Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 18 - Témoignages du 19 juin 2007 - Séance du soir


OTTAWA, le mardi 19 juin 2007

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 23 pour étudier le projet de loi C-52, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2007.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des finances nationales. Mon nom est Joseph Day. Je représente la province du Nouveau-Brunswick au Sénat.

[Traduction]

Notre comité s'intéresse aux dépenses du gouvernement, tant celles effectuées directement aux termes du budget que celles effectuées indirectement en vertu des projets de loi qui lui confèrent un pouvoir d'emprunt ou qui se rapportent aux dépenses proposées dans le budget. Aujourd'hui, nous examinons le projet de loi C-52, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 mars 2007.

Ce soir, nous avons le plaisir d'accueillir l'honorable John C. Crosbie, consultant et conseiller au cabinet Cox & Palmer. M. Crosbie est accompagné par Roland Martin, président de Martillac Limited.

M. Crosbie a été nommé officier de l'Ordre du Canada en 1998. Auparavant, il avait été responsable de divers portefeuilles au sein du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, de 1966 à 1976; et au gouvernement du Canada, où il a été ministre des Finances de 1979 à 1980 et de 1984 à 1993; ministre de la Justice et procureur général du Canada de septembre 1984 à juin 1986; ministre des Transports, ministre du Commerce international; ministre des Pêches et des Océans; et ministre responsable de l'APECA.

M. Martin possède une vaste expérience de la direction dans les secteurs privé et public. Il a occupé des postes de président et de PDG au sein de plusieurs organisations, y compris d'une entreprise inscrite à la Bourse de Toronto. Il a aussi été le sous-ministre des Finances de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Il a enseigné les finances, l'investissement et la politique de l'entreprise dans une université canadienne. Il a aussi été courtier. Il a écrit sur des questions de politique publique et il a dirigé pendant plus de 20 ans le quatrième service public d'électricité au Canada.

Messieurs, nous sommes honorés que vous nous apportiez votre contribution dans le cadre de l'étude du projet de loi C-52. Nous allons d'abord écouter vos observations, et il y aura ensuite une période de questions.

L'honorable John C. Crosbie, C.P., c.r., associé, Cox & Palmer, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je signale d'emblée qu'à l'époque où M. Chrétien était toujours premier ministre, il nous avait rendu visite à St. John's. Il avait reçu un grade honorifique de l'Université Memorial, dont je suis le chancelier. Pendant qu'il était là, je lui ai dit que le seul Sénat auquel je n'avais jamais été nommé était celui de la Memorial et qu'il pourrait bien entendu remédier à cet état de choses quand bon lui semblerait. Toutefois, il n'a pas cru bon de le faire. À mon âge, la seule façon d'aller au Sénat consiste à comparaître devant vous. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas lieu de s'en faire, puisque j'ai passé l'âge pour être sénateur. Je suis heureux de comparaître devant vous, car je sais d'expérience que les comités sénatoriaux sont très compétents. Je n'essaie pas de vous amadouer; le comité rassemble une grande richesse d'expérience. C'est pourquoi nous avions hâte de venir témoigner.

M. Martin et moi cumulons une expérience considérable dans le dossier des accords. Il y a très peu d'accord autour des accords. Nous ne représentons personne aujourd'hui. Nous ne représentons pas le gouvernement de Terre-Neuve- et-Labrador, ni celui de la Nouvelle-Écosse. Nous sommes ici en notre nom personnel, en tant que citoyens intéressés qui possèdent une certaine expérience de ces questions. Nous avons participé aux négociations de 1985 et de 1986 ainsi qu'aux négociations officieuses qui ont eu lieu depuis avec les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve- et-Labrador. Aujourd'hui, nous intervenons à titre personnel, car nous sommes préoccupés par ces questions.

Nous nous intéressons particulièrement aux dispositions du budget qui ont une incidence sur l'accord conclu en 2005 entre le gouvernement du Canada et les gouvernements de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse.

Je veux que ma position soit très claire : je crois fermement, comme beaucoup de gens, que la mesure législative dont vous êtes saisis contrevient aux accords. Le gouvernement fédéral et les provinces ont signé ces accords, qui stipulent que le consentement des deux parties est obligatoire pour effectuer des modifications. Les changements considérables que le projet de loi propose d'apporter aux accords n'ont été approuvés ni par Terre-Neuve-et-Labrador, ni par la Nouvelle-Écosse.

À n'en pas douter, l'objectif de l'accord de 2005 était de faire en sorte que Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse deviennent les principaux bénéficiaires des recettes tirées de l'exploitation de leurs ressources extracôtières. Voilà l'objectif premier de ces accords et de leurs prédécesseurs.

Ces accords ont aussi permis au gouvernement du Canada de réaliser d'autres objectifs, comme résoudre les différends sur les ressources extracôtières afin d'assurer la sécurité de l'approvisionnement. La plupart des dispositions concernant les objectifs du gouvernement fédéral ont été respectées, mais il n'en est pas de même pour certaines des dispositions qui se rapportent aux objectifs des deux provinces.

Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, ce que nous critiquons dans le budget, c'est qu'il contrevient à l'entente de 2005 sur les recettes tirées de l'exploitation des ressources extracôtières, qui a été signée et approuvée dans la législation par le gouvernement du Canada.

Le site web du ministère fédéral des Finances décrit l'entente de 2000. Cette description correspond à ce que nous écrivons dans notre mémoire. Voici ce qu'on peut lire dans le site web :

Le 14 février 2005, le gouvernement du Canada a conclu une entente avec la province de la Nouvelle-Écosse, qui s'appuie sur l'Accord de 1986 et qui, pour une période limitée, protège la province complètement de toute réduction de ses droits de péréquation résultant de l'inclusion dans le programme de péréquation des revenus qu'elle tire des ressources extracôtières. Cette entente est en reconnaissance des défis économiques et financiers particuliers à la province.

Dans ce site web, le gouvernement du Canada reconnaît ce que nous soutenons. Il affirme que les paiements compensatoires versés en vertu des accords de 1985 et 1986 et de l'entente de 2005 sont exclus du programme de péréquation.

Je trouve très décourageant que les différends entourant l'accord soient mêlés à la péréquation. L'objet de votre étude et de la controverse, à l'heure actuelle, ce sont les accords. La péréquation est accessoire aux accords. Il y a tout ce débat compliqué qui tourne autour de la péréquation, et je suis sûr que le gouvernement fédéral croit qu'il sèmera suffisamment la confusion dans l'esprit des Canadiens pour détourner leur attention du vrai problème. Le vrai problème, c'est que le gouvernement du Canada est contrevenu à une entente bilatérale qu'il avait conclue avec deux provinces.

En ce qui concerne la péréquation, soit dit en passant, Terre-Neuve-et-Labrador ne sera sûrement plus admissible à la péréquation d'ici deux ou trois ans. Nous n'essayons pas d'avoir le beurre et l'argent du beurre. Nous connaissons l'objectif du programme de péréquation. Aussi, nous savons que lorsque notre revenu par habitant aura rejoint la moyenne canadienne, nous ne serons plus admissibles à la péréquation. Nous ne remettons pas cela en question, mais nous ne sommes pas encore rendus là. Nous n'essayons pas de recevoir de la péréquation en plus des avantages que nous procure l'accord. Le Globe and Mail a indiqué à tort que nous avions le beurre et l'argent du beurre. Le Globe and Mail est un excellent journal, mais il lui arrive de se tromper, comme nous le constatons de temps à autre.

Malgré l'entente qui a été signée et les mesures législatives qui ont été adoptées depuis — et malgré la façon dont le ministère fédéral des Finances décrit lui-même cette entente — le projet de loi dont vous êtes saisis modifie unilatéralement l'arrangement convenu et établit un arrangement fiscal différent pour la Nouvelle-Écosse et Terre- Neuve-et-Labrador. Le gouvernement affirme que nous avons la possibilité de choisir, mais, comme vous le savez, aucune des deux provinces ne dispose d'un choix réel, car ce choix sera permanent. La Nouvelle-Écosse a obtenu un délai d'un an pour faire connaître sa décision, tout comme Terre-Neuve. On ne devrait pas avoir à choisir. Le gouvernement du Canada devrait honorer ces accords dans leur intégrité et respecter la lettre et l'esprit de ces ententes bilatérales en matière de développement économique, car c'est ce dont il s'agit. Ces accords sont d'une durée limitée et, dès que l'une des deux provinces cesse d'être admissible à la péréquation, elle cesse également d'être admissible à ces paiements compensatoires uniques. Nous acceptons qu'il en soit ainsi, tout comme le reste de la province. Une fois que notre capacité financière se situera dans la moyenne nationale, nous n'aurons aucune raison de nous opposer à la cessation des paiements de péréquation. C'est toute la raison d'être de l'arrangement.

