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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères

Fascicule 4 - Témoignages du 21 juin 2006


OTTAWA, le mercredi 21 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent sur les affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 7 pour examiner les défis en matière de développement et de sécurité auxquels fait face l'Afrique; la réponse de la communauté internationale en vue de promouvoir le développement et la stabilité politique de ce continent; la politique étrangère du Canada envers l'Afrique.

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

Le président : Chers collègues, nous avons le plaisir aujourd'hui d'accueillir Mme Danielle Goldfarb, analyste politique principale à l'Institut C.D. Howe.

Je veux vous remercier au nom de mes collègues pour votre souplesse quant aux problèmes d'horaire. Ce n'était ni votre faute ni la nôtre, mais avec l'annulation de certaines séances des comités la semaine dernière, vous avez eu la gentillesse d'adapter votre horaire pour pouvoir nous rencontrer, et nous vous en sommes reconnaissants.

Permettez-moi de vous dire également que j'ai un profond respect pour le travail de l'Institut C.D. Howe. À l'époque où je faisais partie de groupes de spécialistes, nous nous tournions toujours vers l'Institut C.D. Howe pour y puiser des renseignements constructifs et réfléchis sur des sujets qui ne touchaient pas seulement l'économie.

Je suis particulièrement heureux que l'Institut C.D. Howe prenne part, comme organisation, à cet instrument de politique étrangère concernant l'ACDI pour exprimer un cadre analytique et de référence sur les questions d'efficacité et d'efficience.

Je vous invite à faire des remarques préliminaires et je sais que mes collègues de toute allégeance aimeraient vous poser des questions. Nous sommes conscients de vos contraintes de temps.

Danielle Goldfarb, analyste politique principale, l'Institut C.D. Howe : Merci de m'avoir invitée à vous rencontrer aujourd'hui. Je suis heureuse de pouvoir discuter avec vous de ce que l'ACDI peut tirer de l'expérience de plusieurs organismes d'aide bilatérale d'après la recherche menée par l'Institut C.D. Howe.

Je n'aborderai pas dans toute son étendue le débat sur l'efficacité de l'aide, mais je crois qu'il vaut la peine que j'expose en tout premier lieu les caractéristiques de l'aide susceptibles de contrer efficacement la pauvreté. Notre recherche sur les politiques et activités d'aide vise l'aide au développement à long terme plutôt qu'une aide humanitaire à court terme.

De nombreux exemples en témoignent, mais je vais tenter de les résumer brièvement. Ces exemples laissent supposer qu'aucune recette magique ne peut permettre le développement ou assurer l'efficacité de l'aide en tout lieu. Pour que l'aide soit couronnée de succès, il faut une stratégie ciblée et des démarches adaptées au pays visé et il faut comprendre par la recherche ce qui fonctionne dans un cadre d'aide donné. Il faut également se montrer réceptif à la rétroaction, à la critique et à la réévaluation, comprendre les réalités que sont la corruption et la mauvaise régie dans les pays bénéficiaires, avoir des attentes raisonnables et ne pas assujettir l'aide à des achats auprès de fournisseurs du pays donateur.

Ces critères d'efficacité de l'aide en tête, l'Institut C.D. Howe a comparé l'ACDI à des organismes d'aide bilatérale de même nature. Nous avons porté notre attention sur cinq organismes constamment considérés en général comme ayant les meilleures politiques et activités d'aide bilatérale : ceux du Royaume-Uni, des Pays-Bas, du Danemark, de la Norvège et de la Suède. Ces trois derniers ayant des budgets d'aide analogues à celui du Canada, nous avons présumé qu'ils seraient particulièrement importants dans l'établissement de conclusions utiles pour le Canada. Au lieu d'examiner à fond chaque organisme, nous avons examiné certains aspects touchant l'efficacité de l'aide.

Je ne suis pas une spécialiste de l'Afrique. J'exposerais volontiers ce que je sais sur les organismes d'aide en Afrique, mais il se peut que je ne puisse répondre à certaines questions au sujet de l'Afrique.

Avant la période de questions, je veux souligner, à propos des organismes que nous avons examinés, certaines caractéristiques desquelles, selon moi, l'ACDI peut tirer des leçons.

À l'évidence, l'efficacité de l'aide dépend d'une profonde compréhension de la situation des pays bénéficiaires. Nous avons constaté que de nombreux organismes d'aide de premier plan réduisent l'effectif de leur administration centrale, alors qu'ils augmentent leur effectif dans les pays bénéficiaires. À propos, nous n'avons pas examiné les organismes d'aide aux États-Unis, mais ce remaniement de personnel fait partie du programme d'aide aux États-Unis. Les organismes d'aide les plus décentralisés se trouvent au Danemark et au Royaume-Uni; ceux-ci affectent la moitié de leur personnel à l'étranger. Ainsi, ils peuvent plus aisément évaluer la situation locale et les programmes, s'assurer que les programmes répondent à leurs objectifs et, par dessus tout, assurer la coordination des ces programmes avec ceux d'autres organismes donateurs.

Plus de 80 p. 100 de l'effectif de l'ACDI se trouvent à l'administration centrale, contrairement aux autres organismes d'aide de premier plan. L'ACDI compte 1 500 employés à temps plein. Ce nombre dépasse largement celui de ses homologues dont le budget d'aide est de même taille que le sien. Ce nombre est démesuré comparativement aux gros organismes d'aide. Le nombre d'employés par rapport au budget d'aide est beaucoup plus élevé à l'ACDI.

Le deuxième aspect que nous avons examiné touche la présence accrue sur le terrain et la délégation du pouvoir de décision. Lorsqu'on se demande ce qui pourrait rendre un organisme d'aide bilatérale plus efficace qu'un organisme multilatéral ou pourquoi l'on devrait fournir de l'aide de manière bilatérale plutôt que multilatérale, on songe immédiatement au degré de souplesse de l'aide et à sa capacité de s'adapter à la situation locale. Les organismes de premier plan qui ont envoyé du personnel sur le terrain ont également décentralisé une grande partie de leurs pouvoirs décisionnels de l'administration centrale au profit de leurs bureaux extérieurs. Ainsi, ils peuvent réagir à un changement dans la situation locale, exercer une surveillance et assurer une coordination avec d'autres organismes.

Par contre, le personnel de l'ACDI sur le terrain jouit de peu de pouvoirs pour la conception, l'analyse ou la gestion de projet. La plupart des rapports de projet et des documents cadres sur le pays destinataire qui précisent les stratégies d'aide sont rédigés à l'administration centrale. Même si l'ACDI est peu présente sur le terrain, ses frais administratifs par rapport à l'aide comptent parmi les plus élevés de l'OCDE. On serait porté à croire qu'une grande présence sur le terrain se traduise par des frais administratifs élevés, mais les frais administratifs de l'ACDI sont élevés malgré sa faible présence sur le terrain.

Le troisième aspect que nous avons examiné touche la concentration des efforts. La plupart des organismes donateurs concentrent leurs efforts sur quelques grands pays ou grandes régions bénéficiaires. Par exemple, même si nous ne les avons pas examinés, l'Australie et la Nouvelle-Zélande concentrent leurs efforts sur l'Extrême-Orient et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, alors que le Japon concentre les siens sur l'Asie. Récemment, les Pays-Bas ont progressivement retiré l'aide qu'ils fournissaient aux pays mal gouvernés mais riches. La Norvège concentre son aide sur seulement sept pays principaux et 18 pays secondaires. En ce qui concerne certaines mesures de concentration, là encore, l'ACDI est l'organisme le plus dispersé au plan géographique, même si elle compte se concentrer sur 25 pays. Elle continue d'annoncer des programmes d'aide s'adressant à d'autres pays que ceux-ci. Le Canada, pour autant que je sache, n'a pas encore annoncé qu'il rayerait des pays de sa liste de 150 pays bénéficiaires. Cela pose un problème, car la dispersion des efforts sur de nombreux bénéficiaires entraîne une distribution parcimonieuse des compétences de gestion de l'ACDI. Cette dispersion fait que le Canada est un donateur insignifiant. Même pour les principaux pays bénéficiaires de l'aide canadienne, l'ACDI constitue un très petit donateur qui ne représente que 3 ou 4 p. 100 de l'aide qui leur est octroyée. Comme le Canada est un donateur insignifiant dans ses principaux pays bénéficiaires, les chances qu'il puisse faire passer ses conseils d'orientation stratégique et établir un meilleur dialogue auprès d'eux s'en trouvent réduites. L'ACDI a une liste de secteurs prioritaires qui, selon l'analyste Dennis Stairs, pourrait renfermer presque tous les enjeux du développement.

