Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 5 - Témoignages du 5 décembre 2006


OTTAWA, le mardi 5 décembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 19 h 3 afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.

Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Je vais d'abord présenter les membres du comité. Je m'appelle Bill Rompkey, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Ce soir, nous avons autour de la table le sénateur Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard, qui est bien pourvue en océan, le sénateur Willie Adams, du Nunavut, qui est aussi bien pourvu en océan, et le sénateur Baker, de Gander, qui n'a pas d'océan du tout, mais qui connaît très bien Bonavista qui, en revanche, est très bien pourvue en océan.

Nous sommes en groupe restreint, certains de nos membres étant retenus dans d'autres comités, mais si nous n'avons pas la quantité, la qualité elle est bien présente, aussi nous allons commencer. Nous souhaitons la bienvenue à M. Patrick McGuinness, du Conseil canadien des pêches, que nous avons eu l'occasion de rencontrer au Labrador lors de notre visite là-bas, et M. Mark Butler, de l'Ecology Action Centre de la Nouvelle-Écosse. Merci de vous être déplacés.

Nous nous intéressons tout particulièrement à la question du chalutage de fond, nous aimerions parfaire nos connaissances à ce sujet.

Patrick McGuinness, président, Conseil canadien des pêches : Ce fut un grand plaisir de vous rencontrer ainsi que vos collègues, le mois dernier à L'Anse au Loup, au Labrador. Je suis chargé de vous transmettre les remerciements de Gilbert Linstead, le directeur général de la Labrador Fishermen's Union Shrimp Company Limited, pour avoir, malgré votre emploi du temps chargé, passé la soirée avec cette délégation.

Je vais vous présenter quelques commentaires, après quoi, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Premièrement, j'aimerais vous dire que les Nations Unies, qui ont mit fin à leurs négociations à ce sujet le mois dernier, ont finalement décidé de rejeter le moratoire sur le chalutage de fond dans les soi-disant zones non réglementées en haute mer. Nous trouvons que c'est une décision fantastique parce qu'elle contribue à recentrer le débat sur la conservation des zones fragiles et à l'éloigner de la démonisation d'engins de pêche importants qui existent depuis très longtemps. Finalement, on en est arrivé à la conclusion qu'il incombe aux gouvernements de réglementer.

Je vais passer en revue les résolutions et le programme en quatre points que l'ONU a acceptés. Avec un peu de chance, vous serez d'accord avec moi qu'ils sont responsables et progressistes. Premièrement, les pays et les organisations régionales de gestion des pêches comme l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, l'OPANO, seront chargés d'évaluer à quel endroit le chalutage de fond a des effets négatifs importants et, dans ces endroits, ils devront gérer les pêches de manière à prévenir ces effets. Si un pays ne possède pas la capacité de prévenir ces effets négatifs, il devra tout simplement interdire la pêche dans la zone visée.

Deuxièmement, désormais tous doivent définir les zones fragiles et déterminer à quel endroit le chalutage de fond risque d'avoir des effets négatifs.

L'ONU souhaite également améliorer la recherche. Surtout, elle a attiré l'attention sur l'inclusion des pêches nouvelles et d'exploration dans la collecte de données. Cette décision est importante parce qu'elle reconnaît que les gouvernements — le Canada, les États-Unis, et les autres — n'enverront pas de navires de recherche en haute mer pour y repérer les zones fragiles de coraux et ainsi de suite. Les seuls qui le feront sont les membres du secteur des pêches; et ils le feront uniquement dans l'espoir qu'à un moment donné ces initiatives se traduiront par des occasions de pêche.

Les pays recevront instruction de mettre en œuvre d'importants protocoles préventifs en ce qui concerne ces nouvelles pêches d'exploration afin que l'activité exploratoire soit bien réglementée. L'organisation demande également la fermeture des zones qui sont réputées fragiles, à moins que l'on ait pris des mesures pour éviter les effets négatifs importants.

Ces considérations reprennent celles que l'OPANO avait acceptées en septembre. L'OPANO savait qu'il existait deux ou trois zones fragiles constituées de monts sous-marins et de coraux abyssaux, et elle a décidé de fermer ces zones. D'ici la prochaine réunion de l'OPANO en septembre 2007, les gestionnaires des pêches et les chercheurs élaboreront des protocoles scientifiques. Disons par exemple qu'en 2007, un navire de pêche souhaite pêcher dans cette zone, il devra respecter certains protocoles relatifs à la cueillette de données, à la présence à bord d'observateurs et à d'autres critères de cette nature. Puis, en 2010, tout le monde se réunira, et examinera ce que l'on aura découvert concernant ces zones fermées — autrement dit, ce que les données de l'exploration auront révélé — et on décidera si la zone en question devrait être fermée de façon définitive, si la nature de la fermeture devrait être révisée ou encore si la fermeture devrait être annulée.

Ce sont les quatre étapes. Les pays et les organisations de gestion des pêches doivent adopter ces quatre mesures. S'ils ne le font pas ou s'ils sont incapables de le faire, la pêche sera purement et simplement interdite. En effet, cela constitue une interdiction de pêcher dans les zones non réglementées si le pays, l'État du pavillon, n'a pas élaboré de protocoles pour ses propres navires.

Il est clair que cette approche est loin de satisfaire ceux qui réclament l'adoption d'une interdiction générale, mais elle est conforme aux recommandations faites par le Canada, l'Union européenne, les États-Unis — conformément à la note transmise par la Maison-Blanche à la secrétaire d'État et au secrétaire au Commerce le 2 octobre — l'Islande, le Japon et les autres grands pays de pêche.

Cette position est également conforme à la déclaration de principe déposée aux Nations Unies en octobre 2006 par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, déclaration qui faisait état d'un certain nombre de mesures devant être prises immédiatement. Cependant, la déclaration précisait que ces mesures devraient faire référence à des situations et à des zones précises plutôt que de constituer une sorte de moratoire-cadre général sur le chalutage de fond en haute mer. Cette position rejoint également le rapport du secrétariat des Nations Unies. En 2004, on a adopté une résolution demandant la tenue d'une enquête sur la question du chalutage de fond et sur ses répercussions sur les zones fragiles. La Division des affaires maritimes et du droit de la mer des Nations Unies a mené une recherche importante et a transmis à l'ONU, en juillet 2006, un rapport qui, notamment, en arrive à la conclusion suivante :

au-delà des premiers effets visibles à court terme sur la biodiversité, on ignore quels seront les effets néfastes à long terme du chalutage de fond sur les écosystèmes marins fragiles, aussi il est urgent d'entreprendre des recherches plus poussées. [Traduction]

Honorables sénateurs, cette approche rejoint l'opinion des Canadiens. Une enquête téléphonique réalisée par Decima Research en février 2006 auprès de 2 000 Canadiens a révélé que neuf Canadiens sur 10 préfèrent la protection des zones fragiles à l'interdiction des engins de pêche qui entrent en contact avec le fond.

Toute récolte de nourriture a des répercussions sur l'environnement. Près de 40 p. 100 de la pêche mondiale s'effectue à l'aide d'engins de pêche ayant un impact sur le fond. Dans une large mesure, le chalutage de fond se pratique sur un fond marin plat ou sous-jacent recouvert de sédiments boueux ou de gravier et en général, on pratique cette pêche dans un habitat non approprié pour une faune vulnérable comme les coraux abyssaux. Le chalutage dans ces zones dérange les sédiments du fond mais l'impact sur l'écosystème est minime. La majeure partie du chalutage ne vise pas l'exploration mais plutôt la pêche, et la pêche à répétition sur les traits de chalutage. Le moratoire sur le chalutage exigé par certains afin de préserver la biodiversité des océans n'est pas justifié. Les chiffres publiés par la FAO montrent que cette activité se pratique dans les zones caractérisées par des sédiments boueux et de gravier. La technologie des engins de pêche évolue de manière à limiter l'empreinte laissée par le chalutage.

Au Canada, le secteur des engins de pêche ayant un impact sur le fond représente 40 p. 100 des débarquements, pour ce qui est de la quantité, et 24 p. 100 pour ce qui est de la valeur des pêches au Canada. Ce secteur rapporte 1 milliard de dollars en poissons récoltés au Canada, et représente 14 500 emplois pour des pêcheurs et des travailleurs dans les usines de transformation. Pour certaines pêches du Labrador comme les crevettes, les pétoncles et les coques, le chalutage est la seule méthode de récolte. Les provinces qui dépendent le plus du chalutage sont Terre-Neuve-et- Labrador ainsi que la Nouvelle-Écosse, de même que les pêches du Nord : Nunavut, Nunavik et Nunatsiavut. Il s'agit d'un nouveau territoire.

En conclusion, l'approche adoptée par les Nations Unies est une approche responsable, respectueuse de l'environnement ainsi que des travailleurs de l'industrie.

Le président : Merci beaucoup.

Mark Butler, administrateur délégué et coordonnateur, Comité des questions maritimes, Ecology Action Centre : Merci de cette occasion de m'adresser au comité. Je l'apprécie, et je vous suis également reconnaissant de me donner l'opportunité de comparaître en même temps que Patrick McGuinness et d'ouvrir un dialogue avec lui et avec vous.

L'Ecology Action Centre est une organisation vouée à la protection de l'environnement de la Nouvelle-Écosse qui existe depuis 35 ans. Personnellement, je m'intéresse depuis 15 ans à cette question ainsi qu'aux répercussions de la pêche et d'autres activités humaines sur l'océan. Au départ, j'ai commencé à m'instruire sur cette question en écoutant les pêcheurs et en travaillant à leurs côtés. Ce sont leurs récits au sujet des répercussions des engins mobiles sur le fond de l'océan qui m'ont poussé à continuer. J'essaie encore aujourd'hui de passer un peu de temps sur l'eau. De fait, la semaine dernière, je cherchais du homard. Je fais tout cela parce que la biodiversité marine ainsi que les coraux et les éponges me tiennent à coeur, de même que les personnes qui travaillent dans l'industrie, et je souhaite que la pêche offre des emplois et des possibilités de croissance dans le Canada atlantique.

Peut-être que mes préférences alimentaires ou mes habitudes culinaires ne vous intéressent pas, mais il se trouve que j'aime beaucoup manger des fruits de mer, et j'aimerais bien continuer à le faire. J'aime surtout les fruits de mer récoltés de manière durable. Je tiens à ce que tout le monde comprenne bien à quelle enseigne je loge.

