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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 9 - Témoignages du 30 janvier 2007


OTTAWA, le mardi 30 janvier 2007

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, pour examiner le projet de loi S-217, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur la Banque du Canada (rapports financiers trimestriels), qui lui a été renvoyé.

Le sénateur Nancy Ruth (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales et je profite de l'occasion pour souhaiter à tous une bonne et heureuse année. Bienvenue aux sénateurs et aux membres du public qui sont ici aujourd'hui ou qui nous regardent ailleurs au pays par le truchement de la télévision.

Nous allons commencer notre étude du projet de loi S-217, qui propose de modifier la Loi sur la gestion des finances publiques afin d'exiger que les éléments de l'administration publique fédérale qui y sont cités présentent un rapport financier trimestriel au Parlement. Cette mesure s'appliquerait également aux sociétés d'État.

Aujourd'hui, nous allons entendre le parrain du projet de loi, le sénateur Hugh Segal, de Kingston en Ontario. Des représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor viendront témoigner à une prochaine séance. Une fois les témoins entendus, nous examinerons le projet de loi article par article pour déterminer si nous souhaitons proposer des amendements au Sénat.

Sénateur Segal, merci de votre présence. Nous sommes heureux que vous soyez venu nous expliquer le projet de loi, et je suis certaine que les sénateurs auront des questions à vous poser à son sujet.

L'honorable Hugh Segal, parrain du projet de loi : Je remercie le comité de prendre le temps, malgré toutes ses obligations, d'examiner le projet de loi S-217. Je présente ce projet de loi pour corriger une erreur commise, selon moi, à l'endroit des contribuables canadiens parce que leur représentant, le Parlement, est incapable d'avoir des documents comptables précis en temps réel sur la façon dont leur argent est dépensé. Selon la méthode comptable actuelle de production réputée de rapports sur le budget, qui permet d'examiner les documents comptables des ministères et sociétés d'État seulement rétroactivement, la gestion des affaires publiques par le Parlement ne se fait plus en temps réel. Seuls les rapports financiers pour l'ensemble du gouvernement sont trimestriels; les rapports des ministères, qui sont annuels et toujours rétroactifs, font ressortir les lacunes des ministères longtemps après qu'il soit possible d'y apporter des mesures correctives.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a consacré des centaines d'heures à l'étude du projet de loi C-2 sur la responsabilité, ce qui est tout à son honneur. Cependant, les dispositions de ce projet de loi s'appliquent surtout de façon rétroactive et servent beaucoup à dénoncer et à punir les coupables. Une solide gestion de l'argent des contribuables devrait être plus constructive.

Il y a plus de 30 ans, le Parlement a renoncé à ses contrôles préalables des dépenses gouvernementales quand on a commencé à considérer les rapports comme ayant été présentés d'office lors de l'étude du budget par le comité. Si le budget des dépenses n'était pas approuvé avant le 30 novembre par le comité chargé précisément de l'examiner, il était réputé avoir été présenté à la Chambre quand la majorité du gouvernement était réelle ou fonctionnelle.

Paradoxalement, quand le Parlement a renoncé à ses contrôles préalables, le vérificateur général et ses homologues des provinces ont eu pour mandat de vérifier l'optimisation des ressources. Au cours de la même année, le Parlement a cessé de contrôler au préalable les dépenses de l'État et les vérificateurs généraux du Canada ont été chargés d'examiner les dépenses antérieures, non seulement pour vérifier si les dépenses étaient conformes aux crédits parlementaires et donc aux règles d'intégrité, ce qu'ils faisaient avant, mais aussi pour vérifier, ce qui est plus difficile, l'optimisation des ressources.

Le dépôt et l'évaluation de rapports de manière rétroactive ne peuvent se faire que dans un cadre subjectif. Cette méthode fonctionne bien si le seul objectif est de chercher les erreurs et de jeter le blâme sur les responsables, mais cela ne permet absolument pas au Parlement d'apporter des mesures correctives au moment où se font les choses. Le vérificateur général formule systématiquement et avec compétence des recommandations à long terme pour améliorer les méthodes de gestion futures, mais le Parlement n'est pas capable de s'attaquer aux problèmes qui s'annoncent en temps réel.

Le projet de loi S-217 propose que les ministères présentent en temps réel des rapports périodiques au Parlement. La Magna Carta confère au Parlement le droit de contrôler les dépenses et les impôts de l'État. Je pense que ce droit doit être recouvré. Des rapports trimestriels feraient augmenter le niveau de confiance dans la gestion des deniers publics et inciteraient à dépenser l'argent des contribuables plus sagement et plus efficacement. Le projet de loi se traduirait par des progrès sur bien des fronts. Par-dessus tout, cette mesure fournirait au Parlement des informations financières en temps réel qui lui permettraient de s'acquitter de la fonction conférée par la Magna Carta, à savoir contrôler les dépenses de la Couronne avant qu'elles ne soient engagées.

La formule actuelle des rapports rétroactifs ne permet pas au Bureau parlementaire du budget de remettre en question les dépenses avant qu'elles ne soient engagées. Au Canada, les sociétés cotées en bourse sont tenues de fournir des rapports trimestriels, ce qui permet aux actionnaires de surveiller les dépenses et les problèmes de recettes qui s'annoncent avant que les coffres ne soient vides ou que les comptes ne soient plus en équilibre.

Imaginez un instant si le Parlement avait pu savoir que les dépenses trimestrielles avaient gonflé durant le scandale des commandites ou que d'importantes dépenses publiques, comme celles de la Marine canadienne, étaient vérifiables à la fin du deuxième trimestre de 2006-2007. Imaginez si les déficits ou les excédents des ministères pouvaient l'orienter sur les choix à faire à la fin de l'année avant qu'il apprenne, comme nous, sans avertissement, que des milliards de dollars ont été utilisés pour le remboursement de la dette.

J'approuve l'attitude prudente du gouvernement qui veut réduire la dette nationale, mais je crois fermement que le Parlement devrait pouvoir examiner toutes les possibilités et être celui qui, en fin de compte, décide de réduire les impôts, d'augmenter l'assurance-emploi ou l'aide pour les frais de garde d'enfants ou encore d'accroître le budget de la Marine. Mon point de vue est clair. L'argent n'appartient pas à la Marine ni au sous-ministre des Finances, au gouvernement ou au greffier du Conseil privé. L'argent appartient plutôt aux contribuables et le Parlement doit protéger les droits des contribuables entre deux élections. Le Parlement ne devrait-il pas avoir la priorité dans le processus de décision ou, à tout le moins, ne devrait-il pas avoir la possibilité d'exprimer son opinion?

Le document fondamental signé à Runnymede ne donnait pas au Parlement seulement le droit de dire « un instant » après que d'autres eurent décidé de la façon dont les fonds publics allaient être dépensés. Des rapports trimestriels établis selon la méthode de la comptabilité d'exercice permettraient au Canada et aux Canadiens de redonner à leur Parlement le droit d'exprimer son point de vue sur les priorités en matière de dépenses. De plus, les fonctionnaires seraient libres de dire toute la vérité et ne seraient pas forcés de tripoter les chiffres, comme ils l'ont probablement fait dans le cas du registre des armes à feu simplement parce que leurs maîtres politiques du moment préféraient ne pas discuter franchement. Les fonctionnaires seraient protégés dans l'intérêt national par des rapports trimestriels exigés par la loi.

Je ne m'imagine pas que le projet de loi S-217 va régler tous les problèmes liés au fait qu'on considère que les budgets des dépenses ont été présentés d'office à la Chambre s'ils ne sont pas approuvés par le comité, mais c'est un début. Le projet de loi S-217 présenterait un message et une occasion historiques à l'autre endroit. Les rapports financiers rétroactifs du projet de loi C-2 sont probablement utiles dans l'ensemble. Cependant, les rapports trimestriels — accessibles à tous — offriraient un éclairage en temps opportun qui accorderait un pouvoir à tous ceux qui se préoccupent de la façon dont l'argent des contribuables est dépensé. Le projet de loi S-217 permettrait au Parlement de réaffirmer qu'il ne veut renoncer à aucun des droits conférés par la Magna Carta. Je suis convaincu que nous perdrons d'autres droits de cette nature si nous cédons ceux sur la fiscalité, les dépenses et les approbations. Nous en avons déjà perdu quand les lois de lutte contre le terrorisme ont été adoptées il y a quelques années. Tous les droits parlementaires que nous défendons et renouvelons en confirment d'autres; tous ceux que nous abandonnons en affaiblissent d'autres.

Sénateurs, je vous demande de considérer favorablement ce projet de loi. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité et je fonde beaucoup d'espoir sur votre examen.

Le sénateur Stratton : Pour avoir une idée concrète des enjeux du projet de loi, je vais remonter un peu dans le temps.

Pour ce qui est du contrôle des armes à feu, par exemple, un haut fonctionnaire du Conseil du Trésor s'est présenté devant notre comité tous les ans pour faire rapport des dépenses. C'est plus tard qu'on a découvert que les coûts réels n'avaient pas été communiqués, autrement dit, que les montants divulgués avaient été modifiés ici et là. Cela a été décevant pour nous. Chaque année, notre comité exprime ses inquiétudes sur la hausse des dépenses et jamais rien n'est fait. En quoi le projet de loi peut-il être utile pour éviter que des situations de ce genre ne se reproduisent?