Le quatrième aspect que nous avons examiné touche l'aide conditionnelle. De nombreuses études révèlent que l'aide conditionnelle fait augmenter les coûts de l'aide de 15 p. 100 à 50 p. 100. La plupart des organismes d'aide de premier plan ont considérablement réduit leur aide conditionnelle, celle-ci étant inférieure à 10 p. 100 en moyenne pour les pays de l'OCDE et nulle pour la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède, du moins si l'on se fie aux données sur l'aide conditionnelle fournies à l'OCDE par ces pays. Il y a un écart entre les données fournies et la réalité dont nous pourrions parler, si cela vous intéresse. Comparativement à ce qui se fait dans d'autres pays, l'ACDI accuse beaucoup de retard, près de la moitié de son aide étant liée à des achats auprès de fournisseurs canadiens. Les agents de l'ACDI peuvent encore lier les nouveaux programmes d'aide pour autant qu'ils le justifient.

Le dernier aspect que je veux souligner, c'est l'importance de la recherche. La recherche et l'ouverture aux critiques et à la rétroaction sont cruciales à l'élaboration de programmes d'aide efficaces et à leur adaptation aux fluctuations de la conjoncture.

L'organisme d'aide du Royaume-Uni est doté d'un service de recherche bien établi, très respecté et transparent et dont la plupart des constatations sont affichées dans son site Web. Cet organisme recueille régulièrement des commentaires sur ses politiques et ses programmes auprès d'un groupe national de critiques, et il est doté d'un important programme de recherche contrôlé par des pairs. D'aucuns diront que le budget d'aide du Royaume-Uni est le triple de celui du Canada et questionneront la pertinence de cette comparaison. En fait, toutes proportions gardées, cet organisme consacre deux fois plus d'argent à la recherche que l'ACDI. De plus, les organismes qui tiennent compte de la recherche et de la rétroaction externes font des économies substantielles. Le Royaume-Uni fait mieux que l'ACDI à ce chapitre. Le Danemark, la Suède et les Pays-Bas investissent beaucoup aussi dans la recherche et comptent beaucoup sur des ressources externes pour l'obtention de rétroaction et de commentaires. Comparativement, l'ACDI investit peu dans la recherche et tire peu profit des recherches externes, y compris de celles issues du Centre de recherches pour le développement international. Selon quelques études, l'ACDI accueille mal la critique, a la réputation de garder la main mise sur ses recherches, attache peu d'importance à l'apprentissage en son sein et a tendance à ne pas encourager les débats.

Une lueur d'espoir s'est dessinée il y a environ 18 mois avec le lancement par l'ACDI d'un bulletin sur les politiques. Le premier numéro portait sur la corruption. J'ai cru qu'il s'agissait d'un premier pas dans la bonne direction, car c'est un sujet dont on parle peu dans les cercles d'aide ou dont on n'a recommencé à parler que depuis quelques années. Il y a un ou deux mois à peine, j'ai appris que l'ACDI avait annulé la publication de son bulletin après n'en avoir publié qu'un numéro en décembre 2004.

La qualité analytique des cadres de programme qui fixent la stratégie d'aide et évaluent la situation dans les pays bénéficiaires varie considérablement d'un cadre à l'autre. En outre, de nombreuses années s'écoulent et les programmes d'aide sont déjà en marche avant qu'on ne termine l'élaboration de ces cadres.

Pour réussir, les organismes d'aide comme celui du Royaume-Uni ne peuvent se passer d'un leadership vigoureux et constant. Avant 1997 environ, l'organisme d'aide du Royaume-Uni était considéré comme un organisme d'aide de milieu de peloton, mais depuis il a été complètement transfiguré et compte parmi les organismes d'aide de premier plan. Des ministres, des députés, des fonctionnaires et des médias viennent de le hisser au rang de ministère le plus productif du Royaume-Uni.

Au moment où il a pris le pouvoir en 1997, Tony Blair a nommé une ministre plutôt vigoureuse à la tête de cet organisme. Elle s'y est maintenue environ six ans, concentrant les efforts de l'organisme et sa présence dans les pays en voie de développement. Elle a créé un milieu ouvert à la discussion et aux débats, donc beaucoup plus séduisant pour d'éventuels employés, apte à y attirer les meilleurs chercheurs et propice à la création des meilleures politiques de développement.

Au contraire, l'ACDI a une jeune ministre, qui est beaucoup moins crédible à l'échelle gouvernementale et internationale. Comme l'a souligné le président actuel de l'ACDI dans un rapport rédigé avant sa nomination à ce poste, le Canada semble avoir perdu son rôle de leader en politiques de développement, tant en termes absolus que par rapport à d'autres pays. Au cours des 15 dernières années, l'ACDI a changé de ministre environ 12 fois. Manifestement, cette inconstance nuit à la coordination et à l'élaboration de politiques canadiennes et étrangères.

Pour terminer sur une note positive, je dirai que je crois que l'ACDI peut améliorer son efficacité générale par des changements analogues à ceux qu'ont apportés ces organismes de premier plan. Il faut que le gouvernement décide s'il veut investir pour faire de l'ACDI un organisme d'aide de premier plan. Dans ce cas, il devra donner plus de visibilité à la ministre de l'Aide internationale et investir dans la recherche sur l'amélioration de la qualité de l'aide. Une autre solution serait que l'ACDI utilise à meilleur escient les recherches actuelles, y compris les compétences qui lui sont extérieures, et qu'elle envisage de fournir plus d'aide par les voies multilatérales de capacité analytique supérieure.

Je crois que l'ACDI doit devenir plus ouverte aux débats et aux commentaires. Elle doit réduire le nombre de pays visés par ses programmes, miser sur l'expertise canadienne, accroître sa présence sur le terrain dans les pays où elle a décidé de concentrer ses efforts et en apprendre davantage sur ces pays. Elle doit donner plus de pouvoirs décisionnels et de souplesse au personnel sur le terrain, en les intégrant évidemment à des mécanismes régulateurs, réduire ses frais administratifs et libérer entièrement l'aide de l'obligation d'acheter de fournisseurs canadiens, faisant ainsi de l'aide non liée l'option implicite des nouveaux programmes d'aide.

Je crois qu'il est important de situer la politique d'aide dans un contexte plus large. L'aide mondiale est plutôt modeste par rapport aux flux du commerce et des placements mondiaux, du paiement des travailleurs et des fondations privées. Les améliorations que le Canada peut apporter aux politiques pour favoriser ces flux pourraient se révéler beaucoup plus profitables que l'aide aux politiques commerciales, le traitement des dons d'organismes caritatifs, les politiques d'immigration et les programmes de travailleurs invités, notamment. Même les politiques canadiennes visant la prévention de la corruption dans les pays en voie de développement peuvent être importantes. Je voulais seulement situer le débat sur l'aide dans un contexte plus large.

Comme je l'ai dit, ce n'est pas une évaluation exhaustive. J'ai cru comprendre que les membres du comité se rendront dans certains de ces pays. Je n'ai pas eu la chance de me rendre en Scandinavie et ailleurs pour étudier ces organismes, mais il me tarde d'entendre vos questions et j'espère pouvoir y répondre.

Le sénateur Andreychuk : Madame Goldfarb, vous avez dit que les frais administratifs de l'ACDI sont élevés. L'ACDI le justifie en partie en disant que les parlementaires et les collectivités veulent qu'elle soit imputable et qu'elle doit réaliser de nombreuses évaluations préalables avant de pouvoir octroyer des marchés. Les responsables de l'ACDI nous disent qu'avant de pouvoir se mettre au travail ils doivent mener des consultations au début de chaque projet.

Selon votre évaluation, ces frais administratifs sont-ils attribuables à un trop grand nombre de règles d'imputabilité — trop de rapports à présenter à trop de sources — ou à une autre raison? Croyez-vous que l'ACDI est repliée sur elle parce qu'elle n'a pas de cadre législatif à partir duquel elle pourrait travailler?

