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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 7 - Témoignages du 22 novembre 2006


OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 8 pour examiner l'entente entre le Canada et les États-Unis à propos du bois d'œuvre.

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je représenterai l'autre côté de la table en attendant l'arrivé de mes éminents collègues conservateurs. Messieurs Helliwell et Harris, merci d'avoir accepté de participer.

[Français]

Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international. Nous continuons aujourd'hui notre étude portant sur l'Accord sur le bois d'œuvre et le mécanisme de résolution des différends.

[Traduction]

Nous avons aujourd'hui l'honneur d'accueillir deux professeurs de Colombie-Britannique qui comparaissent ensemble par vidéoconférence : M. Helliwell, professeur émérite d'économique à l'Université de la Colombie- Britannique et M. Harris, professeur d'économique à l'Université Simon Fraser. Ils ont déjà témoigné devant le comité lorsqu'il était sous la présidence du sénateur Stollery.

La recherche de M. Helliwell porte sur de nombreux aspects de l'économie et de la politique gouvernementale. Il est actuellement chercheur universitaire et coordonnateur du programme sur les interactions, l'identité et le bien-être de l'Institut canadien des recherches avancées. Il est attaché de recherche du National Bureau of Economic Research et membre du conseil d'administration de l'Institut de recherche en politiques publiques. Les ouvrages qu'il a publiés incluent How Much Do National Borders Matter? et La mondialisation et le bien-être.

M. Harris est spécialisé en économie internationale et, plus particulièrement, en économie de l'intégration. De 1985 à 1988, il a été conseiller spécial du gouvernement du Canada dans les négociations préparatoires à l'Accord de libre- échange entre le Canada et les États-Unis. Il a publié des ouvrages et des articles sur le libre-échange entre le Canada et les États-Unis, sur la macroéconomie internationale, sur la croissance économique et sur les politiques publiques canadiennes.

[Français]

Je demanderais au professeur Helliwell de bien vouloir commencer; il sera suivi par le professeur Harris. Nous aurons ensuite la chance de leur poser des questions.

[Traduction]

John Helliwell, professeur émérite d'économique, Université de la Colombie-Britannique : Monsieur le président, on m'a demandé de faire des commentaires sur les incidences de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux (ABOR), sur le fonctionnement des mécanismes de règlement des différends de l'ALENA applicables au commerce entre le Canada et les États-Unis. Mon opinion sur la question est toute simple et elle basée sur des principes fondamentaux.

L'ABOR, et surtout le volet de cet accord qui permet aux producteurs de bois d'œuvre américains de garder 20 p. 100 des droits versés pendant la durée du conflit, ébranlera inévitablement la confiance dans les procédures de règlement des différends de l'ALENA et, par conséquent, dans leur efficacité. Les raisons sont simples.

Les groupes spéciaux de l'ALENA chargés du règlement des différends ont continué d'appuyer l'argumentation du Canada, à savoir que les droits que l'on faisait payer sur le bois d'œuvre résineux n'étaient pas justifiés. Il en était déjà ainsi au cours des différends précédents concernant le bois d'œuvre résineux. Cependant, dans ces cas-là, la suppression des droits était généralement accompagnée d'un remboursement intégral des droits déjà perçus, avec les intérêts courus pendant que les États-Unis détenaient ces fonds. Je pense que la seule exception était en 1996 lorsque le processus de règlement des différends a été supplanté par un accord politique prévoyant un remboursement partiel seulement des droits déjà versés.

Le président : Monsieur Helliwell, je me demande si je pourrais vous prier de parler un peu moins vite pour permettre à nos interprètes de rattraper le retard qu'ils ont pris et de vous suivre.

M. Helliwell : Pour les aider, je lisais le document qui leur a été remis ce matin.

Lorsque le processus a pu suivre son cours jusqu'à la fin, les parties lésées ont été intégralement remboursées. Cette fois-ci, ce principe fondamental a été abandonné, ce qui a accru les attentes des producteurs américains qui envisagent de prendre à nouveau des actions analogues dans ce secteur ou dans un autre.

Plus fondamentalement, l'objet des accords commerciaux accompagnés de leurs procédures de règlement des différends, est de dépolitiser les échanges commerciaux et, par conséquent, de faire en sorte que les règles dans le cadre desquelles les échanges sont effectués soient plus prévisibles. Si les conclusions des groupes spéciaux chargés du règlement des différends sont supplantées par le processus politique, ils perdent leur crédibilité et, par conséquent, leur valeur pour le système commercial.

À quoi cela sert-il d'instaurer un processus élaboré de règlement des différends si le gouvernement de la partie lésée abandonne le système lorsque les procédures s'enlisent? Le Canada a déjà fait de gros investissements dans le système de règlement des différends, et il a lutté patiemment et remporté plusieurs victoires consécutives dans une série de conflits concernant le bois d'œuvre résineux, ayant chaque fois la patience de laisser le processus se dérouler jusqu'à une conclusion juste.

Tout cet investissement est compromis, et on pourrait même dire qu'il sera peut-être perdu à jamais, par l'actuel accord sur le bois d'œuvre résineux dans le contexte duquel le processus de règlement des différends a été abandonné. La condition indispensable pour maintenir la confiance dans le processus de règlement des différends, compte tenu de la série de décisions en faveur de la position canadienne qui ont été rendues, était le remboursement intégral des droits déjà versés, avec intérêts, juste comme dans les cas précédents. Les pertes générales de confiance dans ce processus seront probablement supérieures aux sommes très importantes en cause.

Les paragraphes qui précèdent ont été rédigés en se basant sur des principes généraux. Depuis qu'ils ont été écrits, j'ai eu le temps d'examiner les décisions qui ont été rendues sans tambour ni trompette par le Tribunal du commerce international des États-Unis le 21 juillet et le 13 octobre 2006. Ces deux jugements laissent présager l'approbation inconditionnelle de la position canadienne et un remboursement intégral des droits déjà versés, avec quelques mois de patience. Le jugement du 21 juillet, fondé sur l'interprétation par le tribunal du processus de règlement des différends, confirmait que les droits étaient invalides et qu'ils retardaient le choix d'un recours commercial approprié.

Le 13 octobre 2006, soit un jour après la mise en œuvre précipitée de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux, le Tribunal de commerce international des États-Unis a annoncé que tous les droits perçus, avec intérêts, devraient être remboursés au Canada. Cela ne se fera apparemment pas, car l'Accord impose aux États-Unis un remboursement, avec intérêts, d'un milliard de dollars seulement sur les droits perçus, dont leur propre Tribunal de commerce international était sur le point d'ordonner le remboursement intégral au Canada.

Si le gouvernement du Canada n'avait pas permis à la politique de supplanter les mécanismes de règlement des différends de l'ALENA, le long processus aurait débouché sur le remboursement intégral des droits, avec les intérêts. L'ABOR est non seulement une renonciation au remboursement de plus d'un milliard de dollars de droits injustifiés, mais il est en outre une acceptation de plusieurs autres dispositions qui limiteront la capacité des producteurs de bois d'œuvre résineux canadiens de faire du libre-échange avec les États-Unis. Si mon interprétation de ces décisions est correcte, c'est une double perte pour le Canada. On a perdu confiance dans le processus de règlement des différends de l'ALENA parce qu'il a été supplanté au niveau politique; en outre, le fait de ne pas avoir attendu quelques mois encore, jusqu'au dénouement du processus, a coûté plus d'un milliard de dollars et l'imposition de plusieurs restrictions commerciales inutiles.

Le président : J'aimerais maintenant que M. Harris expose son point de vue. Nous entamerons ensuite la période des questions.

Richard Harris, professeur d'économie, Université Simon Fraser : Bonjour. Si j'ai bien compris, cet après-midi, nous discutons de l'interaction entre le conflit du bois d'œuvre résineux et la procédure de règlement des différends de l'ALENA, et plus particulièrement du chapitre 19.

Le conflit du bois d'œuvre résineux est le plus visible, et probablement le plus grave sur le plan économique, des divers différends commerciaux qui ont éclaté entre le Canada et les États-Unis depuis la signature de l'ALENA, différends qui ont tendance à faire douter de toute ressemblance entre l'ALENA et le libre-échange. Il est clair que la plupart des accords sur le bois d'œuvre résineux sont de fait des accords de commerce administré et qu'ils représentent par conséquent un écart substantiel par rapport aux principes généraux du libre-échange.

Dernièrement cependant, le règlement final de ce différend est considéré par plusieurs observateurs comme un échec supplémentaire en ce qui concerne les procédures prévues au chapitre 19.

La série de différends concernant le bois d'œuvre résineux s'appuyant sur le chapitre 19, puis la contestation extraordinaire du gouvernement américain et la politisation de ce processus ont considérablement accru le pessimisme quant aux perspectives d'une procédure de règlement des différends plus efficace et d'une libéralisation considérablement accrue des échanges entre le Canada et les États-Unis. Je partage en partie ce pessimisme.

