Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 15 - Témoignages du 16 mai 2007
OTTAWA, le mercredi 16 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 19 pour étudier, afin d'en faire rapport, les questions relatives à l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers niveaux de gouvernement du Canada.
Le sénateur Nancy Ruth (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : La séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales est ouverte. Je suis le sénateur Nancy Ruth. Je viens de Toronto et je suis la vice-présidente du comité.
Le 27 septembre 2006, le Comité sénatorial permanent des finances nationales a été autorisé par le Sénat à étudier les questions relatives à l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers niveaux de gouvernement du Canada et de faire rapport à ce sujet au plus tard le 30 juin 2007.
À l'automne 2006, les membres du comité ont entendu des exposés de hauts responsables de divers ministères des gouvernements provinciaux et territoriaux, d'universitaires et de spécialistes de la promotion des politiques venant de toutes les régions du pays. Les audiences se sont étalées sur une période de six semaines.
Le 12 décembre de l'an dernier, le comité a publié un rapport intérimaire intitulé L'équilibre fiscal horizontal : Vers une démarche fondée sur des principes dans le cadre de son étude permanente des arrangements fiscaux conclus par le gouvernement fédéral avec les provinces et les territoires.
Le comité débute son étude de la phase suivante en examinant la répartition des ressources budgétaires et des responsabilités en matière de dépenses entre les divers niveaux de gouvernement du Canada.
Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir, par vidéoconférence, le merveilleux professeur Slack qui se trouve à Toronto. Elle est la directrice de l'Institute of Municipal Finance and Governance au Munk Centre for International Studies de l'Université de Toronto. Mme Slack est l'un des principaux experts du pays dans le domaine des finances municipales. Elle est professeur adjointe à l'Université de Toronto où elle enseigne un cours de deuxième cycle en finances publiques urbaines aux étudiants en planification.
Mme Slack travaille dans ce domaine depuis plus de 25 ans et elle s'est taillée une réputation nationale et internationale pour ses recherches sur les impôts fonciers et les autres aspects des finances municipales. En tant que présidente d'Enid Slack Consulting Inc. depuis 1981, elle a conseillé les gouvernements et les entreprises privées du Canada et de l'étranger dans le domaine des impôts fonciers, des transferts intergouvernementaux, de la répartition des dépenses et des recettes entre les niveaux de gouvernement, de la révision des frontières municipales et des autres questions financières locales.
Madame Slack, nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire.
Enid Slack, directrice, Institute of Municipal Finance and Governance, Munk Centre for International Studies, Université de Toronto : Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales et de m'avoir permis de vous parler par vidéoconférence.
Je me suis dit que, dans ma déclaration préliminaire, je poserais trois questions en essayant d'y répondre. Pour ce qui est de la première question, y a-t-il un déséquilibre fiscal au niveau des municipalités? La deuxième question est : en quoi le débat sur le déséquilibre fiscal municipal diffère-t-il du débat sur le déséquilibre fiscal fédéral-provincial? La troisième question est : que peut faire chaque niveau de gouvernement pour réduire ce déséquilibre fiscal?
Y a-t-il un déséquilibre fiscal au niveau municipal? C'est une question très complexe, car si nous jetons un coup d'oeil sur les mesures fiscales au fil des ans, nous constatons que les municipalités ont obtenu d'assez bons résultats. Elles n'ont pas de déficit de fonctionnement. Comme vous le savez, dans chaque province, la loi leur interdit d'avoir un déficit de fonctionnement si bien que leurs budgets sont équilibrés. Ils doivent être obligatoirement équilibrés.
Si nous prenons les emprunts que les municipalités ont faits pour financer leurs immobilisations, nous constatons qu'ils ont diminué avec le temps. Le service de la dette sur les dépenses municipales est devenu moins onéreux. C'est en partie parce que les taux d'intérêt ont chuté, mais aussi parce que les municipalités ont réduit leurs emprunts. Si nous examinons la taille de leurs réserves, elles semblent assez solides. Encore une fois, ce sont des moyennes pour l'ensemble du pays et cela ne s'applique donc pas à chaque municipalité, mais telle est la situation en moyenne.
Si vous prenez le rythme auquel les impôts fonciers ont augmenté au cours des 20 ou 25 dernières années, cela n'a pas été dramatique. Bien entendu, il y a eu une hausse, mais elle n'a pas été dramatique.
Les municipalités dépendent moins des subventions provinciales et elles comptent de plus en plus sur leurs propres sources de revenus.
Enfin, si nous prenons les arriérés d'impôt, ils sont très peu élevés. Autrement dit, les gens paient leurs taxes municipales. J'ai étudié les impôts fonciers dans toutes les régions du monde et je peux vous dire que nos arriérés d'impôts sont très faibles par rapport à ce qui se passe ailleurs.
Donc, quel est le problème? Si la situation des municipalités semble aussi positive sur tous ces plans financiers, quel est le problème?
Je dirais que, malheureusement, si les municipalités se portent bien sur le plan financier, c'est au détriment de leur santé globale. Je veux dire par là que l'état de l'infrastructure municipale pose un problème. Que ce soit du côté de l'eau potable, des égouts, des routes, de l'infrastructure communautaire ou des installations récréatives, nous savons qu'il y a un problème d'infrastructure. Nous savons aussi que la qualité de la prestation des services a diminué.
Malheureusement, ce sont des choses très difficiles à mesurer. Nous avons essayé d'estimer le déficit de l'infrastructure et les faiblesses sur le plan de la prestation des services, mais c'est beaucoup plus difficile à mesurer que certaines des choses dont j'ai parlé au départ.
Y a-t-il un déséquilibre fiscal au niveau municipal? Certainement, mais il est difficile à mesurer étant donné qu'il s'est manifesté par la dégradation de l'infrastructure et de la prestation des services.
La deuxième question que je voulais poser porte sur ce qui distingue le débat sur le déséquilibre fiscal au niveau municipal d'une part et au niveau fédéral-provincial, d'autre part. Si j'ai bien compris, les provinces ont fait valoir que le gouvernement fédéral a une capacité fiscale plus importante que celle dont il a besoin pour faire face à ses dépenses. Par contre, les gouvernements provinciaux ont une capacité fiscale inférieure à celle dont ils ont besoin pour financer leurs dépenses, surtout dans les domaines de la santé. Le gouvernement fédéral répond à cela que les gouvernements provinciaux ont accès aux mêmes ressources fiscales que le gouvernement fédéral, c'est-à-dire l'impôt sur le revenu et la taxe de vente alors pourquoi les provinces ne peuvent-elles pas simplement augmenter leurs taux d'imposition? Je ne répondrai pas à ces questions, mais je dirais que le débat se déroule de façon un peu différente au niveau municipal.
Les gouvernements municipaux sont différents des gouvernements fédéral et provinciaux. Premièrement, les gouvernements municipaux n'ont pas le même pouvoir de taxation que le gouvernement fédéral et les provinces. Comme vous le savez, les municipalités comptent largement sur les impôts fonciers pour faire face à leurs dépenses. Elles n'ont pas accès à l'impôt sur le revenu ou à la taxe de vente. Deuxièmement, les municipalités sont limitées par les gouvernements provinciaux en ce qui concerne les recettes qu'elles peuvent percevoir et les dépenses qu'elles doivent faire. Elles ont beaucoup moins de marge de manœuvre que les gouvernements provinciaux et fédéral en ce qui concerne leurs dépenses et leurs décisions fiscales.
L'impôt foncier est un impôt très particulier. Ce n'est pas la même chose que l'impôt sur le revenu ou la taxe de vente. Premièrement, c'est une taxe sans élasticité. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que lorsque l'économie croît, l'assiette de l'impôt n'augmente pas nécessairement aussi vite que celle de l'impôt sur le revenu ou de la taxe de vente. L'assiette de l'impôt foncier s'élargit, c'est vrai, mais à retardement et pas aussi rapidement.
Une des caractéristiques particulières de l'impôt foncier et ce que j'aime dans ce type d'impôt c'est qu'il est très visible. Contrairement à l'impôt sur le revenu qui est retenu à la source pour la plupart des gens, l'impôt foncier doit être payé directement. Les contribuables doivent faire un chèque pour payer leur impôt foncier au moyen de leur revenu net, une fois, deux fois ou six fois par an. Les gens savent combien coûtent leurs impôts fonciers. Cette visibilité est une bonne chose au départ, car c'est une forme de reddition de comptes, mais elle limite la capacité des municipalités d'augmenter les taxes. Lorsque l'assiette de la taxe s'élargit, la plupart des municipalités réduisent leur taux d'imposition afin que le fardeau fiscal reste stable.
La capacité des municipalités d'augmenter les impôts fonciers non résidentiels, la taxe d'affaires, est limitée parce que dans la plupart des régions du pays, les entreprises sont déjà trop taxées par rapport aux propriétés résidentielles et aux services qu'elles reçoivent. Voilà ce que le déséquilibre fiscal municipal a de différent. Les municipalités n'ont pas autant de marge de manœuvre que les autres niveaux de gouvernement.
