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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 14 - Témoignages du 15 mai 2007


OTTAWA, le mardi 15 mai 2007.

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 9 h 33 pour étudier les questions relatives à l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers paliers de gouvernement et pour en faire rapport.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a été autorisé en septembre 2006 à étudier les questions relatives à l'équilibre fiscal et vertical entre les différents paliers de gouvernement, c'est-à-dire les divers arrangements fiscaux entre les gouvernements au Canada, et à en faire un rapport au plus tard le 30 juin 2007.

Nous avons débuté notre étude à l'automne 2006 et avons publié un rapport intitulé L'équilibre fiscal horizontal : Vers une démarche fondée sur des principes. Ce rapport était essentiellement consacré aux résultats de notre étude et à nos recommandations concernant les programmes de péréquation existant au Canada et il avait suscité un débat public animé. Le comité se penche maintenant sur la question particulière de l'équilibre fiscal vertical en examinant la répartition des ressources fiscales et des responsabilités entre les divers paliers de gouvernement.

Notre premier témoin est Nancy Peckford, directrice de programmes de l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale, l'AFAI. Cette alliance est une coalition réunissant plus de 75 organisations féministes canadiennes. Son mandat consiste à faire progresser l'égalité des femmes au Canada par la mise en œuvre nationale des engagements internationaux souscrits par le Canada sur les droits de la personne. L'AFAI a publié une analyse du budget dans lequel elle examinait les changements proposés au Transfert canadien en matière de programmes sociaux, le TCPS.

Selon notre procédure habituelle, madame Peckford, je vous donne la parole pour une déclaration liminaire, après quoi nous aurons une période de questions.

Nancy Peckford, directrice de programmes, Alliance canadienne féministe pour l'action internationale (AFAI) : Merci, monsieur le président. Nous sommes très heureuses de pouvoir nous adresser au comité. Je devrai malheureusement vous quitter avant la fin de la séance car je dois prendre un avion pour Calgary dans les prochaines heures. J'espère que nous pourrons traiter du sujet en une heure. Les organisations faisant partie de notre alliance sont de taille très variable et vont par exemple d'Amnistie internationale à des organisations féministes nationales comme l'Association nationale des femmes et du droit, l'Institut canadien de recherche sur les femmes et la Fédération des femmes du Québec, ou des petits centres d'aide des femmes, comme le Antigonish Women's Resource Centre et des conseils de développement économique communautaire de niveau provincial ou local.

Nous avons entrepris un dialogue de réflexion sur ce que signifie l'équilibre fiscal au Canada. En août dernier, nous avons reçu une aide financière modeste du gouvernement pour étudier la question de manière plus systématique. La manière dont les Canadiens comprennent le déséquilibre fiscal et la manière dont les gouvernements réagissent à leurs réalités budgétaires sont fondamentales pour les droits des femmes et pour la manière dont les femmes du Canada bénéficient des services publics. De ce fait, l'un de nos messages d'aujourd'hui est que les programmes sociaux sont cruciaux pour l'avancement des femmes. Quand nous avons exprimé devant Condition féminine Canada la nécessité de parler de l'équilibre fiscal dans le sens où les femmes le comprennent, nous avons dit que les femmes ont un enjeu important dans ce débat parce que les politiques fiscales et budgétaires des gouvernements les touchent différemment des hommes. Ce constat peut être confirmé par des études internationales et par nos propres recherches. Votre invitée suivante, Armine Yalnizyan, a rédigé pour nous une étude rétrospective des budgets fédéraux sur dix ans pour voir quelle a été l'incidence sur les femmes des dépenses publiques et des coupures budgétaires imposées lorsque le gouvernement fédéral a restructuré ses arrangements fiscaux.

Nous pensons que cette discussion revêt une importance considérable pour les femmes. On peut trouver des informations sur la vie des femmes du Canada dans Les femmes au Canada, un rapport rétrospectif que publie Statistique Canada tous les cinq ans et dont la dernière version est sortie en 2006. Ce rapport prouve sans l'ombre d'un doute que les femmes ont dans la plupart des cas des possibilités d'emploi différentes, des responsabilités familiales et communautaires différentes et des niveaux de sécurité économique différents. Il existe beaucoup de données importantes sur la pauvreté des femmes, autre facteur confirmant l'importance de leur participation à ce débat. D'aucuns s'imaginent parfois que l'égalité des femmes est une question réglée au Canada. Certes, nous avons pris des mesures, législatives et politiques, pour abolir la plupart des formes de discrimination mais, malgré les progrès importants réalisés, la vie des femmes reste encore différente à de nombreux égards, du point de vue de leur rôle dans la famille, dans la communauté et dans la population active.

En ce qui concerne notre mandat — et je répondrai ensuite volontiers à vos questions —, les programmes sociaux canadiens sont essentiels à l'avancement des femmes et c'est pourquoi nous avons consacré tant d'attention au Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Nous avons récemment tenté de nous attaquer au débat sur le déséquilibre fiscal comme projet politique. Nous savons que l'infrastructure de services sociaux et de programmes de soutien mis en place au cours des 50 dernières années a été essentielle pour améliorer l'accès des femmes à des emplois rémunérés et leur a ouvert la porte de l'enseignement supérieur et de la vie publique. Des programmes tels que les soins de santé, l'aide sociale, l'accès à la garde d'enfants et l'aide juridique ont eu un effet égalitaire sur la vie des femmes. Ce sont des mécanismes cruciaux pour garantir la mise en œuvre des droits humains que le Canada s'est engagé à promouvoir dans la Constitution, dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans les traités internationaux sur les droits de la personne, auxquels nous prêtons une attention particulière. Les droits énoncés dans les conventions de l'ONU englobent le droit à l'égalité, à la liberté, à la sécurité de la personne et à un niveau de vie adéquat. Nous avons pris note en particulier de la ratification par le Canada de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la CEDAW, il y a 26 ans. Il y a eu en 2006, pour marquer le 25e anniversaire de cette ratification, une campagne destinée à mesurer les progrès réalisés par le Canada depuis la ratification de 1981. Cette campagne a révélé qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire et que le Canada est incroyablement mal équipé pour être à la hauteur de ses intentions et des engagements pris dans le cadre de cette Convention.

En ratifiant la CEDAW en 1981, le Canada s'était engagé à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le plein développement et le progrès des femmes.

À notre avis, les droits humains que le Canada a endossés exigent que les gouvernements s'assurent que chaque personne puisse s'en prévaloir et que les affectations budgétaires, en particulier pour les programmes sociaux, soient suffisantes.

Ils exigent aussi que les gouvernements du Canada s'assurent que les programmes sociaux sont adéquats et uniformes dans tout le pays, ce qui est une autre raison pour laquelle nous attachons tellement d'importance au rôle fédéral. Nous sommes heureuses que le comité ait entrepris cette étude.

Comme les programmes sociaux font tellement partie intégrante de la vie des femmes et de leurs perspectives sociales, la manière dont ils sont financés et la qualité des services disponibles dans toutes les régions revêtent beaucoup d'importance pour les femmes.

Quand l'ONU s'est penchée sur la situation du Canada au titre de la CEDAW en 2003, elle a souligné une préoccupation particulière qu'elle a répétée dans des analyses subséquentes au titre d'autres Conventions internationales. Elle a recommandé « au gouvernement fédéral de réexaminer les changements apportés aux arrangements budgétaires liant l'État et les provinces et territoires de façon à rétablir des normes nationales correspondant à des niveaux de prestation adéquats et à faire en sorte que les femmes ne soient plus touchées de façon disproportionnée dans certaines régions de l'État partie ».

L'ONU a adressé ce message au Canada parce qu'elle avait pris note de grandes variations entre les gouvernements provinciaux, qui présentent leurs propres rapports dans le cadre d'un rapport canadien consolidé. Les grandes variations existant sur le plan de la prestation de services avaient donc retenu son attention.

Par exemple, les services de garderie d'enfants pour les familles à revenus modiques étaient meilleurs dans certaines régions que dans d'autres. Évidemment, nous avons l'exemple spectaculaire du programme de garderies d'enfants du Québec. L'ONU avait noté aussi que l'aide juridique en droit familial et en droit civil était plus généreuse dans certaines provinces et qu'elle avait même été abolie dans certaines autres. L'accès aux services fondamentaux avait été complètement éliminé dans certaines provinces.

L'ONU a donc dit au Canada, notamment au gouvernement fédéral, qu'il a un rôle de leadership à jouer. Quand le Canada a signé la CEDAW en 1981, il a accepté d'être le maître d'œuvre dans le respect des engagements pris au sujet des droits humains internationaux.

Le Canada aime invoquer l'argument du partage des pouvoirs avec les provinces devant les organismes de l'ONU. Il dit que ces questions ne relèvent pas de sa compétence et que les différences ne sont pas de son fait. Les Nations Unies répondent que le gouvernement fédéral a une obligation envers les femmes, partout où elles se trouvent sur son territoire, et qu'il doit réfléchir systématiquement aux programmes et services qui leur sont destinés.

Je vais bientôt arriver aux détails de cette question mais je tenais à expliquer pourquoi elle est si importante à nos yeux. On trouve dans le rapport du comité de l'ONU sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes 23 recommandations qui n'ont dans l'ensemble pas été mises en œuvre. Elles concernent un large éventail de services sociaux, dont certains relèvent essentiellement des compétences provinciales et territoriales et d'autres des compétences fédérales. Nous nous demandons depuis plusieurs années comment faire en sorte que le Canada assume la responsabilité de ces recommandations.

En ce qui concerne nos propositions sur le déséquilibre fiscal vertical, nous tenons à souligner combien le rôle fédéral est important pour nous. Quand nous avons mené des consultations dans tout le pays auprès d'organisations de femmes, de groupes de défense des droits humains et de projets de développement économique communautaires axés sur les femmes, le message uniforme a été que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de leadership. Les femmes ne sont pas aussi fascinées que d'autres Canadiens par les arguties intergouvernementales et ne tiennent pas à se retrouver délaissées à cause des manœuvres des gouvernements.

Nous espérons que votre réflexion durant cette étude vous permettra d'en sortir avec une compréhension claire des raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral intervient et des fins auxquelles il use de son pouvoir de distribution des ressources pour les grands projets sociaux dont nous faisons tous partie.

Nous tenons à souligner que certaines décisions ont été prises dans les années 1990 — l'abolition du Régime d'assistance publique du Canada, dont nous avons tous beaucoup entendu parler — qui ont changé le paysage fiscal fédéral. Nous voulons que votre comité, comme d'autres comités et les gouvernements, revoie ce à quoi le gouvernement fédéral devrait consacrer son argent, et dans quel but. Nous croyons qu'un cadre des droits humains est essentiel, notamment un cadre des droits humains reflétant et exprimant le droit des femmes à l'égalité.

Nous soulignons aussi — et nous avons beaucoup travaillé sur cette question — que nous reconnaissons le statut distinct du Québec. Loin de nous l'idée de réclamer que le Québec soit traité de la même manière que les autres provinces et territoires. Nous disons cela parce que nous comprenons l'évolution historique du Canada, nous comprenons la manière dont le fédéralisme a vu le jour, et nous considérons qu'il est parfaitement légitime que le Québec, du fait de sa culture distincte, soit le maître d'œuvre de la conception et de la prestation des programmes et services sociaux destinés à ses résidents.

Cela dit, nous ne voulons pas laisser ce rôle aux provinces dans le reste du Canada. Nous croyons que le Québec, en tant que province, occupe une place distincte dans notre fédération et que sa relation avec le gouvernement fédéral est l'aboutissement de l'évolution historique du Canada et qu'elle est logique. Par contre, nous ne voulons pas ce type d'arrangement avec les autres gouvernements provinciaux.

Dans notre travail avec les femmes de ce pays au sujet de l'équilibre fiscal, nous leur avons demandé d'imaginer ce qui pourrait constituer un avenir productif et constructif, étant donné ce que nous jugeons être un marécage juridictionnel et, d'une certaine manière, la focalisation excessive sur des méthodes particulières de résoudre l'équilibre fiscal.

Nous avons organisé deux consultations auprès des femmes de l'ensemble du pays — y compris des femmes du Québec, des femmes autochtones, des femmes des régions rurales isolées et des femmes des centres urbains. Ce qu'elles nous ont dit, c'est qu'elles sont favorables à ce que le gouvernement fédéral réattribue des désignations aux transferts de façon à indiquer clairement quand il affecte des fonds à quoi ils doivent servir, et qu'elles appuient l'idée d'assurer que les provinces et territoires autres que le Québec respectent des normes établies d'égalité et de caractère adéquat. Ce principe est fondamental à leurs yeux.

Le Transfert canadien en matière de programmes sociaux, qui est né du Régime d'assistance publique du Canada, permet dans une certaine mesure d'affecter des crédits aux programmes sociaux. Toutefois, nous avons voulu voir ce que devient cet argent une fois qu'il est accordé aux provinces et territoires et nous n'avons pas eu beaucoup de succès quand nous avons essayé de savoir à quoi il sert exactement et s'il est géré de manière cohérente et systématique : produit-il les résultats que nous en attendons, en tant que nation?

Dans notre mémoire, nous mentionnons les paiements de péréquation en disant que nous les jugeons essentiels dans le cadre d'un projet de société plus vaste, mais je laisse cette question de côté pour le moment.