Le projet de loi que vous êtes en train d'étudier transforme négativement les conséquences financières découlant de l'entente de 2005. Il a fallu conclure une autre entente en 2005 parce que celles de 1985 et de 1986 n'avaient pas permis à la Nouvelle-Écosse ni à Terre-Neuve de devenir les principales bénéficiaires des recettes tirées de l'exploitation des ressources gazières et pétrolières situées au large de leurs côtes. En effet, à un moment donné, Terre-Neuve bénéficiait de seulement 12 p. 100 des recettes tirées de ses ressources extracôtières à cause de tout l'argent récupéré, et ainsi de suite, alors que le gouvernement du Canada, par le biais de l'impôt, et les autres provinces se partageaient environ 88 p. 100 de leurs recettes. Les ententes ne fonctionnaient pas. Elles n'atteignaient pas leurs objectifs.

Des négociations ont eu lieu de 1985 à 1986 ainsi qu'à d'autres moments par la suite, principalement pendant la période durant laquelle M. Martin était ministre des Finances. Aucun changement n'est survenu jusqu'en 2005. Ce dossier ne date pas d'hier. Si l'on en retrace l'évolution, on constate qu'il en a été question pour la première fois sous le régime de M. Trudeau, qui avait renvoyé l'affaire à la Cour suprême du Canada. La cour avait conclu que les ressources extracôtières appartenaient au gouvernement du Canada. Le gouvernement du Canada avait alors proposé aux provinces d'adopter une formule de gestion mixte et des arrangements financiers à titre de compromis. Ces questions font l'objet d'un débat depuis fort longtemps, et diverses options ont été proposées en ce qui a trait aux avantages qui devraient être conférées aux provinces. Je n'ai pas le temps de les présenter en détail, mais elles ne se limitent pas toutes à dire que nous devrions être les principaux bénéficiaires et que nous devrions avoir la part du lion, ni à décrire ce que les provinces obtiendraient.

Il y aura de graves conséquences nocives sur le plan financier si le projet de loi C-52 est adopté tel quel. Le fait est que le gouvernement a modifié deux ententes signées sans consulter au préalable ses partenaires. Le projet de loi ne propose pas une nouvelle formule de péréquation fondée sur des principes; il modifie la formule de péréquation d'une façon telle qu'il y a violation de l'accord conclu en 2005.

L'article 2 de l'accord daté du 14 février 2005 stipule que :

[...] le gouvernement du Canada a l'intention de verser à la province des paiements additionnels pour compenser la réduction des droits de péréquation associée aux revenus tirés des ressources extracôtières, lui permettant ainsi de conserver la totalité des revenus tirés des ressources extracôtières.

En d'autres termes, il n'y avait ni récupération, ni plafond. Cependant, comme vous le savez, sous le régime du nouvel arrangement proposé, il y aura des plafonds et de la récupération.

Les deux provinces ont honoré les principes de l'arrangement conclu en 2005. Elles ont consacré les paiements initiaux au remboursement de leur dette — 830 millions de dollars pour la Nouvelle-Écosse et 2 milliards de dollars pour Terre-Neuve-et-Labrador. Elles ont fait ce qu'elles étaient tenues de faire : elles ont réduit leur fardeau fiscal élevé. Cependant, des experts disent maintenant qu'il y a un risque réel que ces paiements initiaux soient partiellement récupérés en vertu du budget de 2007. Ce risque est moindre tant dans le cas de Terre-Neuve que dans celui de la Nouvelle-Écosse, car, en comparaison avec cette dernière, Terre-Neuve tire une plus grande partie de ses revenus de ses ressources pétrolières extracôtières.

L'idée centrale exprimée dans les accords de 1985 et de 1986 était que les deux provinces avaient le droit d'être les principales bénéficiaires des ressources pétrolières situées dans leur zone extracôtière. L'article 60 de l'Accord atlantique stipule que :

Les gouvernements sont convenus de subordonner à leur consentement mutuel les modifications aux lois ou règlements de mise en œuvre de l'Accord.

La proposition dont vous êtes saisis viole clairement ce droit.

À notre avis, le gouvernement du Canada pourrait encore honorer pleinement ses ententes de 2005. Pour ce faire, il lui suffirait d'adopter un simple amendement, qui figure à la page 4 de notre document.

Le plafonnement de la capacité fiscale dans la nouvelle formule de péréquation continuerait de s'appliquer à tous les revenus tirés des ressources naturelles, à l'exception de ceux tirés des ressources extracôtières définis dans les accords de 2005 et des paiements compensatoires connexes, et ce, pour toute la durée de ces accords.

Si le gouvernement adoptait ce simple amendement, le problème serait résolu et il ne violerait plus les deux accords qu'il a conclus avec les deux provinces. Les bienfaits qui découleraient de cet amendement sont décrits dans le paragraphe suivant, mais je vais m'abstenir de le répéter.

Par ailleurs, l'adoption de cet amendement rétablirait la crédibilité des ententes bilatérales fédérales-provinciales existantes et futures, ainsi que la confiance à leur égard. Les Canadiens seraient davantage convaincus que lorsque le gouvernement du Canada donne sa parole, il la tient; il ne se réfugie pas dans de faux choix ni dans des interprétations retorses relativement aux ententes bilatérales qu'il a signées. Je trouve non seulement fallacieux, mais aussi malhonnête de la part du gouvernement d'affirmer qu'aucun changement n'a été apporté aux accords de 2005. Bien sûr qu'il y a eu des changements. Le fondement même de ces deux accords a été violé. Le gouvernement devrait adopter notre amendement pour rehausser sa crédibilité et la confiance à son égard.

Notre amendement aurait essentiellement le même effet que celui proposé par le premier ministre MacDonald plus tôt aujourd'hui.

Je suis un conservateur, mais je n'approuve pas la conduite du gouvernement conservateur relativement à l'entente de 2005. J'espère qu'il n'est pas trop tard pour faire des changements dans la législation. Je vais continuer d'appuyer le Parti conservateur, même s'il m'a déçu dans ce dossier, parce qu'il existe beaucoup d'autres raisons pour lesquelles je ne veux pas appuyer un parti de rechange. J'estime que le système politique canadien est devenu presque dysfonctionnel à cause qu'un parti — et nous savons tous lequel — a détenu le pouvoir pendant si longtemps. Pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir avec ce débat, donc, je continuerai d'appuyer le gouvernement conservateur actuel. Cependant, je ne vais pas prétendre qu'on respecte l'accord lorsque, de toute évidence, on ne le respecte pas. Je n'accepterai pas qu'on se fiche de la tête des gens en leur disant que rien n'a changé. Nous ne sommes pas stupides à ce point, la population n'est pas stupide à ce point, et les sénateurs ne sont certainement pas stupides à ce point — hormis de très rares exceptions, peut-être.

Le sénateur Angus : Je suis stupide d'être tombé dans ce piège.

M. Crosbie : Je suis navré de penser que ce pourrait être le cas, mais enfin. Je ferais mieux de poursuivre mes observations, car je ne veux pas prendre trop temps.

Voilà donc pourquoi je témoigne devant le comité aujourd'hui. Mon parti a proposé un amendement, et je prie le premier ministre et son gouvernement de l'adopter. Cela ne coûtera pas grand-chose à la population canadienne. Nous n'allons pas garder à la fois le beurre et l'argent du beurre. Nous ne l'avons même pas encore, le foutu beurre. Laissez- nous d'abord avoir le beurre. C'est tout ce que nous voulons, mais on nous l'enlève. On nous accuse d'avoir le beurre et de vouloir de la péréquation en plus. Nos paiements de péréquation sont déjà en baisse depuis quelques années. En quelques années seulement, ils sont passés de 1,2 milliard de dollars à 477 millions de dollars. Nous ne nous en plaignons pas, car le gouvernement de Terre-Neuve a beaucoup augmenté ses revenus grâce aux ressources extracôtières. Je ne déplore pas la baisse de nos paiements de péréquation. Je m'en réjouis, car cela signifie que nous devenons plus indépendants et que l'argent dont nous disposons n'est pas le fruit de transferts, mais plutôt notre propre argent. Cela vaut beaucoup mieux que de recevoir des transferts du gouvernement canadien.

Alors, messieurs, j'espère que vous trouverez un moyen de faire adopter l'amendement que nous avons suggéré et que le gouvernement collaborera avec vous à cette fin. J'ai toujours espoir que le gouvernement reviendra sur sa décision. Merci de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité.

Le président : Merci, monsieur Crosbie. Monsieur Martin, voulez-vous prendre la parole ou seulement répondre à des questions?

Roland Martin, président, Martillac Limited : Ce serait une bien lourde tâche que d'essayer de suivre John Crosbie. Je suis d'accord avec lui. Nous avons travaillé avec M. Hamm, le premier ministre Grimes et le premier ministre Williams afin de remédier à l'échec des accords de 1985 et de 1986 sur le plan financier. Je crois que les ententes de 2005 furent bénéfiques pour le Canada.

Il est très intéressant de repenser au discours prononcé par le ministre des Finances du Canada la veille de la signature de l'entente, le 13 février 2005. Une lettre avait été envoyée à Loyola Sullivan, car il avait exprimé des préoccupations quant à l'interprétation de l'entente. Voici ce que M. Goodale a dit — je vais citer seulement deux passages de la lettre, mais je vous invite à la lire en entier. Je cite :

[...] vous dites craindre que les dispositions législatives portant sur le calcul deviennent ambigües ou sujettes à des interprétations imprévues si le programme de péréquation subit d'importants changements dans l'avenir [...]

