de chacun dépend de sa perception de la décentralisation fiscale, de l'équité et de l'efficacité souhaitables dans la fédération et de la meilleure façon d'y parvenir.

Le système fédéral-provincial de transferts fiscaux comporte à la fois une dimension horizontale et une dimension verticale. La première tient au fait que les diverses provinces obtiennent des transferts par habitant différents établis en fonction des différences de capacité fiscale. La composante verticale s'explique par le fait que toutes les provinces, dans une certaine mesure, tirent une partie de leurs revenus de transferts fédéraux. Il importe de signaler que le système de TCS et de TCPS et la péréquation ont des répercussions sur les plans horizontal et vertical de la fédération. Dans le cas de la péréquation, l'élément horizontal est explicite, étant donné que le système assure une distribution horizontale en faveur des provinces bénéficiaires. Par ailleurs, la péréquation a aussi une dimension verticale, car elle est financée par des transferts fédéraux.

Même s'il n'y avait aucun transfert social, la péréquation supposerait un écart fiscal vertical. En l'absence du TCS et du TCPS, le montant des transferts nécessaires pour atteindre une norme de péréquation donnée augmenterait inévitablement, car les taux d'imposition des provinces seraient plus élevés. Le système du TCS et du TCPS comprend une composante verticale évidente, mais il assure aussi une péréquation. Un transfert par habitant égal financé par le Trésor fédéral suppose implicitement des transferts des provinces qui ont une capacité fiscale supérieure vers les provinces dont la capacité fiscale est moindre. En ce sens, la péréquation et le système du TCS et du TCPS sont interdépendants et contribuent ensemble à l'équilibre horizontal et vertical.

Dans mes prochaines observations, je vais surtout mettre l'accent sur la péréquation, mais reconnaître implicitement cette interdépendance. Je vais commencer par les principes de base de l'équilibre horizontal, et je m'excuse si bon nombre des membres du comité les connaissent déjà très bien.

La question de l'équilibre horizontal est une conséquence de la décentralisation des responsabilités financières. Les provinces ont la responsabilité de fournir des biens et des services publics et de percevoir des revenus pour financer ces services. Les différentes provinces ont inévitablement des différences de capacité fiscale pour offrir un niveau donné de services publics à partir des assiettes fiscales qu'elles peuvent exploiter. Il y a deux raisons d'y voir un problème. Du point de vue constitutionnel, d'abord, le paragraphe 36(2) engage le gouvernement fédéral à « assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables ». On pourrait supposer que l'équilibre horizontal est assuré lorsque l'engagement prévu au paragraphe 36(2) est respecté. Deuxièmement, on peut invoquer les principes normatifs en politique d'intérêt public pour appuyer les objectifs énoncés au paragraphe 36(2). La meilleure façon de comprendre ces principes est de faire appel à la notion d'« avantages fiscaux nets » (AFN), un terme utilisé par le groupe d'experts sur la péréquation et la formule de financement des territoires.

Il s'agit en gros des avantages que le contribuable reçoit en services publics en contrepartie des impôts qu'il paie. S'il y a une province où des services publics de niveau élevé sont assurés au moyen d'impôts relativement faibles, il existe un avantage purement fiscal à s'y installer, même si le salaire est égal dans cette province et celle qu'on quitte. Dans la mesure où cette migration provoquée par l'impôt se concrétise, les personnes et les entreprises seront réparties de façon inefficace entre les provinces. Le deuxième argument, et peut-être le plus important, est celui de l'égalité qui est associée aux différences dans les avantages fiscaux nets. En effet, des personnes qui sont dans des situations par ailleurs identiques seraient traitées différemment par le gouvernement en fonction de leur province de résidence. Cette violation du principe de l'égalité de traitement des égaux (ce que les économistes appellent l'équité horizontale) entraîne une injustice fiscale dans la fédération. Qu'une société considère l'injustice fiscale comme un problème ou non est affaire de jugement de valeur, et cela traduit l'idée que la société se fait de la citoyenneté sociale ou de la solidarité sociale. Si l'idée de citoyenneté sociale s'applique au niveau national, on cherchera à éliminer les différences d'AFN dans tout le pays.

Comme le paragraphe 36(2) semble ménager une certaine latitude en employant l'adverbe « sensiblement », diverses interprétations sont possibles. Si on exige seulement que les niveaux soient sensiblement comparables entre les provinces, c'est qu'il y a conflit entre le principe de l'équité fiscale, qu'on trouve au paragraphe 36(2), et d'autres principes concurrents, dont la propriété provinciale des ressources naturelles et le droit des provinces d'en tirer des revenus.

La notion de niveaux sensiblement comparables pourrait simplement vouloir dire que, dans un régime fédéral, les provinces devraient avoir la latitude voulue pour choisir leurs programmes de dépenses et de fiscalité comme bon leur semble. Si une province préfère offrir un faible niveau de service et une autre un niveau plus élevé, ou si l'une préfère une fiscalité plus progressive que celle d'une autre, les avantages fiscaux nets pour un type donné de personnes peuvent varier selon les provinces. Essayer d'aller à contre-courant, ce serait porter atteinte à la raison d'être de la fédération.

Le compromis accepté est de tenter de s'assurer que les provinces ont la capacité de fournir des services publics comparables avec une fiscalité comparable, mais sans les contraindre à offrir ces services.

Par souci de moyens financiers, le gouvernement fédéral peut être empêché d'appliquer des politiques qui permettent à toutes les provinces d'avoir des capacités comparables d'offrir des services publics. Je vais y revenir sous peu.

Il pourrait être justifié de s'éloigner de la pleine comparabilité des capacités fiscales si, en assurant cette comparabilité, on poussait les provinces à se comporter d'une façon peu souhaitable, il s'agit d'une forme de compromis entre équité et efficacité. Dans une fédération où les provinces font des choix fiscaux fort différents, on peut dire que la mesure des différences dans la capacité d'offrir des services publics bute nécessairement sur des ambigüités.

La conclusion à tirer est que la notion d'équilibre horizontal est, en soi, ambigüe, même si on aborde la question en tenant à respecter les principes. Néanmoins, il vaut tout de même la peine de voir où les principes peuvent nous mener, même si une certaine ambigüité est inévitable.

J'aimerais vous parler brièvement des différences dans la capacité à offrir des services publics d'une province à l'autre avant de souligner quelques-uns des principaux problèmes que nous devons corriger. Les provinces ne peuvent pas offrir des niveaux comparables de services publics à des taux comparables d'imposition pour deux grandes raisons. Sur le plan de la fiscalité, il se peut que les provinces ne puissent obtenir les mêmes revenus par habitant en appliquant des taux d'imposition comparables. Quant aux dépenses, il est possible que des niveaux comparables de services publics exigent des dépenses par habitant différentes. En d'autres termes, il faut tenir compte à la fois des dépenses et des revenus quand on essaie de voir comment appliquer l'engagement prévu au paragraphe 36(2).

Les provinces ont des capacités fiscales différentes dans la mesure où les revenus qu'elles peuvent prélever en appliquant des taux d'imposition comparables diffèrent. L'approche du régime fiscal représentatif (RFR) utilisée dans le système canadien de péréquation tente de résoudre ces problèmes en intégrant chaque assiette fiscale séparément dans le système et en mesurant, pour chaque assiette fiscale, la capacité fiscale par l'application à l'assiette fiscale de la province du taux d'imposition moyen utilisé dans toutes les provinces. J'espère que vous avez tout compris.

En principe, la procédure est simple, mais plusieurs problèmes surgissent dans la pratique. D'abord, comme les provinces définissent leurs assiettes fiscales de façon différente, il peut être difficile de définir des assiettes fiscales représentatives. Les provinces peuvent appliquer des taux différents à une même assiette fiscale, par exemple, des taux d'imposition progressifs et des taux d'imposition foncière qui varient d'une localité à l'autre. L'imposition foncière varie habituellement d'une localité à l'autre en fonction de la valeur des propriétés. Les provinces peuvent être en mesure de faire varier leurs assiettes fiscales comme bon leur semble, auquel cas des problèmes d'incitation peuvent surgir. Notons l'exemple du taux de mise en valeur des ressources. Dans le cas des ressources, la qualité des gisements d'une ressource donnée peut varier considérablement, si bien qu'il peut ne pas être possible pour les provinces d'appliquer des taux d'imposition communs aux gisements. Il peut aussi y avoir divers moyens non fiscaux de percevoir des revenus, dont certains ne sont pas versés au Trésor, mais affectés à des fins spéciales.

Malgré ces difficultés, il y a des moyens raisonnables de surmonter les problèmes, et l'approche canadienne du RFR a fort bien réussi à le faire.

Les différences dans les besoins de dépenses peuvent découler de deux raisons. Le besoin de services publics peut varier entre les provinces en fonction de leur démographie. De plus, le coût des services publics peut varier entre les provinces, en raison des différences dans les coûts des salaires, par exemple, l'emplacement géographique, et cetera.

Au Canada, nous ne tenons pas compte explicitement des différences sur le plan des dépenses dans le système de péréquation, bien que nous en tenions parfois compte dans d'autres systèmes de transfert. Il est généralement admis qu'il serait difficile de tenir compte des dépenses nécessaires dans un système de péréquation. Étant donné les inévitables différences dans la qualité et le coût des services publics, il est difficile d'en évaluer la comparabilité. L'expérience de l'Australie donne à penser que les différences dans les besoins tendent à compenser les différences dans les coûts.

Pour ces raisons, la plupart des observateurs, y compris le groupe d'experts du gouvernement fédéral et le groupe consultatif du Conseil de la fédération sur la péréquation et la formule de financement des territoires se sont prononcés contre la péréquation des dépenses dans le système de péréquation.

Je vais maintenant me pencher sur la composante des revenus dans l'équilibre horizontal. Je vais citer explicitement les recommandations du groupe d'experts et du groupe consultatif. Ces deux études sont très détaillées et sérieuses en plus de témoigner d'une grande compétence. Leurs recommandations doivent être prises au sérieux, même si elles diffèrent quelque peu dans certains cas.

Afin d'orienter un peu les questions et la discussion sur quelques grands problèmes de l'équilibre horizontal, permettez-moi de vous les présenter et de vous dire comment les deux groupes ont choisi de les examiner. D'abord, il y a la norme en fonction de laquelle les provinces bénéficiaires reçoivent des paiements de péréquation. Le groupe d'experts et le groupe consultatif recommandent tous deux une norme qui englobe les dix provinces, ce qui équivaut pour ainsi dire à recommander que la capacité fiscale des provinces bénéficiaires soit relevée au niveau de la moyenne nationale. Il importe de signaler, concernant le choix d'une norme, que dans un système de RFR, le fait de passer d'une norme à l'autre, d'une norme axée sur cinq provinces à une norme axée sur dix provinces ou sur la province la plus riche, si l'on veut, fait essentiellement augmenter le total des droits de péréquation pour toutes les provinces bénéficiaires de montants égaux par habitant. L'équilibre horizontal est donc maintenu.

