Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 8 - Témoignages du 8 mai 2007
OTTAWA, le mardi 8 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit ce jour à 18 h 59 pour examiner les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada et en faire rapport.
Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous accueillons aujourd'hui des représentants du Nunavut. Les sénateurs se souviendront que le comité avait effectué en 2003 une étude concernant l'attribution de l'un des quotas aux pêcheurs du Nunavut. Le sénateur Comeau s'en souviendra très bien. Des témoins avaient comparu entre mi-septembre et novembre 2003 puis en février 2004.
Le rapport du comité portait sur les retombées économiques de la pêche au flétan noir et nous voulons maintenant faire le point à ce sujet. J'ai donc le grand plaisir d'accueillir nos témoins et j'invite Paul Kaludjak à présenter les personnes qui l'accompagnent puis à faire sa déclaration liminaire, après quoi nous aurons une période de questions.
[Le témoin s'exprime en inuktitut.]
Paul Kaludjak, président, Nunavut Tunngavik Incorporated : Merci, monsieur le président. Je sais que vous n'avez pas d'interprètes en inuktitut.
Le président : En effet, et je ne connais malheureusement que deux mots d'inuktitut, ce qui nous nous mènerait pas loin.
M. Kaludjak : Je parlais il y a un instant avec les sénateurs du voyage que nous avons effectué pour venir ici. Nous constatons que vous avez eu un été très long dans votre région car, dans le Nord, nous faisons encore de la motoneige. Nous avons encore beaucoup de neige et nous pourrions encore construire des igloos si nous le voulions.
Je suis accompagné de Joanasie Akumalik, notre directrice des relations gouvernementales à Ottawa, de John Merritt, notre conseiller juridique, également basé à Ottawa, et de Glenn Williams, notre conseiller principal sur la faune, basé au bureau d'Iqaluit. Nous sommes donc deux à être venus du Nunavut et les deux autres travaillent ici, à Ottawa, ce qui leur permet de profiter du beau temps avec vous.
Je tiens à remercier les membres du comité d'avoir invité les représentants de la Nunavut Tunngavik Incorporated à venir parler des questions de pêche au Nunavut. La Nunavut Tunngavik Incorporated représente les Inuits sur toutes les questions concernant l'accord sur les revendications territoriales et les droits et intérêts des Autochtones dans ce contexte. Hélas, notre spécialiste de ces questions n'a pas pu nous accompagner aujourd'hui à cause d'autres engagements concernant précisément les activités de pêche de la Société.
Pour commencer, j'aimerais préciser que les entreprises de pêche commerciale du Nunavut en sont encore à leurs premiers balbutiements comparativement aux entreprises de pêche de l'Atlantique. Il n'en reste pas moins qu'elles ont fait d'énormes progrès et ont beaucoup accompli en très peu de temps.
En 1987, les pêcheurs du Nunavut ont été les premiers Canadiens à se lancer dans des activités de pêche expérimentale au flétan noir dans la sous-zone 0. Aujourd'hui, le total des prises admissibles, le TPA, pour le flétan noir dans la zone 0A est de 6 500 tonnes et ce quota a été entièrement attribué aux pêcheurs du Nunavut.
Malgré les progrès réalisés, les pêcheurs du Nunavut ont encore de nombreux défis à relever pour établir une pêche commerciale comparable à celle du reste du Canada. Nous sommes notamment confrontés à deux principaux handicaps : le manque d'infrastructures, comme vous le savez, et des politiques et pratiques discriminatoires en ce qui concerne l'attribution des quotas.
Pour ce qui est des infrastructures, le Nunavut n'a toujours pas de ports pour petits bateaux ni de grands ports comme il y en a dans le reste du pays. Les pêcheurs du Nunavut commencent lentement à investir dans des bateaux de pêche commerciale et sont maintenant actionnaires majoritaires de deux chalutiers congélateurs et d'un fileyeur. Cela dit, nous manquons encore de capitaux et, sans infrastructures adéquates, nous restons handicapés par les contraintes économiques et géographiques inhérentes à l'environnement isolé de l'Arctique.
Il est crucial d'investir dans les infrastructures au Nunavut si nous voulons tirer pleinement parti du potentiel de la pêche commerciale. Sans infrastructures, il nous sera toujours impossible de bâtir une économie durable au Nunavut.
De plus, le Nunavut continue de faire face à de la discrimination ethnique et régionale sur le plan de la gestion de la pêche commerciale par le gouvernement fédéral. Dans les autres régions, les résidents des provinces reçoivent régulièrement 85 à 100 p. 100 des quotas de pêche attribués dans les eaux locales. Au Nunavut, nous n'en recevons que 50 à 60 p. 100 environ et nous estimons que cette discrimination non seulement limite nos perspectives économiques mais aussi contrevient à la garantie d'égalité de la Charte canadienne des droits et libertés.
Nous avons fait certains progrès ces dernières années en ce qui concerne la pêche expérimentale mais nous demeurons insatisfaits de ce que nous estimons être l'iniquité foncière de la répartition des quotas de la pêche commerciale. Par exemple, le Nunavut n'a toujours droit qu'à 27 p. 100 du quota commercial de flétan noir dans la zone 0B et n'a pas accès aux 1 500 tonnes de la pêche concurrentielle.
Ce traitement discriminatoire se manifeste dans les modalités applicables aux pêcheurs hauturiers du Nunavut en matière de délivrance de permis et d'administration. Aucun permis d'entreprise n'a jamais été délivré à des pêcheurs du Nunavut pour la pêche du poisson de fond dans la zone OB et les pêcheurs du Nunavut obtiennent leur permis par la voie de quotas individuels qui sont assujettis à une redevance en raison de leur caractère limité.
Dans le cas de la pêche à la crevette nordique, les pêcheurs du Nunavut ont accès à seulement 30 p. 100 du quota dans les eaux contiguës au Nunavut. La majeure partie de ce quota de 30 p. 100 est constituée de crevettes ésopes dont la valeur marchande est moins élevée que celle de la crevette nordique et, ici encore, cette pêche est gérée comme une pêche expérimentale.
Le Nunavut ne détient que 1,5 des 17 permis d'entreprise assortis d'un quota de pêche à la crevette nordique. Un permis complet est détenu par la Qikiqtaaluk Corporation et un demi-permis est partagé avec la Makivik Corporation représentant les Inuits du Nord du Québec.
En conclusion, monsieur le président, la Nunavut Tunngavik Incorporated invite le comité à appuyer ses quatre recommandations concernant l'avenir de la pêche au Nunavut. Premièrement, le gouvernement fédéral doit continuer d'appuyer le Conseil de gestion faunique du Nunavut, la Nunavut Tunngavik Incorporated et le gouvernement du Nunavut dans les efforts constants qu'ils déploient pour instaurer une pêche responsable pour le Nunavummiut.
Deuxièmement, le gouvernement fédéral doit intensifier ses efforts pour élargir l'accès et les quotas attribués aux pêcheurs du Nunavut dans les eaux contiguës dans le but d'assurer l'égalité avec toutes les autres régions côtières du Canada — c'est-à-dire qu'on leur attribue 80 à 90 p. 100 des ressources halieutiques côtières.
Notre régime de pêche devrait respecter totalement les dispositions de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et de la Charte canadienne des droits et libertés. La Nunavut Tunngavik Incorporated a offert de négocier un échéancier raisonnable et équitable d'élimination de la discrimination afin d'atteindre par étapes la parité complète avec les autres régions du Canada mais, malheureusement, le ministre des Pêches et des Océans n'a pas accepté notre offre.
Troisièmement, en collaboration avec le Nunavut, le gouvernement fédéral doit formuler et mettre en œuvre un programme d'investissement dans les infrastructures pour doter le Nunavut des infrastructures de pêche fondamentales qu'on tient pour acquises dans les zones côtières atlantiques du Sud. L'absence d'infrastructures nuit à nos perspectives de pêche commerciale et, en particulier, au volet de la pêche intérieure indispensable pour établir une pêche commerciale équilibrée au Nunavut.
Quatrièmement, le gouvernement fédéral doit accroître sensiblement le budget de la recherche scientifique et expérimentale sur les ressources marines contiguës au Nunavut. L'épanouissement de la pêche au Nunavut exige l'instauration d'une solide plate-forme scientifique.
Je vous remercie de votre attention, monsieur le président.
Le président : Avant de passer aux questions, puis-je vous demander d'expliquer la relation entre le Conseil de gestion faunique du Nunavut, la Nunavut Tunngavik Incorporated et le gouvernement? Pouvez-vous expliquer la composition de ces trois organismes et leurs relations?
M. Kaludjak : D'accord. Je vais vous répondre puis demander à M. Merritt s'il a quelque chose à ajouter.
Le gouvernement du Nunavut a été créé au titre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut en 1993. En vertu de l'Accord, plusieurs organisations devaient être créées, comme le Conseil de gestion faunique du Nunavut, ce qui a été fait.