C'est en outre fâcheux sur le plan du timing, compte tenu de l'attitude des États-Unis en ce qui concerne la question générale de la libéralisation du commerce. Je pense qu'il s'agit d'un concours de circonstances très inquiétant pour les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis. La vague d'importations asiatiques qui déferle sur les États- Unis attise la volonté des démocrates et des républicains de promouvoir des programmes protectionnistes. Vingt-sept des démocrates qui ont été élus au cours des plus récentes élections ont axé leur campagne électorale sur des programmes protectionnistes. Cette tendance, conjuguée aux progrès minimes réalisés au chapitre de l'amélioration du niveau de vie du travailleur moyen, a entraîné une augmentation rapide du nombre de réponses dans les sondages indiquant une diminution substantielle de l'appui accordé au libre-échange par les citoyens américains.

Si l'on y ajoute un ralentissement de la croissance économique qui pourrait être considérable, nous sommes confrontés à un phénomène qui ressemble fort à une très forte montée des pressions et du protectionnisme aux États- Unis. Ce sera d'une façon ou d'une autre une dure mise à l'épreuve des ententes conclues aux termes de l'ALENA. C'est regrettable, mais c'est ainsi que la situation semble évoluer.

À un niveau plus général, les commentaires de M. Helliwell concernant l'obligation que nous avons eue d'abandonner le mécanisme de l'ALENA m'intéressent. Nous avons abandonné le processus de l'ALENA et avons poursuivi des négociations sur le commerce administré dans ce secteur. Nous pouvons parler de l'effet net de cela, mais c'est le résultat.

Cette situation pourrait avoir de très graves conséquences dans un sens ou dans l'autre. Une conséquence pourrait être que si le scénario que je décris se réalise, de nombreux autres secteurs emprunteront peut-être les mêmes voies politiques pour réaliser les mêmes plans d'action, ce qui serait très déplorable.

Le Canada n'a actuellement pratiquement pas d'autres choix que de s'en sortir d'une façon ou d'une autre. C'est un de ces cas où, en tant que petit pays se trouvant dans une relation asymétrique, nous n'avons pas beaucoup le choix.

Nous pourrons peut-être réfléchir sérieusement aux leçons apprises grâce à cette succession d'événements. Une des leçons que j'en retire, c'est qu'il serait intéressant que la procédure du chapitre 19 puisse être entièrement remaniée pour relever le niveau d'un cran, de celui des différends entre parties privées à celui des différends visés par le chapitre 20, prévoyant des négociations d'État à État faisant intervenir des intérêts nationaux. D'autres personnes ont abordé le sujet, mais c'est improbable dans l'immédiat. C'est une possibilité à laquelle nous devrions peut-être réfléchir.

Tout compte fait, j'ai fait quelques commentaires pessimistes, mais je pense que nous devrions conclure sur une note plus optimiste. Il est réaliste de penser que le commerce avec les États-Unis est encore relativement libre. Je pense que la plupart des gens estiment que la procédure du chapitre 19 a été en général efficace et qu'elle a servi les intérêts du Canada.

Nous devrions faire tout notre possible pour stabiliser et promouvoir le processus de règlement des différends qui est encore considéré généralement comme un des plus efficaces dans la plupart des accords de libre-échange qui sont en place à l'échelle mondiale.

Le président : J'exercerai la prérogative du président pour vous poser une question.

Nous avons entendu hier le témoignage d'éminents universitaires de l'Université de Georgetown et celui de Gordon Ritchie, l'ex-vice-ambassadeur au commerce. Je pense qu'il est juste de dire que d'après leur évaluation, si l'accord sur le bois d'œuvre résineux n'était pas le meilleur de tous les arrangements possibles, il était très pertinent dans le contexte de l'évolution actuelle de l'environnement économique et de l'environnement politique en matière de commerce.

Je pense qu'il est juste de dire que leurs préoccupations au sujet du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) et de ces types de victoires sont liées au fait que nous en avons remporté beaucoup dans ce contexte sur une longue période. Un litige couronné de succès et une cause gagnée est une garantie d'autres actions en litige, ce qui est très bien pour les avocats sans toutefois régler les problèmes. Il y a des avantages à en tirer.

Je ne veux pas nécessairement adopter leur point de vue. Cependant, je pense qu'il est juste de dire que c'était en gros leur évaluation de la situation. Monsieur Helliwell, pensez-vous que ces témoins aient fait une erreur de jugement?

M. Helliwell : Si mon interprétation de ces affaires est correcte, ces témoins n'ont absolument aucune raison d'adopter ce point de vue. Une façon de décrire la situation en l'occurrence est de dire qu'on a capitulé à deux doigts de la victoire.

En ce qui concerne le processus des audiences pour les prochaines étapes à la suite du jugement du 13 octobre du Tribunal de commerce international des États-Unis, je pense que le seul appel qui aurait pu être fait est un appel devant la Cour suprême ou devant un tribunal intermédiaire. Par conséquent, le processus politique ne devait pas entrer à nouveau en jeu.

On aurait pu tout simplement jouer bon jeu et les probabilités que le jugement soit renversé étaient, à mon avis, très faibles. On était à deux doigts d'un règlement approprié. Ce qui est ironique, c'est que cela serait apparemment arrivé très peu de temps après avoir capitulé devant le règlement qui aurait justifié toutes les procédures et donné lieu à un remboursement intégral.

Le président : À supposer un instant que les deux parties à l'entente politique en question aient eu les intérêts de leur pays à cœur dans ce contexte-là, attribueriez-vous la grosse erreur de jugement de la partie canadienne à de l'incompétence?

Je voudrais suivre le fil. Si nos représentants ont commis une très grave erreur, pensez-vous que c'est parce qu'ils étaient incompétents?

M. Helliwell : On était très impatient de régler l'affaire et de la mettre derrière nous. C'est toujours la difficulté dans ce type de circonstances. On pensait peut-être qu'on aurait plus de difficulté à négocier plus tard avec le régime américain.

Cependant, si mon interprétation du rôle du Tribunal du commerce international des États-Unis dans le processus et des étapes ultérieures pour ce type de jugement est exacte, il était peu probable que l'affaire soit politisée à nouveau. Dans ce contexte, bien des arguments militent en faveur de la patience.

Un nombre considérable de représentants du secteur prétendent naturellement que c'était une erreur en se basant sur le principe que le Canada avait investi des années d'efforts et des millions de dollars dans l'édification de la crédibilité de ce processus pour y renoncer avant le dénouement. L'ironie de la chose est qu'il semblerait que cette série de jugements aient été plus favorables à cette cause que certaines personnes ne l'avaient prévu.

Le président : Monsieur Harris, aimeriez-vous faire des commentaires?

M. Harris : Je ne suis pas d'accord avec ce que dit M. Helliwell à ce sujet. Je pense que les négociateurs ont joué la meilleure carte qu'ils avaient compte tenu des circonstances actuelles. Je ne les accuserais pas d'avoir fait preuve d'incompétence.

Le sénateur Austin : C'est bon de vous revoir. Monsieur Helliwell, je suis d'accord avec votre chronologie. Comme l'a signalé le sénateur Segal, le gouvernement justifie sa décision en se basant sur l'existence d'une relation asymétrique entre le Canada et les États-Unis, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan politique. En d'autres termes, la prémisse implicite est que lorsque les jeux sont faits, le Canada n'aurait aucune possibilité de gagner la partie, quelles que soient les règles du jeu.

Comme vous l'avez mentionné, monsieur Helliwell, cette attitude ne témoigne pas d'une grande confiance de la part des États-Unis dans le processus de Doha et dans les négociations commerciales bilatérales avec d'autres pays. Je fais une autre observation puis vous demanderai de faire des commentaires sur mes deux observations.

Nous savons également que le Canada a reconnu la liberté des propriétaires des ressources, à savoir les provinces, de gérer et de gouverner leur politique forestière. Vous connaissez tous deux le secteur forestier.

Pensez-vous que le fait que nous ayons permis aux États-Unis de faire une vérification et de nous accuser d'infraction restreindrait notre avantage économique dans de fortes proportions si, dans notre accord, nous modifions nos politiques forestières pour autoriser l'exportation pratiquement illimitée de grumes de la Colombie-Britannique vers les scieries américaines? C'est à vous que je pose ces trois questions, monsieur Helliwell.

M. Helliwell : J'ai entendu deux questions. J'en ai entendu une sur la crédibilité des États-Unis dans le contexte de nos ententes commerciales et l'autre concerne les restrictions imposées à l'industrie canadienne. Y en a-t-il une troisième que je n'ai pas entendue?

Le sénateur Austin : Oui, elle concerne les incidences économiques de la pratique de l'industrie forestière canadienne consistant à autoriser l'exportation libre de grumes vers les États-Unis, pratique qui semblerait avoir pour conséquence de relancer les scieries américaines alors que les scieries canadiennes ferment leurs portes.

M. Helliwell : Je n'ai pas de commentaires profonds à faire sur les liens entre cette entente et la crédibilité des États- Unis dans les tribunaux internationaux. J'ai examiné ces deux jugements. En ce qui concerne le deuxième, je n'ai d'ailleurs pas trouvé de commentaires très encourageants pour ce processus dans la presse. Les tribunaux américains ont confirmé que ces ententes ont force obligatoire aux États-Unis. Il s'agit peut-être de quelque chose qui n'a pas été répété dans d'autres domaines. Pour l'avenir, le rôle des États-Unis dans le contexte des accords commerciaux généraux dépendra beaucoup plus de la politique de l'heure que des modalités précises de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux. Par conséquent, je ne pense pas que cet accord ait des incidences à cet égard.

