Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 16 - Témoignages du 5 juin 2007
OTTAWA, le mardi 5 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 32 pour étudier, article par article, le projet de loi C-294 et étudier, pour en faire rapport, les questions relatives à l'équilibre fiscal vertical et horizontal entre les divers niveaux de gouvernement du Canada.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je suis Joseph Day, je représente la province du Nouveau-Brunswick au Sénat et je suis le président de ce comité.
[Traduction]
Nous entreprenons aujourd'hui l'étude article par article du projet de loi C-294, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (programmes sportifs et récréatifs). Nous avons déjà examiné le contenu de ce projet de loi d'intérêt public qui est parrainé par M. Brian Fitzpatrick, député de la circonscription de Prince Albert, en Saskatchewan. Il est rare que nous soyons saisis d'un projet de loi émanant d'un député. Nous tenons à vous féliciter, monsieur Fitzpatrick : vous avez exercé votre droit démocratique fondamental et déposé un projet de loi d'initiative parlementaire qui a franchi toutes les étapes à la Chambre des communes avant d'arriver, aujourd'hui, au Sénat.
Comme je l'ai mentionné, nous avons eu l'occasion d'examiner le projet de loi ensemble. Si les honorables sénateurs sont d'accord, nous allons procéder à l'étude article par article de celui-ci.
Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : Oui.
Le président : L'étude du titre est-elle reportée?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 1 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 2 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 3 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 4 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Dois-je faire rapport du projet de loi au Sénat, avec ou sans observations?
Des voix : Sans observations.
Le président : Sans observations. Honorables sénateurs, notre examen est terminé.
Monsieur Fitzpatrick, félicitations. Nous allons faire rapport du projet de loi au Sénat, probablement cet après- midi, et c'est là mon intention, ou demain au plus tard, selon le temps qu'il faudra pour remplir les formalités. Nous consacrerons ensuite une journée au débat en troisième lecture, comme nous le faisons habituellement. Une fois cette étape franchie, le projet de loi adopté par le Sénat sera renvoyé à la Chambre des communes, sans amendement.
Brian Fitzpatrick, député de Prince Albert : Merci à tous pour votre aide. Je vous en suis reconnaissant.
Le président : Merci d'être venu nous rencontrer, et bravo pour votre initiative.
Honorables sénateurs, au cours des six dernières semaines, le comité a entendu plusieurs témoins dans le cadre de son étude sur l'équilibre fiscal vertical, c'est-à-dire le partage des ressources financières et des responsabilités de dépenses entre les divers paliers de gouvernement au Canada.
Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir M. John Morgan, maire de la municipalité régionale du Cap-Breton. M. Morgan est accompagné de deux collègues, M. Jerry Ryan, directeur général, et M. John A. Whalley, directeur du développement économique.
Le 21 octobre 2000, John Morgan a été élu maire de la municipalité régionale du Cap-Breton pour un mandat de quatre ans qui a pris fin en 2004. Il a été réélu en octobre 2004 pour un autre mandat de quatre ans qui, lui, prendra fin en 2008. Il a occupé divers postes au sein du comité exécutif de l'Association des municipalités de la Nouvelle-Écosse. Il a été élu président de l'Association en octobre 2003 pour un an, et a agi à titre de président sortant de celle-ci en 2004- 2005. Il a également fait partie du conseil d'administration de la Fédération canadienne des municipalités.
Monsieur Morgan, je crois comprendre que vous avez une déclaration à faire. Je tiens à préciser que les sénateurs ont reçu le document que vous avez préparé. Il servira de toile de fond à notre étude.
John W. Morgan, maire, Municipalité régionale du Cap-Breton : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Comme vous l'avez indiqué, nous avons fourni un mémoire au comité. Je vais le résumer au lieu d'en faire la lecture.
Le principal message qui se dégage de notre mémoire est le suivant : le Sénat doit, dans le cadre de son étude, s'intéresser non seulement aux transferts fiscaux, mais également aux structures de gouvernance sous-jacentes — notamment celles qui concernent les régions périphériques aux prises avec de sérieuses difficultés, comme le Cap- Breton.
Comme l'indique notre mémoire, 25 p. 100 des habitants de la région touchent un revenu équivalant ou inférieur au seuil de pauvreté. De plus, le taux d'emploi au Cap-Breton est nettement inférieur à celui d'autres régions. Permettez- moi de vous donner une idée de la situation financière de la municipalité régionale du Cap-Breton.
Il est question, au paragraphe 22, des données du recensement de 2006. Au cours des 10 dernières années, la population de la municipalité régionale du Cap-Breton a diminué plus vite qu'ailleurs. Ce déclin a été aggravé par deux facteurs liés aux politiques gouvernementales. Mentionnons d'abord le régime de péréquation, qui constitue un véritable casse-tête pour le gouvernement fédéral. En vertu de l'article 36 de la Constitution, le gouvernement fédéral a l'obligation de faire en sorte que tous les citoyens, dans toutes les régions, reçoivent des services publics de niveau comparable à un niveau d'imposition comparable. Le programme de péréquation a pour objet d'assurer le versement de fonds à tous les gouvernements provinciaux. Le problème, c'est qu'en raison des politiques du gouvernement provincial, les habitants de la municipalité régionale du Cap-Breton reçoivent des services de piètre qualité alors qu'ils sont assujettis à des taux d'imposition exagérément élevés au sein de la municipalité.
Donc, malgré l'article 36, qui prévoit la prestation de services à un niveau de qualité et de fiscalité comparables, nos citoyens ont accès, à l'heure actuelle, à des services dont la qualité laisse nettement à désirer alors qu'ils paient des impôts fonciers plus élevés qu'ailleurs dans la province. D'autres régions du pays vivent la même situation. Ce qui nous inquiète, c'est que les engagements pris en vertu de l'article 36 de la Constitution ne sont pas respectés, surtout au chapitre des services offerts par le gouvernement municipal, étant donné que c'est lui qui a le plus d'impact, au jour le jour, sur la vie des citoyens ordinaires.
Pendant que la région se débat avec ses difficultés, le gouvernement provincial essaie, à juste titre, de faire valoir au gouvernement fédéral que la Nouvelle-Écosse ne peut, en tant que province, être concurrentielle ou connaître la prospérité s'il n'y a pas en place un régime de péréquation efficace qui assure des services à un niveau de qualité et de fiscalité comparables. Le gouvernement provincial exige d'Ottawa qu'il respecte l'article 36 de la Constitution.
Ce que le comité doit retenir, c'est qu'une fois versés les paiements de péréquation, comme l'exige la Constitution, l'argent attribué aux provinces n'est pas nécessairement utilisé aux fins prévues. Cet argent doit servir à réduire les disparités économiques entre les régions. Or, en Nouvelle-Écosse, ces paiements profitent surtout non pas aux régions les plus pauvres, mais aux régions les plus riches de la province. Les disparités économiques, au lieu de s'amoindrir, s'accentuent dans un sens.
Nous insistons, dans notre mémoire, sur la nécessité de régler cette question. Il faut procéder à une analyse des transferts pour voir s'ils sont utilisés aux fins prévues. Je sais que le Sénat s'est déjà penché là-dessus. J'ai eu l'occasion de lire certains des témoignages présentés au Sénat. Les sénateurs ont demandé aux représentants du ministère des Finances s'ils font un suivi, une fois que l'argent est versé aux gouvernements provinciaux et aux divers ministères. Une fois les paiements accordés, est-ce qu'ils vérifient que l'argent est utilisé aux fins prévues? Je ne pense pas me tromper en affirmant que les représentants du ministère des Finances n'ont pas voulu dire s'ils s'attaquent vraiment au problème des disparités.
Nous savons que vous avez de nombreuses questions à examiner en ce qui a trait au déséquilibre vertical et horizontal. Toutefois, le comité aurait intérêt à se demander si les engagements énoncés à l'article 36 de la Constitution sont, dans les faits, respectés. On ne peut pas uniquement se contenter d'envoyer un chèque aux gouvernements provinciaux. Cela ne suffit pas, car le gouvernement fédéral ne peut savoir si les provinces ont respecté ces engagements s'il ne procède pas à une évaluation des résultats du financement accordé.
