Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 2 - Témoignages du 13 juin 2006
OTTAWA, le mardi 13 juin 2006
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit ce jour à 19 heures afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.
Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tout le monde, particulièrement à nos témoins de Pêches et Océans Canada, M. David Bevan, SMA, Gestion des pêches et de l'aquaculture, et Denis Rivard, directeur général associé, Sciences de l'écosystème. Ce n'est pas la première fois que nous nous voyons, je crois.
Nous allons donc poursuivre notre étude sur le cadre stratégique en évolution en nous intéressant plus particulièrement au crabe. Vous vous souviendrez que nous avons rencontré des pêcheurs lors d'une séance qui s'est avérée fort utile et à l'occasion de laquelle nos interlocuteurs ont dégagé les grandes questions à poser ce soir.
Messieurs, je vous invite à commencer par quelques remarques liminaires, après quoi nous passerons aux questions.
David Bevan, sous-ministre adjoint, Gestion des pêches et de l'aquaculture, Pêches et Océans Canada : Je serai très bref afin de réserver un maximum de temps aux questions. Comme vous avez rencontré d'autres témoins, je suppose que vous connaissez déjà bien des aspects de la pêche au crabe.
Ce genre de pêche est axé sur un cadre de conservation en vertu duquel on ne cible que le mâle adulte de grande taille, le reste de la population — c'est-à-dire les jeunes et les femelles — n'étant pas prélevé.
De plus, nous avons conclu des protocoles visant à protéger le crabe lors de sa dernière mutation. L'exuviation prend place sur les fonds de pêche où les crabes ne sont donc pas protégés; on parle alors de crabe mou ou à carapace molle. La manipulation de ces crabes occasionne des taux de mortalité élevés. L'autre volet du cadre de conservation consiste à protéger le crabe mou contre les risques de manipulation en ouvrant la pêche le plus tôt possible et en appliquant des protocoles de protection du crabe à carapace molle qui prévoient la fermeture des secteurs où l'on relève une forte concentration de crabes mous.
Le président : En fonction de quoi décidez-vous qu'il faut fermer un secteur de pêche?
M. Bevan : Nous avons quadrillé le fond de l'océan. Si, dans un carré, les crabes mous représentent plus de 20 p. 100 de la population de mâles murs, nous fermons le secteur. Quand trop de secteurs sont fermés, nous fermons carrément la pêche. Cela nous permet d'éviter la manipulation de ces crabes qui sont vulnérables. On ne cible normalement que les mâles mûrs et on limite le nombre de prises pour laisser suffisamment de crabes adultes afin qu'ils se reproduisent avant de les capturer plus tard.
En outre, ce type de pêche accuse des cycles d'abondance de forte amplitude. Dans le golfe du Saint-Laurent, les pics peuvent être trois fois plus importants que les creux. Lors du dernier cycle, par exemple, nous avons atteint un pic de 30 000 tonnes, mais le creux n'a été que de 8 000 tonnes avant que nous ne repassions à 25 000 tonnes et ainsi de suite. Nous venons tout juste de franchir un autre pic. Dans le golfe, nous sommes passés par un sommet de 33 000 tonnes et le nombre de prises est en train de diminuer, ce qui veut dire que nous amorçons un cycle à la baisse.
Cette ressource halieutique est sujette à d'importantes variations cycliques quant aux populations et aux prix du marché. Partout dans le monde la pêche au crabe est sujette à ces cycles d'abondance. Si les pics en Alaska et en Russie coïncident avec les nôtres, ils peuvent entraîner les prix à la baisse. Pour l'instant, il se trouve que les prix sont poussés vers le bas. De plus, l'arrivée de nouveaux détaillants sur le marché provoque une contraction des marges bénéficiaires entre le pêcheur et le secteur du détail. On constate une importante diminution des prix — je suis sûr qu'on vous l'a dit — de même qu'une augmentation des coûts.
Le secteur des pêches est sujet à des changements considérables auxquels nous devons nous adapter. Nous y sommes parvenus jusqu'ici, mais, cette fois-ci, ce sera de plus en plus difficile étant donné le grand nombre de pêcheurs à Terre- Neuve et les pressions économiques plus importantes qui s'exercent sur les pêches depuis quelques années.
Voilà, c'est tout ce que je voulais déclarer en introduction, et je m'en remets à vos questions pour vous apporter des précisions.
Le président : Avez-vous des remarques à faire?
Denis Rivard, directeur général délégué, Sciences de l'écosystème, Pêches et Océans Canada : Oui. Je dois vous dire quelques mots au sujet de la recherche que nous effectuons au ministère. Je vais plus particulièrement vous parler de la pêche au crabe des neiges, puisque c'est le sujet qui vous intéresse.
La recherche sur le crabe des neiges ressemble à celle que nous effectuons pour n'importe quelle autre espèce et nous nous efforçons d'appliquer le même modèle à l'échelle du pays.
Les scientifiques, mais aussi les pêcheurs recueillent les données dont nous avons besoin. Cette information nous est communiquée lors de rencontres que nous avons non seulement avec d'autres scientifiques du MPO, mais aussi avec des scientifiques internationaux que nous invitons à l'occasion, avec des chercheurs d'université et des représentants de l'industrie... Nous invitons aussi les pêcheurs pour qu'ils nous commentent les données, nous disent ce qu'ils constatent sur place et ainsi de suite.
Après ces réunions, nous produisons des rapports consultatifs officiels sur l'état du stock dans lesquels nous formulons des recommandations relatives à la conservation, par exemple, en ce qui à trait aux niveaux de prises acceptables compte tenu de l'état du stock. Ces réunions sont fort bien documentées et leurs contenus sont régulièrement versés sur les sites Internet; en général, ces évaluations sont annuelles.
Pour ce qui est du crabe des neiges, je suis certain que vous aurez appris qu'il existe de nombreuses autres sources d'information. Pour nous faire une idée du rendement des pêches, nous nous appuyons sur les taux de prise ou sur les informations contenues dans les journaux de bord des pêcheurs. Nous effectuons également des enquêtes après la saison et, dans certains cas, quand nous pouvons nous le permettre, nous faisons des relevés au chalut.
Celles-ci sont intéressantes parce qu'elles permettent de déterminer avec plus d'exactitude l'importance des stocks présents sur les fonds marins. Récemment, nous avons augmenté le nombre d'indices que nous appliquons. Par exemple, en ce qui concerne les stocks de Terre-Neuve, nous n'avions jusqu'à présent que des informations sur les taux de capture, soit le premier degré d'information sur les stocks, mais nous avons réussi à obtenir la participation des pêcheurs à des enquêtes réalisées après la saison. Avec le temps, nous espérons que cette information nous permettra d'améliorer la qualité de nos évaluations.
Un dernier mot : notre groupe scientifique est en constante évolution. Nous devons nous adapter aux questions de l'heure. La nature de notre travail a changé.
Nous sommes maintenant confrontés à un certain nombre de questions concernant les écosystèmes et la biodiversité. Par exemple, dans nos évaluations, nous devons à présent tenir compte des espèces à risque. Il y a aussi les espèces envahissantes. Au fur et à mesure qu'il évolue, notre groupe doit répondre non seulement à des questions de gestion traditionnelles, mais aussi à des questions que nous posent tout un éventail d'intervenants.
Enfin, notre méthode de travail est caractérisée par la collaboration, notamment avec l'industrie que nous cherchons à associer à la collecte des donnés et aux études que nous réalisons, mais que nous invitons aussi à participer à l'analyse des données et des résultats. En fin de compte, même si l'industrie ne souscrit pas entièrement aux résultats — qui ont un effet marqué sur ses activités commerciales — elle a au moins la possibilité d'être présente, de poser des questions sur les recherches et de voir tout ce qui précède la formulation de nos avis.
Le sénateur Comeau : J'ai quelques questions qui n'ont pas forcément de lien entre elles. D'abord, le Conseil canadien des pêcheurs professionnels, le CCPP, a produit un rapport sur l'industrie du crabe il y a environ un an et demi dans lequel il recommande de solliciter l'avis et la participation de non-titulaires de permis, de gens de la collectivité. Le ministère a-t-il envisagé d'appliquer ce conseil, c'est-à-dire de faire appel à la collectivité?
M. Bevan : Je crois qu'il est également question de ce type de participation dans le cadre de l'examen de la politique sur les pêches dans l'Atlantique. En effet, les détenteurs de permis ne sont pas les seuls à être concernés par la façon dont nous administrons les pêches.