Les restrictions clés qui ont de l'importance sont celles mentionnées par M. Harris. À ce propos, je ne tiens pas à ce que l'on pense que j'estimais que cette entente soit due à de la mauvaise volonté ou à de l'incompétence de la part des négociateurs canadiens. Ils n'auraient peut-être pas pu prévoir ces jugements. J'ai peut-être mal interprété leur importance. Cependant, compte tenu de leur importance, il semblerait que l'on aurait eu intérêt à attendre un peu plus longtemps.

L'accord renferme plusieurs restrictions. Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Harris, à savoir que les plus importantes concernent les quotas et les droits. Les conséquences économiques essentielles de ces droits sont que ce sont les producteurs canadiens qui doivent fermer leurs portes, car les temps sont durs pour eux alors que les producteurs américains peuvent poursuivre leurs activités. C'est lié à la nature de ces droits. C'est mauvais pour l'industrie canadienne. Puisque les arbres continuent de croître lorsqu'ils restent sur pied, les pertes totales seraient beaucoup moins importantes si les arbres n'étaient pas abattus pour être vendus. La réserve est toujours là, mais en fait, les localités qui vivent principalement de l'abattage du bois ont de la difficulté à maintenir une courbe de l'emploi stable. À long terme, la valeur globale des ressources forestières n'est pas tellement compromise.

Le sénateur Austin : Pour autant qu'elles échappent au dendroctone du pin.

M. Helliwell : Vous avez parfaitement raison. À cause de cette infestation, c'est maintenant ou jamais qu'il faut abattre les arbres et c'est beaucoup plus coûteux qu'en procédant normalement. Je vous remercie de l'avoir précisé car c'est extrêmement important pour un grand nombre de producteurs. Mon commentaire sur les perspectives à long terme est à certains égards moins important que les considérations à court terme que vous évoquez, à savoir le gaspillage probable ou le coût élevé de l'exportation de ces arbres sur les marchés américains.

Si le commerce normal du bois d'œuvre est soumis à des contraintes, cela augmente naturellement l'attrait des autres voies ouvertes, en l'occurrence les exportations de grumes brutes aux États-Unis. À long terme, c'est probablement une bonne idée d'envisager progressivement la vente d'un produit plus élaboré sur le marché mondial. L'exportation de grumes brutes est peut-être une solution pour surmonter certaines des difficultés causées par le quota et le système tarifaire, mais, à long terme, ce n'est pas la bonne solution pour l'industrie.

Le sénateur Austin : Je présume que la question essentielle est de savoir si l'industrie forestière de la Colombie- Britannique est plus prospère depuis l'Accord sur le bois d'œuvre résineux, ou si elle l'est moins.

M. Helliwell : Si mon interprétation des actions américaines est exacte, les résultats sont beaucoup plus défavorables pour la Colombie-Britannique. Si les droits avaient été intégralement remboursés et qu'il était interdit aux États-Unis de percevoir des droits de ce type à l'avenir, le règlement de cette affaire aurait été bien plus avantageux pour le secteur forestier de la Colombie-Britannique, que ce soit sur le plan financier ou sur celui des quotas et taxes futurs, que sous le régime de l'ABOR.

Le sénateur Austin : Merci. Monsieur Harris, j'aimerais que vous répondiez aux mêmes questions.

M. Harris : Ce sont d'excellentes questions. Je signale que lorsque l'accord a été signé, le prix du bois d'œuvre était d'environ 355 $. Il est actuellement d'environ 215 ou 220 $, quoiqu'il ait peut-être légèrement augmenté dernièrement. Nous sommes déjà soumis à un régime qui nous obligera à opter pour les solutions passant par le commerce administré. Compte tenu de l'évolution du marché du logement aux États-Unis, il est probable que cette situation persiste longtemps.

Cette situation est-elle avantageuse pour le secteur forestier ou pour le secteur du bois d'œuvre américain? Eh bien, mon hypothèse est que l'alternative serait une situation très semblable à ce qui se passait déjà et que cette situation persisterait. Par conséquent, l'accord ne représente pas un avantage pour toutes les compagnies de produits forestiers et leurs travailleurs au Canada par rapport au dénouement probable. Cependant, si l'on voulait adopter le point de vue que ce serait le libre-échange dans le commerce du bois d'œuvre, on pourrait en tirer une conclusion différente, et je l'admets.

La question de l'exportation des grumes est intéressante. D'une façon générale, il est très difficile de faire une évaluation économique des accords de commerce administré sans avoir des informations précises sur chaque composante. On n'aurait toutefois probablement pas de difficulté à démontrer — et c'est la célèbre théorie de l'optimum de second rang — qu'il n'est pas inconcevable que nous ayons perdu des plumes en renonçant au contrôle sur les exportations de grumes, étant donné que le système en place n'est pas du véritable libre-échange. En l'occurrence, je pense qu'on souffre dans ce secteur de ce qu'on appelle « une détérioration des termes de l'échange », qui a réduit l'accès. Nous renonçons essentiellement à un autre instrument qui nous aurait permis d'améliorer la situation du secteur. Je dois donc en conclure, sans me lancer dans une analyse approfondie, que cette disposition nous désavantage probablement.

Le sénateur Corbin : Le jugement du tribunal américain crée-t-il toujours un précédent juridique qui puisse être utile dans une procédure en litige future?

M. Helliwell : J'estime que les décisions du 21 juillet et du 13 octobre — les décisions 6109 et 6152 — s'appliquent à long terme et pas seulement à la présente situation. Elles donnent plus de vigueur aux décisions des groupes spéciaux chargés du règlement des différends. On a en outre la possibilité de tirer des leçons des erreurs commises, de bénéficier des décisions avantageuses prises par le Tribunal de commerce international des États-Unis et d'avoir de meilleures cartes à jouer à l'avenir.

Le sénateur Corbin : Vous hésitez à qualifier les négociateurs canadiens d'incompétents. Je suppose que vous n'avez pas participé à ces négociations, mais estimez-vous que les négociateurs canadiens ont été intimidés par leurs homologues américains?

M. Helliwell : Je ne sais pas. Le résultat qu'ils ont obtenu n'est pas celui que j'aurais souhaité, mais j'ai de la difficulté à dire quelles étaient leurs motivations et ce qui s'est passé au cours des négociations.

Le sénateur Corbin : Pour un spectateur ordinaire comme moi ou pour l'ouvrier d'une des scieries de ma région, n'est-il pas étrange de constater après des jours, des semaines, voire un mois ou deux, que le tribunal rende un jugement en faveur des plaignants canadiens et que, soudain, on prenne une décision qui porte à penser que les Canadiens ont été en quelque sorte intimidés? Vous ne voudrez peut-être pas faire des commentaires, mais ce sont mes impressions.

M. Helliwell : C'était de la malchance, une mauvaise gestion ou bien, alors, des forces semblables à ce que vous décrivez. Ce sont probablement les options.

Le sénateur Corbin : Nous en resterons là pour l'instant.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Helliwell, je pense que vous avez mentionné que l'ALENA est tout sauf du libre- échange. Je voudrais que vous clarifiiez ce que vous entendez par là. Êtes-vous d'accord avec l'opinion exprimée par de nombreux témoins, à savoir qu'en fait l'Accord de libre-échange entre les États-Unis et le Canada a été un bienfait des plus avantageux pour le Canada et que l'issue des différends dans le cadre du mécanisme de règlement des différends a été généralement en notre faveur? En fait, M. Ritchie a mentionné hier que c'est précisément le résultat du chapitre 19. Pourriez-vous faire des commentaires?

M. Helliwell : Je ne pense pas avoir mentionné que l'ALENA était tout sauf du libre-échange. C'est peut-être M. Harris qui a fait ce commentaire.

Il est possible de faire un commentaire général sur le processus de règlement des différends. Mon interprétation des toutes récentes décisions est un gros vote de confiance dans ce processus au sujet duquel j'étais plutôt sceptique, car les États-Unis ont enfreint les règles de façon répétée.

Si vous voulez que je fasse des commentaires sur l'ALENA en général, il faut poser une autre série de questions.

Le sénateur Di Nino : Je pensais que c'était vous qui aviez fait ce commentaire, mais c'était peut-être M. Harris. Je prenais des notes et j'ai pu faire une erreur. Je pensais avoir entendu que l'ALENA représentait tout sauf du libre- échange. Si je fais erreur, je retire ma question.

M. Helliwell : Je ne pense pas avoir fait ce commentaire, mais je suis d'accord dans une certaine mesure avec ce qu'il dit. Un caractère important de l'ALENA concerne les règles d'origine qui sont en fait aux antipodes du libre-échange, puisqu'elles excluent les pays tiers de façon radicale alors que ce n'aurait pas été le cas sans l'accord. C'est une caractéristique générale des accords de traitement préférentiel. C'est pire lorsque les règles d'origine sont davantage sujettes au contrôle de groupes industriels. C'est malheureusement ce qui est arrivé dans l'Accord de libre-échange initial et dans l'ALENA. Ces règles d'origine ont été de plus en plus sous le contrôle des industries nord-américaines, ce qui leur a permis d'avoir recours aux dispositions de l'ALENA pour nuire au libre-échange à l'échelle planétaire, libre- échange qui est, bien entendu, l'option que tout le monde préférerait.