Le sénateur Segal : Il peut être utile de deux façons. D'abord, comme je présume toujours de la bonne foi des fonctionnaires qui comparaissent devant les comités, je pense qu'on s'attendait à ce que les provinces soient responsables de l'application de cette loi, comme c'est souvent arrivé dans le cas de certaines obligations constitutionnelles. Toutes les provinces, sauf le Québec, ont décidé de ne pas s'occuper de son application, ce qui a forcé le gouvernement du moment à établir un imposant système informatique d'enregistrement, malgré son peu d'expérience dans ce domaine. Les inscriptions massives de cette nature sont du ressort des provinces selon notre Constitution. Les dépassements de coûts ont été énormes. Je pense que la pression politique a été vive, de la part non seulement du gouvernement au pouvoir mais aussi de ceux qui croyaient vraiment en l'utilité d'un nouveau registre.

En présumant que les fonctionnaires ont comparu de bonne foi, ce qui est le cas je crois, je crains qu'ils aient été encouragés à ne pas gonfler les coûts et à ne pas provoquer inutilement la controverse pendant la mise en place du système. Ils auraient cherché tous les moyens honnêtes et raisonnables de ne pas surévaluer les coûts.

Cependant, s'ils avaient dû suivre la comptabilité d'exercice, ils auraient signalé aux ministres ou aux sous-ministres qu'ils ne pouvaient pas reporter les chiffres d'un trimestre à l'autre. Ils ne pouvaient pas prévoir l'amortissement des coûts sur 25 ans parce que les règles de la comptabilité d'exercice les obligent à déclarer les données et les coûts tels qu'ils existent à la fin du trimestre. Les parlementaires ont le droit de savoir quels sont les coûts, et les fonctionnaires auraient été forcés de les déclarer tous les trimestres.

Le comité et d'autres auraient vu l'ampleur des difficultés non pas après un an ni deux ans, mais après le premier ou les deux premiers trimestres; on aurait ainsi pu remettre sérieusement en question la situation et chercher à comprendre pourquoi les coûts avaient augmenté, pas à cause du gouvernement au pouvoir mais parce que les provinces avaient décidé de ne pas appliquer la loi. On aurait pu discuter de façon mieux informée au lieu de s'accuser les uns les autres sans tenir compte des chiffres réels. Dans ce contexte, le comité aurait eu une meilleure idée du problème et aurait pu formuler les recommandations de principe jugées nécessaires à un moment encore opportun avant que tout l'argent soit dépensé, ce que le système actuellement en vigueur, d'après moi, ne permet pas.

Le sénateur Stratton : Je suis curieux. Pour reprendre l'exemple du registre des armes à feu, notre comité recevrait des rapports trimestriels sur les dépenses.

Le sénateur Segal : Pour le présent exercice, les comités de vérification, établis dans beaucoup de ministères, se réuniraient maintenant pour examiner les coûts réels à la fin du 31 décembre et détermineraient comment en faire rapport efficacement dans les prochaines semaines, probablement à tous les parlementaires et au Bureau parlementaire du budget prévu dans le projet de loi C-2. Idéalement, on pourrait ainsi faire une analyse de ce qui se passe, qui ne serait pas fondée sur le gros rapport du vérificateur général ou les livres bleus, mais sur les secteurs d'activité précis de l'administration publique. Le comité pourrait décider d'examiner les questions qu'il juge appropriées. Il y a certains rapports qu'il n'y aurait pas lieu de discuter, tandis que d'autres pourraient susciter de l'intérêt. Cependant, les fonctionnaires pourraient indiquer que certains chiffres sont plus élevés que les crédits parlementaires affectés parce qu'il y a eu trop d'inscriptions, ou encore qu'ils sont inférieurs à ce qui était prévu parce qu'un programme a été moins populaire qu'on l'aurait pensé. Dans un sens ou dans l'autre, votre comité et d'autres sénateurs pourraient évaluer, poser des questions et peut-être formuler des suggestions constructives pour le reste des dépenses de l'année.

Le sénateur Stratton : Si on met en place un programme comme celui sur le contrôle des armes à feu et que les coûts ne cessent d'augmenter, disons qu'on sait maintenant ce qui se passe tous les trimestres. Le système existe, prend forme. Vous êtes au courant de la situation, mais après? Comment le comité procède-t-il pour que le ministre et le ministère lui demandent, à lui ou au Parlement, ce qu'il peut faire d'autre que de sonner l'alarme pour signaler que la situation est hors de contrôle?

Le sénateur Segal : La différence, c'est que les sénateurs ou les parlementaires peuvent interroger le ministre responsable sur les dépenses à venir pas seulement 18 à 20 mois après que l'argent a été dépensé. Vous pouvez poser des questions ce printemps sur ce qui s'est passé à la fin de décembre.

Beaucoup de rapports trimestriels de sociétés canadiennes cotées en bourse font état d'augmentations ou de pertes de revenus. Les entreprises vont expliquer que c'est une question de temps parce que les ventes inscrites au cours d'un mois apparaissent le trimestre suivant. Tout le monde s'habitue à ce genre de situation. Nous nous y habituerons nous aussi pour ce qui est des dépenses gouvernementales, mais nous n'avons même pas, pour l'instant, la possibilité de poser ces questions parce que ces renseignements ne nous sont pas fournis, pas plus qu'ils ne le sont aux contribuables ou aux médias, sauf beaucoup plus tard, une fois que l'argent est dépensé. C'est alors qu'il appartiendra aux sénateurs, dans leur sagesse, et aux députés de décider s'ils veulent poser des questions sur les rapports trimestriels, tout comme il appartiendra aux ministres de décider s'ils veulent tenir compte des rapports trimestriels d'autres administrations publiques auxquels ils ont accès à l'extérieur du cadre de référence du Conseil du Trésor. Ce projet de loi leur permettrait implicitement de décider ce qu'ils veulent faire.

Le sénateur Stratton : Dans le secteur privé, si les rapports paraissent assez régulièrement, quatre fois, deux fois ou une fois par année, le PDG est sanctionné ou récompensé en fonction du marché. Il s'agit que le rapport, l'année ou le trimestre soit décevant, que le marché baisse pour que le PDG en paie le prix et perde son poste.

Quel est le prix à payer pour le ministre ou les fonctionnaires qui ne donnent pas de bons résultats? C'est ce qu'il faut déterminer ici. Le système que vous proposez, qui est excellent, à mon avis, doit faire autre chose que simplement nous sensibiliser au problème ou nous permettre d'indiquer à la population ce qui se passe. Quelle est la pénalité?

Le sénateur Segal : Le projet de loi va permettre au Sénat et à d'autres de comparer les dépenses effectuées au cours d'un trimestre à ce qui a été prévu dans le Budget des dépenses.

Par exemple, personne d'entre nous ne serait surpris si le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international avait enregistré une augmentation importante de ses dépenses au cours du trimestre pendant lequel des Canadiens ont été rapatriés d'urgence du Liban. Il s'agirait de dépenses imprévues exerçant peu de pression sur les coûts.

Dans les discussions, évaluations et analyses de gestion qui sont proposées dans le projet de loi, le sous-ministre ou le chef des services comptables du ministère indiquerait pourquoi il y a eu une augmentation des dépenses. Il expliquerait si elle est structurelle et si elle devrait se poursuivre ou non jusqu'à la fin de l'année, et comment il en serait tenu compte. Ces explications nous permettraient de vérifier l'utilité des prévisions budgétaires.

Quand il y a de grandes différences entre ce qui a été prévu et ce qui s'est effectivement passé, les décisions seront prises en fonction des raisons qui justifient ces différences. Si elles sont attribuables à une situation imprévue à laquelle le gouvernement a dû répondre, c'est une chose. Si elles sont attribuables à une mauvaise gestion systématique, je pense qu'il est du ressort du Parlement de proposer au Conseil du Trésor et à d'autres d'envisager de récompenser les gestionnaires ou autre chose.

Le sénateur Mitchell : Je pense que nous sommes tous d'accord avec le principe qui veut que si on ne peut mesurer, on ne peut gérer. Des rapports plus rapprochés et en temps importun focaliseront la gestion.

Une chose qui m'inquiète, c'est que la fonction publique risque la paralysie maintenant, tellement il y a de vérifications de vérificateurs par des vérificateurs. Avec la Loi fédérale sur la responsabilité, il y a eu création de sept commissions, comités ou postes supplémentaires devant contribuer à ce processus de responsabilisation. Est-ce que vous avez réfléchi au fait que ceci pourrait contribuer encore à cette paralysie, à la paperasserie, à détourner l'attention de la tâche à accomplir?

Le sénateur Segal : Les nouveaux hauts fonctionnaires du Parlement dont les postes ont été créés par le projet de loi C-2 ont tous, surtout, une mission rétroactive : évaluer ce qui est arrivé après le fait. Je dirais que ce qui a semé le germe d'un intérêt pour le projet de loi C-2, mis à part tout débat partisan qu'il pourrait susciter, est une préoccupation sur le fait qu'il n'y a pas de contrôle en cours d'exercice, ou de sensibilisation à ce qui se passe. Ainsi, on fait le plein après le fait de renseignements — sur ce que j'appellerais la « troupe parlementaire ».

