Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 9 - Témoignages du 6 février 2007
OTTAWA, le mardi 6 février 2007
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour étudier le projet de loi S- 217, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur la Banque du Canada (rapports financiers trimestriels).
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjours mesdames et messieurs. Bienvenue à la 26e réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J'aimerais rappeler aux sénateurs que le domaine d'intérêt du comité est l'examen des dépenses gouvernementales, soit directement dans le budget principale des dépenses, soit indirectement par le biais des projets de lois portant pouvoir d'emprunt ou se rapportant aux dépenses prévues dans le budget.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-217, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur la Banque du Canada (rapports financiers trimestriels). Ainsi, le projet de loi propose de modifier la Loi sur la gestion des finances publiques de manière à exiger que les éléments de l'administration publique fédérale qui y sont nommés soient tenus de présenter des rapports financiers trimestriels au Parlement. Cette exigence s'appliquerait également aux sociétés d'État et à la Banque du Canada.
La semaine dernière, nous avons entendu son parrain, le sénateur Segal, qui représente la région de Kingston, en Ontario. Aujourd'hui, nous accueillons des représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor, MM. Charles-Antoine St-Jean et David Moloney.
Hier, le comité a reçu une lettre de la Banque du développement du Canada, c'est-à-dire la BDC, et j'espère que tous les collègues en ont reçu un exemplaire. Si ce n'est pas le cas, la greffière en a des copies supplémentaires. La lettre est datée du 5 février 2007. Jusqu'ici, c'est la seule communication que nous avons reçue au sujet du projet de loi à l'étude. La BDC y fait des observations sur le projet de loi. À la fin des témoignages, il faudra décider si nous avons suffisamment d'information pour passer à l'étude, article par article, du projet de loi ou si vous préférez entendre d'autres témoins.
Charles-Antoine St-Jean, contrôleur général du Canada, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada : Je vous remercie de l'invitation à venir témoigner devant votre comité pour discuter du projet de loi S-217. Je suis accompagné aujourd'hui de mon collègue David Moloney, secrétaire adjoint principal, Secteur de la gestion des dépenses, qui porte un intérêt particulier aux prévisions et à la gestion des dépenses.
En tant que projet de loi privé, le projet de loi S-217 propse d'exiger des rapports financiers trimestriels de tous les ministères, organismes et sociétés d'État.
Avant de formuler des commentaires sur le projet de loi, j'ai pensé qu'il serait utile de le mettre en contexte en mentionnant ce qui existe déjà au gouvernement fédéral à cet égard, ainsi que les initiatives en cours qui visent à renforcer la gestion et la responsabilité financières.
En ce qui concerne les rapports financiers établis selon comptabilité d'exercice, le gouvernement du Canada est un chef de file mondial réputé pour ses opinions sans réserve au sujet de la vérification de ses états financiers consolidés. Ces états financiers sont inclus dans les Comptes publics du Canada qui, de concert avec d'autres informations financières, fournissent des renseignements financiers détaillés sur chaque ministère et organisme et la façon dont ceux- ci exercent les pouvoirs en matière de dépenses qui leur sont conférés par le Parlement.
De plus, les états financiers établis selon la comptabilité d'exercice de tous les ministères et organismes et de toutes les sociétés d'État sont présentés chaque année au Parlement.
En ce qui concerne le rapport à la fin de l'exercice, il inclut les résultats financiers établis selon la comptabilité d'exercice du gouvernement, de même que certaines informations ministérielles.
Le ministère doit aussi divulguer proactivement dans le Web des informations trimestrielles détaillées sur les marchés et les subventions et contributions attribués, des renseignements sur l'accueil et les déplacements, ainsi que l'information sur la reclassification des postes. La plupart des initiatives que je viens de mentionner ont été mises en œuvre sans avoir été imposées par une loi.
En ce qui touche les initiatives en cours, la Loi fédérale sur la responsabilité et le plan d'action ont défini de nombreuses initiatives visant à renforcer la gestion, la responsabilité et la transparence financières.
[Français]
La loi a créé le poste de directeur parlementaire du budget indépendant pour appuyer les parlementaires et les comités dans leur revue des budgets et des enjeux fiscaux et économiques du gouvernement dans son ensemble et également ceux des ministères.
Le plan d'action a engagé le ministère des Finances pour mettre à jour trimestriellement ses prévisions financières.
De plus, le plan d'action a mandaté un comité de sous-ministres pour apporter des recommandations dans le domaine de la gestion financière afin de clarifier les rôles et les responsabilités, et de renforcer et simplifier les politiques de gestion financière.
Cette revue représente une révision majeure de nos politiques de la gestion financière de la capacité des ministères qui, entre autres, devrait mener à des états financiers ministériels vérifiés, renforcer le rôle des agents principaux des Finances et créer un comité de vérification indépendant dans les ministères et agences afin d'améliorer la présentation de l'information sur le rendement.
L'établissement des budgets et l'affectation des crédits selon la comptabilité d'exercice est un autre sujet à l'étude par le gouvernement qui pourrait avoir un impact profond pour le gouvernement fédéral. Comme vous pouvez le constater, le gouvernement attribue une priorité considérable à ces initiatives, néanmoins, considérant leur étendue et leur ampleur, leur implantation s'étendra sur plusieurs années.
[Traduction]
La vérificatrice générale souscrit à ces projets, mais elle a fait remarquer que la capacité des ministères doit être renforcée pour pouvoir atteindre de tels résultats. Tout examen du projet de loi S-217 doit tenir compte des informations disponibles, de la gamme d'initiatives déjà entamées, de sa faisabilité à court terme, ainsi que des coûts supplémentaires qu'il engendrerait.
Toutefois, si l'on envisageait une telle initiative, il faudrait examiner soigneusement le type d'information produite. Si les députés veulent des informations sur la situation financière globale du gouvernement fédéral, La revue financière constitue une excellente source d'information puisqu'elle présente des données consolidées par mois.
Par ailleurs, si l'on veut fournir de l'information sur la façon dont les ministères exercent leur pouvoir en matière de dépenses, il faut tenir compte du fait que la comptabilisation des crédits ne repose pas sur les principes comptables généralement reconnus (PCGR). Des états financiers généraux établis selon la comptabilité d'exercice ne fourniraient pas d'information détaillée sur l'utilisation des crédits.