Mme Goldfarb : Il est bien connu que l'ACDI a de nombreux comptes à rendre. Elle a beaucoup de paperasse à remplir par rapport à d'autres organismes d'aide. L'une des raisons pour lesquelles les frais administratifs de l'ACDI sont plus élevés que d'autres organismes que j'ai étudiés, c'est qu'il s'agit d'un organisme autonome. Le Tableau 3 du commentaire que j'ai distribué compare les frais administratifs en tant que part du budget total d'aide. Ce tableau montre que le Canada s'est amélioré par rapport aux années antérieures. Ces frais s'élevaient à 10 p. 100 en 2003, et ce pourcentage s'est amélioré en 2004. Ceux du Royaume-Uni s'élèvent à 7 p. 100. Le Canada comme le Royaume-Uni ont un organisme d'aide autonome. Leur organisme ne relève pas d'un ministère des Affaires étrangères, contrairement au Danemark, à la Suède et, je crois, à la Norvège. La plupart de ces derniers ont intégré leur organisme d'aide à leur ministère des Affaires étrangères, d'où un ratio plus faible des frais administratifs par rapport à l'aide. Il nous faut songer au modèle que nous avons au Canada et à ce qu'il vaudrait mieux faire.

Une autre raison qui hausse les frais administratifs de l'organisme d'aide canadien réside dans le coût de la traduction. Tout ce qu'on affiche sur le site Web doit être traduit. Je n'ai pas évalué cet aspect; je ne sais pas l'incidence de la traduction sur les frais administratifs, mais les autres organismes n'ont pas à assumer ce coût.

Dans notre étude, nous avons examiné pourquoi les frais administratifs de l'aide étaient supérieurs au Canada. Selon nos constatations, cette situation est principalement attribuable à la distribution géographique de notre programme d'aide, d'où des comptes rendus pour de nombreux pays. Une des façons de réduire nos frais administratifs élevés consiste à nous doter d'un programme d'aide ciblé et, donc, à faire en sorte que l'aide soit davantage disponible au développement.

Peut-être pouvez-vous tirer au clair la question du cadre législatif, sénateur Andreychuk?

Le sénateur Andreychuk : Comme l'ACDI ne joue aucun rôle au Parlement, les parlementaires ne peuvent d'aucune façon dialoguer avec elle pour comprendre son orientation. Pour tirer de l'information sur l'ACDI, il faut compter sur la Période de questions, appeler un ministre, etc. Certains prétendent que cette situation favorise souvent une relation défensive entre les parlementaires et l'ACDI, au détriment d'une meilleure collaboration.

Mme Goldfarb : Je n'ai pas étudié en détail le cadre législatif. Je sais cependant que le Royaume-Uni a établi un tel cadre, qui a le mérite de rehausser la visibilité de la politique de développement et d'aide au sein du gouvernement. Toutefois, comme l'organisme d'aide du Royaume-Uni a apporté de nombreux autres changements, je ne veux pas tirer de conclusions. Il y a de nombreux autres facteurs en jeu dans la situation de l'ACDI, mais je ne veux pas faire de suppositions quant à leur importance. Si nous voulons investir dans l'aide et nous doter d'un organisme d'aide bilatérale, nous devrons donner plus de visibilité à la ministre et investir dans cet organisme, c'est le genre de décisions que nous devrons prendre.

Le sénateur Andreychuk : Nous comptons sur l'expertise canadienne par l'intermédiaire des ONG. Certains croient que l'ACDI a graduellement cessé d'utiliser les petites ONG qui faisaient un travail intéressant et qu'elle fait régulièrement affaire avec des ONG plus imposantes.

Le milieu des ONG se plaint pour deux raisons. La première, c'est que nous avons perdu notre base d'éducation au développement. Autrefois, nous avions de l'éducation au développement partout au Canada. Nous ne pouvons plus dialoguer avec les Canadiens et les sensibiliser à la structure internationale du développement.

La seconde, c'est que les ONG croient que nous avons tort de dire qu'elles accroissent les exigences de compte rendu, les tâches administratives et le risque et qu'il est plus facile pour un organisme d'aide de se tourner vers des ONG plus fiables et professionnelles plutôt que vers des ONG bénévoles.

Avez-vous examiné comment la prestation de l'aide peut se faire avec la contribution d'ONG au lieu d'établissements reconnus?

Mme Goldfarb : J'ai le regret de vous dire que nous n'avons pas examiné cet aspect. Peu d'études se sont penchées sur cet aspect de l'aide, il m'est donc difficile de répondre à cette question. Vous soulevez une bonne question. Nous n'avons pas examiné la question du dialogue avec les Canadiens. Nous nous préoccupions davantage de la question de l'efficacité de l'aide dans les pays bénéficiaires. Désolée, je ne peux répondre à votre question.

Le sénateur Merchant : Pouvez-vous me préciser ce qui distingue l'aide bilatérale de l'aide multilatérale? Je sais que « bi » veut dire deux et « multi » plusieurs, mais que veulent-ils dirent en matière d'aide?

Nous devons décider, en tant que gouvernement, ce que nous tentons d'accomplir avec l'aide que nous versons. Peut-être voulons-nous être présents dans de nombreux pays au lieu de quelques-uns seulement. C'est peut-être ainsi que nous voulons investir notre argent. J'ai remarqué que vous avez dit que vous n'aviez pas tenté de comparer le Canada avec les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont peut-être des pays dont les objectifs d'aide sont analogues à ceux du Canada. Je sais que votre étude portait principalement sur ces pays et j'ai remarqué que vous avez dit que les choses ont changé au Royaume-Uni en 1997 au moment de l'entrée au pouvoir du premier ministre Tony Blair. Je me demande si le contexte politique dans ces pays est différent de celui du Canada. Je ne sais pas si ce contexte joue un rôle dans l'orientation que nous voulons donner à notre aide financière.

Mme Goldfarb : Si je comprends bien, selon vous, il aurait été plus approprié que nous comparions le Canada à des pays ayant des objectifs politiques semblables aux siens.

Le sénateur Merchant : Je ne suis pas certain si cela aurait été plus approprié, mais vous auriez obtenu des résultats différents avec de tels pays, peut-être.

Mme Goldfarb : Je comprends. Si nous avons décidé de ne pas étudier les États-Unis, c'est simplement parce que leur programme d'aide est beaucoup plus imposant que celui du Canada, que leur système est très fragmenté — il compte de nombreux organismes d'aide différents — et que leur programme d'aide est largement piloté par leurs intérêts géopolitiques. Nous estimions que le programme américain ressemblait peu à notre modèle et qu'il y avait une bonne différence entre le budget et la structure des organismes américains et ceux du Canada. Nous avons des leçons à tirer des organismes d'aide des États-Unis, mais nous avons jugé que ces leçons n'étaient pas très pertinentes compte tenu de la façon dont l'ACDI compte dépenser ses 3,6 milliards de dollars.

De même, pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande, nous avons décidé de nous concentrer sur les organismes considérés comme efficaces dans l'établissement de politiques et d'activités d'aide qui réduisent la pauvreté. Vous avez raison de dire qu'ils peuvent avoir des objectifs et des intérêts différents de ceux du Canada et, peut-être davantage d'appui à leurs objectifs d'aide, mais si nous visons l'efficacité de l'aide et la réduction de la pauvreté, il importe que nous examinions les organismes qui se révèlent plus efficaces dans leur lutte contre la pauvreté. Les organismes d'aide en Australie et en Nouvelle-Zélande sont corrects, mais ils ne sont pas considérés comme des organismes d'aide de premier plan.

Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a différents contextes politiques. Le Canada a intérêt à contrer la pauvreté dans les pays en voie de développement. Nous devons concentrer notre attention sur les organismes qui réalisent ces objectifs avec le plus d'efficacité.

Vous dites que nos objectifs politiques nécessitent peut-être que nous soyons plus présents dans de nombreux pays. Je prétends que cela nuirait à l'efficacité de l'aide pour ce qui est de la réalisation des objectifs de développement. En concentrant notre aide sur moins de pays, en ayant plus de personnes sur le terrain qui comprennent ce que suppose la prestation d'une aide dans des milieux difficiles et qui entretiennent un dialogue politique franc avec les bénéficiaires, nous aurons beaucoup plus de chances d'améliorer l'efficacité de notre programme d'aide. Évidemment, presque tous les programmes d'aide s'adressant à des pays visent des objectifs politiques. Une maigre présence fait augmenter les frais administratifs, réduit le dialogue politique avec les pays bénéficiaires et mine la raison d'être des organismes dans ces pays. Les pays comme l'Inde ont simplement choisi de refuser de l'aide de petits pays. L'Inde n'accepte d'aide que des gros organismes pour éviter le remplissage inutile de documents.