Bien que le but visé soit constructif et généralement utile — je suis sûr que ces hauts fonctionnaires seront diligents et équitables — il me vient à l'esprit tous les westerns où une troupe à cheval quitte la ville. Quand elle revient, s'il n'y a pas un mort sur un cheval, on n'a pas l'impression qu'ils ont fait leur travail, ce qui peut être ou ne pas être vrai.

Ce que j'espère avec cette proposition, c'est ouvrir la discussion et le débat public sur les enjeux financiers tandis qu'ils surviennent, pour qu'il n'y ait pas de surprise 18 mois plus tard quand la vérificatrice générale a l'occasion de vérifier ce ministère particulier. La question a déjà fait l'objet d'une discussion, qui est dans les registres publics. Je considère que c'est une mesure de protection des fonctionnaires, parce que la divulgation trimestrielle les libère de toute crainte qu'une vérification subséquente fera ressortir quelque chose qui n'a pas déjà été divulgué. C'est une partie de la mission du vérificateur général, d'amener les situations préoccupantes sous les projecteurs publics, selon son jugement. C'est une première chose.

La deuxième, c'est qu'il y aura une période d'ajustement pour la mise en vigueur de cette mesure, si le comité et le Sénat décidaient de le transmettre à l'autre Chambre pour examen.

Par courtoisie, j'ai rencontré la vérificatrice générale du Canada et le contrôleur général du Canada pour sonder leur avis sur la question, et ils choisiront de l'émettre quand ils le jugeront pertinent. Je crois en une période de transition légitime, avec les ministères du premier palier pour commencer parce qu'ils sont mieux en mesure de le faire, avec les sociétés d'État, dont bon nombre présentent déjà leur rapport selon ce format et n'auront pas à faire de grands changements. Bien des sociétés d'État ont décidé, tout à leur honneur, que nous devrions avoir des bilans qui soient faciles à comprendre sur Bay Street et dans la communauté financière au cas où Sa Majesté décide qu'elle veut réorganiser l'une de ces sociétés. Par conséquent, il est sage d'avoir une structure, des normes d'imputabilité et une comptabilité d'exercice semblables au secteur privé.

Bien que cela représente des coûts, nous dépensons quelque 200 milliards de dollars et plus de l'argent des contribuables chaque année. S'il nous faut dépenser 10, 20, ou même 30 millions de dollars sur trois ans pour nous assurer de pouvoir en rendre compte de manière à informer tout le monde complètement en temps opportun, je ne pense pas que ce soit excessif. Autrement, nous ne savons pas vraiment ce qui se passe.

Le sénateur Mitchell : Pourriez-vous nous donner une idée de l'appui que vous recevez du premier ministre et de votre caucus?

Le sénateur Segal : Je me suis rendu compte que le premier ministre a des sujets de réflexion plus importants que ce projet de loi particulier. Je me suis bien entretenu avec le président de l'époque du Conseil du Trésor et avec le ministre des Finances quand le projet de loi a été présenté au Sénat. Une fois qu'il a passé la première lecture, j'ai demandé leur avis et n'ai reçu que des encouragements. Je ne peux rien dire du président du Conseil du Trésor actuel, puisque je n'ai pas encore eu l'occasion de le consulter depuis sa nomination.

Le sénateur Mitchell : Vous avez donné les exemples d'Adscam et du registre de contrôle des armes à feu. En rapport avec ces exemples, j'aimerais avoir votre avis sur la situation qui suit. Cela n'empêcherait pas un ministre, comme le ministre Fortier, d'omettre de faire un appel d'offres pour les importants contrats de la défense, ce qui pourrait entraîner des coûts supplémentaires pour quelque chose qui serait moins cher si on avait fait un appel d'offres. Cependant, on peut supposer que cela permettrait au gouvernement de s'assurer qu'une fois attribués, les contrats ne dépasseraient pas le coût prévu; c'est bien cela?

Le sénateur Segal : Si on adoptait l'élément de comptabilité d'exercice de ce processus, il faudrait que chaque ministère communique les données du développement du matériel, qui représente généralement un certain pourcentage de l'ensemble des dépenses de leur ministère. Il me semblerait hautement improbable qu'une décision prise dans le but de régler d'une façon particulière un certain enjeu se rapportant à un appel d'offres, si elle a une incidence dépassant de plus de un ou deux pour cent les coûts prévus, ne puisse être divulguée à chaque trimestre et ouverte à la discussion, comme je pense que la plupart des contribuables le voudraient.

Si je peux revenir à la mention du registre des armes à feu et d'Adscam, j'ai toujours fonctionné sur la prémisse — cela peut être la conséquence de ma participation pendant trop longtemps à des groupes de réflexion, et de ma neutralité politique pendant sept ans — que toute personne qui se trouve en position de pouvoir important, au niveau du ministre ou du sous-ministre, a agi de bonne foi; et que si bon nombre de ces chiffres n'ont pas été rendus absolument publics, c'était pour leur permettre de prendre de bonne foi des mesures correctrices aussi rapidement que possible.

Quand nous nous tournons vers l'avenir, quelle leçon pouvons-nous retenir de ces situations, en dépit du fait que les gens ont agi de bonne foi, de mauvaises choses soient arrivées? Nous avons appris que plus il y a de communication trimestrielle des renseignements dont tout le monde dispose, plus il y a de solutions pour régler quelque chose avant que la situation se détériore à tel point qu'elle donne lieu à de plus graves allégations.

Le sénateur Mitchell : Nous avons, dans notre documentation, un document signé de Tom Axworthy et Julia Burch. Il comporte un tableau qui traite de l'incidence des changements sur les modifications de la politique comptable, et il y est question de passifs environnementaux — qu'il y aurait augmentation de la dette nette et du déficit accumulé. Est-ce que vous pourriez nous en parler? Est-ce que votre proposition comprendrait la responsabilité à l'égard de l'environnement ou des impacts?

Le sénateur Segal : L'une des choses que nous avons constatées avec le temps, c'est que lorsque la profession comptable, par exemple, et les investisseurs et les marchés financiers ont commencé à se préoccuper d'un enjeu, ils ont dit que les sociétés cotées en bourse devraient rendre compte avec précision de leurs progrès relativement à cet enjeu bien avant d'arriver au point de crise. C'est ce qui est arrivé avec le passage à l'an 2000. Cette transition a été un enjeu dont toute société cotée en bourse du Canada — toute banque et tout commerce de détail — a dû traiter dans ses rapports trimestriels. Il fallait qu'ils disent ce qu'ils faisaient en prévision du passage à l'an 2000, comment ils comptaient arranger leurs systèmes pour s'assurer qu'il n'y ait pas de crise le 1er janvier 2000.

Les ministères, et c'est tout à leur honneur, ont fait un travail superbe en assurant cette transition à l'an 2000. Nous n'en parlons pas beaucoup parce que cela a été un succès, et par conséquent, le sujet ne fait pas les manchettes. Les secteurs privés, les gouvernements, les gens qui dirigent des opérations délicates, les banques et les autres — ont fait un superbe travail pour cette transition. Je suis sûr que cela a coûté beaucoup d'argent. Nous ne saurons peut-être jamais combien, mais chaque sou a été bien investi, parce que c'est ce qui a fait que le travail s'est fait comme il le fallait. Les enjeux environnementaux sont désormais largement une part de ce dont doivent traiter les rapports financiers.

Si nous regardons la fameuse affaire d'Inco, qui devait prendre une décision au sujet de ses épurateurs et de ses émissions de soufre à Sudbury, ce n'était pas seulement une question de pression du gouvernement fédéral et d'autres pour composer avec les émissions, mais aussi Wall Street qui devait comprendre ce qui arriverait à son bilan à la lumière de responsabilités environnementales qui n'avaient pas encore été définies. Ce n'est que quand ils ont pu dire qu'ils avaient obtenu l'aval de la province, qu'ils avaient un plan dont il avait été convenu et qu'ils géraient leurs responsabilités, qu'on a constaté des progrès réels.

Je pense que nous allons bientôt constater que les mêmes exigences seront faites au gouvernement. Nous devons trouver une méthode comptable gérable pour le faire ressortir, mais dans tout un éventail de domaines, qu'il s'agisse d'énergie nucléaire, de défense nationale ou des divers programmes agricoles. Il y a des impacts environnementaux, et l'idée que nous ne composerons pas avec eux en faisant le point sur la situation, pour que le Parlement ait la possibilité de les comprendre et de les remettre en question, me semble tout à fait improbable.

Le sénateur Eyton : Le projet de loi que vous parrainez propose des changements radicaux. Ce n'est pas seulement une question de comptabilité ou de consignation de chiffres. S'il est appliqué correctement, il changera fondamentalement la manière dont les gouvernements mènent leurs affaires. Ce sera beaucoup plus immédiat et actuel, et il me semble qu'il y aura beaucoup plus de responsabilité.