Il est possible aussi que le libellé du projet de loi ne permette pas d'en atteindre l'objectif principal qui, semble-t-il, est d'obtenir plus rapidement des informations détaillées sur les dépenses. Pour envisager une pareille initiative, il faudrait être sûr que les ministères et les sociétés d'État possèdent la capacité et les systèmes de surveillance internes requis pour produire des rapports de haute qualité en temps opportun. La rigueur et la surveillance accrues que permettrait le modèle du dirigeant principal des finances, la mise sur pied de comités des vérifications et l'amélioration des mécanismes internes de surveillance qui seront établis aux fins des vérifications prépareraient le terrain pour des états financiers trimestriels.
Grâce à ces améliorations, nous pourrons dispenser des rapports financiers de haute qualité sans les interventions et activités majeures qui sont maintenant requises, une fois l'exercice terminé afin de dresser les états financiers de fin d'année du gouvernement fédéral.
La vérificatrice générale avait fait des observations à ce sujet le printemps dernier.
Cependant, jusqu'à ce que ces améliorations aient été apportées, même si les états financiers trimestriels des ministères demeurent un objectif à long terme, ils pourraient ne pas être avantageux dans la mesure où ils nuiraient aux initiatives déjà en cours.
Voilà qui met fin à ma déclaration, et il me tarde de prendre part à un débat aussi intéressant.
Le président : Chers collègues, j'ai une liste de personnes qui souhaitent poser des questions. Je vais commencer par céder la parole au sénateur Segal, parrain du projet de loi à l'étude, pour qu'il puisse donner certaines précisions.
Le sénateur Segal : Ma question centrale est de savoir si, selon vous, cette mesure est essentiellement superflue et inutile pour mieux comprendre comment l'État dépense l'argent, ministère par ministère, ou s'il s'agit simplement d'une question d'opportunité pour la mettre en œuvre. Je remarque, dans la lettre envoyée par la BDC, qu'on s'est donné beaucoup de peine pour exposer en détail les nombreux rapports trimestriels qu'elle doit actuellement déposer. En dépit de toutes ces précisions, elle a cependant dit être préoccupée par le coût important qu'entraînerait la présentation de rapports trimestriels au Parlement. Je me contenterais qu'on rende public le rapport trimestriel qu'elle envoie au Conseil du Trésor. Je crois que ce serait également suffisant pour renseigner les contribuables.
Je comprends quand vous faites valoir que tous les comités de vérification ne sont pas en place et qu'il faut du temps pour le faire. Nous recommandez-vous tout d'abord de mettre en place tous les comités de vérification, puis de régler la question des rapports trimestriels ou estimez-vous, comme moi, que l'appareil fédéral peut faire les deux à la fois?
M. St-Jean : Nous pouvons faire les deux, sénateur. Il y a quelques semaines, j'étais au Royaume-Uni où je participais justement à des discussions sur le même sujet avec des homologues du Trésor et du Bureau de vérification national.
Au Royaume-Uni, tous les ministères, c'est-à-dire les 49 ministères fournisseurs de ressources et les 500 organismes, ont des rapports financiers vérifiés. J'ai demandé à savoir s'ils publiaient également un état financier trimestriel pour les ministères. Ils m'ont répondu qu'ils ne projetaient pas de le faire en raison de la capacité et de la multiplicité des rapports qu'il faudrait publier.
À long terme, ils vont le faire, parce qu'ils sont en train de mettre au point leurs états vérifiés. Ils sont plus avancés que nous. Nous visons 2009 pour 23 ministères alors qu'eux l'ont déjà fait.
Donc, même s'ils nous devancent de loin sur ce front, ils ne prévoient pas le faire tout de suite parce qu'ils n'en ont pas la capacité. Si nous passions aux états financiers trimestriels, je crains que la préparation des données ne soit pas de qualité suffisante. Si nous produisions des données, nous introduirions dans le processus un certain niveau d'incertitude. Pour être utile, il faut que les états financiers soient bons; il faut qu'ils soient crédibles et solides.
Le sénateur Segal : J'ai idée que déjà vous et vos collègues du Conseil du Trésor recevez régulièrement une mise à jour des fonds dépensés par chaque ministère et des recettes qui entrent dans chacun d'entre eux, quels que soient les montants qu'ils prélèvent du Trésor en fonction de leurs crédits parlementaires. Si vous avez ces renseignements, pourquoi l'idée de les rendre publics chaque trimestre vous inquiète-t-elle? De plus, dans le secteur privé actuellement, quatre rapports financiers trimestriels sont diffusés par les grandes entreprises et les banques et ils ne sont pas vérifiés. Un vérificateur externe devait faire partie du processus pour qu'ils aient les données cumulatives nécessaires pour dresser leurs états financiers annuels, qui étaient auparavant vérifiés. Je ne propose pas une norme plus élevée — pas plus que le projet de loi d'ailleurs —, mais si les données sur les dépenses qui vous permettent d'assumer votre rôle comme contrôleur général proviennent du Conseil du Trésor actuellement, pourquoi ces mêmes données ne peuvent- elles pas être publiées chaque trimestre, sous une forme raisonnable, ministère par ministère?
M. St-Jean : Pour l'instant, cette information est réunie mensuellement et est également publiée dans La revue financière.
Le sénateur Segal : La Revue financière fournit des données regroupées. Il s'agit du montant total, non pas ventilé ministère par ministère.
M. St-Jean : Cette information est déjà fournie pour plusieurs ministères. Si vous examinez La revue financière, on le fait déjà pour plusieurs ministères, sur une base mensuelle.
Le sénateur Segal : Nous parlons ici de ministères qui sont plus gros que certaines des grandes sociétés au Canada. Durant une réunion dont l'objet m'échappe, nous sommes incapables, en temps raisonnable — et j'accepte que la mise en œuvre ne se fait peut-être pas aussi rapidement que le prévoit la loi à l'étude du comité —, d'en arriver à un point où nous pouvons examiner un ministère aussi important que Santé Canada, la Défense nationale ou le Développement des Ressources humaines par catégorie, leurs dépenses et comment elles se comparent à des dépenses analogues dans les mêmes catégories durant le trimestre correspondant de l'année précédente. Nous pourrions alors tenir une discussion raisonnable de gestion et analyser la raison pour laquelle les changements, les écarts ou les économies ont été différents de ce qui avait été prévu. Cela ne me frappe pas comme une exigence excessive, à condition de laisser à la fonction publique suffisamment de temps pour mettre le système en place.