J'ai parlé des transferts au niveau provincial. Il est important de se rappeler que le gouvernement fédéral a mis sur pied plusieurs programmes dans le but de fournir un financement direct aux régions relativement pauvres du pays. La région de l'Atlantique est souvent citée comme exemple. Le financement est accordé par le gouvernement fédéral à des organismes comme l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. Plusieurs organismes sont mentionnés dans le texte. En Nouvelle-Écosse, et ce n'est pas nécessairement un cas isolé, une part disproportionnée des fonds sont versés non pas aux régions pauvres de la province, mais aux régions riches. Par exemple, Nova Scotia Business Incorporated, principal organisme de développement économique de la Nouvelle-Écosse, finance diverses entreprises de la province. Or, 80 p. 100 des dépenses de l'organisme sont effectuées dans la région la plus riche de la Nouvelle- Écosse où le taux de chômage est de 4,9 p. 100, un taux inférieur à celui de Toronto, London et de nombreuses autres villes ontariennes. Il s'agit là d'une source d'inquiétude.
De nombreux programmes d'aide sont financés par le régime fiscal. Ce qui veut dire que l'argent provenant des régions relativement pauvres des provinces riches, à la condition qu'il n'y ait pas de suivi, est transféré aux régions riches des provinces pauvres. À mon avis, cela va à l'encontre de l'article 36 de la Constitution, qui a pour objet de réduire les disparités économiques entre régions, non pas de les accentuer, et aussi d'offrir des services à un niveau de qualité et de fiscalité comparable à l'échelle de la province. Cette obligation, à l'heure actuelle, n'est pas respectée.
Le mémoire que j'ai déposé contient plusieurs autres observations, mais je ne tiens pas à passer tout le document en revue. M. Whalley, M. Ryan et moi répondrons volontiers à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Je suis certain que l'exposé que vous avez présenté va donner lieu à un échange intéressant.
Il nous arrive, à l'occasion, de rencontrer des représentants des gouvernements provinciaux. Ils insistent pour dire que le gouvernement fédéral ne doit pas intervenir dans les champs de compétences des provinces. Vous dites que le gouvernement fédéral a non seulement le pouvoir, mais également la responsabilité, en vertu de l'article 36 de la Constitution, d'intervenir dans un domaine de compétence provinciale.
M. Morgan : Absolument. Je sais qu'il est important de respecter les compétences des provinces et que cela présente parfois tout un défi pour le gouvernement fédéral quand vient le temps de mettre sur pied des programmes. Toutefois, il y a des conditions qui sont rattachées au versement de paiements plus modestes qui servent à assurer le financement d'initiatives relativement mineures, en tout cas beaucoup moins importantes que le programme fédéral de péréquation, qui alloue environ 1,4 milliard de dollars à ma province chaque année. Toutefois, aucune condition n'est rattachée à ce paiement considérable, un paiement qui a des conséquences énormes sur les citoyens de la province en ce sens qu'il peut littéralement faire toute la différence entre la prospérité et la poursuite du déclin de la région.
Le comité a eu beaucoup de mal à obtenir des précisions à ce sujet des représentants du ministère fédéral des Finances. J'ai ressenti une grande frustration en lisant le compte rendu de la réunion au cours de laquelle les sénateurs ont essayé d'obtenir de l'information. Toutefois, nous avons retenu les services d'experts et avons effectué l'analyse nous-mêmes. Nous en faisons mention dans notre mémoire.
Il est très clair que l'argent n'est pas utilisé aux fins prévus. Il n'est pas versé aux régions les plus pauvres, en tout cas, pas dans notre province. La distribution des fonds se fait selon le principe suivant : les fonds et les ressources du gouvernement doivent être consacrés aux régions très riches, c'est-à-dire, selon certains économistes, aux régions privilégiées.
Je ne vois pas quel est l'avantage d'investir toutes les ressources du gouvernement dans les régions ou les collectivités privilégiées. Toutefois, à mon avis, cette démarche va à l'encontre de la Constitution. Si le gouvernement ou les économistes estiment qu'il est préférable d'investir tout l'argent dans les régions riches, ils devraient alors modifier la Constitution et mettre fin aux pratiques actuelles.
La Nouvelle-Écosse a décidé d'axer ses efforts sur les régions privilégiées. Or, si le gouvernement du Canada choisissait d'investir toutes ses ressources en Ontario, en Alberta ou en Colombie-Britannique, des régions déjà prospères, la Nouvelle-Écosse en particulier, mais également de nombreux gouvernements provinciaux protesteraient vivement, car cela ne cadre pas avec ce que dit la Constitution.
Le président : Je voudrais avoir une précision. Est-ce que la municipalité régionale du Cap-Breton englobe toute l'île du Cap-Breton?
M. Morgan : Non. Nous faisions partie jadis du comté du Cap-Breton. Il y a huit anciennes municipalités qui comptent un peu plus de 100 000 habitants dans la partie sud-est de l'île du Cap-Breton. Nous regroupons la majorité des habitants, mais pas la majorité de la superficie.
Le président : Quelles sont les grandes villes qui en font partie?
M. Morgan : L'ancienne ville de Sydney, l'ancienne ville de Glace Bay, New Waterford, North Sydney, Sydney Mines et Louisbourg.
Le président : Cela nous permet de nous situer, géographiquement.
Le sénateur Murray : Vous le savez déjà, mais je tiens à préciser que l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982 compte deux paragraphes. Le premier porte sur les disparités régionales, et l'autre, sur la péréquation. Le premier paragraphe dispose que les gouvernements fédéral et provinciaux s'engagent à promouvoir l'égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être, à favoriser le développement économique pour réduire l'inégalité des chances, et à fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels. Il s'agit d'un engagement pris par les deux ordres de gouvernement. Le deuxième paragraphe de l'article 36 précise que le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernement provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.
Il est peut-être plus simple de commencer d'abord par le deuxième paragraphe. Vous êtes en train de comparer la situation à l'échelle nationale. Êtes-vous en train de dire que le gouvernement provincial de la Nouvelle-Écosse ne fournit pas des services publics à un niveau de qualité raisonnablement comparable au Cap-Breton? Êtes-vous en train de dire que les services offerts par vos hôpitaux et vos écoles sont de qualité inférieure?
M. Morgan : Je ne dirais pas cela des hôpitaux, mais les écoles constituent un bon exemple. Je peux établir une comparaison entre notre région et certaines autres régions de la province. Les régions riches, où les niveaux de revenu sont plus élevés, sont en mesure de fournir du financement supplémentaire par l'entremise de leurs structures municipales, car leurs gouvernements municipaux sont plus riches que le nôtre. Ils fournissent du financement supplémentaire aux conseils scolaires, ce qui fait qu'il y a des programmes dans la municipalité régionale d'Halifax, par exemple, qui ne sont pas offerts dans la nôtre.
Lorsque l'on sort du domaine des soins de la santé, notamment, l'analyse se décompose rapidement. Prenons, par exemple, le développement économique...
Le sénateur Murray : Je vais y revenir.
M. Morgan : Dans presque tous les secteurs de dépenses du gouvernement, sauf celui des soins de santé — il est important de bien faire la distinction dans le cas des soins de la santé en raison du vieillissement de la population au sein de la collectivité —, il existe des différences notables au chapitre des services offerts. Qu'il s'agisse de l'entretien des routes, de la gestion des eaux usées, peu importe, les dépenses consacrées à ces services sont nettement moindres dans notre région. C'est vrai non seulement pour les services municipaux, mais également pour les services offerts par le gouvernement provincial.
Le sénateur Murray : Est-ce que vous assumez une partie des coûts de l'éducation au Cap-Breton?
M. Morgan : Oui.
Le sénateur Murray : Quel pourcentage des coûts assumez-vous?
M. Morgan : D'après notre analyse, environ 10 p. 100.
Le sénateur Murray : Cela représente quel pourcentage des dépenses totales?
John A. Whalley, directeur du développement économique, Municipalité régionale du Cap-Breton : Environ 10 p. 100. Cela veut dire environ 11 millions de dollars par année sur un budget de fonctionnement de 112 millions de dollars.
Le sénateur Murray : À quoi sert l'argent?
M. Whalley : Ce montant va dans la cagnotte pour la commission scolaire.
Le sénateur Murray : C'est une subvention versée par la municipalité à la commission scolaire.
M. Whalley : Pour la province, cet argent est une composante provinciale des taxes foncières. Ils ne le considèrent pas comme de l'argent de la municipalité; ils le considèrent comme de l'argent de la province et utilisent la municipalité comme bureau central.