D'où est venu le projet de loi S-217? Je vois que vous en êtes le parrain. Il me semble que quelque chose d'aussi important que cela devrait jouir d'un bon appui et avoir été amplement analysé tel que vous l'avez présenté. Il y a très peu été question du gouvernement de l'époque et s'il était ou non complètement au courant. Est-ce que cette proposition jouit d'un vaste soutien du milieu universitaire? Est-ce que des parties de l'électorat sont informées? Est-ce que des éléments de Bay Street sont au courant de l'existence du projet de loi et y sont-ils favorables?

Le sénateur Segal : Le projet de loi a, en fait, été rédigé avec l'aide du groupe de rédaction législative au Sénat. Le libellé technique employé pour exprimer les idées, auquel j'ai travaillé avec eux, émane de cette source habituelle.

Avant de présenter le projet de loi, j'ai eu des discussions générales avec des gens de l'Association des banquiers canadiens, l'Institut canadien des comptables agréés et d'autres pour connaître leur réaction à ce qui pourrait survenir si nous instaurions un régime de rapports trimestriels. Je tiens à être franc. Aucun n'a jugé que ce fût une priorité importante en comparaison d'autres exigences auxquelles ils doivent répondre pour leurs membres, mais la plupart ont trouvé que ce serait une amélioration raisonnablement constructive par rapport au système actuel de rapports, sans préjuger des coûts de cette transition. Il est certain qu'on ne voudrait pas que cela se fasse sans la moindre restriction.

J'ai, depuis lors, communiqué avec tout un tas d'organisations pour les mettre à jour sur le projet de loi, qui avait passé la deuxième lecture, et je les ai mis au courant des points de vue du comité. Je les ai encouragés à réfléchir au projet de loi et, s'ils avaient des observations à faire, à les transmettre aux membres du comité au besoin. Je ne sais pas ce qu'ils diront.

Permettez-moi aussi de dire que s'il devait y avoir un ralliement public à l'appui des rapports trimestriels, il faudrait distribuer beaucoup de bière et de pizza pour que les gens viennent. Je considère votre observation comme étant bien intentionnée et réfléchie.

Cela étant dit, je ne doute pas que tout le monde, autour de cette table, reconnaît la valeur de cette occasion d'apporter des changements constructifs qui améliorent la gestion du Trésor de Sa Majesté comme étant un niveau d'activité valable quand on siège à la Chambre haute.

Le sénateur Eyton : Le paragraphe 65.1(1) du projet de loi C-217 stipule : « Au cours de chaque exercice, chaque élément de l'administration publique fédérale nommé aux annexes I, IV ou V [...] » et ça continue. Ce sont les éléments du gouvernement qui sont visés.

Ma question a deux volets. Quels éléments particuliers sont visés, et pourquoi eux, dans l'optique de votre programme? Deuxièmement, en choisissant ces éléments en particulier, est-ce que cela prévient l'application plus générale de l'obligation de présentation de rapports trimestriels au gouvernement dans son ensemble?

Le sénateur Segal : Si on regarde les éléments décrits, il s'agit de chaque ministère du gouvernement fédéral, de chaque grande société d'État et des organismes centraux et ministères responsables. Il s'agit en fait des unités centrales d'exploitation par le biais desquelles le gouvernement fédéral s'acquitte des obligations dictées par la Constitution.

Divers fonctionnaires m'ont expliqué que cela devrait se faire de façon graduelle. J'ai appris par des voies non officielles que la Banque du Canada n'est pas enthousiaste à l'idée de présenter des rapports trimestriels sur ses activités diverses pour toutes sortes de raisons liées à ses obligations plus générales, à la vigueur de notre monnaie et à des questions connexes. Je ne suis pas idéologue, sur aucun de ces plans. Il pourrait y avoir des modifications que le comité et d'autres pourraient recommander en cours de processus.

En fait, je cherche à ce que tout le monde qui a un pouvoir de dépense important rende compte à chaque trimestre de la manière dont ce pouvoir a été exercé. Plus précisément, je cherche à faire une comparaison entre le poste d'un ministère en rapport avec l'utilisation des fonds du Trésor, combien a vraiment été dépensé, quelle différence il y a avec les dépenses au même trimestre de l'année dernière et pourquoi, et s'il y a un écart, peut-il être expliqué? S'il ne peut l'être, que disent-ils, dans les discussions de la direction et l'analyse, sur les raisons de cet écart dans les dépenses? Je soupçonne que dans 98 p. 100 des cas, il peut y avoir une bonne raison administrative bien solide pour justifier cet écart. La discipline imposée par l'obligation de rendre compte tous les trimestres des dépenses serait largement dans l'intérêt du public.

Le sénateur Eyton : Revenons à ma question. Je présume, d'après la liste des annexes, que certains éléments du gouvernement sont exclus.

Le sénateur Segal : Je n'ai exclu aucun élément du gouvernement qui a un important pouvoir de dépenses. Certaines dépenses sont liées à des domaines comme les communications, la sécurité et les activités relatives à la sécurité généralement qui ne font pas l'objet de rapports aussi exhaustifs. Je comprends ces exemptions et je n'y vois pas de problème.

Le sénateur Eyton : Y a-t-il des moyens de fusionner ces rapports pour ne pas seulement observer des éléments du gouvernement en soi, mais plutôt en quelque sorte collectivement?

Le sénateur Segal : D'après ce que je comprends de ce qui arrive maintenant, le ministère des Finances émet un rapport trimestriel, qui décrit un grand nombre des dépenses de l'État pendant le trimestre précédent, les recettes en tant que telles, et l'écart. Cela se fait tous les trimestres, tout le temps, et depuis des années.

Ce que nous n'avons pas, par contre, c'est une communication publique ministère par ministère, donc nous n'avons pas de chiffres trimestriels pour le ministère de la Défense nationale, DRHC, Santé Canada ou aucun de ces autres ministères.

Il est certain qu'au Conseil du Trésor et au ministère des Finances, ils doivent avoir ces chiffres; autrement, ils ne pourraient produire les chiffres trimestriels avec exactitude. Ce sont de gros chiffres de toute façon, alors pourquoi ne pouvons-nous trouver un moyen de les rendre du domaine public pour qu'un comité du Parlement qui s'occupe de questions liées à la santé, ou un comité du Sénat qui traite de défense nationale, puisse examiner les chiffres trimestriels? Il se pourrait bien que ces chiffres n'aient aucune importance, ou qu'après un ou deux trimestres, on constate une tendance profondément encourageante ou troublante. Des membres du comité pourraient avoir la possibilité, alors, s'ils le souhaitent, de demander des comptes et des détails au sous-ministre. C'est ce qui serait l'avantage net du processus pour le public.

Le sénateur Eyton : Vous avez parlé de transition. Je m'interrogeais sur les détails et la manière dont cela fonctionne. Vous avez parlé d'entrée en vigueur progressive du projet de loi. Le projet de loi S-217, tel qu'il est actuellement, entre en vigueur intégralement 120 jours après avoir obtenu la sanction royale. Peut-être cette sanction est-elle accordée de façon progressive.

J'aimerais parler des 45 jours de séance pour la présentation d'un rapport. Dans le secteur privé, ces rapports trimestriels sont standards, en ce sens qu'il y a des dates fixes pendant l'année civile et ils sont diffusés à intervalles réguliers. Est-ce que cela ne semble pas difficile à réaliser quand nos rapports doivent être présentés chaque trimestre? La limite était de 45 jours de séance entiers pour le Parlement, ce qui signifie des dates irrégulières de rapports, qui pourraient être espacés de six ou neuf mois. N'est-ce pas une faille?

Le sénateur Segal : Ce l'est peut-être. Selon certains fonctionnaires du Conseil du Trésor que j'ai consultés, la méthode de présentation des données trimestrielles pourrait se révéler importante et on faciliterait peut-être les choses s'il était obligatoire d'afficher trimestriellement les données sur les sites Web respectifs à des échéances fixes, sans être assujettis à la nature du calendrier parlementaire. Un tel changement ne me poserait aucun problème à condition que le tout soit clair et que la transition soit souple.

Le sénateur Eyton : Ma curiosité est piquée. Existe-t-il des précédents? D'autres gouvernements ont-ils recours à cette méthode?

Le sénateur Segal : Je crois comprendre que les Australiens utilisent cette méthode depuis quelque temps et que des provinces canadiennes — la Colombie-Britannique, l'Alberta et l'Ontario, notamment — ont adopté la comptabilité d'exercice. Cependant, aucune province n'a encore mis en œuvre la présentation trimestrielle au Canada, contrairement à d'autres pays du Commonwealth.

[Français]

Le sénateur Ringuette : Sénateur Segal, en regardant votre projet de loi, ma première réaction est de dire que vos objectifs sont très louables. Ayant moi-même un projet de loi privé au Sénat, dans un autre domaine, touchant les ressources humaines du gouvernement, une des objections à laquelle je dois faire face continuellement est le coût de mise en place et le coût annuel de ces opérations. Avez-vous une estimation des coûts de la demande au niveau des ressources humaines additionnelles qui seraient nécessaires pour fournir ces rapports? Avez-vous fait une analyse de tout cela?