Et maintenant, la haute mer. La haute mer fait est cette partie de l'océan située au-delà de la limite de 200 milles des côtes d'un pays ou dans la zone économique exclusive. La question fondamentale à se poser est la suivante : comment protéger et conserver la richesse, la diversité et la vie que l'on trouve en haute mer. Il faut pour cela compter sur une solide gestion, mais ce n'est pas facile lorsqu'aucun pays ou aucune organisation n'exerce sa juridiction sur les eaux visées, comme les pays le font à l'intérieur de leurs zones économiques exclusives. En ce qui concerne la pêche en haute mer, le monde entier a réagi en mettant sur pied des organisations régionales de gestion des pêches composées de pays de pêche actifs dans la région. C'est la bonne approche, mais les défis sont énormes. Je pense que tous ceux qui sont ici présents sont d'accord pour dire qu'il faut créer des organismes de gestion en haute mer chargés de gérer les pêches.

Alors, quels sont ces défis? Premièrement, jusqu'à maintenant, les organisations régionales de gestion des pêches comme l'OPANO ont, dans une large mesure, échoué, mais elles pourraient fonctionner. Nous en avons peut-être vu les premiers signes dans certaines mesures adoptées par l'OPANO en septembre 2006 ou dans la résolution sur les pêches durables ayant été négociée à New York, et que l'Assemblée générale des Nations Unies va vraisemblablement adopter jeudi de cette semaine.

Le deuxième problème, qui vise directement la discussion entourant le moratoire sur la haute mer, est que pour 75 p. 100 de la haute mer il n'existe à l'heure actuelle aucune organisation régionale de gestion des pêches ayant la compétence requise pour réglementer efficacement les répercussions de la pêche à la drague. Il ne s'agit pas de dire si nos organisations régionales de gestion des pêches sont efficaces. Le problème tient plutôt au fait que, dans la majeure partie de la haute mer, ces organisations n'existent pas, ou bien elles sont en construction. C'est l'Ouest sauvage en quelque sorte. Il n'y a pas de quotas, pas de navires de recherche, pas de police des pêches, et ainsi de suite. Nous commençons à toucher l'essentiel de nos différences.

La réaction du ministère des Pêches et des Océans à ce grand écart a été de créer davantage d'organisations régionales de gestion des pêches. Nous ne sommes pas forcément contre, mais que se passera-t-il dans l'intervalle? Malheureusement, le scénario le plus plausible, en se fondant sur les expériences passées — et nous avons été témoins de la disparition de certaines pêches — est que les monts sous-marins dans d'autres régions seront pêchés à outrance. Des espèces de grands fonds faciles à surpêcher comme l'hoplostète orange seront ciblées et leur habitat, qu'il s'agisse des éponges coralliennes ou d'autres caractéristiques des grands fonds, sera endommagé et anéanti. Ces systèmes, s'ils sont trop sévèrement endommagés, ne récupéreront pas au fil des générations — peut-être au cours de l'existence de nos petits-enfants et arrière-petits-enfants.

À New York, la majorité des nations du monde, comme l'Allemagne, l'Australie, la Norvège et l'Inde, ont proposé une halte temporaire au dragage dans les zones où il n'existe aucune organisation régionale de gestion des pêches, et ce, tant et aussi longtemps qu'une organisation régionale de gestion des pêches compétente pour administrer le dragage ne sera pas en place. Permettre au dragage de se poursuivre en attendant la création de ces organisations revient à l'exemple classique consistant à fermer la porte de la grange une fois que le cheval s'est échappé.

Il est exaspérant qu'aucun navire canadien ne pêche dans les zones où il n'existe pas d'organisations régionales de gestion des pêches ou encore dans les zones où elles sont en construction. Nous n'aurions subi aucune conséquence économique si nous avions appuyé l'adoption d'un moratoire. De plus, les flottilles de dragueurs en haute mer, qui sont justement sous la loupe, ne débarquent qu'environ 0,5 p. 100 des prises totales d'animaux marins dans le monde. Dans le cadre de ce débat, étant donné que certaines affirmations trompeuses ont été faites antérieurement, il faut établir clairement qu'aucune usine de transformation du poisson du Canada atlantique n'aurait été touchée si le moratoire était entré en vigueur immédiatement.

Le Conseil canadien des pêches et d'autres aussi, ainsi que le ministre ont tenté de présenter la situation comme un affrontement entre les nations de pêche et les nations n'ayant aucun intérêt à investir dans la pêche en haute mer. Je ne pense pas que ce soit le cas. Les États-Unis, la Norvège, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont tous des pays de pêche en haute mer, se sont montrés en faveur du moratoire.

Considérons, brièvement, le cas de la Norvège qui n'est pas une nation à laquelle on peut reprocher de voir l'océan sous un jour exagérément romantique. La Norvège a toujours affirmé qu'elle ne laissera pas ses navires pêcher en haute mer dans les zones sans gestion. C'est tout ce que l'on demandait du Canada et du reste du monde : pas de gestion, pas de pêche.

Le ministre a critiqué le moratoire en invoquant l'impossibilité de le faire respecter. C'est une accusation facile à porter contre n'importe quel accord international, y compris, et probablement encore plus, contre les organisations régionales de gestion des pêches. Dans l'esprit de bien des gens, l'OPANO — considérée comme l'une des organisations régionales de gestion des pêches les plus avancées — est synonyme d'« inefficacité ». En 2005, si vous vous rappelez, un comité d'experts réputés du Canada atlantique nommés par le ministère des Pêches et des Océans, le MPO, pour examiner l'OPANO est arrivé à la conclusion que l'organisation ne pouvait être réformée et qu'elle devait être remplacée.

Parallèlement, on voit des exemples de moratoires internationaux qui donnent de bons résultats, y compris dans les pêches. Je suis assez âgé pour me rappeler les photographies publiées dans National Geographic montrant des oiseaux, des mammifères et des requins pris au piège de filets dérivants, et le monde décidant d'un commun accord d'adopter un moratoire efficace et durable sur les filets dérivants en haute mer. Cette mesure était nécessaire, elle a fonctionné et elle fonctionne toujours. De fait, le Canada fait partie d'un groupe de nations chargées de faire respecter ce moratoire.

J'ai gardé pour la fin la raison qui, selon moi, est la plus futile et celle que l'on invoque le plus fréquemment, pour refuser d'appuyer le moratoire. Ceux qui étaient favorables à la position du ministre ont déclaré que si le Canada appuyait le moratoire dans les eaux internationales, il serait forcé de le faire par la suite dans ses eaux territoriales. Si nous acceptions cet argument, il devrait nous empêcher de prendre quelque mesure que ce soit à l'égard de toutes les préoccupations pour la santé de l'environnement ou la santé humaine. Par exemple, on pourrait dire qu'il ne faut pas interdire de fumer dans les restaurants parce que des législateurs, comme vous, pourraient bien ensuite vouloir intervenir concernant le droit de fumer dans les résidences privées. Les mesures devraient être évaluées en fonction de leurs propres mérites, et pas en fonction des mesures susceptibles d'être adoptées dans leur sillage.

Qui plus est, à ma connaissance, aucune organisation environnementaliste d'envergure au Canada ne réclame la tenue d'un moratoire sur le dragage dans les eaux territoriales canadiennes. Nous sommes favorables à un train de mesures visant à s'attaquer aux répercussions du dragage dans les eaux canadiennes, mais cela n'inclut pas un moratoire. Je me ferai un plaisir de vous fournir davantage de renseignements à ce sujet, si vous le souhaitez.

Enfin, des pays comme l'Australie sont favorables à la tenue d'un moratoire parce qu'il n'y a aucune structure de gestion en place. Toutefois, il y a des mesures de gestion dans les eaux nationales.

M. McGuinness a parlé du consensus auquel on en est arrivé à New York, et j'aimerais aborder cette question un peu plus avant. À certains égards, des progrès ont été réalisés, et dans d'autres, nous sommes forcés de reconnaître un échec.

Au sein des organisations régionales de gestion des pêches, des mesures ont été mises en place, des mesures que nous saluons, mais il reste que ces mesures sont entourées de certaines restrictions. Par exemple, il faudra deux ans avant que ces mesures ne prennent effet. La majorité de ces mesures sont toujours à la merci des habituelles échappatoires des organisations régionales de gestion des pêches. La définition d'une zone fragile et la décision d'autoriser la pêche ou non sont encore, dans une large mesure, laissées à la discrétion des organisations régionales de gestion des pêches et des États membres. Nous connaissons tous les problèmes associés à cette situation.

Bien entendu, en-dehors des organisations régionales de gestion des pêches, il n'existait aucun appui. Au bout du compte, le moratoire a été rejeté et, d'après ce que nous avons compris, parce qu'une seule nation — l'Islande — s'y est opposée. À la place du moratoire, l'interdiction est laissée à la discrétion de l'État du pavillon, ce qui revient essentiellement à la situation qui prévalait antérieurement.

Je vous signale qu'il y a eu passablement de discussion à savoir si les États-Unis, l'Australie ou l'Union européenne allaient appuyer le moratoire. Dans son évaluation des résultats de la réunion tenue à New York, la Secrétaire adjointe des États-Unis, Claudia McMurray, a déclaré : « Plusieurs pays souhaitaient éviter que l'on adopte quelque mesure de contrôle que ce soit. Malheureusement, la résolution n'est pas à la hauteur. Nous sommes très déçus d'en être arrivés à ce résultat. » Voici comment une représentante des États-Unis décrit le consensus atteint à New York il y a une semaine et demie.

En conclusion, j'ai trouvé ce débat des derniers mois très instructif et révélateur, tant à l'échelle nationale qu'internationale. Il a permis de connaître l'identité de ceux qui sont en faveur de la prise de mesures contre le dragage et de ceux qui s'y opposent. Il a montré que malgré la science, l'opinion du public canadien, le soutien de nombreuses organisations de pêcheurs et de pêches canadiennes — et on connaît des organisations de pêches qui sont en faveur du moratoire — l'appui de comités de rédaction dans l'ensemble du pays, la position de la majorité des nations du monde entier, y compris des alliés traditionnels du Canada comme les États-Unis, le gouvernement canadien ne prête attention qu'à un seul secteur de l'industrie de la pêche sur cette question. Il faut que ça change.

Nous devons nous attaquer à cette question objectivement, en nous fondant sur la science et sur de solides motifs économiques. Jusqu'à maintenant, ce n'est pas ce que nous avons fait, dans notre pays. Au cours de l'année écoulée, nous avons pu voir ce qui se passe lorsque l'on tente de mettre en place la politique étrangère. J'espère que des réunions comme celle-ci provoqueront des changements.