En en sens, la norme choisie, dès que l'on applique un système de RFR, reflète la hauteur des paiements de péréquation que le gouvernement veut octroyer aux provinces bénéficiaires en fonction de celles qui ne reçoivent pas la pleine péréquation. Pour satisfaire pleinement les exigences énoncées au paragraphe 36(2), la péréquation devrait faire en sorte que toutes les provinces en retirent une capacité de prélèvement de revenus égale. Pour cela, il faudrait opter pour la norme de la province la plus riche, ce qui pourrait être très cher. En un sens, la norme choisie reflète ce que le gouvernement fédéral décide qu'il a les moyens de payer. C'est la première question.

La deuxième est l'ampleur des sources de revenus. Le conseil consultatif a recommandé de tenir compte des 33 sources de revenus qui sont déjà prises en compte dans la formule de RFR. Le groupe d'experts a recommandé de ne tenir compte que de cinq sources : l'impôt sur le revenu des particuliers, l'impôt sur le revenu des entreprises, la taxe de vente, les revenus tirés des ressources et les impôts fonciers.

Il y a divers arguments invoqués pour justifier la réduction à cinq sources de revenu. L'un d'eux est la simplification du système, parce qu'on croit qu'il sera plus simple de bien comprendre le système s'il y a cinq sources plutôt que 33.

Le groupe d'experts a également soutenu que certains impôts ne donnent lieu qu'à des disparités modérées et qu'il ne vaut donc pas la peine de les soumettre à la péréquation. D'autres assiettes fiscales ont été omises parce que les disparités sont difficiles à mesurer ou parce que les pratiques des provinces varient à ce point qu'il est difficile d'appliquer le RFR.

Enfin, le groupe d'experts a recommandé de laisser tomber les frais aux usagers, étant donné qu'une partie de leur produit n'est pas versée au Trésor. C'est la deuxième question. Dans quelle mesure devons-nous inclure toutes les assiettes fiscales dans le régime fiscal représentatif plutôt qu'un nombre limité?

La plus grande différence entre les deux groupes, c'est le traitement des revenus provenant des ressources naturelles; c'est également la question la plus litigieuse, je dirais. Le groupe consultatif a recommandé de tenir pleinement compte des revenus provenant des ressources en utilisant l'approche du RFR. Le groupe d'experts a recommandé de ne tenir compte que de 50 p. 100 de ces revenus, en utilisant les revenus réels plutôt que l'approche du RFR.

Je vais vous présenter les cinq thèses principales pour réclamer un traitement spécial des revenus provenant des ressources. La première est celle de la propriété provinciale des ressources naturelles. Certains soutiennent que de soumettre les revenus provenant des ressources à une péréquation intégrale équivaut à priver les provinces bénéficiaires de leurs droits de propriété. La thèse contraire veut que cela aille à l'encontre de l'engagement prévu au paragraphe 36(2), qui ne fait aucune distinction entre les types de revenus. On peut aussi soutenir qu'un système de péréquation n'équivaut pas à les imposer et que si la thèse de propriété peut s'appliquer aux ressources naturelles, elle peut s'appliquer également à toutes les sources provinciales de revenus, qui sont également de la propriété des provinces en un sens.

La deuxième thèse est celle de la capacité financière. On dit que la capacité du gouvernement fédéral d'assurer la péréquation pour ce qui est des revenus tirés des ressources est compromise par le fait qu'il ne peut pas imposer directement les ressources. Il est difficile de la contredire. Le gouvernement fédéral n'a pas directement accès aux revenus provenant des ressources, mais il y a certainement indirectement accès par les taxes des entreprises et d'autres taxes. De plus, le fait qu'il ne touche pas directement des revenus provenant des ressources ne l'empêche pas en principe d'assurer la pleine péréquation de toutes les sources de revenus des provinces. Dans la mesure où la capacité financière constitue un problème, il vaut mieux résoudre ce problème en révisant la norme plutôt qu'en réduisant la proportion des revenus provenant des ressources naturelles prise en compte dans la formule. Cette dernière façon de faire a une incidence sur l'équilibre horizontal entre les provinces bénéficiaires puisqu'elle engendre une discrimination systématique à l'encontre des provinces qui n'ont pas beaucoup de ressources.

Le troisième argument est lié aux effets d'incitation. Ainsi, les provinces ne sont pas incitées à exploiter leurs ressources naturelles si les revenus publics qu'elles pourraient en tirer sont implicitement récupérés via une réduction de leur péréquation. Il est difficile de savoir dans quelle mesure il convient de prendre cet argument au sérieux. En effet, aucune observation empirique ne montre que la pleine péréquation des ressources naturelles qui se pratique depuis des années a incité les provinces à restreindre l'exploitation de leurs ressources.

Le quatrième argument s'appuie sur la capacité de mesure. Les revenus tirés des ressources naturelles sont beaucoup plus hétérogènes que ceux provenant des autres assiettes fiscales. Les gisements sont de qualité variable et les coûts d'extraction ne sont pas uniformes, ce qui fait que la capacité de percevoir des revenus au moyen d'un système de redevances varie d'un gisement à l'autre. C'est la raison principale qui a poussé le groupe d'experts à recommander d'utiliser les revenus réels aux fins de la péréquation et donc de s'éloigner du principe du RFR, simplement parce qu'il est difficile de mesurer de façon comparable un régime fiscal représentatif pour les ressources naturelles. Certes, l'utilisation de chiffres réels simplifie le système et règle le problème de mesure, mais elle fait apparaître des préoccupations concrètes au sujet des effets d'incitation et assure presque certainement que les ressources ne pourront être pleinement prises en compte dans la formule. Le système de RFR vise à régler ce problème en ventilant les sources de revenus selon leur type.

En dernier lieu, il y a l'argument des coûts de mise en valeur. Des observateurs ont soutenu que les ressources naturelles devraient faire l'objet d'un traitement spécial pour tenir compte du fait que les provinces engagent certains coûts pour en assurer la mise en valeur. Le problème de cette argumentation, c'est qu'elle ne s'applique pas exclusivement aux ressources naturelles. On pourrait également soutenir que l'impôt sur le revenu prélevé par les provinces reflète les dépenses provinciales en éducation et en santé. En outre, une fois qu'on a admis que les coûts de mise en valeur des ressources sont un facteur à considérer, il n'y a plus de raison de ne pas tenir compte d'autres besoins et d'autres coûts dans la formule de péréquation, ce qui nous amène du côté des dépenses. Si, par principe, la péréquation doit se fonder sur la capacité fiscale, l'ajout d'exceptions à la pièce viole ce principe de façon discriminatoire.

Pour ce qui est du traitement des impôts fonciers, tant le groupe d'experts que le groupe consultatif recommandent d'en tenir pleinement compte. Le groupe d'experts soutient en outre qu'il faut considérer la valeur marchande des biens et retenir une approche stratifiée pour prendre en compte le fait que les biens ayant une valeur différente à différents endroits ont une capacité fiscale différente. J'estime que cette argumentation est tout à fait raisonnable.

J'aurais une remarque au sujet de la péréquation des revenus tirés des impôts fonciers. Il faut ainsi noter que, si l'on adopte la pleine péréquation des impôts fonciers, le système traite implicitement de la même façon les services publics provinciaux et municipaux dans l'interprétation du paragraphe 36(2). Ainsi, les provinces bénéficiaires devraient avoir la possibilité d'offrir des niveaux de services publics comparables à leurs administrés, tant à l'échelon municipal que provincial. Pour ce faire, des programmes provinciaux-municipaux de péréquation pourraient s'imposer, mais aucun des deux groupes ne traite du financement des municipalités. Ce point peut être intéressant dans l'étude du cas des transferts fédéraux directs en faveur des municipalités.

Concernant un autre facteur, celui de la volatilité, le groupe consultatif et le groupe d'experts recommandent tous deux que les droits de péréquation soient calculés avec un décalage de deux ans fondé sur une moyenne mobile de trois ans. C'est une solution qui m'apparaît très raisonnable pour contourner les problèmes découlant des fluctuations des droits de péréquation d'une année à l'autre, et de la nécessité de réviser ces droits lorsque de nouvelles données arrivent.

Quant à savoir si la péréquation doit être fondée sur une formule ou sur des décisions discrétionnaires, les deux groupes ont recommandé une approche basée sur une formule, mais le conseil consultatif a proposé que, lorsque la capacité financière fait problème, on règle le tout en modifiant la norme, ce qui devrait être négocié avec les provinces. Par le passé, des changements discrétionnaires et ponctuels ont été apportés au programme de péréquation d'une manière qui violait les principes de l'approche du régime fiscal représentatif; vous en connaissez sans doute de nombreux exemples. Tout cela rend le système moins prévisible pour les provinces, donne une impression d'injustice et sape l'intégrité du programme dans l'opinion publique. On peut éviter cet écueil en insistant sur une approche fondée sur une formule, y compris pour le fonds global de péréquation.

Quant aux éléments de péréquation pouvant être présents dans d'autres programmes, le groupe d'experts recommande que la péréquation soit assurée au moyen du seul programme de péréquation. J'ai quelques commentaires à ce sujet. Comme je l'ai déjà mentionné, il est important de se rappeler que le système de TGS/TCPS contribue de façon importante aux objectifs du paragraphe 36(2) et assure également une péréquation considérable. Si le régime de transferts sociaux ne comportait pas une importante composante en ce sens, il serait beaucoup plus difficile de soutenir la péréquation. Il est toutefois également vrai que d'autres programmes fédéraux englobent implicitement un élément de péréquation qui favorise les provinces pauvres. Notons par exemple le régime d'assurance-emploi, les programmes d'infrastructure, les programmes d'immigration et différents programmes de dépenses servant à des fins précises. Faut- il traiter de ces éléments dans un débat sur l'équilibre fiscal? C'est matière à discussion. Une chose qu'il ne faut certes pas perdre de vue, c'est la distinction entre péréquation, développement régional et programmes de redistribution entre personnes, autant d'éléments qui ont des fins différentes. Le gouvernement fédéral a une certaine responsabilité à l'égard des trois programmes et, dans tous les cas, les résultats sont probablement faussés lourdement en faveur des provinces pauvres.

Dernier point, qui relève davantage de votre compétence que de la mienne, le groupe d'experts a recommandé la mise en place d'un processus pour améliorer la transparence, les communications et la gouvernance, mais à l'intérieur des institutions existantes. Pour sa part, le groupe consultatif a recommandé la formation d'un Conseil des premiers ministres chargé de la fiscalité pour traiter des questions intergouvernementales en matière de fiscalité et d'un Institut canadien de l'information fiscale chargé de fournir des renseignements rapidement et avec exactitude. Il s'agit de rendre le processus de prise de décisions à l'égard des arrangements fiscaux fédéraux-provinciaux plus transparent et plus ouvert, et de le soumettre au débat et à l'examen publics, au lieu qu'il soit indûment assujetti aux considérations budgétaires à court terme. Il faut toutefois reconnaître que les décisions de nature financière doivent faire partie du processus budgétaire.

J'en resterai là pour ma déclaration préliminaire. Je vous prie de m'excuser pour le manque de préparation, mais j'ai eu très peu de temps pour ce faire.