Le sénateur Di Nino : J'aimerais poser rapidement trois questions à M. Helliwell et à M. Harris.

Voici la première : la décision du Tribunal de commerce international des États-Unis n'aurait-elle pas pu être contestée?

Deuxièmement, les témoins ont insisté sur le fait que les mécanismes de règlement des différends de l'ALENA et de la l'ALE sont actuellement un meilleur outil que les recours prévus dans les mécanismes de l'Organisation mondiale du commerce.

La troisième question est la suivante : existe-t-il d'autres recours, d'autres possibilités que l'on aurait pu exploiter ou des choses qu'il faudrait faire pour atténuer les irritants dans les relations commerciales entre nos deux pays?

M. Harris : C'est moi qui ai dit que l'ALENA n'était pas du libre-échange. Les raisons de ce commentaire sont simples. La première est en raison de l'aspect préférentiel de la règle d'origine. La deuxième est qu'il n'y a pas d'engagement à l'égard du libre-échange, étant donné la façon dont les règles commerciales administratives sont mises en application par le Canada et les États-Unis. Nous avons eu de nombreux différends. À la signature de l'accord, la grosse erreur des négociateurs, surtout des négociateurs canadiens, a été de ne pas s'affranchir de ces types d'ententes. Cependant, ces ententes n'ont pas été efficaces et nous avons eu en fin de compte le mécanisme de règlement des différends, et en particulier le chapitre 19, couvrant les droits compensateurs et les subventions.

La décision du Tribunal du commerce international des États-Unis peut faire l'objet d'un appel devant la Cour suprême du Canada. Je ne suis pas avocat. Je n'ai donc pas de commentaire à faire à ce sujet.

En ce qui concerne l'ALENA et l'OMC, si l'on examine le fonctionnement des groupes spéciaux, les mécanismes et les différends présentés dans les études sur les différends commerciaux internationaux, on peut démontrer que le mécanisme de règlement des différends de l'ALENA est un des plus efficaces du monde industriel. Les procédures de l'OMC sont efficaces à l'occasion. Cependant, elles sont extrêmement lourdes. Elles ne sont jamais assez rapides. On relève malheureusement de nombreux cas dans lesquels les participants ou les parties attendent pendant des périodes prolongées. Je pense que l'on est déçu actuellement de ce qui se passe à l'OMC. C'est peut-être la manifestation d'un phénomène plus répandu.

Je vais faire maintenant des commentaires sur les autres recours permettant d'atténuer l'irritation dans le contexte des échanges entre le Canada et les États-Unis. D'une façon générale, 90 p. 100 des échanges commerciaux entre les pays sont dépourvus d'irritants. Nous avons toutefois des antécédents, en particulier dans le secteur agricole et dans celui du bois d'œuvre. De vieux intérêts politiques bien établis dans les deux pays, mais surtout aux États-Unis, rendent les progrès très difficiles dans ces secteurs.

Je ne pense pas que l'on puisse envisager des changements en ce qui concerne le bois d'œuvre au cours des prochaines années. Cependant, nous avons des raisons d'être optimistes au sujet des perspectives pour le secteur agricole. Les secteurs agricoles canadien et américain ont traversé une longue période d'ajustement structurel. Une certaine rationalisation est en cours. Les prix mondiaux des produits agricoles augmentent considérablement. Un changement considérable d'attitude en ce qui concerne l'agriculture est possible, surtout de la part des États-Unis.

Ce serait pour moi un progrès énorme. Il serait énorme d'abord pour l'effet d'émulation qu'il aurait à travers le monde. En fait, nous n'avons pas été capables de réaliser des progrès dans ce secteur important dans les négociations sur l'ALE ni dans celles sur l'ALENA, et c'était un gros obstacle. C'est donc une façon de procéder.

M. Helliwell : Je pense que l'étape suivante serait la Cour suprême du Canada avec peut-être un arrêt intermédiaire. Un autre trait déplorable de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux est qu'on n'a pas laissé à ce processus le temps de se dérouler jusqu'à son dénouement. Par conséquent, nous n'avons pas encore la réponse définitive. Il serait important de franchir cette dernière étape pour déterminer une bonne fois pour toutes la vigueur ou la faiblesse des procédures de l'ALENA. C'eût été intéressant de le faire et de vérifier si ça fonctionnait comme je pensais. C'eût été un atout supplémentaire.

Si on l'avait fait, ou quand on le fera, si l'on mène le processus jusqu'au bout pour appuyer les jugements du Tribunal de commerce international des États-Unis et, partant, des procédures de l'ALENA, ce sera une grosse marque de confiance dans les procédures de l'ALENA. Cela les rendra plus vigoureuses que les procédures de l'OMC, pour les raisons mentionnées par M. Harris. Sinon, la question restera encore sans réponse.

En ce qui concerne les autres options ou autres recours, quand on a affaire à un partenaire très puissant, la possibilité la plus avantageuse est de s'assurer de garder la liberté de choisir. J'ai pensé pendant des années que les entreprises et les gouvernements canadiens ignoraient le fait que la croissance économique serait immanquablement plus rapide dans le reste du monde qu'en Amérique du Nord. Si vous vouliez rattacher votre structure commerciale à des pays qui ont des avantages concurrentiels différents et dont la croissance est plus rapide que celle des États-Unis, c'est là que seront probablement les avantages à long terme. En outre, le fait d'avoir davantage d'options renforce le pouvoir de négociation face à un voisin plus puissant.

Le sénateur Mahovlich : Je ne considère pas ceci comme de l'incompétence, mais comme une opération politique. La politique supplante l'économie. Je pense que lorsque le nouveau gouvernement a pris la relève, il a décidé de régler cette question et d'envoyer l'ambassadeur Wilson et le ministre Emerson pour en finir à tout prix. Le prix a été d'un milliard de dollars. Est-ce bien cela?

Gordon Ritchie a témoigné et, d'après lui, les mécanismes de règlement des différends de l'ALENA qui sont en place sont efficaces; il a confiance dans l'ALENA. On a l'impression qu'il estime que cela ne devrait pas changer et que nous devrions maintenir ces mécanismes. Qu'est-ce que le Canada devrait en penser? Va-t-on tenter de résoudre par la voie politique tous les problèmes qui se posent?

M. Helliwell : Ce que j'expliquais, c'est que le recours à la politique plutôt qu'au processus établi coûte presque à coup sûr de l'argent et, à long terme, fera perdre confiance dans le processus et dans les relations commerciales. C'est une façon de procéder très coûteuse. Les coûts sont payés non seulement dans le contexte de l'accord actuel, ce qui semble avoir été le cas, mais aussi à long terme, car cela renforce le pouvoir des groupes industriels qui ont la capacité de s'adresser aux membres du Congrès pour entreprendre d'autres actions commerciales. Il est extrêmement important pour des pays comme le Canada, qui est le petit partenaire et est davantage dépendant de la transparence, d'appuyer et de suivre jusqu'au bout les processus indépendants et objectifs de règlement des différends. Le fait de ne pas s'appuyer sur la politique pour conclure un accord présente en outre un avantage à long terme. Dans la présente situation, il semblerait qu'on encoure des pertes, tant au niveau de l'accord comme tel, que dans l'avenir. On ne perd pas uniquement les 1,25 milliard de dollars que cela représente avec les intérêts, mais on accepte en outre actuellement un commerce du bois d'œuvre non seulement très réglementé, mais aussi contraire aux intérêts du Canada.

Le sénateur Stollery : Je souhaite la bienvenue aux deux témoins. Nous nous sommes rencontrés la dernière fois à Vancouver, il y a environ deux ans, à l'occasion de l'examen de l'Accord de libre-échange. Je me souviens d'une question qui avait alors été posée et il me semble que la plupart de nos échanges commerciaux avec les États-Unis avaient été relativement exempts de différends. Le motif principal de l'Accord de libre-échange était la crainte d'une montée du protectionnisme américain. C'était la raison d'être des propositions de M. McDonald, si j'ai bonne mémoire.

La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, nous tentions de déterminer si l'Accord de libre-échange ou si le taux de change était un facteur prépondérant dans l'augmentation de 10 p. 100 de nos échanges commerciaux avec les États-Unis depuis la signature de l'accord, lorsque le dollar canadien était à environ 80 cents ou un peu plus, puis a baissé à 63 cents Je me souviens des conversations que nous avons eues avec nos témoins.

Je crois être le dernier ici à avoir été membre du comité lorsque les discussions sur l'Accord de libre-échange ont eu lieu et à avoir accompagné le comité à Washington lorsque M. MacEachen a fait la cour au membre du Congrès Gibbons, qui était le promoteur américain de l'Accord de libre-échange. C'était une réunion très émouvante. Le sénateur MacEachen avait fait une allocution très éloquente sur le fait que le mécanisme de règlement des différends tomberait en panne à un moment ou à un autre. Toutes les personnes qui ont assisté à cette réunion s'en souviennent certainement.