[...] Par la présente, je m'engage auprès de votre gouvernement, au nom du gouvernement du Canada, à solliciter et à prendre en considération l'avis d'un expert indépendant reconnu si, pendant la durée de notre entente, un désaccord survient relativement au calcul établi à l'article 4 [...]

L'article 4 est très simple, mais c'est là que se trouve l'essentiel. Cependant, cet article a été abandonné et nous nous retrouvons avec une mesure législative compliquée que la plupart des gens n'arriveraient pas à comprendre. Mais ce n'est pas tout. En plus de contrevenir à l'entente de 2005, cette mesure législative propose aussi de modifier unilatéralement l'Accord atlantique et sa loi de mise en œuvre. Si l'on veut parler de détails juridiques, nous avons là une question d'ordre juridique; c'est la loi qui est en cause.

Personne n'a vraiment parlé du précédent très significatif qui sera créé au chapitre des transferts fédéraux. Je le note au passage, mais c'est l'une des choses qui sont ressorties de ce malheur. L'inclusion du paiement compensatoire dans le calcul du plafond de capacité fiscale de Terre-Neuve-et-Labrador, comme le prévoit la nouvelle formule de péréquation, constitue un précédent. Le paiement compensatoire, qui est un transfert fédéral, est inclus à l'étape quatre dans le calcul du plafond de capacité fiscale de la province. À ma connaissance, c'est la première fois qu'on traite un transfert fédéral comme une subvention destinée au secteur de l'aéronautique, au secteur de l'automobile, à la porte d'entrée ou à l'industrie du blé. Le Canada est un pays merveilleux à bien des égards, et un pays où l'on collabore les uns avec les autres, mais imaginez si M. McGuinty, par exemple, avait témoigné aujourd'hui pour contester l'inclusion des paiements de transfert dans le calcul de la capacité fiscale de sa province. C'est pourtant ce qu'on a fait à Terre- Neuve-et-Labrador et à la Nouvelle-Écosse. C'est un manquement très grave au protocole qui régit les rapports financiers entre le gouvernement fédéral et les provinces.

Cette question nous interpelle évidemment beaucoup en tant que citoyens. Nous sommes très déçus que le gouvernement du Canada n'ait pas jugé bon de faire des changements, mais nous continuons d'espérer qu'il viendra à la raison.

Le président : Merci, monsieur Martin. Vous avez soulevé un bon point.

J'ai ici les noms de dix sénateurs qui aimeraient poser des questions. Nous allons d'abord écouter le parrain du projet de loi pour le gouvernement, le sénateur Angus de Montréal, au Québec.

Le sénateur Angus : Monsieur Crosbie, je vous ai connu en tant que libéral, conservateur, collègue du barreau et ami. Je suis ravi de vous voir ici. Vous semblez en excellente forme.

Vous faites une équipe formidable tous les deux. Je me demandais simplement, tout d'abord, comment vous en êtes venus à faire équipe.

M. Crosbie : À l'époque où j'étais le ministre des Finances de Terre-Neuve, j'ai invité M. Martin, qui enseignait à l'Université Memorial, à travailler pour nous au ministère. Il a ensuite étudié notre système de régie d'alcool. Nous nous sommes toujours intéressés à ce domaine. J'avais un système très médiocre pour la régie de l'alcool et M. Martin a rédigé un rapport à ce sujet. Il s'est si bien démarqué au ministère des Finances que, plus tard, après mon départ, il a été nommé sous-ministre des Finances de la province, un poste qu'il a occupé pendant quelques années. C'est un personnage inhabituel, car il n'est pas resté dans la bureaucratie après y avoir gravi les échelons. Il a quitté la bureaucratie de sa propre initiative pour entrer dans le secteur privé, où il a également fait sa marque. Comme je l'ai mentionné, nous travaillons ensemble à ce dossier depuis un certain nombre d'années maintenant, de façon officieuse, afin d'aider les premiers ministres de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse qui sont concernés par cette question. Mon collègue n'aime pas qu'on le dise un expert, mais je le considère très aguerri et très savant dans le domaine des finances publiques et, en particulier, lorsqu'il s'agit des relations fédérales-provinciales.

C'est la nature de nos rapports. Je n'ai jamais fait un sou avec lui et il n'a jamais fait un sou avec moi, mais nous aimons ce que nous faisons. C'est pourquoi nous sommes ici, c'est-à-dire parce que nous croyons que Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse défendent une cause juste. Nous ne sommes pas là pour saigner les contribuables canadiens. Nous voulons bien sûr les mettre à contribution, mais nous voulons aussi les laisser respirer.

En d'autres mots, nous ne voulons pas saigner à blanc la carcasse du Canada; nous voulons qu'elle continue de nous alimenter en sang. Voilà ce que nous espérons faire.

Le sénateur Angus : Monsieur Martin, M. Crosbie a dit qu'il témoignait à titre de citoyen public, de façon bénévole. Je suppose que c'est aussi votre cas?

M. Martin : Absolument.

Le sénateur Angus : Cela me déçoit un peu. Vous m'avez dit tout à l'heure que vous pratiquez toujours le droit et j'espérais que votre témoignage vous donnerait au moins un petit quelque chose.

M. Crosbie : On ne vérifie pas mes heures facturables; je peux relaxer.

Le sénateur Angus : Vous avez peut-être manqué une occasion, mais vous êtes ici, et j'en suis fort heureux. Vous avez dit « codswallop » entre autres choses dont j'ignore le nom en français, au Québec, mais vous avez aussi attaqué le Globe and Mail, ce que j'ai trouvé très charmant. Pourtant, vous et M. Martin avez publié un long texte ce matin dans le Globe and Mail. Était-ce pour remettre les choses au clair?

M. Crosbie : C'est très difficile de corriger le Globe and Mail, mais il faut bien essayer.

Le sénateur Angus : Ce matin, dans l'autre journal que vous devez lire assez souvent si vous êtes toujours un conservateur, le National Post, il y avait un article intitulé : « Cupidité sans bornes au Canada atlantique ». Cet article, rédigé par Lorne Gunter d'Edmonton, portait sur cette question, une question que nous cherchons tous à comprendre — et vous nous avez donné un bon coup de main à cet égard.

M. Gunter a écrit ceci :

Selon l'Atlantic Institute for Market Studies de Halifax, l'Ontario se classe troisième au chapitre de la capacité fiscale, derrière l'Alberta et la Colombie-Britannique avant péréquation, mais glisse au dernier rang après la péréquation. En effet, comme l'a indiqué mon collègue Andre Coyne la semaine dernière : « À l'exercice 2007- 2008, le revenu par habitant de Terre-Neuve, péréquation incluse, s'élève à 7 094 $, comparativement à 6 631 $ pour l'Ontario.

Il ajoute :

L'Ontario dispose de 2,7 lits d'hôpital par millier d'habitants, contre 3,4 à l'Île-du-Prince-Édouard, 4 en Nouvelle-Écosse et 5,3 au Nouveau-Brunswick. L'Ontario compte 30 p. 100 moins d'infirmières par habitant que la moyenne des provinces de l'Atlantique, et beaucoup moins de médecins également.

Gardez cela à l'esprit la prochaine fois que vous entendrez le premier ministre de Terre-Neuve, Danny Williams, et le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Rodney MacDonald, clamer que le premier ministre Stephen Harper a violé l'Accord atlantique.

Il écrit ensuite : « Harper n'a rien fait de tel ».

Messieurs, votre thèse principale consiste à dire que l'entente n'a pas été respectée. J'ignore si vous parlez des trois accords ou de celui de 2005 seulement, mais vous y viendrez sans doute. On peut également lire, dans l'article du National Post, que le premier ministre Harper :

[...] a dit aux provinces de l'Atlantique qu'elles pouvaient conserver l'Accord atlantique, qui exclut les recettes tirées de leurs richesses naturelles du calcul de la péréquation, ou opter pour des paiements de péréquation plus élevés aux termes du budget de ce printemps, mais 50 p. 100 des recettes tirées de leurs ressources naturelles seraient alors prises en compte dans le calcul. Elles peuvent choisir la formule qui leur convient le mieux et elles peuvent même alterner chaque année pour maximiser leur péréquation.

L'article conclut : « Appeler cela une promesse rompue, c'est le summum de la démagogie ».

Vous aurez sûrement une réplique intéressante, mais, comme je l'ai dit au Sénat l'autre jour, je connais Danny Williams personnellement, ainsi que M. MacDonald et vous-même, tout comme MM. Flaherty et Harper. Vous êtes tous des personnes très intelligentes, cohérentes et brillantes qui agissent de bonne foi, je pense.

Mais si vous êtes tous de bonne foi, comment se fait-il alors que vous ayez des interprétations aussi différentes du même document? Cela me pose un dilemme que vous pourrez peut-être m'aider à résoudre.