Le président : Merci, monsieur Boadway. Vos excuses sont superflues. Nous vous remercions pour votre exposé et pour votre document qui nous sera utile pour nos travaux. Votre déclaration a suscité quelques questions.

Le sénateur Ringuette : Merci pour votre excellent mémoire. Vous avez parlé du problème des écarts entre les coûts que les différentes provinces doivent engager pour fournir des services à leurs citoyens. Il y a certes des économies d'échelle possibles. Comment peut-on s'assurer que les transferts par habitant sont équitables pour les provinces et leurs citoyens dans un contexte de péréquation?

Chez moi, au Nouveau-Brunswick, il est plus coûteux de fournir des services aux citoyens parce que la province ne compte que 750 000 résidents, dont bon nombre sont éparpillés sur le territoire. Il ne fait aucun doute qu'il en coûte moins d'offrir, par exemple, les soins de santé au centre-ville de Toronto où les économies d'échelle permettent d'exploiter des hôpitaux plus grands.

Vous avez indiqué qu'il était difficile d'évaluer les niveaux de service en fonction des facteurs géographiques et des éléments économiques qui y sont liés. Dans quelle mesure devrions-nous poursuivre cette analyse?

M. Boadway : C'est une question importante à n'en pas douter. Il vous suffit d'examiner ce qui se passe dans les provinces pour voir à quel point cet aspect est crucial. L'écart entre les régions rurales et urbaines quant au niveau de services publics offerts est beaucoup plus prononcé que l'écart entre le niveau des services publics fournis dans les régions rurales de deux provinces différentes ou dans les secteurs urbains de deux provinces différentes.

C'est une situation complexe qui fait en sorte qu'il est difficile pour les gouvernements provinciaux de déterminer la façon dont ils doivent financer les municipalités relevant de leur compétence. Toutes les fois qu'on essaie d'incorporer des éléments de coût dans une formule de péréquation, on se heurte à des problèmes délicats au niveau du concept même. Qui plus est, les facteurs qui entrent en jeu nous amènent dans des directions opposées.

Il est bien certain qu'il peut y avoir des économies d'échelle associées à la prestation de services de santé comme de tout autre type de services publics, ce qui procure un certain avantage aux provinces dont la population est plus concentrée. Cependant, les différences entre régions rurales et urbaines quant aux salaires et à la valeur des biens font en sorte qu'il est plus difficile d'offrir les services dans les secteurs densément peuplés.

L'expérience de l'Australie, le principal pays essayant d'appliquer une péréquation fondée sur les coûts et les revenus, indique que ces éléments de besoins et de coûts tendent généralement à se contrebalancer. Les différences de capacités fiscales établies au moyen de leurs calculs sur les besoins en dépenses sont bien inférieures à celles qui découlent des écarts de revenus.

Dans un monde idéal, on souhaiterait une péréquation entre les provinces fondée sur la différence entre les coûts à assumer pour offrir les services et les besoins différents à l'égard de ces services. Dans la pratique, il est difficile d'en arriver là. Il est également difficile de définir quel ensemble représentatif de services les provinces devraient offrir étant donné les écarts importants au niveau de la qualité. Les groupes d'experts et de nombreuses autres instances ont recommandé de ne pas emprunter cette avenue, non pas parce que ce serait une approche à déconseiller, mais bien parce qu'il serait difficile de le faire en offrant une certaine garantie d'exactitude.

Le sénateur Ringuette : Par ailleurs, devrions-nous remettre en question les transferts fondés sur la population?

M. Boadway : Les transferts par habitant, aux fins notamment de la péréquation, sont le simple reflet de nos efforts pour que tous les citoyens aient accès à un niveau de revenu équivalent. Il est difficile de voir comment nous pourrions renoncer à ces transferts par habitant sans faire entrer en ligne de compte les différences entre les besoins liés aux coûts à engager. C'est bien simple, on saurait difficilement vers quel côté aller, car on ne sait pas vraiment si le coût par habitant associé à un niveau donné de services publics est plus élevé ou plus faible en Ontario qu'au Nouveau- Brunswick, par exemple. Certaines personnes en Ontario soutiennent exactement le contraire et affirment qu'il en coûte plus cher d'offrir les services publics parce que les salaires et la valeur des biens sont plus élevés en Ontario et parce qu'il est plus coûteux d'exploiter des services publics dans le Grand Toronto qu'à Moncton.

Les transferts par habitant ne constituent d'aucune façon la solution idéale mais, si on n'est pas capable de calculer les différences quant aux besoins à l'égard des dépenses, il serait bien difficile de savoir quelle orientation il faudrait prendre si on y renonçait.

Le sénateur Ringuette : Ma dernière question concerne les impôts fonciers. Les impôts fonciers sont prélevés par les municipalités en fonction de la valeur des propriétés, sauf dans les régions non incorporées. J'ai une certaine réticence à intégrer les impôts fonciers à la formule parce qu'il ne s'agit pas d'un revenu pour les provinces, bien que certaines d'entre elles délèguent aux municipalités leurs responsabilités à l'égard des services sociaux. En examinant le portrait global et la question de l'intégration des impôts fonciers, on peut se demander s'il ne convient pas de se pencher sur le troisième palier de gouvernement au Canada, à savoir les instances municipales. Une partie des impôts fonciers prélevés par les provinces sont redirigés vers les administrations municipales dont les responsabilités ne se limitent pas aux seules infrastructures de la municipalité; elles s'occupent également de la prestation de programmes sociaux et de logement social. Si nous devions décider de tenir compte de l'impôt foncier dans ce scénario, pourquoi ne pas inclure également le palier municipal?

M. Boadway : Il s'agit d'une question importante à laquelle on peut répondre sous différents aspects. Il convient de se demander ce qu'il faut inclure dans les niveaux comparables de services publics que prévoit le paragraphe 36(2) qui indique que les provinces devraient être tenues d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables. Les services municipaux devraient-ils être inclus? En appliquant la péréquation à toutes les sources de revenus accessibles aux provinces et à leurs municipalités, vous affirmez implicitement que tous les services publics sont importants, qu'ils soient fournis par la province ou par les municipalités.

Si on évalue la situation dans une perspective non constitutionnelle, il faut reconnaître que bon nombre des services offerts par les municipalités revêtent une importance d'envergure provinciale, comme les services sociaux et le logement notamment. Je suppose donc que cela justifierait leur inclusion pour l'application du paragraphe 36(2). Une fois que vous empruntez cette avenue, il devient difficile d'y voir clair quant aux services publics à inclure effectivement. Vous pourriez décider que certains services publics sont importants et devraient être offerts par les municipalités, alors que d'autres ne le sont pas autant. Vous vous retrouveriez alors confrontés à un dilemme, car il vous faudrait déterminer de quelle quantité de revenus les provinces ont besoin pour offrir les services publics que vous avez inclus dans la péréquation, en excluant ceux que vous n'avez pas jugés suffisamment importants. Ce n'est pas vraiment chose possible. D'un point de vue strictement pratique, il n'est pas facile de faire la distinction entre les services publics provinciaux et municipaux dont vous préconiseriez l'inclusion.

L'impôt foncier n'est pas facilement assimilable à un impôt direct destiné uniquement aux municipalités. Dans certaines provinces, les impôts fonciers ont une composante provinciale et servent au financement de services publics provinciaux comme l'éducation. Les différentes provinces comptent, de façon plus ou moins prononcée, sur les impôts fonciers pour financer leurs municipalités. Le problème avec les impôts fonciers, ce n'est pas tellement qu'il soit difficile de déterminer s'ils devraient être inclus ou non dans la péréquation. Je suis persuadé que les services municipaux sont tout aussi importants que les services provinciaux, et les provinces devraient être en mesure d'offrir des niveaux comparables de services municipaux, tout autant que des niveaux comparables de services provinciaux. Le problème n'est donc pas conceptuel; il ne s'agit pas de savoir s'il faut inclure les impôts fonciers dans la péréquation, mais bien de trouver la bonne façon de le faire.

Le sénateur Murray : M. Boadway a comparu devant notre comité et de nombreux autres comités parlementaires pour discuter de différentes politiques et dispositions législatives. Nous avons toujours apprécié sa grande disponibilité et l'aide qu'il nous apporte dans nos travaux.

J'aimerais d'abord parler de ce que je crois être la position du gouvernement de l'Ontario sur quelques-unes de ces questions. Le premier ministre McGuinty a soulevé plusieurs points, ce qui semble avoir créé une certaine confusion tant dans les médias qu'au sein même de la population. Il a d'abord parlé du fameux manque à gagner de 23 milliards de dollars; il s'agit de l'écart entre les sommes que le gouvernement fédéral prélève en revenus dans la province de l'Ontario et les montants qu'il y injecte sous forme de différents biens et services. Ce manque à gagner de 23 milliards de dollars vient notamment du fait que la conjoncture économique est meilleure en Ontario et en Alberta que dans la plupart des autres régions du pays. Si mon souvenir est exact, pas moins de 40 p. 100 de cet écart est attribuable au fait que les revenus sont plus élevés et que les Ontariens et les Albertains contribuent donc davantage au fisc fédéral. Parmi d'autres facteurs liés à l'économie, on peut noter qu'il y a moins de chômage et par conséquent moins de prestations d'assurance-emploi versées en Ontario. L'Ontario n'est donc pas bénéficiaire de la péréquation comme c'est le cas d'autres provinces. Voilà donc pour le manque à gagner de 23 milliards de dollars.

J'estime que ses arguments sont plus percutants lorsqu'il souligne que certaines autres provinces bénéficient d'un traitement plus favorable au chapitre des arrangements fédéraux-provinciaux touchant l'intégration des immigrants. De plus — et c'est là où je veux en venir — dans le cas des transferts pour la santé et l'éducation postsecondaire, lorsqu'on tient compte de la composante de péréquation incluse dans ces transferts, l'Ontario et l'Alberta se retrouvent avec moins d'argent par habitant que les autres provinces. À ce titre, les revendications de M. McGuinty sont justifiées.

Si j'ai bien compris, le premier ministre ontarien propose comme solution l'instauration d'un véritable programme de péréquation qui règlerait le problème du déséquilibre fiscal horizontal en éliminant ce qu'il appelle la péréquation cachée; autrement dit, en supprimant toute composante de péréquation dans les transferts fédéraux comme le Transfert canadien en matière de santé et le Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Qu'en pensez-vous?

M. Boadway : Je suis pas mal d'accord avec tout ce que vous venez de dire. J'aimerais seulement ajouter quelques précisions.

L'Ontario a fait valoir avec raison qu'il est arrivé que des changements discrétionnaires soient apportés à des programmes d'une manière qui a favorisé certaines provinces au détriment des autres, et que l'Ontario s'est rarement retrouvée du côté des gagnants. Vous avez cité le dossier de l'immigration où ce fut certainement le cas. L'Ontario se préoccupe tout particulièrement des arrangements spéciaux qui ont été accordés à l'intérieur ou en marge de la formule de péréquation relativement au pétrole extracôtier en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador; quant au traitement des impôts fonciers aux fins de la péréquation en Colombie-Britannique; et sous forme d'ajustements budgétaires au bénéfice de la Saskatchewan pour ses ressources. Tous ces arrangements particuliers ne font pas l'affaire du gouvernement de l'Ontario. Bien évidemment, il s'agit de montants négligeables par rapport au manque à gagner de 23 milliards de dollars dont le premier ministre a parlé.