Finalement, nous pensons qu'il est important que les femmes jouent un rôle clé dans ce débat. À certains égards, nous sommes heureuses que la représentation féminine soit plus élevée au Sénat qu'à la Chambre des communes. C'est une bonne chose. Nous constatons que les femmes ne représentent que 20 p. 100 des députés. La manière dont les femmes participent à ces discussions a jusqu'à présent été limitée en partie par le fait qu'elles se chargent au quotidien de la bonne marche des familles et des collectivités. Elles assurent de manière héroïque, à notre avis, l'équilibre entre le travail et la vie familiale. Bien souvent, elles n'ont pas le même accès à l'espace public pour exprimer ce qui est important à leurs yeux.

Ce comité est un exemple d'extension du débat. C'est pourquoi nous lui sommes reconnaissants de nous avoir invitées et pourquoi nous sommes venues avec tant d'enthousiasme à si bref préavis. Nous croyons qu'il est important que les femmes participent au débat afin que nous puissions ensemble résoudre certaines de ces questions de manière responsable et adaptée aux réalités des femmes et à nos engagements sur le plan des droits humains.

Le président : Merci de ce bref aperçu. Je sais qu'il y a encore d'autres choses à aborder. J'espère que nous pourrons continuer la discussion à l'avenir.

Pouvez-vous confirmer que le mémoire que vous nous avez remis est le document dans les deux langues officielles intitulé Égalité des femmes et déséquilibre fiscal?

Mme Peckford : C'est bien ça.

Le président : Je n'y vois pas de date. Est-il récent?

Mme Peckford : Il a été publié en mars de cette année et fait suite à un document que nous avions publié l'an dernier au sujet du Transfert canadien en matière de programmes sociaux du Canada, intitulé Renforcement du Transfert canadien en matière de programmes sociaux : un appel à la responsabilisation.

Nous n'avons pas remis ce document au comité car il portait strictement sur le TCPS mais nous pourrons vous le communiquer si vous voulez.

Le président : Nous pourrions en obtenir des exemplaires pour les membres du comité qui le souhaitent. Je vois qu'il a été préparé pour votre organisation par Shelagh Day et Gwen Brodsky.

Mme Peckford : C'est exact.

Le président : Comment votre organisation est-elle financée?

Mme Peckford : Nous sommes une alliance d'organisations diverses de tout le pays. L'AFAI est financée de diverses manières, l'une d'entre elles étant le travail bénévole. Une bonne partie de nos études est réalisée par des bénévoles, des spécialistes du domaine considéré qui estiment que les questions en jeu sont tellement cruciales qu'elles jugent nécessaire de contribuer à leur analyse.

Nous utilisons beaucoup de ressources bénévoles par le travail à titre gracieux de spécialistes, d'universitaires et, ce qui est intéressant, de femmes de terrain qui travaillent dans des centres d'aide aux femmes et des organismes de service communautaires qui veulent participer à la réflexion et ont quelque chose à offrir.

En outre, l'AFAI est financée au moyen de contributions de ses organisations membres. Nous avons des organisations syndicales ainsi que des groupes plus vastes et mieux financés, comme Amnistie internationale, qui a une base de financement indépendante. Depuis quatre ans, nous recevons aussi des fonds de Condition féminine Canada par le truchement de son Programme de promotion de la femme qui sert à financer du travail concernant l'égalité des femmes. Nous avons eu la chance en septembre de recevoir des fonds pour mieux cerner et analyser les questions d'équilibre et de déséquilibre fiscal. Je précise que ce qui nous a permis de faire le travail que nous avons présenté aujourd'hui, c'est que nous avons obtenu des fonds du programme à un moment où la promotion était encore un critère approprié. Depuis lors, le programme a été profondément transformé pour ne plus financer ce genre de travail. Nous avons de la chance d'être ici car il se peut fort bien qu'aucune organisation de femmes ne puisse plus à l'avenir exprimer de position avec des crédits fédéraux.

Le sénateur Mitchell : Nous sommes heureux de votre présence, madame Peckford. Bien qu'il semble que vous ne puissiez plus faire de promotion à cause de la modification récente du programme, vous réussissez à trouver le juste équilibre. Et il y a encore beaucoup de choses à défendre. Il est absolument vrai qu'il reste beaucoup de progrès à faire, même si l'on en a déjà fait certains. La grande question d'égalité pour notre génération et pour les générations passées reste celle de l'égalité des femmes.

Je voudrais ouvrir le débat en parlant d'abord de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Vous avez dit que certaines obligations au titre de cette convention relèvent des provinces et territoires alors que d'autres relèvent du gouvernement fédéral. Bon nombre d'entre elles n'ont pas encore été mises en œuvre. Pourriez-vous nous donner quelques exemples des obligations fédérales et des obligations provinciales?

Mme Peckford : Oui. J'ai à ce sujet un document dans les deux langues officielles que je peux vous remettre. Il s'agit d'une affiche produite en 2003 mentionnant une bonne partie des recommandations du comité. Je vais m'en servir pour vous répondre.

Le gouvernement responsable dans chaque cas sera peut-être évident pour vous mais je l'indiquerai quand même.

Le comité avait demandé au Canada de mieux évaluer l'incidence de ses mesures de lutte contre la pauvreté et de déployer plus d'efforts pour lutter contre la pauvreté des femmes, en général, et les femmes vulnérables, en particulier. Il avait indiqué que les fonds destinés aux centres d'aide des femmes et aux centres d'accueil restaient insuffisants et que les services étaient à bien des égards dispensés de manière incohérente. Il avait mentionné que les fonds n'atteignaient pas les populations vulnérables. Les femmes autochtones, les femmes immigrantes, les femmes réfugiées et les femmes des régions rurales isolées n'avaient pas d'accès fiable à des centres d'accueil.

Au Nunavut, il n'y a qu'un seul centre d'accueil pour tout le territoire. Le comité avait souligné le caractère aléatoire de la prestation de services aux femmes. Il avait noté la sous-représentation politique des femmes. Vous devez savoir que la représentation des femmes au Canada ne change pas. Or, l'un des éléments clés de la convention, lorsqu'elle avait été ratifiée en 1981 par le Canada, était que les gouvernements et les États parties s'efforceraient de rehausser systématiquement la représentation des femmes. Depuis dix ans, la représentation des femmes est stagnante et a même d'ailleurs légèrement baissé.

Le comité s'était penché sur les questions d'emploi et sur la manière dont les femmes, dans certains cas, ont des emplois plus précaires, ce qui n'est pas sans conséquences. Il s'était demandé si la parité salariale — valeur égale pour travail égal — était correctement réglementée au palier provincial ou fédéral.

La garde d'enfants était un autre domaine de préoccupation. Vous savez peut-être que, selon un rapport récent de l'Organisation de coopération et de développement économiques, le Canada est parmi les derniers en ce qui concerne les services de garde d'enfants, le logement social et l'accès à l'aide juridique. Le comité avait noté la continuation de la discrimination contre les femmes autochtones, qu'il avait vertement stigmatisée. Si vous avez l'expérience des organismes des Nations Unies, vous savez que l'ONU est une organisation fortement politisée où l'on pèse ses mots. Or, le comité avait parlé de discrimination systémique contre les femmes autochtones du Canada, formulation en soi assez frappante. Il avait vivement invité le Canada à accélérer ses efforts et à prêter attention aux dispositions légales discriminatoires qui subsistent encore et à la jouissance égale des droits humains en éducation, en emploi et en bien-être physique et psychologique.

D'autres recommandations concernaient les immigrantes et les réfugiées et le fait que la nouvelle loi sur les réfugiés et les citoyens ne tenait pas pleinement compte des réalités des réfugiées et des immigrantes fondées sur le sexe. Le comité avait exprimé des préoccupations au sujet de l'assurance-emploi, notamment en ce qui concerne les règles d'admissibilité, en se demandant si les femmes peuvent avoir un accès valable à ce programme.

Il avait parlé de la coordination fédérale-provinciale-territoriale en en soulignant la faiblesse et avait dit que, même si le Canada est considéré comme un chef de file sur le plan des droits de la personne, la réalité est qu'il a tendance à signer des Conventions mais à ne pas en tenir compte de manière très sérieuse.

Le sénateur Murray est peut être au courant de ceci : il existe au Canada un comité de coordination officiel sur les droits humains. C'est un comité bureaucratique. Il est chargé de faire exactement ce travail au palier bureaucratique supérieur. Selon nos informations, il n'a pas tenu une seule réunion depuis huit ans. Ce n'est pas sérieux.

Je vous encourage à réfléchir à ces lacunes incroyables.

Finalement, en ce qui concerne les recommandations, le comité avait souligné, comme je l'ai dit plus tôt, qu'il y a à certains égards une absence de normes nationales au sujet de certains programmes que nous finançons ou ne finançons peut-être pas à l'échelle de tout le pays.

Il avait aussi invité le Canada à mieux collaborer avec ses partenaires de la société civile sur les questions de mise en œuvre et de conformité.

Voilà certaines des recommandations qu'il avait formulées.

Nous avons entrepris une campagne systématique au niveau communautaire et avec les divers paliers de gouvernement, dont les ministres fédéraux-provinciaux-territoriaux s'occupant du dossier de la condition féminine, et avec divers premiers ministres au sujet des questions de respect des obligations sur les droits humains.

Je note que, pendant la campagne électorale de 2006, tous les chefs de partis fédéraux ont adressé à l'AFAI une déclaration publique exprimant leur engagement de prendre des mesures concrètes et immédiates pour faire avancer les droits humains des femmes au Canada conformément à ces recommandations de l'ONU. Nous avions considéré cela comme un succès relatif. Depuis lors, toutefois, on a fait peu de choses et on a même dans certains cas reculé, à notre avis.

Le sénateur Mitchell : L'un des reculs additionnels a été l'abolition du programme national de garde d'enfants et d'éducation de la petite enfance.

Ce programme est directement pertinent à plusieurs égards dans le cadre de cette discussion. Premièrement, c'était une initiative concrète pour résoudre au moins certains des problèmes que vous avez soulevés, et c'était aussi une manière de surmonter le problème du TCPS que nous ne pouvons pas cibler.

Pouvez-vous nous donner votre avis sur ce programme d'éducation de la petite enfance qui aurait pu être un modèle puisqu'il avait des normes nationales qui avaient été négociées et qu'il s'agissait de crédits ciblés?

Mme Peckford : Je constate que le comité avait dit que le Canada avait l'obligation, au titre de la convention, d'étendre des services abordables de garde d'enfants sous tous les gouvernements et de fournir dans son rapport suivant des chiffres sur la demande, la disponibilité et le caractère abordable de ces services à l'échelle nationale.

Du point de vue de la participation des femmes à la population active et de leurs taux de pauvreté, la garde d'enfants reste une question incroyablement difficile. On ne peut pas s'attendre à ce que les femmes participent efficacement à la population active quand elles ont des enfants en bas âge si elles ne peuvent pas avoir l'assurance d'un accès à de bons services de garde abordables.

Quand nous participons à des conférences internationales, nous voyons souvent que d'autres pays réussissent à surmonter leurs propres complexes fédéraux, si je peux employer cette expression. Ils comprennent que leurs citoyens ont besoin de certaines choses qui sont fondamentales pour l'avancement et la jouissance des droits humains et pour avoir le sentiment de participer pleinement au projet social.

L'une des choses que l'ONU fait particulièrement bien et à laquelle des organisations comme la mienne ont participé est précisément son examen de la manière dont le Canada agit à l'égard des conventions internationales. Je constate que le Canada a ouvert la voie pour ce genre de participation. Autrefois, il n'était pas facile pour une organisation non- gouvernementale de s'adresser à un comité de l'ONU.

Le Canada a ouvert la voie à ce chapitre et nous l'en félicitons. Par contre, nous constatons que, dans le contexte canadien, on ne respecte pas encore nos propres obligations touchant les droits humains.

L'ONU traite souvent avec bon nombre de pays constitués en fédération. À l'intérieur du groupe des fédérations, nous constatons que beaucoup de pays ont surmonté les chamailleries et ont réussi à laisser de côté les arcanes de la répartition des pouvoirs en trouvant des méthodes créatives et originales de permettre aux ressources fédérales — parce qu'il s'agit dans la plupart des cas de ressources fédérales dans ce domaine — d'être affectées dans l'intérêt concret des groupes qui en ont besoin.

L'ONU fait preuve d'une sympathie incroyable à l'égard du Canada quand il invoque systématiquement son argument de la répartition des pouvoirs. Elle pense que nous sommes un pays intelligent et prospère, avec de grands esprits, qui devrait être capable de surmonter cet obstacle.

Le sénateur Nancy Ruth : Je voudrais revenir sur votre désir de désignations accrues pour les transferts. L'exemple de la garde d'enfants est l'exception plutôt que la règle. D'après vous, comment devrait faire le gouvernement fédéral pour que ce soit toléré par les provinces?

Mme Peckford : Pouvez-vous répéter votre question?

Le sénateur Nancy Ruth : Vous voulez que les transferts soient attribués à des programmes sociaux particuliers, ce que ne veulent pas les provinces. Comment le gouvernement fédéral devrait-il s'y prendre pour y arriver?

Mme Peckford : Je pense que, dans certains cas, quand on examine systématiquement la situation des femmes au Canada et qu'on examine les réalités auxquelles elles sont confrontées quotidiennement, et qu'on voit le soutien populaire dont bénéficient certains de ces programmes, cela transcende en réalité les arguties intergouvernementales.

