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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 4 - Témoignages du 9 novembre 2006 - Séance du matin


ST. JOHN'S, le jeudi 9 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 8 h 5 dans le but d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.

Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas déjà, nous sommes le Comité sénatorial des pêches. Je m'appelle Bill Rompkey, je suis le président du comité, et je crois que les autres membres ont leur nom devant eux et qu'ils sont identifiés, mais, histoire de les présenter à tout le monde : le sénateur Willie Adams, du Nunavut, le sénateur Gill, de la région du Lac Saint-Jean, au Québec; le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard; le sénateur Baker, de Gander; le sénateur Johnson, de Lake Winnipeg; le sénateur Cowan, de Halifax; et le sénateur Campbell, de la Colombie-Britannique.

L'honorable Tom Rideout, député à la Chambre d'assemblée, ministre des Pêches et de l'Aquaculture, gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador : Merci, sénateur. Au nom du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, je vous souhaite la bienvenue dans notre province. Je tiens également à vous remercier de me donner l'occasion de vous parler des pêches, qui sont d'une importance vitale pour les gens de Terre-Neuve-et-Labrador

Les ressources de la mer, en particulier les ressources halieutiques, jouent un rôle économique clé à Terre-Neuve-et- Labrador depuis plus de 500 ans, de sorte que l'évolution du droit international relatif aux droits des États côtiers a été suivie avec beaucoup d'intérêt par les gens de notre province. Parmi les stocks de poisson qui ont contribué à la viabilité économique de la pêcherie de notre province, les stocks de poisson des Grands Bancs sont d'une importance particulière. Malheureusement, la zone économique exclusive de 200 milles du Canada n'englobe pas la totalité du banc. Comme nous le savons, le nez et la queue des Grands Bancs sont en eaux internationales, et plusieurs stocks clés, d'une importance vitale pour notre province, chevauchent la ligne des 200 milles. Ces stocks font l'objet d'une surexploitation massive par d'autres pays, et notre gouvernement va continuer de lutter contre de telles activités.

La morue du Nord a toujours figuré parmi les stocks les plus surexploités. Avant l'établissement de la zone canadienne, ce stock subissait les contrecoups de la surexploitation étrangère. En 1968, par exemple, des navires étrangers ont débarqué approximativement 800 000 tonnes métriques de morue du Nord. Le stock ne s'est jamais pleinement remis de cette surpêche. Outre la morue du Nord, il y a actuellement d'autres stocks qui chevauchent la ligne des 200 milles qui sont d'une importance clé pour la viabilité économique de notre province. Il suffit de penser, par exemple, à la limande à queue jaune, dont FPI, entreprise d'envergure de Terre-Neuve-et-Labrador, détient actuellement 90 p. 100 de la part canadienne, et le Canada contrôle 97,5 p. 100 du stock mondial.

Ces exemples montrent à quel point ces pêches ont une importance vitale pour notre province, et les États côtiers doivent jouir d'un contrôle accru à l'égard de la gestion des stocks de poisson rapprochés. Nos gouvernements estiment que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de laisser la surpêche étrangère continuer de détruire nos précieuses ressources halieutiques. Notre gouvernement continuera d'appuyer toute mesure visant à dissuader les pêcheurs étrangers de surexploiter les stocks du nez et de la queue des Grands Bancs, y compris la réforme de l'OPANO.

Au moment de sa création en 1977, l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest avait pour but d'atténuer nombre des problèmes liés à la surpêche étrangère. On l'a établie à titre d'organisme multilatéral responsable de la gestion des stocks de poisson dans l'Atlantique nord-ouest. L'OPANO avait pour mandat de contribuer, au moyen d'activités de consultation et de coopération, à l'exploitation optimale, à la gestion rationnelle et à la conservation des ressources halieutiques sur l'ensemble du territoire dont elle est responsable. Cela comprend le nez et la queue des Grands Bancs, qui sont d'une importance vitale pour notre province. Or, l'OPANO a manqué à ses obligations dans ce secteur. Le Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes et le rapport du groupe consultatif sur la gestion durable des stocks de poissons chevauchants tirent les mêmes conclusions après avoir examiné le rendement de l'OPANO. Les problèmes qui ont affligé les années 80 et 90 sont bien documentés. La procédure d'opposition de l'OPANO permettait aux navires de surexploiter les stocks lorsqu'ils n'étaient pas satisfaits des quotas qui leur étaient consentis. D'ailleurs, l'OPANO ne pouvait rien faire pour prévenir la fausse déclaration des prises. Le gouvernement du Canada a donc intensifié ses activités de patrouille et de surveillance dans la zone réglementée par l'OPANO. Cela a certainement contribué à dissuader les navires étrangers de pêcher sur le nez et la queue des Grands Bancs, et nous sommes certainement heureux des progrès réalisés à l'occasion de la réunion de l'OPANO de 2006. Ma province considère les nouvelles mesures de contrôle, de surveillance et de suivi ainsi que la procédure de règlement des différends, comme des améliorations apportées à l'OPANO. En effet, le rappel au port de bateaux de pêche dont l'équipage a commis des infractions graves aura un effet dissuasif au chapitre de la surpêche étrangère. De plus, l'établissement d'une procédure de règlement des différends permettra de résoudre, dans les délais prescrits, les conflits entre membres de l'OPANO à l'égard des quotas. Cela réduira la mesure dans laquelle les membres contestataires peuvent surexploiter les stocks simplement parce qu'ils ne sont pas satisfaits des quotas qu'on leur a consentis.

La province craint que les membres de l'OPANO n'aient la possibilité de réduire à 25 p. 100 la surveillance par des observateurs, lorsqu'ils effectuent une surveillance électronique accrue. La surveillance électronique n'a pas été mise à l'épreuve dans le cas de la pêche du poisson de fond. Nous croyons que les observateurs devraient demeurer en place jusqu'à ce qu'on ait prouvé qu'il s'agit d'un outil de contrôle amélioré. C'est pour cette raison que notre province a insisté, à l'occasion de la récente réunion de l'OPANO, pour que ce programme soit évalué sur une période de trois ans.

On a réalisé de grandes choses à l'occasion de la réunion de l'OPANO, certes, mais reste à savoir comment se déroulera la mise en œuvre de ces mesures. Nous devons voir comment ces politiques seront mises en œuvre, et, tant que nous ne serons pas convaincus du fait qu'elles permettent de lutter efficacement contre la non-conformité, nous ne les percevons pas comme une solution de rechange à la gestion canadienne axée sur la conservation. En effet, Terre- Neuve-et-Labrador continue d'appuyer le recours à la gestion axée sur la conservation aux fins de la protection des stocks de poissons décimés. En appliquant la gestion axée sur la conservation au-delà du rebord de la plate-forme continentale, le Canada s'assurerait de gérer les stocks qui chevauchent actuellement la limite des 200 milles. Cela permettrait d'assurer l'application uniforme des mesures de conservation des ressources tout en respectant les parts consenties aux autres pays. Cela permettrait également d'assurer la mise en œuvre de l'Accord des Nations Unies sur la pêche. À titre d'État côtier, le Canada serait responsable de la conservation et de la gestion fondées sur des données scientifiques éprouvées. Le Canada serait responsable du suivi et de l'exécution. Ce serait le point de départ d'une solution qui peut fonctionner dans un contexte multilatéral. L'OPANO, à titre d'organisme de gestion des pêches de la région, conserverait ses responsabilités à l'égard des décisions en matière d'accès et de répartition, des recommandations scientifiques et de la gestion des stocks distincts.

Ma province estime qu'il s'agit d'un concept de gestion de la ressource à l'égard duquel on devrait chercher à obtenir un appui international, car l'adoption de mesures de gestion uniformes renforcerait la conformité et dissuaderait encore davantage les pêcheurs de commettre des infractions à l'extérieur de la limite des 200 milles.

Il s'agit d'une solution avantageuse non seulement pour le Canada et pour Terre-Neuve-et-Labrador, mais aussi pour tous les pays qui pêchent dans l'Atlantique Nord-Ouest. Toutefois, si cette mesure ne peut être mise en œuvre dans le cadre de l'OPANO, nous continuerons de demander instamment au gouvernement du Canada de mettre en œuvre cette option par d'autres moyens, par exemple la création d'un organisme parallèle de gestion des pêches régional, comme l'a suggéré le groupe consultatif présidé par M. Art May.

La gestion axée sur la conservation offre une occasion de rétablir, de protéger et de partager les ressources pour l'avenir, de façon multilatérale et collective. L'appui de mon gouvernement à l'égard de cette option stratégique témoigne du fait que Terre-Neuve-et-Labrador sait que le système actuel ne fonctionne pas. Il est effectivement temps de passer à autre chose. Nos stocks doivent être protégés.

J'aimerais également profiter de l'occasion pour répéter que mon gouvernement appuie la décision du gouvernement du Canada de ne pas consentir à une interdiction formelle du chalutage de fond en haute mer. Nous appuyons la position selon laquelle, si on interdisait le chalutage de fond au-delà de la zone de 200 milles, notre pays subirait d'énormes pressions en vue de l'application d'une interdiction similaire dans la zone de 200 milles. Ma province estime qu'une interdiction du chalutage de fond en eaux canadiennes porterait préjudice à de nombreuses pêches très importantes pour la province. De fait, une telle interdiction pourrait éliminer la pêche à la crevette, au poisson plat, à la mye et au pétoncle, et pourrait avoir un impact considérable sur les pêches de poissons pélagiques et du sébaste. De plus, le chalutage de fond est un volet crucial de la capture de la limande à queue jaune et constitue un volet important des activités de FPI à Marystown.

Ces pêches jouent un rôle crucial, car elles permettent à de nombreux citoyens de Terre-Neuve-et-Labrador d'assurer leur subsistance. Puisque nous ne pouvons mettre en péril les collectivités qui dépendent de ces pêches, nous encourageons le gouvernement fédéral à maintenir fermement sa position à cet égard. Notre gouvernement appuie l'adoption de pratiques environnementales saines, et même s'il y a effectivement des problèmes liés au chalutage de fond, notre gouvernement est d'avis qu'on peut chercher des moyens de régler ces problèmes au lieu d'interdire complètement le chalutage de fond. En effet, il faut envisager la prise de mesures de rechange pour protéger l'habitat marin au lieu d'appliquer des mesures trop générales qui auraient un effet dévastateur sur les collectivités qui vivent de la pêche. Parmi ces mesures, mentionnons la mise au point de technologies de pêche intelligentes et de techniques permettant de réduire au minimum le contact de l'engin avec le fond marin, et la création de zones de protection marines. Mon gouvernement continuera de travailler avec le gouvernement fédéral au repérage et à la mise en œuvre de solutions éventuelles. À cette fin, nous croyons fermement qu'il faut consentir davantage de financement à la recherche, et nous encourageons le gouvernement fédéral à accroître le financement dans ce domaine. Pour mettre au point des solutions, nous devons comprendre les impacts et la meilleure façon de les atténuer.

Avant de terminer, j'aimerais profiter de l'occasion pour parler d'autres enjeux qui sont d'une importance considérable pour Terre-Neuve-et-Labrador. D'abord et avant tout, il y a les tarifs appliqués par l'UE aux produits de la mer qui viennent du Canada. Ces tarifs ont un effet négatif sur de nombreux produits, le plus durement frappé étant la crevette, mais ils ont également un impact important sur de nombreuses espèces de poissons de fond et de poissons pélagiques. C'est une mesure dissuasive qui existe depuis longtemps, et notre province lutte activement contre ces tarifs, avec peu de succès, depuis dix ans. J'ai récemment mené une délégation à l'UE, et nous avons rencontré le directeur général des Pêches et des Affaires maritimes de la Commission européenne, à Bruxelles, ainsi que des cadres supérieurs de la direction générale du Commerce. Ces rencontres se sont révélées très productives, et tout laisse croire à la résolution à court terme du problème lié aux crevettes. Mais nous devons continuer d'exercer des pressions à cet égard, et il faut que le gouvernement du Canada se joigne à nous pour que nous puissions faire de cette question une priorité.

Notre gouvernement continue de lutter contre les perceptions erronées en ce qui concerne la chasse aux phoques dans l'est du Canada. Cette chasse contribue de façon importante au bien-être économique de notre province, et nous devons continuer de communiquer diligemment avec le reste du monde afin qu'il sache que notre chasse aux phoques est sans cruauté et durable. Nos efforts semblent donner des résultats aux États-Unis, où tout prête à croire que nos marchés du poisson et des fruits de mer n'ont pas été touchés par les diverses manifestations et autres activités visant à condamner notre chasse aux phoques.

L'UE tiendra bientôt un vote sur l'interdiction complète d'importer tout produit du phoque provenant du Canada, et nous devons insister sur le bien-fondé de la chasse aux phoques. Bien sûr, le gouvernement du Canada a un grand rôle à jouer, et nous encourageons le gouvernement à redoubler d'efforts à cet égard. Je vais accueillir, à la fin novembre, une délégation du comité des pêches de l'Union européenne, et la chasse aux phoques comptera parmi les principaux enjeux que nous examinerons à l'occasion de nos rencontres. Je tiens à vous rappeler à tous que ma province s'est engagée, avec le gouvernement fédéral, dans un exercice de renouvellement des pêches. C'est le reflet d'une nouvelle approche pour aider la pêcherie de Terre-Neuve-et-Labrador à surmonter les obstacles auxquels elle est confrontée. Nous continuons d'espérer que ce processus mènera à la mise au point de solutions fructueuses.

Pour terminer, j'aimerais insister de nouveau sur l'importance que revêtent les pêches pour nos collectivités rurales. Nous ne pouvons plus tolérer la surexploitation, par des bateaux de pêche étrangers, de stocks essentiels à notre survie. Nous continuerons d'appuyer toute mesure visant à contrer de telles activités, et nous continuerons de travailler diligemment pour assurer la viabilité économique de la principale industrie de notre province. Encore une fois, je remercie les honorables sénateurs de m'avoir invité à prendre la parole ce matin. Je serai heureux de répondre à vos questions et d'examiner plus en détail tout enjeu que vous soulèverez. Merci de l'occasion de témoigner.

Le sénateur Johnson : Veuillez, je vous prie, nous donner plus de détails pour ce qui est de savoir si le ministère des Pêches et des Océans fait tout le nécessaire, en ce qui concerne le suivi, pour protéger les stocks qui chevauchent la limite de 200 milles.

M. Rideout : Au chapitre du suivi, on a fait des progrès considérables au cours des trois ou quatre dernières années. On pourrait toujours dire, je suppose, que ce n'est jamais assez et qu'il pourrait y en avoir davantage, mais il y a eu un accroissement du suivi et des ressources affectées au suivi au cours des dernières années, et, dans cette optique, nous nous réjouissons de la tendance.

Le sénateur Johnson : Nous avons actuellement assez de ressources affectées à cet aspect.

M. Rideout : Je ne saurais dire — sans faire d'analyse — que nous n'avons pas besoin de ressources supplémentaires, mais je sais que nous en avons davantage qu'il y a quatre ou cinq ans. Sous le ministre Regan, dans le gouvernement précédent, on a augmenté de façon considérable les ressources et les activités de suivi, et cette tendance à l'amélioration s'est poursuivie avec le nouveau gouvernement. Nous croyons que ces tendances évoluent dans la bonne direction. Nous ne voulons certainement pas qu'il y ait des compressions budgétaires, mais pour ce qui est de déterminer si des hausses supplémentaires s'imposent, il nous faudrait effectuer une sorte d'analyse sur la question.

Le sénateur Johnson : On nous a beaucoup parlé d'exécution, hier, et je serais curieux de savoir si la province se réjouit des résultats de l'affectation de fonds supplémentaires au chapitre de l'exécution de la loi. Je suis impressionné par les résultats. Qu'en pensez-vous?

M. Rideout : Nous voyons d'un bon œil l'affectation de fonds supplémentaires aux fins de la mobilisation de ressources, de bâtiments et d'aéronefs. Notre principale préoccupation, à l'issue des récentes réunions de l'OPANO, concerne le passage à la surveillance électronique. Nos préoccupations ont été prises en considération, et on va contrôler la situation pendant trois ans avant de tomber à 25 p. 100. Nous devons veiller à ce que ces technologies fonctionnent, de façon générale. Nous sommes ouverts à ce virage technologique, mais nous voulons nous assurer de ne pas nous tirer dans le pied en nous appuyant davantage sur la surveillance électronique que sur des humains. Outre cet aspect, nous sommes généralement satisfaits de l'affectation de ressources à l'exécution de la loi, à l'intérieur de la zone.

Le sénateur Johnson : Je me demande si vous pourriez nous aider un peu en ce qui concerne la recherche sur le chalutage de fond. Je suis d'accord avec vous, nous avons besoin de davantage de recherches sur cette question. Avez- vous une idée des aspects sur lesquels le gouvernement fédéral devrait mettre l'accent?

M. Rideout : Nous avons toujours besoin de recherches approfondies sur le chalutage de fond et les effets de cette activité sur le fond. Je crois que c'est plutôt concluant. Cette méthode de pêche peut être très destructive, il n'y a aucun doute là-dessus. On peut atténuer l'impact sur le fond en évitant les écosystèmes qui sont très délicats et plus susceptibles d'être affectés que d'autres zones. Il existe une technologie qui permet au chalut de pêcher sans être en contact constant avec le fond, de façon à éviter de bouleverser l'habitat que constitue le plancher océanique. L'établissement de zones de protection marine est une autre façon de protéger les zones fragiles, et nous avons la péninsule d'Eastport et la baie Gilbert, au Labrador. Nous serions disposés à envisager la protection d'autres zones désignées.

Nous devons continuer d'envisager des solutions qui n'éliminent pas totalement le chalutage de fond, car une telle chose aurait un effet négatif sur de nombreuses collectivités et des centaines, probablement des milliers de personnes dans notre province, et certainement dans le reste du Canada atlantique. Je crois savoir que le vote de l'ONU concerne non pas une interdiction complète, mais bien une interdiction partielle dans les zones fragiles. Nous pouvons sûrement tous comprendre ce type d'interdiction et nous y adapter. Mais il ne faudrait pas déformer la réalité et laisser croire au grand public qu'il est question d'une interdiction totale en haute mer et, par conséquent, d'une interdiction totale dans la zone canadienne, car ce n'est tout simplement pas vrai. Je crois que nous nous devons de signaler cela et de mettre en relief les répercussions négatives d'une éventuelle interdiction totale.

Nous contrôlons la zone de 200 milles. Toutefois, on exercera des pressions sur nous si nous appuyons l'application d'une mesure à l'extérieur de la zone de 200 milles et si nous ne voulons pas faire la même chose lorsqu'il sera question d'appliquer cette mesure à l'intérieur de la zone de 200 milles. Par exemple, si nous devions appuyer l'imposition d'un moratoire sur la morue à l'extérieur de la zone et n'appliquions pas une politique similaire dans notre zone, de quoi aurions-nous l'air aux yeux de la communauté internationale? Ce serait hypocrite de notre part, pour tout dire, et nous devons protéger notre place au sein de la communauté internationale.

Le sénateur Cowan : Monsieur le ministre, j'aimerais entendre vos commentaires sur la gestion axée sur la conservation. Vous nous avez décrit brièvement votre définition de la gestion axée sur la conservation, et j'aimerais que vous nous fournissiez des précisions sur cette question. Nous avons entendu un certain nombre de témoins attribuer diverses significations à ce terme. Le sens de ce terme semble varier d'une personne à une autre.

Des témoins nous ont dit que cette notion est vouée à l'échec sur la scène internationale, en raison de préoccupations touchant la souveraineté étatique. On nous a dit que cet objectif est irréalisable en raison de préoccupations liées à la souveraineté.

Je me demande si vous pourriez nous expliquer précisément le sens que vous attribuez à ce terme ou qui devrait être attribué à ce terme, et pourquoi nous avons avantage à chercher à réaliser cet objectif.

M. Rideout : Je pourrais peut-être commencer par vos derniers commentaires, monsieur le sénateur. Cette notion est loin d'être vouée à l'échec; elle échouera si elle mérite d'échouer. Si l'OPANO réforme ses méthodes et devient un instrument favorisant la mise en œuvre de politiques de conservation que nous appuyons tous, que nous pouvons appuyer en toute bonne conscience, alors la notion de gestion axée sur la conservation disparaîtra. Mais si une telle chose ne se produit pas, je crois et j'espère que la notion de gestion axée sur la conservation demeurera une option viable. Si la communauté internationale n'est pas disposée à protéger et à conserver les stocks chevauchants et à passer un bon bout de temps à l'extérieur de la zone de 200 milles, si elle est ouverte au pillage de la mer, alors tout le monde en paiera le prix. Cela aurait des répercussions non seulement sur les Canadiens, mais aussi sur les gens qui ont toujours pêché au large des Grands Bancs et qui en tirent leur subsistance, qu'ils soient en Espagne, au Portugal ou aux Îles Féroé. Il nous incombe tous de protéger, de préserver et de conserver les ressources de la mer.

Pour ce qui est de la signification de cette notion, vous avez raison, elle n'est pas bien définie, il ne s'agit pas d'une notion reconnue par le droit international. Cependant, il y a une foule d'idées qui mettent très longtemps à se faire reconnaître par le droit international. Il a fallu recourir à la diplomatie de la canonnière pour que l'Islande commence à reconnaître que nous allions à 50 milles, à 150 milles ou à 200 milles. Ces choses évoluent dans le temps, et la notion de gestion axée sur la conservation est simple : le Canada, en sa qualité d'État côtier, est responsable de la gestion du stock. La communauté internationale — c'est-à-dire l'OPANO — conserve ses responsabilités au chapitre de la recherche et de la répartition du stock à ses partenaires, nous y compris, lorsqu'il s'accroît. Ce n'est pas une tentative d'accaparement. Il s'agit d'une notion d'origine canadienne qui consiste à partager et à protéger dans le but de partager la ressource avec le monde, avec des gens qui y ont toujours eu accès. C'est une grande idée canadienne, et je crois que, advenant l'échec de l'OPANO, c'est une idée qui peut faire son chemin et gagner l'appui de la communauté internationale, si on la présente bien.

Nous devons insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une tentative d'accaparer le pouvoir. Il s'agit d'une méthode de gestion de la ressource qui nous permettra tous de partager une ressource plus fournie. S'il y a davantage de morues, davantage de limandes à queue jaune, davantage de plies canadiennes, alors il y en a davantage à partager. C'est l'essence même de la notion de gestion axée sur la conservation, et nous n'aurons peut-être pas besoin d'en arriver là si l'OPANO arrive à livrer la marchandise. Si l'OPANO n'y arrive pas, et Dieu sait qu'elle existe depuis assez longtemps pour prouver qu'elle est en mesure de livrer la marchandise, alors un autre organisme devra la remplacer.

Le sénateur Cowan : Je comprends cela, monsieur le ministre, et je crois que nous partageons tous vos préoccupations à cet égard, et votre souhait que tous les pays voient la chose du même œil que vous, que nous. Nous convenons du fait que nous avons cette responsabilité, et qu'il est à l'avantage de tout le monde de coopérer tous ensemble. Toutefois, des préoccupations ont été soulevées quant au fait qu'une telle chose ne pourra peut-être pas être réalisée, faute d'une définition précise du terme.

Hier, le MPO a décrit les conditions qui sont proposées aux bateaux de pêche étrangers : ils ont la possibilité de se prêter à une surveillance électronique accru s'ils ne veulent pas avoir d'observateurs à bord. On nous a également dit que les observateurs canadiens peuvent décrire ce qu'ils ont vu devant un tribunal, mais que, pour une raison quelconque, que je ne suis pas certain de bien comprendre, les observateurs étrangers ne sont pas des témoins contraignables. Il est donc difficile pour moi de comprendre en quoi il est utile d'avoir un observateur si ce dernier ne peut être appelé à témoigner devant un tribunal.

Vous avez soulevé des préoccupations quant au fait que les technologies de surveillance électronique ne sont pas éprouvées. Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de la question des observateurs? Spontanément, j'ai tendance à convenir du fait qu'il est préférable d'avoir une personne à bord au lieu de se fier entièrement à la surveillance électronique, mais j'aimerais entendre votre point de vue sur cette question.