Nous n'avons pas encore vraiment donné suite à cela. Nous allons devoir songer à mettre en œuvre des processus de consultation pour mobiliser les collectivités. Certes, il y a eu, par exemple, le sommet de Terre-Neuve et Labrador où le premier ministre provincial a rassemblé des groupes de pêcheurs, des représentants de l'industrie, des universitaires et des chefs de file communautaires pour examiner la question de la restructuration des pêches, surtout dans le cas de la crevette et du crabe, en vue d'instaurer une industrie durable et viable dans les régions rurales de Terre-Neuve. Voilà un exemple de ce qu'il faut faire. On nous demande maintenant d'appliquer éventuellement cette démarche à d'autres secteurs, mais nous ne l'avons pas encore fait directement dans le cas de nos organismes consultatifs — les comités consultatifs — ni dans les plans de cette année pour la pêche au crabe dans le golfe du Saint-Laurent ou dans les Maritimes. Nous avons eu des échanges directs avec les titulaires de permis, mais nous n'avons pas encore, dans ce contexte, invité les collectivités à participer au processus consultatif, ce qui n'empêche que nous envisageons d'autres types de consultation à cet égard.
Je me dois de préciser par ailleurs que le premier rapport produit par le CCRH — après que son rôle a été modifié pour qu'on lui confie des fonctions davantage stratégiques en matière de prestation de conseils — a porté sur le crabe, ce qui a été important pour nous et pour le Conseil. Cela a marqué un tournant dans la façon dont nous percevions ce secteur, qui se portait encore bien à l'époque, et dans notre analyse de ce qu'il était possible de faire pour en favoriser la viabilité et éviter que les cycles naturels d'abondance n'accusent des amplitudes trop fortes. Le CCRH nous a donné beaucoup d'excellents conseils que nous avons retenus en grande partie pour améliorer les protocoles sur les pêches à Terre-Neuve et au Labrador afin de réduire la manipulation du crabe mou et d'améliorer la conservation des pêches. Ce rapport nous a effectivement été utile.
Le sénateur Comeau : Pensez-vous que vous parviendrez à produire un mécanisme quelconque? Terre-Neuve et Labrador est le premier secteur que vous étudiez en ce qui a trait aux ajustements. Serait-il possible, dans le cadre de ce processus, de favoriser assez vite la participation des collectivités de Terre-Neuve et Labrador?
M. Bevan : C'est tout à fait possible dans le cas de Terre-Neuve et Labrador à la suite du sommet qui s'y est déroulé sous l'égide de la province, mais auquel le fédéral a participé. Nous envisageons maintenant de tenir une séance de suivi fédérale-provinciale. Cependant, il convient de noter que ces problèmes ne sont pas uniques à Terre-Neuve. La pêche à la crevette au Nouveau-Brunswick et au Québec est en crise à cause d'une contraction du ratio prix de revient-prix de vente. C'est très bien de savoir qu'il y a des tonnes et des tonnes de crevettes à pécher, mais tout ça ne vaut pas grand- chose si leur prise ne rapporte rien.
Le sénateur Comeau : La pêche à la crevette au Nouveau-Brunswick et au Québec n'en est pas encore au point de ce que l'on constate à Terre-Neuve et Labrador, et c'est pour cela que j'ai pris ce dernier exemple.
M. Bevan : C'est vrai. Nous envisageons d'appliquer cette démarche, mais nous n'avons pas encore pris de mesure concrète, comme cela a été fait à Terre-Neuve et Labrador. Toutefois, des discussions ont été entreprises avec les provinces en vue d'organiser une séance semblable.
Le sénateur Comeau : Je suis désolé d'avoir dû rater la réunion de la semaine dernière, mais j'ai appris — et cela est également indiqué dans le rapport sur le crabe — que selon le CCRH, il y a un problème de rejet du crabe mou, sous- dimensionné ou n'ayant pas de véritable valeur commerciale. J'attribue également le problème du rejet des crabes à la flottille qui est équipée pour des quotas individuels, les QI, les pêcheurs préférant rejeter ces crabes plutôt que de les ramener à terre et de risquer d'amputer ainsi leur quota pour rien. Les rejets sont-ils dus à ce type de pêche, parce que le phénomène n'a pas la même ampleur dans d'autres types de pêche?
M. Bevan : Comme je le disais, cette pêche est ciblée sur le crabe adulte parvenu à maturité, et les petits crabes ainsi que les femelles doivent être rejetés. De plus, le crabe à carcasse molle est un crabe qui vient juste de muer. C'est un peu comme avec le homard, si vous savez comment ça se passe, puisque le crabe perd sa carapace dure pour grossir et s'en fabriquer une nouvelle. À ce stade, il est mou et il n'est composé que d'un peu de chair et de beaucoup d'eau. Il n'a donc pas de valeur commerciale et, de plus, il n'est pas permis de le remonter.
Les pêcheurs sont intéressés par le crabe adulte et ils rejettent par-dessus bord les crabes mous qu'ils capturent de façon fortuite. Ce qui nous inquiète dans le cas de ces crabes, c'est que leur taux de mortalité est élevé.
Le sénateur Comeau : Ils ne survivent pas.
M. Bevan : Non, ils ne survivent pas et nous devons donc essayer de réduire leur manipulation; c'est ce qui se passe dans ce secteur de pêche.
Le sénateur Comeau : Dites-moi, si vous n'avez pas une idée du type de manipulation qui se fait, des prises ramenées à bord ni du volume de rejets, ce n'est pas très bon pour votre recherche. Pourquoi les pêcheurs rejettent-ils ces crabes? Y aurait-il une autre façon de s'y prendre?
M. Bevan : Ils n'ont pas le choix. D'un autre côté, nous projetons les observations réalisées par des observateurs que nous plaçons à bord de la flottille. Par exemple, dans le sud du golfe, dans la zone 12, nous avons des observateurs à bord de 30 p. 100 des bateaux et nous effectuons des extrapolations à partir de leurs constats. Si nous constatons que le pourcentage de crabe à carcasse molle pris dans ce secteur dépasse 20 p. 100 de la population de crabes mûrs, nous fermons la zone. Si trop de zones se trouvent dans cette situation, nous fermons complètement la pêche au crabe. Nous avons pris des mesures pour qu'il y ait plus de prises de crabes mous ou du moins pour que leur pourcentage soit considérablement réduit. Nous veillons également à ce que les pêches soient ouvertes le plus tôt possible pour éviter la saison d'exuviation.
Le sénateur Comeau : Pour en revenir au CCRH, il avait été recommandé de modifier la Loi sur les pêches pour que le ministère puisse conclure des ententes de cogestion ou de copartenariat, selon l'expression en vogue.
Pourquoi faudrait-il modifier la Loi sur les pêches pour permettre au ministère de conclure des accords de partenariat, puisqu'il le fait déjà?
M. Bevan : Nous appliquons ce qu'on appelle des ententes relatives à un projet conjoint, mais nous sommes limités par leur portée. La Loi sur les pêches a été modifiée depuis son adoption, mais tout ce qui concerne le processus décisionnel en vertu de cette loi remonte à 1868. Celle-ci confère un pouvoir discrétionnaire absolu au ministre, mais n'établit aucun cadre en conséquence, si bien que le ministre ne peut s'appuyer sur aucune ligne directrice pour exercer ce pouvoir. La loi ne dit rien à ce sujet. Par exemple, elle stipule que la conservation est une priorité, mais elle ne parle pas du principe de précaution ni du genre de processus à mettre en œuvre pour favoriser la transparence qu'elle exige. La loi n'énonce aucun processus réglementaire.
Il n'existe quasiment aucune entrave au pouvoir discrétionnaire absolu du ministre et toutes les ententes relatives à un projet conjoint doivent préciser qu'aucune de leurs dispositions n'est contraire au pouvoir discrétionnaire absolu du ministre. C'est à cause de cela que nous ne pouvons pas aller aussi loin que nous le souhaiterions. Le ministre ne peut être lié par aucune entente. Nous ne pouvons pas conclure de véritables ententes de cogestion prévoyant un partage des responsabilités et des pouvoirs avec des flottilles qui soient en mesure d'assumer de telles responsabilités.
Par ailleurs, même si 80 ou 90 p. 100 d'une flottille est visée par une entente particulière, nous ne pouvons nous appuyer sur ce fait pour contraindre les 10 autres pour cent à se joindre à l'entente. Ce faisant, nous sommes limités par le type de convention que nous pouvons mettre en œuvre en matière de projet conjoint en vertu de la Loi sur les pêches.
Le sénateur Comeau : Comme vous le savez, il a été proposé à quelques reprises de modifier la Loi sur les pêches. Toutefois, soit les amendements sont tombés très tôt, soit ils ont été adoptés, mais après une forte résistance. Par le passé, une grande partie de cette résistance était attribuable au fait que nous n'étions pas nombreux à faire confiance à ce que nous disait le MPO. Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit au sujet du pouvoir discrétionnaire absolu du ministre, mais il se trouve que les parlementaires se méfiaient beaucoup du MPO. Je vais vous expliquer rapidement pourquoi.
