Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 4 - Témoignages du 31 octobre 2006
OTTAWA, le mardi 31 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 30 afin d'examiner des questions relatives à l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers ordres de gouvernement du Canada, et d'en faire rapport.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour mesdames et messieurs. La séance est ouverte. Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui pour poursuivre son examen de l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers ordres du gouvernement du Canada. Il s'agit d'un examen en temps opportun d'une question qui suscite beaucoup d'attention. Nous allons poursuivre notre travail précédent sur la formule de péréquation, mais allons également sortir du cadre de ce travail et étudier la question sous un angle plus général.
J'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Paul M. Boothe, professeur d'économie et membre de l'Institut d`économie publique de l'Université de l'Alberta. Si j'ai bien compris, M. Boothe a également été, pendant un an, sous-ministre délégué du ministère des Finances du Canada.
[Français]
Nous accueillons également M. Robert Lacroix, professeur émérite au Département de sciences économiques de l'Université de Montréal. M. Lacroix est également membre du groupe d'experts sur la péréquation et la formule de financement des territoires qui a fait rapport plus tôt cette année.
Je vous remercie, messieurs de votre présence parmi nous ce matin. Après vos remarques introductives, nous passerons à une période de questions et de discussions.
Robert Lacroix, professeur émérite, Département de sciences économiques, Université de Montréal, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de vous présenter quelques réflexions à partir du rapport que nous avons déposé le printemps dernier.
Mon intention n'est pas de reprendre ce que M. Al O'Brien, le président du comité, vous a probablement déjà dit. Je crois qu'on perdrait notre temps à le faire. J'aimerais plutôt insister sur quatre points plus généraux et des points de contexte qui m'apparaissent importants.
Le premier point sur lequel je voudrais insister est que la péréquation est un programme important, mais ne peut être responsable de tout ce qui fonctionne et ne fonctionne pas au Canada. Elle permet toutefois de renforcer l'autonomie provinciale et la prise de décisions proches des besoins.
En effet, si nous regardons ce programme de péréquation, nous réalisons que depuis 20 ans, la péréquation n'a jamais représenté plus de 1,25 p. 100 du produit intérieur brut de notre pays. Présentement, le paiement de péréquation est inférieur à 1 p. 100 du PIB.
Deuxièmement, en pourcentage des dépenses fédérales, la péréquation représente moins de 6 p. 100 de l'ensemble des dépenses du gouvernement fédéral. En fait, ce programme ne constitue que le quart, soit 25 p. 100 de l'ensemble des paiements de transfert que le gouvernement fédéral fait aux provinces. Nous serions donc malvenus de penser ou de laisser croire que la péréquation est la grande source de toutes les inefficacités que nous pouvons trouver dans ce pays. Il sera d'ailleurs extrêmement difficile, sinon impossible d'isoler l'impact particulier de la péréquation sur notre économie puisqu'il est inclus dans un ensemble de dépenses fédérales extrêmement considérables. Il est aussi inclus dans un ensemble de décisions fédérales de réglementation qui ont des influences diverses sur l'ensemble des économies régionales du Canada. Je pense donc qu'il faut être extrêmement prudent lorsqu'on tente d'imputer à la péréquation tous les malheurs de notre pays.
On sait cependant que la péréquation permet d'ajuster les capacités fiscales des provinces et permet, de ce fait, aux provinces les moins bien nanties d'offrir une qualité de services publics relativement comparable à celle offerte dans le reste du Canada. Et cela représente une possibilité maximale d'autonomie des provinces et aussi une responsabilisation très grande des gouvernements provinciaux.
Il faut se rappeler que la péréquation constitue quand même 21 p. 100 de l'ensemble des revenus des administrations provinciales et locales de l'Île-du-Prince-Édouard, 18,4 p. 100 de celle du Nouveau-Brunswick et cetera. Pour ces provinces, ce n'est pas marginal, dans leur capacité de soutenir des services publics de proximité. C'est aussi pour ces provinces une remarquable source d'autonomie et de responsabilités dans l'esprit même de notre confédération. On reviendra sur ce point après mon deuxième point.
Le deuxième point que j'aimerais soulever, c'est que dans tous les pays démocratiques, il y a une redistribution des revenus entre les individus et aussi entre les régions, même s'il n'y a pas de programme formel de péréquation. C'est le cas des États-Unis. Le ministère des Finance nous avait présenté des données assez éloquentes à cet égard pour bien démontrer à quel point plusieurs États donnaient beaucoup plus qu'elles ne recevaient du gouvernement fédéral américain. Et toutes proportions gardées, la redistribution étaient encore plus fortes que ce que l'on retrouve au Canada, même sans programme de péréquation.
Par ailleurs, il vous suffit de vivre dans plusieurs pays européens — la France étant un exemple à cet égard — pour vous apercevoir que dans un pays aussi unitaire que la France, quand vous vous y promenez, vous retrouvez une remarquable constance de la qualité des infrastructures dans ce pays. Les routes sont de très grande qualité partout sur le territoire; les infrastructures de transport sont de très grande qualité partout sur le territoire; vous retrouvez un système d'éducation relativement homogène dans l'ensemble du pays et vous avez un système de santé tout à fait comparable dans toutes les régions du pays.
Pourtant, la Lorraine ce n'est pas la région Rhône-Alpes en termes de richesse, et Rhône-Alpes n'est pas Paris en termes de richesse. Alors qu'est-ce qui se passe? Le gouvernement central prend l'argent dans des régions et le redistribue dans d'autres. On ne sait pas combien parce qu'il n'y a pas de programme de péréquation. Mon impression est que c'est nettement plus que ce qui se fait au Canada.
On pourrait citer d'autres exemples à cet égard. D'ailleurs, il se fait une même redistribution au sein des provinces de notre pays. Si la grande région de Toronto décidait que toutes les taxes collectées dans cette région doivent y être dépensées, que se passerait-il en Ontario? Ce serait le désastre, la catastrophe.
Alors même au niveau des provinces, sans qu'il n'y ait de péréquation, vous avez cette redistribution de la richesse et des revenus. À mon avis, cet aspect est très important.
Ceux qui critiquent la péréquation pensent-ils vraiment qu'il serait plus efficace d'avoir un système unitaire pour faire exactement ce que font les provinces à l'aide de la péréquation? On ne pourrait pas éviter la redistribution, de toute façon.
Serait-il plus efficace qu'un gouvernement central dépense lui-même sur tous les services publics dans toutes les régions du Canada? C'est la seule question. Parce qu'autrement, on aura une redistribution de toute façon. Dans le système canadien actuel et dans la confédération actuelle, il semble que tous sont d'accord pour dire que cela doit se passer différemment. C'est ce qui se produit.
Le troisième point que j'aimerais souligner, c'est que le Canada et l'ensemble du monde dans lequel nous vivons a grandement changé depuis 50 ans. Le coût de la solidarité au Canada s'est accru considérablement, ce qui fait qu'on a probablement de plus en plus de difficultés à convaincre des Canadiens de diverses régions de participer à cette redistribution.
Pourquoi est-ce ainsi? Si vous vous reportez aux années 50, aux années 60 et même aux années 70, vous vous rappellerez qu'on avait un marché national canadien relativement intégré et entouré de barrières tarifaires qui le protégeaient relativement bien du reste du monde.
De ce fait, certaines provinces industrialisées — l'Ontario au premier chef et le Québec aussi un peu — étaient les grands pourvoyeurs de ce marché canadien pour tout ce qui était des biens manufacturiers et une grande partie des services les plus sophistiqués.
Conséquemment, il était beaucoup plus facile d'être généreux parce que la générosité ne faisait qu'entretenir un marché qu'on alimentait nous-mêmes. Autrement dit, lorsque l'Ontario envoyait un dollar dans les provinces atlantiques, elle en recevait en retour 85 cents en achats que les gens de l'Atlantique faisaient sur l'ensemble des biens et des services ontariens. La générosité et la solidarité coûtaient donc beaucoup moins cher qu'elles coûtent maintenant.
Ce qui se passe actuellement avec l'ouverture des marchés, c'est que le marché canadien comme tel compte pour très peu dans l'ensemble du marché dans lequel les entreprises canadiennes évoluent. Il en ressort que toutes les régions du Canada sont soumises à une concurrence internationale vive et s'alimentent toutes beaucoup plus à l'international maintenant que sur le marché canadien.
Dans ce contexte, quand vous envoyez un dollar dans une région, il vous en revient beaucoup moins qu'il vous en revenait préalablement, et quand le coût augmente, ceux qui le paient se mettent à trouver qu'il est trop élevé.
L'autre élément très important dans le changement de ce pays, c'est que de plus en plus de richesse se crée dans l'ouest du pays. C'est une nouveauté et un changement de paradigme au sein du Canada. C'est également une redistribution du pouvoir économique et du pouvoir politique dans ce pays.
Cette nouvelle richesse qui se crée dans l'Ouest est encore plus déconnectée du marché canadien que tout ce qu'on avait vu antérieurement. Le gaz et le pétrole sont complètement exportés à l'extérieur, tant et si bien que quand l'Alberta envoie un dollar ailleurs qu'en Alberta, il n'y a pas un sou qui lui revient puisque le marché canadien compte à peu près pour rien dans le marché albertain.
Il faut comprendre que de plus en plus de gens dans les régions vont se poser des questions sur le coût de la solidarité canadienne. Si dans ce pays on n'arrive pas à faire la démonstration qu'au-delà du coût financier de la solidarité il y a des avantages énormes qu'on tire du pays qu'on appelle le Canada, bien je crois qu'on aura des difficultés croissantes avec tous les programmes de redistribution dans ce pays.
Ce n'est pas typique au Canada, c'est parce qu'on a un programme de péréquation particulier que les gens sont plus excités, ici. Dans tous les pays du monde, qu'ils soient unitaires ou des fédérations, ils vivent le même phénomène et la même concurrence internationale. Les régions, là aussi, vont trouver que le coût de la solidarité augmente dans tous ces pays, comme le nôtre. Une réflexion extrêmement importante et sérieuse doit être faite à cet égard car au-delà d'un milliard ou deux de plus ou de moins, il y a vraiment beaucoup plus derrière les réticences qu'on voit de plus en plus s'exprimer dans notre pays.
Le dernier point que j'aimerais souligner porte davantage sur le travail que nous avons fait au comité d'experts. Je ne reviendrai pas sur ce que M. O'Brien a pu vous dire, mais je voudrais insister sur un point. Il m'apparaît très important que l'on voit le résultat de notre travail comme un ensemble. Il est bien évident que quand on a fait l'ensemble, on a fait toutes les simulations possibles et imaginables pour tenter de trouver la combinaison qui nous apparaissait, en quelque sorte, la meilleure compte tenu du contexte.
La meilleure parce que la moins perturbatrice pour le maximum de provinces et la meilleure parce qu'elle semblait être au niveau de ce que l'on peut imaginer pour ce programme en termes financiers. On a donc pris en considération un ensemble de facteurs et on s'est dit que c'était la deuxième meilleure solution puisque il n'y avait pas de première meilleure solution.
