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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 12 décembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales, auquel a été renvoyé le projet de loi C-17, Loi modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois liées aux tribunaux, se réunit aujourd'hui à 9 h 3 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je déclare cette séance ouverte. Ce matin, le Comité sénatorial permanent des finances nationales entreprend l'étude du projet de loi C-17, Loi modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois liées aux tribunaux. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Earl Cherniak, commissaire, et Mme Jeanne Ruest, directrice exécutive de la Commission d'examen de la rémunération des juges. J'ai également le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Wayne Osborne, directeur des finances et de l'administration au Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale.

Earl A. Cherniak, commissaire, Commission d'examen de la rémunération des juges : Je suis avocat à Toronto et suis l'un des trois commissaires de la Commission d'examen de la rémunération des juges, qu'on appelle souvent la commission quadriennale. Les deux autres commissaires, Roderick McLennan, un éminent avocat d'Edmonton, et Greta Chambers, une distinguée Canadienne de Montréal, ne pouvaient tout simplement pas être ici aujourd'hui à si court préavis, donc vous êtes pris avec moi.

La commission quadriennale d'examen des avantages et des salaires des juges, soit la Commission d'examen de la rémunération des juges, la CERJ, a été établie par une loi du Parlement modifiant la Loi sur les juges en 1999. Cette commission a été établie après plusieurs échecs, dont celui des commissions triennales, dont le gouvernement ne tenait compte d'aucun rapport. Je vais vous citer brièvement l'un de ces rapports, celui de 1996 de ce qu'on a appelé la Commission Scott.

Malgré les recommandations minutieuses qui ont été formulées par les commissions successives, le Parlement a fait preuve de léthargie et a négligé de fixer les traitements et les avantages sociaux des juges pendant de nombreuses années.

Qui plus est, les divers rapports qui ont été publiés non pas réussis à susciter de réaction significative de la part du gouvernement. Toute la question du traitement et des avantages sociaux des juges a, malgré les meilleures intentions, été politisée.

Ensuite, en 1997, la Cour suprême du Canada a prononcé un jugement de la plus haute importance dans l'affaire intitulée Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.) ou en bref, Le renvoi sur les juges de l'Î.-P.-É. La cour a alors statué que la Constitution exigeait l'établissement d'un processus indépendant pour déterminer la rémunération des juges hors de l'arène politique. C'était une exigence constitutionnelle parce qu'une rémunération juste et adéquate des juges est une caractéristique essentielle de l'indépendance de la magistrature, qui l'une des assises de la société démocratique dans laquelle nous vivons. Le Parlement a donc établi la commission, qui est complètement indépendante du gouvernement.

La commissaire, c'est-à-dire Mme Chambers, a été nommée par le gouvernement et l'un des commissaires, moi- même, a été nommé par la magistrature. Mme Chambers et moi-même avons tous deux le pouvoir législatif de choisir la présidence. Nous avons choisi M. McLennan, comme je l'ai mentionné, un éminent avocat de l'Ouest.

Comme son nom l'indique, la commission quadriennale fait rapport tous les quatre ans, une exigence prescrite par la loi. La première commission a publié son rapport le 31 mai 2000. Notre commission devait donc en publier un autre le 31 mai 2004, comme elle l'a fait.

La commission et les commissaires ne sont pas des arbitres du travail. Le processus de la commission ne constitue pas du tout un processus d'arbitrage. Les commissaires n'ont absolument aucune obligation envers ceux qui les ont nommés. Ils considèrent avoir le devoir d'agir dans l'intérêt du public et d'appliquer les critères établis dans la Loi sur les juges concernant la détermination du traitement des juges par la commission. Ces critères sont les suivants : le besoin de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature; le rôle de la sécurité financière des juges dans la préservation de l'indépendance judiciaire et l'état de l'économie au Canada, y compris le coût de la vie ainsi que la situation économique et financière globale du gouvernement.

Si vous avez lu le rapport de la commission, quelque 100 pages de rapport très réfléchies, c'est exactement ce qu'il fait. La commission a beaucoup fait connaître son existence au Canada. Elle a reçu des commentaires du public, du gouvernement et de la magistrature; a tenu des audiences; a effectué ses propres recherches, a retenu l'aide de ses propres experts et a étudié attentivement tous les documents et renseignements qu'elle avait en main.

Comme je l'ai dit, elle a fait rapport le 31 mai 2004, conformément aux dispositions de la loi. Selon la loi, le gouvernement doit déposer un rapport au parlement dans les 10 jours, ce qu'il a fait. Selon la loi, le gouvernement a six mois à partir du 31 mai de l'année où la Commission dépose un rapport pour étudier le rapport, y répondre et l'accepter ou justifier en détail pourquoi il ne l'accepte pas, en tout ou en partie.

Le gouvernement de l'époque a fait rapport dans les six mois prévus et a justifié en détail pourquoi il acceptait tous les aspects du rapport de la Commission d'examen de la rémunération des juges, à l'exception d'un petit aspect qui ne nous inquiète pas et qui concerne les coûts judiciaires. Le gouvernement a accepté toutes les recommandations importantes de la CERJ. Après le dépôt de son rapport, le gouvernement doit présenter au Parlement un texte de loi découlant du rapport, et un projet de loi a été préparé. Malheureusement, ce projet de loi est mort au Feuilleton lors du déclenchement de l'élection en novembre 2005.

Je ne suis pas devant ce comité pour défendre ce rapport, parce qu'il parle de lui-même. Il décrit les divers arguments, les commentaires soumis et les justifications de toutes nos conclusions. Bien entendu, d'autres personnes pourraient tirer des conclusions différentes, mais les conclusions du rapport sont celles que les trois commissaires jugeaient appropriées et dans l'intérêt du public. Elles sont l'aboutissement unanime de recherches approfondies, d'une réflexion attentive et d'une rédaction minutieuse.

En mai 2006, 18 mois après la première réponse du gouvernement, le nouveau gouvernement a soumis une autre réponse, bien que la loi ne prescrive rien de tel. Dans cette réponse, le gouvernement réclame un salaire différent et inférieur en raison de ses nouvelles priorités financières.

Deux ans et demi se sont écoulés depuis que la commission a déposé son rapport sur les recommandations qui devaient être mises en œuvre à partir d'avril 2004. Les salaires des juges n'ont pas changé depuis les résultats de la commission de 2001. La CERJ craint les effets de ce précédent dans le processus. La prochaine commission devra déposer son rapport le 31 mai 2008, et nous sommes presque en 2007. Les travaux de la nouvelle commission doivent commencer en 2007, donc le gros du travail qui paraîtra dans le rapport se fera dans l'année précédant le 31 mai 2008.

Il importe que vous adoptiez le projet de loi C-17 rapidement pour que la nouvelle commission puisse entreprendre son travail en laissant derrière elle les conclusions de la commission de 2004 et que les juges reçoivent le traitement et les avantages sociaux décrits en détail dans le rapport de 2004 ainsi que dans la modification du gouvernement. Je profite aussi de l'occasion de m'exprimer devant le comité et le Parlement pour souligner l'importance que le Parlement mette les choses au point et réaffirme l'intégrité du travail de la commission pour retirer la rémunération des juges de l'arène politique. Ce retrait de l'arène politique est une exigence constitutionnelle nécessaire pour toutes les raisons énoncées par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur les juges de l'Î.-P.-É.

Autrement, il existe un danger bien réel que ce processus longuement réfléchi, qui a acquis force de loi au Parlement en 1999 après les échecs des rapports précédents, connaisse le même sort que les commissions triennales disparues, ne génère que cynisme parmi les juges et le public et compromette le principe constitutionnel et démocratique crédible d'une magistrature indépendante.

Je suis heureux d'être ici au nom de la CERJ pour aider le comité dans ses délibérations. Je répondrai à ses questions avec plaisir.

Le président : Merci, monsieur Cherniak. Nous avons cité deux commissions différentes. Par souci de précision, M. Osborne représente le Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale. Représentez-vous bien cette commission?

Wayne Osborne, directeur, Finances et administration, Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale : Non. Le Bureau du Commissaire administre la Loi sur les juges. Quel que soit le résultat du projet de loi, notre bureau aura la responsabilité de mettre les changements en œuvre.

Le président : M. Cherniak vient de nous parler du mandat et des recherches de la Commission d'examen de la rémunération des juges. Le Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale finance-t-il la CERJ? Avez-vous de la difficulté à obtenir du financement pour la CERJ?

M. Cherniak : Le financement que reçoit chacun des commissaires est assez minime et vient du Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale. C'était notre branche administrative, mais nous avons désigné notre propre directrice exécutive responsable de la CERJ, Mme Jeanne Ruest. La CERJ a travaillé de façon totalement indépendante, mais a reçu du soutien administratif du BCMF.

Le président : Il est important que la CERJ soit indépendante pour produire un rapport auquel nous puissions nous fier.

M. Cherniak : C'est l'idée. Elle est née de l'histoire qui a causé tant de critiques, du Renvoi sur les juges de l'Î.-P.-É et de la loi qui a suivi.

Le sénateur Ringuette : Je m'intéresse aux principaux éléments de recherche de la commission dans son processus d'établissement de la rémunération des juges. Suivez-vous des lignes directrices et des paramètres?

M. Cherniak : La loi exige que la commission tienne compte de l'état de l'économie au Canada, du rôle de la sécurité financière et du besoin de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature. Il est difficile de définir les bons paramètres pour la magistrature, et le gouvernement a fait de son mieux pour informer la commission le mieux possible. Nous avons embauché un chercheur professionnel de Morneau Sobeco, une société bien connue en matière de rémunération.

Depuis longtemps, on considère les salaires et les avantages sociaux des sous-ministres des divers niveaux comme un bon élément de comparaison. La magistrature, en particulier, était d'avis que les salaires actuels de DM-3 étaient les meilleurs éléments de comparaison. Le gouvernement a un point de vue quelque peu différent, bien que les opinions sur la justesse de cet élément de comparaison semblent varier d'une année à l'autre.

Nous avons également évalué de notre mieux les salaires des avocats d'un bout à l'autre du pays. Notre rapport fait état de toutes les recherches que nous avons faites et des efforts que nous avons déployés pour recueillir de l'information exacte sur les salaires des avocats. Cependant, la majorité de nos renseignements viennent de l'Agence du revenu du Canada. Comme nous l'avons mentionné dans notre rapport, ces renseignements posent de grands problèmes.

La magistrature a déposé un rapport qui présente une analyse particulière, puis le gouvernement a déposé le sien, qui présente une analyse très différente. Comme nous le savons tous, on peut faire dire beaucoup de choses aux statistiques selon ce qu'on veut mettre en évidence.

Nous avons également fait ce que d'autres commissions n'avaient pas fait. Nous avons étudié les salaires et les avantages sociaux de divers autres hauts fonctionnaires, particulièrement de ceux des différents conseils et commissions gouvernementaux qui nous semblaient constituer un bon élément de comparaison. Comme vous pourrez le constater dans notre rapport, une partie importante porte sur l'analyse de ces divers éléments de comparaison dans l'établissement de ce qui représentait, à notre avis, le bon traitement à recommander au gouvernement.

La tâche n'a pas été facile. Nous avons notamment fait la recommandation, qui n'a pas été suivie, que le gouvernement et la magistrature conjuguent leurs efforts aux nôtres pour trouver un moyen d'améliorer les statistiques. Malheureusement, aucune mesure en ce sens n'a été prise à ce jour.

Le sénateur Ringuette : Votre commission a examiné vraiment beaucoup de renseignements pour trouver l'équilibre entre la responsabilité et la rémunération.

M. Cherniak : Oui. C'était l'essentiel de notre tâche, d'essayer d'établir quels étaient les meilleurs éléments de comparaison, parce qu'ils représentent beaucoup dans notre analyse finale.

Le sénateur Ringuette : Votre recommandation 15 se lit comme suit :

La Commission recommande d'accorder aux juges de la Cour suprême du Canada le privilège exceptionnel d'admissibilité à la retraite après 10 ans de service dans cette fonction, quel que soit leur âge.

M. Cherniak : Nous le recommandons parce que le travail à la Cour suprême du Canada est extrêmement exigeant et laborieux. Presque tous les juges qui arrivent à la Cour suprême du Canada ont été juges d'autres tribunaux. Nous trouvions approprié qu'après 10 ans, ils aient le droit de prendre leur retraite, même s'ils n'ont pas atteint la combinaison d'âge et d'années qui les rendraient admissibles à la retraite dans d'autres circonstances, simplement en raison de la nature exigeante de dix années de service à la Cour suprême du Canada.

Ils ne sont pas obligés de prendre leur retraite au bout de 10 ans. Cependant, nous trouvions qu'étant donné les exigences particulières de la fonction de juge de la Cour suprême du Canada, il convenait de leur offrir cette option. Nous ne nous attendions pas à ce qu'ils s'en prévalent très souvent, mais nous estimions que cette option était dans l'intérêt du public.