Nous ne recommandons pas la méthode du bulldozer. Nous pensons que, dans certains cas, le gouvernement fédéral peut commencer à faire preuve de leadership avec certaines provinces. Inévitablement, comme c'est arrivé avec d'autres programmes sociaux fondamentaux, d'autres provinces voudront suivre le mouvement.

Nous pensons aussi que le Canada peut intervenir en expliquant à tous ses citoyens ses propres obligations au titre des conventions de l'ONU. D'aucuns penseront que nous sommes peut-être naïves mais je pense que les gens comprennent d'une certaine manière les réalités intergouvernementales. Je suis née et j'ai été élevée à Terre-Neuve-et- Labrador et je ne suis donc pas une personne du centre du Canada. Je comprends parfaitement ce que ça veut dire qu'être attachée à une province, ressentir une identité particulière et penser que la province a eu la vie dure dans la fédération.

Je comprends tout ça mais les femmes de Terre-Neuve-et-Labrador, quel que soit leur nationalisme à l'égard de la province, veulent avant tout que leurs familles et leurs collectivités aient accès aux services et programmes qu'elles méritent. Elles sont bien prêtes à passer au-dessus des attitudes compliquées concernant le Canada ou le gouvernement fédéral si c'est pour s'assurer que les ressources que nous possédons collectivement sont bien distribuées.

Je pense que le gouvernement fédéral se doit de faire preuve d'un peu d'imagination à cet égard. Il peut invoquer ses obligations internationales touchant les droits humains et souligner les réalités intérieures. Quand les femmes de la Colombie-Britannique n'ont pas d'accès réel à l'aide juridique touchant le droit familial, je ne vois pas qui pourrait contester une sorte d'arrangement de collaboration leur permettant d'obtenir cet accès.

J'affirme donc qu'il faut du courage, une vision et une meilleure compréhension de ce que nous nous devons les uns aux autres. Je crois que le cadre des droits humains est une manière d'y arriver.

Le sénateur Nancy Ruth : Avez-vous eu la chance d'en parler à une ou deux provinces pour mettre cette idée à l'épreuve et voir comment elles réagiraient?

Mme Peckford : Non, pas encore. Je peux vous dire ce que nous avons fait. Nous avons peut-être mis cette idée à l'épreuve d'une autre manière.

Quand ces recommandations ont été publiées, en 2003, l'une des choses qu'il fallait faire immédiatement, à notre avis, c'était ouvrir un dialogue, pas seulement avec le ministre fédéral mais aussi avec les ministres responsables du dossier de la condition féminine dans les provinces et les territoires.

Nous leur avons dit qu'ils étaient les ministres responsables de la condition féminine dans leurs provinces et territoires. Ces recommandations devaient donc les toucher directement. Nous voulions engager un dialogue avec eux de façon à voir concrètement comment le Canada pourrait s'acquitter de ses obligations de manière plus systématique.

Nous savons que ces ministres sont de rang inférieur. Nous connaissons les règles. Nous savons que ce ne sont pas les plus importants et qu'ils peuvent eux aussi être marginalisés au sein de leur propre cabinet, sans compter qu'ils détiennent généralement un ou plusieurs autres portefeuilles en même temps, mais nous pensions qu'il était légitime d'entreprendre cette conversation.

Nous avons entrepris cette discussion avec Terre-Neuve-et-Labrador en 2004 et l'avons continuée à Regina, en Saskatchewan, en 2005 lorsque nous avons pu avoir une rencontre de deux heures avec des représentants de la plupart des provinces et territoires. Nous avons eu une discussion sur bon nombre de ces recommandations, sur les failles existant en matière de prestation de services dans leurs provinces et territoires et sur ce qu'ils pourraient attendre de leurs gouvernements respectifs. Certaines provinces et territoires ont témoigné un vif intérêt sur la manière dont nous pourrions tirer meilleur parti de nos propres ressources fédérales.

Il y a eu ensuite l'arrivée au palier fédéral d'un nouveau ministre qui s'intéresse moins à ce dialogue. La situation est donc difficile pour nous mais nous continuons à rechercher ces conversations.

Vous pouvez également noter que le Canada fera l'objet d'un autre examen au titre de cette convention dans deux ans. Le Canada doit adresser un rapport à l'ONU en ce moment même. Il devra y expliquer son inaction ou son action. Nous avons dit à tous les ministres que nous ne voulons pas retourner devant l'ONU comme organisation de la société civile obligée d'exprimer sa déception à l'égard de ce qui n'a pas été fait. Imaginons un projet en collaboration permettant d'avancer et dont nous pourrions être fières. Cela pourrait devenir un exemple pour l'action future.

Jusqu'à présent, le projet ne s'est pas réalisé comme nous l'aurions souhaité. Nous avons vu certaines provinces, au moins en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté, prendre des initiatives pour mieux répondre aux besoins des familles à faibles revenus. Nous applaudissons ces efforts mais des organisations comme le Conseil national du bien- être social, le Centre canadien d'options politiques ou d'autres organisations plus à droite ou à gauche ont souligné que l'approche à la pièce de certaines de ces questions sociales de vaste portée est dans certains cas inefficiente et, dans d'autres, inefficace. Elle ne nous permet pas de mobiliser la créativité que nous avons comme nation. Je suis heureuse que Terre-Neuve ait adopté une stratégie anti-pauvreté mais pourquoi la cantonner à Terre-Neuve? Pourquoi ne pas réfléchir de manière créative à la manière dont les autres provinces pourraient adapter ces stratégies à leurs propres besoins, avec un gouvernement fédéral jouant un rôle actif pour que les provinces aient les ressources et capacités requises pour atteindre leurs objectifs?

Le sénateur Ringuette : Je vous remercie de nous faire profiter de votre connaissance de cette problématique et de son effet sur les femmes, les enfants et, généralement, les gens vivant dans la pauvreté. Je peux voir que vous avez une connaissance approfondie du dossier. Vous y consacrez beaucoup d'énergie, ça se voit, et je l'apprécie beaucoup.

Je comprends aussi que vous réclamiez des normes nationales et une reddition de comptes provinciale. Depuis un an ou deux, nous demandons à la vérificatrice générale d'assurer une reddition de comptes provinciale au sujet des fonds transférés. Sa réponse est que ce sont ses homologues des provinces qui font ces vérifications et que c'est à eux que nous devrions nous adresser pour obtenir des comptes, et tant pis pour les normes nationales. Je vois ce qui s'est passé pour la garde d'enfants, la réduction des budgets d'alphabétisation, la condition féminine et le Programme de contestation judiciaire. Et tout ça en 18 mois. Au cours des deux derniers mois, on a décidé de changer les transferts sociaux sur une base d'égalité par habitant. Ce changement représentera le plus grand recul que notre pays aura jamais vu.

Je vois la situation des centres d'aide pour les femmes. Quand les transferts seront effectués sur une base d'égalité par habitant, on n'en créera jamais un deuxième au Nunavik. Il faut qu'il y ait une conscience canadienne quelque part. J'ai l'impression qu'on est dans une sorte de mode de pensée obtus sans espoir de retour. Tout ce qui compte, ce sont les élections. Les élections, c'est une question de chiffres et il leur faut des chiffres. Je n'accuse pas particulièrement le gouvernement actuel. Je survole tout le paysage politique. Des transferts sociaux égaux par habitant sont absolument inacceptables. Votre groupe s'est-il penché sur les conséquences catastrophiques de ce changement?

Mme Peckford : Nous avons procédé à l'analyse du dernier budget fédéral parce que cette question des transferts nous préoccupait énormément. Bon nombre de nos membres, comme nous l'avons fait nous-mêmes sur notre site web en réponse au budget, ont exprimé notre préoccupation à l'égard du passage à des transferts par habitant. Nous travaillons beaucoup avec des femmes de régions rurales et isolées qui sont très inquiètes de ce que cela signifiera pour elles. Nous nous demandons avec inquiétude quelles seront les conséquences pour certaines provinces, comme nous l'avons dit dans notre rapport sur le budget.

Le sénateur Ringuette : Pourriez-vous nous donner un exemplaire de ce rapport?

Mme Peckford : Avec grand plaisir. Cette analyse existe dans les deux langues. Je serai très heureuse de vous la remettre. Elle est moins axée sur la question générale des transferts.

Le président : Veuillez l'adresser à la greffière du comité, qui en assurera la distribution. Si vous avez des documents qui ne sont pas dans les deux langues officielles, nous pouvons veiller à ce qu'ils soient traduits avant de les distribuer.

Mme Peckford : Comme nous travaillons beaucoup avec nos organisations du Québec, nous avons tendance à faire presque tout traduire. Dans certains cas, les documents sont produits en français puis traduits en anglais.

Le sénateur Di Nino : Merci beaucoup et bienvenue. Permettez-moi d'abord de comprendre votre organisation. Est- ce un organisme à but non lucratif? Êtes-vous une ONG?

Mme Peckford : Nous sommes une organisation de la société civile fondée en 1999, soit quatre ans après que le Canada ait signé la déclaration de Beijing et le Programme d'action. Il s'agissait là encore d'un exercice international au cours duquel des pays du monde entier se sont penchés sur leurs obligations concernant l'égalité des femmes. La conférence mondiale de 1995 sur les femmes a débouché sur un plan fédéral en matière d'égalité. La raison pour laquelle l'AFAI a été créée est que les organismes qui avaient participé activement au processus de Beijing du point de vue de la société civile et dont la participation avait été en grande mesure facilitée par le gouvernement fédéral ont ressenti de plus en plus vivement l'écart entre ce que le gouvernement fédéral avait dit qu'il ferait dans le cadre de cet exercice international et ce qu'il a fait réellement. Ce fut une période assez difficile au Canada. On accordait alors la priorité à la réduction du déficit. De ce fait, bon nombre des arrangements fiscaux qui avaient historiquement été utiles pour les femmes, comme le Régime d'assistance publique du Canada, ont été abrogés. C'est de ce constat qu'est née notre organisation. Nous sommes une alliance d'organisations de femmes et de droits de la personne. Nous surveillons les développements internationaux et ce qui se passe sur le terrain. Nous voyons comment les droits humains internationaux sont appliqués ici. Que signifie pour le Canada le fait de faire partie d'une communauté mondiale? Qu'est-ce que ça signifie pour les femmes?

Le sénateur Di Nino : Vous avez parlé de la conférence de Beijing de 1995 et du rapport de l'ONU. Quel était le titre de ce rapport?

Mme Peckford : Le rapport de janvier 2003 contenait 23 recommandations touchant les résultats obtenus par le Canada au sujet de ce traité sur les droits humains fondamental pour les femmes. Chaque fois que le Canada signe un traité international, une évaluation est effectuée à intervalles réguliers, comme cela a été le cas avec cette Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. C'était un traité au sujet duquel nous avons fait l'objet d'une évaluation par l'organisme pertinent de l'ONU.

Le sénateur Di Nino : Vous dites que nous n'avons pas eu une très bonne note dans ce contexte.

Mme Peckford : Non, nous n'avons pas eu une bonne note, d'autant plus qu'il y avait eu des excédents budgétaires fédéraux considérables à cette époque, en 2003. Nous avons eu de nombreuses années — près de 25 — pour prendre au sérieux les obligations qui nous incombaient mais nous n'avons pas très bien fait à cet égard.

Le sénateur Di Nino : Votre déception augmente chaque année, n'est-ce pas?

Mme Peckford : On peut dire aussi que c'est de la frustration. Je représente un large éventail d'organisations, petites et grandes, qui sont toutes profondément déterminées à ce que le Canada soit en matière de droits humains l'acteur qu'il dit vouloir être — et qu'il est parfois, sur le plan international.

Sur le plan intérieur, il y a plus à faire. Si le Canada veut rester crédible comme acteur des droits humains, il nous incombe à tous et toutes de veiller à ce que les Canadiens bénéficient du même accès aux droits humains que le Canada attend, comme gouvernement, des autres pays.

Le sénateur Di Nino : Je voudrais souligner officiellement la critique de mes deux collègues au sujet des 18 derniers mois du gouvernement actuel. Si je vous comprends bien, les échecs, problèmes, déceptions et frustrations que vous avez évoqués durent depuis des années — depuis bien plus longtemps en tout cas que depuis une douzaine de mois.

Mme Peckford : Absolument. La situation nous préoccupe depuis plus d'une décennie mais nous pensons que les mesures prises au cours des 18 derniers mois n'ont rien amélioré. En fait, nous affirmons avec force qu'elles ont été néfastes. Quand on met en danger l'accès aux tribunaux des personnes à revenus modiques, je ne pense pas qu'on ait la moindre raison d'être fiers de ce qui en résultera sur le plan des droits humains.

Le sénateur Di Nino : Ça reste à voir mais je tiens à souligner que votre organisation est née du fait que nous avons pris certains engagements à la conférence de Beijing en 1995. Vous avez dit en 1999 que ça ne suffisait pas et que vous alliez vous battre.

Mme Peckford : Absolument. Nous pensons qu'aucun gouvernement n'a fait assez, depuis la signature de la convention en 1981, pour montrer qu'il prenait ses obligations au sérieux. Notre organisation n'est pas apparue d'un seul coup au cours des 18 derniers mois pour répondre à un gouvernement particulier. Nous savons que les gouvernements changent, et les organisations de femmes ont travaillé avec une foule de gouvernements différents à de nombreux niveaux pendant de nombreuses années. Nous avons vertement critiqué les gouvernements précédents et nous continuerons à critiquer vertement tout gouvernement qui méritera de l'être.

