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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 10 - Témoignages du 13 février 2007


OTTAWA, le mardi 13 février 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 17 h 22 pour examiner, afin d'en faire rapport, l'évacuation des citoyens canadiens du Liban en juillet 2006.

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous nous penchons aujourd'hui sur la question de l'évacuation de citoyens canadiens du Liban en juillet 2006.

[Traduction]

Nous avons entendu les témoignages de militaires canadiens, de fonctionnaires du Service extérieur canadien et de gens qui ont travaillé sur le terrain, et d'autres personnes qui ont coordonné les efforts à partir d'Ottawa. Ils nous ont parlé de divers aspects de la planification, aussi bien à court terme — dans l'urgence — qu'à moyen terme. Des gens qui ont participé directement à l'opération nous ont expliqué que son volet logistique avait été efficace.

Nous allons aujourd'hui entendre le point de vue d'une journaliste canadienne d'expérience, Mme Susan Ormiston qui est envoyée spéciale à la CBC et qui a été dépêchée au Liban et à Chypre puis au Liban et à Chypre pendant toute la durée des hostilités et de l'évacuation qui a suivi.

Mme Ormiston a débuté sa carrière à la CBC en 1981. Depuis, comme journaliste, elle a été affectée à des émissions comme Marketplace et à News Morning, qu'elle a animée, et à Fifth Estate, pour n'en citer que quelques-unes. Elle a eu pendant deux ans sa propre émission, Inside Media, sur la chaîne Newsworld de la CBC. Elle réalise maintenant des documentaires et est envoyée spéciale de The National.

En juillet 2006, Mme Ormiston se trouvait à Larnaka, à Chypre, lorsque les navires transportant les ressortissants canadiens évacués du Liban sont arrivés. Elle a été témoin oculaire du processus d'évacuation et s'est trouvée aux premières loges pour observer le déroulement de l'opération de sauvetage organisée par le Canada.

Mme Ormiston, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada et à la réunion de notre comité. Nous vous remercions de vous être organisée pour venir d'Afghanistan afin d'être parmi nous pour répondre aux questions de mes collègues. Je réalise fort bien que c'est là une nouvelle expérience pour vous. Nous allons vous poser des questions. Ce n'est pas notre mode de fonctionnement habituel, mais nous ne pensons pas que vous aurez de difficulté à nous répondre avec la franchise que vous attendez de nous lorsque les rôles sont inversés.

Permettez-moi de commencer par vous demander vos impressions générales, et n'hésitez pas à nous répondre librement et avec franchise, sur l'efficacité, l'efficience, la cohérence de l'opération organisée par le Canada. Parlez- nous de l'écart entre les attentes que les Canadiens qui se trouvaient là pouvaient avoir et les services qu'ils ont obtenus. Dites-nous, dans les grandes lignes, quels sont les cadres de référence qui sous-tendent vos observations, en matière de planification, afin que nous soyons en mesure de faire mieux et plus efficacement si cela s'avérait à nouveau nécessaire à l'avenir.

Susan Ormiston, correspondante de la CBC, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invitée. C'est bien la première fois que je témoigne devant un comité du Sénat. Comme je m'y attendais, sénateur Segal, vous m'avez lancé un défi. Nous, journalistes, vous demandons de nous répondre avec franchise et c'est ce que je vais tenter de faire de mon mieux.

Mon rôle ici est de me faire l'interprète de ce que j'ai observé de façon anecdotique. Je ne suis pas ici pour vous donner des avis de spécialiste ou mes opinions, mais pour analyser ce que j'ai observé au cours des semaines que j'ai passé à Chypre et au Liban. Je vais commencer par vous préciser où je suis allée et quand, pour vous permettre de situer le contexte.

Je vous demande pardon si c'est un peu flou. Je viens tout juste de passer un mois en Afghanistan et je ne veux pas mélanger mes guerres. Du temps a déjà passé et j'ai dû relire mes notes sur ce conflit et cette évacuation extraordinaires.

J'ai été affectée comme envoyée spéciale à la couverture du conflit à la dernière minute et, si je me souviens bien, je suis arrivée à Larnaka, à Chypre, dans la nuit du 19 juillet. C'est celle au cours de laquelle le premier ministre est arrivé à bord de son avion, en provenance du Sommet du G8 qui se tenait en Europe. Comme vous vous en souvenez peut- être, son avion a été détourné et est arrivé à Larnaka à peu près en même temps que le nôtre. Je me souviens qu'en arrivant à l'aéroport, j'ai reçu un appel de mon directeur de l'information chargé de l'étranger qui m'a dit : « Vous avez atterri. Parfait! Le premier bateau amenant des Canadiens de Beyrouth arrive au port de Larnaka à minuit. » Il était alors 22 heures. Nous sommes tout de suite descendus au port. Mon directeur de l'information m'a aussi indiqué que le premier ministre venait d'arriver. C'était une nouvelle pour moi qui venait de voyager pendant 16 heures en avion.

Nous nous sommes précipités au port où il y avait un certain nombre de navires affrétés. Nous nous attendions à voir arriver les premiers détenteurs de passeports canadiens qui avaient quitté Beyrouth. Il ne sont pas arrivés à minuit, ni à 2 heures du matin, ni à 6 heures du matin. On nous a dit que leur arrivée était imminente, mais ce n'était pas le cas. En réalité, il était 13 heures l'après-midi suivant quand les journalistes et le premier ministre ont appris que le bateau était enfin en vue.

J'ai alors réalisé pour la première fois l'horreur de ce qui s'était passé. Je n'étais pas à Beyrouth à l'époque; j'étais de l'autre côté, à l'arrivée. Il y a eu beaucoup de chaos, comme on vous l'a probablement dit, à Beyrouth pour trier le grand nombre de personnes qui se sont présentées au port et qui voulaient embarquer sur ce premier navire. Je n'étais pas là; je ne peux pas parler de cette situation. Mes collègues m'ont dit que c'était le chaos, une expérience frustrante pour tous ceux qui étaient concernés.

Le premier navire à arriver, le Blue Dawn — je me rappelle très clairement de ces détails — était un navire libanais affrété par le Canada. Ce navire de croisière transporte habituellement une centaine de voyageurs d'agrément alors qu'ils étaient là 250 à bord. Il faisait chaud : 40 degrés. Les passagers avaient passé 15 heures en mer pour un voyage qui prend normalement entre six et neuf heures. Ils avaient chaud, étaient déshydratés et mécontents. J'ai raconté plusieurs fois cette histoire à nombre de mes collègues et amis qui m'ont demandé comment les choses se sont déroulées sur le port ce jour-là. Ils sont descendus du bateau et j'ai vu qu'on emmenait rapidement les bébés, et un couple souffrant de déshydratation. Je sais de quoi a l'air une personne déshydratée. Les bébés étaient faibles et le personnel médical les a évacués rapidement. L'eau avait manifestement manqué à bord de ce navire, probablement parce que personne n'avait prévu que la traversée serait aussi longue.