Le sénateur Baker : Je souhaite la bienvenue à M. McGuinnesss et à M. Butler.

M. McGuinness, comme tous les Canadiens le savent, représente bien l'industrie des pêches depuis des années. Il représente, comme il l'admettra lui-même, les flottilles de pêche qui pratiquent le dragage du fond de l'océan. Cependant, il a accompli de l'excellent travail au fil des années en représentant ces pêches.

Et bien entendu, tout le monde au Canada a entendu parler de M. Butler, devant les tribunaux et à l'extérieur, parce qu'il a poursuivi le gouvernement fédéral et le MPO plus souvent que quiconque dans l'histoire pour leur mauvaise gestion des pêches.

Ceci dit, ma première question s'adresse aux deux témoins. Les Canadiens ordinaires commencent à s'intéresser au dragage de fond. Je sais que vous l'appelez « trawling » en anglais. Dans les régions côtières, la pêche à la traîne se définit habituellement comme l'action de pêcher au moyen d'une ligne munie de plusieurs hameçons. L'utilisation de plusieurs hameçons indépendants représente la meilleure méthode et la plus écologique pour pêcher du poisson. Cependant, pour une raison ou pour une autre, la pêche à la traîne ou « trawling » en anglais, a été récupérée et appliquée aux dragueurs.

Cette parenthèse exceptée, les gens ordinaires s'intéressent à la question du Canada manifestant son appui au dragage de fond en haute mer, dans les zones où les pêcheurs canadiens ne s'aventurent même pas. Il n'y a pas d'industrie canadienne à protéger. Je suis persuadé que toute personne sensée ne peut manquer de se demander : « Pour l'amour du ciel, pourquoi se porter à la défense des flottilles étrangères qui pêchent à la drague en haute mer alors que les canadiens ne pratiquent pas ce genre de pêche en haute mer? Pour quelle raison voudrait-on faire cela? » Et c'est justement ma première question.

M. McGuinness : Premièrement, au Conseil canadien des pêches, nous représentons principalement l'industrie de la transformation. Le sénateur Baker a raison : trois des principales flottilles de dragueurs en haute mer sont également membres du Conseil. Nous représentons les grands transformateurs, mais aussi les petits. Cumberland Sound au Nunavut est un de nos membres.

Nos membres sont soit des pêcheurs ou des acheteurs utilisant l'éventail complet des engins de pêche. C'est pourquoi, lorsque nous voyons un secteur des engins de pêche faire l'objet d'attaques, en quelque sorte — qu'il s'agisse de la pêche à la drague, à la palangre ou au filet maillant — notre tâche, au Conseil canadien des pêches, consiste à organiser une rencontre entre ce secteur d'engins et le gouvernement afin de cerner le problème et de favoriser l'adoption de règlements pertinents. Je tenais à ce que les choses soient claires.

En ce qui concerne notre position relativement au moratoire de l'ONU, la question est de savoir si on a des principes ou non. Il ne s'agit pas d'accepter le moratoire seulement parce qu'il n'aura aucune incidence économique sur le Canada. Là n'est pas la question. Nous faisons valoir que cela n'a rien à voir avec le mandat du Conseil canadien des pêches. Nous misons sur le leadership et les principes. Nous avons examiné cette question. Même si M. Butler affirme qu'il s'agit d'un moratoire temporaire, il est indiscutable que dans certaines régions du monde, ce moratoire se révélera une interdiction permanente.

Par exemple, la haute mer au large de l'Argentine, où il existe une zone de pêche de 200 milles, est récoltée par des navires espagnols, japonais, de la Corée du Sud et des îles Malouines. Cette pêche est réalisée dans des « zones non réglementées ». Toutefois, en raison de considérations géopolitiques — c'est-à-dire en raison du différend entre l'Argentine et le Royaume-Uni — il n'y aura jamais d'organisation régionale de gestion des pêches dans cette zone. Par conséquent, votre moratoire temporaire dans de telles situations est en réalité une interdiction permanente.

En ce qui concerne la question de la pêche non réglementée dans cette zone, les navires japonais, et ceux des Malouines, et même ceux de l'Espagne sont réglementés par l'État du pavillon. Les 20 navires espagnols obtiennent leur permis de la commission européenne. Ils tiennent un journal de bord où ils doivent consigner toutes les activités quotidiennes. Le navire scientifique qui accompagne la flottille a établi que la zone au large de l'Argentine où la flottille pêche ne comporte pas de zones fragiles. Ces flottilles pêchent le merlu, et le marché pour ce poisson se trouve en Espagne. Le merlu occupe une place de choix dans l'alimentation des Espagnols. Il s'agit d'une protéine à bon marché. Ces flottilles approvisionnent le marché espagnol avec une quantité appréciable de merlu destiné particulièrement aux personnes à revenu modeste.

Cette pêche est réglementée par les États-nations dans une région où des navires scientifiques ont établi, documentation à l'appui, qu'elle ne comportait aucune zone fragile et où il ne risque pas d'y avoir une organisation régionale de gestion des pêches durant notre génération.

Le sénateur Baker : À quoi voulez-vous en venir?

M. McGuinnesss : Pour quelle raison voudrions-nous interdire cette pêche? J'essaie de vous faire comprendre que les Nations Unies ont été sensibles à cet argument. Pourquoi en effet voudrions-nous mettre fin à cette pêche? Pourquoi le Canada, si nous avons des principes, voudrait-il jouer un rôle quelconque dans ces instruments émoussés? Les instruments émoussés ne donnent pas de bons résultats. Il arrive même qu'ils donnent des résultats pervers. Il faut se brancher : avons-nous des principes, oui ou non? Nous avons étudié la situation, et nous en sommes arrivés à la conclusion qu'elle se répétait dans de nombreuses régions du monde. Agissons comme des gouvernements. Adoptons des règlements, appliquons des protocoles et laissons à l'État du pavillon le soin de voir à la gestion de ses pêches.

Si on impose une interdiction, ces navires vont cesser de pêcher. Mais une chose est sûre : la mobilité du capital. Nous sommes en présence d'un important problème lié à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Ce sont ces navires qui vont prendre la place.

Le sénateur Baker : Monsieur, je ne comprends pas votre argument. Vous affirmez que c'est une question de principe. La majorité d'entre nous qui avons une petite idée du mode de fonctionnement du dragage savons très bien que vous raclez le fond de l'océan avec quelque chose. Qu'il s'agisse d'un poids de 30 tonnes entre deux chalutiers crevettiers sur un bateau en provenance de l'Islande qui drague le Bonnet Flamand ou de n'importe quelle autre méthode de dragage, il reste que vous raclez le fond de l'océan. Tous les scientifiques ont clairement montré que le dragage du fond de l'océan à travers les lieux de frai nuit à la pêche.

Vous dites que, pour des raisons de principe, nous devrions rester les bras croisés et laisser cette pêche continuer en haute mer. Vous faites valoir que nos navires ne pêchent pas là-bas, mais que nous devrions laisser les nations étrangères pêcher tous azimuts, dans ce que M. Butler qualifie d'Ouest sauvage, en vous appuyant sur de soi-disant principes. Mais je vous demande un peu, au nom de quel principe devrait-on laisser des gens détruire une partie de l'environnement? Il ne s'agit pas d'un principe. Les poissons se déplacent dans la mer. Si on les laisse vivre en haute mer, ils parviendront jusqu'à nos pêcheurs des zones côtières.

Je ne vois pas où est le principe. Êtes-vous en train de dire que ceux qui s'opposent au chalutage en haute mer sont des êtres dépourvus de principes?

M. McGuinness : Ce n'est l'Ouest sauvage qu'en ce qui concerne les navires illicites, non déclarés et non réglementés de la Barbade ou d'ailleurs — autrement dit des bateaux battant pavillon de complaisance. Mais cette région particulière au large de l'Argentine n'est pas exactement l'Ouest sauvage.

Le sénateur Baker : Maintenant, si nous parlions de la zone côtière canadienne. Au-delà de notre plateau continental se trouve la haute mer. Mis à part les questions de principe, est-ce que le gouvernement canadien et nos représentants ont fait valoir d'autres raisons devant les Nations Unies? Est-ce qu'il n'y a pas d'autres arguments pour convaincre les gens ordinaires qui se préoccupent de l'environnement et des pêches? Les scientifiques prédisent que la pêche commerciale touchera à sa fin dans 50 ans. De nombreux chercheurs réputés affirment que nous ne pourrons plus manger de poisson.

Y a-t-il une autre raison, à l'exclusion du principe relatif à la haute mer, que vous avez expliqué, pour que le Canada ait adopté cette position inhabituelle devant les Nations Unies?

M. McGuinness : Tout d'abord, il n'y a rien d'inhabituel à ce qu'un gouvernement préconise l'adoption de règlements plutôt que d'une interdiction.

Si les règlements proposés s'attaquent au problème et ramènent le débat vers la protection des zones fragiles et des coraux et permettent de rassembler davantage de renseignements sur l'emplacement de ces zones, je ne vois pas pourquoi vous affirmez que cela représente une dérogation du Canada par rapport à sa vision traditionnelle en matière d'affaires internationales. Je dirais que sauter sur un moratoire intempestif qui n'est qu'un instrument émoussé risquant d'avoir les effets pervers que j'ai décrits est plus éloigné de la vision canadienne.

Le sénateur Baker : Mais quelle est l'incidence sur le Canada? Il n'y en a aucune. Si nous décidions d'emboîter le pas aux environnementalistes, quelle serait l'incidence sur les Canadiens ordinaires? Sur les pêcheurs qui sont en chômage le long de nos zones côtières?

M. McGuinness : Quelle est l'incidence sur les Canadiens de la décision des Nations Unies?

Le sénateur Baker : Oui, quelle est l'incidence sur les Canadiens?

M. McGuinness : L'incidence est celle-ci : le Canada sera forcé d'adopter dans ses eaux intérieures le même genre de réglementation que celle qui a été proposée. Le Canada n'avait pas l'intention d'interdire le chalutage de fond dans les eaux canadiennes, mais maintenant, il en a la responsabilité. Il doit mettre en oeuvre ce programme en quatre points dans les eaux canadiennes.

Le sénateur Baker : Que voulez-vous dire par « dans les eaux canadiennes »?

M. McGuinness : Les zones fragiles connues seront fermées. Le Canada devra faire en sorte que des protocoles scientifiques soient mis en place lorsque les chalutiers de fond se déplaceront vers de nouvelles zones de pêche exploratoires.