Le sénateur Di Nino : Ce qui est parfaitement légitime. Je suis d'accord avec vous là-dessus.

Mme Peckford : Croyez-moi, nous n'hésitons pas à le faire. Si vous consultez notre site web, vous verrez toute une série de comparutions que nous avons faites entre 1999 et 2006 qui le confirmeront. Il ne s'agit pas ici de sectarisme politique mais simplement de la nécessité de dire les choses telles qu'elles sont. Nous devons dire les choses telles que les voient les organismes que nous représentons et qui travaillent directement avec les femmes. Aucun gouvernement n'est parfait mais, quand des mesures problématiques sont prises, nous devons les dénoncer.

Je peux vous dire ceci — et il me faut un certain courage pour le dire : les gouvernements voudraient que les gens croient que nous sommes sectaires. Il est dans leur intérêt d'affirmer que nous sommes une organisation qui n'a de problèmes qu'avec le parti au pouvoir. C'est ce qu'ils veulent. Ils veulent donner l'impression que nous nous opposons à un parti donné ou à un premier ministre donné.

Je peux cependant vous garantir que ce n'est pas le cas et nous l'avons prouvé. Notre but est de juger ce que nous faisons par rapport aux normes internationales sur les droits humains. Nous nous demandons comment le Canada pourrait faire le mieux possible, considérant ses ressources, ses besoins et ses réalités. Nos interventions sont fondées sur ça, quel que soit le parti au pouvoir.

Il n'en reste pas moins que beaucoup de gens aimeraient donner l'impression que nous sommes une organisation qui voudrait qu'un certain parti ne soit jamais au pouvoir. Ce n'est absolument pas le cas.

Le sénateur Di Nino : C'était là où je voulais en venir. Je pense que vous avez fort bien exprimé ce que j'attendais et je vous en félicite.

Permettez-moi de poser maintenant quelques questions plus particulières.

Le président : Pouvez-vous être bref car nous allons bientôt manquer de temps et j'ai un autre nom sur ma liste?

Le sénateur Di Nino : Je poserai donc une seule question, monsieur le président.

Avant le dernier budget, le TCPS était réparti de la manière suivante : 25 p. 100 pour l'éducation et 75 p. 100 pour les services sociaux. Si je comprends bien, vous voulez une répartition plus poussée de la deuxième partie, de 75 p. 100?

Mme Peckford : C'est bien ça.

Le sénateur Di Nino : Vous voulez donc tant pour ceci, tant pour cela? Pourriez-vous être plus précise?

Mme Peckford : Avec plaisir. Certains programmes sont chroniquement sous-financés au Canada et nous devons donc collectivement nous demander lesquels. Quels programmes sont disponibles dans une région du pays mais pas dans une autre? Je pense qu'il appartient au gouvernement fédéral, quand il décide d'affecter des sommes importantes à ce mécanisme de transfert, de déterminer dans quels secteurs il est préférable de dépenser plus en tenant compte des différences d'accès aux différents programmes dans l'ensemble du pays. Le gouvernement pourrait faire cela en fonction d'un cadre des droits humains.

Par exemple, l'aide juridique est fondamentale. Le fait que beaucoup de femmes n'aient pas sérieusement accès aujourd'hui à l'aide juridique pour les questions de droit familial et de droit civil est effarant. Je crois que le gouvernement fédéral pourrait dire aux provinces, dans un esprit de collaboration, que cette carence a été constatée au palier international, national, régional et local et qu'il va donc consacrer une partie du TCPS pendant quelques années au redressement de cette situation.

Le sénateur Di Nino : Vous savez cependant que les gouvernements provinciaux sont très jaloux de leurs pouvoirs constitutionnels. Il faudrait donc que les deux paliers de gouvernement parviennent à une entente. Le gouvernement fédéral, quel que soit le parti au pouvoir, ne peut imposer unilatéralement sa volonté dans les secteurs relevant de la compétence des provinces.

Mme Peckford : Je trouve cet argument superficiel. Je pense que nous devrions être capables, en tant que nation, de passer au-delà de la jalousie. Nous devrions réfléchir de manière plus stratégique et plus créative à ce qu'il faut faire pour répondre aux besoins des Canadiens. Quand un gouvernement fait preuve de leadership — comme on l'a vu dans les secteurs de la santé, des garderies d'enfants et de l'extension de l'assurance-emploi au congé de maternité et parental, programmes auxquels toutes les provinces ont finalement adhéré — des choses concrètes peuvent se faire.

Les gouvernements feront ce qu'ils doivent faire.

Le sénateur Di Nino : Ça doit se faire en collaboration. Ça ne peut pas être unilatéral.

Mme Peckford : Il y a des méthodes pour affecter le TCPS en collaboration. Il faut d'abord établir un dialogue avant d'annoncer les mesures dans le budget. Il ne faut pas prendre les gens par surprise.

Le sénateur Di Nino : Je suis parfaitement d'accord avec vous.

Le sénateur Murray : Je n'aurais pas le temps de faire plus que quelques commentaires. Si vous n'avez pas le temps de répondre aujourd'hui, n'hésitez pas à le faire par écrit.

Je m'interroge au sujet de votre mémoire. Il y a là des choses dont il faudrait discuter, et j'y reviendrai dans une minute. J'ai aussi l'intention de lire attentivement le texte de votre déclaration liminaire qui contenait beaucoup de choses auxquelles je veux prendre le temps de réfléchir.

Au sujet des transferts affectés, vous savez que le Régime d'assistance publique du Canada a été mis à part en 1977 lorsque le gouvernement a décidé d'inclure la santé, les hôpitaux et l'enseignement supérieur dans un transfert global. Cette méthode a raisonnablement bien marché pendant un certain temps — avec des points fiscaux qui ont été égalisés et un paiement en espèces additionnel qui s'élevait à 1,5 milliard de dollars de la dernière fois que j'ai vérifié. Cette approche a maintenant été abandonnée — ou risque à tout le moins d'être revue, et devrait l'être, comme vous le savez.

Puis, en 1995, le gouvernement a aboli le Régime d'assistance publique du Canada, idée qu'il ruminait depuis un certain temps. Les fonds ont été intégrés au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Aujourd'hui, les divers éléments sont séparés. Nous avons un Transfert canadien en matière de santé et j'espère que l'étape suivante sera d'instaurer un Transfert séparé pour l'enseignement supérieur, bien que cela ne relève pas uniquement du pouvoir fédéral — je suppose que si mais il faudrait qu'il y ait collaboration, comme le disait le sénateur Di Nino. Il n'y a pas d'unanimité entre les provinces sur la création d'un transfert distinct pour l'enseignement supérieur.

Ceci m'amène à votre mémoire et à la question de l'asymétrie de notre système. Je suis absolument effaré par votre argumentation. Vous dites être en faveur de l'asymétrie en ce qui concerne le Québec mais vous semblez avoir gobé un mythe largement répandu au Québec, c'est-à-dire que tout ce qu'il y a à l'extérieur du Québec est un gros monolithe.

Or, vous savez fort bien que ce n'est pas le cas en ce qui concerne les conditions sociales. Il suffit de voir la situation des provinces qui ont un nombre disproportionné d'autochtones, d'autochtones vivant en dehors des réserves, ou de personnes âgées, ou celle des provinces ayant des problèmes d'intégration des immigrants et d'anglais seconde langue. Si vous faites une tournée des provinces et demandez aux divers premiers ministres quels sont leurs besoins sociaux prioritaires, vous obtiendrez des réponses très variables, ce qui témoigne du besoin d'asymétrie dans les programmes fédéraux.

Mon ami le sénateur Mitchell parlait des ententes négociées par le gouvernement précédent sur les garderies d'enfants et évoquait à ce sujet des « normes nationales » qui sont plus mythiques que réelles. Si vous voulez ce genre de programme social national, je suis bien d'accord car l'une des choses que j'ai constatées dans ces accords sur les garderies d'enfants — je les ai tous lus — c'est bien leur asymétrie. Il y avait beaucoup d'asymétrie dans les ententes signées par les différentes provinces.

Finalement, en ce qui concerne les fonds réservés à certains programmes, on en trouve dans le dernier budget mais vous et moi savons comme tout le monde que cela ne signifie rien tant qu'il n'y a pas de collaboration. Le financement global, c'est le financement global et c'est tout. C'est quasiment inconditionnel.

En ce qui concerne l'union sociale, vous connaissez bien sûr l'Entente-cadre sur l'union sociale signée par le premier ministre Chrétien et neuf provinces au début du siècle. Qu'en pensez-vous? Ce qu'envisage le gouvernement actuel semble quasiment identique à ce qui avait été signé alors. De fait, la sous-ministre adjointe des Finances qui était assise à votre place il y a quelques semaines disait que c'est la même chose. Le gouvernement actuel voudra peut-être l'entériner dans une loi. Selon lui, les nouveaux programmes à coûts partagés dans les secteurs de compétence provinciale seront approuvés par la majorité des provinces — c'est l'un des éléments de l'entente du gouvernement Chrétien et de ce que propose le gouvernement actuel — et les provinces et territoires auront le droit de s'en retirer avec compensation s'ils offrent des programmes similaires avec des mécanismes comparables de reddition de comptes. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette proposition.

Voici ma dernière remarque. J'ai dit que vous recommandez dans votre mémoire beaucoup d'asymétrie pour le Québec mais aucune pour les autres provinces. Je n'ai rien contre l'asymétrie à condition que ce soit la même chose pour tout le monde. Vous dites que le gouvernement fédéral doit encore exercer un leadership essentiel en matière de programmes et services sociaux pour les femmes des provinces autres que le Québec. C'est une manière de voir les choses. Toutefois, en général, le gouvernement fédéral peut et doit avoir avec le Québec une relation différente de celle qu'il a avec les autres provinces — à condition qu'on sache ce que ça signifie. Vous dites ensuite que le gouvernement fédéral devrait à nouveau désigner les transferts pour indiquer clairement à quoi sert l'argent transféré, et aussi exiger des provinces et territoires sauf le Québec qu'ils mettent en œuvre des programmes sociaux répondant à des normes établies de qualité et de caractère adéquat.

Je me suis occupé dans le passé d'un projet d'amendement constitutionnel qui n'allait certainement pas aussi loin mais notre gouvernement a alors été cloué au pilori par certaines des personnes que vous représentez aujourd'hui. Je n'en ressens aucune amertume. Au moins, quand elle avait un gouvernement réaliste, Terre-Neuve-et-Labrador était de notre côté à ce sujet. C'était une remarque personnelle.

Je prends votre mémoire et votre témoignage au sérieux. J'ai l'intention de les examiner attentivement. Si vous avez le temps de répondre maintenant à ce que j'ai dit, j'en serais très heureux mais, sinon, vous pouvez me répondre par écrit.

Le président : Nous avons déjà dépassé de cinq minutes l'heure limite que vous aviez fixée. Je ne voudrais pas vous faire rater votre avion. À vous de voir si vous avez le temps de répondre.

Mme Peckford : Les temps changent, les gens changent et les opinions changent. Nous sommes arrivées à un point, sur le plan de notre collaboration avec nos partenaires du Québec, où nous reconnaissons la spécificité du Québec et son rôle historique dans la fédération. Nous ne recommandons pas une approche homogène pour les autres provinces et territoires. Nous disons que la manière dont nous comprenons le Québec au sein de la fédération doit être différente et que c'est légitime à cette étape.

Étant donné mes antécédents et mon expérience au sein du Canada, je sais bien qu'il faut des programmes adaptés : penser stratégiquement en fonction des besoins des gens là où ils vivent. Nous sommes tout à fait en faveur d'un rôle fédéral dans ces autres provinces et territoires de manière à être le plus utile possible pour leurs citoyens. C'est tout.

Nous avons déployé beaucoup d'efforts au cours de la dernière décennie pour être beaucoup plus claires au sujet du Québec et de la manière dont le Québec se perçoit et, franchement, de l'évolution des organisations de femmes au Québec. Elles ont fait beaucoup mieux à l'aune d'indicateurs clés. Nous estimons que, dans le cadre du projet de société du Québec, des gains ont été réalisés qui ne l'ont pas été en dehors de cette province, et que nos sœurs du Québec, tout comme nous, veulent que le Canada assure une égalité plus ou moins identique aux femmes.

Je dois en rester là. Je serais très heureuse de converser plus longtemps avec vous. Les horaires sont compliqués. Ils le sont toujours. Nous sommes heureuses avoir été invitées à participer à cette conversation.

Le sénateur Murray : C'était un plaisir de vous accueillir. Merci.

Le président : Je vous remercie de votre participation. Si nous avons d'autres questions, pourrons-nous vous les communiquer par écrit?

Mme Peckford : Certainement, monsieur le président, et je veillerai à vous envoyer les informations dont j'ai parlé plus tôt.

Le président : Nous apprécions le travail que vous faites au sein de l'Alliance féministe canadienne pour l'action internationale. Bonne continuation.

Honorables sénateurs, cette discussion était intéressante et je suis sûr que celle que nous aurons maintenant avec Armine Yalnizyan, directrice de la recherche au Community Social Planning Council of Toronto et associée de recherche au Centre canadien de politiques alternatives, le sera tout autant.

Le Community Social Planning Council of Toronto est un organisme à but non lucratif s'occupant de recherche, d'analyse politique, de développement communautaire et de développement des capacités.

