Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 17 - Témoignages du 5 juin 2007
OTTAWA, le mardi 5 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, à qui l'on a adressé le projet de loi C-293, concernant l'aide officielle au développement fournie à l'étranger, se réunit aujourd'hui à 18 h 19 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Aujourd'hui, nous commençons notre étude du projet de loi C-293, concernant l'aide officielle au développement fournie à l'étranger.
Nous accueillons aujourd'hui M. John McKay, député de Scarborough—Guildwood et notre honorable collègue, le sénateur Dallaire, les deux parrains du projet de loi C-293 à la Chambre et au Sénat, respectivement.
Le projet de loi vise à faire de la réduction de la pauvreté l'objectif de l'aide officielle au développement du Canada, afin de garantir que cette aide s'inscrit dans les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne et qu'elle tient compte de la perspective de ceux qui vivent dans la pauvreté.
M. McKay vient juste de fêter ses dix ans comme député. Félicitations! Il a l'air beaucoup plus vieux. Il a été secrétaire parlementaire du ministre des Finances pendant deux ans sous l'ancien gouvernement, et il est membre du Comité permanent des finances. Il a présenté le projet de loi C-293 à la Chambre des communes le 17 mai 2006 et la troisième lecture a eu lieu le 28 mars 2007.
[Français]
La première lecture de ce projet de loi au Sénat a eu lieu le 29 mars 2007 et le Sénat nous a renvoyé le projet de loi C-293 mardi dernier, à savoir le 29 mai. Le sénateur Dallaire est le parrain de ce projet de loi au Sénat. Il nous le présentera en compagnie de M. McKay. Sans plus tarder, nous vous cédons la parole.
[Traduction]
L'honorable. John McKay, député, parrain du projet de loi à la Chambre des communes : Comme on dit, tout est une question de timing, monsieur le président. Je veux vous remercier de cette occasion de m'adresser à ce groupe, et je veux remercier le sénateur Dallaire pour son parrainage et son appui.
Comme vous le savez, le projet de loi C-293 vient de diverses sources. S'il est adopté, le projet de loi aura beaucoup de pères, mais s'il ne passe pas, il sera orphelin. J'espère qu'avec votre aide, ce projet de loi aura beaucoup de pères.
Le premier ministre actuel, le chef du Bloc québécois et le chef du NPD comptent parmi les pères de ce projet de loi. Chacun d'eux a écrit au premier ministre Martin en 2005 pour suggérer que la réduction de la pauvreté soit la priorité de l'aide officielle au développement du Canada, l'AOD. Vous pouvez lire la lettre dans la trousse d'information que j'ai remise aux membres du comité.
J'ai aussi mis en référence, en ma qualité de père de ce projet de loi, le rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international intitulé Surmonter 40 ans d'échec : Nouvelle feuille de route pour l'Afrique subsaharienne, dont l'un des aspects importants est la réduction de la pauvreté. Je souligne également qu'en 2005, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a signalé que la réduction de la pauvreté devrait être notre priorité en matière d'aide officielle au développement. La Chambre a adopté le rapport à l'unanimité.
Il faut aussi souligner que le projet de loi n'a pas la même forme que le projet originel. Le projet de loi originel envisageait un comité consultatif ainsi qu'un processus pétitionnaire. Le Président de la Chambre des communes a décrété que ces articles du projet de loi nécessitaient une recommandation royale. Le gouvernement ne voulait pas déroger à la recommandation royale et, par conséquent, lorsqu'il a été présenté au comité, le projet de loi a dû être modifié. Cela signifie donc que la mention « peut consulter » dans l'article 4 originel a été changée pour « consulte ». De fait, nous avons dû changer le projet de loi de façon à ce que le ministre ou les ministres ou le gouvernement aient une obligation.
Le changement était essentiel au projet de loi; autrement il aurait été dépourvu de sanctions. Si le projet de loi disait simplement que le ministre, les ministres ou le gouvernement « peuvent consulter » diverses personnes au sujet des questions liées à la réduction de la pauvreté et aux droits de la personne et à d'autres questions, le projet de loi serait absolument vide de sens.
Le projet de loi établit trois critères. Notre AOD doit contribuer à la réduction de la pauvreté, tenir compte de la perspective des pauvres et être conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne. Pour satisfaire aux exigences du projet de loi, le ministre doit consulter les gouvernements, les agences internationales et les organismes de la société civile canadienne.
Laissez-moi traiter certaines des objections soulevées lors de vos délibérations et celles d'autres instances. La première objection veut que le projet de loi paralyse le gouvernement. Il va sans dire que le pouvoir discrétionnaire du gouvernement sera restreint. Il s'agit d'un projet de loi portant sur la responsabilité et la transparence. Le ministre doit démontrer un lien rationnel avec la réduction de la pauvreté, de la consultation au déploiement du financement. Il doit démontrer ce lien au Parlement.
Certaines choses ont été dites au sujet de la micro-consultation. Vous devez savoir qu'un avis juridique veut que les tribunaux ne viennent pas interférer dans le pouvoir discrétionnaire d'un ministre dans la mesure où il est exercé d'une façon conforme à d'autres principes. Je ne crois pas que la préoccupation relative à la micro-consultation constitue une critique justifiable.
Nous avons entendu dire qu'il fallait ajouter des critères supplémentaires, comme l'autosuffisance économique, ou des appréhensions quant à la corruption. C'est un énoncé d'intention simple, clair et précis; cela apporte des éclaircissements là où il n'y a actuellement aucune clarté. J'enjoins les honorables sénateurs à résister à l'envie de larder le projet de loi avec les objectifs préférés de chacun, quelle qu'en soit la valeur.
Le projet de loi a été présenté il y a 13 mois de cela, et tout au long du processus, le gouvernement, par l'entremise de ses fonctionnaires ou de divers autres représentants, a déclaré vouloir intégrer une forme de consultation, un projet de loi plus vaste englobant la situation d'ensemble, ce genre de chose. Nous appuierions cela. À mon avis, il devrait comporter un mandat, des définitions ainsi qu'un statut ministériel supérieur pour le ministre de l'ACDI. À mon avis, il devrait y avoir une conversion du statut, passant d'agence à ministère. Cependant, le projet de loi n'est pas propice à la réalisation de cette aspiration particulière. Je crois que les partisans du projet de loi C-293 seraient favorables à cette initiative du gouvernement, mais jusqu'à maintenant, ce dernier a apparemment d'autres priorités.
La prochaine objection voulait que le projet de loi mène à une aide perpétuelle en deçà des normes canadiennes, qu'il manque de clarté et qu'il perpétue une bureaucratie hiérarchisée. La présence du sénateur Smith est utile. Le sénateur Smith sait bien que « les pauvres seront toujours parmi nous » et j'ose avancer que de mon vivant à tout le moins, il y aura toujours un besoin d'aide.
Le sénateur Smith : Il vaut mieux donner que recevoir.