L'accord de fiducie est un parfait exemple de dossier à propos duquel nous avons demandé aux fonctionnaires qui ont défilé devant nous s'il y avait séparation de la flottille. Les investisseurs ne sont pas censés détenir plusieurs permis et le ministère nous a confirmé que tel est le cas, que c'est sa politique. Que se passe-t-il? Nous ne sommes pas des avocats. La loi n'existe pas pour rien; elle n'est pas là pour être contournée, et si quelqu'un parvient à la contourner à cause d'échappatoires juridiques, il n'y a rien que nous puissions faire.
Autrement dit, nous n'avons pas fait confiance au ministère quand ses fonctionnaires nous ont déclaré qu'il existe effectivement une politique et qu'elle est appliquée avant d'ajouter, avec un clin d'œil, qu'elle n'est pas efficace parce qu'elle comporte des failles.
C'est à ce moment-là que les parlementaires ont commencé à se méfier des réponses du ministère, parce que, ce que nous aurions aimé que les fonctionnaires nous disent, c'est quelque chose du genre : « Voici ce qui se passe et voilà pourquoi nous avons besoin de ceci ou de cela ». Nous étions beaucoup à être méfiants.
Il est vrai qu'il y a la question du pouvoir discrétionnaire absolu du ministre qu'il faudrait limiter pour permettre des accords de partenariat. Cependant, la proposition a-t-elle été suivie d'effet?
M. Bevan : C'est clair.
Le sénateur Comeau : Si nous devions être de nouveau saisis de cette question, pourrions-nous garantir que c'est cette politique qui s'appliquerait?
M. Bevan : L'intention est de faire en sorte que le ministre ait la possibilité d'énoncer des stratégies en fonction de ce qui est clairement établi dans la nouvelle loi, les fonctionnaires étant, quant à eux, tenus de les appliquer. Ce changement permettrait au moins de conférer plus de rigueur à la loi, parce que les fonctionnaires qui ne respecteraient pas les politiques pourraient se placer en infraction à la loi, si la nouvelle Loi sur les pêches devait être bâtie de la sorte.
Le sénateur Comeau : S'il y avait une politique sur la séparation, vous ne pourriez donc pas revenir nous voir pour nous dire avec un clin d'œil : « C'est vrai, il y a une politique et tout va bien, mais ... ».
M. Bevan : Nous sommes conscients que les gens contournent l'actuelle politique. Toutefois, nous avons beaucoup fait et nous avons pris des mesures qui nous donnent à espérer que, sous peu, nous constaterons des changements dans la façon dont nous administrons la séparation de la flottille et la politique du propriétaire-exploitant.
Le gouvernement a bien indiqué qu'il veut préserver l'indépendance de la flottille côtière du Canada atlantique. Cela ne fait aucun doute. Le problème, c'est que les gens ont besoin de capital. Les pêcheurs ne peuvent pas acheter les permis d'entreprise s'ils n'ont pas le capital nécessaire. Or, ils ne peuvent pas emprunter auprès d'une banque pour acheter ce genre de permis, parce qu'ils n'ont pas valeur de bien négociable. Comme il leur faut trouver d'autres sources de capital, ils concluent des accords de fiducie avec les établissements de transformation qui se retrouvent donc à contrôler la répartition des permis. Ce faisant, le nom du pêcheur apparaît bien sur le permis, mais ce n'est pas lui qui le contrôle. Nous essayons de régler ce problème et nous espérons y parvenir avant de proposer le nouveau texte de loi. Le ministre est en train d'étudier cette question et nous espérons faire des progrès sur ce plan.
Si nous en venons à pouvoir déposer le projet d'amendement de la loi, vous verrez qu'il est question de conservation, de transparence des décisions et des principes à suivre pour la prise de décisions. Les sanctions destinées à garantir la conformité seront remises en vigueur. De plus, le processus d'administration des politiques et du reste sera beaucoup plus rigoureux.
Contrairement à ce qui s'est passé avec les lois précédentes où nous avons craint ce qui pouvait se produire en arrière-scène, j'espère que celle-ci sera davantage transparente, surtout si nous voulons préserver l'indépendance de la flottille côtière.
Le président : Je vais essayer de glisser plusieurs questions. Avez-vous envisagé d'appliquer le modèle de la commission terre-neuvienne de prêt pour l'achat de navires? Je ne sais pas si ce programme existe encore, mais il a été en vigueur pendant longtemps. Les pêcheurs pouvaient emprunter pour acheter leur bateau et ils remboursaient le gouvernement. Il existe des modèles permettant aux pêcheurs d'accéder à du capital. Avez-vous envisagé d'appliquer de telles formules?
Si vous comptez ouvrir la Loi sur les pêches, quand le ferez-vous? Pourrions-nous commencer par le Sénat? Le cas échéant, nous pourrions soumettre ce texte à une série d'audiences rapides, mais poussées.
M. Bevan : La décision de déposer la loi incombe au gouvernement; elle revient au ministre, en liaison avec ses collègues. Ce n'est pas moi qui prend ce genre de décision et je ne peux même pas répondre à votre seconde question.
Pour ce qui est de la première question, ces commissions sont des instruments provinciaux. Nous avons cherché à préserver l'indépendance de la flottille côtière, non pas tant par le truchement de la loi, mais par celui des politiques relatives aux permis dans le Canada atlantique. Nous essayons de régler la question des accords de fiducie.
Nous cherchons une façon de permettre aux pêcheurs qui détiennent un permis d'obtenir un prêt bancaire. Il existe des possibilités et nous pourrons peut-être faire des annonces dès que le ministre sera prêt à décréter les changements de politique.
[Français]
Le sénateur Gill : Vous avez mentionné le cycle d'abondance et j'imagine que vous avez des graphiques et des courbes à nous présenter. Observez-vous ces statistiques depuis longtemps ? Pouvez-vous vous fier aux graphiques que vous avez ? Ont-ils la même tendance concernant la quantité et la durée ?
M. Rivard : Le ministère collecte des données sur les populations de crabes depuis le début de plusieurs de ces pêches. Les pêches dans le sud du golfe, par exemple, ont commencé vers la fin ou au milieu des années 1960 et nous avons de l'information sur les prises ramassées depuis le début des années 1970
Nous avons commencé à faire des études scientifiques et l'hypothèse des cycles est arrivée assez tôt en effectuant des comparaisons avec d'autres populations de crabes ailleurs dans le monde. On semble noter dans nos populations du sud du golfe deux pics, qu'on peut appeler des cycles ou une variation étendue.
Il semble qu'il y aurait des raisons biologiques suivant l'évolution du développement des femelles par rapport aux mâles et que ces cycles soient favorisés par ces facteurs biologiques. C'est documenté mais c'est encore à l'état d'hypothèse, même si on le remarque dans les débarquements et dans les tendances de population.
Le sénateur Gill : Les courbes sont-elles un peu semblables pour les différents cycles et combien d'années durent-ils ?
M. Rivard : Les cycles semblent durer de 10 à 15 ans. Encore une fois, ces cycles ne semblent pas être vraiment fixes, mais semblent être liés par un facteur allant de 10 à 15 ans. Il semble également que, dans le sud du golfe, on est en train de passer le deuxième pic et qu'on est présentement vers la baisse.
On prévoit, à cause des tendances observées dans le recrutement, que dans les prochaines années la population va baisser dans le sud du golfe.
Ailleurs dans l'Atlantique canadien, on note que dans certains cas on a dépassé le cycle, et qu'on se retrouve donc vers le bas. Dans ces cas-là, on ne voit pas encore le recrutement arriver, donc on ne peut pas prédire qu'il y aura un rétablissement à court terme.
Dans l'ensemble, si on fait la somme de toutes ces tendances, les stocks sont soit à la baisse à partir du pic ou alors ils sont vraiment dans le bas et les tendances de recrutement n'ont pas encore repris.
Le sénateur Gill : Pouvez-vous nous dire si les courbes se ressemblent ou est-ce trop tôt pour le savoir ?
M. Rivard : On se demandait, en arrivant ici, si on pouvait vraiment appeler cela des cycles. On a effectivement deux de ces vagues, mais avant de confirmer que ce sont des cycles et à quelle fréquence ils arrivent, il faudra vivre plusieurs de ces périodes.
Le sénateur Gill : Je pose cette question parce qu'il est difficile à ce moment-là d'établir des quotas, si jamais le gouvernement voulait en établir pour les pêcheurs. J'imagine que c'est un peu la même chose pour les autres sortes de poissons, comme la morue, et cetera. Comment fait-on pour établir que cette année on pourra prendre tant de livres si on n'est pas encore sûr de la production ?
M. Rivard : Les cycles sont quelque chose qu'on note après coup. Pour analyser les pêches, nous avons des évaluations annuelles qui tentent d'évaluer combien de crabes on a vraiment sur les fonds de pêche. Les prédictions qu'on fait ne sont pas vraiment faites en fonction des cycles observés, mais après coup. On essaie d'évaluer l'abondance qu'il y a d'une année à l'autre et les variations de l'abondance.