Comme vous l'avez mentionné, un moratoire n'aurait eu aucune incidence sur le Canada parce que le pays n'aurait pas interdit le chalutage dans ses eaux intérieures. Cependant, les conditions que le Canada a acceptées devant l'ONU auront une incidence, et dans une large mesure, le secteur des pêches les approuve, parce qu'elles entraîneront la mise en place de réglementations additionnelles. Ces réglementations régleront la question des zones fragiles. Le secteur des pêches est favorable à des pêches durables. Nous voulons pêcher du poisson, nous ne voulons pas abîmer nos chaluts sur des coraux.

Le sénateur Baker : Le ministre a comparu devant notre comité. Il a fait valoir que si nous acceptions le moratoire en haute mer, cela pourrait bien nous forcer à interdire le chalutage de fond à l'intérieur des limites de 200 milles aussi. C'est ce qu'il nous a dit. Nous avons convoqué des experts juridiques, notamment le doyen de la faculté de droit de l'Université Dalhousie, que vous connaissez bien, et d'autres experts juridiques qui nous ont déclaré que tout cela était complètement absurde. Rien dans la loi ne confirme cette allégation.

J'ai réfléchi à cette question parce qu'en 1992 on a imposé un moratoire sur les filets dérivants, qui sont des filets maillants utilisés pour prendre le hareng, le saumon ou le maquereau près de la surface des océans. Ces filets ont été interdits en haute mer. Nous n'avons pas été forcés de les interdire à l'intérieur de la limite de 200 milles. L'argument ayant été invoqué est complètement absurde. Du point de vue des pêches internationales, il ne subsiste vraiment aucun argument pour justifier ce qui s'est passé.

M. McGuinness : Il me semble que je vous ai donné de nombreux arguments pour vous expliquer pourquoi cette décision a été prise, et en quoi elle représente un geste responsable. L'industrie canadienne de la pêche et les Canadiens vont en bénéficier parce qu'il y aura davantage de règlements appliqués au chalutage de fond relativement aux zones fragiles. Ces quatre points devront également être appliqués au Canada.

M. Butler : L'un des principes invoqués est la science. Je suis persuadé que nous serions tous d'accord pour affirmer que les pêches devraient être gérées en fonction de preuves scientifiques rigoureuses. Et pourtant, la définition que donne M. McGuinness du chalutage de fond ne correspond pas nécessairement à la mienne. J'ai apporté quelques pages d'un document publié par la coalition internationale des associations de pêcheurs, l'ICFA, dans lequel la coalition exprime sa position concernant le chalutage de fond. Monsieur McGuinness, vous êtes le président de l'ICFA qui représente les associations de chalutage de fond espagnoles et russes, n'est-ce pas?

M. McGuinness : Nous avons une coalition des principales nations de pêche du monde entier.

M. Butler : Certains énoncés font remarquer que le chalutage est reconnu comme une méthode de pêche durable qui contribue à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire mondial, et rejettent les assertions comme quoi il s'agit d'une méthode de pêche destructive. Je ne pense pas que ces énoncés concordent avec l'opinion unanime des scientifiques. La National Academy of Sciences des États-Unis a publié en 2001 une étude qui reconnaissait les incidences et qui recommandait l'adoption de mesures visant à les atténuer; et l'ICFA a fait la même chose. Enfin, en 2006, six ans après les États-Unis, le Canada a réalisé une étude semblable qui est arrivée à des conclusions similaires.

Les scientifiques reconnaissent facilement que le chalutage de fond est acceptable dans certains fonds et certaines zones où les incidences sont minimes, tout dépendant des espèces qui y sont pêchées, mais ces énoncés que j'ai devant moi ne concordent pas avec les opinions scientifiques, et il faut que cette question soit résolue. Près de 1 500 chercheurs scientifiques se sont exprimés en faveur de l'adoption d'un moratoire sur le chalutage de fond en haute mer.

Je pense que vous auriez du mal à trouver un scientifique qui n'approuve pas le moratoire. L'opinion unanime écrasante des scientifiques est que le moratoire est justifié et prudent. Il ne sert à rien de mettre au point un plan de gestion si c'est pour poursuivre le chalutage et continuer à endommager les zones que l'on a l'intention de protéger plus tard. Nous ne le faisons pas dans les eaux canadiennes. Nous ne laissons personne pratiquer la pêche sans un plan de gestion. Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose en haute mer?

Vous avez mentionné que ces bateaux sont réglementés dans les zones non réglementées parce qu'ils battent pavillon espagnol et que, par conséquent, ils respectent certaines conventions ou règles édictées par l'État du pavillon. Je vous pose la question : serions-nous à l'aise si, au large du nez et de la queue du Grand banc ou du Bonnet flamand il n'y avait aucune organisation régionale de gestion des pêches et si l'OPANO et les chalutiers espagnols y pêchaient en nous disant de ne pas nous en faire, que nous pouvons leur faire confiance parce qu'ils respectent les règles de l'État du pavillon espagnol? Nous ne sommes pas satisfaits même avec l'une des organisations régionales de gestion des pêches les plus avancées. Il n'y a qu'à considérer le genre de gestion qui s'est effectuée sous sa juridiction.

Je ne suis pas bien renseigné en ce qui concerne la zone au large des îles Malouines, mais j'imagine difficilement comment il est possible d'affirmer qu'il ne s'y trouve aucune zone fragile. À moins d'y réaliser une étude, comment en être certain?

Le président : Je vais vous faire signe lors du deuxième tour de table. Je vais céder la parole au sénateur Adams.

Le sénateur Adams : Monsieur McGuinness, dans votre mémoire, vous parlez de la limite de 200 milles et du fait que le Canada n'exerce aucun contrôle sur les scientifiques. Est-ce que les autres pays utilisent le chalutage de fond? Disposent-ils de scientifiques chargés d'effectuer des études pour expliquer comment il se fait que, année après année, ils réussissent à pêcher autant de milliers de tonnes de poissons? C'est ainsi qu'ils travaillent avec les autres pays.

M. McGuinness : Les navires qui pêchent au large des îles Malouines le long de la côte de l'Argentine ne sont pas régis par l'Espagne. Ils sont régis par l'Union européenne. Ce sont des nations qui pratiquent la pêche à grande distance. Ces nations exigent que les flottilles importantes qui pêchent dans les zones non réglementées soient munies de permis. Cela inclut l'Union européenne et le Japon. Elles exigent également la production de rapports. Elles chargent un navire de recherche de patrouiller la zone afin de déterminer si ces bateaux ne sont pas en train de pêcher à l'intérieur de la zone de 200 milles d'un pays. Ce navire de recherche recueille des échantillons des poissons récoltés et des prises accessoires, et il examine le terrain.

C'est ainsi qu'opèrent les nations de pêche responsables. Toutefois, il ne fait aucun doute qu'il existe de nombreuses nations de pêche irresponsables en haute mer. Le défi pour chacun d'entre nous, y compris la coalition internationale des associations de pêcheurs, est de faire en sorte qu'il y ait davantage de nations de pêche responsables qui prennent ce genre de précautions.

Nous pratiquons la pêche durable. Nous nous préoccupons de l'image de l'industrie des pêches et les pays se préoccupent aussi de cette image. Nous tentons de fusionner un groupe de nations pour qu'elles prennent ces questions au sérieux et qu'elles se tiennent prêtes à adopter des règles et des règlements afin que la pêche puisse continuer et que cet important approvisionnement alimentaire puisse se poursuivre. L'industrie doit être bien réglementée. Certains pays ont adopté ce point de vue, en partie parce qu'ils réagissent aux critiques lancées par les groupes environnementaux. En fin de compte, l'industrie de la pêche se bat pour une part du marché, et si ce marché décide qu'il ne veut pas manger de poisson parce qu'il n'approuve pas ce que fait l'industrie, c'est l'industrie qui perdra au change.

Le sénateur Adams : Notre comité a entendu des représentants du MPO il y a un mois environ. Ils ont déclaré qu'ils disposaient de dispositifs radar pour surveiller les stocks de poisson dans la zone de 200 milles. Il y a un moratoire sur la morue de Terre-Neuve depuis 15 ans. Ces morues s'éloignent, et il se pourrait bien qu'elles aillent frayer hors de la zone de 200 milles. Est-ce que c'est vrai? Faites-vous des études à l'intérieur de la zone de 200 milles? Est-ce que c'est le MPO qui fait les études?

Les poissons se reproduisent chaque année et ils se déplacent hors de la zone de 200 milles, et ce sont les étrangers qui les prennent. Si le dispositif qui surveille les prises sur l'un des ces navires étrangers connaît une panne, le navire en question ne se rend pas dans un port canadien. Au contraire, il rentre directement en Europe. Les pêcheurs sur ces navires se fichent pas mal de la quantité de leurs prises, parce que le dispositif ne fonctionne pas. C'est cet appareil qui calcule la quantité de prises quotidiennes pour l'équipage. Vous comprenez. Actuellement, aucune loi ne prévoit ce genre de situation.

M. McGuinness : J'aimerais faire deux commentaires. Le seul endroit où l'on a enregistré un retour de la morue est sur la zone côtière de Terre-Neuve. Les stocks de morue sont passablement stériles plus on s'éloigne en haute mer à l'extérieur de la zone de 200 milles du Canada.

Il ne fait aucun doute que, dans l'avenir, il faudra se pencher sur l'amélioration du droit international en vue de corriger cette situation. Vous avez rencontré le Dr May à St. John's. Il a fait remarquer qu'il fallait apporter des améliorations au droit international des pêches. Mais c'est difficile à réaliser.

Le sénateur Adams : Entre le Groenland et le Nunavut, nous ne nous trouvons pas tout à fait dans la zone de 200 milles. Nous avions une frontière. Je ne sais pas depuis combien d'années le Groenland pratique la pêche commerciale entre notre frontière et celle du Groenland. Depuis les cinq ou six dernières années, nous avons eu un quota au Nunavut.

Au Nunavut, certains détiennent des quotas. En revanche, on n'exerce aucun contrôle sur ceux qui prennent le poisson. C'est comme dans le reste du Canada. Vous vous rappelez du conseil des pêches; il devrait comprendre que les revendications territoriales ont été réglées en 1993. Le Nunavut a été créé en 1999. Actuellement, la situation y est la même que pour tous les autres pêcheurs canadiens. Nous souhaitons que notre situation s'apparente davantage à celle des pêcheurs de Terre-Neuve. Nous avons pêché et chassé durant toute notre existence. Nous voulons profiter du tonnage qui nous revient. Mais nous ne parvenons pas à l'obtenir.