Le sénateur Murray : Vous avez dit que les résidents de la municipalité régionale du Cap-Breton payaient des impôts fonciers plus élevés. Je pense que vous avez dit que les taux sont plus élevés. Sont-ils plus élevés que la moyenne des taux en Nouvelle-Écosse?
M. Morgan : Absolument.
Le sénateur Murray : Ils sont supérieurs de combien?
M. Whalley : Nos taux d'impôts foncier et commercial sont de 10 à 15 p. 100 plus élevés et c'est à peu près pareil pour nos impôts en milieu rural.
Le sénateur Murray : Est-ce qu'en Nouvelle-Écosse l'évaluation est faite par un seul organisme comme c'est le cas au Nouveau-Brunswick ou la faites-vous vous-mêmes?
M. Morgan : Un service d'évaluation centralisé s'en occupe. Non seulement les taux d'impôt comptent parmi les taux les plus élevés, mais nos taux de dépenses d'exploitation, par exemple, représentent aussi environ 66 p. 100 de ce que serait la moyenne des taux dans notre province, donc les dépenses faites pour les services municipaux sont considérablement basses. Les services de police, de lutte contre l'incendie et l'éventail des services municipaux sont au plus bas, cependant, nos impôts fonciers sont les plus élevés.
Le sénateur Murray : Je suppose que l'impôt foncier est de loin votre principale source de revenu.
M. Whalley : Il représente deux tiers de notre revenu total.
Le sénateur Murray : D'où provient le troisième tiers?
M. Whalley : Du programme de péréquation, de diverses petites subventions et de quelques frais d'utilisation.
Le sénateur Murray : Les évaluations foncières sont-elles calculées en fonction de la valeur du marché?
M. Whalley : Jusqu'à tout récemment, les évaluations étaient calculées en fonction de la valeur du marché et c'est important. La province a imposé un plafond pour les évaluations. Je crois qu'elles seront fixées cette année en fonction du changement de l'indice des prix à la consommation. C'est essentiellement une autre façon de freiner la capacité de la municipalité à générer des recettes. Ainsi, avec le temps, le fardeau sera transféré des résidences riches aux résidences pauvres.
Le sénateur Murray : Qu'est-ce qui a été plafonné, l'évaluation ou le taux?
M. Whalley : L'évaluation.
Le sénateur Murray : Je passe au développement économique. Dans votre déclaration, vous avez comparé deux îles, l'île du Cap-Breton et la province de l'Île-du-Prince-Édouard. Vous avez mentionné que le gouvernement fédéral a versé, en 2006-2007, une aide au développement totale à l'Île-du-Prince-Édouard de 42 millions de dollars en comparaison à une aide totale d'environ 19 milliards de dollars pour l'ile du Cap-Breton. Je ne sais pas ce que vous incluez dans l'aide au développement mais ce qui me frappe c'est que le fédéral a deux grandes installations dans l'Île- du-Prince-Édouard. Anciens combattants Canada en est une à Charlottetown et a été décentralisé dans les années 1970, me semble-t-il; et l'autre est un centre de la TPS à Summerside que nous avons transféré en compensation de la fermeture de la base des Forces canadiennes au début des années 1990. Ces bureaux créent des emplois et des revenus pour l'économie de l'Île-du-Prince-Édouard.
Pour le développement économique, il y a aussi Nova Scotia Business Incorporated ainsi que l'Agence fédérale de promotion économique du Canada atlantique. L'île du Cap-Breton a une caractéristique pratiquement unique dans notre pays du fait qu'elle a sa propre société d'État, la Société d'expansion du Cap-Breton, qui a pour vocation le développement économique de la région. Quel est le problème dans cette région? Il existe depuis longtemps.
M. Morgan : Je ne crois pas que ces services de développement soient la solution. La Société d'expansion du Cap- Breton fournit des services au nom de divers organismes fédéraux mentionnés dans le mémoire tant qu'ils sont fournis en Nouvelle-Écosse. Ils ont aussi leur propre budget pour leurs programmes.
Pour revenir à un point important soulevé plus tôt, l'aide totale versée par le gouvernement doit être analysée au lieu de chercher à savoir s'il y a un organisme dont le nom contient « Cap-Breton ». La question est de savoir si la totalité de l'aide fournie montre que l'aide fédérale au développement est versée principalement à Cap-Breton ou simplement à un nom. Je ne dirais pas que c'est une arnaque, parce que le mot est trop fort, mais en fin de compte, il s'agit de savoir où va l'argent de l'aide au développement versé par le gouvernement fédéral.
Le sénateur Murray : Ventilez les 42 millions et les 19 millions de dollars mentionnés plus tôt.
M. Whalley : En ce qui concerne l'aide fédérale au développement, le mémoire compare les dépenses faites par l'Agence de promotion économique du Canada atlantique dans l'Île-du-Prince-Édouard à celles faites par la Société d'expansion du Cap-Breton au Cap-Breton. L'aide fédérale au développement économique de l'Île-du-Prince-Édouard versée durant le dernier exercice financier était le double de la totalité de l'aide au développement économique versé par tous les organismes à Cap-Breton.
Le sénateur Murray : En connaissez-vous la raison? Serait-ce parce que, sans vouloir être provocant, les entrepreneurs de l'Île-du-Prince-Édouard proposent un plus grand nombre de meilleures idées que ceux du Cap- Breton? Les entreprises, les gouvernements locaux ou les organisations non gouvernementales du Cap-Breton proposent-ils beaucoup de demandes qui sont rejetées par la société d'expansion du Cap-Breton?
M. Whalley : Nous ignorons les raisons administratives de cette situation. L'aide fédérale au développement du Cap- Breton varie énormément depuis des années. Le montant pourrait être de 20 millions de dollars cette année, de 50 millions de dollars l'année prochaine et revenir à 15 millions de dollars l'année d'après. Il n'y a pas d'uniformité. L'organisation provinciale de développement, Nova Scotia Business Incorporated, investit de manière disproportionnée dans une région à taux de chômage peu élevé et ignore des régions à taux de chômage élevé. Les organismes fédéraux ont fait la même chose ces dernières années en aidant des régions plus riches. Il faudrait que Cap-Breton arrive à avoir une augmentation d'environ 30 p. 100 en emploi total pour égaler l'actuel taux d'emploi de l'Île-du- Prince-Édouard. Pour une raison quelconque, le gouvernement fédéral, contrairement à ses obligations et engagements en vertu de l'article 36, et la province, contrairement à son engagement en vertu de l'article 36, ne prennent pas de mesures pour réduire les disparités régionales.
Le sénateur Murray : Nous parlons du paragraphe 36(1). Je m'arrête là pour le moment.
Le sénateur Nancy Ruth : Je ne vais pas vous poser de questions sur votre cause de droit, mais d'autres témoins que nous avons entendus voulaient des conditionnalités pour l'argent fédéral. Nous avons entendu les témoignages de Armine Yalnizyan, directrice de la recherche, Community Social Planning Council of Toronto et de Nancy Peckford, directrice de la programmation à l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale à Ottawa. Les gens qui nous en ont parlé sont pauvres. C'est le point commun entre tous vos groupes et tous veulent des conditionnalités pour cet argent. Avez-vous demandé aux intervenants de votre province de vous aider dans votre cause de droit? Si vous allez jusqu'à la Cour suprême du Canada, allez-vous engager d'autres groupes de ce genre?
M. Morgan : Pour ce qui est de la poursuite judiciaire, notre municipalité est unique, car elle est très pauvre, d'un point de vue national, mais relativement grande par rapport à d'autres municipalités pauvres. Elle compte 100 000 habitants. Nous avons pu louer les services d'avocats pour nous conseiller et je pense que nous avons les meilleurs avocats au pays pour s'occuper de cette affaire.
Nous avons pu le faire en tant que gouvernement municipal. Les questions sont uniques, car l'accent est mis sur les modalités de financement municipal et les disparités économiques d'une région précise. Cependant, les enjeux en cause pour notre gouvernement municipal sont probablement similaires à ceux d'autres régions du Canada se trouvant dans le même genre de situation. Vous avez parlé de groupes de pauvres qui demandent principalement des conditions ou des analyses et pourtant, il est évident qu'un grand nombre de gens sont laissés pour compte dans notre pays. En ce qui nous concerne, non seulement un groupe démographique est laissé pour compte, mais aussi une région géographique. Notre gouvernement provincial les a abandonnés et les laisse mourir lentement. La même situation existe au niveau des dépenses faites par le gouvernement fédéral. Des universitaires de la Nouvelle-Écosse, notamment le président de l'Université Dalhousie, ont déclaré que le gouvernement n'exprime pas clairement le processus qui permet à ces régions périphériques de mourir. On suggère qu'ils les laissent mourir en leur coupant lentement le financement et la capacité d'offrir des services à leurs citoyens à des impôts fonciers comparables, ce qui inévitablement pousse les citoyens à aller dans les régions riches de notre province. Je crois que cette situation se retrouve dans tout le pays.