Il y a aussi la façon dont les transferts sociaux sont calculés. Le problème, c'est que la façon de calculer ces transferts n'était pas entièrement transparente. Essentiellement, on dit que le Transfert canadien en matière de programmes sociaux et le Transfert canadien en matière de santé sont des transferts égaux par habitant, parmi les provinces. Toutefois, pour des raisons d'ordre historique, le gouvernement fédéral a maintenu qu'une partie de ces transferts était des points d'impôt qui avaient été remis aux provinces en 1977. Lorsque le FPE a été établi, certains points d'impôt sur le revenu des particuliers et certains points d'impôt sur le revenu des entreprises ont été cédés et on a commencé à calculer ces transferts de points d'impôt. On continue d'en tenir compte dans la contribution aux transferts sociaux.

Cela a entraîné diverses anomalies, notamment celle dont parle le sénateur Murray, c'est-à-dire qu'on a établi la péréquation pour ces transferts de points d'impôt, qui valaient plus pour l'Ontario et l'Alberta que pour les autres provinces. En conséquence, dans le calcul des transferts en espèces que ces provinces recevaient, certaines sommes étaient récupérées parce que la méthode comptable montrait qu'elles avaient reçu plus de transferts de points d'impôt.

Le sénateur Murray : Ils ont été répartis pour les provinces plus pauvres.

M. Boadway : C'est exact. D'autres anomalies ont été créées par la façon dont ces transferts de points d'impôt ont été traités. Par exemple, sans vouloir offenser personne ici, dans le budget de 1994-1995, lorsque les transferts aux provinces ont été réduits, le gouvernement fédéral a calculé la réduction de ces transferts comme un pourcentage de son paiement total aux provinces, qui comprenait les transferts de points d'impôt, tandis que si le calcul avait été fait seulement en fonction du transfert en espèces, le pourcentage aurait été beaucoup plus élevé.

L'existence de ces transferts de points d'impôt et le fait qu'ils continuent d'être considérés comme faisant partie de la contribution du gouvernement fédéral aux programmes sociaux ont entraîné des anomalies bien particulières au fil des années, dont celle que je viens de décrire.

Pour revenir à la première question, certains soutiennent que les transferts TCS/TCPS pourraient être utilisés pour obtenir une meilleure péréquation que ce que donne le système actuel. Comme vous le savez, le système actuel de péréquation hisse les provinces pauvres au niveau des autres, mais pas l'inverse. Certains disent qu'il s'agit d'une lacune du système et que nous devrions trouver des façons d'abaisser le niveau des provinces riches, et les transferts sociaux pourraient être utilisés dans ce sens. Je ne suis pas particulièrement en faveur de cela — ce serait coûteux — mais s'il fallait le faire, il faudrait utiliser une méthode plus transparente et basée sur une formule, contrairement à ce qui se fait présentement.

Le sénateur Murray : Que penser de la position du premier ministre McGuinty et du gouvernement de l'Ontario voulant qu'il y ait un seul programme de péréquation et qu'il n'y ait aucun élément de péréquation rattaché aux transferts en matière de santé, de programmes sociaux et d'éducation postsecondaire? Cette position vous paraît-elle logique?

M. Broadway : Elle a du sens, sous réserve de ce que j'ai dit plus tôt, c'est-à-dire que les transferts sociaux font partie du système de péréquation. Les transferts sociaux sont une forme de péréquation. Ils consistent à prendre les revenus généraux de toutes les provinces et d'égaliser les transferts par habitant, ce qui, implicitement, permet de redistribuer l'argent des provinces riches parmi les provinces à plus faible revenu. On ne peut nier que ces transferts sociaux établissent une péréquation dans ce sens général.

Cela ne répond pas à la question que vous posez. La question la plus fondamentale est la suivante : Jusqu'où allons- nous avec le système de péréquation? Dans quelle mesure devons-nous nous rapprocher de l'engagement énoncé au paragraphe 36(2)? Comme je l'ai dit, si l'on voulait vraiment prendre ce paragraphe au sérieux, il faudrait amener les provinces riches à un niveau inférieur et les provinces pauvres à un niveau supérieur.

Mon opinion sur cette question ne devrait pas avoir de poids. C'est un jugement de valeur que les Canadiens doivent poser. Je dis seulement qu'une fois qu'on aura décidé jusqu'où l'on veut aller en matière de péréquation, il faudra procéder d'une façon aussi transparente que possible. J'appuierais le gouvernement de l'Ontario en proposant de considérer les transferts en matière de santé et de programmes sociaux comme des transferts conçus essentiellement pour la santé, l'éducation postsecondaire et le bien-être. Il faut reconnaître qu'il nous sera difficile de mesurer les coûts de la santé, de l'éducation postsecondaire et du bien-être que doivent assumer les provinces, alors traitons-les comme des transferts égaux par habitant et faisons-en un programme distinct. Prenons notre programme de péréquation et décidons jusqu'où nous voulons aller. Ce que nous déciderons se reflètera essentiellement dans la norme que nous choisirons. Si nous voulons établir la péréquation à partir des autres provinces, augmentons simplement la norme.

Le sénateur Murray : Permettez-moi d'aborder cette question d'un autre point de vue. Il a été démontré qu'il est relativement facile d'articuler un certain nombre de principes derrière la péréquation. Pour commencer, la péréquation doit mesurer la capacité fiscale relative des provinces. Pour ce faire, il faudrait établir la norme des 10 provinces, rien de moins; pour le faire correctement et équitablement, toutes les sources de revenus devraient être incluses dans le calcul. D'autres principes peuvent être énoncés. Toutefois, il est plus difficile d'articuler un ensemble de principes pour les transferts en matière de santé et de programmes sociaux. Je ne vois pas comment on pourrait articuler et appliquer pareils principes. Qu'en dites-vous?

M. Boadway : Selon moi, décider des principes qui dicteront les sommes d'argent allouées aux transferts sociaux revient à décider dans quelle mesure la fédération doit être décentralisée. On a deux choix : donner des transferts égaux par habitant ou réduire la taille de ces transferts égaux par habitant en cédant des points d'impôts aux provinces et en laissant le système de péréquation se charger de la suite des choses. À mon avis, il y a des raisons pour lesquelles nous ne devrions pas agir ainsi, pourquoi nous devrions maintenir le système de transferts sociaux que nous avons actuellement, puisque l'autre choix consiste à céder des points d'impôts aux provinces et à maintenir l'équilibre vertical, comme ce serait le cas.

Par exemple, réduire la taille des transferts sociaux augmente l'écart de la capacité fiscale entre les provinces, car celles-ci augmenteront leurs revenus pour répondre à leurs propres besoins, et certaines provinces ont de meilleures sources de revenus que d'autres. En réduisant la taille des transferts sociaux, on rendrait la péréquation plus difficile, moins abordable, et on finirait par avoir une norme de péréquation inférieure à ce qu'on souhaiterait.

Par ailleurs, la réduction des transferts sociaux et le fait de céder des points d'impôts aux provinces feraient en sorte qu'il serait beaucoup plus difficile de maintenir un système de taxe harmonisée et de mettre en place un système de taxe de vente harmonisée, ce qui, pour un grand nombre, contribue à créer une concurrence inefficace dans l'économie. Il faudrait aussi examiner le rôle proactif que peuvent jouer les transferts sociaux, ce qui implique le pouvoir de dépenser et ainsi de suite, en plus des deux arguments que j'ai avancés.

Les principes liés au niveau des transferts sociaux peuvent être énoncés. Ils ne sont pas aussi clairs que les principes associés à l'équilibre horizontal, parce qu'ils ne peuvent s'appuyer sur une disposition semblable au paragraphe 36(2). Néanmoins, d'importants principes sont en jeu dans l'établissement des sommes devant être données aux provinces à titre de transferts égaux par habitant, peu importe que l'on considère qu'il s'agit d'un transfert social ou bien d'un simple transfert égal par habitant qui est relativement inconditionnel.

Le sénateur Murray : Ce ne sont pas nécessairement des points d'impôt. Il y a des transferts en espèces.

M. Boadway : Je considère les TCS/TCPS essentiellement comme des transferts en espèces et je mets de côté l'aspect conditionnel. Du simple point de vue de l'équilibre fiscal, sur quels principes va-t-on se fonder pour plaider en faveur ou contre la réduction de la taille de ces transferts en espèces? Je dis que la réduction de la taille de ces transferts en espèces ne pourrait se faire que dans un système qui se rééquilibre lui-même du fait que les provinces accroissent leurs revenus et dépendent moins des transferts du gouvernement fédéral.

Je soutiens que cela comporte des conséquences négatives. Premièrement, la péréquation deviendrait beaucoup plus difficile. De plus grands écarts seraient créés entre les provinces. Deuxièmement, l'harmonisation des taxes serait beaucoup plus difficile. Troisièmement, pour ceux qui ont une opinion bien arrêtée sur le sujet, le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral serait moindre, celui-ci aurait le bras moins long et aurait moins d'influence sur la façon dont les provinces exécutent leurs programmes. Ce serait une question à débattre.

Le sénateur Murray : J'ai été étonné de voir que la municipalité régionale du Cap-Breton poursuivait la province de la Nouvelle-Écosse en alléguant que celle-ci ne lui avait pas remis sa juste part de l'argent de péréquation que la Nouvelle-Écosse avait reçu d'Ottawa. J'ai été étonné également le lire quelque part que vous aviez déposé un mémoire à ce sujet.

Je ne vous demande pas d'émettre des hypothèses sur le dénouement de ce litige, mais vous pourriez peut-être nous dire si vous croyez qu'il s'agit d'une question constitutionnelle entre la municipalité du Cap-Breton et le gouvernement de la Nouvelle-Écosse ou s'il s'agit essentiellement d'une question politique.

M. Boadway : Je ne suis pas avocat.

Le sénateur Murray : Toutefois, vous savez la différence entre une question constitutionnelle et une question politique.

M. Boadway : En effet. Je dois tout d'abord préciser que ma participation dans ce dossier était simplement à titre de témoin expert. On m'a demandé de rédiger un document sur le rôle de la péréquation provinciale et municipale et comment cela s'inscrit dans la structure générale de péréquation et dans le programme de péréquation fédéral.

Selon ce que je comprends, l'argumentation est fondée en partie sur les paragraphes 36(1) et 36(2). La municipalité régionale du Cap-Breton soutient qu'elle ne reçoit pas de revenus suffisants de la province pour pouvoir fournir à ses citoyens des services comparables à ceux des autres administrations de la province. Il s'agit de savoir si le libellé du paragraphe 36(2) s'applique aux municipalités comme aux provinces.