M. St-Jean : Comme nous l'avons dit, le facteur temps est crucial. Nous avons une série d'initiatives en cours. Je suis conscient que vous ne demandez pas à obtenir des états financiers trimestriels vérifiés, ce qui est raisonnable; cela ne se fait pas non plus dans l'entreprise privée. Le vérificateur examine les états financiers trimestriels avant qu'ils soient rendus publics et il dispose d'une base solide de travail, soit les états financiers annuels vérifiés de la société ou de l'entité. C'est une base que nous n'avons pas. Pour l'Agence du revenu du Canada, pour quelques organismes, notamment Parcs Canada et le Conseil national de recherches, cela se fait déjà. Nous déployons beaucoup d'efforts pour que les états financiers vérifiés annuels des 23 plus importants ministères soient présentés d'ici 2009, ce qui représentera 90 p. 100 des dépenses du gouvernement du Canada. Nous disposerons alors d'une bonne base pour envisager la présentation d'états financiers trimestriels. Sans une bonne base annuelle, les données trimestrielles seront faibles. Je puis vous garantir qu'il y aura des erreurs. Votre comité ne sera pas heureux, et la rigueur ne sera pas au rendez-vous. Il faut avoir des états financiers vérifiés annuels pour ces ministères avant de commencer à envisager d'en présenter des trimestriels.
Le sénateur Segal : Êtes-vous en train de dire que lorsque les données sur les dépenses budgétaires réelles ou autres parviennent des ministères actuellement, leur rigueur et leur exactitude vous préoccupent?
M. St-Jean : Sur une base mensuelle, la routine de clôture n'est pas aussi solide que nous l'aimerions. On a toujours insisté sur les comptes publics annuels. Dans le groupe du G8, nous sommes le seul pays à avoir des états financiers consolidés vérifiés. Au moins, nous faisons les choses correctement à la fin de l'exercice. Nous souhaitons maintenant le faire à des intervalles plus rapprochés au niveau ministériel également. Cette approche injectera plus de discipline dans le processus, du fait que nous serons plus sûrs des données mensuelles. Actuellement, la procédure de clôture mensuelle n'est pas assez solide, et je craindrais de fournir des données soit aux parlementaires qui n'auraient pas la rigueur à laquelle on s'attend de l'entreprise privée. Nous n'en sommes pas encore là. Nous déployons beaucoup d'efforts en vue d'y arriver, mais la production d'états trimestriels pour l'instant serait prématurée.
Le sénateur Segal : Les états financiers trimestriels obligeront les gens à atteindre cette rigueur plus rapidement ou est-ce irréaliste?
M. St-Jean : Ce serait l'envers de la médaille. Tout d'abord, il faut pouvoir établir annuellement des données auxquelles nous pouvons faire confiance, ministère par ministère. On disposera alors d'une bonne base pour faire des comparaisons trimestrielles. Pour l'instant, nous n'avons pas atteint ce degré de rigueur. Ce serait prématuré.
Le président : Pourrais-je avoir des éclaircissements? Compte tenu du fait que le projet de loi S-217 exige l'établissement de rapports trimestriels selon la méthode de comptabilité d'exercice — et le sénateur Segal a indiqué qu'il se contenterait de la publication des données trimestrielles qui sont présentées au Conseil du Trésor —, j'aimerais savoir si ces données sont réunies selon la comptabilité d'exercice actuellement.
M. St-Jean : Les données produites pour les rapports financiers sont effectivement établies selon cette méthode. Je ne suis pas satisfait de la qualité de la méthode de clotûre — c'est-à-dire que je ne suis pas sûr que les données sont inscrites au bon mois. À la fin de l'exercice, nous faisons de l'excellent travail. La vérificatrice générale approuve les rapports financiers annuels sans réserve. En cours d'exercice, il reste du travail à faire. C'est pourquoi nous souhaitons d'abord instaurer une certaine discipline au niveau des ministères. C'est là un aspect.
Les crédits sont calculés pour le compte des affectations budgétaires, c'est-à-dire qu'ils ne le sont pas selon la méthode de la comptabilité d'exercice, mais bien de la quasi-caisse. Les rapports financiers continuent d'être établis selon une méthode et les crédits, une autre. Nous n'avons pas encore réglé ce problème, de sorte que la présentation de rapports trimestriels sèmerait la confusion.
Le sénateur Stratton : Quand j'étais plus jeune, j'étais l'associé directeur général d'un petit cabinet d'experts-conseil. Je comprends votre point de vue parce que certaines données peuvent varier considérablement durant l'exercice. Elles ne sont pas toujours exactes, et si vous tentez d'en expliquer la raison aux associés, ils vous reprochent de ne pas leur avoir fourni de données plus précises.
Cela étant dit, si c'est vers quoi vous vous dirigez, combien de temps vous faudra-t-il pour y arriver ou ne le savez- vous pas?
M. St-Jean : Nous aurons une première base solide quand les rapports financiers des ministères seront vérifiés. Par exemple, quand il est question de trois ou de quatre milliards de dollars pour le ministère de la Santé, nous aurons des rapports financiers vérifiés annuels pour ce seul ministère.
D'après le plan, d'ici au 31 mars 2009, les 23 plus importants ministères feront l'objet d'une vérification d'attestation annuelle. Ce ne sera pas facile à réaliser. Quand nous comparons notre cheminement à celui de nos homologues des États-Unis, où ils y travaillent depuis quinze ans, l'an dernier, seuls 16 de leurs plus importants ministères avaient un rapport de vérification sans réserve. L'an dernier, celui du ministère de la Sécurité intérieure du Royaume-Uni comportait une mise en garde sur l'impossibilité d'exprimer une opinion. Nous visons le 31 mars 2009 comme échéance. Je soupçonne que notre score ne sera pas parfait. Il faudra quelques années pour tout régler. Les 23 plus importants ministères seront alors soumis à une vérification, que le rapport soit sans réserve ou pas. Nous parlons d'un délai de deux ans. C'est ce que nous projetons. Certains ministères se rapprochent du but plus rapidement que d'autres, mais c'est l'échéancier projeté.
