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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 14 - Témoignages du 2 mai 2007


OTTAWA, le mercredi 2 mai 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 8 pour examiner et étudier la politique de commerce international (incluant les relations commerciales bilatérales et multilatérales, accord sur le bois d'œuvre et autres).

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le but de la séance d'aujourd'hui est d'avoir un aperçu et une meilleure compréhension de la politique de commerce international du Canada, incluant les relations bilatérales et multilatérales ainsi que des questions d'investissement.

Cette discussion donnera, j'en suis sûr, amplement matière à réflexion sur ce que je me plais à appeler le plan de travail pour la prospérité du Canada.

[Français]

À cette fin, nous avons le plaisir d'accueillir trois experts de grande renommée, à savoir Stephen Poloz, John Curtis et Michael Hart.

[Traduction]

M. Stephen Poloz est premier vice-président des Affaires générales et économiste en chef d'Exportation et développement Canada. Il est notamment responsable de la planification de la stratégie, des communications, des affaires publiques, des relations avec les gouvernements et les intervenants et des relations internationales.

M. John Curtis est associé distingué au Centre for International Governance Innovation, CIGI, et professeur invité à l'Université McGill et à l'Université Queens. Avant de travailler pour le CIGI, M. Curtis avait occupé différents postes à Affaires étrangères et Commerce international Canada, notamment celui d'économiste en chef et celui de conseiller principal en politique et coordonnateur, Analyse commerciale et économique.

M. Michael Hart est le titulaire de la chaire Simon Reisman en politique commerciale et associé distingué du Centre de droit et de politique commerciale de l'Université Carleton. Il donne des cours sur le commerce international ainsi que sur les questions commerciales émergentes et l'historique de l'élaboration de la politique de commerce canadienne. C'est également un ancien fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, où il a donné des conseils stratégiques pendant les négociations sur l'Accord de libre-échange et sur l'Accord de libre-échange nord-américain.

J'ajouterais que le comité a une certaine expérience dans le domaine des relations commerciales du Canada. Il y a trois ou quatre ans, le comité a fait un examen approfondi de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA. C'est donc un sujet sur lequel nous sommes bien informés, du moins jusqu'à il y a deux ans. Comme beaucoup de personnes le savent, nous faisons une étude sur l'Afrique depuis que nous avons terminé notre examen de l'ALENA.

Stephen S. Poloz, premier vice-président, Affaires générales et économiste en chef, Exportation et développement Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais d'abord faire quelques observations. J'ai présenté au comité un mémoire intitulé « L'intermédiation financière dans le contexte du nouveau paradigme commercial ». Je soulignerai deux ou trois des répercussions de ce nouveau paradigme commercial qui sont susceptibles de présenter un certain intérêt pour le comité.

Les services économiques d'EDC viennent de publier leurs dernières prévisions concernant les exportations mondiales, que vous pouvez trouver également sur notre site web à edc.ca. Ce document est intitulé « S'adapter au nouveau paradigme du commerce international ». Une des principales conclusions de cette analyse est que les exportations canadiennes ne changeront probablement pas au cours des deux prochaines années, soit 2007 et 2008; les exportations canadiennes stagneront pendant ces deux années. Étant donné qu'elles avaient déjà stagné en 2006, nous sommes au milieu d'une période de trois années sans croissance de l'activité exportatrice canadienne.

C'est, naturellement, un résultat très significatif, compte tenu du fait que l'économie mondiale a été vigoureuse au cours des deux dernières années, qu'elle continuera probablement de l'être et aussi de l'importance qu'ont les échanges pour l'économie et la prospérité du Canada. En bref, nous perdons du terrain dans ce domaine et nous continuerons d'en perdre au cours des deux prochaines années.

Une mesure commode consiste à se demander quelle est l'importance des exportations et des importations — l'ensemble des échanges commerciaux — pour l'économie canadienne. C'est une mesure à laquelle les économistes ont couramment recours. Si nous remontons aux années 1960, le ratio était d'environ 35 p. 100. Par conséquent, 35 p. 100 de chaque dollar gagné au Canada était d'une façon ou d'une autre touché par le commerce international. En 1990, le ratio avait atteint 50 p. 100. Il y a eu ensuite, bien entendu, les répercussions de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis et de la libéralisation des échanges à l'échelle mondiale puis, peu après, l'implantation de l'ALENA. L'importance des échanges pour notre économie a augmenté pour atteindre 85 p. 100 en l'an 2000. À l'heure actuelle, le taux est retombé à 70 p. 100 étant donné que nous avons perdu du terrain au cours des six ou sept dernières années.

Tout cela se passe pendant que les entreprises s'appliquent à s'adapter structurellement à ce nouveau paradigme commercial. Je veux dire que le monde est plat, comme l'a signalé Thomas Friedman dans son excellent ouvrage du même titre. Le monde est devenu plat, c'est-à-dire que la technologie a entraîné de gros changements pour les entreprises et pour leur façon de travailler dans le monde.

Nous avons été élevés dans la conviction du pouvoir de l'intégration verticale. Les entreprises se sont intégrées verticalement afin de regrouper tous les sous-processus et de tirer profit de ces synergies. Dans ce monde plus plat, les avantages de l'intégration verticale disparaîtront en fait. Les grandes entreprises constatent qu'il est nécessaire qu'elles se désintègrent verticalement et qu'elles dispersent leurs activités sur le plan géographique. De nouvelles entreprises se créent avec des fournisseurs dispersés dans le monde entier, qui sont tous reliés entre eux par des partenaires logistiques.

En fait, on utilise maintenant le commerce international comme un outil de production. Nous importons par exemple les pièces pour fabriquer un BlackBerry qui est produit dans sept pays différents, même s'il s'agit d'un excellent produit canadien. Toutes ces pièces sont réunies pour fabriquer le produit que nous connaissons et que nous apprécions.

Par conséquent, nous importons encore plus que nous ne pouvons exporter et la relation est reliée avec les entreprises canadiennes qui investissent davantage à l'étranger pour établir des chaînes d'approvisionnement mondiales. C'est le paradigme du commerce d'intégration; il est donc impératif que nous nous y adaptions sous peine de devoir fermer boutique dans de nombreux cas. En notre qualité de décideurs, il est essentiel que nous aidions les entreprises à s'adapter à ce nouveau paradigme pour leur permettre de préserver et de créer des emplois canadiens dans le contexte de ce nouveau modèle d'échanges plus dynamique.

J'aimerais terminer mon exposé en indiquant ce dont, à mon sens, les entreprises canadiennes ont besoin et qui mérite une étude plus approfondie. Premièrement, elles ont manifestement besoin d'investir dans la nouvelle technologie qui rend le monde plus plat. Nous en percevons de très bons signes dans la forte croissance et les investissements considérables dans notre économie.

Deuxièmement, il est essentiel qu'elles diversifient leurs échanges en faisant une percée sur les marchés émergents dont la croissance est plus rapide. C'est d'ailleurs ce qu'elles font. Par exemple, l'année dernière, nos exportations vers les pays émergents ont augmenté à 18 p. 100. Cette année, nous prévoyons un nouvel accroissement de 9 p. 100, même si la situation demeure stationnaire au niveau de l'ensemble des exportations, ce qui est révélateur de la situation dans laquelle se trouvent nos principaux partenaires commerciaux comme les États-Unis.

Il est essentiel d'augmenter nos effectifs pour faciliter ces relations sur ces marchés émergents à croissance rapide et pour conclure davantage d'accords de libre-échange, ou d'ententes sur l'élargissement des échanges, s'il ne s'agit pas tout à fait de libre-échange, avec d'autres pays afin de permettre à nos entreprises de faire une percée sur leur marché.

Troisièmement, il est impératif d'encourager nos entreprises à utiliser les échanges comme un outil de production et pas seulement comme un outil de vente. Cette dualité est en fait ce qui nous amène à ce nouveau paradigme du commerce international, son utilisation pour deux dimensions différentes des activités des entreprises. Par exemple, à l'heure actuelle, l'entreprise manufacturière moyenne au Canada fait du commerce international d'une valeur de 2,75 $ pour créer 1 $ de valeur au Canada. Il faut donc importer des intrants pour une valeur d'environ 1 $ pour créer au Canada et exporter un produit d'une valeur de près de 2 $. La création d'une valeur de 1 $ au Canada génère par conséquent des échanges pour une valeur de près de 3 $. C'est le modèle de commerce d'intégration en action; ces chiffres augmenteront considérablement au cours des prochaines années si nous réussissons dans ce domaine. À l'heure actuelle, 46 p. 100 des importations canadiennes sont des produits semi-finis — des produits intermédiaires utilisés dans notre production.

Pour cela, il sera essentiel que les entreprises fassent davantage d'investissement direct à l'étranger — de l'investissement direct canadien à l'étranger ou IDCE, tel qu'on le désigne à Ottawa — pour construire ces chaînes d'approvisionnement mondiales; ce sera particulièrement important pour les PME. En effet, les grandes entreprises font de la désintégration verticale et elles ouvrent des liens dans leurs chaînes d'approvisionnement à la concurrence de producteurs étrangers ou, le cas échéant, à des producteurs canadiens de petite taille, qui sont alertes et se spécialisent dans le maillon de la chaîne concerné plutôt que d'établir eux-mêmes toute une hiérarchie. C'est un contexte très propice aux petites entreprises. Ce sont les petites entreprises dynamiques spécialisées qui auront les meilleures chances de réussite dans le contexte de ce nouveau paradigme.

Enfin, la stratégie commerciale générale du gouvernement est indéniablement une initiative pertinente. Elle a pour objet de régler la plupart de ces problèmes, d'établir des bases plus solides, de cibler des marchés plus stratégiques qui sont susceptibles d'offrir des débouchés plus intéressants aux entreprises canadiennes, et de négocier davantage d'accords de libre-échange ou d'accords d'investissement avec des pays afin d'ouvrir ces portes.

John Curtis, associé distingué, Centre for International Governance Innovation (CIGI), à titre personnel : J'adopterais à peu près la même approche, quoique j'ai organisé mes commentaires de façon légèrement différente. Ils cadreront probablement avec ceux de M. Poloz et de M. Hart. Premièrement, je donnerai un aperçu de ma conception du commerce et de la politique commerciale. Deuxièmement, j'exposerai brièvement ce que nous savons, en notre qualité d'experts, d'enseignants et de chercheurs dans le domaine du commerce international qui ont des contacts avec le secteur privé au Canada et à l'étranger. Troisièmement, je signalerai trois ou quatre sujets sur lesquels nous ne sommes peut-être pas suffisamment informés. Cela pourrait aider le comité à réfléchir à ses priorités et à l'orientation future de ses travaux.

Comme l'a laissé entendre M. Poloz, on peut considérer que d'une certaine façon, la politique commerciale orthodoxe telle que nous la connaissions est chose du passé. Au cours de toute la période de négociation des accords commerciaux, surtout en ce qui concerne les obstacles tarifaires et non tarifaires, on a établi des éléments, que le comité connaît bien et reconnaît, dont il faut maintenant se débarrasser. L'argent est toutefois à la banque. La plupart des volets de notre politique commerciale, de l'âge d'or des années 1980 et 1990, ont maintenant disparu. En effet, vous nous avez demandé de venir témoigner à un moment très opportun, car ce chapitre est terminé et nous devons avoir les yeux tournés vers l'avenir.