D'autres organisations ont été créées dans le même contexte, comme les conseils de gestion de l'eau et diverses organisations environnementales.
La relation entre ces entités est une relation de collaboration, d'échange d'idées et de création de groupes de travail quand c'est nécessaire — sur les questions de pêche, par exemple, le travail en équipe, la résolution des difficultés, et cetera. En bref, c'est une relation de collaboration et de travail en coopération sous l'égide du gouvernement responsable, le gouvernement fédéral.
Le président : Bien. Deux de ces organisations sont des entités composées d'élus. La troisième est un regroupement d'associations de chasseurs et de piégeurs, si c'est ainsi qu'on les appelle dans vos régions. Donc, les deux gouvernements sont élus, et la Nunavut Tunngavik Incorporated est aussi élue, n'est-ce pas?
M. Kaludjak : Oui, la Nunavut Tunngavik Incorporated et le gouvernement du Nunavut sont des organisations élues. Quant aux chasseurs et aux piégeurs, ils tiennent leurs propres élections, au niveau local, et les membres du Conseil de gestion faunique du Nunavut sont nommés par le truchement de ces groupes.
Le sénateur Baker : Les résidents du Nunavut ne détiennent que 30 p. 100 des quotas de crevettes contiguës au Nunavut et 27 p. 100 des quotas de flétan noir dans la zone 0B qui se trouve à peu près au milieu de la côte du Nunavut. Vous dites qu'il faudrait appliquer le principe de la région contiguë. Bien sûr, nous sommes tous d'accord avec vous là-dessus et je peux vous dire que le sénateur Adams et le sénateur Watt prêchent la bonne parole à ce sujet depuis longtemps.
Quelle est la distance entre cette côte et la ligne de partage entre le Nunavut et le Groenland?
M. Kaludjak : La limite se situe à peu près au milieu. Je n'ai pas amené mon ruban pour faire les mesures. C'est à peu près à mi-chemin vers le Groenland et l'île de Baffin. En fait, comme c'est un arc, il est assez difficile d'exprimer ça exactement en milles.
Le sénateur Baker : Ce sont totalement des eaux canadiennes. Il n'y a pas de zone internationale. De ce fait, c'est uniquement avec le gouvernement fédéral que vous avez un litige, qui est d'ailleurs légitime. Vous dites que vous n'avez que 1,5 permis de pêche à la crevette sur 17. C'est bien vrai? Nous savons que deux de ces permis appartiennent à un dentiste habitant en Floride — deux des permis restants.
D'après vous, comment faire sortir ces gens-là de la pêche? Croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait intervenir, par souci de justice, et tout simplement annuler ces permis ou les racheter? Ce sont des permis qui sont renouvelés chaque année, n'est-ce pas? Chaque année, vous devez renouveler les vôtres et ils doivent renouveler les leurs, et c'est le gouvernement fédéral qui décide d'accorder le renouvellement ou non. Comment pourrait-on se débarrasser de ces dentistes ou autres qui possèdent des permis et qui habitent en Floride, afin que votre population ait accès à sa ressource?
M. Kaludjak : Les mots savants seraient « dévolution » et « allocation » pour donner la responsabilité au Nunavut — aux Inuits et aux gens qui gèrent le Nunavut. Il faut leur donner la responsabilité et cesser de refuser de le faire parce que nous n'avons pas l'infrastructure. Si vous voulez que nous assurions l'épanouissement de notre pêche, il faut que nous ayons l'infrastructure. Ainsi, on ne pourrait pas continuer à nous voler. Vous devez nous donner la possibilité de gérer la pêche du Nunavut, comme nous y avons droit, et cesser de confier cette responsabilité à quelqu'un d'autre. Donnez-nous les permis pour que nous puissions nous occuper nous-mêmes de notre pêche.
Le sénateur Baker : Entre-temps, en attendant que vous ayez l'infrastructure et les bateaux, croyez-vous que le gouvernement fédéral devrait vous accorder les quotas étant donné qu'un grand nombre des personnes qui les détiennent actuellement ne pratiquent pas la pêche, alors qu'il y a un marché? Les permis du Labrador ne sont pas exploités. Dans certains cas, le poisson est vendu dans l'eau ou les permis sont loués. Si vous recevez 80 ou 90 p. 100 des permis, ce qui serait parfaitement légitime, cela représenterait des millions et des millions de dollars pour vous. Croyez- vous qu'il faudrait donc se débarrasser de ces gens — dont on devrait se débarrasser — pour que vous puissiez garder le contrôle des permis? Est-ce une possibilité?
M. Kaludjak : Absolument. C'est pourquoi nous avons offert de négocier l'industrie de la pêche pour le Nunavut. Vous devez comprendre que nous avons besoin de quotas adéquats et d'un contrôle adéquat de notre pêche pour en assurer l'expansion. Si tel était le cas, nous pourrions dresser des plans pour notre territoire — les terres qui nous appartiennent — et faire en sorte que ce soient nos pêcheurs qui pêchent dans nos eaux et pas quelqu'un d'autre.
Vous parliez tout à l'heure de ceux qui possèdent les eaux. Notre intérêt à l'égard des eaux découle de l'accord sur les revendications territoriales, comme nous l'avons dit, et il nous incombe de le protéger. Grâce à l'accord, nous avons eu la zone de 100 milles qui nous donne des droits sur ces eaux et sur les eaux contiguës. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est pour solliciter votre appui afin de surmonter les obstacles que nous continuons de rencontrer et qui entravent l'épanouissement de la pêche au Nunavut avec toutes sortes de règles, de règlements et de procédures dont nous n'avons jamais entendu parler.
J'ai souvent dit à notre équipe que, plus on avance dans les discussions sur la pêche, plus les eaux sont troubles. Ça a toujours été comme ça. C'est un secteur compliqué et je ne connais pas toute la procédure pour franchir toutes les étapes requises. Je ne comprends même pas pourquoi ces deux dentistes possèdent des permis. Ils ne savent probablement même pas où se trouve le Nunavut. Il faut régler ça.
Le sénateur Baker : Une dernière question. L'accord sur les revendications territoriales que vous avez signé et qui a été signé par le gouvernement fédéral est assorti de certains droits. Si je ne me trompe, vous êtes propriétaires du plancher océanique sur une certaine distance à partir du littoral, n'est-ce pas? Si ces questions ne se règlent pas, envisagez-vous de traîner le gouvernement fédéral devant les tribunaux pour leur demander d'imposer un règlement, étant donné que tous ces bateaux qui pêchent dans les eaux septentrionales draguent le fond de l'océan? Il n'existe aucune autre méthode que racler le fond de l'océan pour pêcher le flétan noir ou la crevette et c'est vous qui possédez le fond de l'océan. M. Merritt peut peut-être répondre, car il est souvent allé devant les tribunaux. Croyez-vous qu'intenter des poursuites contre le gouvernement soit une option si vous n'obtenez pas satisfaction?
M. Kaludjak : Sénateur, je vais donner la parole à M. Merritt mais, en ce qui concerne la possession du monde sous- marin, je devrai demander un avis juridique. Nous n'avons vu personne patrouiller en haute mer, nous n'avons vu aucun sous-marin russe ou américain dans les eaux du Grand Nord.
Nous avons continué de faire des pressions auprès de notre gouvernement pour demander exactement ce dont vous parlez au sujet du dragage du plancher océanique. Il serait important de savoir quelles sont les conséquences de cette activité sur les fonds marins et dans quelle mesure cela perturbe les mammifères marins. Ça reste à déterminer. Nous continuons d'appuyer des études scientifiques pour mesurer exactement les conséquences, pour savoir quel est l'impact sur l'industrie de la pêche et pour savoir quels dégâts sont causés au plancher océanique.
Pour ce qui est de la propriété, je cède la parole à M. Merritt.
John Merritt, conseiller juridique et constitutionnel, Nunavut Tunngavik Incorporated : L'accord sur les revendications territoriales ne nous donne pas en soi la propriété du plancher océanique. Il est loin de nous donner un droit de propriété absolu comme ce pourrait être le cas sur la terre ferme. Je crois comprendre que c'est la même chose partout au Canada du fait de la politique sur les revendications territoriales des Autochtones et j'irais même plus loin en disant qu'il n'existe probablement en common law aucune tradition établie de propriété complète du plancher océanique par des intérêts non gouvernementaux.