À l'époque, le gouvernement nous avait reconnus et nous avait accordé des quotas. Les gens demeuraient dans la collectivité et entre les redevances et autres revenus semblables, c'était autant de pris pour la collectivité. Mais aujourd'hui, les choses ont changé. Aujourd'hui, c'est le Groenland qui bénéficie des redevances, et qui les revend au Groenland.

Les Canadiens veulent acheter de Terre-Neuve. Mais on ne peut pas les satisfaire, parce que ce sont des Européens qui prennent le poisson, et qu'ils sont subventionnés par le Parlement européen. Tout, le carburant et la nourriture, est subventionné. Les Canadiens ne sont pas concurrentiels. Vous payez des impôts au Parlement pour faire flotter un drapeau à Terre-Neuve, et ils remontent jusqu'au Nunavut. À l'époque des revendications territoriales, nous avions des permis pour pêcher. Maintenant, ce sont des étrangers qui utilisent nos permis pour pêcher. Les résidants de la collectivité sont incapables d'obtenir un permis de pêche. Pouvez-vous m'expliquer à quoi rime cette politique pour le Canada?

M. McGuinness : Pour moi, il n'y a aucun doute, les environnementalistes ont raté leur cible. La seule chose que nous pourrions appuyer de façon inconditionnelle serait un moratoire sur l'octroi de subventions aux navires de pêche à grande distance.

C'est en train de se faire. Je pense que dans le monde entier on reconnaît qu'octroyer des subventions aux navires de pêches à grande distance qui viennent pêcher au large des côtes du Canada ou des îles Malouines, revient à priver les pays qui ont l'avantage de se trouver à proximité de ces lieux de pêche d'emplois.

On peut déjà voir les résultats de cette situation au Nunavut. On voit les résultats au Canada. Si les navires espagnols et autres ne pêchaient pas dans ces lieux, et si nous avions pu obtenir une résolution internationale visant l'interdiction de l'octroi de subventions aux navires de pêche à grande distance, je pense que cela aurait constitué une position reposant sur des principes. Voilà la position que nous aurions pu appuyer. Nous pourrions nous attaquer à quelques problèmes.

Cependant, vous avez raison. Les pays versent des subventions. Les choses se passent curieusement du point de vue des lois sur les politiques commerciales. En effet, si nous exportons du poisson aux États-Unis, on nous reproche de subventionner les pêches et que nos exportations de poisson à destination des États-Unis nuisent à leur marché intérieur, et on fait jouer les règles relatives aux politiques commerciales. Cependant, lorsqu'un bateau de pêche est subventionné pour venir pêcher en haute mer au large de la zone de 200 milles du Canada, et qu'il rapporte ensuite ce poisson sur son marché national, cela ne suscite aucune polémique sur le plan des politiques commerciales. Il faut se pencher sérieusement sur cette situation.

Le sénateur Adams : Nous avons entrepris une étude environnementale il y a longtemps. Et nous avons trouvé que la température de l'eau au Nunavut est différente de celle autour de la côte de Terre-Neuve et dans la zone de 200 milles. Nous sommes préoccupés au sujet des personnes qui vivent dans cette région.

Quel est le pourcentage des 8 000 tonnes métriques de flétan du Groenland pêché au Nunavut? Il y a deux ou trois mois, un témoin a affirmé que les températures qui étaient froides dans l'Arctique se réchauffent depuis 1970 je pense, et que maintenant le poisson se déplace vers le Sud. Les gens s'inquiètent du réchauffement de la température. Même le MPO ne pouvait pas dire avec précision où se trouvait la zone exacte de frai chaque année dans l'Arctique. Ou peut- être le sait-on, et refuse-t-on de me le dire.

Je ne sais pas si vous connaissez bien le flétan. Où se trouve la meilleure zone de frai pour le flétan? Nous aimerions bien le savoir pour pouvoir pêcher le tonnage qui nous revient chaque année au Nunavut dans le futur. Pour le moment, le ministre nous assure qu'il ignore comment déterminer l'emplacement exact de cette zone, et la quantité de flétan que nous pouvons pêcher chaque année. Est-ce que vos recherches vous permettent d'en savoir un peu plus?

M. Butler : Tout ce que je peux vous dire c'est ce que j'ai pu glaner au fil des conférences scientifiques auxquelles j'ai assisté.

Il se peut que le changement climatique commence à exercer un effet sur la calotte polaire. Elle a commencé à fondre, aussi il y a une énorme quantité d'eau froide qui se déplace vers le sud et qui abaisse la température de l'eau. Les poissons sont très sensibles à la température de l'eau. Ils se déplacent jusqu'à ce qu'ils trouvent un milieu où la température de l'eau est confortable pour eux. C'est à peu près tout ce que je peux vous dire.

J'aimerais en savoir davantage au sujet des pêches dans le Nord. Il arrive parfois que certains expriment de l'inquiétude. Il s'agit de régions pionnières, des régions encore inexplorées et qui n'ont pas encore été pêchées de manière industrielle. Si on commençait à y pêcher le flétan au chalut, cela m'inquiéterait.

Il est à espérer que les populations locales seront en mesure de promouvoir ou d'encourager des méthodes de pêche plus durables, si elles sont disponibles, comme la pêche à la palangre pour la pêche au flétan. J'ai lu Sea of Heartbreak, un livre écrit par un compatriote de Terre-Neuve. Le livre décrit comment on se sert du filet maillant pour pêcher le flétan. C'est un livre crève-coeur.

Le sénateur Hubley : Merci de vos exposés.

Est-ce que le dragage, le chalutage, le dragage de fond et le chalutage de fond veulent tous dire la même chose?

M. Butler : Oui, plus ou moins.

Le sénateur Hubley : Est-ce que cela signifie que les organisations de chalutage que vous représentez pratiquent le dragage? Je voudrais seulement bien comprendre la définition.

L'étude ayant été effectuée à l'Université Dalhousie, à Halifax, faisait appel à un large éventail de sources. Les auteurs ont servi une mise en garde comme quoi, étant donné la vitesse avec laquelle les populations déclinent, il ne restera plus de populations viables de poissons dans l'océan d'ici le milieu du siècle. Selon cette étude menée sur quatre ans, la protection des stocks de chaque espèce de poisson dépend en réalité de la protection de l'ensemble de l'écosystème. Si seulement nous pouvions nous servir de l'expérience que nous avons accumulée sur terre, et l'appliquer aux océans, nous réaliserions que l'on ne peut pas abuser d'une partie de l'écosystème sans que cela ait des effets négatifs sur d'autres parties de cet écosystème. J'aimerais entendre vos commentaires concernant cette étude, que vous nous disiez si vous acceptez ou non ses conclusions, que vous nous expliquiez ce qu'elle représente pour nous, et si nous devrions la prendre au sérieux,

M. McGuinness : Comme vous venez de le mentionner, l'étude en question s'est penchée sur les écosystèmes. Je ne suis pas un scientifique, et je ne l'ai pas analysée en profondeur. L'étude a examiné un certain nombre d'écosystèmes, et sa seule vraie conclusion est que les écosystèmes qui abritent un éventail varié d'espèces ont plus de chances de survivre. Les auteurs ont certainement trouvé que les écosystèmes où le nombre d'espèces différentes a diminué sont plus à risque que les autres. Intuitivement, ça semble correct. Le rapport a fait l'objet de passablement de discussions ou de commentaires de la part d'autres scientifiques qui ont trouvé qu'il s'agissait d'une première étape intéressante, mais insuffisante pour en tirer des conclusions précises, à part celle que je viens de mentionner.

Marquant la différence entre les temps immémoriaux et le futur, les auteurs ont avancé cette prédiction pour 2048. Et pourtant, récemment, on a assisté à une reprise spectaculaire des pêches aux États-Unis. La pêche à la goberge de l'Alaska est désormais la plus importante pêche commerciale du monde. C'est un écosystème qui fluctue.

Cette étude est intéressante et elle a suscité pas mal d'intérêt en raison de cette prédiction un peu sensationnelle pour 2048, mais il s'agit de la première étape d'une étude plus longue qui pourrait déboucher sur de vraies conclusions.

Le sénateur Hubley : S'il s'agit de la première étude de cas produite par le milieu scientifique, et on entend très souvent que ces études sont essentielles pour prendre des décisions éclairées en matière de gestion des pêches, quelle devrait être la réaction de l'industrie des pêches? Si le milieu scientifique déclare : « Voici nos conclusions », quelle est votre réaction?

M. McGuinness : Nous nous dirigeons vers une gestion écologique de la pêche. Il y a dix ou 15 ans, les gestionnaires des pêches étudiaient la biomasse afin de déterminer l'importance du banc de reproducteurs, et ainsi de suite, avant de prendre une décision concernant cette pêche en particulier, et de lui attribuer un quota de 100 tonnes ou peu importe. C'était, à l'époque, ainsi que l'on pratiquait la science de la gestion des pêches. Maintenant, on se dirige vers ce qu'il est convenu d'appeler la gestion des pêches fondée sur les écosystèmes. Il s'agit finalement de gérer une activité humaine, mais pour y arriver, il faut prendre en considération un vaste éventail de facteurs, et pas seulement la biomasse du stock et les capacités de reproduction. En effet, désormais il faut aussi tenir compte des caractéristiques de l'habitat et des problèmes liés aux zones fragiles, ainsi que des prises accessoires et des activités associées à d'autres utilisations de l'océan. Autrement dit, on se dirige vers une approche consensuelle.

Nous avons constaté que l'ancienne méthode unidimensionnelle comportait des failles, et qu'elle a échoué à fournir à l'industrie de la pêche la durabilité et la prévisibilité dont nous avons besoin et que nous souhaitons. Le secteur de la pêche et les gestionnaires des pêches reconnaissent qu'ils doivent adopter un spectre d'analyse plus large afin d'en arriver à un plan pour la gestion des pêches, et pour analyser les problèmes plus récents des zones fragiles, des coraux et ainsi de suite inclus dans ces facteurs.

Le sénateur Hubley : Monsieur Butler, avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

M. Butler : J'ai trouvé qu'il s'agissait d'une étude très intéressante, fascinante et qui fait réfléchir. J'apprécie particulièrement l'extrait que vous en avez lu. Il définit bien la gestion d'un écosystème, et il est vrai que l'on doit prêter attention à tous les éléments d'un système.