Le sénateur Segal : Je n'ai pas fait d'analyse en profondeur, je n'ai aucune estimation spécifique sur les coûts. La seule chose dont j'ai entendu parler, c'était un débat au sein du Conseil du Trésor où certains de nos fonctionnaires ont cité un montant de peut-être 50 millions de dollars pour effectuer cette transition. Le ministre, je l'ai entendu, a demandé aux fonctionnaires de mettre ces propos par écrit et de les signer, comme une estimation officielle, mais le fonctionnaire impliqué a décidé de ne pas le faire.

Même si le montant s'élève à 50 millions, je trouve que c'est un chiffre plus élevé que la réalité, mais même si c'est cela en réalité, nous sommes en train de dépenser 200 milliards. Le secteur privé, qui presse le gouvernement de toujours limiter ses dépenses, a dépensé des montants incroyables pour répondre aux nouveaux standards de comptabilité après les affaires Enron et autres. Personne n'a questionné les coûts sauf que cela représente une augmentation de 10 p. 100 ou de 15 p. 100 dans l'administration d'une compagnie.

Une des raisons pour lesquelles on n'a pas eu de grandes protestations là-dessus c'est parce que, quand ils dépensent leur argent dans le secteur privé, 50 p. 100 de ces fons sont financés par les contribuables canadiens et cela représente une dépense avant de payer leur impôt sur les profits, par exemple. Je pense que c'est le principe qui est très important pour nous.

Pour répondre directement à votre question, je n'ai pas fait une estimation détaillée des coûts parce que je trouve que c'est le principe qui est important. Et si le Parlement du Canada décide de procéder, on va avoir un plan de mise en œuvre, j'imagine, où ces questions de coûts vont être considérées en détail. Toutefois, si on ne commence pas par une discussion au Parlement, si on attend toujours d'avoir une estimation précise des coûts du changement, il n'y aura jamais de changement.

Le sénateur Ringuette : Je suis tout à fait d'accord avec vous; probablement que 50 millions pour la phase de transition est une estimation qui serait réaliste, sans compter les coûts annuels perpétuels qu'on devrait retrouver.

Par contre, je regarde l'aspect pratique pour les parlementaires de pouvoir, quand ils siègent en comité, avoir un état des résultats tous les trois mois qui pourraient certainement aider dans leurs tâches.

De mon point de vue, je vous souhaite bonne chance avec votre projet de loi privé. Comme je l'ai dit au tout début, je crois que c'est louable. La question des coûts, comme pour bien d'autres projets de loi, ne devrait pas être un élément d'embûche, mais je crois que c'est une question, justement, de reddition de compte.

Le sénateur Segal : Un des principes que j'ai pris comme acquis, c'était que chaque département, dans son administration financière, a maintenant des fiches qui indiquent combien ils ont dépensé le mois passé, combien ils sont en train de dépenser mois par mois. Ils ont ces fiches, ils ne doivent pas partir de zéro, ils ont un système déjà en place. Cela représente une transition du système, déjà en place pour les rapports publics mais avec un espace de transition. J'espère qu'on peut le gérer d'une façon qui ne va pas augmenter de façon excessive les coûts du changement.

[Traduction]

Le sénateur Peterson : Les amendements que vous proposez font état de toutes les données financières ainsi que de l'analyse et de l'examen par la gestion. Proposeriez-vous l'utilisation de puces ou du soulignement pour les différents éléments déclarés et envisagez-vous une certaine résistance de la part de la bureaucratie? Je dirais que cela pourrait être subtil.

Le sénateur Segal : Dès lors qu'il s'agit des normes relatives à la comptabilité d'exercice — et j'ai parlé du format de la CVMO —, il s'agirait d'entrée de jeu de faire précéder d'une puce chaque modification importante survenue au cours du trimestre précédent et de justifier cette dernière. Fournir une explication dès le départ deviendrait une partie normative du processus. Les ministères auraient peut-être besoin de l'aide de l'extérieur pour mettre ces modalités en œuvre, mais dès que celles-ci auront été arrêtées pour deux ou trois des principaux ministères, le tout devrait être alors uniformisé à l'ensemble des ministères. Les règles seraient donc les mêmes pour tous, sans aucune exception.

J'ai appris deux choses des conversations que j'ai eu la chance d'avoir à bâtons rompus avec les fonctionnaires. La plupart ont reconnu effectivement qu'il y aura effectivement des coûts, mais qu'ils donneront des chiffres qui traduiront la réalité de chaque trimestre et qui ne seront pas adaptés en fonction des considérations politiques des gens qui forment le gouvernement. Il s'agit, selon moi, d'une protection offerte aux fonctionnaires honnêtes. La vaste majorité des fonctionnaires sont tout à fait honnêtes et essaient de faire preuve de transparence lorsqu'ils fournissent des chiffres au Parlement.

Certains feront valoir que cette proposition ne fera qu'entraîner un examen ponctuel des chiffres, qui ne seront d'aucune utilité à moins d'avoir le tableau complet pour une année donnée. C'est pourtant ce qui se passe au sein de chaque société cotée en bourse ou de chaque fonds de pension public. Cet argent ne nous appartient pas. Elle appartient à quelqu'un d'autre et nous sommes donc tenus de présenter des rapports à cet égard. À mon avis, la plupart des fonctionnaires considèrent que l'argent que leur confie le Parlement ne leur appartient pas. Je pense qu'ils font preuve d'une intégrité absolue.

Nous ne sommes pas encore dotés d'un système en vertu duquel les rapports trimestriels, au fil du temps, font en sorte qu'il est presque impossible à quelqu'un de dissimuler quoi que ce soit dans un contexte plus général. La transparence a un effet libératoire, même si elle comporte certains coûts.

Je ne m'attends pas à ce que les fonctionnaires se mettent à la recherche de nouveaux systèmes, car, dans bien des cas, ils sont débordés de travail et ils doivent accomplir davantage de tâches sans pouvoir compter sur du personnel ou des moyens supplémentaires, et ce quelles que soient les personnes au pouvoir. Je le comprends.

Cela étant dit, si le Parlement faisait de ma proposition une priorité, je pense que la fonction publique réagirait d'une façon admirable, comme elle le fait toujours.

Le sénateur Peterson : Si ces nouvelles modalités devaient être mises en œuvre, qui exercerait la surveillance à cet égard? Les entreprises publiques relèvent de la commission des valeurs mobilières.

Le sénateur Segal : Selon la structure actuelle de notre fonction publique, le contrôleur général du Canada serait responsable de l'intégrité des comptes dans l'ensemble de l'administration fédérale et travaillerait en collaboration avec les directeurs financiers, les chefs des services financiers — ou quelle que soit leur appellation — dans les différents ministères.

Rappelons que le contrôleur général a déployé beaucoup d'efforts pour que chaque ministère fédéral se dote d'un comité de vérification composé de vérificateurs provenant de l'extérieur mais connaissant les activités ministérielles et possédant les compétences financières leur permettant de participer aux vérifications. Les ministères n'ont pas tous répondu à ce souhait du contrôleur général. Je ne veux pas prêter à ce dernier des propos qu'il n'aurait pas tenus, mais je suppose qu'il souhaiterait que chaque ministère se dote d'un tel comité de vérification avant que nous adoptions cette façon de faire. C'est un souhait légitime de sa part.

Je ne m'inquiète pas de la transition que ce projet de loi pourrait nécessiter pour que certains de ces autres mécanismes puissent être mis en place. En fin de compte, une société d'État ou un ministère ne pourrait pas publier un rapport trimestriel à moins qu'un comité externe l'ait examiné dans le cadre d'une analyse indépendante afin de confirmer l'exactitude des chiffres cités. Cela ne pourrait pas uniquement se faire dans le cadre d'un processus interne. Cette façon de faire est inacceptable au sein des entreprises cotées en bourse au Canada, aux États-Unis et dans le monde démocratique, et il devrait en être de même pour nos ministères.

Je ne pense pas que cela nuise aux comptes que doivent rendre les ministres au Parlement. Au contraire, le ministre disposera de données trimestrielles qui auront été vérifiées et confirmées. La ou le ministre pourra alors déterminer la position qu'elle ou qu'il souhaite adopter, et ce quel que soit le thème abordé par le Parlement.

Le sénateur Murray : Je vous félicite de votre déclaration préliminaire, non seulement parce que vous avez donné une explication logique du projet de loi, mais aussi parce que vous avez précisé avec éloquence les principes sous- jacents. Vous avez été à votre mieux ce matin, et je dirais que vous êtes alors plus grand que nature.

Je voudrais savoir ce que nous ferons de toutes ces données. Si le projet de loi était adopté, nous serions saisis trimestriellement de rapports émanant de chaque ministère et organisme gouvernemental. Quelles mesures devrions- nous prendre ou quelles règles de la Chambre des communes et du Sénat devrions-nous modifier pour nous assurer que toute cette information ne restera pas lettre morte ou ne sera pas transmise à un comité qui n'assurera aucun suivi concret, comme c'est souvent le cas pour le budget des dépenses? Que proposeriez-vous?

Le sénateur Segal : Comme c'est souvent le cas, ce ne sera qu'à la deuxième année de la mise en œuvre que les chiffres nous permettront de comparer. Avec la comptabilité d'exercice, nous ne saurons pas quels auront été les chiffres pour chaque ministère parce que, pour l'instant, cette méthode de comptabilité n'est pas encore utilisée à cette fin.