M. McKay : Je ne m'attends pas à ce que le besoin d'aide disparaisse de mon vivant. Je vois mal comment l'aide pourrait être en deçà des normes canadiennes vu que le Canada n'a pas de normes pour le moment. Nous distribuons l'aide à la discrétion unilatérale du ministre.
Selon moi, ce projet de loi offre de la clarté plutôt que de l'opacité. L'un des éléments moteurs de ce projet de loi est que nous semblons passer à la « saveur du mois », quelle que soit la question de l'heure. J'ai lu votre rapport. C'est un bon rapport, mais le ratio de l'ACDI, soit 80 personnes ici pour 20 personnes sur le terrain, est troublant. Cela ne semble pas avoir de sens, mais le projet de loi mettra non seulement l'ACDI sur la sellette, mais aussi le gouvernement.
En Grande-Bretagne, à titre d'exemple, il ne faut que sept mois, de la fin d'une année financière à une autre, pour produire l'information dont ce projet de loi aurait besoin. Le projet de loi établirait une norme de six mois. Actuellement, il faut tout juste un peu moins de deux ans pour obtenir l'information de l'ACDI. Certains, et je suis du nombre, conviennent que ce délai est trop long et que l'information obtenue deux ans après le fait est pratiquement inutile.
Le projet de loi vise la responsabilité et la transparence, ce qui semble être l'un des sujets préférés du gouvernement. Le ministre devra démontrer un lien rationnel entre ce qui est fait et la réduction de la pauvreté. Si le projet de loi limite la discrétion, qu'il en soit ainsi.
La série finale d'objections veut que le gouvernement soit à la merci de groupes d'élites, qu'il soit un générateur de poursuites en justice, de remise en cause de l'autorité ministérielle, de l'assiette au beurre, de favoritisme, de la consultation avec les gouvernements étrangers et qu'il mette les ONG en péril. Je cite ici les objections soulevées lors des délibérations du Sénat et ailleurs.
Il faudra démontrer que l'on a tenu compte des perspectives des pauvres qui satisfont aux normes internationales en matière de droits de la personne en consultation avec les ONG et les gouvernements. Or, je veux que vous posiez les mêmes questions aux gens de Vision mondiale, Inter Pares et divers autres témoins qui se présenteront devant le comité. Demandez-leur s'ils pensent que les actions en justice se répandront comme une traînée de poudre par suite du projet de loi C-293. Demandez-leur s'ils pensent qu'ils courent davantage de risques en vertu du projet de loi. Demandez aux gens de l'ACDI si les consultations avantageront l'assiette au beurre, le favoritisme et d'autres motifs soulevés lors des délibérations. Je suggère que vous posiez ces questions précises aux collectivités des ONG et à l'ACDI lorsqu'elles se présenteront devant le comité relativement au projet de loi.
J'espère que les honorables sénateurs verront le projet de loi C-293 du même œil que moi — un projet de loi qui met l'accent sur l'aide officielle au développement que la Canada apporte à l'étranger. J'espère qu'il apportera une clarté morale à ce que le gouvernement espère réaliser au sein de la collectivité internationale. Merci de votre attention. Je sais que le sénateur Dallaire souhaite formuler quelques remarques, après quoi il nous fera plaisir de répondre aux questions.
[Français]
L'honorable Roméo Dallaire, parrain du projet de loi : Monsieur le président, je suis heureux d'ouvrir la discussion concernant notre étude du projet de loi C-293.
[Traduction]
Je ne suis pas ici en qualité d'expert en développement international, même si je l'ai observé sur place dans des pays comme le Cambodge, en Afrique équatoriale, en Afrique de l'Ouest et même en Amérique du Sud, au Brésil. Même si le Brésil nous fait concurrence dans l'industrie aérospatiale, nous lui offrons de l'AOD. J'ai vu le développement international en temps de paix et en temps de guerre, pendant que nous tentions d'évoluer dans cette nouvelle ère de résolution de conflits. J'ai pu l'observer comme praticien au cours des dernières années et comme conseiller auprès du ministre concernant l'ACDI depuis près de cinq ans et j'ai surtout concentré mes démarches sur la protection de l'enfance. Côté recherche, j'ai travaillé sur les 3D — soit le développement, la défense et la diplomatie — dans le règlement de conflits.
Le développement n'est plus une affaire de soutien brut, de dons ou de tentatives d'établir dans les pays en voie de développement les critères que nous voudrions établir pour leur développement. Aujourd'hui, c'est une démarche à multiples facettes qui est intégrée à d'autres disciplines et a sa place partout, y compris aux niveaux du développement de la sécurité, de l'édification d'un pays et du renforcement des capacités, aspects qui ne sont pas nécessairement liés à l'économie.
[Français]
Je tiens à vous remercier de l'invitation à témoigner devant vous. Mon objectif aujourd'hui est de compléter l'information donnée par notre collège de l'autre endroit et parrain du projet de loi aux Communes et de répondre à certaines des questions soulevées par rapport à ce projet de loi sur l'aide officielle au développement.
Je vous épargnerai le discours que j'ai prononcé au Sénat lors de la deuxième lecture et mettrai plutôt l'accent sur quatre points importants : ce dont il est question dans ce projet de loi, ce qu'on entend par la définition de réduction de la pauvreté; la différence entre l'aide officielle au développement et l'aide internationale et la réponse à des amendements qui ont été proposés.
[Traduction]
Sur quoi porte le projet de loi? Le but du projet de loi est de garantir une meilleure transparence ainsi qu'un mandat plus clair concernant ce qui doit être considéré comme de l'aide officielle au développement, ou AOD. Comme votre comité le conclut dans son rapport sur l'Afrique, la façon dont l'aide étrangère du Canada a été attribuée au cours des 40 dernières années n'a pas produit les résultats escomptés, soit de réduire considérablement la pauvreté sur notre planète. L'une des raisons de ce piètre résultat est que le niveau d'aide étrangère acheminée aux pays en voie de développement n'a peut-être pas ciblé les besoins ou les intérêts des pauvres. C'est l'essence même de la discussion. Il ne faut pas oublier que la majeure partie de l'argent de l'AOD accordé par le Canada aux pays en voie de développement a toujours été en deçà de 0,4 p. 100 de notre revenu national brut. Comment peut-on faire une différence quand on donne si peu à plusieurs pays en voie de développement? Au Canada, l'aide officielle au développement est un effort résiduel et non un effort principal de notre pays relativement à son rôle au sein de la collectivité internationale. Nous offrons de l'aide après avoir réglé les grandes priorités. Quand il reste des fonds, nous tentons d'offrir de l'AOD. Nous sommes loin de l'objectif de 0,7 p. 100 et rien ne laisse croire qu'il sera bientôt atteint. Le volume des capacités qu'offrent les finances et les ressources fournies n'est pas nécessairement à la hauteur des besoins et cela crée des problèmes d'établissement des priorités pour le personnel, le ministre et le pays.