Je me rappelle que la Division de la gestion de l'habitat du MPO avait fait inscrire sur les casquettes, les stylos et les tasses, « Pas d'habitat, pas de poisson. » Je ne sais pas si ces tasses et ces stylos sont toujours en utilisation, mais ce slogan résume bien la situation. Et cependant, nous avons abordé l'habitat maritime, le fond de l'océan, comme s'il était différent de l'eau douce et comme s'il n'y avait aucun lien entre le poisson, le fond et l'habitat. Maintenant, nous sommes en train de découvrir que ce lien existe.

Je trouve les commentaires de M. McGuinness comme quoi le chalutage se pratique sur un fond constitué pour la majeure partie de sédiments boueux et de gravier assez cavaliers. Le dragage est une technologie à haut risque. Il faut la gérer très soigneusement, et avec beaucoup de précaution. Et je ne pense pas que c'est ainsi que l'on procède dans les eaux canadiennes. Il est certain que la pêche sur les monts sous-marins en l'absence d'organisations régionales de gestion est une catastrophe. Les monts sous-marins sont des habitats profonds et stables pour les espèces dont la durée de vie est longue — entre 1 000 et 2 000 ans ou même plus — de même que pour nombre d'espèces dont la durée de vie est plus courte. Des espèces de poisson comme l'hoplostète orange ont une durée de vie appréciable qui peut atteindre 150 ans. Il est facile de les surpêcher, aussi il faut se montrer extrêmement prudents lorsque nous récoltons ces systèmes.

Boris Worm et ses collègues ont fait une projection, et non une prédiction. Son rapport a établi que si l'on faisait une projection vers le futur en se fondant sur les pratiques passées, il est probable que l'on obtiendrait tel résultat, mais que ce résultat n'est pas inévitable si nous faisons le nécessaire. Je continue à m'intéresser à la question, parce que je suis convaincu qu'il existe des moyens de faire les choses correctement. Nous pouvons pêcher dans l'océan de façon durable.

Le sénateur Hubley : Ce n'est pas la première fois que l'on nous parle de subventions. Sans les subventions, avez- vous l'impression que les flottilles de chalutage de fond fonctionneraient à perte, ou qu'elles s'efforceraient de trouver de meilleures méthodes de pêche? J'ai siégé au Comité de l'agriculture, et la possibilité qu'un pays ne subventionne pas une industrie qui, de toute évidence, fait des profits, me dépasse un peu. Je pense que c'est peu probable. Je pense aussi que nous attribuons la responsabilité de la situation à la sphère politique, et que nous tentons de lui trouver une solution politique qui ne verra peut-être jamais le jour, et que nous nous servons de cela comme excuse. Cette solution est entre les mains des collectivités de pêche, de même que la manière dont on pêche, les pratiques exemplaires, les idées novatrices sur la meilleure manière de prendre du poisson sans détruire l'habitat. Auriez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

M. Butler : Vous avez raison, cela revient en quelque sorte à détourner l'attention. J'ai trouvé intéressants les commentaires de M. McGuinness sur les subventions.

Peut-être que cela n'arrivera jamais. La question des subventions a été abordée lors de certaines conversations entre les groupes environnementalistes à l'échelle internationale. D'ailleurs, on vient de publier un document sur la question. C'est un domaine où l'on pourrait s'entendre sur une cause commune. Il est certain que la montée en flèche du prix du carburant change la donne économique dans le domaine des pêches. Certains gros dragueurs consomment beaucoup de carburant lorsqu'ils pêchent en haute mer, et cela représente des coûts énormes. Les combustibles fossiles vont modifier les conditions économiques des pêches. Je ne sais pas si cette modification ira dans le bon sens.

Le sénateur Hubley : Oui, je le crois.

M. McGuinness : Les flottilles de pêche à grande distance sont injustement avantagées pour ce qui est de la pêche en haute mer si elles sont subventionnées. Au sein de l'Union européenne, par exemple, si la flottille espagnole a une mauvaise image et si, par ailleurs, l'argent des contribuables est dépensé pour envoyer cette flottille au large de l'Argentine ou du Canada, les gens vont poser des questions. Je pense que les possibilités de fusion existent.

Mais il s'agit d'un équilibre délicat à maintenir. Il n'est pas question d'interdire absolument l'octroi de subventions dans l'industrie de la pêche, parce que, si en effet, le Canada souhaite subventionner le développement des pêches au Nunavut ou dans le Nord, il s'agit là d'une question intérieure légitime qui n'aura pas d'effet nuisible sur les autres pays du point de vue des exportations. Cependant, si le Canada voulait subventionner notre flottille de chalutiers pour qu'ils aillent pêcher au large des îles Malouines, ce ne serait pas une bonne idée.

Beaucoup de flottilles sont subventionnées pour aller pêcher au large de l'Afrique et les pays africains n'ont pas les moyens de défendre leur zone de 200 milles ou ne savent peut-être même pas où elle est; non seulement ces bateaux pêchent en haute mer, mais ils pêchent aussi dans la zone de 200 milles de nombreux pays africains. M. Butler a tout à fait raison. Si on retirait les subventions, étant donné l'augmentation du prix du carburant et ainsi de suite, le nombre de navires qui viennent pêcher en haute mer diminuerait considérablement.

Le président : Avant de céder la parole au sénateur Baker, j'aimerais poser quelques questions moi-même.

Je souhaiterais attirer votre attention sur une remarque formulée par M. Risley, de Clearwater Seafoods. Je suppose qu'il est membre de votre organisation. Il est cité dans le Chronicle-Herald pour avoir dit qu'il n'existait aucune preuve scientifique, pas l'ombre d'une preuve scientifique, que la pêche au chalut endommage les fonds marins de quelque manière que ce soit.

Je trouve cela très difficile à accepter. Est-ce qu'il a fait cette affirmation exagérée seulement pour mieux plaider sa cause? Que pense votre organisation de la déclaration qu'il a faite?

M. McGuinness : Dans mes commentaires, j'ai fait référence au rapport de 2006 publié par la Division des affaires maritimes et du droit de la mer de l'ONU qui, essentiellement, a déclaré qu'au-delà des premiers effets visibles à court terme sur la biodiversité, on ignore quels seront les effets néfastes à long terme du chalutage ou du chalutage de fond sur les écosystèmes marins fragiles et que, par conséquent, il est urgent d'entreprendre des recherches plus poussées

Je pense que M. Risley faisait référence au fait qu'il existe une importante pêche du pétoncle au large de la Nouvelle- Écosse, et que cette pêche existe depuis de nombreuses années. Elle continue d'être lucrative et de croître. Dans une certaine mesure, il s'agit d'une pêche très durable et qui se maintient à la même hauteur. Cette pêche du pétoncle est effectuée depuis nombre d'années et elle continue de produire des exportations d'une valeur de 80 millions à 100 millions de dollars par année, ce qui n'est pas négligeable.

C'est la même chose avec le Banc Georges. Il s'agit d'une pêche prolifique et elle s'effectue avec des chalutiers depuis des temps immémoriaux. Comment voulez-vous expliquer à M. Risley qu'en pêchant il cause des dommages, alors qu'il a la preuve que le pêche est durable, qu'elle est continue, qu'elle est en outre très lucrative et qu'elle produit des emplois?

Le président : S'il se limite à la zone du Banc Georges, c'est autre chose. La citation ne faisait pas mention du Banc Georges, mais cette question en entraîne une autre, celle de la technologie. Nous avons appris que si vous cessiez d'utiliser les chaluts — par exemple pour la pêche à la crevette, comme on nous l'a expliqué au Labrador — il n'y aurait pas d'autre moyen de pratiquer cette pêche. La solution est qu'il faut modifier la technologie.

La question est plus vaste et concerne également l'effet de la technologie elle-même et les grands bateaux équipés d'engins avancés. Il est absolument hors de tout doute que la destruction de la morue a été causée par l'application de la technologie. M. Crosbie et tout un chacun l'admettront. Il se peut que certains facteurs environnementaux aient joué, mais au-delà de la zone de 200 milles, il est clair que l'utilisation de toute cette technologie pour récolter la ressource a eu raison d'elle. Il ne subsiste aucun doute là-dessus.

Nous voulons déterminer dans quelles circonstances la technologie est inévitable, et doit être utilisée, et dans quelles circonstances elle ne l'est pas. Il se peut que le Banc Georges soit une ressource durable malgré l'utilisation de cette technologie. Mais cela ne veut pas dire que c'est vrai partout ailleurs. En tant que comité, nous voulons en arriver à déterminer ce qui est juste dans l'application de la technologie, et ce qui ne l'est pas.

M. McGuinness : Vous avez tout à fait raison. C'est la direction que la gestion des pêches fondée sur les écosystèmes veut suivre. Nous devons examiner tous ces facteurs, y compris les prises accessoires, les engins utilisés, l'habitat et ainsi de suite. Le résultat sera peut-être qu'il faudra utiliser une mosaïque de stratégies de gestion des pêches qui dictera qu'un certain type d'engin n'est peut-être pas celui qui convient le mieux dans une zone en particulier, même s'il convient très bien ailleurs.

Le président : Est-ce que votre organisation investit de l'argent dans la recherche sur les types d'engins de pêche? Y a-t-il une évolution, du développement ou des modifications des types d'engins?

M. McGuinness : Le Conseil canadien des pêches lui-même n'investit pas d'argent dans la recherche, parce que nous sommes essentiellement le porte-parole des usines de transformation, mais des associations membres comme le Conseil des allocations aux entreprises d'exploitation des poissons de fond et les flottilles de dragueurs à pétoncles ont investi pas mal d'argent dans la technologie. Le développement technologique le plus important pour la pêche du pétoncle a été la cartographie à l'aide d'un sondeur multifaisceaux du plancher océanique, ce qui permet aux pêcheurs de déceler et de marquer les zones fragiles et aussi de déterminer si les pétoncles sont suffisamment matures pour être récoltés. Le dragage des fonds a donc diminué considérablement parce que l'on est en mesure de mieux cibler la ressource. C'est une bonne chose, non seulement pour l'environnement, mais c'est aussi très bénéfique du point de vue économique parce que l'on consomme moins de carburant.

Lorsque les crevettiers ont commencé à récolter, on leur a reproché les prises accessoires, aussi, l'industrie et le ministère des Pêches et des Océans et d'autres parties intéressées ont réalisé des investissements conjoints dans la mise au point de certains types de filets qui laissent passer les poissons de fond. Ce type de recherche est extrêmement important.