L'ironie du sort veut que dans notre province, nous voyons notre premier ministre et notre ministre des Finances comparaître devant ce Sénat et les comités parlementaires pour dire qu'il est essentiel de se conformer à l'article 36 de la Constitution et ce, pour la survie de notre province et de toutes les provinces. Sinon, les provinces subiraient un désastre économique; pourtant dans notre province, ils ne respectent pas les mêmes principes. Ils laissent des régions importantes de notre province — nous sommes la deuxième plus grande zone urbaine en Nouvelle-Écosse — essayer de survivre ou mourir en les privant du financement qu'ils qualifient eux-mêmes d'essentiel quand ils sont à Ottawa.
Le sénateur Nancy Ruth : Bonne chance dans le cas où vous voudriez exercer des pressions sur eux.
Le sénateur Mitchell : Je voudrais vous poser plusieurs questions. Quel est le taux de chômage actuel au Cap-Breton?
M. Whalley : Environ 17 p. 100.
Le sénateur Mitchell : La population autochtone est-elle importante?
M. Whalley : Oui; elle est probablement de 4 à 5 p. 100 dans notre municipalité.
Le sénateur Mitchell : Est-ce que l'Accord de Kelowna aurait aidé cette partie de la population? L'auriez-vous appliqué ainsi que ses répercussions?
M. Whalley : Oui, sans doute.
M. Morgan : Il aurait eu des conséquences. Quand des collectivités autochtones vivent dans les limites de la juridiction d'un gouvernement municipal, il y a des problèmes internes concernant le financement et les services. Nous avons eu une collectivité qui avait particulièrement réussi. Membertou est connue dans tout le pays pour ses réussites commerciales, mais elle est relativement petite comparée à l'ensemble de la population.
Le sénateur Mitchell : Avez-vous remarqué des changements? Est-ce que le problème lié à l'obtention de votre part de financement a été aggravé par le fait que le gouvernement fédéral a décidé de renier ses engagements pris dans le cadre de cet accord? Est-ce que cela a changé la prédisposition de la province à financer?
M. Morgan : Je ne crois pas que nous puissions relier les deux ensemble. Parlez-vous de l'accord sur le gaz extracôtier?
Le sénateur Mitchell : Oui.
M. Morgan : Il y a eu, à la fois avant et après la décision concernant cet accord, une mauvaise volonté constante de fournir un régime de péréquation entièrement financé ou un régime similaire dans notre province, même quand elle enregistrait des excédents budgétaires. Bien que, de toute évidence, une plainte ait été déposée à l'encontre de certaines décisions budgétaires prises par le gouvernement provincial, le fait qu'aucun des deux scénarios proposés à la province, qui pouvait choisir l'un de ces deux scénarios, ne comportait de régime de péréquation entièrement financé au niveau fédéral-provincial n'a certainement pas abouti à une plainte. Les deux scénarios prévoyaient de financer entièrement une province — et plus que cela dans l'un des scénarios. Cependant, quel qu'ait été le scénario, il n'y avait aucune intention de financer entièrement les services municipaux du Cap-Breton.
M. Whalley : La province fait valoir à l'échelon national qu'il ne devrait pas avoir de plafond. Les provinces de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador prétendent que durant certaines années, leur capacité fiscale devrait être autorisée à dépasser la norme nationale. Ce n'est pas ce que nous demandons.
Nous voulons simplement avoir la norme en Nouvelle-Écosse. Nous sommes à 65 p. 100 de la norme. Sur une période de 13 ans, nous avons eu un plafond pendant 11 ans. C'est là que se dévoile l'hypocrisie de l'argument du gouvernement provincial en Nouvelle-Écosse. Un autre aspect de l'hypocrisie est qu'ils défendent l'accord sur le gaz extracôtier en le liant au développement économique. En réalité, les projets de gaz et de pétrole extracôtiers en Nouvelle-Écosse ne nous apportent aucun bénéfice. Les bénéfices ont été versés de manière disproportionnée à deux régions de la province. La plus grande partie de la province n'a pas de gaz naturel. Il n'y a pas de gazoduc. Le gaz est exporté et aucun plan de développement économique, qui pourrait avoir des répercussions sur notre région, n'est associé ni au projet de gaz de l'île de Sable ni au projet Panuke.
Le sénateur Mitchell : Dans votre réponse au sénateur Murray, vous avez mentionné l'éducation, la santé et l'infrastructure. Si vous devez établir un ordre de priorité pour l'aide, quelles seront vos priorités — l'aide au développement économique au moyen de subventions ou de l'accès au financement pour les entreprises et les entrepreneurs? Serait-ce le développement de l'infrastructure? Où se trouvent, selon vous, les plus gros problèmes?
M. Morgan : C'est fascinant. Il est important de revenir au point qui a été soulevé plus tôt par le comité, à savoir qu'une analyse objective des dépenses est nécessaire quelle que soit l'option choisie. Il est difficile de choisir, mais l'infrastructure est essentielle — même les programmes d'incitation fiscale. Il y a toute une gamme de solutions potentielles. Elles commencent toutes par l'acceptation du fait qu'il y a un problème de financement et l'obligation, conformément à la Constitution, de ne pas abandonner les régions en difficulté. Toutes les solutions commencent par cela.
Il y a tout un éventail de solutions et vous en avez suggéré quelques-unes. Je dirais qu'au fur et à mesure des efforts faits pour se conformer aux obligations constitutionnelles, il y aura un doute au sujet de ce qui sera efficace et de ce que sera la formule. Il est donc essentiel de suivre les efforts visant l'atteinte des objectifs et d'établir des normes. Ceux qui financent le programme de péréquation ont le droit de savoir qu'il est utilisé efficacement, c'est-à-dire que l'argent est dépensé comme prévu. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Je sais que vous êtes originaire de l'Alberta et que des fonds proviennent de l'Alberta. Certaines collectivités en Alberta ont un taux de chômage plus élevé que celui d'Halifax, pourtant nous prenons des fonds de régions qui accusent des taux de chômage plus élevés et nous les donnons à une région qui a un taux de chômage plus bas que la plupart des régions du pays. Ce n'est tout simplement pas conforme à l'esprit de la Constitution.
M. Whalley : Nous essayons d'expliquer dans le mémoire qu'il n'est pas nécessaire de prendre des décisions ponctuelles. Le gouvernement fédéral a transféré des aéroports locaux et des ports locaux, mais ceux qu'il a transférés étaient considérés comme des fardeaux. C'étaient des petits perdants d'argent, ils les ont donc refilés à des autorités locales.
Elles sont importantes pour notre région, mais il faut dire — je suppose que certaines personnes se moquent du document et suggèrent que nous sommes des séparatistes — que le gouvernement évolue et que la gouvernance au Canada ne suit pas les réalités économiques et technologiques. Il faut considérer que ces régions font partie de la concurrence. Nous ne voulons pas que les décisions nous concernant soient prises à Halifax et dans d'autres régions. Cela n'a pas fonctionné et ne fonctionnera pas; nous avons vécu 45 ans de déclin pour le comprendre. Nous n'avons pas besoin de subventions. Nous avons besoin des outils qui nous permettront de prendre des décisions dans notre région concernant notre avenir.
Le sénateur Mitchell : Monsieur le maire Morgan, il me semble que ce processus d'analyse soit l'élément principal de votre suggestion visant à recevoir un financement plus direct. Si nous analysons la situation, nous montrerons que le financement n'a pas été aussi efficace qu'il aurait dû l'être et cela améliorera la reddition des comptes et attirera l'attention du gouvernement fédéral.
Iriez-vous plus loin pour dire qu'il y a une autre structure qui comporterait des ententes tripartites faites avec le gouvernement fédéral et les autorités provinciales et vous pourriez dire : « Voici ce dont nous avons besoin; concluons un accord pour garantir que le financement sera utilisé comme il faut »? Pouvez-vous être aussi précis?