M. Martin : Je ne connais pas M. Gunter, mais il a tort. Premièrement, il n'est pas possible d'alterner entre les deux formules, donc la dernière partie de sa déclaration est erronée. Il ne faut pas voir beaucoup plus loin que le bout de son nez pour juger une économie de 50 ans uniquement par sa capacité fiscale, et cela vaut aussi pour l'Atlantic Institute for Market Studies. M. Crosbie est l'un des vice-présidents de l'institut, alors nous lui pardonnerons cet égarement.

La Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve sont les deux provinces qui ont la dette par habitant la plus élevée. Notre revenu par habitant est faible et nos taux de chômage sont toujours beaucoup plus élevés que dans le reste du pays — Terre- Neuve affiche un taux de 14,8 p. 100, alors que la moyenne canadienne est de 6,3 p. 100. La Nouvelle-Écosse affiche un taux de chômage de 7,9 p. 100, mais Halifax est en plein essor; ce taux n'est donc pas représentatif de toutes les régions.

Lorsque l'on jette un coup d'œil sur les autres indicateurs, on constate une lente amélioration, qu'il s'agisse du taux d'imposition des sociétés ou du taux d'imposition des particuliers par rapport à la moyenne canadienne. Du point de vue du PIB, Terre-Neuve ressemble à l'Irlande; tout le monde s'émerveille de son PIB. Cependant, le PIB mesure seulement l'activité économique, c'est-à-dire les biens et les services, mais pas les terres. Tout le pétrole à 68 $US le baril qui est acheminé à St. John ou aux États-Unis est compris dans le PIB. Bien que cette activité ait une incidence positive sur l'économie, elle fausse considérablement les données liées au PIB. L'Irlande est un cas similaire et vous le constaterez si vous examinez un peu ce qui se passe là-bas.

Ce n'est pas une question d'interprétation. Il s'agit d'une entente. Lorsque M. Harper a annoncé cette politique, qui était une politique de péréquation, il m'a cité dans son premier communiqué pour étayer son propos selon lequel les ressources non renouvelables devaient être exclues de la péréquation. Il était alors le plus grand détracteur de M. Martin — aucun lien de parenté — et, lorsque Paul Martin s'est finalement rendu à l'évidence que Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse n'étaient pas les principales bénéficiaires, il partageait entièrement ce point de vue et appuyait entièrement l'entente. Comment alors en sommes-nous venus à cette impasse?

Nous en sommes arrivés là à cause de la commission O'Brien, qui a été mandatée par M. Martin pour examiner la péréquation après que M. Martin lui-même l'a complètement bousillée en instaurant des montants fixes croissant à un taux de 3,5 p. 100 par année, anéantissant ainsi tous les principes du programme. Cependant, il faut reconnaître tout le mérite qui lui revient, car il a ensuite dit qu'il nommerait une commission pour nous dire quoi faire. Bien sûr, il est parti et M. Harper est arrivé. Le rapport est ensuite sorti, et il boucle la boucle relativement à un point essentiel. Personne ne dira que ce n'est pas une bonne formule de péréquation. Elle élimine la complexité et l'iniquité découlant de l'utilisation de 33 assiettes fiscales; la formule est prévisible — ce sont tous des points positifs. Toutes les provinces sont incluses; les revenus pris en compte sont les revenus réels dans la plupart des cas, hormis deux exceptions majeures — l'hydroélectricité au Québec et au Manitoba. Elle ne remédie pas à la totalité de ces questions, mais, honnêtement, c'était un bon programme jusqu'à ce que la commission O'Brien fasse disparaître l'un des principes fondamentaux de la péréquation.

L'un des principes fondamentaux de la péréquation, c'est l'absence de plafond. Il ne devrait pas y avoir de plafond, car si le secteur de l'automobile connait un déclin et que l'économie de l'Ontario ralentit, les fonds de péréquation diminueront. De la même façon, ils pourraient augmenter. Il ne devrait donc pas y avoir de plafond, ni de plancher. Il y a maintenant un plafond qui ne s'applique qu'à trois provinces, et qui, à l'heure actuelle, ne s'applique de manière significative qu'à deux ententes bilatérales.

Ce n'est pas une question d'interprétation. Le problème, c'est que nous avons une entente qui n'est plus celle que les deux parties ont signée.

Le sénateur Angus : Au sujet de l'interprétation, ce que j'entends le ministre des Finances répéter, c'est que les ententes n'ont pas été violées et qu'il existe un choix. Vous venez de dire qu'il n'y a pas de choix et qu'il est impossible d'alterner entre les deux formules.

Le ministre était justement ici ce matin et il nous a dit qu'il était possible d'alterner entre les deux formules, alors j'essaie de comprendre ce qui se passe. Il a aussi dit qu'ils étaient en train de négocier le reste et que des discussions étaient en cours.

Le président : On nous a dit qu'il n'était pas encore possible d'alterner entre les deux formules; on en est seulement au stade des négociations.

M. Martin : Il n'y a qu'une seule option et elle a déjà été choisie. Sans vouloir vous contredire, monsieur le sénateur, il y a une raison pour laquelle nous disons qu'il n'y a pas de choix. Retournons 26 mois en arrière, lorsqu'il y a eu des négociations entre le premier ministre et ses deux homologues provinciaux, ainsi que tous leurs conseillers — dont la plupart sont très compétents. On avait alors conclu une entente. Tout le monde savait que les dommages infligés par Paul Martin à la formule de péréquation allaient être réparés. Une fois les dommages réparés, les choses ne seraient plus comme elles l'étaient le 14 février. Peut-on s'imaginer déclarer, à la table de négociations : « Je ne crois pas que j'attendrai ce qui s'en vient »?

On nous a offert un arrangement fixe au lieu de ce que nous avions conclu, c'est-à-dire une entente censée s'appliquer sans égard à la formule de péréquation en vigueur, sans plafond. Cela était possible grâce aux paiements compensatoires qui nous permettaient de conserver 100 p. 100 des revenus. Or, nous ne pouvons plus conserver 100 p. 100 des revenus, et si c'est le cas, c'est parce que quelque chose n'a pas été respecté.

Le sénateur Angus : Aux termes de l'ancienne formule, vous pouviez aussi conserver 100 p. 100 des revenus.

Le sénateur Rompkey : Je souhaite la bienvenue à nos deux témoins. Je n'avais pas l'intention de parler de Stephen Harper puisque le pauvre homme a déjà passé suffisamment de temps au pilori aujourd'hui. Toutefois, comme le sénateur Angus a abordé le sujet, je me dois d'intervenir. Je puis lui assurer qu'il n'existe aucune différence entre ce que pensait Stephen Harper et ce que nos deux témoins viennent de dire.

Je dépose la pièce A — les avocats apprécieront ce geste à saveur judiciaire. Il s'agit de la brochure dont nous avons déjà parlé aujourd'hui, celle que le Parti conservateur a publiée avant les dernières élections. On peut y lire ce qui suit :

Il n'y a pas pire tromperie qu'une promesse non tenue. Le Parti conservateur du Canada croit que les revenus du pétrole et du gaz extracôtiers sont la clé d'une véritable croissance économique dans le Canada atlantique. C'est pourquoi nous vous laisserions 100 p. 100 des revenus pétroliers et gaziers. Pas de petits caractères, pas d'excuses, pas de plafond.

Je voulais citer ces passages, parce que M. Harper insistait là-dessus. Le 4 novembre 2004, à l'époque où il était chef de l'opposition, M. Harper est intervenu dans l'autre endroit au sujet d'un engagement concernant la possibilité de conserver 100 p. 100 des recettes tirées des ressources non renouvelables. Il a dit :

Cet engagement avait été pris par moi dans le cadre de mes fonctions de chef de l'Alliance canadienne.

Monsieur Crosby, vous reconnaîtrez cette partie, même si vous êtes un conservateur. Il y avait un parti appelé l'Alliance canadienne à une certaine époque dans ce pays.

Il découlait des intentions de l'Accord atlantique signé par l'ex-premier ministre Mulroney vers le milieu des années 1980.

Il a ensuite parlé du point de vue des libéraux. Il a attaqué le point de vue des libéraux et cité des passages d'une lettre que le gouvernement libéral de l'époque avait envoyée au premier ministre Williams. Il a dit que le 24 octobre, soit deux jours avant la conférence des premiers ministres, le ministre des Finances avait finalement répondu et offert des paiements annuels additionnels afin que la province puisse conserver dans les faits 100 p. 100 des recettes tirées de ses ressources extracôtières. Le ministre a ensuite ajouté deux exceptions considérables limitant la portée de cette offre :

[...] pendant une période de huit ans allant de 2004-2005 à 2011-2012, sous réserve qu'aucun paiement supplémentaire de ce type n'ait pour effet d'augmenter la capacité fiscale de la province suffisamment pour qu'elle dépasse celle de l'Ontario pour n'importe quelle année donnée.

La limite de temps de huit ans et la clause relative à l'Ontario ont, dans les faits, démoli l'engagement pris envers la population de Terre-Neuve-et-Labrador pendant la campagne électorale. Pourquoi limiter à une période artificielle de huit ans la capacité de Terre-Neuve d'atteindre des niveaux de prospérité comparables à ceux du reste du Canada? Souvenez-vous, en particulier, qu'il s'agit en l'occurrence de richesses non renouvelables qui, en tout état de cause, vont s'épuiser. Pourquoi le gouvernement tient-il tellement à s'assurer que Terre-Neuve-et- Labrador demeure sous le niveau économique de l'Ontario?