M. Rideout : Nous ne sommes pas contre le progrès technologique, dans ce cas ou dans tout autre. Nous sommes préoccupés, et nous croyons qu'il faut procéder lentement à la réduction du suivi à 25 p. 100 si l'on compte recourir à la surveillance électronique. Nous ne sommes pas convaincus de la fiabilité de cette technologie, en particulier à l'égard de la pêche au poisson de fond. Nous procédons à l'identification électronique de bateaux de pêche hauturière depuis des décennies. Cela remonte à l'époque où j'étais ministre des Pêches de ma province, pendant les années 1980. L'identification du bateau ne pose aucun problème, le repère est là, et nous recevons les signaux. On sait où se trouve le bateau, mais pour ce qui est de savoir ce qui se trouve dans la cale du bateau, c'est une tout autre affaire. Lorsqu'il s'agit de déterminer ce qu'on a pêché, c'est une tout autre affaire. La technologie, à n'en point douter, progresse et permettra bientôt de déterminer le taux de prise et le type de poisson à bord du bateau de pêche. Cependant, nous croyons qu'il serait prudent de maintenir la surveillance par des observateurs pour une période de contrôle d'au moins trois ans, ce qui nous permettra de confirmer que cette nouvelle technologie fonctionne.

En ce qui concerne les témoins, les témoignages dans les tribunaux étrangers, et ainsi de suite, on ose espérer que la surveillance par des observateurs exerce un effet dissuasif. Je sais que les observateurs doivent dormir, qu'ils ne sont pas de garde 24 heures sur 24, mais on ne peut qu'espérer que leur présence constitue en soi une forme de dissuasion pour l'exploitant et la société concernée. Ils sauraient ce qui se passe, et ils peuvent en faire rapport au Canada, et le Canada, en vertu de la Convention de l'OPANO, peut prendre certaines mesures, comme il l'a fait au cours des derniers jours à l'égard d'un bâtiment espagnol. Dans une telle situation, on espère qu'une telle démarche mènera à l'enlèvement du bateau de la zone, à la révocation du permis de l'exploitant et à l'amorce des procédures judiciaires qui s'imposent. Il y a un avantage inhérent au fait de confier la surveillance à un être humain plutôt qu'à une puce, mais cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas nous adapter aux progrès technologiques. Tout ce que nous voulons dire, c'est qu'il faut faire attention.

Le sénateur Baker : Laissez-moi tout d'abord signaler que le témoin que nous accueillons aujourd'hui a déjà été premier ministre de Terre-Neuve, qu'il est avocat et qu'il compte parmi les plus grands politiciens issus de cette province. Laissez-moi signaler que le doyen de l'école de droit de M. Cowan et le doyen de l'école de droit où le ministre a obtenu son diplôme en droit ont tous deux déclaré, à l'occasion de témoignages devant notre comité, que la gestion axée sur la conservation n'a aucun fondement juridique. Or, ces deux doyens agissent à titre de conseillers auprès du gouvernement canadien. Le doyen a également déclaré que le raisonnement selon lequel une interdiction du chalutage hauturier suppose une interdiction du chalutage dans la zone de 200 milles n'a aucun fondement juridique et n'est pas ancré dans la réalité, dans la mesure où la France et la Norvège conviennent du fait qu'il faut cesser de draguer en haute mer. S'ils conviennent d'interdire cette activité en haute mer, alors, si on suit votre raisonnement, ils devraient cesser de draguer sur notre plate-forme continentale; ils devraient cesser de draguer dans leur propre zone.

Hier, nous avons accueilli des représentants du MPO et des responsables de la surveillance dans le cadre d'une séance d'information privée. Monsieur le ministre, cette séance a duré deux heures et demi. J'ai appris à l'occasion de cette séance certaines choses qui ont ébranlé le Terre-Neuvien que je suis. Comme vous l'avez signalé, nous avons des chalutiers qui assurent la survie d'usines de transformation en leur fournissant du poisson de fond. Je croyais qu'il n'y avait que le crevettier de 65 pieds, et j'ai été scandalisé d'apprendre que nous avons des usines de transformation du poisson qui s'adonnent au chalutage. Nous avons également confirmé, à l'occasion de cette rencontre, que des sociétés étrangères titulaires de quotas, comme 4Vn, 4R et 4S, autorisent les pêcheurs côtiers à s'aventurer dans ces zones. Cela se produit à l'instant même où je vous parle. Tout cela découle de la logique selon laquelle les grandes sociétés, les grandes sociétés de chalutage, détiennent des quotas, jusqu'à la laisse de haute mer, parce que tous ces quotas de l'OPANO sont gérés par 17 pays étrangers, jusqu'à notre laisse de haute mer, dans ces secteurs de l'OPANO.

Monsieur le ministre, vous avez touché à quelque chose d'important il y a quelques instants. Concernant les nouvelles règles que vient juste d'annoncer l'OPANO, vous avez dit que vous vous opposez à cette réduction de la surveillance au moyen d'observateurs à 25 p. 100. Même si on renforce le SSN — ou Système de surveillance des navires —, nous avons appris hier que si le SSN d'un bâtiment étranger ne fonctionne pas, ce bâtiment étranger n'est pas tenu de retourner à un port pour le faire réparer. Si un bâtiment canadien, un bâtiment de Terre-Neuve, est dans cette situation, il doit retourner au port, sans quoi des accusations seront portées.

Vous aviez absolument raison, et j'aimerais que vous commentiez. La surveillance par des observateurs est à la baisse, comme vous l'avez dit, à compter de maintenant, la surveillance au moyen du SSN est à la hausse, mais les bateaux étrangers peuvent éteindre leur SSN et n'ont pas besoin de le faire réparer, car ce geste ne compte pas parmi les infractions graves prévues qui pourraient les forcer à retourner au port, et c'est ce qu'on nous a dit hier. Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est exactement ce qu'on nous a dit.

M. Rideout : C'est là une faille flagrante découlant de ce processus visant à réduire la surveillance par des observateurs en faveur du recours au SSN. Nous allons appuyer avec enthousiasme toute position selon laquelle ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre. Si un bateau de pêche canadien est tenu d'interrompre ses activités et de revenir au port pour faire réparer son système électronique lorsque ce dernier est en panne, alors cette obligation devrait s'appliquer à tous les autres bateaux de pêche présents sur les eaux. C'est la position que défendra de façon énergique et insistante le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador auprès du gouvernement du Canada et de l'OPANO, et de tout autre intervenant.

J'aimerais aborder une foule d'autres questions, monsieur le sénateur, mais je tiens à dire qu'on ne saurait conclure que je partage toutes les opinions émises par le doyen de l'école de droit où j'ai obtenu mon diplôme, même s'il m'a enseigné. J'ai eu deux doyens à Ottawa, en passant. Il y a eu une femme, et il y a eu l'homme dont vous avez parlé. Je ne suis pas toujours d'accord avec leur interprétation de la loi ou avec leur position, mais j'ai l'impression que la notion de gestion axée sur la conservation n'est pas moribonde, et qu'elle pourrait bien évoluer et prendre un sens mieux défini si nous devons nous aventurer dans cette voie. Nous n'aurons peut-être pas à le faire. Les réformes de l'OPANO seront peut-être satisfaisantes. Peut-être ne le seront-elles pas. Le temps nous le dira, mais nous n'allons certainement pas dire que la gestion axée sur la conservation n'a pas un rôle à jouer dans le cadre de la gestion future des pêches du Canada à l'extérieur de la limite de 200 milles.

Le sénateur Campbell : Je suis membre du comité depuis relativement peu de temps, mais je viens de l'État souverain de la Colombie-Britannique, où le saumon, c'est du saumon.

Ma première question concerne le financement de la recherche, dont on nous a parlé encore et encore. Y a-t-il un fonds auquel participent la province, le gouvernement fédéral et l'OPANO?

M. Rideout : Je ne crois pas que l'OPANO participe à un tel fonds — qu'on me corrige si je me trompe —, mais il arrive que la province prenne part à certains travaux de recherche scientifique avec le gouvernement du Canada, de façon ponctuelle. Par exemple, M. Rose, qui, si je ne me trompe pas, témoignera devant le comité aujourd'hui, a participé au financement de cette chaire à l'Université Memorial, comme l'ont fait le gouvernement du Canada, le secteur privé, et d'autres intervenants. Il y a d'autres aspects, en ce qui concerne le rétablissement du stock de morue, à l'égard desquels le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a, malgré l'absence de pouvoir constitutionnel en matière de gestion des pêches, affecté des ressources financières à l'établissement d'une stratégie de rétablissement du stock de morue avec le gouvernement du Canada. Il y a des situations où nous participons à l'affectation de ressources financières et de ressources scientifiques, où nous collaborons avec le MPO, en particulier dans le domaine de la recherche. Je sais que le secteur privé fait la même chose dans notre province. Je ne crois pas que l'OPANO fasse de telles choses, mais il y a peut-être des situations où l'OPANO assure une participation indirecte.

Le sénateur Campbell : J'ai seulement l'impression que tout le monde chante le même refrain : il faut effectuer davantage de recherches, mais il n'y a pas d'argent. Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne le chalutage. Nous disons qu'il faut adopter de meilleurs engins de pêche, de meilleures techniques de pêche. Mais qui va mettre ces engins et ces techniques au point si aucune pression n'est exercée, par exemple, par le gouvernement fédéral et vous-même? Je ne veux pas que nous nous retrouvions de nouveau dans une position où nous courons le risque de perdre une autre espèce. Nous parlons constamment de ce genre de chose, mais personne ne semble disposé à s'aventurer dans cette voie. C'est manifestement un élément important.

En dernier lieu, l'OPANO a eu amplement le temps de rajuster le tir. Il ne s'agit pas d'un jeune organisme. Il existe depuis des années. On dirait que c'est toujours le Canada qui exerce des pressions sur ces gens, car c'est notre ressource. Ils peuvent dire ce qu'ils veulent, zone de 200 milles ou pas. Au bout du compte, c'est notre ressource : elle se déplace de part et d'autre de cette limite. À partir de quel point le gouvernement terre-neuvien peut-il dire que ça suffit et qu'il passe à une autre tribune? Le gouvernement terre-neuvien peut-il même faire une telle chose, le Canada étant un pays signataire? M. Hearn dit qu'on a fait une percée à l'occasion de la dernière réunion et que tout est fantastique et merveilleux, que nous allons de l'avant, pourtant nous venons ici, et d'autres personnes nous disent que c'est peut-être bon ou que ça ne l'est peut-être pas. À quel moment décide-t-on que ça suffit?

M. Rideout : Au cours des derniers mois, le gouvernement du Canada et le MPO ont fait état d'une quantité considérable de nouvelles recherches scientifiques. Le ministre Hearn est venu dans notre province et a fait des annonces assez importantes relatives à des progrès scientifiques à notre complexe de White Hills, ici même à Terre- Neuve-et-Labrador, il y a quelques mois. Il y avait eu des progrès à cet égard.

Pour ce qui est de la mise au point de nouvelles technologies de pêche, notre Marine Institute, reconnu partout dans le monde comme un chef de file au chapitre de l'optimisation de l'exploitation des ressources marines, de la transformation et ainsi de suite, participe constamment à ce genre d'activités, avec le secteur privé et les gouvernements. On a fait des progrès pour ce qui est d'atténuer l'impact négatif du chalutage de fond et de la pêche au filet maillant, par exemple. Il y a dans notre province des gens qui croient que les seules méthodes qu'on devrait autoriser pour la pêche à la morue et la pêche du poisson de fond sont la pêche à la palangre et la bonne vieille trappe à morue. Ce sont les engins de pêche qui sont le moins dommageables, et nombre d'entre nous appuyons l'interdiction de filet maillant, mais une telle chose doit avoir lieu lorsque de nouvelles technologies et de nouvelles méthodes peuvent les remplacer. Cela se passe dans des endroits comme notre Marine Institute, ici même à Terre-Neuve-et-Labrador.

Vous me demandez quand le gouvernement terre-neuvien va dire que ça suffit. Eh bien, nous disons que ça suffit depuis des décennies. Tous les gouvernements du Canada, quelles que soient leurs allégeances politiques, ont dit que l'OPANO est un tigre édenté. Le gouvernement dit depuis des décennies que l'OPANO ne fait pas ce qu'elle doit faire. Le Canada, en sa qualité d'État côtier, et Terre-Neuve-et-Labrador en particulier, dépendent lourdement des ressources présentes sur la plate-forme continentale et sur le nez et la queue des Grands Bancs, et ce, depuis longtemps. Nos collectivités se nourrissent et assurent leur subsistance grâce à cette ressource depuis plus de 500 ans, et notre province a plus à perdre que les autres régions du Canada atlantique, et je dis cela sans vouloir minimiser la gravité de la situation dans laquelle se retrouvent d'autres Canadiens. Nous avons plus à perdre qu'un bâtiment espagnol qui vient ici pour pêcher du poisson à ramener chez lui et à vendre, sous forme de poisson salé, sur le marché européen. Vous jouissez d'un droit historique, vous pêchez ici depuis des siècles, mais si vous n'êtes pas disposés à nous aider à gérer la ressource d'une façon durable, alors, désolé, vous allez devoir aller ailleurs, et nous prendrons votre place. Nous avons dit cela à tous les gouvernements qui se sont succédé à Ottawa, et nous sommes disposés, car nous sommes des gens raisonnables, à reconnaître que le potentiel des récentes réformes de l'OPANO est bien réel. Nous espérons qu'elles vont fonctionner, mais nous ne sommes pas prêts à renoncer à la lutte et à dire que nous sommes convaincus du fait que les réformes vont fonctionner et que nous n'allons pas les suivre de près afin de déterminer si elles fonctionnent ou pas.

Le président : Je tiens seulement à rappeler à tout le monde que le texte des réformes de l'OPANO sera disponible en mars. Monsieur le ministre, nous avons demandé un exemplaire du texte modifié, car, au dire des témoins que nous avons entendus, évidemment, ce sont toujours les détails qui nous mènent à notre perte, et nous avons de nombreuses questions — auxquelles nous n'avons pas obtenu de réponse — sur la teneur du texte, sur ce qu'il signifie, sur son incidence. Nous ne savons pas cela, mais nous avons demandé le texte, et nous espérons l'obtenir en mars, et nous pourrons peut-être à ce moment-là poursuivre notre discussion avec vous, de façon à prendre connaissance de votre opinion à l'égard du texte, ce qui pourrait nous être utile.

M. Rideout : Je me prêterai à cet exercice avec plaisir.

[Français]

Le sénateur Gill : Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention ainsi que les autres témoins qui vous ont précédés. J'ai l'impression que nous sommes sur la défensive en ce qui concerne l'économie de notre pays, et en particulier en ce qui a trait à l'utilisation des produits de la mer. Avec le nombre de kilomètres de côte que nous avons, il me semble que l'utilisation des produits de la mer fait partie de la culture et de l'économie de notre pays. Quand l'industries des pêches est menacée, j'ai l'impression que l'on est sur la défensive et que nous essayons de réagir à ce qui se passe ailleurs et aux prélèvements du produit par les pays étrangers.

Vous avez parlé de la chasse aux phoques, par exemple, et des boycotts de certains pays de l'Europe. Je me souviens d'avoir participé à une campagne d'information avec les Inuits et les Premières nations en Europe, mais cette campagne ne s'est pas poursuivie. Je pense que l'on ne donne pas suffisamment d'information. Nous attendons d'avoir des problèmes et, ensuite, nous réagissons. Le phoque en est un bon exemple. Il y a eu des boycotts en Europe. Nous n'avons pas été capables de renverser la vapeur, alors que Mme Bardot et les autres ont réussi leur campagne. Cela affecte énormément l'économie et les autres produits de la mer.

Je ne sais pas ce que vous en pensez. Nous sommes, je crois, une culture qui attend que les problèmes surviennent pour réagir. Je voudrais avoir votre point de vue à ce sujet.

[Traduction]

M. Rideout : Cela tient peut-être en partie à cette habitude particulière qu'ont les Canadiens de tendre l'autre joue et de laisser aller les choses; nous avons tendance à faire cela assez souvent. Je ne peux qu'être d'accord avec vos observations à cet égard. Nous avons tendance à être non pas proactifs, mais bien réactifs. Il y a ceux parmi nous qui croient que nous ne pouvons gagner ce genre de lutte; même si nous arrivions à convaincre le gouvernement du Canada, tout l'argent du monde ne suffirait pas à monter une campagne de relations publiques contre certains de ces organes très proactifs et bien pourvus qui savent comment utiliser les médias à leur avantage. Je ne suis pas de ces gens. Il se trouve que je crois que nous avons pour responsabilité d'agir. J'ai parlé au comité des pêches du Parlement européen lorsque je suis allé à Bruxelles, il y a quatre ou cinq semaines, et je n'ai pas tenté d'éluder la question de la chasse aux phoques. Je croyais qu'on allait peut-être me mettre à la porte, mais la réaction n'était pas très négative. De fait, de nombreuses personnes voulaient entendre le point de vue canadien, et je crois que nous ne sommes peut-être pas suffisamment proactifs lorsque vient le temps de faire valoir notre point de vue. Les décideurs ne vont probablement jamais convaincre les gens qui manifestent au Trafalgar Square pour protéger ces petits animaux au pelage blanc, mais il y a de nombreux mythes en circulation, nous ne tuons plus de blanchons. Les autorités mondiales ont déterminé que la chasse aux phoques est effectuée de façon non cruelle. Personne ne peut avancer que cette chasse n'est pas viable, car il naît davantage de phoques que nous n'en tuons. Il en va de même pour d'autres espèces marines. Ainsi, votre prémisse et votre hypothèse m'interpellent, certes, et je partage votre point de vue.

[Français]

Le sénateur Gill : Nous faisons des actions ponctuelles, comme celles que vous avez faites il n'y a pas longtemps, mais nous n'avons pas de campagne soutenue pour expliquer qui nous sommes et quelle est notre situation sur le plan économique et quelle est notre culture. D'autres politiciens vont en Europe, vont un peu partout.

Ne devrait-il pas y avoir une campagne d'information pour expliquer qui nous sommes et jusqu'à quel point notre économie est dépendante de ces ressources?

[Traduction]

M. Rideout : Oui, sénateur, je suis d'accord. Il faut adopter une approche concertée, mener une campagne concertée, dirigée par le gouvernement du Canada et les provinces participantes. Les provinces qui sont touchées et qui veulent participer devraient prendre part au processus.

Dans les collectivités autochtones du Nunavut et du Nunatsiavut, notre nouveau territoire au Labrador, les ressources de la mer sont à la base même de la culture, de l'économie et de la subsistance de la population, tout comme dans le reste de Terre-Neuve-et-Labrador. Ces collectivités vivent de ces ressources marines depuis toujours, et nous n'avons jamais raconté cette histoire d'une façon cohérente et coordonnée. Je crois que nous avons une histoire à raconter, et je crois qu'il nous incombe, à titre de pays et de provinces, à titre de gouvernements souverains, qu'il s'agisse du Nunatsiavut ou du Nunavut, d'amorcer ce processus. Je partage certainement votre opinion à cet égard.

Le sénateur Hubley : Dans votre témoignage, vous avez parlé que « les États côtiers doivent jouir d'un contrôle accru à l'égard de la gestion des stocks de poisson rapprochés ». J'aimerais remplacer l'expression « États côtiers » par « collectivités côtières ».

La coopérative des pêcheurs, qui nous a présenté un exposé merveilleux, a adopté une formule efficace grâce à laquelle les collectivités collaborent et s'adonnent, avec beaucoup de respect, à la pêche à la crevette.

Je me demande ce que le gouvernement provincial peut faire pour aider les coopératives ou pour aider les collectivités à se mobiliser de cette façon.

M. Rideout : Notre province soutient les coopératives depuis un bon bout de temps. Certes, le ministère des Pêches et de l'Aquaculture soutient les coopératives de pêche. Par exemple, nous soutenons financièrement la Torngat Fish Producers Cooperative Society, qui exerce ses activités sur la côte nord du Labrador, dont la majeure partie se trouve désormais sur le territoire du Nunatsiavut. Nous soutenons la Fogo Island Co-op, et nous lui fournissons du soutien depuis des décennies, à ce que je sache, sous forme de garanties financières, et ainsi de suite. Nous soutenons la Petty Harbour Fishermen's Producer's, dans la partie supérieure de la baie, tout juste au nord de la région de St. John. Nous aimons le mouvement coopératif. Nous avons de nombreuses caisses d'épargne et de crédit qui sont des coopératives, on en trouve partout dans la province. Ainsi, en notre qualité d'administration et de gouvernement, nous soutenons les coopératives, et nous soutenons énormément les coopératives qui exercent leurs activités dans l'industrie des pêches.

Le sénateur Hubley : Les pêcheurs de crevette s'interrogeaient sur la disponibilité de données scientifiques, et cela a peut-être changé, mais, de façon générale, j'avais l'impression qu'ils auraient voulu davantage d'informations propres aux espèces qu'ils pêchaient. Certainement, hier, lorsque nous étions au MPO, nous avons appris qu'ils possèdent des données scientifiques. Je me demande s'il y a pour vous une façon de veiller à ce que les collectivités reçoivent l'information essentielle à la pêcherie et à sa viabilité. Pouvons-nous leur procurer les données scientifiques dont ils ont besoin pour décider de quelle façon ils mèneront leurs pêches?

M. Rideout : Je devrais mentionner que la première coopérative en importance dans le secteur des pêches à Terre- Neuve-et-Labrador est la Labrador Fisherman's Union Shrimp Company. Cette entreprise appartient à des pêcheurs, et cette grande coopérative existe depuis longtemps. Pour ce qui est de mettre en commun en temps opportun les données scientifiques relatives aux espèces qu'ils pêchent, oui, nous voulons certainement veiller à ce que ceux qui tirent leur subsistance de la ressource connaissent et comprennent les paramètres de la ressource et connaissent et comprennent les fondements de l'exploitation axée sur la conservation. Nous appuyons ces organismes et ces groupes communautaires à chaque occasion qui se présente. Nous faisons en sorte qu'ils obtiennent cette information bien à l'avance lorsqu'ils doivent présenter des exposés et des mémoires au MPO lorsque le ministère fait appel aux commentaires des intervenants du secteur pour déterminer les quotas pour la saison à venir.

Le sénateur Hubley : Ils tenaient à insister sur le fait que l'information scientifique doit tenir compte de l'information mise de l'avant par les pêcheurs. Les pêcheurs sont un élément important de la collecte de données scientifiques qui devrait avoir lieu, et je crois qu'ils sont certainement disposés à faire cela. Je crois qu'ils s'appuient peut-être uniquement sur cela, mais je crois que la réponse viendra non seulement du milieu scientifique, mais aussi des gens qui évoluent dans le secteur des pêches.

J'aimerais seulement vous demander de commenter brièvement un article paru dans les journaux canadiens il y a environ une semaine. On peut lire dans cet article que, à la lumière d'une étude menée dans l'océan Atlantique, les pêches risquent de s'effondrer vers 2050. L'étude attribue la situation à la surpêche, à la pollution et à la destruction des habitats, et reconnaît que les dommages ont commencé il y a des centaines d'années. L'étude montre également que le réchauffement du climat naturel aura également un impact important sur les pêches. On laisse également entendre que cela pourrait mettre en péril la sécurité alimentaire mondiale, et je crois que cette affirmation attire l'attention de tout le monde. Je suppose que si la pêcherie s'effondrait, certains d'entre nous s'inquiéteraient et d'autres ne s'inquiéteraient pas outre mesure, mais lorsqu'il est question d'une telle situation à l'échelle mondiale, je crois que cela donne à réfléchir. Quelle est votre impression à l'égard de cet article?

M. Rideout : Concernant votre premier point, c'est-à-dire la reconnaissance de la contribution importante que les pêcheurs peuvent apporter à l'évaluation scientifique des stocks, je suis un chaud partisan de cette position depuis des décennies maintenant, car cela remonte à l'époque où j'étais au ministère pendant les années 80. Je crois que c'est à nos risques et périls que nous faisons fi de l'énorme sagesse et des connaissances de nos pêcheurs à l'égard des conditions, des méthodes de pêche et de l'état des stocks. Je crois que toute cette information doit être prise en compte, intégrée à l'examen scientifique, et intégrée à la prise de décisions. J'appuie fermement cette position, et je l'ai toujours fait.

L'article paru la semaine dernière nous a certainement ouvert les yeux. Je ne suis peut-être plus jeune, mais lorsque je songe au fait que, avec un peu de chance et par la grâce de Dieu, je serai peut-être encore là lorsque le dernier poisson sera sorti de l'eau, et ça, c'est vraiment difficile à accepter. Qui aurait cru que les gens ici présents ou ceux qui sont plus jeunes que nous — grands dieux, j'espère que ce ne sera jamais le cas — vivraient assez longtemps pour voir ce jour? Alors, s'il n'y a rien d'autre dans ce rapport, c'est la confrontation avec la réalité selon laquelle cela pourrait se produire tôt. On parle d'environ 2046, dans 40 ans seulement.