Dans ce contexte, la seule question qu'il faut se poser est de se demander si on peut trouver un autre ensemble qui, lui, aurait toutes les qualités de celui qu'on vous a proposé au comité, mais qui aurait moins de défauts que celui-là et serait plus acceptable à tout le monde? Je pense que non.
Après une année de travail, de réflexion et de discussion avec les gouvernements provinciaux, je pense que non. C'est pourquoi nous disons que nous croyons que c'est la base d'un règlement qui nous paraît le compromis optimal possible dans le contexte présent et dans la situation canadienne présente.
Le président : Merci, monsieur Lacroix. Nous cédons maintenant la parole à monsieur Boothe.
[Traduction]
Paul M. Boothe, professeur d'économie et membre de l'Institut d'économie publique, Université de l'Alberta, à titre personnel : Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître devant le comité. J'ai distribué à l'avance quelques notes que je n'ai pas l'intention de vous lire, mais que j'utiliserai pour me guider pendant mes commentaires.
J'ai lu les transcriptions des réunions du comité et j'ai décidé de concentrer mes commentaires sur une question précise qui n'a pas été abordée par les témoins précédents. J'aimerais parler de la nature particulière des ressources naturelles dans le cadre d'un programme de péréquation modifié pour essayer de bien faire comprendre au comité l'importance des ressources naturelles dans l'histoire et la culture politique de l'Ouest canadien. Bien que je sois économiste, je me ferai aujourd'hui un peu historien et politicologue.
Comme les sénateurs le savent déjà, le rapport du groupe d'experts, que j'appuie fortement, comprend un certain nombre de recommandations concernant les ressources naturelles. Ces recommandations ont beaucoup attiré l'attention et provoqué certaines critiques des premiers ministres, mais je m'empresse d'ajouter que les critiques couvrent toutes les possibilités, de l'exclusion totale des ressources naturelles jusqu'à leur inclusion à 100 p. 100. En tant qu'ancien haut fonctionnaire, tant comme sous-ministre délégué ici que comme sous-ministre des Finances d'une province qui reçoit des paiements de péréquation, il me semble que le fait que le rapport maintienne un équilibre entre les différents intérêts en jeu est un bon signe.
Qu'est-ce que le groupe d'experts a recommandé par rapport aux ressources naturelles?
J'aimerais m'arrêter sur quatre points : premièrement, que toutes les recettes de l'exploitation des ressources naturelles soient traitées sur un pied d'égalité, sans égard à leur caractère renouvelable ou non; deuxièmement, que les ressources naturelles soient calculées en fonction des recettes réelles plutôt qu'en fonction des assiettes fiscales artificielles, comme l'ont fait les fonctionnaires du ministère des Finances par le passé; troisièmement, que 50 p. 100 des recettes de l'exploitation des ressources naturelles soient utilisées dans le calcul des droits à péréquation; finalement, une recommandation qui interagit ou qui a le potentiel d'interagir de façon importante avec les trois premières recommandations, qu'aucune province ne reçoive de paiements de péréquation supérieurs à la capacité fiscale d'une province qui ne touche pas de paiements de péréquation — mieux connu sous le nom de plafond.
Je ne consacrerai pas beaucoup de temps aux deux premières recommandations. La première ne fait que reconnaître l'existence d'une légère différence pratique entre les ressources renouvelables et celles qui ne le sont pas : les deux existent depuis déjà longtemps et sont sujettes à une volatilité raisonnable. La deuxième recommandation reconnaît que malgré que les rentes tirées des ressources naturelles soient, en théorie, la façon préférée de mesurer les recettes obtenues, il n'est pas possible de les observer et il est difficile de les estimer. Si, à l'avenir, nous faisons une meilleure utilisation des rentes, peut-être devrions-nous alors nous en servir; je crois que c'est ce que le groupe d'experts a recommandé. Cependant, pour le moment, l'utilisation des recettes réelles est une méthode de calcul beaucoup plus transparente que les méthodes complexes auxquelles nous avions recours dans le passé et qui, avouons-le, sont fondées sur les jugements.
Les deux dernières recommandations concernent directement le traitement que réserve le groupe d'experts aux ressources naturelles. À mon avis, elles répondent à deux principes essentiels qui devraient se retrouver dans le programme de péréquation.
Le premier est que le groupe d'experts reconnaît la place spéciale qu'occupent les recettes d'exploitation des ressources naturelles au sein du fédéralisme canadien, que les provinces devraient toucher un bénéfice net lié à la propriété des ressources naturelles même si elles reçoivent des paiements de péréquation.
La deuxième est qu'en vertu des principes fondamentaux d'équité envers tous les Canadiens le programme de péréquation doit interdire les transferts iniques, c'est-à-dire de résidents des provinces à basse capacité fiscale aux provinces à forte capacité fiscale. Pour comprendre ce que j'entends par ce principe, pensez à un programme gouvernemental en vertu duquel on transfère des revenus des personnes pauvres à des personnes riches. Nous serions tous d'accord pour dire qu'un tel transfert ou programme contrevient au principe d'équité de base sur lequel notre société est fondée. Le même principe devrait être au cœur du programme de péréquation. Si ce n'est pas le cas, les Canadiens n'appuieront pas le programme, et la solidarité de notre pays, qui est à l'origine du programme, sera perdue.
Je vais donc me concentrer sur le premier principe, à savoir que la nature des recettes d'exploitation des ressources naturelles est spéciale; ce principe occupe une place particulière au sein du fédéralisme canadien. En conséquence, en raison de cette particularité, on doit réserver un traitement spécial aux recettes d'exploitation des ressources naturelles dans la péréquation.
Tous les Canadiens des Prairies savent que les provinces de l'Ouest ont adhéré à la Confédération en tant que province de seconde classe. Je peux affirmer que peu de Canadiens du Centre et de l'Est connaissent ce fait historique, puisque j'ai grandi en Ontario. Contrairement aux provinces d'origine, qui, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, contrôlaient leurs ressources naturelles, les provinces des Prairies étaient assujetties au contrôle du gouvernement fédéral à ce chapitre.
Les Albertains, surtout, trouvaient ce statut de deuxième classe insultant et, dès le départ, se sont battus avec ferveur pour obtenir un traitement égal. Le 14 décembre 1929 a marqué un tournant de l'histoire de l'Alberta, lorsque le premier ministre Brownlee des Cultivateurs unis de l'Alberta et le gouvernement du premier ministre Mackenzie King ont signé la Convention sur le transfert des ressources naturelles.
Le préambule de cette convention stipulait ceci :
Et considérant qu'il est avantageux que la province soit traitée à l'égal des autres provinces de la Confédération quant à l'administration et au contrôle de ses ressources naturelles, à dater de son entrée dans la Confédération en 1905[...]
Ce fut une date importante dans l'histoire de l'Alberta. Afin d'illustrer toute l'importance de la question dans l'Ouest, je vais vous lire un extrait du livre de Palmer et Palmer, Alberta : A New History, dans lequel les auteurs décrivent le retour en Alberta du premier ministre Brownlee en train, au mois de décembre, après la signature de la convention. Il est arrivé à Edmonton dans la soirée, plusieurs jours plus tard.
Au retour du premier ministre Brownlee d'Ottawa, plus de 2 000 personnes vinrent l'accueillir à la gare d'Edmonton par une température glaciale. Les organisateurs allumèrent un grand feu de joie, des musiciens jouèrent et un feu d'artifice illumina la nuit.
À quand remonte la dernière fois qu'un premier ministre qui rentre d'Ottawa a reçu pareil accueil?
Ce genre de sentiment à l'égard des ressources naturelles ne s'est jamais développé au centre et dans l'est du Canada — et, monsieur le sénateur, vous avez peut-être raison, peut-être plus récemment à Terre-Neuve-et-Labrador — parce que les Canadiens de ces régions n'ont jamais dû se battre pour l'égalité constitutionnelle à ce chapitre.
Cela nous aide à comprendre l'émotion suscitée par le Programme énergétique national. Il va de soi que ce programme, le PEN, représentait un désastre économique pour l'Alberta et la Saskatchewan. Dans l'Ouest, c'est une page d'histoire que l'on n'oubliera jamais. Afin de vous brosser un tableau de la situation, j'ai ici quelques statistiques tirées du livre Strength in Adversity : A Study of the Alberta Economy de Mansell et Percy. Par exemple, en 1981-1982, dans la foulée du Programme énergétique national, le nombre d'appareils de forage en exploitation dans l'Ouest canadien est passé de 550 à 120. La croissance du PIB de l'Alberta a alors baissé de 10 points de pourcentage et le taux de chômage a augmenté de 9 points de pourcentage. La migration nette vers l'Alberta est passée de plus 10 000 à moins 30 000. Finalement, la statistique la plus révélatrice : entre 1982 et 1985, plus de 20 000 forclusions de prêts hypothécaires à l'habitation ont été prononcées en Alberta, province qui, à l'époque, comptait deux millions et demi d'habitants.
Le PEN a eu des répercussions importantes, car il touchait le cœur de la question des ressources naturelles dans l'Ouest canadien. À mon avis, il a suscité le même sentiment chez les Albertains que le rapatriement de la Constitution de 1982 chez les Québécois. Dans une certaine mesure, il était même plus profond, car il était lié à un important désastre économique. L'Alberta n'avait jamais subi un tel contrecoup depuis la Crise de 1929. C'est la raison pour laquelle les Albertains croient qu'ils ne doivent jamais laisser une telle situation se reproduire.
Tout comme le rapatriement de la Constitution, le PEN a changé le cours de l'histoire canadienne. Vous savez tous, mesdames et messieurs les sénateurs, que cela a contribué à la montée du Parti réformiste, en ce sens que l'Ouest pense que, malgré l'amour qu'il porte à la fédération canadienne, il est primordial qu'il maîtrise sa destinée économique.
J'espère vous avoir donné un aperçu de la nature particulière des recettes d'exploitation des ressources naturelles dans l'Ouest canadien. Je peux maintenant faire le lien entre la nature particulière et le traitement spécial réservé à ces recettes dans le cadre du programme de péréquation, tel que l'a proposé le groupe d'experts.
Selon le principe de base adopté par le groupe d'experts, même les provinces qui touchent des paiements de péréquation devraient retirer un bénéfice net des ressources naturelles qu'elles possèdent. On ne peut que limiter ce bénéfice dans le calcul des droits à péréquation, on ne peut pas l'éliminer. Voilà pourquoi le groupe d'experts a proposé que seulement 50 p. 100 des recettes d'exploitation des ressources naturelles soient comprises dans le calcul des droits.