À ce qu'on m'a dit, et je le tiens de plusieurs personnes, les Israéliens ont intercepté ce navire deux fois entre Beyrouth et Larnaka et l'ont retenu pour le fouiller, ou faire quoi que ce soit d'autre. Ce n'était pas prévu. À chaque fois, cela a pris deux heures et la durée du voyage s'est allongée.

Au Canada, des gens ont été choqués de voir la colère de certains des passagers, mais il faut rappeler le contexte. Ces passagers avaient voyagé dans des conditions très tendues. Ils avaient dû se rendre la veille à Beyrouth en espérant prendre ce navire, et quand on leur a dit de se présenter à l'embarquement, ils étaient probablement épuisés, très nerveux et avaient très chaud. Ce sont des éléments que vous ne pouvez pas minimiser. Ils ont attendu très longtemps dans le port de Beyrouth avant d'embarquer et par la suite, la durée du voyage s'est allongée de deux heures.

Quand ils ont débarqué, pour être honnête, certains d'entre eux étaient très en colère. Tout en étant reconnaissants de se trouver en sécurité, ce qu'ils avaient vécu leur faisait trouver l'expérience traumatisante.

C'était le premier navire. L'autre détail sur le contexte dont je me souviens est que le premier ministre était venu, je crois, pour accueillir ce premier navire. On nous a expliqué que, pour des raisons de sécurité, il est resté à l'aéroport à bord de son avion et ne s'est pas rendu au port. Il a été coincé sur l'aire de stationnement de l'aéroport pendant plus de 24 heures alors que nous attendions tous que ces bateaux arrivent.

Quand ils sont arrivés au port, on s'est occupé de tous ces gens de façon assez efficace. Il y avait des bus et des gens pour les emmener rapidement. Ils ont reçu des soins, eu de l'eau et tout le nécessaire dont ils avaient besoin. Ensuite, on les a emmenés dans des locaux où on s'est occupé d'eux, derrière les bureaux du port, où nous n'avions pas accès.

Nous avons pu les retrouver plus tard dans un genre de grand gymnase à Larnaka. Les enfants avaient de la place pour courir; il y avait de l'espace, de l'eau, de la nourriture et ils étaient à l'abri. Cela m'a paru un endroit sécuritaire et bien pour permettre à ces gens de se remettre de ce qu'ils avaient vécu.

Cette nuit-là, je crois que c'est aux alentours de minuit, environ 63 d'entre eux ont été invités à embarquer à bord de l'avion du premier ministre pour rentrer au Canada. Les autres ont emprunté des vols nolisés. Je me souviens que, pour des raisons de sécurité, au moins une personne n'a pas été autorisée à accompagner le premier ministre. Cela nous amène à une des questions que nous avons posée soit, comment cela a-t-il pu se produire? Comment ces personnes ont- elles été choisies?

Voilà la description dans les grandes lignes de ce qui s'est passé ce premier jour. Vous vous souviendrez probablement que cela a donné le ton des réactions au pays, ce que j'ignorais à l'époque. Les gens étaient scandalisés de voir la frustration de ces gens débarquant du navire, sachant qu'ils venaient de quitter une zone de guerre.

J'ai passé trois jours au port. Je ne crois pas avoir vu ma chambre d'hôtel pendant ces trois jours là. Les navires qui ont suivi étaient mieux équipés et plus gros. Tous les navires affrétés n'étaient pas libanais. Un navire battant pavillon libanais peut être à l'origine de problèmes dans des eaux faisant l'objet d'un blocus israélien.

L'organisation s'était alors améliorée. Les gens du MDN sont arrivés le même jour que nous et ils étaient au travail. À l'époque, on s'est beaucoup demandé s'ils allaient réellement être plus efficaces pour transporter des groupes importants de personnes en période de crise. Ils ont été utiles.

Le président : L'avez-vous constaté vous-même quand les gens du MDN sont arrivés? La logistique mise en place pour accueillir et transporter ces personnes a-t-elle paru s'améliorer?

Mme Ormiston : Oui, je l'ai constaté. J'ai eu de longues conversations avec eux à l'hôtel. Ils ont installé un centre de commandement à l'hôtel, qui n'était pas là quand je suis arrivée. Ils ont commencé à déplacer les personnes, et ils savent le faire. Ils avaient aussi reçu l'aide du MAECI, qui était vraiment nécessaire.

Vous savez, bien sûr, qu'il n'y a pas d'ambassade à Larnaka mais un consulat, et que celui-ci n'a pas beaucoup d'employés. Je ne sais pas combien ils étaient.

Les personnes qui ont débarqué des navires suivants étaient de meilleure humeur. C'est que le système était bien huilé et fonctionnait mieux. Par la suite, j'ai pris un navire français pour aller de Larnaka à Beyrouth où je suis arrivée plusieurs jours plus tard. Je suis restée jusqu'à la fin de l'évacuation, qui a pris environ une semaine avec des navires quittant Beyrouth tous les jours.

Il y avait un grand bâtiment dans le secteur de l'ambassade à Beyrouth, dont vous avez entendu parler. Le personnel essayait d'aider les gens à faire toutes les démarches nécessaires. Je suis restée à Beyrouth jusqu'à la fin des évacuations régulières. Je crois que c'était le weekend qui a précédé mon départ.

Dans les grandes lignes, c'est ce que j'ai observé au cours de ces premiers jours. J'ai consulté mes notes parce que j'avais retranscrit sous forme de citations des extraits de ce que les gens nous avaient dit à la caméra. La frustration était manifeste dans leur voix. J'ai un extrait d'un porte-parole du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international disant qu'il reconnaissait que l'organisation des 24 ou 48 premières heures n'avait pas été efficace et qu'ils avaient dû tirer les leçons de l'arrivée du premier navire pour améliorer la procédure dans les jours qui ont suivi.

Le sénateur Dawson : Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Par rapport à d'autres pays, comment nous sommes- nous comportés? Vous étiez sur place. J'ai ici une citation du ministre qui affirme :

Premièrement, il n'y a pas de confusion entre les personnes qui travaillent au sein du ministère. Il y a une réponse immédiate, contrairement à ce qui a été rapporté dans les médias. La réponse est appropriée et très rapide.