Il faut faire des compromis. On améliorera probablement l'efficacité de l'aide qu'on peut fournir si l'on se garde d'assurer une présence diplomatique dans tous les pays où l'on se rend.

Pour ce qui est de la question sur l'aide bilatérale par opposition à l'aide multilatérale, la définition de l'ACDI diffère de celle l'OCDE. L'ACDI est responsable à la fois de l'aide multilatérale et bilatérale. Une partie de l'aide multilatérale est traitée par le ministère des Finances. Grosso modo, l'aide dont est responsable l'ACDI est à 75 p. 100 bilatérale et à 25 p. 100 multilatérale.

L'aide bilatérale est celle qui est versée directement par un pays à un autre, conformément à la définition de l'OCDE. La question que je pose à propos de cette définition — et je la soulève brièvement dans mon Commentaire — c'est quel est l'avantage comparatif d'un organisme d'aide bilatérale? Pourquoi l'aide que nous donnons passe-t-elle par un organisme d'aide bilatérale au lieu d'un organisme d'aide multilatérale dont les efforts sont pleinement coordonnés et les capacités d'analyse et de recherche nettement supérieures? À quoi bon avoir cet organisme d'aide bilatérale?

Vous avez soulevé la question des enjeux politiques. Divers enjeux et objectifs politiques expliquent pourquoi le Canada voudrait un organisme d'aide bilatérale. Si l'on vise l'efficacité de l'aide, je prétends qu'un organisme d'aide bilatérale peut être plus efficace qu'un organisme d'aide multilatérale, car il peut être plus souple et plus prompt à réagir sur le terrain à la conjoncture locale. Comme la plupart de nos ressources se trouvent à l'administration centrale à Ottawa, je prétends que nous ne sommes pas aussi souples et prompts à réagir sur le terrain. Il faut nous efforcer d'être plus souples et de fournir notre aide dans les secteurs de développement où nous sommes capables d'être souples. Il faut que nous donnions du pouvoir aux personnes sur le terrain qui peuvent apporter ce genre de changements. Sinon, nous pouvons envisager de donner plus d'aide par l'intermédiaire des organismes d'aide multilatérale. Je ne veux pas dire par là que cette dernière manière de procéder ne pose aucun problème. Je pose tout simplement la question : en quoi un organisme d'aide bilatérale peut faire mieux qu'un organisme d'aide multilatérale?

Le sénateur Merchant : L'aide vient des contribuables. L'ACDI n'a pas à nous expliquer pourquoi elle fait ceci ou cela, mais la générosité des Canadiens, l'ampleur de l'aide que nous fournissons, est peut-être tempérée par notre humeur. Je ne sais pas comment les gouvernements décident à quoi servent les deniers publics, mais je crois que les gouvernements réagissent au contexte politique, du moins pour ce qui est de l'aide. Je ne parle pas de partisanerie, je parle seulement de contexte politique. L'aide provient des contribuables.

Mme Goldfarb : J'en conviens. Souvent, les politiciens fournissent de l'aide en réaction au contexte politique canadien. C'est pourquoi je dis que d'accorder de l'aide en se fondant surtout sur des motifs politiques peut nuire à l'efficacité de cette aide.

Le sénateur Corbin : Quelle méthode avez-vous adoptée pour cette étude et quelles étaient vos principales sources? Avez-vous obtenu une rétroaction d'un pays bénéficiaire sur la qualité et le type d'aide?

Mme Goldfarb : Je vous remercie pour votre question. L'Institut C.D. Howe est un petit institut. Je n'ai donc pas pu miser sur de nombreuses ressources pour la réalisation de cette étude. Néanmoins, pour ce qui est de la méthode et de l'approche, nous avons choisi les organismes en nous fondant sur un classement effectué par un groupe de spécialistes américains du Centre for Global Development et sur une étude réalisée par Robert Greenhill. Ce classement et cette étude ont évalué les organismes d'aide les plus reconnus et ont déterminé quels organismes procurent de l'aide de qualité supérieure. Ils ont examiné le volume d'aide, la mesure avec laquelle l'aide était liée et d'autres aspects qui pourraient nuire à l'efficacité de l'aide.

Le président : Soyons précis. Il s'agit d'une étude réalisée par Robert Greenhill avant qu'il soit nommé président de l'ACDI, n'est-ce pas?

Mme Goldfarb : Oui. Merci pour votre précision. Nous avons également pensé qu'il serait important et plus approprié d'examiner des organismes d'aide dont le budget d'aide est de même taille que celui de l'ACDI. Nous avons examiné les organismes d'aide de premier plan et ceux dont la taille s'approchait de celle de l'ACDI.

Quant à nos sources, nous avons réalisé de nombreuses entrevues auprès du personnel de l'ACDI et de certains responsables des organismes d'aide. Nous avons également puisé dans leurs documents en ligne et des évaluations indépendantes et dans tout ce qui était disponible.

La rétroaction de pays bénéficiaires est une bonne question de votre part. Ce n'est pas une évaluation au niveau local que nous avons réalisée, c'est une sorte d'enquête, et c'est là la limite de ce genre d'étude. Il nous aurait été très utile de réaliser une étude plus approfondie et d'avoir accès à l'évaluation des pays bénéficiaires. Malheureusement, nous n'avions pas accès à ce genre d'information. Cela dépasse la portée de cette étude. Cependant, cette étude n'est qu'un début. Ce n'est pas une étude exhaustive; elle ne fait que soulever certains enjeux fondés sur la prépondérance des éléments probants que nous avons trouvés dans les documents portant sur l'efficacité de l'aide. Nous avons examiné ces documents en y cherchant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Je ne sais pas si cette réponse vous suffit.

Le sénateur Corbin : Elle me fournit certains renseignements.

Vous estimez que la dispersion de l'aide canadienne nuit à son utilité en bout de ligne.

Mme Goldfarb : Oui.

Le sénateur Corbin : Je présume que vous avez examiné l'aide en termes d'aide pure seulement, mais il s'agit évidemment d'un programme dirigé par le gouvernement. Je me demande si vous avez examiné l'aide en termes d'avantages politiques bilatéraux et non seulement en termes d'aide en tant qu'aide.

L'aide ne sert pas uniquement à soulager les infortunés et à permettre le développement, elle procure aussi au pays donateur d'autres avantages, dont des avantages politiques et diplomatiques.

Mme Goldfarb : Dans notre étude, nous traitons brièvement des considérations politiques, commerciales et autres.

Nous nous préoccupons principalement de l'efficacité de l'aide dans la lutte contre la pauvreté, c'était là l'objet de notre étude. Cependant, pour ce qui est des avantages politiques, je dirais que certaines constatations sur la concentration des efforts s'y appliquent aussi. Nous avons constaté que l'aide est insuffisamment ciblée et que nous représentons seulement 3 p. 100 ou 4 p. 100 de l'aide totale dans presque tous nos principaux pays bénéficiaires.

Je crois que c'est aussi un désavantage majeur d'un point de vue politique. Dans bon nombre de ces pays bénéficiaires, on compte 40 organismes donateurs, et il nous est impossible d'avoir avec tous ces organismes des discussions et un dialogue politique. En Haïti, par exemple, le Canada représente 10 p. 100 de l'aide fournie, soit la plus importante part d'aide dans nos pays bénéficiaires. Il est vrai que 10 p. 100 ce n'est pas 50 p. 100, mais nous bénéficions d'un dialogue avec Haïti du fait que ce pays entrevoit l'enjeu que l'aide représente. La concentration des efforts ne compte pas uniquement pour l'efficacité de l'aide; je ne suis pas certaine de savoir à quels enjeux politiques vous faites allusion en particulier, mais on a plus de facilité à dialoguer avec les pays où l'on est un donateur significatif.

Le sénateur Corbin : L'aide facilite le dialogue, également.

Mme Goldfarb : Oui, si votre programme d'aide a trait à la régie, vous pouvez aborder cette question et celles que le Canada juge importantes pour stimuler le développement dans le pays bénéficiaire, et peut-être même des objectifs politiques canadiens plus larges. Toutefois, je ne suis pas une experte en ramifications politiques.

Le sénateur Corbin : Cette étude est un outil utile pour notre comité et elle nous guidera dans l'examen approfondi des enjeux.