S'il y a un déséquilibre fiscal, que peut faire chaque niveau de gouvernement? Les trois niveaux de gouvernement ont chacun leur rôle. Les municipalités peuvent-elles augmenter leurs propres revenus? Probablement. Certaines d'entre elles pourraient sans doute augmenter leurs impôts fonciers résidentiels, mais je ne recommande pas d'augmenter les impôts non résidentiels. Elles pourraient mieux tarifer leurs services. La plupart des municipalités font payer les usagers pour l'eau et le transport en commun, mais ces services ne sont pas toujours bien tarifés. Elles pourraient également faire payer pour la collecte des ordures ménagères, ce que certaines font, mais pas la plupart. Une bonne tarification ne rapportera pas nécessaire des recettes supplémentaires, mais elle pourrait réduire les dépenses en faisant comprendre aux gens quel est le coût de ces services.
Les municipalités peuvent emprunter plus. Là encore, elles ne pourraient pas toutes le faire, mais un bon nombre le pourraient. Les municipalités empruntent pour financer leurs immobilisations. Ce sont les dépenses pour les routes et les ponts. Ce sont des services dont les contribuables bénéficient pendant longtemps, disons pendant 25 ans. Il est logique d'emprunter cet argent et de le rembourser sur 25 ans afin que ceux qui en bénéficient en paient également le coût.
Même si toutes les municipalités font tout cela, je crois que ces mesures ne suffisent pas à répondre aux besoins et il faut donc se tourner vers les autres niveaux de gouvernement. Qu'en est-il des gouvernements provinciaux? Un certain nombre de provinces doivent réexaminer l'alignement des dépenses que doivent faire les municipalités par rapport aux sources de revenus dont elles disposent. Le déséquilibre fiscal signifie simplement que les municipalités n'ont pas de sources de revenus adéquates pour répondre à leurs besoins.
Dans le cas des grandes villes et des régions urbaines, je pense qu'on pourrait leur donner accès à différents impôts, par exemple, à l'impôt sur le revenu et à la taxe de vente. Pourquoi? Elles font un vaste éventail de dépenses dont un bon nombre ne peuvent pas être suffisamment financées avec l'impôt foncier. Elles fournissent des services qui sont utilisés par les banlieusards et les visiteurs. Ces banlieusards et visiteurs ne paient pas l'impôt foncier dans ces municipalités et même s'ils utilisent les services, les municipalités n'en retirent aucun revenu. Comme je l'ai dit, l'impôt foncier n'est pas une source de revenus élastique. Les municipalités ont besoin de revenus dont la croissance accompagne celle de l'économie.
L'accès à un ensemble d'impôts augmenterait la marge de manœuvre des municipalités. Dans le cas des grandes villes et des régions urbaines, si on leur donnait accès à d'autres recettes fiscales, il faudrait qu'elles puissent prélever elles-mêmes ces impôts. Cela leur conférerait une autonomie locale et une marge de manœuvre. Elles auront beaucoup plus de comptes à rendre si les personnes qui décident de faire des dépenses sont les mêmes que celles qui prennent la décision de prélever des impôts. Cela apporterait la stabilité et la prévisibilité aux municipalités étant donné qu'elles seraient responsables de fixer ces taux d'imposition. Cela ne veut pas dire qu'elles devraient mettre sur pied leurs propres régimes fiscaux. Je recommanderais qu'elles se servent des régimes provinciaux ou fédéraux existants.
Que devrait faire le gouvernement fédéral? C'est la partie qui vous intéresse. Premièrement, si le gouvernement fédéral s'acquitte efficacement de ses propres responsabilités, cela aidera beaucoup les municipalités du pays. Je fais allusion aux questions concernant la population autochtone et l'établissement des immigrants. Ce n'est pas seulement l'argent que le gouvernement fédéral donne aux villes, mais la façon dont il dispense ses propres services qui aide les villes en ce sens qu'il offre des services aux résidents des villes.
Je pense que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en coordonnant les trois niveaux de gouvernement. Dans l'ouest du pays, nous avons des ententes sur le développement urbain. Ce n'est pas un mauvais modèle pour la coordination entre les trois niveaux de gouvernement, car tout le monde poursuit les mêmes objectifs en évitant les chevauchements et les lacunes.
Je pense que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en faisant les investissements stratégiques dans l'infrastructure qui rendront nos villes concurrentielles sur la scène internationale, car si nos villes sont concurrentielles, notre pays y gagnera. Je pense que le gouvernement fédéral devrait faire un investissement stratégique dans l'infrastructure pour promouvoir l'agenda vert.
Enfin, je crois que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer sur le plan de l'information. Nous manquons beaucoup d'information au sujet de nos villes. Dans mon domaine qui est celui des finances municipales, nous ne pouvons pas comparer les recettes et les dépenses des villes du pays, car ces données ne sont pas disponibles.
Pour conclure, je dirais en réponse aux trois questions que j'ai posées qu'il y a sans doute un déséquilibre fiscal au niveau des municipalités, même s'il est difficile à mesurer. Au niveau local, le débat n'est pas le même qu'aux niveaux fédéral et provincial. Les municipalités pourraient sans doute faire plus avec ce qu'elles ont. Elles pourraient faire plus avec leurs propres revenus, mais ce ne sera pas suffisant et les autres niveaux de gouvernement doivent intervenir.
La vice-présidente : J'ai pensé, en vous écoutant, que presque tous les autres témoins que nous avons entendus depuis deux semaines ont dû passer par votre école. La seule chose que vous n'avez pas dite c'est qu'elles devraient obtenir 1 p. 100 de la TPS.
Le sénateur Murray : J'ai beaucoup apprécié votre exposé, sans doute parce que je suis largement d'accord, notamment quant au fait que le gouvernement fédéral pourrait commencer par s'acquitter efficacement de ses propres responsabilités. Les Autochtones qui vivent hors réserve posent un sérieux problème dans certaines villes, surtout dans l'Ouest, de même que l'établissement des immigrants, et cetera.
Cela dit, je m'intéresse aux responsabilités purement municipales, car je pense que cela varie d'une province à l'autre. Lorsqu'il s'agit de définir les responsabilités fédérales et provinciales, nous avons l'article 91 et l'article 92 pour nous guider, mais il n'y a nulle part une liste des responsabilités municipales. Je suppose que cela figure dans la loi de chaque province sur les municipalités. Je connais surtout la loi du Nouveau-Brunswick où il y a la plus grande centralisation. Ailleurs, c'est très décentralisé et partout on se plaint beaucoup de ce que, ces dernières années, la province s'est déchargée de ses responsabilités sur les municipalités et on considère qu'une solution partielle au problème serait qu'elle les assume de nouveau.
Voudriez-vous nous dire ce que vous en pensez ou quelles sont les responsabilités qui incombent normalement aux municipalités du pays? Il doit y avoir certaines similarités entre les 10 provinces.
Mme Slack : Merci pour votre question.
J'ai examiné la législation des différentes provinces. Vous avez raison, c'est la loi sur les municipalités ou la loi sur le gouvernement local de chaque province. Certaines de ces lois sont très prescriptives; certaines sont très claires quant aux responsabilités qui sont celles des municipalités.
Ces dernières années, on s'est dirigé vers des lois permissives. Autrement dit, ces lois sont très vagues au sujet des services que les municipalités doivent fournir. Si vous voulez savoir quels sont les services obligatoires par opposition aux services facultatifs, c'est très difficile à déterminer dans l'ensemble du pays.
Nous savons que les municipalités fournissent des services semblables un peu partout dans le pays. Elles fournissent des services de protection contre les incendies, des services de police, l'alimentation en eau potable, des égouts, des routes, des services de transport en commun dans les régions urbaines, des services de loisirs et des services culturels. Comme vous le savez, l'Ontario se distingue des autres en partageant le coût des services sociaux avec les municipalités. Cette situation n'est pas la même dans l'ensemble du pays. Les dépenses et les recettes doivent aller de pair. Voilà ce que fournissent les municipalités.
Le sénateur Murray : C'est là que se situe le déséquilibre fiscal, n'est-ce pas, selon qu'elles disposent ou non de revenus suffisants pour assumer leurs responsabilités, lesquelles varient d'une province à l'autre.
Mme Slack : C'est exact. Ce n'est pas tant le montant d'argent qui compte que le genre de revenus dont elles disposent. Par exemple, les villes de Scandinavie offrent beaucoup de services sociaux, mais elles ont accès aux recettes de l'impôt sur le revenu. Ce qui est important c'est que les revenus correspondent aux services.
Le sénateur Murray : Comme vous le savez, nous avons reçu d'autres témoins, y compris des représentants de la Fédération canadienne des municipalités. Je voudrais savoir ce que vous pensez de certaines de leurs recommandations. L'une d'elles était de rendre permanent le transfert des recettes de la taxe fédérale sur l'essence. Ils ont également parlé d'élargir les critères d'admissibilité des projets. Sans entrer dans tous les détails, ils n'ont pas protesté lorsque je leur ai dit qu'en réalité ils voulaient que le transfert de la taxe fédérale sur l'essence soit inconditionnel. Qu'en pensez-vous?