Mme Yalnizyan a publié The Rich and the Rest of Us, un rapport consacré à l'analyse du fossé existant entre les riches et les pauvres au Canada.

Je vous donne la parole pour votre déclaration liminaire, madame, après quoi nous aurons une période de questions.

Armine Yalnizyan, directrice de la recherche, Community Social Planning Council of Toronto : Merci. C'est un plaisir pour moi d'être ici et c'est un privilège pour notre organisation.

Voici d'abord quelques informations sur les organismes que je représente. Je suis directrice de la recherche au Community Social Planning Council of Toronto, qui est essentiellement financé depuis 50 ans par Centraide et la municipalité de Toronto. Nous réalisons des projets contre rémunération pour différents groupes.

Nous travaillons directement avec le secteur communautaire qui englobe plus de 1 300 agences de services humanitaires de Toronto dispensant des services à des centaines de milliers de résidents. D'une manière ou d'une autre, ces services touchent littéralement la vie de toute personne vivant à Toronto.

Comme l'a dit le sénateur Day, nous effectuons des recherches et des analyses politiques et contribuons au développement des capacités communautaires. Nous nous intéressons donc à des questions concernant l'ensemble de la municipalité ou des quartiers particuliers mais nous ne ressemblons à aucun autre conseil de planification sociale du continent.

Le Centre canadien de politiques alternatives, dont je suis associé de recherche et pour lequel j'ai publié des études sur la distribution des revenus, les politiques budgétaires et l'économie de la santé publique, est un organisme financé par ses membres qui existe depuis 1980. Il regroupe plus de 10 000 membres institutionnels et individuels, a un bureau national et cinq bureaux régionaux, offre des services de recherche indépendants et apolitiques et examine les liens entre les politiques internationales et intérieures.

Ces deux organismes sont ravis que le comité veuille connaître leur opinion. Je me permets d'ailleurs de vous féliciter d'avoir abordé de manière constructive la problématique du fédéralisme fiscal en vous penchant d'abord sur la péréquation, c'est-à-dire sur la capacité fiscale des provinces.

Deuxièmement, et c'est peut-être plus important, je vous remercie d'offrir aux Canadiens une tribune permettant de discuter de l'équilibre fiscal vertical. Il s'agit en effet ici de répondre aux besoins et objectifs communs de chaque citoyen du pays sur le plan social et économique, c'est-à-dire d'établir les conditions favorisant la prospérité économique ou le développement du potentiel humain. Pour ces deux raisons, je vous applaudis et ne peux m'empêcher de m'exclamer « Go, Sens, Go ». Je ne pouvais éviter de le dire.

En guise de préambule, j'affirme que tout dépend du contexte, et c'est pourquoi je vais parler de trois éléments contextuels qui constituent le fondement de vos délibérations sur l'équilibre fiscal vertical.

Tout d'abord, nous venons de connaître 20 années de changements unilatéraux en ce qui concerne les relations de financement, changements qui ont été imposés par le gouvernement fédéral, et nous connaissons actuellement une période d'excédents budgétaires sans équivalent dans notre histoire et dans le monde.

Deuxièmement, nous sommes confrontés à des pénuries de main-d'œuvre imminentes à cause du départ à la retraite de la cohorte des baby-boomers. Le Canada a la cohorte de baby-boomers la plus nombreuse du monde industrialisé et elle commence à quitter le marché du travail. Nous voyons apparaître des pénuries de main-d'œuvre qualifiée partout au pays et ce phénomène ne va pas s'arrêter, il va s'amplifier.

Finalement, il y a la question soulevée par le sénateur Day, c'est-à-dire un phénomène d'inégalité croissante, autant en période de prospérité qu'en période de crise, dans un pays qui possède plus qu'assez de ressources pour pouvoir mieux distribuer et redistribuer les revenus.

En bref, votre débat se tient dans un contexte de politiques remontant à l'ère de la Dépression alors que nous sommes dans une ère de prospérité sans précédent. Les responsabilités et les risques ont été transférés aux municipalités et aux particuliers, notamment aux plus vulnérables de ces derniers dont les ressources sont inadéquates et qui ont désespérément besoin d'un appui au niveau individuel et collectif, mais surtout au niveau du risque le plus grand.

Ces éléments constituent le contexte de notre conversation. Les trois choses dont je veux maintenant vous parler sont les trois changements dont nous avons désespérément besoin quant au rôle fiscal du gouvernement fédéral, changements qui exigent de tous de la planification et pas seulement de l'argent.

Nous avons besoin de changer les relations de financement avec les municipalités, de changer les transferts aux provinces pour les programmes sociaux et de changer les transferts aux personnes.

En bref, nous n'avons pas besoin seulement de soutien du revenu mais de soutien permettant aux gens d'avoir un accès plus abordable aux choses essentielles de la vie, partout au pays. C'est l'accès aux choses essentielles qui présente le risque le plus grand et qui est plus menacé que jamais, alors que nous n'avons jamais eu autant d'argent qu'aujourd'hui.

Permettez-moi de titiller brièvement ces facteurs contextuels. En ce qui concerne les 20 années de changements imposés par le gouvernement fédéral dans les relations fiscales, du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, la formule de financement des programmes établis, le FPE, a été modifiée unilatéralement par le gouvernement fédéral; le Régime d'assistance publique du Canada, le RAPC, a été plafonné au début des années 1990; il y a eu quatre séries de modifications apportées à l'assurance-emploi pour en resserrer les critères d'admissibilité et en réduire les prestations; et on a réduit les transferts aux provinces pour les programmes sociaux.

Depuis le milieu des années 1990, il y eut des changements essentiellement unilatéraux mais, cette fois, avec une augmentation des budgets. Dans bien des cas, ces changements ont été effectués en négociant avec les paliers de gouvernement inférieurs mais, en fin de compte, c'est le gouvernement fédéral qui a décidé de rétablir le financement de la santé, de verser la taxe sur l'essence aux municipalités et d'investir dans les infrastructures. Même si beaucoup de ces décisions concernaient un financement pluriannuel, beaucoup d'autres étaient purement ponctuelles. Même dans le cas de plans de financement sur deux ans, cinq ans, huit ans ou dix ans, il ne s'agit pas d'une formule permanente. Nous avons perdu les tribunes de discussion multilatérales et nous avons perdu la conditionnalité ainsi que la reddition de comptes. Nous sommes le seul pays du G7 ayant un excédent budgétaire depuis dix ans et c'est dans ce contexte que nous avons assisté à une révolution de dévolution des responsabilités.

Le deuxième changement imminent dont je veux parler est le départ à la retraite des baby-boomers. Nous faisons déjà face à des pénuries de main-d'œuvre critiques et elles vont s'accélérer. Chose fascinante, nous assistons à ce phénomène comme une sorte de train se précipitant vers nous au ralenti. Nous n'avons aucune stratégie nationale pour faire face à ces pénuries de main-d'œuvre.

Le rôle des gouvernements est au minimum d'assurer la santé et l'éducation de la population mais nous n'avons aucun plan national de remplacement des professionnels de la santé, des travailleurs de nombreux secteurs ou des enseignants, par exemple, qui partiront bientôt à la retraite dans toutes les régions du pays.

Au lieu de cela, nos gouvernements s'en remettent à l'immigration. Nous sommes probablement l'un des pays industrialisés les plus ouverts au monde. Nous voyons ce qui se passe dans le monde entier. La diaspora mondiale qui se manifeste partout dans le monde fait sentir ses effets dans les grandes villes de tous les pays. À l'intérieur d'un même pays, les gens vont s'installer dans les grandes villes, et c'est aussi le cas au Canada. D'un pays à l'autre, les gens s'en vont aussi vers les grandes villes. Cela veut dire que les politiques, ou leur absence, délibérée ou non, ont une incidence sur la place, la face et la race. C'est de cette manière que les politiques doivent évoluer.

La greffière du comité a eu la gentillesse de m'envoyer la transcription de vos dernières séances. Je sais que le nom de Thomas Courchene a été mentionné plusieurs fois dans vos délibérations. C'est probablement l'un des intellectuels clés du Canada pour faire avancer une élaboration de politiques plus axée sur la prospérité des gens que la prospérité des lieux. Paradoxalement, ce recul de la notion de prospérité des lieux a accompagné la révolution de la dévolution.

Ces propositions ne sont pas mutuellement exclusives. On ne peut pas avoir la prospérité des gens sans la prospérité des lieux. Nous avons simplement renoncé à l'idée de prospérité des lieux en disant aux gens de s'enrichir par leurs propres moyens, mais nous n'avons même pas donné à tous les citoyens une chance égale d'essayer d'accroître leur propre prospérité.

Le dernier facteur contextuel concerne l'inégalité dont je dis que c'est une autre vérité qui dérange à notre époque puisqu'elle ne cesse de se creuser, aussi bien en période d'abondance qu'en période de crise, et qu'on peut se demander pendant combien de temps on la tolérera. Elle atteint aujourd'hui des niveaux inégalés. Malgré dix années successives de croissance économique solide et soutenue, l'inégalité ne fait qu'empirer alors qu'elle devrait normalement et traditionnellement diminuer dans un tel contexte.

Il y a un lien entre cette tendance et la pauvreté mais aussi l'abondance. Le lien avec la pauvreté est le suivant : la semaine dernière, Statistique Canada nous a annoncé que le taux de pauvreté des enfants est maintenant tombé à 11,7 p. 100 au plan national, ce que d'aucuns estiment suffisant pour que les militants anti-pauvreté débouchent de champagne.

Hélas, ce n'est pas encore le moment de célébrer. Pourquoi? Parce qu'un taux de 11,7 p. 100, c'était exactement le taux de pauvreté des enfants en 1989 quand les députés fédéraux se sont levés comme un seul homme pour dire que c'était inacceptable dans sa pays aussi prospère que le nôtre, puisque ça signifiait enfant sur huit vivait dans la pauvreté. Il s'était alors engagé à éliminer la pauvreté des enfants en 2000, projet qu'ont adopté d'autres pays qui ont réussi à faire baisser le taux de manière spectaculaire. Au Canada, nous n'avons aucune raison de nous réjouir du fait que le taux est le même en 2006 qu'en 1989.

Comme je l'ai dit, l'abondance croissante est aussi un facteur d'inégalité croissante. Ce n'est pas seulement une question de pauvreté car ce sont les personnes riches qui fixent les prix des marchés, notamment dans l'immobilier. Ce n'est pas seulement une question de pauvreté quand la moitié de la population constate que son revenu stagne ou baisse et que les prix de l'immobilier ne font qu'augmenter, à des taux dépassant largement l'inflation — en fait, les économistes du Canada disent que nous pouvons nous attendre à un doublement des prix de l'immobilier en 20 ans mais vous ne trouverez aucun économiste ou banquier qui vous dira que les revenus doubleront aussi pendant cette période.

Nous sommes donc dans une situation où les nécessités fondamentales de la vie — se loger, par exemple — sont de plus en plus difficiles à satisfaire, et pas seulement quand on est pauvre.

Ce n'est pas non plus seulement une question de logement. C'est aussi la manière dont les marchés immobiliers affectent le développement communautaire, comme nous le constatons à Toronto et dans d'autres villes. Les analystes sociaux ont trouvé une expression pour décrire cette situation : l'amplification des privations. Les gens qui ont un revenu modique, dont le revenu stagne ou baisse, ou dont la source de revenu est incertaine ne peuvent plus se loger aujourd'hui que dans certains quartiers à prix modiques. La raison pour laquelle les prix y sont modiques est qu'ils sont dépourvus de services fondamentaux tels que le transport, la garde d'enfants, les soins de santé, les équipements récréatifs, les parcs, les banques et les épiceries. Vous pouvez chercher, ces services fondamentaux ne s'y trouvent pas. C'est ce qu'on veut dire quand on parle d'amplification des privations pour les gens qui ont peu d'argent.

Ce phénomène s'accélère dans les grandes villes à cause de la diaspora mondiale. Le Canada accueille environ 250 000 personnes par an, dont la moitié va s'établir dans la région métropolitaine de Toronto, et la moitié vient à Toronto où elle est obligée, à cause de la pénurie de logements et des prix de l'immobilier, de s'installer dans les quartiers pauvres.

L'évolution des villes se caractérise par une intensité accrue et une expansion tentaculaire. Le logement et le transport public sont intégralement reliés mais nous n'avons aucune stratégie nationale à cet égard. Nous n'avons pas de stratégies de formation professionnelle, de logement ou de transports publics au niveau national. Cette absence affecte les gens dans leur vie quotidienne, là où ils vivent.

En ce qui concerne les trois changements du rôle fiscal fédéral dont je veux maintenant parler, je crois que votre comité se doit de les analyser en profondeur l'un après l'autre. Vous ne pourrez pas faire cela de manière exhaustive dans votre rapport du 30 juin. L'un des grands privilèges des comités du Sénat est qu'ils ont la possibilité de jeter un regard sobre et attentif sur les choses qui changent la vie des Canadiens partout. Chacune de ces questions mérite sa propre étude.

Premièrement, les villes ont besoin d'argent, comme d'autres témoins vous l'ont déjà dit. Trois choses doivent arriver au palier fédéral pour aider les villes. Je commence par l'accroissement des budgets d'investissement pour les infrastructures. La majeure partie de notre déficit infrastructurel, qui se situe selon les estimations entre 60 et 120 milliards de dollars, se trouve dans les villes. Or, il n'y a aucune raison pour que le gouvernement fédéral ne retrouve pas le rôle historique qu'il a joué entre 1948 et 1970 pour bâtir le Canada, lorsqu'il mettait directement la main à la pâte en investissant dans les équipements publics et l'infrastructure un peu partout au pays.