M. Harper a ensuite ajouté :

La comparaison relative à l'Ontario est injuste et insultante pour la population de Terre-Neuve-et-Labrador. Le message qu'elle envoie à cette province ainsi qu'à la Nouvelle-Écosse et à l'ensemble du Canada atlantique est tout à fait clair. Ces provinces obtiendront ce qu'on leur a promis uniquement si elles acceptent de rester des provinces pauvres pour toujours.

M. Harper dit que c'est inacceptable et c'est exactement ce que M. Crosbie a dit. Il n'y a aucune différence entre ce que M. Harper pensait et ce que M. Crosbie pense maintenant. La seule différence, c'est que M. Harper a changé de discours, et il a mis dans le budget les moyens de modifier les budgets. C'est ce qui s'est passé et c'est vrai.

Je voulais soulever quelques autres questions. Je cite l'article de M. Crosbie et M. Martin dans le Globe and Mail, ce matin. Je pense que c'est un point important pour nous. Nous en avons parlé, plus tôt aujourd'hui, mais nous devons en parler encore, car ce n'est pas compris. Un paragraphe dans cette lettre dit :

C'est parce que ces deux accords bilatéraux sont des accords de développement économique et ne sont pas différents, en principe, des divers pactes de l'automobile fédéraux-provinciaux conclus avec l'Ontario, du financement de plusieurs centaines de millions de dollars accordé récemment par Ottawa au secteur de l'aérospatial du Québec ou de l'initiative économique de la Porte d'entrée du Pacifique pour la Colombie- Britannique, qui contribuent tous à la vigueur et à la prospérité du Canada.

J'ai demandé au ministre des Finances ce matin — le sénateur Murray nous a fait remarquer maintes et maintes fois que ces accords avaient été négociés en vertu du paragraphe 36 (1) de la Constitution. Ce sont essentiellement des accords de développement économique. J'ai demandé au ministre, donc, s'il était d'accord sur ce point et il a répondu par la négative. Nous sommes sur une pente dangereuse, car nous ne sommes pas arrivés à nous mettre d'accord.

Êtes-vous d'avis qu'il s'agit là d'accords de développement économique, sans lien avec la péréquation? À l'évidence, la péréquation a une incidence sur ces accords, mais ce sont essentiellement des accords de développement économique, comme il en existe bien d'autres au Canada.

M. Martin : Je vais aussi laisser M. Crosbie s'exprimer à ce sujet.

Nous avons cité le site Web du ministre aujourd'hui. Ce site répond en partie à cette question, sénateur Rompkey. Ces accords ne font pas partie du programme de péréquation. Ce sont là les mots de son ministère et nous le lui avons signalé. Comme vous l'ont révélé des fuites de documents, dans le passé, M. Crosbie et moi-même avons tenté de citer cette information dans le cadre d'autres discussions au cours des derniers mois et nous avons signalé ce fait. Il n'y a rien de surprenant à ce qu'il connaisse l'existence de cette information.

S'agit-il d'accords de développement économique? Il faut retourner loin en arrière, mais si vous remontez jusqu'à M. Trudeau, il a proposé, même si nous n'allions pas posséder les ressources une fois les accords conclus, que nous en gardions les recettes et que nous commencions à les partager uniquement lorsque nous atteindrions 130 ou 140 p. 100 de la moyenne nationale. Il y a toujours eu un volet de développement économique dans les accords.

Pour éviter tout malentendu, il est bien dit dans l'accord de 2005 que le but est de relever des défis économiques et financiers particuliers. Plus encore, selon la correspondance privée, dont j'ai lu une lettre, le gouvernement de M. Martin craignait tellement que cela ait l'air d'un cadeau qu'il a demandé et obtenu, lors des négociations, l'assurance qu'une grande part de cet argent serait affectée au remboursement de la dette. Le Dr Hamm a pris le chèque et a affecté la totalité de la somme au remboursement de la dette, et la seule raison pour laquelle M. Williams ne l'a pas fait le même jour est que la situation financière de Terre-Neuve-et-Labrador était plus complexe et beaucoup plus difficile. Ils devaient négocier des questions de pensions et il a pris les 2 milliards de dollars pour rembourser la dette. Cet accord a servi au développement économique.

Le sénateur Rompkey : Je voulais poser quelques questions pour faire suite aux questions du sénateur Di Nino cet après-midi parce qu'il était surtout question de péréquation. Ce que les gens ont de la difficulté à comprendre, c'est pourquoi nous continuons d'en bénéficier lorsque nous sommes rendus à un certain niveau.

Le fait est qu'il existe une loi intitulée Loi sur les paiements de péréquation compensatoires supplémentaires à la Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador et je veux que vous en parliez. L'argent en vertu de ces accords provenait de paiements compensatoires. La raison d'être des paiements compensatoires était que, si vous faisiez un dollar sur du pétrole et s'il était déduit de vos paiements de péréquation, vous n'étiez pas plus avancé et n'iriez jamais nulle part. Les paiements compensatoires ont été mis en place pour remédier à cette situation. Les paiements compensatoires compensent la récupération et sont régis par une loi distincte. En fait, les fonds proviennent de Ressources naturelles Canada, et non du ministère des Finances, et ne sont pas régis par le programme de péréquation du tout. Est-ce exact?

M. Martin : Les paiements compensatoires viennent de Ressources naturelles Canada, en raison de la façon dont les offices sont structurés. Les recettes entrent et parviennent à Ressources naturelles Canada. Les deux accords initiaux, ceux de 1985 et de 1986, prévoyaient des périodes de compensation dans le cadre de la péréquation. Dans le cas de la Nouvelle-Écosse, elle devait durer dix ans et, dans le cas de Terre-Neuve, 12 ans. Hélas, la Nouvelle-Écosse avait un petit champ pétrolifère, appelé COPAN, Cohasset-Panuke. Je dis « Hélas » parce que, dans l'intervalle entre le commencement et la fin des négociations des accords, l'ancienne politique énergétique nationale a été mise au rancart, avec tous ses systèmes d'imposition. Lorsque nous avons fini par obtenir l'accord, nous nous sommes concentrés sur la production, non sur les recettes, ce qui a eu plusieurs conséquences. Toutes les recettes vont à Ressources naturelles Canada et, en vertu de ces deux accords, l'argent est retourné aux provinces. Selon l'accord de 2005, je comprends que les paiements compensatoires viennent également de Ressources naturelles Canada.

Le sénateur Rompkey : Il est important que cela soit consigné. On a l'impression que tout ceci se passe dans le cadre de la péréquation, ce qui n'est pas du tout le cas. La loi sur les paiements compensatoires a été adoptée pour remédier à cette situation, à savoir la récupération de paiements de péréquation, afin d'honorer des accords légitimes de développement économique.

Le dernier argument que je veux présenter mérite aussi d'être souligné. Encore une fois, les gens ne regardent que la capacité fiscale de Terre-Neuve par rapport à la capacité fiscale de l'Ontario. Nous ne parlerons pas de la lettre dont a parlé le sénateur Baker ce matin, mais les accords de développement économique sont là pour nous aider à nous relever et à devenir des provinces qui contribuent au Canada. Vous y avez déjà fait allusion et je veux que vous le souligniez : c'est nous qui avons la dette la plus lourde du pays. C'est comme un emprunt hypothécaire. Si vous êtes incapable de le rembourser, vous n'avez pas de revenu disponible pour améliorer votre style de vie et, à moins de rembourser vos dettes, vous n'allez nulle part. C'est là le but de l'accord : nous mettre en état d'être économiquement autosuffisants. Nous avons entendu le premier ministre MacDonald dire que le premier chèque a servi à réduire la dette et à combien il s'élevait. Il en va de même de Terre-Neuve.

J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Il est important que les gens comprennent que c'est une occasion pour nous de devenir autosuffisants, de contribuer et de verser de l'argent dans l'enveloppe servant à la péréquation au Canada.