Après le 11 septembre, l'AOD du Canada a été de plus en plus canalisée vers des objectifs à la mode ou vers les intérêts de la sécurité nationale, ce qui, dans un cas comme dans l'autre, ne comble guère les besoins des pauvres. Nous avons enlevé l'argent du développement international à l'appui du Darfour pour l'accorder à l'Afghanistan. Les fonds servent au renforcement des capacités et à la sécurité dans certains cas, ou tout simplement à de la protection. Entre 2001 et 2004, environ 28 p. 100 des augmentations de l'aide canadienne ont été accordés à l'Afghanistan et à l'Irak. Comment l'aide canadienne peut-elle profiter aux populations les plus pauvres quand la majeure partie de notre argent est envoyé aux missions de stabilisation de la sécurité et à la reconstruction plutôt qu'à des projets d'amélioration des conditions économiques des pauvres? L'amélioration des conditions économiques des pauvres ne signifie pas des « dons » à proprement parler.
Le projet de loi C-293 vise à améliorer la façon dont notre AOD fonctionne en garantissant qu'elle est exclusivement canalisée vers la réduction de la pauvreté afin d'avoir des résultats plus concrets sur le terrain. Nous établissons les priorités, la responsabilité et la transparence. Le fondement de cela est que si le Canada réoriente son AOD aux seules fins de la réduction de la pauvreté, alors il aura davantage de chance de s'acquitter de son devoir mondial qui consiste à éradiquer la pauvreté extrême et, d'ici 2015, à réduire de moitié la proportion de gens vivant dans une pauvreté extrême. Ce devoir correspond au premier des Objectifs du millénaire pour le développement, les OMD que le Canada a entièrement adoptés en 2000 lors du sommet du millénaire de l'ONU. Nous devons respecter ces objectifs.
Je crois fermement que l'aide peut fonctionner si elle est canalisée convenablement, qu'elle est ciblée et surveillée grâce à un mandat prescrit par la loi. Les structures des instruments offrant l'AOD, principalement l'ACDI, ont fait l'objet d'une analyse dans votre rapport. Je suis parfaitement d'accord qu'il faut réorganiser l'agence afin d'atteindre un but aussi précis et ciblé que la réduction de la pauvreté.
Qu'entend-on exactement par réduction de la pauvreté? Le deuxième commentaire que j'ai à formuler porte sur la définition. Selon le Comité d'aide au développement de l'OCDE, le CAD et le PNUD, la réduction de la pauvreté se définit comme englobant des mesures visant à renforcer la « croissance favorable aux pauvres dans des domaines comme l'agriculture, l'infrastructure et le développement du secteur privé » et à « renforcer l'accès aux biens productifs et aux opportunités économiques ». La croissance favorable aux pauvres améliorera la capacité des plus pauvres à participer à la croissance et à en bénéficier. Il ne s'agit pas d'un don, mais d'un renforcement des capacités.
En réponse aux préoccupations du sénateur Segal, l'autosuffisance ainsi que les moyens d'existence durables sont des composantes inhérentes à la définition de « réduction de la pauvreté ». Nous ne l'avons pas inventée. Elle existe, nous l'avons adoptée et nous l'avons signée. C'est ce qu'on entend par réduction de la pauvreté.
Ajouter le terme « autosuffisance » au projet de loi actuel ne contribuera pas nécessairement à réduire la pauvreté parce qu'il n'est pas toujours adapté aux mesures favorables aux pauvres. Voilà pourquoi je suis réticent à l'ajouter à l'article 2 du projet de loi.
C'est un sujet qui a aussi été traité au Royaume-Uni lorsque son projet de loi sur l'aide au développement international était à l'étude à la Chambre des communes en 2001. Un membre de la Chambre des communes du Royaume-Uni a proposé de modifier la loi pour y inclure « investissement direct à l'étranger » à côté du terme « réduction de la pauvreté ». La proposition a été rejetée parce que la réduction de la pauvreté comprend déjà la promotion de ce concept ainsi que les possibilités économiques et les investissements privés. Le secrétaire d'État a affirmé que définir de façon restrictive la réduction de la pauvreté risquerait d'exclure des points importants et que la prestation de l'aide au développement concernant les points exclus pourrait être contestée devant les tribunaux. Nous attirerions les problèmes plutôt que d'avoir davantage de latitude. Voilà pourquoi la définition est restée ouverte à l'interprétation des responsables de la mise en œuvre. Je crois que nous devrions tenir compte de cette expérience lors de l'élaboration de notre loi sur la réduction de la pauvreté, et ça vaudrait la peine d'y consacrer un second examen modéré et réfléchi.
Je crois que cela incombe au ministre compétent qui distribuera l'argent de veiller à ce que les fonds soient attribués de façon à vraiment servir les intérêts des pauvres. Ça n'est pas à nous, les sénateurs, de déterminer ce que devraient comprendre les initiatives de réduction de la pauvreté. En outre, considérant que les pays en voie de développement sont encouragés à élaborer leurs propres stratégies de réduction de la pauvreté, il serait inapproprié que nous définissions à leur place ce que devrait être la réduction de la pauvreté. Dans un contexte postcolonial, allons-nous leur dire quoi faire, comment faire et comment atteindre nos normes, ou allons-nous les aider, les soutenir et leur prêter main-forte pour atteindre des normes qui répondent à leurs besoins en matière de réduction de la pauvreté?
Un mandat prescrit par la loi concernant l'AOD ne met pas un terme ou une limite aux dépenses gouvernementales pour des projets de paix et de sécurité comme la force opérationnelle de stabilisation et de reconstruction en Afghanistan, ou même les activités de protection de l'homme au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Au contraire, il exige de nous que nous accordions précisément les ressources à ces tâches et que nous ne mettions pas en péril les fonds déjà acheminés au développement, particulièrement à l'AOD et à la réduction de la pauvreté. De fait, l'AOD n'est qu'une partie de l'enveloppe canadienne d'aide internationale qui finance l'aide officielle au développement du Canada et d'autres aides officielles, AO, des initiatives. Ainsi, en restreignant l'AOD à la réduction de la pauvreté, nous n'entendons pas mettre un terme au financement actuel des projets de paix et de sécurité. Bien au contraire, en légiférant, nous voulons clarifier le mandat des deux enveloppes. Ceci garantira une plus grande efficacité, davantage de résultats concrets sur le terrain et une plus grande responsabilité à l'égard des différents ministères participant au développement international.
[Français]
Dans d'autres pays développés, notamment aux États-Unis, en Australie et, aux Pays-Bas, le fait de ne pas avoir une législation claire concernant l'aide publique au développement avait eu pour conséquence de dévier cette aide petit à petit vers le financement de projet de sécurité nationale plutôt que de projets destinés à renforcer le pouvoir économique des plus pauvres.
Il ne nous faut donc pas nous demander pourquoi les résultats sont décevants en matière de lutte contre la pauvreté, quand essentiellement, beaucoup de cet argent n'est pas axé vers cet objectif.