Certaines personnes ont fait valoir que ce principe pourrait être en contradiction avec le quatrième principe que j'ai mentionné, à savoir que le programme de péréquation ne doit pas autoriser les transferts iniques entre les provinces pauvres et les provinces riches. Je ne suis pas d'accord avec ces personnes. À mon avis, le deuxième principe sert justement à garantir que le premier principe n'entraîne pas de transfert inique. On ne peut pas demander aux résidents d'une province ayant une capacité fiscale réduite de contribuer au transfert à une province ayant une capacité fiscale supérieure.
En résumé, selon moi les deux principes sont compatibles. Le premier stipule que même les provinces qui touchent des paiements de péréquation devraient retirer un certain bénéfice net des ressources naturelles qu'elles possèdent et le deuxième qu'il ne faudrait pas permettre que le fait de retirer un tel bénéfice dénature le principe fondamental d'équité du programme de péréquation.
Mesdames et messieurs les sénateurs, si vous m'accordez encore quelques minutes, je voudrais maintenant aborder deux autres questions liées aux ressources naturelles et à la péréquation. La première concerne l'affirmation selon laquelle le programme inciterait les provinces à développer leurs ressources naturelles de façon inefficace. La seconde concerne l'affirmation selon laquelle la capacité financière du programme de péréquation est mise en danger par le fait qu'une province est propriétaire de ressources naturelles.
Plusieurs chercheurs se sont penchés sur les répercussions des incitatifs du programme de péréquation. À partir d'une théorie et d'un nombre très restreint d'études empiriques, ces chercheurs ont fait valoir que la péréquation incite financièrement les gouvernements provinciaux à ne pas mettre complètement en valeur les ressources naturelles ou à négliger le développement économique en général.
Selon moi, cette conclusion est le résultat de l'isolement d'un seul facteur restreint pris dans un ensemble complexe de facteurs qui définissent les efforts de développement économique investis dans une province. Elle est également le résultat du fait de passer directement de la théorie à la politique. C'est toujours dangereux et c'est une mise en garde que je donne toujours à mes étudiants.
Dans toute mon expérience en tant que sous-ministre des Finances d'une province qui touche des paiements de péréquation, je ne peux citer ne serait-ce qu'un seul exemple où des préoccupations liées à la péréquation ont empêché le gouvernement de donner suite à une initiative de développement économique, même si les fonctionnaires du ministère des Finances l'ont toujours souligné. Les gouvernements et les politiciens qui les font fonctionner ne maximisent pas les recettes ou les profits comme le fait le secteur privé. Au lieu de cela, ils essaient de maximiser le bien- être des électeurs. Pour savoir si une initiative de développement économique sera réalisée, il faut avant tout en connaître les répercussions sur l'emploi. En gros, les gouvernements cherchent à maximiser l'emploi et non les revenus fiscaux; par conséquent, les répercussions sur la péréquation ne sont pas un facteur déterminant quand vient le moment de prendre une décision.
Je passe à l'argument selon lequel la capacité financière du programme de péréquation est mise en danger par le fait qu'une province est propriétaire de ressources naturelles, essentiellement parce que le gouvernement fédéral n'a pas accès aux redevances sur les ressources naturelles, et les « pics » du marché de l'énergie se traduisent par des paiements de péréquation supplémentaires du gouvernement fédéral, et ce sans qu'Ottawa ne touche de recettes supplémentaires pour les payer.
La prémisse de cet argument est fausse. Une étude récente réalisée sur les sables bitumineux, le plus grand projet énergétique de l'histoire canadienne, montre que, de 2000 à 2020, la majeure partie des recettes du gouvernement provenant des sables bitumineux s'accumulera à Ottawa grâce aux impôts sur les sociétés et sur le revenu des particuliers.
Mesdames et messieurs les sénateurs, vous devriez avoir quelques graphiques dans votre documentation. Le premier graphique illustre la distribution estimée des recettes par gouvernement. Vous pouvez voir qu'au cours de cette période, le gouvernement fédéral recevra 51 milliards de dollars. La barre suivante représente le gouvernement de l'Alberta, avec 44 milliards de dollars. Les autres provinces reçoivent 12 milliards de dollars et les administrations municipales, 17 milliards de dollars.
Le deuxième graphique illustre la répartition de ces recettes. Vous voyez que les redevances provenant des sables bitumineux ne représentent qu'environ 20 p. 100 du total des recettes publiques. L'idée que le gouvernement fédéral n'ait pas accès à ces recettes est tout simplement fausse.
Le sénateur Murray : Comment se fait-il que les autres provinces reçoivent 12 milliards de dollars?
M. Boothe : Parce qu'une bonne partie des produits utilisés dans l'exploitation des sables bitumineux provient d'autres provinces, cela se répercute sur leurs recettes fiscales.
En résumé, les revenus d'exploitation des ressources naturelles devraient jouer un rôle particulier dans le programme de péréquation modifiée, en raison de leur place dans la Constitution, l'histoire et la culture politique de l'Ouest. J'appuie la recommandation du groupe d'experts voulant que 50 p. 100 des recettes d'exploitation des ressources naturelles soient incluses dans le calcul du droit fondé sur ce principe.
Ce droit n'est toutefois pas illimité. Par conséquent, j'appuie également la recommandation du groupe d'experts selon laquelle un tel bénéfice ne doit pas donner lieu à des transferts iniques qui minent le principe fondamental d'équité du programme. J'appuie le plafond. Le programme proposé par le groupe d'experts, fondé sur les principes et architecturé autour de la formule, maintient un équilibre approprié, servant les intérêts des Canadiens d'un océan à l'autre. Pour cette raison, le rapport du groupe d'experts mérite notre appui et le groupe d'experts nos remerciements.
Le sénateur Stratton : Il existe deux catégories de ressources naturelles, celles qui sont renouvelables et celles qui ne le sont pas. Devrions-nous inclure les ressources non renouvelables dans la formule? Je viens d'une province qui, comme le Manitoba, possède une ressource renouvelable, à savoir l'hydroélectricité. J'aimerais savoir si, d'après vous, cette ressource devrait être comptabilisée ou non en tant que ressource naturelle.
[Français]
M. Lacroix : Sénateur, je peux peut-être dire quelques mots à cet égard et Paul pourra certainement compléter.
Lorsqu'on a examiné les différences entre les ressources renouvelables et non renouvelables, on a rapidement réalisé que, sur un horizon de temps qui était pertinent pour des politiques, ces différences n'existaient pas.
On peut bien parler du fait que le pétrole albertain diminuera de plus en plus, mais avec les sables bitumineux, ils en ont encore pour environ 100, 125 ans. Alors, sur un horizon de 100 ans ou de 125 ans, commencer à faire la différence entre ressources renouvelables et non renouvelables n'a pas un grand sens.
Si on examine une ressource renouvelable comme le poisson dans les provinces atlantiques, où est le poisson maintenant dans les provinces atlantiques? Le bois était une ressource renouvelable, mais on s'aperçoit effectivement que ce n'est pas aussi renouvelable qu'on le croyait; de plus, quand il est renouvelé, il n'est plus compétitif par rapport à ce qui se fait dans d'autres pays.
En d'autres mots, toutes ces notions qui avaient une certaine pertinence théorique sont beaucoup moins pertinentes en pratique.
Arrivons maintenant à la question de l'hydroélectricité, ressource renouvelable au même titre que le bois et le poisson en furent une. Dans le cas de l'hydroélectricité, notre rapport recommandait qu'elle soit traitée exactement comme les autres ressources renouvelables et non renouvelables incluses dans l'ensemble de ressources. En ce sens, ce qui entre dans la formule des péréquations, ce sont les revenus que les gouvernements tirent de l'hydroélectricité. Cependant, comme pour les autres ressources renouvelables et non renouvelables, nous rencontrons un problème : le calcul très précis de la rente que l'on peut tirer de ces ressources.
La complexité de ces calculs et le nombre d'hypothèses qui doivent être faits pour arriver à un résultat déterminé sont tels que, de l'avis du comité, il y aurait un débat à n'en plus finir sur les 22 hypothèses qu'on aurait dû faire pour arriver à un calcul de rente sur l'électricité, sur le pétrole ou sur toutes autres ressources. Vu cette situation, nous avons pensé que la solution idéale était de prendre les revenus réels que reçoivent chaque année les gouvernements, peu importe la ressource, et de les ajouter à leurs capacités fiscales.
[Traduction]
M. Boothe : Je n'ai pas grand-chose à ajouter si ce n'est que selon l'argument habituellement utilisé, les ressources renouvelables devraient être incluses à 100 p. 100 et qu'il existe une controverse à propos des ressources non renouvelables. Certains ont fait valoir, et c'est traditionnellement notre position en Alberta, que les ressources pétrolières et gazières étant temporaires et non renouvelables, les recettes qu'elles génèrent ne devraient pas être incluses dans le calcul. Comme l'a dit M. Lacroix, les recettes d'exploitation des ressources pétrolières et gazières ne sont plus vraiment temporaires et nous avons constaté qu'avec la fluctuation et la montée des prix, notre capacité d'exploiter ces recettes augmente, alors en pratique, du point de vue des finances publiques, il n'y a pas de réelle différence.
Il y a une idée innovatrice dans le rapport du groupe d'experts : traiter sur un pied d'égalité toutes les ressources naturelles du pays, d'où qu'elles proviennent, qu'elles soient classées renouvelables ou non renouvelables.
Nous avons toujours enseigné à nos étudiants que les ressources naturelles non renouvelables sont réparties inégalement d'un océan à l'autre et c'est la vérité. Pourtant, si l'on prend en considération l'ensemble des ressources, on remarque qu'elles sont réparties beaucoup plus équitablement d'un océan à l'autre. Par exemple, le Manitoba et le Québec sont très riches en énergie hydroélectrique. Si on élargit la définition de ressources et qu'on les traite sur un pied d'égalité, on obtient une répartition beaucoup plus équitable à la grandeur du pays, ce qui est important.
Le sénateur Stratton : Ma préoccupation est la suivante : alors que la valeur des ressources pétrolières et gazières est établie par les marchés internationaux, le prix de l'hydroélectricité est fixé, particulièrement au Manitoba, par le gouvernement. Ce sont les plus bas en Amérique du Nord et, pour ma part, cela me pose un problème, car cette ressource est, si l'on veut, notre pétrole pour l'avenir à long terme de la province. Je crois fermement que nous devrions agir afin de consolider cet héritage.
M. Lacroix, qu'en est-il pour le Québec? Partagez-vous ce point de vue?
[Français]
M. Lacroix : En fait, le problème de l'hydroélectricité, il faut le regarder historiquement. Historiquement, l'hydroélectricité avait essentiellement un marché local parce que les réseaux n'étaient pas installés et parce que le marché nord-américain n'existait pas, à toutes fins pratiques. Dans ce contexte, quand on développait des capacités d'électricité, on était en excédent d'électricité. C'est dans le but de faire du développement économique, que l'on offrait des tarifs très avantageux aux consommateurs et aux industries qui voulaient bien s'installer dans nos régions. L'exportation n'était presque pas présente. Le marché n'existait pas.