M. Crosbie : Je serais porté à dire comme vous. Les deux gouvernements provinciaux ont fait ce qu'il fallait en ne se lançant pas dans de folles dépenses; les provinces ont plutôt remboursé une partie de leur dette, ce qui était la chose sensée à faire. Comme vous le savez, cependant, leur dette par habitant est encore très élevée. Ces provinces ne sont pas encore arrivées au bout de leurs peines, raison pour laquelle je pense que le gouvernement devrait apporter l'amendement que nous suggérons. Ces deux provinces ne sont pas en train de prendre la poudre d'escampette, les goussets pleins d'argent. Elles ne vivent pas dans l'aisance. Étant de Terre-Neuve, vous savez que nous avons perdu un nombre très élevé de personnes et cela demeure un problème de taille. Sur le plan économique, nous ne nous sommes pas encore remis en selle. Notre situation s'améliorera, mais pour l'heure, elle se présente comme suit : comme l'indique le budget provincial de cette année, ils ont eu un budget non déficitaire mais les recettes augmenteront et, au cours des prochaines années, elles reculeront. Il n'y a pas encore d'accord pour le prochain champ. Donc, nous aurons une hausse soudaine des recettes au cours des prochaines années, puis une baisse soudaine. Même si tout se passe mieux que prévu et si nous ne recevons plus de paiements de péréquation, il est également manifeste que nous pourrions recommencer à recevoir des paiements de péréquation quelques années plus tard, à moins que les recettes se maintiennent plus longtemps que ce que nous entrevoyons en ce moment. Nous sommes encore dans une situation périlleuse. Des milliards de dollars doivent être dépensés en exploration pour découvrir d'autres champs. L'impasse actuelle à Hebron signifie que Terre-Neuve connaîtra une période plus difficile, sur le plan économique, au cours des prochaines années. Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, loin de là. Vous ne devez pas l'oublier lorsque vous réfléchissez à ce que le gouvernement fait.

Vous avez parlé de promesses. Comme vous le savez, sénateur Rompkey, chaque parti national a fait des promesses qu'il ne peut tenir. Les partis font des promesses lorsqu'ils ne détiennent plus le pouvoir et, lorsqu'ils sont au pouvoir, ils découvrent qu'ils se sont trompés et que, s'ils réalisaient leurs promesses, elles mèneraient le pays à la ruine. Nous nous rappelons tous les petites anomalies. Ce sont là des promesses politiques. Parfois, les partis politiques découvrent qu'il serait plus dangereux pour le pays de les tenir et doivent supporter les railleries et les critiques dont ils font l'objet pour ne pas avoir tenu parole. Dieu merci, dans bien des cas, ils ne tiennent pas leurs promesses. Certaines promesses entrent dans cette catégorie.

Je vois les choses différemment. L'accord est une entente entre deux gouvernements, approuvée par voie de législation par le gouvernement du Canada. À mon avis, cela est bien plus sacré qu'une simple promesse. Il nous arrive à tous de faire des promesses. Cela m'est même arrivé, à l'occasion. Si je ne pouvais tenir l'une d'elles, la meilleure chose à faire était de tenter de la faire oublier par tout le monde. Mais, il y a toujours quelqu'un dans le parti d'en face qui ne vous permettra pas d'oublier. Les accords sont plus sérieux. Ce sont des contrats qui ont été conclus. Je pense qu'il ne devrait pas être permis au gouvernement de manquer impunément à ses obligations, d'autant plus qu'il avait accepté de n'apporter aucune modification sans le consentement de l'autre partie. Nous sommes disposés à nous montrer plus cléments... Je ne veux pas attaquer le parti incriminé qui a fait la promesse stupide de supprimer la TPS. J'ai oublié de quel parti il s'agit, mais vous savez sans doute duquel je parle. C'était une promesse irréalisable. Comment le pays pourrait-il survivre sans les recettes provenant de la TPS?

Je ne veux pas faire de partisanerie ici, car je sais qu'au Sénat vous êtes au-dessus de cela.

Le sénateur Cowan : Bienvenue, MM. Crosbie et Martin.

Mon ami le sénateur Angus a avancé qu'au fond, il s'agit d'un problème d'interprétation. Je veux retourner à la clause 4. Je n'ai que l'accord sur les ressources extracôtières de la Nouvelle-Écosse, mais je pense que l'accord de Terre- Neuve est, pour l'essentiel, identique. Je vais citer la clause 4 de l'accord du 14 février 2005, puis l'article 8 de la Loi sur les paiements de péréquation compensatoires supplémentaires à la Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador. Il est écrit dans la clause 4 que le montant des paiements compensatoires « [...] correspondra à la différence entre le paiement de péréquation que recevrait la province en vertu de la formule de péréquation en vigueur [...] ».

Selon l'article 8 de la loi, le paiement compensatoire pour un exercice est calculé pour l'exercice selon la formule de péréquation en vigueur à ce moment-là.

Lorsque je lis cela, je comprends simplement qu'il s'agit de la formule de péréquation en vigueur durant l'exercice où sont faits les calculs, et non la formule de péréquation en vigueur au moment de la signature de l'accord, en février 2005, ou à la fin de l'exercice précédent. Le ministre l'a reconnu ce matin et, lors de votre témoignage, vous aussi avez discuté des modifications apportées de temps à autre à la formule de péréquation.

Je vous invite à commenter l'observation du sénateur Angus selon laquelle il pourrait y avoir une divergence d'opinion légitime sur la signification de ces passages dans l'accord et dans l'application de la loi.

M. Martin : Comme nous l'avons fait remarquer dans le Globe and Mail, qui a également repris cette expression, lorsqu'ils nous ont traités de souris à l'affût de fromage à engloutir...

Le sénateur Angus : Et ce n'était pas du bon fromage.

M. Martin : Oui, cela aurait été mieux.

Nous leur avons fait remarquer la présence de cette expression, mais la clause 4 dit aussi : « les paiements compensatoires annuels versés équivalent à 100 p. 100 de toute réduction des paiements de péréquation associée aux recettes tirées des ressources extracôtières ».

L'expression « en vigueur » s'applique, sénateur Cowan, non pas aux 3,5 p. 100 de Paul Martin, ou à ceux de l'année suivante; car, du moment que vous recevez 100 p. 100, il n'y a aucune réduction des paiements de péréquation. Cela est plausible parce que toute l'affaire se résumait au fait que nous obtenions pleine compensation. Maintenant, avec la nouvelle formule de péréquation, ce mystérieux plafond réapparaît. Vous faites tous les calculs et le paiement compensatoire est retiré à la dernière étape, plus particulièrement, si vous atteignez le plafond pour l'Ontario. C'est vraiment le plafond qui a posé problème avec l'accord de 2005. Ce n'est pas l'expression « en vigueur », car le passage « 100 p. 100 » devrait régler la question.

Le sénateur Moore : Merci MM. Crosbie et Martin de venir ici aujourd'hui.

Je suis intéressé par les effets de ce budget sur l'éducation postsecondaire, à partir du moment où il remplace la formule de répartition par une formule par habitant. En vertu du budget pour l'exercice en cours, Terre-Neuve obtiendra près de 3,6 millions de dollars et l'Alberta, 344 millions. En dix ans, vous allez obtenir 35 millions et ils obtiendront 3,44 milliards.

Avez-vous examiné ce point ou l'avez-vous pris en considération, lorsque vous avez étudié cette mesure législative et ses répercussions sur les services que nous devrons offrir, les possibilités d'éducation que nous aurons à offrir et l'élargissement marqué du fossé d'un bout à l'autre du pays?

M. Martin : Pas directement dans l'optique de l'accord de 2005, sénateur Moore, mais je comprends ce que vous voulez dire. C'est une chose qui n'a pas beaucoup retenu l'attention. Il y a eu un changement important sur le plan des dépenses relatives à la santé et aux programmes sociaux — les deux — et, plus particulièrement pour la santé, du fait que ce programme s'échelonne sur dix ans et finira par être financé en proportion du nombre d'habitants, mais vous avez raison, ces chiffres sont éloquents.

Si vous prenez la péréquation fondée sur des principes et vous vous débarrassez de ce que l'on appelle le deuxième niveau de péréquation, que nous avons depuis longtemps, c'est une bonne mesure du point de vue de la péréquation. Ensuite, nous devons voir si nous avons les bons programmes de transfert pour les études secondaires, la santé ou d'autres choses.

Ce qui nous préoccupe le plus M. Crosbie et moi — surtout en ce qui concerne la Nouvelle-Écosse, comme il l'a mentionné — c'est que, si la Nouvelle-Écosse se fait retirer 400 à 600 millions de dollars, elle devra emprunter pour maintenir ses services d'éducation et de santé et verra ses ressources financières diminuer en raison de la façon dont elle les a utilisées. Elle les a utilisées de manière intelligente en réduisant la dette. Maintenant, elle n'a pas l'argent, mais devra en rendre une partie, pas directement, mais elle devra le faire. Nous connaissons ce sujet.

Le sénateur Moore : Cette nouvelle façon de transférer des fonds s'appliquera au Transfert canadien en matière de santé, à partir du 1er avril 2014. En examinant la situation, je ne peux que me demander comment nous allons pouvoir maintenir un niveau acceptable de service, que ce soit dans le secteur de la santé, de l'éducation ou des programmes communautaires. Vous n'avez pas étudié cette question en examinant les répercussions de cette mesure législative.

M. Martin : Pas précisément.

[Français]

Le sénateur Biron : Je puis vous assurer que le très honorable Jean Chrétien a beaucoup de respect et d'estime pour vous.

[Traduction]

Je comprends votre point de vue et, si le Sénat amende le projet de loi C-52, comme vous le suggérez, le gouvernement pourrait accepter l'amendement, le refuser ou déclencher des élections. Connaissant votre vaste expérience en politique, puis-je solliciter votre opinion sur le choix que fera le gouvernement, si nous apportons votre amendement, ou préféreriez-vous la réponse du sénateur Angus et avancer des hypothèses sur ce que le gouvernement fera?