M. Morgan : Nous avons déjà vu de telles ententes avec le Programme d'infrastructure Canada-Nouvelle-Écosse. C'était en fait des ententes tripartites et il était possible d'y contribuer. Je ne sais pas s'il faut forcément aller jusqu'à ce niveau de détail. Il s'agit de revenir aux principes fondamentaux de la Constitution et au fait que le gouvernement fédéral prenne conscience des objectifs constitutionnels concernant le financement.
Obtenir efficacement des renseignements auprès de l'administration relève de la gageure ainsi que l'a montré l'expérience du comité. Le ministère des Finances a une obligation. Il me semble que le ministère, lorsqu'on lui demande ce qu'il advient de cet argent et quel est le montant destiné à un projet particulier dans une région particulière, ne se sente pas obligé de répondre. J'estime que lorsque le comité pose ces questions au ministère, il ne le fait pas seulement au nom de sénateurs individuels, mais au nom de tous les citoyens canadiens. Il incombe aux fonctionnaires de répondre et de donner des réponses salutaires. Je crois qu'ils aient fait cela avec vous. Il est important de déterminer si cette partie de la Constitution est respectée ou non. Nous avons essayé, avec beaucoup de difficultés, de recueillir cette information. Nous avons péniblement réussi à l'obtenir pour notre province face à une résistance acharnée de la part de la bureaucratie provinciale. J'ai du mal à imaginer ce que ce sera face à l'administration fédérale.
Le sénateur Stratton : Cette discussion est intéressante. Le grand problème est de savoir jusqu'à quel point le gouvernement fédéral peut gouverner dans des secteurs et des régions du pays. Cela pose un gros problème aux provinces.
Vous avez mentionné la bande Membertou et son apparent succès. Savez-vous exactement à quoi il faut attribuer ce succès?
M. Morgan : Il y a probablement une certaine controverse. Les jeux de hasard dans un centre urbain sont une source importante des revenus de la réserve. Il m'est très difficile d'analyser cette situation. Il faut poser la question directement aux membres de la bande.
Le sénateur Stratton : Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts mène une étude sur la pauvreté rurale. Je suis certain que les membres de ce comité visiteront votre région puisqu'ils visitent la plupart des régions du pays. Dans son étude sur la pauvreté rurale, le comité examine aussi les secteurs qui ont enregistré des succès. Certaines régions rurales du Canada ont fort bien réussi.
Autant que je me souvienne, les études montrent, du moins dans ma province, le Manitoba, la participation de particuliers. Il s'agit toujours d'individus et de petits groupes doués d'un grand sens civique. Ils s'impliquent, se lancent dans une action et obtiennent des résultats positifs. Le village ou la municipalité situés à sept ou dix milles ne s'impliquent pas et sont en régression. Je ne dis pas que ce soit le cas dans votre région, mais il est toujours intéressant de voir des lueurs d'espoir malgré les îlots de pauvreté.
M. Morgan : C'est aussi vrai dans notre municipalité où il y a eu des réussites. Membertou est un bon exemple. Les économies régionales comportent toujours des histoires à succès et c'est le cas dans notre région. Nous devons nous en réjouir. Mais, il y a aussi des situations très difficiles de personnes qui quittent la région. Il faut mesurer le problème dans l'ensemble des situations.
Vous avez mentionné des régions rurales qui ont éprouvé des difficultés comme Charlottetown, Summerside, Moncton et dans une certaine mesure Sudbury en Ontario. Le gouvernement a pu intervenir, souvent avec efficacité, dans certaines de ces régions périphériques. Nous retrouvons des mesures identiques dans les stratégies. Il y a eu immanquablement une décentralisation des bureaux du gouvernement fédéral dans les localités en difficulté. Cela n'a pas été fait de manière importante dans notre collectivité parce que le fédéral ne pense pas qu'il y a un problème. Il y a eu une décentralisation, par exemple, à Moncton, Summerside, Sudbury et plusieurs autres localités. Il y a aussi souvent eu des efforts visant la mise en place d'une infrastructure efficace dans les collectivités. Au Nouveau- Brunswick, les autoroutes ont été jumelées afin de les incorporer au réseau routier desservant toutes les principales collectivités. Nous avons assisté à la mise en œuvre de l'infrastructure des communications et de programmes d'incitatifs fiscaux, surtout dans l'Île-du-Prince-Édouard. Le gouvernement a appliqué efficacement des stratégies cohérentes dans un certain nombre de régions dans l'ensemble du pays.
Dans notre région, la stratégie des deux ordres de gouvernement a été d'annoncer des réussites en mentionnant des histoires individuelles couronnées de succès, la Société d'expansion du Cap-Breton en est une, et en laissant croire que c'est à l'image de la situation de toute la région sans analyse objective visant à déterminer si cela est vrai pour toute la région. Si vous disposez de mécanismes d'analyse objective qui révèlent que la population continue de décroître et que le taux d'emploi reste faible, vous adopterez d'autres stratégies et, immanquablement, vous considérerez celles qui ont été efficaces ailleurs telles que la décentralisation massive qui a été faite pour maintenir l'équilibre économique à Moncton et le jumelage des réseaux routiers. Ces mesures ont abouti à des résultats positifs dans d'autres régions. Elles ne sont pas appliquées dans notre région, mais elles peuvent être mises en œuvre dans un grand nombre de régions périphériques dans l'ensemble du pays.
Il est nécessaire, d'abord et avant tout, qu'un gouvernement procède à ce genre d'analyse objective qu'il fasse preuve d'honnêteté au lieu de présenter un tableau idyllique, irréaliste et faux des économies locales de crainte d'offenser les citoyens. De dire la vérité sur la situation des économies des régions périphériques et de prendre des mesures qui ont fait leur preuve ailleurs en vue de stabiliser l'économie de ces régions et d'assurer un équilibre économique entre les différentes régions du pays.
Le sénateur Stratton : J'apprécie vos commentaires à ce sujet et j'ai eu l'occasion de le constater dans ma province et particulièrement dans les régions du Sud du pays, riches grâce à une bonne industrie agricole, comparativement aux régions situées au Nord du Bouclier canadien où la situation est très différente.
Cependant, certaines villes du Sud du pays ne comptent nullement sur le gouvernement et elles enregistrent des résultats très positifs. J'aimerais aussi que l'on examine ces histoires à succès. Il ne suffit pas de dire que le gouvernement devrait tout faire. Il faut envisager des façons d'encourager l'esprit d'entreprise qui est à la base de pratiquement tout. Le gouvernement provincial a-t-il songé à promouvoir l'esprit d'entreprise?
M. Morgan : Je pense qu'il l'a fait. Il est difficile de critiquer le gouvernement sur ce plan, car il s'est principalement intéressé aux particuliers.
Le problème que nous constatons aussi dans notre région, c'est qu'il ne reste qu'un petit secteur commercial; seulement un petit nombre d'entreprises, par rapport à l'étendue de notre région, survivent et elles comptent souvent sur l'aide du gouvernement et sur les programmes de financement. En fait, cela ressemble à un cocktail autour du thème de la stratégie de développement économique où les entrepreneurs essaient de connaître les personnes bien placées dans les organismes de financement afin d'assurer le financement de leurs marottes.
Certaines initiatives du secteur privé et certaines initiatives financées par le gouvernement donneront de bons résultats, mais la question est de savoir si la totalité de ces initiatives suffira dans une région comme la nôtre qui compte énormément de pauvres. Donc, les entreprises privées encore présentes dans beaucoup de municipalités ont été durement touchées ces quatre dernières décennies et il est très difficile d'imaginer que ce secteur à lui seul suffira pour relancer l'économie d'une collectivité telle que la nôtre.
M. Whalley : Le mémoire contient aussi l'exemple de l'industrie touristique — la comparaison entre l'île du Cap- Breton et l'Île-du-Prince-Édouard. Pendant trois ans, les transferts fédéraux à l'Association de l'industrie touristique de l'Île-du-Prince-Édouard ont dépassé les 20 millions de dollars. Il ne s'agit que des transferts du gouvernement fédéral. L'Î-P.-É. a son propre ministère du Tourisme. À la même époque, il n'y a eu aucun transfert fédéral à l'Association de l'industrie touristique de Cap-Breton, rien. Au vu de cette différence, comment cette industrie peut-elle être concurrentielle?