Mme Slack : Le transfert de la taxe fédérale sur l'essence est un transfert conditionnel. Je crois qu'on parle d'un transfert de la taxe sur l'essence parce que son montant total se fonde sur les recettes de la taxe sur l'essence, mais en réalité, c'est un transfert conditionnel que fait le gouvernement fédéral. Comme vous le savez, cet argent est largement réparti en fonction de la population.
Quand j'ai dit qu'à mon avis le gouvernement fédéral devrait faire des investissements stratégiques, je voulais dire qu'il devrait chercher à faire des investissements visant à rendre nos grandes villes concurrentielles, par exemple. Autrement dit, cet argent ne serait pas nécessairement distribué, par habitant, à toutes les municipalités du pays.
Je pense que les municipalités devraient pouvoir lever leurs propres taxes au lieu de dépendre des transferts, car ces derniers ne sont pas toujours permanents. Comme je l'ai dit, si elles avaient leur propre capacité de taxation, leurs revenus seraient plus stables et plus prévisibles.
Le sénateur Murray : Un investissement stratégique serait fait dans le transport en commun, par exemple. Ce serait, bien entendu, dans le cadre d'une entente entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités et ce serait donc conditionnel.
Je voudrais savoir, en ce qui concerne le partage des revenus avec les municipalités — et je pense à la taxe sur l'essence ou, si nous voulons rêver un peu, à 1 p. 100 de la TPS — si ce genre de transfert devrait être conditionnel ou non. Vaudrait-il mieux que ce soit conditionnel ou devrions-nous transférer cet argent sans condition aux municipalités en reconnaissant qu'elles ont des besoins et qu'elles n'ont pas accès aux revenus nécessaires pour pouvoir assumer toutes leurs responsabilités? Je suis pour des transferts inconditionnels, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme Slack : Je préconiserais de leur accorder une marge fiscale. Si vous leur accordiez une partie de la TPS, vous devriez les laisser déterminer quelle partie elles veulent et elles devraient pouvoir établir elles-mêmes leur taux d'imposition. Dans ce cas, elles recevraient cet argent sans condition parce qu'elles établiraient leur propre taux de taxation.
Je préfère laisser une marge fiscale aux municipalités et les laisser décider dans quelle mesure elles veulent l'utiliser plutôt que partager les revenus avec elles. Je pense que cela permet une meilleure responsabilisation et que c'est une formule plus stable et plus prévisible pour les municipalités.
Le sénateur Murray : D'accord.
Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné que le gouvernement fédéral devrait investir dans les villes en veillant à ce qu'une partie de son investissement vise à améliorer la compétitivité économique de la ville. Vous avez notamment mentionné l'agenda vert en disant que le gouvernement devrait le promouvoir. Certaines personnes — dont je ne fais pas partie — vous diront que ce genre d'investissement ne stimule pas l'économie. Je pense que si. Je suis certain que le transport en commun en fait partie. Pensez-vous à d'autres types d'investissements verts que le gouvernement fédéral pourrait faire à ce niveau?
Mme Slack : C'est une bonne question. Je n'y ai pas vraiment réfléchi. J'essayais de faire valoir que ces investissements devraient être faits à des fins particulières, dans l'intérêt national. Le gouvernement fédéral devrait dépenser son argent dans les villes pour des projets d'intérêt national qui sont bénéfiques pour l'ensemble du pays. L'agenda vert et la compétitivité sont les deux exemples qui me sont venus à l'esprit. Ce sont des investissements dans l'intérêt national.
Le sénateur Mitchell : Au cours d'une réunion antérieure, des témoins ont abordé la question de la pauvreté, plus particulièrement chez les femmes. Les femmes sont sans doute proportionnellement plus touchées que les hommes par la pauvreté. Voyez-vous une initiative fédérale qui pourrait y remédier dans le contexte dont vous avez parlé? Autrement dit, pensez-vous que le gouvernement fédéral devrait accorder un financement ciblé, peut-être, ou s'acquitter de ses obligations qui ont des répercussions sur les problèmes urbains? Les femmes qui vivent dans la pauvreté représentent-elles un de ces problèmes et comment pourrait-on y remédier?
Mme Slack : Oui, je le pense, mais ce n'est pas en donnant de l'argent aux villes. Que ce soit au moyen de la fiscalité ou de programmes précis visant à remédier au problème de la pauvreté chez les femmes, cela aiderait certainement les villes. S'il y avait moins de femmes pauvres, elles auraient moins recours aux services municipaux. Je ne vois pas cela comme un programme urbain à proprement parler, mais comme vous l'avez dit, c'est une chose que le gouvernement fédéral devrait faire et qui aura des répercussions sur les villes.
Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné que des ententes de développement urbain ont été conclues entre les deux niveaux de gouvernement, dans l'Ouest. Pourriez-vous décrire ces ententes et peut-être nous dire quels sont certains de leurs éléments?
Mme Slack : Il y a des ententes de développement urbain auxquelles participent les trois niveaux de gouvernement. Vancouver en est un exemple et Winnipeg en est un autre. À Vancouver, il y a un programme dans le quartier est du centre-ville où il y a un problème de pauvreté, de toxicomanie et de criminalité. Les trois niveaux de gouvernement travaillent de concert. Ils dépensent tous les trois de l'argent afin d'essayer de travailler ensemble et avec le secteur privé pour développer ce secteur et éliminer certains problèmes. Ce n'est pas tant une question de financement que de coordination de leurs activités.
Le sénateur Mitchell : Ils s'attaquent à un problème particulier ou ils mettent en œuvre un programme en coordonnant leurs efforts?
Mme Slack : C'est cela.
Le sénateur Mitchell : C'est une façon dont le gouvernement fédéral peut contourner, dans une certaine mesure, le problème des champs de compétence, ce qui demeure une question politique. Certains pensent que le gouvernement fédéral devrait intervenir dans les villes tandis que d'autres s'y opposent.
Mme Slack : Comme nous l'avons dit, une bonne partie de ce que fait le gouvernement fédéral touche les citoyens des villes. Un bon nombre des programmes du quartier est du centre-ville de Vancouver sont des programmes provinciaux, que ce soit l'assurance-emploi ou certains programmes touchant la santé au niveau provincial. Il y a tellement de questions interreliées pour lesquelles les trois niveaux de gouvernement interviennent. Le gouvernement fédéral joue également un rôle dans le développement urbain de l'Ouest par l'entremise de la Diversification de l'économie de l'Ouest.
Le sénateur Ringuette : J'apprécie votre expérience et les données que vous avez à nous présenter dans ce domaine.
Il y a quelques années, j'ai vu ce que le gouvernement Harris a fait en Ontario en se déchargeant de toute une série de responsabilités provinciales sur les municipalités et en se félicitant ensuite d'avoir pu réduire le taux de l'impôt sur le revenu alors qu'il a laissé les municipalités ontariennes aux prises avec de graves difficultés. Telle est la situation en Ontario et nous devons examiner le problème à l'échelle nationale.
Ma question porte en partie sur le transfert de la taxe sur l'essence qui était un programme fédéral dont les municipalités bénéficiaient directement. Nous avions également un programme de coopération entre les trois niveaux de gouvernement, qui était le programme d'infrastructure. Pour qu'une infrastructure municipale puisse obtenir des fonds fédéraux, la province devait également reconnaître la priorité du programme d'infrastructure de la municipalité.
Je voudrais savoir ce que vous pensez des effets de ce genre d'entente sur le déficit de l'infrastructure que nous avons un peu partout au pays et du partage des coûts de ces immobilisations.
Mme Slack : Je voudrais revenir à l'Ontario avant d'aborder la question de l'infrastructure. Vous avez raison de dire que le gouvernement provincial s'est explicitement déchargé de certaines responsabilités en 1998, bien qu'il en ait assumé quelques autres. Il n'a pas tout laissé tomber.
Lorsque je sillonne le pays comme je l'ai fait récemment, les gens se plaignent d'un transfert des responsabilités même si ce n'est pas aussi évident que ce qui s'est passé en Ontario. Ils disent que le gouvernement fédéral et les provinces ne s'acquittent pas de leur responsabilité de réduire leurs propres dépenses et que c'est une façon d'abdiquer leurs responsabilités étant donné que cela oblige les municipalités à se charger de certains services.
Les gens parlent également des normes que les gouvernements fédéral et provinciaux appliquent pour la prestation de leurs services. Nous entendons beaucoup parler de la qualité de l'eau pour des raisons évidentes. Au niveau municipal, les citoyens estiment que c'est également une forme de transfert des responsabilités étant donné que la province dit par exemple aux municipalités : « Vous devez respecter ces normes, mais nous ne vous donnerons pas un sou pour le faire ». Vous avez raison au sujet de ce qui s'est passé en Ontario, mais c'est un reproche que l'on adresse aux gouvernements dans d'autres contextes, un peu partout dans le pays.
Pour ce qui est du programme infrastructure, les différents niveaux de gouvernement ont tous un rôle à jouer en unissant leurs efforts pour remédier au déficit de l'infrastructure. Ce genre de programme est parfaitement logique pour financer une partie des coûts de l'infrastructure, car les municipalités ne peuvent évidemment pas le faire uniquement avec l'impôt foncier. Ces programmes sont efficaces.