Le sénateur Ringuette : Quel serait l'âge moyen de la retraite?

M. Cherniak : Je ne me rappelle pas de tous les détails, mais les juges doivent avoir acquis un certain nombre d'années de service et atteint un certain âge, qui équivalent, je crois, à 80 ans. Ce ne sont pas tous les juges de la Cour suprême du Canada qui, au bout de 10 ans, seraient dans cette situation, mais bon nombre d'entre le seraient. Nous nous sommes dit qu'après 10 ans à exercer cette fonction seulement, ils devraient en avoir la possibilité.

Le sénateur Cowan : Il y a deux questions que j'aimerais analyser avec vous. La première est la différence d'opinion entre la commission et le gouvernement sur l'alinéa 26(1.1)a) de la Loi sur les juges. Dans votre rapport, à la page 9, vous interprétez ce critère, qui dicte que vous êtes obligé de tenir compte de ce qui suit :

l'état de l'économie du Canada, y compris le coût de la vie ainsi que la situation économique et financière globale du gouvernement.

Selon votre interprétation, cet alinéa vous oblige à vous demander si l'état de l'économie canadienne est tel que vous devez ou que vous devriez éviter de faire des recommandations que vous auriez considérées appropriées s'il en était autrement. La question est plutôt de déterminer si les conditions économiques doivent freiner les dépenses de fonds publics.

Dans sa réponse du 29 mai, à la page 6, le gouvernement qualifie cette interprétation de trop étroite. Voici ce qu'il dit :

...la situation économique et financière du gouvernement est un élément contextuel clé pour déterminer si la rémunération des juges est « satisfaisante ». La Commission est tenue de mener son analyse en fonction de l'état global des finances du gouvernement et des autres priorités économiques et sociales du gouvernement. Autrement dit, tous les facteurs doivent être soupesés de manière intégrée plutôt que d'isoler le critère économique et de ne l'appliquer que le cadre d'une considération négative après avoir déterminé autrement un montant proposé.

Si cette interprétation est juste, je ne comprends pas comment des personnes extérieures au gouvernement pourraient faire cette évaluation. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

M. Cherniak : Je m'en tiens à notre rapport. Il se justifie de lui-même. Je vais vous lire un extrait du paragraphe 26(1.1) de la Loi :

La Commission fait son examen en tenant compte des facteurs suivants :

a) l'état de l'économie au Canada, y compris le coût de la vie ainsi que la situation économique et financière globale du gouvernement.

C'est tout ce que la loi dit, et nous l'avons respectée. Selon notre interprétation, si la situation financière du gouvernement ne nous en empêche pas, nous devons simplement proposer ce que nous jugeons approprié, ni plus, ni moins.

Il nous serait impossible de tenir compte des priorités financières ne serait-ce que du gouvernement actuel. Personne ne nous avait informés des priorités financières du gouvernement actuel. Bien sûr, il nous serait impossible de tenir compte des priorités financières d'un gouvernement dans deux ou trois ans. C'est simplement impossible.

Selon notre interprétation de la loi, nous estimons devoir veiller à ce que le Canada puisse se permettre d'offrir le niveau de rémunération que nous approuvons. Dans ce contexte — et nous avons analysé toute l'information financière sur le gouvernement et l'avons mentionné dans le rapport que nous avons entre les mains —, nous avons conclu que le gouvernement pouvait se permettre de suivre les recommandations que nous lui présentions. Cela dit, nous devions déterminer ensuite ce qui était juste en fonction des autres critères.

Le sénateur Cowan : Cette façon de faire me semble sensée. Je ne vois toutefois pas comment des personnes dans votre position peuvent s'acquitter de leur mandat si l'interprétation que le gouvernement fait de cet article est juste.

M. Cherniak : Je ne peux pas vous contredire monsieur le sénateur.

Le sénateur Cowan : Le sénateur Ringuette a déjà mentionné mon second point. Il concerne la difficulté que vous avez eue pour obtenir des données adéquates sur les revenus des avocats du secteur privé. Je peux comprendre cette difficulté.

Vous recommandez que les juges et le gouvernement se réunissent, peut-être pas tant pour déterminer quelles devraient être les données, mais surtout pour établir les éléments de comparaison. Avez-vous des solutions à nous proposer pour que l'on obtienne des données plus satisfaisantes sur les revenus?

M. Cherniak : Je présume que si notre proposition avait été acceptée, nous aurions tenté de combiner les données de l'Agence du revenu du Canada à celles que Statistique Canada pour faire une meilleure analyse que celle que présentent l'un ou l'autre de ces organismes ou nos propres recherches. Ce ne serait pas facile. Le ministère du Revenu ne relève pas de statistiques à cette fin. Il en relève pour ses propres besoins et change sa méthode de temps en temps. Nous pensons qu'il doit y avoir un meilleur moyen que celui que nous avons utilisé jusqu'à maintenant pour obtenir les renseignements dont nous avons besoin et nous étions disposés et même ravis de travailler avec les autres pour voir ce que nous pouvions faire.

Le sénateur Cowan : Il y a des sondages annuels dans Canadian Lawyer, mais ils ne sont pas très élaborés.

M. Cherniak : Non.

Le sénateur Cowan : Ni exacts.

M. Cherniak : L'un des problèmes des avocats, c'est que comme n'importe qui, ils utilisent diverses techniques de réduction de coûts dans les petites et grandes entreprises, conformément aux dispositions de la loi, pour payer le moins d'impôt possible, donc il faut tenir compte de toutes ces stratégies pour évaluer le véritable revenu des avocats. C'est une tâche difficile.

Le sénateur Murray : J'aimerais soumettre trois arguments à M. Cherniak. Il pourra ensuite les commenter à sa guise. Je vais les présenter tous d'un coup.

Premièrement, monsieur Cherniak, pendant le débat sur ce projet de loi au Sénat l'autre jour, votre vieil ami (du moins prétend-il être votre vieil ami et vous ne trouverez jamais meilleure occasion de le renier que maintenant), le sénateur Grafstein a présenté un argument avec lequel j'étais en désaccord à l'époque, mais qui, après réflexion, ne me semble pas fou. Il s'oppose en principe au fait que la magistrature soit représentée à la commission. Il affirme que si la magistrature veut se faire entendre, elle devrait le faire comme tout le monde et que c'est un peu comme si les juges étaient juges de leur propre cause, comme on dit, s'ils ont un représentant officiel. J'ai entendu ce matin que le représentant de la magistrature à la commission avait un droit de veto sur le choix du président. J'aimerais connaître votre point de vue là-dessus. Qu'aurions-nous à perdre si nous changions la composition de la commission pour en exclure le représentant de la magistrature? Qu'aurions-nous à perdre si nous mettions les membres de la magistrature sur un pied d'égalité avec tout le monde? Les juges pourraient s'exprimer, mais ils ne seraient pas représentés directement à la commission.

Deuxièmement, vous avez souligné qu'il n'y avait aucune disposition législative prescrivant au gouvernement actuel de déposer un second rapport sur les recommandations de la commission. Que dois-je en conclure, en tant que citoyen ordinaire? Insinuez-vous que ce que fait le gouvernement actuel pourrait être illégal?

Troisièmement, je tiens à vous dire que j'ai mes réserves sur cette disposition visant à permettre aux juges de la Cour suprême du Canada de prendre leur retraite après dix ans, mais je ne proposerai pas de modification ni n'en ferai tout un plat. Toutefois, pour me rassurer un peu, pouvez-vous me dire ce que la loi empêche aux anciens juges de la Cour suprême du Canada de faire après leur retraite? Peuvent-ils retourner à la pratique privée? Peuvent-ils comparaître devant le tribunal où ils ont déjà été juges ou devant d'autres tribunaux? Je suis assez vieux pour me rappeler de la première fois, je pense, où un juge de la Cour suprême du Canada qui avait pris sa retraite pendant qu'il était encore en pleine santé est retourné à une vie très active dans le secteur privé. Je me rappelle qu'en tant que citoyen ordinaire, jeune et peut-être naïf, j'en avais été un peu scandalisé. Corrigez-moi encore si je me trompe, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée que de permettre aux anciens juges de la Cour suprême du Canada de participer à des activités privées, soit dans leur profession, soit pour une entreprise. Nous nous occupons assez bien d'eux, et je pense que s'ils acceptent ces fonctions, ils devraient les assumer tant et aussi longtemps que leur santé le leur permet.

M. Cherniak : Je vais réagir à vos remarques dans l'ordre où vous les avez présentées, monsieur le sénateur. Pour commencer, je ne suis pas juge, je ne l'ai jamais été, je ne m'attends pas à l'être et je n'en ai pas l'ambition. Je rejette votre affirmation que je représente la magistrature à la commission. J'ai été nommé par la magistrature. Les juges doivent nommer quelqu'un; c'est ce que dicte la loi. La commission est composée d'une personne nommée par le gouvernement, d'une personne nommée par la magistrature, puis pour assurer l'indépendance de la commission, ces deux personnes choisissent un président. Je peux vous garantir que les trois membres de la commission considèrent qu'ils ne représentent absolument pas le groupe qui les a nommés. Voici comment se fait l'arbitrage du travail : un arbitre du travail est tenu de représenter le côté qui l'a désigné, de faire valoir ses idées et presque invariablement, de voter pour lui. Cette méthode n'est pas celle de la commission. Nous nous considérons comme des commissaires indépendants qui travaillent conformément aux dispositions législatives de la Loi sur les juges et qui appliquent les critères contenus dans la Loi sur les juges, Aucun d'entre nous ne se considère comme le représentant d'une partie.

Pour ce qui est de la nomination du président, je suppose que la loi aurait pu prescrire d'autres règles, mais elles ne sont pas déraisonnables non plus, à mon avis. Il est assez raisonnable que les deux personnes nommées choisissent le président, plutôt que ce soit le gouvernement, soit le payeur ultime, qui le fasse. Le poste de président est très important; s'il y a mésentente, c'est lui qui prend la décision finale. Pour notre part, nos recommandations ont été unanimes. J'espère que cela répond à votre première question.

Il se peut que le sénateur Grafstein ne soit pas d'accord avec cela, j'ai déjà eu ce débat avec lui. Je connaissais le sénateur Grafstein bien avant qu'il ne soit nommé sénateur, et nous ne sommes pas toujours d'accord sur tout. J'étais toutefois d'accord avec son choix d'épouse et je l'ai manifesté à son mariage, comme il l'a dit à son comité.

Pour ce qui est de votre seconde question, il n'y a tout simplement pas de règle législative qui prescrit le dépôt d'un second rapport. Lorsque j'ai comparu devant le comité de la Chambre des communes, j'ai dit que c'était comme un deuxième essai. Il n'y a rien de tel de prévu dans la Loi sur les juges, vous pouvez le constater de vous-même. Je ne peux pas vous en dire plus. Cependant, comme cela a ajouté des démarches imprévues et qu'elles se sont produites après un changement de gouvernement, elles semblent causer la politisation du processus, c'est-à-dire ce que la Constitution vise à éviter, selon la Cour suprême du Canada. C'est ce qui a causé l'échec des commissions précédentes. C'est une circonstance malheureuse. J'espère qu'elle ne se reproduira jamais. Le danger, si cela se répète, si l'on peut jouer avec le processus législatif de cette façon et que le gouvernement peut simplement le changer après les six mois prévus, il deviendra difficile de trouver des personnes de la qualité, et cela dit en toute modestie, ce celles qui siègent à la commission actuellement et qui ont siégé aux commissions précédentes. Pourquoi s'en soucier si le gouvernement peut simplement ne pas tenir compte de ces recommandations? C'est la raison pour laquelle j'espère qu'on réaffirmera l'importance du rôle de la commission pour dépolitiser le processus, comme voulu et comme la Constitution l'exige.

Concernant la retraite des juges de la Cour suprême du Canada, je me rappelle très bien de la situation que vous avez mentionnée, monsieur le sénateur. Quand j'étais greffier pour le juge en chef McRuer, en 1960, un ancien juge de la Cour suprême a comparu dans une affaire d'envergure devant le juge en chef McRuer, qui le connaissait très bien. Ils avaient travaillé ensemble à la Cour d'appel et se connaissaient très bien professionnellement. Le juge en chef McRuer a été très glacial à l'endroit de cet ancien juge de la Cour suprême du Canada lorsqu'il a comparu devant son tribunal sur cette affaire. Ce n'est plus jamais arrivé depuis. Aucun juge de n'importe quel tribunal, selon mon expérience, et certainement aucun juge de la Cour suprême du Canada ne comparaît devant un tribunal où il a été juge. Aucun juge d'un tribunal supérieur ne comparaît devant un tribunal supérieur. Beaucoup de membres de la Cour suprême du Canada prennent leur retraite à 75 ans, et certains le font un peu plus tôt. Par exemple, l'ancien juge Cory a mené une grande enquête au Royaume-Uni. L'ancien juge Major participe à l'enquête sur Air India. L'ancien juge Iacobucci est devenu président par intérim de l'Université de Toronto et exerce le droit dans un cabinet de Toronto. Il ne comparaît pas devant les tribunaux, mais s'acquitte de divers services publics et privés. Je ne crois pas qu'il y ait un risque que l'un de ces juges comparaisse devant les tribunaux.