Évidemment, les juridictions côtières accordent parfois des baux. Les Inuits possèdent des droits de pêche, comme vous l'avez dit, qui sont plus étendus au sein de la zone touchée par l'accord. Ces droits s'étendent jusqu'à une ligne équidistante vers le Groenland. La Nunavut Tunngavik Incorporated est allée en justice pour défendre ses droits et, à la fin des années 1990, l'une des décisions de répartition de la pêche par le ministre a été renversée. Le problème que nous avons quand NTI s'adresse à la justice au sujet d'une décision ministérielle est que, même si nous obtenons gain de cause, nous perdons quelque chose, car le ministre, en vertu des principes du droit administratif, a le pouvoir de revenir sur sa décision et d'en prendre une autre. De ce fait, nous sommes un peu dans la même situation qu'un chien poursuivant une automobile.
Depuis quelques années, la Nunavut Tunngavik Incorporated étudie la question de savoir si la répartition inéquitable des quotas au Nunavut contrevient à l'article 15 de la Charte et à la garantie d'égalité dans la mesure où il s'agirait de discrimination contre les Inuits et contre le Nunavut. Nous avons obtenu l'avis juridique d'un avocat autochtone spécialisé et réputé de la côte Ouest. Je dois dire que c'est un domaine du droit qui est nouveau au sens où il n'existe pas de précédent. Toutefois, nous avons la conviction que continuer indéfiniment cette pratique aurait pour effet de traiter les Inuits comme des Canadiens de deuxième classe. Nonobstant la question de savoir si les Inuits possèdent des droits additionnels en vertu de l'accord sur les revendications territoriales, ils possèdent au minimum un droit absolu à l'égalité avec les autres Canadiens. Le ministre a été informé que nous nous attendons à ce qu'il soit prêt à négocier un échéancier pour mettre fin à cette discrimination. Nous n'exigeons pas que l'échéancier démarre demain matin mais nous estimons que cette situation n'est pas tolérable et que le gouvernement ne doit pas faire traîner les choses indéfiniment.
Le président : Je devrais préciser que nous sommes ici à cause du sénateur Adams, le champion de la cause du Nunavut, je n'ai pas besoin de vous de le dire. Lorsqu'il s'agit des intérêts du Nunavut, il intervient avec vigueur chaque fois qu'il en a l'occasion. Je tenais à le dire, car sa défense des intérêts du Nunavut est sans pareille.
[Le sénateur Adams s'exprime en inuktitut.]
Le sénateur Adams : Merci, monsieur le président. Je lui disais que je vous remerciais en inuktitut en lui souhaitant plus de chance que jeudi dernier en après-midi. Le budget a été adopté avec l'appui du sénateur Comeau, le leader adjoint du gouvernement. Je disais à M. Kaludjak que le président d'aujourd'hui devrait être capable de le faire avant la fin des travaux. Il se rendra au Nunavut à l'automne. On parle l'inuktitut, l'anglais et le français là-bas. Le sénateur Gill devrait y aller aussi pour se familiariser avec la langue de la communauté.
Merci d'être venus. J'ai commencé à m'intéresser à la pêche au Nunavut en 2002, il y a cinq ans. Avant ça, il y avait une politique qui avait été formulée par le gouvernement du Canada et le Conseil de gestion faunique du Nunavut, conformément aux revendications territoriales. Je ne sais pas si vous y avez contribué, monsieur Kaludjak. Des politiques et des quotas avaient été établis pour la communauté.
Selon les revendications territoriales, certaines des collectivités locales auraient dû être consultées au sujet de la politique de pêche commerciale dans la région. Les consultations n'ont jamais eu lieu. J'ai examiné combien de quotas ont été accordés à la communauté. À l'époque, il n'y avait que trois communautés dans la zone 0B. Elles avaient obtenu des quotas mais, aujourd'hui, ils sont plus élevés. Par exemple, le quota de crevettes de la Qikiqtaaluk Corporation était de 600 tonnes. Il y en avait un autre de 200 tonnes.
Au début, les collectivités de Pond Inlet, Clyde River et Holman Island avaient des quotas de flétan noir. Il y avait un quota d'environ 8 000 tonnes dans la zone 0B avec un budget important. Les estimations pour la crevette et le flétan noir atteignaient près de 30 millions de dollars par an.
Je m'interroge sur la structure des quotas et sur les personnes qui les détiennent. Ma question concerne les redevances et les règlements du gouvernement. Seuls les gens qui détiennent des quotas peuvent toucher des redevances. Ça devrait être bon pour la Nunavut Tunngavik Incorporated ou le Nunavut Trust ou quelque chose comme ça. Maintenant, les collectivités qui n'ont pas de quotas ne touchent pas de redevances. L'an dernier, Broughton Island a finalement obtenu 700 tonnes supplémentaires de la Baffin Fisheries Coalition pour l'exportation d'huile du Nunavut et, maintenant, les quotas appartiennent à la communauté. Nous avons appris que les redevances s'élèvent à 600 $ la tonne, ce qui a rapporté 680 000 $ à la collectivité.
Il y a eu un autre quota de 7 000 tonnes avec les redevances correspondantes parce qu'une autre société possède les quotas. Ça représente une somme d'environ 3,6 millions de dollars par an.
Ma question est un peu longue et c'est peut-être M. Merritt qui pourra y répondre. Il s'est occupé de cette affaire depuis le début. Il s'est occupé des revendications territoriales. Il connaît tout ça sur le bout des doigts.
M. Kaludjak : Pour l'information du comité, le sénateur Adams fut le premier maire de notre communauté. Je n'ai fait que lui emboîter le pas, car j'ai moi aussi été maire.
Le président : C'est donc un vieux cheval grisonnant.
M. Kaludjak : J'ai la chance d'avoir moins de cheveux gris.
En ce qui concerne la pêche, nous avons appuyé l'industrie de la pêche pour toutes les communautés et pas seulement pour deux d'entre elles. Vous avez dit que le revenu de la pêche pour le Nunavut pourrait atteindre 80 millions de dollars par an. Cela ne serait possible que si les activités de pêche étaient parfaitement bien organisées, avec des quotas de 100 p. 100 exploités à 100 p. 100. Ça représente notre manque à gagner à cause du manque d'organisation.
C'est pour cette raison que nous sommes ici et que nous réclamons une juste répartition des quotas. Soyez justes avec nous. Donnez-nous ce qui nous revient de droit pour que nous puissions obtenir ce genre de revenus. À l'heure actuelle, le Nunavut tire environ 8 millions de dollars par an de la pêche alors que ça pourrait être 30 millions et, si tout marchait bien, ça pourrait même atteindre 70 ou 80 millions par an. Voilà ce que nous perdons parce que nous n'avons pas l'appui de notre gouvernement. Il ne nous aide pas à obtenir les infrastructures voulues ni des quotas adéquats. C'est pour cette raison que nous perdons tout cet argent que nous pourrions obtenir. Nous ne cessons de réclamer notre juste part et nous souffrons d'injustice depuis de nombreuses années.
M. Merritt : Je vous remercie de vos bonnes paroles, sénateur Adams. Ça m'a rappelé que j'étais bien jeune avant de commencer à négocier avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord, ce qui a eu des conséquences.
Pour revenir sur ce que disait le président, le sénateur Adams a clairement mis le doigt sur certaines des tensions qui existent au Nunavut entre les collectivités parce que le Nunavut ne reçoit pas sa juste part de la quantité totale de poisson disponible. Comme vous le dites, moins le Nunavut en reçoit, plus les collectivités se font concurrence.
Cette situation ne fait pas que priver le Nunavut des retombées globales auxquelles le président a fait allusion, elle engendre également un contexte politique difficile au niveau local, ce qui n'est dans l'intérêt d'aucune collectivité. Chacune essaye de trouver un juste équilibre entre le souci d'obtenir plus pour le Nunavut, collectivement, et la tentation de se débrouiller toute seule. Les tensions entre les collectivités sont le prix que paye le Nunavut parce qu'il n'a pas sa juste part de la ressource totale disponible.
Le sénateur Adams : Les gens de Broughton Island feront une nouvelle fois l'objet de discrimination sur le plan de la pêche et je crois que ça ne passera pas inaperçu. Je regrette de devoir vous le dire mais, à l'heure actuelle, les gens de Terre-Neuve ont des partenaires. Ils discutent avec le gouvernement du Nunavut. Selon ce que m'ont dit certaines organisations, notamment la Baffin Fisheries Coalition, le Conseil fait preuve de discrimination envers vous. Il vous faudrait 200 bateaux pour aller pêcher.
C'est la même chose partout au Canada. Il y a beaucoup de gens qui pratiquent la pêche dans les régions de l'Est et qui ont toujours un bateau. Les Inuits peuvent en louer à la journée ou au mois.
La seule question à laquelle vous n'avez pas répondu concerne le fonctionnement du système de redevances. M. Merritt pourrait peut-être nous l'expliquer.
En ce qui concerne les redevances, le gouvernement devrait nous en donner une partie parce que nous avons réglé une revendication territoriale. À l'heure actuelle, ce sont des gens qui n'étaient pas là pour le règlement de la revendication qui reçoivent des redevances. Un ministre m'a dit un jour au sujet des redevances : « Nous vous donnons 27 p. 100 ». Un pêcheur ne peut même pas acheter son équipement avec ça.