Comme à cette époque, vous faisiez partie des médias en question et que ce sont eux qui nous fournissaient l'essentiel de l'information, c'est par eux que nous avons eu notre première impression de chaos. Y avait-il de la confusion? Je ne veux pas laisser entendre qu'un certain niveau de confusion était anormal dans les circonstances. Comment nous comportions-nous par rapport à d'autres pays? Vous avez mentionné avoir été à bord d'un navire avec des Français. Comment se sont-ils occupés de leurs évacués?

Mme Ormiston : Les Français étaient les seuls qui acceptaient d'embarquer des journalistes pour retourner au Liban. J'ai fait un reportage sur les gens qui vont vers le danger. Quelles sont leurs motivations?

Quant à une comparaison, lorsque je suis arrivée à Larnaka, les autres pays avaient déjà commencé à évacuer leurs ressortissants. Des navires énormes arrivaient. Mon impression au cours des 24 premières heures, parce que nous étions là à observer ce qui se passait d'heure en heure, a été qu'un bâtiment américain est arrivé, un gros navire de croisière, de luxe, avec plus de 1 000 personnes à bord, si je me souviens bien. Il ne semblait pas y avoir le même genre de confusion, à ce que j'ai observé.

Il m'est apparu qu'il y avait de la confusion au sujet des heures d'arrivée des navires et de la façon dont on allait s'en occuper. La situation s'est améliorée avec les jours qui passaient. Les conditions étaient telles qu'on s'attendait à une certaine confusion. Je ne peux pas dire qu'il n'y a pas eu du tout de confusion.

Le sénateur Dawson : Je ne veux pas vous mettre sur la sellette en vous demandant un commentaire. Que nous recommanderiez-vous de faire de façon différente? Nous avons parlé un peu des chiffres auparavant; nous ne savions pas à l'époque combien de personnes devaient être évacuées. Disposez-vous d'information vous amenant à penser que nous sommes en meilleure situation un an plus tard où en sommes-nous encore au même point?

Mme Ormiston : Je ne sais pas si les choses ont changé. Comme vous le savez, ce fut la plus importante évacuation d'urgence que le Canada ait jamais entreprise et il a fallu agir dans l'instant. Ça été le cas pour toute cette guerre.

J'ai réfléchi un peu depuis à cette question et j'ai fait des recherches sur les gens ayant la double citoyenneté. J'ai été absolument incapable de trouver des chiffres précis. Je crois qu'il serait utile qu'un pays sache où se trouvent ses citoyens.

Après avoir parlé avec le représentant du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à Larnaka, j'ai eu l'impression que le ministère reconnaissait franchement qu'il y avait eu des problèmes importants de coordination le premier jour. Il était très désireux de les régler. Je suppose que le ministère avait étudié comment cette évacuation s'était déroulée et avait cherché à améliorer son fonctionnement. Ce n'est toutefois qu'une hypothèse.

Je suis un peu hésitante à parler de ce qui aurait pu être mieux fait, parce qu'il me semble que c'est du côté de Beyrouth que se trouvaient les problèmes majeurs dans le cas de ces premiers navires. Mes collègues m'ont décrit une situation épouvantable, avec un grand nombre de gens faisant la queue sous le soleil, ne sachant pas ce qu'ils faisaient là. D'une certaine façon, les communications marchaient mal. Je sais que le personnel de Beyrouth était également tendu et en petit nombre pour faire face à ce type de situation.

Le sénateur Downe : Pourriez-vous dire aux membres du comité comment les fonctionnaires du gouvernement du Canada se sont comportés avec vous. Vous ont-ils bien informée? Ont-ils essayé de vous raconter des histoires ou étaient-ils aussi francs que vous l'avez indiqué dans votre réponse au sénateur Dawson, à la fois lors de votre premier arrêt, puis quand vous êtes allée à Beyrouth?

Mme Ormiston : Je vais débuter par Beyrouth parce que, à cette époque, il y avait en place un meilleur système de communication. Il y avait des gens à qui nous pouvions téléphoner de façon régulière pour leur demander combien de personnes partaient, quand elles allaient partir, quand les navires appareillaient. Le système s'est mis à fonctionner environ deux à cinq jours après la première évacuation.

À Larnaka, je ne sais pas où se situait le problème dans les communications, mais personne ne savait quand le premier navire allait arriver. Je ne sais pas avec certitude pourquoi. Les bateaux ont pourtant des moyens de communication. C'était en permanence la confusion sur l'heure d'arrivée et le nombre de personnes qui se trouvaient à bord. Je ne sous-entends pas que c'était délibéré ou qu'on nous racontait des histoires, mais il y avait beaucoup de confusion. Pendant 12 heures, nous n'avons pas su quand le bateau allait arriver ni pourquoi cela prenait tant de temps. Si je me souviens bien, et les détails sont un peu flous, il y a eu quelques heures pendant lesquelles personne ne semblait savoir où se trouvait le navire. Cela me troublait. Je ne suis pas marin, mais j'imagine qu'il existe des moyens de communiquer.

Le sénateur Downe : C'était là une histoire importante pour le Canada et la CBC était là en force. Est-ce que les stations canadiennes privées de radio et de télévision ont également envoyé des journalistes?

Mme Ormiston : Oui, CTV avait une équipe et il est possible que Global en ait eue une aussi. Tout le monde était là, tout le monde avait des antennes paraboliques. CNN était là aussi. C'était le cirque.

Le sénateur Downe : Toutes les stations canadiennes du secteur privé ont fait la même couverture que la CBC. C'était un sujet très chaud, non seulement pour les 40 000 ou 50 000 Canadiens d'origine libanaise qui, on l'imaginait au début, allaient vouloir quitter le Liban et pour les 14 000 qui en sont vraiment sortis, mais pour les amis et les familles qui se trouvaient au Canada et qui suivaient aussi attentivement les nouvelles. C'est pourquoi votre réponse m'intéresse.

Avez-vous des conseils à donner au gouvernement canadien sur les communications à mettre en place à l'occasion de la prochaine crise, qui peut survenir n'importe quand maintenant?

Mme Ormiston : Oui, elle se produira très certainement. Une fois encore, cela ne relève pas de mes compétences, sénateur. Je suis journaliste et envoyée spéciale. Je ne peux que proposer de mettre en place un plan pour des évacuations de cette nature, à grande ou à petite échelle, et avant tout un plan de communications à mettre en œuvre rapidement. Vous pouvez vous demander s'il faudrait impliquer le MDN dès les premiers jours étant donné ses compétences en la matière. Nous avons eu l'impression d'une toute nouvelle expérience, ce qui était réellement le cas.