Le sénateur Murray : Qu'est-ce qui les en empêche?

M. Cherniak : Si je me rappelle bien, en Ontario, où je suis conseillé du Barreau du Haut-Canada, il y a des obstacles à ce que les anciens juges comparaissent devant les tribunaux. Il est clair qu'ils ont en l'empêchement social. Cependant, je ne sais pas si cet obstacle tiendrait la route dans une poursuite fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés. L'ancien juge qui contesterait cette règle serait bien imprudent et téméraire, mais cela pourrait arriver. L'énorme pression qui pèse sur les juges de la Cour suprême du Canada, compte tenu de la nature des affaires dont ils sont saisis, nous a porté à recommander que les juges prennent leur retraite après dix ans.

Le sénateur Murray : Qu'arriverait-il si un juge choisissait d'entrer en politique en se faisant élire député ou nommer au Sénat? Je ne sais pas si ce devrait-être interdit par la loi, mais peut-être devrait-il y avoir des restrictions juridiques à ce que les anciens juges peuvent faire. Peut-être vaut-il mieux de laisser cette question dans l'arène de l'opinion publique ou de ce que vous appelez les « circonstances sociales ».

Le président : Ce n'est peut-être pas une question à laquelle nous devons répondre non plus.

Le sénateur Di Nino : J'ai deux questions pratiques à vous poser, monsieur. La réponse du gouvernement au rapport de la commission laisse effectivement entendre qu'il faudrait tenir compte d'autres facteurs économiques légitimes pour le Trésor, comme les priorités sociales, dans la prise de décisions. Qu'en pensez-vous?

M. Cherniak : Ce n'est pas à moi de commenter la politique du gouvernement, parce que je ne fais pas partie du gouvernement. Notre tâche consiste à appliquer les critères législatifs, et c'est ce que nous avons fait. Les critères législatifs ne nous permettent pas de prendre en considération les diverses priorités du gouvernement. Le concept de l'indépendance judiciaire est tellement important dans la société démocratique dans laquelle nous vivons que si nous donnions ce ton à la conversation, nous la renverrions directement dans l'arène politique, ce qui serait inacceptable selon la Constitution pour les raisons décrites en détail dans le Renvoi sur les juges de l'Î.-P.-É.

La loi que j'ai citée a été adoptée après le Renvoi sur les juges de l'Î.-P.-É en fonction des impératifs contenus dans cette affaire. Quant à nous, nous devions déterminer si le Canada pouvait se permettre de payer le niveau de rémunération que nous allions recommander et ce, non pas en fonction des priorités du gouvernement.

Le sénateur Di Nino : Cela dit, j'ai de la sympathie pour votre position. Cependant, vous ne vous formalisez pas du fait que le gouvernement doive tenir compte de ces autres facteurs pour prendre une décision finale à ce sujet.

M. Cherniak : Je me formalise de l'interprétation qu'il peut le faire après coup. Par exemple, si une crise économique survenait pendant les six mois suivant le dépôt du rapport de la CERJ auquel le gouvernement doit répondre et qu'elle rendait les recommandations contenues dans notre rapport impossibles à réaliser ou illogiques d'un point de vue financier, il serait tout à fait approprié que le gouvernement tienne compte des nouvelles circonstances survenues pendant ces six mois. Cependant, ce n'est pas le cas ici. Le gouvernement d'alors a étudié notre rapport en détail, de sorte qu'il a fourni une première réponse détaillée et exhaustive sur les raisons pour lesquelles le gouvernement acceptait nos recommandations.

Dans ce contexte, il n'y a pas vraiment de raison de modifier sa réponse. Le processus de la commission revient tous les quatre ans, ce qui fait qu'aucune recommandation de la CERJ ne peut durer plus de quatre ans avant qu'on ait la chance de la modifier. Les circonstances du moment dictent en grande partie les résultats.

Le sénateur Di Nino : Sur un sujet assez proche, j'ai entendu hors de l'audience que la valeur symbolique d'une augmentation de cette nature exercerait des pressions sur les autres besoins du public canadien. Une augmentation pourrait avoir des incidences sur l'économie du pays; je pense particulièrement à la pression inflationniste qui s'exercerait si les syndicats ou d'autres organismes s'en servaient pour envisager des hausses de salaire pour leurs membres à l'avenir.

M. Cherniak : Pour commencer, je n'ai aucune preuve que c'est ce qui est arrivé après le rapport de 2000 et ensuite, la question du salaire des juges est totalement différente, en raison de l'exigence constitutionnelle et de la nécessité que la magistrature soit indépendante. Une grande partie de l'indépendance tient à l'indépendance financière ainsi qu'à l'inamovibilité. Lorsqu'on établit le salaire des juges, il y a une dimension constitutionnelle qui ne s'applique au salaire de presque personne d'autre.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Cherniak, je pense que le principe en jeu ici, et vous l'avez dit clairement aussi, c'est l'indépendance des juges. Si un gouvernement renverse la décision de la commission, compte tenu de l'importance de l'indépendance judiciaire et du danger auquel le gouvernement nous expose en renversant la décision de cette commission indépendante, les arguments sur lesquels il se fonde pour en décider doivent être exceptionnellement forts, logiques et indéniables.

Je ne considère pas particulièrement fort l'argument qu'il a avancé sur ces deux critères, soit la situation financière du gouvernement et la comparaison avec les salaires des avocats de divers endroits. En fait, faute d'argument assez fort — je suppose que vous ne voudrez probablement pas commenter cela — je conclurais que si le gouvernement a réduit la recommandation salariale, c'est parce qu'il est mécontent de cette loi, qu'il considère avoir été prise par des juges, qu'il veut punir les juges et envoyer un message en ce sens.

Cela dit, en réponse au sénateur Cowan, vous vous êtes prononcé sur le premier critère, soit sur la situation financière. Je conviendrais avec vous que rien n'a changé entre le moment où vous avez déposé votre rapport et celui où le gouvernement a fait son analyse, sauf que la position financière s'est renforcée plutôt qu'affaiblie. En fait, l'estimation du surplus du gouvernement est passée de trois milliards de dollars à 13,5 milliards de dollars, qu'il a consacrés à la dette. Il avait certainement les moyens de respecter la recommandation de 10,8 p. 100.

Concernant le second critère, le gouvernement prétend que votre commission a eu tort de mettre autant l'accent sur les salaires des avocats des huit régions urbaines (soit sur les salaires d'avocats de 44 à 56 ans étant donné que la plupart des juges viendraient de cette population) et de minimiser le fait que 27 p. 100 des juges viennent d'ailleurs que de la pratique privée, où le salaire est plus bas.

Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de cette évaluation de ces critères?

M. Cherniak : Premièrement, j'incite quiconque s'intéresse à la question à regarder notre rapport. Nous avons effectué une étude détaillée sur les revenus des avocats de tout le pays et les avons analysés de diverses façons. Nous devions formuler une seule recommandation pour tout le pays. Il n'était pas possible, selon notre mandat, de proposer des salaires d'avocats différents pour les différentes parties du pays. Cette idée peut être bonne ou mauvaise, mais ce n'est pas ainsi que notre système fonctionne; nous n'avons qu'un salaire pour les juges, qu'ils soient à l'Île-du-Prince- Édouard, à Saskatoon, à Toronto, à Montréal ou à Vancouver. Tous les juges des tribunaux supérieurs touchent le même salaire.

Nous avons dû formuler la meilleure recommandation possible, la plus appropriée, d'où que viennent les juges. On peut raisonnablement contester ce point de vue, mais nous avons fait de notre mieux. Permettez-moi de vous citer une partie de la seconde réponse du gouvernement :

Il est aussi clair que la Commission a effectué une évaluation et une analyse détaillées des données et des informations disponibles en ce qui a trait aux comparateurs pertinents pour établir la suffisance globale de la rémunération des juges. Il s'agit d'un défi constant qu'ont affronté toutes les commissions fédérales d'examen de la rémunération des juges précédentes. Comme l'on constaté les commissions et gouvernements successifs, il s'agit tout autant d'un art que d'une science. Il n'existe aucune formule mathématique à appliquer et il faut, au bout du compte, une bonne dose de jugement éclairé.

Je suis tout à fait d'accord. C'est exactement ce que nous avons fait, c'est un art, en quelque sorte. Nous avons utilisé les meilleurs renseignements scientifiques à notre disposition, si insatisfaisants soient-il, et avons exercé notre jugement collectif pour établir nos chiffres. C'était le travail qui nous était confié par la loi.

Le sénateur Mitchell : Je comprends que les lois exigent que le gouvernement présente le rapport de votre commission et y réponde dans les six mois suivant sa réception.

M. Cherniak : Il doit être déposé dans les 10 jours, et le gouvernement doit y répondre dans les six mois.

Le sénateur Mitchell : Merci. Votre rapport portait la date du 31 mai 2004, et la seconde réponse du gouvernement, celle du 29 mai 2006.

M. Cherniak : La première réponse a été présentée dans les six mois.

Le sénateur Mitchell : C'était la réponse du gouvernement libéral. Cependant, la réponse de ce gouvernement, bien que la loi ne prévoie pas de disposition concernant une seconde réponse, a dépassé le délai de six mois.

M. Cherniak : Il n'était pas au pouvoir à ce moment-là. Ce gouvernement n'était pas là dans les six mois qui ont suivi le 31 mai 2004.

Le sénateur Mitchell : Par conséquent, il n'a aucune raison d'y répondre.

M. Cherniak : J'espère que le comité comprend qu'à mon avis, pour ce qu'il vaut, le projet de loi actuel devrait suivre son cours. Il est trop tard pour que nous puissions corriger les circonstances. Le processus dont j'ai parlé devra être corrigé en vue de l'avenir. Nous sommes presque en 2007. Occupons-nous en.

Le président : J'ai une question à vous poser sur ce que vous avez dit, monsieur Cherniak, en réponse à l'une des questions du sénateur Mitchell. Vous avez dit que tous les juges des tribunaux supérieurs, qu'ils soient dans une petite ville de l'Île-du-Prince-Édouard ou au centre-ville de Toronto, obtenaient le même salaire. Est-ce une loi qui l'exige?

M. Cherniak : Oui. Il n'y a aucune disposition, et il n'y en a jamais eue, qui prévoie des différences, sauf pour les juges en chef, les juges en chef adjoints et les juges de la Cour suprême du Canada. Ils touchent des sommes différentes, mais tous les juges des tribunaux supérieurs, y compris ceux de la Cour fédérale et de la Cour d'appel, qu'on appelle tous des juges puînés, reçoivent le même salaire, où qu'ils soient au Canada.

Le président : Je vous demande si c'est un usage ou une exigence législative.

M. Cherniak : Il en a toujours été ainsi. Les salaires des juges sont fixés par loi et ne diffèrent jamais. Il n'y a rien dans nos pouvoirs qui nous permette d'établir des différences. Si vous lisez le rapport, vous verrez que certains juges d'appel du pays prétendent qu'il serait bon que les salaires des juges d'appel soient un peu plus élevés que ceux des juges de première instance; les juges de la Cour suprême du Canada obtiennent un salaire supérieur à celui des juges des cours supérieures. Cette différenciation existe dans beaucoup d'autres pays, mais n'a jamais existé au Canada. Notre commission a déterminé qu'il n'était pas justifié de faire une telle différenciation, donc nous en avons rejeté la proposition. Cette décision n'a pas été facile à prendre, parce qu'il y avait de bons arguments en faveur d'une légère hausse de salaire pour les juges d'appel, mais nous avons finalement décidé qu'on ne nous en avait pas prouvé la nécessité.

Le président : Dans votre étude, votre commission n'a-t-elle pas tenu compte des différences salariales des juges provinciaux, dont les salaires varient en fonction du coût de la vie dans les différentes provinces? N'est-ce pas un argument que vous auriez pu prendre en considération?

M. Cherniak : C'est habituellement l'inverse. Les commissions d'examen de la rémunération des juges provinciaux se fient habituellement au travail des commissions fédérales. Nous étions au courant de la situation dans les diverses provinces; il n'y a qu'une formule pour tous, mais chaque province est différente. Nous étions donc au courant des salaires consentis par les diverses commissions provinciales sur la magistrature, dont beaucoup ont été contestées devant les tribunaux, parce que le gouvernement s'y opposait. Cependant, nous ne les considérions pas comme des comparateurs pertinents ni ne les avons utilisés comme éléments de comparaison pour les juges des cours supérieures.