Le président : Madame Goldfarb, vous avez étudié des organismes d'aide qui font partie d'un ministère. Vous avez clairement indiqué que ces organismes peuvent réaliser des économies du fait qu'ils font partie d'un ministère et qu'ils ne constituent pas un coût gouvernemental complètement distinct, comme c'est le cas pour l'ACDI compte tenu de la façon dont elle a été établie.

Dans l'évaluation de la structure des coûts de ces organismes, êtes-vous certaine de ne pas avoir omis les coûts supplémentaires de la régie qui ne figurent pas dans le budget de ces organismes? Ces coûts sont-ils assumés par le bureau central ou le ministère des Affaires étrangères?

Mme Goldfarb : Il est vrai que cela pose un problème. L'OCDE affirme que ses chiffres sont comparables d'un pays à l'autre. Toutefois, l'ACDI réplique que, parfois, une comptabilité créative est appliquée aux chiffres. Certains organismes estiment que certains postes administratifs constituent de l'aide, et certains organismes jugent que certains frais généraux sont reliés au ministère des Affaires étrangères et non à l'aide. Il est difficile de comparer ces chiffres.

Cela dit, même si nous comparons l'ACDI au Royaume-Uni, qui est son propre agent, nos frais administratifs en tant que part de l'aide sont supérieurs. Je ne dis rien de plus. Cependant, ce n'est pas une comparaison parfaite, je vous l'accorde.

Le président : Voulez-vous dire que certaines nuances pourraient modifier un peu les chiffres, mais que vous est satisfaite de la signification relative des chiffres?

Mme Goldfarb : Oui.

Le sénateur Downe : C'est un rapport très intéressant et opportun qui a été publié en avril dernier. En avez-vous fait parvenir un exemplaire à l'ACDI en lui demandant ce qu'elle en pense?

Mme Goldfarb : Oui, car cela fait partie du processus d'examen par les pairs de l'Institut C.D. Howe. Après avoir examiné à fond l'étude dans notre institut, nous en avons fait parvenir un exemplaire aux décideurs responsables de la politique que nous avons examinée. Ce faisant, nous leur avons demandé des commentaires.

Au cours de la rédaction de ce rapport, j'ai parlé à plusieurs reprises avec des employés de l'ACDI. Bon nombre d'entre eux ont vu un exemplaire de ce rapport et ont discuté par courriel avec M. Greenhill de ce rapport et d'améliorations pouvant y être apportées. Il est certain que nous encourageons ce genre de dialogue et que nous obtenons d'eux des commentaires par crainte de déformer les faits ou de dire des faussetés.

L'ACDI a révisé une ébauche de ce rapport. Je ne veux pas tenir le président de l'ACDI responsable de chaque mot que renferme ce rapport pour la seule raison que l'ACDI en a révisé une ébauche.

Le sénateur Downe : J'ai hâte que nous recevions un exemplaire des commentaires de l'ACDI. Cela serait utile pour le comité.

Mme Goldfarb : Je le demanderai.

Le président : Madame Goldfarb, nous pouvons en faire la demande nous-mêmes, avec plaisir. L'ACDI s'en chargera quand bon lui semblera.

Mme Goldfarb : J'étais sur le point de dire qu'une partie de ses commentaires serait transmise de vive voix, mais je suis certaine que certains commentaires auront été faits par écrit également.

Le président : Le fait de l'inviter à répondre nous aiderait dans nos délibérations sur notre rapport à produire.

Le sénateur Downe : Lui avez-vous déjà écrit pour lui demander une réponse?

Mme Goldfarb : Oui.

Le sénateur Downe : Nous obtiendrons un exemplaire de l'ACDI.

Où se situe le Canada sur la liste des six pays que vous avez choisis? Je suis intéressé à savoir le montant de l'aide que les autres pays ont fournie. Je ne vois pas cette information dans votre rapport.

Mme Goldfarb : La liste des cinq pays de référence n'est pas dans le Commentaire, mais elle est dans le rapport, au Tableau 1. Quelqu'un peut-il nous le montrer? Le Canada se classe au sixième rang de cette liste, mais si vous regardez la liste des pays établie par l'OCDE, il se classe quatorzième. Le classement repose sur la l'aide en tant que part du revenu national brut, soit la façon habituelle de le faire. Vous remarquerez que le Canada est loin derrière les autres pays. Évidemment, cela peut changer. Cela change si on utilise la moyenne non pondérée au lieu de la moyenne pondérée, qui tient compte de la taille du budget d'aide; d'une façon ou d'une autre, l'ACDI fait piètre figure comparativement aux organismes d'aide de premier plan. Je soutiens cependant que nous devrions insister davantage sur l'efficacité de l'aide et moins sur le montant fourni.

Le sénateur Downe : Je m'intéresse au Tableau 4 de votre rapport. Ce tableau, à la page 18, concerne les pratiques d'aide liée et une remarque au bas fait référence à « l'aide partiellement déliée ». Pouvez-vous expliquer le sens de ce terme?

Mme Goldfarb : Monsieur le sénateur, je ne connais pas la réponse à cette question. Je sais cependant que les chiffres de l'aide liée sont très compliqués. J'en ai discuté à de nombreuses reprises avec des agents de l'ACDI, mais je ne saisis pas encore tout le processus. Les chiffres de l'aide liée ne comprennent pas des éléments comme la collaboration technique ou le récent programme Corps canadien en vertu duquel des Canadiens sont envoyés dans des pays en voie de développement pour travailler à des projets de régie. Ces projets sont considérés comme entièrement liés, mais ils ne font pas partie de nos calculs sur l'aide liée.

L'aide partiellement déliée est une catégorie qu'utilise l'OCDE, mais les documents de l'ACDI n'en font pas mention. J'ai le regret de vous dire que j'ai moi-même du mal à bien saisir les politiques exactes sur l'aide liée.

Le sénateur Downe : Serait-ce que le Canada est transparent et ouvert au sujet de son aide liée et que les autres pays truquent leurs chiffres?

Mme Goldfarb : Si l'on tient compte de l'aide partiellement déliée, ces pays affichent une part d'aide liée légèrement supérieure. L'aide liée des trois derniers pays — Norvège, Suède et Royaume-Uni —, qui est nulle en l'occurrence, serait légèrement supérieure. On peut aisément obtenir cette information auprès de l'OCDE, mais vous soulevez là une bonne question, qui touche les chiffres fournis à l'OCDE. Selon moi, même si le Royaume-Uni ne déclare aucune aide liée, de nombreux marchés sont encore octroyés aux Britanniques.

Le sénateur Downe : Drôle de façon de fonctionner.

Mme Goldfarb : Il y a une contradiction. Il est difficile de répondre à votre question, car ce sont là les chiffres fournis à l'OCDE.

D'après une recherche que j'ai faite sur les programmes imminents de l'ACDI à l'aide du Service électronique d'appels d'offres ACR/MERX, presque tous les programmes sont réservés aux Canadiens. Les possibilités offertes par l'ACDI ne sont pas toutes affichées sur ce service mais, bien que les autres pays divulguent des chiffres qui ne disent pas tout, l'efficacité avec laquelle l'aide réduit la pauvreté est peu justifiée. L'aide liée fait augmenter les coûts, elle est plus onéreuse que l'aide déliée et elle n'est pas très efficace.

Le sénateur Downe : Je ne m'oppose pas au principe, je doute de la valeur des chiffres. Ce n'est pas le rapport que je mets en doute, mais les pays qu'il vise. Comme vous l'avez mentionné à propos du Royaume-Uni, il est particulièrement étrange qu'on octroie la majorité des marchés à des entreprises britanniques.

J'aime la partie du rapport où vous recommandez qu'on augmente le personnel de l'ACDI sur le terrain et ses pouvoirs. Je crois que cette recommandation est très utile. Cependant, je m'inquiète de la recommandation de concentrer les efforts pour rehausser l'efficacité de l'aide, de celle où vous préconisez que le Canada s'affirme davantage dans un moins grand nombre de pays.

Un très grand nombre de peuples subissent bien malgré eux de mauvaises administrations et des gouvernements corrompus. Si le gouvernement canadien peut aider ces peuples sans aider leur gouvernement, ce devrait être aussi l'objectif de notre politique d'aide. Cependant, selon les critères de votre rapport, cet objectif ne serait pas considéré comme efficace du fait que notre pays n'est pas un grand donateur et que, par conséquent, il n'a pas une grande influence.