Supposons que le projet de loi prenne effet le 1er septembre et s'applique le 1er janvier. Dans certains ministères, il serait injuste de comparer le premier trimestre de 2008 à celui de 2007, simplement parce qu'ils auraient utilisé des méthodes de comptabilité différentes. Il faudra du temps avant de pouvoir établir des comparaisons.

Il incombe aux parlementaires de décider si notre comité, par exemple, ou le comité permanent de l'autre endroit doit se pencher sur ces rapports trimestriels en fonction du rôle important joué par un ministère particulier ou de ses activités par rapport au programme du gouvernement. À mon avis, cette proposition ne précise ni ne modifie le droit des parlementaires d'examiner les enjeux financiers ou de poser des questions à cet égard. Par rapport aux modalités actuelles, le projet de loi permettrait aux parlementaires de mieux le faire grâce aux données trimestrielles. Quant à savoir si cela modifierait le cycle de présentation des budgets des dépenses et le moment où les comités en sont saisis, je l'ignore même si vous avez peut-être en tête des circonstances auxquelles je n'ai pas mûrement réfléchi.

J'espère que le nouveau Bureau parlementaire du budget créé par le projet de loi C-2 pourra, comme c'est le cas pour la Bibliothèque du Parlement dans beaucoup de domaines, acquérir des compétences en vertu desquelles les analystes pourront souligner aux parlementaires différents points, comme peuvent le faire les bureaux de recherche des partis politiques, les ONG et les groupes de pression qui ont à cœur un enjeu. Ce que j'ai fait valoir entre autres à nos amis à la gauche comme à la droite ainsi qu'aux différents groupes d'intérêt de l'extérieur du Parlement quant à l'opportunité que le gouvernement dépense plus ou moins d'argent et intervienne davantage ou moins dans la vie des citoyens, ce que je leur ai fait valoir dis-je, c'est que nous avons le droit de savoir ce qui se passe.

Supposons que nous avions prévu que le programme de garderies utiliserait un certain montant d'argent au cours de la première année. Si le montant dépensé est de beaucoup inférieur à ce qui avait été prévu, je pense que les parlementaires ont le droit de demander des explications.

Nous avons mis en œuvre des programmes destinés aux personnes âgées et dotés de budgets qui n'ont pas été utilisés intégralement parce que la participation a été moindre que nous l'avions cru, l'information n'ayant pas été bien diffusée et les gens visés n'ayant pas été suffisamment mis au courant. Le sénateur Mitchell l'a souvent souligné. Le rapport trimestriel nous permettrait de détecter tôt de telles lacunes, et nous ne nous retrouverions donc pas à dire : « Nous avons constaté il y a un an et demi que le programme n'a pas attiré autant de participants que nous l'avions cru. » Je voudrais que nous tenions cette discussion quelques trimestres après le lancement du programme, alors qu'il est encore temps d'apporter des mesures correctives. Il me semble qu'il incombe aux parlementaires de déterminer ces modalités. Je ne voudrais cependant pas en préjuger.

Le sénateur Murray : C'est là que réside le problème. Nous disposerons de tous ces renseignements. Il s'agira de déterminer si des mécanismes seront en place pour que le Parlement examine ces renseignements et prenne les mesures nécessaires. La masse de renseignements qui sont déposés en ce qui concerne le budget des dépenses est énorme, qu'il s'agisse du Rapport sur les plans et les priorités ou du Rapport sur le rendement. Les parlementaires les consultent très peu.

Le sénateur Segal : Par souci d'équité envers les gens qui ont conclu l'entente de la chose réputée, je dois dire que j'ai déjà travaillé pour certains d'entre eux, notamment Jed Baldwin, leader à la Chambre pour les consommateurs, et Allan MacEachen, leader à la Chambre pour les libéraux, sous un gouvernement minoritaire. Cette idée avait été proposée parce que les documents se rapportant au budget des dépenses étaient très volumineux et qu'aucun comité n'avait le temps de les examiner en détail. C'est pourquoi on a fait valoir que la reddition des comptes serait meilleure grâce à la règle de la chose réputée — renvoyé à la Chambre à des fins d'approbation et réputé avoir été adopté par le comité —, mais qu'il faudrait allonger la période des questions et augmenter les crédits accordés aux analystes des partis d'opposition.

Le sénateur Murray : Cela s'est révélé de la foutaise.

Le sénateur Segal : Tout à fait. Je ferais valoir que c'est difficile en raison de la montagne de renseignements.

Le sénateur Murray : Et nous allons maintenant renchérir.

Le sénateur Segal : La différence, c'est que maintenant vous serez en mesure de savoir.

Tout comme vous, je me rappelle avoir assisté à des réunions de Cabinet, au cours desquelles les ministres expliquaient ce qu'ils avaient compris. On omettait les questions très complexes et celles ayant parfois d'énormes répercussions financières parce qu'elles n'étaient pas faciles à comprendre.

Si, dans un rapport trimestriel, une direction générale de Santé Canada signale n'avoir affecté presque aucun crédit à la lutte contre une pandémie au cours des deux derniers trimestres, nous saurons tous à quoi nous en tenir. Nous pouvons examiner le tout et demander des comptes parce que les renseignements fournis sont restreints et plus ciblés. Je crois que le processus d'examen parlementaire serait bonifié.

Le sénateur Murray : Je devrais préciser que j'ai appuyé ce projet de loi auquel j'adhère avec enthousiasme, mais je pense cependant qu'on peut se faire l'avocat du diable.

Vous me permettrez d'aborder un autre risque en ce qui concerne toute cette information, en admettant que les parlementaires l'examinent. On risque de tirer des conclusions hâtives et non fondées à l'aide de données trimestrielles.

À l'instar d'autres, vous avez indiqué que le Parlement devrait, sur le plan de la reddition des comptes, être au moins aussi rigoureux que ne le sont les sociétés cotées en bourse dans le secteur privé.

J'ai profité du congé de Noël pour lire l'excellente autobiographie de l'ancien sénateur Kolber, qui a connu une longue et brillante carrière dans le secteur privé. À titre de sénateur, il a été notamment président du comité des banques; il a toujours pris à cœur ses dossiers. Je voudrais vous faire part de son opinion à propos des rapports trimestriels.

Tout ce qui s'est dit à propos de la transparence « prospective », ce trimestre-ci et le suivant, c'est également de la foutaise.

Je cite le sénateur Kolber pour que vous puissiez saisir l'essence de ses propos.

J'ai fait ma part d'exposés destinés à des analystes financiers, tout d'abord lors de notre placement initial de titres en 1974, mais je n'ai jamais consulté d'analystes trimestriellement et je ne leur ai certes jamais parlé dans le cadre de conférences téléphoniques trimestrielles. L'entreprise a-t-elle réalisé les gains visés au cours du présent trimestre? L'objectif officiel établi par consensus ou l'objectif officieux et chuchoté a-t-il été atteint, donnant un aperçu fiable des gains susceptibles d'être dégagés au cours du prochain trimestre? Ce ne sont que beaux discours et inepties qui n'ont rien à voir avec la gestion d'une entreprise. Peu m'importe le génie que vous êtes, vous ne faites pas bien votre travail si vous ne planifiez qu'en fonction des trois prochains mois. De nombreux PDG sont obligés de n'envisager que le court terme, et je ne connais aucune entreprise qui a connu une croissance satisfaisante en n'ayant que des objectifs à court terme. Je ne me suis jamais préoccupé d'atteindre les objectifs trimestriels. C'étaient plutôt les cinq années à venir que j'avais à cœur.

Voici un autre extrait :

À mon époque, jamais je n'ai été témoin d'analystes qui dirigeaient quoi que ce soit. Aujourd'hui, c'est le monde à l'envers : ce sont eux qui dirigent les entreprises. Il y a peut-être plusieurs raisons qui peuvent expliquer vos résultats trimestriels un peu faibles : des conditions météorologiques à la guerre. Les deux questions essentielles qu'il faudrait se poser sont les suivantes : Votre actif est-il stable et s'accroît-il? Quelle est la situation de votre bilan? Les entreprises auraient intérêt à adopter l'attitude suivante à l'égard des analystes : « La direction de notre entreprise nous accapare trop pour que nous puissions vous parler. Si vous aimez ce que nous offrons, achetez. Sinon, vendez. »

Je ne pense pas que le sénateur Kolber s'opposait aux rapports trimestriels. Il faisait valoir la nécessité de la transparence et de la divulgation intégrale. Il s'opposait à ce que l'on tire des conclusions hâtives et non fondées sur la foi de rapports partiels et à court terme. Il a signalé qu'il y avait là un danger.

Le sénateur Segal : Je ne crois pas que j'aurais adhéré à cette façon particulière de s'exprimer, mais je tiens à vous dire très franchement que les marchés financiers ne considèrent pas que les rapports trimestriels sont un reflet fidèle des résultats réels. Ils s'en servent pour déterminer si l'entreprise suit le plan établi. Il peut s'agir d'un plan quinquennal. Prenez l'exemple des constructeurs d'automobiles, qui ont eu une rude pente à remonter. Certains d'entre eux ont établi des plans à long terme. Ils ont peut-être essuyé des pertes au cours d'un trimestre donné, mais ils suivent éventuellement leur plan de deux ans, et leurs actions s'apprécient. Les marchés savent établir la distinction.