On essaie également de faire des prédictions pour les années futures en faisant du monitoring et en observant les tendances à venir en termes de recrutement. L'indice de recrutement nous permet de déterminer les périodes de pointes par rapport aux captures de crabes. Si le recrutement est moins bon qu'avant, on peut donc s'attendre à ce que la tendance soit à la baisse dans les années futures. C'est dans cette optique que les chercheurs font leurs prédictions.
Le sénateur Gill : Vous avez dit que le marché fluctue et que les prix fluctuent selon le marché. Est-ce qu'il existe des monopoles dans l'industrie du crabe ? J'entends par « monopole » un contrôle exercé par de grosses compagnies, comme cela se produit dans d'autres domaines.
M. Bevan : Auparavant, ce n'était pas le cas. Toutefois, par le passé, on a remarqué des fluctuations dans les prix. Ce phénomène fut causé par les cycles à d'autres endroits comme en Alaska ou en Russie.
Aujourd'hui, de grandes compagnies comme Wal-Mart ou Cosco sont sur le marché et tentent de réduire les prix aux consommateurs. Par conséquent, nous devons réduire le prix pour les pêcheurs et les usines de traitement du poisson. Mais ce n'est pas vraiment un monopole.
Le sénateur Gill : C'est une tendance.
M. Bevan : C'est une tendance.
[Traduction]
Le président : On ne parle pas des acheteurs, des non-titulaires de permis ou des accords de fiducie.
M. Bevan : Non, mais il faut considérer le prix sur le marché mondial. Quand un bon produit vient de Russie ou d'Alaska, les gros acteurs du marché, comme Wal-Mart, exercent des pressions sur leur chaîne d'approvisionnement, c'est-à-dire sur les intermédiaires entre les pêcheurs et les consommateurs. Wal-Mart, comme nous l'avons vu avec tous les produits que vend cette chaîne — des barbecues aux téléviseurs — a tendance à comprimer la chaîne de valeur pour offrir les prix les plus bas à ses clients et contrôler le coût de ses inventaires. Tout cela exerce des pressions sur l'industrie.
Pour l'instant, nous nous trouvons dans la malheureuse situation où la baisse des prix est combinée à une diminution de l'abondance des stocks, ce qui comprime considérablement le prix de vente tout en provoquant une augmentation des prix de revient.
[Français]
Le sénateur Meighen : J'aimerais revenir au point soulevé par le sénateur Gill. M. Rivard, puis-je prendre pour acquis que vos techniques et les méthodes que vous employez pour faire une estimation de la population du crabe, par exemple, sont maintenant supérieures, comparées aux techniques qu'on avait il y a une quinzaine d'années dans le cas de la morue ? Je suis loin d'être un expert. Toutefois, un des problèmes avec la morue était dû au fait que les estimations n'étaient pas toujours très précises.
M. Rivard : Premièrement, la façon dont on fait l'évaluation pour le crabe des neiges est très différente de la façon dont on la fait pour la morue. Cependant, il existe certains points de comparaison. Effectivement, dans le cas de la morue et celui du crabe, il y a plusieurs années, la seule information sur laquelle on pouvait se baser pour faire nos évaluations était, par exemple, les taux de capture provenant des livres de bord. Certes, les taux de capture indiquent la performance du pêcheur. Toutefois, ils n'indiquent pas nécessairement les tendances qui existent dans les populations de poissons. Souvent, les pêcheurs ont des façons de compenser pour la baisse du stock en localisant les concentrations, par exemple, de sorte à ce que les taux de capture demeurent très bons alors que les stocks descendent.
Au milieu des années 1980, si on prend l'exemple de la morue du nord, les sources d'information disponibles étaient souvent, uniquement ou presque, les livres de bord ou les taux de capture. On tentait alors de faire des prévisions de stock en se basant sur données biaisées. Les taux de capture, ayant tendance à ne pas baisser alors que les stocks diminuent, on projetait de meilleures prises qu'on aurait dû.
Avec le temps, on a essayé d'améliorer la science en développant ce qu'on appelle des relevés scientifiques indépendants de la façon dont on pêche. Un des avantages de ces relevés scientifiques est la capacité de contrôler la façon que la pêche est faite. Le contrôle se fait en utilisant un filet standard qui est normalisé et en fixant le temps où le filet se trouve en mer. Il existe en fait toutes sortes de façons de s'assurer que l'indice obtenu reflète mieux la tendance du stock.
Lorsqu'on réussit à combiner, dans une évaluation, à la fois une estimation fondée sur de l'information indépendante de la pêche, comme un relevé scientifique ou un relevé qui peut être fait par des pêcheurs, dans certains cas, mais en utilisant un protocole particulier, on est dans une meilleure position pour faire des prédictions. Dans le cas de la morue et celui de plusieurs stocks de crabe, on tente maintenant de prendre cette direction. Dans le sud du golfe, par exemple, on a, depuis plusieurs années, un relevé indépendant de la pêche, un relevé au chalut, qui donne une estimation de la biomasse existante au fond.
Lors de nos évaluations, on tente de faire le suivi de la pêche et de la performance de la pêche. Pour ce faire, on utilise les taux de capture. Toutefois, si l'on constate une variante entre les taux de capture et ce que nous révèlent les relevés scientifiques, on commence à se poser des questions. C'est alors que nous devons calibrer les facteurs considérés dans les évaluations scientifiques.
Le sénateur Meighen : Si la population d'une espèce est à la baisse, j'imagine que vous commencez par fermer la pêche dans un certain secteur, ou bien vous allez plus loin et vous fermez toute la pêche partout. Si j'ai raison sur ce point, comment faites-vous pour mettre en place une solution permanente à savoir la réduction de la flotte, du nombre de bateaux qui pêchent une espèce en particulier ?
M. Bevan : C'est une bonne question pour nous. À cause de cette crise économique qui règne maintenant dans le secteur des pêches, nous devons trouver une façon de réduire le nombre d'entreprises. Il existe de nombreux problèmes reliés aux coûts et aux prix, mais il y a également un manque de personnel dans le secteur des pêches, plus particulièrement au niveau des équipes. Plusieurs personnes ont décidé de déménager en Alberta, par exemple. Nous travaillons maintenant avec les pêcheurs, les provinces, l'industrie et les communautés pour trouver une solution à ce problème. Nous devons changer nos politiques parce que les pêcheurs sont pris entre l'arbre et l'écorce et sont impuissants à changer leur situation à cause de nos politiques. Nous devrons travailler avec ces personnes pour trouver une solution visant à changer nos politiques et permettre aux pêcheurs de réduire le nombre de bateaux et d'entreprises. En ce faisant, j'espère que nous en arriverons à une situation où les pêcheurs pourront gagner leur vie adéquatement.
Le sénateur Meighen : Mais nous n'avons pas cette solution à l'heure actuelle.
M. Bevan : Non. Nous avons commencé à tenir des réunions à Terre-Neuve, au Nouveau-Brunswick et au Québec. Nous devons discuter avec toutes les personnes qui seront touchées par ces changements et nous assurer que tout le monde puisse faire entendre leur point de vue dans cet échange sur la situation. Nous devons nous assurer de produire toute l'information nécessaire au ministre afin qu'il puisse prendre ses décisions dans le but de régler la situation.
[Traduction]
Le sénateur Adams : Je vais vous poser une question sur le crabe des neiges. Je vis dans l'Arctique où il y a du crabe. Je sais qu'en Alaska, il y a le crabe royal. Je ne sais pas ce qu'il en est ailleurs au Canada. J'ai vu quelques crabes à Rankin Inlet, mais ils ne sont pas énormes. Je ne sais pas quelle est la taille des crabes des neiges que les pêcheurs débarquent. Vous avez dit qu'ils font au maximum 95 millimètres, mais je ne sais pas exactement à quoi correspond leur diamètre.
S'ils ont à peu près le diamètre d'une tasse de café, ne pensez-vous pas que c'est un peu trop petit pour un crabe des neiges?
M. Bevan : Pour un crabe des neiges, c'est effectivement trop petit. Un diamètre d'environ 95 millimètres correspond à la taille minimale pour la commercialisation. Le marché aime en fait des crabes plus gros. Cette mesure correspond au diamètre de la carapace, car celui décrit par les pattes est évidemment plus grand.
À ce que je sache, il y a du crabe dans les eaux du Groenland, mais je ne sais pas ce qu'il en est du Nunavut.
Le sénateur Adams : Ceux qui pêchent le crabe ne le font pas au chalut, n'est-ce pas?
M. Bevan : Non. Ils utilisent des engins passifs qui ne recherchent pas activement le crabe; c'est plutôt l'inverse, c'est le crabe qui trouve l'engin.
Le président : Est-ce que ce sont de gros casiers?