Nous devons tenir compte de cet avertissement. Ce qui me réconforte de cette étude, c'est qu'il n'est pas trop tard pour faire quelque chose. Je crois que c'est à cela que nous devons consacrer nos efforts, nos pensées, notre énergie et nos ressources. Nous devons nous garder de dire que ce ne sont que des sottises, que les chercheurs ne sont que des prophètes de malheur et qu'il ne faut pas les écouter. Je crois que c'est un signal d'alarme, et que nous finirons par le regretter si nous choisissons d'être imprudents et de ne pas tenir compte de cet avertissement.

Le sénateur Adams : J'ai quelques questions, puisque nous avons dans l'Arctique des activités de pêche commerciale depuis trois ou quatre ans. Après le règlement de nos revendications territoriales avec le gouvernement du Canada, nous pensions que nous allions pouvoir faire tout ce que nous voulions, mais pour l'instant, nous ne sommes même pas capables d'exercer un contrôle sur notre situation. Maintenant, nous ne pouvons rien faire.

À l'heure actuelle, ce sont principalement des étrangers qui exploitent notre stock dans les deux zones de pêche qu'on appelle 0A et 0B. Au moment du règlement des revendications territoriales, le ministre à Ottawa nous a attribué des quotas nous permettant de pêcher 8 000 tonnes métriques de flétan noir et 2 500 tonnes de crevette nordique. Quand nous avons réglé les revendications territoriales, nous croyions que ces quotas appartenaient à la collectivité. Au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons vu des résidents locaux s'adonner à la pêche commerciale. Il est difficile pour nos gens de se tailler une place dans ce secteur, car ils doivent se procurer un bateau de pêche. Enfin, l'an dernier, l'une de nos localités a établi un partenariat avec des gens d'ici, à Terre-Neuve, et il devient maintenant acceptable de pêcher à des fins commerciales. Cependant, ils ne peuvent même pas pêcher le quota complet. Le quota consenti à cette localité ne correspond qu'à 1 000 tonnes métriques sur le quota total de 8 000 tonnes métriques. Pendant ce temps, des étrangers viennent ici, hissent leur pavillon et pêchent le reste de nos poissons.

Nous avons déjà tenu des rencontres avec des représentants du MPO en vue de discuter des politiques portuaires et des raisons pour lesquelles les pêcheurs du Nunavut n'établissent pas de partenariat avec les pêcheurs de Terre-Neuve. Il semble qu'on peut monter là-bas et pêcher beaucoup de poissons dans la mesure où on peut obtenir le pavillon : le pays d'origine n'a aucune importance.

Nous sommes également préoccupés par le dragage. Les Inuits ne veulent pas briser l'avenir de leurs stocks de poisson dans le Nord. Nous ne savons pas combien de poissons il y a là-bas. D'ailleurs, pendant combien de temps la pêcherie commerciale dans les zones 0A et 0B sera-t-elle viable? Avec le réchauffement de la température de l'eau et tous les autres facteurs, nous devons faire attention, sans quoi les poissons disparaîtront. Nous voulons exercer un contrôle accru sur nos stocks de poisson, mais le MPO ne nous fournit aucune réponse. Nous vous demandons d'en faire plus.

La même chose s'applique à la chasse aux phoques. À l'heure actuelle, je crois que les Inuits du Nunavut, en partenariat avec les gens de Terre-Neuve, ont le droit d'attraper jusqu'à environ 80 000 phoques par année.

M. Rideout : Je peux vous confirmer que Terre-Neuve-et-Labrador partage vos préoccupations. En ma qualité de ministre responsable des Affaires autochtones, pour ce qui est du Nunatsiavut, nous partageons certainement vos préoccupations en ce qui concerne la disponibilité de la ressource, comme le flétan noir et, en particulier, la crevette, dans les zones adjacentes au Nunavut et certaines zones au large de la côte nord du Labrador.

Je sais qu'il y a eu une coopération considérable entre le Nunavut et le Nunatsiavut, et, de fait, une partie du flétan dont vous avez parlé finit, en vertu d'une entente, par être pêchée et transformée à Makkovik, par exemple. Les gouvernements des deux territoires ont beaucoup coopéré, et ce, avant même que le Nunatsiavut soit doté de sa propre structure gouvernementale. Je sais que votre premier ministre, Paul Okalik, avec qui j'ai fait l'école de droit, a soulevé cette question auprès de nous et de notre premier ministre à plusieurs reprises, et nous appuyons les efforts de nos amis du Nunavut pour ce qui est d'accéder à la ressource.

Du point de vue politique, je suppose que, pour l'instant, nous ne pouvons offrir à notre population du Nunatsiavut que notre appui et notre compréhension, et l'assurance du fait que nous partageons leurs préoccupations, et nous croyons que les deux territoires peuvent coopérer à leur avantage mutuel.

Le sénateur Baker : Monsieur le ministre, au cours des derniers jours, notre comité a entendu plusieurs témoins parler de bateaux étrangers qui pêchent sur la plate-forme continentale de Terre-Neuve. Ce diagramme montre que, un jour donné, on y trouve trois bateaux canadiens, 32 bateaux de l'UE, 26 de la Russie, 14 du Portugal, 14 de l'Islande, 13 de l'Estonie, et ainsi de suite. Sur ce diagramme, le Canada figure presque au bas de la liste. Maintenant, on ne pêche plus sur le nez et la queue des Grands Bancs, et sur le Bonnet Flamand, sur notre plate-forme continentale, la plate-forme continentale de Terre-Neuve. Ensuite, nous apprenons ceci de l'OPANO : « Les pêcheries de l'OPANO visent approximativement 25 espèces commerciales, dont 11 qui sont gérées par l'OPANO. » Cela veut dire que 14 espèces ne sont pas gérées par l'OPANO.

Hier, à l'occasion d'une rencontre privée avec des représentants, nous avons pris connaissance de cette réduction du nombre d'observateurs, et du fait que, à l'heure actuelle, les observateurs ne peuvent être contraints à témoigner. Vous êtes avocat, alors vous savez qu'en l'absence de témoins, on ne peut porter une affaire en justice. On peut contraindre un observateur terre-neuvien à témoigner contre un pêcheur terre-neuvien. L'OPANO ne peut être contrainte à témoigner, et les pêcheurs étrangers dont le SSN est en panne ne sont pas tenus de le faire réparer, et il n'existe aucun régime de sanctions. Nous ne savions pas cela avant la rencontre, monsieur le ministre. Aucune des personnes ici présentes ne savait cela. Je crois que personne ne sait cela. Je n'ai entendu que VOCM, The Telegram et la SRC se réjouir du fait que l'OPANO s'est dotée de règles fantastiques et avancer que notre problème est réglé.

Monsieur le ministre, où cela va-t-il nous mener? Que pouvons-nous faire lorsqu'une position est présentée au grand public et que le gouvernement se targue d'accomplir de grandes choses? Vous avez touché à cette question lorsque vous avez dit que vous n'allez pas accepter la réduction du nombre d'observateurs, que vous vous opposez à cette mesure. Nous apprenons maintenant que les observateurs ne peuvent être contraints à témoigner devant un tribunal, et nous savons tous deux qu'il est impossible de lancer des poursuites si personne n'est là pour témoigner. Nous avons découvert que la réparation d'appareils de surveillance des navires défectueux n'est pas obligatoire, alors que nos pêcheurs se font poursuivre sur-le-champ.

M. Rideout : Sénateur, vous avez su décrire de façon concise pourquoi, d'une part, nous reconnaissons que des progrès considérables ont été réalisés à l'égard d'une réforme éventuelle de l'OPANO et, d'autre part, nous ne sommes pas disposés, à titre de province et de gouvernement, à conclure que les problèmes liés à l'OPANO sont réglés. Ils ne le sont pas; ils sont loin d'être réglés, et personne ne nous a convaincu du contraire. Il faudra faire encore beaucoup de progrès à l'égard des problèmes liés aux témoins, à la réduction du nombre d'observateurs et aux pannes d'appareils de surveillance des navires avant que nous soyons totalement convaincus du fait que les problèmes de l'OPANO sont réglés. Nous ne croyons pas que les problèmes de l'OPANO soient réglés, et personne ne nous a convaincu du contraire. Toutefois, nous reconnaissons effectivement qu'on a peut-être fait davantage de progrès à l'occasion de la rencontre de 2006 qu'on en a fait au cours des dernières années, mais il reste à déterminer si cela est suffisant, si tout est réglé; cela reste à déterminer, et nous allons attendre que cela soit déterminé.

Le président : Merci, monsieur le ministre. À cet égard, je crois que nous devrions dire que nous partageons cette position. Nous nous interrogeons sur certaines choses et nous ne sommes toujours pas convaincus. Des réformes sont apparemment en branle — et j'insiste sur le mot « apparemment » —, mais nous devons prendre connaissance des détails et du contenu du texte. Comme je l'ai déjà dit, j'espère que nous pourrons discuter de cela avec vous lorsque le texte sera disponible. Nous tenons à vous remercier d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd'hui. Vous nous avez beaucoup aidés. Nous avons pour l'instant davantage de questions que de réponses, mais nous avons entendu plusieurs témoignages, et nous en entendrons d'autres encore. Nous réfléchirons à cela, et nous formulerons des conclusions d'ici Noël. Alors, merci beaucoup d'être venu nous voir aujourd'hui. Nous vous en sommes reconnaissants.

M. Rideout : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir accueilli. Je suis convaincu du fait que le reste de vos travaux dans notre province seront fructueux et utiles, et nous attendrons avec impatience votre rapport.

Le président : Souhaitons maintenant la bienvenue à M. Arthur May, qui, fort d'une formation de biologiste de la vie marine, a mené une carrière longue et distinguée dans le domaine des pêches, a évolué au sein de la marine, a été sous-ministre des Pêches à Ottawa pendant un bon bout de temps, pour ensuite devenir président de l'Université Memorial. Il a mené une carrière très distinguée, et il est tout à fait en mesure de répondre à nos questions.

Arthur May, président émérite, Université Memorial de Terre-Neuve, à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de me donner l'occasion de témoigner. Comme vous le savez peut-être, j'ai présidé l'an dernier un comité qui a produit un rapport pour les ministres des Pêches et Océans et des Affaires étrangères, et la principale conclusion que nous avons tirée dans ce rapport, c'est que le Canada devrait prendre l'initiative de créer un nouvel organisme de gestion des pêches régionales qui serait voué à remplacer l'OPANO.

Laissez-moi vous raconter brièvement l'histoire de l'OPANO et vous expliquer pourquoi le groupe consultatif sur la gestion durable des stocks de poissons chevauchants a formulé cette recommandation, laquelle a ensuite été appuyée par le gouvernement de notre province et par les organismes qui représentent les pêcheurs et les entreprises de transformation.

Quand le Canada a étendu à 200 milles la zone de pêche relevant de sa compétence, le 1er janvier 1977, il y a 40 ans, on envisageait l'avenir des pêches avec beaucoup d'optimisme. Des milliers de personnes sont revenues dans cette industrie, soutenue par des investissements énormes provenant surtout du secteur privé. Mais les célébrations ont été de courte durée : les taux d'intérêt ont grimpé au-delà de 20 p. 100 au début des années 80, et l'industrie de la côte atlantique s'est écroulée. Les gouvernements ont omis de limiter l'investissement de capitaux et l'afflux d'intervenants dans l'industrie, mais les gouvernements ne sont pas très bons lorsque vient le temps de limiter l'investissement dans des biens communs et de dire aux gens qu'ils ne peuvent utiliser les biens communs; bien au contraire, les gouvernements ont tendance à appuyer de telles initiatives.

En tout état de cause, les ressources ont commencé à se reconstituer, mais cela s'est fait beaucoup plus lentement que les renseignements dont on disposait à l'époque nous le laissaient croire. Le Canada avait adopté la position selon laquelle, grâce à la création d'un nouvel organisme international de gestion des pêches dans l'Atlantique nord-ouest, l'OPANO, le contrôle de la surpêche par des bateaux étrangers, laquelle avait déjà eu lieu pendant les années 60 et 70, ne serait pas difficile. Nous allions tout simplement miser sur les quotas consentis à l'intérieur de la zone canadienne pour favoriser l'adoption d'un bon comportement à l'extérieur de la zone.

À vrai dire, cette façon de faire a plutôt bien fonctionné jusqu'au milieu des années 80, même s'il devenait de plus en plus clair que le prix à payer augmentait. C'est lorsque l'Espagne et le Portugal ont accédé à l'Union européenne, et ensuite à la CEE, que les choses se sont gâtées. Ces pays n'ont pas obtenu immédiatement l'accès aux eaux relevant de l'UE, et ils ont exigé des quotas supérieurs au sein de l'OPANO, mais leurs exigences allaient au-delà de ce que les autorités canadiennes étaient prêtes à accepter. Nous avons refusé de subir les conséquences fâcheuses d'un différend au sein de l'Union européenne, et j'estime que nous avons eu raison de faire cela. C'est ce qui a mené à l'effondrement du régime de l'OPANO. L'Espagne et le Portugal — et, plus tard, l'UE — n'acceptaient pas les quotas établis par l'OPANO, misaient sur la procédure d'opposition pour faire fi des décisions de l'OPANO, et pêchaient chaque année des dizaines de milliers de tonnes de plus que ne pouvait permettre le stock. Au Canada, on pêchait également davantage de poissons qu'on aurait dû le faire, mais notre pays ne le faisait pas de façon délibérée, car nous respections le régime de quotas, nonobstant certaines pratiques douteuses par certains intervenants des pêcheries. Je tiens à signaler cela, car on a beaucoup tendance, dans le secteur des pêches, à pointer les autres du doigt; il y a donc lieu de dire : « que celui qui n'a jamais péché lance la première pierre. » Tout le monde a déjà fait quelque chose qu'il n'aurait pas du faire.

Pendant ce temps, l'état des stocks de poisson n'était pas aussi bon que tout le monde ne le croyait à l'époque. On avait commencé à reconstituer les stocks de 1977 jusqu'au milieu des années 80, mais le stock était beaucoup plus décimé qu'on ne le croyait à l'époque. Ensuite, on a constaté un changement énorme dans le régime océanographique, ce qui a compliqué toute la situation. Pendant plusieurs années consécutives, l'océan s'est refroidi. Cela a miné gravement le taux de survie des jeunes poissons, et de nombreuses espèces ont migré vers le sud et l'est, le long des côtes du Labrador et de Terre-Neuve, à l'extérieur de la zone de 200 milles, en quantités jamais vues auparavant. Cela s'est produit au pire moment possible, lorsque ceux qui contestaient les quotas de l'OPANAO ont constaté à quel point il était facile de prendre beaucoup plus de poissons à l'extérieur de la zone de 200 milles que ce que permettait l'OPANO, sans devoir subir de conséquences négatives à la suite d'un tel manque de coopération. Bref, vers la fin des années 80, les stocks étaient décimés, et dans tous les cas où il y a eu mouvement à l'extérieur de la zone de 200 milles, ils le sont toujours.

L'effondrement de l'OPANO a commencé il y a environ 20 ans. Ce n'est que maintenant qu'on commence le travail de réparation. Mieux vaux tard que jamais. Pendant que nous attendons, le Canada dépense plusieurs dizaines de millions de dollars chaque année pour surveiller la zone de 200 milles et pour y faire appliquer la loi.

Voilà le contexte de la déclaration qui figure dans le rapport du Groupe consultatif sur la gestion durable des stocks de poissons chevauchants dans l'Atlantique Nord : « l'OPANO a perdu toute crédibilité au Canada. » C'est pourquoi nous avons recommandé au gouvernement du Canada de prendre les devants et de créer une nouvelle organisation régionale de gestion des pêches en tirant parti des tendances à l'échelle mondiale ainsi que de la connaissance et de l'expérience qu'il a des points faibles de l'OPANO, qui sont évidents. Nous avons recommandé que le Canada continue de faire partie de l'OPANO jusqu'à ce que cela soit fait. Il s'agit d'un conseil, soit dit en passant, fondé sur l'analyse fournie par un groupe de spécialistes du droit maritime de la faculté de droit de l'Université Dalhousie.

Le gouvernement précédent, par l'intermédiaire du ministre Regan, était en principe d'accord avec nous, mais il a décidé de poursuivre ces objectifs dans le cadre de l'organisation existante plutôt que tenter d'en créer une nouvelle. Le gouvernement actuel poursuit dans la même voie. Il y a un consensus remarquable quant au but et à la méthode, malgré le changement de gouvernement qui a eu lieu dans l'intervalle.

Comme nous l'avons entendu, le processus de réforme de l'OPANO a commencé. À l'heure actuelle, lorsqu'un inspecteur constate qu'un bateau enfreint gravement les règlements de pêche, il peut l'assigner à un port. S'il s'agit d'un bateau étranger, ce sera son port d'attache. À quelle fréquence cela se produira-t-il? Quel sera le résultat? Nous devrons attendre au moins un an ou deux pour pouvoir constater l'effet de cette réglementation. C'est une chose qu'un État du pavillon qui prenait au sérieux le régime de l'OPANO aurait pu faire à tout moment, mais personne ne l'a fait. En tout cas, faisons l'hypothèse que nous réalisons enfin des progrès.

La mesure consistant à restreindre la procédure d'opposition de l'OPANO a peut-être constitué un changement encore plus important; un pays s'opposant à ces allocations de l'OPANO n'était pas tenu par la loi d'en tenir compte, avec un nouveau processus selon lequel un pays peut devoir établir le bien-fondé de son cas devant un groupe de spécialistes de l'OPANO. On formerait ce groupe à la demande du pays ayant formulé l'opposition ou à la suite d'une décision prise par les deux tiers des membres de l'OPANO. La décision du groupe de spécialistes n'aurait pas force exécutoire, mais le cas est ensuite renvoyé devant la Commission de pêche de l'OPANO, puis devant un tribunal des Nations Unies, qui peut, au bout du compte, rendre une décision ayant force exécutoire. Tout cela semble un peu fastidieux, mais je sais que les gens qui ont insisté sur cette question à l'OPANO sont convaincus qu'il s'agit d'une solution viable. Le problème est qu'il y a une sorte de crise qui fait qu'on n'attend plus grand-chose de l'OPANO, et nous devons donc attendre de voir ce que cela donnera.

Le rapport du groupe de spécialistes sur les stocks chevauchants recommande l'intégration d'une approche prudente et d'une gestion durable à une nouvelle convention, une procédure de vote pondérée, la suppression complète de la procédure d'opposition et un mécanisme obligatoire de résolution des conflits. Il est possible que l'existence d'un rapport recommandant qu'on remplace l'OPANO par une nouvelle organisation — et je présume que bon nombre de pays éclairés ont lu le rapport —, a donné un coup de pouce à la réforme. Je félicite le ministre et les fonctionnaires des progrès réalisés, ce qui aurait été impossible sans qu'on joue du coude dans les coins, et je parle en tant que premier président de l'OPANO; j'ai été à la tête de l'organisation de 1977 à 1981-1982.

Entre-temps, l'OPANO s'est-elle engagée à rétablir les stocks? A-t-elle un plan pour la restauration des Grands Bancs? A-t-elle formulé une menace de retirer le permis de pêche des récidivistes une fois pour toutes? Combien de temps se donne-t-on pour la restauration? Toutes ces questions sont en suspens, et je ne vois aucune réponse, ni ici ni à l'horizon.

Je crois que les organisations non gouvernementales seront de plus en plus nombreuses à entrer dans cette arène et qu'elles forceront les gouvernements à agir plus vite et plus en profondeur. Le Fonds mondial pour la nature (Canada), Greenpeace et d'autres s'y trouvent déjà. Vu que ces organisations n'ont pas de lien direct avec les régions qui vivent de la pêche, il y a toujours le danger d'aller trop loin trop vite, mais ces organisations interviennent parce que les autorités responsables ne réalisent aucun progrès évident et mesurable en ce qui concerne les stocks et la restauration des écosystèmes.

Monsieur le président, je sais qu'il est difficile de faire bouger les choses en droit maritime international. J'ai passé deux ou trois ans à côtoyer des avocats des Affaires étrangères au début des années 70, parce que nous avons élaboré la troisième Convention sur le droit de la mer. Sur le plan juridique, les choses bougent d'un millimètre à la fois, et les délais se comptent en dizaines d'années, mais l'affaire des Grands Bancs est trop complexe. Cela me rappelle une phrase d'une chanson populaire : « Liberté » — des mers, — « une autre façon de dire qu'on n'a plus rien à perdre. » Notre industrie de la pêche en haute mer a été réduite en miettes. Il n'y a plus de gros chalutiers, les usines sont fermées, et les gens ont déménagé. Si jamais on assiste à une restauration des ressources, l'industrie sera différente. Entre temps, je ne pense pas que nous ayons le droit, nous, l'ensemble des gens qui participent aux activités de la pêche, de continuer en toute conscience de faire les choses comme avant.

Au sein de l'OPANO, il est évident qu'on a négligé de prendre les responsabilités qui découlent des droits. Espérons qu'on a enfin franchi cette étape.

Le président : Les paroles que vous avez citées sont de Kris Kristofferson, qui était un boursier de Rhodes.

Le sénateur Johnson : Monsieur May, vous êtes un homme si distingué et savant que je ne sais pas par quelle question commencer, sauf pour dire que nous devrions regarder vers l'avant et examiner l'idée d'une nouvelle organisation régionale de gestion des pêches. Qu'est-ce qui s'améliorera selon vous si elle remplace l'OPANO, et est-ce qu'il s'agit d'une chose à laquelle il est réaliste de penser à l'heure actuelle?

M. May : Je pense que ce n'est maintenant plus sur la table. C'était une chose qu'on pouvait recommander de façon réaliste à l'époque où nous avons écrit le rapport, mais le gouvernement a choisi une autre voie. Soit dit en passant, le ministre de l'époque a dit : « Nous sommes d'accord avec tout ce que vous avez dit, mais nous ne pensons pas que la solution soit de créer une autre organisation; il s'agit selon nous d'améliorer l'organisation qui existe déjà. » C'est la voie qu'on a choisie.

Le sénateur Johnson : Il semble qu'on n'arrive pas à s'entendre sur la manière de redresser cette organisation.

M. May : Nous nous sommes engagés dans cette voie, pour ensuite revenir en arrière et dire que cela n'allait pas marcher, et qu'il faut donc suivre le conseil du groupe de spécialistes, ce qui prendra deux ou trois ans encore, et si cela ne fonctionne pas non plus, ce seront deux ou trois ans de perdus.

Le sénateur Johnson : C'est ce qui crée le vide. Vous en parlez dans votre document. N'est-ce pas une conclusion logique lorsque les organisations, les environnementalistes et les autres, ainsi que la population en général commencent à se dire qu'il faudra faire les choses d'une autre façon, qu'il est impossible d'obtenir de l'organisation en question qu'elle fasse quoi que ce soit, à un moment où l'environnement est l'une des principales préoccupations des Canadiens? Les Canadiens sont sensibles à toutes les questions environnementales, que ce soit l'environnement marin, l'environnement aérien ou l'environnement de la planète. C'est le problème le plus important auquel font face les Canadiens, et cela touche ce que vous avez fait tout au long de votre vie et ce que nous faisons en ce qui concerne la manière dont nous communiquons avec la population. Qu'allons-nous leur dire? Est-ce pour cette raison que les gens continuent de poser des questions?

Je viens de la région du lac Winnipeg, au Manitoba, et nous faisons face aux mêmes problèmes concernant les lacs et l'eau douce que dans les régions du pays. Que devons-nous dire aux gens?

M. May : Je ne peux que souligner que notre conclusion, à l'époque, était que l'OPANO était une organisation fatiguée et inflexible, qui ne semblait pas ouverte au changement. Si l'on donne suite au mouvement amorcé cette fois- ci, si ce n'est pas la fin, alors les choses peuvent s'améliorer, mais j'essaie de me rappeler une phrase : « Est-ce la fin du début ou le début de la fin? » L'OPANO doit aller beaucoup plus loin qu'elle l'a fait jusqu'à maintenant.

Le sénateur Johnson : Qu'en est-il des autres pays; d'après votre vaste expérience, pensez-vous qu'ils vont collaborer? Les gens vont-ils s'engager suffisamment pour qu'il soit possible d'apporter les changements nécessaires? Nous devons sauver le poisson, les stocks chevauchants et les autres espèces. Comme le sénateur Hubley l'a mentionné plus tôt en parlant du dernier rapport publié à Halifax, il ne s'agit pas d'avertissements vains, il s'agit de constats réalistes.