M. Crosbie : Je n'avancerai pas d'hypothèse sur ce que le gouvernement fera, car je ne suis pas un confident du premier ministre. Je ne pense pas qu'il déclenchera des élections et je serais étonné qu'il le fasse; je ne le lui conseillerais pas, s'il me demandait mon avis.

Supposons que le Sénat et la Chambre des communes adoptent l'amendement en dépit des objections du gouvernement. Je ne peux imaginer le gouvernement prendre quelque mesure que ce soit. Qu'est-ce que cela pourrait bien faire? Pour quelle raison serait-il contrarié et déclencherait-il des élections en raison de tout cela?

Je pense que le Sénat ne devrait pas se mêler de la querelle avec le gouvernement au sujet du budget, rejeter le budget, et cetera, parce que le Sénat n'est pas élu. Ce serait déplacé. Toutefois, je pense que le gouvernement devrait prendre en considération un amendement qui n'a rien d'une défiance à son endroit et déterminer s'il est acceptable. Il n'est pas trop tard pour lui, à mon avis, pour dire, après tout ce débat, que c'est une bonne suggestion et que, peut-être, il est allé trop loin. Si le Sénat approuvait un amendement, je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne devrait pas agir intelligemment et, si c'est un amendement intelligent, il lui permettra de sortir du dilemme dans lequel il s'est enfermé. Je pense qu'il devrait saisir cette occasion, si vous adoptez l'amendement. C'est ce que je ferais si j'étais premier ministre et je voulais le rester.

Le sénateur Baker : Je pense que c'est extraordinaire que nous ayons ce témoignage de deux remarquables Terre- Neuviens. Dans le cas de M. Crosbie, je pense qu'un grand nombre de Terre-Neuviens le considèrent comme le père de l'Accord atlantique, car il a signé l'accord initial avec le premier ministre Mulroney, il y a des années. Les participants étaient le premier ministre Mulroney, John Crosbie, Brian Peckford, le premier ministre provincial, et William Marshall, qui est devenu ultérieurement membre de la Cour d'appel et a fait un excellent travail pour la province.

Même avant cela, je me rappelle John Crosbie parlant de pétrole extracôtier et de l'accord, en 1966, 1967, lorsqu'il est arrivé à la Chambre d'assemblée. En fait, je lui ai appris les règles de procédure à l'époque, car j'étais le légiste et le greffier en chef et je pense que j'ai trop bien fait mon travail.

M. Crosbie : Vous avez été un mentor exceptionnel.

Le sénateur Stratton : Quel âge avez-vous?

Le sénateur Baker : L'âge que j'ai? Six ans auparavant, au stade, j'ai été mis en échec par Roly Martin, qui était un excellent joueur de hockey.

Après la signature de cet Accord atlantique par John Crosbie et le premier ministre Brian Mulroney, la loi de mise en œuvre a été présentée. Monsieur Crosbie, dans votre témoignage, vous avez dit qu'il est écrit à la clause 60 de l'Accord atlantique, dont vous êtes l'auteur :

Vu que les gouvernements [...] sont convenus de subordonner à leur consentement mutuel les modifications de la présente loi ou de ses règlements,

Vous avez ensuite fait adopter la loi de mise en œuvre et je l'ai sous mes yeux. Vous pouvez la retirer du site Web du ministère de la Justice. La Loi de mise en œuvre de l'Accord atlantique Canada-Terre-Neuve est un document très épais. On y propose des modifications importantes, dans le projet de loi dont nous sommes saisis. Le préambule de cette loi, rédigé par le même gouvernement, la même administration, dit :

Vu que les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve et du Labrador ont conclu l'Accord atlantique et sont convenus de subordonner à leur consentement mutuel les modifications de la présente loi ou de ses règlements :

Monsieur Crosbie, vous avez garanti que la province doit avoir son mot à dire si la loi est modifiée, et nous avons quatre pages de modifications proposées à la loi entre nos mains. Voici ma question d'ordre juridique, et le sénateur Angus la trouvera intéressante. À l'article 4, M. Crosbie a ajouté que les dispositions de cette loi et de ses textes d'application l'emportent sur les dispositions incompatibles de toute loi fédérale.

Maintenant, vous voyez, le sénateur Angus a compris que la mesure législative que nous étudions est peut-être illégale, contraire à la loi. Monsieur Crosbie, puisque vous avez introduit toutes ces modalités afin de protéger la province et son opinion et, comme nous sommes en train d'adopter une mesure législative pour laquelle la province soutient ne pas avoir été consultée et ne pas avoir donné son consentement, pensez-vous qu'il soit possible que cette mesure législative ne tienne pas la route devant les tribunaux? Pensez-vous que les articles modifiant cette loi de mise en œuvre, les quatre pages, pourraient contrevenir à la loi et être réfutés devant les tribunaux? Sans trancher cette question, pouvez-vous nous donner votre avis?

M. Crosbie : On devrait vous engager.

Le sénateur Baker : Sérieusement, monsieur Crosbie, pour en venir à la question proprement dite, pensez-vous que, peut-être, comme vient de le laisser entendre le sénateur Angus, nous n'avons pas besoin d'un amendement? Je vous donnerai l'amendement dans une seconde, mais, pensez-vous que ce que fait le gouvernement du Canada en ce moment, pourrait contrevenir à la loi?

M. Crosbie : Je ne pourrais pas donner une opinion à ce sujet sans y avoir longuement réfléchi et travaillé, moyennant des honoraires considérables. En tant qu'homme de loi, je ne veux pas émettre d'opinion sans avoir fait tout cela. Je vais certainement étudier cette question intensément au cours des prochaines semaines.

Le sénateur Baker : Notez que je vous ai demandé de donner votre opinion sans trancher. Normalement, c'est la phrase employée lorsque vous ne voulez pas trancher une question.

Peu importe, parlons de l'amendement que vous suggérez.

Le sénateur Angus : Dont nous n'avons pas besoin.

Le sénateur Baker : L'amendement, a déclaré le sénateur Angus, dont nous n'avons pas besoin.

Votre amendement se trouve sous la rubrique « Quelle est la solution? ». Vous faites une suggestion qui n'est pas dans votre proposition, puis vous dites qu'elle a le même effet que l'amendement présenté par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse au comité et dans lequel il demande que l'article 81 soit supprimé de la loi. Eh bien, l'article 81, dans le projet de loi que nous sommes en train d'examiner est suivi de l'article 82, qui contient exactement le même texte pour Terre-Neuve que l'article 81 pour la Nouvelle-Écosse. Cependant, comme l'a fait remarquer M. Martin, il y a un moment, ce projet de loi va encore plus loin pour Terre-Neuve, car il modifie considérablement la loi de mise en œuvre de l'Accord atlantique, ce qu'il ne fait pas pour l'accord de la Nouvelle-Écosse.

À première vue, monsieur Martin — si M. Crosbie ne veut pas donner d'avis juridique — laisseriez-vous entendre que, peut-être, les articles portant sur les modifications de la loi de mise en œuvre et de la Loi sur les paiements de péréquation compensatoires supplémentaires à la Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador devraient être supprimés du présent projet de loi? Verriez-vous des inconvénients à ce qu'un amendement soit apporté à cette fin? Monsieur Crosbie, j'aimerais aussi vos commentaires à ce sujet.

M. Martin : Lorsque M. Crosbie a dit que notre amendement était similaire à celui de la Nouvelle-Écosse, je suppose qu'il voulait dire que l'effet était le même. Nous avons pensé qu'il s'agissait là d'une solution simple et élégante au problème de la péréquation. Cela revient à dire que, contrairement à ce que nous avons dit au sujet de la péréquation, lorsque vous définissez votre plafond fiscal, la façon simple de vous sortir du pétrin dans lequel vous vous êtes mis, consiste à exclure les recettes tirées des ressources extracôtières, selon l'accord de 2005, et tout paiement compensatoire, afin d'empêcher cet effet de boucle pendant la durée des accords. À la place de M. Flaherty, je dirais qu'il n'y a que deux provinces qui tirent des revenus des ressources extracôtières. Nous avons conclu un accord avec elles. Si, dans le cadre de la péréquation, en définissant le plafond fiscal, nous les excluons, nous avons tout réglé. Bien que, selon la Nouvelle-Écosse, si j'ai bien compris, il existe une façon plus complexe de le faire. Nous ne l'aborderons pas ici, mais, en gros, ils disent qu'il y aurait deux versements de paiements compensatoires. Le paiement compensatoire calculé serait versé, puis les calculs seraient refaits et un autre paiement compensatoire serait versé, ce qui nous permettrait de récupérer tout notre argent. Pour ce faire, ils doivent s'occuper de l'article 81.

Nous comprenons cela, mais nous avons pensé proposer une solution plus simple.

Le sénateur Baker : Votre solution plus simple devrait, bien entendu, être incluse dans la loi. Avez-vous pensé à l'endroit où elle pourrait être incluse?

M. Martin : Non.

Le sénateur Baker : Vous ne l'avez pas fait. Monsieur Crosbie?