M. Bevan : Oui. Ces dernières années, on a fait beaucoup pour que les casiers permettent une meilleure discrimination, l'objectif étant d'attraper uniquement les gros mâles. Les pêcheurs ne veulent pas remonter les petits crabes, les femelles et les jeunes. Ils cherchent des moyens d'améliorer leur pêche.
Nous avons encore du travail à faire. Nous aimerions bien sûr que tous les casiers utilisés dans le Canada atlantique comportent des panneaux biodégradables. Nous avons du travail à faire pour en arriver à cela. Il est important que les casiers perdus ne continuent pas à prendre du crabe. Les casiers qui ne comportent pas de panneaux biodégradables retiennent les crabes qui finissent par mourir de faim et comme le crabe est une espèce cannibale, leurs congénères pénètrent dans la trappe pour se retrouver pris à leur tour.
Nous avons donc du travail à faire. Pour la pêche au crabe, on utilise des casiers.
Le sénateur Adams : Nous avons du crabe dans le Nord, mais ce n'est pas du crabe des neiges. Vit-il dans certains secteurs à cause de l'eau et de la profondeur des fonds? Nous avons de l'eau salée au Nunavut. Est-ce que les eaux plus profondes attirent davantage le crabe? Ces crabes des neiges sont essentiellement des détritivores qui vivent là où ils peuvent trouver de la nourriture. Ils n'attrapent pas d'autres types de nourriture dans l'eau, contrairement aux mammifères. Le crabe est un détritivore, n'est-ce pas?
M. Rivard : Je pourrais vous donner l'exemple du sud du golfe du Saint-Laurent. La taille des crabes varie avec la profondeur. Les plus petits vivent sur les hauts fonds et les plus gros se trouvent au fond des ravines.
Hier, à l'occasion d'une présentation à laquelle nous avons assisté, j'ai constaté que la répartition des tailles constitue une variable. Certaines années, on trouve les plus gros à certaines profondeurs dans certains secteurs, mais d'autres années, les choses sont complètement différentes. Les crabes changent de fonds avec le temps.
En général, on constate des variations de ce genre sur toute la répartition géographique de l'espèce. De façon générale, plus on monte vers le Nord, au-delà des côtes du Labrador et plus les populations sont à la limite de l'aire de distribution du crabe des neiges qui se fait donc plus rare. Pour ce qui est de l'abondance, il y a plus de variables qui interviennent.
Le sénateur Adams : Vous avez dit qu'il faudrait changer la politique de pêche. Les choses sont difficiles pour nous, au Nunavut. Quand nous avons réglé notre revendication territoriale, nous avons essayé de structurer la pêche commerciale pour les résidents de la communauté. Nous avons appliqué la même politique que celle qui est en vigueur ailleurs au Canada. Après avoir réglé la revendication territoriale, nous nous étions dit que nous pourrions contrôler nos pêches en appliquant nos propres politiques. Toutefois, avec la politique du MPO, c'est quelqu'un d'autre qui contrôle tout à notre place. Nous n'avons pas de libre arbitre. Il faudrait insister pour que la nouvelle politique tienne davantage compte de ceux qui ont réglé leurs revendications territoriales, plutôt que d'appliquer une politique visant à contrôler ce que font les gens. Il ne faudrait pas engager d'entreprise pour faire cela.
M. Bevan : Étant donné qu'il est ici question de revendications foncières, la situation est différente. La même chose se produit un peu partout ailleurs. Le gouvernement du Nunavut, par la voix du Conseil de gestion de la faune, nous fait part de ses desiderata relativement aux répartitions. Nous respectons généralement les vœux qu'il exprime.
Les politiques dont je parle sont celles qui s'appliquent partout à Terre-Neuve et Labrador, dans le golfe du Saint- Laurent et ailleurs, dans des secteurs qui ne sont pas visés par des revendications territoriales ou par d'autres ententes. C'est sur elles que s'appuient les politiques d'octroi des permis de pêche, car nous voulons trouver des moyens de permettre aux pêches d'évoluer.
La situation du Nunavut est en pleine évolution. Nous ne savons pas exactement dans quelle mesure les politiques devraient s'appliquer là-bas. Nous ne voulons certainement pas appliquer au Nunavut des stratégies qui ne lui conviendraient pas. Cela étant, nous poursuivrons peut-être la pratique actuelle qui consiste à demander au gouvernement du Nunavut ce qu'il désire et à suivre ses avis.
Le sénateur Adams : Le seul problème, c'est que le Conseil de gestion de la faune du Nunavut n'a pas appliqué l'accord de revendication territoriale. Celui-ci stipule que, pour toute politique future relative à la pêche commerciale, le Conseil doit commencer par consulter la communauté. Or, il ne l'a jamais fait. Pour l'instant, il y a un conseiller qui vient du Sud, et c'est ainsi que la politique est élaborée. Pourtant, lors du règlement de la revendication territoriale, il avait été indiqué que cette formule ne fonctionnait pas. Nous avons besoin d'une nouvelle loi sur les pêches et il faudra que le Nunavut participe à son élaboration. Nous avons besoin d'une politique qui soit différente de celle en vigueur ailleurs au Canada. Nous ne sommes pas des nouveaux venus dans le Nord et nous voulons contrôler nos pêches. Je sais ce qu'il en coûtera pour les gens de la communauté, mais nous ne pouvons pas rester les bras croisés. La seule façon de prendre les choses en main consiste à modifier la politique.
M. Bevan : Nous devrions travailler en collaboration avec le gouvernement du Nunavut dans le respect de la revendication territoriale. Nous ne devons pas nécessairement supposer que ce qui fonctionne dans le Sud fonctionnera là-haut.
Le sénateur Adams : Il n'y a pas de politique sur les pêches au Nunavut.
M. Bevan : Certes, mais le territoire nous fait part de ses recommandations.
Le sénateur Adams : Est c'est là le problème. La politique ne concerne que les gens du MPO et le gouvernement du Nunavut. Le président du Conseil de gestion de la faune du Nunavut est rémunéré par le MPO. Le Conseil prend des décisions en liaison avec le MPO. Il serait mieux, pour nous, que des gens de la communauté siègent au Conseil. Ce serait la seule manière de parvenir à une solution. Rappelons que la politique a été élaborée en 1886.
M. Bevan : La loi a été proclamée en 1868. Elle ne traite que de la façon dont les décisions doivent être prises. Depuis, nous avons adopté de nombreuses politiques. Il y a eu la politique sur l'octroi des permis de pêche dans l'Atlantique qui régit les décisions relatives à l'octroi des permis, les conditions d'octroi, et cetera. Ce n'est pas forcément ce qui se passe au Nunavut, parce que vous êtes les maîtres d'œuvre en ce qui concerne les allocations, la désignation des pêcheurs et ainsi de suite. Dans la région du Nunavut, nous appliquons des politiques qui concernent les navires battant pavillon canadien et ce genre de chose, mais la pêche côtière — actuellement régie par les politiques d'octroi de permis de pêche de l'Atlantique qu'il faut changer — est évidemment différente.
Le sénateur Adams : C'est là tout le problème. À la faveur du règlement de la revendication territoriale, nous devions hériter de l'octroi des permis, mais personne au Nunavut ne peut en obtenir. Ce sont les étrangers qui obtiennent les allocations et qui les exploitent.
M. Bevan : Je comprends la situation. Il y a du travail à faire. Le ministre a indiqué qu'il faudrait peut-être examiner la question de l'infrastructure. En outre, il faut trouver un moyen pour permettre aux résidents du Nord de bénéficier d'allocations et d'avoir des permis. Pour l'instant, l'allocation est donnée au gouvernement du Nunavut qui émet des recommandations sur la façon dont il veut l'appliquer. Nous suivons l'avis du gouvernement territorial en vertu de la revendication territoriale.
Le président : Je sais que le sénateur Watt veut poser des questions, mais j'aimerais poser une question supplémentaire avant de lui céder la parole.
Quand M. Boland nous a rendu visite la dernière fois, il nous a dit que la situation au Nunavut se compare à ce qui se passe ailleurs : l'absence des propriétaires à bord des bateaux constituant une véritable menace pour les pêcheurs et pour ceux qui prennent les quotas. Je ne comprends pas parfaitement la situation du Nunavut, mais M. Boland nous a dit que ce n'était pas différent de ce qui se passe ailleurs où les propriétaires, qui demeurent à terre, capitalisent sur les pêches et en profitent. Cette situation délicate est donc généralisée.
La question est donc de savoir quel est votre rôle dans le cas du Nunavut. Je ne suis pas certain que Pêches et Océans Canada ait un rôle à jouer envers le Nunavut en vertu de l'accord de revendication territoriale. Je ne suis pas au courant. Le problème des propriétaires qui sont à terre est généralisé et le ministre nous en parlé quand il a rendu visite au comité. Il a clairement indiqué son intention de changer cela. Ma question est la suivante : qu'allons-nous faire au sujet des propriétaires non-gérants?