[Français]

Le sénateur Fox : Ma question s'adresse à monsieur Cherniak ou à Mme Ruest. Il n'y a aucun doute dans mon esprit, ni dans celui des sénateurs je pense, que le travail de votre commission en est un de grande envergure, extrêmement sérieux, et que vos recommandations sont fort valables.

Toutefois, je note dans la façon dont les réponses sont données que le représentant de la commission semble s'objecter à ce que le gouvernement puisse faire des changements.

Quant à moi, je pense qu'il s'agit de recommandations du comité au gouvernement et que des recommandations faites à un gouvernement sont susceptibles d'être reçues et modifiées par le gouvernement qui doit ensuite proposer un texte de loi ultime aux parlementaires de la Chambre des communes et du Sénat.

J'ai de la difficulté à comprendre, M. Cherniak, que vous puissiez argumenter que les juges soient dans une catégorie si exceptionnelle que, d'une certaine façon, c'est votre conseil qui devrait avoir le dernier mot et juger de la pertinence des augmentations.

Je sais qu'une des considérations est l'état de l'économie canadienne et qu'il y a moyen d'interpréter cela dans un sens large ou restreint. Dans un sens large, jamais la masse salariale destinée à rémunérer des juges ne saurait avoir un effet sur le produit national brut ou sur les revenus généraux du gouvernement.

Par ailleurs, les salaires accordés aux juges peuvent avoir un effet sur les autres secteurs de l'économie, et je présume que c'est en ce sens que le gouvernement a réagi.

Peut-être vous ai-je mal compris, mais j'aimerais vous entendre davantage sur le fait que votre commission serait différente de toutes les autres commissions qui font des recommandations au gouvernement du Canada et sur le fait que, d'une façon ou d'une autre, le gouvernement devrait être lié par vos recommandations. Si c'est votre position, je ne saurais personnellement la partager.

[Traduction]

M. Cherniak : Je suis content que vous me posiez cette question. Peut-être n'ai-je pas été aussi clair que j'aurais dû l'être. C'est du processus dont je parlais. Le gouvernement a le droit d'être en désaccord avec les recommandations de la commission s'il a des raisons de l'être. La loi elle-même le lui permet. Elle lui en donne le droit une fois. Elle lui donne droit d'exprimer son désaccord dans les six mois, et le gouvernement du moment s'est prévalu de ce droit. Ce qui m'inquiète, c'est l'effet que ce qui s'est passé aura sur le processus et non les actes de l'autre gouvernement. Tout le monde peut être en désaccord avec nos résultats. Nous avons exercé notre jugement de notre mieux et avons tiré nos conclusions. Cependant, le processus prévoit six mois pour que le gouvernement accepte ou rejette nos recommandations, avec justification, puis le Parlement prend le relais dans le délai prévu ensuite. Ce n'est pas ce qui s'est passé, malheureusement, en raison des circonstances.

Il aurait été impossible qu'une commission comme la nôtre, qui a siégé pendant la dernière partie de 2003 et la première moitié de 2004, tienne compte de ce qui pouvait se passer en 2005, 2006 ou 2007. Nous avons formulé nos recommandations en fonction de la situation que nous observions à l'époque. Nous les avons justifiées, et le gouvernement y a répondu. Ce processus revient tous les quatre ans. C'est le processus qui m'inquiète et non l'essence du second rapport.

[Français]

Le sénateur Fox : Je perçois un problème avec ce que vous me dites. J'ai deux questions.

Premièrement, quelle est la différence fondamentale entre la position prise par l'ex-gouvernement, comparativement à celle du nouveau gouvernement?

Deuxièmement, si je comprends bien, le projet de loi proposé par l'ex-gouvernement est mort au Feuilleton à cause des élections et nous savons tous qu'un parlement précédent ne peut lier un parlement subséquent. N'est-il donc pas normal, à la lumière de la situation qui prévaut, que le gouvernement en place puisse avoir l'occasion de se pencher sur les recommandations?

Vous dites, par exemple, qu'il ne devrait pas prendre en considération la situation économique qui prévaut. Mais s'il y avait une récession majeure entre le dépôt de votre rapport et son adoption, dites-vous que le gouvernement ne devrait pas prendre en considération une récession majeure ou encore que tous les salaires, pour une raison ou une autre comme c'est déjà arrivé, soient gelés par le gouvernement?

J'ai de la difficulté à comprendre votre raisonnement à ce sujet. J'ai beaucoup de sympathie avec les conclusions ultimes, mais je pense que vous tentez vraiment d'établir la Commission comme étant plus primus inter pares avec d'autres commissions, plutôt qu'une commission ayant une position constitutionnelle différente parce que vous traitez du salaire des juges.

Encore une fois, j'appuie vos recommandations, mais c'est le raisonnement que vous mettez de l'avant pour les défendre qui, d'après moi, n'est pas nécessaire et est mal fondé.

[Traduction]

M. Cherniak : La meilleure réponse que je peux vous donner, c'est qu'il y a une dimension constitutionnelle à l'établissement de la rémunération des juges qui ne s'applique à aucun autre cas. Je conviens que si, pour une raison ou une autre, le Parlement ne faisait rien pour faire appliquer ces recommandations rapidement et qu'il y avait des circonstances exceptionnelles qui se produisaient avant qu'il ne le fasse, n'importe quel gouvernement devrait en tenir compte. Il revient au Parlement de déterminer si c'est ce qui est arrivé dans ce cas-ci. J'ai ma propre opinion, mais c'est au Parlement d'en décider.

Cependant, la démarche qui a été employée à l'égard de cette commission pourrait poser un problème constitutionnel. Ce n'est que la deuxième commission à avoir été constituée après le Renvoi sur les juges de l'Î.-P.-É. En toute déférence, je pense qu'il y a un principe constitutionnel important en jeu et qu'il faut respecter le processus.

[Français]

Le sénateur Fox : J'ai une dernière question. Dans la loi adoptée par la Chambre des communes le 21 novembre dernier et qui est maintenant à l'étude au Sénat, je note qu'il y a non seulement un projet de loi pour amender la Loi sur les juges quant aux salaires, mais également toute une série d'autres amendements qui ne semblent pas avoir grand- chose à faire avec les salaires des juges.

Par exemple, on amende la Loi sur la sécurité ferroviaire. Pouvez-vous me dire quel est le lien entre la Loi sur la sécurité ferroviaire et la Loi sur les juges?

Ne serait-il pas préférable, dans ce genre d'exercice, que les amendements qui n'ont rien à voir avec le sujet principal, à savoir la Loi sur les juges, soient traités dans un autre forum? La Loi corrective de 2001 aurait pu traiter de ces éléments.

C'est un peu amusant de voir qu'on amende la Loi sur les transports, la Loi sur la responsabilité civile de l'État, la Loi sur l'assurance-emploi, la Loi sur les cours fédérales, la Loi sur la sécurité ferroviaire et d'autres, dans un projet de loi visant essentiellement les salaires et les conditions d'emploi des juges.

[Traduction]

M. Cherniak : Sénateur, j'aurais été ravi d'avoir le mandat de me pencher sur la Loi sur la sécurité ferroviaire, mais ce n'est pas le mandat qu'on m'a donné. Il est hors de mes compétences de sonder les rouages du Parlement. C'est le travail des personnes ici présentes.

[Français]

Le sénateur Nolin : Dois-je premièrement en conclure que sur 16 recommandations, la plupart ont été acceptées par le gouvernement et que c'est la recommandation sur le salaire qui est différente?

[Traduction]

M. Cherniak : C'est juste, sénateur.

[Français]

Le sénateur Nolin : Pour que tout le monde comprenne, on parle d'une différence qui varie de 7 500 $ pour les juges puînés et de 9 900 $ pour le juge en chef de la Cour suprême. C'est bien le cas?

[Traduction]

M. Cherniak : Je pense que ce sont les bons chiffres.

[Français]

Le sénateur Nolin : Et ce différentiel varie de 7 500 $ à 9 900 $. On parle d'un salaire que vous aviez recommandé à 240 000 $ pour les juges puînés, alors que la recommandation du gouvernement est de 232 300 $, donc une différence de 7 700 $, et dans le cas du juge en chef, je prends l'échelon supérieur, vous recommandiez 308 400 $ alors que le projet de loi nous propose 298 500 $, donc une différence de 9 900 $. C'est bien ce dont on parle? C'est le seul différend que vous avez avec la proposition du gouvernement?

[Traduction]

M. Cherniak : Le problème que je vois concerne le processus, mais votre analyse des chiffres me semble correcte.

[Français]

Le sénateur Nolin : Si je prends un résumé qui nous est fourni par la Bibliothèque du Parlement sur la décision de la Cour suprême en 2005, pouvez-vous nous dire, ce matin, que cette différence d'opinions entre votre commission et le gouvernement du Canada met en danger l'indépendance de la magistrature et politise le processus?

[Traduction]

M. Cherniak : Je ne peux vraiment pas vous répondre en ces termes. Notre commission s'est vu confier la responsabilité de déterminer, de sa perspective indépendante, étudiée et approfondie, le bon niveau de rémunération. D'autres auraient pu proposer des sommes différentes. Nous avons proposé ce qui nous semblait approprié, et ce projet de loi propose un montant différent.

Je ne suis pas ici pour défendre notre rapport ou la somme que nous avons recommandée. Le rapport parle de lui- même. Ce qui me préoccupe, c'est le processus constitutionnel.

[Français]

Le sénateur Nolin : C'est exactement le cas. Je prends vos réponses pour poser ma question. Vous avez vous-même, à plusieurs reprises, questionné la rationalité de la décision du gouvernement. Je présume que vous tirez cette expression de la décision de la Cour suprême, qui elle-même souligne la rationalité de la décision du gouvernement.

Lorsqu'on applique le test que la Cour suprême nous a donné en 2005, pris dans sa perspective globale, est-ce que le processus respecte l'indépendance et ne politise pas le processus? C'est la raison de ma question.

Vous comprenez mon point de vue? Vous ne pouvez pas prendre une partie de l'argument. Je prends tout l'argument, je me rends jusqu'au bout du raisonnement.

[Traduction]

M. Cherniak : Je présume que si ce projet de loi est adopté, la magistrature va demeurer aussi indépendante qu'auparavant. Cependant, il y a un risque que si, avec le temps, on cesse de respecter le processus constitutionnel et les dispositions législatives, les Canadiens se retrouvent dans la même situation qu'à l'époque où les commissions triennales faisaient rapport et le gouvernement ne tenait pas du tout compte de leurs recommandations. La formule selon laquelle une commission indépendante fait des recommandations est très importante, et celles-ci doivent être suivies, à moins que le gouvernement n'ait des raisons d'être contre dans un délai raisonnable.

Si ce processus n'est pas respecté, on verra poindre du cynisme dans le public et la magistrature. L'indépendance judiciaire pourrait être menacée, et il sera difficile de trouver des commissaires qui seront prêts à sacrifier une partie importante de l'année pour une rémunération très modeste — aucun d'entre nous ne l'a fait pour l'argent, je peux vous en assurer — afin de formuler des recommandations qui n'auront véritablement aucun poids. C'est le danger. C'est une question de perception.

[Français]

Le sénateur Nolin : Je suis entièrement d'accord avec vous que l'on doit tout faire pour protéger l'indépendance du processus judiciaire de la magistrature et de ne pas politiser ce processus. C'est pourquoi, dans ma première question, je vous ai demandé si sur 16 recommandations, le gouvernement, dans son projet de loi, accepte la très grande partie de ces recommandations. C'est uniquement sur la rémunération que vous avez une différence qui, tout compte fait, est assez minime. Quand on parle de 7 000 à 9 000 $ sur un salaire de 300 000 $, les Canadiens qui nous entendent vont en conclure que ce n'est pas ce qui va mettre en danger l'indépendance de la magistrature et qui va politiser le système. Mais j'accepte votre réponse.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, cela vient conclure cette partie de la réunion. Le ministre est arrivé. Avant que nos témoins ne lui cèdent la place, permettez-moi, au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales et en mon nom propre, de remercier chacun d'entre vous d'avoir participé à notre séance : monsieur Osborne, madame Ruest et monsieur Cherniak.

Nous avons déjà reçu le commissaire à la magistrature fédérale ici et avons produit un rapport général sur les dispositions visant à préserver l'indépendance de la magistrature. Il nous a été très utile que vous soyez venu à titre de commissaire d'examen de la rémunération nous expliquer comment votre travail s'intègre au processus. J'espère que vous remercierez Mme Chambers et M. McLennan également pour le bon travail qu'ils ont fait à la commission avec vous.