D'après moi, l'analyse par la direction de la situation financière et des résultats d'exploitation, le rapport de gestion, pourrait conclure notamment : « Nous avons un plan quadriennal sur l'infrastructure dans le domaine de la santé publique. Nous espérons être à 15 p. 100 à la fin de la présente année ou plutôt à 22 p. 100. En voici les raisons. » Les auteurs du rapport de gestion auraient intérêt à être d'une totale franchise sur leur situation par rapport au plan quinquennal. Aucun résultat trimestriel ne devrait constituer une tendance valable. Ce sont les résultats de plusieurs trimestres consécutifs qui sont susceptibles d'entraîner des questions ou de laisser supposer que le ministère a obtenu un rendement remarquable et est susceptible d'assumer d'autres responsabilités parce qu'il s'est attaqué à des questions complexes. Nous ne pouvons pas compter sur ce genre de renseignements à intervalles réguliers au cours d'un exercice donné.

J'espère que cette proposition entraînera une source conviviale de renseignements financiers réels portant sur un exercice donné, afin que les parlementaires puissent poser les questions pendant qu'il est encore temps. La vérificatrice générale, qui fait un travail remarquable, ne peut pas, en une seule année, exécuter des vérifications dans chaque ministère. Elle doit effectuer des choix. Sur la base de ce principe, il faudrait l'équivalent d'un état trimestriel vérifié et déposé. Un tel mécanisme pourrait alléger sa tâche à certains égards et offrir davantage de transparence financière, ce qui serait utile.

Le sénateur Murray : Le projet de loi comporte deux éléments. Les rapports trimestriels et la comptabilité d'exercice. Dans le document qu'ils ont rédigé et nous ont fait parvenir, Tom Axworthy et Julia Branch semblent appuyer ces deux éléments, mais font valoir dans leur conclusion que, même si l'on peut débattre de l'opportunité de la comptabilité d'exercice au sein de l'administration fédérale, il ne saurait être question de remettre en question la nécessité ou la valeur des rapports trimestriels, qu'il s'agisse de comptabilité de caisse ou de comptabilité d'exercice. Ils établissent une distinction entre les deux éléments. Les deux sont-ils nécessaires? Peut-on en avoir seulement un?

Le sénateur Segal : Nous pouvons adopter les rapports trimestriels dans le cadre de la comptabilité de caisse. Ce serait probablement une transition plus facile.

La comptabilité de caisse entraîne un problème : elle ne permet pas de faire ressortir l'actif du gouvernement fédéral. Elle ne fait pas ressortir nécessairement le coût de renonciation assumé par le gouvernement lorsqu'il affecte des crédits à une activité plutôt qu'à une autre. La comptabilité d'exercice permet tout cela; elle indique aux contribuables, aux parlementaires, aux experts financiers et à tous ceux qui examinent les comptes du gouvernement du Canada pour chaque ministère, la façon dont nous gérons tout ce qui nous a été confié. Soit dit en passant, le temps de gestion est pris en compte dans la comptabilité d'exercice parce qu'il s'agit d'un coût sur le plan des ressources humaines et il est réparti en fonction des différentes tâches qui doivent et devront être accomplies.

Par exemple, la comptabilité d'exercice aurait permis de détecter, il y a quelque temps, les problèmes démographiques de la fonction publique fédérale parce que la vérificatrice générale aurait demandé : « Quelles mesures prenez-vous pour compenser les départs à la retraite et pourvoir les postes qui seront ainsi vacants? » Les gens ont le droit de savoir. Il s'agit de leur argent. Il s'agit de leur gouvernement.

Dans un monde idéal, je souhaiterais avoir les deux, mais j'estimerais qu'il serait utile d'adopter les rapports trimestriels dans le cadre de la comptabilité de caisse. Cela ne me déplairait nullement.

Le sénateur Mitchell : Tout comme les autres Canadiens, je remarque avec intérêt que vous avez englobé à la fois les ministères et la Banque du Canada. Pourquoi avez-vous inclus la Banque du Canada? Elle semblait être plus indépendante. S'agit-il d'une question liée aux dépenses?

Le sénateur Segal : Je ne voulais pas établir la liste des organismes visés en omettant des éléments importants de l'administration fédérale. J'ai estimé que, simplement à cause des 120 jours que j'ai proposés comme période de transition, il y aurait un vent de résistance. Si, d'entrée de jeu, nous n'avions pas adopté une position suffisamment cohérente, nous nous serions presque retrouvés les mains vides après le vent de résistance. Différents ministères ou organismes d'État indépendants comme la Banque du Canada peuvent faire valoir des motifs raisonnables de ne pas figurer sur la liste. Ce fut le cas pour les gestionnaires de régimes de pensions indépendants et d'autres groupes lors de l'examen du projet de loi C-2 qui comportait des exigences en matière de rapports. Des compromis ont été consentis, et des modifications ont été apportées. Ma position à l'égard de la liste n'est pas radicale. J'ai estimé cependant que, si nous n'établissions pas au départ une liste exhaustive, nous nous retrouverions presque les mains vides à la fin du processus.

Le sénateur Eyton : Sénateur Segal, ma curiosité est piquée. Vous semblez accepter la comptabilité de caisse.

Le sénateur Segal : Ce n'est pas mon premier choix.

Le sénateur Eyton : Cela ne devrait certainement pas l'être. La comptabilité de caisse pose une difficulté : vous pouvez manipuler les chiffres. Le projet de loi S-217 vise essentiellement à réduire cette manipulation et à favoriser plutôt la présentation de rapports transparents. Seule la comptabilité d'exercice nous permettra d'y parvenir. Elle tiendra compte de l'actif et du passif à long terme, mettant fin à la souplesse qu'offre implicitement la comptabilité de caisse lorsqu'il s'agit du choix du moment.

Vous dites que ce n'est pas votre premier choix. Il me semble que ça devrait être un second choix hypothétique.

Le sénateur Segal : Je suis prêt à accepter l'expression « second choix hypothétique ».

Le sénateur Eyton : Je tiens à faire remarquer que tous ceux d'entre nous qui connaissent bien le secteur privé et les entreprises publiques sont habitués à de tels états financiers. Votre proposition entraînerait naturellement — et j'extrapole un peu — une méthode de comptabilité et la reddition des comptes en matière de gestion gouvernementale, ce qui équivaut, je pense, à l'électorat. Les électeurs seraient en quelque sorte comme les actionnaires dans le secteur privé. Pouvez-vous envisager que cela pourrait déboucher ultérieurement sur une situation où les partis politiques élaboreraient des prospectus pendant les campagnes électorales, de façon à se conformer aux exigences en matière de rapports?

La vice-présidente : Avant que vous ne répondiez, je souhaiterais ajouter ceci : « Les actionnaires auraient-ils le droit de vendre ou d'acheter? »

Le sénateur Segal : Je suis tout à fait d'accord avec Jane Jacobs selon qui il existe une typologie propre à l'administration publique et un autre s'appliquant au secteur privé. Appelons un chat un chat. Ce n'est pas un chien. Il faut établir une distinction entre les deux, sinon vous courez au désastre. Je ne m'engagerai pas dans cette voie. Quant à moi, je préfère plutôt le chien parce qu'on dit que le chien a une famille alors que le chat a des employés.

Revenons à votre point précis, sénateur Eyton. À mon avis, le Parlement canadien forme le véritable conseil d'administration dans notre système parlementaire. Ce sont les parlementaires qui sont censés surveillés l'utilisation des deniers publics. C'est le premier point.

Deuxièmement, l'Ontario a déjà établi la notion que le vérificateur général provincial produira un état financier exposant la situation des finances provinciales avant la tenue des prochaines élections générales. Nous avons tous participé au cycle classique. Lorsqu'ils sont dans l'opposition, les partis politiques font de belles promesses. Une fois au pouvoir, ils disent : « Mon Dieu, la caisse est vide. Nous ne pouvons pas respecter nos promesses. » D'autres gouvernements font également de belles promesses. Après la tenue des élections, on se rend compte qu'ils ont peut-être légèrement exagéré.

Donnons crédit à l'Ontario. Cette province essaie de mettre en œuvre un mécanisme qui permettrait au vérificateur général provincial de brosser un tableau — bon, mauvais ou autre — de la situation financière et des finances publiques. Le parti politique qui ferait alors des promesses qui ne tiendraient pas compte de ce tableau se retrouverait dans une situation défensive difficile pendant la campagne électorale qui s'ensuivrait. Dans le cadre d'un tel mécanisme, on pourrait même notamment savoir les montants qui ont été dépensés dans le domaine environnemental — il s'agit des montants dépensés et non de ceux qui ont été annoncés. La différence est énorme entre ce qui est annoncé et ce qui est dépensé. Nous saurions alors ce qui se passe en fait. Nous pourrions ainsi tenir un débat éclairé sur l'écart entre les promesses faites et les mesures concrètes mises en œuvre. Il en découlerait une plus grande transparence qui renforcerait le processus politique.