Mme Goldfarb : Cette remarque renvoie à la question de la concentration des efforts. Que pouvons-nous faire de façon réaliste avec un budget d'aide de 3,6 milliards de dollars? Manifestement, il y a de nombreux peuples dans le monde qui pourraient tirer parti de l'aide canadienne. Je soutiens que nous apporterions une meilleure aide à certains d'entre eux si nous leur réservions notre attention. Nous pouvons éviter de faire affaire avec les gouvernements en fournissant l'aide par d'autres voies. Nous devrions absolument examiner ces autres voies, mais nous devons reconnaître que, dans les pays où la corruption et la mauvaise régie nous pose des problèmes, nous nous heurterons à d'autres problèmes si nous décidons de fournir de l'aide par d'autres voies, car cette aide est fongible. Dans les pays où le Canada finance des services de santé et d'éducation, leur gouvernement peut tout simplement dire qu'il n'a pas besoin de fournir ces services. La prestation d'aide dans ces milieux difficiles pose des problèmes. Ce n'est pas une raison de nous abstenir d'en fournir, mais nous devons choisir les bonnes priorités.

Le sénateur De Bané : Monsieur le président, comme vous le savez, le document intitulé How Canada Can Improve Its Development Aid : Lessons from Other Aid Agencies cité dans le Commentaire de l'Institut C.D. Howe accompagne une étude plus approfondie réalisée par M. Richards. Comme il accompagne l'autre rapport, qui s'étend davantage sur le sujet de la bonne régie, je me demande si vous voudriez inviter M. Richards à s'exprimer devant notre comité.

Madame Goldfarb, j'ai été très stimulé par votre rapport. La déclaration que vous faites à la page 1 fait clairement ressortir l'essentiel de votre document :

L'ACDI n'a pas investi suffisamment dans les recherches, en particulier dans les recherches stratégiques ou ayant une valeur à long terme; elle n'encourage pas les débats et tire peu profit des commentaires externes, en particulier pour ce type de recherches.

Plus loin dans votre rapport, vous nous informez que d'autres organismes nationaux et multilatéraux ont déjà investi plus de 800 milliards de dollars d'aide pour le développement en Afrique et que, compte tenu des déclarations du premier ministre Harper, il est fort probable que le budget de l'ACDI atteigne environ cinq milliards de dollars d'ici 2010. Vous avez dit que les chiffres comparatifs fournis principalement par l'OCDE — comme nous en sommes membres, nous ne pouvons contester ces chiffres — nous portent à conclure que nous ne sommes pas très efficaces. Nous ne parvenons même pas à remplir nos principales promesses publiques.

En ce qui concerne la bonne régie, 22 pays accordent plus d'importance à cet aspect que le Canada. Votre conclusion est très convaincante. En un mot, vous dites que l'ACDI pourrait être plus efficace dans la réalisation de ses objectifs de développement.

Comme bon nombre de mes collègues l'ont dit, vous nous avez donné beaucoup d'éléments de réflexion. Nous sommes très troublés par la pauvreté de ce continent. Bientôt, plus de la moitié des Africains se retrouveront sous le seuil de la pauvreté.

Si j'ai bien compris, trois acteurs devraient fournir leur part d'aide : les pays africains, la communauté internationale et le Canada.

Manifestement, en produisant ce rapport, vous avez étudié cette question en collaboration avec toutes les personnes qui y ont travaillé et qui vous ont fourni une rétroaction avant la publication du Commentaire qui l'accompagne. Pouvez-vous nous suggérer deux ou trois recommandations principales? Nous nous penchons sur la problématique de l'Afrique depuis un an. Quelle est votre propre perception de cette problématique?

Mme Goldfarb : Je suppose que vous en savez davantage sur l'Afrique que moi.

Le sénateur De Bané : J'ai beaucoup appris grâce à votre document.

Mme Goldfarb : Merci. L'étude de John Richards est également très intéressante et examine plus à fond cette problématique. Il y traite beaucoup plus à fond des ouvrages sur l'efficacité de l'aide, et en particulier de l'éducation, de la santé et de la régie comme secteurs où le Canada pourrait être utile. Je crois qu'il vous ferait un excellent invité.

Pour ce qui est des deux ou trois recommandations que je vous ferais, je crois que le plus important pour les travaux du comité sur l'Afrique est l'idée que de nombreux pays d'Afrique sont considérés comme des milieux d'aide difficiles. À l'évidence, il vous faut bien saisir la situation particulière de ces pays et ce qui s'y passe au point de vue de la régie, de la corruption et des autres enjeux. Selon moi, le plus important est d'assurer une présence dans ces pays.

Le Canada a décidé de concentrer ses efforts dans 25 pays. L'un d'eux est le Cambodge. Au moment où j'ai réalisé ma recherche, il n'y avait aucun agent de l'ACDI au Cambodge, et l'ACDI n'y avait qu'un très petit programme. Il m'apparaissait insensé qu'on retienne le Cambodge sans y assurer une présence de l'ACDI.

Le sénateur De Bané : Comme vous le savez, madame Goldfarb, l'ACDI prétend en outre que, si elle autorisait une véritable équipe d'employés et d'analystes à prendre part au processus décisionnel, ses frais administratifs augmenteraient et la rigueur de ses rôles administratifs en souffrirait; c'est un enjeu bureaucratique, vous le savez. Je comprends l'ACDI de croire qu'elle peut être plus efficace en concentrant toute sa gestion à Ottawa et son personnel subalterne sur le terrain. Si elle envoyait des cadres sur le terrain, il lui faudrait évidemment de plus grosses équipes, ce qui ferait augmenter ses frais administratifs. Je suis certain que vous avez pensé à toutes ces réfutations.

Mme Goldfarb : Voilà pourquoi je dis qu'il faut une approche plus ciblée. Faute d'une approche ciblée, on ne peut espérer réduire ses frais administratifs avec une présence accrue sur le terrain, et je prétends que ces deux stratégies doivent aller de pair. Bon nombre de ces organismes d'aide y sont parvenus; la moitié des employés de l'organisme d'aide du Royaume-Uni se trouvent sur le terrain, et ses frais administratifs en tant que part du budget sont inférieurs à ceux du Canada.

Le sénateur De Bané : Vous dites que les organismes internationaux comme la Banque mondiale ont plus de ressources de recherche que l'ACDI, et je suis certain que les responsables de l'ACDI répliqueraient en disant qu'ils connaissent les rapports de recherche de ces grandes institutions internationales.

Mme Goldfarb : Je suis certaine que de nombreux employés de l'ACDI lisent ces rapports. C'est sûrement le cas. J'ai lu quelques études portant sur le débat et la réflexion au sein de l'ACDI et j'en ai conclu que ce n'est pas un milieu jugé ouvert à la réflexion. Heureusement, c'est en train de changer, mais récemment ce milieu n'était pas perçu comme un milieu particulièrement ouvert aux chercheurs canadiens externes intéressés par le développement. J'ai vu une lueur d'espoir se dessiner dans la tentative de changer cet environnement. Historiquement, l'ACDI n'a pas l'habitude de faire connaître ses réalisations aux chercheurs externes. De nombreux documents sont difficiles à obtenir.

Le sénateur Di Nino : Avant de poser ma question, je dois vous dire, monsieur le président, que M. Ted Menzies, secrétaire parlementaire de la ministre de la Coopération internationale, m'a demandé de le tenir au courant des résultats de cette étude. Je crois qu'il serait très judicieux de faire parvenir à M. Menzies l'exposé complet de Mme Goldfarb ainsi que le procès-verbal de la réunion. Cette information pourrait lui être utile. Elle est assez exhaustive et traite de façon particulièrement claire de l'ACDI. Je crois qu'il lui serait utile de savoir ce qui se passe. Il se peut qu'il obtienne autrement cette information, mais assurons-nous qu'il l'obtienne.

Madame Goldfarb, vous insistez beaucoup sur la recherche. Devrais-je en conclure que vous croyez que l'ACDI prend parfois des décisions sans être bien informée?