Dans le système actuel, on doit posséder des quotas. C'est le type qui possède les quotas qui touche les redevances. Si vous n'êtes pas associé à d'autres pêcheurs de la communauté, vous ne recevez aucune redevance. Celui qui obtient les quotas dans la communauté obtient aussi les redevances et le poisson. Normalement, les redevances restent dans la collectivité tant qu'une entreprise ne vient pas prendre le contrôle. Voilà pourquoi le problème des redevances est si important au Nunavut.
M. Kaludjak : Avant de donner la parole à M. Williams pour parler des redevances, je dois vous dire que, quand je parlais de la question de savoir quelle collectivité en bénéficierait, je parlais des zones 0A et 0B où se trouvent les membres de la Baffin Fisheries Coalition. D'après nous, ce sont les collectivités qui seront touchées.
Quand on parle de bienfaits pour les collectivités, il s'agit de Pond Inlet, Clyde River, Broughton Island, Pangnirtung, Iqaluit et Kimmirut. Voilà les principales collectivités qui sont touchées par l'industrie de la pêche aujourd'hui.
Glenn Williams, conseiller principal sur la faune, Service de la faune, Nunavut Tunngavik Incorporated : Ce que vous dites est incroyablement valide. Quand la pêche au flétan noir a commencé, de petits quotas ont été attribués à différentes associations de pêche. Parfois, il s'agissait d'organisations de chasseurs et de pêcheurs, comme à Kimmirut, Iqaluit, Pangnirtung et, dans une certaine mesure, Broughton Island, communautés qui sont proches des zones de pêche. Elles ont reçu de petits quotas de 200 tonnes ou peut-être de 50 ou 150 tonnes. Il pouvait y avoir jusqu'à 15 ou 20 demandes pour un total de l'ordre de 1 500 tonnes.
Ces collectivités ont donc reçu de petits quotas. Elles ne pouvaient pas pratiquer la pêche elles-mêmes et leur seule solution était donc de les revendre. De cette manière, elles pouvaient obtenir de l'argent qui profitait aux collectivités. Personne ne sait vraiment ce qu'est devenu l'argent, il a été absorbé dans les collectivités.
Quand on a parlé de pêche dans la zone 0A, le gouvernement du Nunavut, le Conseil de gestion faunique du Nunavut, NTI et ses employés ou les gens qui travaillent pour le ministère des Pêches et des Océans se sont réunis afin de voir comment assurer l'expansion d'une pêche qui n'était alors pas assez volumineuse.
Tous les membres du groupe ont mis un peu d'argent et nous avons invité toutes les sociétés qui obtenaient des quotas de flétan noir et de crevette au Nunavut à venir discuter lors d'une réunion qui a duré trois jours.
Durant cette réunion, plusieurs choses ont fait l'objet d'une entente. Ainsi, les participants sont convenus de regrouper tout le quota de la zone 0A pendant trois ans. Pendant cette période, personne ne toucherait de redevances, celles-ci devant être placées dans un compte qui servirait à acheter des bateaux de pêche, à lancer des programmes de formation et à faire un certain nombre de choses.
On nous a alors demandé : « Pourquoi voulez-vous des quotas de pêche alors que vous ne pêchez pas? » Nous ne pouvions pas pêcher parce que nous n'avions pas d'infrastructures, d'équipements ou de formation professionnelle. Notre objectif était précisément de résoudre ces problèmes. Je parle ici de la Baffin Fisheries Coalition.
La Baffin Fisheries Coalition possède aujourd'hui trois bateaux. Cette année, elle a mis sur pied un consortium de formation qui a permis de former 58 pêcheurs inuits. Elle continue donc ses efforts pour développer nos capacités.
Par ailleurs, une partie de son poisson est traitée à la seule usine qui existe à Pangnirtung. Je crois savoir qu'elle a fait traiter 600 tonnes de poisson à cette usine que nous avons à Pangnirtung. L'usine emploie plus de 60 personnes en hiver pour transformer le poisson. Cela permet d'avoir des emplois au Nunavut où il n'y en a pas assez.
L'un des problèmes auxquels nous faisons face est que certaines organisations ou entreprises s'efforcent de manœuvrer contre cette démarche coopérative adoptée au Nunavut. Certains intérêts voudraient que le système adopté dans la zone 0B soit appliqué partout, c'est-à-dire que chaque collectivité reçoive de petites retombées économiques, ce qui ne permettrait jamais au Nunavut de se doter de la capacité de gérer sa propre pêche et d'avoir ses propres usines de transformation avec les emplois correspondants.
Voyez ce qu'a fait le Nunavut pendant les cinq ou six dernières années, c'est étonnant. Cela a été très difficile parce qu'il y a eu beaucoup d'articles négatifs et d'accusations injustifiées. Voilà la situation à laquelle nous sommes confrontés.
Je pense que vous recevrez le même message du Nunavut Water Board et du gouvernement du Nunavut quand ils comparaîtront devant vous. Ils vous diront que ce que nous faisons au Nunavut est différent de ce qui se fait ailleurs. Il n'y a jamais eu nulle part une industrie de la pêche qui se soit développée à partir de rien en si peu de temps. Nous sommes obligés d'agir différemment et c'est ce que nous essayons de faire. M. Kaludjak a demandé que le gouvernement fédéral continue de nous accorder son appui. Nous avons obtenu de l'appui et il devrait être possible de résoudre l'injustice actuelle concernant l'allocation de poisson au Nunavut afin qu'elle soit identique à ce qu'elle est dans le reste du Canada.
Le président : Avant que le sénateur Adams termine ses questions, je voudrais obtenir un éclaircissement. La Baffin Fisheries Coalition rassemble tous les groupes concernés, n'est-ce pas?
M. Williams : C'est exact.
Le président : Qui contrôle l'argent versé dans le compte? Est-ce la coalition?
M. Williams : Oui, c'est la Baffin Fisheries Coalition. Nous pouvons vous dire à quoi l'argent est consacré. Nous produisons des états financiers chaque année. La coalition a un conseil d'administration et un groupe de direction qui prennent les décisions et dressent les plans. Nous pouvons rendre compte de tout l'argent obtenu. Vous pouvez voir les rapports annuels de la coalition.
Le président : Le seul problème est que vous voudriez qu'il y ait plus d'argent dans le compte.
Le sénateur Adams : Je connais bien l'île de Baffin. À l'heure actuelle, nous avons 5,5 millions de dollars pour former des Inuits — ça n'inclut pas le Nunavut — à l'Université Memorial de Terre-Neuve. Nous vivons de l'eau et du sol. Nous pêchons du poisson et chassons le phoque. On n'enseigne pas la pêche à l'université. Le gouvernement du Nunavut a obtenu 5,5 millions de dollars du ministère des Ressources humaines du Canada il y a deux ou trois ans et des Inuits apprennent maintenant la pêche à l'Université Memorial de Terre-Neuve.
Mon seul problème avec la Baffin Fisheries Coalition est qu'elle a loué deux bateaux au Groenland. Ces bateaux ne lui appartiennent pas. Ce sont les redevances qui m'inquiètent. C'est le Groenland qui les touche. Elles retournent en Europe ou quelque chose comme ça. Ils ont environ 6 000 tonnes.
Parlez aux gens, aux chasseurs et aux piégeurs. Ils ont plus de 2 000 tonnes aujourd'hui. Ils ont un partenariat avec les gens de Terre-Neuve. Nous avons les quotas de la zone 0B. C'est pourquoi je voudrais que toutes les collectivités obtiennent les mêmes avantages. Tant qu'il y aura la Baffin Fisheries Coalition, il y aura le conseil de gestion et tout le reste. Parfois, ils demandent des quotas sans tenir compte des gens qui ont demandé des quotas dans les collectivités. C'est pourquoi ces gens ont des difficultés. La société a obtenu l'aide d'Ottawa pour démarrer, pas du Nunavut. Ça nous pose un problème.
M. Kaludjak : C'est pourquoi nous disons à des groupes comme le vôtre et à nos gouvernements que nous sommes prêts à faire des affaires. Si vous ne voulez pas faire d'affaires avec nous, nous irons ailleurs. Nous irons là où on est prêt à nous aider. C'est ce qui explique l'arrangement avec le Groenland. Si le gouvernement fédéral était prêt à nous aider un peu plus, nous ne serions pas perdants avec l'industrie de la pêche du Nunavut. À mesure que cette industrie s'épanouit, nous avons besoin de l'appui des gouvernements territorial et fédéral. Il est important que notre message soit entendu — les difficultés que nous exposons — pour ne pas nous nuire à nous-mêmes et nous combattre mutuellement.