Qu'arrive-t-il maintenant? On s'aperçoit que le marché de l'exportation s'accroît de façon considérable. Il y a un marché nord-américain de l'énergie hydroélectrique. On peut vendre, on peut acheter et l'on peut effectivement bénéficier, dans la mesure où le réseau est présent, d'une capacité. Suite à cela, si on regarde la situation au Québec, on réalise que les tarifs d'électricité croissent de façon considérable depuis 10 ans, et vont continuer de croître, parce que les gens réalisent qu'il n'est pas possible de laisser passer une possibilité comme celle-là sans en tirer profit.
Il y a 10 ans, Hydro-Québec versait de 0 à 300 millions de dollars au gouvernement du Québec alors qu'aujourd'hui cette somme dépasse les deux milliards. Et ces deux milliards entrent dans les revenus des ressources tirées du gouvernement du Québec au même titre que les rentes pétrolières pour le gouvernement de l'Alberta.
Dans ce contexte, je crois qu'il faut être prudent et ne pas imputer à l'électricité des caractéristiques qu'elle n'avait pas en termes de capacité d'exportation il y a 10, 15 ou 20 ans. Maintenant, cela existe et la rationalité des gouvernements fera qu'effectivement ils vont aller chercher le maximum de cet argent.
Le gouvernement du Québec, comme le gouvernement du Manitoba, préférera recevoir trois milliards de dollars d'Hydro-Québec et en remettre un milliard de moins à la péréquation plutôt que de ne rien recevoir du tout d'Hydro- Québec parce que ses tarifs seraient trop bas et qu'elle n'exporterait pas dans le reste du monde.
[Traduction]
M. Boothe : J'aimerais ajouter que, dans un monde soumis aux changements climatiques, il est essentiel de fixer le plein prix des ressources énergétiques, où qu'elles se trouvent. Dans une province où l'électricité est surtout générée par combustion de charbon, nous payons le coût environnemental total pour la produire. Cela créerait immédiatement un écart entre l'électricité provenant de la combustion de charbon et l'hydroélectricité. Nous n'arriverons jamais à composer avec les changements climatiques si nous n'adoptons pas la méthode du coût complet au Canada. J'appuie les commentaires de M. Lacroix sur cette question.
Le sénateur Rompkey : J'ai été intéressé et même un peu étonné par certains propos dans l'exposé de M. Boothe et j'aimerais en citer quelques-uns. Premièrement, vous avez affirmé ceci à la page 3 :
Ce genre de sentiment à l'égard des ressources naturelles ne s'est jamais développé au centre et dans l'est du Canada [...] parce que les Canadiens de ces régions n'ont jamais dû se battre pour l'égalité constitutionnelle à ce chapitre.
J'ignore si M. Boothe se rappelle que le drapeau canadien avait été mis en berne à St. John's avant que les accords ne soient signés. Je suis surpris de constater que les habitants de l'Ouest ne comprennent pas ce que ressentent ceux de l'Est. Le sentiment est passablement le même. Cela semblait évident lorsque le premier ministre Brownlee est revenu d'Ottawa avec la Convention sur le transfert des ressources naturelles en poche. En fait, juridiquement, ces ressources ne sont pas du ressort de Terre-Neuve-et-Labrador ou de la Nouvelle-Écosse. La cour en a décidé ainsi. Par contre, la proximité revient à la province, et la vérité est qu'en ce moment, c'est la seule ressource sur laquelle la province peut compter, en raison de l'épuisement des autres ressources renouvelables. C'est ce qui entraîne un tel sentiment profond. Ce qui est présenté dans le graphique qui a été distribué était aussi vrai dans notre province avant ces accords. De 80 à 90 p. 100 des recettes d'exploitation des ressources extracôtières du gouvernement étaient versées au gouvernement fédéral. Nous recevions moins de 20 p. 100 de la part du gouvernement. C'est ce qui explique un tel sentiment profond, mais je ne sous-estimerais pas la gronde qui persiste.
L'autre commentaire formulé...
Le président : Avez-vous une question, sénateur Rompkey?
Le sénateur Rompkey : Oui, mais il est important d'aborder la question qui suit pour qu'elle figure au compte rendu. Du moins, c'est important pour moi.
M. Boothe a dit que, malgré l'amour que l'Ouest porte à la fédération canadienne, il est primordial qu'il maîtrise sa destinée économique. C'est ce que nous voulons aussi.
Si je dois poser une question, je demanderais à M. Boothe ce qu'il pense des deux accords de l'Atlantique et comment ceux-ci s'insèrent dans les propositions qu'il a faites.
M. Boothe : Puisque j'étais le sous-ministre délégué du ministère des Finances, et que j'ai participé à la négociation des accords, je ne donnerai pas mon opinion personnelle; je crois que cela serait inapproprié. Par contre, je tenterai d'expliquer comment tout concorde avec les arguments que j'ai présentés, puis je parlerai de l'incidence des accords.
Lorsque le premier ministre Williams a dit que nous aurions eu un accord n'eût été de ces représentants fédéraux, j'étais l'un de ces représentants fédéraux.
Vous avez mentionné que, juridiquement, les ressources extracôtières appartiennent à tous les Canadiens, conformément à la décision de la Cour suprême. Or, dans les faits, le gouvernement fédéral a octroyé les bénéfices de l'exploitation de ces ressources aux provinces. En réalité, nous avons le même traitement. Par exemple, le traitement juste serait que, lorsque Terre-Neuve a adhéré à la Confédération, le gouvernement fédéral ne lui ait pas permis de toucher les recettes d'exploitation de ses mines de fer. Ce sont les bases sur lesquelles l'Alberta et la Saskatchewan ont adhéré à la Confédération.
La recommandation du groupe d'experts place toutes les provinces sur un pied d'égalité. Elle tient donc compte de cette inquiétude. Même si nous disons que nous voulons que les provinces de l'Atlantique profitent des ressources extracôtières, elles sont traitées de la même façon que l'Alberta, la Saskatchewan et les autres provinces dans la recommandation du groupe d'experts.
Le premier ministre Williams et d'autres premiers ministres vont encore plus loin, faisant valoir qu'on ne devrait pas tenir compte des recettes d'exploitation des ressources naturelles dans le calcul du droit à péréquation et qu'il ne devrait pas y avoir de plafond. Par conséquent, on ne s'occuperait pas de ce deuxième principe — le principe fondamental d'équité — ou de l'importance que le programme ne permette pas de faire de transferts iniques. Tel que le propose le premier ministre Williams, il se pourrait que des transferts provenant de Canadiens vivant dans des provinces qui ne reçoivent pas de paiement de péréquation — et il y en a de plus en plus — soient versés à Terre-Neuve-et-Labrador, bien que sa capacité fiscale, incluant les ressources naturelles, soit beaucoup plus élevée.
Il est important de réserver un traitement particulier aux ressources naturelles — une inclusion de 50 p. 100 dans le calcul du droit à péréquation — mais il devrait être limité par le plafond. De cette façon, nous aurions une limite d'équité fondamentale et nous ne pourrions demander aux habitants de l'Ontario ou des autres provinces de contribuer aux paiements de péréquation versés aux provinces qui ont une plus grande capacité fiscale que leur province.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Boothe, j'apprécie le fait que vous vous soyez concentré sur la question des ressources naturelles. Nous avons entendu beaucoup de commentaires généraux. Nous devons choisir entre une inclusion à 100 p. 100 ou une inclusion à 50 p. 100.
Nous devons également décider d'établir une norme à dix ou à cinq provinces. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Boothe : Pour les professeurs, le choix de la norme n'a aucune importance. Pour les électeurs, pour les Canadiens, je crois que la seule norme qui soit juste est celle à dix provinces.
Les gens parlent parfois de changer la norme afin de respecter l'objectif de capacité financière. En fait, on a fait valoir qu'il s'agissait là de la seule raison pour laquelle nous utilisions la norme à cinq provinces dans le passé. Soustrayez la plus puissante — l'Alberta — soustrayez les plus faibles — les provinces de l'Atlantique —, puis calculez. C'était une norme médiane.
Au tout début de la péréquation, nous avons eu une norme de l'Ontario, en plus d'une norme à dix provinces.
Je crois que, pour le Canadien moyen, la norme à dix provinces est la seule qui soit vraiment raisonnable. Bien que, techniquement, rien ne nous empêche d'établir une autre norme, je crois que, pour conserver l'appui politique partout au pays — la solidarité, comme l'a dit monsieur Lacroix —, la norme à dix provinces serait le choix idéal.
Le sénateur Eggleton : Est-ce que les Canadiens ne demanderaient pas pourquoi ne pas avoir 100 p. 100 des ressources naturelles, puisque vous avez 100 p. 100 des provinces.
M. Boothe : Bien sûr, certains Canadiens le diraient. Je crois que la plupart des habitants de l'Ouest canadien ne seraient pas d'accord. Je crois que les décideurs ont la responsabilité d'expliquer à tous les Canadiens la raison d'être du programme.
J'ai expliqué pourquoi je crois qu'il s'agit d'une approche fondée sur des principes. Le défi — parfois pour les professeurs, rarement pour les fonctionnaires et toujours pour les politiciens — est d'expliquer cette approche fondée sur des principes aux électeurs.
Le sénateur Eggleton : Le gouvernement de l'Ontario a dit plusieurs choses à ce sujet. Premièrement, il s'est plaint de certains transferts — le Transfert canadien en matière de programmes sociaux et le Transfert canadien en matière de santé. Il s'est plaint qu'il reçoit moins d'argent parce que les points d'impôt sont assujettis à la formule de péréquation. Par conséquent, il y a un déséquilibre; il reçoit moins d'argent pour l'éducation et les services sociaux. Le gouvernement de l'Ontario s'est plaint de l'assurance-emploi — que la personne qui touche des prestations d'assurance-emploi en Ontario reçoit moins d'argent que tout autre Canadien.
À propos de la péréquation, le gouvernement de l'Ontario dit aussi qu'il y a suffisamment d'argent dans la formule actuelle et qu'il n'est pas nécessaire d'en ajouter. Il souscrirait certainement à votre 50 p. 100 des ressources. Il voudrait probablement aussi que nous choisissions la norme à cinq provinces, puisque les coûts seraient réduits; et il aimerait certainement avoir un plafond, en plus du principe voulant que la capacité financière ne soit pas plus élevée que celle de la province qui touche le montant de paiement de péréquation le moins élevé.
Que pensez-vous des commentaires formulés par le gouvernement de l'Ontario?
[Français]
M. Lacroix : Je reviens un peu à ce que je disais tantôt. Évidemment, le coût de la solidarité a beaucoup augmenté et on comprend que les Ontariens se posent davantage de questions qu'ils ne s'en posaient auparavant.
Cependant, dans le rapport lui-même, nous avons d'abord parlé de ce qu'on appelle cette péréquation associée aux paiements de transfert, et nous avons dit qu'il fallait solutionner ce problème. Nous avons dit qu'il fallait vraiment examiner cette situation afin qu'il n'y ait plus de confusion entre la péréquation et les autres programmes. Nous disions également qu'il fallait que la péréquation se fasse uniquement par la péréquation. Notre recommandation était donc claire à cet égard.