M. May : J'ai des réserves. Je crois que bon nombre des membres de l'OPANO vont maintenant avoir l'impression que nous avons fait quelque chose à la dernière réunion, que c'est donc réglé, mais ce n'est pas réglé. Ce n'est que le début. Il est impensable de nous arrêter maintenant et de penser qu'il y aura un quelconque changement. Au bout du compte, le principal problème ne concerne pas le système de surveillance des navires, ni les observateurs ni les déclarations erronées. Ces problèmes sont d'ordre technique. Le vrai problème c'est : allons-nous être en mesure de rétablir les stocks de poisson ou non? Cela reste à voir. Il n'y a assurément aucune certitude qui se dégage de ce que nous avons vu jusqu'à maintenant. On n'a encore vu aucune approbation ni aucun engagement décisifs en ce qui concerne la restauration des Grands Bancs pour leur redonner leur gloire et leur grandeur originales.

Le président : Je pense qu'avant de passer au sénateur Cowan, il serait peut-être utile que nous réfléchissions là- dessus. Lorsque vous dites qu'on n'est pas allé suffisamment loin et qu'on n'a recommandé que des mesures techniques, sans mentionner le rétablissement des stocks, je crois que le comité doit réfléchir. Nous ne nous sommes pas concentrés sur ce volet de nos délibérations.

M. May : Nous semblons nous contenter de partager les 10 p. 100 au maximum de ce qui reste, et nous nous battons maintenant entre nous pour les miettes qui tombent de la table. Les Grands Bancs ont déjà constitué un écosystème marin extrêmement productif. L'histoire du début des colonies en Amérique du Nord tourne entièrement autour des Grands Bancs, qui sont maintenant une zone semi-désertique et appauvrie. Les ports de Gloucester, Lunenburg et Grand Bank, comme les économies régionales qui se sont construites autour de ces villes, doivent leur existence aux Grands Bancs.

Le sénateur Cowan : Monsieur May, le ministre était ici il y a quelques minutes. Je ne sais pas si vous avez entendu son exposé. Il s'est exprimé en faveur du concept de gestion axée sur la conservation, qu'il voit comme un choix viable. Cela contredit certains des éléments des témoignages de gens comme M. Saunders, doyen de la faculté de droit de Dalhousie, qui pense que ce concept ne sera accepté facilement nulle part, et qu'il est inutile de se lancer dans cette voie, puisque c'est une chose tout simplement impossible à faire. Pensez-vous que la gestion axée sur la conservation soit la solution, ou encore une partie de la solution, au problème que nous avons à l'heure actuelle, surtout en ce qui a trait à la dernière chose que vous avez dite au sujet du fait de ne pas se contenter de se battre pour les 10 p. 100 qui restent, mais de repartir des 10 p. 100 pour redonner leur gloire antérieure aux Grands Bancs?

M. May : Une partie du mandat du groupe de spécialistes sur les stocks chevauchants était d'effectuer des recherches au sujet du concept de gestion axée sur la conservation et d'essayer de se doter d'une idée commune de ce dont il s'agit, et nous avons passé beaucoup de temps et dépensé beaucoup d'énergie en ce sens, et nous avons consacré une bonne part de notre rapport à cela. Je pense qu'il s'agirait d'un concept merveilleux, si seulement nous étions en mesure de convaincre les autres. Le Canada pourrait gérer la ressource. Nous pourrions investir les fonds nécessaires; nous garantirions le maintien des parts, des pourcentages historiques du stock renouvelé, quel qu'il soit, pour les gens qui participent aux activités de la pêche. Le problème est le suivant : personne d'autre ne croit que c'est ce que nous ferions. On parle donc de ce concept depuis le milieu des années 1980, je pense, parce que nous avons effectué des recherches en ce sens et lu les discours de tous les premiers ministres de Terre-Neuve depuis le premier ministre Wells, et que nous savons que le Parlement du Canada a adopté à l'unanimité une résolution à l'appui de la gestion axée sur la conservation sans préciser ce que c'était. Nous avons fait de notre mieux pour formuler une définition sur laquelle les gens pourraient être d'accord, et nous l'avons mise dans notre rapport. Nous avons ensuite parlé du fait que, selon les conseillers juridiques, il ne s'agit pas d'un concept reconnu en droit international. Si le gouvernement s'y mettait dès maintenant, cela prendrait peut-être quelques dizaines d'années pour faire reconnaître le concept en droit international. S'il essayait de le faire de façon unilatérale, l'affaire serait immédiatement portée devant la Cour internationale, dont il faudrait que le Canada reconnaisse la compétence, puisqu'il a signé la Convention sur le droit de la mer, et il est évident qu'il n'aurait pas gain de cause devant ce tribunal. Au bout du compte, nous avons conclu qu'il fallait nous en tenir à une organisation régionale de gestion des pêches, dans le meilleur des mondes, une nouvelle organisation, et que le concept de gestion axée sur la conservation, si intéressant soit-il, n'existe tout simplement pas ailleurs et que nous ne pouvons pas l'instaurer par nos propres moyens.

Le sénateur Baker : La gestion axée sur la conservation est la politique, ou l'une des politiques que prônent le Parti progressiste-conservateur du Canada, et de Terre-Neuve; le Parti libéral du Canada et de Terre-Neuve; le Nouveau parti démocratique du Canada et de Terre-Neuve; le Parti vert, ou le Parti marxiste-léniniste et le Parti communiste. Tous ces partis ont intégré le concept de gestion axée sur la conservation à leurs politiques. Il est impossible de trouver un politicien qui ne soit pas en faveur de la mise en place immédiate d'une gestion axée sur la conservation. Le premier ministre s'est trouvé à Petty Harbour au cours de la campagne électorale, et il a garanti la mise en œuvre de la gestion axée sur la conservation. Le chef des libéraux a fait la même chose à St. John's. D'accord, mais que veut dire gestion axée sur la conservation? Vous avez examiné le concept. Il y a eu trois rapports sur les pêches à ce sujet. En 1977, l'année de la création de la zone des 200 milles, j'étais secrétaire parlementaire. J'étais le secrétaire parlementaire de Roméo LeBlanc, et un organisme international en a parlé à l'époque. D'après ce que je sais à ce sujet, les pêcheurs étrangers pourraient continuer d'obtenir leurs quotas.

M. May : Oui, des quotas accordés dans le cadre d'un régime de gestion canadien.

Le sénateur Baker : Reconnaissant aux pêcheurs étrangers le droit perpétuel de pêcher sur notre plateau continental.

M. May : Oui.

Le sénateur Baker : Connaissez-vous un autre pays dans le monde où 17 nations étrangères ont le droit de déterminer des quotas jusqu'à la laisse de haute mer?

M. May : Non.

Le sénateur Baker : Bien sûr que non : il n'y en a pas d'autres.

M. May : Monsieur le président, est-ce l'une de ces situations où l'on dit au procureur : « N'influencez pas le témoin »? Monsieur le président, permettez-moi de vous dire que le sénateur Baker m'a interrogé de façon aussi serrée à la fin des années 70 lorsque j'étais sous-ministre responsable de l'industrie de la pêche dans la région de l'Atlantique.

Le sénateur Baker : Dans les années 1980, le gouvernement fédéral nous a envoyés en Europe dire au Portugal, à l'Espagne et à d'autres pays que les 5 p. 100 du plateau continental qui se trouvent à l'extérieur de la zone de 200 milles forment le lieu où tout le poisson se rassemble une fois par année. Il fallait que nous disions à ces pays que s'ils capturaient tout le poisson sur ces 5 p. 100 du plateau continental, ils allaient épuiser les stocks de poisson. C'était notre message.

M. May : C'est essentiellement ce qui s'est passé à la fin des années 1980.

Le sénateur Baker : La question que je veux vous poser est la suivante : quelles sont les définitions de sol et de sous- sol? Les spécialistes du domaine juridique nous disent que le sol et le sous-sol du plateau continental relèvent de nous, y compris le nez, la queue et le Bonnet Flamand. Certaines personnes ont invoqué comme argument l'article 76 de la convention de l'ONU dans le but de pouvoir exercer une emprise sur notre sol et notre sous-sol; cela n'est pas nécessaire, puisque nous possédons le sol et le sous-sol à l'heure actuelle. D'après nos lois, si une personne déverse une substance délétère sur le sol ou dans le sous-sol près d'une rivière, on la poursuivra en vertu de la Loi sur l'environnement ou de la Loi sur les pêches.

Comment est-il possible que le sol et le sous-sol nous appartiennent sans que nous puissions faire quoi que ce soit au sujet des chalutiers qui ne cessent de pêcher là-bas, jour et nuit?

M. May : C'est une conséquence de la façon dont est écrit le droit du plateau continental. Le plateau continental nous appartient; nous possédons les ressources que sont les minéraux, le pétrole et le gaz enfouis dans le plateau continental. Nous possédons les ressources vivantes qui sont immobiles à la surface du plateau continental, ou sous celui-ci, ou qui ne sont pas en mesure de bouger, sauf si elles sont en contact physique permanent avec le plateau continental. C'est ainsi qu'est rédigée la Convention sur le droit de la mer. Le poisson qui nage au-dessus du plateau continental ne nous appartient pas, et c'est ça le problème.

Le sénateur Baker : Nous ne sommes pas obligés de posséder le poisson qui nage au-dessus du sol et du sous-sol. Si l'on possède le sol et le sous-sol, et qu'on n'est pas autorisé à racler les fonds marins, alors il est impossible de capturer le poisson qui se trouve au-dessus, parce que les outils technologiques qui permettraient de mettre un filet à l'eau sans toucher au sol et au sous-sol n'existent pas. Tous les filets touchent le fond de l'océan et l'endommagent.

M. May : J'ai lu le témoignage de M. Saunders sur la question, et je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit à ce qu'il a dit. Il a étudié le problème de très près pour tenter d'utiliser la possession du sol et du sous-sol comme un levier permettant d'exercer une certaine emprise sur ce qui se passe dans le milieu de la pêche, mais il a abandonné, essentiellement parce qu'il s'agissait selon lui d'un exercice improductif. Voyez-vous, on peut rêver un peu et dire que si les pêcheurs draguent un chalut sur notre plateau continental, ils endommagent nos lieux de pêche, des lieux qui nous appartiennent. Le poisson qui nage au-dessus ne nous appartient pas, mais le sol nous appartient, et nous vous interdisons de l'endommager.

Le sénateur Baker : Exactement.

M. May : Bien entendu, ce serait comme fabriquer une arme que nous retournerions contre nous-mêmes, parce que nous pêchons là-bas aussi.

Le sénateur Baker : Où pêchons-nous?

M. May : Nous pêchons à l'extérieur de la zone de 200 milles.

Le sénateur Baker : Nous pêchons que très peu à l'extérieur de la zone de 200 milles.

M. May : Oui, très peu aujourd'hui.

Le sénateur Baker : Ce serait un grand sacrifice.

M. May : Nous souhaitons pêcher beaucoup plus lorsque les stocks seront renouvelés, et nous devons donc protéger nos propres intérêts aussi. Le concept juridique en question semble assez fragile.

Le sénateur Baker : La Russie a demandé un prolongement, relativement au sol et au sous-sol, jusqu'au bout de son plateau continental. Plusieurs autres pays ont présenté une demande à la commission du droit de la mer. Tout cela s'est produit avant que nous signions la Convention sur le droit de la mer, puisque nous ne l'avons fait qu'il y a quelques années. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Canada a été l'un des pays qui a résisté et refusé de ratifier la Convention sur le droit de la mer de l'ONU le plus longtemps?

M. May : Je sais que, au moment de la signature de la convention, en 1982, je pense, on avait des réserves importantes quant aux dispositions concernant la propriété et l'exploitation des minéraux, ainsi que du pétrole et du gaz, sur le plateau continental. Je ne me suis pas occupé de ce dossier, et je ne veux donc pas être précis à ce sujet, mais je crois que nous avions des réserves quant au régime d'exploitation des ressources minérales à la lisière du plateau continental, et que, en raison de ces réserves, nous avons attendu avant de signer la convention.

[Français]

Le sénateur Gill : Monsieur May, dans la même ligne d'idées — mais non pas sur le plan légal — tout le monde sait que les fonds marins sont passablement détruits.

Sur le plan scientifique, avons-nous des informations sur la régénération du fond marin? Est-ce possible que le fond marin se régénère sur une période d'années raisonnable?

[Traduction]

M. May : Je ne sais pas s'il y a eu des études très précises sur la dégradation du fond marin et sur une éventuelle restauration de celui-ci, mais il n'y a aucune raison de supposer qu'il ne se régénérerait pas simplement grâce à une période de repos et avec le temps.

[Français]

Le sénateur Gill : Ne devrions-nous pas quand même, ne le sachant plus ou moins, savoir en combien de temps les fond marin se régénère et si il se régénère? Nous pourrions bannir, jusqu'à un certain point le dragage, par exemple, par tous les pays?

Les scientifiques et les gens qui avisent les gouvernements doivent avoir la même information. Pensez-vous que c'est utopique de devoir un jour arrêter complètement la pêche à la traîne, le dragage, pour permettre au fond marin de se régénérer?

Si nous détruisons la nourriture, si nous détruisons la flore, qu'arrivera-t-il aux poissons et aux animaux marins?

[Traduction]

M. May : La technique de chalutage par le fond fait l'objet de débats à l'heure actuelle. C'est assurément néfaste pour les groupes d'animaux qui vivent sur le fond marin. Cependant, nous avons recours à cette technique depuis 60 ou 70 ans, et il n'y a pas de preuve qu'elle entraîne une perte de productivité du poisson. La productivité du poisson diminue lorsqu'on pêche trop. Si l'on capture beaucoup plus d'animaux que le stock peut en produire, alors la productivité diminue. Il faut recueillir davantage de données sur les effets du chalutage par le fond. Je pense qu'il y a d'autres façons de capturer le poisson que par cette technique, même si, pour certaines espèces, cela n'est pas évident. Cependant, vu la nécessité de trouver d'autres techniques, je pense que si l'on se penchait suffisamment sur le problème, on pourrait trouver des solutions. Il est possible de lancer un chalut de fond juste au-dessus du fond marin, plutôt que de racler celui-ci. Tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas de restrictions concernant l'utilisation des chaluts de fond, on n'incitera pas les gens à effectuer des recherches ou à faire l'exploration technologique qui permettra d'améliorer les techniques de pêche.

Je vous ai donné la réponse longue, mais la réponse courte est la suivante : je ne suis pas sûr que les chaluts de fond aient tendance à détruire le fond marin. De toute évidence, cette technique a des répercussions, mais nous ne savons pas si elles sont importantes. L'autre côté de la médaille, c'est que je suis très optimiste quant à la découverte de meilleures techniques de pêche.

Le président : Je crois que nous devrions parler davantage de cette question, parce que nous avons eu de la difficulté à nous faire une idée là-dessus. Le ministre Rideout a laissé entendre qu'il existait d'autres méthodes, et vous venez de dire la même chose. Je comprends ce que vous dites lorsque vous affirmez que l'on doit prendre des mesures disciplinaires avant que les pays adoptent de nouvelles techniques de pêche. Pour nous, la question est la suivante : quelles mesures disciplinaires faut-il prendre? Certaines personnes sont en faveur d'une interdiction totale, d'autres penchent plutôt pour un moratoire, et d'autres encore prônent la pêche dans des zones qui ne sont pas fragiles. Pouvez- vous nous aider d'une quelconque façon à déterminer le genre de restrictions qu'il faut imposer?

M. May : Tout d'abord, je crois qu'il faut fixer un nombre de captures qui soit suffisamment bas pour permettre au stock de se renouveler. Il ne faut pas continuer à continuer de pêcher dans un stock équivalant à 10 p. 100 de son niveau historique de façon qu'il ne dépassera jamais plus 10 p. 100 de ce niveau. Il faut soit arrêter de pêcher, soit adopter un moratoire, soit ne pêcher que très peu. L'autre technique consisterait à prévoir des périodes de fermeture, à ne pas pêcher pendant la période du frai et à laisser le poisson se reproduire. Une autre technique encore est de prévoir une période de fermeture et de ne pas pêcher pendant les mois de juin, juillet, août ou les autres mois pour lesquels c'est pertinent. Il y a d'autres façons de faire, mais il faut laisser le système se reposer un peu si on veut qu'il commence à se rétablir. Comme je l'ai déjà dit, les ressources qui relèvent de l'OPANO ont été décimées à la fin des années 80. C'était il y a 20 ans. Que faisons-nous depuis 20 ans? Nous pêchons juste assez pour que le stock ne se renouvelle jamais suffisamment. Il manque au régime de l'OPANO un engagement envers le renouvellement des ressources, un plan pour y arriver et un calendrier de mise en œuvre de ce plan. Cela n'existe tout simplement pas, et c'est vraiment la prochaine étape à franchir. C'est l'une des raisons pour lesquelles notre groupe de spécialistes a suggéré la création d'une nouvelle organisation, pour nous permettre de nous éloigner de l'histoire et des traditions figées. Il semble que l'OPANO ait l'ordre de maintenir les parts existantes de chacun des pays, même si ces parts peuvent représenter 20 p. 100 des stocks existants. Le problème est qu'il s'agit de 20 p. 100 de 10 p. 100, alors que cela devrait 20 p. 100 de 100 p. 100. Le renouvellement ne se fait pas.

Le président : Ce que vous avez fait est utile, parce que vous avez lié les quotas et l'équipement et vous nous avez dit qu'ils sont inséparables, qu'il faut s'occuper des deux, et vous nous avez donné des suggestions précises quant à la manière dont on pourrait imposer une certaine discipline aux chalutiers sans avoir recours à une interdiction complète. Merci beaucoup.

Le sénateur Adams : Monsieur May, vous avez mentionné que la température de l'eau change et que le poisson s'est déplacé soit vers le sud, soit vers le nord. Vous avez dit que d'autres gens capturent maintenant le poisson, et que le poisson ne revient plus. Pouvez-vous expliquer en quoi le changement de température de l'eau est important?

M. May : Vers la fin des années 1980, grosso modo, entre 1986 et 1990, l'eau a été très froide pendant quatre ou cinq ans. Cette eau froide est entraînée par le courant du Labrador, dont l'origine se trouve dans le Détroit de Davis, et elle longe la cote de Terre-Neuve jusqu'aux Grands Bancs, comme un cadeau du Nunavut. Puis, bien entendu, la principale caractéristique de la région est son régime océanographique. C'est la raison pour laquelle nous, qui nous nous trouvons à St. John's, presque à la même latitude que Marseille, nous ne faisons pas beaucoup de vin, en tout cas pas à partir de raisins. Le régime océanique, qui a toujours été froid, est devenu encore plus froid.

Deux choses se sont produites. Le jeune poisson ne survivait pas d'une année sur l'autre. Le frai de la morue a échoué en 1986, 1987, 1988 et 1989. Personne ne l'a su à l'époque, parce qu'on ne voit pas vraiment ces poissons avant qu'ils aient environ cinq ans et qu'on commence à les pêcher. Lorsqu'ils ont un ou deux ans, on ne sait pas vraiment combien de poissons il y a dans l'océan. C'est la première chose, le fait que le poisson n'ait pas survécu, le fait que le remplacement de la population n'ait pas eu lieu.

L'autre chose, c'est que l'eau était si froide que le saumon mâle à l'époque du frai, le flétan noir, la morue polaire et le caplan ont tous migré vers le sud le long de la côte de Terre-Neuve, puis vers l'est, vers la lisière des Grands Bancs, là où on trouve des eaux chaudes, à l'extérieur de la zone de 200 milles et à 200 mètres de profondeur. D'énormes quantités de poissons se déplaçaient vers le sud et vers l'est au pire moment, puisque l'Espagne et le Portugal demandaient l'augmentation des quotas, ce que le Canada a refusé. Les deux pays se sont opposés au refus du Canada, ils ont pêché et ont passé du bon temps, puisque le poisson était abondant. C'est comme ça que c'est produit l'effondrement des stocks.

Le sénateur Adams : Dans les divisions 0A et 0B, dans la région de l'île de Baffin, nous avons des stocks de poisson composés de flétans noirs et d'un peu de crevettes. Si l'on capture chaque année, pendant les 10 ou 20 prochaines années, environ 8 000 tonnes métriques de poissons, est-ce que le poisson disparaîtra comme ça été le cas lorsque les stocks de morue se sont effondrés?

M. May : Il se peut que vous fassiez maintenant face au problème contraire, puisque le réchauffement de la planète produit des effets partout. Il semble que le refroidissement de la fin des années 1980 ait été un phénomène temporaire. Je ne suis pas au courant des détails pour les deux ou trois dernières années, mais dans la mesure où cela se produirait, il y aurait aussi des répercussions importantes quant aux endroits où se trouverait le poisson et à la quantité de poissons.

Le sénateur Hubley : Pendant votre exposé, au cours duquel vous nous avez fourni des éléments importants de la question dont nous nous occupons, j'ai noté trois choses; il faut que l'OPANO aille plus loin; ce n'est que le début; puis j'ai écrit : quelle est la clé? Je ne pense pas que nous avons la clé à l'heure actuelle, mais nous avons besoin d'une quelconque autorité, qu'elle soit l'OPANO ou un nouveau processus de gestion régionale des pêches.

J'aime les Terre-Neuviens parce qu'ils peuvent toujours décrire les choses en une expression, en si peu de mots. J'imagine que tout dépend de qui va écoper, et je crois que c'est nous. Je crois que les Canadiens doivent en quelque sorte être responsables de la pêche et doivent disposer des moyens de la protéger. Comme vous l'avez dit, chaque pays a des limites historiques et peut pêcher un pourcentage du poisson. Eh bien, un pourcentage de rien, c'est rien, et lorsque les autres s'en iront chercher un autre endroit où pêcher, nous serons probablement le pays le plus durement touché, comme nos pêcheurs. L'autorité en question — les gens ne croiront en aucune autorité qui ne sera pas soutenue par des preuves scientifiques. Quelqu'un doit avoir le dernier mot, et je me demandais si vous pouviez nous parler encore un peu du genre d'organisation que nous devrions envisager pour l'administration des pêches.

M. May : Eh bien, l'OPANO ou une autre organisation, et ce pourrait être l'OPANO si cette organisation change et prend ces choses en main. Avant tout, nous avons besoin d'un engagement et d'un plan pour le rétablissement des pêcheries dans la zone qui relève de l'OPANO. Il s'agit de pêcheries qui se trouvent à la lisière est des Grands Bancs, où les stocks se déplacent à l'intérieur et à l'extérieur de la zone de 200 milles; il faut donc que le Canada et l'OPANO conviennent d'un plan de rétablissement, ainsi que dans le cas des pêcheries du Bonnet Flamand, qui est tout entier à l'extérieur de la zone des 200 milles. C'est la première étape. La première étape ne consiste pas à savoir quoi faire lorsque l'on découvre que les pêcheurs pêchent illégalement, parce que cela est hors contexte. Quel est le contexte? Il faudrait que ce soit l'idée de restaurer l'écosystème des Grands Bancs. À quoi ressemblaient les Grands Bancs en 1950, lorsqu'ils étaient encore en assez bon état? Souhaitons-nous qu'ils ressemblent de nouveau à cela, ou souhaitons-nous qu'ils soient légèrement différents de cela? Quelles étaient les ressources qui se trouvaient là-bas? Pouvons-nous les rétablir? Comment? Tout cela est d'ordre scientifique et technique. Vous avez maintenant votre plan de match. La cible est là, vous n'avez qu'à viser. Les questions suivantes sont : qui obtient les allocations? Comment pêchent-ils? Quel type d'engins utilisent-ils? Quelles sont les saisons de pêche? Où peut-on pêcher? Y a-t-il des zones d'interdiction? Y a-t-il des zones fermées pendant la période de frai? Ces questions correspondent toutes à des mesures visant le rétablissement des stocks au niveau où ils se trouvaient auparavant. Avec le recul, tout cela n'a aucun sens. C'est à se demander comment il est possible que personne n'ait dit, il y a longtemps : vous savez quoi, c'est stupide. Nous devrions tous obtenir dix fois plus de ressources que ce que nous obtenons à l'heure actuelle, mais il faudrait pour cela que nous nous restreignions un peu de manière à permettre aux stocks de se renouveler. Il faut que nous ayons un objectif, un plan de rétablissement, une orientation.