Comme je l'ai dit, nous œuvrons ensemble pour développer la pêche au Nunavut dans le cadre d'un arrangement particulier. Personne n'avait fait ça auparavant en se fondant sur l'accord sur les revendications territoriales avec les deux gouvernements et le secteur privé qui est prêt à appuyer le succès et les possibilités commerciales de l'industrie de la pêche.
Ce qu'il nous faut, ce sont des quotas adéquats et les droits de contiguïté garantis par notre accord sur les revendications territoriales. Voilà ce que nous essayons d'obtenir. Si nous n'obtenons pas cela, nous ne réussirons jamais dans ce que nous voulons faire.
Le sénateur Comeau : Je crois me souvenir que la pêche dans la zone 0A est une pêche expérimentale plutôt qu'une pêche permanente. C'est bien ça?
M. Kaludjak : Oui, c'est exact. La zone 0A a été conçue pour une pêche expérimentale.
M. Williams : C'est une pêche expérimentale à l'heure actuelle mais le ministère des Pêches et des Océans envisage maintenant d'en faire une pêche commerciale.
Le sénateur Comeau : Normalement, cela devrait rouvrir toute la question de la quantité totale allouée. J'espère que vous surveillez cette question de près afin de ne rien perdre du point de vue de la quantité de pêche accordée au Nunavut pendant toutes ces années. Nous surveillerons aussi la question parce que nous ne voulons pas que ça devienne comme dans la zone 0B.
Quand nous nous sommes penchés sur la question de la pêche au Nunavut, il y a quelques années, je me souviens que cela avait suscité beaucoup d'intérêt et de grands espoirs pour l'instauration d'une pêche basée au Nunavut. On se disait à l'époque qu'il s'agirait d'une pêche à caractère communautaire, avec des petits bateaux. Je sais ce que vous avez dit au sujet de l'absence d'infrastructures pour les petits bateaux. À l'époque, on espérait que ce serait une pêche pratiquée par de petits bateaux plutôt que par des chalutiers congélateurs. Est-ce que l'idée d'une pêche de petits bateaux est encore envisageable aujourd'hui au Nunavut?
M. Kaludjak : Cela nous ramène aux remarques du sénateur Adams concernant l'accès aux ressources. C'est pour cette raison que nous avons besoin de ces quotas, pour pouvoir développer l'industrie. S'il ne nous est pas possible d'accorder ces quotas, il nous sera difficile d'instaurer l'industrie de la pêche dont vous parlez, car certains de nos intérêts pourront s'y opposer. La ressource existe mais, si nous n'avons pas l'allocation totale nécessaire, nous n'avons rien. On ne peut pas développer une industrie sans l'appui de son propre gouvernement. Il nous faut quelque chose qui soit rentable.
M. Williams : En ce qui concerne votre question sur la pêche intérieure, je dois dire que celle-ci existe depuis 1986. Elle s'est développée à Cumberland Sound et elle existe depuis ce moment-là. Il pourrait aussi y avoir une pêche intérieure à Qikiqtarjuaq, à Kangiqtugaapik et à Mittimatalik. Il y a eu une pêche intérieure expérimentale pendant de nombreuses années. Vous dites que c'est une pêche pratiquée par des petits bateaux mais non, en réalité, c'est une pêche pratiquée à la motoneige et au komatik. C'est une pêche qui se pratique à la palangre à travers la glace, en hiver.
La situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui est que nous avons démontré que cette pêche existe et qu'il y a des membres de la collectivité qui savent comment pêcher le poisson et qui sont prêts à le faire. Maintenant, si ceci devait aller de l'avant, il y aurait un gros tas de flétan noir sur la plage, car il n'y a pas d'infrastructures pour en assurer le traitement.
Personne n'envisage même une pêche à la palangre parce qu'il n'y a pas de ports. Il n'y a aucun endroit pour décharger les bateaux. Quand nous voulons remplir un réservoir de carburant, nous devons faire rouler un tonneau sur la plage, le faire flotter dans la mer puis le remonter dans le bateau, et faire l'inverse quand l'opération est terminée.
L'un de mes amis des îles Féroé est venu me rendre visite. Il est venu à Iqaluit, la capitale du Nunavut, observer l'arrivage de nos approvisionnements d'été. Il m'a regardé et m'a dit : « La dernière fois que j'ai vu quelque chose comme ça, c'était aux îles Galapagos. La manière dont les Canadiens de l'Arctique déchargent vos bateaux me fait penser à un pays du tiers monde. »
L'armée canadienne est venue dans la région pour des manœuvres d'entraînement. Elle a laissé les soldats aller le long de la plage mais ils sont très vite repartis. Il y avait une houle de deux pieds et un vent de 15 à 20 nœuds et les soldats devaient repartir dans des petites embarcations. Ils devaient remonter à bord de leur navire en agrippant un filet et ça ressemblait tout à fait à un film de Laurel et Hardy. C'était vraiment très embarrassant pour le Canada. Voilà ce qui arrive quand on n'a pas de ports.
Le sénateur Comeau : Pour revenir à ma question, si je me souviens bien les gens du Nunavut souhaitaient au départ instaurer une pêche par petits bateaux et non pas une pêche par bateaux-usines.
Je comprends bien les préoccupations que vous exprimez au sujet des infrastructures. Elles n'existent pas. Il n'y a aucun endroit pour débarquer le poisson, il n'y a aucun port, et c'est ce qu'il faut corriger en premier. Toutefois, si nous étions dans un monde idéal et si ces installations de débarquement existaient, est-ce que l'idée d'une pêche par petits bateaux serait encore le rêve de la population du Nunavut ou est-ce que celle-ci accepte maintenant l'idée des chalutiers congélateurs qui restent en mer pendant une semaine ou deux et congèlent le poisson à bord?
M. Kaludjak : Pour ce qui est d'une combinaison à long terme, l'industrie de la pêche devra vérifier votre question sur la durabilité — quel serait l'impact et quelles ressources seraient nécessaires pour une pêche à grande échelle ou une pêche à échelle plus petite. Ce sont des groupes d'intérêts comme le groupe de pêche de Baffin et des organisations de chasseurs et de piégeurs qui diront ce qu'ils veulent.
Mon rôle à moi est essentiellement d'être un exécutant. Ce sont les autres qui ont les chiffres et qui fixent les règles. Tout ce que je demande, c'est qu'on me donne les bonnes informations pour que je puisse jouer mon rôle d'exécutant. C'est tout ce que je fais.
Je veux m'assurer que nos arguments sont entendus. Les problèmes sont réels. Il existe un potentiel que nous ne pouvons pas exploiter au maximum à cause des problèmes que nous avons exposés : quotas insuffisants et manque de coordination par le gouvernement responsable, le gouvernement fédéral, pour nous aider à atteindre nos objectifs.
Le sénateur Comeau : Outre la création des infrastructures nécessaires — les ports, les quais, et cetera — croyez-vous que nous devrions aussi racheter le quota du dentiste de Floride pour qu'il serve aux gens du Nunavut?
M. Kaludjak : Dites-lui que nous acceptons les dons.
Le sénateur Hubley : Il y a un certain temps, notre comité a fait une étude sur la santé et la viabilité des collectivités côtières et, à cette occasion, nous avons entendu des représentants du Nunavut. Bon nombre des problèmes qu'ils ont soulevés à ce moment-là ont été répétés ce soir. Ce sont encore des questions d'infrastructures et d'allocation totale.
Vous avez commencé votre exposé sur une note positive, monsieur Kaludjak, en disant que le Nunavut a fait des progrès considérables par rapport à ses maigres débuts. Les collectivités côtières sont l'une de mes préoccupations, comme elles le sont pour tous mes collègues. Pouvez-vous m'indiquer quelque chose de positif concernant les collectivités côtières du Nunavut, ce qui nous donnerait l'espoir que certaines des choses dont nous avons parlé se réalisent peu à peu?
Nous avons parlé du besoin de formation professionnelle et d'emplois, ainsi que de questions d'infrastructures et de petits bateaux. Vous avez également parlé de recherche scientifique, chose qui semble ressortir de la plupart des recommandations.
J'aimerais vous faire parler de vos collectivités. J'étais un peu surpris de vous entendre parler de tensions au niveau local. Ce n'est pas ce que nous voulons. Je ne pense pas qu'il soit sain pour des collectivités d'être déchirées par des problèmes créés par les gouvernements, si je peux dire. Toutefois, j'aimerais aussi vous entendre parler de la recherche scientifique et vous demander s'il y a quelque chose qu'il faudrait mettre dans votre rapport à ce sujet.
M. Kaludjak : Il y a beaucoup de choses positives dans les collectivités. Évidemment, il y a aussi des choses négatives, comme partout.