[Français]
Le sénateur Ringuette : Monsieur St-Jean, c'est toujours un plaisir de vous recevoir à ce comité.
Vous avez indiqué que, présentement, vous êtes à l'étape de l'implantation de la Loi fédérale sur la responsabilité qui requiert plusieurs exigences du Conseil du Trésor et de chaque ministère. Vous avez mentionné qu'il faudra plusieurs années pour son implantation, qu'entendez-vous par « plusieurs années » pour implanter la loi qui a déjà reçu la sanction royale?
M. St-Jean : Plusieurs actions ont été prises et d'autres le seront au cours des prochains jours et des prochains mois pour que la loi entre en vigueur. Nos collègues du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada pourraient vous donner l'échéancier des différentes étapes.
À propos du plan d'action qui accompagne la Loi fédérale sur la responsabilité, j'ai consacré et je consacre encore beaucoup de mon temps sur la gestion financière, la mise en place du nouveau régime de gestion financière, le développement des politiques financières et des nouvelles directives. Le plan d'action impliquait un comité de sous- ministres et deux directeurs financiers du secteur privé pour réviser ces politiques. Nous avons essentiellement terminé ce travail et nous devrions présenter nos conclusions au président sous peu.
C'est une étape importante qui établira le nouveau cadre, entre autres, la définition des rôles des directeurs financiers dans les ministères, et la mise en place de la politique des exigences des états financiers vérifiés pour les ministères.
Le travail sur la politique ne représente qu'un volet; d'un autre côté, par exemple, on travaille de façon parallèle pour mettre ces choses en place. En ce qui a trait aux états financiers vérifiés, on travaille déjà depuis un an et demi pour préparer les ministères. Nous avons des études de faisabilité pour chacun des ministères.
Les 23 ministères sont en train de passer à travers ce processus : certains l'ont déjà complété, d'autres ont déjà reçu leurs états financiers vérifiés, par exemple, le Conseil national de recherches du Canada, le 12 juillet dernier. Les autres s'en viennent.
Mon plus gros défi sera la question de la capacité. Comme vous le savez, présentement, la demande pour des experts financiers en vérification est très importante. Nous faisons face à des demandes sur le secteur privé qui sont énormes. Je sais qu'actuellement, mes anciens collègues recrutent en Asie et en Europe afin de combler la demande. Nous devons relever ce défi, en plus de celui de la démographie.
Le sénateur Ringuette : Ne serait-ce pas un beau projet pour l'École de la fonction publique?
M. St-Jean : Oui, on travaille étroitement avec eux.
Donc, comme je le disais, l'implantation s'étalera sur plusieurs années. Pour les trois prochaines années, les différents intervenants atteindront un certain niveau. Nous pourrions comparer cela à un avion qui décolle : Au début, cela va trembloter un peu, pendant les trois ou quatre prochaines années, et ensuite, plusieurs années seront nécessaires pour le stabiliser. C'est une étape qui ne peut pas se faire plus rapidement.
Le sénateur Ringuette : Donc, pour répondre à ma question, concernant l'implantation de toutes les questions financières que la Loi fédérale sur la responsabilité impose, vous parlez de trois à quatre ans plus quelques autres années pour le rodage; on calcule donc six bonnes années avant qu'un roulement normal soit établi dans le système.
M. St-Jean : Si tout va bien et si le secteur privé ne nous revient pas avec des demandes supplémentaires sur la capacité de fournir des experts financiers.
Autre chose à l'horizon : avec les nouveaux standards internationaux de comptabilité qui doivent s'appliquer en 2011 au Canada dans le secteur privé, on anticipe un impact sur le secteur public. Nous ne sommes pas en vase clos, vous comprenez, différentes situations se présentent en même temps.
Le sénateur Ringuette : Je comprends la question de la capacité. Maintenant, selon votre expérience, avez-vous estimé les coûts d'implantation selon les exigences du projet de loi S-217?
M. St-Jean : Spécifiquement sur ce projet de loi, je ne pourrais pas vous donner des coûts précis.
Ceci étant dit, on a besoin d'une fondation avant de se lancer, c'est-à-dire la mise en place des nouvelles politiques de gestion financière, les états financiers vérifiés, ainsi de suite, et à ce niveau, on prévoit 40 à 60 millions de dollars par année. Ensuite, il y aura aussi des coûts à prévoir pour faire la comptabilité des appropriations, les votes et les autorités sur une base d'exercice. Ceci implique des coûts et ce sont des éléments qui doivent être réalisés avant d'en arriver aux états financiers trimestriels.
Lorsque cette fondation sera faite, le coût marginal des états financiers trimestriels devrait être relativement faible. Si nous n'avons pas cette base, ce sera comme du sable mouvant.
Le sénateur Ringuette : J'essaie de revoir l'implication des comités de vérification mis en place pour chaque ministère dans la Loi fédérale sur la responsabilité, et je ne me souviens pas qu'on ait exigé une vérification trimestrielle. Y avait- il des exigences de temps? Je crois qu'on exigeait seulement un mandat de vérification des comptes du ministère.
M. St-Jean : La Loi fédérale sur la responsabilité oblige les sous-ministres à créer des comités de vérification et à avoir une vérification interne, ce qui ne s'appliquait, avant cela, que pour les sociétés de la Couronne. Maintenant, avec la Loi fédérale sur la responsabilité, cette obligation est exigée aussi pour les ministères.
Les comités de vérification doivent être établis selon la politique sur la vérification interne adoptée en date du 1er avril 2006 et qui avait été acceptée en octobre 2005 et reconfirmée par le gouvernement comme étant la politique qui répondait à leurs attentes. Le comité de vérification dispose de trois années pour mettre en place cette politique.
Le sénateur Ringuette : Au niveau des politiques gouvernementales qui ont été approuvées en avril, il n'y a pas d'exigences qui obligent ce comité, après sa mise en place, à faire une vérification trimestrielle.
M. St-Jean : Non.
[Traduction]
Le sénateur Murray : Le projet de loi à l'étude comporte deux éléments — d'une part, les rapports trimestriels, d'autre part, la comptabilité de l'exercice. Selon vous, lequel de ces éléments vous donne le plus de maux de tête, à vous et à vos collègues, ou sont-ils tous deux aussi problématiques?