Maintenant, fondamentalement pour le gouvernement ontarien, que ce soit cinq provinces, 10 provinces, 50 p. 100, 60 p. 100 des ressources exclues ou inclues, ce n'est pas cela le problème. C'est le montant de péréquation qui sera transféré qui est le problème.
Le sénateur Murray : Ce n'est pas une question de principe.
M. Lacroix : C'est une question de principe au sens où les Ontariens croient que la péréquation a atteint un niveau qui correspond à ce qu'ils veulent transférer, probablement. Mais je dis qu'il faut regarder l'ensemble auquel est parvenu le comité et le comparer à ce que l'ensemble des provinces avait accepté en 2005, dont l'Ontario.
En 2005, le programme spécial qu'ils avaient accepté disait la chose suivante, à savoir qu'on fixait cela à 10,9 milliards de dollars au point de départ, avec un taux de croissance de 3.5 p. 100 par année, indépendamment de ce qui arrive aux disparités dans les provinces.
Tant et si bien qu'on arrivait, en 2012-2013, à un programme qui aurait été de l'ordre de 16 milliards de dollars. La formule que nous proposons peut être beaucoup moins dispendieuse que la précédente. Il se peut que les disparités entre les provinces s'atténuent. Le prix du pétrole commence déjà à diminuer de façon considérable; ou va-t-il s'arrêter? On ne le sait pas. Tant et si bien que, pour l'Ontario, je crois que la formule proposée par le comité risque d'être, à terme, beaucoup moins dispendieuse que celle automatique qui avait été acceptée par l'ensemble des provinces en 2005.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Bien que nous discutions principalement de péréquation en ce moment, nous aborderons l'aspect vertical de cette question. Je m'intéresse notamment au problème des ressources dans les villes et les municipalités. Je comprends parfaitement le cadre constitutionnel, mais ce problème existe pour les administrations municipales en général. Les villes ne font pas que ramasser les ordures et réparer les égouts et les trottoirs; elles doivent aussi gérer les programmes sociaux, les questions d'habitation et de sans-abri, et j'en passe. Les villes n'ont pas les ressources nécessaires pour faire ce genre de travail donc, oui, il s'agit d'une question verticale. Avez-vous une idée de comment nous pouvons régler cette question?
[Français]
M. Lacroix : Quand on regarde la situation, si je sors du programme de péréquation, pour moi, le déséquilibre fiscal se trouve beaucoup plus entre le gouvernement fédéral et l'ensemble des payeurs de taxe, plutôt qu'entre le gouvernement fédéral et les provinces. Le gouvernement n'a qu'à baisser ses taxes, il n'aura plus de surplus et les provinces pourront occuper le champ fiscal.
Mais pour ce qui est des municipalités, elles sont des créations provinciales, elles relèvent constitutionnellement de la responsabilité des provinces et je peux difficilement comprendre, effectivement, qu'on ait besoin d'une intervention fédérale pour pouvoir aider les provinces à remplir le rôle qu'elles doivent remplir au sein de la province dont elles dépendent.
Donc, dans ce contexte, je suis favorable. Regardons par exemple toute la question de la TPS. Il reste un point de pourcentage promis par le gouvernement, qui équivaut à environ 5,3 milliard de dollars de champ fiscal que peuvent occuper les provinces et qui pourrait être occupé pour en remettre une partie aux municipalités, je crois que ce processus serait beaucoup plus respectueux de l'ordre des pouvoirs au Canada en opposition au fait que le gouvernement fédéral commence à intervenir lui-même dans les municipalités.
Le danger des interventions du gouvernement fédéral est qu'on ne sait jamais quand elles vont s'arrêter. Il peut y avoir des périodes de surplus au gouvernement fédéral. Il peut décider effectivement d'aider les municipalités vis-à-vis de leurs infrastructures avec un paiement de deux, trois milliards de dollars, puis s'en tenir là, en disant que pour le reste, c'est la responsabilité de la province.
Je pense que pour la fonctionnalité des responsabilités, il est nettement préférable que le gouvernement fédéral évacue l'espace fiscal nécessaire pour que les provinces puissent aider leurs municipalités à remplir leur rôle. Je préfèrerais cela et je crois que pour les municipalités, à moyen et à long terme, ce serait beaucoup plus sûr qu'une intervention ponctuelle du gouvernement fédéral.
[Traduction]
Le sénateur Di Nino : Pouvons-nous avoir vos commentaires, monsieur Boothe?
M. Boothe : Mon point de vue à ce sujet est simple, monsieur le sénateur. Les habitants d'Edmonton devraient payer les services offerts à Edmonton s'ils en sont les principaux bénéficiaires. La population de l'Alberta devrait contribuer si elle retire un bénéfice des services offerts à Edmonton et à Calgary. Cela se discute, mais il m'est difficile de convaincre les habitants de Corner Brook, à Terre-Neuve-et-Labrador, ou d'Edmundston, au Nouveau-Brunswick, qu'ils devraient contribuer au financement de l'infrastructure d'Edmonton. Nous savons que le gouvernement fédéral tire ses revenus de toutes les provinces et de tous les territoires. Selon moi, si vous pouvez justifier que la portée de ces bénéfices est générale, alors le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle important dans le financement des projets d'infrastructures municipales.
Le sénateur Di Nino : J'aimerais avoir des précisions sur la question du transfert de fonds aux municipalités, surtout celui aux grandes villes. Dans certains pays, il existe ce qu'on appelle des Cités-États, dans lesquelles la structure n'est pas simplement municipale et créée par les provinces. Monsieur Lacroix, vous dites que vous ne croyez pas que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans le transfert direct de fonds aux villes et que tous les fonds destinés aux villes devraient passer par les provinces?
[Français]
M. Lacroix : En principe, je crois qu'il serait préférable que les fonds passent par les provinces et aillent aux municipalités. Il peut y avoir, et il y en a eu, des programmes d'infrastructure fédéraux-provinciaux, comprenant une entente pour des transferts, avec une collaboration très grande.
Ce qu'il faut souhaiter, c'est que, chaque fois qu'un programme s'adresse à des municipalités, il puisse être en parfaite harmonie avec ce que les provinces veulent. En d'autres mots, il serait extrêmement malheureux que le gouvernement fédéral ait sa propre vision du développement de Toronto qui ne soit pas en parfaite harmonie avec la vision que le gouvernement de l'Ontario a du développement de la ville de Toronto. On ne peut pas imaginer une situation pareille.
Donc, s'il y a des programmes de transfert, ils doivent être conjoints, acceptés et négociés pour les deux parties. Je crois beaucoup à l'importance des grandes villes dans le développement économique futur, c'est évident, on le voit partout. Mais il faut laisser à ces municipalités la pleine capacité d'être les entrepreneurs de leur ville. Ils dépendent des provinces et il faut laisser aux provinces la possibilité de pouvoir leur donner les moyens.
Donc, ce n'est pas parce que je viens du Québec, mais je pense qu'il faut toujours être un peu prudent lorsqu'un niveau de gouvernement, dont ce n'est pas la responsabilité, se met en frais de vouloir avoir des programmes spécifiques à la responsabilité d'un autre. Je ne crois pas que ce soit la meilleure façon de faire fonctionner un pays.
[Traduction]
M. Boothe : C'est discutable, dans le cas où le gouvernement prend des mesures qui se répercutent directement sur les services fournis par les villes. Toronto est un cas à part, car les municipalités de l'Ontario assument une part importante de responsabilité dans la prestation de l'aide sociale, ce qui est plutôt rare ailleurs au Canada. Bien sûr, si le gouvernement provincial devait déléguer aux villes sa responsabilité à l'égard des nouveaux immigrants, alors on pourrait faire valoir que le gouvernement fédéral fasse une contribution. Cela soulève toutefois une préoccupation. Lorsque nous enseignons à nos étudiants la théorie des subventions, nous leur apprenons que si des villes reçoivent une subvention de la part du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial, et que la subvention fédérale augmente, ils ne peuvent pas partir du principe que la province ne réagira pas. La réaction spontanée de la province est de réduire sa subvention parce que les exigences à l'égard de ce programme ont diminué et qu'elle peut ainsi s'attaquer à toutes les autres exigences.
En principe, il vaut mieux adopter une approche coordonnée, c'est-à-dire que les villes reçoivent l'argent d'une seule source, ce qui permet d'aligner correctement tous les incitatifs; sinon, il pourrait en découler une opposition entre les provinces et le gouvernement fédéral dans leurs rapports avec les villes.
Le président : Merci, sénateur Di Nino, et merci messieurs les professeurs de vos réponses. On serait tenté d'aborder les questions de la gestion verticale du déséquilibre fiscal, puisque, comme l'a souligné le sénateur Eggleton, il se peut que nous ne vous revoyions plus; mais il se peut aussi que nous vous revoyions. À cette étape de l'étude, nous traitons de la péréquation, c'est-à-dire de l'équilibre horizontal. Dans la deuxième étape de l'étude, pour laquelle nous avons déjà été mandatés, nous étudierons la question de l'équilibre vertical.
[Français]
Le sénateur Murray : Monsieur Lacroix, à partir de quelles données sur le prix du pétrole avez-vous basé vos recommandations?
M. Lacroix : Si vous regardez l'annexe à la fin du document, il y a effectivement des simulations qui ont été faites pour divers prix de pétrole. L'objectif, qui était simple, était de savoir si on pouvait avoir un programme qui soit, dans des conditions normales, soutenable avec des prix de pétrole différents.
Le sénateur Murray : On parle de prix d'énergie élevés, modérés et faibles?
M. Lacroix : On a fait différentes simulations, à des prix différenciés allant de 40 $ à 60 $, se disant que cela pouvait être un peu plus ou un peu moins. Mais c'est un intervalle qui, par rapport aux variations historiques, était quand même un intervalle très important de passer de 40 $ à 60 $ et pouvoir retourner à 40 $. On se disait que dans une variation aussi grande, le système résisterait. Cela ne deviendrait pas complètement fou.
Un autre élément très important à retenir, et cela est bien dit dans le rapport, est que le gouvernement fédéral — puisque la péréquation est un programme fédéral —, qui est un gouvernement élu par l'ensemble des Canadiens, peut très bien décider à un moment donné, si le prix du pétrole est rendu à 125 $ le baril, que le quantum de la péréquation est trop élevé. Ce que nous recommandons, c'est de ne pas changer la formule pour changer le quantum, mais de mettre un plafond au montant que le gouvernement fédéral veut verser en péréquation, et d'appliquer, sans la changer, la formule telle qu'elle est. Donc dans ce contexte, si, à un moment donné, les prix du pétrole, du gaz naturel et d'autres ressources étaient tels que le paiement de péréquation devait être de 20 milliards de dollars l'an prochain et que le gouvernement ne voulait en mettre que 12 milliards, le gouvernement dirait que le plafond est de 12 milliards, mais qu'il applique la formule telle qu'elle est.