La vice-présidente : Préférez-vous une taxe de vente plutôt qu'un impôt sur le revenu ou un autre genre de taxe pour les villes? La croissance des villes exige des montants d'argent importants. Il y a aussi la question de la gouvernance.
Avez-vous confiance dans les modèles de gouvernance que vous voyez un peu partout au Canada? Si les villes avaient davantage d'argent, pensez-vous qu'il serait bien dépensé?
Mme Slack : Ce sont là des bonnes questions. Merci. Les taxes de vente et les impôts sur le revenu présentent certains avantages. L'avantage de la taxe de vente est qu'elle s'applique aussi aux banlieusards qui viennent travailler en ville, mais qui rentrent chez eux et qui paient leurs impôts fonciers ailleurs. La taxe de vente a également l'avantage d'être élastique et de croître avec l'économie. L'impôt sur le revenu est plus progressif, comme vous le savez. Selon la façon dont cet impôt serait perçu, il pourrait s'ajouter aux charges sociales que payent les banlieusards. La taxe de vente et l'impôt sur le revenu présentent tous les deux des avantages et des inconvénients.
Quant à savoir si les modèles de gouvernance et les gouvernements sauraient quoi faire avec cet argent, nous avons constaté des différences d'une région à l'autre. J'aime beaucoup les gouvernements municipaux parce qu'ils sont près des citoyens, ils rendent des comptes et ils agissent de façon visible. S'ils ont un programme, si les citoyens savent ce qu'ils tentent de faire et combien cela coûtera, les gens seront prêts à payer.
La question de la gouvernance pose un problème dans les nombreuses régions métropolitaines du pays qui ne sont pas gouvernées comme des régions. Il s'agit par exemple de Toronto et de l'agglomération urbaine de Toronto. Pourraient-elles percevoir leur propre impôt sur le revenu? Cela poserait-il un problème si les villes de l'extérieur ne lèvent pas ce genre d'impôt? C'est la même chose pour Montréal. Si nous avions une structure de gouvernance reflétant les bonnes limites, il serait plus logique de lever ces impôts au niveau régional.
Le sénateur Di Nino : Nous avons parlé des municipalités et nous pensons généralement aux grandes villes. Les municipalités peuvent être également des villes de petite et de moyenne taille ou même des villages. Pensez-vous que ce déséquilibre existe vraiment? Si c'est le cas, existe-t-il autant dans les petites villes?
Mme Slack : Le déséquilibre existe, mais le problème n'est pas le même. Dans les petites villes et les localités rurales, en particulier, il est difficile de percevoir des recettes suffisantes sur l'assiette fiscale existante. Si la valeur des biens fonciers n'est pas très élevée et s'il n'y a pas beaucoup de croissance, les recettes de l'impôt foncier ne vont pas beaucoup augmenter. Souvent, on ne peut pas vraiment imposer des droits d'utilisation dans certaines de ces localités parce que les gens n'ont pas les moyens de les payer. Le coût du ramassage des ordures ou de l'approvisionnement en eau serait exorbitant et les citoyens ne pourraient pas y faire face. Dans les petites localités, les problèmes se posent du côté des revenus. Les problèmes ne seraient pas les mêmes du côté des dépenses. Les municipalités de petite taille ne peuvent pas faire des économies d'échelle et il leur coûte donc très cher de fournir des services. Dans les localités isolées du Nord, le coût des services de base est beaucoup plus élevé.
Oui, il y a un déséquilibre, mais pour des raisons légèrement différentes que dans le cas des grandes villes.
Le sénateur Di Nino : Les solutions sont-elles les mêmes que pour les grandes villes? Par exemple, le sénateur Nancy Ruth a laissé entendre qu'elle préférerait une taxe de vente à un autre genre de taxe. Une taxe de vente n'améliorera peut-être pas beaucoup les choses pour une petite municipalité. Quel genre de solutions envisagez-vous pour résoudre les difficultés des petites municipalités?
Mme Slack : Je suis contente que vous souleviez ces questions, car tout cela nous ramène au fait que les municipalités sont toutes différentes et que nous ne pouvons pas les traiter toutes de la même façon. Il est toujours dangereux de vouloir trouver des solutions pour l'ensemble du pays, ce qui n'est pas possible.
Vous avez parfaitement raison de dire qu'une petite municipalité rurale ou isolée perdrait son temps à vouloir lever une taxe de vente. Cela ne génèrerait pas des recettes suffisantes pour l'aider. Ces localités ont besoin de subventions provinciales ou fédérales. Lorsque nous parlons de confier des pouvoirs de taxation aux municipalités, c'est pour les grandes villes et les régions urbaines. Dans le cas des petites localités rurales, nous parlons de transferts intergouvernementaux.
Le sénateur Di Nino : Nous parlons des déséquilibres et des solutions. Nous entendons souvent parler des transferts, des responsabilités dont on se charge ou dont on se décharge, et cetera. Je n'entends pas souvent parler d'investissement, d'avantage économique ou d'intérêt économique lorsqu'il est question d'investir l'argent des impôts dans une municipalité pour générer de la richesse et de la prospérité économique. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?
Mme Slack : Tout le monde est d'accord pour dire que nos villes sont les moteurs économiques du pays. Tout ce que nous faisons pour investir dans ce moteur économique est bénéfique pour l'ensemble du pays. L'argent que nous investissons dans les municipalités pour améliorer les services, pour attirer les travailleurs du savoir et améliorer la qualité de vie est certainement un investissement dans tous les Canadiens.
Le sénateur Di Nino : Il est certainement avantageux aussi de le faire dans certaines petites localités rurales pour développer le tourisme. Il est certainement avantageux d'accroître également le potentiel des petites localités. C'est précisément ce que j'essayais de faire valoir, car lorsque nous tenons ce genre de discussion, nous parlons toujours de Toronto, de Montréal, de Vancouver et peut-être de Halifax ou d'autres petites villes, mais n'avons-nous pas également avantage à investir dans un type d'infrastructure différent, par exemple, le transport, dans les petites localités pour en tirer un avantage économique?
Mme Slack : Oui, bien sûr, c'est avantageux. Lorsque vous faites un investissement, vous en tirez des avantages. Les gens regardent du côté des grandes villes parce qu'ils s'intéressent à la compétitivité internationale, ce qui s'applique davantage aux grandes villes. Tous ces investissements apportent des avantages.
Le sénateur Eggleton : Une des difficultés qui se posent au niveau fédéral c'est qu'on cherche à appliquer les mêmes solutions à tout le monde et qu'on s'imagine qu'il faut faire la même chose pour toutes les municipalités, qu'elles soient grandes ou petites. Lorsque notre parti était au pouvoir, nous avons commencé un nouveau programme pour les villes qui s'est vite appliqué aux collectivités en général, car il fallait inclure les municipalités de différentes tailles.
Si le pouvoir de taxation est transféré du niveau fédéral-provincial au niveau municipal, comment pouvons-nous assurer une certaine égalité étant donné que les grandes villes sont mieux équipées pour cela que les petites villes? Où tracer les limites? Que faire lorsque le taux d'imposition est différent des deux côtés de la limite d'une municipalité? Les gens ont émis des inquiétudes à ce sujet.
Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez, peut-être en fonction de ce qui se passe dans les grandes villes d'Amérique du Nord et d'Europe qui ont une taxe de vente ou un impôt sur le revenu pour compléter leurs revenus municipaux? Nous pourrions peut-être tirer la leçon de leur expérience.
Mme Slack : D'autres villes dans le monde lèvent des impôts et des taxes de vente. Dans certains cas, mais c'est inhabituel, elles lèvent leurs propres taxes, mais la plupart prennent une partie d'une taxe fédérale ou provinciale.
La question des limites pose un problème. Si vous n'avez pas à payer la taxe parce que vous résidez au nord de la limite alors que vous devez la payer si vous vous trouvez au sud, cela posera un problème. Je ne pense pas toutefois que le problème soit aussi vaste que les gens l'imaginent.
Il y a des villes américaines, comme Chicago et New York, qui perçoivent d'autres taxes, des taxes sur le revenu et des taxes de vente. Il peut être nécessaire de limiter les taux. S'il s'agit de la TPS, la part des municipalités pourrait se situer entre 0,5 p. 100 et 1 p. 100 ou entre 0,0 p. 100 et 1 p. 100. Vous pourriez avoir à leur imposer certaines restrictions.
Néanmoins, vous avez raison. Un grand nombre de villes américaines ont des taxes sur le revenu et des taxes de vente. Un grand nombre de villes européennes ont surtout des taxes sur le revenu, en Europe du Nord, par exemple, et cela fonctionne bien.
Si je peux ajouter une chose, je ne sais pas si vous étiez dans la salle lorsque je l'ai dit, mais si nous avions des structures de gouvernance couvrant les régions urbaines et qui permettraient à ces régions de lever ces impôts, le problème serait beaucoup plus limité. Le taux serait le même dans toutes les municipalités de la région. Le problème est que nous n'avons pas ce genre de délimitation; nous n'avons pas de gouvernement régional dans les grandes villes alors que si nous avions ce genre de structures, il serait plus facile de lever des impôts.