Ce que je dis ici n'a rien à voir avec cette affaire, puisque je ne suis pas certain d'avoir une opinion arrêtée sur ce sujet. Le paragraphe 36(2) impose une obligation au gouvernement fédéral, un engagement de sa part. Par ailleurs, le paragraphe 36(1) prévoit une obligation conjointe entre le gouvernement fédéral et les provinces. Je n'ai pas la formulation exacte à l'esprit, mais le paragraphe 36(1) oblige le gouvernement fédéral et les provinces à fournir des services publics essentiels à tous les citoyens, à garantir l'égalité des chances et à assurer le développement régional. Dans l'affaire de la municipalité régionale du Cap-Breton, je crois comprendre que la municipalité soutient que la province de la Nouvelle-Écosse ne respecte pas son engagement aux termes de l'article 36 de façon à lui permettre de poursuivre ses objectifs. Elle invoque le fait que le système de péréquation fédéral inclut explicitement les services provinciaux — en particulier, l'impôt foncier provincial — et toutes les taxes provinciales servant au financement des services municipaux. Elle invoque aussi le fait qu'il existe un système de péréquation dans la plupart des provinces et, plus particulièrement, en Nouvelle-Écosse. Elle soutient que ce système de péréquation fait en sorte que la municipalité se retrouve à un niveau inférieur à celui des municipalités comparables. Je ne suis pas en mesure de dire si la municipalité a des chances ou non. À titre d'économiste, c'est un bel objectif de soutenir le principe selon lequel les communautés doivent être en mesure d'offrir des services publics comparables selon les taux d'imposition. Toutefois, ce n'est pas à un économiste de déterminer quelle obligation doit assumer un gouvernement provincial en établissant son système de péréquation.

Le sénateur Eggleton : Comme vous le dites, ni le groupe d'experts ni le groupe consultatif ne s'est penché sur le financement municipal. Les municipalités, en avançant des arguments semblables à ceux que font valoir les provinces ces jours-ci, disent que leurs responsabilités dépassent leurs revenus, alors que le gouvernement fédéral se trouve dans une situation inverse. Les municipalités utilisent le même argument, c'est-à-dire que les paliers supérieurs de gouvernement ont les revenus et qu'elles ont beaucoup de responsabilités sans avoir de revenus suffisants pour s'en acquitter.

De quelle façon, au niveau fédéral, pouvons-nous traiter de cette question? Je sais qu'il y a des questions constitutionnelles dans tout cela, mais les services publics fournis par les municipalités sont tout aussi importants que les autres. Les gens des collectivités veulent des routes bien entretenues, la distribution de l'eau dans leur maison, un service incendie, un service de police, la cueillette des ordures et tous ces services publics essentiels. Pourquoi les municipalités n'entreraient-elles pas en jeu ici? Pourquoi ne feraient-elles pas partie de tout cela? De quelles façons pouvons-nous faire cela?

M. Boadway : En principe, ces villes ont une bonne argumentation. Il existe des preuves que certains problèmes d'équilibre vertical existent entre les municipalités et les provinces. Les restructurations effectuées dans les années 90 ont eu pour conséquence de resserrer l'étau autour des municipalités. Au Canada, les taux d'impôt foncier sont parmi les plus élevés parmi les pays de l'OCDE, en particulier pour les entreprises. Cela crée un problème de compétitivité pour les entreprises et un problème pour les villes.

Il est très difficile de savoir ce que peut faire le gouvernement fédéral à ce sujet, compte tenu de la structure hiérarchique gouvernementale au Canada. Il s'agit de savoir si le gouvernement fédéral doit traiter directement avec les municipalités ou par l'entremise des provinces. En principe, le financement des municipalités s'inscrit dans l'équilibre vertical entre le gouvernement fédéral et les provinces. Si les provinces ont moins d'argent, elles ont moins d'argent à transférer aux municipalités.

La question de reddition de comptes est importante ici. Le rôle que peut jouer gouvernement fédéral dans la solution des problèmes municipaux sur une base individuelle est très difficile. En principe, vous pouvez faire valoir que si le gouvernement fédéral veut faire des transferts aux municipalités, il peut utiliser un mécanisme semblable à celui qu'il utilise pour soutenir le système de santé. C'est-à-dire qu'il transfert des fonds aux provinces à la condition qu'ils soient utilisés pour celles-ci, en prévoyant des modalités convenables de retrait.

Il est difficile de savoir comment vous devez encourager les municipalités à faire certaines choses ou si vous devez injecter plus d'argent dans les municipalités. Je ne suis pas certain d'avoir une opinion très claire à ce sujet. Mon instinct me dit que la reddition de comptes et tout le reste fonctionneront mieux si les provinces sont responsables des relations avec les municipalités, et non le gouvernement fédéral. Toutefois, si les moyens financiers deviennent problématiques et si ce que font les municipalités a des conséquences à l'échelle nationale, le gouvernement fédéral est concerné par ce qui se passe dans ces circonstances, en vertu du paragraphe 36(1). Prenons, par exemple, la dynamique région métropolitaine de Toronto qui, présumément, génère des avantages pour le reste du Canada et où le gouvernement fédéral a des intérêts. La façon la plus appropriée de traiter de ces questions serait peut-être d'utiliser un système de transfert aux provinces plutôt que de s'adresser directement aux municipalités. Je dirais que c'est la même chose pour l'intervention fédérale dans de nombreux autres domaines, comme l'éducation postsecondaire. Il vaut mieux que le gouvernement fédéral effectue des transferts aux provinces et qu'il laisse les provinces s'occuper de leurs universités, plutôt qu'il s'occupe directement de la microgestion des projets au niveau municipal. Je ne suis pas un expert en matière de gouvernance et je considère la chose du point de vue de la fiscalité et de la reddition de comptes.

Le sénateur Eggleton : Je comprends la réponse. Si cela devait faire partie de l'équation — après tout, il n'y a qu'un seul contribuable et il s'agit d'une série de services publics qui sont importants pour ce même contribuable —, vous le verriez comme un transfert aux provinces pour maintenir le cadre constitutionnel en place, avec certaines conditions qui sont pertinentes pour les municipalités et qui est destiné aux municipalités?

M. Broadway : Certains pays ont un système dans lequel le gouvernement national fait des transferts pour un projet précis aux municipalités. Je pense, par exemple, au Japon et à certains pays scandinaves — c'est-à-dire des États unitaires qui ont néanmoins différents niveaux de gouvernement du point de vue administratif.

Une chose dont on doit se méfier lorsque le gouvernement fédéral commence à faire des transferts pour un projet précis aux municipalités ou à traiter directement avec les municipalités parce qu'elles ont des contraintes financières, c'est la question que l'on appelle la contrainte budgétaire molle. Une fois que le gouvernement fédéral commence à se croire responsable de faire des paiements directs aux villes, vous devez vous inquiéter du fait que l'usage discrétionnaire de ce type de pouvoir entraîne des problèmes de contraintes budgétaires molles, si vous savez ce que je veux dire par cette expression. C'est-à-dire, la perception par les villes que plus elles montrent qu'elles ont besoin d'argent, plus elles en recevront d'un autre gouvernement, y compris du gouvernement fédéral. C'était là une très grande préoccupation qu'avaient les économistes en ce qui concerne certaines ententes spéciales conclues sur la côte Est. Il y avait cette préoccupation que la raison explicite qui justifiait qu'on le fasse était de « sortir la province de son endettement. » Les économistes s'inquiètent qu'une fois que vous vous engagez dans cette voie, il n'y aura plus de fin.

Il y a le danger de voir le gouvernement fédéral commencer à traiter directement avec les municipalités qui manquent d'argent, entraînant à long terme une sorte de système qui se perpétue de lui-même. Je trouve que les choses seraient beaucoup plus claires si, premièrement, les transferts fédéraux aux municipalités se faisaient par l'intermédiaire des provinces et, deuxièmement, s'ils reposaient sur un ensemble de principes fondés sur une formule et non discrétionnaires.

Le sénateur Eggleton : Vous avez parlé du Japon. Est-ce que cela se fait en Australie ou aux États-Unis?

M. Broadway : En Australie et aux États-Unis, c'est un système hiérarchique comme au Canada, où les États sont responsables des villes qui se situent sur leur territoire, aussi bien en Australie qu'au Canada.

Le président : Vous avez parlé de transfert de points d'impôt. Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne?

M. Broadway : Le principe est simple. Un transfert de points d'impôt est une entente implicite entre le gouvernement fédéral et les provinces, par laquelle le gouvernement fédéral dit qu'il va réduire le taux d'imposition fédéral sur le revenu de cinq points de pourcentage, et que les provinces peuvent, si elles le désirent, augmenter leurs taux de cinq points de pourcentage, et si elles le font, le contribuable s'en tire également bien d'une façon ou de l'autre. Par conséquent, il s'agit d'une offre faite aux provinces en disant : « Nous allons réduire explicitement notre prélèvement d'impôt de 5 p. 100, ce qui vous donnera la possibilité d'augmenter le vôtre de 5 p. 100 », ce qu'elles ne sont pas tenues de faire.

Le président : La province n'est pas obligée d'accepter cette offre?

De Broadway : Non, parce que de toute façon, les provinces ont un pouvoir discrétionnaire de fixer leur taux d'imposition, alors une promesse ne signifierait pas grand-chose.

Le président : Lorsque le gouvernement fédéral réduit son taux d'imposition sans faire d'offre, il est toujours possible pour les provinces d'aller chercher la différence. Quelle est la différence?

M. Broadway : La question se pose, essentiellement, dans le cas où le gouvernement fédéral et les provinces puisent dans la même assiette fiscale. Par exemple, lorsque le gouvernement fédéral a réduit le taux de la TPS de 7 p. 100 à 6 p. 100, on ne considère pas qu'il s'agisse d'un transfert de points d'impôt parce que les provinces n'ont pas de TPS. Elles ne peuvent arriver et faire l'équivalent en augmentant leur taux de taxe. Toutefois, dans le cas de l'impôt sur le revenu, c'est le seul domaine où les transferts de points d'impôt sont très sensés, parce que les deux gouvernements puisent dans la même assiette, et il y a une entente formelle de perception des impôts qui signifie que, pour la plupart des provinces, elles utilisent exactement la même assiette et le même mécanisme de perception. Dans le système existant, il est facile pour le gouvernement fédéral de réduire son taux d'imposition et pour les provinces d'augmenter le leur.

Le sénateur Fox : Je ne comprends pas très bien le point que vous faites valoir. Si le gouvernement fédéral réduit la TPS de 1 p. 100, la province de Québec ou la province de l'Ontario peut augmenter sa taxe de vente de 1 p. 100. Quelle est la différence?

M. Broadway : Il ne fait aucun doute qu'elles peuvent le faire, mais le Québec est une exception parce qu'il a un système de taxe de vente harmonisé, alors le fait d'augmenter le taux de taxe de 1 p. 100 serait à peu près l'équivalent d'une réduction de 1 p. 100 du taux de la TPS fédérale. Toutefois, dans le cas de l'Ontario, une réduction de un point de pourcentage de la TPS ne se traduit pas par une augmentation de 1 p. 100 de la taxe de ventes au détail provinciale parce que les assiettes sont assez différentes dans les deux cas.