En comparaison, dans des pays qui ont adopté une législation sur l'aide au développement officielle, notamment la Grande-Bretagne, l'Espagne, la Suède, le Danemark et la Belgique, l'aide au développement officielle semble davantage destinée à la réduction de la pauvreté. Leur législation a prévu qu'on utilise l'aide publique au développement pour financer des projets liés à la sécurité ou à la lutte contre le terrorisme. Cela nous laisse donc supposer qu'une telle législation permet de remplir beaucoup plus efficacement notre devoir vis-à-vis l'objectif du millénaire de réduire la pauvreté de moitié d'ici 2015.
Aussi, cela apporte beaucoup de clarté, de transparence et d'objectivité en ce qui a trait à nos désirs d'aider ces pays à se constituer de façon sécuritaire et de pouvoir faire avancer des dossiers de droits humains, de bonnes gouvernances et d'État de droit.
J'ai quelques réponses aux commentaires énoncés sur le projet de loi, pour revenir sur certains des commentaires que l'on a soulevés au Sénat concernant ce projet de loi C-293.
Je dois dire que je regrette l'absence du sénateur Segal aujourd'hui.
[Traduction]
Le sénateur Segal a dit que durant les séances des comités sur l'Afrique, un témoin a déclaré que ce qu'ils voulaient ce n'était « pas de l'aide, mais du commerce ». Comme je l'ai mentionné plus tôt, la réduction de la pauvreté comprend le concept du commerce, de la croissance favorable aux pauvres et des moyens d'existence durables. De fait, l'aide et la croissance favorable aux pauvres doivent aller de pair pour que la réduction de la pauvreté soit viable et mène à l'autosuffisance.
Le sénateur Di Nino, notre président pour aujourd'hui, a formulé un commentaire à l'effet que « l'aide crée des lacunes et asservit ». Comme c'est vrai! Je répondrai que l'aide crée une dépendance lorsqu'elle est canalisée de façon non viable. Il incombe à l'ACDI, notre agent principal lorsqu'il est question de la prestation, de la supervision et de la responsabilisation à l'égard de l'AOD, d'évaluer si les projets à financer contribueront à accroître le pouvoir économique des plus pauvres. Si l'ACDI ne fait pas son travail, ou qu'elle ne le fait pas bien ou efficacement, ce projet de loi nous permettra de le savoir lorsque le ministre fait rapport au Parlement. Nous pourrons tenir le ministre responsable de l'absence de résultats. Nous utilisons présentement le terme « responsable ». Nous aimerions voir l'ACDI adopter une structure plus efficace, ciblée et axée sur les résultats.
Un commentaire a également été formulé relativement au paragraphe 4.2 du projet de loi, lequel stipule ce qui suit :
Afin de former son avis en application du paragraphe (1), le ministre compétent consulte des gouvernements, des agences internationales et des organismes de la société civile canadienne.
Le sénateur Segal a dit que cela pourrait mettre le ministre à la merci des ONG ou de gouvernements corrompus, et mon collègue a traité de ce sujet. Je n'y vois pas d'obligation de la part du ministre de toujours consulter tous les gouvernements et toutes les ONG canadiennes. Cela dit « consulte », mais cela n'oblige pas le ministre à consulter tous les intervenants, et ce chaque fois. Ce serait à la discrétion du ministre, mais il aurait à prouver qu'il a bel et bien consulté, par souci de transparence et de responsabilité.
Je voudrais insister sur le fait que le projet de loi a fait l'objet d'une étude du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes, et que la plupart des préoccupations de nos collègues d'ailleurs ont été prises en compte lors des délibérations. C'est leur affaire, c'est leur problème, et c'est comme ça qu'ils font les choses. Tandis que nous, nous commençons le second examen. Dans ce sens, nous avons la latitude de regarder ce qui nous provient d'ailleurs et de l'évaluer. Ce qui se présente à nous est le résultat non seulement de l'exercice qui vient d'avoir lieu, mais aussi de l'exercice des dix dernières années où l'on a tenté d'une façon ou d'une autre de faire évoluer le projet de loi dans le système. Pendant ce temps, toutes les parties ont eu l'occasion, à un moment donné, d'appuyer, de commenter et, de fait, de souhaiter que l'AOD devienne plus ciblée, transparente et fasse l'objet d'une plus grande responsabilisation. Si l'AOD atteint ces objectifs, nous pourrions voir les résultats des ressources considérables qui y sont consacrées même si on est bien loin de ce qu'ils seraient si nous respections la référence du premier ministre Pearson à 0,7 p. 100 du PIB. Quoi qu'il en soit, l'investissement est important et les fonds doivent produire des résultats concrets. Le projet de loi prévoit cette priorité et cette cible, nommément la réduction de la pauvreté dans sa définition la plus pure, soit une capacité de permettre aux pauvres de bâtir leurs moyens de subsistance et de participer à l'évolution économique de leur pays.
Le sénateur Stollery : Je remarque que le projet de loi ne fait que dix paragraphes. J'ai quelques brèves questions parce que je veux que mes collègues aient la possibilité de poser des questions et que nous entendrons d'autres témoins.
À l'article 2, vous avez « réduction de la pauvreté », puis vous avez « compatible avec les valeurs canadiennes, la politique étrangère du Canada... »
Les premiers mots qui m'ont sauté aux yeux sont « valeurs canadiennes ». Les seules valeurs canadiennes que je connais qui ont une quelconque signification légale se trouvent dans la Charte canadienne des droits et libertés. Faites-vous référence à la Charte canadienne des droits et libertés?
M. McKay : Comme vous l'avez remarqué, le projet de loi originel ne renfermait pas cette locution. Il s'agit d'une motion présentée par le Bloc québécois, et je crois que cela répond assez bien à la question.
Le sénateur Stollery : Si le comité, qui fera son travail rigoureusement, produit un projet de loi qui sera récusé parce que certains des termes juridiques sont contestables devant les tribunaux parce qu'ils ne sont pas conformes, c'est un problème. C'est pourquoi ces questions doivent trouver réponse.
Je sais que l'élément moteur principal du projet de loi semble être le comité consultatif et sa composition. Je laisse aux autres le soin d'en discuter. Vous avez parlé de réduction de la pauvreté. Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a entendu près de 400 personnes en rédigeant son rapport intitulé Surmonter 40 ans d'échec : Nouvelle feuille de route pour l'Afrique subsaharienne. Nous avons entendu de nombreuses opinions divergentes. Manifestement, les 400 personnes n'ont pas toutes formulé les mêmes remarques. Le président du Mali, M. Amadou Toumani Touré, a parlé avec force et véhémence du problème des subventions qui détruisent son pays. Le projet de loi ne semble pas aborder la question. Alpha Oumar Konaré, l'ancien président de la Commission de l'Union africaine a dit au comité qu'à Addis Abeba, l'aide étrangère est un échec. Il s'est quelque peu contredit, comme le font souvent les gens lorsque les esprits sont échauffés. Je ne le critique pas, mais il était contre l'aide étrangère, et il avait des opinions marquées sur le sujet.