Le sénateur Downe : Je m'intéresse tout particulièrement au volet des communications. Vous nous avez dit que votre directeur de l'information vous a téléphoné du Canada dès que vous êtes descendue de l'avion. Vos appareils de télécommunications, vos ordinateurs, vos Blackberry et je ne sais quoi auraient fonctionné.

Votre travail aurait-il été facilité, lorsqu'il y avait de la confusion sur le terrain, ce qui est compréhensible, si Ottawa avait eu un centre de coordination des communications qui avait su quels journalistes se trouvaient sur place et avait communiqué directement avec eux? Dans ce cas, vous auriez obtenu l'information nécessaire pour la retransmettre au Canada.

Mme Ormiston : En toute franchise, en me fiant à mon expérience, les centres de communication sont parfois utiles, mais ils font parfois aussi obstruction. Nous faisons des reportages à partir de pays dans lesquels on nous demande d'obtenir de l'information d'Ottawa. Ce fut le cas au Liban tout au long de ces quelques semaines. Quand nous avions besoin d'information sur ce que faisait le ministère des Affaires étrangères ou d'obtenir des données, on nous demandait de nous adresser à Ottawa, ce qui pose des problèmes quand nous sommes tenus de respecter des heures de tombée, et qui n'est pas toujours efficace. Oui, un système de communications pourrait probablement être utile.

Je ne crois pas qu'il incombe au ministère des Affaires étrangères de me faciliter le travail. Je crois, pour les personnes qui sont impliquées et pour celles que nous informons — dans ce cas en direct puisque nous faisons des reportages en direct alors que nous attendions ces navires — que les familles auraient apprécié, comme vous l'avez laissé entendre, de savoir où se trouvaient ces gens. Ils étaient en haute mer sous une température de 40 degrés. La situation sur le premier navire était passablement désespérée. Je ne suis pas sûre que tous les Canadiens aient bien réalisé qu'il s'agissait d'une situation difficile.

Le président : Avant de donner la parole au sénateur Di Nino, je veux être clair. Avez-vous indiqué auparavant que vous vous êtes rendue à Beyrouth à bord d'un navire français pendant cette période?

Mme Ormiston : Oui.

Le président : Après Larnaka?

Mme Ormiston : Oui. Je suis arrivée à Larnaka. Je suis arrivée en même temps que le premier ministre, le mercredi soir je crois, et j'ai embarqué le samedi soir sur un navire français pour Beyrouth.

Le président : Êtes-vous réticente à répondre à des questions sur ce que vous avez observé à Beyrouth quant à l'organisation des départs de Canadiens?

Mme Ormiston : Non.

Le président : Je vous en remercie.

Le sénateur Di Nino : Monsieur le président, je tiens tout d'abord à vous féliciter d'avoir invité Mme Ormiston parmi nous aujourd'hui. L'expérience qu'elle a vécue au Liban et à Chypre sera riche d'enseignements pour ce comité. J'espère que vous envisagerez par la suite de faire appel de la même façon à son expérience de l'Afghanistan, qui est beaucoup plus vaste et beaucoup plus longue.

Mme Ormiston, je souhaite poursuivre sur les communications. Vous a-t-on jamais donné des réponses évasives ou refusé de vous fournir de l'information? Avez-vous eu l'impression que les fonctionnaires canadiens ne vous donnaient pas l'information?

Mme Ormiston : Je crois que l'une des questions qu'un journaliste pouvait normalement se poser ce jour-là et dans les 48 heures que nous avons passées dans ce port était où se trouve le premier ministre et que fait-il? Cette information était difficile à obtenir.

Le sénateur Di Nino : C'était manifestement là une question de sécurité pour le premier ministre. Je parle du processus réel d'évacuation, et cetera. Dans la mesure où ils étaient en mesure de le faire ou disposaient de l'information, les gens communiquaient-ils avec vous?

Mme Ormiston : Je ne parlerai pas ici de réponses évasives ou de tourner autour du pot. Je crois qu'il y avait de la confusion et je crois que les gens sur le terrain n'avaient pas de renseignements précis. Ils essayaient de répondre à nos demandes et à celles des évacués, sans savoir réellement ce qui se passait.

Le sénateur Di Nino : Je crois que vous avez eu tout à fait raison de décrire la situation comme chaotique, car il s'agissait d'une zone de guerre, et il fallait s'y attendre. Vous avez décrit assez précisément ce qui s'est passé le premier jour.

Je suis curieux de savoir ce que vous avez observé les troisième, quatrième et cinquième jours et comment les choses peuvent avoir évolué avec le temps quand les contrôles ont été mis en place. Je suis curieux de tout ce que vous avez pu apprendre des évacués et des histoires qu'ils vous racontaient, et de savoir comment ils percevaient tout cet exercice.

Mme Ormiston : Les choses ont beaucoup changé pendant les deux premières semaines de l'évacuation. Pour les évacués, ce qui a le plus changé a été la façon dont le ministère des Affaires étrangères communiquait avec eux. Vous vous souviendrez peut-être qu'à une époque, il semble que le ministère s'efforçait d'entrer en relation avec les gens qui se trouvaient au Liban et de leur dire « Rendez-vous au port ». Avec le temps, alors que le conflit s'est aggravé, le message diffusé est devenu « N'attendez pas qu'on vous contacte directement, présentez-vous simplement ». On leur a également fait savoir que les évacuations allaient être réparties entre Beyrouth et Tyr, dans le Sud. Un navire allait s'y rendre. Il s'agissait là d'une communication beaucoup plus large. D'une certaine façon, vous pourriez dire qu'elle était moins efficace, mais le mot d'ordre général s'est bien rendu. C'était un peu plus facile pour les gens parce qu'auparavant, les gens comprenaient que si on les avait appelés, ils pouvaient se rendre au port, mais ne savaient pas quoi faire si on ne les contactait pas. Certains de ces gens devaient emprunter les routes de la vallée de la Bekaa et des endroits comme cela, qui étaient très dangereux. Cet appel était important. Fallait-il prendre la route ou non? Oui, les choses se sont beaucoup améliorées. Le dernier bateau dont j'ai couvert le départ était le dernier prévu, deux semaines et demie après le début de l'évacuation. À cette époque-là, la procédure était très bien huilée. Les gens savaient où ils devaient se présenter, ils étaient inscrits sur le manifeste, ils savaient sur quel navire embarquer et quand ils allaient appareiller.

Le sénateur Di Nino : Je m'interroge sur la façon dont les personnes qui ont accompagné le premier ministre ont été choisies. La journaliste que vous êtes a-t-elle fini par apprendre comment la sélection a été faite?