M. Bevan : Il y a deux choses à considérer. Nous avions une politique dans le Canada atlantique qui prévoyait la séparation de la flottille d'exploitants-propriétaires. Le détenteur du permis est censé se trouver à bord du bateau et, généralement, c'est ce qui est indiqué sur papier. Toutefois, un certain nombre de titulaires de permis ont signé des accords de fiducie qui contournent la politique. Selon les termes de ce genre d'accord, ce seront les détenteurs de capital dans l'entreprise qui contrôlent l'utilisation des permis plutôt que les vrais titulaires qui se trouvent à bord des bateaux ou dont les noms apparaissent sur les permis. Nous envisageons de changer la façon dont nous administrons cette politique.
Nous avons beaucoup consulté dans le Canada atlantique sur la façon de modifier et de contrôler ces accords de fiducie. Un pêcheur doit pouvoir conclure une entente de financement avec une usine de transformation contre une garantie d'approvisionnement en poissons, à condition que l'usine ne contrôle pas le permis et que le titulaire du permis en demeure le maître d'œuvre. Nous étudions une façon de changer la façon dont nous administrons la politique. Pour cela, nous nous sommes entretenus avec les différents intervenants, notamment avec les ministres provinciaux. Nous espérons que notre ministre pourra faire une annonce au sujet de ces changements administratifs.
Le président : Quand vous dites « sous peu », cela signifie-t-il d'ici la fin juin?
M. Bevan : C'est ce que nous espérons.
Le sénateur Watt : Il y a déjà un bon bout de temps que nous n'avons pas traité du nombre de permis émis par le ministère. Vous devez savoir combien de permis sont actifs et combien sont détenus par différentes entreprises qui n'en font rien, mais qui les contrôlent. Pourriez-vous communiquer au comité le nombre de pêcheurs actifs et le nombre de pêcheurs inactifs?
M. Bevan : Oui.
Le sénateur Watt : Des témoins nous ont dit que beaucoup possèdent des permis, mais ne s'en servent pas. Je n'ai pas beaucoup d'informations à cet égard, mais il nous serait utile d'en avoir; nous en avons besoin.
M. Bevan : Il ne manque pas d'informations à ce sujet, bien qu'elles soient essentiellement fondées sur des estimations. Par exemple, nous connaissons le nombre de permis de pêche au thon ayant été émis, nous savons que tous ne sont pas utilisés et qu'un certain nombre de titulaires continuent de payer les droits annuels pour se servir de ces permis ultérieurement. Certains détiennent encore des permis de pêche au saumon de l'Atlantique, même s'il n'y a plus de pêche commerciale. Nous pourrions vous transmettre énormément d'informations susceptibles de vous donner une idée du nombre de permis émis, du nombre de permis actifs et du nombre d'entreprises concernées.
Le président : Avez-vous des noms?
M. Bevan : Nous devons être prudents à ce sujet à cause des dispositions de la Loi sur la protection de la vie privée.
Le sénateur Adams : Quelqu'un de la Floride a un quota de 250 tonnes.
Le président : Nous parlons ici d'une ressource commune que possède la population, mais il est vrai que des particuliers ont des permis qui leur permettent d'accéder à cette ressource et de la prélever. Ces personnes font cela pour jouer à la bourse ou poursuivre d'autres objectifs financiers.
M. Bevan : Il existe tout un éventail d'accords de gestion de pêche. Par exemple, le détenteur d'un permis de pêche au thon peut ne pas être actif, ce qui ne veut pas dire qu'il laisse son quota au fond de l'eau, puisque quelqu'un d'autre peut le remonter à la surface. Il y a ceux qui décident d'être actifs et qui se procurent les étiquettes de marquage du thon qu'ils prennent.
Le président : C'est vrai, mais il y a un principe en jeu. Le ministre octroie chaque permis de pêche au nom des Canadiens, et puis c'est quelqu'un d'autre qui l'utilise. La dernière fois, un témoin nous a dit qu'il était impossible de transférer un permis inutilisé à un pêcheur désireux de se retirer.
Le sénateur Watt : Je voudrais poser un autre genre de question aux fonctionnaires. Le ministère a-t-il le pouvoir de rappeler ces permis?
M. Bevan : Le ministre dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu relativement à l'émission des permis, pouvoir discrétionnaire qu'il doit exercer dans les limites du droit naturel.
Le sénateur Watt : Qu'est-ce que le droit naturel?
M. Bevan : Le ministre ne peut, arbitrairement ou capricieusement, annuler le permis de quelqu'un pour le donner à un de ses amis, à une connaissance ou à n'importe qui d'autre. Il ne peut, par exemple, pas décider que seuls les gauchers pourront pêcher. L'exercice de son pouvoir discrétionnaire absolu est soumis à certaines limites.
Le sénateur Watt : Le ministère applique-t-il une règle quand le permis n'a pas été utilisé pendant plusieurs années de suite?
M. Bevan : Il serait possible d'en imposer une. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, on dénombre plus de 300 permis parce qu'il a été facile de les obtenir. Il n'a pas été décidé de dire à ces détenteurs de permis que le ministère va les annuler s'ils ne s'en servent pas. Dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, les choses sont différentes. Il y a moins de permis, mais il a été décidé que seuls les permis actifs seraient reconduits. Donc, cela se passe, mais nous parlons alors de « capacité latente ». Quelqu'un d'autre pourrait obtenir le permis et augmenter la capacité. Finalement, ce genre de réglementation ne rapporte pas grand-chose parce que tout le quota est pris par les pêcheurs actifs. Si nous augmentions le nombre de permis actifs, tous les participants de la flottille devraient pêcher moins de poisson, ce qui leur rapporterait moins en revenu net et nous aurions des problèmes à cause des difficultés économiques de la flottille.
Il y a eu des velléités de se débarrasser de la capacité latente à cause des nombreuses conséquences qu'elle entraîne. D'abord, les titulaires des permis annulés sont mécontents, mais d'un autre côté, il n'est pas possible d'augmenter le pourcentage de permis actifs au sein de la flottille si les quotas sont insuffisants pour soutenir une activité additionnelle.
Nous ne comptons que quelques tonnes de quotas qui n'ont pas été exploités par des titulaires de permis, que ce soit par la pêche directe ou, dans le cas des grosses entreprises à intégration verticale, par la non-utilisation des allocations. Les entreprises peuvent échanger les permis de pêche entre elles pour exploiter des espèces différentes convenant mieux à leur plan d'activité respectif. Cela arrive souvent.
Le président : Allez-vous nous préparer la liste qu'a demandée le sénateur Watt?
M. Bevan : Oui.
[Français]
Le sénateur Gill : Connaissez-vous le nombre de permis détenus par les populations et par les Inuits ? Avez-vous ces informations quant aux différentes provinces, les Maritimes, le Québec, le Nunavut ?
M. Bevan : Vous parlez des Inuits?
Le sénateur Gill : Les Premières nations, les Inuits, les Autochtones.
M. Bevan : Oui, nous avons le nombre de permis de pêche pour les Premières nations, mais en ce qui concerne les Inuits, je ne suis pas sûr. Mais je pense que oui.
Le sénateur Gill : Au Nunavut, du moins ?
M. Bevan : Je pense que oui.
Le sénateur Gill : Je parle des Maritimes et du Québec. Est-ce que je pourrais avoir cette information ?
M. Bevan : Oui, bien sûr.
[Traduction]
Le sénateur Adams : Je vois les choses un peu différemment. Cela a occasionné des ravages dans la Rivière des Français. La Première nation avait conclu un accord de revendication territoriale. Nous nous y sommes rendus avec le sénateur Comeau et nous y avons rencontré des pêcheurs de saumon de la Rivière des Français. Ils nous ont dit qu'ils avaient un permis du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui, à l'époque, était visé par la revendication territoriale. La Première nation détenait 257 permis individuels destinés à permettre aux Indiens de pêcher le saumon dans la rivière Prince Rupert en Colombie-Britannique. Le Nunavut n'a reçu qu'un seul permis qui appartient au Conseil de gestion de la faune du territoire.
Voilà pourquoi nous avons des problèmes avec les résidents de la communauté. Ils veulent pratiquer la pêche commerciale, mais le Conseil de gestion de la faune du Nunavut a un seul permis pour tout le territoire et qu'il l'a accordé à la Baffin Fisheries Coalition. Pour l'instant, certaines organisations ainsi que le gouvernement du Nunavut sont en concurrence avec les résidents du territoire.
Les pêches sont exploitées par le gouvernement du Nunavut et nous obtenons les quotas du Conseil de gestion de la faune.