Quand vous parlez de réduction de la pauvreté, et sénateur Dallaire vous avez tenté dans une certaine mesure de la définir... Personnellement, je ne fais pas de différence entre les Africains et les Canadiens. Je n'utiliserais pas de termes pour parler des Africains que je n'emploierais pas pour parler de mes voisins sur Rusholme Road.
À l'époque où je suis né, à Toronto, une personne sur six en Ontario recevait de l'aide. On ne parlait pas de réduction de la pauvreté. On faisait des marches pour l'emploi et le chômage. Est-ce que c'est ce que ça veut dire? Quand vous dites « pour moi », est-ce que ça veut dire des emplois comme ça voudrait le dire au Canada? Est-ce que le renforcement des capacités est synonyme d'emplois?
J'étais seulement un gamin pendant la dépression. Je suis né en pleine dépression, mais je me rappelle que tout le monde en parlait pendant la guerre. Les gens n'avaient rien pendant la dépression. On ne parlait pas de renforcement des capacités ou de réduction de la pauvreté; on parlait d'emplois et du fait qu'il n'existait aucun filet de sécurité. Il n'y avait rien. Ma famille et les gens qui avaient quelque chose pendant les années 1920 ont passé leur vie à s'occuper des pauvres.
Ça fait 50 ans que je visite l'Afrique, et chaque fois que je m'y rends, je vois le même genre de pauvreté que celui dont je me souviens quand je vivais à Toronto.
Pourquoi utilisons-nous ce vocabulaire différent? Pourquoi ne pas utiliser le même vocabulaire que celui que nous utiliserions pour nous-mêmes?
M. McKay : En ce qui concerne les contestations judiciaires pouvant découler de la section « Objet », en règle générale, elles engendreraient peu de procès, même si on peut y faire référence lors d'un procès. Bien franchement, lorsque nous avons dû remplacer le projet de loi, nous l'avons fait dans la réalité politique que nous connaissions. Il n'est pas aussi précis que je le souhaiterais, mais je compose avec cette réalité.
Ensuite, le projet de loi porte sur la qualité de l'aide plutôt que sur la quantité. Nous tentons d'en arriver à faire preuve de responsabilité et de transparence en ce qui a trait à ce que nous faisons dans le domaine de l'aide. Cela ne signifie nullement que nous allons couvrir tout l'univers de l'aide.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais parler de la qualité de l'aide. L'un des principaux objectifs du projet de loi est de veiller à ce que la partie des fonds du développement international consacrée à l'AOD soit destinée à un objectif économique. Depuis la fin de la guerre froide, nous avons vu nombre de pays en voie de développement imploser par suite du partage des pouvoirs en raison de leur état de pauvreté. Nous tentons de nous assurer que les fonds sont dirigés vers un objectif économique, pas dans le sens d'un don, mais plutôt dans le sens du renforcement des capacités. Les fonds ne devraient pas être consacrés à d'autres aspects comme la sécurité et l'infrastructure. Les fonds ne devraient pas aller à la reconstruction périphérique d'une nation ou aux capacités principales, qu'il s'agisse de micro-capacités ou de bases industrielles.
Nous tentons de veiller à clarifier le domaine et de faire en sorte que les gens ne pigent pas dans les 2,9 milliards de dollars d'aide de l'ACDI pour les consacrer à d'autres sources. Je suis un peu tiraillé parce que nous n'aurions pas les hélicoptères et les transports de troupes blindés au Darfour si nous n'avions pas demandé de fonds à l'ACDI. Ce n'était pas parce que l'ACDI avait l'argent, mais parce que nous n'avons pas pu trouver de liquidités ailleurs. Il n'y avait pas de processus d'attribution de contrat pour le faire, que ce soit du MDN, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ou d'une autre entité. La solution la plus simple était d'utiliser l'argent de l'ACDI et de démêler le tout plus tard parce que l'ACDI a la capacité d'attribuer des contrats. C'est là qu'est l'échec. C'est ce qui nous a embourbés sur cette voie. C'est le danger qui nous guette si nous n'avons pas de priorités.
Pour ce qui est de la terminologie, le sénateur Stollery a raison. Les Africains sont aussi humains que les Canadiens et nous ne devrions pas adopter une position condescendante à leur égard. Cependant, nous utilisons encore le terme « seuil de pauvreté » dans notre pays. Nous parlons de « personnes vivant sous le seuil de pauvreté ». Nous devrions accroître la capacité des personnes afin qu'elles s'élèvent au-dessus du seuil de pauvreté. Lorsque nous vivions l'échec catastrophique de la dépression, le pays tout entier était pauvre. Bon nombre de ces pays se trouvent en deçà des niveaux que nous avons connus lors de la dépression. Nous utilisons ce terme. Je prétends que le terme « pauvreté » n'est pas péjoratif dans ce contexte. C'est un mot qui nous aide à nous concentrer sur le problème.
Enfin, nous sommes allés en Afrique par le passé pour apporter de l'aide et nous n'avons pas été très stratégiques en matière de pauvreté. Peut-être avons-nous contribué à créer cette pauvreté.
L'exemple que j'ai utilisé et expliqué est que, pendant des décennies, nous avons déplacé beaucoup de ressources en santé dans ces pays en voie de développement, au point de réduire considérablement les taux de mortalité infantile et d'augmenter la capacité de survie de ces enfants au-delà des cinq premières années. Nous avons vu l'âge moyen augmenter. Le problème, c'est que nous avons créé une croissance démographique au-delà de tout ce qui avait existé auparavant. En outre, nous n'avons pas fait suivre ce mouvement d'une capacité d'absorption de tous ces nouveaux individus dans une nouvelle structure économique nous permettant de prendre en charge toutes ces nouvelles personnes à l'intérieur du pays. Nous leur avons simplement donné de l'aide humanitaire; on leur a envoyé de l'argent. Nous avons donné lieu à davantage de pauvreté autogène et produit de nombreuses recrues pour des organisations subversives et des rébellions qui ont créé tant de problèmes.
[Français]
Le sénateur Dawson : Cela ne devrait plus être le projet de loi de M. Mckay ou du sénateur Dallaire, mais le projet de loi de la Chambre des communes. On est dans une situation de gouvernement minoritaire.
La majorité à la Chambre des communes a adopté un projet de loi qu'on devrait essayer de dépersonnaliser. Ce projet de loi est issu de la Chambre des communes. Donc, pour cette raison, il mérite toute l'attention qu'on va lui donner. Je vous expose notre dilemme.
[Traduction]
C'est la voix du peuple; ils ont voté pour cela et nous devrions nous pencher sur la question en Chambre de second examen modéré et réfléchi.