Néanmoins, je comprends ce que vous voulez dire. Il est certainement vrai que chaque fois que le gouvernement fédéral réduit son taux d'imposition, les provinces peuvent toujours décider d'augmenter le leur de manière comparable, et le contribuable se retrouverait plus ou moins dans la même situation.

Le sénateur Mitchell : Dans un monde idéal, les provinces aimeraient, dans leur perspective à elles, que le gouvernement fédéral perçoive toutes les taxes et leur remette tout l'argent. C'est pourquoi elles n'aiment pas particulièrement les points d'impôt et c'est pourquoi elles ont oublié ou ont tendance à ne pas reconnaître le fait qu'elles ont reçu des points d'impôt dans le passé concernant les transferts sociaux et en matière de santé. Est-ce exact?

M. Broadway : Oui.

Le sénateur Mitchell : Peut-être que c'est plus péjoratif, mais il est probablement vrai qu'elles ont tendance à ne pas reconnaître cela comme un transfert d'argent. C'est davantage un problème à cause des iniquités que cela engendre ou qu'elles voient que cela engendre.

M. Broadway : Les transferts de points d'impôts en 1977 se sont faits dans le cadre d'un ensemble de mesures plus vastes qui a permis de réformer le système de transfert et le fait de considérer ces transferts de points d'impôt comme faisant partie intégrante de cette entente était certainement quelque chose de sensé à l'époque. Toutefois, 30 ans plus tard, penser que ces transferts de points d'impôt constituent toujours la contribution fédérale aux programmes provinciaux n'a probablement plus beaucoup de pertinence. C'est vraiment la seule chose que nous disons.

Le sénateur Mitchell : Y a-t-il un problème de reddition de comptes inhérent si vous avez un niveau de gouvernement qui prélève les impôts et un autre niveau de gouvernement qui les dépense, ou ne s'agit-il pas d'un problème énorme même à l'époque actuelle où nous sommes très préoccupés par la notion de reddition de comptes?

M. Broadway : Il s'agit certainement d'un point important qui revient chaque fois que l'on parle d'équilibre vertical. Un groupe important de gens prétendent que tout argent que les provinces ne tirent pas de leurs propres sources diminuera la reddition de comptes, que, d'une façon quelconque, elles vont traiter cet argent de manière différente de l'argent qu'elles ont obtenu par elles-mêmes du gouvernement fédéral.

Je suis un peu sceptique face à ce point de vue; je le vois comme un point de vue brut. Je ne vois pas quelle différence cela peut faire pour la province de l'Ontario, par exemple. Cette province a une taxe de vente au détail de 7 p. 100 qui n'a pas changé depuis longtemps. L'argent qu'elle tire de cette taxe de vente au détail va dans ses recettes générales et la province ne l'utilise pas pour fignoler quoi que ce soit. On peut présumer que la province dépense cet argent tiré des recettes générales dans des programmes dont elle doit rendre compte devant l'électorat. Je n'ai jamais très bien compris pourquoi les provinces seraient moins tenues de rendre des comptes pour l'agent qu'elles reçoivent directement du gouvernement fédéral à partir d'une approche fondée sur une formule, mais c'est certainement un argument que beaucoup de gens utilisent.

Le sénateur Mitchell : Un des aspects les plus ou les moins heureux des relations fédérales provinciales, c'est qu'il arrive souvent que les provinces utilisent cette idée d'intervention fédérale ou de déséquilibre fiscal comme levier pour chercher à gagner des faveurs politiques dans leur propre juridiction et, essentiellement, attaquer le gouvernement fédéral pour le faire. Il est intéressant de constater que cette question passe souvent sous silence dans l'Ouest lorsque nous avons un gouvernement fédéral conservateur et, par conséquent, ce n'est pas quelque chose qui est lié au gouvernement, mais quelque chose qui est davantage lié au parti.

En Alberta, lorsque le gouvernement fédéral dit « déséquilibre fiscal », c'est souvent interprété comme voulant dire « ils viennent chercher notre argent ». Dans le cas de la péréquation, ce n'est pas comme si le gouvernement fédéral demandait au premier ministre de l'Alberta de signer un chèque spécial et de donner cet argent à quelques autres provinces. C'est plutôt que le gouvernement fédéral prélève des impôts dans chaque province — certainement, en Alberta — et que certains de ces impôts sont les miens et qu'une partie de cet argent est remis à d'autres provinces pour les aider à se rapprocher des normes nationales ou à quelque chose qui leur rassemble. Beaucoup d'entre nous, en Alberta, par exemple, sommes heureux de faire cela.

M. Broadway : Il ne fait aucun doute que la péréquation est un programme de dépenses fédéral financé à partir des recettes générales du fédéral. Il ne s'agit pas d'un programme qui prend explicitement des revenus d'une province pour les donner à une autre. Il ne fait aucun doute, comme vous l'avez dit, qu'en moyenne, le financement de la péréquation vient des provinces qui ont des assiettes fiscales fédérales plus élevées, mais ce n'est pas un programme qui transfère explicitement de l'argent d'une province à une autre.

Le sénateur Mitchell : Roger Gibbons de la Canada West Foundation a écrit de manière spéculative que la richesse énorme, disproportionnée, d'une province comme l'Alberta et, nous l'espérons un jour, comme Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse et d'autres, ne créerait pas, dans un sens, de jalousie, mais qu'elle peut créer de la jalousie dans la province.

Premièrement, avez-vous réfléchi à cette possibilité? Deuxièmement, y a-t-il des données scientifiques, ou une étude, ou un ensemble d'idées montrant qu'une province comme l'Alberta pourrait, de façon créatrice, contribuer à l'avancement du reste du pays, d'une manière qui aiderait le reste du pays mais qui aiderait également l'Alberta? Je pense, par exemple, que l'Alberta attire une énorme proportion de la main-d'œuvre du pays, dont un grand nombre de gens de métier qualifiés, et peut-être qu'elle pourrait aider d'autres provinces à former ces gens sur leur territoire, parce que cela finira par profiter à ces provinces et à l'Alberta également.

M. Broadway : Je pense que le problème de déséquilibre horizontal entre l'Alberta et le reste Canada est sans précédent. On ne sait pas clairement si le système de transfert fiscal peut permettre de bien y faire face.

Le problème va au-delà du fait que l'Alberta devient beaucoup plus riche que le reste des provinces. Ce n'est pas simplement le fait qu'elle gagne tout cet argent. Ce qui inquiète les gens, c'est comment cela influera sur la structure industrielle de l'économie et sur la viabilité de certaines autres régions.

La possibilité pour l'Alberta d'utiliser cette vaste somme d'argent qu'elle tire de ses ressources naturelles pour s'engager explicitement dans la construction de la province de manière vraiment significative, ce que beaucoup de gens préconisent, a des répercussions sur le reste du Canada, répercussions sur lesquelles, je pense, nous n'avons pas réfléchi sérieusement. Cela va beaucoup plus loin que la question de l'équilibre horizontal ou vertical. C'est quelque chose qui peut influer sur la structure industrielle du Canada, le secteur des ressources par rapport au secteur manufacturier; cela pourrait influer sur la viabilité et le potentiel de croissance d'autres provinces qui perdent leurs meilleurs jeunes gens et les plus brillants, qui partent travailler en Alberta.

Il n'est pas difficile de penser que la forte prospérité que connaît l'Alberta a du bon et du mauvais. Les gens s'en vont en Alberta et d'autres régions se vident de leurs meilleurs éléments. Les autres régions font soudainement face à des populations vieillissantes et tous les jeunes travailleurs sont partis travailler en Alberta. Tout l'argent en l'Alberta est utilisé pour bâtir d'autres industries, des infrastructures et faire des investissements dans le capital humain, et cetera. C'est quelque chose qui est sans précédent et je ne pense pas que nous ayons réfléchi sérieusement à cette question.

Le sénateur Mitchell : Nous devons y réfléchir. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Fox : Chaque fois que nous creusons un sujet, les choses deviennent plus compliquées que nous le pensions initialement. Je regardais la télévision samedi soir, tard en soirée, et je suis tombé sur la retransmission des audiences du comité sur le projet de loi C-2, sujet que je trouvais intéressant. Toutefois, à partir de cette expérience anecdotique, je me demande dans quelle mesure les gens qui nous écoutent ici ce matin auront une meilleure compréhension de la question du déséquilibre fiscal.

Lorsque je pense au déséquilibre fiscal, je pense à ma propre expérience au CPM à traiter des questions de péréquation avec les provinces et aux changements qui ont été apportés au cours des dernières années. Ensuite, je pense, plus précisément, à ce que le Canadien moyen entend.

Ce que le Québécois moyen a entendu et que le rapport Séguin a établi, c'est qu'il y avait un déséquilibre fiscal de 2,4 milliards de dollars. Il faudrait 2,4 milliards de dollars de transferts additionnels au Québec par année pour corriger le déséquilibre fiscal.

Ce que j'entends de M. McGuinty, en termes de chiffres, est tout aussi éloquent — que l'Ontario verse 23 milliards de dollars de plus dans la cagnotte qu'elle n'en reçoit du gouvernement fédéral. Par conséquent, il y a là un déséquilibre fiscal.

Je ne sais pas ce que le Canadien moyen devrait penser de tout cela. Peut-être pouvez-vous nous dire si vous pensez qu'il y a un déséquilibre fiscal ou si c'est une question que quelqu'un peut répondre. Est-ce quelque chose qui va nous suivre jusqu'à la fin des temps? Au fur et à mesure que les pressions montent pour un financement plus important de la part des provinces, elles vont toujours dire qu'il y a un déséquilibre fiscal, mais commencez par cette question.

M. Broadway : Il s'agit d'une question très difficile. Sans vouloir l'esquiver, le fait de s'accrocher à la question de savoir s'il y a ou non un déséquilibre fiscal peut ne pas être la chose la plus productive à faire. La question, c'est de savoir quel gouvernement devrait être responsable de quoi et quel gouvernement devrait être responsable de prélever quelles recettes. Pour moi, la question de l'équilibre fiscal est davantage une question de savoir quel degré de décentralisation nous voulons voir dans notre fédération, en particulier en ce qui concerne le prélèvement de recettes.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'au moment où le rapport de la commission Séguin a été rédigé, immédiatement après les changements profonds qui ont été mis en application dans le budget de 1994-1995, on a créé une situation qui était complètement différente de celle de l'année précédente. Du jour au lendemain, les provinces avaient beaucoup moins de transferts du gouvernement fédéral.

Étant donné les structures fiscales en place au moment où le changement a été apporté, il y avait un déséquilibre fiscal dans le sens où, soudainement, les provinces se retrouvaient avec moins d'argent et qu'il fallait faire quelque chose à ce sujet. Le rapport Séguin défend l'idée que ce qu'il faut faire, c'est empêcher que cela se reproduise de nouveau. Nous devons réduire la quantité des transferts que le gouvernement fédéral fait aux provinces

Il y a deux raisons qui sous-tendent leur argument : premièrement, c'était une façon de s'ajuster aux répercussions initiales du grand changement survenu au cours de la période de 1994-1995, année où les provinces ont perdu tous ces transferts. Toutefois, ces gens ont aussi défendu l'idée qu'il devait y avoir un rééquilibrage plus fondamental de la fédération, qu'on devait leur donner une plus grande responsabilité pour prélever leurs propres recettes que dans le passé.