M. St-Jean : La production de rapports trimestriels est vraiment un problème de capacité. Si nous avons la capacité, nous pouvons le faire, mais pour l'instant, ce n'est pas le cas.
Quant à la comptabilité d'exercice, le projet de loi dispose que toute cette information devrait être présentée conformément aux principes comptables généralement reconnus ou PCGR. Or, vous êtes conscients que les comptes publics du gouvernement du Canada sont établis selon une convention comptable énoncée, qui se rapproche des PCGR. Il me serait difficile, en tant que contrôleur général, de recommander au gouvernement d'adopter les PCGR plutôt qu'une convention énoncée fondée sur les PCGR. Il y a une nuance importante entre les deux. Le fait que je sois membre du Conseil sur la comptabilité dans le secteur public et FCA m'impose le devoir de prudence. Par contre, j'ai aussi une responsabilité à l'égard du Parlement en ce qui concerne la meilleure solution.
Dans l'entreprise privée canadienne, les grandes entités vont d'ici à 2011 délaisser les principes comptables généralement reconnus au profit des IFRS, c'est-à-dire des normes internationales d'information financière. Pour le secteur public, cette année, nous avons réussi à attirer ici, à Toronto, l'International Public Sector Accounting Standards Board (conseil des normes comptables internationales pour le secteur public), auparavant situé à Melbourne. Nous serons donc plus en mesure d'élaborer des normes internationales pour le secteur public.
Les pays européens ont adopté, un à un, les IFRS pour leur secteur public. Ils ont décidé de ne pas accepter les IFRS en bloc. Ils souhaitent donner au Parlement européen le pouvoir de revoir chaque norme et de décider si elle devrait s'appliquer au Parlement européen. On en débat aussi au Royaume-Uni. Si les IFRS étaient acceptées en bloc, alors le Parlement se trouverait essentiellement à confier à un tiers le pouvoir d'établir la norme comme telle.
Une pareille proposition me cause des difficultés sur le plan intellectuel. À mon avis, c'est au Parlement que revient une pareille décision. Les PCGR appliqués au Canada représentent une excellente norme. Il faudra peut-être converger vers les IFRS pour le secteur public, mais pour l'instant, je privilégie les PCGR. Les normes utilisées pour dresser les comptes publics du gouvernement du Canada sont des principes comptables énoncés, ce qui correspond aux PCGR canadiens. Il vaudrait mieux, selon moi, laisser le Parlement décider des normes qui conviennent le mieux au Canada. Cet élément représente le problème philosophique. Il reste la question d'utilité.
Le sénateur Murray : Nous abordons des questions d'ordre technique qui me dépassent, mais je vais en revenir à votre déclaration. Vous avez dit que, pour la présentation de rapports financiers selon la comptabilité d'exercice, le Canada est reconnu comme un chef de file mondial. Ensuite, vous avez affirmé que des rapports financiers basés sur la comptabilité d'exercice sont déposés chaque année au Parlement pour tous les ministères, organismes et sociétés d'État. Puis, en ce qui concerne les rapports, vous dites que le ministère des Finances publie chaque mois une revue financière qui fait état des résultats financiers selon la comptabilité d'exercice. Enfin, toujours selon vous, les rapports financiers établis à des fins générales selon la comptabilité d'exercice ne fourniraient pas d'information détaillée sur l'utilisation des crédits.
Je suppose que c'est ce que vous nous dites en jargon plus technique. Tout à l'heure, vous avez déclaré que l'établissement de budgets et d'affectations budgétaires représente une autre question à l'étude qui aurait un profond impact sur le gouvernement fédéral. J'ignore si vous approuvez ou acceptez à reculons ce qui se passe. Qu'êtes-vous en train de nous dire? Aurons-nous des budgets et des affectations établis selon la comptabilité d'exercice un jour? Est-ce là l'objectif du gouvernement?
M. St-Jean : Le président doit comparaître cet après-midi devant un autre comité, celui des opérations gouvernementales, et il en sera question. Le comité des comptes publics a fait une recommandation en ce sens, je crois. Avant d'y répondre, le gouvernement en fait l'examen.
Si la méthode était adoptée par le gouvernement pour l'information budgétaire, les utilisateurs des rapports financiers auraient la tâche plus facile du fait que la même méthode comptable serait utilisée partout. Actuellement, nous utilisons une méthode pour les affectations budgétaires, soit la quasi-caisse, et une autre pour les rapports financiers, la véritable comptabilité d'exercice. Des parlementaires ont recommandé au gouvernement de passer à une seule méthode. Je ne suis pas en mesure pour l'instant de vous dire quelle est la position du gouvernement. Nous sommes en train de conseiller le ministre, et je crois qu'en temps et lieu, il donnera son avis à cet égard. Le fait d'avoir recours à deux méthodes comptables comporte son lot de difficultés. Si nous en adoptions une seule, il faudrait quatre ou cinq ans au moins pour modifier les prévisions budgétaires, pour changer la façon de les présenter et pour faire la transition. Le président est en train d'examiner certaines prévisions de coût préliminaires qui s'ajouteraient aux 40 à 60 millions de dollars dont je parlais tantôt. Ce sont des initiatives qu'on est en train d'étudier, mais à nouveau, il faut tenir compte de la capacité et du jalonnement.
[Français]
Le sénateur Murray : En réponse à une question posée par madame le sénateur Ringuette, vous avez dit que votre plus grand défi concerne la capacité de votre ministère, à la fonction publique. Vue sous cet angle, la question est essentiellement de bien choisir le moment.
Selon les dispositions, le projet de loi entrera en vigueur 120 jours après son adoption. Le sénateur Segal est un homme de principes, mais il est également flexible. Une clause plus flexible sur l'entrée en vigueur ne pourrait-elle pas résoudre votre problème sur la capacité, ou au moins apaiser vos soucis sur cette question?
M. St-Jean : J'ai mentionné plus tôt le problème de capacité en ce qui a trait à la production d'états financiers vérifiés. En plus des 23 ministères mentionnés plus tôt, il ne faut pas oublier que le Gouvernement du Canada comprend plus de 120 autres organisations. Par conséquent, l'effort qui devra être déployé pour rencontrer l'échéancier du 31 mars 2009 en ce qui a trait aux états financiers vérifiés sera épuisant. Si je me fie à l'expérience anglaise ou américaine, il est fort probable que certains des ministères auront des réserves sur leurs états financiers. Nous ne sommes donc pas sortis du bois, et l'on ne parle que des 23 premiers ministères.