Le sénateur Merchant et moi avons participé la semaine dernière à un comité où les gens nous disaient que nous ne pourrions pas modifier le projet de loi, autrement, il mourrait. C'est ce que nous faisons : nous étudions les projets de loi et nous tentons de corriger les défauts qui s'y trouvent.
J'appuie le projet de loi et j'attendrai de voir les modifications que le sénateur Segal présentera. La réalité, c'est qu'il nous est difficile de dire que nous allons appuyer aveuglément un projet de loi sans modifications parce que nous sommes en juin et que nous craignons une prorogation. Ça ne m'a pas dérangé la semaine dernière pour un projet de loi du gouvernement. J'ai l'impression que certains des témoins venus devant le comité ont justifié des griefs et le sénateur Stollery a fait quelques remarques sur le contexte légal du libellé de certains passages du projet de loi avec lequel vous n'êtes pas d'accord, monsieur McKay.
Puisque vous convenez que le projet de loi a des défauts, peut-être devrions-nous convenir de l'améliorer. Je comprends que ça pose problème de le renvoyer à la Chambre. C'est un argument qui a été avancé aujourd'hui relativement au projet de loi C-288, et qui reviendra demain et toute la semaine prochaine.
Nous tentons de faire notre devoir, alors nous allons vous demander conseil et, certainement, nous entendrons des témoins.
[Français]
Des témoins comparaîtront dans les prochains jours et nous feront des recommandations pour apporter des amélioration au projet de loi. Il faut qu'on soit capable de voir ce qui est acceptable, d'autant plus qu'il y a quelques mois, ce comité a déposé un rapport sur l'Afrique qui va au-delà de votre projet de loi. Toutefois, certains aspects de notre rapport peuvent être mis en contradiction en ce qui concerne l'aide par rapport au développement économique. On avait mis un accent beaucoup plus fort sur le développement économique comme solution plutôt que l'aide au développement.
Deuxièmement, le sénateur Segal a peut-être perdu son poste de président du comité parce qu'il croyait, comme nous, que l'ACDI méritait d'être analysée sévèrement pour la façon dont elle a accompli son travail dans les 40 dernières années. Vous nous dites qu'on doit lui faire confiance encore une fois.
Je ne juge pas les gens du ministère mais plutôt la structure administrative, qui est sans responsabilité. On a eu six ministres de l'ACDI en huit ans. Cela devient difficile pour notre comité.
[Traduction]
Monsieur McKay, vous avez rénové le projet de loi lorsqu'il s'est trouvé devant votre comité. Ce qui suit est un long énoncé plus qu'une question : j'aimerais des indications de votre part. Jusqu'où allons-nous pour améliorer le projet de loi à la Chambre de second examen modéré et réfléchi, et l'adopter juste pour le faire passer le plus vite possible? Il est clair que vous et le sénateur Dallaire reconnaissez que le projet de loi a des défauts. Jusqu'où faut-il aller?
[Français]
Le sénateur Dallaire : Je considère que ce projet de loi est le premier pas vers la réforme du développement international de notre pays. Il s'agit d'une série de projets de loi qui vont amener l'ACDI à ne plus être une agence qui tripote sur la marge, mais une agence avec un ministre qui a le plein pouvoir, de l'ampleur et de la capacité.
Votre rapport n'est pas isolé. Beaucoup d'autres voient un besoin d'aligner à nouveau non seulement sa méthodologie de travail, mais sa structure et le produit. L'ACDI est devenue une entité quasiment imperméable. Une des raisons est que nous avons eu plusieurs ministres. Un ministre qui débarque dans cette structure close influence difficilement sans avoir un outil beaucoup plus puissant qu'une politique initiée pendant un an; il est remplacé par un autre qui sera remplacé à son tour quelque temps plus tard et il décide de faire autre chose. Afin de donner un marteau à un ministre au début du processus de la réforme de développement international, on lui dit, c'est cela ton travail. Celui qui est à la défense, on lui dit quel sera son travail. J'espère qu'on pourra dire un jour au nouveau ministre à l'ACDI : voilà ton travail. C'est le premier pas. Cela permettra de dire aux fonctionnaires, en particulier, que ce ne sont pas eux qui mènent, mais le gouvernement et son ministre et voici le travail qu'ils doivent accomplir et non pas ce qu'ils pensent devoir faire.
[Traduction]
M. McKay : C'est juste. Le projet de loi a un certain aspect « tout ou rien ». Si vous voulez intégrer à ce projet de loi tout ce qui devrait être fait à l'ACDI, alors le projet de loi mourra parce qu'il ne peut tout supporter. Si vous voulez y intégrer tout ce qui figure dans votre rapport sur l'Afrique subsaharienne, le projet de loi mourra parce qu'il ne peut tout supporter. Je crois que le projet de loi est conforme à ce que vous avez écrit dans votre rapport. Je sais qu'il y a eu certaines discussions concernant le développement économique par rapport à la réduction de la pauvreté. J'étais au Kenya en janvier. Le micro-crédit est-il considéré comme une mesure de réduction de la pauvreté ou de développement économique? Je crois que le projet de loi soutient fortement le micro-crédit.
Pour ce qui est de la prorogation, si prorogation il y a, le projet de loi conservera son statut devant le Sénat. Pour ce qui est des modifications, si le projet de loi est renvoyé ailleurs, alors ce sera à la discrétion du gouvernement de renvoyer le projet de loi. Compte tenu de l'attitude du gouvernement à l'égard du projet de loi, vous aurez tué le projet de loi. Ce serait le résultat des changements.
Le président : Inscrivez cela au dossier. Je crois comprendre que s'il y a prorogation, le projet de loi d'un député retourne au stade où il était, mais nous pouvons obtenir des éclaircissements pour vous, sénateur Dawson. Je ne suis pas sûr que le projet de loi mourra s'il y a une modification.
Le sénateur Andreychuk : J'ai fait partie du Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, comme d'autres sénateurs ici présents. Nous songeons à un processus semblable, vu que la Chambre doit ressusciter des projets de loi au stade où on les laisse mourir au Feuilleton. Or, je suis ici depuis assez longtemps pour ne pas m'inquiéter d'une prorogation. Ce qui m'inquiète, c'est de faire mon travail correctement. Nous entendons souvent dire que des élections sont imminentes ou qu'une prorogation est imminente. Je crois que nous devrions faire notre travail, entendre les témoins et prendre nos décisions.
Ça fait assez longtemps que je milite pour que l'ACDI ait un cadre juridique afin qu'il puisse suivre un processus sans être la cible d'attaques non justifiées contre les gens très professionnels des ONG et des gouvernements. Nous avons politisé le processus en le laissant tel quel, parce que tout le monde croit savoir ce que l'ACDI devrait faire. Il vaudrait mieux disposer d'un cadre juridique où chacun aurait son mot à dire. Le gouvernement en choisirait l'orientation, après consultation, ensuite la bureaucratie en assurerait la prestation et serait responsable de faire rapport afin que l'on détermine si la prestation a eu lieu et, si elle n'a pas eu lieu, pourquoi, comment elle a assuré la prestation, et cetera. C'est un processus plus transparent et démocratique.