L'autre chose que nous avons soulignée dans notre rapport, c'est que le Canada et l'Union européenne capturent 85 p. 100 du poisson de fond qu'il est permis de pêcher, 85 p. 100, pensez-y, pour deux parties. Si seulement ces deux parties pouvaient s'entendre sur ce qu'il faut faire, les autres devraient nécessairement suivre le mouvement. Il ne s'agit que de deux parties. Cependant, cela n'est pas aussi simple que cela en a l'air, parce que l'Union européenne n'est peut- être qu'une partie, mais il s'agit d'une organisation très complexe; mais même au sein de l'Union européenne, il n'y a que deux ou trois pays qui pêchent beaucoup. Il est possible d'analyser et d'aborder le problème de cette manière, et cela me semble plus logique que de participer à des organisations multilatérales et d'essayer de négocier quel délit entraîne l'obligation pour un bateau de rentrer à son port d'attache et quel délit n'entraîne qu'une petite tape sur les doigts sur le lieu de pêche.

Dans un sens, nous envisageons le problème sous le mauvais angle. Il faut commencer quelque part. Je ne remets pas en question les progrès réalisés à l'occasion de la dernière réunion de l'OPANO, pour autant que toutes les personnes qui ont participé reconnaissent qu'il s'agissait d'un bon début.

Le président : L'idée que nous avons commencé par le mauvais bout — nous avons commencé par l'application de la loi pour protéger une ressource qui diminue, alors que nous devrions nous occuper d'abord de la ressource, puis de sa gestion. Pour ma part, j'estime que le dernier témoignage jette une nouvelle lumière sur ce que nous faisons.

M. May : Permettez-moi de vous dire, monsieur le président, qu'il ne servira à rien de s'occuper de la ressource si nous ne faisons pas aussi appliquer la loi.

Le président : C'est vrai; il faut faire les deux en même temps.

Le sénateur Campbell : Il faut que je vous dise que vous êtes, sans aucun doute, le meilleur témoin que j'ai entendu depuis que je me suis joint au comité, il y a peu de temps. Je me demandais ce que j'allais lire ce soir; votre rapport figure tout en haut de ma liste.

En écoutant les témoignages ce matin, j'ai eu l'impression que nous nous trouvions dans la situation actuelle parce que nous sommes canadiens, et je pense que le ministre Rideout l'a exprimé de façon claire. Nous, les Canadiens, prenons à la légère les questions comme le bois d'œuvre, le blé, les tarifs imposés par l'Union européenne, le Bonnet Flamand, et nous laissons les autres arranger les choses à leur guise, puis, au bout du compte, lorsqu'il ne reste plus rien, nous payons le prix puis nous passons à autre chose.

Je sais que nous avons signé un certain nombre d'accords. Peut-être pouvez-vous m'aider. Qu'arrivera-t-il si nous nous approprions le Bonnet Flamand, qu'arrivera-t-il si nous prenons tout et que nous disons que c'est à nous et que nous n'allons pas pêcher là-bas, que personne d'autre ne va pêcher là-bas, que vont nous faire les autres pays, et est-ce que cela doit nous préoccuper?

M. May : Je ne peux que tenter une réponse. Je présume que les pays qui se sentiront affectés par votre geste exerceront des représailles sous une autre forme.

Le sénateur Campbell : Ils en exercent déjà. Nous demandons à être traités de façon équitable, ce que nous n'obtenons pas. Les autres exercent des représailles. Nous demandons la levée des tarifs. Ils refusent. Personne ne veut acheter nos produits du phoque. Mais peut-être que, à un moment donné, il faudra envoyer les canonnières et dire qu'ils peuvent aller au diable, ou alors les gens qui vont mourir, ce sont ceux de la province et de la côte est. Vous l'avez dit de façon tout à fait précise : une fois qu'il n'y aura plus de poisson, pensez-vous que l'Espagne et le Portugal pourraient être préoccupés, ils s'en foutent, ils vont aller pêcher ailleurs.

M. May : Vous avez tout à fait raison, sénateur, lorsque vous dites que c'est une conséquence du fait d'être Canadien. Nous ne sommes pas très agressifs quand vient le temps de défendre nos droits. Nous sommes gentils, en général, nous essayons de régler les choses en parlant, mais les autres ne sont pas toujours aussi gentils que nous.

Je présume que, si nous faisions des choses qui déplaisent aux gens, ils exerceraient des représailles dans le commerce, puisque nous sommes un pays exportateur, et leurs représailles consisteraient à exiger un visa pour les touristes qui voyagent, n'importe quel autre irritant auquel ils pourraient songer, et je ne crois pas que personne veuille faire face à cela.

Le sénateur Campbell : Je ne veux pas avoir à faire face à cela non plus, mais quel choix avons-nous; mourir à petit feu? Je suis d'accord avec vous : peut-être allons-nous avoir besoin d'un passeport, peut-être refuseront-ils certains de nos produits. Que pensez-vous de l'idée de ne pas donner de pétrole, d'eau, de blé ou quoi que ce soit d'autre aux gens qui ne se plient pas aux règles? J'entends toujours des gens qui viennent dire, jour après jour, que c'est cela le problème, et je ne vois aucune volonté de la part de l'OPANO, sauf vous qui dites que cela ne fonctionne pas. Vous le dites dans un paragraphe : « on n'a pas offert immédiatement à ces pays l'accès aux eaux de l'Union européenne, et ils ont demandé l'augmentation des quotas au sein de l'OPANO, mais des quotas plus élevés que ceux que les autorités canadiennes étaient prêtes à accepter. Nous avons refusé de payer le prix associé au fait de régler un problème à l'intérieur de l'Union européenne [...] » Qu'ont-ils fait? Ils sont venus détruire notre ressource. Ainsi, nous avons refusé de payer le prix. Nous avons dit non, nous n'allons pas nous permettre de faire ce que vous voulez faire, et ils nous ont répondu d'aller au diable, qu'ils allaient pêcher tout ce qu'il y avait à pêcher. Je pense que la solution pourrait être d'avoir deux ou trois frégates qui surveilleraient ces gars-là, parce que sinon, il ne nous reste plus qu'à baisser les bras et à oublier tout ça. Il semble que nous soyons les seuls à véritablement nous soucier du poisson, de la ressource. Les autres ne font que le manger; les autres ne font que dire que nous n'allons pas manquer le bateau. Il n'y a rien que nous puissions faire, et le sénateur Baker a raison, il n'y a aucune règle qui nous permette de toucher ces gens.

Simplement pour conclure, vous savez ce que je pense? Je pense que toute la question de la pêche au chalut n'est qu'une façon de noyer le poisson. Je crois qu'on essaie de noyer un gros poisson et de nous faire oublier que nous ne nous occupons pas de nos stocks. J'espère que vous allez continuer de vous battre, parce que les stocks vont disparaître.

M. May : Je trouve votre idée sur la pêche au chalut très intéressante; le fait qu'on essaie de noyer le poisson. Je crois que je suis d'accord avec vous. Ce dont nous parlons, le problème, c'est de déterminer si l'on devrait permettre à quiconque de pêcher en haute mer en l'absence de conseils scientifiques, d'un organisme de gestion. Le problème concerne la pêche en haute mer. Il s'est transformé en un problème de pêche au chalut à l'intérieur de la zone de 200 milles. Ça s'est fait soudainement. Il ne s'agit pas de pêche au chalut à l'intérieur de la zone de 200 milles. Il s'agit de pêche en haute mer. D'accord, la seule façon de pêcher en haute mer, c'est peut-être avec un chalut, mais le problème ne concerne pas la pêche au chalut, il concerne la pêche en haute mer dans des zones où il n'y a pas d'organismes de gestion, et on devrait partir de l'hypothèse qu'il ne faut pas pêcher là-bas.

Je suis tout à fait d'accord. Nous avons vraiment brouillé les pistes en parlant de pêche au chalut, et, soudainement, tous les gens qui pêchent de cette manière sont devenus nerveux.

Je pense que vos commentaires vont droit au but. Dans les années 1980, le contexte a peut-être été différent. Les gens ne savaient pas ce qu'ils faisaient, en ce sens qu'ils ne savaient pas que le fait de pêcher tant de poissons de plus qu'avant ferait que les stocks sont tels qu'ils sont aujourd'hui. Certaines personnes ont peut-être lancé un avertissement, mais personne n'était sûr de ce qui se passait parce que nous ne connaissions pas la taille des stocks. Nous ne savions pas que tout le poisson s'était déplacé à l'extérieur de la zone de 200 milles et qu'il n'en restait plus à l'intérieur. Ce sont des choses qu'ont révélées les études effectuées après que les dommages ont été faits. Non seulement on pêchait le poisson qui se trouve à l'extérieur de la zone de 200 milles, mais les poissons qui se trouvaient à l'intérieur de la zone se sont déplacés vers l'extérieur, et les ressources se sont maintenant envolées, et grâce au recul, nous savons ce que nous avons fait. Je remettrais maintenant cela continuellement sur la table aux niveaux les plus élevés des autres gouvernements pour dire que c'est cela qui s'est produit. Peut-être avions-nous une excuse à l'époque parce que nous ne savions pas ce qui se passait, mais, maintenant, nous le savons; maintenant, nous le savons. Je ne peux pas imaginer être devant un haut dirigeant d'un autre gouvernement ou de l'Union européenne en train de raconter l'histoire que je viens de vous raconter, et, à moins qu'on pense que j'invente, que je mens ou autres choses — mais s'ils sont convaincus que c'est ce qui s'est vraiment passé et que les faits historiques le prouvent, comment pourrait-on dire qu'on ne fera rien pour rétablir les stocks, tout en sachant que les ONG n'attendent que l'occasion de profiter d'une gaffe. C'est ce qu'ils font déjà, et avec raison.

Le sénateur Campbell : Monsieur May, vous avez cité Kris Kristofferson. Je vais citer une Canadienne, Joni Mitchell, et j'espère que nous ne nous trouverons jamais dans cette situation : « mais tu ne sais pas ce qui est à toi avant de le perdre », et j'espère que nous ne nous trouverons jamais dans cette situation. Merci beaucoup.

Le sénateur Baker : Je dis amen au commentaire et à l'observation du sénateur Campbell. Le rapport du comité va être intéressant, puisque certains membres du comité ont la question très à cœur, et il se peut que ce soit tout simplement la première fois dans l'histoire du Canada qu'un comité présente un rapport recommandant une mesure draconienne qu'on n'ait pas déjà envisagée.

Comme je l'ai déjà dit au sénateur Campbell, si Terre-Neuve était un pays à part entière, si la province ne s'était pas jointe au Canada, nous n'aurions pas de problème. Nous aurions élargi le champ de compétence en question depuis longtemps. Il n'y aurait pas un étranger là-bas.

La gestion axée sur la conservation constitue une amélioration par rapport à ce dont nous disposons à l'heure actuelle, et je crois que c'est pour cette raison que le concept a connu un bon accueil; il s'agit assurément d'une amélioration.

Vous avez dit, monsieur May, que le système de surveillance des navires, la contraignabilité des observateurs et les sanctions étaient des questions d'ordre technique, et qu'il y avait une question de portée plus générale. Que pensez-vous des questions techniques dont nous avons pris connaissance hier à l'occasion de la séance privée? Nous avons entendu dire que les observateurs ne témoignent pas devant les tribunaux des pays étrangers, et qu'ils n'ont pas nécessairement à rétablir leur système de surveillance des navires lorsqu'il ne fonctionne pas. Nous avons entendu dire qu'il n'y a pas de sanction pour les autres, tandis qu'un Terre-Neuvien qui laisse le système de surveillance des navires hors service pendant deux heures enfreint la loi et peut être poursuivi en justice. Nous avons appris que tous les observateurs présentent un rapport devant le tribunal en cas de poursuites judiciaires. Il y a assurément des sanctions, puisque vous vous souvenez certainement que nous avons modifié la Loi sur les pêches pour inclure des sanctions, peut-être les sanctions les plus extrêmes de toutes les lois adoptées par le Parlement, les amendes, des peines d'emprisonnement découlant d'infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité et par mise en accusation.

N'êtes-vous pas d'accord pour dire que ces questions techniques sont très importantes à l'heure actuelle et que nous devons en parler dans notre rapport, comme nous devons aborder la question générale de la gestion?

N'êtes-vous pas d'accord pour dire que les questions techniques dont on a révélé l'existence au comité sont choquantes?

Sénateur Campbell, plus tard aujourd'hui, nous allons entendre le témoignage de M. Gus Etchegary, et il sera très intéressant de l'entendre proposer une solution en ce qui concerne l'OPANO. Peut-être la solution qu'il proposera sera- t-elle plus extrême que la vôtre.

Permettez-moi donc de vous demander ce que vous pensez des découvertes d'ordre technique que le comité a faites hier.

M. May : Eh bien, de toute évidence, vous cherchez à déterminer où vous voulez aller, nous le savons, et vous voulez obtenir un plan pour vous y rendre, un plan dont nous ne disposons pas, et vous avez besoin de moyens pour mettre ce plan en œuvre, et ces moyens ont notamment rapport aux questions techniques dont vous avez parlé. Je ne savais pas que si le système de surveillance des navires cessait de fonctionner, on n'était pas contraint de faire quoi que ce soit. Bien sûr, il devrait être obligatoire de rétablir le système lorsqu'il ne fonctionne pas. Tout le monde se doterait alors immédiatement d'un système de secours. Si le système cesse de fonctionner, alors on lance l'autre, bien sûr, tout à fait.

Le sénateur Baker : En d'autres termes, vous dites qu'il faudrait appliquer les mêmes lois pour les étrangers que pour nous.

M. May : Exactement.

Le sénateur Cowan : Je vous ai écouté parler du fait que nous avons été frappés à deux reprises, et du fait que, à la fin des années 1980, il y a eu une période de refroidissement de l'eau au cours de laquelle le poisson s'est éloigné des côtes. À l'heure actuelle, en raison du réchauffement de la planète, on peut penser que les courants océaniques vont se réchauffer; cela veut-il dire, au moins, que ce qui reste du stock de poisson va se déplacer à l'intérieur de la zone de 200 milles?

M. May : Il s'agit d'un phénomène saisonnier. Le stock se trouvait à l'intérieur de la zone pendant une bonne partie de l'année, et il s'est déplacé vers l'extérieur au printemps. Je vais dire de janvier à juin, pour ne pas trop m'avancer; les zones de frai sont situées dans les eaux profondes du plateau. Certaines de ces zones se trouvent à l'intérieur de la zone de 200 milles, mais le poisson ne s'y est pas rendu, parce que ce sont des endroits qui se trouvent trop au nord et où l'eau est trop froide. Au printemps, pour trouver un endroit où la température est appropriée pour le frai, le poisson s'est déplacé vers la lisière est des Grands Bancs, et c'est là que la surpêche a eu lieu. Au fur et à mesure que le régime océanographique va se réchauffer, et en présumant qu'il ne devient pas trop chaud et qu'il ne fera pas pencher la balance de l'autre côté, les conditions seraient appropriées pour le renouvellement des stocks, pour autant qu'on laisse cela se produire en diminuant la quantité de poissons pêchés.

Le président : Je ne vois pas d'autres questions, mais j'aimerais répéter ce que le sénateur Campbell a dit, et dire en notre nom à tous que votre témoignage a été très utile et nous a donné, je pense, l'orientation qui nous manquait. C'est une chose dont nous avions besoin. Comme le sénateur Baker l'a dit, nous allons rédiger un rapport, ce qui exige une orientation et que les choses soient claires pour nous. Je crois que vous nous avez aidés à tirer les choses au clair. Je suis d'accord avec le sénateur Campbell lorsqu'il dit que votre témoignage a été l'un des meilleurs, peut-être le meilleur témoignage que nous ayons entendu. Merci beaucoup d'être venu ici.

M. May : Monsieur le président, tout le plaisir a été pour moi.

Le président : Nous allons maintenant entendre le témoignage de M. Rose, qui a connu une remarquable carrière au sein de la fonction publique et qui occupe depuis un certain temps maintenant une chaire très importante à l'Université Memorial, et nous avons hâte d'entendre son témoignage de ce matin.

George Rose, Division des études diplômées et de la recherche, Université Memorial de Terre-Neuve, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateur. Je veux simplement aborder quelques points importants et je serai ensuite heureux de répondre à toute question que vous voudrez poser concernant ces points, ainsi que d'en discuter, ou d'autres points que vous aimeriez soulever.

Ma principale préoccupation concerne le poisson et les écosystèmes des pêcheries qui se trouvent près de Terre- Neuve-et-Labrador, mais aussi ailleurs au Canada et même partout dans le monde. Je ne crois pas qu'il reste beaucoup de gens qui ne sont pas au courant de la situation difficile dans laquelle se trouve le monde. De l'avis de certains, il y a des articles scientifiques qui sont un peu exagérés, un peu alarmistes. Cependant, le point de vue fondamental selon lequel les écosystèmes marins et les pêcheries des océans ne sont pas en aussi bon état qu'ils devraient l'être, et selon lequel l'avenir est plutôt sombre, est partagé par la plupart des chercheurs qui s'occupent des pêcheries partout dans le monde. Il n'y a que des différences de détails entre les points de vue de ces chercheurs.

Certains d'entre nous ne sommes pas si alarmistes, ne partagent pas la philosophie de l'Armageddon que d'autres semblent avoir adoptée, mais, de manière générale, les choses ne vont pas bien. Pour moi, le fond du problème concerne le poisson et les écosystèmes des pêcheries, et non la politique; je vais laisser la politique à d'autres, qui sont assurément plus qualifiés et en savent plus que moi.

Nous sommes tous au courant des problèmes que nous avons eus à Terre-Neuve-et-Labrador, et, en fait, partout au Canada, parce qu'il y a aussi des problèmes en Colombie-Britannique et dans le Nord. Terre-Neuve n'est pas la seule région du Canada où il y a des problèmes graves. À mon avis, ce qui est important, c'est que nos écosystèmes marins ne sont plus aussi productifs qu'auparavant, et c'est ce que j'étudie, c'est mon travail de chercheur spécialiste des pêcheries. Nous voulons nous servir des océans pour produire de la nourriture pour les humains, ainsi que d'autres choses, mais nous nous concentrons sur la production de nos pêcheries, et celle-ci diminue. Il s'agit d'une préoccupation importante partout dans le monde, parce que, bien que certaines personnes tendent à adopter une attitude négligente à l'égard des pêcheries, bien que les pêcheries soient encore le deuxième employeur en importance du monde, après l'agriculture, elles sont aussi la source de protéines de beaucoup plus que un milliard de personnes, ou peut-être deux milliards de personnes dans le monde. Il ne s'agit pas d'une question insignifiante.

Ici, au Canada, sur les Grands Bancs — non seulement les Grands Bancs, mais nous avons tendance à nous concentrer sur ceux-ci parce qu'ils sont comme le centre de notre plateau continental — on retrouvait l'un des écosystèmes marins les plus productifs du monde. Bon nombre d'entre vous connaissent l'histoire, savent combien de poissons nous avons pris et comment nous avons drainé tout l'écosystème au cours des 50 dernières années. Nous avons pris tellement de poissons qu'il n'en reste que très peu. Il y a quelques stocks, les crevettes et le crabe, surtout, qui vont très bien depuis 10 ans, notamment sur le plan économique, plan sur lequel ils sont extrêmement importants, comme certains d'entre vous le savez, et ils nous ont empêchés de connaître le destin qui aurait pu être le nôtre au début des années 1990, après l'effondrement du stock du poisson de fond. De manière générale, je pense que nous devons conclure que nous avons échoué à gérer nos pêcheries de façon durable depuis au moins 50 ans, et je ne vais pas entrer dans les détails de tout cela, parce que je suis sûr que vous en avez entendu parler maintes et maintes fois.

En ce qui concerne l'orientation que nous nous donnons, il ne semble pas que le Canada fait preuve du leadership qui devrait le caractériser; le leadership que nous sommes capables d'assumer. Le Canada a toujours été un chef de file au chapitre des sciences halieutiques et d'autres questions liées aux pêcheries, et nous ne semblons tout simplement pas en mesure de nous donner les moyens de faire preuve d'un tel leadership.

Il semble que nous nous contentions du statu quo, tant en ce qui concerne la science que la gestion, et ainsi de suite. C'est un peu comme si nous croyions que de panser les petites blessures allait faire l'affaire, et j'affirme aujourd'hui que cela ne fonctionnera pas. Les solutions ponctuelles ne feront pas l'affaire. Il faut apporter des changements importants à la manière dont nous gérons les pêcheries, à la manière dont nous les envisageons; notre attitude et notre philosophie à cet égard doivent changer.

J'examine la question à l'échelle nationale et à l'échelle internationale, et je ne vois pas vraiment de changement. Les gens du MPO et les autres ont beaucoup parlé de ce qu'ils voient comme progrès récents réalisés dans le cadre de la réforme de l'OPANO, mais lorsque j'examine cela, je pense qu'on ne fait que mettre de petits pansements de plus sur une blessure grave.

Je ne critique pas les gens du MPO qui tentent de faire quelque chose. Je n'ai qu'une idée imparfaite de la difficulté que cela doit représenter, puisque je n'ai jamais eu à faire quelque chose du genre, je n'ai jamais eu à négocier quoi que ce soit dans un environnement international que je sais dur. Je ne critique pas du tout ces gens. Je suis persuadé qu'ils font de leur mieux, mais le problème, du point de vue des pêcheries et de l'écosystème, c'est que même s'ils réussissent, même s'ils obtiennent de l'OPANO qu'elle fasse toutes ces petites choses et qu'elle apporte tous ces petits changements qu'ils proposent, cela ne fonctionnera pas. C'est insuffisant. Il faut que nous apportions des changements importants dans notre façon de gérer les pêcheries et les pêcheries internationales qui chevauchent la zone des 200 milles. Nous ne songeons même pas à celle-ci. Il semble qu'on ne fait qu'écarter ce genre d'attitudes.

Permettez-moi de citer en exemple ce qui c'est passé en Nouvelle-Zélande. L'industrie de ce pays a déclaré, de façon volontaire, qu'elle ne pêcherait pas de poisson dans une zone équivalant à environ le tiers de la zone de pêche. Les gens ont voulu imposer ces restrictions parce qu'ils voulaient conserver les ressources pour l'avenir. Nous, au Canada, n'avons pas encore atteint ce niveau au sein de notre industrie, dans notre façon de penser et de gérer les ressources. En Alaska, l'industrie est vitale; cette industrie tout entière tourne autour de la santé des poissons sauvages. Nous aimons à croire que nous pensons de cette manière à Terre-Neuve, mais je commence à douter du fait que nous pensions réellement comme cela, puisque, si c'était le cas, nous prendrions des mesures plus musclées. En Alaska, on a banni l'aquaculture des poissons, parce qu'on croit que cela est néfaste pour les stocks de poisson sauvage. Que cela soit vrai ou non n'est pas la question, il s'agit de l'intention, de l'attitude face aux stocks de poisson sauvage. Si l'on pense que quelque chose va avoir des effets négatifs sur l'industrie, on bannit cette chose ou on l'étudie très attentivement. Nous ne semblons pas avoir autant de cœur au ventre que d'autres pays, en ce qui concerne les stocks de poisson sauvage.

Nous devons modifier nos attitudes. Je ne sais pas pourquoi, et en tant que Terre-Neuvien, je trouve parfois très étrange qu'il y ait un manque d'engagement ou d'intérêt envers les pêcheries. En apparence, l'engagement et l'intérêt sont forts, mais il n'est parfois pas évident de savoir s'il y a un engagement profond.

Je travaille dans un milieu universitaire. Assurément, l'engagement envers les pêcheries est très faible dans le milieu universitaire, ici, à Terre-Neuve. J'en ai parlé récemment avec le sénateur Baker. Nous n'avons pas de département des sciences marines là-bas; nous n'avons rien qui s'apparente à un département des pêcheries. Une telle chose n'a jamais existé à l'Université Memorial. C'est un symptôme; ce n'est en rien une cause.