Selon l'interprétation que j'en fais, le rapport de la commission Séguin ne s'intéresse pas simplement au déséquilibre temporaire qui est survenu à la suite de ces gros transferts. Je ne pense pas que personne remette en question l'idée que certains ajustements ont dû être apportés à ce moment-là. Toutefois, ces gens disent également que pour éviter que cela se reproduise de nouveau, nous devons retirer autant que possible au gouvernement fédéral le droit de faire des transferts aux provinces ou la nécessité de le faire. Tout ce que nous voulons faire, c'est leur laisser la responsabilité de la péréquation. C'était une façon de faire face aux problèmes créés par le budget de 1994.

L'autre façon de faire face à ces problèmes, c'est de dire qu'il y a certaines raisons pour lesquelles nous pourrions vouloir que le gouvernement fédéral fasse des transferts aux provinces, au-delà de ce qui est nécessaire au titre de la péréquation. Mettons en place une structure qui empêcherait le gouvernement fédéral de le faire de la façon dont il l'a fait dans les années 90, et cela se rattache, d'une façon quelconque, à une approche fondée sur une formule qui exige du gouvernement fédéral qu'il consulte les provinces, qui repose sur un processus plus ouvert axé davantage sur la collaboration.

Je pense que le débat soulevé après le Budget 1994, et lorsque tous les petits changements discrétionnaires ponctuels avaient été faits entre-temps, portait autant sur le rétablissement du niveau de collaboration et de la confiance. Il y a vraiment ces deux éléments. Est-ce qu'insister que les provinces génèrent plus de revenus afin que le gouvernement fédéral ne puisse plus faire ce qu'il a fait dans les années 1990 est la seule façon de gouverner cette fédération? Y a-t-il une autre façon d'organiser cette fédération afin que nous puissions nous assurer que ce genre de surprise ne se produise pas à l'avenir?

Le sénateur Fox : J'ai une dernière question qui se rapporte à ce qu'a demandé le sénateur Mitchell sur la responsabilité, je n'ai pas entendu de réponse satisfaisante. Nous avons bien sûr inscrit le principe de la péréquation dans la Constitution et nous reconnaissons tous qu'une formule de péréquation appropriée est nécessaire dans un pays comme le Canada. Cela dit, comment concilier cela avec le principe fondamental voulant que celui qui dépense doive percevoir des impôts?

Essentiellement, avec le niveau des paiements de transfert, le gouvernement fédéral taxe le citoyen et pourtant il n'est pas tenu responsable de la mise en œuvre des programmes. Lorsque les partis politiques font leur campagne électorale aux quatre coins du pays, ils doivent subir les pressions exercées, par exemple, par les étudiants — et je peux comprendre pourquoi — au sujet de l'augmentation des transferts postsecondaires; pourtant, l'enseignement est de la responsabilité des provinces.

Un autre exemple, nous tous qui sommes assis autour de cette table aimerions probablement voir la mise en place d'un plan de médicaments onéreux afin que les Canadiens de l'Atlantique puissent acheter des médicaments sans grever leur budget familial; pourtant, ce genre de plan est aussi de la responsabilité des provinces. Comment concilier tout cela?

Si une plus grande partie des dépenses du gouvernement fédéral sont transférées aux provinces, il n'y aura plus de responsabilité. Les provinces souhaiteraient que le gouvernement fédéral mette en place un plan de médicaments onéreux, mais l'Ontario le Québec, qui ont déjà un tel plan, voudront avoir leur part sans condition pour la dépenser dans d'autres domaines de leurs compétences provinciales respectives. Avec ce genre de situation, on s'éloigne beaucoup du principe de responsabilité. Comment allons-nous concilier ces deux principes — le principe de péréquation inscrit dans la Constitution et le principe habituel de responsabilité d'imposition et de dépenses des revenus?

M. Boadway : Notre fédération est pleine de principes contradictoires et devons faire des compromis. Il n'y a pas que la péréquation dans la Constitution, mais aussi le paragraphe 36(1) qui prévoit d'autres engagements tels que l'égalité des chances, le développement régional et les services publics essentiels. Il y a aussi des engagements plus larges pour une gestion efficace de l'économie et une bonne union économique interne. Il est difficile d'imaginer comment le gouvernement fédéral pourrait remplir de telles obligations sans faire des transferts importants. Le gouvernement ne pourrait pas, même si c'était la seule chose qu'il faisait, administrer un système de péréquation sans transférer des sommes importantes aux provinces. La responsabilité est sans aucun doute une question importante, bien que je ne la comprenne pas en détail et que je ne sais pas comment elle fonctionne concrètement. Il faut faire un compromis entre ce principe et d'autres principes tout aussi importants, qui permette au gouvernement fédéral de faire des transferts financiers aux provinces qui peuvent être utilisés diversement. La solution est d'essayer de structurer les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces afin d'établir une responsabilité et une confiance et afin que le gouvernement fédéral puisse rendre compte de ses actions devant les citoyens et les provinces.

Ce problème n'est pas unique au Canada, bien que notre pays soit l'une des fédérations les plus, sinon la plus, décentralisées au monde, alors que l'Australie et l'Allemagne, par exemple, sont très centralisés. Si l'on devait appliquer ce principe de responsabilité dans une province, que se passera-t-il? Chaque province a exactement le même genre de question d'équilibre vertical que le gouvernement fédéral a par rapport aux municipalités. D'une certaine façon, il va falloir composer au niveau du principe voulant que celui ou celle qui dépense doit aussi générer des revenus. C'est un principe parmi tant d'autres. Appliquer ce principe à fond et vous verrez qu'il n'y a pas de redistribution, entre autres, et tout le monde devra financer ses propres services publics. Je sais que ce n'est pas une très bonne réponse.

Le sénateur Di Nino : Je continuerai dans le sens des questions posées par le sénateur Fox au sujet de dépenses judicieuses quand une province n'a plus de ressources financières. Il devrait y avoir une certaine responsabilité des contrôles de ces dépenses. Est-ce que le gouvernement fédéral impose certaines conditions liées à la responsabilité des dépenses qu'il transfère aux provinces afin que nous n'ayons pas de situations à caractère politique au lieu de situations à caractère stratégique? Cela évitera des discussions entre les provinces et le gouvernement fédéral sur le montant d'argent qui devrait être transféré.

M. Boadway : J'ai d'abord cru que vous demandiez ce qui est été advenu du supplément d'argent que le gouvernement fédéral avait à la fin de l'année. Je comprends maintenant que vous demandiez s'il devrait lier une responsabilité aux fonds que le gouvernement fédéral transfère aux provinces. Certains prétendront que la responsabilité serait amoindrie si le gouvernement fédéral était responsable de la façon dont les provinces dépensent les fonds transférés. La responsabilité est renforcée lorsque les conditions liées aux fonds versé par le gouvernement fédéral aux provinces sont générales et limitées plutôt que spécifiques. Je ne sais pas comment gouverner une fédération si le gouvernement fédéral était responsable de la façon dont les provinces dépensaient l'argent qu'il leur versait. Au contraire, au lieu de renforcer la responsabilité, cela brouillerait complètement la ligne de démarcation de la responsabilité. Si vous insistez que le gouvernement fédéral soit responsable des fonds qu'il transfère aux provinces pour l'enseignement postsecondaire, par exemple, cela diminuerait d'une certaine façon la responsabilité des provinces sur la façon dont elles dépensent ces fonds.

Le sénateur Di Nino : Nous laisserons cela au processus électoral, en fait aux électeurs, quand viendra le moment de réélire le gouvernement. Ce sera la responsabilité ultime en ce qui concerne cette question.

M. Boadway : Oui.

Le sénateur Di Nino : Je suis, comme d'autres personnes, préoccupé par le fonctionnement du TCS/TCPS et du système de péréquation. Que pensez-vous de ce système?

M. Boadway : J'ai un peu travaillé à l'étranger et j'ai discuté du fédéralisme au sein de diverses organisations, certaines internationales. J'ai appris que les institutions canadiennes étaient reconnues comme un modèle pour la façon dont elles géraient notre fédération. Notre système de péréquation est considéré comme étant l'un des meilleurs au monde, c'est pareil pour nos accords de perception fiscale et nos transferts en bloc pour les programmes sociaux. Dans beaucoup de pays, il y a beaucoup plus de spécificité dans le transfert versé par le gouvernement central aux compétences sous-nationales. La décentralisation de la génération des revenus dans la fédération canadienne est vraiment très forte et elle fait l'admiration du monde entier. En Australie, les États n'ont pas accès aux impôts sur le revenu et aux taxes de vente. Ils n'ont que de petites sources de revenus et doivent compter en grande partie sur les transferts du gouvernement central. Les institutions canadiennes fonctionnent bien et les contraintes que nous connaissons ne proviennent pas tellement de la structure mais plutôt de l'étendue du pays et des diversités géographiques, culturelles et linguistiques.

Le sénateur Di Nino : Le système rencontrera des problèmes et suscitera des avis différents, mais c'est un bon système qui sert bien le public canadien.

M. Boadway : Je pense que nous pourrions faire un effort pour rétablir la confiance et la coopération entre les paliers du gouvernement et peut-être pour avoir peu plus transparence au niveau des prises de décision touchant la fédération.

Le sénateur Di Nino : L'une de ces frustrations, je crois, a été la façon d'incorporer les ressources naturelles dans cette discussion sur la péréquation, et cetera, vous en avez parlé dans votre déclaration. Pouvez-vous être plus précis et nous dire en quoi diffèrent le comité consultatif et le groupe d'experts sur cette question?

M. Boadway : En ce qui concerne les ressources naturelles, je suis pratiquement du même avis que le comité consultatif dont a fait partie le sénateur Murray : les ressources naturelles devraient être totalement incluses dans la péréquation et nous devrions utiliser un système de taxation représentatif et ce, non pas parce que nous devrions essayer qu'une province comme l'Alberta reçoive la péréquation comme toutes les autres provinces ou vice versa, mais parce que nous devons nous assurer que les provinces qui reçoivent la péréquation soient traitées équitablement. Les provinces qui reçoivent la péréquation et qui ne disposent pas de ressources naturelles devraient avoir les mêmes possibilités de fournir des niveaux raisonnables de services public que les provinces qui reçoivent la péréquation et qui disposent de ressources naturelles.

La question de la péréquation des ressources naturelles est souvent perçue comme étant une question d'admissibilité, or ce n'est pas vraiment cela. La question de la péréquation des ressources naturelles porte plus l'égalité des chances entre les provinces qui reçoivent la péréquation, surtout entre celles qui n'ont pas des ressources naturelles et celles qui en ont.