Nous n'avons pas pris de position sur le quantum idéal de la péréquation; nous croyons qu'il n'y a pas nécessairement de quantum idéal. Cela dépend de comment les Canadiens veulent redistribuer la richesse et le revenu au Canada, et c'est une décision politique. Ce sont les politiciens qui disent qu'ils veulent aller jusqu'à cette limite et que s'ils dépassent tel montant, cela créera des tensions politiques telles que le programme sera remis en cause. Cela, nous ne pouvons pas le dire. Ce que l'on peut dire, par contre, c'est que nous avons une formule qui paraît intéressante, qui génère un quantum ainsi qu'une façon de redistribuer le quantum. Si, politiquement, le quantum vous paraît trop bas ou trop élevé, prenez votre décision politique. Ce n'est pas une décision d'économistes, à cet égard.
Le sénateur Murray : Monsieur Lacroix, vous venez de vous vanter un peu du fait que vos recommandations pourraient coûter moins cher que le nouveau cadre établi par le gouvernement en 2004.
M. Lacroix : Dépendant des hypothèses de l'évolution des prix du pétrole et de l'évolution des disparités.
Le sénateur Murray : La question est de savoir pourquoi votre panel n'a pas été plus généreux à l'endroit des provinces, étant donné, comme vous nous l'avez rappelé dans votre déclaration liminaire, que la péréquation ne compte que pour 1,5 p. 100 du produit national brut, pour moins de 6 p. 100 des dépenses fédérales, tandis qu'à l'Île- du-Prince-Édouard, c'est 21 p. 100 de ces dépenses et 10 p. 100 au Nouveau-Brunswick?
M. Lacroix : Le but de notre comité n'était pas d'être plus ou moins généreux, mais plutôt de trouver une formule qui paraissait le plus en phase avec les besoins et la réalité canadienne. Lorsqu'on examine le résultat de l'application de notre formule, on s'aperçoit que l'ensemble des provinces s'approche très près de la capacité fiscale de l'Ontario. C'est une très grande générosité quand même. Parce qu'il y en a qui partent à 2 000 $ de moins que la capacité fiscale de l'Ontario.
Nous croyons donc que la norme de dix provinces, plus les autres principes que nous avions mis en place, nous amènent à des résultats qui nous paraissaient tout à fait équitables, juste et assez généreux. Si on parle de générosité, on aurait pu prendre la norme albertaine qui aurait coûté 122 milliards de dollars au gouvernement fédéral, ce qui est la générosité maximale, et ce qui est impensable. Donc avec la norme de dix provinces, si vous regardez la dépense par personne des programmes municipal et provincial dans chacune des provinces, vous vous apercevez que la plupart des provinces ont à peu près souvent mieux ou moins que la norme ontarienne au niveau des dépenses. Donc que veut dire la générosité? Cela nous paraissait être un équilibre tout à fait acceptable.
Le sénateur Murray : Je crois que M. Boothe avait quelque chose à ajouter.
[Traduction]
M. Boothe : Je n'aime pas parler de la péréquation sous l'angle du caractère généreux ou non de celle-ci, car elle est l'un des rares programmes fédéraux dont le mandat constitutionnel est très clair. Nous devrions étudier la péréquation en évaluant comment elle permet aux provinces de créer des programmes raisonnablement comparables à un taux d'imposition raisonnablement comparable. C'est la mesure que nous devrions utiliser.
J'aimerais ramener la discussion à la question de l'énergie, car c'est elle l'éléphant blanc dans la salle, permettez-moi l'expression. Les sénateurs devraient être conscients que même si le prix de l'énergie reste au niveau élevé actuel — et, à vrai dire, la péréquation ne dépend pas du prix de l'énergie, elle dépend des revenus générés par l'énergie — un changement fondamental s'amorce dans le secteur de l'industrie énergétique de l'Alberta. Nous prenons très rapidement nos distances par rapport au pétrole et au gaz classiques, lesquels produisent des taux de redevances élevés, et nous tournons vers le pétrole et le gaz non classiques — pas uniquement le pétrole, mais également le gaz —, lesquels entraînent des redevances nettement inférieures.
Les disparités que vous constatez, même si les prix restent à leur niveau actuel, diminueront assez rapidement à l'avenir. L'enjeu fiscal pour l'Alberta est grand — j'espère que la province s'y prépare. Cela se répercute indéniablement sur les revenus tirés des ressources énergétiques et leur incidence sur la péréquation à l'avenir.
Lorsqu'on élabore des programmes à long terme — pas pour toujours, car un programme ne peut pas être conçu pour durer toujours —, il est important que ces programmes tiennent compte et des circonstances extraordinaires du moment et de l'avenir, de ce qui est susceptible de se passer. L'incidence de prix énergétiques élevés, même si ces prix ne changent pas, diminuera considérablement dans les cinq à dix prochaines années, et vous devriez en être conscients.
Le sénateur Murray : Je vous rappelle qu'il y a quelques années, le Comité sénatorial permanent des finances nationales a réalisé une étude et a produit un rapport sur la péréquation — un rapport que nous pensions être fondé sur les principes. Lesdits principes étaient que la péréquation devrait reposer sur la capacité fiscale relative des provinces et que la meilleure façon d'évaluer la capacité fiscale relative était d'inclure les 10 provinces dans la norme, ainsi que la totalité des sources de revenu, dans la mesure permise par un système fiscal représentatif. Ces principes, de façon générale, ont été adoptés par le groupe d'experts du Conseil de la fédération en 2005. Comme vous le savez, j'étais membre de ce groupe d'experts, alors il est important de divulguer toute l'information.
Nous avons convenu que si cette approche fondée sur les principes donnait un chiffre que le gouvernement fédéral ne jugeait pas abordable, il faudrait alors procéder à une réduction proportionnelle, assumer les pressions politiques de cette décision et en expliquer publiquement les raisons.
Le groupe d'experts, auquel siège M. Lacroix et dont vous appuyez les recommandations, commence par dire 50 p. 100 seulement des recettes de l'exploitation des ressources naturelles. Je sais qu'Al O'Brien, qui s'est présenté devant nous, et, dans une certaine mesure, vous en avez fait une question de principe. Pour moi, ça ressemble uniquement à du pragmatisme. Le chiffre aurait pu être 40 ou 60 p. 100, mais on a fini par décider que ce serait 50 p. 100. Cela semble, en soi, régler la question de la capacité financière fédérale.
De plus, comme M. Lacroix vient de nous le rappeler... Il suggère que, en fin de compte, le gouvernement fédéral devrait fixer un montant et le réduire par la suite s'il pense que cela est nécessaire. Avec cette approche, le fisc fédéral se munit à la fois de bretelles et d'une ceinture, si vous me permettez l'expression.
L'autre question que je tiens à soulever concerne les propos du sénateur Rompkey sur les ressources extracôtières. Monsieur Boothe, vous êtes certainement mieux au courant des détails que moi. Ces ententes sur les ressources extracôtières datent des négociations tenues en 1982 avec le gouvernement Trudeau. M. Chrétien était alors ministre de l'Énergie. Entre 1986 et 1988, d'autres négociations ont eu lieu avec le gouvernement Mulroney. Mme Carney était alors ministre de l'Énergie. L'argument de ces provinces était alors, et est toujours, que leurs prévisions à l'égard de l'exploration et du développement ne se sont pas concrétisées; les provinces n'en ont pas tiré les avantages qu'elles avaient escomptés. Elles font valoir que ces ententes prévoyaient la possibilité de renégocier et c'est ce qui s'est produit.
Le groupe d'experts tiendrait compte de 50 p. 100 des recettes de l'exploitation des ressources naturelles par rapport aux droits, mais vous, vous prenez 100 p. 100 des recettes, si j'ai bien compris, en ce qui concerne le plafond. Peut-être que ce pourcentage change continuellement. Si vous prenez 100 p. 100 pour le plafond, cela entraîne un énorme problème politique — indépendamment de tout le reste — pour le gouvernement. Si on remonte à 2004, M. Harper prévoyait une norme à 10 provinces et l'exclusion des recettes de l'exploitation des ressources naturelles. La Saskatchewan a accueilli cette proposition à bras ouverts, car elle avait d'autres problèmes à régler, mais cette solution aurait été une aubaine pour elle, plus que pour la Colombie-Britannique et encore bien plus que pour Terre-Neuve-et- Labrador.
Je ne sais pas comment vous allez vous y prendre ou comment lui va s'y prendre pour imposer un plafond en vertu duquel vous calculez 100 p. 100 des recettes de l'exploitation des ressources naturelles à cette fin. Le problème est insoluble.
M. Boothe : Premièrement, j'aimerais préciser que 50 p. 100 n'est pas le principe. Le principe est qu'on réserve un traitement spécial aux ressources naturelles. Vous avez tout à fait raison, le chiffre aurait pu être 40 ou 60 p. 100. Le chiffre de 50 p. 100 n'a rien d'une formule magique. Je pense que le groupe d'experts était clair à ce sujet. On pourrait justifier ce chiffre, mais le principe est le traitement spécial. Ce principe s'applique à Terre-Neuve-et-Labrador et à la Nouvelle-Écosse comme à toutes les autres provinces.
Le sénateur Murray : Pourquoi pas 100 p. 100?
M. Boothe : Pourquoi pas 100 p. 100? Parce que la répartition des ressources est inégale d'un océan à l'autre. C'est donc une question de jugement. Je vais échanger mon chapeau de professeur pour celui de sous-ministre des Finances d'une province qui reçoit des paiements de péréquation. Comprenez que ce programme doit obtenir l'appui de tous les Canadiens. Pour être franc, je n'ai aucun problème à défendre le plafond, parce que si nous ne le maintenons pas, le programme de péréquation permettra de faire des transferts iniques et cela, selon moi, mine l'appui que la population canadienne pourrait donner à l'ensemble du programme et finirait par entraîner l'effondrement du programme. Je pense que ce plafond défend les intérêts de toutes les provinces et empêche les transferts iniques.
Un des seuls points sur lesquels je suis en désaccord avec le groupe d'experts et celui du Conseil de la fédération, c'est l'idée que, peu importe l'ampleur du montant, il suffit de le réduire. En tant que haut fonctionnaire, je comprends que le gouvernement fédéral ne peut pas maintenir cette position à long terme du point de vue politique. Effectivement, il ne peut pas dire : « Le montant de la péréquation s'élève à tant, mais nous allons le réduire parce que nous jugeons qu'il est inabordable. ».
Je répondrai que, le cas échéant, nous devrons tenir davantage de séances du Sénat et réexaminer ce programme. Comme je l'ai dit, aucun programme n'est éternel et aucun ne peut parer à toutes les éventualités.