Ce qu'il nous faut, c'est une vraie conservation, et non une conservation sur papier seulement. Le Canada prêche souvent bien, mais sans réellement mettre en pratique ce qu'il propose. C'est la voie que nous avons empruntée en sciences aussi. La plupart des chercheurs qui travaillent sur le terrain semblent être en mesure d'obtenir le financement nécessaire pour participer à des réunions. Nous pouvons organiser des ateliers et des réunions, mais nous ne pouvons faire le travail. Ce qui finit par arriver, c'est qu'on n'a rien à dire, et ce qui arrive de plus en plus souvent dans ces ateliers et réunions de chercheurs, c'est qu'on ne fait que ressortir des idées que nous connaissons tous déjà. Il ne se passe rien de nouveau, et nous sommes vraiment en retard en ce qui concerne les progrès des travaux de recherche ici à Terre-Neuve-et-Labrador, dans les Maritimes, et c'est un peu triste pour un chercheur spécialiste des pêcheries du Canada de travailler dans ce domaine, parce que nous étions les chefs de file, et le monde nous voit toujours comme tels, il s'attend toujours à ce que nous soyons les chefs de file. Lorsque je participe à des réunions, et que d'autres chercheurs canadiens participent à des réunions, on s'attend à ce que nous présentions de nouvelles idées, et lorsque nous ne le faisons pas, les gens ne savent pas comment réagir. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons. C'est triste à dire, mais de l'avis de la plupart des chercheurs, le Canada n'est plus le chef de file des sciences halieutiques et de la mer. Nous avons tout simplement abandonné la partie.

Dans le même ordre d'idées, je veux dire que les recherches scientifiques sont un processus dynamique. Elles sont en constante évolution, et se nourrissent de nouvelles idées, de discussions et de désaccords. C'est ainsi que la recherche fonctionne, et c'est ce que nous aimons. Dans les faits, il se peut qu'une bonne partie des travaux de recherche que nous effectuons donne des résultats erronés. Tout ce que nous savons n'est pas exact, et nous devons disposer de suffisamment d'espace pour réinventer la science, formuler de nouvelles idées et inventer de nouvelles façons de faire les choses. C'est particulièrement vrai à l'heure actuelle, parce que nous nous trouvons dans une situation jamais vue, où nous devons nous occuper de nombreux stocks de poisson. Ce que je veux dire, c'est que les stocks sont très réduits, que nous utilisons de vieux modèles, des algorithmes, de vieilles idées pour faire des prédictions qui ne se réaliseront pas. La seule façon de savoir ce qui va se produire est d'effectuer de nouvelles recherches, qui donneront fort probablement lieu à une nouvelle façon de gérer les stocks; et nous devons assurément insister sur le fait que c'est ce qui doit se produire si nous faisons notre travail, et ce n'est pas le cas à l'heure actuelle.

Une autre chose dont je voudrais parler, c'est que, ici, à Terre-Neuve-et-Labrador, il semble que nous ayons en quelque sorte adopté le point de vue selon lequel nous pouvons laisser tomber les stocks de poisson sauvage. Il est évident qu'on ne leur accorde plus l'attention qu'on leur accordait auparavant. Il se trouve des gens pour penser que l'aquaculture est la solution et que les stocks de poisson sauvage appartiennent au passé. Je ne crois pas du tout cela, et je pense qu'il s'agit d'une façon de penser très négative, qui ne nous sera pas utile à long terme.

Ailleurs dans le monde, par exemple en Alaska, comme je l'ai dit, les gens pensent le contraire, et leurs pêcheries sont en pleine expansion. L'Alaska a banni l'aquaculture des poissons. Je veux dire non pas que nous devrions nous engager dans cette voie, mais plutôt que les gens ont tort d'adopter le point de vue politique ou, de fait, tout autre point de vue, selon lequel l'aquaculture va sauver les milieux ruraux de Terre-Neuve et sauver les pêcheries. Ce n'est pas comme ça que nous allons bâtir l'avenir. Nous ne pouvons pas oublier les stocks de poisson sauvage.

Le sénateur Johnson : Monsieur Rose, vous avez fait un excellent témoignage, et je crois que vous avez énoncé de nombreuses vérités et que vous vous adressez à toute une génération. Comme je l'ai déjà dit, les sondages, pas seulement les sondages politiques, montrent que la principale préoccupation des Canadiens, c'est l'environnement. Tout ce que vous dites va droit au but à ce sujet et en ce qui concerne le fait que nous devons renouveler les sciences. J'aimerais que vous nous en disiez davantage là-dessus.

Notre témoin précédent a parlé de l'écosystème en soi, et il a suggéré qu'on commence par instaurer des périodes de fermeture de la pêche et des zones fermées à la pêche. Je me demande si vous pourriez formuler un commentaire à ce sujet, par rapport aux stocks de poisson sauvage.

M. Rose : Le mouvement mondial de conservation a d'abord eu pour objet la faune terrestre, et je pense que les gens ont pris conscience, au tournant du XIXe siècle, que des extinctions d'animaux sauvages allaient se produire si l'on ne posait pas un geste radical pour les sauver. Le mouvement qui a donné lieu à la création de réserves de chasse et de parcs nationaux partout dans le monde a pris naissance à cette époque. On les tient pour acquis aujourd'hui, mais sans ces endroits, nous aurions perdu de nombreuses espèces animales. Je ne pense pas que quiconque contesterait le fait que les parcs et les réserves sont une belle réussite.

Nous n'avons jamais pensé que l'océan devrait faire l'objet des mêmes préoccupations. Je crois fortement que nous devrions le faire. Il y a, bien entendu, des différences entre les écosystèmes marins et terrestres, mais l'idée fondamentale de protéger certaines zones dans le monde fait son chemin, je pense, et je suis tout à fait en faveur de cette idée.

Le sénateur Johnson : Je crois que l'un des problèmes auxquels nous faisons face au Canada, si je puis dire, c'est l'immensité du pays et le manque de compréhension de l'océan Atlantique et des problèmes qui y sont liés. Je viens d'une région du Manitoba où il n'y a que des lacs, et nos lacs aussi subissent les mêmes dommages. Il y a aussi des problèmes dans l'écosystème du lac Winnipeg, des problèmes de gestion des pêches, et il faut renouveler la science et la technologie. Où faut-il commencer? Devrions-nous instaurer ici des périodes de fermeture de la pêche, ou souhaitez- vous effectuer davantage de recherches scientifiques avant que nous commencions à le faire? Je veux savoir où nous pouvons commencer.

Dans notre rapport, nous voulions dire aux Canadiens qu'il faut agir, et cesser de parler, pour régler cette question. Il est essentiel de faire respecter la loi, d'une part, et de gérer les choses, d'autre part; et au beau milieu de tout ça, nous consacrons 100 millions de dollars à un seul aspect des choses.

M. Rose : Eh bien, vous le savez, dans le domaine de la gestion des pêches, nous faisons cela depuis 150 ans; l'idée n'est pas nouvelle. Nous délimitons les réseaux d'eau douce, pas la pêche dans les zones de frai. C'est le statu quo. Dans le contexte des études marines, la difficulté réside dans le fait que nous sommes toujours sous l'influence du débat qui a eu lieu dans l'affaire Huxley à Londres, en 1884. À ce moment-là, il a été avancé que rien que l'homme pouvait faire ne pouvait avoir d'effets quelconques sur les grands stocks de poisson. Cet ombre plane sur nous depuis 100 ans. Aujourd'hui, il devrait être tout à fait évident que cela n'est pas vrai, mais la protection des stocks de poisson de mer a toujours posé des difficultés, bien que cela n'ait jamais été le cas des espèces d'eau douce et d'autres choses.

Nous avons fait certains progrès et nous avons bien fermé des zones de pêche, ici, à Terre-Neuve-et-Labrador. Il y a eu des zones comme les frayères de morue dans la baie de la Trinité et la baie de Plaisance, et aussi dans le chenal Hawke, au large du Labrador. Il y a une zone de 50 milles marins sur 50 qui est fermée à toute pêche, sauf la pêche au crabe. Ce n'est rien de nouveau. C'est que les mesures ont été adoptées de manière ponctuelle; c'est non pas tant une politique qui a été appliquée, mais plutôt qu'un dirigeant quelconque a eu une idée originale et a été influencé quelque peu par certains d'entre nous, les scientifiques des laboratoires. Ce n'est pas une politique d'application générale. Je souhaiterais que ça devienne une politique universelle fondée sur des données scientifiques. Par exemple, nous n'avons pas fermé la baie Smith avant de savoir que c'était une zone importante. Nous le savions donc. Il existe des cas où nous ne savons simplement pas ce qui se passe, et certains des travaux scientifiques devraient se faire parallèlement à cela, pour que nous puissions savoir où se trouvent les zones à problème, où se trouvent les zones qu'il faudrait fermer à la pêche et ainsi de suite. Je n'y vois pas de raison d'arrêter.

Les gens étaient nombreux à critiquer la fermeture de la zone de pêche du chenal Hawke, qui est située au large du sud du Labrador. De nombreux scientifiques ont critiqué la mesure. J'ai été un des principaux artisans de la mesure; j'ai préconisé la fermeture de cette zone. La mesure a fait l'objet d'énormément d'attaques de la part de l'industrie et, de la part d'autres scientifiques — on a affirmé que ce n'était pas judicieux, mais nous avons tenu bon, la direction nous a soutenus, et cela s'est fait.

Je n'avancerais jamais que nous possédions toutes les connaissances scientifiques nécessaires pour être sûrs que cela porterait fruit. Nous ne le savions pas, nous ne pouvions le garantir, nous ne pouvions dire que c'était bien la zone qu'il fallait fermer... un petit bout ici et un petit bout là-bas, ce serait mieux... nous n'en étions pas tout à fait sûrs. Lorsque les gens ont aménagé le parc national Yellowstone ou le parc national du Serengeti, en Afrique... quand les gens ont mis cela en place, eux non plus ne savaient pas très bien quelle en serait l'issue. Si nous attendons d'avoir en main toutes les connaissances scientifiques nécessaires, il n'y aura plus rien.

Le sénateur Johnson : Qu'est-ce que vous souhaiteriez faire du point de vue de la science, du travail que vous faites? Dans quelle voie aimeriez-vous vous engager à cet égard?

M. Rose : J'aimerais m'adonner à plus de recherches marines au Canada. Il devient presque impossible de s'y adonner.

Le sénateur Johnson : Pourquoi n'y a-t-il pas un département, ici, à St. John's? Vous avez affirmé qu'il n'y a pas de département de biologie marine.

M. Rose : Vous voulez dire à l'Université Memorial?

Le sénateur Johnson : Oui.

M. Rose : Il y a un département de biologie et il y a plusieurs autres départements qui s'occupent d'affaires marines, mais il n'y a pas de faculté pour des programmes de sciences de la pêche ou d'études halieutiques et ainsi de suite.

Le sénateur Johnson : Qu'est-ce que vous avez voulu dire en affirmant que les Terre-Neuviens ne se soucient pas outre mesure de leur propre situation en ce qui concerne les stocks de poisson ou qu'ils n'en sont pas vraiment conscients? Parlez-vous de défense d'intérêts ou d'écologique?

M. Rose : Tout cela. C'est mon avis personnel, mais, parfois, je suis déçu du peu d'importance que les gens ici accordent à l'avenir de nos pêches et de nos écosystèmes marins. C'est aussi simple que cela. Bon, à mon avis, ce n'est pas une attitude universelle. Le sujet passionne bon nombre de personnes, mais cela ne transparaît pas toujours. Nous nous sommes croisé les bras et nous avons permis que la situation se détériore, et rien ne s'est fait.

Le sénateur Campbell : Pouvez-vous expliquer, par exemple, pourquoi la réglementation des pêches et les pêches elles-mêmes sont si différentes sur la côte ouest, par rapport à la côte est? Enfin, sur la côte ouest, nous venons à peine de décider de l'interdit. D'une année à l'autre, on peut prendre du saumon coho, mais on ne peut pêcher du saumon quinnat. Nous avons fait cesser entièrement la pêche à la morue dans le détroit de Georgia, et c'est revenu. Le MPO détermine le nombre de poissons que chaque personne peut pêcher. Est-ce parce que le saumon monte les rivières, et qu'il peut vraiment être dénombré?

M. Rose : Oui, je crois que cela l'explique en partie. Enfin, je ne sais pas. C'est une question difficile. Il y a peut-être des différences culturelles qui entrent en jeu. Sur la côte ouest, les gens ont tendance à être un peu plus soucieux de l'environnement, je ne saurais comment le formuler tout à fait, mais ils semblent en être un peu plus conscients. Par ailleurs, outre les pêches autochtones sur la côte ouest, les pêches européennes y sont beaucoup plus récentes qu'ici. L'idée que les gens ont le droit de pêcher, ce que les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador assimilent à un droit fondamental, n'existe peut-être pas tant en Colombie-Britannique.

Le sénateur Campbell : Nos saumons quittent nos rivières, ils montent le long de la côte, ils dépassent l'Alaska, ils gagnent l'océan pour je ne sais plus combien d'années, selon l'espèce dont il s'agit, et ils reviennent en Alaska. Comme vous le dites, les pêches en Alaska sont aussi bonnes qu'elles l'ont toujours été. Je veux dire que nos poissons, comme les vôtres, traversent les frontières. Nos préoccupations sont les mêmes que les vôtres. De fait, je me soucie davantage de ce qui se passe au-delà de la limite de 200 milles, mais il semble que ça a été la foire ici; on n'a accordé que peu d'attention au stock.

M. Rose : Il y a une histoire pour expliquer cela aussi. Cela remonte à 1977 et à tous les événements qui ont conduit à ce moment-là. À l'époque, le saumon a remporté le combat, parce qu'il y avait tant d'appuis en sa faveur. Le Canada appliquait ce que l'on pourrait qualifier d'approche écologique de la gestion des pêches au sens suivant : le saumon fraye en Amérique du Nord; par conséquent, il appartient à l'Amérique du Nord, en particulier au Canada et aux États-Unis. Autrement, il y aurait la Russie ou le Japon; il appartient alors à ces pays et il serait géré en conséquence, où qu'il aille. C'est le genre de philosophie qui était employée, et qui me paraît assez bien. Sur la côte est, la morue a perdu la bataille. Le saumon a gagné, et la morue a perdu, et nous savons tous ce qui s'est produit à partir des années 50; les stocks ici ont été dévastés. Mon avis personnel sur la question, et la plupart des données établies le confirment, c'est que, à ce moment-là, nous n'avions jamais vraiment réparé les torts causés durant les années 1950 et 1960. On a commis des erreurs de gestion au Canada, cela ne fait aucun doute, à la fin des années 1970 et durant les années 1980. Nous avons fait des erreurs fondamentales du point de vue des sciences et de la gestion à cette époque-là. Les torts profonds avaient déjà été causés à ce moment-là, et s'il y a une erreur que le Canada a commise et que les scientifiques canadiens ont commise, à cette époque-là, c'est de ne pas prendre acte de l'ampleur des dégâts déjà causés, et de croire que les choses reviendraient comme elles étaient avant. C'est cette façon de penser qui nous a conduits à croire qu'il ne fallait pas être si prudents, chose que nous aurions dû faire. Nous avons commis cette grande erreur. Il est facile de pardonner... d'une certaine façon comment les gens auraient-ils pu savoir? Il aurait fallu être très perspicace, à l'époque, pour connaître l'ampleur des dégâts causés pendant les années 1950 et 1960.

Le sénateur Campbell : Où en est l'aquaculture, ici, sur la côte est? L'aquaculture est-elle très présente?

M. Rose : Il y en a beaucoup dans les provinces maritimes en ce qui concerne le saumon. Il y en a un peu à Terre- Neuve, mais ça n'a jamais vraiment décollé. Je vais me mettre dans le pétrin en disant cela, mais ça ne semble jamais avoir vraiment décollé.

Le sénateur Campbell : La difficulté que j'ai, c'est que je vois le chalutage et je commence à m'inquiéter vraiment de l'aquaculture. Cela se fait beaucoup en Colombie-Britannique. Ma question est la suivante : comment dénoter le succès? Dénotez-vous le succès en comptant la quantité de chair que vous tirez du lieu tout en détruisant le fond? Dénotez-vous le succès en comptant la quantité de chair tirée du lieu, même si notre saumon a de plus en plus de poux? À quel moment faut-il intervenir? Je crois que c'est là une des questions que le Canada n'a jamais vraiment cherché à régler. Nous allons dans les pays scandinaves, où les gens s'adonnent librement à cette pratique, et ils semblent tout à fait à l'aise; toutefois, à mon avis, il n'y a pas de bonnes données scientifiques qui nous permettent de conclure que c'est viable. Nous pourrions nous retrouver dans la même situation tout à fait que celle que vous venez de décrire... il aurait fallu être très perspicace durant les années 1970 et 1980 pour reconnaître que nous étions en difficulté. Je ne veux pas que la même chose arrive à l'aquaculture, car c'est une industrie qui est en train d'être implantée en terrain sauvage. Ce n'est pas installé sur terre, où il est possible d'exercer un bon contrôle. C'est en milieu sauvage, et il doit y avoir un effet quelconque, et nous ne le faisons pas.

M. Rose : Je suis d'accord avec vous. Certains régimes reposent sur un point de vue très prudent, comme c'est le cas en Alaska. Les Norvégiens semblent se dire que la pêche aux espèces sauvages est simplement à sacrifier. J'ai vu en Norvège des rivières qui donnent presque le goût de pleurer. C'est si beau et si pur; on n'a pas le choix de croire qu'il y a des saumons qui remontent ces rivières-là. Enfin, on veut le croire, mais il n'y a pas de poissons là. Les Norvégiens semblent avoir accepté ce fait. Je n'en revenais jamais à la pire époque des stocks de morue du Nord, celle où nous essayions de mesurer des milliers de tonnes, sinon des dizaines de milliers de tonnes de poissons, mais nous en prenions encore des dizaines de milliers, et notre unité de référence était 10 000 tonnes du point de vue scientifique. Il est difficile d'être plus précis. Nous lisons des rapports provenant de l'Écosse sur le saumon de l'Atlantique, et il est question de trois poissons dans la rivière, pas trois tonnes, mais trois poissons tout court.

Le sénateur Campbell : Nous avons connu cela sur la côte ouest.

Ma dernière question porte sur les parcs et sur la protection de notre habitat marin. Il y a des gens qui sont venus témoigner, d'autres le font encore, et je dois être franc et dire que j'ai cru que certains d'entre eux étaient des fous furieux, pour être franc.

M. Rose : Qui?

Le sénateur Campbell : Les spécialistes de la biologie marine. J'étudie ce sujet, j'arrive à la même conclusion que vous; comme le problème se situe hors de notre champ de vision, nous y prêtons moins d'attention que s'il s'agissait d'animaux que l'on trouve sur terre. De même, nous avons de la difficulté à dénombrer les poissons dans les zones en question. Nous avons feint de ne pas voir le problème jusqu'à maintenant.

Je suis heureux de vous entendre dire qu'il nous faut situer cela dans le tableau d'ensemble sur le plan scientifique. Il nous faut déterminer les zones de frai de ces espèces, et il nous faut les protéger et il nous faut nous assurer de désigner des zones où ils sont protégés.

Croyez-vous que nous en avons pris conscience et que notre réflexion avance à cet égard?

M. Rose : Je ne sais pas si notre réflexion avance, mais je suis convaincu que cela s'impose, si nous voulons réussir. Les gens font souvent valoir que le poisson se déplace et qu'il ne se trouve pas toujours à cet endroit-là. Oui, mais à cela je réponds : et puis après? Et les oiseaux? Les oiseaux se déplacent davantage que les poissons; néanmoins, nous n'adoptons pas cette attitude à l'égard des oiseaux. S'il y a des endroits importants où la bernache ou un autre oiseau va faire son nid, nous protégeons le secteur. Je ne vois pas de différence fondamentale entre cette logique-là et l'analogie faite avec les poissons de mer. Il existe des zones de frai particulières et d'autres zones où les poissons demeurent lorsqu'ils sont jeunes. Nous devons protéger ces zones afin de rétablir les stocks.

Je songe souvent au fait que les parcs nationaux et les réserves fauniques ont servi à accroître, et non pas à diminuer, les possibilités pour l'homme d'exploiter les animaux. Ici, à Terre-Neuve, nous avons des réserves de caribou. Ces réserves servent à protéger les animaux. Elles n'ont pas servi à diminuer les possibilités de chasse ou d'exploitation; c'est plutôt l'inverse. Pourquoi est-ce que ce ne serait pas la même chose dans le cas de l'océan, pour les pêches? Si nous relevons la productivité des stocks de poisson en milieu sauvage, il faut que ce soit bon, même si vous n'avez pas le droit de pêcher ou de chasser n'importe où.

Le sénateur Cowan : Monsieur Rose, j'aimerais parler de vos recherches. J'ai un lien avec l'Université Dalhousie; évidemment, nous avons un intérêt en commun pour la recherche universitaire et l'accroissement des fonds consacrés à la recherche. D'après ce que j'ai pu entendre jusqu'à maintenant, j'en déduis que la majeure partie du financement de la recherche marine provient du gouvernement fédéral. C'est bien cela?

M. Rose : Ce n'est pas vrai dans mon cas à moi.

Le sénateur Cowan : Je présume que l'argent proviendrait des universités, du gouvernement, du secteur privé et de fondations. D'où vient l'argent et comment ferions-nous pour en avoir plus?

M. Rose : Permettez-moi d'aborder d'abord la question de manière générale. Vous avez probablement raison quand vous dites que la majeure partie provient de sources fédérales. Le MPO a son budget de recherche, qui s'amenuise ces derniers temps, mais c'est là une autre question. Dans le monde universitaire, nous recevons la majeure partie de nos fonds du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, du CRSNG. Il y a là justement une question qu'on pourrait soulever, si on veut discuter de sciences et de pêche. En tant que scientifique spécialiste des pêches, quand je présente une demande au CRSNG, passage obligé si je demande une subvention de fonctionnement pour la recherche fondamentale et ainsi de suite, il y a trois catégories. Le CRSNG divise tout en catégories. Il s'est donné des catégories pour des trucs dont je n'ai jamais entendu parler; par contre, il n'a pas de catégories des pêches, de science des pêches et de gestion des pêches. La catégorie applicable est celle de la gestion de la faune; il y a une catégorie pour pratiquement tout ce qui existe dans l'univers, mais pas pour les pêches. Les scientifiques halieutistes ne forment pas un contingent particulièrement nombreux. Nos demandes s'inscrivent dans une catégorie générale, celle de l'évolution et de l'écologie, ce qui veut dire que nous devons rivaliser avec les biologistes spécialistes des oiseaux ou des insectes. Cela veut dire que nos subventions sont susceptibles d'être modestes. Ça revient à ça, car le bassin de candidatures est très grand. Cela m'a toujours irrité, tout simplement parce que c'est comme une gifle. Tout le monde a le droit à sa catégorie; et nous alors?

Les universitaires peuvent obtenir des fonds en s'adressant à de nombreuses autres sources. J'obtiens des fonds de sources provinciales, de l'industrie et, pour une grande part, de sources internationales. Je reçois des fonds d'organisations internationales, au Canada même, comme dans le cas de l'EDEC, et d'ailleurs. J'ai déjà eu droit à des fonds provenant de l'Alaska et de la Nouvelle-Zélande, du Japon et de l'Afrique, de l'Islande et ainsi de suite, et nous nous en servons pour concevoir des projets, mais il n'y a pas à dire, pour l'universitaire canadien qui travaille dans mon domaine, les sources de financement au Canada même ne sont pas extraordinaires.

Le sénateur Cowan : Vous avez dit que le MPO réalise des recherches, même si c'est avec un budget qui s'amenuise; de toute évidence, il faut l'augmenter.

M. Rose : Oui, je crois. Je suis sûr que le MPO va survivre, mais en tant qu'organisme scientifique digne de foi ayant sa place sur la scène internationale... je me demande s'il va bien survivre. Bon nombre des personnes de mon âge et des personnes plus vieilles sont près de prendre leur retraite, et le MPO ne les remplace pas. Ce sont les scientifiques les plus chevronnés que nous ayons au Canada. Les jeunes que l'on engage sont très peu nombreux; ainsi va la vie dans les sciences au MPO.

Le sénateur Cowan : Est-ce que des exploitants du secteur privé comme Clearwater Seafood prendraient en charge une telle recherche?

M. Rose : Il y a très peu de recherche de cette nature au Canada. Il y en a un peu, mais c'est mineur si on compare avec les autres pays.

Le sénateur Cowan : Cela ressemble à ce que nous voyons dans d'autres domaines de la R-D Canada. La R-D qui se font sont nettement moindres dans le secteur privé, par rapport aux États-Unis.