Je proposerais donc qu'il y ait une deuxième vague, une fois que les 23 premiers ministères seront terminés, pour s'attaquer aux 20 ministères suivants. Ces deux étapes représenteraient environ 96 p. 100 de nos dépenses et nécessiteraient deux ans de plus, ce qui nous mène en 2011.
Lorsque l'on aura établi une base solide, on pourrait se pencher sur la question des états financiers trimestriels.
[Traduction]
Le président : Est-ce que le plan d'action a été mis en place récemment, à la suite de l'adoption du projet de loi C-2, ou existait-il déjà avant la mise en œuvre de la Loi sur la responsabilité?
M. St-Jean : Le plan d'action a été déposé en même temps que la Loi fédérale sur la responsabilité. Il prévoit, comme l'a annoncé le président, la création d'une série de groupes de travail ou d'étude, dont le groupe d'experts sur les subventions et les contributions, l'examen du processus de passation des marchés et des politiques de gestion financière, et le dépôt d'un rapport au cours de la présente année financière. Toutes ces initiatives ont été annoncées à ce moment-là.
Le président : Ces initiatives découlent du projet de loi C-2, mais je crois que la décision d'instaurer, au sein de la fonction publique, un système de comptabilité d'exercice remonte à au moins 2003, n'est-ce pas?
M. St-Jean : L'instauration de ce système découle, en fait, du budget de 1995-1996. Il a fallu environ sept ans pour passer de la comptabilité de quasi-caisse à la comptabilité d'exercice, en 2003. Le Canada est le seul, parmi les pays du G-8, à présenter des états financiers consolidés accompagnés d'une opinion de vérification sans réserve.
Le président : Qu'en est-il de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande?
M. St-Jean : Nous sommes le seul à le faire parmi les pays du G8. L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont les deux seuls pays à présenter des états financiers consolidés assortis d'une opinion sans réserve. Le Royaume-Uni entend s'y mettre d'ici un an ou deux. Il faudra 10 ans avant que les États-Unis songent même à le faire.
Le président : Est-ce que la décision d'utiliser la comptabilité d'exercice au sein de la fonction publique a été prise avant le dépôt du plan d'action et du projet de loi C-2?
M. St-Jean : Oui. Cette décision découle du budget de 1995. Il a fallu sept ans pour passer à la comptabilité d'exercice.
Le président : Il est difficile pour nous, parlementaires, comme vous le savez, de composer en même temps avec deux ou trois systèmes différents et de comprendre ce que nous sommes censés surveiller. Nous avons déposé, avant Noël, un rapport qui passait en revue les engagements pris par deux gouvernements différents à l'égard du ministère de la Défense Nationale. Je ne comprends toujours pas le processus comptable utilisé dans les deux cas. Il est difficile pour nous d'évaluer les deux engagements qui ont été pris relativement à l'augmentation du financement accordé au MDN. On ne peut combiner les deux. Il y en a un qui porte, en partie, sur la comptabilité d'exercice, et l'autre, sur la comptabilité de caisse. Il faut absolument aller de l'avant et adopter un système qui nous permettra de comparer les engagements pris par deux gouvernements différents.
Le sénateur Murray : Ces questions relèvent essentiellement du domaine politique. Ce ne sont pas les systèmes comptables qui posent problème. Je ne sais pas si nous sommes censés comprendre quelque chose.
Le président : Vous avez peut-être raison, sénateur Murray.
David Moloney, secrétaire adjoint principal, Secteur de la gestion des dépenses, Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada : Je vais répondre à la question du président, ou au point qu'il soulève. Comme l'a indiqué le contrôleur général, le gouvernement s'attache, depuis 1995, à instaurer progressivement la comptabilité d'exercice dans les domaines des opérations et de la planification financières, de sorte que l'engagement premier visait l'établissement des rapports. Il a été obligé de prendre des mesures pour que les comptes publics, le budget, le Budget B, soient fondés sur la comptabilité d'exercice dès 2002-2003. Cela veut dire que même les décisions prises par le Cabinet devaient s'appuyer sur la méthode de la comptabilité d'exercice. Le plan de sept ans mis sur pied dans un premier temps n'abordait pas le point mentionné par le président, soit l'application de la comptabilité d'exercice à l'affectation des crédits par le Parlement, et ensuite à l'établissement des budgets par les gestionnaires des ministères. Cela veut dire, comme on l'a indiqué le président, que toutes les informations détaillées fournies au Parlement le sont selon le principe de comptabilité de quasi-caisse, mais que tous les états financiers présentés au Parlement et aux Canadiens sont établis selon la comptabilité d'exercice. Cette situation n'est pas acceptable. En 2005, le Secrétariat — c'est-à-dire les Bureau du contrôleur général et le secteur de la gestion des dépenses — a commandé une étude majeure, que nous avons fournie aux comités parlementaires, sur les mesures à prendre — en nous fondant sur l'expérience d'autres pays et de certaines provinces — au chapitre de l'affectation des crédits, car tous les crédits, voire la gestion financière des ministères, devaient être établis selon la comptabilité d'exercice.
Le rapport qui nous a été remis l'an dernier, et dont il a été question dans l'autre endroit, prévoit une période de transition de trois à cinq ans et des coûts additionnels pouvant atteindre jusqu'à 150 millions de dollars. Lors de sa comparution devant l'un des comités, le contrôleur général, accompagné de fonctionnaires d'autres provinces, a déposé un rapport qui proposait au gouvernement une période de transition s'étendant sur plusieurs années. Le gouvernement devra indiquer au Parlement comment il entend réagir à cette recommandation.
Il va falloir revoir toute la question des crédits de concert avec le Parlement. De façon plus précise, il va falloir analyser l'impact qu'aurait la comptabilité d'exercice sur l'amortissement des immobilisations et divers passifs en espèces et hors caisse. Cette démarche, en plus d'être compliquée, influe directement sur la capacité du Parlement de surveiller et de contrôler les dépenses. Nous avons proposé quelques modèles. Il n'y a pas de solution unique, comme c'est le cas pour l'établissement des rapports financiers, où l'on dispose effectivement d'un exemple à suivre, ainsi que l'a indiqué le contrôleur général. Les provinces et territoires utilisent tous des approches différentes, de sorte qu'il faudra s'attacher, tout en collaborant avec le Parlement, à renforcer la capacité des ministères dans ce domaine. Je tiens à préciser que cela ne fait pas partie du plan d'action qui découle de la Loi fédérale sur la responsabilité ou de sa mise en œuvre. Cette démarche s'inscrit dans un processus vieux de 12 ans qui vise à améliorer la gestion financière, l'établissement des rapports financiers et la capacité du Parlement de contrôler les dépenses.