Le sénateur Eggleton : Que se passerait-il dans le cas de Toronto? Quelle est la région urbaine, est-ce l'agglomération urbaine de Toronto ou le Golden Horseshoe?
Mme Slack : Cela dépend du contexte de votre définition. Parlez-vous de l'économie, du transport en commun ou des questions sociales?
Ces problèmes existeront toujours. Quelqu'un doit décider où sont les limites en fonction de certains principes. Il est facile de laisser de côté ces questions complexes et de dire que nous ne pouvons pas laisser les municipalités lever un impôt sur le revenu parce qu'elles n'ont pas les structures d'un gouvernement régional et qu'il n'est donc pas possible de définir leurs frontières. Je ne peux pas répondre à votre question, mais je pense qu'un comité de sages devrait y réfléchir pour trouver une solution.
Le sénateur Eggleton : J'en suis convaincu. Je crois les gouvernements municipaux capables de prendre ce genre de décisions. Nous devons cesser de nous en prendre aux gouvernements municipaux comme s'il s'agissait d'une entité loin des citoyens. Il n'en est rien et ils sont parfaitement capables de prendre des décisions. Il y a des gens très compétents dans les gouvernements municipaux, comme à tout niveau de gouvernement, il y a « le bon, la brute et le truand ».
Le sénateur Murray : Seriez-vous d'accord pour que tous les transferts soient inconditionnels?
Le sénateur Eggleton : Absolument, mais pouvons-nous attendre que cela se réalise? Je crois que nous allons devoir agir un peu plus tôt. Ce n'est pas que j'y renonce, certainement pas, mais nous devons voir quels sont les besoins des différents niveaux de gouvernement et le montant d'argent dont ils ont besoin pour fournir les services devrait être relié à leur capacité de lever des fonds. C'est certainement ce qu'il faudrait faire, mais y arriverons-nous demain? Va-t-il falloir modifier la Constitution pour en arriver là? Je n'attendrais pas que cela se réalise. Nous devrons travailler dans ce sens, mais en attendant, il faut prendre des mesures intérimaires. Il faut transférer davantage d'argent, notamment à partir de notre niveau de gouvernement.
Le sénateur Murray : Le témoin a justement fait valoir, en réponse à ma suggestion de partager les revenus, qu'il vaudrait mieux laisser une marge fiscale aux municipalités, disons sur la TPS, et les laisser lever leurs propres revenus et rendre des comptes à cet égard. Ce serait la solution idéale.
Je ne vois pas très bien comment nous pourrions le faire sans que la province commence par occuper l'espace fiscal que nous aurons libéré. Comme pour tout le reste, cela exigerait peut-être une entente tripartite quelconque.
Le sénateur Eggleton : Les ententes tripartites sont une excellente idée et elles ont donné des résultats à Winnipeg et à Vancouver. Dans ce cas, la TPS a été réduite de 1 p. 100. Quelqu'un l'a-t-il remarqué? La nouvelle réduction de 1 p. 100 que le gouvernement a promise serait beaucoup mieux entre les mains de nos gouvernements municipaux. Cela leur apporterait 5 milliards de dollars. Que ce soit inconditionnel ou conditionnel, ce serait une mesure positive.
La vice-présidente : Qu'en pensez-vous, madame Slack?
Mme Slack : Le sénateur Murray a raison. Vous pouvez réduire la TPS, mais les municipalités ne peuvent pas occuper l'espace ainsi libéré parce que la législation de chaque province les en empêche. Il faut absolument que les provinces autorisent les municipalités à lever ces taxes, car la législation provinciale leur interdit clairement de lever des impôts sur le revenu ou des taxes de vente.
La vice-présidente : Quelle proportion de l'argent que le gouvernement fédéral verse aux villes est conditionnelle? Quelqu'un le sait-il?
Mme Slack : Je pense que c'est entièrement conditionnel.
Le sénateur Eggleton : Même la taxe sur l'essence est reliée à l'infrastructure.
Le sénateur Murray : Comme nous l'a dit la Fédération canadienne des municipalités, il y a divers critères à respecter pour les projets. Une des choses que la Fédération nous demande c'est d'élargir les critères d'admissibilité pour le transfert de la taxe sur l'essence. Cela permettrait aux municipalités d'utiliser leur part de cette taxe pour financer leurs priorités locales comme les transports en commun, le réseau d'approvisionnement en eau potable, les installations sportives, les bibliothèques, les parcs ou les autres infrastructures sociales.
C'est ce qu'elles nous demandent. En fait, je ne pense pas que nous devrions nous mêler d'établir des critères pour les projets. Donnez-leur cet argent — elles ont des comptes à rendre à leurs électeurs — et laissez-les l'utiliser comme elles le jugent bon.
Mme Slack : Ce sont des fonds fédéraux alors quel est l'intérêt national? Ne faut-il pas servir l'intérêt national? Pour quelle raison donnerait-on des fonds aux municipalités? Si c'est parce qu'elles n'ont pas suffisamment...
Le sénateur Murray : La raison est la même que lorsqu'on donne de l'argent sans condition aux provinces, comme nous le faisons tout le temps, et la péréquation en est un bon exemple. Si le gouvernement fédéral veut investir dans le transport en commun, l'argent doit être réservé à cette fin et il faudrait que ce soit fait conformément à une entente. Néanmoins, pour remédier au déséquilibre fiscal dont souffrent les municipalités — leurs sources de revenus par rapport à leurs responsabilités — je serais enclin à intervenir le moins possible. Il s'agit de leur transférer de l'argent ou, comme vous le suggérez, de leur laisser une marge fiscale. Elles ont des comptes à rendre, comme vous l'avez dit.
Mme Slack : Si vous le permettez, l'écart entre leurs responsabilités et leurs sources de revenus est en fait un problème provincial, n'est-ce pas? C'est la législation provinciale qui détermine à quoi les municipalités doivent consacrer leur argent et où elles peuvent le trouver. S'il y a un problème à ce niveau-là, n'incombe-t-il pas aux provinces d'y remédier en assumant elles-mêmes certaines des dépenses ou en se délestant de certaines sources de revenus?
Le sénateur Murray : Je comprends, mais le comité examine le déséquilibre fiscal vertical. On nous a dit que le déséquilibre n'existe pas seulement entre le gouvernement fédéral et les provinces, mais aussi entre les provinces et leurs municipalités. Sans vouloir tirer de conclusions hâtives, je crois que c'est là un aspect intéressant de notre étude, c'est-à- dire le déséquilibre entre les provinces et les municipalités. Il vaut la peine que nous y réfléchissions et que nous pensions à ce que nous pourrions faire pour aider à y remédier.
La vice-présidente : J'ai bien peur qu'il soit grand temps. Si vous aviez une baguette magique, quelle serait votre solution? Vous avez le dernier mot et ce sera la fin de cette discussion.
Mme Slack : Je crois l'avoir dit au début. Vous devez reconnaître que les trois niveaux de gouvernement doivent résoudre ce problème et que chacun a un rôle à jouer. Nous ne devrions pas oublier que les municipalités peuvent faire plus qu'elles ne font déjà. La province doit remédier à l'écart entre les sources de revenus et les responsabilités des municipalités. Le gouvernement fédéral doit faire des investissements stratégiques pour rendre les villes concurrentielles sur la scène internationale et résoudre les questions environnementales et il peut coordonner les activités entre les trois niveaux de gouvernement. J'ajouterais que l'information est importante, car il serait bon de pouvoir comparer les revenus et les dépenses des villes de tout le pays, ce que nous ne pouvons pas faire pour le moment.
La vice-présidente : Merci beaucoup. Nous allons faire ce que nous pourrons et nous vous remercions d'avoir pris le temps de participer à nos audiences ce soir.
Nous accueillons le groupe de témoins suivant. Nous recevons ce soir l'Association des municipalités du Manitoba représentée par son président, Ron Bell, et son directeur exécutif, Joe Masi.
Ron Bell, président, Association des municipalités du Manitoba : Bonsoir, honorables sénateurs. Nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître devant le comité au nom de l'Association des municipalités du Manitoba ou AMM.
L'AMM a été constituée le 1er janvier 1999 par la fusion des associations rurales et urbaines du Manitoba. L'AMM représente la totalité des 198 corporations municipales de la province, la totalité des villes, villages et municipalités rurales du Manitoba. En tant qu'association des municipalités du Manitoba, l'AMM s'adresse au gouvernement au nom de toutes les municipalités.
Le gouvernement municipal joue un rôle plus important dans la vie de tous les jours des Canadiens. Il n'est plus considéré comme un simple percepteur d'impôts locaux et fournisseur de services tertiaires. Les conseils municipaux assument aujourd'hui de plus grandes responsabilités et jouent souvent un rôle clé dans des domaines qui ne sont pas typiquement municipaux tels que les soins de santé et la protection de l'environnement.