Les représentants du Marine Institute de Terre-Neuve-et-Labrador vous diront qu'ils collaborent massivement avec des entreprises comme Fishery Products International entre autres. Il ne s'agit pas tant de travaux destinés à accroître notre rendement que de recherches visant à réagir aux critiques et aux commentaires concernant l'empreinte que nous laissons sur l'environnement. À l'heure actuelle, la majorité des sommes investies visent non pas l'amélioration du rendement, mais plutôt la réduction des effets de la technologie sur l'environnement.

Le président : Vous avez mentionné le sondage du centre de recherche Decima. Je constate que vous en arrivez tous deux à des conclusions différentes en ce qui concerne ce sondage. Quelles ont été les conclusions réelles de l'enquête de Decima?

M. McGuinness : Le sondage a indiqué que les répondants préféraient la protection des zones fragiles au moyen d'une réglementation plutôt que l'interdiction pure et simple du chalutage.

Le sénateur Baker : La déclaration de M. Risley comme quoi le dragage n'a aucun effet sur les poissons a été citée abondamment. Le grand public sait très bien à quoi s'en tenir au sujet des dragueurs; ce sont ces énormes dispositifs qui raclent le fond de l'océan. On installe des portes ou des poids entre les deux, comme dans le cas des chalutiers crevettiers. Les étrangers utilisent des dragueurs de 100 pieds de longueur, supportant un poids de 30 tonnes et un autre dragueur à l'autre extrémité. C'est ce qu'ils sont arrivés à mettre au point sur notre plateau continental.

Lorsque j'ai entendu la déclaration de M. Risley, j'ai immédiatement pensé à un comité dont j'ai fait partie qui étudiait le frai de la morue. Nous avons appris que les scientifiques norvégiens ont mis au point d'énormes réservoirs dans lesquels ils étudient le comportement de la morue. Le frai est un processus très délicat. Un mâle et une femelle établissent un territoire dans une partie de l'océan durant trois semaines. Si vous jetez de la nourriture dans ce territoire durant la période de frai, les poissons ne se reproduiront pas; ils vont se jeter sur les parois du réservoir. Lorsque M. Risley a fait ce commentaire, je me suis demandé s'il aimerait qu'un dragueur traverse sa chambre à coucher. C'est tout simplement absurde que d'affirmer qu'un dragueur n'a aucun effet sur les habitudes de frai des poissons.

Si certains trouvent que je suis un peu dur à l'endroit de M. McGuinness, rassurez-vous, je ne le vise pas personnellement. Après tout, il jouit de l'appui du gouvernement du Canada et des gouvernements des provinces; ils sont tous d'accord avec lui. Tous les partis politiques, et même le NPD à Terre-Neuve, se sont exprimés favorablement à l'égard de ses déclarations.

Le président : Pensez-vous qu'il s'agit d'une position réglée par des principes?

Le sénateur Baker : M. McGuinness la qualifierait sans doute de position réglée par des principes. Mais ces principes sont aussi rigoureux que ceux qui sous-tendent son raisonnement concernant la pêche à la drague en haute mer.

Monsieur Butler, concernant le sondage de Decima, selon le ministre des Pêches et des Océans et M. McGuinness, 70 p. 100 des Canadiens sont favorables au dragage, ils sont favorables à ce que ces énormes bateaux raclent le fond de l'océan en haute mer. Est-ce que vous croyez cela?

M. Butler : Nous avons nous-mêmes procédé à quelques sondages, et bien entendu les gens ont toujours des commentaires à formuler à ce sujet. Le premier sondage que nous avons réalisé s'est déroulé dans le Canada atlantique, avant le débat entourant le moratoire sur la pêche en haute mer. Il portait sur les effets du chalutage et sur les mesures que le gouvernement devrait prendre à cet effet. Je serais très heureux de vous transmettre les questions et les réponses.

La société de sondage nous est revenue avec une formulation révisée. Je n'étais pas particulièrement satisfait de cette formulation, mais on m'a dit que pour que le public accorde une certaine crédibilité aux résultats, il fallait que le sondage soit rédigé de façon aussi neutre et équitable que possible.

Plus de 90 p. 100 des répondants ont déclaré que l'on devrait prendre de nouvelles initiatives pour réglementer les effets du chalutage dans les eaux canadiennes. Environ 70 p. 100 ont déclaré que l'on devrait prendre de nouvelles initiatives, comme fermer certaines zones, et le reste — ce qui revient à peu près à ce qu'a dit M. McGuinness. Fait intéressant, à l'Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve, l'une des solutions envisagées consistait à interdire complètement les engins, ce qui n'est pas une position préconisée par l'Ecology Action Centre, mais plutôt l'une des suggestions ressorties du sondage. En effet, à l'Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve, 26 p. 100 de la population a déclaré que le chalutage devrait être interdit dans les eaux canadiennes. À Terre-Neuve, on a développé un fort ressentiment et de la colère à l'endroit de cette technologie et de la manière dont elle a été utilisée et même mal utilisée.

Le sénateur Baker : Est-ce que les 84 p. 100 qui restent étaient en faveur de cette technologie?

M. Butler : Non. Ils trouvaient qu'un train de mesures devraient être adoptées suivant les recommandations de l'Ecology Action Centre.

Le sénateur Baker : Avez-vous jeté un coup d'oeil sur les questions et réponses du sondage mentionné par le ministre des Pêches et des Océans et par Decima?

M. Butler : J'en ai une copie.

Le sénateur Baker : La question posée est la suivante : si 14 000 familles tirent leur subsistance de la pêche, et si cette technologie n'entraîne aucun effet négatif sur l'environnement ni sur les pêches, j'approuverais le chalutage.

M. McGuinness : Si vous me permettez un commentaire, j'ai transmis le vrai questionnaire du sondage de Decima à M. Heyde, et j'espère qu'il le distribuera à tous les membres du comité, parce que ce n'est pas la question.

Le sénateur Baker : Et quelle est la question?

M. McGuinness : Le sondage disait : « La récolte commerciale du poisson dans les eaux du Canada atlantique au moyen d'engins de pêche qui entrent en contact avec le sable et les sédiments boueux ou le gravier du fond de l'océan, notamment le chalutage de fond, produit chaque année l'équivalent de 1 milliard de dollars en fruits de mer et contribue à assurer la subsistance de 14 000 pêcheurs et travailleurs à terre. La majeure partie de cette récolte est effectuée chaque année dans les mêmes zones où, un peu comme dans l'agriculture, l'abondance de certaines espèces peut se trouver réduite durant une certaine période après le contact du matériel avec le sol. Le gouvernement fédéral réglemente cette pratique afin de s'assurer que la prise de poissons ne dépasse pas les niveaux garantissant la durabilité de la ressource. Dites à quel point vous êtes d'accord ou en désaccord avec la poursuite de cette activité de récolte? » Viennent ensuite les choix de réponse : fortement d'accord, plutôt d'accord, plus ou moins d'accord, plutôt en désaccord, fortement en désaccord, ne sait pas.

Le sénateur Baker : Qui pourrait ne pas être d'accord avec cet énoncé — c'est-à-dire, avec une pêche durable sous surveillance? Ce n'est pas la même chose que si l'on demandait : êtes-vous d'accord avec le chalutage.

M. McGuinness : Quelle partie de cet énoncé est inexacte?

Le sénateur Baker : Aucune partie de cet énoncé n'est inexacte, mais une réponse positive ne constitue nullement l'acceptation du chalutage en haute mer par des Canadiens. Ce n'est pas une acceptation par des Canadiens, point final.

M. McGuinness : Notre commentaire était que neuf Canadiens sur dix préfèrent la protection des zones maritimes fragiles à l'interdiction des engins de pêche en contact avec le fond de l'océan. Pour revenir plus particulièrement sur l'interdiction de l'activité, nous sommes d'accord avec Mark Butler et compagnie quand ils affirment qu'il faut cerner les enjeux, définir les problèmes et demander à l'industrie et au gouvernement de se réunir afin de réglementer cette activité pour empêcher des effets négatifs à long terme de se produire.

Le sénateur Baker : Je vais poser une question à M. Butler concernant la réaction. Il se bat depuis des années pour l'amélioration des opérations de pêche. Je suis sûr qu'il définirait la pêche à la traîne comme j'ai appris à la définir moi- même au fil des années, c'est-à-dire l'action de pêcher au moyen d'une longue ligne équipée de deux flotteurs à chaque extrémité et munies d'hameçons avec lesquels on prend le poisson. Il s'agit de la méthode la plus écologique et la meilleure pour prendre du poisson. Cette méthode n'a rien à voir avec le chalutage en haute mer où les pêcheurs canadiens ne s'aventurent même pas. Est-ce qu'il se décourage parfois? Il se bat pour cette cause depuis de longues années déjà.

Monsieur Butler, je me rappelle avoir siégé à des comités devant lesquels vous avez comparu, et vous n'avez cessé de répéter le même message. Vous ne faites pas beaucoup de progrès, on dirait. Les poissons continuent de disparaître le long de nos côtes. Et nous sommes toujours la seule nation dans le monde où les quotas intérieurs sont déterminés par 17 pays étrangers. Il n'y a pas une concession contingentaire située le long de la Côte atlantique du Canada qui ne soit qualifiée de zone de l'OPANO. L'OPANO gère nos ressources jusqu'à la ligne de démarcation. Il y a huit espèces de poissons à l'intérieur de la zone de 200 milles.

Nous n'avons pas fait de progrès. Vous défendez toujours la même cause. Mais vous venez tout juste de perdre un important débat aux Nations Unies. Tous les partis politiques vous affirment que vous avez tort. Quel gouvernement provincial s'est porté à votre défense?

M. Butler : C'est exactement sur cette note que j'ai conclu mon exposé, en réclamant du changement. Nous sommes venus bien près de réussir à l'ONU. À la toute fin, un seul pays, l'Islande, a bloqué le dernier mouvement en faveur d'un moratoire. Cette attitude a suscité une grande agitation en Islande et les discussions vont bon train entre le ministre des Pêches, le ministre de l'Environnement et le ministre des Affaires étrangères sur cette question.

Je pense que l'opinion de M. McGuinness et de ses collaborateurs a exercé une trop forte influence sur la politique du MPO et sur ses bureaucrates, ce qui devrait lui faire chaud au coeur. Mais je ne pense pas que ce résultat nous ait rendu service. Nous devons évoluer sur cette question des engins de pêche.