M. Rose : Tout à fait, oui.

Le président : C'est une question qui est importante de notre point de vue, et je rappellerais à nos recherchistes d'en prendre note : c'est une question sur laquelle nous ne nous sommes jamais penchés... simplement pour nous rappeler que le CRSNG distribue des fonds fédéraux. C'est un organisme indépendant et, soit dit en passant, M. May en était le président à une certaine époque. L'organisme distribue des fonds fédéraux, et nous pouvons recommander des modifications en ce qui concerne le CRSNG.

Le sénateur Adams : Vous avez mentionné le fait que le MPO fait de son mieux. Depuis le règlement de la revendication territoriale du Nunavut, nous éprouvons un problème au sens où le MPO nous donne nos quotas, puis nous les retire. Notre revendication réglée nous donne le droit de prendre les poissons en question, mais, maintenant, ce sont des étrangers qui prennent nos quotas. Les détenteurs de quotas doivent posséder un permis. Si les étrangers n'ont pas de permis, ils ne peuvent prendre les quotas. Comment régler cette question?

M. Rose : Cela dépasse vraiment ma compétence. Je suis au courant de la situation dont vous parlez, c'est-à-dire celle qui touche le turbot. En tant que pays, nous avons réussi à céder plus ou moins 70 à 80 p. 100 des quotas de turbot à des pays étrangers, et le Nunavut semble s'être fait tasser. Cela me paraît injuste et contraire aux principes auxquels nous croyons, à propos des zones limitrophes et tout le reste. Je n'ai pas de solution à proposer. Je ne sais pas comment régler ces problèmes de gestion. Je peux seulement dire que cela me paraît simplement injuste.

Le sénateur Adams : À propos de la pêche commerciale, les scientifiques du MPO ont dit qu'il ne restera peut-être plus rien à pêcher. Bon, cet été, le MPO a procédé à des études scientifiques dans la baie d'Hudson. Les épaulards sont nombreux à passer par là et à tuer des bélugas. Le MPO essaie de savoir pourquoi les épaulards émettent un son particulier avant de tuer leur proie. Toutefois, il arrive que les épaulards fassent venir les bélugas tout près de la côte, ce qui est bon pour nous : nous n'avons pas à aller si loin pour les chasser. Nous avons nos quotas de bélugas et de narvals, d'ours polaires et d'autres espèces. Nous sortons et les chassons tous les ans. Maintenant, il y a des gens qui viennent au Nunavut et qui ont un permis de pêche, et nous ne pouvons les prendre.

Nous entendons diverses histoires de la part du MPO et des gens qui vivent dans nos localités du Nord. Les scientifiques arrivent et disent que le nombre d'ours polaires diminue d'année en année; néanmoins, les chasseurs de nos localités affirment qu'ils en ont vu davantage l'an dernier que pendant toute autre année.

Pas plus tard que la semaine dernière, avant d'arriver à St. John, j'ai téléphoné à mon fils, qui était parti chasser le caribou à dix ou cinq milles de la côte. Son ami a tué deux caribous et un ours polaire, sur terre. Le climat a changé.

Il y a une saison de chasse au chevreuil et une saison de chasse à la bernache. Pourquoi pas la même chose pour les poissons? En ce moment, il faut un permis. Une fois la période de frai terminée, vous pouvez y aller et prendre votre quota. Je crois que le système devrait fonctionner de cette façon.

M. Rose : Il y a une chose qui m'inquiète au sujet du Nunavut et des autres régions nordiques : nous n'avons pas vraiment idée de ce qui se passe dans les eaux, là-haut. L'effort canadien de recherche dans le Nord est minimal, pour ne pas dire inexistant, pour ce qui est de dénombrer les poissons. De fait, nous comptons sur des informations de sources étrangères, ce qui est un peu difficile du point de vue d'un gestionnaire. Certes, nous n'avons pas très bien servi les Canadiens en ce qui concerne les avantages réservés aux habitants du Nunavut ou du Labrador, tant qu'à y être.

Le sénateur Adams : Pourquoi est-ce que cela ne pourrait pas être l'affaire d'autres provinces. Par exemple, il y a les gens de la Colombie-Britannique qui se plaignent à propos du saumon.

Vous avez parlé aussi de la Nouvelle-Zélande. Vous délimitez la zone et vous dites : « vous n'aurez pas le droit d'aller là, nos stocks sont là ». Les Européens contrôlent nos stocks de poisson. Comment l'Alaska s'y prend-elle? Comment la Nouvelle-Zélande s'y prend-elle?

M. Rose : L'Alaska contrôle ses eaux et peut agir à sa guise. L'Alaska a arrêté son choix.

Le sénateur Hubley : J'aimerais revenir à la question de la science. Je suis originaire de l'Île-du-Prince-Édouard, soit un très petit écosystème qui comporte non seulement des éléments qui sont liés entre eux, mais qui est aussi touché par l'ensemble des questions globales dont nous parlons aujourd'hui.

À l'Île-du-Prince-Édouard, nous ne creusons pas de trou à moins que quelqu'un ait fait une étude environnementale. Les pêches sont fortement réglementées; c'est saisonnier. Il y a là des installations et les gens qui y travaillent, en cas de difficulté, se mettent immédiatement à essayer de résoudre le problème, qu'il s'agisse d'une maladie qui touche les poissons ou de je ne sais quoi encore. Cela est revenu maintes fois pendant nos discussions, ici, à Terre-Neuve : la recherche scientifique qui s'y fait ne suffit tout simplement pas à nous donner toutes les connaissances voulues pour prendre des décisions qui seront dans notre intérêt. Est-ce qu'il devrait y avoir un centre d'excellence, ici, à Terre- Neuve? Je crois qu'il faut vraiment insister là-dessus dans notre rapport, insister sur le fait que nous accusons un certain retard en ce qui concerne nombre d'informations scientifiques et d'études scientifiques. Nous semblons réagir, plutôt qu'agir. Nous devrions essayer de voir d'avance quels seront les changements climatiques et donner des informations voulues au responsable des pêches. Je crois que c'est un champ d'action que nous avons tout simplement négligé.

M. Rose : Je suis tout à fait d'accord avec vous, nous l'avons négligé et nous en payons le prix de nombreuses façons. C'est une situation compliquée qui fait que nous en sommes rendus là aujourd'hui, et je ne veux pas simplifier à l'excès, mais, d'un point de vue scientifique, nous n'avons pas fait un travail adéquat. Je crois que cela est clair aux yeux de tous — et il ne s'agit pas de critiquer un organisme en particulier et certainement pas les scientifiques qui ont mis la main au dossier. C'est simplement le volume global et la capacité globale qu'il y a pour que nous puissions accomplir ce travail que vous qualifiez d'inadéquat. Si les gens tiennent vraiment à rétablir les écosystèmes marins, plutôt que de les laisser simplement dépérir à long terme, si nous tenons vraiment à rétablir et à revitaliser la productivité de nos écosystèmes marins, il nous faudra accomplir un meilleur travail scientifique. Ce n'est pas une option. À mon avis, ce n'est pas une option. Nous n'y arriverons pas sans faire un meilleur travail scientifique et, en ce moment, nous ne semblons même pas être en mesure de maintenir les niveaux scientifiques que nous avons atteints jusqu'à maintenant. Je ne sais pas comment remédier à la situation. Il faut le concours du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial, du monde universitaire. Il faut le concours de tous. Je suis vivement d'accord avec vous : il faut faire quelque chose dans cette veine.

Le sénateur Gill : Ma question s'apparente à celle du sénateur Hubley. D'après ce que vous nous avez dit... je tiens à souligner que plusieurs témoins nous ont donné des chiffres, des statistiques, mais d'après ce que vous nous avez dit, on ne saurait prêter beaucoup de foi à ce qu'on lit dans les journaux, soit que, d'ici 50 ans, en raison de la pollution ou je ne sais quoi, il n'y aura plus de poisson dans l'eau.

À qui les gens peuvent-ils s'adresser pour obtenir ces informations et formuler un avis sur le sujet? Si vous dites qu'il ne faut pas croire tout ce qu'on nous dit, où peut-on trouver les informations nécessaires? Vous dites qu'il y a très peu de recherche qui se fait et, dans certains cas, qu'il n'y a aucune recherche qui se fait. Alors quoi faire, vers qui se tourner?

M. Rose : Pour répondre à votre première question, personnellement, je ne crois pas que les sciences halieutiques ou les sciences marines puissent permettre de prédire ce qui va arriver dans 40 ans. Presque toutes les tentatives de prévisions, et il y en a eu un bon lot, se sont révélées être des balivernes. À propos de cette question particulière, à savoir ce qui se passera dans 40 ou dans 50 ans, cela dépend beaucoup de ce que nous faisons dans l'intervalle... d'ici 40 ou 50 ans, cela semble, pour une grande part, impossible à prévoir. C'est le genre de projections que je ne prends pas très au sérieux. Si nous étudions la documentation scientifique sur les prévisions faites à propos de la morue du Nord et du rétablissement des stocks, nous constatons que, essentiellement, ce sont des balivernes. Voilà une question. Bon, quant à savoir ce qu'il faut faire pour améliorer les choses, il n'y a pas de panacée, mais nous savons quoi faire. Nous connaissons les procédés propres aux sciences halieutiques. Nous savons comment mesurer les stocks de poisson, nous savons comment procéder aux inventaires, nous savons comment faire tout ce qu'il faut pour obtenir les renseignements nécessaires à la gestion des pêches. Nous savons comment procéder. Nous n'avons tout simplement pas la capacité d'agir, et cette capacité est en train d'être minée; au fur et à mesure que nous avançons, elle est minée.

Quelqu'un a fait allusion à la situation qui existe dans le Nord entre le Nunavut et le Groenland. Nous n'avons pas de données portant sur ce secteur, aucune information à ce sujet. Les décisions prises se fondent sur des données provenant des Danois et des Allemands, qui procèdent à des inventaires au large du Groenland. À mon avis, il n'est pas très sain pour un pays de procéder de cette façon, de devoir se fier aux concurrents et à tout cela, pour se renseigner sur ses propres ressources.

La réponse que je vous donnerais est, de fait, très simple. Nous savons comment procéder. Simplement, nous ne le faisons pas.

Le président : Ce n'est donc pas seulement une question d'argent. C'est aussi une question de structures.

M. Rose : Ce n'est jamais seulement une question d'argent. De nombreux étudiants parmi les meilleurs que j'ai eus travaillent maintenant en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux États-Unis et ailleurs, là où les gens prennent ces questions plus au sérieux et où les occasions sont meilleures. Le Canada est perdant.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Rose. L'information que vous nous avez donnée aujourd'hui sera très utile à la rédaction de notre rapport. Vous avez soulevé toute une série de questions auxquelles nous nous attacherons.

Mesdames et messieurs, nous allons maintenant convoquer M. Gus Etchegary. Il s'est illustré pendant une longue carrière dans le domaine des pêches, à la fois pour le secteur privé et pour plusieurs conseils fédéraux et, je présume, internationaux. Il a certes su exprimer son point de vue et défendre les pêches, et nous sommes très heureux de l'accueillir parmi nous. Nous lui demandons de nous présenter un exposé, après quoi nous aimerions lui poser des questions.

Gus Etchegary, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs. Avant de commencer, je dirais que l'exposé de George Rose était excellent, qu'il est vraiment allé à l'essentiel des raisons pour lesquelles nous nous retrouvons dans ce pétrin aujourd'hui. Je vais essayer de brosser un peu plus large.

Je fais partie d'un groupe d'une quinzaine de personnes, dont certaines sont des scientifiques, d'autres, d'anciens bureaucrates fédéraux et provinciaux, deux ou trois pêcheurs, et ainsi de suite. Nous avons commencé à nous rencontrer à l'occasion en 1992, en réaction à un appel de la Coalition des Églises. Vous vous en souviendrez, monsieur le président, notre groupe est né au moment où le moratoire a été déclaré.

Un des membres de notre groupe a préparé un document sur l'évolution des sciences halieutiques au sein de l'administration fédérale; et il l'a fait parce qu'il est devenu vraiment désillusionné en apprenant que le gouvernement fédéral avait réduit le budget. Il a fait un travail très complexe, et je vais m'organiser pour que vous en receviez un exemplaire. Pour une bonne part, le rapport confirmera les observations formulées par M. Rose aujourd'hui. En outre, il montrera en quoi le budget, après avoir suivi une pente descendante, est pratiquement tombé dans un précipice en 1995. L'industrie a souffert terriblement de cette compression. Le rapport en question sera très utile à la rédaction du rapport final du comité.

Monsieur le président, je crois que j'ai témoigné pour la première fois devant le comité il y a une quinzaine d'années. À ce moment-là, j'ai demande au comité comment il se sentirait si les Russes traversaient le pôle Nord et venaient démolir les forêts de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, ou encore les champs de blé des Prairies juste avant la récolte et, bien entendu, ma question a attiré un peu l'attention. Le fait est que cela nous est arrivé, mais, c'est du poisson dont il s'agit. Nos pêches ont pratiquement été détruites et, jusqu'à il y a un an, j'espérais qu'on puisse les remettre sur pied. Je dois dire que, ces derniers mois, j'en suis venu à comprendre que le gouvernement canadien n'a ni le dévouement ni la volonté nécessaires pour régler le problème. C'est une tragédie.

J'ai préparé un document à l'intention de chacun des membres du comité. Votre exemplaire, monsieur le président, comporte un ajout : une lettre envoyée au ministre des Pêches de Terre-Neuve en 1991, lettre qui avait été transmise aussi à un comité consultatif qu'il avait mis sur pied et chargé de le conseiller sur la voie à prendre pour Terre-Neuve- et-Labrador. Vous avez maintenant la lettre entre les mains et vous pourrez en faire ce que vous voulez.

Je ne vais pas lire intégralement mon mémoire de 11 pages, mais je vais demander au comité de se reporter aux annexes qui commencent à la page 12. Je vais expliquer ces annexes brièvement, pour vous donner une idée du point de départ de tout cela et de la raison pour laquelle nous sommes dans le pétrin aujourd'hui. Je vous conseillerais de lire le mémoire à tête reposée et, grâce à cette lecture, conjuguée aux discussions que nous avons aujourd'hui sur les annexes, vous serez mieux à même de comprendre la situation.

La première annexe insiste simplement sur la limite de 200 milles et l'exposition du nez et de la queue des Grands Bancs, dont il a été amplement question. En 1971, nous avons commencé à reconnaître les dommages causés par 1 000 bateaux de pêche hauturière en eaux éloignées et 50 000 pêcheurs venus d'Europe et d'Asie envahir les Grands Bancs et les pêches du Labrador. C'est arrivé en 1950, et les pressions énormes ainsi exercées sur les stocks de poisson de fond ont commencé à faire voir leurs effets en 1970. Nous en avons été alarmés, tout comme M. Wilfred Templeman, directeur des recherches ici, à Terre-Neuve, à ce moment-là. D'après les données sur nos lignes de production et de transformation dans diverses usines, on voit que, par rapport aux cinq années précédentes, les captures de morue par unité ont diminué d'au moins 50 p. 100, passant d'une tonne à l'heure à 800 lb, dans le cas d'un chalutier. À la production, nos gens ont mesuré le poisson avec l'aide d'un représentant du MPO. Nous avons été alarmés de constater que le poids moyen est passé de 4 à 2,2 lb. Ces informations en main, monsieur le président, nous sommes partis, 25 d'entre nous, en direction d'Ottawa. Avec l'aide d'un homme qui est aujourd'hui décédé, l'honorable Don Jamieson, nous avons pu rencontrer des gens du MPO et d'autres personnes encore. Je me souviens que l'honorable Mitchell Sharpe était à ce point secoué par l'information que nous avons révélée, qu'il nous a demandé de préparer un exposé de deux heures pour le lendemain, à l'intention du premier ministre Trudeau et de 12 principaux membres de son Cabinet. Le lendemain matin, nous avons présenté cet exposé. Sans entrer dans les détails, je tiens simplement à vous dire que, à la fin de l'exposé, le premier ministre et son Cabinet étaient secoués par l'information donnée. C'est l'honorable Jack Davis qui était ministre des Pêches. Soit dit en passant, l'honorable Joe Smallwood appuyait tout à fait nos efforts pour informer le gouvernement du Canada à ce sujet. Il a souligné au gouvernement que, essentiellement, l'économie de Terre-Neuve était sur le point de s'effondrer. Les problèmes ont commencé à se manifester à ce moment-là, et il y a depuis un déclin graduel. Ne vous méprenez pas là-dessus. Rien n'a été fait. Les choses ont seulement empiré depuis.

De toute façon, ils ont été secoués. Vous trouverez dans la documentation fournie une télécopie de l'honorable Jack Davis à l'intention du premier ministre de Terre-Neuve, où il engage le gouvernement du Canada à étendre l'autorité du Canada jusqu'aux rebords de la plate-forme continentale. C'était en 1971. Bien entendu, nous en avons été transportés de joie, mais si vous regardez la carte aujourd'hui, vous constaterez que les secteurs en question sont encore exposés et c'est là une des raisons pour lesquelles nous avons ce pétrin dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui.

Je vais essayer de vous montrer pourquoi cela s'est passé ainsi, et vous allez vous demander — Dieu du ciel, pourquoi le gouvernement du Canada n'a-t-il rien fait en sachant cela; il est incroyable que le gouvernement n'ait rien fait. Ce qui nous arrivait était tellement clair. De toute manière, c'était exposé, ça a été laissé exposé : six ans plus tard, ils ont annoncé que leur autorité s'étendrait jusqu'à la limite de 200 milles. Nous en étions vraiment renversés, et nous avons essayé de savoir pourquoi les choses avaient été faites ainsi, après que le premier ministre et son Cabinet se soient engagés, qu'ils se soient engagés à agir ainsi — pourquoi ils ont reculé. Sans m'éterniser, j'expliquerais cela en disant que c'est la bureaucratie qui régnait en maître absolu sur la situation, et la bureaucratie a dit au premier ministre et aux décideurs que la géographie était telle, en dehors de la limite de 200 milles, que cela ne suffisait pas à soutenir les pêches étrangères. C'est pourquoi l'idée a été mise au rancart. Je n'affirme nullement qu'il aurait été facile d'étendre notre autorité jusqu'au rebord de la plate-forme continentale, mais le fait est que, étant donné l'évolution des choses, essentiellement, l'économie rurale de Terre-Neuve a été détruite. Notre population s'enfuit par vagues. Ce qui se produit ici, c'est une forme de génocide. Nous l'avions prévu, ceux parmi nous qui étaient engagés dans le dossier. Je n'étais pas seul; il y en avait de nombreux autres. Je peux nommer nombre d'autres personnes influentes dans le domaine des pêches, à Terre-Neuve, qui faisaient valoir cet argument, mais l'idée a été mise au rebut, et voilà où nous en sommes aujourd'hui.

Monsieur le président, la deuxième annexe illustre les résultats des travaux de M. Templeman. On y voit la croissance des poissons au Labrador. Les renseignements en question vous permettront de voir pourquoi il est si important de protéger les Grands Bancs de Terre-Neuve et de les inclure dans notre champ de compétence. M. Templeman fait voir que la croissance des poissons au large du Labrador, par opposition à la croissance des poissons au large des Grands Bancs, se situe dans un rapport de quatre pour un. Autrement dit, ce que nous disons depuis des années à propos des Grands Bancs de Terre-Neuve, c'est que c'est l'une des zones de pêche les plus poissonneuses dans le monde. C'est attribuable au Gulf Stream qui vient y rencontrer le courant du Labrador. La rencontre des deux courants en question dégage d'énormes quantités de matières comestibles et procure des avantages du point de vue de la température. Le taux de croissance des poissons est trois ou quatre fois plus élevé dans les Grands Bancs qu'au large du Labrador.

L'homme qui était assis ici auparavant a demandé pourquoi il y avait ces conditions favorables dans les Grands Bancs de Terre-Neuve, pourquoi, Dieu du ciel, après 15 années passées sans qu'il n'y ait de pêche, les stocks ne se sont pas rétablis. Rien ne laisse croire que les stocks se rétablissent, malgré le fait que, d'un côté de la ligne de démarcation de cette limite imaginaire de 200 milles, les Canadiens n'ont pas le droit de pêcher, alors que, de l'autre côté de la ligne, 20 pays prennent du poisson, quoi qu'en disent les ministres des Pêches. Croyez-moi : cela fait 50 ans que je connais les Espagnols, les Portugais et le reste des gens qui s'adonnent à la pêche à cet endroit-là, et particulièrement les propriétaires des bateaux — non pas les gouvernements —, et je peux vous dire que, malgré ce qu'ils disent, les stocks ne se rétabliront jamais, il n'y aura jamais de rétablissement des stocks de poissons dans les Grands Bancs de Terre- Neuve. Les pêches constituent un élément fondamental de l'économie de Terre-Neuve. C'est que, s'il y a une pêche côtière, cela demeure très modeste. Il faut que le secteur de la pêche en haute mer soit en très bonne santé, non seulement pour ce qui est de la morue, mais aussi la plie, le sébaste, le turbot et toutes les autres espèces. Sans cette industrie-là, il n'y a aucun espoir de rétablissement.

Si la limite en question existe à 200 milles de la côte, dans les Grands Bancs, et qu'il y a 20 pays qui s'adonnent sans aucune contrainte à la pêche au-delà, les trous dans l'OPANO sont si nombreux qu'il n'y a pas à se demander pourquoi c'est une passoire. Croyez-moi : c'est la vérité. Nous avons écouté les renseignements donnés par le MPO, la désinformation livrée au public jour après jour après jour, depuis 50 ans, et si vous voulez mon avis à moi, voilà ce qui arrive vraiment à nos pêches.

Il est impardonnable que, après que les étrangers ont été évincés et qu'il y a eu le passage de la CIPANO à l'OPANO... le fait est que les étrangers ont continué à pêcher sans aucune contrainte et qu'ils continuent à le faire.

Je ne veux pas faire d'allusion précise, mais, simplement pour vous en donner une idée, il a été annoncé que les Espagnols, après avoir été pendant 50 ans les pires pirates des mers du monde, ont subitement eu une révélation et s'en vont chez eux. Monsieur le président, nous sommes à la mi-novembre. Il y a très peu de poissons dans les Grands Bancs pour commencer et c'est également le moment du carénage, et, monsieur le président, au cas où vous ne seriez pas au courant, le gouvernement espagnol de la Communauté européenne subventionne généreusement les pêches en eaux éloignées. Il y a deux ans de cela — et voici un fait que vous pouvez vérifier de plusieurs façons —, plus de 500 millions d'euros ont servi à subventionner la seule flotte espagnole de pêche en eaux éloignées. Bon, il faut l'admettre, il arrive que la Communauté européenne signale qu'elle a l'intention de faire quelque chose pour régler le problème, et elle a trouvé l'idée de conclure des ententes financières où les Espagnols, les Portugais ou d'autres encore se font dire : réduisez votre flotte, passez donc de trois à deux. Le seul problème, c'est qu'au moment de rebâtir les bateaux, ils arrivent avec un bateau qui a deux fois et demie ou trois fois la capacité et la puissance du précédent, avec les composantes techniques nécessaires pour doubler et tripler les prises.

Étant donné le problème que nous avons dû affronter pendant des années... j'aimerais que vous regardiez l'annexe sur les prises de morues du Nord. C'est la fameuse morue du Nord : si vous regardez l'année 1962, vous verrez une biomasse féconde de 1,6 million de tonnes. Les 1 000 bateaux et les 50 000 hommes, et une gestion déficiente de la part du gouvernement canadien dans les secteurs sur lesquels il exerçait son autorité... cela a commencé à chuter en 1977 au moment de l'extension du champ de compétence. Nous étions transportés de joie à l'idée que le gouvernement ait étendu son champ de compétence, même si ce n'était pas jusqu'au rebord de la plate-forme continentale.

Le président : Vous pourriez peut-être expliquer davantage ce qu'est la biomasse féconde de la morue du Nord.

M. Etchegary : Il s'agit du stock reproducteur dans le cas de la morue du Nord, des individus ayant sept ans ou plus. Autrement dit, à l'âge de sept ans, la morue a atteint l'âge où elle peut se reproduire. Le nombre en question, 1,6 million de tonnes, ne comprend donc pas les poissons ayant moins de sept ans. Au total, c'est une biomasse qui est estimée à 3,2 millions de tonnes. Par conséquent, vous ne voyez là que la biomasse féconde, mais vous pouvez constater le déclin graduel qui va jusqu'en 1977, au moment où nous avons étendu notre champ de compétence.