Au fur et à mesure que la collectivité locale prend de l'importance, le gouvernement municipal qui est le gouvernement le plus près des citoyens, devient plus important. Pourtant, les gouvernements municipaux n'ont pas les outils dont ils ont besoin pour répondre aux nouvelles attentes. De nombreuses collectivités commencent à constater la dégradation d'infrastructures essentielles et une regrettable réduction des services à cause de la limitation des ressources et de l'augmentation des responsabilités. Les conseils municipaux ont la mission impossible de livrer tous les services auxquels s'attendent les citoyens et les autres niveaux de gouvernement alors qu'ils n'ont accès qu'à des ressources limitées. Ce n'est pas viable et il faut donc entreprendre un réexamen important des gouvernements municipaux au Manitoba pour créer un équilibre fiscal entre tous les niveaux de gouvernement.
À l'échelle nationale, grâce au travail de la Fédération canadienne des municipalités, les gouvernements municipaux ont réussi à obtenir la ristourne de la TPS ainsi que la ristourne de la taxe sur l'essence. Les questions communautaires ont pris une place de premier plan sur la scène nationale et l'AMM se réjouit de voir le gouvernement fédéral reconnaître l'importance des gouvernements locaux et la nécessité de mettre des ressources entre les mains du niveau de gouvernement qui fournit les services les plus essentiels.
Au niveau provincial, les gouvernements municipaux du Manitoba ont étalement constaté des progrès. Tout récemment, la province a annoncé un nouveau Fonds de croissance du Manitoba qui reliera les subventions municipales aux recettes provinciales de la taxe sur l'essence. Le Manitoba se distingue également des autres provinces en ce sens que le gouvernement provincial cède aux municipalités un pourcentage de l'impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés dans le cadre de l'ancien accord provincial-municipal sur le partage des recettes provinciales et maintenant, dans le cadre du Fonds de croissance du Manitoba. De plus, les municipalités de la province reçoivent une part des recettes des loteries vidéo.
Ce sont là des initiatives positives, mais il faut faire plus. Un grand nombre des résolutions adoptées par l'AMM portent sur le financement et plus précisément, sur l'insuffisance du financement. Il faut discuter sérieusement des ressources à la disposition des municipalités. Pour que cette discussion soit fructueuse, elle doit avoir lieu dans le contexte des responsabilités des municipalités, telles qu'elles sont actuellement et telles qu'elles devraient être.
Au Manitoba, les gouvernements municipaux ont assumé des responsabilités supplémentaires dans l'intérêt de la collectivité locale. Par exemple, de nombreuses municipalités ont fait beaucoup d'efforts pour aider les autorités sanitaires régionales à recruter des médecins. Les municipalités ont également entrepris des projets pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et améliorer l'environnement, mais il y a des limites à ce qu'elles peuvent faire avec leurs sources de revenus actuelles.
Nous entendons souvent dire que les municipalités du Manitoba sont en bien meilleure posture que celles de pratiquement toutes les autres provinces en ce qui concerne les transferts du gouvernement provincial. Néanmoins, cela ne veut rien dire si l'on ne tient pas compte des responsabilités de ces gouvernements municipaux. Si les municipalités manitobaines doivent assumer continuellement des responsabilités supplémentaires, il est impératif de mettre à leur disposition des nouvelles sources de revenus.
Au Manitoba, les conséquences financières de la Loi sur la protection des eaux posent un important problème pour les municipalités. L'intention de cette loi est louable, mais l'absence de précisions, surtout en ce qui concerne les champs de responsabilité et le financement, inquiète un grand nombre de gouvernements municipaux. Ces derniers ne peuvent pas assumer les coûts financiers associés à la mise en œuvre et à l'application de cette loi. Les budgets des municipalités sont déjà insuffisants.
Le déficit de l'infrastructure que connaît actuellement le Manitoba augmente encore la nécessité de réexaminer les ressources à la disposition des municipalités. Ces dernières sont confrontées à la dégradation des routes et des centres communautaires et leurs réseaux d'approvisionnement en eau potable sont inadéquats. Le déficit de l'infrastructure du Manitoba a été estimé à 3 milliards de dollars, ce qui comprend 2 milliards de dollars pour l'infrastructure municipale rurale et 1 milliard de dollars pour la ville de Winnipeg. Ce sont des chiffres effarants si on les compare aux sources de revenus de ces municipalités. Étant donné que ces dernières ne reçoivent que 8 cents pour chaque dollar d'impôt, il est évident qu'elles n'ont pas des ressources suffisantes pour combler ce déficit.
Voilà pourquoi l'AMM préconise un plan quinquennal pour que les municipalités n'aient plus à compter autant sur l'impôt foncier pour financer l'éducation. À l'heure actuelle, l'assiette de l'impôt foncier constitue leur principale source de revenus. Néanmoins, étant donné que les taxes scolaires représentent plus de 50 p. 100 des impôts fonciers au Manitoba, il ne leur reste plus grand-chose. D'autre part, les hausses continuelles de la taxe à l'éducation qui force les municipalités à réexaminer sérieusement toute hausse des impôts municipaux, étant donné qu'il y a des limites à ce que peuvent payer les citoyens, sont tout aussi inquiétantes. L'AMM est certainement pour le maintien et l'amélioration de la qualité de l'éducation au Manitoba, mais le régime de taxes scolaires actuel n'est pas viable et fait du tort aux collectivités locales en limitant les ressources municipales.
En plus de dissocier la taxe à l'éducation des impôts fonciers, il y aurait d'autres solutions qui permettraient d'accroître les revenus des municipalités. Par exemple, le gouvernement provincial pourrait faire comme le gouvernement fédéral avec la TPS en exemptant les municipalités de la taxe de vente provinciale. Le Québec a déjà commencé à mettre en œuvre ce genre de politique pour ses municipalités. Non seulement cela laisserait plus d'argent entre les mains des gouvernements municipaux, mais cela réduirait largement le coût d'un grand nombre de grands projets d'infrastructure et libérerait des fonds précieux pour répondre à d'autres besoins. Ce serait là un changement important au régime fiscal actuel en faveur d'un nouveau système permettant aux municipalités de conserver leurs ressources pour répondre aux besoins de la collectivité.
La vigueur des collectivités assure la vigueur de la province et du Canada. C'est une chose que comprend bien notre association qui représente toutes les corporations municipales du Manitoba. L'AMM préconise depuis longtemps que les gouvernements municipaux cherchent des moyens d'améliorer leur façon de faire pour que nous ayons des collectivités fortes et viables dans l'ensemble de la province. Nous sommes également les premiers informés des difficultés auxquelles les collectivités sont confrontées et nous voyons les répercussions des mesures provinciales sur les municipalités. C'est pour cette raison qu'il est temps d'examiner de plus près les ressources à la disposition des municipalités ainsi que le rôle que les gouvernements municipaux jouent au Manitoba. C'est seulement grâce à ce genre d'examen que nous pourrons vraiment parvenir à l'équilibre fiscal dans la province.
Pour conclure, nous avons quelques recommandations à adresser à votre comité. Nous devons élaborer un plan à long terme pour éliminer le déficit de l'infrastructure au niveau municipal. Ce déficit, qui se chiffre à 3 milliards de dollars, au Manitoba, dépasse de loin la portée de ce que les gouvernements municipaux peuvent financer à eux seuls. Il faut un plan à long terme pour éliminer ce déficit avec la participation du gouvernement fédéral, des provinces et des gouvernements municipaux. Ce plan pourrait inclure un transfert permanent de la taxe sur l'essence avec une clause d'indexation pour protéger sa valeur au fil des années, ainsi qu'une prolongation à long terme des programmes d'infrastructure fédéraux. De plus, le gouvernement fédéral et les provinces devraient veiller à ce qu'une partie importante des nouveaux programmes d'infrastructure soit expressément consacrée à des projets municipaux et à ce qu'il y ait un financement disponible et accessible pour répondre aux besoins des collectivités de petite taille, rurales et du Nord.
Nous devons clarifier les rôles et les responsabilités. Nous devons réexaminer la façon dont les gouvernements travaillent ensemble pour trouver des sources d'économies, des solutions efficaces et simples, surtout pour les problèmes qui ne connaissent pas de frontières, par exemple dans le domaine des changements climatiques ou de l'établissement des immigrants. Il faut notamment évaluer les politiques et les programmes des différents niveaux de gouvernement qui font double emploi et réaligner les rôles et responsabilités en les assortissant de sources de revenus adéquates.
Nous vous remercions de nous avoir permis de faire valoir notre point de vue au sujet de l'important dossier du déséquilibre fiscal municipal.
La vice-présidente : Je n'ai aucun doute que nous avons pris bonne note de vos recommandations. Je voudrais savoir comment vous voyez les trois niveaux de gouvernement unir leurs forces pour entamer ce processus. Avez-vous des suggestions à cet égard?