Compte tenu particulièrement de ce que j'ai dit concernant l'avenir des recettes de l'exploitation des ressources naturelles en Alberta et l'incidence sur le programme, je ne pense pas que la capacité financière du programme sera un problème pratique qui empêchera d'aller de l'avant. Je ne m'inquièterais pas trop à ce sujet. Je m'inquièterais bien plus de savoir si nous avons un ensemble de principes que nous pouvons présenter aux Canadiens, d'un océan à l'autre, et qui nous garantissent leur soutien politique.
Je pense que cet ensemble de principes est à la hauteur. Pour être franc, et comme l'a dit le professeur Lacroix, je n'ai pas connaissance d'un ensemble de principes qui soit équivalent.
Le sénateur Murray : Je pense que 100 p. 100 des recettes de l'exploitation des ressources naturelles, « ça serait à la hauteur », si vous me permettez de citer vos paroles.
Il est facile pour un sénateur de dire cela, mais je pense que la réduction est une démarche bien plus rationnelle et que, à long terme, elle est plus équitable, aux yeux des hommes et de Dieu. Et il vaut mieux en assumer les conséquences que de traficoter et manipuler la formule, comme ce fut le cas plusieurs fois. Cela remonte à quelques années, alors que j'étais assis de l'autre côté de la table à titre de représentant de l'une des provinces qui touchent des paiements de péréquation, et que mon rôle était de veiller à ce que l'Ontario ne devienne pas une province qui reçoive des paiements de péréquation. Vous vous souvenez que le gouvernement fédéral a passé d'une norme à l'autre. Un ensemble de principes doit prévaloir, le vôtre ou le nôtre, et ensuite, s'il y a lieu, nous devrions procéder à une réduction. Si le programme devient inabordable, le gouvernement fédéral devra en expliquer les raisons. Compte tenu du climat qui règne actuellement, je ne pense pas que la réaction politique serait aussi virulente qu'elle l'aurait été il y a bon nombre d'années.
[Français]
M. Lacroix : J'aimerais revenir sur la question du pourcentage de 50 p. 100 et du cap à 100 p. 100. Il faut être très clair à cet égard. Les provinces qui ne reçoivent pas de péréquation, comme l'Alberta qui ne reçoit ni le 50 p. 100, ni le cap, sont affectées, mais pas dans le quantum. Ce ne sont pas elles qui sont affectées.
Cependant, les provinces qui recevaient et qui reçoivent encore de la péréquation ne sont pas indifférentes. Si ces provinces ont du gaz naturel et du pétrole, elles auraient préféré 0 p. 100 d'inclusion. Parce que ce faisant, elles pouvaient retirer tout ce qu'elles pouvaient en péréquation sans que les revenus du pétrole et du gaz ne les affectent négativement. On comprend donc que c'est ce que ces provinces désiraient.
Maintenant, mettre 100 p. 100 d'inclusion enlevait un grand incitatif à ces provinces. Ceci parce que chaque fois qu'elles faisaient un développement amenant des ressources et des revenus, il y avait un risque effectivement de voir la péréquation descendre d'autant.
Deuxièmement, du fait que ces ressources sont également une propriété provinciale, il nous apparaissait intéressant de laisser à ces provinces un bénéfice à l'exploitation des ressources naturelles qui soit différent de celui qu'elles auraient si ces ressources ne leur appartenaient pas.
Nous avons beaucoup discuté du cap de 100 p. 100 dans le rapport, et le cap idéal serait celui qui enlève du 100 p. 100 les coûts assumés par les provinces pour que les ressources puissent être développées dans leur province.
Or, cela est extrêmement complexe. Premièrement, il n'y a pas de données à ce sujet.
Deuxièmement, tout dépend du type de ressources parce qu'il n'y a pas seulement que le gaz et le pétrole, mais également toutes les autres formes de ressources. Cela dépend de l'âge des exploitations de ressources. Cela dépendait de tellement de facteurs et nous avions tellement peu de données que cela pouvait osciller entre 0 p. 100 et 30 p. 100 de réduction du cap.
Dans le rapport, nous avons dit 100 p. 100, mais s'il advient cependant que nous soyons en mesure de faire la preuve qu'en moyenne, sur l'ensemble des ressources, les provinces dépensent 15 p. 100, alors le 15 p. 100 devrait être en réduction du cap.
Mais nous n'étions pas en mesure de le trouver et nous n'avons pas trouvé de données permettant de le trouver. Voilà ce qui explique le pourcentage de 100 p. 100.
[Traduction]
Le sénateur Murray : L'un des éléments intéressants que M. Boothe nous a présentés, c'est son analyse et son rejet, selon ce que j'ai compris, de l'argument selon lequel la péréquation entraînerait des conséquences dissuasives sur l'exploration et le développement des ressources naturelles. Diverses provinces nous ont certes dit, à différentes reprises, que c'est ce qui se produit.
Le sénateur Mitchell : Je suis certain que vous connaissez le groupe de réflexion AIMS, l'Atlantic Institute for Market Studies. Il y a plusieurs semaines, l'institut nous a présenté une analyse sujette à controverse, qui est toujours en cours. Il avance que la péréquation est un incitatif pour endetter les provinces. Pourriez-vous commenter cette déclaration? Pensez-vous que c'est le cas?
[Français]
M. Lacroix : Ce n'est pas seulement de créer des dettes, mais aussi de donner des salaires plus élevés aux fonctionnaires et de dire que tous les malheurs arrivent par la péréquation. Je ne pense pas qu'il en soit ainsi. Je ne pense pas qu'on puisse isoler un programme qui ne représente que 25 p. 100 de tous les transferts fédéraux, et qui représente très peu dans l'ensemble des défenses fédérales faites en grande partie dans les provinces, qu'on le veuille ou non.
Je ne pense pas que l'on puisse imputer à ce programme le fait que, parmi les provinces qui en reçoivent, un certain nombre ont un taux d'endettement plus élevé. Certaines provinces pourraient vous dire qu'elles ont un taux d'endettement plus élevé parce qu'elles n'avaient pas encore la capacité fiscale de pouvoir rendre les services qu'elles devaient rendre et que, conséquemment, la péréquation les aident en ce sens. Je ne crois donc pas qu'il y ait de lien.
L'autre élément qui m'apparaît important est de dire que si dans le fond les provinces n'avaient pas la péréquation, elles seraient obligées de se serrer la ceinture, de serrer la vis sur les salaires de leurs fonctionnaires, de dépenser moins, et ce serait beaucoup plus efficace et beaucoup mieux comme cela.
S'il n'y avait pas de péréquation, le gouvernement fédéral serait obligé de faire les dépenses dans les provinces et serait obligé de payer des fonctionnaires fédéraux dans les provinces. J'ai toujours pensé qu'à l'époque où Postes Canada appartenait au gouvernement fédéral, les facteurs avaient tous le même salaire au Canada.
En d'autres mots, si les fonctionnaires fédéraux remplissaient la tâche que les provinces ne remplissent pas parce qu'elles n'ont pas les moyens sans la péréquation, je ne vois pas comment cette question salariale serait si différente.
Toutes sortes d'arguments sont mis de l'avant et présupposent que si les services que rendent les provinces à l'aide de la péréquation étaient rendus différemment, — ce qu'on a dans d'autres pays comme la France — ce serait plus efficace. Mais personne ne croit à cela.
Si les services n'étaient pas rendus, je me demande ce que ferait une province comme l'Île-du-Prince-Édouard. Si cette province voyait son budget de revenus coupé de 22 p. 100, comment ferait-elle pour rendre ses services de santé, ses services d'éducation et ses services routiers? Je ne comprends comment quelqu'un peut penser cela possible.
[Traduction]
M. Boothe : En tant que spécialiste en sciences sociales, ce qui me frappe c'est qu'il existe peu d'autres domaines d'enquête où il y a autant de théories et si peu de preuves. Lorsque j'étais sous-ministre des Finances en Saskatchewan, nous avons reçu des paiements de péréquation pendant toute la durée de mon mandat, et nous avons considérablement amorti notre dette. J'aimerais voir des preuves crédibles qui corroborent ces arguments. Dans le fond, les anecdotes supplantent les preuves et je trouve cela difficile à accepter.
Prenez l'exemple de Voisey's Bay, auquel il est constamment fait référence. Je pense que ma théorie explique mieux l'exemple de Voisey's Bay, c'est-à-dire que les provinces maximisent la création d'emplois et non les recettes. On est en présence d'une seule observation et il est difficile de tester ces théories en les opposant.
Le sénateur Mitchell : La Canada West Foundation a commencé à exprimer sa préoccupation voulant que l'explosion des richesses en Alberta finisse par créer des tensions au sein de la fédération. Ce n'est que pure spéculation, mais cet organisme ne s'est pas demandé si, le cas échéant, l'Alberta pouvait prendre des initiatives au profit du Canada tout en défendant ses intérêts, c'est-à-dire faire accepter les initiatives aux Albertains du point de vue politique et apporter une contribution au Canada, qui serait respectée par les autres Canadiens.
Est-ce que vous êtes d'accord? Je pense que vous avez fait valoir que les choses seraient différentes dans les cinq à dix prochaines années, ce qui peut constituer une réponse à cela, monsieur Boothe.
Existe-t-il des discussions, de la documentation, des réflexions ou des ouvrages qui donnent des idées quant à la nature des initiatives que l'Alberta pourrait prendre?
Je sais que l'ancien premier ministre de l'Alberta, Peter Lougheed, a mentionné, il y a quelques mois, l'idée que l'Alberta prête de l'argent aux autres provinces pour financer leur dette au lieu de les laisser emprunter ailleurs ou à l'étranger. Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet?
[Français]
M. Lacroix : Une chose est évidente cependant, on a vu cela partout dans le monde lors de boums pétroliers. La région la plus en danger c'est l'Alberta.
Le boum qui se produit là risque de créer effectivement un problème majeur pour le développement économique global de l'Alberta. Tout est attiré vers le secteur des ressources et tout autre entreprise ne pourra pas se développer compte tenu du salaire élevé et du manque de main-d'œuvre et de tout ce que vous voulez.
C'est très grave parce qu'à un moment donné, le prix du pétrole s'écroule et vous n'avez pas le support économique qui vous permette d'aller plus loin. On a connu cela dans d'autres pays et c'est pourquoi certains pays ont décidé — pour éviter ce mal, ce « Dodge disease » — d'enlever de la pression, de réduire la rapidité du développement et d'enlever des fonds du système pour empêcher un développement trop rapide.