Le président : Merci de ces précisions. Le sénateur Murray a peut-être raison de dire que tout cela relève essentiellement du domaine politique et qu'il incombera à l'électorat de demander, lorsqu'un engagement sera pris durant une campagne électorale — est-ce que cet engagement se fonde sur la comptabilité d'exercice ou la comptabilité de quasi-caisse? Voilà le problème que pose la surveillance qui se fait à un autre niveau.
Le sénateur Oliver : Vous avez dit monsieur St-Jean, en réponse à plusieurs des questions posées par le sénateur Segal, que le problème, en ce qui concerne certaines de ses propositions, tient au fait que les données ne sont pas fiables. Vous avez dit qu'il est difficile d'obtenir des données fiables des différents ministères en raison de la date de clôture. Vous avez ajouté que pour certains ministères, la date de clôture correspond au deuxième jour du mois, et pour d'autres, à d'autres dates. Je ne sais pas pourquoi vous ne pouvez pas dire, « Nous allons fixer une date précise. La date de clôture dans tous les cas sera le dernier jour de ce trimestre-ci. Nous allons préparer nos données en nous fondant là- dessus. » Pourquoi ne pouvez-vous pas faire cela?
M. St-Jean : Toutes les transactions doivent être signalées en temps opportun. Il est difficile d'instaurer une procédure de coupure de l'exercice, que ce soit sur une base mensuelle ou trimestrielle, pendant l'année. Cela pose un gros problème. Dans le secteur privé, la date de clôture est fixée au dernier jour du trimestre. Cela veut dire que les sommes à payer, ainsi de suite, doivent être comptabilisées sur une base mensuelle. Nous n'avons pas encore atteint ce niveau de discipline.
Le sénateur Segal : Le secteur privé le fait tout le temps.
M. St-Jean : Oui, la date de clôture dans le secteur privé est respectée de façon beaucoup plus rigoureuse que dans le passé. Si vous faites partie des comités de vérification du secteur privé ou de sociétés ouvertes, vous allez constater que les comités consacrent beaucoup de temps à l'analyse des comptes de régularisation à la fin de chaque trimestre, chose que personne ne faisait dans le passé pendant l'année, mais seulement à la fin de celle-ci. Aujourd'hui, les comités s'y mettent à la fin de tous les trimestres. Vous devez faire état de toutes les sommes à recevoir et de toutes les sommes à payer à la fin du mois. En raison de l'utilisation des deux systèmes comptables, la plupart des rapports, pendant l'année, sont établis selon la méthode de la comptabilité de quasi-caisse. Le fait est que nous continuons d'établir la plupart de nos rapports selon la méthode de la comptabilité de quasi-caisse. Le principe de la comptabilité d'exercice n'a pas encore été bien assimilé par les gestionnaires des ministères, de sorte que le dépôt de rapports trimestriels permettrait d'instaurer une discipline plus rigoureuse à ce chapitre au cours de l'année.
Le sénateur Oliver : Ne pouvons-nous pas faire cela?
M. St-Jean : Nous demandons aux agents financiers de fournir des rapports sur les budgets et les pouvoirs de dépenser en s'appuyant sur la comptabilité de quasi-caisse, et d'établir des rapports financiers selon la comptabilité d'exercice. Ils ont de la difficulté à le faire. J'ai demandé à mes collègues de la Nouvelle-Zélande combien de temps il leur a fallu pour passer au système de comptabilité d'exercice, et ils m'ont répondu de 10 à 15 ans. C'est le temps qu'il faut, car les gens sont habitués à fonctionner de certaines façons. Il nous a fallu un certain nombre d'années pour faire la transition de l'échelle Fahrenheit à l'échelle Celsius. Certains d'entre nous utilisons encore l'échelle Fahrenheit à l'occasion.
Le sénateur Oliver : Où en seront les 23 ministères le 31 mars 2009? Ils n'auront pas la capacité voulue pour agir.
M. St-Jean : Nous allons demander que des opinions de vérification soient fournies tous les ans pour chacun des 23 ministères. Ensuite, nous allons essayer d'améliorer les rapports présentés en cours d'exercice. Nous aimerions, dans un premier temps, procéder à l'interne pour faire en sorte que les données sont fiables. Nous allons vérifier l'intégrité de celles-ci avant de les rendre publiques. Nous allons devoir déployer beaucoup d'efforts pour changer le comportement des gens.
Le sénateur Segal : Que feriez-vous si, en plus de recourir ad vitam aeternam à la procédure d'appel, vous obteniez une ordonnance d'un tribunal? Si vous aviez une ordonnance de la Cour suprême du Canada qui exigeait la production des états financiers trimestriels que le Conseil du Trésor a reçus de chacun des ministères, écririez-vous au fonctionnaire du tribunal pour lui dire que vous ne pouvez fournir ces données car vous n'êtes pas prêt, ou accepteriez- vous de présenter ce que vous avez en main? Et que présenteriez-vous, au juste?
M. St-Jean : La balance de vérification de tous les comptes. Chaque ministère produirait, tous les mois, une balance de vérification qui serait remise au receveur général qui, lui, s'en servirait pour évaluer la situation financière du gouvernement du Canada. Ces données servent de base à La revue financière. Comme l'a indiqué le sénateur, quand on commence à fournir des données qui ne sont pas regroupées, le degré d'incertitude entourant la qualité de ces données augmente, ce qui amène d'autres questions.
Le sénateur Segal : Est-ce que La revue financière repose sur un modèle informatique de ce que devraient être nos dépenses, plutôt que sur un tableau réel de la situation?
M. St-Jean : Les données mensuelles sont les données réelles que fournissent les ministères.
Le sénateur Segal : Est-ce qu'il s'agit de chiffres réels ou de chiffres modélisés? Est-ce que ce sont des projections ou des chiffres réels?