Mme Ormiston : Non, nous n'avons pas eu cette information. Nous n'avons eu que très peu d'information sur le voyage du premier ministre, ce qu'il a fait à Larnaka et les communications qu'il a eues. Je sais que, au départ, 100 personnes devaient embarquer à bord de son avion pour revenir au pays et qu'il y en a eu que 63. J'ignore pourquoi le nombre de passagers a été réduit.

Le sénateur De Bané : Avez-vous été tentée de comparer les opérations canadiennes à celles des autres pays?

Mme Ormiston : Oui, bien sûr.

Le sénateur De Bané : Quelle impression générale en avez-vous retirée?

Mme Ormiston : Si je n'ai pas passé beaucoup de temps à examiner les évacuations des Américains ou des Français, il m'a semblé dans l'ensemble qu'ils avaient démarré plus tard, quand la situation était, peut-être, plus désespérée.

Je suis arrivée six jours après le bombardement de l'aéroport qui a marqué le début du conflit, mais je crois que plusieurs pays avaient déjà procédé alors à l'évacuation de leurs citoyens. Il s'agissait alors de s'occuper des détenteurs de passeport canadien qui se demandaient quoi faire.

On a également assisté à une certaine coordination entre les pays dans la suite du conflit. C'est ainsi que le Canada a envoyé un navire à Tyr, environ deux semaines après la première évacuation en s'attendant à ce qu'il soit rempli de détenteurs de passeport canadien. En vérité, très peu se sont présentés et le navire a embarqué des citoyens d'autres pays.

Le sénateur De Bané : J'ai demandé à d'autres témoins s'il s'agit là essentiellement d'une question de logistique ou si nos militaires ne sont pas mieux formés que nos diplomates pour procéder à de telles opérations. Je leur ai demandé si la responsabilité n'aurait pas dû être transférée immédiatement à des spécialistes de telles opérations à grande échelle. Bien évidemment, les responsables du ministère des Affaires extérieures disent que non, qu'ils avaient la situation bien en main. Bien sûr, ils ont fait appel à plusieurs autres ministères fédéraux mais c'est leur ministère qui était responsable de la coordination de tous les efforts. Je ne suis pas convaincu que ce ministère soit conçu pour lancer une opération à si grande échelle.

Comme vous le savez, le gouvernement fédéral dispose d'un organisme permanent qui s'occupe des désastres survenant au pays. Dans le village mondial qui est le nôtre, nous avons 50 000 personnes ayant des passeports canadiens qui vivent en Grèce, 300 000 à Hong Kong et plus de 100 000 aux États-Unis et beaucoup plus dans d'autres pays.

La même agence fédérale ne pourrait-elle pas préparer des mesures adaptées aux situations d'urgence survenant à l'étranger afin que les efforts du Canada soient déployés en temps plus opportun et se comparent à ceux des autres pays?

Mme Ormiston : Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur l'organisme fédéral responsable de la protection civile parce que je n'en ai pas assez à son sujet. Il y a par contre matière à ce que votre comité s'interroge sur les rôles des Affaires étrangères et du MDN dans une telle situation. Bien sûr, vous réalisez que vous en avez appris beaucoup plus que moi sur les raisons qui ont présidé au déclenchement de l'évacuation, et sur le temps qu'il a fallu pour la mettre en œuvre. À bord du vol entre Paris et Larnaka, la moitié des passagers étaient des agents du MDN. Ils ont voyagé en même temps que nous. C'était à la toute dernière minute. Une fois la décision prise, il faut acheminer les gens sur place. S'il y avait des moyens de prévoir à l'avance l'acheminement de ces gens et de les transporter plus rapidement sur place, ce serait peut-être un sujet de réflexion intéressant pour ce comité.

Le sénateur De Bané : Madame Ormiston, avez-vous eu l'occasion de rencontrer ou de vous entretenir avec certaines des personnes qui venaient du Sud du Liban quand vous étiez à Beyrouth?

Mme Ormiston : J'ai passé une fin de semaine traumatisante au Sud du Liban. J'ai passé plusieurs jours sur place à Tyr. Les gens étaient traumatisés; cela ne fait aucun doute. Il était très dangereux de voyager sur les routes parce que vous n'aviez absolument aucune idée du risque d'une frappe aérienne quelconque ou d'un accident, ou que quelque chose d'autre survienne, quand vous empruntiez ces routes.

Le sénateur De Bané : C'était donc une bonne idée pour le ministère des Affaires étrangères d'envoyer un navire à Tyr.

Mme Ormiston : C'était une bonne idée, mais je ne sais pas pourquoi il n'y avait pas plus de gens. Nous nous demandions tous pourquoi il n'y avait pas plus de gens à profiter de ce bateau. La question était : ce bateau est-il arrivé trop tard? Ces gens avaient-ils décidé de se rendre d'une façon ou d'une autre à Beyrouth? Ne voulaient-ils pas prendre la route à partir du Sud, même aux alentours de Tyr? Se rendre à Tyr à partir de certains des villages situés plus au sud, près de la frontière, était très dangereux. Il se peut que certains n'aient tout simplement pas pu emprunter les routes se rendant à Tyr ou il n'y avait peut-être tout simplement pas de demande. Peut-être que ceux qui étaient partis avaient changé d'avis et que ceux qui voulaient partir avaient pris la route pour Beyrouth plus tôt.

Le sénateur Andreychuk : Madame Ormiston, la journaliste que vous êtes a-t-elle réfléchi à certaines des répercussions politiques? Les Canadiens ne sont pas tenus de s'inscrire auprès de l'ambassade quand ils arrivent dans un pays étranger, même s'ils sont incités à le faire. Aujourd'hui, nous disposons de la technologie pour prévenir les voyageurs des risques pour la santé, de l'instabilité politique, et cetera. Il incombe aux gens qui voyagent de savoir où ils se rendent et de s'informer de la situation dans les pays où ils vont.

Dans ce cas-ci, il semble que nombre de personnes qui ne s'étaient pas inscrites auprès de l'ambassade l'ont fait quand le conflit a débuté. Vous avez dit que le conflit a démarré brutalement, mais il ne fait aucun doute que la région était déjà instable.

Mme Ormiston : Oui, bien sûr.

Le sénateur Andreychuk : Alors, les combats ont réellement débuté et les gens ont essayé de s'inscrire auprès de l'ambassade. À ce qu'on m'a dit, certains de ces noms ont été inscrits sur les listes à la demande de personnes qui téléphonaient, peut-être des parents ou des amis, du Canada.

Mme Ormiston : Oui, cela s'est produit.