Les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde. On ne permet pas aux entreprises du secteur privé d'être compétitives. Même le Conference Board du Canada avance que les grands centres urbains devraient bénéficier de la plus grande partie des investissements fédéral-provinciaux dans l'infrastructure. La population d'Halifax est égale à environ trois fois et demie celle de notre région, mais le budget d'investissement l'est de sept fois et demie. Pour quelle raison les gouvernements fédéral et provincial versent-ils un montant aussi disproportionné? Il n'est pas question ici d'effort individuel, mais d'un système de politiques et de structures qui a faussé toutes les règles du jeu.
M. Morgan : On pourrait même faire valoir que si vous n'allez pas verser d'aide du gouvernement aux régions pauvres, il faudrait alors agir de même envers leurs concurrents. C'est vraiment ce qui se passe. En fait, l'aide ne fait qu'empirer la situation à Cap-Breton et cela incite les habitants d'un grand nombre de régions pauvres situées à l'extérieur des grands centres urbains à déménager dans d'autres localités.
J'aimerais aussi parler de la dépopulation que subit notre collectivité. Aujourd'hui, cette situation est courante dans la plupart des zones rurales du pays et nous savons que les gens vont vivre généralement dans les endroits qui offrent des services. De manière générale, les gens veulent des installations modernes dans leurs collectivités. Par conséquent, la question visant à savoir si des services comparables sont disponibles ou non n'est pas théorique; c'est une vraie question qu'il faut se poser pour résoudre le problème de la diminution de la population rurale, du moins dans les zones urbaines périphériques, car certaines ont une chance de survivre en dépit de la forte dépopulation des zones rurales au Canada. Il est possible de conserver et de développer efficacement une infrastructure de base.
Le contraire est tout aussi vrai. Si on permet le déclin de l'infrastructure urbaine des régions périphériques, les gens partiraient par bus entiers. Nous l'avons malheureusement vu dans notre région.
Le sénateur Stratton : La situation que vous décrivez est courante dans toutes les régions du pays. La vôtre n'en est qu'un exemple. L'exode rural et l'attraction des villes existent depuis plus de cent ans. Tous les gouvernements ont essayé de résoudre ce problème de plusieurs façons, mais il s'agit de savoir si ce problème peut être résolu ou si l'on ne fait que retarder un déclin inévitable. Je crois que l'on peut faire tout son possible pour aider une région en difficulté du fait de la dépopulation et de l'attraction d'autres régions, mais il faut se demander ce que l'on peut réellement faire et j'appuie sur le mot « réellement », car nous avons fait investissement après investissement dans des régions où l'argent a tout simplement été gaspillé.
M. Morgan : C'est un problème. Je conviens qu'il y a eu un terrible gaspillage par le passé, mais il a toujours été fait sans reddition de comptes, sans suivi des résultats, sans analyse de l'efficacité des mesures. Le fait qu'il y ait eu des échecs ne veut pas dire qu'il est impossible de réussir. Hélas, dans de nombreux cas, des groupes d'intérêts ont pris le contrôle et se sont assuré que le financement continue d'être versé quels que soient les résultats. Ce que nous disons, c'est que la Constitution prévoit l'obligation de ne pas abandonner les régions et aussi d'analyser l'efficacité des mesures prises. Le gouvernement fédéral ne respecte même pas ses propres obligations constitutionnelles s'il ne mène pas d'analyse visant à déterminer si les disparités économiques des régions sont en fait réduites. Des normes doivent être établies, il faut établir des critères objectifs et changer d'approche en cas d'échec.
En ce qui concerne la migration vers les grandes villes, je sais que nous ne parlons pas trop de l'environnement ici, mais je suis frappé par des commentaires sur les problèmes liés aux émissions de gaz à effet de serre. Le plus important étant l'obligation de faire de grandes distances pour se rendre dans les grands centres urbains et on ne cesse de répéter que le mitage ne peut pas continuer à se disséminer à sa vitesse actuelle. En même temps, les gens ne veulent pas vivre dans des villes à très forte densité de population au Canada.
Je dirais qu'une solution de rechange essentielle serait de stabiliser l'économie de certaines de ces collectivités périphériques et d'offrir aux gens un autre endroit pour se loger, et qui leur éviterait 30, 45 ou 60 minutes de trajet quotidien pour se rendre à leur lieu de travail. En fin de compte, la question est de savoir si le modèle de la mégaville est viable à une époque où les émissions de gaz à effet de serre posent problème. Je suggèrerais que les petites ou moyennes municipalités sont peut être un modèle plus durable. Je pense qu'elles freineraient, du moins à long terme, le trafic vers les villes.
Le sénateur Stratton : C'est ce que fait la Saskatchewan. Elle fait même de la publicité et grâce à cela des gens retournent dans cette province. Il y a des exemples de cette situation. C'est peut-être une idée à suivre pour résoudre votre problème.
Le président : Je vous remercie pour vos réponses, monsieur Morgan. Vous avez soulevé des points intéressants.
J'aimerais que vous apportiez une précision, monsieur Whalley. En réponse à une question posée par le sénateur Stratton, vous avez dit que la population d'Halifax était le triple de celle de Cap-Breton. Parlez-vous de l'ensemble de l'île du Cap-Breton ou de la municipalité rurale?
M. Whalley : Des deux plus grandes municipalités en Nouvelle-Écosse : la municipalité régionale d'Halifax et la municipalité régionale du Cap-Breton.
Le président : Vous avez ensuite parlé de la différence entre les revenus.
M. Whalley : Du budget d'investissement annuel des deux régions.
Le président : Vous n'avez parlé que de leur budget d'investissement annuel, pas des transferts fédéraux.
M. Whalley : Oui. Le budget d'investissement de la municipalité régionale d'Halifax est égal à environ sept fois et demie celui de la municipalité régionale du Cap-Breton.
M. Morgan : Le problème est le même pour les dépenses d'exploitation. La disparité est énorme parce qu'elle est liée, en partie, à l'élément fédéral. Par exemple, notre commission de transport a un faible niveau de service, car dans la pratique, nous n'avons pas les moyens d'assurer l'entretien d'une commission de transport. L'aide du gouvernement fédéral à la commission de transport en Nouvelle-Écosse est versée principalement à la municipalité régionale d'Halifax alors que la municipalité régionale du Cap-Breton n'a reçu que quelques centaines de milliers de dollars. M. Whalley a peut-être les montants des sommes versées. D'une certaine façon, le gouvernement fédéral alimente le problème en fournissant un financement à des régions comparativement riches et très peu de financement aux régions pauvres. Le résultat est que les gens ont tendance à quitter les collectivités qui n'ont pas un bon système de transport public.
Le président : Au fait, est-ce que la municipalité régionale du Cap-Breton est membre de la Fédération canadienne des municipalités?
M. Morgan : Oui, elle est à la fois membre de l'Union of Nova Scotia Municipalities et de la Fédération canadienne des municipalités.
Le président : Des représentants de la FCM ont témoigné devant le comité. Avez-vous lu leurs commentaires?
M. Morgan : M. Whalley les a lus.
Le président : Contestez-vous les points qu'ils ont soulevés durant leur comparution?
M. Whalley : Ce qu'ils demandent est très modeste par rapport à ce qui est, à notre avis, nécessaire. La part du financement de la TPS est extrêmement modeste comparativement à nos besoins. Nos problèmes sont fondamentaux et globaux. Il ne s'agit pas d'une initiative individuelle qui peut surmonter le petit manque d'esprit d'entreprise dans la région. C'est la raison pour laquelle nous donnons en exemple l'Île-du-Prince-Édouard pour montrer que deux régions situées dans une même zone géographique fonctionnent à des niveaux très différents. La question est de savoir le rôle que jouent la politique gouvernementale et la structure publique dans tout cela. Nous estimons que leur rôle fondamental compromet complètement les objectifs de l'article 36.