Là où je vois une difficulté, c'est que je ne suis pas certaine que le projet de loi offre un cadre juridique. On semble dire : « Pour le moment, la sagesse collective consacrée à ce projet de loi croit qu'il s'agit de réduction de la pauvreté ». Il y a dix ans de cela, la sagesse collective penchait du côté de l'égalité des sexes, de l'enseignement primaire, et cetera. Ce qui me préoccupe, ça n'est pas la réduction de la pauvreté. Je crois que c'est le sujet de l'heure. Je ne suis pas certaine que le fait de l'enchâsser comme objectif du projet de loi soit utile. J'espère que nous pouvons faire quelque chose pour mettre le projet de loi dans une bonne perspective.
Je veux aborder la question des valeurs canadiennes. Dans la section « Définitions », il est dit « ... « valeurs canadiennes » [sont les] valeurs, entre autres... », alors cela signifie qu'il doit y avoir une foule d'autres valeurs canadiennes dont il faudra tenir compte, « ... valeurs [...] de citoyenneté mondiale, d'équité et de respect de la viabilité de l'environnement ». La viabilité de l'environnement est bien connue. Je peux comprendre cela. Équité. Par rapport à quoi? Où? Comment? Avec qui? Valeurs canadiennes de citoyenneté mondiale? Qu'est-ce que ça veut dire? S'agit-il de fédéralisme mondial? S'agit-il d'une participation aux Nations Unies? S'agit-il du concept que quelqu'un se fait de ce que c'est que d'être un bon citoyen? J'ai un problème définitionnel qui doit être réglé.
J'ai aussi un problème en ce qui concerne les consultations. Je m'interroge sur l'énoncé fortement paternaliste qu'on trouve au paragraphe 4(2) « consulte des gouvernements, des agences internationales et des organismes de la société civile canadienne. » À l'alinéa 4(1)b), on ne tient compte que de la perspective des pauvres. L'un des facteurs qui a retardé notre progression pour en arriver là, ce sont les enfants. Nous faisons toujours les choses pour le bénéfice des enfants, mais nous les écoutons rarement et nous ne les intégrons à peu près jamais à l'élaboration des politiques qui les concernent. La même chose se vérifie pour les personnes que nous tentons d'aider dans les pays en voie de développement. Nous agissons pour eux, nous parlons d'eux, mais nous allons rarement leur parler à eux. Nous consultons tout le monde sauf ceux qui sont sur le terrain, et j'estime qu'ils devraient avoir le droit d'avoir leur mot à dire lorsqu'il s'agit de déterminer leur avenir. L'article 4 me pose de sérieux problèmes. Il dévie vers ce que j'appelle une industrie de service à la clientèle plutôt que de servir les vraies personnes sur le terrain.
Enfin, je crois que nous devrions suivre la voie tracée, soit le processus du NEPAD, le processus de développement du millénium, et d'après les démarches canadiennes en vigueur, cela mène à la réduction de la pauvreté. J'avais une meilleure opinion de la réduction de la pauvreté avant que j'obtienne des réponses de vous deux. Je me fais un peu l'avocat du diable. Vous avez simplement dit que n'importe quoi pouvait être pris pour une mesure de réduction de la pauvreté. Cela signifie que je pourrais choisir n'importe quel programme, actuel ou non, et y accoler l'étiquette de réduction de la pauvreté et je tire mon épingle du jeu. Comment parvenir à la réduction de la pauvreté et la restreindre compte tenu de ce que vous avez dit? Nous sommes dans un débat stérile à déterminer s'il s'agit de développement économique, d'aide médicale ou d'éducation. En fait, nous voulons faire monter le niveau de vie des gens pour qu'ils s'insèrent dans un système international. De la façon dont vous l'avez décrit, ce serait « les affaires sont les affaires ». De fait, on a peut-être carte blanche pour négliger la réduction de la pauvreté, d'après ce que j'en ai compris de la définition au sein de l'ONU. Vous prenez n'importe quel programme et vous dites qu'il correspond, et vous tirez votre épingle du jeu.
Un dernier commentaire pour vous sénateur Dallaire : je suis d'accord avec vous. Comme vous le savez, j'ai milité pour une définition de l'aide au développement, parce que l'ACDI a dû composer avec à peu près tous, de l'armée à l'établissement de la paix en passant par les catastrophes nationales, et tout cela a été fait sous le couvert de l'aide au développement. Je suis très en faveur d'une définition de l'aide au développement et je souligne cela parce que toutes ces autres activités ont fait augmenter les ressources de l'aide au développement.
Le sénateur Dallaire : Vous voulez des réponses brèves et sibyllines à des questions de cette nature.
Premièrement, en tentant de définir la pauvreté, j'ai voulu éviter de m'éparpiller et de la tronquer, pour plutôt la mettre en perspective.
Pour ce qui est de votre commentaire final, nous ne voulons pas faire tout cela; ce que nous voulons, c'est bâtir des pays et construire des entités structurelles qui amélioreront les capacités économiques des pauvres leur permettant de participer au développement économique de leur pays. Je pensais que ce que nous définissions nous donnait un meilleur point de mire que ce que je vois aujourd'hui. Nous apportons de l'AOD au Brésil. Ils nous font concurrence dans bien des domaines, et nous les aidons avec de l'AOD. Il y a là un illogisme qu'il faut corriger.
Dans notre réponse, je suis navré que nous ayons soulevé la question de la définition en tentant de démontrer qu'elle était beaucoup plus englobante.
Pour ce qui est de l'ACDI et de l'État qui doivent gérer l'AOD, il est vrai que cette gestion par objectif et cette philosophie de gestion répugnant au risque qui se remarque à tous les ministères à Ottawa, nous ne disposons tout simplement pas des outils voulus — et je l'ai constaté au sein de l'ACDI — pour composer avec le risque. Si vous aidez un pays à se constituer et que vous tentez de faire bouger d'importantes parties du pays pour atteindre un niveau minimal de décence et de survie humaines, et on ne parle même pas de prospérité, vous faites des erreurs. Pourtant, nous sommes toujours contents de prendre l'ACDI pour exemple à ne pas suivre lorsque nous prenons des ententes contractuelles, et cetera. En fait, lorsque j'étais sous-ministre adjoint, si quelqu'un venait me dire qu'un de mes contrats ressemblait à un contrat de l'ACDI, je prenais ça comme une gifle. C'est seulement parce que nous n'avons pas su gérer l'énorme latitude qu'il leur faut pour mener à bien des programmes aussi complexes et multidisciplinaires dans ces pays. Ce fait a cependant été exacerbé par un manque de leadership et de continuité chez les ministres ainsi que par l'absence de mandat. Finalement, c'est ce que nous faisons. Cette étape s'inscrit dans un processus que le comité a demandé afin de faire évoluer le développement international et plus précisément son instrument principal, nommément l'ACDI.