En ce qui concerne le commerce du bois d'œuvre, on se demande qui est responsable. Certaines personnes disent que ce sont les banquiers. Les compagnies forestières étaient tellement endettées envers leurs banques que ce sont les banquiers qui ont dicté l'accord. Qu'on le veuille ou non, il semblerait que les banquiers aient eu une très grande influence sur l'accord.

J'en arrive à ma question. Elle est complexe. Il me semble que M. Helliwell dit que c'est très important. Nous avons affaire à un pays dont la population est neuf fois la nôtre. Je sais après avoir eu des conversations avec des experts sur l'OMC qu'une des raisons pour lesquelles le mécanisme de règlement des différends n'est pas plus strict est la crainte que le système politique américain, qui n'aime pas être perdant, abandonne le système de commerce. C'est en fait ce qui s'est passé en ce qui concerne l'Accord sur le bois d'œuvre résineux, n'est-ce pas? Les États-Unis ont abandonné l'accord et ont refusé de souscrire à l'accord qu'ils avaient signé.

Notre principal accord commercial est un accord signé avec le pays voisin, qui est notre plus important partenaire commercial, mais où en sommes-nous? Bien avant l'Accord de libre-échange, nos différends portaient toujours sur les produits primaires. Nous avons entendu parler à Winnipeg de 11 contestations différentes contre la Commission canadienne du blé. Les Américains ont recours à des droits légaux pour nous pénaliser; quand ils perdent leur cause, ils intentent immédiatement une autre action. Je pense qu'on nous a dit, et le sénateur Di Nino s'en souvient probablement, qu'ils ont intenté 11 fois une action, pour la même affaire, contre la Commission canadienne du blé.

Où en est le Canada, qui est très dépendant du commerce? Nous n'avons pas eu de discussions sur le commerce depuis la Commission MacDonald, et cela fait maintenant une vingtaine d'années.

Voici ma question : tous les pays ont des problèmes avec leurs voisins; ce n'est pas une exclusivité du Canada. Cependant, lorsque notre voisin et puissant partenaire commercial est un pays qui peut quitter le système de commerce s'il perd trop de causes devant l'OMC, que pouvons-nous faire? Quel recours avons-nous?

Le président : Une riche gamme de questions est implicite dans les commentaires et les questions de mon collègue. Par conséquent, sentez-vous bien libre de nous exposer votre point de vue. Ce sera très intéressant pour nous.

M. Helliwell : Dans ce type d'environnement commercial incertain, des pays comme le Canada ont deux recours possibles. L'un consiste à continuer à investir dans le processus. Il est encore vrai que les investissements dans le réseau institutionnel international rapportent toujours des plus grands dividendes aux petits pays qu'aux grands. Le problème qui se pose consiste toujours à convaincre les grands pays à respecter ces règles, car ils gagnent généralement à faire de l'intimidation.

Si vous demandez combien d'années il faudra attendre pour que les États-Unis ne soient plus la plus grande puissance économique au monde, la réponse est probablement d'ici dix ans. En se basant sur la différence entre les taux de croissance actuels de la Chine et des États-Unis, l'économie chinoise, d'après des critères de mesure fondés sur le pouvoir d'achat, qui sont les véritables critères d'évaluation de la taille de l'économie, devrait dépasser l'économie américaine dans sept ans. Étant donné que la majeure partie de la population mondiale est plus pauvre au départ, cette population aura des possibilités de croissance accélérée lorsque ses ressources, essentiellement humaines, seront libérées. En outre, les parts commerciales de ces pays-là ont une croissance plus rapide que leur PIB. La part du commerce mondial des pays non nord-américains connaît un essor extrêmement rapide. Je dis depuis des années qu'au Canada, nous nous basons trop sur les ratios commerciaux historiques et ne cherchons pas assez de possibilités de débouchés à l'extérieur de l'Amérique du Nord pour l'avenir.

C'est valable dans d'autres domaines également, pas seulement dans celui des politiques. Je pense que le vent tourne dans la plupart des pays commerciaux. De nombreux pays ouvrent explicitement leurs portes aux régions à croissance rapide et font des investissements stratégiques; en d'autres termes, ils établissent des échanges de connaissances, des échanges de capital humain et des relations garants de l'efficacité d'un commerce fondé sur la confiance. Le cadre international en fera toujours partie.

C'est un aperçu général de ce que nous devrions faire pour nous diversifier. Dans le cas des échanges bilatéraux, nous devons continuer à investir dans ces procédures. L'ALENA devrait être mise en application par le biais des procédures.

Il ne faut pas oublier que ces actions devant le Tribunal du commerce international ont été lancées par le Canada, par les provinces productrices et par les compagnies concernées. On pourrait dire que l'industrie n'avait pas assez d'argent pour continuer. De nombreuses entreprises ont de gros moyens financiers, mais c'est précisément le rôle des gouvernements de couvrir les coûts nécessaires pour bâtir et maintenir la confiance dans le système international. Si le gouvernement est payé pour négocier le traité afin de s'assurer que les mécanismes de règlement des différends sont efficaces, il doit à son tour payer les coûts majeurs des actions intentées par les voies légales.

J'estime qu'on avait pratiquement atteint une étape où les perspectives de voir aboutir ces procédures et de récupérer l'argent étaient très bonnes. On dit maintenant qu'il faut se retirer, mais je n'abandonnerais pas la partie. Je tenterais de rétablir les principaux fondements et d'investir beaucoup dans les procédures. À l'avenir, je ne permettrais pas que l'intérêt du Canada dans le contexte d'un règlement rapide ait priorité sur l'intérêt supérieur que représente, à long terme, un système plus efficace.

M. Harris : C'est une très grosse question à régler. Il est vrai que ces affaires se produisent au Canada environ tous les 30 ans. Le centre du Canada a beaucoup de problèmes.

En raison des forces mentionnées par M. Helliwell, les principales provinces productrices de ressources sont en très bonne forme. L'avenir est limpide et je ne pense pas qu'il y ait des risques de soubresauts, peu importe la façon dont évoluent les relations canado-américaines.

Si vous envisagez une très forte perturbation des relations commerciales canado-américaines, cela plongerait tout notre secteur manufacturier dans une crise. L'industrie automobile est actuellement à la limite de la compétitivité technologique. L'industrie doit procéder à une profonde rationalisation. Nous ne savons pas quelle sera la réaction des États-Unis. Quelle que soit la solution, il s'agira d'une solution nord-américaine ou américaine. Si c'est une solution américaine et que le Canada en est exclu, ce sera la fin de notre industrie automobile. Ce sont les types de décisions auxquelles nous serons inévitablement confrontés.

Ça ne veut pas dire que d'ici 10 ou 15 ans on ne pourrait pas aller dans une tout autre direction et que le centre du Canada ne pourrait pas ressembler à la Finlande, mais ce serait très long; il faudrait au moins une décennie ou plus.

Nous avons investi beaucoup dans ces relations commerciales. En fait, nous devrons investir davantage à moyen terme en espérant un revirement politique aux États-Unis. Ce sont des raisons d'être optimistes à long terme.

Le sénateur Downe : En ce qui concerne le commerce, ça m'a toujours frappé que les Canadiens soient préoccupés, et à juste titre, par le volume considérable de nos échanges commerciaux avec les États-Unis, mais nous sous-évaluons le volume des échanges commerciaux américains avec le Canada.

En ce qui concerne la possibilité que vous avez évoquée que le centre du Canada ressemble à la Finlande, je me demande si c'était un compliment ou une critique.

Que pensez-vous des craintes américaines que leur commerce soit bloqué à la frontière canadienne? D'après le dernier chiffre que j'ai vu, entre 25 et 30 p. 100 de leurs exportations sont des exportations à destination du Canada.

Le président : Nous sommes le principal marché d'exportation pour 37 États américains.

Le sénateur Downe : Connaissez-vous le pourcentage?

Le président : Le problème est que les exportations n'ont pas une aussi grande importance pour les États-Unis par rapport à leurs besoins au niveau de leur marché intérieur et c'est de là que vient la proposition concernant les droits compensateurs. Je laisserai les véritables experts réfléchir à votre question.

Le sénateur Downe : Vous êtes de la côte ouest et vous êtes peut-être mieux informé que moi. D'après les chiffres récents que j'ai vus, la valeur de nos échanges commerciaux avec la Californie s'élève à une vingtaine de milliards de dollars. Cela me paraît considérable.

M. Harris : Les États-Unis sont et resteront le principal partenaire commercial du Canada, mais nous sommes par ailleurs un de leurs marchés dont la croissance est la moins rapide. C'est ce qu'a expliqué M. Helliwell.

Les Américains sont exposés à la même dynamique que nous car les probabilités que la croissance du commerce se produise au Canada sont très réduites. Compte tenu de notre situation actuelle, le niveau du commerce entre les deux pays est très élevé et la structure des échanges est très stable. Sauf catastrophe, les probabilités d'un changement rapide sont très réduites.

En fait, à l'échelle mondiale, le Canada n'est pas un des pays à croissance rapide. Par conséquent, comme la plupart des autres pays industriels, les États-Unis se tourneront vers la Chine, l'Inde, le Brésil et d'autres pays semblables pour accroître leur part du marché d'exportation. À la longue, cela deviendra très important.