Le sénateur Andreychuk : De cette façon, les gens étaient assurés que l'ambassade disposait de leur nom et savait qu'ils se trouvaient dans la région. La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure un ministère du gouvernement canadien ou les militaires canadiens doivent s'efforcer de déterminer le nombre de personnes dans la région, quels services leur assurer et quand?

Nous devons envisager toutes sortes de désastres et de déplacements. Y a-t-il eu des discussions au cours desquelles on s'est demandé si les personnes inscrites devaient bénéficier d'un traitement préférentiel? S'agissait-il simplement de savoir si les personnes qui s'étaient elles-mêmes désignées comme Canadiennes bénéficieraient des mêmes droits pour embarquer à bord de ces premiers navires? Y a-t-il eu des discussions de quelque nature que ce soit sur la responsabilité vu de l'autre bout de la lorgnette?

Mme Ormiston : Ce comité a l'avantage de nous faire tous réaliser que cette crise a soulevé des questions sur l'instabilité du monde et sur l'importance de nos déplacements, que nous vivions dans un pays étranger ou que nous voyagions. Ce ne sont pas tant les voyageurs que les personnes vivant dans ces pays qui peuvent oublier de s'inscrire. On en savait très peu sur les droits des Canadiens qui se trouvent dans un pays étranger lorsqu'une crise survient, et je ne suis pas certaine qu'on en sache beaucoup plus maintenant.

C'est ainsi que nous, les journalistes, n'étions pas sûrs d'avoir le droit de recevoir de l'aide pour sortir du pays si nous étions en difficulté au Liban. La question des droits baigne dans le flou. Nous sommes tous confrontés à ces situations parce que nous voyageons plus, vivons dans beaucoup plus d'endroits et avons beaucoup plus de gens ayant la double citoyenneté. Ce serait probablement une bonne chose qu'une campagne d'information éclaire les gens sur leurs droits. Cette évacuation a amené des gens à s'interroger sur les coûts d'une telle opération et certains se sont demandé si les évacués auraient à payer? Non, ils n'auront pas à payer. En sera-t-il de même la prochaine fois? Devraient-ils être tenus de payer à partir d'un point où ils sont en sécurité, comme Larnaka ou la Turquie, pour revenir au Canada. Je crois que les coûts les plus importants de cette évacuation ont été les coûts du transport aérien. Il faut donc tirer les leçons de l'expérience et avertir les gens. Pourquoi ne pas informer plus précisément nos ressortissants sur les façons d'assurer leur sécurité dans ces pays.

Le sénateur Andreychuk : Ce qui m'a frappé a été le problème horrible auquel nous étions confrontés, et il apparaissait devant nous — quelle était son ampleur? Combien de gens avaient vraiment besoin de partir? Ensuite, après la cessation des hostilités, quand la situation est apparue plus stable, nous avons entendu parler des retours.

Nous travaillons dans ces pays, à la fois au développement et dans le cadre des Nations Unies. Avez-vous constaté ce que le Canada faisait à ce moment-là, de façon bilatérale ou multilatérale, pour venir en aide à ceux qui n'avaient pas les moyens d'être évacués?

Nous nous sommes concentrés sur les responsabilités du Canada envers les Canadiens. Qu'en est-il de la responsabilité du Canada dans une zone de guerre dans laquelle nous avons eu des relations et exercé une certaine influence?

Mme Ormiston : Je ne crois pas avoir les connaissances nécessaires pour répondre à cette question de façon très crédible. J'ai fait des reportages sur la difficulté d'acheminer l'aide alimentaire dans le Sud du Liban.

Je n'oublierai pas le matin où les quatre observateurs des Nations Unies ont été tués à leur poste d'observation. Le responsable du programme alimentaire mondial m'a dit que dix de ses chauffeurs l'ont abandonné ce jour-là. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a dit que ces chauffeurs se disaient que si on ne pouvait pas protéger notre propre personnel des Nations Unies, pourquoi devraient-ils prendre des risques et conduire dans cette région. C'était là un exemple frappant de la difficulté à acheminer l'aide dans une zone de guerre.

Quant à ce que le Canada faisait directement, je ne crois pas être en mesure de répondre à cette question. Quant à d'autres sujets que vous avez abordés, comme le nombre de personnes ayant la double citoyenneté, savoir où elles se trouvent et leur nombre à un endroit donné, je n'ai pas pu trouver les réponses à ces questions six mois plus tard et pourtant j'ai cherché des réponses avec insistance.

Le sénateur Mahovlich : Vous parlez des personnes ayant la double citoyenneté. J'ai été époustouflé d'apprendre qu'il y avait plus de Canadiens au Liban qu'il n'y avait d'Américains. Je crois qu'il y a plus de Canadiens avec la double citoyenneté au Liban que dans tout autre pays. Est-ce exact?

Mme Ormiston : Je ne suis pas en mesure de vous donner de réponse fiable. Je crois que vous n'êtes pas loin de la vérité. L'histoire montrera qu'il y a un lien assez étroit entre le Liban et le Canada.

Le sénateur Mahovlich : Nous n'en étions peut-être pas conscients et c'est pourquoi nous avons eu de la difficulté à faire sortir tous les Canadiens. Nous avons sous-estimé le nombre de nos citoyens dans ce pays.

Mme Ormiston : Je crois que vous devez aussi mettre les choses en perspective : il y avait 40 000 détenteurs de passeport canadien au Liban et seulement 15 000 ont choisi de partir.

Le sénateur Mahovlich : C'est exact. Avez-vous parlé à certains de ceux qui ont décidé de ne pas partir?

Mme Ormiston : Oui, j'ai parlé en personne à certains d'entre eux qui étaient venus passer des vacances dans ce pays et qui avaient décidé de rester. Il y avait de grandes régions du pays dans lesquelles la situation était relativement stable par rapport au Sud et aux banlieues du sud de Beyrouth.

Je me souviens de m'être entretenue avec une famille de Toronto coincée à la frontière syrienne dans une petite ville où la route avait été bombardée. Ils ne pouvaient pas partir, mais ils estimaient de façon raisonnable être mieux là que de voyager. Je crois que c'était la motivation de certaines personnes.

Le sénateur Mahovlich : La frontière avec Israël était-elle dangereuse?

Mme Ormiston : Énormément.

Le sénateur Mahovlich : J'ai inauguré une piste de hockey sur glace à la frontière et les Libanais venaient y jouer. C'était à Matulla.

Mme Ormiston : C'est une zone dangereuse.

Le président : Avant de passer la parole au sénateur Stollery, j'ai une question à vous poser au sujet de la zone de rassemblement dans le port de Beyrouth.