Le travail qui a été fait au Canada au cours des 50 dernières années, voire depuis plus longtemps, était principalement associé aux travaux des diverses commissions royales d'enquête, depuis la Commission Gordon, vers la fin des années 1950, jusqu'à la commission MacDonald, dans les années 1980. Il n'y a plus rien eu depuis et on peut en quelque sorte considérer que le travail préparatoire, c'est-à-dire le travail des commissions, a plus ou moins cessé, à l'exception des travaux du présent comité et de ceux d'autres personnes, dans les universités et dans d'autres milieux.

Aucun examen concerté de l'état actuel de l'économie canadienne et de l'orientation qu'elle pourrait prendre, ni de son association avec le secteur étranger, n'a été fait. Je pense que M. Poloz a très bien résumé la situation. Le problème, c'est que le monde continue de tourner; les organisations et les entreprises changent. En fait, le gouvernement fait du rattrapage par l'intermédiaire d'instruments politiques, et en particulier d'accords commerciaux multilatéraux ou régionaux, mais je signale très rapidement que ce n'est pas une politique prospective.

Votre comité et le travail que vous vous proposez de faire ou que vous pourriez faire pourraient aider le public à mieux comprendre la situation, car on entend de nombreuses opinions fantaisistes ou erronées et, parfois, des commentaires dont on pourrait se passer. Cela vient surtout du Sud, mais pas toujours. En outre, vos travaux pourraient donner un regain d'envie de tourner les yeux vers l'avenir. Je l'espère bien.

En bref, ce que nous savons, c'est que notre économie a un très bon rendement. Sa performance macroéconomique — le taux de croissance, le taux d'emploi, la croissance de l'emploi et la hausse du revenu — est extrêmement vigoureuse. Elle fait l'envie de nombreux pays. Le secteur des exportations ou le secteur international n'a certes pas un rendement entièrement satisfaisant, mais le volet intérieur de notre économie connaît une croissance très rapide.

En fait, à certains égards, notre tâche en matière de communications est difficile. Vous avez peut-être l'impression que la plupart des Canadiens pensent que tout va assez bien pour le moment et, pourtant, en notre qualité d'analystes, nous savons que les données sur les échanges et l'investissement, et de nombreuses autres données, en particulier sur la productivité, révèlent que la situation n'est pas aussi rose qu'on le pense, au niveau microéconomique, c'est-à-dire au niveau de base. Il y a là une certaine dichotomie qu'il faut garder à l'esprit.

Nos comptes extérieurs sont favorables. Nous avons un excédent au compte courant et au compte de la balance des paiements, surtout avec les États-Unis. Nous avons des déficits avec les autres pays, mais notre compte extérieur a fondamentalement un très bon profil.

Nous savons que des changements se produisent à l'intérieur du Canada, au niveau régional et au niveau sectoriel. Personne n'ignore l'existence d'un mouvement vers l'Ouest en particulier et vers les ressources. Lorsque j'étais adolescent, je craignais que nous ne restions un peuple de bûcherons et de porteurs d'eau. En fait, si l'on examine les chiffres, le profil indique un retour à cet état, sans vouloir porter de jugement de valeur. C'est toutefois ce qui se passe actuellement.

Ce que nous appelons la politique commerciale et les initiatives que prend le gouvernement en sus de la stratégie commerciale mondiale ne sont, en grande partie, que des efforts insignifiants en quelque sorte. Une partie de ces initiatives sont défensives et ont pour objet de se maintenir à la hauteur des accords de libre-échange que les États-Unis ou les pays d'Europe, voire certains de nos partenaires asiatiques, concluent. Nous voulons le même traitement que d'autres pays. Il est important de régler les questions de frontière et d'infrastructure. Le nombre de feux d'arrêt de circulation est encore plus élevé du côté canadien de la frontière, sur la route 401, qu'entre Detroit et la Nouvelle- Orléans, par exemple. Il est en outre essentiel d'apporter certains changements réglementaires sur lesquels mon collègue, M. Hart, a travaillé. Quelques tentatives de convergence réglementaire ont été faites entre nos gouvernements, et avec le Mexique.

L'autre fait dont nous sommes sûrs, c'est que les États-Unis restent la puissance économique dominante. Ils ont des difficultés macroéconomiques pour le moment et l'accent qu'ils mettent sur la sécurité modifie dans une certaine mesure leur politique courante, ce qui a une incidence sur le mouvement des échanges, des marchandises, des services et, surtout, des personnes. En fait, notre politique et nos opérations commerciales concernent en majeure partie les États-Unis, car c'est le pays et ce sont les entreprises avec lesquels les entreprises établies au Canada sont le plus intégrées, pour reprendre l'idée de M. Poloz et l'exprimer d'une autre façon.

Enfin, nous savons que d'autres pays du monde, et en particulier la Chine et l'Inde, pour des raisons très différentes, ont une croissance très rapide. Certaines contraintes sont exercées sur leur croissance, dont nous pourrions discuter, mais, en fait, ce seront des intervenants de plus en plus imposants dans l'économie mondiale. Nous assistons à l'intégration de centaines de millions de personnes à l'économie mondiale. Le monde change.

Je pourrais peut-être résumer très rapidement ce que nous ne savons pas. Nous n'avons pas d'informations précises sur les événements mentionnés par M. Poloz. Les statistiques et les faits ne nous donnent pas une idée claire de la mesure dans laquelle les entreprises implantées au Canada, sous quelque contrôle qu'elles soient ou quel que soit le profil de leurs avoirs, sont intégrées. Nous pensons que cela concerne de nombreux secteurs et qu'un grand nombre de nos entreprises sont étroitement alignées ou intégrées au système de production américain, mais nous ne pouvons pas vraiment le mesurer.

Le comité aurait peut-être intérêt à pousser Statistique Canada à changer de méthode de collecte des données. Celle- ci est fondée sur des données comparatives entre pays, entre produits finis et, d'après certaines personnes, sur l'évaluation de produits intermédiaires, mais pour savoir comment chaque service et chaque élément de production est intégré à la chaîne de valeur mondiale, il faut s'intéresser aux grandes entreprises privées et, aussi, à certaines petites entreprises. C'est ainsi que l'on travaille maintenant.

Ensuite, et en rapport avec cela, le comité aurait peut-être intérêt à réfléchir sérieusement à la qualité des prestations que devront fournir à l'avenir nos délégués commerciaux, nos agents de promotion des investissements et nos bureaux de sciences et technologie à l'étranger, s'il ne suffit plus de comparer un pays à un autre et d'examiner seulement ce qui se passe maintenant, mais s'il faut en outre avoir une idée de la situation d'un pays précis ou d'une entreprise déterminée dans trois ou quatre ans. Avons-nous les personnes qu'il nous faut dans ces postes? Sont-elles déployées aux bons endroits? Le gouvernement doit-il intervenir pour aider les entreprises implantées au Canada à être des participantes plus actives à la chaîne de valeur mondiale ou devrait-il laisser au marché et aux entreprises privées la responsabilité de fournir ce service? C'est une question importante sur le rôle du gouvernement à laquelle nous devons réfléchir en essayant de prévoir comment cela ira d'ici cinq à dix ans.

Troisièmement, le comité aurait peut-être intérêt à continuer d'examiner la question du taux de change, pas tellement en ce qui concerne la valeur de notre devise à l'heure actuelle ou sa valeur il y a cinq ou dix ans, mais pour déterminer si notre pays est atteint de ce qu'on a toujours appelé le syndrome hollandais? La hausse du cours de notre devise, par rapport au dollar américain et, dans de moindres proportions, à l'euro et à la livre sterling ou à d'autres monnaies, aura-t-elle des incidences négatives sur la structure de l'économie canadienne, et en particulier sur le secteur manufacturier? Sans vouloir être alarmiste, on se demande si le syndrome hollandais est une chose dont il convient de s'inquiéter ou de se réjouir. Il serait peut-être utile, pour aider le public à comprendre, que vous examiniez la question dans le cadre de vos travaux.

Il reste deux autres questions que vous pourriez examiner et au sujet desquelles nous ne connaissons pas grand- chose. L'une est la modélisation de l'impact des accords commerciaux, des accords d'investissement et des accords de sciences et de technologie. Notre théorie économique, notre histoire et notre expérience nous ont appris qu'un accroissement des échanges commerciaux, des investissements, des échanges de technologie et un mouvement accru de personnes sont fondamentalement positifs. Les instituts, les groupes de réflexion et même les universités n'ont pas reçu suffisamment de fonds pour modéliser certains de ces changements. Si nous avions à notre disposition un système de modélisation plus précis, cela améliorerait probablement beaucoup certains aspects du débat public, et la compréhension du public, en ce qui concerne la façon d'aborder les questions de la mondialisation, de l'écart entre les revenus, des futurs salaires et des types d'emplois de l'avenir. Le comité pourrait peut-être encourager ce type d'activité à l'intérieur et à l'extérieur de la fonction publique.

Le dernier point à mentionner en ce qui concerne les perspectives d'avenir est l'impact probable de la Chine, de l'Inde et d'autres économies émergentes, surtout les plus grandes, sur le Canada, sur notre économie, sur nos régions et sur nos différents secteurs, ainsi que sur les organismes économiques internationaux dont nous sommes membres, à savoir le G7, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, l'Organisation mondiale du commerce. Il est possible que ces organismes changent en raison de l'évolution de ces grandes économies. Il ne faut pas oublier que la création des organismes économiques internationaux remonte à la Seconde Guerre mondiale; c'est alors que les pays vainqueurs — dont nous faisons partie — ont mis ces institutions en place. Il faut se demander si, à l'avenir, ces organismes représenteront aussi les intérêts de la Chine, de l'Inde et d'autres pays. Dans la négative, cela aura des incidences majeures sur la façon dont le monde est gouverné et sur notre place dans cette structure de gouvernance.

C'est tout, monsieur le président.

Michael Hart, chaire Simon Reisman en politique commerciale, Université Carleton, à titre personnel : Je serai un peu plus contrariant que mes deux collègues, parce que j'ai pris ma retraite depuis un plus grand nombre d'années que M. Curtis et que M. Poloz, lui, est toujours actif. Je ne suis pas aussi facilement hypnotisé qu'eux par l'aide du gouvernement et par ses tours de passe-passe.

Je travaille avec des étudiants depuis des années. M. Curtis se souvient sans doute que j'étais déjà très contrariant lorsque j'étais fonctionnaire, mais je peux me permettre de l'être encore davantage maintenant.

Je suis en outre très conscient du fait que je viens de remplir ma déclaration d'impôt et, une fois de plus, le gouvernement a puisé largement dans mes poches pour financer des programmes dont certains sont très utiles mais beaucoup d'autres pas. Quand j'étais à la fonction publique, j'ai constaté combien il était facile pour les fonctionnaires de profiter du pouvoir du gouvernement pour financer des activités servant leurs propres intérêts, mais pas forcément ceux de la population.

M. Poloz est peut-être très excité au sujet des 40 millions de dollars que le gouvernement dépensera pour la Stratégie commerciale mondiale. Je le suis également, mais à rebours. On dépensera 40 millions de dollars de plus pour financer une activité fébrile qui n'aura aucune incidence sur la performance commerciale du Canada.