M. Cherniak : Je n'y manquerai pas. Je vous remercie infiniment de m'avoir invité. Je suis bien content d'avoir eu l'occasion de vous rencontrer et de vous parler à tous.

Le président : Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir l'honorable Vic Toews, ministre de la Justice et procureur général du Canada, ainsi que Mme Judith Bellis, qui représente Justice Canada, comme témoins devant le comité. Monsieur Toews, la parole est à vous.

L'honorable Vic Toews, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : C'est un grand honneur pour moi de comparaître de nouveau devant vous. Cela devient une agréable habitude, même si les questions que vous posez ne sont pas toujours faciles; c'est la nature de votre travail. Nous comprenons nos rôles respectifs, et je reconnais le rôle que joue ce comité dans ce dossier très important.

Le projet de loi C-17 propose des modifications à la Loi sur les juges qui constituent la réponse du gouvernement aux recommandations formulées par la Commission d'examen de la rémunération des juges de 2003. L'établissement de la CERJ découle de principes constitutionnels visant à assurer la confiance du public en l'indépendance et en l'impartialité de la magistrature. Le premier principe constitutionnel à souligner est celui contenu à l'article 100 de la Loi constitutionnelle, qui exige que les salaires et avantages des juges soient établis par le Parlement, et non par l'exécutif seul, à la suite d'une étude et d'un débat public sur la question.

Les honorables sénateurs savent qu'en plus des protections prévues à l'article 100, la Cour suprême du Canada a énoncé l'exigence constitutionnelle d'une commission indépendante, objective et efficace devant transmettre des recommandations non exécutoires au gouvernement. Le gouvernement doit répondre publiquement et dans un délai raisonnable au rapport de la commission et fournir une justification qui respecte le critère de la rationalité à l'égard de tout rejet ou modification d'une recommandation formulée par la commission. Je ferai un commentaire à cet égard dans quelques minutes.

La commission quadriennale a déposé son rapport le 31 mai 2004. L'ancien gouvernement y a répondu en novembre 2004 et a déposé le projet de loi C-51 en mai 2005. Cependant, malgré l'obligation du gouvernement d'agir rapidement, le projet de loi C-51 n'a jamais dépassé l'étape du dépôt et de la première lecture. Il est mort au Feuilleton en novembre 2005.

Dès qu'il est arrivé au pouvoir, notre gouvernement s'est donné comme priorité d'examiner les recommandations de la commission à la lumière des principes constitutionnels et des dispositions législatives qui régissent ce processus. Nous l'avons fait parce que nous prenons au sérieux notre engagement de respecter les principes constitutionnels qui régissent l'établissement de la rémunération des juges. Notre gouvernement a répondu au rapport de la Commission le 29 mai 2006 et a déposé le projet de loi C-17 presque aussitôt après, le 31 mai 2006. Le projet de loi a été renvoyé au Comité permanent de la justice et des droits de la personne après la première lecture, le 20 juin. Le comité a commencé son examen du projet de loi le 24 octobre et le 1er novembre, il a déposé à la Chambre son rapport dans lequel il approuvait le projet de loi, sous réserve de quelques modifications techniques mineures. Le projet de loi est passé à l'étape du rapport et de la seconde lecture le 7 novembre, puis la troisième lecture s'est terminée le 21 novembre. Comme vous pouvez le voir, le gouvernement a agi avec diligence sur le projet de loi C-17.

Je sais que les sénateurs comprennent l'importance cruciale de terminer la dernière étape du cycle quadriennal de 2003 en adoptant ce projet de loi. La crédibilité, et même la légitimité du processus constitutionnel l'exigent, d'autant plus que la prochaine commission quadriennale doit reprendre ses travaux dans moins d'un an. Je voudrais donc féliciter et remercier le comité d'accorder à ce projet de loi la priorité pour que ce processus se termine rapidement.

Concernant le projet de loi C-17, comme vous le savez, le gouvernement a accepté pratiquement toutes les recommandations de la commission, à l'exception de celles sur le pourcentage de l'augmentation salariale. Monsieur le président, je sais que les membres du comité ont lu la réponse du gouvernement qui explique en détail les raisons pour lesquelles les recommandations de la commission concernant la rémunération des juges ont été modifiées. Par conséquent, je me contenterai de résumer brièvement ce que les membres du gouvernement pensent de cette question importante.

Auparavant, je crois important de parler de la norme de rationalité servant à évaluer toute modification apportée par le Parlement aux recommandations de la commission. Certains ont véhiculé le mythe que notre respect pour le processus de rémunération de la magistrature et l'indépendance de la magistrature en général ne peut être démontré que si nous appliquons telles quelles les recommandations de la commission. Comme je l'ai déjà dit, pour assurer la confiance du public dans le processus, il est absolument essentiel que tout le monde comprenne les indications très réfléchies que la Cour suprême du Canada a données dans deux arrêts : le Renvoi sur les juges de l'Î.-P.-É., qu'elle a rendu en premier, et le jugement Bodner c. Alberta, dans lequel la Cour suprême du Canada a précisé ou corrigé, à certains égards, sa réflexion sur le sujet.

Dans ces deux décisions, la Cour a reconnu à juste titre que c'est aux assemblées législatives et au gouvernement qu'il renvient d'affecter les ressources publiques. Une lecture attentive de ces deux jugements indique clairement que le gouvernement a parfaitement le droit de rejeter ou de modifier les recommandations de la commission. À mon avis, cela ne compromet en rien l'indépendance de la magistrature. En fait, les textes constitutionnels exigent que le Parlement prenne la décision finale, quelles que soient les recommandations qu'un gouvernement ou un autre peut avoir fait en réponse à la commission quadriennale.

Il doit aussi y avoir une justification publique et rationnelle démontrant le respect du processus de la commission. Monsieur le président, c'est ce que le gouvernement a fait dans sa réponse et il est convaincu d'avoir entièrement satisfait à cette exigence. L'efficacité de la commission ne se mesure pas selon que toutes ses recommandations ont été mises en œuvre intégralement ou non. Elle se mesure selon que le processus de la commission, sa collecte et son analyse de l'information ainsi que son rapport et ses recommandations ont joué un rôle central dans la détermination finale de la rémunération des juges.

Le travail et l'analyse de la commission ont été critiques dans les délibérations du gouvernement. La réponse du gouvernement reconnaît respectueusement les efforts de la commission et elle explique la position du gouvernement par rapport aux deux modifications de la proposition de la commission. Afin de justifier sa proposition de modification de la recommandation salariale telle qu'elle est énoncée dans le projet de loi C-17, le gouvernement a soigneusement examiné tous les critères établis par la Loi sur les juges et deux de ces critères en particulier, à savoir, en premier lieu, l'état de l'économie au Canada, y compris le coût de la vie ainsi que la situation économique et financière globale du gouvernement et en second lieu, le besoin de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature.

En ce qui concerne le premier de ces critères, le gouvernement a conclu que la commission n'avait pas accordé suffisamment d'importance à la nécessité d'inscrire la rémunération des juges dans le contexte plus large des pressions économiques, des priorités financières et des exigences concurrentes du Trésor public. Essentiellement, le gouvernement n'a pas accordé le même point à ce facteur que la commission.

Pour ce qui est de recruter les meilleurs candidats, nous ne sommes pas d'accord avec le poids que la commission a accordé à certains groupes de comparaison à partir desquels les salaires des juges doivent être évalués. Nous avons reconnu que la commission a examiné attentivement et en détail toute une gamme d'informations comparatives, y compris les salaires des hauts fonctionnaires, des personnes nommées par le gouverneur en conseil et des avocats en pratique privée.

Monsieur le président, nous avons jugé que la commission avait accordé trop de poids aux revenus des avocats qui pratiquent à leur compte, surtout à ceux qui pratiquent dans les huit plus grands centres urbains du Canada. En outre, il n'a pas été tenu suffisamment compte de la valeur de la pension des juges et de la nécessité pour les avocats en pratique privée de financer leur propre retraite.

Comme l'explique notre réponse, le gouvernement estime que la recommandation salariale de la commission, soit une augmentation de 10,8 p. 100, est supérieure à ce qui est nécessaire pour nous permettre de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature. Le gouvernement propose plutôt d'augmenter les salaires des juges puînés de 7,25 p. 100 à compter du 1er avril 2004, avec indexation chaque 1er avril les années suivantes, ce qui ferait passer le salaire de ces juges à 232300 $; il y aurait des augmentations proportionnelles pour les juges en chef et les juges de la Cour suprême du Canada.

Une autre modification proposée se rapporte à la recommandation de la commission voulant que les juges puissent augmenter le remboursement des coûts associés à leur participation aux travaux de la commission. On recommande que le chiffre passe de 50 à 66 p. 100 pour les frais judiciaires et de 50 à 100 p. 100 pour les débours. Je signale, pour votre gouverne, que les débours relatifs à la commission ne comprennent pas que les frais de photocopie et de messagerie, mais aussi les coûts d'importants contrats pour les services de conseils en rémunération et autres questions connexes.

À notre avis, le remboursement de tous les débours n'inciterait guère, ou alors pas du tout, les juges à faire preuve de prudence dans leurs budgets. Voilà pourquoi le projet de loi C-17 ferait passer de 50 à 60 p. 100 le remboursement tant des frais judiciaires que des débours.

La réponse souligne également le fait que ce seront les parlementaires, et non le gouvernement, qui décideront de la proposition à mettre en œuvre, que ce soit celle de la commission, du gouvernement, du gouvernement précédent ou une autre proposition entièrement différente.

Le comité de la justice a étudié soigneusement le projet de loi C-17. Il a entendu les membres de la Commission d'examen de la rémunération des juges, comme l'a fait votre comité. Des représentants de l'Association du Barreau canadien se sont également présentés devant le comité, de même que le professeur Garant, pour jeter un éclairage d'universitaire sur ce processus constitutionnel. Au bout du compte, le comité de la justice a fait rapport du projet de loi C-17 avec certains amendements de forme mineurs, et il a été approuvé par la Chambre après les débats en deuxième et en troisième lectures.

Monsieur le président, je tiens à attirer l'attention des honorables sénateurs sur le fait que le projet de loi C-17 ne porte pas uniquement sur des augmentations de salaires pour les juges. Il met en œuvre un certain nombre d'autres modifications à la rémunération se rapportant à l'admissibilité à la retraite et à des postes de juge surnuméraire, ainsi que d'autres petites modifications aux indemnités. Plus particulièrement, le projet de loi C-17 comprend également une proposition qui se faisait attendre depuis trop longtemps sur l'uniformité des règles pour les conjoints et conjointes de juge, dans les difficiles situations de rupture conjugale; cette proposition facilite un partage équitable de la rente des juges. La rente des juges est actuellement la seule pension fédérale qui n'est pas assujettie à cette répartition.

Les modifications proposées suivent le modèle de la Loi sur le partage des prestations de retraite, la LPPR, du fédéral. Comme dans la LPPR, ces dispositions respectent les principes de saine répartition des prestations de retraite, permettant aux couples de se séparer simplement, avec certitude et possibilité de transfert. Ces dispositions cadrent aussi avec les objectifs de la planification de la retraite et avec l'exigence constitutionnelle de sécurité financière connexe à l'indépendance de la magistrature.

L'objectif de ce mécanisme peut sembler de prime abord très complexe, mais en fait, il est tout simple : il s'agit de régler enfin une question d'équité pour les familles qui vivent la rupture de la relation conjugale.

Honorables sénateurs, je m'arrête ici et je vous remets le projet de loi C-17, dont vous allez délibérer. Il s'est passé beaucoup de temps depuis que la commission a rendu son rapport et pour assurer l'intégrité du processus, il est d'une grande importance que nous nous prononcions sur ce projet de loi avec toute la célérité voulue. Ce faisant, vous contribuerez à garantir que la magistrature du pays garde son indépendance, son impartialité, son engagement et l'excellence qui est digne de la confiance des Canadiens et de l'envie du monde entier.

Le président : Je vous remercie. La toile de fond que vous avez brossée, monsieur le ministre, nous sera très utile et nous permettra peut-être de faire l'économie de quelques questions, étant donné que vous avez déjà évoqué certains enjeux.

On me dit que vous êtes en mesure de rester avec nous jusqu'à 11 h 15, mais que Mme Bellis peut rester par la suite pour répondre à des questions techniques.

Quel poste occupez-vous?

Judith Bellis, avocate générale, Services des affaires judiciaires, des cours et des tribunaux administratifs, Justice Canada : Je suis directrice des Services des affaires judiciaires au ministère de la Justice.