Donc, le premier problème se pose en Alberta d'abord. Bien évidemment, il se pose au reste du Canada parce que l'Alberta n'est pas négligeable dans l'économie de l'ensemble du Canada. Comme l'a bien souligné Paul Boothe, il n'y a pas qu'un problème qui ressort en Alberta. Il y a des revenus énormes qui arrivent au niveau du gouvernement fédéral et des autres provinces. Et quand on regarde l'économie canadienne dans son ensemble, c'est quand même extraordinaire que, dans le même pays, vous ayez à la fois un énorme potentiel de développement de l'économie de la connaissance — que vous avez en Ontario, au Québec, que vous avez aussi dans l'Ouest, peut-être avec moins d'intensité. Vous avez donc l'économie de l'avenir en dehors des ressources qui est très présente — et une richesse de ressources naturelles, dont le pétrole et le gaz, que tout le monde nous envie. On ne commencera pas à se plaindre de cela. On ne commencera pas à dire : « C'est donc malheureux qu'on ait du pétrole et du gaz; si on n'en avait pas, on n'aurait pas de problème». Il faut bien s'assurer que ces développements de ressources, qui vont durer dans le temps parce qu'il y en a beaucoup, ne soient pas si néfastes à court et à moyen terme pour le reste de l'économie et ne nuisent pas trop. Et il faut simultanément développer notre économie du savoir et de la connaissance autant dans l'est que dans l'ouest du pays et s'assurer qu'il y ait un équilibre entre ces deux éléments. Je crois que c'est tout à fait possible et c'est une occasion inouïe dans un pays comme le Canada, d'avoir à la fois les cerveaux, l'innovation, l'économie du savoir et des ressources incroyables qui lui permettent de créer de la richesse. Je dis qu'il y a certainement possibilité d'y arriver.
[Traduction]
M. Boothe : Je suis d'accord sur ces points. Nous savons que le gouvernement fédéral et les autres provinces tireront un profit substantiel des bénéfices du développement énergétique en Alberta.
En tant qu'Albertain, j'aimerais certes voir l'Alberta jouer un rôle de chef de file, en collaboration avec d'autres provinces, et contribuer à la vie nationale de la même façon que d'autres grandes provinces. Peut-être que cela se réalisera.
J'aimerais également souligner qu'actuellement seules deux des dix provinces accusent un déficit. L'une est l'Île-du- Prince-Édouard, qui est aux prises avec un petit déficit, et l'autre est l'Ontario. Une partie du déficit de l'Ontario de l'année dernière est imputable à des dépenses décidées à la dernière minute.
Les marchés financiers canadiens ont la capacité de fournir les réserves pour financer ces dépenses. Le rôle de l'Alberta est d'appuyer les programmes nationaux, y compris le Régime de pensions du Canada et l'assurance-emploi, lesquels permettent aux citoyens de se déplacer au pays pour travailler et s'offrir la meilleure vie possible. Le rôle de l'Alberta est également de développer le capital humain du Canada, comme toutes les autres provinces essaient de le faire.
Le sénateur Mitchell : Outre toutes les autres choses que vous faites, vous jouez un rôle actif dans l'éducation postsecondaire. Il faut appliquer les principes de la péréquation à ce domaine de politique publique. Il y a toutefois des obstacles : les compétences du fédéral et son pouvoir de dépenser. La productivité est de plus en plus un enjeu. Nos sociétés investissent considérablement moins dans la formation et le perfectionnement de leurs employés que les sociétés américaines. Le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Comment y parviendrons-nous?
[Français]
M. Lacroix : Il y a deux aspects à l'éducation postsecondaire. L'un des aspects est les paiements de transferts pour l'éducation postsecondaire contenus présentement dans ce qu'on appelle les «Canada social transferts». Ils font partie du «Canada social transferts». C'est un « package », un « block grant » et ce n'est pas séparé. Ce n'est qu'une partie de cela. C'est une façon de donner les moyens aux provinces de pouvoir mieux soutenir l'éducation postsecondaire.
L'autre aspect, très fondamental, c'est tout le financement de la recherche universitaire. En moyenne, dans l'ensemble des provinces, le gouvernement fédéral doit financer entre 50 et 60 p. 100 de toute la recherche universitaire qui se fait dans les provinces, laissant à peu près 40 p. 100 aux provinces ou au secteur privé ou aux autres organismes.
C'est un rôle absolument crucial et fondamental. Le danger que je vois présentement, c'est qu'on accroisse les paiements de transferts postsecondaires, mais que de l'autre côté, on ferme les valves du soutien de la recherche universitaire de la part du gouvernement fédéral. Le un ou 2 milliards que l'on donnerait dans les transferts du postsecondaire, on arrêterait de faire croître les programmes de soutien à la recherche fédéraux pour les compenser. Je crains cela. Il faut bien s'assurer que les deux programmes aillent de pair. Le gouvernement fédéral a un rôle crucial à jouer dans le financement et l'orientation de la recherche universitaire au Canada. Il doit le jouer à plein et continuer à investir énormément. Par ailleurs, il doit supporter les budgets de base des institutions postsecondaires et cela, il doit le faire via les paiements de transferts aux provinces. Il ne peut pas commencer à faire un « trade off » entre les deux. Je crains qu'il tente de faire le « trade off »; augmenter les transferts et couper les interventions directes du financement de la recherche.
Le sénateur Ringuette : Vous avez tous les deux parlés de solidarité canadienne dans vos exposés. Je suis d'accord avec le fait que les paiements de péréquation sont un des éléments de solidarité canadienne.
La population canadienne désire un système de paiements de transfert du gouvernement fédéral aux provinces qui soit juste, équitable et équilibré. Pourtant, une gamme de transferts aux provinces ou à des multinationales n'est nullement abordée dans les différents scénarios que vous avez proposés. Je vous donne des exemples très clairs.
Premièrement, on aime pointer du doigt les provinces atlantiques comme étant les grands bénéficiaires des programmes d'assurance-emploi, pourtant, en Colombie-Britannique uniquement, il y en a autant que pour l'ensemble des provinces atlantiques. Deuxièmement, les transferts monétaires dans l'Accord atlantique Canada pour la Nouvelle- Écosse et Terre-Neuve ont été fortement médiatisés. S'il y avait sondage actuellement, la population canadienne dans un fort pourcentage pourrait sûrement dire être au courant des grands transferts dans le domaine pétrolifère pour Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse.
Par contre, jamais on n'a entendu parler des crédits d'impôt substantiels qu'on a donnés à l'Alberta et à ses entreprises pour le développement des sables bitumineux. Cela représente un paiement de transfert car, à mon humble avis, il s'agit de revenus non reçus par le gouvernement fédéral.
Vous avez mis beaucoup d'emphase sur la solidarité canadienne dans les scénarios que vous proposés dans votre document, mais lorsqu'on ne prend pas en compte l'ensemble des politiques du gouvernement fédéral qui favorisent une industrie particulière ou une province particulière et qui est non médiatisée financièrement, j'ai beaucoup de difficulté.
On peut aussi parler du Pacte de l'auto pour l'Ontario. La population canadienne, quant aux différentes politiques du gouvernement fédéral qui favorisent une province ou l'autre — je peux vous dire que dans l'ensemble cela favorise le centre —, a le sentiment d'être mal renseignée sur tout ce qui sous-tend ces politiques.
Vous n'en avez pas tenu compte dans votre document, et je comprends également que ce n'était pas le but, le principe qui sous-tend les paiements de péréquation. Mais à un moment donné, l'ensemble des électeurs devra se poser ces questions.
M. Lacroix : Vous avez tout à fait raison, mais dès l'introduction de notre rapport, nous avons dit que notre mandat portait sur la péréquation mais qu'il y avait un contexte de dépenses fédérales et provinciales, et qu'il y avait un contexte de transfert dans lequel le gouvernement doit situer ses propres perspectives.
Ce qui est important à retenir, c'est qu'on a quand même un programme qui a un objectif clair : tenter de se donner une norme, celle des 10 provinces et tenter de faire que par des paiements de transfert du fédéral aux provinces, chacune des provinces ait à peu près la capacité fiscale de la norme fixée. Au moins, il s'agit d'une situation qu'on peut observer et ce sont des transferts qui peuvent amener les provinces vers cet objectif d'un standard commun. En ce sens, on peut donc isoler cela. On peut dire qu'on sait que les provinces arrivent à peu près avec la péréquation à une capacité fiscale relativement semblable, si on exclut l'Alberta qui est vraiment en dehors. La capacité fiscale de chacune des provinces après péréquation est très semblable. Donc l'objectif du programme est clair et les moyens pris pour atteindre l'objectif semblent nous permettre de les atteindre.
Maintenant, lorsque j'ai dit que tous ceux qui croient que tous les malheurs ou tous les succès du Canada dépendent de la péréquation, on ne peut absolument pas dire cela puisque cela ne représente que 6 p. 100 des dépenses fédérales et que cela ne tient pas compte de l'ensemble des réglementations et des autres politiques réglementaires. Je référais exactement à ce que vous dites. On ne peut pas imputer à la péréquation ce qu'elle n'a pas et on ne peut pas lui demander ce qu'elle ne peut pas faire.
Je suis d'accord avec vous, mais cela n'enlève pas que l'on puisse arriver, en examinant un programme particulier inclus dans la Constitution qui est la péréquation, tenter que ce programme soit le plus en phase avec l'objectif qu'on a pour le programme. Le reste, évidemment, il faudrait faire une immense commission royale d'enquête sur l'ensemble du fédéralisme fiscal au Canada pour répondre à votre question, ce qui n'était pas notre cas et qui n'était pas le cas probablement du mandat du sénateur Murray non plus.
[Traduction]
M. Boothe : Vous avez tout à fait raison. Le gouvernement fédéral et le gouvernement de l'Alberta ont accordé un traitement fiscal spécial aux sables bitumineux dans le but de relancer l'industrie à une époque où le coût de production était supérieur au prix du pétrole. Mon premier tableau montre que c'était un très bon investissement. Le Canada et l'Alberta ont récupéré beaucoup d'argent des recettes de l'industrie. Toutefois, il est intéressant de se demander si ce traitement fiscal sera approprié, puisque l'industrie est maintenant bien établie.
C'est une erreur que de vouloir associer ce genre de question à la péréquation et même au fédéralisme fiscal. Nous savons que le gouvernement fédéral essaie d'encourager le développement des industries, d'un océan à l'autre, qu'il s'agisse de l'aérospatiale, de l'industrie automobile, de la pêche, de l'industrie pharmaceutique, de l'agriculture, de la sylviculture et de l'industrie pétrolière ou gazifière. Certains efforts du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux sont couronnés de succès, d'autres non. Il en va de même dans les affaires, certains investissements rapportent, d'autres non.
Dans le contexte actuel, la perfection est l'ennemi du bien. Si nous essayons de compliquer le problème, nous ne trouverons aucune solution. Par contre, si le problème reste gérable, nous pouvons faire avancer un peu le Canada. Nous pourrons nous compter chanceux si nous sommes en mesure de faire avancer un peu le programme, et du même coup le Canada. Merci.
Le président : Honorables sénateurs, le temps est malheureusement écoulé. Au nom du comité, je remercie nos deux invités présents aujourd'hui, M. Lacroix et M. Boothe. Nous vous enverrons une copie de notre rapport, que nous espérons rédiger au cours des prochaines semaines. Nous aurons peut-être l'occasion de nous revoir pour discuter de la question de l'équilibre fiscal vertical.
La séance est levée.