Le thème de mon exposé sera donc axé sur les raisons pour lesquelles je pense de la sorte. C'est en partie pour les raisons que M. Curtis et M. Poloz ont déjà signalées, à savoir la nature changeante de l'économie internationale et la nature changeante des échanges commerciaux dans l'économie canadienne.

Le type de commerce auquel nous avons été habitués pendant notre jeunesse, qui était en grande partie dénué de tout lien de dépendance, n'existe plus. Il était surtout fondé sur nos ressources disponibles; les échanges se pratiquaient entre des entreprises établies au Canada et des entreprises étrangères n'ayant aucun lien avec elles. Ce type d'échanges ne se pratique presque plus de nos jours.

Il y a maintenant ce qui a été décrit comme le commerce fondé sur la chaîne de valeur. Les entreprises canadiennes font partie de réseaux beaucoup plus intégrés; elles échangent des produits et des services à travers les frontières et avec de nombreux partenaires dispersés à travers le monde.

Plusieurs cas le démontrent. L'industrie automobile est probablement le plus connu du point de vue canadien, car c'est probablement le secteur dans lequel ce type d'intégration existe depuis le plus longtemps. La voiture typique construite en Amérique du Nord traverse actuellement la frontière six ou sept fois. Il faudrait prendre les statistiques sur le commerce entre le Canada et les États-Unis avec un gros grain de sel, car nous comptons non pas une ou deux fois, mais parfois six ou sept fois la même valeur pour un produit qui fait plusieurs passages à la frontière. Je n'insinue pas que ce n'est pas du commerce important; il est très important, mais c'est le type de commerce actuel.

Mon collègue, Bill Dymond, est revenu de Chine l'année dernière avec un nouveau jeu de bâtons de golf qu'il avait acheté là-bas et qui portait la marque Callaways. En novembre, nous avons dû aller les tester sur le terrain, car il ne pouvait vérifier que c'étaient de véritables Callaways que d'après le son. Nous en avons conclu qu'il s'agissait probablement de Callaways, mais il n'avait pas payé le prix habituel pour des bâtons de cette marque. Ils avaient été fabriqués par la quatrième fabrique de bâtons de golf la plus importante de Chine. Les arrangements ont été pris pour Callaways par une entreprise appelée Li & Fung (Trading) Limited, de Hong Kong.

Li & Fung est le plus gros courtier du secteur manufacturier au monde. Cette entreprise établit des liens entre des entreprises productrices de produits de marque d'Europe ou d'Amérique du Nord et des fabricants de produits génériques de toute l'Asie du Sud-Est. C'est sa mission. Quand vous achetez par exemple un produit qui porte la marque GE, il n'est pas fabriqué du tout par GE. Les seuls produits qui sont actuellement fabriqués par GE sont des moteurs d'avion et des grosses turbines pour la production d'électricité. Tous ses autres produits sont fabriqués pour elle par toute une série d'autres entreprises.

C'est le monde dans lequel nous vivons. C'est ce que nous voulons dire quand nous parlons d'activités fondées sur la chaîne de valeur. Le rôle que les Canadiens veulent jouer dans ce contexte est d'avoir accès à ces chaînes de valeur, ils veulent être des participants et obtenir une part de la production qui a lieu à l'intérieur de la chaîne de valeur. Ce n'est plus du commerce traditionnel. C'est le nouveau type de commerce.

En ce qui concerne le Canada, ce type de commerce doit être largement ancré dans les relations entre le Canada et les États-Unis depuis 25 ou 30 ans. C'est la raison pour laquelle le commerce entre le Canada et les États-Unis a pris rapidement de l'expansion au cours des années 1990, lorsque nous nous sommes intégrés à cette économie, et c'est toujours le fondement de nos futurs échanges commerciaux.

Quelle incidence cela a-t-il en ce qui concerne les défis auxquels nous sommes confrontés en matière de politique commerciale? Je signale d'emblée que je ne compterais pas beaucoup sur le Cycle de négociations commerciales multilatérales de Doha. Ce sont des paroles dures de la part d'un ancien fonctionnaire qui a participé à ce type de négociations et qui faisait cela au début pour gagner sa vie. Le Programme de Doha pour le développement est en réalité important pour plusieurs pays en développement, qui ne sont toutefois pas prêts à lui accorder tout l'intérêt qu'il mérite, mais il compte moins pour le Canada, pour les États-Unis ou pour l'Europe, car les domaines dans lesquels des gains seraient possibles sont ceux où cela poserait le plus de difficultés sur le plan politique.

En tant que consommateur, j'aimerais beaucoup que ce comité sénatorial adopte une prise de position audacieuse et déclare qu'il est temps que le Canada se débarrasse du système de la gestion de l'offre. Cependant, je sais que vous ne le ferez pas, car les agriculteurs viendront discuter un peu avec vous et vous rappeler qu'ils jouent un rôle très important, même si leurs rangs s'éclaircissent. Je vois que le sénateur De Bané approuve.

Voici un fait. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait au Canada 500 000 producteurs laitiers faisant de la production commerciale. À l'heure actuelle, leur nombre se situe entre 16 000 et 16 500. Dans peu de temps, il pourrait baisser à environ 5 000, ce qui est le nombre que l'économie peut supporter, d'après moi. Alors, nous pourrons nous débarrasser de la gestion de l'offre.

C'est à peu près le seul gain sérieux que peut nous apporter le Cycle de Doha. Tous les fonctionnaires qui s'en vont là-bas font un travail très important qui n'aura toutefois aucun impact sur l'économie canadienne.

De même, tous les accords de libre-échange que nous nous appliquons à négocier sont bien beaux au niveau des entreprises qui ont peut-être un intérêt commercial dans le pays concerné. Elles en profiteront. Cependant, l'impact sur l'économie ne sera que marginal. Ces accords ont très peu d'impact. Les 85 fonctionnaires qui font la navette entre le Canada et la Corée font, j'en suis sûr, un excellent travail, mais leur influence sur l'économie canadienne est restreinte.

Qu'est-ce qui est très important? Ce qui est très important, ce sont nos relations avec les États-Unis; c'est notre moyen de subsistance. Au cours des 30 dernières années, nous avons réalisé des progrès considérables en nous débarrassant des plus gros obstacles qu'il y avait entre nous, mais nous sommes maintenant confrontés à un nouveau type d'obstacle. Nous voulons être capables de convaincre les investisseurs que c'est un bon pari d'investir au Canada. Si vous êtes un investisseur et que vous envisagez sérieusement de desservir l'économie mondiale à partir d'une base nord-américaine, il est plus logique sur le plan économique de s'établir aux États-Unis qu'au Canada. Pourquoi? Parce qu'on a accès à un bassin de consommateurs plus important. Il y a 300 millions de consommateurs aux États-Unis; par contre, il n'y en a que 33 millions de ce côté-ci de la frontière.

D'un point de vue commercial canadien, la frontière est un facteur primordial dans la prise de décisions d'affaires. Les investisseurs veulent que l'impact de cette frontière soit réduit le plus possible. Comment faire? Il faut examiner ce qu'on fait à la frontière.

La frontière a deux fonctions, une fonction qui consiste à assurer la sécurité et une fonction économique. Je comprends la fonction liée à la sécurité, mais je ne comprends plus la fonction économique de la frontière dans le contexte actuel du libre-échange. La question stupide qu'on se fait poser chaque fois qu'on traverse la frontière m'horripile : avez-vous fait des achats pendant votre séjour aux États-Unis? Qu'est-ce que ça peut bien faire? Dans le monde actuel, compte tenu de la nature de l'économie, le fait qu'un touriste ait acheté ou non une nouvelle ceinture ou une nouvelle paire de bretelles pendant son séjour aux États-Unis n'a en fait aucune importance. On ne devrait pas mobiliser des fonctionnaires pour faire ce type de travail.

Quelles sont les autres activités à la frontière? Comme l'a déjà signalé M. Curtis, on vérifie si les règlements sont respectés. Du côté canadien de la frontière, l'Agence du revenu du Canada, ou l'Agence des services frontaliers du Canada, assure la conformité à plus de 100 textes réglementaires pour son compte et pour celui d'autres organismes gouvernementaux. Du côté américain, le U.S. Customs Service vérifie la conformité à plus de 400 textes réglementaires.

Est-il vraiment nécessaire de faire faire ce travail par des fonctionnaires à la frontière? N'existe-t-il pas de façons plus efficaces de vérifier la conformité aux règlements? Mieux encore, ne pourrait-on pas atteindre un niveau de convergence plus élevé en matière de réglementation qui nous permettrait de ne pas avoir à se préoccuper de savoir si un produit fait au Canada ou aux États-Unis est conforme aux règles américaines ou canadiennes, selon le cas? Ne devrait-on pas s'appliquer davantage à alléger ce fardeau qui pèse sur l'industrie?

Ensuite, compte tenu du degré d'intégration et d'interaction entre l'économie canadienne et l'économie américaine, avons-nous la capacité institutionnelle de gérer cette relation à notre avantage? Nous avons un réseau institutionnel beaucoup plus vaste pour régir la relation entre le Canada et l'Europe que pour régir la relation entre le Canada et les États-Unis et pourtant, les relations économiques entre le Canada et l'Europe ne représentent qu'un dixième de celles entre le Canada et les États-Unis.

Est-ce logique? À votre place, j'examinerais les possibilités que nous avons d'analyser la façon dont le monde a évolué, la place qu'y occupe le Canada, le rôle de nos relations avec les États-Unis et je me demanderais si nous prenons les bonnes décisions pour tirer le meilleur profit de ces relations. La constatation encourageante que vous ferez est que si nous nous y prenons de la bonne façon, nous pourrons tirer le meilleur de nos relations avec les États-Unis et nous ferons alors davantage de commerce avec les pays situés au-delà du Pacifique et au-delà de l'Atlantique, car c'est par le biais de réseaux nord-américains intégrés que nous augmenterons nos chances de faire des percées sur ces marchés.

Le sénateur Downe : Monsieur Hart, quelles sont vos opinions au sujet des délégués commerciaux que le gouvernement du Canada a dans divers pays et dans diverses villes? Pensez-vous qu'ils exercent des fonctions utiles?

M. Hart : Mes anciens collègues du ministère connaissent très bien mes opinions. Les dernières fonctions importantes que j'ai eues au ministère sont les mêmes que celles que M. Curtis a occupées également, à savoir celles de chef de la Direction de la planification économique. Lorsque j'en étais le directeur, j'avais dans mon personnel un jeune délégué commercial. Il était là en 1992, année du 100e anniversaire du Service des délégués commerciaux. Je lui ai demandé de préparer un document dans lequel il ferait le bilan des 100 dernières années et des prévisions pour les 100 prochaines années. Il n'a pas eu d'autre affectation de délégué commercial depuis, car son analyse était très franche. Elle n'avait pas été bien accueillie par les personnes avec lesquelles je joue maintenant au golf.

Ces personnes-là pensent que le Service des délégués commerciaux est essentiel à la bonne performance du Canada, car c'est ce qu'ils ont appris au cours de leur formation. En fait, je pense que ces délégués ont tout au plus une influence marginale sur le niveau des échanges commerciaux canadiens. Sur certains marchés, le négoce de gouvernement à gouvernement est efficace, mais j'ai beaucoup de difficulté à accepter l'idée que les délégations commerciales ont une connaissance supérieure d'un marché, de ses possibilités de performance et de ce qu'une entreprise devrait faire. J'avais de la difficulté à l'accepter lorsque j'étais fonctionnaire. J'en ai encore plus maintenant.