Le sénateur Cowan : Merci de votre présence parmi nous. Ma question fait suite à vos dernières remarques et aux préoccupations à propos du processus. Il m'a semblé que les propos tenus ce matin par M. Cherniak, qui s'est dit préoccupé au sujet du processus, ont été très convaincants. Il a fait observer, ce qui me paraît pertinent, que la commission a évalué, en fonction d'un certain calendrier et d'après les témoignages qu'elle a reçus, les conditions qui existaient au moment où elle a mené son étude. Elle a recommandé des augmentations devant entrer en vigueur le 1er avril 2004, ce qui fait déjà un certain temps. Depuis cette date, nous avons eu un changement de gouvernement, et un nouveau gouvernement, à l'évidence, a de nouvelles priorités.

Nous sommes saisis d'un ensemble de recommandations relatives à des augmentations de salaires, qui sont entrées en vigueur il y a plus de deux ans, puis il s'est passé des choses depuis ce temps-là. À moins que les recommandations ne soient d'une ampleur telle que le gouvernement jugerait impossible ou difficile de les accepter d'un point de vue financier, si, à ce moment-ci — malgré le fait que nous avons eu un changement de gouvernement et que le nouveau gouvernement a ses propres priorités légitimes —, vous changez ou rejetez en quelque sorte rétroactivement l'analyse que la commission a faite à propos d'une situation qui remonte maintenant à deux ou trois ans, vous faussez le processus et faites planer des doutes sur sa validité.

Je souhaite vous renvoyer à l'observation qui figure à la page 6 de la réponse du gouvernement et à laquelle vous avez fait allusion dans votre témoignage, à savoir qu'à votre avis, la caractérisation que fait la commission de ses propres responsabilités est trop étroite. Vous avez qualifié de trop étroite l'interprétation faite par la commission de l'alinéa 26(1.1)a) de la Loi sur les juges et vous avez déclaré que la commission doit tenir compte dans son analyse de l'état général des finances du gouvernement et d'autres priorités économiques et sociales du gouvernement.

Comme je l'ai dit, il y a eu un changement de gouvernement, et il aurait donc été impossible que la commission tienne compte des priorités d'un gouvernement qui n'avait pas encore été élu. J'ai du mal à imaginer comment une commission pourrait interpréter les priorités du gouvernement; en réalité, c'est au gouvernement de le faire. Dans sa réponse, le gouvernement indique que, même s'il va accepter cet avis, ce sont, en fait, ses propres priorités qui vont déterminer sa décision. Le gouvernement ne prend pas sa décision, ou ne fixe pas le taux présenté dans le projet de loi parce qu'il n'a pas les moyens de payer ce que la commission a recommandé et de réaliser ses priorités, mais tout simplement parce qu'il juge que c'est le pourcentage qui convient.

Cela met en danger une commission future où le processus d'établissement de ces recommandations. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus. Ce sont peut-être des circonstances inhabituelles et il se peut qu'elles ne se répètent pas, mais cela soulève certaines questions.

M. Toews : Malgré le fait que la Cour suprême du Canada a exposé le processus par lequel la commission prend ses décisions, il faut rappeler qu'il s'agit d'un processus qui a été greffé à notre Constitution. Il ne s'approche nulle part de ce que prévoyait l'article 100 dans la Loi constitutionnelle de 1867. Cet article indique clairement que, d'un point de vue constitutionnel, c'est le Parlement qui détient la responsabilité de fixer cette rémunération. Donc, nous devons intégrer la doctrine constitutionnelle importée dans ce processus par le tribunal dans le Renvoi relatif aux juges de l'Île- du-Prince-Édouard, et définie dans la décision Bodner c. Alberta.

En dernière analyse, cela demeure la responsabilité du Parlement. Le gouvernement, que ce soit le premier ou le second, a toujours le droit de répondre au rapport de la commission.

Il a été soutenu à l'autre endroit que le gouvernement actuel n'aurait plus compétence sur la question, pour une raison quelconque et ne pourrait pas réagir. Je ne crois pas que ce soit une bonne interprétation de la loi ni que ce soit bien important, parce qu'au bout du compte, ce n'est pas le gouvernement qui prend les décisions, mais le Parlement.

Le gouvernement est tenu de prendre en compte tous les faits. À mon avis, rien n'empêche le gouvernement d'étudier les recommandations de la commission rétroactivement et de bénéficier du recul que le temps écoulé lui offre. Si le gouvernement a commis une erreur, il appartient au Parlement de la corriger. Je ne crois pas que le gouvernement a fait une erreur; il s'est plutôt conformé au principe constitutionnel, à cette norme de rationalité que nous sommes tenus de respecter. Je vois la norme de rationalité sensiblement de la même façon et je ne veux pas engager une bataille judiciaire à propos de cela, au point que les décisions d'un tribunal administratif soient revues par une Cour supérieure. Il peut arriver que nous ne nous entendions pas sur certaines questions, mais nous avons exposé une raison légitime de nous écarter des recommandations de la commission quadriennale. Nous invoquons un fondement factuel raisonnable et, si on voit les choses dans leur ensemble, dans un esprit de déférence envers l'opinion du gouvernement, la commission a été respectée. Pour l'essentiel, nous avons respecté le travail de la commission. Nous avons divergé d'opinion sur l'accent à mettre sur certains critères, et de ce fait, nous avons le droit de remplacer le jugement de la commission par le nôtre.

Le sénateur Cowan : À ce sujet, rien ne porte à penser que, si le gouvernement devait accepter la recommandation de la commission, sa capacité de mettre en œuvre ses priorités serait compromise?

M. Toews : Le gouvernement étudie la question et fait valoir, par exemple, que s'il est vrai que nous disposions d'un excédent de 13 milliards de dollars, cet argent était convoité par divers secteurs. Le gouvernement avait pour priorité de réduire la dette, et c'est pourquoi il a affecté les 13 milliards de dollars à cela. C'était la priorité du gouvernement et il a le droit de prendre une décision de ce type.

Je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question, mais nous avons donné la priorité aux finances, même si, en dernière analyse, le Parlement peut passer outre à la décision du gouvernement sur cette question.

Le sénateur Cowan : J'accepte cela, monsieur. Dans un échange avec M. Cherniak plus tôt, le sénateur Nolin a fait remarquer que la différence était, je crois, de 9 000 $ dans un cas et de 7 000 $ dans l'autre. Peut-être que c'est Mme Bellis qui peut répondre à cette question, mais l'écart entre 10,8 p. 100 et 7,5 p 100 se traduit par une différence de salaire de combien?

Mme Bellis : Je connais la réponse à cette question, sénateur.

Le sénateur Cowan : Je n'aurais pas cru que cela puisse être important du point de vue de la capacité du gouvernement de réduire sensiblement la dette.

M. Toews : Non. Je ne crois pas que ce soit là la question, mais on ne peut pas non plus voir les choses isolées les unes des autres. Nous avons également une obligation envers les fonctionnaires en général, par exemple, et envers les contribuables. Est-ce que nos hauts fonctionnaires, comme Mme Bellis, disent : « J'ai entendu dire que les juges ont obtenu 10,8 p. 100, soit 2,5 p. 100 pour compenser le taux d'inflation annuel, donc pourquoi la fonction publique ne recevrait-elle pas un montant similaire? » Si les hauts fonctionnaires disent cela, les employés de mon bureau vont dire : « Pourquoi n'obtiendrions-nous pas 10,8 p. 100, parce que nous y avons droit, nous aussi? »

Le sénateur Cowan : Peut-être aussi vos collègues à la Chambre des communes, ou même un sénateur ou deux.

M. Toews : C'est autre chose et il y a eu au Parlement un débat qui a divisé les députés sur le fait de dissocier leurs salaires de ceux des juges. Vous vous souviendrez qu'à l'origine, les augmentations de salaire des députés étaient liées à celles des juges. Franchement, sur le plan politique, cela était intenable pour les députés. Nous examinons les salaires des juges dans un contexte différent, indépendamment de simples enjeux politiques.

Le sénateur Cowan : Si je me mettais à la place d'un commissaire, je dirais : « Eh bien, on me demande de faire ce travail. On me demande de prendre cette décision. Je reconnais qu'il y a de nombreuses autres décisions qui ne sont pas touchées par les aspects dont nous parlons, mais lorsqu'il s'agit de déterminer le pourcentage d'augmentation, si je dois prendre en considération les priorités économiques et sociales du gouvernement, non seulement du gouvernement actuel, mais aussi d'un gouvernement qui pourrait arriver au pouvoir avant que mes recommandations ne soient mises en œuvre, je ne vois pas comment je pourrais faire cela. »

M. Toews : Voilà pourquoi la Constitution a la sagesse de dire qu'en dernière analyse, c'est le Parlement qui prend la décision. La commission nous a donné des conseils très judicieux, mais c'est le Parlement qui prend la décision finale. Est-ce que la commission pourra un jour faire parfaitement ce qui convient, compte tenu de ce que vous venez de dire? On voit mal comment elle pourrait y parvenir à chaque fois. Ce serait très difficile, bien sûr. Toutefois, c'est le Parlement qui a le dernier mot et nous pouvons étudier les recommandations de la commission dans le contexte de nos responsabilités globales.

Le sénateur Cowan : Toutefois vous comprenez qu'un cynique pourrait arriver à la conclusion qu'on ramène la politique dans le processus.

M. Toews : La Constitution l'exige.

Le sénateur Mitchell : Merci de votre présence parmi nous. Nous avons tous la même préoccupation que celle dont vous avez parlé. Le principe en jeu, dans cette affaire, est celui de l'indépendance de la magistrature. À l'évidence, l'argent devient un moyen crucial d'assurer cette indépendance. Donc, il faudrait que, pour passer outre aux recommandations de la commission quadriennale, qui a été formée pour préserver cette indépendance, le gouvernement présente des arguments d'une rigueur et d'une logique inattaquables Je crois qu'on peut remettre en doute les deux critères ou arguments que vous avez formulés. On peut se demander s'ils répondraient à une norme ou à un critère de cette nature. En particulier, quand vous avez dit, pour une raison que j'ignore, que l'état de l'économie et la situation économique et financière globale du gouvernement ne justifiait pas une augmentation intégrale de 10,8 p. 100 et que vous l'avez ramenée à 7,5 p. 100. Pourtant, lorsque la commission a présenté sa recommandation, le gouvernement prévoyait un excédent de l'ordre de 3 milliards de dollars et, maintenant, vous savez qu'il est de 13,5 milliards de dollars. Mon collègue fait une excellente observation en soulignant qu'il y a assez d'argent pour payer cette augmentation; donc, l'argument de la position financière du gouvernement militerait en faveur du maintien de l'augmentation à 10,8 p. 100, et non de sa réduction. Entre parenthèses, je vous demanderais ce que vous auriez fait si vous aviez enregistré un déficit de 13,5 milliards de dollars? Est-ce que vous auriez annulé la totalité de l'augmentation de salaire?

Ce que je veux dire, c'est que vos arguments ne se situent pas dans un vide et doivent être replacés dans un contexte plus large, à savoir que votre gouvernement, pour ne pas dire vous précisément, a beaucoup critiqué l'appareil judiciaire en disant, pour résumer que les juges se substituent aux législateurs, ce qui est, en vérité, une forme de dénigrement du pouvoir judiciaire qui me paraît foncièrement injuste.

Notre appareil judiciaire est l'un des meilleurs et des plus respectés dans le monde. Quelqu'un qui occupe un poste comme le vôtre au gouvernement ne devrait pas porter de pareils coups. Le danger, c'est que cela peut avoir pour effet qu'on se pose des questions sur la motivation qui vous pousse à réduire cette augmentation de salaire. On pourrait en conclure, parce que les arguments sont relativement faibles, que vous voulez simplement envoyer un message aux juges et les punir parce que vous n'aimez pas qu'ils se substituent aux législateurs.

Pouvez-vous dissiper mon cynisme à ce sujet? Pouvez-vous me convaincre, moi et peut-être d'autres aussi, que votre préjugé à l'endroit du pouvoir judiciaire ne vous a pas incité à réduire l'augmentation de salaire recommandée et ne constitue pas un moyen de punir le pouvoir judiciaire?

M. Toews : Sénateur, est-ce que je peux le dissiper? Probablement pas. Compte tenu de la nature de la question, il faudrait que je passe sans doute beaucoup plus que quelques minutes en cette salle pour essayer de dissiper votre cynisme.

Toutefois, je tiens à dire, précisément sur cette question, que, lorsqu'on fait intervenir le pouvoir judiciaire dans un débat qui est sain, cela fait partie du processus démocratique. Nous devons le faire de manière respectueuse. Nous devons comprendre que le pouvoir judiciaire, quand il fait l'objet d'un débat, a également les mains liées, dans un certain sens parce qu'il ne peut pas répondre. Le gouvernement et ses ministres doivent en être bien conscients.

Une des façons les plus efficaces de répondre au pouvoir judiciaire ne consiste pas à tenir un débat public dans les journaux, mais plutôt à présenter des projets de loi, en disant : « Nous désapprouvons fondamentalement l'évolution de, disons, la détermination des peines dans notre pays dans certains cas. » Nous, les parlementaires — et cela comprend le Sénat — comprenons la politique sociale et le contexte social beaucoup mieux que le pouvoir judiciaire, qui s'en tient forcément aux principes juridiques et constitutionnels.