En particulier, les économies d'échelle et la prime de risque inférieure résultant du fait que c'est le gouvernement fédéral qui obtient et réalise les emprunts réduisent les coûts pour tous les contribuables. Il est stupide de ne pas tirer parti de la puissance du gouvernement fédéral pour investir dans ce déficit infrastructurel critique, d'autant plus que les taux d'intérêt sont aujourd'hui historiquement bas. En plus, nous avons l'intention en même temps de faire tout notre possible pour réduire la dette publique au lieu de profiter de ces taux pour investir là où c'est nécessaire.

Deuxièmement, les recettes de la croissance sont nécessaires pour des villes en pleine expansion, avec des besoins croissants de services sociaux et physiques. Ces recettes peuvent être obtenues par le partage des recettes ou un partage basé sur la consommation, mais la conditionnalité est essentielle. Je n'insiste pas là-dessus.

Troisièmement, une place à la table est nécessaire. Le sénateur Murray a soulevé la question et en défend l'idée avec ardeur depuis la signature de l'Entente-cadre sur l'union sociale. Il ne s'agit pas seulement de savoir qui fait quoi, ce qui fut le thème de débat au milieu des années 1990 en Ontario. Il s'agit maintenant de revoir le transfert des responsabilités aux paliers de gouvernement inférieurs, voire de renverser le phénomène. La cohabitation est aujourd'hui une constante pour chaque palier de gouvernement et dans chaque domaine des politiques publiques, comme l'établissement des immigrants, la préparation aux crises, la prévention du crime, la sécurité publique et l'environnement. Comme il serait impossible de retirer un palier de gouvernement, il faut que les villes aient leur place à la table.

Il y aussi la question des transferts financiers aux provinces. Je parlerai en détail du TCPS mais j'ai deux choses à mentionner d'abord.

La formation professionnelle est un domaine où le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle. Jusqu'à présent, elle a été essentiellement financée au moyen de l'assurance-emploi mais il existe aujourd'hui des occasions claires et précieuses pour le gouvernement fédéral de jouer un rôle financier afin de préserver et d'améliorer les compétences de la cohorte des travailleurs actuels.

En ce qui concerne le TCPS, j'ai plusieurs choses à dire. Je suis d'accord avec ce qui a été dit lors de la séance précédente. Tout d'abord, il est nécessaire de distinguer l'enseignement supérieur de la garde d'enfants et de ce qui était autrefois le Régime d'assistance publique du Canada — tous les services sociaux, l'assistance sociale, le soutien des enfants ainsi que l'accès à l'aide juridique. Tous ces besoins doivent être envisagés séparément. Chacun de ces secteurs d'intervention exige sa propre conditionnalité, ses propres normes nationales et ses propres objectifs.

Deuxièmement, l'indexation à 3 p. 100 est insuffisante. Le TCPS a été placé bien après le transfert pour la santé mais on peut arguer que toutes les choses qui sont des déterminants sociaux de la santé devraient être financées à égalité.

Troisièmement, les paiements en espèces égaux par habitant qui remplacent les points d'impôt, comme vous l'avez dit, sont la bombe à retardement de notre système de financement. Cette proposition jettera une ombre énorme sur les négociations qui se tiendront quand les mécanismes de financement actuel du Transfert canadien en matière de santé devront être revus en 2013-2014. Le TCPS, avec des versements égaux en espèces par habitant, soulève des questions d'association avec la péréquation et la conditionnalité quand on adopte des normes et des conditions qui s'appliquent à tous les citoyens d'une côte à l'autre. Quelles sont les normes que nous essayons d'atteindre en fournissant des fonds fédéraux?

Quels sont les buts et objectifs nationaux de ces différents mécanismes de financement utilisés pour que les provinces aient des fonds pour atteindre leur objectif social? Le contexte actuel est celui d'un gouvernement dont le désir explicite est de retourner à la définition du gouvernement fédéral qui existait dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Ce désir oblige à se poser certaines questions quand on parle de normes et d'attentes des citoyens de toutes les régions.

J'aborde maintenant le caractère inadéquat des mécanismes de soutien du revenu des adultes en âge de travailler. Nous avons fait beaucoup de progrès pour les personnes âgées et nous commençons à en faire certains au sujet de la pauvreté des enfants grâce à l'élargissement de la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Très respectueusement, je ne veux pas faire de sectarisme politique et je sais que le sénateur Di Nino a fait partie de groupes de travail sur la pauvreté. Le sénateur Nancy Ruth a défendu la cause des femmes et du droit, et le sénateur Murray a fait preuve d'un leadership énorme sur ces questions. Toutefois, les conservateurs de cette génération ont consacré de vastes sommes à la Prestation universelle pour la garde d'enfants et à des crédits d'impôt pour les familles avec enfants, dans le dernier budget. On peut se demander si ces sommes atteignent les personnes qui ont le plus besoin d'aide parmi les familles ayant des enfants. Nous ne sommes pas certains que cette somme d'argent énorme est consacrée aux bonnes choses. La distribution de ces prestations a tendance à aller vers ceux qui gagnent plus que 30 000 $, ce qui est le contraire de l'objectif visé ou de ce que devrait être l'objectif.

Nous nous réjouissons de la création cette année de la Prestation fiscale pour le revenu gagné et de l'attention accordée aux questions de pauvreté, notamment parmi les travailleurs. Ces questions sont aujourd'hui au centre de certaines des délibérations actuelles du gouvernement fédéral et étaient clairement au centre du discours du budget. Toutefois, à Toronto comme ailleurs, franchir la muraille du bien-être social est plus qu'une question d'argent. C'est aussi une question de ne pas perdre l'accès aux médicaments et aux services dentaires, aux formes de sécurité que souhaitent aussi les travailleurs pauvres. De plus, cette prestation passe à côté de la cible dans le cas des personnes qui travaillent à temps plein toute l'année au salaire minimum et qui ne réussissent pas à joindre les deux bouts.

En résumé, il nous faut quatre plans nationaux dans les domaines suivants : logement, formation professionnelle, transports publics et garde d'enfants. Nous n'avons pas réussi à répondre à ces besoins fondamentaux alors que nous baignons dans des budgets excédentaires. Nos ressources économiques et budgétaires sont aujourd'hui plus élevées que jamais.

Ces éléments d'une stratégie anti-pauvreté exhaustive répondraient aux préoccupations de la majeure partie des Canadiens sans mettre les pauvres et les quasi pauvres dos-à-dos. Nous avons adopté ces objectifs fondamentaux importants dans les pactes internationaux et les conventions. C'est John Humphrey, un avocat de Montréal, qui a rédigé le texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1946. J'affirme que nous sommes plus loin en 2006 de la satisfaction de ces besoins essentiels que nous ne l'étions en 1948.

Ça, c'était la mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que le gouvernement n'a pas besoin d'augmenter l'impôt pour atteindre ces objectifs. Il lui suffirait de réaffecter les excédents. Il y avait 26 milliards de dollars de réductions d'impôt dans le seul budget fédéral de l'an dernier et 7 milliards de dollars supplémentaires cette année, ce qui aurait suffi pour financer la plupart de ces initiatives. La réduction supplémentaire prévue de 1 p. 100 de la TPS suffirait à répondre chaque année à la demande de recettes supplémentaires des municipalités. La réduction de la dette au moyen des excédents budgétaires, qui a atteint plus de 22 milliards de dollars au cours des deux dernières années, aurait été un bon point de départ pour financer nos besoins en infrastructures. Les ressources sont là, il suffirait de s'en servir avec plus de sagesse.

Permettez-moi de citer un extrait du budget de 2007 : « Il est temps de viser un Canada plus fort, plus sécuritaire et meilleur.... Un Canada où le niveau et la qualité de vie seront inégalés ». J'applaudis sans réserve à cette logique et j'attendrai avec intérêt les fruits de la réflexion du Sénat après le 30 juin 2007.

Le président : C'est tout ce que vous avez à faire — nous donner un peu d'encouragement au départ et nous vous en donnerons à l'arrivée. Merci de ce merveilleux aperçu, madame Yalnizyan.

Honorables sénateurs, nous avons reçu cette déclaration par écrit. Nous la ferons traduire et vous la distribuerons demain.

Madame Yalnizyan, vous avez abordé beaucoup de questions intéressantes qui nourriront notre réflexion. Vous avez parlé de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de John Humphrey. Je ne saurais laisser passer cela sans préciser que John Humphrey est né à Hampton, au Nouveau-Brunswick, ma ville d'origine. C'est également là qu'il a été enterré et nous savons beaucoup de choses à son sujet.

Le sénateur Ringuette : C'était un excellent exposé et j'ai beaucoup apprécié la manière dont vous avez abordé le sujet, ainsi que tout ce que vous en savez.

L'une des questions qui m'intéressent beaucoup concerne la population active. Je consulte à l'occasion le site web de Ressources humaines et développement social Canada, RHDSC. Nous avons créé une énorme bureaucratie pour s'occuper de toutes ces questions mais je n'ai encore vu aucune action concrète au niveau du monde du travail.

Il y a quelques années, j'ai fait partie d'un groupe de travail sur l'emploi saisonnier, l'assurance-emploi, la retraite des baby-boomers et l'absence d'accréditation des compétences professionnelles des immigrants. J'ai l'impression que le gouvernement fédéral se contente de renvoyer la balle aux provinces. Nous leur donnons l'argent en leur disant de faire ce qu'il faut. Ensuite, les provinces — l'Ontario, par exemple — renvoient la balle aux différentes communautés.

Considérant ce que vous avez dit au sujet de la population active et ce qu'a dit la personne qui vous a précédée, j'aimerais savoir si vous avez une recommandation précise à formuler.

Mme Yalnizyan : Oui. J'en ai traité dans d'autres documents et je peux donc vous la communiquer avec plaisir.

Je pense qu'il y a une série de problèmes reliés mais qu'il faut envisager la question secteur par secteur. Dans le secteur public, il existe une obligation législative de veiller à ce que les citoyens aient accès à la fois aux soins de santé et à l'éducation. S'il n'y a pas assez de monde dans la fonction publique pour fournir ces services, si vous ne pouvez pas partir de cette obligation fondamentale qui est faite aux gouvernements, vous ne faites par votre travail.

Si vous gérez le gouvernement plus comme une entreprise que par le passé, vous ne gérez pas correctement cette entreprise. Alors qu'une entreprise doit tenir compte de son rendement trimestriel, le gouvernement doit agir à échéance de dix ans ou de 20 ans et, selon ce critère, nous avons échoué.

Au lieu de développer cette idée, je pourrais adresser à la greffière du comité des documents sur la manière de s'attaquer à ces problèmes au moyen de l'assurance-emploi ou de transferts pour l'octroi de bourses avec des obligations de service en retour. Il y a une foule de manières créatives pour le gouvernement fédéral de jouer un rôle sans empiéter sur les compétences provinciales mais en respectant les critères de bonne gouvernance et de bonne gestion de l'accès aux services fondamentaux de façon à éviter que les gouvernements — les provinces — fassent du maraudage de professionnels les uns chez les autres. Cela implique aussi de ne pas faire de maraudage auprès des professionnels de la santé des nations du tiers-monde, par exemple. À mon avis, il est contraire à l'éthique d'organiser des foires aux emplois dans les halls d'hôtels du monde entier alors que nous pourrions être des exportateurs nets plutôt que des importateurs nets de professionnels de la santé. Je commencerais par ça.

Je pense qu'il faut travailler avec les conseils sectoriels qui existent dans diverses branches d'industrie mais, très franchement, le critère le plus fondamental — assurer l'accès aux services essentiels — n'est pas respecté et je pense qu'il nous faut une stratégie nationale dans ce domaine.

Le sénateur Ringuette : Que pensez-vous du salaire minimum?

Mme Yalnizyan : L'un des problèmes de l'inégalité croissante est que nous essayons tous d'atteindre le pactole. Nous pensons tous aussi que ceux qui ont réussi auraient dû ouvrir la voie aux autres. Nous pensons que le travailleur moyen ne devrait pas réclamer plus que l'inflation parce que c'est inflationniste, et qu'il ne faudrait jamais relever le salaire minimum parce que ça fait perdre des emplois. Nous obtenons ce à quoi nous nous attendons, comme dans toute relation. Si c'est ce que nous attendons, nous obtiendrons un creusement du fossé — entre les riches et nous, les riches étant les seuls à réaliser des gains solides sur le marché du travail, année après année, alors que nous voyons nos revenus stagner ou perdre de la valeur.

Une chose que le gouvernement du Canada doit faire en tant que leader est de porter le salaire minimum fédéral au minimum nécessaire pour un certain niveau de vie. Il n'y a pas beaucoup de travailleurs fédéraux au salaire minimum. Le gouvernement ne perdrait pas grand-chose en relevant le salaire minimum mais cela enverrait un message important.

Le gouvernement fédéral est une sorte de chef d'orchestre. Il y a beaucoup de juridictions, chacune ayant ses propres mélodies et contrepoints. C'est le gouvernement fédéral qui donne le la en matière de gouvernance. Qu'il s'agisse des droits de la personne, de l'évolution du marché du travail ou de l'établissement de règles pour les soins de santé, en veillant à ce qu'elles soient réellement appliquées, nous avons beaucoup à gagner d'un gouvernement fédéral prêt à agir sur le salaire minimum.