M. St-Jean : Ce sont des chiffres réels qui font ensuite l'objet d'une analyse pour repérer les erreurs ou cerner les tendances inhabituelles et imprévues. Les balances de vérification mensuelles produites par les ministères contiennent des erreurs pour ce qui est de la date de clôture. Elles sont analysées dans le but de faire en sorte que les chiffres consolidés, pris ensemble, sont exacts.
Le sénateur Segal : Y a-t-il quelqu'un à l'emploi de Sa Majesté, du chef du gouvernement fédéral, qui sait combien d'argent dépensent les ministères à chaque trimestre? Y a-t-il quelqu'un qui le sait vraiment, et non pas qui pense le savoir ou qui pense en avoir une idée en se fondant sur un cadre? Je sais que le Conseil du Trésor produit beaucoup de cadres financiers. Combien d'argent dépense-t-on tous les trimestres? Si quelqu'un le sait, pensez-vous que cette personne serait prête à partager cette information avec la population?
M. St-Jean : Un rapport est préparé tous les mois, selon la méthode de la comptabilité de caisse. La balance de vérification fait état de toutes les transactions qui sont effectuées tous les mois.
Le sénateur Segal : Vous ne voulez pas que ces renseignements soient divulgués trop rapidement.
M. St-Jean : Nous en avons déjà parlé. Est-ce que l'information est présentée selon la méthode de la comptabilité de caisse ou selon la méthode de la comptabilité d'exercice? J'ai peur que si nous procédons trop rapidement, la population n'aura pas une idée exacte de la situation. À l'heure actuelle, certaines données sont présentées selon la méthode de la comptabilité de caisse, et d'autres, selon la méthode de la comptabilité d'exercice. Je songe, par exemple, au passif découlant du régime de retraite. Comme les pensions vont être versées pendant les 30 prochaines années, nous devons calculer le passif qui découle du régime tous les mois.
Le sénateur Segal : Les grandes entreprises privées dont le chiffre d'affaires s'élève dans les milliards de dollars doivent compiler ces données, les divulguer à leurs actionnaires. Il s'agit, pour elles, d'une pratique tout à fait courante.
M. St-Jean : J'aimerais bien que ce soit la même chose pour nous, mais nous n'en sommes pas encore là. Toutefois, nous avons une avance sur les pays du G8, et nous sommes un peu à la traîne de l'Australie et à la Nouvelle-Zélande. J'aimerais me retrouver dans la même situation que ces deux pays, mais il faudra du temps pour cela.
Le sénateur Segal : Oui, et de l'argent.
M. St-Jean : Du temps, de l'argent et des ressources.
Le président : Honorables sénateurs, nous avons parlé du rapport et de ce qui se passe à la Chambre des communes. Je voudrais, si vous êtes d'accord, demander au greffier qu'il nous fournisse une copie du rapport daté de décembre 2006 qui s'intitule « Comptabilité pour la budgétisation et l'affectation des crédits ». Il a été préparé par le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires et va constituer une excellente toile de fond à cet important sujet d'étude.
Le sénateur Murray : Le ministre comparaît devant le comité aujourd'hui.
Le président : Si j'ai bien compris, monsieur St-Jean, il va discuter de ce rapport?
M. St-Jean : Entre autres.
Le président : J'aimerais avoir une autre précision. D'après le projet de loi S-217, les rapports vont être établis selon les principes comptables généralement reconnus. Avez-vous dit que ces principes vont être remplacés par des normes internationales?
M. St-Jean : Le Canada a annoncé que le secteur privé va délaisser les normes GAAP au profit des normes IFRS dès 2011. Aucune annonce n'a encore été faite pour ce qui est du secteur public. La question fait toujours l'objet d'un débat.
L'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Europe ont déjà adopté les normes IFRS. Le Royaume-Uni songe à le faire. L'Europe a déjà adopté les nouvelles normes.
Le président : Délaisser les normes GAAP?
M. St-Jean : Oui, au profit des normes IFRS. Il va y avoir une série de normes pour la plupart des pays. Toutefois, l'Europe dit, « Nous allons adopter ces normes à tour de rôle, et non pas en masse. » L'Europe est confrontée à des problèmes pour ce qui est des entités comptables. Cela crée des difficultés qui ne sont pas faciles à régler.
Quand je dis que nous allons délaisser les normes GAAP, je fais allusion aux grandes entreprises du secteur privé. Le secteur public continue toujours d'appliquer ces principes. Nous avons le Livre rouge. Sera-t-il toujours là dans six ou sept ans? Je me le demande.
Le président : Avez-vous des recommandations à faire à cet égard, ou est-ce que la vérificatrice générale a formulé une recommandation générale sur le sujet?
M. St-Jean : La vérificatrice générale nous encouragerait à utiliser les normes GAAP lors de l'établissement des rapports financiers. Nous ne nous entendons pas là-dessus. Toutefois, la vérificatrice générale comprend pourquoi je préfère que les rapports soient établis selon les normes GAAP, et non pas conformément à celles-ci. Pour ce qui est de la primauté du Parlement, je pense que les normes devraient être fixées par lui. Les principes comptables généralement reconnus qu'applique le Canada constituent une excellente norme. Nous essayons de les suivre rigoureusement mais, au bout du compte, il revient au Parlement de fixer les normes.
Le président : Est-ce que les sociétés de la Couronne choisissent les règles qu'elles vont suivre, ou est-ce le gouvernement qui prend cette décision?
M. St-Jean : Depuis le début des années 80, les rapports financiers des sociétés de la Couronne sont établis selon les normes GAAP. Elles vont peut-être être obligées d'adopter les normes IFRS en 2011, ce qui risque de compliquer les choses.
Le président : Merci, monsieur St-Jean, d'être venu nous rencontrer ce matin et de nous avoir fourni ces renseignements. Cela nous a beaucoup aidés.
Monsieur Moloney, c'est toujours un plaisir de vous rencontrer.
Nous avons suivi de près les efforts qu'a déployés le contrôleur général en vue de recréer ce poste. Nous sommes heureux des résultats, et nous sommes contents de voir que c'est vous qui l'occupez.
Nous allons suspendre la séance, le temps que les témoins rassemblent leurs documents. Nous allons ensuite discuter de ce que nous allons faire.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.