Nous avons une lettre de l'ancien vice-premier ministre et ministre des Finances, John Manley, indiquant que le gouvernement fédéral estime que sa participation cesse dès que le financement a été transféré. Le gouvernement provincial insiste vivement que la péréquation est nécessaire mais lorsque ses représentants sont de retour en Nouvelle- Écosse, ils créent essentiellement un État-région. Des 18 comtés de la Nouvelle-Écosse, les économies de 14 sont en régression. La majorité de la province est en régression. L'argument qu'ils avancent est qu'à un certain moment Halifax sera en mesure de soutenir toute la province. C'est essentiellement ce que les gens doivent comprendre. Nous n'en tirerons aucun avantage puisque nous n'avons pas les commissions de transport et que nous ne sommes pas situés suffisamment près d'Halifax. Si notre région ne vous intéresse pas, très bien, mais nous devons assumer de nouveau nos responsabilités. Nous devons commencer à prendre nos propres décisions. Si vous gardez tous ces outils et que vous versez la plus grande part de l'argent du gouvernement fédéral à la région d'Halifax, nous n'avons alors plus aucune chance. C'est vrai pour les transports, pour les ressources naturelles et pour tout le reste, et M. le maire Morgan comprend ce que je dis.
M. Morgan : Concernant les propositions de la FCM, il est évident que nous ne contestons pas les demandes de financement pour l'infrastructure. Toutefois, je suis préoccupé par le fait que la FCM est de plus en plus une organisation de maires et de représentants de grandes villes. Je ne suis pas sûr qu'elle aborde forcément nos problèmes, car, comme l'a souligné M. Whalley, nos problèmes sont beaucoup plus graves et plus complexes. D'une certaine façon, ces grandes villes nous font la concurrence dans une région périphérique. Nous pensons qu'elles sont financées de manière disproportionnée. Toutefois, ne nous croyez pas sur parole. Nous vous exhortons à faire l'analyse dans le contexte de l'obligation constitutionnelle.
Nous ne contestons pas, bien sûr, la demande de transfert de financement ni le fait que ce financement est essentiel. Je me demande toutefois s'il réglera les problèmes des régions périphériques si vous respectez ce qu'elles cherchent. La perte et la régression qui se sont déjà manifestées pourraient s'aggraver.
Le sénateur Murray : Je ne cesse de penser à la comparaison faite entre Cap-Breton et l'Île-du-Prince-Édouard et ce que vous avez dit à propos de cette île. Je ne peux pas m'empêcher de faire remarquer que des élections se sont tenues il y a quelques jours dans l'Île-du-Prince-Édouard. Le gouvernement a été démis de ses fonctions et l'une des raisons était une question électorale où une très importante sous-région de l'Île-du-Prince-Édouard estimait ne pas avoir été traitée de manière équitable par la région centrale. Ce genre de situation existe partout.
Cela dit, votre comparaison est extrêmement intéressante et mérite une analyse plus approfondie que ce que nous avons été en mesure de faire. Je ne crois pas que vous suggérez que la raison principale de la différence est que l'Île-du- Prince-Édouard est une province et que Cap-Breton n'en est pas une. Autrement, vous proposeriez que Cap-Breton devienne une province. Vous êtes conscients que si beaucoup de personnes à Ottawa, qui occupent des postes beaucoup plus élevés que ceux des personnes autour de cette table, pouvaient agir à leur guise, il n'y aurait qu'une seule province à l'Est du Québec.
M. Morgan : Nous ne suggérons pas que cela soit nécessaire pour régler le problème. Il serait juste de dire que nous croyons que le « statu quo » nous mènera au désastre et, à long terme, à la mort d'une certaine façon en tant que centre urbain pour notre région. Le « statu quo » est certainement inacceptable, mais nous disons que la Constitution, si elle est mise en œuvre, donne à toutes les régions de notre province, ainsi qu'à toutes les régions du pays, la possibilité de survivre, mais elle doit être mise en œuvre. Vous devrez donner aux régions les outils, y compris les outils fiscaux, dont elles ont besoin pour survivre.
Le sénateur Murray : Eh bien, oui. J'espère que vous conviendrez que la discussion que nous avons ici vous a donné l'occasion de soulever tous ces points, ce que vous avez très bien fait et je vous en félicite. En ce qui concerne le paragraphe 36(2), le principe des paiements de péréquation versés par Ottawa aux provinces, M. Manley avait raison. Une fois que le chèque est envoyé à la capitale provinciale, le gouvernement fédéral ne s'en occupe plus. Je ne crois pas que vous trouveriez un gouvernement fédéral qui l'ait fait. Je ne pense pas que vous trouveriez un gouvernement fédéral qui dirait au Québec : « Nous vous envoyons un chèque pour la péréquation et vous ne traitez pas équitablement le reste du Québec » ou dirait au gouvernement de la Nouvelle-Écosse : « Vous n'envoyez pas une part équitable à Cap- Breton ou à la côte sud ». Je pense que l'on ne verra jamais cela, certainement pas de cette façon en vertu du paragraphe 36(2).
C'est une question politique qui doit être combattue politiquement aux deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial. Toutefois, le paragraphe 36(1) et les engagements relatifs à l'égalité des chances et à la réduction des disparités régionales pris par les deux ordres de gouvernement est une question politique qui peut être considérée.
M. Morgan : Nous dirons que les programmes du gouvernement fédéral sont similaires.
Le sénateur Murray : Oui, et les juristes devront se prononcer pour déterminer si cela peut donner lieu à des poursuites. Vous irez devant les tribunaux et réglerez le dossier une fois pour toutes.
Vous touchez vraiment au cœur du problème lorsque vous dites que le secteur commercial est relativement modeste au Cap-Breton. Il serait intéressant d'établir une comparaison entre le Cap-Breton et l'Île-du-Prince-Édouard à cet égard. Je ne l'ai pas fait récemment, mais peut-être vous êtes-vous penché sur la proportion de ce que les économistes appellent le « revenu gagné » au Cap-Breton et les revenus de transferts de fonds tels que les pensions, l'assurance- emploi, l'aide sociale et ainsi de suite. J'ignore quels sont les chiffres, mais si vous les avez, il serait intéressant de les connaître. On pourrait voir le niveau général de l'activité économique dans la région.
Le gouvernement fédéral avait instauré le crédit d'impôt à l'investissement au Cap-Breton dans les années 1980. À l'époque, il s'agissait du meilleur crédit d'impôt au pays. Je ne sais pas combien d'organisations autochtones en ont bénéficié, mais cela a attiré plusieurs entreprises dans la ville. Certaines sont restées et d'autres sont parties, alors le mieux qu'on puisse dire concernant le crédit d'impôt à l'investissement au Cap-Breton, c'est qu'il a donné des résultats mitigés. Toutefois, je n'irai pas jusqu'à dire qu'il a été un échec.
Quoi faire à présent? J'aimerais qu'on analyse de manière plus approfondie la comparaison entre l'Île-du-Prince- Édouard et le Cap-Breton. Pour ce qui est du développement économique, je pense qu'il faut s'intéresser au fonctionnement de la Société d'expansion du Cap-Breton. J'imagine que lorsqu'une proposition vient du Cap-Breton, la première réaction de la Nova Scotia Business Incorporated est de croire que le gouvernement fédéral va s'occuper d'elle, sa propre société d'État.
M. Morgan : Il y a de fortes chances.
Le sénateur Murray : J'ignore si c'est attribuable à un manque de financement ou d'imagination de la part du gouvernement fédéral ou si c'est parce que le secteur commercial du Cap-Breton n'est pas assez dynamique pour tirer avantage de la société d'État, mais il faudrait le savoir. Vous avez une université là-bas.
M. Morgan : Je pense que vous avez raison. La plupart des programmes de développement fédéraux et provinciaux sont articulés autour du secteur privé, qui n'est pas très développé en ce moment au Cap-Breton. Si c'est le cas — et il semblerait que oui —, nous devrions envisager d'autres options. Il ne faudrait pas vous fier qu'à un seul modèle. Comme je l'ai déjà dit, il y a bien sûr des cas de réussite, mais, en général, où va le financement? Actuellement, notre région n'en voit pas la couleur. Même si le gouvernement fédéral finance les programmes de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, il n'accorde pas une part disproportionnée au Cap-Breton, mais plutôt à d'autres secteurs plus riches de notre région.
M. Whalley : C'est aussi une question d'échelle. Nous parlons du programme de péréquation municipal dans notre mémoire. Actuellement, il est financé seulement à hauteur d'environ le tiers des dépenses municipales. Notre paiement annuel dépasse les 25 millions de dollars; dans un programme financé à 100 p. 100, notre contribution réelle serait de 75 millions de dollars avec un budget de fonctionnement de 112 millions de dollars. Cet écart, seulement au niveau municipal, est plusieurs fois supérieur à l'aide fédérale au développement économique.