M. Bell : Je crois que le processus est déjà entamé. Il a commencé lorsque tous les Canadiens ont reconnu l'existence d'un problème, surtout au niveau de l'infrastructure de toutes les collectivités du pays. Cela a commencé par la ristourne sur la TPS et la taxe sur l'essence. Les programmes d'infrastructure ont été importants. Nous avons déjà commencé à trouver une solution et c'est difficile étant donné que les municipalités sont largement placées sous l'autorité des provinces en raison de notre régime constitutionnel. Nous pouvons quand même travailler dans le cadre de ce régime qui permet au gouvernement fédéral, aux provinces et aux municipalités de réaliser des projets ensemble. Nous avons de nombreux exemples qui montrent que cela peut donner de bons résultats. Je suis convaincu que nous avons déjà entamé ce processus. Nous devons le poursuivre et reconnaître que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans nos collectivités en reconnaissant la compétence constitutionnelle des provinces.
La vice-présidente : Le système que vous décrivez vous semble-t-il un peu improvisé? Êtes-vous satisfait de recevoir un peu ici et un peu là au lieu d'avoir un système plus rigoureux?
M. Bell : Nous avons dit que nous voulions discuter avec notre gouvernement provincial de ce qu'on pourrait faire pour établir un meilleur système au lieu de procéder de façon ponctuelle. Il faut reconnaître que nous avons besoin d'un ensemble de solutions pour les municipalités. Il n'y a pas de solution unique. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'un même programme ou une même solution convienne à toutes les collectivités du Canada. Il faut que nous ayons une série d'instruments à notre disposition. Cela peut sembler improvisé, mais il nous faut un système offrant une série d'instruments.
Le sénateur Ringuette : J'ai aimé ce que vous avez dit au sujet des ententes conclues avec votre gouvernement provincial pour le partage des recettes de l'impôt sur le revenu et des jeux vidéo. Pourriez-vous nous fournir la copie de cette entente? Nous aimerions voir comment cela a été fait dans votre province.
M. Bell : Certainement. Nous avions la Loi sur le partage des recettes fiscales, mais il y a deux ans, le gouvernement a légiféré pour créer le Fonds de croissance du Manitoba. Cette loi prévoyait une formule pour la distribution de cet argent. Nous pouvons certainement remettre au comité le texte de cette loi et de ce cadre législatif.
Le sénateur Ringuette : S'agit-il de fonds ciblés?
M. Bell : Non. Au départ, ce n'était pas du tout ciblé. C'était inconditionnel. Lorsque le gouvernement a créé le Fonds de croissance du Manitoba, la croissance économique exigeait que les nouveaux fonds soient consacrés à l'infrastructure. Le mécanisme de rapport est extrêmement simple et il n'est pas nécessaire que l'argent soit dépensé pour un type d'infrastructure précis. Il suffit que ce soit pour l'infrastructure.
Sen. Ringuette : Le Fonds de croissance du Manitoba faisait-il partie des Ententes sur le développement urbain qui ont été conclues avec l'agence fédérale chargée du développement économique de l'Ouest? Cela en fait-il partie?
M. Bell : Non. Je ne connais pas tous les détails, mais il s'agit d'une entente qui se rapporte à divers types de projets. Dans le cas du Manitoba, c'est une entente entre la ville de Winnipeg, la province du Manitoba et le gouvernement du Canada. Ce sont des ententes distinctes qui sont conclues dans le cadre de la Diversification économique de l'Ouest.
Joe Masi, directeur exécutif, Association des municipalités du Manitoba : Pour ce qui est du partage des recettes, toutes les municipalités en bénéficient.
Le sénateur Ringuette : Sur quelle base?
M. Masi : C'est distribué par habitant. Nous pouvons vous fournir des précisions. Les ententes dont Mme Slack a parlé sont particulières à Winnipeg. C'est de l'argent destiné à la revitalisation des quartiers et à l'immigration. C'est un programme complet. C'est un partenariat. Au départ c'était pour l'Opération centre-ville de Winnipeg. L'ancien ministre, M. Godfrey, a fait la louange de ces ententes lorsqu'il détenait ce portefeuille au niveau fédéral.
Le sénateur Ringuette : C'est très intéressant. C'est la première fois que j'entends parler de ces deux accords.
M. Bell : Le partage des recettes entre la province et les municipalités est en place au Manitoba depuis le milieu des années 1970.
Le sénateur Ringuette : Bravo. Merci.
Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. C'est un plaisir de vous entendre. Vous avez mentionné les changements climatiques parmi les enjeux municipaux. Je ne sais pas exactement dans quel contexte c'était. Pourriez-vous nous en parler, ainsi que des responsabilités qui pèsent sur les épaules des membres de votre association ou de la nécessité de prendre certaines initiatives?
M. Bell : Nous savons que les municipalités joueront un rôle important dans toute initiative qui sera prise pour faire face aux changements climatiques. C'est surtout vrai pour les grandes villes dans le cas du transport en commun et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre provenant des véhicules. Les municipalités auront besoin de ressources importantes pour mettre ces programmes en place. Souvent, les édiles municipaux ne participent pas à l'élaboration des lois ou des règlements. Je crois que nous en avons parlé dans le contexte des autres niveaux de gouvernement dont la réglementation coûtera cher aux municipalités.
Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas besoin de ces mesures ou que nous n'en voulons pas. C'est vrai dans presque tous les cas, par exemple également pour la protection de l'eau. Nous parlons des règles, des lois ou des règlements qui sont adoptés et que les municipalités doivent appliquer à leurs frais.
Le sénateur Mitchell : D'un côté de la médaille il y a les initiatives à prendre pour réduire les émissions de gaz carbonique. De l'autre côté, il y a les effets du réchauffement climatique que nous commençons à ressentir. Il y a eu de terribles inondations au Manitoba. Les choses semblent relativement calmes de ce côté-là, et même si ce n'est pas uniquement causé par le réchauffement climatique, cela peut avoir une incidence. Les municipalités commencent-elles à évaluer ce potentiel ainsi que les coûts et les mesures d'atténuation qu'elles pourraient avoir à prendre?
M. Bell : Au Manitoba, nous ne sommes sans doute pas aussi avancés que nous le souhaiterions. Oui, nous avons eu un certain nombre d'inondations et d'autres catastrophes naturelles au cours des décennies passées. Par exemple, les incendies de forêt sont très courants. M. Masi et moi-même revenons tout juste de Churchill où le dégel printanier a été précoce cette année. Nous avons constaté l'état des glaces. Tout ce qui se passe dans le Nord touche particulièrement le nord de notre province, car les changements climatiques touchent surtout le nord du pays.
Le sénateur Mitchell : Il y a du travail à faire?
M. Bell : Nous faisons énormément de travail pour économiser l'énergie au Manitoba. Le Fonds municipal vert a également joué un rôle important à cet égard, dans le cadre des programmes de la FCM.
Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné les progrès que vous avez réalisés et vos relations avec la province en ce qui concerne les sources de financement, les ententes de partage des recettes, le partage des recettes des loteries vidéo, et cetera. Ces ententes n'existent peut-être pas dans les autres provinces; je ne sais pas. Vous avez dit que cela vous aide, mais que ce n'est pas suffisant.
Je sais que vous ne voulez pas trop vous avancer, mais quel montant serait suffisant et quelle serait la meilleure source de financement? Je sais que vous y avez fait allusion dans une certaine mesure, mais quel serait le chiffre?
M. Bell : Un des plus gros problèmes que nous avons, non seulement au Manitoba, mais aussi au Canada, est que nous ne savons même pas quelle somme d'argent cela exige. Il faut que tous les niveaux de gouvernement étudient ensemble le déficit de l'infrastructure. Nous ne savons même pas à combien il se chiffre dans l'ensemble du pays. Nous savons, d'instinct je pense, qu'il faudra toute une génération pour résoudre le problème, au moins 20 ans, si nous commençons à nous y attaquer sérieusement. Une des premières choses à faire est de reconnaître que nous avons un déficit de l'infrastructure. Je ne sais pas quel montant cela exige.
Quant à savoir comment résoudre le problème, je crois vraiment que nous avons besoin d'une série de programmes. Certaines de nos grandes villes ont la possibilité de s'autofinancer avec leurs propres mesures de taxation si on leur permet de le faire. Certaines de nos villes plus petites ont également des possibilités de ce côté-là. Néanmoins, un certain nombre de petites localités devront compter davantage sur les subventions et les autres programmes du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral. Le fait est qu'elles n'ont pas les ressources nécessaires ou qu'elles ne les auront probablement pas.
En réalité, si toutes les collectivités du Canada ont un déficit de l'infrastructure — et c'est le cas — nous devons veiller à les renforcer toutes, dans l'intérêt national. Tous les gouvernements du Canada doivent mettre l'épaule à la roue.
Le sénateur Mitchell : Le témoin précédent a mentionné les responsabilités fédérales qui semblaient dirigées vers les municipalités, notamment celle des Autochtones qui vivent en milieu urbain. Le gouvernement a certaines responsabilités à cet égard.
Savez-vous ce que l'Accord de Kelowna aurait apporté? Vous paraissait-il utile? Était-il suffisamment avancé pour que vous puissiez faire cette évaluation? Aimeriez-vous qu'il soit rétabli?