M. Crosbie : Je n'ai pas étudié cette question non plus.

Le sénateur Baker : Nous étudierons certainement cette question. Je proposerai certainement un amendement, croyez-en ma parole. J'étudierai cette question et si vous avez d'autres opinions à transmettre au président, alors, vous pourrez le faire. Je vous félicite tous les deux de votre excellente présentation, comme toujours, monsieur Crosbie ainsi que monsieur Martin.

Le sénateur Stratton : Comme vous le savez sans doute, messieurs, il n'y a pas de pétrole au Manitoba. Je suppose que c'est une chose que nous avons de la difficulté à comprendre, lorsque vous recevez des paiements de péréquation et que vous voulez toucher des revenus du pétrole, ce que nous n'avons pas au Manitoba. Nous pensons que c'est quelque peu injuste — c'est le moins que l'on puisse dire — toutefois, ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui.

Le sujet, c'est qu'il y a deux options de base pour les deux provinces. L'une d'elles est l'ancien accord, l'accord en vigueur, de 2005 avec les paiements de péréquation; l'autre est le nouvel accord. Ce sont les deux options offertes.

L'accord de 2005 existe toujours. Il n'a pas été modifié. Il existe toujours. Alors, comment pouvez-vous dire que le premier ministre a manqué à une promesse? Il est toujours là. C'est votre choix. Vous pouvez aller dans cette direction. Pourquoi pas? Il est là. La possibilité est offerte. Il n'y a aucune promesse non tenue. Là où vous avez des réticences, c'est dans l'offre du nouvel accord, où il y a un plafond. Il n'y a pas de plafond dans l'ancien accord et il est toujours là. Pourquoi, alors, soutenez-vous que le premier ministre a manqué à une promesse, alors que l'accord en vigueur est toujours là, inchangé?

M. Crosbie : Parce qu'il a modifié l'intention globale de l'accord de 2005.

Le sénateur Stratton : Je regrette, mais l'accord de 2005 n'a pas été modifié.

M. Crosbie : Il est fallacieux de dire qu'il n'a pas été modifié. Pas un seul mot n'a été changé, mais l'accord a été vidé de sa substance.

Le sénateur Stratton : Comment?

M. Crosbie : Un plafond a été introduit.

Le sénateur Stratton : Vous parlez du nouvel accord.

M. Crosbie : Oui, il est dans le nouvel accord, mais il dénature l'intention de l'ancien accord, qui était d'éviter des récupérations de paiements à ces deux provinces pour qu'elles puissent toucher 100 p. 100.

J'ai huit exemples de circonstances où nous avons été informés des objectifs, à l'époque de M. Trudeau et par la suite. Le 16 juillet 1980, j'ai posé une question à M. Trudeau à la Chambre — c'est de l'histoire ancienne — et il a dit que la province toucherait la plus grande partie des recettes tirées des ressources extracôtières jusqu'à ce que nous ayons atteint la moyenne canadienne de revenus. Ensuite, en 1982, il a dit que nous devrions garder la majeure partie des recettes que les ressources extracôtières devraient générer.

Pendant 20 ans, on nous a fait des promesses quant au genre de recettes que nous toucherions, puis on s'est mis à parler de principaux bénéficiaires. Nous avons découvert, lorsque nous avons conclu les accords de 1985 et 1986, que nous n'étions pas les principaux bénéficiaires, nous étions des bénéficiaires mineurs. Nous obtenions 12 p. 100 et le gouvernement fédéral et les autres provinces obtenaient 88 p. 100; 12 p. 100 ne fait pas de vous un bénéficiaire principal — vous devez avoir plus que 50 p. 100, il me semble. Le changement qui s'annonce ici nous empêche encore une fois de devenir le principal bénéficiaire.

Le sénateur Stratton : Je ne suis pas d'accord et le ministre des Finances non plus. L'accord de 2005 en vigueur existe et les provinces ont le choix d'y adhérer.

M. Martin : Ce qu'il voit comme l'accord de 2005 existe. Je crois comprendre que, demain, vous accueillerez les professeurs Lock et Hobson, qui vous montreront pourquoi certains ont été pris à leur propre piège. Personne ne s'était attendu à ce qu'il y ait cette formule de péréquation de Martin, pour laquelle il a alors nommé la commission O'Brien, et nous avons adopté une nouvelle formule de péréquation. Personne n'avait prévu que l'ancienne formule de péréquation, avec augmentation au rythme de 3,5 p. 100, serait maintenue après la commission O'Brien. Par conséquent, lorsqu'on vous offre l'ancienne formule de péréquation, on vous offre une formule prévoyant une croissance au rythme de 3,5 p. 100, composée jusqu'à 2020. Ils vous montreront demain qu'il y a plus d'argent avec cette formule qu'avec la formule O'Brien avec un plafond.

Sans vouloir contredire le ministre des Finances, je pense qu'il n'a pas compris qu'il offrait une chose qu'il ne pouvait pas donner. Je suis sûr que d'autres provinces vont maintenant intervenir et diront : « Un instant. Vous voulez dire que vous leur avez offert une formule qui n'existe pas vraiment parce qu'elle a disparu, mais elle suppose une croissance de 3,5 p. 100 jusqu'en 2020? » Manifestement, ils n'y ont pas pensé lorsqu'ils ont introduit cette modification en particulier.

Les mots figurent dans l'accord, certes, mais le but premier de l'entente était que les deux provinces gardent la totalité des recettes tirées de leurs ressources extracôtières après les réductions — pas de récupération, pas de plafond. Cela n'existe pas en vertu de ni l'une ni l'autre de ces options. D'après ce que je comprends, le premier ministre — et je ne l'ai pas entendu cet après-midi — vous a aussi indiqué, pour la première fois, ce que l'application de la formule O'Brien avec l'accord de 2005 coûterait à la Nouvelle-Écosse, soit 1,3 milliard de dollars. Maintenant, vous avez trois choses différentes : vous avez l'ancienne formule Martin avec majoration de 3,5 p. 100, qui correspond à ce que M. Flaherty nous a donné; vous avez la formule O'Brien avec un plafond mais vous n'avez pas l'accord de 2005. Sans cet accord, c'est-à-dire tel qu'il existe, sans plafond, la Nouvelle-Écosse perd 1,3 milliard de dollars.

Vous avez maintenant tous ces chiffres devant vous. Tout ce que nous disons, c'est que, si vous n'incluiez pas les recettes tirées des ressources extracôtières dans l'application du plafond fiscal, vous auriez véritablement l'accord de 2005. Par conséquent, sauf votre respect, nous serions d'accord avec vous, monsieur.

Le sénateur Stratton : Sauf votre respect, nous serons d'accord avec vous, monsieur.

M. Martin : Je comprends.

Le sénateur Stratton : Avez-vous l'appui de la province de Terre-Neuve-et-Labrador pour l'amendement que vous proposez?

M. Crosbie : Non. Nous n'en avons pas discuté avec la province. Le premier ministre ne nous a pas demandé de nous en mêler; il nous est donc difficile de nous impliquer. Nous sommes seuls. C'est une suggestion de notre part. Ce n'est pas une suggestion du gouvernement.

Le sénateur Moore : Monsieur Crosbie, je veux donner suite à une question du sénateur Baker. Lorsque vous et le premier ministre Mulroney avez signé l'accord en 1985, de quel portefeuille étiez-vous responsable?

M. Crosbie : Je pense que c'était les Transports.

Le sénateur Moore : Vous êtes-vous fait une opinion sur la disposition exigeant le consentement des deux gouvernements à toute modification? En d'autres termes, le gouvernement fédéral a-t-il conclu cet accord en sachant que la province aurait des recours juridiques dans l'éventualité d'une action unilatérale, comme le projet de loi C-52? Pourquoi y avez-vous inséré cette clause?

M. Crosbie : Je n'ai pas participé à sa rédaction, mais je présume qu'elle veut dire ce qu'elle dit, qu'aucune partie ne peut le modifier sans le consentement de l'autre. Je ne me suis jamais demandé si l'une pourrait poursuivre l'autre. En fait, c'est une chose qui est examinée à l'heure actuelle, pour voir si ces dispositions peuvent être imposées en vertu de la loi ou non — ou s'il s'agit de simples accords n'ayant pas force de loi. Franchement, je n'ai pas étudié la question, mais elle est très intéressante. À quoi cela sert-il que les gouvernements concluent des contrats entre eux s'ils peuvent ne pas les respecter sans qu'il y ait de conséquences pour eux?

Il y a un prix politique à payer. M. Williams dit que les sanctions juridiques ne l'intéressent pas, mais plutôt les pénalités politiques, qui peuvent être lourdes. Dans mon innocence, j'aurais pensé qu'il était possible d'intenter des poursuites, mais ce n'est peut-être pas le cas. Je ne le sais pas.

Le président : Sénateurs, voilà qui conclut nos audiences sur le projet de loi C-52 pour aujourd'hui. Nous reprendrons la séance demain, à midi. Nous aurons une journée de huit heures et demie demain, qui commencera par le témoignage du premier ministre de la Saskatchewan. Merci, messieurs Crosbie et Martin.

La séance est levée.


Haut de page