M. Helliwell : En ce qui concerne l'industrie automobile, il est possible de raisonner autrement et d'envisager une solution consistant à réinventer l'industrie nord-américaine.

Une reconstruction de l'industrie nord-américaine s'est faite dans les coulisses. Il s'agit de sociétés comme Toyota et Honda qui sont en avance sur le plan technologique, à l'échelle mondiale. Ces compagnies ont une présence bien établie et constante au Canada et aux États-Unis. Même si les relations entre le Canada et les États-Unis se détérioraient, Toyota et Honda ne s'en iraient probablement pas. Des difficultés sont possibles en ce qui concerne la gestion de l'offre si nos relations avec nos voisins s'enveniment. Je pense cependant que ce type de relations des usines appartenant à des entreprises étrangères qui sont implantées en Amérique du Nord, et plus précisément au Canada, contrebalancent dans une large mesure notre dépendance à l'égard des trois grands de l'automobile.

On a posé une question sur la dépendance américaine à l'égard de notre commerce. Je fais souvent un commentaire que M. Harris n'a pas fait à ce sujet. Les frontières ont toujours une très grande importance. Le volume du commerce intérieur est dans beaucoup de pays une dizaine de fois plus élevé que le volume des échanges extérieurs. Étant donné le nombre d'économies importantes autonomes aux États-Unis — à savoir les États —, la part réelle du PIB ou le pourcentage des livraisons totales d'une entreprise américaine que représentent les livraisons au Canada sont très faibles. Il y a forcément quelques exceptions à cette règle.

Autrement dit, des pays comme les États-Unis d'une part, et la Chine ou l'Inde d'autre part, ont des marchés intérieurs énormes qui leur permettent d'être plus stratégiques dans le recours au commerce extérieur que ce ne serait souhaitable ou possible sur le plan politique pour des petits pays plus ouverts comme le Canada. Les possibilités structurelles feront toujours de nous des otages des aléas de la politique dans les grandes puissances.

Le sénateur Eyton : J'ai participé intensément aux activités de l'industrie du bois d'œuvre résineux, y compris en Colombie-Britannique, dans les années 1980. Je me souviens très bien que le dossier du bois d'œuvre résineux était déjà un dossier délicat. Au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis cette période, c'est resté une question faisant l'objet de constantes discussions, de quelques ententes, rajustements et dispositions provisoires, mais toujours, d'un côté, l'industrie canadienne et le gouvernement canadien et, de l'autre côté, le gouvernement américain financé et propulsé par la très riche et très déterminée concurrence américaine. En me basant sur mon expérience, j'estime que le bois d'œuvre résineux est un cas spécial ou différent de la plupart des autres questions ne fût-ce que parce que c'est un dossier délicat depuis des années et qu'on a apparemment beaucoup de difficulté à le régler.

Un accord sur le bois d'œuvre résineux a finalement été conclu entre les deux gouvernements. Il a été accepté par la riche et déterminée concurrence américaine pour de bonnes et de mauvaises raisons. Cet accord est toutefois également appuyé par la plupart des intervenants de l'industrie canadienne.

Compte tenu de ces antécédents et de la difficulté permanente dans laquelle nous nous trouvons de régler la question du bois d'œuvre résineux, je me pose toutefois des questions sur la confiance qu'a M. Helliwell dans l'efficacité du processus judiciaire qu'il évoque. C'est une confiance touchante dans l'efficacité du système. Je n'arrive pas à imaginer que l'industrie américaine n'ait pas pris d'autres actions, notamment pour anticiper les effets des solutions que vous avez mentionnés.

Pouvez-vous faire des commentaires, monsieur Helliwell?

M. Helliwell : Plus le différend dure et plus ce type de pessimisme devient rationnel. On se demande pendant combien de temps on peut continuer ainsi.

Il semblerait que nous étions plus proches qu'autrefois d'une solution à long terme qui aurait été fondée sur des règles plutôt que sur une intervention politique. La nature de la solution n'était pas, comme l'a signalé M. Harris, avantageuse pour l'industrie en raison du système de commerce administré dans lequel nous nous trouvons actuellement, au détriment de l'industrie canadienne. En fait, la moitié de ce milliard de dollars sera remise au groupe industriel qui avait initialement proposé l'imposition de droits. Par conséquent, cela lui a donné deux fois plus de pouvoir. Il obtient une entente avantageuse pour lui et le remboursement intégral de tous ses frais. Les probabilités de récidive sont donc accrues.

Le seul facteur qui me rende un tant soit peu optimiste et me fasse penser que la situation ne sera pas trop catastrophique pour l'avenir est qu'il semblerait qu'au moins une de ces causes ait établi un précédent indiquant qu'il est désormais possible d'avoir davantage confiance dans le système et de mener la procédure jusqu'au bout. Ce serait bien, non seulement pour le secteur du bois d'œuvre résineux, mais aussi, naturellement, pour toutes les autres industries qui comptent sur ces procédures de règlement des différends de l'ALENA.

Le sénateur Eyton : Il me semble que l'autre possibilité est de lutter sans cesse sans toucher un sou, plutôt que le remboursement immédiat d'environ 4 milliards de dollars aux Canadiens, avec le harcèlement et les litiges incessants, et toutes les conséquences néfastes pour diverses relations commerciales ou autres avec les États-Unis que cela implique. Compte tenu des circonstances, l'accord, bien qu'il ne soit pas parfait — ce que nous reconnaissons —, était la meilleure option.

À cela, j'ajouterais que l'industrie canadienne n'a pas besoin d'exporter aux États-Unis. Le monde est vaste. Si l'on décide de ne pas jouer le jeu des États-Unis, les producteurs occidentaux ont accès à de vastes marchés, surtout en Asie. Je pense que le scénario d'un remboursement et d'un certain règlement du conflit avec les États-Unis, tout en maintenant une possibilité de règlement à long terme, n'est pas à dédaigner.

Pouvez-vous faire des commentaires?

M. Helliwell : Je suis un optimiste et, par conséquent, j'estime qu'on part d'où l'on est et qu'on tire le meilleur parti possible de la situation. Une conséquence utile est que cela forcera ou encouragera probablement l'industrie à se mondialiser davantage et à être moins liée au marché américain qu'avant. Ce rajustement lui imposera certains coûts et une nouvelle réflexion. Avec le temps, ça renforcera sa vigueur et sa stabilité.

Si l'accord comme tel avait été mieux conçu, et pas seulement au niveau de la répartition des droits qui avaient été imposés, mais au plan de l'efficacité du commerce fait sous ce régime, j'aurais été plus tranquille que je ne le suis. En d'autres termes, cela valait-il la peine de renoncer à la confiance dans le processus pour obtenir cet accord soi-disant intéressant? Je ne le pense pas.

Il est plus facile de faire une analyse a posteriori que de faire preuve de perspicacité, mais l'accord est là, maintenant. Il faut faire du mieux que l'on peut dans les circonstances actuelles.

Le sénateur Eyton : Trouvez-vous également que la question du bois d'œuvre résineux était un défi inhabituel et très particulier?

M. Helliwell : Tout à fait. Il y a deux ans, je n'aurais pas pensé que les décisions sur le bois d'œuvre résineux des groupes d'experts de l'ALENA qui sont favorables au Canada auraient trouvé un appui aussi large et aussi complet dans le système judiciaire américain, ce qui est essentiel pour que tout aille pour le mieux. Il est impératif d'obtenir une décision qui oblige le gouvernement à renverser le jugement de sa Cour suprême pour réimposer certaines règles ou pour laisser revenir l'industrie à la charge.

C'est tout à fait hypothétique. Je présume toutefois que si on avait laissé cette affaire aller jusqu'à la Cour suprême et si ces droits avaient été remboursés et forcément abolis, je ne pense pas que l'industrie aurait pu réutiliser les mêmes outils, parce qu'ils auraient été explicitement rejetés de fraîche date par le tribunal. L'industrie aurait peut-être pu avoir accès à d'autres types de harcèlement, mais ce ne seraient que des présomptions que je ne suis pas capable de faire.

Le président : Monsieur Harris, avez-vous des commentaires à faire au sujet d'une des questions du sénateur?

M. Harris : En ce qui concerne le caractère exceptionnel de la situation, j'estime qu'elle est particulière dans un contexte historique, car elle représente une série de décisions et de circonstances politiques qui ont abouti à ce résultat précis. Cependant, elle n'a certainement pas un caractère exceptionnel sur le plan économique. On peut imaginer un grand nombre de nos industries exposées au même type de risque. Avant l'Accord de libre échange, l'industrie sidérurgique canadienne se trouvait dans une situation semblable.

L'autre aspect qui concerne le commerce administré est qu'il s'agit peut-être du problème du « début de la fin » que j'ai mentionné dans mes observations liminaires. Nous avons entretenu de nombreuses relations de commerce administré. Il se pourrait que la réponse à ces forces soit un retrait de ce que nous appelons le libre-échange. En fait, les industries cherchent des solutions qui passent par le commerce administré sur une base sectorielle. Ce n'est pas inconcevable. De nombreuses ententes semblables ont déjà été prises.