Le sénateur Downe : Pensez-vous que les relations d'entreprise à entreprise sont plus importantes et plus intéressantes que ce qu'accomplissent les fonctionnaires?

M. Hart : Oui.

Le sénateur Downe : Monsieur Curtis, dans votre exposé, vous avez expliqué que tout allait bien pour le Canada pour le moment et que l'économie avait une excellente performance. Êtes-vous inquiet au sujet de l'endettement élevé des entreprises et des consommateurs?

M. Curtis : Les fonctionnaires du ministère des Finances devraient le savoir mieux que moi, mais la réponse est que je ne suis pas particulièrement inquiet. Le niveau d'investissement dans les marchés monétaires est assez élevé pour que j'estime que ça va bien pour nous. Je suis préoccupé au sujet des États-Unis, surtout en ce qui concerne le secteur du logement, mais je pense que tout va bien au Canada.

Le sénateur Downe : La question suivante s'adresse à Exportation et développement Canada. Quel pourcentage de la valeur de notre marché des échanges représente encore notre commerce avec les États-Unis?

M. Poloz : Environ 81 p. 100, lorsqu'on y inclut les services.

Le sénateur Downe : Au cours des années, nous avons fait de nombreuses tentatives de diversification de nos échanges avec d'autres pays, mais ces tentatives n'ont pas été très fructueuses, à en juger d'après ce pourcentage. Pourquoi?

M. Poloz : La raison est liée à ce que nous avons fait au début. Nous avons commencé par une intégration très forte avec l'économie américaine. Les prévisions à long terme indiquent que, dans les pays émergents, la croissance économique serait deux fois plus rapide que dans les pays développés — et c'est une hypothèse très prudente — et que la croissance de nos échanges commerciaux serait en moyenne deux fois plus rapide que la croissance du PIB dans le monde, ce qui est également une relation historique.

Même en 2020, 65 p. 100 de nos échanges devraient encore être des échanges avec les États-Unis alors que les 35 p. 100 restants seraient avec d'autres pays. Cette diversification serait toutefois une grande réussite. En outre, l'économie américaine est une économie très mondiale; par conséquent, comme nous en avons discuté avec mes collègues, lorsqu'on fait partie d'une chaîne d'approvisionnement mondiale de GE par exemple, on est relié au monde, mais on a l'impression de ne faire du commerce qu'avec les États-Unis.

Par exemple, un bon pourcentage d'un Boeing 777 est de valeur canadienne. Il s'agit d'un marché mondial et un marché très riche, en fait. Nous avons au Canada plus de 40 000 personnes dans le secteur aérospatial et la plupart d'entre elles produisent des pièces pour ce secteur. Il s'agit d'entreprises mondiales, même si elles ne représentent qu'un petit maillon d'une très grosse chaîne.

Le sénateur Downe : Naturellement, ce qui est préoccupant, c'est que nous avons mis tous nos œufs dans le même panier. Si l'économie américaine s'effondre à cause de son niveau d'endettement élevé, non seulement dans le secteur du logement, mais dans d'autres aussi, cela n'aura-t-il pas un impact considérable dans notre pays?

M. Poloz : C'est exactement ce qu'indiquent nos prévisions, à savoir que l'économie américaine ralentit et qu'il y aura au moins une année complète de ralentissement et peut-être une autre, l'année prochaine; on prévoit par conséquent que les exportations canadiennes stagneront même si elles continuent de croître assez rapidement sur les marchés émergents.

Le sénateur Downe : Avez-vous dit que la hausse de nos exportations serait de 18 p. 100 en ce qui concerne les marchés émergents?

M. Poloz : Oui.

Le sénateur Downe : Quel pourcentage de la valeur totale cela représente-t-il?

M. Poloz : Environ 6 ou 7 p. 100 de la valeur totale qui est de près de 30 milliards de dollars.

Le président : Je signale qu'hier soir, nous avons accueilli les représentants du secteur du bois d'œuvre. L'effondrement du marché du logement américain a, naturellement, engendré des difficultés au niveau des ventes de bois d'œuvre aux États-Unis et provoqué une réémergence du conflit du bois d'œuvre de résineux.

Le sénateur Di Nino : Je voudrais poser des questions dans la foulée de celle de mon collègue. Monsieur Hart, vous avez fait des commentaires assez durs au sujet des délégués commerciaux ou des agents que nous envoyons dans d'autres régions du monde pour nous aider à promouvoir et créer des débouchés commerciaux pour le Canada. Je dois avouer que je suis, dans une certaine mesure, d'accord avec ce que vous dites. Je ne suis toutefois pas certain d'être aussi dur que vous au sujet des personnes concernées. Envoyons-nous des personnes qui n'ont pas les compétences voulues? En avons-nous vraiment besoin? Ou alors, envoyons-nous des personnes qui n'ont pas été bien formées et qui n'ont pas de mandat concret pour remplir une mission?

M. Hart : La réponse est négative dans tous les cas. Les personnes qui remplissent les fonctions de délégués commerciaux ont une bonne formation. Ce sont des personnes très compétentes, qui travaillent d'arrache-pied et qui sont engagées dans de nombreuses activités. Une forte proportion de ces activités n'ont toutefois pas beaucoup d'impact sur notre performance commerciale. Elles ont peut-être un impact marginal pour quelques entreprises, mais l'influence générale de ces activités sur notre performance commerciale est très limitée. Je ne dénigre pas la qualité du travail des personnes concernées, mais j'estime que le gouvernement ne devrait pas investir mon argent dans ce type d'activité. Je l'investirais dans d'autres types d'activités.

Le sénateur Di Nino : Pouvez-vous citer des exemples?

M. Hart : Je dépenserais beaucoup moins dans ce domaine et réduirais le fardeau fiscal. La chose la plus importante qu'on puisse faire pour le secteur privé est une réduction du fardeau fiscal. En effet, si on le réduit, le secteur privé fera les dépenses nécessaires pour accroître l'efficacité de l'entreprise à l'échelle mondiale. Je doute que beaucoup de conseils d'administration se préoccupent de savoir si nous avons suffisamment de délégués commerciaux à travers le monde. Si vous leur posez la question, de nombreuses entreprises répondront certainement qu'il faut les maintenir en poste, car elles ne pensent pas directement à leur fardeau fiscal ni à cette dépense en particulier. C'est pourtant une des dépenses gouvernementales et j'estime que cela n'a un impact que très marginal sur la performance générale de l'économie canadienne.

Le sénateur Di Nino : La question suivante concerne le commerce intégré sur lequel vous avez tous fait des commentaires d'un type ou d'un autre. Le gouvernement du Canada s'est-il préparé, en mobilisant toutes ses ressources, à relever ce défi comme il se doit? Faisons-nous assez bien le travail à votre avis? Sommes-nous concurrentiels dans ce nouveau type de commerce?

M. Poloz : Je pense que notre première tâche importante est d'apprendre à le connaître et on le comprend déjà beaucoup mieux. Il s'agit de comprendre par exemple que la capacité d'une entreprise canadienne d'investir dans un pays étranger pour se faire un créneau sur le marché est d'une importance capitale pour le modèle du commerce intégré alors que jadis, nous aurions peut-être voulu décourager cette entreprise de le faire; nous l'aurions aidée à rester ici et à investir plutôt ici, ce qui est la recette d'une structure à coût élevé et d'un modèle d'entreprise non durable. Il est essentiel qu'une entreprise soit capable de créer davantage d'emplois au Canada en profitant des faibles coûts dans d'autres pays pour certains volets de ses activités. Cette prise de conscience s'est répandue, comme on vous le signale aujourd'hui, et c'est très positif. Dans l'organisme que je représente, nous faisons beaucoup plus de facilitation de ce type de transactions pour les entreprises canadiennes — pour une valeur de près de 6 milliards de dollars l'année dernière. Nous savons que les investissements étrangers génèrent du commerce à l'heure actuelle et sont importants pour notre prospérité. Si le délégué commercial n'apporte qu'un tout petit peu d'aide à une extrémité, en Inde par exemple, et que cela double nos échanges commerciaux avec ce pays, ce ne sera peut-être qu'une petite base, mais une somme de 300 à 500 millions de dollars est une somme intéressante pour de nombreuses petites entreprises.

M. Curtis : J'approuve l'ouverture du marché de l'investissement, qu'il s'agisse de l'investissement à l'étranger ou de l'investissement de l'étranger. Nous avons pour la plupart appris à nous tracasser pour l'investissement à l'extérieur, et cela n'est certainement pas utile dans le contexte actuel. Cela soulève des questions fiscales à l'intérieur du pays et des questions réglementaires; par conséquent, une forte proportion de notre réussite ne se situera pas à la frontière ni à l'étranger mais sera en fait liée à la qualité de notre politique économique intérieure pour ce qui est de la capacité des entreprises canadiennes à participer de plus en plus à l'activité.

Nous ne comprenons pas en réalité; nous n'avons pas de statistiques fiables, comme je l'ai signalé, et nous ne sommes pas vraiment au courant de la situation. Je suis certain que Toyota au Japon connaît toute la chaîne d'approvisionnement, du début à la fin, mais je serais très étonné qu'une entreprise canadienne, surtout une entreprise sous contrôle canadien, ait des connaissances semblables. Je présume qu'il y a une forte pénurie de statistiques dans ce domaine.

À propos des commentaires concernant l'investissement dans les délégués commerciaux et dans les sciences et la technologie, je pense qu'il faudra faire appel à un type de personnes différentes avec une formation différente, notamment à des personnes qui connaissent bien le niveau de l'entreprise et les secteurs, qui seront capables de savoir non seulement ce qui se passe actuellement, ce qui s'est passé et qui a des relations avec qui, mais aussi quel secteur, quelle entreprise et quel pays seront intéressants et importants pour une entreprise canadienne dans cinq ans. Je recommande que les délégués commerciaux et les agents d'investissement soient à l'avenir des personnes plus analytiques, ayant les yeux davantage tournés vers l'avenir.

Vous avez demandé à notre collègue ce que nous pensions. Je pense qu'il serait utile que le comité insiste pour que le gouvernement élabore des indicateurs quantitatifs pour être capable d'établir une mesure un peu plus précise, car on pourrait toujours prétexter que c'est d'une importance marginale ou que c'est un type d'activité à laquelle le gouvernement ne devrait plus participer. En fait, vous pourriez faire appel à des experts en matière de commerce des services et d'investissement et ce serait moins coûteux pour l'économie à long terme que si le gouvernement voulait assurer lui-même ces fonctions à l'avenir.

M. Hart : Quel est notre degré de compréhension? Il est plus élevé qu'il y a trois ans, mais il est loin d'être suffisant. L'organisme de M. Poloz s'est appliqué à diffuser les idées concernant les changements liés aux chaînes de valeur mondiales, et cetera, mais beaucoup plus de travail sera nécessaire.

Nous avons parrainé l'automne dernier une conférence sur cette question. En fait, vous devriez peut-être essayer d'obtenir cette documentation-ci auprès du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, car elle contient des documents sur la conférence et, notamment, un texte de Art Ridgeway de Statistique Canada signalant les difficultés qu'a eues cet organisme pour tenter de mesurer notre degré de participation à ce nouveau type de commerce, ainsi qu'un excellent texte préparé par un expert du Massachusetts Institute of Technology, qui décrit la nature du commerce d'intégration. C'est du très bon travail, mais on commence seulement à gratter la surface pour ce qui est de déterminer l'impact pour le Canada.