Je préfère tenir un débat sain avec le pouvoir judiciaire dans le contexte législatif. Je crois que, depuis que j'occupe le poste de ministre de la Justice, j'ai, en règle générale, limité mes commentaires à cet égard. Il arrive que nous répondions à certaines observations bien précises. Toutefois, je suis très conscient du rôle que joue le pouvoir judiciaire et du fait que sa capacité de répondre est limitée.

Même dans les diverses situations où le pouvoir judiciaire s'en est pris à moi, je n'ai pas répondu publiquement. Je me suis dit qu'il était plus important que le pouvoir judiciaire puisse s'exprimer sur une question qu'il ne l'était pour moi de chercher à en découdre dans les colonnes d'un journal. Je vous assure que j'aborde cette question dans une assemblée publique avec beaucoup de retenue, non seulement parce que je sais que je suis ministre de la Justice, mais aussi, à bien des égards, parce que je parle au nom des juges eux-mêmes.

En ma qualité de membre du gouvernement, je prends en compte non seulement la situation économique globale, à grande échelle, mais également le rôle des juges et leur salaire dans un contexte juridique plus étroit. Nous avons étudié le cas des avocats de pratique privée, que la commission a retenu comme élément de comparaison, et nous avons estimé que ces critères étaient excessifs. Je n'accorde pas plus d'importance à un critère qu'à l'autre, mais ces deux critères — les priorités économiques d'ensemble de notre gouvernement et les salaires comparables dans le milieu juridique, ce qui nous a donné le chiffre de 7,25 p. 100 — ne peuvent pas être examinés de manière isolée.

Franchement, quand on voit le nombre de candidats très qualifiés qui se présentent à des postes de juge, les gens sont loin de refuser ces postes parce que le salaire est insuffisant. Il peut y avoir des cas isolés de personnes qui gagnent entre 500 000 $ et un million de dollars mais, en règle générale, les gens sont assez satisfaits des salaires. Chose certaine, dans mes entretiens avec les 40 ou 50 juges qui ont été nommés depuis un an, je n'ai jamais entendu dire que leur nomination les forcerait à accepter une forte baisse de salaire, ce qu'ils ne pouvaient pas se permettre. Je crois qu'il s'agit là d'une catégorie de personnes que nous ne pourrions pas attirer, même si nous doublions le salaire.

Le sénateur Mitchell : Je suis heureux de vous entendre parler de l'importance du rôle que vous jouez pour défendre et faire respecter davantage la magistrature. Il me paraît très nuisible que des gens de votre gouvernement — d'autres personnes qui sont des leaders d'opinion — adoptent une attitude critique. Quand on veut que la loi soit respectée, il faut respecter les institutions.

Je pense comme vous que les juges sont soumis à d'importantes contraintes et qu'on ne devrait pas les faire participer à un débat, parce qu'ils ne peuvent pas vraiment se défendre. En fait, on les a fait sortir un peu plus de leur réserve récemment, en raison de certaines attaques injustes qui ne sont peut-être pas venues de vous, mais qui sont certainement venues de votre gouvernement. Je fais simplement observer qu'il faut être très prudent à ce sujet.

M. Toews : Permettez-moi d'intervenir à ce propos. J'ai remarqué tout récemment qu'un membre du gouvernement libéral de la Colombie-Britannique a formulé une critique — le procureur général Oppal, en l'occurrence. Il a commenté les heures de travail des juges et a demandé pourquoi ils commencent leur journée de travail à 10 heures. N'oubliez pas que Wally Oppal a déjà été juge à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Le seul fait de poser cette question est intéressant, pour ainsi dire, pour moi, qui n'ai jamais été juge.

Le sénateur Mitchell : Approuvez-vous tout ce qu'un conservateur dit?

M. Toews : Je fais remarquer qu'il ne s'agit pas d'un problème uniquement pour les conservateurs. De nombreux libéraux ont soulevé des préoccupations similaires. M. Oppal a posé cette question et je crois qu'il a le droit de le faire dans le contexte de l'administration de la justice de cette province. Vous aurez constaté que je ne m'en suis pas mêlé.

On a immédiatement attaqué M. Oppal, en lui reprochant de compromettre l'indépendance des juges. Des gens raisonnables diraient peut-être que cette question va au-delà de la simple attaque à l'indépendance de la magistrature.

Je ne me mêle pas de cela. Je dis simplement qu'il y a des façons d'interpréter ces propos et qu'il y en a peut-être de meilleures d'aborder la question. Il n'y a pas que les conservateurs qui, dans le passé, ont exprimé des préoccupations au sujet d'un aspect ou d'un autre de l'appareil judiciaire.

Le sénateur Eggleton : J'ai à poser une question directe en trois parties. L'une est liée au jugement rendu par la Cour suprême du Canada en juillet 2005 sur l'analyse en trois étapes visant à évaluer la rationalité de la décision du gouvernement de s'écarter des recommandations d'une commission d'examen de la rémunération. Les trois étapes de l'analyse étaient les suivantes : Un, le gouvernement a-t-il justifié par un motif légitime sa décision de s'écarter des recommandations de la commission? Deux, les motifs invoqués par le gouvernement ont-ils un fondement factuel raisonnable? Trois, de manière globale et avec déférence, le mécanisme d'examen par une commission a-t-il été respecté et est-ce que les objectifs du recours à une commission ont été atteints?

J'aimerais que vous me disiez si, d'après vous, le gouvernement a suivi ces étapes, et comment il s'y est pris pour ce faire.

La deuxième partie de ma question porte sur le chiffre de 7,25 p. 100. Comment l'a-t-on établi; quelle est sa justification; quelle formule a-t-on employée pour arriver au chiffre de 7,25 p. 100?

Le troisième volet de ma question concerne le coût de la vie. Ce salaire est le même partout au Canada, mais le pouvoir d'achat n'est pas le même partout. Lorsque j'étais ministre de la Défense, j'ai été confronté justement à cette question des salaires uniformes d'un bout à l'autre du pays. Nous avons mis au point ce qu'on appelle l'indemnité de vie chère en région, laquelle reconnaissait que le pouvoir d'achat variait selon les différentes régions du pays.

Par exemple, le coût de la vie à la base navale d'Esquimalt sur la côte Ouest est beaucoup plus élevé qu'à la base de Halifax, sur la côte Est.

Avez-vous réfléchi à ce problème du coût de la vie — qu'en pensez-vous?

M. Toews : Permettez-moi de commencer par la troisième partie de la question, celle qui concerne les salaires uniformes. Le même problème se pose dans le cas des parlementaires, qu'il s'agisse des sénateurs ou des députés. Nous avons tenu cette discussion au moment où j'étais dans l'opposition; diverses suggestions ont été faites — certaines venant même de moi — et je ne voyais pas de problème à ce qu'on verse à des députés comme moi moins d'argent, qu'il s'agisse du salaire ou de l'indemnité de dépenses.

Je peux louer un beau bureau dans ma circonscription de Provencher dans le sud-est rural du Manitoba, probablement au tiers du prix de ce qu'il en coûte à Toronto. Est-ce juste? Je peux m'acheter une belle maison au Manitoba pour 250 000 $. Il n'en va pas de même à Toronto. On en a parlé très brièvement, mais la discussion n'a débouché sur rien. Nous venons d'où nous venons et nous touchons ce que nous touchons.

Je ne crois pas qu'il soit possible d'ajuster les salaires à ce point; pourvu que la norme nationale soit raisonnable et que les gens puissent s'acquitter de leurs obligations, c'est suffisant. Je comprends que nous touchons tous le même salaire, et qu'il est raisonnable.

Est-ce que je m'opposerais à ce que les dépenses des députés ou des sénateurs soient échelonnées différemment? Dans une certaine mesure, les dépenses de voyage des députés de régions rurales le sont. Ces députés reçoivent plus d'argent pour leurs déplacements et, pourtant, ils touchent la même indemnité que les autres pour leur loyer. Je ne comprends pas pourquoi, mais c'est ainsi.

Je ne crois pas qu'on transgresse un principe constitutionnel pour les salaires des juges.

Comment avons-nous justifié la question? La réponse de notre gouvernement sur la hausse de 7,25 p. 100 est détaillée. Nous estimons que la commission, dans les raisons énoncées, n'a pas établi un juste équilibre entre les propositions sur la rémunération des juges et l'ensemble de la situation économique et financière du gouvernement fédéral.

Les deux ou trois années qui se sont écoulées sont un avantage pour nous sur le précédent gouvernement et la commission. Nous pouvons en profiter compte tenu de la décision rendue dans l'affaire Bodner c. Alberta.

Nous estimons qu'on a exagéré la nécessité de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature, que ce soit à Toronto ou dans les régions rurales du nord-ouest de l'Ontario. Ce ne semble pas être un problème d'attirer des candidats très qualifiés.

Je trouve qu'il n'y a pas assez de femmes candidates à la magistrature. C'est ce que je constate en examinant les listes. Ce n'est pas parce que les comités consultatifs de la magistrature fédérale rejettent malencontreusement les femmes candidates, mais parce qu'il y a moins de femmes que d'hommes qui se présentent. C'est peut-être pour des raisons économiques et sociales, je ne le sais pas.

Les avocats qualifiés, mis à part les candidats féminins ou ceux issus de groupes minoritaires, se présentent en plus grand nombre que nécessaire.

Je ne crois pas qu'il y aurait plus de femmes et de membres appartenant à des minorités qui se présenteraient si la hausse passait de 7,25 à 10,8 p. 100. Ce n'est pas une question de salaire.

Je ne vois pas une Torontoise expliquer qu'elle ne se porterait pas candidate à un poste de juge parce que l'augmentation est de 7,25 p. 100, pas plus que je ne verrais un homme le faire pour la même raison.

Le sénateur Eggleton : Que pensez-vous de l'analyse en trois étapes?

M. Toews : Si je trouve que nous avons-bien justifié nos décisions? Oui. On insiste trop sur le fait de recruter les meilleurs candidats pour la magistrature et pas assez sur la situation économique.

Les motifs que nous avons évoqués ont-il un fondement factuel raisonnable? Oui. Notre réponse le prouve.

Dans l'ensemble, nous sommes-nous écartés de ce qui a été recommandé de façon déraisonnable? Je ne le crois pas.

Je crois qu'il est raisonnable de ne pas s'entendre sur certains points, comme ce fut le cas pour l'ancien gouvernement et le nôtre à propos des augmentations de 10,8 p. 100 et de 7,25 p. 100. Le taux est-il vraiment de 7,86 ou de 8,32 p. 100? Je n'en sais rien. Le gouvernement a droit à une certaine latitude. Si le Parlement préfère accorder une hausse de 9,36 plutôt que de 7,25, c'est sont droit.

La commission a fait son travail. Si le Parlement formule une réponse rationnelle, c'est son droit.

[Français]

Le sénateur Fox : Je vais faire attention à ce que je dis car j'ai beaucoup d'amis juges qui lisent les transcriptions des comités. Le système fonctionne ainsi; le comité fait des recommandations au gouvernement et, à son tour, le gouvernement fait des recommandations au Parlement. Ce processus est tout à fait normal et j'accepte d'emblée le fait qu'une augmentation d'environ 11 p. 100 n'affecterait pas le cadre fiscal du gouvernement.

Il faut tenir compte des comparaisons avec les autres secteurs. Je suis assez âgé pour me souvenir de l'augmentation de 18 p. 100 accordée aux débardeurs qui avait provoqué une flambée inflationniste au pays. À mon avis, je crois que le gouvernement doit considérer tous ces facteurs, y compris la comparaison avec les autres secteurs.

Ma question est précise parce que le témoin précédent a laissé sous-entendre que le fait que le gouvernement dépose à son tour des recommandations n'était pas conforme à la procédure. On sait que le gouvernement doit déposer le rapport dans les dix jours et qu'il doit présenter ses recommandations dans un délai de six mois. À mon avis, le gouvernement précédent a compris ces étapes, mais je ne suis pas d'accord avec ce qu'a dit le dernier témoin et j'aimerais entendre votre position à ce sujet.

[Traduction]

M. Toews : Que les recommandations viennent de notre gouvernement ou de l'ancien gouvernement, c'est la responsabilité du Parlement et non du gouvernement.

Vous pourriez examiner notre recommandation. J'ai beaucoup réfléchi à la question. Est-ce que notre gouvernement n'a plus compétence sur la question parce qu'un autre gouvernement a déjà rendu une décision? Je préfère ne pas rentrer dans ces considérations juridiques.

Nous avons présenté un projet de loi et expliqué nos motivations. Cette recommandation n'a pas d'impact légal; c'est la décision du Parlement.