Je crois savoir que les forces régulières de l'armée libanaise avaient pris certaines mesures de sécurité dans la région. Nous avons demandé au personnel des Forces armées canadiennes ce qu'il en était des règles d'engagement ou des plans en cas d'hostilités déclenchées, que ce soit par omission ou délibérément, par le Hezbollah ou par les Israéliens et que la sécurité du centre de rassemblement pose des problèmes.

Est-ce une question qui vous préoccupait sur le terrain? Est-ce que ce centre de rassemblement vous paraissait assez sûr et sécuritaire, peut-être du fait d'ententes secrètes entre toutes les parties?

Mme Ormiston : C'est une bonne question. Je me creuse la tête pour me souvenir des mesures de sécurité en entrant et en sortant de ce centre. Je ne me souviens pas de m'être sentie du tout menacée. Je n'ai pas eu le sentiment, comme journaliste, de me dire, Oh mon Dieu, il y a là quantité de gens qui sont des cibles faciles.

La route était longue pour se rendre à ce centre, coupée par plusieurs barricades. Il y avait un espace dégagé entre la route et l'entrée de ce centre. Ce dont je me rappelle, toutefois, c'est que, les premiers jours, les gens étaient exposés à la chaleur quand ils faisaient la queue. Vous passiez en voiture le long de la route principale à l'endroit où ils faisaient la queue pour accéder au centre de regroupement avant d'embarquer sur ces navires. Il faisait chaud et ils restaient debout pendant des heures. On aurait peut-être pu faire quelque chose pour atténuer la chaleur. Il n'y avait pas d'abri sur cette route de ciment où ils faisaient la queue. Cela semble tout simple, mais cela aurait pu empêcher certaines souffrances.

Le sénateur Stollery : Je n'ai pas beaucoup de questions très précises. Il m'a toujours semblé que le problème est apparu très rapidement, venant de nulle part, et que naturellement cela a causé beaucoup de confusion et que les gens couraient dans tous les sens pour essayer de trouver des façons de quitter les endroits où les bombes tombaient.

Je vis au centre-ville de Toronto, soit dans un quartier très cosmopolite. Les gens disent que si des personnes ont la double citoyenneté, il nous incombe de les sauver quand ils vivent ailleurs et qu'ils ne paient pas d'impôt ici. C'est ce que les gens disent. Ce n'est pas ce que moi je dis, mais bien ce qu'ils disent.

Je suppose qu'un peu tout le monde a été surpris par les chiffres. Je suis allé au Liban et au Sud du Liban quelques fois, mais je n'avais jamais réfléchi à ça. Toutefois, je suppose que cela ne nous surprend pas dans le cas du Portugal avec tous les Canadiens portugais qui retournent dans leur pays d'origine pour les vacances et tous les Canadiens qui ont des passeports portugais, qui prennent leur retraite au Portugal ou aux Açores, ou avec les Canadiens qui vont en Floride... Si quelqu'un commençait à lancer des bombes sur la Floride, il y aurait beaucoup de Canadiens à courir demander de l'aide.

C'était manifestement inattendu. Je ne crois pas que le fait de s'inscrire aurait fait une once de différence. J'ai beaucoup voyagé et je ne m'inscris nulle part, même si j'y reste un certain temps. Je me dis toujours que je suis plus à même de prendre soin de moi qu'un étranger.

Que diriez-vous aux gens qui critiquent ces citoyens canadiens qui vivent au Liban et qui ont la double nationalité, à ceux qui se demandent pourquoi nous devrions aller les chercher et les sortir de là?

Mme Ormiston : Ce n'est pas vraiment à moi de répondre à cette question. La réponse incombe à un politicien ou à un décideur. Je l'ai entendu dire également. J'ai entendu dire beaucoup de choses quand je suis revenue. C'était un sujet de conversation. Toutefois, il ne m'appartient pas de commenter la politique ou de défendre une position ou une autre à titre de journaliste. J'ai mes propres opinions, mais je ne crois pas qu'il serait raisonnable pour moi de vous en faire part ici.

Je sais que ce comité n'étudie pas la double citoyenneté — ses intérêts, ses avantages, les changements à y apporter ou quoi que ce soit. Je crois que c'est une discussion intéressante à l'échelle nationale au sujet de la citoyenneté.

Le sénateur Stollery : Oui, et je réalise bien que vous êtes une observatrice, que vous n'êtes pas là pour faire un éditorial sur ce qui s'est passé.

Mme Ormiston : C'est difficile.

Le sénateur Stollery : Je le réalise fort bien. J'ai la même discussion avec mes voisins au sujet de la double citoyenneté. Nous avons eu une discussion assez vive au cours du week-end à ce sujet.

Nous ne donnons pas aux gens la double citoyenneté; nous donnons aux gens la citoyenneté canadienne. D'autres pays insistent pour qu'ils restent leurs citoyens. Le Canada ne donne pas deux citoyennetés. Nous avons étudié cette question il y a de nombreuses années. À une époque, en devenant citoyen canadien, vous n'étiez pas censé conserver une autre citoyenneté. Le problème était qu'il n'y avait pas de moyens pour appliquer une telle disposition.

Vous vous souvenez de la guerre en Angola. Nous avons eu des milliers de Portugais vivant au Canada qui se rendaient au Portugal pour les vacances et que les militaires portugais envoyaient faire trois ans de service militaire en Angola, parce que le Portugal ne reconnaissait pas leur citoyenneté canadienne. Ce n'est pas ce que nous disons, c'est ce qu'ils disent.

Il me semble, pour moi, que dans ces conditions, le MDN et les Affaires étrangères n'ont pas fait un mauvais travail. Il y avait une confusion totale. J'ai vu un certain nombre de ces citoyens... tous voulaient partir et aucun ne s'attendait à ce qu'on le lui refuse. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi il n'y a pas eu plus de gens à se rendre en Syrie en empruntant la frontière syrienne et en poursuivant jusqu'en Turquie. J'imagine que beaucoup de gens l'ont fait. Est-ce le cas?

Mme Ormiston : C'est comme ça que je suis partie. À cette époque, la situation était instable. Les gens ne savaient pas quelles routes étaient fiables. Celle que j'ai prise a été bombardée le jour précédent mon départ et un pont a été détruit. On ne le savait pas.

J'ai fait passablement de recherches sur la citoyenneté au cours des mois qui ont suivi mon retour. Je n'ai pas encore abouti. J'ai dû partir en Afghanistan. J'ai une bonne liste de personnes-ressources, à la fois dans ce pays et dans d'autres, qui ont réfléchi sérieusement à ce sujet. S'il y a une leçon que nous pouvons tirer de l'évacuation du Liban, c'est que nous, comme pays, tout comme beaucoup d'autres pays ayant des binationaux, n'y avions pas réfléchi auparavant. C'est une observation intéressante.