Le sénateur Murray : J'ai formulé des critiques un peu sévères au sujet du budget du ministre des Finances, dans un autre contexte, en ce qui concerne la désignation des fonds du Transfert canadien en matière de programmes sociaux. J'ai dit que c'était de la poudre aux yeux. Comme nous savons que c'est inconditionnel, pourquoi prétendre le contraire? Écoutez bien, cependant, sénateur Nancy Ruth et sénateur Di Nino, je vais dire un mot pour défendre votre budget.

Dans ce document budgétaire sur le rétablissement de l'équilibre fiscal, par exemple, on dit au sujet de certaines des augmentations désignées que l'argent commencera à couler non pas cette année mais l'année prochaine si l'on parvient à des ententes avec les provinces. Au sujet de son investissement dans l'enseignement supérieur, le gouvernement dit qu'il ajoutera 800 millions de dollars mais seulement à partir de 2008-2009 « à la suite de discussions avec les provinces et territoires sur la meilleure façon d'utiliser ces nouveaux investissements et sur la présentation de rapports adéquats et la reddition de comptes à la population canadienne ».

Un peu plus loin, en parlant des 250 millions de dollars que le gouvernement consacre à la création de nouvelles places de garderies pour les enfants, on dit que cet argent sera versé par le truchement du TCPS à partir de 2008-2009 lorsque les discussions avec les provinces et les territoires sur la meilleure façon d'utiliser ces nouveaux investissements seront terminées. Au sujet de la formation professionnelle, autre thème que vous avez légitimement soulevé, une fois que les ententes auront été conclues avec ces provinces et territoires — qui n'ont pas d'entente actuellement — la somme totale atteignant près de 2 milliards de dollars sera versée aux provinces et territoires dans le cadre du programme des marchés du travail de l'assurance-emploi.

Je pense qu'il faut admettre que M. Flaherty a conservé sa matraque en décidant de verser l'argent non pas immédiatement mais dans un an ou deux, seulement s'il obtient des ententes. Êtes-vous d'accord avec mon interprétation?

Mme Yalnizyan : Oui.

Le sénateur Murray : Je n'ai jamais approuvé l'idée que le gouvernement fédéral puisse imposer ses propres normes parce que les normes nationales sont ce que le gouvernement fédéral et les provinces disent qu'elles sont dans les domaines relevant des compétences provinciales. Ce ne sont pas des normes que le gouvernement fédéral peut imposer par voie législative, à mon avis.

Parlons maintenant de la conditionnalité. Vous disiez qu'il faut que les transferts fédéraux-provinciaux soient assujettis à la conditionnalité, je crois.

Je suppose que vous connaissez les ententes que le gouvernement précédent avait signées avec les provinces et territoires au sujet de la garde d'enfants. Vous m'avez peut-être entendu dire un peu plus tôt qu'un des aspects de ces ententes qui me plaisait était qu'on avait prévu une certaine latitude pour beaucoup d'asymétrie afin de permettre aux provinces de répondre à leurs propres besoins en fonction de leur propre situation.

Est-ce là le type de conditionnalité dont vous vouliez parler au sujet des programmes sociaux ou songiez-vous à quelque chose de plus sinistre, par exemple au fait que le gouvernement fédéral joue de la matraque en adoptant une législation dans un champ de compétence provinciale?

Mme Yalnizyan : Ce qui s'est fait pour les garderies d'enfants me semble constituer un point de départ important. Les quatre piliers qui ont été négociés étaient un moyen crucial pour obtenir un consensus de progrès dans plusieurs juridictions ayant des niveaux différents d'accès aux services de garde d'enfants.

Ce qui compte, c'est de savoir quels sont les objectifs nationaux. Quels sont les besoins des citoyens de chaque région du pays, rurale, urbaine ou isolée, dans n'importe quelle province ou territoire? C'est dans ce sens que les normes sont importantes. Je crois qu'on devrait pouvoir s'entendre avec les provinces sans trop de raffut. Toutefois, lorsque les objectifs nationaux sont fixés, comme on l'a fait avec les cinq principes fondamentaux de la Loi canadienne sur la santé, comment s'assurer qu'ils sont respectés? Fixer des conditions ne sert à rien si on ne prend pas la peine de les faire respecter.

Si vous examinez des questions telles que l'administration publique, et la Loi canadienne sur la santé est une loi extrêmement poreuse, qui laisse beaucoup de place à l'interprétation de ce qu'est l'administration publique dans l'utilisation de ces fonds...

Le sénateur Murray : Permettez-moi de vous interrompre. Je ne réalisais pas que nous allions nous engager dans cette voie. Notre excellent ami, le sénateur Kirby, disait souvent, et je ne l'ai jamais oublié, que sur ces cinq conditions, quatre sont axées sur les patients et celle que vous avez mentionnée, l'administration publique, ne l'est pas et qu'on devrait donc pouvoir la changer sans faire violence à l'assurance-santé.

Mme Yalnizyan : À moins de vouloir dépenser l'argent inutilement.

Le sénateur Murray : C'est un argument fiscal, n'est-ce pas?

Mme Yalnizyan : Totalement. Toutefois, c'est de relations fiscales que nous parlons aujourd'hui, et de l'obligation de ne pas gaspiller l'argent des contribuables, approche fiscale dont je félicite le gouvernement actuel. Pourquoi dépenser un dollar quand 99 sous suffiraient, disait Tommy Douglas? Multipliez ça par de nombreux milliards et vous aurez réalisé une économie de plusieurs milliards de dollars que vous pourrez utiliser pour construire des logements. Ce n'est pas négligeable de perdre un sou sur chaque dollar des dépenses fédérales.

Le principe de l'administration publique prête à deux interprétations. Il y a celle du payeur unique par laquelle nous économisons de l'argent grâce un mécanisme d'assurance. Toutefois, l'administration publique, c'est aussi pourquoi consacrer un dollar à des profits alors qu'on pourrait le consacrer à des services. Pourquoi utiliser les deniers publics afin de financer des établissements à but lucratif qui ne dispensent aucun service différent, la seule différence étant la rapidité du service? Pourquoi ne pas faire ça dans le secteur privé à but non lucratif?

Il y a donc beaucoup de questions en jeu concernant la prudence et l'utilisation diligente des deniers publics qui ne sont absolument pas négligeables quand on parle de transférer d'énormes quantités de dollars aux provinces. Quelles sont nos attentes quant à la manière dont cet argent sera dépensé? Je pense que le contribuable a le droit de savoir où va son argent et de savoir qu'il est utilisé de la meilleure manière possible, c'est-à-dire en réalisant les meilleures économies d'échelles possibles, les meilleurs achats groupés, le meilleur regroupement des risques, et cetera..

Le sénateur Murray : Les provinces doivent négocier avec les enseignants, les professeurs d'université, les médecins et les conseils des hôpitaux. Que dites-vous au sujet de leur reddition de comptes? Leur reddition de comptes politique envers leur électorat est aussi réelle que — j'allais dire la nôtre mais vous voyez ce que je veux dire, celle de nos frères et sœurs de la Chambre des communes, au palier fédéral. J'ai constaté que, quand les électeurs commencent à s'agiter, ils changent de gouvernement beaucoup plus fréquemment au palier provincial qu'au palier fédéral. Nous avons actuellement un certain nombre de nouveaux gouvernements dans les provinces, et des élections serrées se tiendront bientôt dans deux d'entre elles.

Je crois qu'il faut reconnaître que les provinces rendent des comptes, surtout dans leurs propres champs de compétence, devant leurs propres assemblées législatives et leurs propres électorats.

Mme Yalnizyan : Toutefois, ce que signifie la révolution de la dévolution, c'est que les ressources au palier provincial ou municipal sont insuffisantes pour effectuer les investissements dont nous avons besoin dans la brique et le ciment, pour nous assurer que nous avons les équipements dont nous avons besoin dans le secteur de la santé, pour garantir que nous avons les processus de service en retour afin que nos étudiants ne terminent pas leurs études avec 24 000 $ de dette en moyenne, et pour faire des investissements adéquats dans l'amélioration des compétences des travailleurs. Nous n'avons aucun plan dans aucun de ces domaines et ce n'est pas aux provinces qu'il appartient de déterminer ce que devraient être ces plans nationaux.

Le sénateur Murray : Non, mais ça doit se faire en collaboration.

Mme Yalnizyan : Absolument. C'est le Manitoba qui a la stratégie de formation d'infirmières la plus agressive mais ses infirmières s'en vont ensuite en Alberta parce qu'elles y sont mieux payées. Ce genre de maraudage interprovincial ne profite à personne. Il existe actuellement une pénurie nationale d'infirmières. Réglons le problème au palier national.

Le sénateur Murray : Comment?

Mme Yalnizyan : En déterminant le nombre d'infirmières qu'il faut former et le genre de formation qu'il faut dispenser partout au pays.

Le sénateur Murray : Il y aura toujours de la concurrence entre les provinces.

Mme Yalnizyan : Certes, parce qu'il s'agit d'un marché du travail mais, si nous n'avons pas assez de gens pour répondre aux besoins résultant des départs à la retraite, nous ne ferons que faire monter les prix. Nous n'avons rien d'autre.

Le sénateur Murray : La disparition d'un grand nombre d'infirmières, non pas dans d'autres provinces mais chez notre voisin du sud, avait été provoquée par les coupures budgétaires et par une mauvaise prévision des besoins futurs, je crois.

Je ne veux pas monopoliser la discussion mais, quand vous avez parlé de partage des revenus avec les municipalités, vous avez aussi parlé de conditionnalité mais sans donner de précisions.

Voici donc ma dernière question : pourriez-vous être plus précise au sujet de la manière dont on pourra imposer une certaine conditionnalité aux municipalités, si c'est ce que nous voulons faire, sur des questions telles que la taxe sur l'essence, voire un point de TPS, si on veut bien rêver?

Mme Yalnizyan : Je crois qu'on pourrait calculer les recettes supplémentaires dont on aurait besoin en sachant ce dont ont besoin les citoyens de chaque municipalité. Ils ont besoin d'eau potable, de systèmes d'égouts décents, de systèmes de transports publics — parce que c'est un problème partout — et d'accès à des logements abordables — parce que c'est aussi un problème partout. Les conditions peuvent être aussi claires ou aussi vagues que nous le voulons.

J'ai dit qu'il faut fixer des conditions. Le gouvernement fédéral souhaite-t-il se contenter de signer des chèques en blanc aux municipalités? Manifestement non. Il tient à obtenir une certaine visibilité politique pour ce qu'il fait comme gouvernement fédéral mais il tient aussi à ce que les contribuables reçoivent des services adéquats pour leur argent, et l'argent doit servir à... vous pouvez compléter la phrase. L'autre aspect de la conditionnalité est évidemment de faire respecter les conditions.

Je voudrais revenir à ce que je disais au sujet du financement fédéral des municipalités, des transferts fédéraux aux provinces pour les programmes sociaux et des transferts aux personnes pour la formation professionnelle, le soutien du revenu, et tout le reste, trois dossiers qui sont séparés. Tous ces éléments font partie du déséquilibre fiscal vertical, chacun exigeant énormément d'attention, et votre comité est parfaitement placé pour ça. Toutefois, je ne pense pas que vous puissiez tout faire dans une seule...

Le sénateur Murray : En ce qui concerne les transferts aux particuliers, j'avais cru comprendre que vous ne parliez pas de soutien du revenu parce que cette question avait été réglée.

Mme Yalnizyan : Non, j'ai dit que ce n'est pas limité au seul soutien du revenu. Ce n'est pas limité au soutien du revenu parce que j'ai mentionné les insuffisances de la nouvelle Prestation fiscale pour le revenu gagné, la PFRG, dont ne peuvent bénéficier les personnes qui travaillent à temps plein toute l'année au salaire minimum. Cette prestation ne profite qu'à un petit groupe et nous savons que, pour ce groupe, le problème de la muraille du bien-être social reste l'accès aux médicaments et aux soins dentaires et à tout un éventail de d'autres choses qui sont disponibles par le truchement des programmes d'assistance sociale. Ce n'est pas seulement une question d'argent mais c'est aussi une question d'argent. C'est une question de soutien du revenu, qu'il s'agisse du salaire minimum, des prestations d'assurance-emploi ou des suppléments salariaux, au fond.

Le sénateur Murray : Selon vous, la PFRG n'est pas un soutien du revenu, c'est quelque chose d'autre.

Mme Yalnizyan : Non, je regrette, ça l'est. Je dis simplement que la PFRG est une étape importante dans une direction particulière qui est d'aider les gens à passer du bien-être social au travail et à compléter les salaires des travailleurs ayant une relation ténue avec le marché du travail, domaine dans lequel on pourrait faire beaucoup plus si le gouvernement le voulait. Toutefois, une partie de la muraille n'a rien à voir avec le revenu mais concerne plutôt l'accès à tout un éventail de services qui rendent la vie plus abordable, et cela affecte autant les travailleurs pauvres qui ne bénéficient pas de la PFRG. Je suis désolée si tout cela paraît un peu confus.

Le sénateur Murray : Non, c'est simplement que vous aviez un peu tout télescopé.

Mme Yalnizyan : Oui. Je serais très heureuse de revenir trois fois pour vous parler des trois dossiers différents.