Mme Goldfarb : Je ne voudrais pas tirer de conclusion générale sans avoir étudié tous les programmes de l'ACDI. Je ne veux pas faire de déclaration générale alors que je ne peux dire avec certitude que j'ai examiné tous les programmes de l'ACDI et que, parfois, l'ACDI ne s'appuie pas sur la recherche. Toutefois, l'Agence, en général, n'investit pas beaucoup de ressources dans la recherche, et la plupart de ses recherches sont temporaires, concernent un projet en particulier et ne peuvent s'appliquer aux projets ultérieurs. Environ 85 p. 100 de ses recherches sont de cette nature, et très peu sont des recherches stratégiques. Historiquement, la capacité de recherche de l'ACDI n'est pas grande. Cette situation a changé ces dernières années avec l'augmentation du nombre d'employés de la Direction générale des politiques, et je ne voudrais pas faire de suppositions quant au nombre exact de recherches qui se sont traduites par des programmes d'aide efficaces.

Le président : Madame Goldfarb, puis-je vous demander combien d'employés sur les 1 500 participent aux recherches?

Mme Goldfarb : Je ne sais pas combien d'employés font partie de la Direction générale des politiques. Quelqu'un parmi nous peut peut-être nous le dire, car je n'ai pu obtenir de réponse à cette question. Les directions générales qui prennent bon nombre des décisions dans l'ACDI s'occupent des programmes géographiques, qui constituent la division de l'aide bilatérale. C'est là que les décisions se prennent dans l'ACDI, et c'est un secteur différent de celui des politiques. Il est difficile de dire combien de recherches sur les politiques alimentent les décisions.

Le sénateur Di Nino : L'autre critique utile et constructive que vous avez formulée, c'est que l'aide de l'ACDI est probablement trop dispersée, pas assez ciblée. Dans votre étude, avez-vous pu entrevoir si l'aide des pays de référence était plus ciblée ou plus régionale et est-ce la raison pour laquelle leur aide est plus efficace?

Mme Goldfarb : La Figure 1 à la page 9 du document que j'ai distribué est en fait un peu désuète, mais le graphique à barres de 2003 montre les deux échelles de la concentration de l'aide. La barre foncée, celle de gauche, montre l'aide fournie aux 25 principaux bénéficiaires, et la barre de droite est un indice de concentration de l'aide plus complexe qui est expliqué dans l'étude. Vous pouvez constater par les deux échelles que l'aide canadienne est plus diversifiée ou moins concentrée que celle des pays de référence que nous avons examinés et que, par rapport à l'ensemble des pays de l'OCDE, le Canada a une aide aussi concentrée mais plus diversifiée. L'ACDI tente de concentrer son aide dans 25 pays principaux, les deux tiers de son aide y seront consacrés d'ici 2010. Je soutiens que nous sommes assez près de cet objectif d'après les chiffres, ce n'est donc pas un gros changement par rapport à la situation antérieure. À mon avis, l'aide de l'ACDI est beaucoup plus concentrée que celle des organismes de premier plan.

Le président : Vouliez-vous dire « beaucoup plus concentrée » ou « beaucoup moins concentrée »?

Mme Goldfarb : Désolée, l'aide de l'ACDI est beaucoup moins concentrée, en effet.

C'est encore vrai aujourd'hui, malgré les changements de politique annoncés, car notre nouvelle politique vise à ce que nous réservions les deux tiers de l'aide à ces 25 pays et le reste à quelques autres pays. Je n'ai vu aucune annonce disant que nous retirons l'aide d'autres pays. Je dirais que nous comptons encore parmi les pays dont l'aide est la plus diversifiée.

Le sénateur Di Nino : Dans votre rapport, vous avez peu insisté sur le développement économique et le développement du secteur privé. Je ne sais pas si vous avez examiné ces deux types de développement, mais des témoins nous ont laissé entendre qu'un effort de collaboration avec le secteur privé, et en particulier un effort à long terme, peut produire d'excellents résultats. Que pensez-vous de ces types de développement?

Mme Goldfarb : L'absence de commentaires sur le développement économique et le développement du secteur privé de ma part ne sous-entend pas que ces développements sont inutiles ou inefficaces. Nous n'avons pas cherché à savoir à quels types de développement l'ACDI devrait s'intéresser. Je n'ai pas grand chose à dire là dessus, mais je vous concède qu'il y a de nombreux aspects favorables en matière de développement. Je suis contente de savoir que d'autres témoins ont abordé ce sujet.

Le président : Je veux préciser que l'important investissement fait récemment en Afghanistan ne fait pas encore partie de ces chiffres.

Mme Goldfarb : L'Afghanistan ne fait pas partie des 25 principaux pays bénéficiaires. Apparemment, le dernier tiers de l'aide est censée être destinée à d'autres pays.

Le sénateur Stollery : J'ai pris note de votre question. Ce matin, j'ai entendu le général Hillier parler de l'Afghanistan. J'espère ne pas me tromper, mais nous dépensons d'imposantes sommes en Afghanistan. Comme vous le savez, le comité est chargé de l'étude sur l'Afrique, mais il est difficile d'ignorer l'Afghanistan et l'ACDI, car nous dépensons de plus en plus d'argent en Afghanistan.

L'Afghanistan ne fait pas partie de ces 25 pays, dites-vous? Où se situe-t-il alors dans toute cette aide?

Mme Goldfarb : L'Afghanistan est le principal bénéficiaire de l'aide canadienne, et nous avons probablement raison de poser la question suivante : Si l'Afghanistan ne figure pas sur la liste des 25 principaux pays bénéficiaires, pourquoi y consacrons-nous le plus clair de notre aide?

En réalité, en 2002, l'ACDI a dit qu'elle se concentrerait sur neuf pays; toutes ses nouvelles dépenses d'aide iraient à ces neuf pays, que j'ai mentionnés dans mon rapport. Par la suite, l'Iraq et l'Afghanistan sont devenus les bénéficiaires des nouvelles dépenses d'aide; manifestement, les priorités politiques l'ont emporté sur l'ensemble des objectifs de la politique de développement de l'ACDI. On constate à la lecture de la déclaration sur la politique internationale et des documents s'ensuivant, qui indiquent que l'ACDI se concentrera sur 25 pays, que la réalité est un peu différente. La concentration des efforts en Afghanistan et ailleurs peut nous éloigner des priorités déterminées par l'ACDI en fonction du développement.

Vous soulevez une grande question, qui est un important défi à relever pour l'ACDI et le gouvernement canadien. Deux problèmes se posent. Premièrement, comment réunir les militaires et les responsables du développement dans le même pays et comment traiter les diverses priorités? Deuxièmement, comment cela se répercute-t-il sur les priorités de développement ainsi que sur la défense ou les priorités militaires? Il y a aussi la question de l'aide humanitaire par opposition à l'aide au développement. L'aide humanitaire vise des objectifs de développement à court terme. L'aide au développement est censée viser des objectifs de développement à long terme et de développement durable. Récemment, plusieurs catastrophes naturelles importantes ont nécessité une augmentation substantielle de l'aide humanitaire. On pourrait également en venir — et je n'ai pas étudié la question en profondeur — à qualifier d'aide humanitaire les deux tiers de l'aide au développement destinés à ces 25 pays, mais l'aide humanitaire peut ne pas relever de la même catégorie. C'est un autre point qui présente un défi à l'aide au développement.

Le sénateur Stollery : Ce matin, j'ai entendu les témoignages exprimés devant le comité de la défense. Je n'ai pas l'intention d'aborder la question de l'Afghanistan, sauf qu'il me semble que notre plus grande contribution va à l'Afghanistan. On m'a dit que ce pays est si dangereux que les travailleurs de l'Aide ne peuvent y évoluer en sécurité. Si c'est vrai, il faut se demander s'il s'agit réellement d'une aide. C'est un gâchis, il me semble.

Le Tableau 3 illustre qu'une faible partie du personnel administratif se trouve sur le terrain. Je crois que le sénateur De Bané a abordé ce sujet. Les répercussions de cette situation me semblent assez importantes. Comment fonder son travail sur des recherches sans aller en Afrique? Il n'y a rien de tel qu'un voyage sur place pour se représenter la scène, comme on dit. C'est une lacune dont souffre l'ACDI, selon ces chiffres.

Mme Goldfarb : Oui.

Le sénateur Stollery : L'ACDI veut rester à Ottawa.

Mme Goldfarb : Je le pense aussi. C'est une importante lacune. Comme je l'ai mentionné, les États-Unis décentralisent les pouvoirs depuis de nombreuses années, permettant ainsi la prise de décisions sur le terrain. C'est peut-être une leçon que nous pouvons tirer de nos voisins du Sud, même s'ils ne constituent peut-être pas un exemple parfait à suivre pour le développement canadien.