Même si elle était l'organisation la plus rentable au monde, la Société d'expansion du Cap-Breton, la SECB, ne pourrait compenser à elle seule la faiblesse du programme de péréquation municipal ni les lacunes des autres programmes fédéraux ou provinciaux. C'est pourquoi il est nécessaire de procéder à une évaluation. On ne peut pas simplement prendre une entité ou une organisation et croire que certains changements suffiront pour que la SECB modifie le cours des choses. Il y a beaucoup trop de lacunes ailleurs pour qu'elle parvienne à redresser la situation.
Le sénateur Murray : Quelqu'un a-t-il une stratégie de développement économique pour le Cap-Breton? En existe-t- il une?
M. Whalley : Pour l'instant, il est évident que non. Le Cap-Breton compte cinq municipalités. Nous avons essayé de régler le problème de la péréquation municipale. Comme d'autres l'ont fait valoir devant le comité, il y a deux éléments fondamentaux : tout d'abord, le programme de péréquation, qui vise essentiellement à soutenir et à stabiliser les régions; et ensuite, le développement économique. Nous n'avons ni un ni l'autre; c'est pourquoi nous cherchons d'abord à atteindre la stabilisation; le développement économique viendra après.
M. Morgan : En effet, la Société d'expansion du Cap-Breton est un endroit de prédilection où se font souvent filmer les politiciens. Je dois avouer que je me suis moi-même prêté au jeu.
Le sénateur Murray : Je pense que vous avez manqué quelques occasions.
M. Morgan : Vous avez tout à fait raison. Il reste que tout cela est très superficiel et qu'on oublie d'analyser si l'économie, dans son ensemble, se redresse et si la situation démographique se stabilise. Voilà le problème.
On peut faire de la publicité avec peu d'argent, alors qu'en fait, il y a des dizaines de millions de dollars — et certains diraient même des centaines de millions de dollars — qui sont siphonnés dans la région à cause d'une répartition inefficace du financement au titre de la péréquation.
Nous sommes aux prises avec des problèmes de péréquation et le financement insuffisant des services locaux. En même temps, les images qu'on voit dans les médias laissent croire à certaines personnes — au sein de la population et peut-être dans les plus hautes instances gouvernementales — que l'économie se porte bien. En attendant, la population cherche quelque chose de mieux ailleurs; elle déménage en Alberta, à Fort McMurray et dans d'autres régions plus prospères.
Le sénateur Murray : Ce qui frappe, en Nouvelle-Écosse, c'est que 14 des 18 comtés connaissent une baisse de leur population. C'est un problème dont devraient se préoccuper les gouvernements provincial et fédéral.
M. Whalley : C'est ce que nous pensons aussi. Pourtant, cette année, les deux priorités du gouvernement néo- écossais en matière de développement économique ont été la porte d'entrée de l'Atlantique et la soumission pour les Jeux du Commonwealth, à un moment où 14 régions sur 18 accusaient un recul démographique.
Le sénateur Murray : La mine de charbon à Donkin est-elle sur le point de rouvrir? Je devrais poser cette question au nom de l'ancien sénateur Buchanan.
M. Morgan : Il n'y a pas eu d'annonce officielle. On est en pleine analyse pour l'instant et on procède à des travaux de nettoyage de la mine. Je pense qu'on est confiant qu'elle rouvrira ses portes d'ici quelques années.
Le problème, aujourd'hui, c'est la nature de l'exploitation minière. Une mine exige beaucoup moins de main- d'œuvre que par le passé. Une mine moderne pourrait employer plusieurs centaines de personnes, mais jamais 1 500 ou 2 000 comme auparavant. Toutefois, c'est une activité économique à envisager, bien qu'on ne prévoie pas une hausse importante du revenu découlant de cette source pour les municipalités. Comme la plupart de ses activités sont souterraines, la mine ne fait pas vraiment partie de notre assiette de calcul.
Le sénateur Murray : Effectivement.
M. Morgan : Toutefois, ce serait très bénéfique, compte tenu de la création d'emplois dans la région.
Le sénateur Murray : Qu'en est-il de l'argent qui a été consacré aux étangs bitumineux? Il s'agit d'une industrie en soi, n'est-ce pas?
M. Morgan : Il s'agissait d'une industrie, et on espère que le projet d'assainissement sera entrepris sous peu et qu'il entraînera d'importantes retombées économiques. Toutefois, comme vous le savez sans doute, nous attendons depuis de nombreuses décennies, alors je ne me risquerais pas à me prononcer sur une date précise.
Le président : Monsieur Whalley, plus tôt, vous avez parlé du programme de péréquation municipal en Nouvelle- Écosse. Certains de nos auditeurs pourraient avoir confondu le terme « programme de péréquation » avec celui que nous avons déjà étudié, c'est-à-dire le programme fédéral de transfert de fonds aux diverses provinces. Je tenais à le préciser.
Les municipalités nous ont souvent répété à quel point il était important d'avoir des programmes prévisibles et permanents, et je suis sûr que vous êtes d'accord avec elles. Le transfert des recettes de la taxe sur le carburant, de même que les programmes connexes, vous touchent-ils directement?
M. Morgan : Absolument, et tout comme la Fédération canadienne des municipalités et notre organisation provinciale, nous estimons qu'il est nécessaire d'avoir un financement stable, prévisible et croissant.
Le président : Plusieurs témoins ont insisté sur l'annonce qu'a faite le gouvernement, dans son dernier budget, selon laquelle le Transfert canadien en matière de programmes sociaux et le Transfert canadien en matière de santé seront tous deux — mais un plus rapidement que l'autre — assortis d'un facteur de progression fixe de 3 p. 100. Est-ce que cela vous concerne directement?
M. Morgan : Pas particulièrement. Bien entendu, on s'inquiète du fait que le programme fédéral de péréquation s'aligne sur une formule de financement par habitant et des changements qui en découleront. Cette formule n'aura pas de conséquences directes sur nous, du moins à court terme, notamment à cause de la façon dont la province traite notre région. Toutefois, je suis extrêmement préoccupé par ce que vous dites à ce sujet. Cela ne serait pas conforme aux principes constitutionnels. Je respecte ce qu'ont déclaré les autres témoins du ministère des Finances, mais il est difficile de concevoir un financement de ces programmes calculé au prorata de la population, à moins qu'on ajuste parallèlement d'autres aspects du programme de péréquation. Vous pourriez voir l'un des gouvernements provinciaux invoquer le même type d'argument juridique devant les tribunaux qu'aujourd'hui si le système prend forme un jour.
Le sénateur Murray : Je ne voudrais pas que vous sous-estimiez le facteur de progression du Transfert canadien en matière de santé. Il n'est pas fixé à 3 p. 100. Il augmentera au cours des années pour atteindre 6 p. 100 d'ici 2013-2014. Il faut savoir reconnaître qu'il s'agit d'une réalisation du gouvernement Martin. Le facteur de 3 p. 100 commencera à augmenter en 2009 avec le Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Ce n'est pas encore suffisant pour financer l'enseignement postsecondaire.
La question est de savoir si on doit opter ou non pour une formule de financement par habitant pour ce qui est des transferts en matière de programmes sociaux et de santé parce que cela aurait pour effet d'éliminer la péréquation qui était associée au transfert de points d'impôt depuis 1977. Cela n'est pas viable et devra être revu. À mon humble avis, cela ne peut plus fonctionner et coûte très cher aux provinces, sauf à l'Ontario et à l'Alberta.
M. Morgan : Ce n'est pas viable à long terme. Pour l'instant, il s'agit davantage d'un enjeu fédéral et provincial que municipal.
Le sénateur Murray : Cela peut concerner vos hôpitaux, votre université et les programmes d'assistance sociale mis en place en Nouvelle-Écosse.
M. Morgan : Cela soulève de vives inquiétudes, et à mesure que les programmes seront mis en œuvre, on assistera de plus en plus à des plaintes des gouvernements provinciaux, qui auront réalisé ce que signifient réellement ces changements.
Le président : Merci pour cette précision.
Messieurs Morgan, Ryan et Whalley, nous vous remercions de vous être déplacés, depuis le Cap-Breton jusqu'ici, pour nous entretenir de l'équilibre fiscal. Vous avez fait valoir d'excellents arguments, et votre mémoire nous sera très utile pour nos futures délibérations.
La séance est levée.