Je ne pense pas que nous aurons un jour de tels prospectus. Cependant, le gouvernement annonçant un nouveau programme pourrait attendre longtemps avant de faire connaître officiellement les modalités de financement du programme, les coûts en jeu, les moyens nécessaires et leur utilisation ainsi que les montants qu'il faudrait emprunter du Trésor le temps que le programme soit mis en œuvre. Je pense qu'il s'agirait là d'un progrès important.

Le sénateur Murray : Sénateur Segal, avez-vous baissé les bras en ce qui concerne le budget des dépenses? Cette proposition ne constitue-t-elle pas une solution de rechange efficace au budget des dépenses?

Le sénateur Segal : Ayant été présent lorsque la décision de la chose réputée a été prise et y ayant été mis à contribution dans toute la mesure possible pour un jeune membre subalterne du personnel — la notion que le bureau de recherches dispose d'employés supplémentaires m'avait alors beaucoup plu, et j'étais en faveur de cela pour l'opposition dirigée par M. Stanfield —, j'estime que le budget des dépenses a perdu son sens. Je crois cependant qu'il n'y a aucun lien entre le droit absolu du Parlement d'exercer un contrôle et de poser des questions, et ce que dépense le gouvernement. La faute n'est imputable à personne. Il n'y a aucune conspiration. Il y a simplement la masse d'information d'une part et le manque de temps d'autre part.

L'une de mes premières expériences fut de voir la Chambre dans laquelle je travaille aujourd'hui examiner et adopter en quelques minutes un budget des dépenses de plusieurs milliards de dollars. Après une telle expérience, vous savez que la faute n'est imputable à personne. Personne ici ne se dérobe à ses responsabilités. Cependant, le système en place ne permet plus de ralentir le processus pour examiner un point particulier qui nous tient à cœur à titre de Canadiens ou de contribuables. Les rapports trimestriels permettraient aux parlementaires d'accomplir ce qui pourrait facilement être compris et ce qui pourrait être, en fait, plus en rapport avec les activités quotidiennes des contribuables.

Le sénateur Murray : J'espère que vous avez raison cet égard. Du moins partiellement, je crois que vous le prouverez. Je suis enclin à croire que le Parlement devrait assumer de nouveau le pouvoir de dépenser, sinon il sombrera encore davantage dans l'insignifiance.

Vous avez fait allusion à l'absence d'un débat pertinent sur la partie de l'excédent budgétaire qu'il faudrait affecter au remboursement de la dette, à la réduction des impôts ou à des dépenses supplémentaires. Ce débat n'a pas eu lieu. Le gouvernement précédent et le gouvernement actuel ont gravement porté atteinte au Parlement en simplement affectant des montants à des postes généraux. Les projets de loi C-248 et C-43 sont de mesures législatives qui ont permis d'accorder simplement des montants des ministères à des fins théoriques — l'éducation supérieure, notamment — sans ne donner aucune précision supplémentaire. Il y a eu une levée des boucliers de la part de l'opposition conservatrice, lorsque le gouvernement Martin a agi ainsi. Une fois qu'ils eurent pris le pouvoir, les conservateurs ont agi exactement comme leurs prédécesseurs.

Il appartient au Parlement d'y mettre fin, et il est possible d'y parvenir même avec les règles actuelles. J'aimerais que soient modifiées les règles de la Chambre des communes, qui détient le pouvoir de dépenser et qui doit s'assurer que le budget des dépenses est examiné et débattu. S'il faut, pour ce faire, se constituer en comité plénier, ne serait-ce que pour examiner un nombre restreint de ministères — et il y a des précédents à cet égard —, cette solution aurait mon assentiment. Si le Parlement n'exerce pas le pouvoir de dépenser, tout le reste n'est que de la poudre aux yeux. Céder au Parlement et aux parlementaires des pouvoirs exécutifs fragmentaires, notamment la nomination des juges, ne constitue pas la réponse au problème. Je laisserais au pouvoir exécutif ses prérogatives, mais je voudrais que le Parlement assume de nouveau les siennes, qu'il a laissé tomber en désuétude.

Le sénateur Segal : Je crois profondément que cette petite initiative que constituent les rapports trimestriels aidera le Parlement à assumer de nouveau ses obligations constitutionnelles, parce que, à l'heure actuelle, les parlementaires élus sont incités à consacrer leur temps ou leur capital politique pour se spécialiser dans les détails des dépenses du ministère A ou du ministère B. Les incitations politiques résident en la possibilité de prendre quelqu'un en défaut « a posteriori », ce dont nous sommes souvent témoins. Peu importe qui forme le gouvernement ou qui se trouve dans l'opposition. C'est un aspect du système politique, qui soulève l'intérêt des médias.

Par contre, certains deviennent relativement des experts simplement en examinant des états financiers trimestriels et en posant des questions sur le fonctionnement d'un ministère donné. Grâce à ces renseignements, on peut alors demander des comptes au ministre à la Chambre ou en comité sur certains points avant que le pouvoir exécutif ne prenne une décision et que le Parlement en soit informé « a posteriori ». Les gouvernements seront peut-être alors forcés de comprendre qu'ils ont l'obligation de divulguer l'information à intervalles plus réguliers et de tenir davantage de débats. L'examen des dépenses sera peut-être plus intéressant au Parlement, ce qui n'est pas actuellement le cas pour bon nombre d'entre nous. Les parlementaires qui souhaitent être réélus doivent songer à l'image qu'ils offrent à leurs électeurs respectifs et à la façon dont leur travail est perçu. C'est tout à fait compréhensible.

Le sénateur Murray : Je pourrais poser cette question lors de l'examen article par article du projet de loi, mais ce n'est qu'un détail. Le projet de loi fait allusion à d'autres renseignements qui devraient être déposés si le ministre responsable les juge pertinents. Avez-vous songé à la distinction qui découle de la Loi fédérale sur la responsabilité et qui est établi entre les obligations dont doivent s'acquitter les ministres et les sous-ministres en matière de rapports à cet égard et avez-vous pensé que la responsabilité du dépôt des renseignements financiers ne devrait pas incomber au ministre, comme c'est le cas dans votre projet de loi, mais bien à l'agent comptable?

Le sénateur Segal : Je ferai preuve d'ouverture d'esprit par rapport à votre suggestion. Elle ne me pose aucun problème, mais je dois dire qu'il ne me plaît guère d'édulcorer le principe général de la reddition des comptes des ministres. Même si les ministres ne savent peut-être pas tout ce qui se passe dans leur ministère, ils devraient être au courant des questions financières et importantes. S'ils ne le sont pas, ils ont le droit de demander pourquoi. Le projet de loi rendra ce mécanisme plus transparent.

Le sénateur Stratton : Comme vous pouvez le constater, mes collègues sont préoccupés, et je le suis également.

Notre comité a déjà signalé que, lorsque le budget des dépenses sera déposé, nous le diviserons ministère par ministère, et les différentes parties seront confiées aux ministères respectifs. Si nous devons nous acquitter de cette tâche, il doit exister une façon de la mener à bien, de manière à ce que la Chambre des communes puisse notamment confier les mécanismes relatifs à ces rapports aux différents comités. Croyez-vous que cela soit possible?

Si nous devons appliquer la même chose au Sénat, celui-ci est doté et de comités analogues qui pourraient vérifier ces rapports et les diviser de façon à ce qu'il soit plus facile de les examiner. Un tel processus doit être mis en œuvre, sinon la situation sera semblable à ce qui existe pour le budget des dépenses.

Le sénateur Segal : Je souscris à votre proposition. À mon avis, le comité de la Chambre et du Sénat dont le mandat particulier porte notamment sur les pêches, la santé et la sécurité ou le droit de la personne et qui n'examine pas au moins une fois par année les dépenses réelles engagées par l'État dans le domaine dont il est responsable afin de saisir le lien entre le budget, le plan, les objectifs et la politique, ce comité dis-je ne sert pas les intérêts du contribuable. Je pense qu'il serait extrêmement utile d'y consacrer le temps et les compétences nécessaires, comme vous l'avez proposé, ce qui indiquerait également à nos amis de la Bibliothèque du Parlement, qui sont au service des comités, qu'il serait important au fil du temps de s'adjoindre des spécialistes des états financiers trimestriels. Ce n'est pas sorcier. Bon nombre de nos analystes pourraient recevoir de la formation sur les états financiers trimestriels. Beaucoup ont été formés lors de la mise en œuvre des rapports financiers, et les connaissances ainsi acquises les ont rendus encore plus compétents dans le travail remarquable qu'ils accomplissent déjà pour notre compte. Ce n'est pas nécessairement un coût supplémentaire. J'estime que consacrer du temps à l'examen exhaustif des dépenses par domaine constituerait une amélioration et à la Chambre et au Sénat.

La vice-présidente : Merci, sénateur Segal.

Honorables sénateurs, notre prochaine séance aura lieu mardi prochain. Nous accueillerons alors des représentants du Conseil du Trésor. Il est possible qu'une société d'État comme la SRC veuille comparaître. Sinon, nous pourrons procéder à l'examen article par article du projet de loi. Dans le cas contraire, nous le ferons mercredi soir.

La séance est levée.


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