Pour ce qui est de nous aider dans le développement des collectivités, bien sûr les gens attendent une action, surtout en ce qui concerne l'emploi. Nous voulons ouvrir l'industrie de la pêche pour que les gens aient accès à des emplois. Notre espoir est de les aider à ce sujet. Beaucoup de gens souhaitent pouvoir y participer. Le taux de chômage est très élevé dans beaucoup de collectivités, ce qui débouche sur toutes sortes de difficultés d'ordre social et a des conséquences graves sur les familles. Nous voulons aider ces collectivités à renverser la situation pour avoir un avenir plus positif.
Pour assurer le développement de cette stratégie de pêche au Nunavut, il nous faut un appui adéquat de nos gouvernements, aux paliers fédéral et territorial. Nous œuvrons avec le gouvernement pour essayer de bien calibrer notre planification de développement économique et de voir ce qui marche le mieux. On parle de l'industrie minière. M. Williams a parlé d'aménager le port d'Iqaluit à court terme. À plus long terme, nous voulons que les collectivités se dotent des installations nécessaires, par exemple pour le déchargement du poisson et pour l'utilisation de petits bateaux dans chaque collectivité. J'espère que nous y arriverons un jour.
Le sénateur Gill : Je reviens à la question du dentiste et des quotas et je vais faire une suggestion. Vous devriez peut- être le mettre dans un kayak sans lui donner de rame pour régler le problème. Il faut parfois prendre des mesures radicales.
En examinant les informations que nous avons, je constate que le taux de chômage n'est pas très satisfaisant. Je suppose qu'il ne doit pas vous être facile de voir ce genre de choses, par exemple de voir l'argent passer à côté de vos collectivités et de voir que vos droits ne sont pas respectés. Ça doit susciter beaucoup de frustration.
Vous avez signé un accord sur les revendications territoriales avec le gouvernement et, si comprends bien, il n'est pas mis en œuvre comme il devrait l'être. Les gens qui n'en assurent pas la mise en œuvre sont dans le même bateau que les dentistes. Pouvez-vous nous dire en quoi il n'est pas mis en œuvre correctement? C'est une question de crédibilité qui entraînera peu à peu une certaine perte de confiance. Ce qui compte le plus, c'est de rehausser la confiance entre le gouvernement, les non-Autochtones et les Autochtones. Que faut-il faire de plus du point de vue de la mise en œuvre pour vous permettre d'atteindre vos objectifs en matière d'emploi et d'allocation de pêche adéquate?
M. Kaludjak : Si nous mettions ces deux dentistes de Floride dans des kayaks sans rames, nous n'en serions pas débarrassés, car même sans rames, le Gulf Stream les ferait dériver vers le nord entre le Groenland et Iqaluit.
Je vous remercie de votre remarque. Nous savions que certains membres du comité soulèveraient cette question de mise en œuvre inadéquate de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. C'est une question secondaire mais je pourrais vous en parler toute la nuit si vous vouliez vraiment tout savoir. En bref, l'accord sur les revendications territoriales a été mis en œuvre à proportion de 50 à 60 p. 100 environ. Il y a 40 articles. Des objectifs ont été fixés. Par exemple, il est prévu que les gouvernement fédéral et territorial au Nunavut auront au moins 85 p. 100 d'employés inuits, ce qui n'est pas le cas. Cet objectif a été fixé il y a cinq ans mais n'a pas encore été atteint.
Il devait y avoir des programmes de formation professionnelle pour notre population mais, jusqu'à présent, il n'y en a pas. Nous avons aussi une crise du logement. Il y a des questions de développement économique qui ne sont pas réglées. Certaines collectivités ont un taux de chômage pouvant atteindre 30 p. 100. Je suis heureux de pouvoir dire aux membres du comité que les choses s'améliorent peu à peu, mais seulement parce que nous avons une attitude positive à l'égard de l'industrie minière. Le taux de 30 p. 100 commence à baisser parce que l'industrie minière se développe au Nunavut.
Deux des régions en dehors de Baffin, Kitikmeot et Kivalliq, ont agi de manière très proactive à l'égard de l'industrie minière ce qui permet à beaucoup de gens de commencer à travailler et d'obtenir une formation professionnelle. Cela nous aide à faire baisser le chômage.
En ce qui concerne l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, ce n'est un secret pour personne que nous poursuivons le gouvernement fédéral devant les tribunaux parce qu'il n'en assure pas la mise en œuvre, parce qu'il fait de l'obstruction sur certaines questions, parce qu'il n'a pas mis en œuvre les dispositions d'application ni lancé les activités qui étaient censées démarrer parce que le gouvernement fédéral ne respecte pas l'accord sur les revendications territoriales des Inuits. Voilà pourquoi nous sommes aujourd'hui devant les tribunaux.
Le sénateur Gill : Vous avez dit qu'il y a de l'argent pour financer de la formation professionnelle à l'université. Est- ce que c'est encore la même chose? Si oui, c'est encore le même problème que nous avions dans le passé avec notre population. Nous avions décidé que l'argent vous serait remis directement pour vous permettre d'acheter les services. Il va sans dire que vous êtes la personne qui en a besoin, ce qui signifie, au minimum, que c'est vous qui devriez recevoir l'argent pour pouvoir acheter vous-même vos services.
M. Kaludjak : Je vous remercie de cette remarque, sénateur Gill. Nous avons notre propre formation, pour les Inuits seulement, au titre de l'accord sur les revendications territoriales. Je peux répondre à beaucoup de choses au nom de mon organisation mais pas au nom du gouvernement qui pourra s'expliquer lui-même. Vous pourrez obtenir plus de détails sur les activités de formation quand des membres du gouvernement territorial du Nunavut viendront s'adresser à vous. Vous pourrez les interroger sur le programme de formation de 5 millions de dollars dont parlait le sénateur Adams et leur demander ce qu'ils en pensent.
En outre, vous pourrez demander au gouvernement fédéral comment il a géré cette initiative de formation et quel en a été l'effet sur les jeunes du Nunavut. Il pourra vous répondre à ce sujet. Je ne peux pas répondre au nom des deux gouvernements, car c'est leur programme. Nous avons le nôtre et nous faisons notre possible. Notre budget de formation en vertu de l'accord était d'environ 13 millions de dollars. Il est destiné à répondre aux besoins de notre population.
Le sénateur Robichaud : Monsieur Kaludjak, vous avez dit au début que les pêcheurs du Nunavut commencent peu à peu à investir dans des bateaux de pêche commerciale et que vous possédez une part majoritaire dans deux chalutiers congélateurs. Qui sont les actionnaires minoritaires?
M. Kaludjak : Nous n'avons pas les chiffres pour le moment. Nous pourrons vous informer quand ils seront disponibles et vous donner la répartition exacte. Nous devrons nous informer auprès de l'entreprise responsable, qui est selon nous la Qikiqtaaluk Corporation. Les chiffres indiqueront qui sont les propriétaires de ces sociétés et qui en détient le contrôle. Nous n'avons pas les chiffres avec nous mais nous pourrons les obtenir et vous les communiquer.
Le sénateur Robichaud : Si les autres actionnaires ne sont pas des membres des collectivités et représentent des intérêts de l'extérieur, le danger est qu'ils pourraient prendre peu à peu le contrôle, n'est-ce pas?
M. Kaludjak : C'est déjà arrivé souvent dans le passé et c'est pour cette raison que nous voulons reprendre ce contrôle. On voit l'argent arriver puis repartir au Sud sans qu'on puisse faire quoi que ce soit. Nous voulons mettre fin à cela. Nous voulons que l'argent vienne à nous au lieu d'aller au Sud. Nous voulons le mettre dans les poches des habitants du Nunavut, nos bénéficiaires. C'est là que l'argent doit aller plutôt qu'à des intérêts extérieurs. Tel est notre mandat ultime. Nous voulons que l'argent aille aux habitants du Territoire plutôt qu'à l'extérieur.
Le sénateur Robichaud : Lors de mon dernier passage dans le Nord, j'ai beaucoup entendu parler de la BFC, la Baffin Fisheries Coalition. À l'époque, des gens sont venus dire au comité qu'ils n'étaient pas contents parce que c'était un regroupement de quelques chasseurs seulement qui détenaient tout le contrôle. Personne ne savait ce qui se passait. Les gens disaient qu'il n'y avait pas de reddition de comptes. Dois-je comprendre que vous faites maintenant la promotion de ce modèle?
M. Kaludjak : Je ne saurais dire s'il est vrai qu'il n'y avait pas de reddition de comptes de la part de cette organisation. Elle a été créée pour être une coalition dans l'intérêt d'un certain nombre de collectivités. Malheureusement, l'une de ces dernières s'en est retirée. Elle avait un point de vue différent sur l'exploitation de la société. Selon mes informations, comme l'a dit M. Williams tout à l'heure, ce groupe rendait des comptes par le truchement d'états financiers mis à la disposition de la population. Telle est la réalité et le groupe a accepté de partager cette information. Quand des gens téléphonent pour demander cette information, ils l'obtiennent. À mon avis, la coalition rend des comptes de manière adéquate à ceux à qui elle doit en rendre.