Les fonctionnaires font maintenant l'éloge des discours de M. Emerson qui font référence aux chaînes de valeur, mais je ne pense pas qu'ils sachent vraiment de quoi ils parlent. Nous commençons à comprendre ce que cela signifie pour les entreprises canadiennes et quelles sont les répercussions de ces changements sur le plan des politiques, car les incidences des chaînes de valeur sur les politiques générales indiquent que le défi en matière de politique commerciale est très différent de ce qu'il était. Il ne s'agit plus des vieilles questions de mesures frontalières comme les mesures tarifaires et les subventions ni des restrictions quantitatives, mais de mesures de politique intérieure qui permettent de déterminer si nous sommes bien positionnés pour attirer au Canada des tranches de production qui peuvent être intégrées à des réseaux mondiaux; pour cela, il est nécessaire d'examiner les questions de politique intérieure, depuis les structures fiscales jusqu'aux exigences en matière de propriété en passant par la façon dont nous réglons la question de l'infrastructure dans les villes. Le défi est très différent de ce qu'il était il y a une vingtaine ou une trentaine d'années.

Le sénateur Mahovlich : Je collabore également avec le comité de l'agriculture. Quelle importance a l'agriculture pour le Canada? J'ai toujours pensé qu'elle était très importante. Le Canada est un vaste pays. Dans la région de Barrie, il y a Holland Marsh, où, d'après un agriculteur, une superficie de 10 milles carrés suffirait à alimenter toute la population du Canada. Le sol est extrêmement riche dans cette région et les légumes y poussent bien. L'autre jour, alors que je participais à une séance du comité, un des témoins a signalé que si nous devions pourvoir nous-mêmes à notre alimentation, nous serions très mal pris.

M. Hart : L'histoire de l'agriculture est, sous de nombreux aspects, une histoire de réussite. Il y a une centaine d'années, cela prenait 70 p. 100 des Canadiens pour cultiver le sol et produire les aliments nécessaires. L'ensemble du secteur agricole représentait environ 60 p. 100 de la population. Actuellement, il n'en représente plus que 2,5 p. 100. Ces 2,5 p. 100 sont capables de nourrir non seulement notre population, mais aussi de nombreux autres peuples. C'est un secteur très efficace de l'économie. Cependant, il est de plus en plus petit. Ce secteur ne représente plus que 2,5 p. 100 de l'activité économique en ce qui concerne la création d'emplois, la contribution au PIB, la part de commerce international, et cetera. Par conséquent, la part qu'il représente diminue. Ce n'est pas négatif; cela démontre simplement que de nombreux autres secteurs ont pris une telle expansion qu'ils doivent jouer un rôle plus important.

La situation est la même aux États-Unis et en Europe. Le secteur agricole représente un pourcentage moins important de notre économie, qui ne cesse de diminuer, et c'est une des raisons pour lesquelles les gouvernements sont disposés à continuer à le subventionner, étant donné que le coût global n'est pas excessif et que les avantages politiques de ce gaspillage de fonds sont considérables.

Le sénateur Mahovlich : Nous devrions subventionner nos agriculteurs.

M. Hart : Non.

Le sénateur Mahovlich : Pourquoi les États-Unis le font-ils?

M. Hart : Nous le faisons également. Nous le faisons toutefois d'une façon différente.

Le sénateur Mahovlich : Nous ne les subventionnons pas. J'ai discuté avec des agriculteurs et ils se plaignent tous.

M. Hart : Ce matin, je suis allé au magasin avec ma femme pour acheter une grande quantité de fromage pour sa réception de dimanche. Nous avons dépensé 75 $ pour ce fromage. Savez-vous à combien s'élèvent les droits tarifaires sur le fromage?

Le sénateur Mahovlich : D'où provient-il?

M. Hart : Une partie du fromage que nous avons acheté est du fromage canadien et une partie, du fromage importé. Le droit tarifaire sur le fromage canadien est de 238 p. 100. Cela a une incidence sur les prix. Il ne s'agit peut-être pas d'une subvention gouvernementale, mais c'est une subvention à la consommation appliquée sur instruction du gouvernement. On a également dépensé des sommes considérables dans le secteur des céréales et dans celui de la volaille, en payant différentes choses. Le niveau des subventions canadiennes est plus bas que celui des subventions américaines, mais il n'est pas négligeable.

Le sénateur Smith : M. Curtis et M. Hart ont répondu en partie à la question que j'avais en tête, mais je la reformulerai. Pendant votre exposé — je pense qu'il s'agit de celui de M. Hart —, j'ai pensé que votre opinion sur l'utilité des délégations commerciales établies de par le monde pouvait être influencée en partie par le principe du rapport coût-bénéfice, à savoir dans quelle mesure la dépense est justifiable. Si l'on réduit le nombre d'organismes de 100 ou de 200, je ne pense pas que cela ait une incidence appréciable sur les charges fiscales, car vous recommandiez de les diminuer.

Je comprends le principe, mais dans la mesure où l'on a un gâteau à partager, un budget en l'occurrence, en termes de coût-bénéfice et de productivité, critères auxquels j'attache beaucoup d'importance, quelles devraient être les priorités pour que les organismes que nous avons établis à travers le monde représentent une valeur importante et concrète pour les personnes concernées? Je sais que vous avez abordé la question, mais j'aimerais entendre vos opinions sur les priorités qu'il faudrait établir pour un budget, quel qu'il soit — quelle que soit la grosseur du gâteau. Quelle est la façon la plus efficace de dépenser cet argent?

M. Hart : Dans le contexte général, le coût d'un délégué commercial n'est pas excessif, quoiqu'il ne soit pas modique. Pour maintenir un délégué commercial dans une mission à l'étranger, outre la rémunération, une infrastructure importante est nécessaire. Le coût total est de l'ordre de 250 000 $ par délégué commercial.

M. Curtis : C'est un minimum.

M. Hart : Ce n'est pas une bagatelle. Dans de nombreuses missions, les délégués commerciaux font beaucoup de travail utile; ils font des rapports qui sont souvent jetés au panier et dont on ne fait pas grand-cas.

Si on me donnait le poste de ministre et que je ne devais pas rendre des comptes au Cabinet, je réduirais d'environ les deux tiers le Service des délégués commerciaux et je réaffecterais les ressources à un ministère des affaires nord- américaines. Je pense que c'est à ce niveau-là que nous faisons face à de grands défis que nous ne relevons pas. Nous procédons de façon progressive — un petit effort ça et là —, mais nous n'avons pas de plan concerté, cohérent et soigneusement élaboré pour relever les défis qui se posent à nous aux États-Unis.

Ces défis sont pourtant bien réels et ils pourraient le devenir encore davantage en cas d'incident qui entraînerait la fermeture de la frontière. Je pense que nous avons de grands défis à relever avec les Américains pour nous assurer que la frontière qui nous sépare n'est pas un obstacle au commerce et à l'investissement entre nos deux pays. Cela nécessite des efforts beaucoup plus sérieux que ceux qui sont déployés dans le contexte du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité. C'est à cela que j'affecterais mes ressources.

M. Curtis : Je ne réduirais pas nécessairement ce service d'un tiers, ou de deux tiers, ou je ne le supprimerais pas complètement et ne privatiserais pas cette fonction. Je suis heureux de vous entendre dire que vous êtes un adepte du principe coût-bénéfice. Je pense qu'une première initiative efficace consisterait à modéliser la valeur ajoutée, non seulement en ce qui concerne les délégués commerciaux, mais aussi les agents de promotion de l'investissement ainsi que les agents des sciences et de la technologie. Quant à savoir si c'est une fonction pour laquelle le gouvernement est le mieux placé, c'est une question à se poser. Les calculs et l'étude qui seraient utiles devraient notamment avoir pour objet de déterminer si ce service assure une présence dans des régions du monde où celle-ci est plus nécessaire que dans d'autres régions. Nous pourrions peut-être alors terminer en chargeant des agents ayant davantage un bagage politique et économique de travailler sur le dossier américain. Je partage l'opinion de M. Hart mais, avant de tirer ce type de conclusions, il serait équitable pour tous qu'on étudie la question sérieusement, car ça n'a jamais été fait.

Le sénateur Smith : Voulez-vous faire des commentaires à ce sujet, monsieur Poloz?

M. Poloz : On a l'impression que le commerce international est une activité théorique entre le Canada et l'Inde, par exemple, mais ce n'est pas cela. Les échanges commerciaux se font entre deux personnes, entre deux individus ou deux entreprises, et ce n'est pas facile de se mettre en rapport l'un avec l'autre. Il est très difficile de trouver le créneau vers lequel on s'orientera.

D'après mon expérience personnelle — je ne visite pas tous les marchés du monde, mais j'en visite beaucoup dans le cadre de mes fonctions —, les délégués commerciaux nous aident à faire le travail, pour nous et pour les entreprises canadiennes que nous représentons dans ces régions. Le volume de nos échanges commerciaux avec l'Inde a augmenté de 48 p. 100 l'année dernière, et je peux citer des transactions fructueuses qui sont à la base de cette performance. Ce résultat a été obtenu grâce aux personnes que nous avons sur place.

Le sénateur Smith : Je vais souvent en Inde. Je suis membre du conseil d'administration d'une banque établie en Inde et, par conséquent, je connais très bien ce milieu.

Pour revenir à la question de l'accent qu'il faut mettre sur les États-Unis, j'apprécie vos commentaires sur la concentration de nos échanges avec ce pays et sur leur valeur monétaire. Il y a cinq ans, avant que je ne devienne sénateur et que j'occupe mes fonctions actuelles, j'allais souvent à Washington pour mon cabinet d'avocats, notamment pour plaider dans l'affaire du bois d'œuvre et dans le cadre de divers autres dossiers. Ce que je trouvais frustrant, c'est que les longues heures que je passais à discuter avec des fonctionnaires américains étaient une perte presque totale de temps. Nous devions faire la tournée avec différents membres du Congrès et différents sénateurs. On avait constamment pour adversaires la bande de six grosses entreprises de produits forestiers, ayant toutes leur siège à Atlanta, qui disposaient de fonds considérables et d'une armée d'avocats qu'elles payaient avec tout l'argent qu'elles arrivaient à subtiliser aux Canadiens. Une des plus grandes ironies était que, dans la mesure où nous arrivions à convaincre les politiciens américains de faire baisser le coût du bois d'œuvre en en important davantage, Home Depot, qui a son siège à Atlanta, était un de nos grands supporters.

J'aimerais entendre vos commentaires sur les frustrations que cela engendre. À cette étape-ci de son deuxième mandat, je ne pense pas que le président soit capable de tirer grand-chose de la plupart des membres du Congrès. Même avec un certain poids politique et le désir de s'allier certains des membres du Congrès et du Sénat, je ne pense pas qu'il était disposé à gaspiller la moindre énergie ou à faire jouer ses reconnaissances de dettes politiques pour régler le dossier du bois d'œuvre canadien. Ce sont mes cogitations. J'aimerais connaître vos réactions.