Le rapport montre la bonne foi du gouvernement. Agissons-nous de bonne foi au sujet de la rémunération des juges? C'est la meilleure utilisation que l'on peut faire de ces rapports.

Si le comité affirme qu'un gouvernement n'a plus compétence sur la question et n'a plus de rôle à jouer, nous reviendrons à l'augmentation de 10,8 p. 100.

Le sénateur Fox : Le Sénat pourrait le faire.

M. Toews : Le Sénat peut recommander d'y revenir, tout comme le Parlement. C'est une des raisons pour lesquelles le projet de loi a été renvoyé à un comité après la première lecture. Nous ne voulions pas attendre qu'il ait franchi l'étape de la deuxième lecture pour en établir les paramètres. Nous voulions le renvoyer après la première lecture pour que le comité ait plus de latitude pour se prononcer.

C'était un choix bien délibéré de notre part que ce soit le Parlement et non le gouvernement qui prenne la décision en bout de ligne.

[Français]

Le sénateur Fox : J'ai une dernière question, d'ordre technique. Dans votre projet de loi, vous avez également inclus des modifications à toute une série de lois dont, par exemple, la Loi sur la sécurité ferroviaire. C'est assez surprenant de voir, dans une loi censée traiter de la compensation des juges, des amendements à la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, la Loi sur l'assurance-emploi, la Loi sur les cours fédérales, et cetera.

Ma question est donc la suivante : pourquoi ne pas avoir présenté tout simplement, de façon très claire et très précise, une loi qui affecte uniquement le salaire des juges et avoir proposé les autres amendements, si cela existe encore, dans une Miscellaneous Law Amendment Act?

[Traduction]

M. Toews : On y a pensé. On me dit que ces modifications ne pouvaient pas faire partie d'une loi corrective parce qu'il s'agissait d'amendements de fond. C'était le contexte.

Le sénateur Fox : Ces modifications n'ont absolument rien à voir avec la rémunération des juges, n'est-ce pas?

Mme Bellis : Étant donné qu'il est délicat de modifier la Loi sur les juges et d'autres lois liées aux tribunaux, c'est habituellement seulement une fois tous les quatre ans qu'une série de modifications de cette nature peut être présentée au Parlement. C'était l'occasion de faire mettre en œuvre ces modifications de forme. C'est d'ailleurs quelque chose qui s'est déjà fait par le passé. Il s'agit essentiellement de modifications de forme, mais les rédacteurs législatifs nous avaient conseillé de ne pas les inclure dans une loi corrective.

M. Toews : Ce n'est pas une pratique qui a été établie par notre gouvernement puisqu'elle existait déjà.

Le sénateur Fox : Il y a des choses qu'on peut changer.

M. Toews : Oui.

Le sénateur Jaffer : Je comprends, comme vous l'avez dit, que le projet de loi a été renvoyé à un comité après l'étape de la première lecture, mais les membres du comité auraient essayé de faire changer la hausse, ce qui a été jugé irrecevable, est-ce exact?

M. Toews : Une recommandation royale était nécessaire, mais il aurait fallu recommander le changement au Parlement, même si ce n'était pas de façon officielle. Nous aurions accueilli cette recommandation, mais les partis ne sont pas parvenus à s'entendre sur la modification qu'ils voulaient faire.

Le sénateur Jaffer : Le comité ne pouvait pas faire de changement parce qu'il fallait une recommandation royale; donc, même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu faire de modification?

M. Toews : Nous les avons invités, si je comprends bien, à faire une recommandation au Parlement à ce sujet. Aucune recommandation n'a été reçue. Les membres du comité ne pouvaient tout simplement pas s'entendre pour une raison ou une autre. Je ne me rappelle pas de tous les détails. Mon parti n'était pas directement concerné de sorte que je n'ai pas vraiment porté attention à la question.

Le président : Merci, monsieur le ministre. Voilà ce qui met fin à cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales sur le projet de loi C-17. Nous vous remercions d'être venu nous rencontrer pour préciser certaines questions.

Avez-vous d'autres questions à poser à Mme Bellis? Nous avons prévu passer à l'étude article par article du projet de loi.

Le sénateur Cowan : Le ministre a dit qu'il s'agissait de modifications de fond qui ne pouvaient pas faire partie de la loi corrective dont le sénateur Fox a parlé. Vous avez qualifié ces modifications de modifications de forme.

Mme Bellis : Le Service de rédaction législative a pour politique de limiter considérablement le recours aux lois correctives. Il nous a recommandé de choisir une mesure qui suivrait toute la filière législative pour tout ce qui, d'après lui, pourrait soulever des questions de la part des parlementaires, même les modifications de forme qui pouvaient toucher les orientations politiques.

Le sénateur Cowan : Sans vouloir examiner cela aujourd'hui, il est question de la Loi sur l'assurance-emploi. Je ne sais pas ce que dit actuellement l'article 105 de la cette loi, mais il traite des appels et des droits d'appel. Le projet de loi indique que cet article est remplacé par ce qui suit :

La décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt en vertu de l'article 103 est définitive. Elle est cependant susceptible d'appel en vertu de la Loi sur les Cours fédérales.

Mme Bellis : Sénateur, pourriez-vous me préciser le numéro de l'article en question?

Le sénateur Cowan : Oui. Il s'agit de l'article 19 du projet de loi, à la page 23.

Mme Bellis : Je pourrais vous l'expliquer et vous donner une petite idée de ce qu'il signifie. Je peux vous dire que toutes les autres modifications de forme sont semblables, mais prenons celle-ci comme exemple.

Le sénateur Cowan : Change-t-il les droits d'appel?

Mme Bellis : Oui, effectivement.

Le sénateur Cowan : Manifestement, il est trop tard dans la journée pour commencer à débattre de ce point. J'ignore si je souhaite avoir une réponse à ma question. Dans l'autre endroit, quelqu'un a-t-il posé des questions à ce sujet?

Mme Bellis : Non.

Le sénateur Cowan : C'est bien ce que je craignais.

Mme Bellis : Vous avez choisi un bon exemple, sénateur. C'est une modification de forme qui apporte essentiellement des précisions à la loi, soit que la Cour canadienne de l'impôt est une cour supérieure. Je vous renvoie au projet de loi C-30 sur le Service administratif des tribunaux judiciaires.

Les décisions rendues par la Cour canadienne de l'impôt pouvaient auparavant faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Désormais, la Cour canadienne de l'impôt est une cour supérieure. Au Canada, les décisions des cours supérieures ne sont pas typiquement ou traditionnellement soumises au contrôle judiciaire d'une autre cour, même d'une cour d'appel, de sorte que cette disposition visait essentiellement à changer le concept de contrôle judiciaire en un appel de manière à tenir compte du changement survenu à la Cour canadienne de l'impôt.

Bien qu'il s'agisse d'une modification de forme, quelqu'un pourrait demander à savoir si nous sommes en train de changer la nature de ce que doit établir une personne en termes de procédure. Il ne s'agit pas d'un contrôle judiciaire, mais bien désormais d'un appel. On pourrait se demander si l'on est en réalité en train de changer la procédure. La question est valable; elle pourrait intéresser des parlementaires. Or, voici la réponse : non. Nous avons simplement modifié les termes employés, et il s'agit essentiellement d'un droit d'appel qui confère les mêmes recours que la demande de révision judiciaire.

Le sénateur Cowan : Le danger, naturellement, c'est que lorsqu'on fait de pareils ajouts, toute l'attention est absorbée par la rémunération. Je ne serais pas du tout étonné si, avant longtemps, on découvrait qu'il y a ici une autre conséquence imprévue au sujet de laquelle personne ne s'est interrogé.

Mme Bellis : Il ne fait pas de doute que les projets de loi sur les juges et d'autres lois liées aux tribunaux comportent toute une série de modifications de forme. Étant donné la nature du recours judiciaire et de son effet d'entraînement, les rédacteurs de lois et les conseillers en matière de politiques s'efforcent d'agir avec beaucoup de prudence.

Le sénateur Cowan : Le seul rapport ici, c'est que le projet de loi concerne les tribunaux.

Mme Bellis : C'est juste.

Le sénateur Cowan : Cela n'a rien à voir avec la rémunération des juges. Ce ne sont pas des modifications consécutives au rajustement des salaires et des avantages sociaux des juges.

Le sénateur Rompkey : On le fait clandestinement.

Le sénateur Cowan : Voilà le terme juste. Fiez-vous à un Terre-Neuvien pour trouver le terme juste. Ce n'est pas une expression qui nous est familière en Nouvelle-Écosse.

Le président : Sénateur Cowan, je vous remercie. Vous avez fait valoir un bon point.

Madame Bellis, je vous remercie beaucoup d'avoir accepté de venir témoigner.

Le sénateur Fox : Je suis tout à fait opposé à cette pratique. J'estime qu'il s'agit d'une façon clandestine d'agir, comme on l'a dit, et que c'est un moyen pour le ministère de la Justice d'obtenir plusieurs modifications qu'il souhaite faire adopter. En réalité, c'est tout ce dont il est question, de bureaucrates qui prennent les moyens pour arriver à leurs fins. La modification devrait se trouver dans la Loi corrective. Elle ne devrait pas être incluse dans ce genre de projet de loi. Je tiens à le déclarer officiellement.

Comme l'a indiqué le sénateur Cowan, nul à la Chambre des communes n'a posé de questions au sujet d'une de ces modifications, dont aucune n'est corrélative. Elles ne devraient pas s'y trouver, et nous ne devrions pas encourager le ministère de la Justice à poursuivre cette pratique.

Le président : Nous nous entendons tous sur ce point, et des sénateurs prendront incontestablement la parole lors du débat en troisième lecture à la Chambre. Comme l'a dit M. Cherniak tout à l'heure, le processus a été interrompu par des élections. Entre temps, les juges, qui font du bon travail, se demandent à bon droit ce qui est arrivé à une recommandation vieille déjà de trois ans.

Étant donné le contexte, chers collègues, êtes-vous prêts à entamer maintenant l'étude article par article?

Des voix : D'accord.

Le président : Nous allons donc entamer l'étude article par article du projet de loi C-17 modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois liées aux tribunaux.

Chers collègues, le projet de loi est divisé en deux parties, soit la partie I et la Partie II, auxquelles s'ajoutent les dispositions relatives à l'entrée en vigueur, soit les articles 35 et 36. Je propose que nous procédions par partie. Cela vous convient-il?

Des voix : D'accord.

Le président : L'étude du titre est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Le président : La Partie I, soit les articles 1 à 16, du projet de loi est-elle adoptée?

Des voix : D'accord.

Le président : Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la Partie II, soit les articles 17 à 34 inclusivement?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles d'entrée en vigueur, soit les articles 35 et 36, sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter le projet de loi sans amendement?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Ringuette : Le sénateur Fox a fait une excellente observation au sujet de ce qui est inclus dans le projet de loi à l'étude. On ne devrait pas laisser le soin de soulever cette question aux sénateurs à l'étape de la troisième lecture au Sénat. Cela devrait figurer en annexe du rapport, parce que tous ici conviennent qu'il faut mettre fin à cette pratique.

Le président : Tous sont-ils d'accord pour agir ainsi?

Des voix : Oui.

Le président : Nous souscrivions tous à ces propos. Accepteriez-vous de laisser la présidence et la vice-présidence se charger de rédiger l'observation?

Des voix : D'accord.

Le président : Il est donc convenu que le sénateur Nolin et moi-même rédigerons l'observation qui convient.

Le sénateur Nolin : Au cours des 10 dernières années, le fait de regrouper dans une loi corrective toutes les modifications s'est avéré un exercice difficile. N'oubliez pas que ce fut la cause de cruauté à l'égard des animaux. Je crois que nous nous entendons tous sur le principe de ce qu'a dit le sénateur Fox.

Le sénateur Di Nino : Je ne trouve absolument rien à redire à tout cela, et je crois que le Sénat devrait envisager le recours à des projets de loi omnibus pour faire de pareilles modifications.

Le président : Il y a du bon dans ce que vous dites. La pratique n'est pas nouvelle; nous nous en sommes plaints de nombreuses fois. Voilà que l'occasion se présente à nouveau.

J'estime que tous ceux d'entre nous qui ont l'occasion de prendre la parole à ce sujet devraient en parler, dire que nous déplorons le maintien de cette pratique, d'où notre observation.

Plaît-il aux honorables sénateurs de m'autoriser à faire rapport du projet de loi au Sénat sans amendement, mais accompagné d'observations?

Des voix : D'accord.

Le président : Ai-je votre permission pour faire rapport du projet de loi dès que le sénateur Nolin et moi-même nous serons entendus sur le texte de l'observation?

Des voix : D'accord.

Le président : Chers collègues, je vous remercie énormément. Voilà qui met fin à notre réunion.

La séance est levée.


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