La coalition n'est pas simplement un groupe mais plutôt un certain nombre de collectivités actives dans l'industrie de la pêche. Il y a un certain nombre de membres et un groupe de direction. M. Williams vous a donné des détails à ce sujet. Elle s'efforce d'investir dans l'industrie de la pêche. Comment on vous l'a dit, elle essaye de conserver de l'argent afin de l'investir pour assurer son expansion dans l'intérêt du Territoire.
Le sénateur Robichaud : Vous parlez bien de la BFC?
M. Kaludjak : Oui, il parlait de la BFC.
Le sénateur Robichaud : Les commentaires que nous avons entendus résultaient donc peut-être de certains problèmes de jeunesse lorsque la société s'efforçait de réunir les gens pour produire des avantages dans les collectivités. Je suis heureux d'entendre que les problèmes sont réglés.
M. Kaludjak : Oui.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit qu'il y a 1 500 tonnes pour la pêche concurrentielle du flétan noir dans la zone 0B mais qu'aucun intérêt du Nunavut n'est autorisé à participer à cette pêche. Qui en profite? Les dentistes?
M. Kaludjak : Ce sont les deux types dans les kayaks. J'invite M. Williams à vous répondre.
M. Williams : L'une des questions qui nous ont été posées ce soir était de savoir comment on pourrait augmenter ce quota de 27 p. 100 de l'allocation de flétan noir dans la zone 0B pour le Nunavut. Ce quota concurrentiel est ouvert aux titulaires de permis du sud du Canada. Vous demandez qui en profite. Nous n'avons pas accès à ces 1 500 tonnes de quota concurrentiel. Ce sont les titulaires de permis du sud du Canada qui pêchent le flétan noir dans la zone 0B.
À notre avis, il y a deux possibilités pour l'avenir. La première serait d'attribuer ce quota au Nunavut. La deuxième représente une solution à plus long terme et c'est celle que nous avons présentée au ministère des Pêches et des Océans. Il s'agirait de négocier pour plusieurs années afin de permettre aux entreprises qui pratiquent actuellement la pêche de se préparer à racheter ce quota s'il est réattribué. Il ne serait que juste, sur le plan économique, de donner à ces entreprises la possibilité de se préparer à une telle éventualité. Il faudra une plus longue période pour négocier. Nous n'avons pas encore pu discuter avec le ministre de la manière dont pourrait se faire cette négociation sur la réattribution des quotas au Nunavut, mais c'est ce qui nous permettrait d'être sur un pied d'égalité avec le reste du Canada.
Le sénateur Robichaud : Savez-vous comment se pratique la pêche pour ce quota concurrentiel? Vous parlez d'entreprises du Sud, c'est-à-dire du reste du Canada. S'agit-il de bateaux appartenant à des entreprises ou est-ce que le quota est sous-traité à des personnes étrangères? Est-il encore possible de faire ça?
Le sénateur Adams : Oui, il suffit de battre pavillon canadien.
Le sénateur Robichaud : Savez-vous si ça se fait?
M. Kaludjak : Oui, ça se fait.
Le sénateur Robichaud : Ça se fait.
M. Kaludjak : Si un bateau russe vient dans cette zone, il peut battre pavillon canadien et personne n'en saura rien.
M. Williams : J'avais cru comprendre que la pêche dans les deux zones, 0B et 0A, était complètement canadianisée. Je regrette, je ne peux pas vous donner de définition de la canadianisation mais je croyais comprendre qu'il avait fallu dix ans pour canadianiser la pêche dans la zone 0B. J'en reste là à ce sujet. Je ne sais pas ce que ça veut dire pour ces bateaux mais c'est l'information qu'on nous avait donnée.
Le sénateur Robichaud : Monsieur le président, nous devrions peut-être essayer de savoir ce que veut dire la canadianisation. J'ai l'impression qu'il y a peut-être des définitions différentes.
Le président : Notre recherchiste a pris note de votre remarque et va se renseigner.
[Le sénateur Watt s'exprime en inuktitut.]
Le sénateur Watt : Permettez-moi de traduire ce que je viens de dire. J'ai d'abord souhaité la bienvenue aux témoins en leur disant que nous sommes heureux qu'ils soient venus. Considérant la manière dont les choses se passent aujourd'hui, une affaire qui se trouve devant les tribunaux ne peut parfois pas être traitée directement, ce que j'ai appris au cours des années. Je suis heureux qu'on ait accordé beaucoup de latitude aux membres du comité pour discuter des griefs présentés par M. Kaludjak. En fait, ce sont plus que des griefs.
Quand deux parties ont des intérêts opposés et qu'elles essayaient de conclure une entente leur convenant à toutes les deux, je sais que ce n'est pas facile à faire, comme le sait fort bien M. Kaludjak. Je me suis longtemps trouvé dans cette situation à titre de représentant de la population du Nunavik.
Permettez-moi de dire que j'ai parfaitement bien compris votre message. Vous souhaitez que le quota admissible soit attribué au Nunavut afin de pouvoir commencer à dresser des plans pour cette industrie, pas seulement à des fins économiques mais aussi pour l'environnement, le développement durable et la conservation. Toutes ces questions doivent être prises en compte. Je suis sûr que vous y avez pensé.
Je sais que vous avez eu des discussions avec le gouvernement fédéral jusqu'en 2003 sur ces questions. En même temps, vous savez que vous devez céder vos droits sur le sol. Ce que vous deviez obtenir en retour avait été clairement précisé. Je sais qu'ils ne sont pas toujours très clairs dans les textes des accords mais il n'en reste pas moins que vous avez eu raison de venir ici pour souligner qu'il est important de trouver des réponses non seulement du côté du gouvernement mais aussi du côté des Inuits.
Quel impact cela peut-il avoir sur la vie sociale et économique de la population qui est déjà confrontée à des frais de transport élevés, à un coût de la vie élevé, à des problèmes de chômage et à d'autres choses de même nature que vous avez essayé de résoudre dans l'intérêt de votre population en participant aux négociations sur les revendications territoriales avec le gouvernement du Canada? En fin de compte, vous risquez de constater que vous avez répondu aux besoins du gouvernement mais qu'on n'a pas répondu aux vôtres.
Quelle est l'incidence sur la vie sociale et économique de la population? On entend dire de temps à autre que le taux de suicide est élevé dans les régions du Nord, probablement parce que les gens ne voient pas ce que l'avenir pourrait leur offrir. Je suis sûr que c'est un facteur qui contribue beaucoup à ce phénomène du suicide dans nos collectivités.
Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet? Je comprends la nature du problème mais j'aimerais que les autres sénateurs comprennent bien votre message. Je crois qu'il est important que ce message soit bien compris. Je sais que vous n'allez pas devant les tribunaux par plaisir.
M. Kaludjak : Le sénateur Robichaud a parlé de problèmes de jeunesse. Le Nunavut n'existe que depuis sept ans. Nous avons fait beaucoup de progrès en très peu de temps mais il y a encore beaucoup de difficultés à surmonter.
Ce dont vous venez de parler reflète une difficulté de la vie sociale de la collectivité. Nous en sommes conscients. C'est un problème que nous devons résoudre. Nous sommes prêts à nous y attaquer, avec le gouvernement de la région du Nunavut, notre objectif étant d'améliorer les conditions de vie au niveau collectif et individuel.
Nous avons réclamé des logements adéquats, des services d'éducation, des services égaux à ceux que le Canada du Sud donne à sa population, des avantages et des programmes égaux, sur la base de la parité avec le Canada du Sud ou conformes à ce que le gouvernement fédéral attribue à sa population. Nous voulons ces services aussi. Nous ne voulons pas être en retard, ce qui est le cas aujourd'hui.
Les gens sont déprimés parce qu'ils n'ont rien à faire dans les collectivités. Ils cherchent toutes les possibilités mais ils ne trouvent rien. Voilà pourquoi nous avons ce problème.
Nous voulons leur donner accès à des possibilités. Voilà pourquoi nous parlons de l'industrie de la pêche, afin que les gens puissent avoir espoir dans l'avenir. Nous voulons être en mesure d'ouvrir la route pour eux afin que des possibilités naissent dans les collectivités. Nous voulons que les membres des collectivités diffusent ce message et c'est pourquoi nous voulons résoudre le problème des quotas et de la bureaucratie qui entrave l'industrie de la pêche. Aidez- nous à assurer l'épanouissement de cette industrie pour nous aider à régler certains des problèmes que vous venez d'évoquer.
C'est encore plus difficile quand c'est votre propre gouvernement qui est défaillant du point de vue du respect de notre revendication, la revendication du Nunavut. On nous avait promis l'égalité des programmes, du logement et de l'éducation mais nous attendons encore. Ça devient injuste. C'est pourquoi nous attaquons maintenant le gouvernement en justice, parce qu'il n'a pas tenu parole à l'égard des Inuits.