M. Bell : J'avoue que je ne suis pas suffisamment informé à ce sujet.
Le sénateur Eggleton : En réponse à la question du sénateur Mitchell concernant l'entente de partage des recettes entre la province et les municipalités, vous avez dit que ce n'était pas suffisant.
Dans quelle mesure dépendez-vous des impôts fonciers? Je crois qu'à l'échelle nationale, cela représente environ 53 p. 100 en moyenne du financement des municipalités. En ce qui concerne le déficit de l'infrastructure, vous avez parlé de 3 milliards de dollars. Le chiffre que l'on cite habituellement au niveau national est de 60 milliards de dollars, plus 20 milliards de dollars pour le transport en commun. Dans le cas du Manitoba, pourquoi l'infrastructure s'est-elle dégradée au point d'entraîner ce déficit important?
M. Bell : Vous avez posé un certain nombre de questions.
Je pense qu'au Manitoba nous nous situons probablement aux alentours de 47 p. 100, ce qui correspond assez bien, je crois, à la moyenne canadienne.
Le fait est que nos municipalités ne peuvent pas fournir les services dont nos citoyens ont besoin. Nous ne pouvons pas remplacer l'infrastructure vieillissante aussi rapidement qu'il le faudrait. Nous avons encore du retard sur ce plan.
Quant à la façon dont c'est arrivé, je crois que dans les années 1980 et 1990, et peut-être déjà dans les années 1970, nous avons commencé à vouloir freiner l'augmentation du fardeau fiscal. Nous avons eu pour objectif national de réduire la dette et les dépenses, pas seulement au niveau fédéral ou provincial, mais également au niveau local. Nous avons arrêté ou ralenti nos dépenses pour l'infrastructure, car elle est souvent cachée sous le sol où nous ne pouvons pas la voir, et elle se dégrade lentement. Nous ne le remarquons pas tout de suite, mais l'année suivante nous constatons que son état n'est peut-être pas aussi bon que l'année précédente. Cela échappe à notre vigilance d'année en année.
Tout au long des années 1980 et 1990, nous avons créé un déficit de l'infrastructure en arrêtant de dépenser et en n'augmentant pas les impôts. Nous vivons toujours dans un monde où les gens ne veulent pas que leurs impôts augmentent. Le problème est que la croissance des taxes municipales, des impôts fonciers ne suit pas celle de l'économie. Ce n'est pas une taxe sur la croissance. Les gouvernements fédéral et provinciaux voient leurs revenus augmenter même s'ils diminuent leur taux d'imposition. Nous ne pouvons accroître nos revenus qu'en augmentant notre taux d'imposition. Lorsque le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral diminuent leur taux, il nous est difficile d'augmenter le nôtre.
M. Masi : Dans notre déclaration, nous avons mentionné que l'impôt foncier sert à financer l'éducation. Au Manitoba, nous avons fait de gros efforts pour essayer de convaincre le gouvernement provincial de financer l'éducation non plus avec les impôts fonciers, mais les recettes générales afin que les municipalités aient davantage les moyens de financer l'infrastructure. Un grand nombre de nos municipalités membres disent qu'elles ne veulent pas augmenter les taxes parce que l'éducation en absorbe une très forte proportion. Au Manitoba des mesures ont été prises pour essayer d'y remédier, mais une bonne partie de la facture d'impôts fonciers sert à financer l'éducation.
Le sénateur Eggleton : Quel pourcentage de vos impôts fonciers est consacré à l'éducation?
M. Bell : Dans l'ensemble de la province, c'est sans doute aux alentours de 50 p. 100.
La vice-présidente : Si les 50 p. 100 pour l'éducation étaient supprimés, les municipalités réduiraient-elles leurs taxes? Tout d'abord, disons qu'elles garderaient une partie de ces taxes pour disposer de plus d'argent pour l'établissement des immigrants, l'infrastructure, et le reste, mais les taxes diminueraient-elles? C'est votre troisième mandat consécutif à la tête de votre organisation. Qu'espérez-vous des négociations avec le gouvernement provincial? Le fait qu'il ne s'agit pas d'une taxe élastique cause-t-il un problème?
M. Bell : Bien entendu, à long terme, le fait que cette taxe ne suit pas la croissance nous pose un problème.
Si nous pouvions obtenir un jour que l'éducation absorbe une part moins grande des impôts fonciers, cela pourrait nous laisser une certaine marge fiscale. Personnellement, je pense qu'il serait difficile de prendre toute la différence, car comme je l'ai déjà dit, les gens ne veulent pas de hausses d'impôts. C'est un des problèmes que cela pose. Si vous demandez aux contribuables s'ils désirent payer davantage d'impôts, je peux vous garantir que plus de 90 p. 100 d'entre eux répondront par la négative. Mais si vous leur demandez s'ils veulent plus de services, leur réponse sera affirmative. Malheureusement, la seule façon dont les municipalités peuvent fournir plus de services c'est en faisant payer plus d'impôts, car c'est le genre de régime fiscal que nous avons. Il serait difficile pour nous d'occuper l'espace fiscal qui serait libéré.
La vice-présidente : Dans votre déclaration, vous avez dit que le manque de détails posait un problème. Je ne sais pas dans quel contexte vous l'avez dit, mais c'est une question qui me vient toujours à l'esprit lorsque j'examine la façon dont certaines choses fonctionnent au niveau intergouvernemental. On demande aux différents niveaux de gouvernement de faire quelque chose sans entrer dans les détails. Les gens font alors de leur mieux ou ce qu'ils veulent bien faire. Ensuite, les citoyens se plaignent que telle ou telle chose n'a pas été faite. Pouvez-vous trouver ce passage dans votre texte? Cela m'a frappée quand vous l'avez dit.
M. Bell : Oui. Au Manitoba, la Loi sur la protection des eaux qui a été adoptée récemment pose un problème important pour les municipalités. Il s'agit en fait d'une loi habilitante. La plupart des mesures qui en résulteront émaneront des divers règlements qui seront pris. Nous avons déjà commencé à donner suite à cette loi. Elle contient des exigences concernant la planification des bassins hydrographiques, ce qui est une bonne chose. J'avoue que nous sommes d'accord avec tout ce qui sera fait grâce à la Loi sur la protection des eaux.
La province fournit jusqu'à 25 000 $ pour préparer un plan de gestion du bassin hydrographique, mais ce genre de plan coûte environ 100 000 $ à 200 000 $. Un de ces plans a été établi et accepté par la province et il mentionnait qu'il faudrait réaliser des travaux d'une valeur d'environ 6 millions de dollars. À notre connaissance, il n'y a pas encore de financement pour cela. La loi ne fournit aucune précision. Il n'y a rien dans le Règlement ou la loi disant combien cela coûtera et qui paiera la note. On nous dit seulement ce que nous devons faire. C'est quand on commence à y donner suite qu'on se rend compte de ce que cela coûtera. C'est très décourageant pour les gouvernements municipaux. Par conséquent, les autres niveaux de gouvernement adoptent souvent des règlements ou des lois sans se soucier de savoir combien cela coûtera aux municipalités.
La vice-présidente : Quand vous avez dit que vous obtenez un pourcentage des jeux vidéo, je me suis demandé comment votre province réussissait à le faire. Les municipalités des autres provinces se sont-elles intéressées au processus que vous avez suivi pour placer ces taxes sous votre contrôle et comment rendez-vous des comptes à la province?
M. Bell : Tout cela s'est passé avant mon temps. Le partage des taxes était inconditionnel. Je crois qu'à l'époque, le gouvernement provincial qui était dirigé, je pense, par M. Schreyer, a dit que c'est ce qu'il allait faire. Je ne pense pas que cela a été négocié.
Le sénateur Mitchell : Cela n'a-t-il pas un rapport avec le fait que l'agglomération urbaine de Winnipeg représente une partie importante de la population manitobaine et, par conséquent, un pouvoir politique important? Est-ce que la moitié des sièges à l'Assemblée législative ne sont pas regroupés dans un même secteur?
M. Bell : Winnipeg compte environ 58 p. 100 de la population totale du Manitoba.
Le sénateur Mitchell : Elle a un pouvoir politique énorme.
M. Bell : Oui, mais le partage des recettes provinciales se fait entre tout le monde et comme il y a un montant de base, Winnipeg obtient moins par habitant.
Le sénateur Mitchell : Si je dis cela, c'est simplement parce que Winnipeg a un pouvoir politique tellement important qu'il faut lui donner satisfaction et que si vous accordez quelque chose à Winnipeg, il faut l'accorder aussi à toutes les autres municipalités.
La vice-présidente : Appelons M. Schreyer.
Le sénateur Mitchell : C'est toujours une question de politique.
M. Bell : Pour ce qui est de la politique au Manitoba — et je ne parle pas du niveau municipal — nous avons des gouvernements différents en alternance, contrairement à l'Alberta. Lorsque nous avons un nouveau gouvernement, le fait que nous ayons un nouveau parti au pouvoir peut entraîner certaines mesures.
La vice-présidente : Merci infiniment à tous les deux d'avoir pris le temps de venir ici ce soir.
M. Bell : Merci de nous avoir invités.
La séance est levée.