Le président : Sénateur Murray, je vous ai laissé beaucoup de latitude pour poser vos questions parce que nous n'avions pas pu vous donner suffisamment de temps lors de la séance précédente et aussi parce que j'ai constaté que le sénateur suivant est le sénateur Di Nino.

Le sénateur Di Nino : Vous avez touché une corde sensible avec l'une de vos remarques. Si vous me le permettez, monsieur le président, je vous emprunterai 30 secondes. Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international s'est penché sur la relation du Canada avec l'Afrique, et je crois que le vice-président du Mali avait dit quelque chose comme : « Les colonisateurs sont venus voler nos ressources naturelles et ils viennent maintenant piller nos ressources humaines ». C'est un problème très sérieux dans beaucoup de ces pays. Ça n'a rien à voir avec le débat d'aujourd'hui, évidemment, mais je crois que c'était révélateur.

Je voudrais m'assurer que j'ai bien compris quelque chose : vous pensez qu'il ne faudrait pas procéder à la réduction supplémentaire promise de la TPS et qu'il faudrait mettre de côté le plan d'élimination de la dette afin de consacrer l'argent à autre chose. C'est bien ça?

Mme Yalnizyan : Oui, monsieur.

Le sénateur Di Nino : Vous ne croyez pas que c'est une bonne idée de rendre l'argent aux gens pour qu'ils puissent acheter plus d'appareils ménagers ou aller plus fréquemment au restaurant, ce qui stimulerait l'activité économique générale. Ne pensez-vous pas que ce serait là une bonne manière d'accroître la prospérité des gens à tous les niveaux, riches, pauvres ou entre les deux?

Mme Yalnizyan : La réduction de la TPS profite plus aux gens qui dépensent plus. Si je suis une mère tributaire du bien-être social et que j'achète un manteau d'hiver de 100 $ à mon enfant, cette réduction ne fait économiser un dollar. Si je suis riche et que j'achète une Lamborghini, elle me fait économiser 6 000 $ environ. Cette réduction est destinée à ceux qui dépensent beaucoup. Toutefois, la même somme d'argent — plus de 5 milliards de dollars, et elle continue de monter — permettrait de répondre à des besoins essentiels tels que l'accès à un logement abordable, le transport public, ou n'importe quoi d'autre — des choses qui ne sont pas des dépenses discrétionnaires dans la vie des pauvres et des travailleurs pauvres. Eux aussi ont besoin de se loger, ont besoin de travailler et ont besoin de faire garder leurs enfants. Nous parlons de dépenses discrétionnaires qui sont devenues d'un seul coup plus accessibles parce que les gens ont plus de pouvoir d'achat. Il est vrai, monsieur, qu'une réduction de la TPS de 1 p. 100 accroît les possibilités économiques de ceux qui ont déjà du pouvoir d'achat, mais il est tout aussi vrai que ne pas procéder à cette réduction offrirait une occasion exceptionnelle de s'attaquer aux problèmes que connaissent les gens qui n'ont pas de perspectives économiques ni, en fait, de choix économiques. À notre époque d'abondance aussi énorme, c'est un vrai gaspillage de laisser passer cette chance d'améliorer concrètement la vie de chacun. Ce qui est intéressant, c'est que ces gens dépensent tout leur argent dans l'économie locale. Un réfrigérateur viendra peut-être des États-Unis, de la Chine ou de la Corée, et une automobile viendra peut-être d'Amérique du Nord mais peut-être aussi d'ailleurs. Toutes les choses dont vous avez parlé peuvent déboucher sur de la croissance économique mais pas nécessairement au Canada. Nous pouvons donner à une personne pauvre un peu plus de pouvoir d'achat en réduisant le coût du transport public ou du logement et elle dépensera cet argent en achetant du lait à l'épicerie du coin ou quelque chose d'autre pour ses enfants. Ça changera directement sa vie ici même, au Canada.

Le sénateur Di Nino : Nous poursuivrons ce débat une autrefois, quand nous aurons plus de temps. Je ne suis pas totalement en désaccord avec vous là-dessus mais je pense que nous devrions pouvoir trouver un moyen terme. J'ai une autre question à vous poser. Comme vous le savez, l'impôt est considéré comme une action négative de la part des gouvernements et des politiciens. Si le gouvernement veut percevoir des impôts et redistribuer l'argent, il est obligé d'accepter une certaine réaction négative de l'électorat. Croyez-vous qu'on devrait donner certains pouvoirs fiscaux aux municipalités pour qu'elles soient responsables de leurs propres actions?

Mme Yalnizyan : Comme je l'ai déjà dit, je crois que cette conversation est très profonde car il s'agit de transformer le caractère fiscal constitutionnel du pays. Nous pourrions avoir une fort longue conversation à ce sujet mais je n'y tiens pas. Je veux toutefois répondre à ce que vous avez dit au sujet de la réaction négative de la population à l'impôt. En réalité, l'impôt ne représente qu'un côté d'une médaille, l'autre étant les services. Le lien entre les impôts et les services a été profondément brisé dans la plupart des discours sur l'impôt. On entend continuellement dire que l'impôt est un fardeau mais pas qu'il permet de recevoir des services en contrepartie. Un individu qui a un dollar de plus dans sa poche grâce à la réduction de la TPS ne peut pas s'acheter un kilomètre d'autoroute ou une place dans une garderie d'enfants. Comme le disait Oliver Wendell Holmes Jr. : « Les taxes sont le prix que nous payons pour avoir une société civilisée ». Au fait, vous voyez bien que je ne fais pas le sectarisme politique puisque c'était un Conservateur et un juge. Je m'intéresse plutôt au bien collectif. Je crois qu'il serait important d'avoir cette discussion sur le rôle légitime de l'impôt.

Les Canadiens sont largement en avance sur vous car ils savent que la prochaine réduction d'impôt représentera en fait une réduction de services et je dois vous dire, monsieur, qu'ils ne veulent pas de réduction de services. Ils veulent de meilleurs services. Ils considèrent déjà qu'ils n'ont pas assez de services dans les collectivités où ils vivent. Les municipalités se sont vu imposer beaucoup de responsabilités supplémentaires mais elles n'ont reçu pratiquement aucun revenu supplémentaire. Elles assument aujourd'hui une responsabilité beaucoup plus grande dans l'instauration de la société civilisée que nous voulons tous, mais sans ressources adéquates. Voilà pourquoi je parlais de croissance des recettes. Qu'il s'agisse d'une part de l'impôt sur le revenu ou d'une part des taxes à la consommation, il faut que ce soit quelque chose qui augmente avec la population. Cela devrait faire l'objet d'une conversation approfondie et prolongée que nous n'aurons pas le temps d'avoir avec le peu de temps qui nous reste.

Le sénateur Di Nino : J'en conviens, même si je ne suis pas d'accord avec certaines parties de votre argument. C'est surtout une question d'équilibre.

Mme Yalnizyan : Excellent.

Le président : C'est le sénateur Murray qui aura le dernier mot du second tour.

Le sénateur Murray : N'hésitez pas à me répondre mais je n'ai pas l'impression que le gouvernement mène une politique agressive de remboursement de la dette. Certes, le pourcentage de la dette totale par rapport au PIB est en diminution, Dieu merci. À une certaine époque, en période de récession, il avait atteint 70 p. 100. Aujourd'hui, il a baissé et le service de la dette, qui s'élevait à 40 milliards de dollars environ lorsque j'avais plus d'informations sur ces questions, est de l'ordre de 33 à 34 milliards de dollars, ce qui est encore beaucoup. C'est la somme que nous dépensons chaque année en intérêts sur la dette. Je crois que c'était 34,1 milliards de dollars l'an dernier et que ce sera 33,8 milliards cette année et 33,7 milliards l'année prochaine. Il faut espérer que le niveau historiquement des taux d'intérêt dont vous avez parlé plus tôt se maintiendra car, si ce n'est pas le cas, les intérêts augmenteront et représenteront une part plus importante de nos dépenses. Même si je suis encore un progressiste-conservateur, je suis assez conservateur sur le plan fiscal pour penser que c'est une bonne idée de rembourser la dette avec ardeur, comme vous et moi le ferions pour nos finances personnelles. Sinon, nous aurons des difficultés énormes. Il est horrible de voir partir 40 milliards de dollars par an en intérêts sur la dette et de penser à tout ce qu'on pourrait faire d'autre avec cette somme.

Mme Yalnizyan : Puis-je répondre?

Le sénateur Murray : Je vous en prie.

Mme Yalnizyan : Il est utile de comparer cette situation à celle d'un ménage typique. Rembourser la dette, c'est la même chose que rembourser son hypothèque mais, si votre toit fuit et que votre fondation s'effondre, ce n'est peut-être pas le meilleur usage possible de votre argent car vous risquez de léguer un simple tas de briques à vos enfants. Certes, ils n'auront peut-être plus de dette mais ils n'auront pas non plus de logement habitable. Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons avec la dette nationale. Je ne connais aucun pays qui n'ait aucune dette. Le chiffre magique, c'est l'intérêt sur la dette. L'autre membre de l'équation représente les services, et les autres aspects du service de la dette, c'est l'investissement dans les biens publics. La dette est une mauvaise chose si ce n'est qu'une dette. Ce qui est important, c'est de voir ce qu'on construit avec cette dette. Il n'existe aucune grande entreprise qui fonctionne sans emprunter. Si la dette était une si mauvaise chose, les entreprises n'emprunteraient pas. On ne peut pas bâtir, entretenir ou développer une nation sans emprunter. Vous avez absolument raison de dire que le ratio de la dette par rapport au PIB baisserait même si le gouvernement n'effectuait aucun remboursement sur la dette, parce que l'économie continuerait de croître. À mon avis, la période actuelle est tout simplement idéale pour emprunter étant donné qu'on doit obligatoirement emprunter pour investir. Or, investir pour l'eau potable, la gestion des déchets et la production d'électricité, ce n'est pas facultatif.

Ce sont là des choses dont nous avons besoin et que nous devons payer. Il n'y a rien de gratuit dans la vie. La meilleure manière de payer ces choses est d'emprunter au moment où les taux d'intérêt sont au plus bas, ce qui est le cas actuellement. C'est pour cette raison que je dis que la période de 1948 à 1970 a été la période de gloire du gouvernement fédéral car le partage des coûts à cette époque-là pour investir dans les infrastructures publiques représentait l'option la moins dispendieuse pour les Canadiens. Les besoins étaient les mêmes partout au pays. Je comprends parfaitement votre préoccupation au sujet d'une facture d'intérêts de 33 milliards de dollars par an mais on ne peut pas échapper à ce paiement. Voudriez-vous payer plus? La question est de savoir combien en plus. Ça coûtera plus cher si le gouvernement fédéral ne s'en charge pas. Si ce sont les provinces ou les municipalités qui empruntent, le coût de la dette sera plus élevé parce que ce sont des gouvernements subsidiaires dont la prime de risque est plus élevée. Ça ne se discute même pas.

Le sénateur Murray : Les générations passées avaient l'habitude d'emprunter pour couvrir leurs dépenses de fonctionnement et c'est ce qui nous a causé d'énormes difficultés.

Mme Yalnizyan : J'en conviens.

Le sénateur Murray : Je ne peux pas les critiquer. Ce qui s'est passé, c'est qu'elles ont engagé de grandes dépenses — en grande mesure pour des programmes sociaux — à une époque de prospérité économique et de recettes abondantes qui ne pouvait pas durer. Je ne voudrais pas qu'on fasse preuve de laxisme au sujet de la dette et je ne considère pas que le gouvernement actuel la rembourse de manière particulièrement agressive.

Mme Yalnizyan : Je conviens qu'il ne la rembourse pas de manière agressive mais 22 milliards de dollars au cours des deux dernières années nous auraient permis d'acheter beaucoup d'infrastructures.

Le sénateur Murray : Une partie des 34 milliards de dollars d'intérêts que nous payons nous aurait aussi permis d'acheter beaucoup d'infrastructures.

Mme Yalnizyan : Ça ne sera jamais zéro. Vous considérez, comme le sénateur Di Nino, que les taxes sont un fardeau. Le service de la dette publique est un fardeau. Qu'obtenons-nous en retour? Si le gouvernement fédéral réduit sa dette, ça signifie simplement que les gouvernements subsidiaires doivent emprunter plus. Les investissements devront être effectués par les municipalités qui, puisque ce sont des créations des provinces, ne peuvent pas emprunter. J'aimerais avoir le temps de discuter avec vous — ce sera peut-être pour une autre fois — des tendances remarquables en matière de renflouement par la province et du pillage des réserves de la municipalité de Toronto. Ces tendances ne pourront pas durer. Vous pouvez bien vous débarrasser de votre dette, et les provinces peuvent bien se débarrasser des leurs, mais vous les retrouverez alors au niveau des municipalités parce que ce sont elles qui doivent répondre aux besoins.

Le président : Vous présentez vos arguments avec vigueur et talent. Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie beaucoup d'avoir participé à nos travaux et de nous avoir fait bénéficier d'une discussion extrêmement intéressante. J'espère que nous pourrons continuer ce dialogue. Si nous avons d'autres questions, nous vous les communiquerons par écrit en espérant que vous aurez le temps d'y répondre.

Mme Yalnizyan : Merci beaucoup. Je suis très heureuse d'avoir pu participer à cette séance.

Le président : Merci.

La séance est levée.


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