Il y a cinq ou dix ans, les États-Unis tiraient de l'arrière en ce qui concerne le règlement de cette question. Aujourd'hui, ils sont en avance. Ils sont en effet prêts à reconnaître que les engins de pêche utilisant une ligne et des hameçons sont beaucoup moins dommageables qu'un dragueur qui racle le fond de l'océan à la recherche de poissons. L'Islande l'a reconnu elle aussi, même si elle a adopté la mauvaise position concernant le moratoire sur la pêche en haute mer.

Je me suis entretenu avec des transformateurs de la Nouvelle-Écosse qui se préoccupent de cette question. Ils entrevoient un marché aux États-Unis pour le poisson pêché à la palangre et à la traîne, parce que ce poisson va chercher un prix plus élevé sur le marché ouvert. Il s'agit en effet d'un produit de qualité supérieure.

Il y a des endroits où l'on peut pratiquer la pêche à la drague. Je dirais que dans 5 à 10 p. 100 du Banc Georges, si vous voulez pêcher le pétoncle et s'il s'agit d'un territoire pour le pétoncle, allez-y, ne vous gênez pas. Cependant, il faut tenir compte d'un facteur, que les États-Unis ont déjà reconnu, et c'est le fait que la pêche du pétoncle risque d'avoir une incidence sur l'habitat des jeunes morues. Lorsque l'on drague une zone pour y pêcher le pétoncle, cela revient à une coupe à blanc. Il est facile de voir la différence entre une zone où l'on a pêché le pétoncle et une autre zone non récoltée. En effet, dans les zones non récoltées, toutes sortes d'organismes prospèrent. C'est peut-être dans ces zones que se cachent les jeunes morues. Si on détruit leur habitat, elles sont davantage exposées à la prédation par les morues de plus grande taille.

Du côté américain, on a reconnu l'incidence du dragage du pétoncle sur l'habitat, et on a décidé de fermer certaines zones à la pêche du pétoncle parce qu'elles sont des habitats pour les jeunes morues. Au Canada, nous n'avons rien fait de semblable.

Nous sommes en retard. Les États-Unis ont pris cette décision en 2001. Les gestionnaires de pêche l'avaient réclamée. Les groupes environnementalistes ont fait appel aux tribunaux. Il y a eu nombre de litiges devant les tribunaux américains. Je me suis entretenu avec des observateurs, des scientifiques et des pêcheurs qui revenaient d'Alaska après y avoir travaillé. Ils ont pris beaucoup d'avance sur nous concernant la gestion des pêches. C'est vraiment dommage.

Le sénateur Baker : Vous avez mentionné tout à l'heure ce livre sur le Nunavut, et le sénateur Adams en a parlé lui aussi. Il a mentionné la pêche à la traîne à Broughton Island, et aussi le fait que le poisson de qualité supérieure pêché dans l'océan obtient le meilleur prix sur le marché. Que se passe-t-il maintenant? La pêche a évolué vers l'utilisation des filets maillants, puis des dragueurs, et maintenant, ce sont les dragueurs étrangers qui viennent pêcher dans la même zone. Voilà le genre de progrès que nous avons fait.

Au Canada, nous avons des règlements. Le plus gros bateau que l'on peut utiliser pour la pêche ne doit pas mesurer plus de 65 pieds. Si vous êtes pêcheur et que vous voulez obtenir un quota, vous pouvez vous procurer un crevettier de 65 pieds. C'est la limite. Je sais que des entreprises réclament l'annulation de ce règlement. Monsieur le président, vous vous êtes intéressé de près à cette question.

Tout à l'heure, M. McGuinness a parlé du merlu. Dans le passé, le merlu argenté représentait une fameuse pêche sur les côtes de la Nouvelle-Écosse. Les dragueurs étrangers mesuraient dans le temps 300 pieds de long. De nos jours, ils mesurent entre 175 et 200 pieds de long, ce qui est beaucoup plus qu'aucun de nos bateaux n'a jamais mesuré.

Avez-vous la moindre idée pourquoi nous, au Canada, voudrions appuyer ces énormes dragueurs qui raclent le fond des océans? Y a-t-il une seule bonne raison pour laquelle nous devrions donner notre appui à ces flottilles internationales, et surtout en haute mer?

M. Butler : J'ai entendu vos commentaires au sujet du raisonnement de Loyola Hearn. J'avoue que j'entretenais certains espoirs à l'endroit de M. Hearn lorsque nous nous sommes rencontrés en mai. Sylvia Earle, une scientifique de renommée internationale, est venue ici. Elle a rencontré M. Hearn. Elle lui a déclaré que nous devions appuyer ce moratoire, et elle lui a expliqué pourquoi. Cette femme a à son actif une liste incroyable de réalisations, et notamment le record de la plus longue plongée à grande profondeur.

À la suite de quoi, M. Hearn a déclaré que le dragage endommage les stocks et les habitats. C'était la première fois que l'on entendait un ministre des Pêches faire une déclaration aussi catégorique. Le précédent ministre, Geoff Regan, avait déclaré quant à lui que le dragage cause certains dommages, mais qu'il en est ainsi de tous les engins de pêche; c'est une question très controversée, et il n'est pas facile d'y voir clair. Nous ne tenons pas à nous en prendre à un engin en particulier.

Je me suis dit que peut-être que ce type originaire de Terre-Neuve, qui connaît la pêche, qui s'est tenu au bout du quai, et dont le propre père est pêcheur, allait peut-être faire quelque chose. Puis, à la fin de septembre, il a publié un communiqué de presse dans lequel il déclarait que nous n'allions pas appuyer le moratoire. Le Conseil canadien des pêches a publié à son tour un communiqué pour faire connaître sa position, et voilà, c'en était fait.

Des pays comme l'Australie déclarent que dans les zones où il existe des organisations régionales de gestion des pêches, il faut mettre des mesures en place. Dans les zones où les organisations régionales de gestion des pêches sont en construction, il y a un calendrier précisant à quel moment il faudra faire quelque chose; et dans les zones où il n'y a pas d'organisations régionales de gestion des pêches, il faut appuyer le moratoire. La Nouvelle-Zélande et les États-Unis ont adopté la même attitude. Au bout du compte, lors des négociations tenues à New York, même l'UE était prête à emboîter le pas. Le Canada fait équipe avec l'Espagne. Est-ce qu'un certain ministre des Pêches ne s'est pas envolé vers New York pour y régler quelque chose avec l'Espagne?

Le sénateur Baker : Il y a quelques minutes, vous avez attribué la responsabilité de cette situation à M. McGuinness. Je ne blâmerais pas M. McGuinness pour cela. Après tout, il ne fait que son travail de représentant des transformateurs et, naturellement, les gouvernements sont derrière lui. Les syndicats et les partis politiques aussi sont derrière M. McGuinness sur ces questions.

Vous avez laissé entendre que ce sont les gens influents, ceux qui exercent une certaine influence sur le gouvernement et sur l'opinion publique qui se fourvoient.

Permettez-moi de vous poser une simple question. La personne responsable de la gestion des pêches au Canada, celle qui représente le gouvernement canadien et qui donne des conseils au ministre est le président de l'OPANO. C'est un homme charmant et très intelligent. Le président d'une organisation internationale telle que l'OPANO, qui représente 17 nations étrangères, ne peut pas vraiment se permettre d'aller directement à l'encontre de cette organisation, ou alors il faudrait qu'il démissionne. Pensez-vous qu'il existe un conflit d'intérêts, sinon réel, du moins un conflit d'intérêts apparent, dans le fait que la personne responsable de la gestion des pêches au Canada, autrement dit, celle qui prend les décisions et qui rédige les lettres pour le ministre, préside également une organisation internationale représentant 17 nations, et que chacune de ces nations utilise uniquement des dragueurs? Ces pays n'utilisent aucun autre type de bateau de pêche. Ils draguent le fond de l'océan sur notre plateau continental. Est-ce que vous n'y voyez pas un conflit d'intérêts?

M. Butler : Vous parlez de David Bevan?

Le sénateur Baker : Oui.

M. Butler : La réponse est oui.

Le sénateur Baker : Je n'ai rien contre M. Bevan.

M. Butler : Peut-être que M. McGuinness se trouve lui aussi dans une position difficile à titre de président de la coalition internationale des associations de pêcheurs, l'ICFA. Mais peut-être après tout qu'il ne voit pas les choses du même oeil que moi.

Malheureusement, la position du Canada ne me surprend nullement étant donné l'attitude adoptée par M. Bevan à l'égard des pêches au cours des 10 ou 15 dernières années. On constate en effet une réticence extrême à reconnaître que certains engins de pêche pourraient entraîner des dommages plus importants que d'autres, même si cela est évident pour tout le monde.

Si j'ai bien compris, le NPD et le Bloc étaient en faveur du moratoire.

Le sénateur Baker : Ils ne le sont pas à Terre-Neuve. Le chef du NPD à Terre-Neuve a déclaré qu'il approuvait la position adoptée par le gouvernement canadien et celle du gouvernement conservateur de la province. Ils ne veulent pas d'une interdiction du dragage. Les plus vastes lieux de pêche se situent au large de Terre-Neuve-et-Labrador.

Et les syndicats appuient M. McGuinness.

M. Butler : Nous optons pour le plus petit commun dénominateur. Nous ne voulons offenser aucun utilisateur d'engins de pêche, aussi nous essayons de plaire à tout le monde, mais en fin de compte, nous ne réussissons qu'à mécontenter tout le monde.

Pourquoi n'imitons-nous pas la Norvège? Ce pays a décidé de réglementer les effets du dragage, tout en continuant de permettre son utilisation. Il a adopté une ligne beaucoup plus dure en ce qui concerne ce type d'engin. Et on se préoccupe davantage de ses effets. On n'essaie pas d'éviter le sujet.

Le sénateur Baker : Il reste que les pêcheurs de ce pays n'en viennent pas moins chez nous pour y draguer notre plateau continental. Tout comme l'Irlande.

Le président : Ce fut une réunion des plus intéressantes. Les échanges ont été corsés, mais c'est notre lot en politique.

Je tiens à remercier nos deux invités de s'être montrés si francs avec nous et d'avoir pris par à cette discussion animée.

Divers points de vue ont été exprimés. Notre comité va s'efforcer d'adopter une position juste et équitable, et de ne pas favoriser un côté au détriment de l'autre. Vous nous avez aidés à rétablir un certain équilibre sur ces questions.

La séance est levée.


Haut de page