À bien des égards, l'histoire de ce type d'ententes est beaucoup plus ancienne que l'histoire politique du libre- échange. L'affaire du bois d'œuvre est à maints égards une leçon de choses, qui pourrait se répéter. Par conséquent, il faut être prudent sur ce front.

Le président : La question que je voudrais poser à nos deux témoins concerne la diversification de nos structures commerciales. Je pense en particulier aux travaux faits par M. Helliwell sur l'influence des frontières et à la perspective d'une diminution de notre dépendance à l'égard du marché américain en portant davantage nos efforts sur des pays comme la Chine et l'Inde et en acceptant le principe de la dépendance du chemin suivi qui est efficace en politique et en économie, domaines où on a de la difficulté à sortir d'un sillon tracé dans lequel on se sent relativement à l'aise pour se creuser un nouveau sillon, car les coûts de transition sont considérables.

J'aimerais que vous fassiez des commentaires là-dessus. Si un gouvernement canadien prenait la ferme décision d'axer intensément ses efforts sur la Chine et sur l'Inde, quels instruments recommanderiez-vous pour faciliter ce type de transition constructive? Quels seraient, d'après vous, certains des coûts de transition, compte tenu de la proximité du marché américain, de sa facilité d'accès, avec toutes les difficultés qui ont été mentionnées, alors que d'autres marchés, qui sont en rapide croissance et très tentants à bien des égards, présentent des obstacles à l'entrée qui leur sont propres et qui ne sont pas sans coûts pour les exportateurs, les fabricants et autres intervenants canadiens?

C'est une question très étoffée, mais vous pouvez répondre au volet qui vous convient, car ce serait utile pour le comité dans le contexte de ses délibérations et de ses recommandations.

M. Helliwell : J'ai fait de la modélisation du volume des échanges entre pays pour déterminer si c'est uniquement entre le Canada et les États-Unis qu'il est élevé comparativement aux échanges entre le Canada et d'autres pays, après avoir fait des rajustements en fonction de la taille et de la distance. Le résultat est que la différence n'est pas très marquée. D'une façon générale, les décisions commerciales sont prises par des entreprises, comme il se doit. Les décisions commerciales ne sont pas une réaction directe à une politique gouvernementale. Les gouvernements sont des bâtisseurs de cadres et devraient le rester.

À propos de la concentration accrue que je préconise pour former des marchés, je déconseille aux décideurs d'axer leur attention de préférence sur les relations canado-américaines mais je leur recommande de faire intervenir toutes leurs relations pour établir un cadre et édifier le système afin que les portes soient ouvertes aussi grandes pour les autres pays qu'elles le sont pour les États-Unis. Il ne s'agit pas de passer des accords commerciaux de traitement préférentiel avec un autre pays. Je ne suis pas partisan d'un tel système. Je veux un système ouvert dans lequel les entreprises évolueront en s'appuyant sur les occasions qu'elles ont et sur leurs contacts.

En me basant d'une part sur mes travaux sur les frontières et d'autre part sur la migration, l'approvisionnement extérieur et autres activités analogues, je pense qu'il faut de longues années pour bâtir des relations productives et à faible risque. Le gouvernement devrait-il les encourager? Non. Seront-elles ou devraient-elles être administrées par le gouvernement? Non. Le gouvernement devrait-il prêter une oreille attentive aux industries et aux entreprises qui veulent signaler les obstacles auxquels elles pourraient se heurter ou les contacts qui pourraient être utiles, car les ententes entre gouvernements les aident parfois à faire des progrès? Oui. La raison d'être de nombreux bureaux commerciaux est d'apporter une meilleure connaissance et une meilleure compréhension que ce que les industries auraient pu obtenir par leurs propres moyens.

La structure des mouvements migratoires et les habitudes en matière d'éducation dans le monde sont telles que la plupart de ces liens sont générés ponctuellement par les industries ainsi que par les individus et les entreprises qui ont des rapports avec elles. Ils établissent rapidement des liens d'identité et de qualité qui auraient été impensables au niveau du gouvernement. Il est payant pour le gouvernement d'avoir en place une série de services de base qu'il offrira en y joignant une équipe à certaines occasions. Cependant, c'est le secteur privé qui doit prendre la direction des opérations et le gouvernement ne doit pas mettre l'accent de façon préférentielle sur les liens Nord-Sud comme il l'a fait. Le gouvernement devrait être plus symétrique.

Les échanges commerciaux du Canada deviendront plus mondiaux et moins Nord-Sud, en raison de la différence des taux de croissance, qui sera la force motrice. Les autres pays du monde s'ouvrent davantage et connaissent une croissance plus rapide. Ces deux facteurs feront évoluer notre commerce. Est-ce que cela devrait être considéré comme un avantage ou comme un inconvénient? En ce qui concerne l'administration du commerce entre le Canada et les États-Unis, c'est intéressant, car tous les œufs ne sont pas dans le même panier. Est-ce que je recommande les ententes concernant des mesures compensatoires avec d'autres pays? Non. Il faut que le système reste aussi ouvert que possible.

M. Harris : Pour être franc, vous posez là une question difficile. Si vous laissez les forces du marché dicter l'orientation à prendre, on est en présence de deux tendances. Dans le secteur des produits primaires, il est clair que notre commerce se diversifiera de toute façon en raison du phénomène de croissance mentionné par M. Helliwell. Même si nous vendions du gaz naturel à Chicago, qui est la plaque tournante des États-Unis, il se vendrait en fait à un prix fixé à l'échelle mondiale. Par conséquent, la composition géographique du commerce n'a pas d'importance.

En ce qui concerne les processus et les services de production, j'ai une opinion différente de celle de M. Helliwell. Les principaux générateurs sont les grandes multinationales et les Canadiens seront employés dans ces industries. La valeur ajoutée générée dans ces industries sera fondée sur les décisions prises en fonction de ces grandes entreprises. C'est regrettable, mais il est un fait que les liens qu'ont des entreprises canadiennes avec des réseaux généraux feront la différence entre la réussite et l'échec. D'autres facteurs que les différends commerciaux que pourrait avoir le gouvernement interviendront. La conséquence probable et regrettable sera que dans le secteur technologique et dans les secteurs à forte valeur ajoutée, les liens avec les États-Unis deviendront plus intimes.

Je reviens à la question de l'absence d'intervention gouvernementale. Les chances que ce soit le cas sont plutôt minces, voire nulles. Par exemple, le secteur de l'énergie pourrait se politiser considérablement. Tout indique que ce processus est en cours. Il faudra prendre à un certain moment de grosses décisions stratégiques concernant l'avenir en matière d'énergie, étant donné le rôle que joue le Canada sur ce marché. Je ne pense pas qu'on puisse espérer que l'Inde et la Chine deviendront forcément des pays libre-échangistes. L'histoire nous a appris que de grands pays à croissance rapide se replient parfois sur eux-mêmes et ne s'ouvrent pas sur les marchés extérieurs. On peut imaginer l'issue de ce cycle comme étant le protectionnisme américain; ensuite, l'Inde et la Chine se retireraient et opteraient pour un modèle intérieur. Dans les deux cas, le Canada en serait exclu. Il serait utile de développer un dialogue politique pour nous aider maintenant. Nous ne pourrions pas en avoir le contrôle et nous serions un très petit intervenant dans ce type de situation.

Le sénateur Stollery : Ce fut une discussion extrêmement intéressante. Certains d'entre nous pensaient que l'Accord sur le bois d'œuvre résineux nous amènerait à discuter de l'orientation générale du commerce du Canada et des initiatives que le Canada devrait prendre en matière de politique commerciale. Le comité examinera la question de temps à autre pendant un certain temps. Je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation.

Le président : Je remercie sincèrement MM. Helliwell et Harris. Je tiens à préciser, à l'intention des spectateurs et d'autres personnes, que ces deux universitaires ont donné une partie de leur temps à notre comité à titre bénévole, ce que nous apprécions beaucoup.

Messieurs, votre intervention nous a vraiment aidés à mieux saisir le problème. Nous vous remercions pour le temps que vous nous avez consacré afin de partager vos opinions et de nous faire profiter de votre expérience.

Honorables sénateurs, nous avons une question administrative à régler. Nous avons un budget prophylactique de 4 500 $ au cas où on nous demanderait d'examiner d'autres questions comme le projet de loi C-24 qui nous sera peut-être renvoyé. C'est ce que nous ont fait savoir les membres du personnel du comité en nous disant ce qui pourrait être nécessaire pour procéder de façon constructive. Il s'agit du projet de loi concernant le bois d'œuvre résineux. Nous ne savons pas encore.

[Français]

Au cas où, comme on dit, que cela arrive ou non, on veut au moins être préparé et avoir l'autorité de dépenser ces montants assez diminués en faveur de notre travail.

[Traduction]

Le sénateur Stollery : Je propose l'adoption de ce budget.

Le président : Quelqu'un est-il prêt à appuyer la motion? Tous ceux qui sont pour? Tous ceux qui sont contre, s'il y en a?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Merci beaucoup.