Je ne sais pas si vous le savez, mais Carol Lancaster a réalisé une autre étude en 1999 — cette étude date un peu — dans laquelle elle examine les politiques d'aide de plusieurs autres pays relativement à l'Afrique. Sa première préoccupation quant à l'efficacité de l'aide en Afrique était le manque de ressources des organismes d'aide sur le terrain. Elle a examiné aussi une série d'autres organismes d'aide. Elle ne s'est pas bornée aux organismes de premier plan, comme nous l'avons fait, car elle a examiné des organismes de la France, du Japon, de l'Italie et d'autres organismes inefficaces et cherché les raisons de leur inefficacité. La principale conclusion qu'elle a tirée c'est que le manque de ressources des organismes d'aide sur le terrain est vraiment la cause profonde de l'inefficacité de leur aide. Voilà un autre exemple laissant supposer que c'est un point que peut améliorer l'ACDI.

Le sénateur Stollery : S'il nous fallait examiner les politiques d'aide d'autres pays et nous rendre dans certains pays pour y observer les réalisations et les échecs, seriez-vous disposée à faciliter notre choix par votre sagesse? Je pense au Danemark, à la Norvège, à la Suède, au Royaume-Uni et aux Pays-bas. Si vous deviez en retenir trois, lesquels choisiriez-vous?

Mme Goldfarb : Je choisirais probablement le Royaume-Uni, même si son budget d'aide est le triple de celui du Canada, pour la simple raison qu'il a le plus gros roulement et qu'il est considéré comme un pays d'aide de premier plan. Bien entendu, le Canada a des liens historiques avec lui, en outre. Je choisirais le Royaume-Uni ou le Danemark pour la question de la présence sur le terrain en particulier, pour savoir si cette présence a bien marché pour eux, car ce sont deux agences dont la moitié du personnel se trouve sur le terrain.

Je n'ose en choisir un autre parmi ceux qui restent. Je suis certaine qu'ils pourraient tous vous apprendre quelque chose, mais je mettrais probablement le Royaume-Uni en tête de liste.

Le sénateur Stollery : Vous pourriez en choisir un parmi les deux ou trois autres. Aux fins de votre recherche, dans lequel iriez-vous?

Mme Goldfarb : Si, dans mon choix, le Royaume-Uni venait en premier, le Danemark ou la Norvège viendraient probablement en deuxième, car il serait important que j'examine un organisme d'aide dont le budget est de taille analogue à celui de l'ACDI. Voilà donc mes deuxième et troisième choix.

On peut tirer des leçons de n'importe quel d'entre eux. Je crois que nous avons réduit la liste à un certain groupe de pays. Si vous vous trouvez un pays scandinave, vous pourrez vous rendre dans chacun d'eux.

Le sénateur Corbin : J'ai une question simple à poser. Dans la conclusion de votre rapport, à la page 22, vous vous exprimez en ces termes :

Dernièrement, des initiatives du gouvernement fédéral, comme la décision de se concentrer sur moins de pays et de les choisir selon des critères significatifs, sont des pas dans la bonne direction, mais ce n'est qu'un début.

Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « critères significatifs »?

Mme Goldfarb : Je faisais allusion aux critères que dit utiliser l'ACDI dans le choix des bénéficiaires de son aide.

Le sénateur Corbin : Je comprends.

Mme Goldfarb : Je peux vous les lire.

Le sénateur Corbin : Sont-ils inclusifs? Pourrait-on en élargir ou en améliorer la portée?

Mme Goldfarb : Les voici, au bas de la page 10.

Ottawa a choisi les 25 pays où concentrer l'aide en se fondant sur trois critères : leur niveau de pauvreté, leur capacité d'utiliser efficacement l'aide et une présence canadienne suffisante dans ces pays pour de meilleurs résultats.

Je crois qu'il s'agit là de critères significatifs, mais des compromis évidents mènent à des choix bizarres. Par exemple, l'Ukraine ne répond pas au critère de pauvreté. Toutefois, ce pays a été choisi pour des raisons politiques et parce que le Canada y avait effectué du travail.

Je crois que l'important c'est d'établir certains critères ayant à voir avec l'efficacité de l'aide, le niveau de pauvreté et les points forts du Canada. Pour ce qui est de l'intention visée, c'est un bon départ. Historiquement, le Canada n'est pas très sélectif dans le choix de ses pays bénéficiaires. Nous distribuons notre aide à un large éventail de pays. D'ailleurs, quand nous avons réduit nos budgets dans les années 90, nous avons réduit d'autant chaque programme d'aide sans nous encombrer de choix difficiles.

C'est un pas en avant. Je questionne encore certains choix de pays, mais je crois qu'il vaut la peine, dans un premier temps, de chercher à s'entendre sur les critères que nous utiliserons pour, du moins, faire progresser le débat. Comme je l'ai dit, ce n'est qu'un premier pas, car je ne pense pas que nos efforts soient beaucoup plus concentrés qu'auparavant. Ce n'est qu'un début.

Le sénateur Corbin : Je remarque que vous avez également publié en 2001 un document intitulé Who Gets CIDA Grants? Recipient Corruption and the Effectiveness of Development Aid. Ce document est-il désuet ou encore valable aujourd'hui comme document à lire?

Mme Goldfarb : Cela dépend du temps de lecture dont vous disposez.

Le sénateur Corbin : J'en ai en abondance : les deux prochains mois.

Mme Goldfarb : Dans ce document de recherche, je prétends que l'ACDI n'a pas accordé assez d'attention au problème de la corruption et de la régie dans ses pays bénéficiaires et qu'elle donnait une grande partie de son aide à des pays corrompus. Pourtant, le mot « corruption » n'apparaissait dans aucun de ses rapports sur ses pays bénéficiaires. Je n'ai pas lu tous ses rapports pour savoir si c'est encore le cas aujourd'hui, mais les problèmes de corruption et de régie sont beaucoup plus reconnus maintenant dans les documents de la Banque mondiale et le bulletin sur les politiques de l'ACDI. Comme je l'ai dit, la seule préoccupation de ce rapport était le problème de la corruption, et on a fait demandé à quelqu'un de la Banque mondiale de rédiger une partie de ce rapport.

Je dirais que des progrès ont été accomplis. Je continue de penser qu'on n'a pas accordé assez d'attention à ce problème, mais je n'ai pas examiné ce problème à fond aujourd'hui. Je dirais que nous avons fait des progrès pour ce qui est de reconnaître qu'il s'agit bien d'un problème; de plus, si nous voulons donner de l'aide dans ces pays, nous devrons considérer de manière réaliste les circonstances dans lesquelles nous le ferons, car c'est la seule façon de le faire avec efficacité.

Le président : Au nom de mes collègues, je vous remercie, madame Goldfarb, pour la franchise et la clarté dont vous avez fait preuve aujourd'hui et pour l'excellent travail que vous et l'Institut avez fait sur ce sujet depuis plusieurs années.

Je suis certain que la transcription de votre témoignage aboutira d'une façon ou d'une autre à l'ACDI et que cela nous permettra d'obtenir plus d'information de l'ACDI — nous en serons toujours heureux bien qu'étonnés — et nous aidera dans nos délibérations. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je dois ajouter, honorables sénateurs, que c'est notre dernière réunion au calendrier, car le Sénat va peut-être clore sa session dans les prochains jours. Votre comité directeur continuera toutefois de travailler avec diligence pour vous à la version préliminaire du rapport au fur et à mesure de sa rédaction et à nos éventuelles activités de l'automne.

[Français]

Je voudrais exprimer nos remerciements profonds au sénateur De Bané, qui a préparé un commentaire assez détaillé sur l'ébauche du rapport au sujet de l'Afrique qui est déjà entre nos mains. Il a distribué ses commentaires avec mon encouragement. Cela nous donne l'occasion de réfléchir, en tant que membres du comité, sur le contenu du rapport final que l'on préparera à l'automne et qui représentera le travail énorme fait par les membres du comité dont l'ex- président du comité, le sénateur Stollery ainsi que le sénateur Corbin.

[Traduction]

Votre comité continuera de travailler là-dessus. Nous vous tiendrons au courant de tout et nous sommes très ouverts aux réflexions, aux idées et aux suggestions sur la façon dont nous procéderons à l'automne. Nous présenterons nos recommandations au comité pour que vous les examiniez à notre prochaine réunion.

Merci beaucoup.

La séance est levée.


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