M. Curtis : Ce que nous tentons d'expliquer aujourd'hui, c'est que la politique est importante et que les relations entre États sont importantes mais, en définitive, ce sont les relations d'entreprise à entreprise qui sont cruciales pour l'avenir. C'est notamment ce que M. Poloz et M. Hart pensent. Dans la mesure du possible, nous voulons, à mesure que le temps passe, avoir davantage de certitude quant aux possibilités d'aider les entreprises canadiennes à jouer un rôle sur les marchés internationaux, par l'intermédiaire des États-Unis ou directement, en tenant compte du fait que c'est en grande partie grâce à la croissance économique de l'Inde que nous avons enregistré cette hausse. Ce n'est pas forcément grâce à l'intervention des délégations commerciales; il s'agit de relations de personne à personne et d'entreprise à entreprise. C'est là-dessus que nous voulons tous mettre davantage l'accent.

Le cas que vous avez mentionné est de nature très politique. Nous le savons; mais ce n'est pas cela qui définit entièrement les échanges du Canada et sa performance en matière d'investissement.

Le sénateur Smith : Je sais.

M. Curtis : Nous voulons aider le comité — dans la mesure du possible, car nous avons des points de vue différents — en suggérant que notre pays est moins une nation commerçante qu'une nation de commerçants; les commerçants sont des personnes et des entreprises.

Le sénateur Smith : Avez-vous une réaction, monsieur Hart?

M. Hart : Les commentaires que vous venez de faire sont très intéressants. Le marché américain est un des marchés sur lesquels on a le plus de facilité à s'implanter. La clientèle est nombreuse; nous avons notamment des facilités sur le plan de la langue et sur celui des pratiques commerciales. Les Canadiens ont très bien réussi. Cependant, sur le plan politique, le marché américain est un des plus complexes au monde.

Lorsque vos concurrents américains peuvent avoir recours aux services du mastodonte qui a son siège à Washington, c'est alors que commencent vos difficultés. L'affaire du bois d'œuvre ne date pas d'hier. Elle remonte à 1841, date à laquelle nous avons eu notre premier différend sur le bois d'œuvre résineux avec les États-Unis. Les Américains exploitent la situation depuis ce temps-là.

Pour moi, c'est un signe qu'il est essentiel que nous mobilisions les ressources nécessaires pour nous assurer que nous connaissons bien les rouages du gouvernement américain, que nous sommes au courant des attributions des principaux acteurs à Washington et que nous avons mis en place certaines règles ou procédures dans le but de régler ces problèmes quand nous le pourrons. L'Accord de libre-échange en a réglé beaucoup, mais il y a d'autres questions à régler, et je pense que nous en sommes capables.

La phase actuelle du différend du bois d'œuvre de résineux a débuté en 1982. Nous avons connu des hauts et des bas depuis cette année-là. Je ne suis pas de ceux qui pensent que nous avons les mains entièrement propres. Certaines des entreprises américaines qui se sont plaintes avaient de bonnes raisons de le faire. Quoi qu'il en soit, pour le moment, on ne sait pas encore si la question est réglée définitivement. Vous en avez discuté hier, et je ne tiens pas à m'éterniser là- dessus.

Un problème semblable s'est posé en 1985 en ce qui concerne l'encéphalopathie spongiforme bovine. Nous avons réglé cette affaire en 18 mois et ce, de façon définitive, bien que d'autres cas se soient déclarés depuis. Pourquoi? Parce que nous avons pu avoir recours au réseau et aux compétences que nous avons développés pour établir une série de règles dans le but de surmonter le problème. Cette affaire a causé tout un émoi pendant ces 18 mois et de nombreux éleveurs bovins ont subi de très grosses pertes financières, mais le problème a été réglé et le commerce entre le Canada et les États-Unis a repris son cours normal. Il est essentiel de procéder ainsi dans tous les secteurs du commerce entre le Canada et les États-Unis et d'établir des règles qui permettront de régler ces problèmes au niveau technique plutôt qu'au niveau politique.

Le président : Nous avons appris qu'une solution intéressante au problème des producteurs bovins est que, maintenant, 50 p. 100 de leurs exportations sont à destination de l'Asie. Les producteurs bovins nous ont annoncé qu'ils s'étaient considérablement diversifiés.

Le sénateur Merchant : Vous avez dit que l'aide d'Exportation et développement Canada était proportionnelle à l'ensemble de nos échanges, dont les échanges avec les États-Unis représentent 81 p. 100.

M. Poloz : Non, loin de là. EDC se spécialise dans le commerce avec les marchés émergents, en particulier lorsque les entreprises ont la perception que les risques sont plus élevés. Elles cherchent des produits d'assurance, notamment pour faire du commerce avec des entreprises situées dans des pays lointains.

Le volume des échanges avec les États-Unis est très élevé. Le marché américain comporte des risques élevés. Le pourcentage annuel d'entreprises qui meurent est plus élevé que dans tout autre pays. Chaque année, un grand nombre d'entreprises y naissent également. Ces entreprises doivent généralement de l'argent à une entreprise canadienne. Cette assurance est importante. Les États-Unis représentent près de la moitié de notre volume d'affaires, ce qui touche 80 p. 100 ou plus du commerce canadien. Pour nous, les marchés émergents représentent environ 25 p. 100 du volume des affaires alors que pour les entreprises canadiennes, cela représente environ 6 ou 7 p. 100. Nous sommes beaucoup plus axés sur ces éléments. Environ 90 p. 100 de notre clientèle est composée de PME. Nous mettons l'accent sur les domaines où on a le plus besoin de nous.

Le sénateur Merchant : Vos coûts sont-ils plus élevés pour la clientèle extérieure aux États-Unis? Vos pertes sont- elles proportionnellement plus élevées?

M. Poloz : Le montant de notre prime d'assurance est un prix commercial et il tient compte des facteurs de risque. Quand nous assurons un marché où les risques sont statistiquement plus élevés que sur le marché américain, nous appliquons un taux plus élevé. Normalement, une entreprise a des clients dans différents pays et nous faisons un prix unique couvrant toutes ses exportations, pour toute sa clientèle. Par conséquent, elle déclare simplement ses livraisons en ligne et est automatiquement couverte. La façon dont le prix est établi est personnalisée par le client, selon le portefeuille de marchés avec lesquels l'entreprise fait des affaires. En moyenne, le prix pour le marché américain serait probablement inférieur au prix pour un pays comme le Mexique, par exemple, ou la Chine, mais il est rare que ce soit par rapport à un seul autre pays. C'est un prix qui est lié aux risques.

Le sénateur Merchant : Devriez-vous uniquement remplir les fonctions d'une institution bancaire et d'un bailleur de fonds, ou faudrait-il prendre des objectifs sociaux et nationaux en considération? Par exemple, aideriez-vous un pays en développement, comme le Botswana, même si le niveau de risque auquel vous seriez exposé serait élevé?

M. Poloz : Eh bien oui.

Le sénateur Merchant : Devriez-vous remplir uniquement les fonctions de bailleur de fonds?

M. Poloz : Pour se conformer aux lignes directrices de l'OMC, il est important que nos prêts ou que nos taux d'assurance soient alignés sur les taux commerciaux. Cependant, nous sommes très enthousiastes lorsqu'une occasion à risque très élevé se présente car, dans ces cas-là, cela peut faire vraiment une différence pour le Canada, pour une entreprise canadienne, sur un marché sur lequel d'autres institutions ne seraient peut-être pas disposées à intervenir.

La réponse à votre question est complexe, mais toutes les décisions que nous prenons doivent répondre à un critère qui est celui des avantages de l'opération pour le Canada. Par conséquent, il doit être démontrable qu'elle présente des avantages pour le Canada et que nous générerons effectivement des revenus supplémentaires ou des emplois supplémentaires pour des Canadiens, peu importe la forme sous laquelle on le présente.

L'année dernière, nous avons fait des affaires dans 184 pays différents; très peu de pays ne figurent pas sur la liste. La réponse à votre question est que nous acceptons de faire affaire avec presque tous les pays, sauf si nos collègues du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international nous l'ont déconseillé pour une raison ou pour une autre.

Le sénateur Merchant : Monsieur Hart, avez-vous un commentaire à faire au sujet de la façon dont EDC procède?

M. Hart : Non, je n'ai jamais porté EDC dans mon cœur.

Le sénateur Merchant : Mince alors!

M. Hart : Je pourrais faire une étude à son sujet et venir casser du sucre sur son dos, mais ce ne serait pas juste.

Le président : Je pense que vous avez tous signalé plus ou moins, quoique je ne voudrais pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, que le commerce international du Canada est fondamentalement stagnant pour le moment. Que se passe-t-il si on exclut nos exportations de pétrole extrait des sables bitumineux? J'ai examiné les chiffres, et les États- Unis sont, bien entendu, notre principal marché, puisqu'ils représentent 86 p. 100 de nos exportations, quoique le pourcentage fluctue légèrement. Si l'on ne tient pas compte des sables bitumineux, le volume diminue légèrement pour tous les produits que nous exportons. Est-ce que je fais erreur?

M. Poloz : J'hésite à dire « Oui, monsieur ». En ce qui concerne l'année 2006, par exemple, nos exportations totales étaient fondamentalement stationnaires. Elles n'ont augmenté que de 0,5 p. 100. Le secteur de l'énergie n'a pas contribué à la croissance non plus l'année dernière, bien que nous ayons produit de nombreux extrants de ce secteur. Les prix étaient en moyenne un peu plus bas en 2006 qu'en 2005 et, par conséquent, la valeur de ces exportations n'avait pratiquement pas changé. Les principaux secteurs de croissance étaient ceux des métaux et des minerais et métaux. La croissance a été bonne également dans le secteur agroalimentaire. Elle a été vigoureuse dans celui des produits chimiques et des plastiques. En ce qui concerne le secteur de la machinerie et de l'équipement, ainsi que celui des télécommunications, celui des composantes aérospatiales, et cetera, leur croissance se poursuit. Certains de nos secteurs sont vigoureux.

Le président : Vous avez exposé votre point de vue. J'ai vérifié pour l'année précédente. En ce qui concerne les dix dernières années, j'ai l'impression que, sauf dans le secteur de l'énergie, la tendance n'était pas particulièrement favorable.

Monsieur Hart, vous avez dit au sujet du marché américain que nous devrions régler la question de la frontière. Nos échanges commerciaux avec les États-Unis représentent 86 ou 87 p. 100 du volume total de nos échanges. Je présume que ce pourcentage baissera légèrement en raison de la vigueur de notre devise, mais nous en avons conclu, lorsque nous avons examiné l'Accord de libre-échange, que le taux de change était un facteur important dans nos exportations vers les États-Unis. Notre retrait de ce marché n'a-t-il pas atteint son niveau maximum? Est-il réaliste de penser que la situation frontalière s'améliorera?

J'ai vécu une expérience, il y a une semaine, alors que je me rendais à Washington. Quelqu'un avait égaré mon passeport — j'étais à Toronto — et, comme beaucoup d'autres personnes, j'ai été étonné. J'ai dû aller à Buffalo, car là- bas, on peut encore traverser la frontière avec son permis de conduire, où j'ai fait ma petite enquête. On dit que, d'ici deux ans — et j'en suis sûr —, des pressions seront exercées en ce sens...

Le sénateur Downe : Il vous faudra deux ans pour obtenir un nouveau passeport.

Le président : C'est possible. On a peine à croire que le passage à la frontière sera plus facile. Où que l'on aille dans le monde, on constate que les files de passagers sont interminables pour les vols à destination des États-Unis, que ce soit en partance de l'Europe ou d'ici. La situation ne s'améliore pas, à cause des mesures de sécurité.