Le sénateur Stollery a fait un commentaire extrêmement pertinent au sujet de l'enjeu commercial général qui se dégage de façon très nette de nos discussions. Je suis la dernière personne à proposer un examen ou une opinion faisant autorité sur ce qui constitue la nature du mandat que nous a accordé le Sénat, mais je pense que notre mandat actuel est d'examiner la question du bois d'œuvre résineux.

Je n'ai aucune difficulté à aller demander au Sénat un mandat portant sur une discussion plus générale, mais j'estime que le mandat actuel — à savoir que le comité analyse, entre autres, l'impact sur la souveraineté du Canada dans la gestion de ses ressources, l'impact quant à l'interprétation du chapitre 11 de l'ALENA, et les mesures incluses dans l'entente en ce qui a trait au soutien financier offert à l'industrie et à ses travailleurs — ne serait pas nécessairement assez large pour avoir une discussion beaucoup plus approfondie. Si mes collègues ont une opinion sur la question, ils pourraient la partager avec les membres du comité directeur pour que nous puissions tirer profit de leur avis et de leurs conseils. Je m'en remets à vous.

Le sénateur Di Nino : Je pense que vous devriez examiner le mandat général du comité. Vous constateriez peut-être que, surtout sous l'appellation récemment changée du comité, à savoir Affaires étrangères et Commerce international, nous avons des pouvoirs très larges dans la conduite de nos travaux. C'est une simple suggestion.

Le président : Sans demander un mandat distinct?

Le sénateur Di Nino : Si vous voulez examiner des questions précises, vous aurez peut-être besoin d'un nouveau mandat. En vertu du mandat qui nous est confié, notre comité a un certain pouvoir de prendre des initiatives concernant les questions qui relèvent du mandat général, mais le commerce international est relativement spécifique.

Le président : D'autres opinions, chers collègues?

Le sénateur Corbin : La question qu'il faut régler est celle de savoir si nous vous chargeons de demander une prolongation de la date ou de respecter la date en ce qui concerne ce mandat-ci.

Le président : C'est une excellente question. La date fixée pour un rapport dans le contexte du mandat actuel en ce qui concerne le bois d'œuvre résineux est le 30 novembre, c'est-à-dire dans huit ou neuf jours. Je pense que nous avons terminé les audiences prévues sur cette question et nous avons assez d'informations pour rédiger un rapport sur la question précise sur laquelle on nous demande nos commentaires, mais je m'en remets à mes collègues.

Le sénateur Stollery : Je ne sais pas si j'ai discuté avec tous mes collègues. Je travaille avec Peter Berg sur le rapport sur l'Afrique. Je lui en ai parlé tout à l'heure.

Pourquoi ne demanderions-nous pas une prolongation du présent mandat? Je pense que le sénateur Di Nino dit que c'est juste. Nous pouvons fureter longtemps encore. Nous avons eu deux séances captivantes avec des témoins très intéressants. Je ne pense pas qu'un autre mandat soit nécessaire pour continuer cette discussion de temps en temps. Nous pouvons décider que nous voulons un mandat, mais pourquoi ne demanderions-nous pas tout simplement une prolongation du présent mandat? Cela, auquel s'ajoute le fait que nous sommes le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, nous permettrait de continuer d'examiner la question et de décider si nous voulons obtenir un autre mandat. Quelqu'un a-t-il d'autres commentaires à faire? C'est peut-être une décision que le comité directeur peut prendre.

Le président : J'aimerais que vous donniez votre opinion.

Le sénateur Downe : J'ai une opinion différente, car j'estime que nous devrions terminer le mandat qui nous a été accordé. Je pense en outre que le sénateur Stollery a fait une observation pertinente sur l'importance du commerce international, surtout si l'on tient compte de ce que nous avons entendu aujourd'hui, de ce que nous savons sur les marchés émergents, et des initiatives que prendra le gouvernement pour faire progresser la position du Canada sur ces marchés.

J'ai été sidéré de constater, lorsque je suis allé à Chongqing, en Chine, où il y a 30 millions d'habitants, qu'il n'y a qu'un seul représentant au commerce pour une économie aussi vaste. Nous avons appris hier que le Mexique a augmenté beaucoup le nombre de représentants commerciaux dans les missions diplomatiques et consulaires. Un témoin a signalé que les Mexicains inondent les membres du Congrès et les sénateurs américains d'informations supplémentaires, davantage que les Canadiens. Si nous n'arrivons même pas à maintenir notre présence commerciale aux États-Unis, comparativement aux Mexicains, que ferons-nous dans les marchés émergents?

Je pense que le sénateur Stollery a soulevé une question dont le comité directeur pourrait envisager de confier un jour l'examen à ce comité. C'est une question beaucoup plus vaste qu'un simple ajout à celle que nous examinons actuellement. Par conséquent, je recommande de terminer nos travaux sur cette question; le comité directeur pourrait faire une recommandation sur des travaux futurs.

Le sénateur Eyton : Je suis entièrement d'accord sur ce point. Il me semble que nous avons une très bonne compréhension de l'Accord sur le bois d'œuvre résineux. Nous avons entendu des témoins et je pense que nous pouvons rédiger un rapport intelligent et efficace.

La description du commerce international est forcément un vaste sujet qu'il pourrait être à mon avis utile d'examiner dans le cadre d'une étude ultérieure. Il faudrait concentrer notre attention sur un certain aspect du commerce international pour pouvoir remettre un rapport utile. Votre suggestion concernant les efforts que nous faisons actuellement pour promouvoir le commerce avec nos pays et les éventuelles lacunes serait peut-être utile.

Le sénateur Corbin : Pourquoi ne prendrions-nous pas note de ces commentaires et ne continuerions-nous pas à examiner la question au Comité de la régie interne pour faire ensuite un rapport?

Le président : Au comité directeur. Avec plaisir. C'est un très bon conseil.

Je voudrais résumer les commentaires de mes collègues. Je comprends qu'il serait intéressant de mettre un terme dans les délais prévus à cette étude portant spécifiquement sur le bois d'œuvre résineux. Nous avons déjà demandé une prolongation. Ensuite, nous examinerons, au comité directeur également, quel pourrait être le cadre de référence pour une étude plus générale sur les questions théoriques et pratiques de promotion du commerce dans d'autres économies à croissance rapide, que nous considérons comme un sujet d'étude possible. Je tiens à préciser que c'est ce que j'ai entendu et que c'est la question que le comité directeur peut examiner en votre nom.

Le sénateur Di Nino : Je n'ai aucune objection. Je ne tiens pas à prolonger cette étude. Le commentaire que j'ai à faire est que notre comité a le mandat d'examiner les questions liées aux affaires étrangères et au commerce international. Si nous voulons obtenir un mandat précis, il devrait toutefois être suffisamment large pour ne pas devoir en demander un élargissement chaque fois que l'on veut ajouter un volet, si ce n'est qu'il faut respecter le budget, bien entendu. Cela nous impose une certaine discipline; nous n'avons pas carte blanche pour faire des dépenses à notre guise. Nous devons toujours suivre la procédure. Nous avons besoin d'un mandat qui nous permettrait, si le comité le jugeait opportun, de faire des enquêtes ou d'examiner des questions concernant les affaires étrangères ou le commerce international.

Le président : Pour votre gouverne, je signale que nous pourrons examiner l'année prochaine la question de l'évacuation du Liban. Cette échéance est prévue pour le printemps. En ce qui concerne l'Afrique, nous avons l'option de conclure et de faire un rapport, selon la façon dont cela se déroule, avant la fin de l'année civile. Si le comité directeur décide de recommander de terminer rapidement l'étude concernant le bois d'œuvre résineux, nous devrions alors avoir l'occasion de décider de ce que pourrait être notre programme pour l'année prochaine, après l'enquête sur le Liban, qui ne devrait pas prendre une trop large part du temps dont nous disposons. Nous avons donc l'occasion de procéder ainsi.

Le sénateur Downe : Je vous rappelle également que nous avons eu des discussions sur l'opportunité d'examiner la question des relations étrangères de l'Amérique centrale et du Sud avec le Canada. C'est une question qui est à l'examen également.

Le président : Oui. Chers collègues, je n'ai plus d'autres questions à examiner aujourd'hui. Avez-vous d'autres questions à signaler?

Le sénateur Stollery : Nous sommes à huis clos.

Le président : Non, nous ne sommes pas à huis clos.

Le sénateur Stollery : Cela n'a pas d'importance. Ce n'est pas une question pour laquelle nous devons siéger à huis clos. J'essaie d'écarter l'idée de préparer le rapport sur le bois d'œuvre résineux car, comme vous le savez tous, j'ai eu des réunions régulières pour préparer le rapport pour l'Afrique. Il couvre actuellement une soixantaine de pages. La rédaction avance bien et j'espère avoir quelque chose à présenter sous peu, mais je ne veux pas que les membres du personnel aient à faire un travail qui n'est pas aussi important dans l'immédiat. Je ne veux pas les surcharger.

Le président : C'est une question de planification du travail.

Le sénateur Stollery : Oui. Le comité directeur pourra en discuter.

Le président : Nous réglerons ça. Je pense que c'est une bonne chose de signaler au comité les pressions auxquelles les membres du personnel sont soumis, car nous tenterons de régler cela de façon constructive.

Notre prochaine réunion aura lieu la semaine prochaine.

La séance est levée.


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