Nous aurions espéré qu'à partir de ce moment-là, du moins pour la morue du Nord... comme les principales zones de frai de la morue du Nord se trouvent dans le banc de l'anse Hamilton — et cela a lieu durant les mois de février, mars et avril. Je peux vous donner accès aux renseignements donnés directement dans les rapports annuels des assemblées de la CIPANO. De 1967 à 1969, en nous adressant à la CIPANO, nous avons demandé que la flotte étrangère ne pêche pas dans les zones de frai pendant les mois en question, qu'elle aille ailleurs prendre son poisson, qu'elle ne prenne pas de poisson là. À la lecture des documents, vous verrez que des pays comme l'Espagne, le Portugal et de nombreux autres ont refusé et que, de fait, qu'ils ont toujours avancé que les stocks en question ne pouvaient jamais vraiment être altérés parce qu'une épaisse couverture de glace les protégeait bien. C'est l'excuse qu'ils ont employée pour ne pas arrêter de pêcher comme nous l'avions demandé. Encore une fois, à partir de 1970, cela a eu un effet néfaste sur les prises des pêcheurs du Labrador, situation qui a continué de s'aggraver.

Permettez-moi de reprendre le fil à partir de 1977. Vous pouvez voir que ça commence à augmenter ici : cela nous donnait à penser qu'il y aurait une amélioration et que les stocks de morue se rétabliraient. Mais voici donc, monsieur le président, que le gouvernement canadien cède aux lobbyistes et accorde une subvention de 23 800 $ — j'ai un exemplaire de la lettre si vous avez des doutes à ce sujet, pour financer un séjour de 13 jours au Labrador. C'est une année après que nous avons évincé les étrangers avec les torts accumulés qu'ils ont causés à nos ressources. Nous nous y sommes opposés; le groupe de Terre-Neuve s'y est opposé. Quelqu'un dira peut-être que nous ne pensions qu'à nous- mêmes, mais nous nous sommes opposés à cela parce que nos flottes de chalutiers n'ont jamais été conçues ni construites pour évoluer dans les glaces, avec les dangers que cela représente pour les équipages et les bateaux eux- mêmes et ainsi de suite. En deuxième lieu, notre expérience nous disait, nous qui connaissions nombre des étrangers qui pêchaient dans les eaux du Labrador, qu'ils prenaient de petits poissons. C'était des géniteurs, il y avait un pourcentage élevé de très petits poissons; nous savions qu'une fois arrivés à nos lignes de transformation et acheminés au marché européen, et particulièrement au marché américain, qu'il y aurait un solide blocage des marchés avec les petits poissons qui ont fini par s'y trouver. Savez-vous qu'est-ce que c'était? C'est en fait bien connu : une part d'environ 70 p. 100 du poisson pris pendant ces années-là a gagné ce marché, ce qui a maintes fois ruiné le marché. De fait, à un moment donné, la situation est devenue tellement grave, l'industrie a eu de tels problèmes que le ministre des Pêches a conçu une subvention pour prendre la production des usines, emmagasinée dans des entrepôts canadiens à 80 p. 100 de la valeur et attendre que le tout finisse par être vendu pour obtenir le reste. C'est le résultat des pressions fructueuses exercées pour qu'une partie de la flotte canadienne aille dans les pêches du Labrador.

Monsieur le président, simplement pour vous donner une idée de la raison pour laquelle nous avons tant insisté pour que le gouvernement étende son autorité jusqu'à l'extrémité de la plate-forme continentale, voyez cette annexe-ci, qui illustre l'effort de pêche des bateaux étrangers en 1993 d'après les observations faites. Sur cette carte, on voit les bateaux en dehors de la limite de pêche de 200 milles. Cela vous donne une idée de l'intensité de la pêche à laquelle on s'adonnait en 1993 et de la raison pour laquelle il n'y a pas de rétablissement des stocks. Pour savoir pourquoi il n'y a pas de rétablissement des stocks, monsieur le président, il faut regarder l'annexe suivante : on voit les quotas de l'Union européenne et les prises de poissons plats assujettis aux règles de l'OPANO, même chose pour la morue, mais voilà une idée... le quota s'élevait à 8 000 tonnes. On a déclaré des prises de 107 000 tonnes. Nos observateurs nous signalent que, de fait, 171 000 tonnes ont été prises. C'est le genre d'exploitation excessive des ressources qui a lieu en dehors de la zone réglementée. Le même raisonnement vaut pour les stocks chevauchants. Nous voyons les quotas, les prises estimées et puis les prises réelles, et nous voyons que c'est hors de proportion.

Monsieur le président, vous pouvez voir ici que ce secteur est l'un des plus féconds qui soient dans le monde pour la pêche à la morue, comme le montrent les travaux de M. Templeman. En outre, il y a une pêche au poisson de fond de grande valeur, qui fait qu'on peut prendre de la plie canadienne, la limande à queue jaune, la plie grise et d'autres espèces, à raison d'environ 150 000 tonnes, en bonne santé. Nombre des aires d'alevinage du poisson de fond se trouvent au-delà de la limite de la zone de 200 milles, et cela ne fait aucun doute, si vous vous rendez dans un restaurant familial d'Espagne un dimanche quelconque, vous verrez que les gens y mangent du petit poisson de fond provenant des Grands Bancs. Voilà.

Je me demande si quelqu'un au comité se souvient du rapport extraordinaire de Leslie Harris. M. Harris a fait valoir un point important, soit que, pour assurer la pérennité de la ressource, par exemple pour ce qui est des prises jugées correctes dans le cas d'un stock de morue en bon état, selon les scientifiques, il faut se reporter au facteur de FO.1, qui représente environ 18 à 20 p. 100 du stock. Autrement dit, si vous prenez 20 p. 100 du stock en question, celui-ci demeurera viable et en santé, compte tenu de la variation des conditions du milieu et ainsi de suite.

Par une étude approfondie, M. Harris a pu confirmer que ce ne sont pas 18 à 20 p. 100 qui ont été pris, mais plutôt entre 45 et 50 p. 100. Ça ne prend pas la tête à Papineau, monsieur le président, pour constater que le déclin observé est directement attribuable à cette pêche.

Le président : Gus, merci beaucoup d'avoir raconté cela. Je crois que c'est un récit qui est très utile, qui illustre très bien la situation, et vous nous avez donné beaucoup d'informations utiles — et je crois que nous n'avons pas accueilli quiconque qui ait votre expérience du domaine. Nous aimerions vous poser des questions. Je vais d'abord demander au sénateur Johnson de le faire.

Le sénateur Johnson : Avez-vous dit que le Canada ne s'est pas engagé à rétablir nos pêches? Êtes-vous bien de cet avis?

M. Etchegary : Si je me fie aux mesures qui ont été adoptées, au fait que nous avons eu 15 ans, sénateur, 15 ans de moratoire, 15 ans où les zones de pêche les plus fécondes dans le monde n'ont pu se rétablir, et la raison en est simple : les stocks font la navette, pour ainsi dire, entre les deux côtés. Si vous étudiez les infractions qui se sont produites depuis 20 ans, vous constatez que ces pays-là agissent, effectivement, sans aucune contrainte.

Bon, cela n'enlève rien aux efforts déployés par les responsables de la surveillance et les détachements de visite et tout le reste, ils ne font qu'effleurer une petite partie du problème. S'il y a donc des pêcheurs qui sont à l'œuvre en dehors de la zone de 200 milles et que vous estimez qu'il ne reste que 3 p. 100 environ des stocks qu'il y avait là en 1974, même une pêche peu intensive tuera tout espoir de rétablissement des stocks. Par exemple, monsieur le président, j'ai lu les exposés de certaines des personnes que vous accueillez depuis trois ou quatre semaines, certains des bureaucrates qui y travaillent depuis longtemps, les avocats et les autres — et c'est la même chanson que j'entends depuis 50 ans, la même musique. Il n'y a pas d'effort ciblé; quelqu'un doit se lever et dire : ça ne va pas, nous ne pouvons continuer ainsi.

Le sénateur Johnson : Il y a bien des choses qui se font, tout de même. Vous devez donner un peu de crédit au pays et à la province, qui ont fait des progrès sur plusieurs fronts; pour l'argent qui est investi, comme vous le dites, dans la surveillance et l'application de la loi. Ce qu'il nous faut maintenant, bien entendu, c'est plus de science, plus de recherche. Il est à espérer que notre rapport servira à préciser bon nombre de ces choses, et je crois que les exposés de MM. May et Rose ont fait voir très clairement les mesures positives qui peuvent être adoptées à certains égards.

Vous ne croyez tout de même pas qu'il n'y a aucun espoir? Il se trouve que je sais beaucoup de choses à propos de l'Islande, et je raconte à mes collègues des trucs à mourir d'ennui à ce sujet, mais, depuis des années, je sais comment on s'y prend pour gérer les pêches. J'ai habité là. La pêche leur est tout à fait vitale; c'est leur or à eux. C'est leur société. Ils respectent leurs pêcheurs, dont la moitié détient un doctorat.

Croyez-vous que cela tient à une certaine fierté et à ce qui est considéré comme important dans cette région du monde? J'y ai vécu pendant de nombreuses années; je comprends donc votre point de vue, mais je ne crois pas qu'il faille abandonner tout espoir. À mon avis, il y a de nombreuses mesures que nous pouvons adopter pour rétablir les pêches, à l'exemple d'autres pays. Nous ne pouvons y arriver seuls; nous devons le faire de concert avec les autres éléments du petit univers mondial dans lequel nous vivons en ce moment. Il y a en ce moment bien des choses qui se passent, qui peuvent nous servir d'inspiration.

M. Etchegary : Je comprends ce que vous dites, sénateur. Je connais très bien l'Islande moi aussi. Je m'y suis rendu un très grand nombre de fois et l'Islande, à mon avis, possède les pêches les mieux gérées dans le monde; elle est suivie de près par la Norvège. Le taux d'alphabétisation en Islande se situe à 99,7 p. 100. Je sais que, à partir de la 7e année, les enfants islandais commencent à apprendre ce que sont les pêches; ils les apprécient, et 90 p. 100 d'entre eux prennent part au secteur une fois devenus adultes. Par exemple, vous constaterez que les pêcheurs islandais s'intéressent tout autant à la discipline que les scientifiques et qu'ils leur prêtent leur pleine collaboration, mais c'est également le cas de nombreux pêcheurs ici, à Terre-Neuve. Tout de même, notre gestion des pêches ne s'approche nullement de ce qu'elle est en Islande. Je sais très bien comment les choses fonctionnent là-bas et pourquoi. Je vais vous transmettre les informations à propos des pêches islandaises depuis 10 ans. Vous verrez qu'il n'y a pas de variations de plus de 3 p. 100.

Le sénateur Johnson : Oui, j'y étais, et je sais de quoi vous parlez. Je recommande à notre comité que nous parlions aux Islandais, que nous allions en Islande. Merci de vos observations.

À titre de suivi, à propos de la question de l'alphabétisation, de la question de la fierté et de tout cela, je crois que ce sont des éléments capitaux si vous voulez cultiver l'attitude voulue pour que nous puissions nous rétablir au Canada, mais non seulement ici, mais aussi là d'où je viens. Comme je l'ai dit, nous devons assainir le lac Winnipeg comme on a assaini les Grands Lacs. Les eaux du Canada ont été si négligées... notamment ici à Terre-Neuve-et-Labrador.

M. Etchegary : Comme vous posez la question, je pourrais ajouter ceci : je suis convaincu que la structure de la direction et de l'administration des pêches au Canada est mal avisée. Elle est tout à fait mal avisée; elle ne convient pas à la situation, certainement pas ici, la province où nous nous trouvons.

Vous devez comprendre que le fait que l'autorité s'applique jusqu'à la limite de la zone de 200 milles et non pas jusqu'au rebord de la plate-forme continentale elle-même a eu pour effet de détruire pratiquement le secteur des pêches à Terre-Neuve-et-Labrador, mais cela n'a pas eu d'incidence sur les pêches en Nouvelle-Écosse, au Nouveau- Brunswick, à l'Île-du-Prince-Édouard ou au Québec. Pour cette raison, à mon avis, et nous avons présenté cela aux gens bon nombre de fois, particulièrement aux ministres des Pêches : ici, à St. John's... je suis sûr que s'il y avait eu un sous-ministre de haut rang, ici, à St. John's pendant les 20 dernières années, pour s'attaquer à une situation qu'aucune autre province ne connaît et communiquer avec le ministre des Pêches, la situation ne serait pas la même ici. Nous n'avons tout simplement pas eu la structure de gestion voulue. La microgestion des pêches depuis Ottawa ne fonctionne tout simplement pas.

Le sénateur Johnson : Je le sais.

M. Etchegary : C'est une erreur, une erreur qui se perpétue, mais personne n'écoute et cela débouche sur toutes sortes de situations.

Monsieur le président, voici un énoncé de principes sur les pêches commerciales au Canada. Il remonte à 1976. Cela ne fait que quatre ou cinq lignes. Ça se lit comme suit : [Traduction] Les stratégies adoptées témoignent d'une réorientation fondamentale de la politique gouvernementale à l'égard de la gestion de la mise en valeur des pêches. La pêche commerciale a longtemps été une activité fortement réglementée au Canada, mais, à quelques rares exceptions près, la réglementation a visé à protéger la ressource renouvelable. Autrement dit, la pêche a été réglementée dans l'intérêt du poisson. À l'avenir, elle sera réglementée dans l'intérêt des gens qui dépendent de l'industrie de la pêche. »

À partir de ce jour-là, la réorientation de la gestion des pêches au Canada est passée pour ainsi dire d'orientation en orientation, et je peux vous donner en mille ce que cela a donné, monsieur le président.

Le sénateur Campbell : D'abord, disons que je suis ignorant : où se trouve le banc Hamilton?

M. Etchegary : Le banc Hamilton est tout juste au large de Cartwright, au Labrador.

Le sénateur Campbell : Merci.

Plus la journée avance, plus je deviens déprimé. Vous savez, il y a quelque chose qui se passe ici, et je viens de songer au fait que le Canada est lié à la vie à la mort à ses ressources : la pêche, l'agriculture, l'exploitation forestière, toutes ces industries — et, sauf pour l'exploitation forestière, aucune de ces industries ne connaît de beaux jours. L'agriculture est en difficulté, la pêche est en difficulté, et je me demande si ce n'est pas une attitude qui est née à l'initiative du gouvernement à Ottawa.

M. Etchegary : Du gouvernement?

Le sénateur Campbell : Du gouvernement. Il est très bien pour nous de prendre pour exemple l'Islande, mais l'Islande ne cultive pas de blé, l'Islande n'exploite pas de forêts. Je crois que l'Islande peut se concentrer sur sa seule et unique industrie. Au Canada, je crois que nous pouvons défendre Terre-Neuve, mais croyez-vous que, en Saskatchewan, on se soucie des pêches, croyez-vous que, à Terre-Neuve, on se soucie du blé qui est stocké là-bas, croyez-vous qu'on se soucie des tarifs américains? Je me demande s'il ne faudrait pas aborder ces questions du point de vue des pêches.

Je ne crois pas que le secteur des pêches soit mort, mais je crois qu'il va mourir, et pas dans 40 ans, je crois qu'il ne faudra pas attendre si longtemps. N'est-ce pas une question qui met en relation le gouvernement de Terre-Neuve et le gouvernement du Canada? Devrions-nous dire que nous n'allons plus supporter cela, que, diable, vous pouvez bien faire ce que vous voulez, mais nous allons sauver nos pêches et nous allons nous affirmer et nous allons protéger cette ressource. Il me semble que tout cela, encore une fois, nous ramène à la promesse que vous avez faite de protéger le secteur en 1971, mais en ne faisant rien par la suite. Les promesses sont comme du vent, il est vrai. Tous les jours, il en arrive.

Je crois que nous sommes arrivés au point où il faut faire quelque chose de draconien, sinon, savez-vous, nous allons être là encore dans dix ans à essayer de déterminer où tout le poisson est passé. Nous savons où il est passé. Nous savons ce qui se produit. Ma question est la suivante : s'ils ne vous écoutent pas depuis 50 ans, vont-ils nous écouter, nous? Vous êtes diablement plus intelligents que nous et vous en savez diablement plus sur les pêches.

M. Etchegary : À moins qu'il n'y ait une modification de la structure, à moins que certains des visages qui se trouvent dans la bureaucratie ne changent, et cela ne me dérange pas de le dire, à moins qu'il y ait des changements, vous n'y arriverez pas, car les gens qui s'y trouvent en ce moment s'accrochent à une idée fixe. Lorsque vous vous mettez à discuter de la question avec les gens pour dire : il nous faut agir sur la scène internationale, eh bien, vous savez, si on regarde le cas de la Thaïlande, on voit que la Thaïlande compte 60 000 bateaux de pêche, 40 000 chalutiers de pêche hauturière, et elle terrorise les pêcheurs d'Australie et de Nouvelle-Zélande et de nombreux autres lieux en Asie, et vous pouvez continuer à faire défiler les éléments de la liste. Savez-vous, le Canada figure maintenant au 20e rang des pays pour la pêche. Le Vietnam, soit dit en passant, vient au neuvième. George disait que le Canada est un chef de file. C'était peut-être le cas à une certaine époque. Je connais certains des grands personnages qui ont été mêlés à cette histoire, particulièrement dans ce domaine-ci et, certes, ils ont joué le rôle de chef de file, cela ne fait aucun doute, mais, dans de nombreux cas, ils n'y sont plus. Il faut réorienter le secteur. Le gouvernement central doit s'engager fermement en faveur du secteur et dire qu'il faut en faire plus, et cesser de parler de Bornéo et des problèmes des autres; c'est nous qui avons un problème. Nous savons de quoi il s'agit, nous savons comment nous y prendre pour le régler. Dieu du ciel, qu'est-ce qui nous préoccupe? Laissons aux autres le soin de régler leurs problèmes. Bien entendu, le Canada peut agir de certaines façons, mais, bonté divine, essayons de régler nos propres problèmes. Nous savons ce que c'est : c'est la surpêche. Bien sûr, l'habitat a quelque chose à voir avec le problème aussi, mais si les gens se souciaient vraiment de l'habitat, monsieur le président, je demanderais au bon Dieu de faire en sorte que quelqu'un puisse scruter de près les travaux sismiques qui touchent tous les recoins de la plate-forme continentale.

Ici, vendredi dernier, par exemple, il y a eu une séance d'information sur l'activité sismique et la compatibilité entre, d'une part, le travail des sociétés pétrolières et gazières, et, d'autre part, les pêches. C'est une grande idée parrainée par le MPO et une entreprise baptisée New Motion, en fait je ne sais ce que c'est, et il fallait se battre pour y être invité. Nous devions y présenter un document très important. Il s'agit d'une expérience norvégienne — excellente, vraiment excellente — qui s'est échelonnée sur trois semaines le long des côtes de la Norvège avec les plus récents chalutiers et les plus récents bateaux d'exploration sismique. Ils ont pu montrer de façon concluante que les détonations employées ont pour effet de disperser jusqu'à 18 à 20 milles plus loin la morue et l'aiglefin qui se trouvaient dans le secteur.

Les sociétés pétrolières recourent sans discernement à toutes sortes d'explosions, sur la plate-forme continentale, mais personne ne le sait, sinon elles ne souhaitent pas que le public le sache, et elles ne souhaitent certainement pas que l'industrie de la pêche en vienne à connaître les impacts sur le poisson. C'est une parenthèse, mais je vous le dis parce que c'est le genre de chose dont il faut tenir compte.

Le sénateur Campbell : C'est de cela que je parlais. Vous parlez d'une ressource non renouvelable qui a tué une ressource renouvelable. C'est ce que je voulais dire; les autorités doivent décider : soit qu'elles sont des magnats du pétrole, soit qu'elles assurent la pérennité des stocks de poisson. C'est la question que nous devons nous poser, mais nous ne le faisons pas. En ce moment, le pétrole est très recherché, mais lorsqu'il n'y en aura plus, que ferons-nous? Nous aurons détruit notre secteur des pêches pour favoriser le pétrole, puis il sera trop tard. Nos gouvernements doivent prendre tout cela en considération.

M. Etchegary : George a soulevé une question notamment et, bien entendu, c'est une chose dont vous avez entendu parler : j'ai nommé l'aquaculture. Il y a tant d'efforts qu'on investit dans l'aquaculture pour remplacer le poisson sauvage que c'en est stupéfiant. Le fait est que 40 p. 100 environ des prises mondiales de poissons sauvages servent d'aliments aux autres bêtes, la moitié en aquaculture, la moitié en agriculture. Certains des plus éminents scientifiques halieutiques dans le monde affirment qu'il faut restreindre l'aquaculture, sinon il n'y aura pas suffisamment de poissons industriels dans l'eau pour constituer les aliments en question, sans compter la question des poux du poisson et du mélange avec les espèces sauvages et tout le reste. C'est un problème grave auquel personne ne s'attache, monsieur le président.

Le sénateur Cowan : Tant et aussi longtemps que les autorités ne pourront exercer sur le nez et la queue des Grands Bancs le même degré d'autorité que sur le reste des Grands Bancs, y a-t-il espoir que l'on puisse remédier au problème?

M. Etchegary : À mon avis, non. Quinze années nous ont prouvé que les stocks ne se rétablissent pas.

Le sénateur Cowan : Vous dites que c'est attribuable à la surpêche, notamment sur le nez et sur la queue.

M. Etchegary : C'est cela. Il n'y a pas de prise de poisson de fond du côté canadien, mais il y a du poisson qui est pris en dehors de la zone. Bon, il y a des gens au gouvernement qui diront que ces gens-là prennent de la raie ou quelque autre poisson exotique, mais le fait est que le gens à bord de ces vaisseaux ne sont pas là pour prendre du soleil, ils sont là pour prendre du poisson. Je connais des propriétaires, à Vigo et ailleurs, aussi bien que je connais ma propre famille ou presque, et je vous dis que ces gens-là viennent ici pour prendre du poisson et qu'il n'y a rien pour les arrêter. Je vais vous dire autre chose : si le gouvernement canadien met le grappin sur un bateau portugais ou espagnol, ne vous méprenez pas là-dessus : les gouvernements de ces pays vont financer la lutte.

Le sénateur Cowan : Cela m'amène à poser la question de la conservation. Nous avons entendu beaucoup de témoignages là-dessus — pour et contre. Pour les uns, c'est vraiment la seule façon de faire, pour les autres, c'est une sorte de jeu dans lequel il ne faut pas s'engager, car nous ne pouvons gagner. Quel est votre point de vue au sujet de la gestion axée sur la conservation?

M. Etchegary : Dire qu'on peut en arriver à ce mode de gestion du jour au lendemain n'a pas de sens. Je crois qu'il faudrait réunir un groupe de personnes compétentes en ce qui concerne l'évolution des pêches sur la côte est du Canada, et particulièrement au large de Terre-Neuve-et-du-Labrador depuis 50 ans. Un document rigoureux traiterait de la surpêche par les navires étrangers. Oubliez donc toutes les autres balivernes qu'on vous sert. C'est la surpêche à laquelle s'adonnent les navires étrangers, sans contrainte, qui est en cause.

Je voudrais qu'un tel document, préparé par des scientifiques, des économistes et d'autres spécialistes soit présenté au premier ministre du Canada par le premier ministre de Terre-Neuve, qui lui demandera de s'adresser aux Nations Unies, à la FAO, à Rome, et à la Cour internationale de Justice. Avant que cela ne se fasse, tous les Canadiens doivent comprendre la situation qui règne ici à Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis allé moi-même à l'ONU. J'ai pris place avec certaines des personnes que vous avez entendues il y a quelques semaines, monsieur le président. J'ai pris place à leurs côtés dans la salle où ils négociaient et essayaient d'accomplir des choses. C'est comme une visite chez le dentiste. Ils n'arriveront jamais à obtenir quoi que ce soit aux Nations Unies. Si je suis revenu, c'est parce que c'est vraiment une erreur que de croire que nous allons mener la lutte mondiale contre la surpêche en Asie, en Amérique du Sud et ailleurs dans le monde. Regardez donc l'Islande, regardez la Norvège, regardez l'Alaska, regardez les îles Féroé, regardez le Groenland, tous ont des pêches florissantes. L'Islande vient d'ajouter 3 000 Polonais à sa population en les intégrant à l'industrie de la pêche. Ici, nous envoyons des milliers de personnes à Fort McMurray. Quelqu'un doit se poser la question. Pourquoi?

Le président : Merci beaucoup. Voilà qui nous a été très utile, très émouvant. Nous en avons beaucoup appris. Comme je vous l'ai dit avant, Gus, je crois que personne d'autre que vous n'a une expérience si profonde du domaine.

La séance est levée.


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