Le sénateur Stollery : Je suppose que c'est dû à l'avion. J'ai 71 ans. J'ai traversé l'Atlantique quatre fois en bateau et il fallait 45 jours pour traverser le Pacifique quand je l'ai fait. Il n'était pas alors possible de faire des allers-retours en quelques heures en avion. Je crois que c'est une des raisons pour lesquelles les gens peuvent dire que lorsque leurs ancêtres sont venus au Canada, ils ne sont jamais retournés dans leur pays d'origine parce qu'il aurait fallu six mois pour le faire.

Les avions à réaction ont sans aucun doute exacerbé la situation.

Le sénateur Di Nino : Quand vous avez répondu au sénateur Stollery, vous avez dit avoir entendu beaucoup de choses sur la double citoyenneté. En avez-vous entendu parler à l'époque où vous étiez à Chypre ou au Liban? Certaines des discussions que vous avez alors eues avec les fonctionnaires portaient-elles sur cette question?

Mme Ormiston : Pas beaucoup, non. Je recevais des messages du Canada qui me disaient que cela y devenait un sujet de discussion. À Beyrouth, il y avait des discussions au sujet des détenteurs de passeport, pour savoir qui avait priorité pour embarquer sur ces navires, mais je ne peux pas faire de commentaires fiables à ce sujet parce que je n'étais pas là.

Le sénateur Di Nino : Vous n'avez pas entendu les personnes évacuées dire qu'elles avaient eu un traitement préférentiel ou que certains en auraient bénéficié? Ce n'est pas un sujet qui s'est présenté?

Mme Ormiston : Non, il ne s'est pas présenté.

Le sénateur Corbin : Vous nous avez dit que vous avez quitté le Liban en passant par la Syrie. Quelle était, de façon générale, l'attitude des autorités syrienne à l'égard des réfugiés?

Mme Ormiston : Une fois encore, je m'excuse. Je dois m'en tenir à ce que je sais et je ne connais pas la réponse à cette question. Nous avons été retenus à la frontière, mais nous n'étions pas des réfugiés. Nous ne faisions que passer. Je ne sais pas. Vous savez maintenant que ce sont les réfugiés iraquiens et non libanais qui préoccupent la Syrie. Je ne peux pas vous répondre.

Le sénateur Corbin : Je croyais avoir vu des images de réfugiés franchissant la frontière syrienne à pied et montant une rue sans être interrogés ou arrêtés. C'est l'impression dont je me souviens.

Mme Ormiston : Je ne peux faire aucun commentaire à ce sujet. Pour moi, le franchissement de la frontière n'a certainement pas été rapide.

Le sénateur Corbin : Avez-vous assisté à l'accueil en Turquie?

Mme Ormiston : Non, je n'étais pas en Turquie.

Le sénateur Corbin : Avez-vous entendu des commentaires de nature générale à ce sujet? Un fonctionnaire nous a dit que l'accueil était assez bon.

Mme Ormiston : Non, je ne sais pas. Vous devez réaliser que lorsque nous faisons un reportage à partir de ces endroits, nous nous concentrons sur l'endroit où nous sommes et nous avons un peu une vision étroite pendant un certain temps jusqu'au moment où nous prenons l'antenne et voyons ce que nos collègues font. Adrienne Arsenault était en Turquie et je ne me souviens pas de la nature de ses reportages à cette époque.

Le sénateur Downe : J'aimerais revenir sur certains des commentaires antérieurs sur la citoyenneté. Bien que je ne sois pas sûr de l'origine des chiffres, on nous a dit qu'on estimait le nombre de Canadiens d'origine libanaise vivant au Liban entre 40 000 et 50 000. Il y a un écart de 10 000 personnes dans les évaluations. Ces chiffres pourraient ne pas correspondre à la réalité ou il se pourrait, comme l'a dit notre témoin aujourd'hui, que les gens soient restés où ils se trouvaient, en estimant qu'il était plus sûr de rester là que de voyager. Cela pourrait expliquer pourquoi 14 000 ou 15 000 personnes sont parties. L'autre possibilité est que tout le monde est parti et que les évaluations étaient erronées.

Je crois que ce qui préoccupe les Canadiens est le niveau d'attachement au Canada. Le sénateur Stollery a parlé du Toronto cosmopolite. Je ne peux pas lui faire concurrence dans ce domaine puisque je viens de Charlottetown. Un grand nombre de Canadiens d'origine libanaise à Charlottetown ont contribué énormément non seulement à l'Île-du- Prince-Édouard mais au Canada, et beaucoup d'entre eux retournent dans leur pays d'origine en été parce qu'ils y ont de la famille. S'il y en a eu un aussi grand nombre, c'est peut-être parce que c'était l'époque des vacances.

Je crois que ce qui préoccupe les Canadiens avec la citoyenneté est l'apport des gens au pays et non pas qu'ils détiennent la citoyenneté d'un autre pays. Paient-ils des impôts, des cotisations de retraite, et cetera? C'est là une question que ce comité ou un autre pourrait vouloir étudier à un autre moment.

Mme Ormiston : Je crois que cela fait partie du débat. J'ai interrogé quatre ou cinq spécialistes de la citoyenneté qui vous donneront leur réponse sur la signification qu'elle a. Il est vraiment intéressant de parler aux tenants des deux grandes familles d'opinion sur cette question.

Je ne sais pas qui est parvenu aux chiffres de 40 000 ou de 50 000. Je ne sais pas qui a donné le nombre de 15 000 revenus au pays après l'évacuation. J'ai cherché sérieusement et je ne peux pas trouver l'origine de ces chiffres. J'aurais beaucoup aimé la trouver.

Le sénateur Downe : Vous ne pouvez probablement pas la trouver pour la même raison qui fait que nous ne savons pas s'il y avait, au départ, 40 000 ou 50 000 personnes, parce que les gens ne sont pas tenus de s'inscrire à l'ambassade. Nous n'avons donc pas de façon de savoir.

Le président : Chers collègues, personne n'ayant d'autres questions à poser, je vais donc, avec votre permission, remercier Mme Ormiston de s'être jointe à nous.

Mme Ormiston : Je vous remercie de m'avoir invitée.

Le président : La franchise et la clarté de vos réponses en font un vrai modèle pour nous et je suis sûr que je m'exprime au nom de tout le comité en disant que, quoi qu'on puisse dire par ailleurs de la CBC, tous ceux d'entre nous qui ont regardé vos reportages ont apprécié le professionnalisme de votre travail au Liban et votre traitement de l'information.

La séance est levée.


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