Le président : Monsieur Boadway, à la page 13 de votre document, vous faites une analyse des ressources naturelles. Je vous en remercie. Vous avez constaté qu'il y a un petit désaccord sur les ressources naturelles et vous indiquez que le groupe d'experts a recommandé 50 p. 100 des revenus réels. Vous dites que lorsque que l'on utilise des chiffres réels au lieu des représentatifs, «[...] Cela assure presque certainement que les ressources ne peuvent être pleinement prises en compte dans la formule. »

Pouvez-vous donner quelques détails là-dessus?

M. Boadway : Il me semble que si vous incluez les chiffres réels qu'une province reçoit pour mesurer sa capacité fiscale à des fins de péréquation, vous reconnaissez alors le fait que les provinces peuvent directement contrôler le montant des revenus qu'elles génèrent. Elles peuvent changer leur taux d'imposition des ressources naturelles et changer le montant des revenus qu'elles perçoivent, alors qu'en utilisant un système de taxation représentatif, elles ne peuvent pas contrôler le taux qui est appliqué à la base pour déterminer leur admissibilité. Je ne sais pas si cette réponse est plus claire.

Le président : Oui.

M. Boadway : Chaque fois que vous incluez les chiffres réels, à titre de fondement à la péréquation, vous augmentez le risque d'effets négatifs.

Le sénateur Cowan : Vous continuez en disant qu'il n'y a pas d'évidence empirique qu'elles aient manipulé le système de façon à changer le niveau de revenu qu'elles recevront. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Boadway : Nous avons équilibré 100 p. 100 des ressources naturelles pendant beaucoup d'années. Il n'y a pas de preuve que l'équilibre de 100 p. 100 des revenus tirés des ressources naturelles a eu un effet sur le taux suivi par les provinces pour développer leurs ressources naturelles. Le Nouveau-Brunswick ne semble pas avoir changé la façon dont il a autorisé le développement de ses industries forestières, ni la Saskatchewan en ce qui concerne ses industries ni le Manitoba en ce qui concerne les siennes. Rien ne semble prouver que les provinces utilisent leur capacité à contrôler le développement de leurs ressources naturelles parce que le système de péréquation traite les ressources naturelles sur une base de 100 p. 100.

Le sénateur Rompkey : Il y a eu, bien sûr, des conditions à une certaine époque; à l'époque de M. Pearson et M. Trudeau les a supprimées. Puis, je pense qu'il a été prouvé que les fonds n'étaient pas utilisés comme ils auraient dû l'être. Le rapport Johnson des années 1980, si vous vous en souvenez, révélait que les provinces qui recevaient de l'argent pour l'enseignement ne le dépensaient pas pour l'enseignement; elles le dépensaient pour construire des routes. C'était seulement un exemple historique pour déterminer s'il faudrait ou non des conditions, est-ce une bonne chose ou non?

Le deuxième point que je veux soulever, le sénateur Di Nino a aussi demandé, est-ce qu'elle fonctionne? Je pense que cela dépend de ce que l'on attend d'elle. La fédération est figée dans le temps, à l'exception de l'Alberta; peut-être pas à l'exception de l'Alberta, mais clairement, de façon plus flagrante l'Alberta. En ce qui concerne ma province, j'ai l'impression que les données montrent que nous n'avons pas fait vraiment de progrès depuis 1949, par rapport au reste de la fédération, en dépit du fait qu'il y a eu la péréquation. Est-ce qu'elle fonctionne? Est-ce qu'elle a progressé? Où en est ce progrès?

Mon troisième point concerne les ressources naturelles et s'il faut les inclure dans le programme. Il est vrai que des provinces ont développé des ressources naturelles, mais certaines n'auraient pas pu le faire sans l'aide du gouvernement fédéral. John Crosby a beaucoup de mérite dans le développement d'Hibernia. Si le gouvernement Mulroney n'était pas intervenu et n'avait pas fourni de l'aide, Hibernia ne se porterait pas très bien aujourd'hui.

Faudrait-il les inclure? Il me semble que c'est une question que j'aimerais être aussi en mesure d'aborder. Que se passerait-il pour l'Alberta? Vous avez dit que l'Alberta était une anomalie et que la situation était sans précédent. Que se passerait-il si les ressources naturelles étaient incluses; que se passerait-il dans le cas de l'Alberta?

M. Boadway : Je pourrais presque dire que vos questions sont des commentaires plutôt que des questions, mais je ne veux m'attarder là-dessus.

Vous avez raison à ce sujet. Une chose est intéressante dans l'histoire des transferts du gouvernement fédéral au Canada — et c'est une chose qui sert d'exemple dans le monde —, c'est que si vous pensez à la façon dont a évolué le système de transfert au Canada, avec l'arrivée des grands transferts sociaux pour la santé, les hôpitaux, le Régime d'assistance publique du Canada, et cetera, en tant que transfert à frais partagés. Ils ont été ensuite convertis en transferts en bloc. Beaucoup de gens ont prétendu que cela était très logique. Le seul moyen dont disposait le gouvernement fédéral pour que ces provinces lancent ces programmes était de mettre en œuvre ces grands programmes à frais partagés auxquels elles devaient participer pour les démarrer. Le gouvernement fédéral a agit sagement quand il s'est retiré dès que ces programmes se sont établis et les a convertis en transferts en bloc. Le développement de ces transferts sociaux est un bel exemple d'évolution historique de ce genre de chose.

Est-ce que le système fonctionne? La preuve la plus évidente que le système fonctionne est précisément le fait que nous pouvons offrir un niveau assez élevé de services publics dans toutes les provinces du Canada. Il est possible de recevoir de bons soins de santé dans toutes les provinces du Canada. Il n'y a pas de soins de santé identiques, mais ils sont très bons dans toutes les provinces du Canada comparativement à un pays voisin qui n'a pas de système de péréquation. Je crois que les différences dans les services publics aux États-Unis sont probablement beaucoup plus fortes qu'au Canada.

Pour ce qui est des ressources naturelles, leur inclusion totale dans le système de péréquation n'a pas de répercussion particulière pour l'Alberta qui ne reçoit pas de péréquation. La conséquence porte surtout sur l'allocation des revenus tirés des ressources dans les provinces qui reçoivent la péréquation. Vous pouvez avoir les revenus tirés des ressources inclus entièrement dans le système de péréquation et choisir la norme de péréquation que vous voulez en fonction de l'admissibilité. Ce qui m'inquiète au niveau des ressources naturelles, ce n'est pas tellement le transfert des revenus de l'Alberta au reste du Canada, ce qui, à mon avis, n'est pas particulièrement faisable, en tout cas directement, ce qui me préoccupe plus, c'est l'établissement de l'équilibre horizontal parmi les provinces qui reçoivent la péréquation.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez clairement indiqué votre préférence pour le transfert aux provinces puis le transfert des provinces aux municipalités. Que répondez-vous aux politiques qui proposent de verser une partie de la taxe sur l'essence aux municipalités ou aux gouvernements provinciaux qui suggèrent de donner une partie de la taxe sur les boissons alcoolisées?

M. Boadway : Je dirai d'abord que ma préférence de passer par les provinces n'est pas solidement fondée. Je n'ai pas vraiment formulé des opinions bien arrêtées sur la façon de traiter avec les municipalités. C'est plutôt une sorte d'impression que nous avons du système hiérarchique et nous pourrions tout aussi bien l'utiliser à des fins de responsabilité.

En ce qui concerne l'affectation des revenus aux municipalités, on peut dire d'une certaine façon que cela ne pose pas problème; nous versons de l'argent aux municipalités. Le problème, c'est qu'il y a un autre intervenant, c'est-à-dire les provinces. Si le partage par le gouvernement fédéral de la taxe sur l'essence avec les municipalités ne vise qu'à remplacer les transferts que les municipalités auraient reçus des provinces, alors cela ne sert pas à grand-chose.

Il ne faut pas seulement considérer le transfert des revenus aux municipalités en tant que tel; il faut penser aux répercussions qu'il aura sur tout le système. Je m'inquiéterais des transferts aux municipalités en remplacement de ce qu'elles auraient reçu des provinces. C'est un terme qui est très utile dans ce contexte.

Le président : Nous sommes sur le point de conclure et nous vous remercions pour votre patience, votre franchise et votre sagesse, monsieur Boadway.

Le sénateur Murray a quelque chose à dire sur notre deuxième série de questions.

Le sénateur Murray : Je ne voudrais pas que la réunion se termine sans qu'il soit fait mention des territoires et des problèmes qui leur sont particuliers. Il est vrai que chaque territoire à des problèmes uniques.

Contrairement aux provinces, les territoires, jusqu'en 2004-2005, avaient une formule pour mesurer non seulement la capacité des revenus, mais les besoins de dépenser. C'est très important, étant donné la tension des coûts et l'incertitude de la situation dans ces territoires.

Avec le nouveau cadre, tout cela a été perdu. Le gouvernement fédéral a établi un plancher et fourni des augmentations annuelles. Cela peut se révéler très cher pour certains ou pour tous les territoires qui demandent très fermement qu'Ottawa revienne à une formule fondée, du moins en partie, sur les besoins de dépenser.

Il y a aussi le problème du partage des revenus tirés des ressources. Le Yukon avait conclu un accord avec Ottawa sur les revenus tirés des ressources. Les Territoires du Nord-Ouest essaient de négocier un accord depuis 20 ans et n'ont pas conclu d'accord. Entretemps, ils ne reçoivent pas de redevances ou pratiquement pas pour l'exploitation minière — des diamants et d'autres activités économiques très lucratives dans cette région.

Je veux seulement dire que c'est quelque chose que le comité devrait examiner et mentionner plus qu'un seul mot dans notre rapport.

Finalement, le témoin a fait plusieurs allusions aux ententes sur les revenus tirés de l'exploitation extracôtière qui ont été signées par le gouvernement Martin et les provinces de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse. Il y a une longue histoire derrière ces ententes qui remonte au gouvernement Trudeau et aux deux ententes conclues avec ces provinces à l'époque — M. Chrétien était ministre de l'Énergie; un peu avant le gouvernement Mulroney, quand Mme Carney, notre collègue, été ministre de l'Énergie et l'histoire de tout ce qui s'est passé durant cette période depuis les années 1980. Cela explique et, je pense, justifie la décision prise par le gouvernement Martin et les ententes conclues par le gouvernement partagent avec ces deux provinces, et cela a fait l'objet d'une grande propagation de mythologie que nous devrions aborder aussi dans notre rapport.

Merci, monsieur le président. Je ne sais pas si le témoin aimerait dire quelque chose à ce sujet.

Le président : Monsieur Boadway, voulez-vous dire quelque chose à ce sujet?

M. Boadway : Je pense qu'il suffit de lire la partie du comité consultatif sur le financement de territoire, qui soulève très attentivement ces points, et je suis d'accord avec ce qui est écrit. Je n'ai rien d'autre à dire concernant l'exploitation extracôtière.

Le président : J'aimerais encore remercier M. Boadway d'être venu et de nous avoir aidés à commencer cette nouvelle étude. Nous savions que vous pourriez nous aider à établir une bonne assise et c'est ce que vous avez fait.

La séance est levée.


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