Je pense que j'ai deux ou trois questions à poser en même temps. Vers quoi allons-nous? Un pays représente 86 p. 100 du volume de nos échanges. Existe-t-il des perspectives raisonnables d'augmentation de ce volume? Celui-ci pourrait même diminuer un peu si le taux de change augmente. Les États-Unis ne peuvent pas hausser leurs taux d'intérêt à cause de l'effondrement du secteur de l'habitation. Cette situation a probablement une incidence négative sur les cours du dollar canadien et du dollar américain par rapport à toutes les autres devises. On a peine à envisager une amélioration de la situation à la frontière.

M. Hart : Je vais essayer de répondre. Premièrement, en ce qui concerne les statistiques, les chiffres relatifs aux échanges commerciaux augmentent et baissent et ce, depuis des années. Ce n'est pas extrêmement significatif. Pour examiner la question sous un autre angle, et M. Poloz y a déjà fait allusion, l'organisation de nos affaires commerciales a été réorientée de façon radicale. Au cours des 25 dernières années, les échanges interprovinciaux ont été stagnants dans une large mesure et les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis — le commerce Nord-Sud — ont été en croissance.

Cela se traduit par un degré plus élevé de spécialisation au Canada et par une participation accrue d'entreprises canadiennes aux chaînes de valeur nord-américaines. Comment le savons-nous? Un indicateur clair est la part des importations dans les exportations, que Statistique Canada a examinée.

Au cours des années 1990, la part des importations dans nos exportations a augmenté de façon régulière, ce que certaines personnes trouvaient inquiétant. Ce que cela signifiait en fait, c'est que nous devenions davantage spécialisés. Nous nous débarrassions des productions dans lesquelles nous n'étions pas très compétents et importions ces produits des États-Unis. Nous les intégrions à un produit que nous faisions et réexportions celui-ci vers les États-Unis; ces produits passent et repassent la frontière, car ils font partie des chaînes de valeur intégrées. C'est dans ce contexte qu'il faut examiner la frontière et pas sous l'angle du flux des échanges commerciaux et des parts de marché américain.

Les journalistes craignent que la Chine nous supplante et devienne le principal partenaire commercial des États- Unis. Qu'est-ce que cela peut bien faire?

Le sénateur Mahovlich : C'est déjà le cas.

M. Hart : Ce fut le cas pendant un mois, mais seulement au niveau des exportations, et pas pour les échanges globaux, qui incluent les importations et les exportations. Lorsqu'on tient compte des échanges totaux, des échanges de biens et de services, le Canada est de loin le principal partenaire commercial des États-Unis, mais qu'est-ce que ça peut bien faire? Ce qui est important, c'est de savoir si les échanges commerciaux contribuent à la prospérité de l'économie canadienne.

Au cours des dix dernières années, la demande américaine a considérablement augmenté. Depuis quelques années, la demande augmente au Canada et, par conséquent, la part des échanges a diminué légèrement. Cela fluctue. Le cours du dollar est un facteur important. Les prix de l'énergie entrent en ligne de compte également.

Il est important d'avoir une vue d'ensemble de nos activités et de la qualité de celles-ci. Il est indispensable d'examiner si nous sommes bien intégrés aux marchés mondiaux. En ce qui concerne le Canada, il s'agit donc de savoir si nous sommes bien intégrés aux fournisseurs de marchés mondiaux implantés aux États-Unis, qu'il s'agisse de la construction de Dreamliners par Boeing ou de l'édification de sa nouvelle entreprise mondiale par Bombardier. Par exemple, les avions à réaction que Bombardier construit contiennent de 25 à 30 p. 100 de valeur ajoutée canadienne. Les autres éléments sont importés. Est-ce néfaste? Non, c'est très bon. Cela veut dire que nous produisons au Canada les éléments dans la production desquels nous sommes compétents et que nous importons ceux dans la production desquels d'autres pays sont les plus compétents; nous participons par conséquent aux chaînes de valeur mondiales. C'est dans ce contexte qu'il faut examiner la frontière.

Dans quelle mesure la frontière constitue-t-elle un obstacle à la participation du Canada aux activités génératrices de richesses et d'investissements? À cet égard, la frontière sera un obstacle de plus en plus important.

Il faut répartir le problème de la frontière entre la question concernant les gens, qui nous frustre tous, et celle concernant les produits et les services. La question concernant les gens dépendra de la façon dont nous la réglerons, que ce soit par le biais de passeports ou de cartes à puce intelligentes ou par d'autres dispositifs. Je pense que le problème actuel des passeports aura disparu dans cinq ans et que la plupart des Canadiens, surtout ceux qui voyagent beaucoup, auront une carte biométrique intelligente. En fait, de nombreuses personnes qui voyagent beaucoup ont déjà tiré parti des permis CANPASS ou d'un programme semblable, qui permet de traverser la frontière beaucoup plus rapidement.

Qui est-ce qui était frustré par la frontière? Procurez-vous une de ces petites cartes.

Le président : Ce n'est pas tellement que j'étais frustré, mais l'autre jour, j'ai vu une file d'attente d'un millier de personnes.

M. Hart : Ces personnes-là n'ont pas la petite carte.

Le président : Je présume que non, mais est-il réaliste de penser qu'elles l'auront?

M. Hart : Si elles se retrouvent assez souvent dans des files aussi longues, elles se la procureront, car c'est la solution à ce problème.

D'un point de vue commercial, il faut voir dans quelle mesure la frontière perturbe le commerce. C'est une question différente de celle des obstacles qu'elle pose au mouvement des personnes.

L'Agence du revenu du Canada et maintenant l'Agence des services frontaliers du Canada ont fait un travail très utile en faisant accomplir certaines formalités à l'écart de la frontière, notamment par le prédédouanement, en améliorant le cheminement de l'information, et cetera. Les États-Unis ont pris certaines mesures semblables, mais leur système n'est pas aussi développé que le nôtre pour ce type de questions. Il est essentiel que nous coopérions avec eux dans ce domaine. Ils aimeraient cela, mais ces questions n'ont pas une priorité suffisante à leur agenda.

Le sénateur Smith a signalé les problèmes qu'a posés le règlement de la question du bois d'œuvre de résineux. Le président ne souhaitait pas nous aider à la régler et ce, pour plusieurs raisons. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails, mais cela fait partie d'une tendance plus générale selon laquelle, si l'on veut réussir aux États-Unis, il est indispensable de traiter de tout en bloc, sans vouloir résoudre des problèmes çà et là. Si nous voulons régler nos problèmes avec les États-Unis, il est essentiel que nous le fassions de façon cohérente, mûrement réfléchie et systématique. Ce serait notre priorité en matière de politique étrangère, et aussi en matière de politique commerciale.

Le sénateur Downe : Je pense toutefois qu'il y a un malentendu en ce qui concerne les pouvoirs du président des États-Unis. Et j'en pense que c'est la même chose que s'il avait affaire à un premier ministre canadien. Si un premier ministre canadien décidait en se levant un beau matin que nous avons besoin de 40 tanks supplémentaires, le ministre de la Défense aurait approuvé sa décision pour le souper et les tanks seraient commandés dès le lendemain matin.

Le président des États-Unis a un grand pouvoir persuasif, mais — dans un tas de domaines qui nous concernent — il n'est disposé à ne faire que des dépenses restreintes pour résoudre les problèmes des autres que dans la mesure où cela règle un problème pour lui également. C'est la première remarque que je voulais faire.

Ce que le gouvernement du Canada ne comprend pas de façon très précise en ce qui concerne le système américain, c'est le peu de ressources qu'il investit dans les États-Unis. On nous a signalé aujourd'hui, et nous le savions depuis un certain temps, l'importance qu'ont les États-Unis pour le commerce et la prospérité de notre pays. Cependant, si l'on compare le nombre de missions diplomatiques du Mexique à celui du Canada, l'écart est énorme. Celles du Mexique représentent trois ou quatre fois notre investissement et elles sont réparties à travers les États-Unis, ce qui est essentiel, à mon avis.

Le politicien américain, sénateur ou autre politicien local doit être influencé par l'impact qu'ont ces questions sur le Canada. Nous faisons beaucoup d'échanges commerciaux avec les États-Unis, mais ils en font beaucoup avec nous également. La plupart des emplois américains sont dépendants de notre économie. Il faudrait insister sur l'importance de ce facteur auprès des politiciens locaux et régionaux américains, en indiquant l'impact qu'ont les politiques sur leur économie et sur les secteurs qui les concernent. Je n'en reviens pas que ce n'ait pas été une priorité. Certains partenariats commerciaux entre les États-Unis et le Canada sont à très forts intrants de main-d'œuvre. C'est plutôt un commentaire qu'une question.

M. Hart : Pour citer un exemple, j'étais au Missouri il y a un an à titre d'invité du consul général du Canada à Chicago, pour prononcer un discours à l'université. Le consul m'a dit ceci : « Puisque nous sommes ici, pourquoi ne rendons-nous pas également visite au personnel du sénateur? » Je lui ai répondu que c'était parfait et que j'acceptais volontiers. Nous avons rendu visite au personnel du sénateur. C'est un exemple du type de travail que font les consulats généraux, travail qui n'est pas apprécié à sa juste valeur. Ils établissent des relations qui pourront servir plus tard à régler de petits problèmes qui pourraient être portés à l'attention du personnel du sénateur du Missouri, par exemple, en veillant à ce qu'il soit au courant des problèmes canadiens. C'est le travail que font les 47 consulats généraux mexicains. Nous en avons environ une douzaine et quelques bureaux satellites, pour un total de 15 ou 16. Ce n'est pas du travail de délégué commercial; il s'agit d'établir des relations. C'est un type de travail différent, qui est très important à Washington. Compte tenu de la forte décentralisation de la prise de décisions, le président est l'acteur le plus influent, mais pas le plus puissant.

Le sénateur Di Nino : Merci de me donner l'occasion d'un deuxième tour, monsieur le président, bien que je pensais que vous accorderiez une question aux sénateurs assis de ce côté-là et une question à ceux assis de ce côté-ci.

La question de l'harmonisation de la réglementation a été abordée par M. Hart qui a parlé de convergence réglementaire. Cela a été décrit à d'autres occasions comme une forme supplémentaire de protectionnisme. Nous y avons eu recours dans une certaine mesure dans notre pays pour le commerce interprovincial. Le meilleur exemple que je puisse citer est celui de l'industrie brassicole.

Nos témoins auraient-ils l'amabilité de nous donner une idée de l'ampleur de ce problème? Je ne parle pas uniquement de ce problème dans nos relations avec les États-Unis, car c'en est un également dans le cadre de nos relations avec les pays de l'Union européenne. Par ailleurs, avez-vous des suggestions à faire pour le régler?

M. Hart : C'est un problème d'une portée très considérable. Vous avez cité l'exemple de l'Europe. L'Europe a négocié son marché commun dans les années 1950. Vers le milieu des années 1970, le mouvement s'était essoufflé, car les Européens avaient fait tout ce qui était possible au sens de la politique commerciale traditionnelle. Ils avaient supprimé les obstacles et facilité les mouvements dans les deux sens aux frontières mais ne s'étaient pas attaqués aux différences existant entre les États membres en matière de règlements.