Si je ne m'abuse, la Loi sur les revendications territoriales exige qu'un Inuit soit associé à toute entreprise désireuse de faire affaire dans la communauté, et cela à hauteur de 51 p. 100 du capital. Je pense que c'est la même règle partout, dans les pêches et dans la construction. D'après la Nunavut Tunngavik Incorporated, ou NTI, en vertu des accords de revendication territoriale, les entreprises doivent engager jusqu'à 72 p. 100 d'Inuits locaux pour faire le travail. Si ce n'est pas le cas, elles n'obtiennent pas de contrat; ce devrait être la même chose pour les pêches parce que l'argent est là, mais que les gens n'ont pas de travail. Ils ne peuvent pas se lancer dans la pêche.
Le président : Je vais poser quelques questions qui découlent de la dernière réunion du comité et dont personne n'a parlé jusqu'ici. Nous en avons peut-être effleuré certaines, mais il y en a une qui concerne la cogestion et la façon de permettre aux pêcheurs d'avoir davantage voix au chapitre. Faut-il modifier la Loi sur les pêches pour cela?
Vous en avez parlé un peu plus tôt, à propos du pouvoir discrétionnaire absolu du ministre. Je suppose qu'avant de réduire le pouvoir absolu du ministre, il faut changer la loi, c'est cela?
M. Bevan : Je pense que c'est effectivement le cas. La cogestion signifie plus qu'une simple entente relative à un projet conjoint. Ce type d'entente stipule qu'un pêcheur peut se livrer à certaines activités et payer en conséquence, et que le ministère va faire certaines choses de son côté. Il ne s'agit pas vraiment de cogestion. Il ne s'agit pas d'une responsabilité partagée pour la gestion globale des pêches. Ce n'est pas une responsabilité partagée.
Par ailleurs, en vertu de la Loi sur les pêches actuelle, les pouvoirs ne peuvent être partagés et l'industrie ne peut donc pas mettre en place un système de surveillance ni avoir son mot à dire quant au type de sanction à imposer aux membres qui ne respectent pas les règles établies.
Le président : Avez-vous l'intention de proposer prochainement des amendements pour régler ce genre de problème?
M. Bevan : Encore une fois, cette décision appartient au ministre.
Le président : N'auriez-vous pas entendu de rumeur ou de ragots dont vous pourriez nous faire profiter? Nous ne le dirons à personne.
M. Bevan : Le ministre serait mieux placé que moi pour vous répondre. Tout ce que je dis, c'est que j'espère que des changements seront apportés le plus tôt possible parce que nous avons vraiment besoin de nouveaux instruments pour travailler dans un contexte moderne.
Le président : L'autre question qui s'est posée est celle de l'exécution de la loi et des recherches, car je voulais savoir si nous avons les moyens de notre ambition. Nous savons que, dans le passé, les budgets du ministère ont été réduits et qu'il convient de lui donner plus de ressources.
La dernière fois, M. Boland nous a dit qu'il y avait sans doute plus de caméramans dans la salle que de chercheurs effectuant des travaux scientifiques. Certains caméramans ont offert leur candidature pour aller travailler comme scientifiques, mais on ne leur a pas donné la possibilité de donner suite à cette offre.
Peut-on espérer que votre budget soit augmenté pour favoriser l'exécution de la loi et le travail de recherche?
M. Bevan : Ce sera le cas pour ce qui est de l'exécution de la loi. Nous avons effectivement reçu des fonds additionnels pour l'actuel exercice financier. À cet égard, nous sommes dans une situation où la majeure partie de nos coûts sont fixes. Comme notre budget était fixe, que les coûts et les dépenses augmentaient, nous nous sommes retrouvés dans une situation délicate. Notre secteur opérationnel en a souffert. La location des bureaux, la masse salariale, l'informatique, le matériel roulant, l'équipement divers et ainsi de suite, autrement dit des coûts fixes que nous devions assumer, ont fini par représenter une partie de plus en plus importante de notre budget.
Malgré les ajustements que nous avons essayé d'apporter et une tentative visant à réduire notre effectif de plus de 600 employés à temps plein, nous n'avons pas résisté aux pressions qui s'exerçaient sur nous. On vient maintenant de nous accorder un budget opérationnel qui va nous permettre de redéployer des gens sur le terrain. Nous allons pouvoir recommencer à payer des heures supplémentaires et à financer l'embarquement d'agents des pêches à bord des bateaux pour leur permettre de se rendre dans les zones où ils pourront effectivement faire leur travail.
M. Rivard : Pour ce qui est du secteur de la recherche, les réductions ont été annoncées il y a quelques années. Nous avons eu de la chance parce que, durant les premières années de mise en œuvre, le programme d'évaluation des stocks n'a fait l'objet d'aucune réduction. Nous avons cependant subi des réductions cette année correspondant à une quinzaine d'années-personnes sur les 620 que nous consacrons à l'évaluation des stocks.
D'un autre côté, nous avons reçu de l'argent au titre de différentes initiatives. C'est, par exemple, le cas du programme de gouvernance internationale dont le volet scientifique va nous rapporter quelque 11,5 millions de dollars sur trois ans et nous permettre de travailler sur les questions concernant les pêches.
Dans le cadre d'une annonce récente, il était prévu de nous consentir 1,2 million de dollars qui seraient entièrement consacrés à la recherche sur le cabillaud, dont une partie irait à Terre-Neuve et Labrador. De plus, quelque 600 000 $ supplémentaires seront canalisés vers la recherche sur le cabillaud grâce à un programme découlant de la Loi sur les espèces en péril. Cette année, cela va nous permettre de lancer des projets de recherche spéciaux dans le cadre des initiatives d'intendance partagée, de même que sur les résultats d'une interaction entre le cabillaud et d'autres espèces, comme le phoque.
Je pourrais vous en citer d'autres — comme le plan d'action sur les océans et les initiatives concernant les espèces envahissantes — qui ont permis au ministère de percevoir des fonds additionnels pour des projets particuliers. Ces initiatives nous aident parce que nous n'avons pas besoin de détourner l'argent normalement consacré à l'évaluation des stocks afin de remplir les mandats qui nous sont confiés; nous sommes payés pour cela.
Au quotidien, nous travaillons avec le ministre pour définir le genre de recherche qui est prioritaire pour le ministère dans le domaine des pêches et voir comment progresser à partir de là et établir ce que nous appellerons la recherche sur l'avenir des pêches. Celle-ci comportera un volet « écosystème » et un volet « collaboration avec l'industrie ».
Je le répète, nous devons évoluer. Nous ne devons pas reprendre les programmes du passé qui, le plus souvent, n'étaient axés que sur une espèce. Il faut évoluer à partir de là et je crois qu'avec le temps, nous parviendrons à nous doter d'un programme plus solide.
Le sénateur Watt : Encore une fois, pour ce qui est des recherches, je ne suis pas certain que le ministère des Pêches et des Océans soit à la page en ce qui concerne des choses comme le changement climatique.
Je sais que vous faites de votre mieux pour surveiller ce qui se produit du côté des activités de pêche et de choses du genre, mais est-ce que votre ministre a confié à votre ministère une tâche quelconque concernant les coûts naturels attribuables au changement climatique ou les répercussions de ce phénomène sur les espèces marines? Êtes-vous en train de devenir un des acteurs dans ce dossier, en votre qualité de responsable de la ressource halieutique?
M. Rivard : Le changement climatique est une priorité pour le ministère. Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais un groupe d'océanographes s'intéresse tout particulièrement au changement climatique. Ce groupe effectue des recherches dans ce domaine.
Nous suivons de près ce qui se fait à cet égard dans le monde entier, parce que le Canada n'est pas le seul pays touché par le changement climatique. Nous devons travailler de concert avec les autres. Comme une partie de la surveillance nécessaire doit se faire à grande échelle, nous collaborons avec d'autres pays. Si vous désirez plus de renseignements à ce sujet, sachez que nous avons au ministère des spécialistes de la question qui pourront vous en parler.
M. Bevan : Il y a une chose qui, je crois, a profondément changé au cours des dernières années. Il n'y a pas si longtemps que cela, les gestionnaires des pêches voulaient que les scientifiques leur parlent chiffres, leur indiquent le total autorisé de captures, le TAC. C'était tout. Aujourd'hui, nous nous intéressons davantage à la dynamique des populations, à leur résistance et à leur viabilité.
De plus, nous nous intéressons davantage à ce qui se passe dans le domaine de l'océanographie, notamment en ce qui concerne la température de l'eau. Par exemple, selon le modèle établi pour la Colombie-Britannique cette année, 17,5 millions de saumons sockeye devraient remonter le Fraser et le nombre de ceux qui devraient en redescendre s'inscrit dans une fourchette assez large. Il y a donc un écart très important quant aux nombres en jeu autour des moyennes indiquées.
Ensuite, les gestionnaires des pêches veulent qu'on les renseigne sur les conditions des océans, sur la taille des éperlans, sur la productivité dans le Pacifique Nord. Ils veulent savoir si l'on va revenir aux niveaux d'antan ou s'il y en aura moins. Voilà donc toutes les questions que nous posons et auxquelles les scientifiques nous aident à répondre en fonction de leurs connaissances océanographiques.