C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Notre objectif ultime est de voir une lumière au bout du tunnel. C'est de voir renaître un espoir. Si nous n'obtenons pas l'appui de notre propre gouvernement fédéral, il nous sera difficile de retrouver l'espoir. Nous avons notre propre espoir mais ça dépend du gouvernement qui a la responsabilité de respecter son engagement à l'égard de notre population. C'est particulièrement difficile de travailler avec quelqu'un qui vous déçoit. Voilà pourquoi les habitants du Nunavut font face à ce genre de difficultés.
Je sais que vous avez votre part de problèmes dans le Nord québécois. Nous voyons la même chose chaque jour. Nous avons tous le devoir d'aider les gens à reprendre pied et à trouver des emplois, à retrouver l'espoir d'une amélioration de leurs conditions de vie. C'est notre responsabilité à tous.
C'est difficile et on ne peut pas régler ça du jour au lendemain. Ça exige des plans à longue échéance et c'est précisément ce que nous essayons de faire.
Le sénateur Watt : M. Kaludjak a dit qu'il avait quatre recommandations à nous présenter. Nous les avez-vous remises par écrit, monsieur Kaludjak?
M. Kaludjak : Oui.
Le sénateur Watt : Le comité fera son possible pour défendre votre cause. Nous discuterons de la manière dont nous pouvons contribuer à la résolution de ce problème.
Le sénateur Cochrane : Veuillez m'excuser, j'étais à une autre réunion et je suis arrivée en retard. Je partage vos préoccupations. J'ai appris la semaine dernière qu'une bouteille de lait qui coûte 2 $ ici en coûte 9 chez vous. Je ne vois vraiment pas comment vous pouvez payer des prix pareils. Une bouteille d'eau que nous payons 99 cents vous coûte 5 $, ou quelque chose comme ça. C'est incroyable et c'est effarant.
Je voudrais des précisions sur le budget de formation utilisé à l'Université Memorial. Cet argent vous sert-il à envoyer des gens acquérir une formation?
Je voudrais aussi savoir si vos infrastructures se sont améliorées. Quels types de cours sont dispensés dans les édifices que vous avez construits? Y en a-t-il dans toutes les collectivités ou seulement à Iqaluit?
M. Kaludjak : En ce qui concerne le budget de formation, j'ai donné des explications tout à l'heure à un sénateur qui m'avait interrogé à ce sujet. Pour ce qui est des projets de formation mis sur pied par les gouvernements territorial et fédéral, je ne saurais vous dire comment les budgets sont établis et gérés. Ils pourront vous en parler eux-mêmes puisqu'ils doivent comparaître à la fin de cette semaine ou la semaine prochaine, si j'ai bien compris. Vous pourrez alors demander des détails.
En ce qui concerne votre autre question sur les services de formation que nous dispensons à notre population, comme je l'ai dit, nous avons notre propre organisation de formation, le Nunavut Implementation Training Committee. Ce comité a été créé dans le cadre de la revendication. Dans ce contexte, nous offrons un certain nombre de bourses ainsi que de la formation professionnelle aux divers organismes mis sur pied en vertu de la revendication qui peuvent avoir accès à cet argent pour dispenser de la formation à leurs membres ou aux membres de leurs comités. Voilà ce que nous faisons.
Pour ce qui est des autres cours dispensés en dehors du programme éducatif normal du gouvernement, je vous invite encore une fois à interroger ses représentants pour obtenir des précisions. Je suis sûr qu'ils pourront vous donner toutes les informations que vous souhaitez.
Le sénateur Cochrane : Il y a aussi une société minière à Pond Inlet. Combien a-t-elle d'employés? Leur dispense-t- elle une formation professionnelle? Où les gens peuvent-ils obtenir une formation pour y travailler?
M. Kaludjak : Je pense que vous parlez des mines qui se trouvent à Arctic Bay et qui ont fermé il y a quatre ou cinq ans. Nous avons raté le coche là-bas parce que c'était avant l'entrée en vigueur de notre revendication. Aujourd'hui, nous avons des ERAI, des ententes sur les répercussions et les avantages pour les Inuits, qui sont négociées avant qu'une société puisse commencer à produire. On y définit les besoins concernant la formation professionnelle, les niveaux d'emploi ainsi que les niveaux de sous-traitance aux entreprises appartenant aux Inuits du Nunavut. Tous ces éléments doivent être réglés avant que la société minière puisse commencer à produire. Nous avons donc ces ententes grâce à la revendication. Elles sont déjà en vigueur. Nous en avons négocié plusieurs, surtout dans la partie ouest du territoire. Dans ce contexte, une entreprise inuite peut signer avec la société minière une entente indiquant qu'elle est prête à recruter tel ou tel nombre d'employés. Nous avons atteint des records à ce chapitre, avec des niveaux de 60 ou 80 p. 100. Ces ententes disposent que la société minière est tenue par exemple d'engager un certain nombre d'Inuits si elle veut produire pendant tel ou tel nombre d'années.
Il y a aussi des redevances, comme le disait quelqu'un tout à l'heure. Il y a dans notre revendication une disposition indiquant que, pour toute extraction de minerais en surface ou en sous-sol, nous avons droit à 12 p. 100 de redevances sur ce que retire la société minière de cette extraction. Je suis heureux de dire que ces dispositions nous sont utiles sur le plan économique.
En ce qui concerne les coûts, il n'existe aucune route au Nunavut entre les collectivités. À Ottawa, vous avez des routes qui vont dans tous les sens. Au Nunavut, il n'y en a aucune. C'est pour cette raison qu'une bouteille d'eau coûte 6 $ et qu'un litre de lait en coûte 12, parce que tout doit être acheminé par bateau ou par avion, ce qui coûte cher. C'est aussi pourquoi nous vous demandons de nous aider en nous donnant des subventions adéquates afin de maintenir les prix à des niveaux que les gens peuvent payer. Vous avez parfaitement raison de vous demander comment les gens peuvent payer ce genre de prix. Certains ne le peuvent tout simplement pas. Voilà aussi pourquoi nous avons besoin d'emplois et pourquoi nous voulons que la pêche soit ouverte à notre population, ce qui nous permettrait d'obtenir des revenus pour payer ces prix. C'est pourquoi les activités et programmes du gouvernement sont importants pour compenser une partie des coûts que nous devons assumer.
Le sénateur Baker : Je tiens à vous remercier, monsieur Kaludjak, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, pour le travail remarquable que vous avez fait au nom de la population du Nunavut. Chacun le reconnaît. Nous comprenons votre message dans ces quatre recommandations.
Vous avez la réputation de produire les filets de poisson océanique les meilleurs au monde. Vous avez le meilleur poisson parce qu'il est péché sous la glace et qu'il n'a pas de vers. C'est quelque chose! À Terre-Neuve, en Nouvelle- Écosse, à l'Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick, nos usines de transformation du poisson ont un problème terrible lorsqu'il y a des vers à éliminer. Vous n'avez pas ce genre de problème. Vous avez la meilleure qualité de poisson et vous produisez à Pangnirtung les meilleurs filets de poisson au monde.
Quel pourcentage du budget des ports pour petits bateaux du Canada reçoit actuellement le Nunavut? Vous avez une côte incroyablement longue. Savez-vous quel pourcentage vous recevez? Si vous ne le savez pas, nous pourrons nous informer.
M. Kaludjak : Quand nous nous réunissons, nous n'employons pas l'adjectif « court » mais plutôt l'adjectif « bref ». Bref est généralement plus efficace pour nous — c'est plus rapide et c'est ce que nous disons dans nos réunions.
Je n'ai pas le pourcentage exact mais c'est minime. Je suis sûr que c'est proche de zéro. Nous pourrons vous fournir plus tard des informations sur ce que le gouvernement territorial consacre à l'établissement de ports pour petits bateaux au Nunavut. Je sais que c'est minime.
Dans la collectivité d'où nous venons, M. Williams et moi — Iqaluit — on parlait avant les élections d'un port de mer de 50 millions de dollars pour Iqaluit. Je crois comprendre que l'idée est maintenant disparue. Elle avait été lancée avant les élections mais, maintenant, c'est oublié. C'est une question que votre comité pourrait peut-être examiner pour voir où ça en est.
Je le répète, le budget consacré aux ports pour petits bateaux du Nunavut est quasiment nul à l'heure actuelle.
Le président : Je tiens à remercier nos témoins. Vous nous avez donné beaucoup d'informations qui nous seront extrêmement utiles. En outre, vous nous avez donné des pistes pour interroger les autres parties qui viendront témoigner devant notre comité. Nous tenons à en apprendre le plus possible sur vos préoccupations, après quoi nous produirons un rapport.
La séance se poursuit à huis clos.