La grosse initiative prise par l'Europe dans les années 1980 est connue sous le nom de Acte unique européen, dont le but était de régler le problème des différences entre les différents pays d'Europe en matière de règlements. Les Européens y ont investi des ressources considérables. Ils ont d'abord tenté d'harmoniser les règlements et ont constaté que c'était une tâche extrêmement complexe et inutile. Ils voulaient plutôt la convergence réglementaire, qui consiste à utiliser d'autres types de techniques, depuis la reconnaissance réciproque jusqu'à la réduction du fardeau réglementaire, et cetera, mais pour réduire l'impact de ces différences plutôt que de tenter de les faire disparaître complètement. Les Européens ont réalisé des progrès considérables avec les années, et le résultat est un marché beaucoup mieux intégré.

C'était une tâche beaucoup plus complexe en Europe qu'elle ne l'est au Canada et aux États-Unis, car il y a déjà entre le Canada et les États-Unis une certaine convergence réglementaire motivée par le marché. Les différences entre le Canada et les États-Unis sont très restreintes. Nos régimes réglementaires ont des buts semblables et fonctionnent de façon semblable, mais présentent un nombre suffisant de différences pour que les gens conservent leur emploi. L'idée est là. Je n'appellerais pas cela du protectionnisme, mais c'est en quelque sorte une question de pitance. Le nombre de personnes dont les moyens de subsistance dépendent de ces légères différences réglementaires est assez élevé pour qu'il soit très difficile de les réduire en l'absence d'un leadership politique vigoureux.

Par exemple, si vous prenez un vol d'Ottawa à Newark sur Continental, vous volez sur un des avions à réaction de Embraer. Cet avion est utilisé entre le Canada et les États-Unis depuis plusieurs années. Il y a quelques années, il n'était utilisé que par les compagnies aériennes américaines. Cet appareil était entièrement agréé par la FAA pour l'utilisation en Amérique du Nord. Cependant, lorsque Air Canada a acheté plusieurs de ces aéronefs, il a fallu les faire agréer à nouveau pour l'utilisation au Canada, par un transporteur canadien, afin de vérifier s'ils étaient en état de navigabilité. Je suis certain que c'est très important pour les inspecteurs de la navigabilité du ministère des Transports, mais il s'agissait du même type d'appareils que ceux qui assuraient déjà des vols vers le Canada et qui transportaient des Canadiens depuis des années.

On peut multiplier ce problème en fonction des nombreux régimes réglementaires mis en place entre le Canada et les États-Unis. L'exemple que je choisis suscite des réactions très émotives. Lorsque je le cite pendant un de mes cours, cela perturbe beaucoup mes étudiants. Il s'agit de la question de l'approbation des médicaments. Les Canadiens et les Américains sont probablement très semblables sur le plan biologique et ils réagissent probablement de la même façon aux médicaments. Lorsque les Canadiens passent l'hiver en Floride, ils vont voir des médecins américains, vont dans des hôpitaux américains et avalent des pilules américaines sans y penser. Et pourtant, les deux pays ont des régimes d'approbation des médicaments différents. Aux États-Unis, 10 000 employés de la FDA sont affectés à cette tâche alors qu'au Canada, nous n'en avons que 985. Qui fait le meilleur travail, à votre avis?

Le président : Nous, probablement.

M. Hart : Vous feriez erreur. Notre processus prend deux fois plus de temps et il n'est pas aussi efficace que le processus américain. Dans 99,9 p. 100 des cas, nous avons tiré exactement la même conclusion que les États-Unis, mais entre six et 12 mois plus tard; autrement dit, les Canadiens n'ont pas été autorisés à utiliser la thérapie en question. Est- ce que nous commettons des erreurs? Oui. En commettent-ils? Oui, mais rarement. En fait, en raison notamment du niveau élevé de législation en matière de responsabilité civile délictuelle, le régime américain détecte souvent une erreur beaucoup plus rapidement que le nôtre. Qu'aurions-nous à perdre en adoptant un régime réglementaire plus convergent entre le Canada et les États-Unis?

Le président : Les Américains vivent trois ans de moins que nous.

M. Hart : C'est parce qu'ils ont des armes.

Le président : Non. Leur espérance de vie est de trois ans de moins que celle des Canadiens.

Le sénateur Di Nino : C'était fascinant et très instructif.

Le sénateur Mahovlich : Nos règlements fiscaux applicables aux entreprises favorisent-ils les États-Unis par rapport au Canada?

M. Curtis : Les taux d'imposition sont plus bas aux États-Unis.

Le sénateur Mahovlich : Ah oui?

M. Curtis : Pas beaucoup, mais légèrement.

Le sénateur Mahovlich : En ce qui concerne les échanges commerciaux, y a-t-il des entreprises qui passent d'un pays à l'autre?

M. Hart : Le ministère des Finances est très conscient du régime fiscal américain. Lorsqu'il examine les questions d'impôt des sociétés, il veut s'assurer que nous ne sommes pas désavantagés dans le contexte nord-américain. Les barèmes et les structures canadiens et américains sont concurrentiels. À côté de la législation de l'impôt américaine, la Loi de l'impôt sur le revenu canadienne paraît très simple.

Le sénateur Mahovlich : En ce qui concerne le libre-échange, l'Accord sur le bois d'œuvre résineux et l'ALENA, le règlement de cette question a coûté plus de 1 milliard de dollars au Canada. Vous avez signalé que les agriculteurs canadiens s'étaient fait piler dessus dans l'affaire de l'encéphalopathie spongiforme bovine. Y a-t-il des occasions où le Canada a été gagnant à la suite du règlement d'un problème ou cela lui a-t-il toujours coûté une fortune? Vous souvenez-vous d'une occasion?

M. Hart : Tout dépend de ce que vous entendez par « règlement ». Dans le cas du bois d'œuvre résineux, les Américains percevaient des droits compensatoires exemplaires et, pour obtenir leur remboursement, nous avons accepté de renoncer à un certain montant. Je ne suis pas sûr qu'il s'agissait d'une taxe payée par les Canadiens; c'est une autre question.

En ce qui concerne l'ESB, ce que les États-Unis ont fait en fermant la frontière a été exactement ce que le Canada a fait neuf mois plus tard, quand le premier cas d'ESB s'est déclaré aux États-Unis. Nous avons procédé exactement de la même façon, en vertu d'un accord international indiquant que lorsqu'un cas d'ESB est détecté, la première chose à faire est de s'assurer que la frontière est fermée. Il a fallu ensuite un an et demi pour que les deux parties s'entendent sur un régime satisfaisant et rouvrent la frontière. Les deux pays avaient fermé la frontière. Les agriculteurs américains ont également été touchés. Il s'agissait d'un risque pour la santé auquel on avait réagi d'une façon peut-être un peu trop répressive, mais on a respecté les règles qui étaient en place.

Le sénateur Mahovlich : Devant les tribunaux, nous avions gagné notre cause quatre ou cinq fois. Les Américains avaient décidé de contester le jugement, jusqu'à ce que nous finissions par céder. N'aurions-nous pas obtenu un règlement plus favorable si nous avions attendu?

M. Hart : En ce qui concerne le bois d'œuvre résineux?

Le sénateur Mahovlich : Oui.

M. Hart : C'eût été beaucoup plus avantageux pour nous si nous avions assaini notre situation dans les années 1980.

Le président : Merci beaucoup. D'après des négociateurs commerciaux américains, nous n'avons qu'une demi- douzaine de différends commerciaux, ce qui est relativement peu. Ils concernent presque toujours des produits naturels, des produits agricoles ou forestiers, et ils sont insolubles. Ce sont les différends commerciaux les plus insolubles pour les Américains. Souvenez-vous de l'amendement Byrd. Ils ont eu de la difficulté à s'en défaire. Je pense que l'administration voulait s'en débarrasser, mais ça lui a pris beaucoup de temps.

Ce fut une séance très intéressante et c'était la première sur ce sujet. Il s'agit d'un sujet complexe, mais d'une importance vitale pour le niveau de vie des Canadiens.

Monsieur Curtis, vous avez fait une distinction entre le niveau microéconomique et le niveau macroéconomique. Nous nous en tirons bien, mais certains problèmes se posent. Les membres du comité ont quelques antécédents dans ce domaine, et je pense que nous sommes en mesure d'examiner ces problèmes.

Je vous remercie au nom du comité.

Honorables sénateurs, j'espère que nous pourrons poursuivre l'examen de cette question, si ça vous intéresse.

Le sénateur Di Nino : C'est extrêmement intéressant.

Le président : Je vous annonce ma démission de mon poste de président du comité.

Des voix : Non, non.

Le président : Si, si. Nous pouvons le faire sans trop de formalités. Nous nous connaissons. Je propose le sénateur Di Nino comme président. Je profite que tous les membres sont là pour l'annoncer. Il serait bon que le vice-président — j'en ai discuté avec le sénateur Di Nino — soit aussi responsable du personnel de recherche, car nous avons eu recours à une procédure. Ce serait très utile. Il existe des règles obscures dont s'occupe le personnel de recherche par l'intermédiaire du président, mais j'aimerais que ce soit par l'intermédiaire du président et du vice-président.

Le sénateur Di Nino : J'aimerais aller plus loin. Pour moi, ce devrait être tous les membres du comité.

Le président : Nous avons nos petites séances.

Le sénateur Di Nino : Non seulement le personnel de recherche, mais le greffier.

Le président : Il ne s'agit pas de séances exclusives, comme vous le savez tous. Nous examinons ce sujet et c'est important. Le sénateur Di Nino et moi-même l'avons examiné.

Je propose le sénateur Di Nino comme président et je démissionne sur-le-champ.

Le sénateur Corbin : Vous devez quitter le fauteuil pour démissionner.

Le président : Je démissionne et je propose le sénateur Di Nino.

Le sénateur Corbin : Vous ne pouvez pas faire ça.

Le sénateur Stollery : Ah non?

Le sénateur Corbin : Monsieur le greffier, pourquoi le fauteuil est-il vide?

Le sénateur Stollery : Notre expert en matière de règlement dirigera la négociation.

François Michaud, greffier du comité : Je signale que je ne licencie pas le président et que je ne complote pas un coup d'État.

Étant donné que le fauteuil est vacant, il est de mon devoir, en ma qualité de greffier de votre comité, de superviser l'élection d'un nouveau président. Je suis prêt à recevoir les mises en candidature.

Le sénateur Stollery : Je propose le sénateur Di Nino.

Le sénateur Andreychuk : J'appuie votre proposition.

Le sénateur Corbin : Qui est actuellement vice-président?

M. Michaud : Il n'y a pas de vice-président.

Le sénateur Corbin : Qui était vice-président?

M. Michaud : Le sénateur Stollery était vice-président.

Le sénateur Corbin : Bien.

M. Michaud : Le sénateur Stollery propose que le sénateur Di Nino soit président du comité. Est-ce d'accord?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Di Nino : Dois-je aller m'asseoir là-bas?

Des voix : Oui.

Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.

Le président : Je pense que je peux maintenant recevoir les mises en candidature pour le vice-président.

Le sénateur Andreychuk : Je propose le sénateur Stollery comme vice-président.

Le président : Le sénateur Andreychuk propose que le sénateur Stollery soit vice-président. Êtes-vous d'accord?

Des voix : Oui.

Le président : Ma deuxième tâche officielle est maintenant de lever la séance.

La séance est levée.


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