Nous tenons compte de toutes ces réponses dans l'élaboration de notre approche à la gestion des pêches. Nous devons gérer en fonction de données chiffrées, mais nous sommes conscients du fait qu'il peut y avoir d'importants changements à cause de modifications environnementales.
Nous avons constaté d'énormes différences dans l'Atlantique Nord également, puisque dans certains secteurs au large de Terre-Neuve, par exemple, nous avons relevé d'importants changements au cours des 13 dernières années, la température ayant augmenté de plus de 4 degrés celsius. Que signifient ces changements? Nous ne le savons pas. Tout ce que nous savons, c'est que nous devrions peut être faire preuve de beaucoup plus de prudence que par le passé. Nous devons éviter de nous retrouver à la limite du potentiel exploitable et nous devons nous réserver une plus grande marge pour imprévus, parce que nous allons nous retrouver dans une situation que nous ne sommes actuellement pas en mesure de prévoir.
Le sénateur Watt : Quand le ministre est venu nous voir, j'ai soulevé la question de la découverte de nouvelles espèces. D'où viennent-elles? Pour quelle raison ces nouvelles espèces se retrouvent-elles dans certains secteurs?
Si nous pouvions savoir d'où elles viennent, nous pourrions nous rendre dans leurs zones d'origine afin de découvrir ce qui s'y passe et de voir pourquoi elles ont quitté ces zones. Nous saurions pourquoi elles ont pénétré dans de nouveaux cours d'eau où on ne les avait jamais vues auparavant. Ce genre d'information est important parce que, sans ces données, il y a lieu de se demander comment nous pourrons passer à l'étape suivante de l'étude scientifique.
Vous avez dit que le changement climatique a des répercussions sur la communauté internationale, ce qui est tout à fait vrai, mais il faut aussi être conscient que vous avez peut-être les meilleures informations qui soient à portée de main, puisqu'il vous suffit de vous entretenir avec les résidents locaux, d'établir un système de surveillance et d'essayer ainsi de mieux comprendre ce qui se passe.
Des gens m'ont dit qu'ils effectuent déjà ce genre de surveillance. Pourquoi ne les consultez-vous jamais? Ils disent qu'ils ont un service de recherche, mais que celui-ci n'a pas forcément les fonds nécessaires pour effectuer ce travail.
M. Bevan : Dans le cas du Québec, le saumon est bien évidemment de responsabilité provinciale.
Le sénateur Watt : Quels sont les rapports entre le MPO et la province?
M. Bevan : À la suite de votre dernière intervention, j'ai transmis les questions à poser aux scientifiques de la province. Les espèces envahissantes sont un véritable fléau. Il y a, par exemple, le crabe vert dans le golfe du Saint- Laurent; c'est une espèce qui n'a pas migré là-bas, mais qui a été apportée par l'homme.
Le sénateur Watt : Voilà pourquoi nous avons besoin de plus d'informations.
M. Bevan : Leur présence est due à l'activité humaine et c'est la même chose pour les tuniciers qui représentent un véritable problème et qui occasionnent d'énormes difficultés économiques au secteur de l'aquaculture.
L'apparition des tuniciers n'obéit pas à un processus naturel. Ils ont été déposés là par les eaux de cale vidangées par les bateaux ou par les gens qui les ont relâchés dans ce milieu marin sans forcément connaître le genre de risque qu'ils constituent. Comme ces problèmes sont de véritables casse-tête, nous appliquerons le programme des espèces envahissantes.
M. Rivard : Tout dépendra du degré de détail que vous souhaitez, mais il se trouve que nous disposons maintenant d'un programme scientifique qui concerne tout particulièrement ce problème. Nous en sommes dans la première année du programme, et nous disposons d'un financement pour quelques années. Ce ne devrait donc être qu'un début. Nous ne travaillons pas uniquement à l'échelon du fédéral, puisque nous collaborons avec les provinces.
On peut donc dire que les gens sont sensibilisés au problème. Comme M. Bevan le précisait, il existe de nombreux vecteurs. Une partie de notre recherche consiste à comprendre ce que sont ces vecteurs, les risques qui y sont associés et ce que nous devons faire en conséquence; cela correspond à une autre phase de la recherche.
Ce sont là autant d'éléments clés d'un programme en évolution. Ce dossier suscite de plus en plus l'intérêt à cause des répercussions économiques qu'il comporte et je crois qu'il ne s'agit que d'un début sur le plan de la recherche et sur la façon dont nous allons finir par gérer toutes ces choses-là.
Le sénateur Watt : Pourriez-vous nous transmettre les informations dont vous disposez au sujet de ces programmes?
M. Rivard : Nous avons des spécialistes à Ottawa qui pourraient venir vous entretenir des divers éléments du programme et vous donner plus de détails.
Le président : J'ai une dernière question. Les syndicats en général — mais plus précisément ceux de Terre-Neuve et Labrador et du Nouveau-Brunswick — nous ont fait part de leur intention de réduire la capacité d'une façon ou d'une autre en rachetant collectivement les permis. Je ne me rappelle pas exactement si c'est la même chose en Nouvelle- Écosse, mais c'est ce qu'ont déclaré les syndicats de Terre-Neuve et Labrador et du Nouveau-Brunswick.
Existe-t-il une façon qui leur permettrait de parvenir à leurs fins? Existe-t-il un mécanisme grâce auquel ils pourraient réduire d'eux-mêmes la capacité?
M. Bevan : Pour cela, il faudrait modifier les politiques qui régissent l'octroi des permis aux pêcheurs dans le Canada atlantique. Cela n'est pas autorisé pour certaines flottilles et il est même interdit à des pêcheurs professionnels désignés d'acheter les permis d'autres pêcheurs professionnels. Dans le Canada atlantique, certaines flottilles sont passées à la formule des quotas individuels transférables, les QIT. Dans ce cas, il est possible d'acheter les quotas, mais il s'agit de flottilles qui se trouvent surtout dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.
Comme il n'existe pas de politique du genre ailleurs, cette année nous avons permis ce que l'on a appelé le « jumelage » grâce auquel deux entreprises peuvent travailler en partenariat à bord d'un bateau pour exploiter ensemble les deux quotas. Comme je le disais tout à l'heure, il existe un problème de pénurie d'équipages, en plus du prix du carburant et des autres coûts, si bien que les pêcheurs se prévalent de ce genre de formule quand on la leur propose. Cependant, cette solution ne saurait être permanente. Pour apporter une solution permanente, il faudra modifier la politique. La concentration d'entreprises et des choses du genre continuent d'en inquiéter certains. Si nous modifions la politique, il faudra prévoir un certain nombre de sauvegardes. En Islande, les pêcheurs côtiers peuvent acheter des quotas hauturiers, mais l'inverse n'est pas possible et le nombre de quotas que les pêcheurs côtiers peuvent acquérir pour leur secteur de pêche est limité. Par exemple, une limite de 5 p. 100 permet de contrôler toute tendance à une rationalisation excessive et de le faire de façon à éviter une concentration d'entreprises.
Il faut, par un changement de politique, permettre aux pêcheurs d'accéder à des capitaux. Nous devons collaborer avec les flottilles de pêche pour déterminer le genre de concentration qui les intéresse, la façon dont elles veulent rationaliser leurs opérations, le modèle qu'elles veulent appliquer et le nombre de sauvegardes qu'elles jugent nécessaires afin de maintenir les secteurs côtiers. Nous devrons agir de façon à parvenir à un résultat qui soit économiquement viable parce que nous allons devoir franchir ce qui n'est pas un simple accident de parcours, mais un gros changement dans les pêches qui durera relativement longtemps.
Le président : Avez-vous l'intention de proposer assez rapidement des mesures à cet égard?
M. Bevan : Nous n'avons pas le choix. Terre-Neuve et Labrador est aux prises avec ce genre de réalité et essaie de composer avec la situation. Force est de conclure qu'il ne sera pas possible de résoudre ce problème par de simples rajustements. Nous ne pourrons pas apporter de petits ajustements à certains des coûts auxquels les pêcheurs sont confrontés. Nous allons devoir mettre en place une véritable structure pour les pêches et essayer de collaborer avec les collectivités, les provinces et les pêcheurs pour parvenir à un modèle que les gens devront appliquer. Nous devons commencer tout de suite. Comme je le disais, les choses sont déjà enclenchées à Terre-Neuve et Labrador et nous allons devoir très bientôt reproduire cela dans les autres provinces.
Certes, les pêcheurs pêchent, mais est-ce qu'ils font de l'argent? Certains ne parviennent pas à couvrir leurs coûts variables, ce qui n'est pas viable. Il va falloir faire quelque chose pour l'année prochaine.
Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, je vais remercier nos deux invités d'avoir contribué à cette discussion. Nous avons hâte de voir le genre de mesures que vous allez adopter. De notre côté, nous comptons les examiner très rapidement.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.