M. McKay : Je m'adresse au sénateur Andreychuk : il ne s'agit pas d'un cadre juridique pour l'ACDI, ça ne peut pas l'être. Cela déborde largement la portée du projet de loi. Ça porte sur la première question.
Je suis d'accord avec vos commentaires sur la prorogation. Il y aura une élection. Nous sommes ici depuis longtemps, et nous savons que cela revient tout le temps.
En ce qui a trait aux valeurs canadiennes, je connais votre passé juridique. J'ai donné une réponse sibylline au sénateur Stollery concernant la façon dont cela a abouti ici. Je ne veux pas commenter la chose davantage, mais cela ne nuit en rien à l'intention réelle ou à un aspect du projet de loi.
Sénateur Andreychuk, vous avez dit que les pauvres devraient avoir le droit de voir leur perspective prise en compte. C'est aller trop loin. C'est encore à la discrétion des citoyens canadiens représentés par leur ministre et leur gouvernement. Le sénateur Dallaire et vous-même avez fait référence à ce faux débat entre le développement économique et la réduction de la pauvreté. C'est un peu comme se demander combien d'anges peuvent tenir sur la tête d'une épingle, non? Ces deux notions ne sont pas contradictoires.
Le sénateur Smith : Quand il s'agit des points de vue des personnes où le projet est passé, comme il a été accepté, nous tiendrons pour acquis que cela représente leur opinion. Je suis curieux de savoir ce qu'en pense la bureaucratie, parce qu'on peut sentir son manque d'enthousiasme. Je suis totalement ouvert à ce sujet et favorable aux objectifs.
Y voit-elle un carcan? Y a-t-il d'autres sources de préoccupation? Comment évaluez-vous les préoccupations de la bureaucratie et comment y réagissez-vous? Je ne parle pas de l'autre endroit, mais bien des bureaucrates.
M. McKay : Il y a l'ACDI, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et le ministère des Finances. Le ministère des Finances distribue beaucoup d'aide par le biais de la Banque mondiale, du FMI et des institutions de ce genre. Quant à l'ACDI, quand elle s'est présentée devant le comité, je croyais qu'elle soutiendrait les principes du projet de loi et elle a fait des témoignages dont nous avons tenu compte dans nos modifications. C'est la seule fois où nous avons entendu l'ACDI.
Pour être franc, il semble y avoir une tension sous-jacente entre les Affaires étrangères et l'ACDI. Encore une fois, les objections du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont été prises en compte lors des modifications du projet de loi.
Le ministère des Finances était particulièrement préoccupé par la divulgation dans le respect des exigences des accords de Bretton Woods en matière de confidentialité. Il s'inquiétait de ce que le projet de loi nécessiterait une divulgation au-delà de ce qu'ils avaient entrepris. Apparemment, la Grande-Bretagne a réglé la question en indiquant qu'il n'y aurait en matière de divulgation aucune exigence supplémentaire à ce que les accords de Bretton Woods prévoient comme fonction de confidentialité. C'est un aspect que nous avons abordé et l'on s'attend à ce nous respections les clauses de confidentialité des accords de Bretton Woods.
Le sénateur Dallaire : Les tensions entre l'ACDI et les Affaires étrangères, de ce que j'en ai compris, ne sont pas nécessairement des frictions positives donnant lieu à une discipline des deux côtés. Je trouve cette atmosphère malsaine. Les deux se regardent en chien de faïence, l'un se positionne de façon à pouvoir influer au-delà de son champ d'activité et l'autre n'est pas assez solide pour défendre ce qu'il fera et ce, sans égard au ministère des Affaires étrangères. Cela deviendrait clair si vous pouviez voir l'ACDI devenir un ministère, ce qui, je l'espère, sera réalisé par d'autres projets de loi.
Il est intéressant de souligner que la branche politique de l'ACDI n'a aucun pouvoir. Les diverses branches fonctionnent toutes de façon indépendante avec le président. La branche politique n'a aucune incidence déterminante sur ce qu'elle devrait faire. Je viens d'un ministère où on ne peut rien faire à moins que cela corresponde à l'énoncé de politique de la branche politique. Il y a là un sérieux illogisme. Qui fait la loi, et de quelle loi s'agit-il? Le projet de loi éclaircira les choses.
Le président : À titre d'information, ces trois ministères se présenteront devant nous la semaine prochaine.
Le sénateur Corbin : J'aimerais commenter les réponses faites plus tôt par M. McKay à l'effet que la composante « valeur » des objectifs du projet de loi venait du NPD. La composante valeur est prise, mot à mot, d'un projet de loi présenté par l'honorable Roch Bolduc, le 27 mars 2003, et dont l'article 4 dit :
L'Agence a pour mission de soutenir les activités de développement durable à l'étranger d'une manière compatible avec les valeurs canadiennes, la politique étrangère du Canada et les normes internationales en matière de droits de la personne [...]
Ce sont exactement les mêmes mots. Cela ne vient pas du NPD. Le sénateur Bolduc était membre de ce comité, l'un des plus hauts fonctionnaires de la province de Québec qui s'est battu sans relâche contre le gaspillage et l'exagération pendant qu'il était membre du Sénat du Canada. Son travail lui a valu le plus grand respect.
Je cerne plusieurs problèmes avec le projet de loi. Vous avez une pleine page d'exigences en matière de rapports, en commençant par votre propre comité, des rapports du ministre au Parlement, au ministre des Finances, et cetera. Il y a une page entière de rapports et de résumés de rapports. L'une des omissions du projet de loi est l'exigence de plans d'activités. Si vous voulez examiner les activités d'une agence gouvernementale ou d'un ministère, la première chose à faire est de connaître le plan d'activités. Je ne vois pas cela dans le projet de loi; pourquoi l'a-t-on négligé? Cela nous préoccupe.
M. McKay : J'ai deux choses à dire. En ce qui concerne les valeurs canadiennes, la modification a été présentée par le Bloc.
Le sénateur Corbin : Je voulais dire le Bloc. Je m'excuse.
M. McKay : Si cela provenait d'une autre source, vous me l'apprenez et je vous en remercie.
En ce qui concerne les plans d'activités, le projet de loi établit une exigence. Cette exigence vise l'analyse de la distribution de l'aide en fonction de trois critères : la réduction de la pauvreté; la perspective des pauvres et les droits de la personne universels. Comment le ministre choisit de procéder, qu'il établisse ou non un plan d'activités, cela peut faire l'objet d'une interpellation majeure de la part des parlementaires, mais le projet de loi n'exige pas du ministre qu'il présente un plan d'activités, mais plutôt qu'il atteigne les objectifs fixés.
Je ne perçois pas cela comme une lacune. Je vois le fait d'établir un plan d'activités comme un moyen très raisonnable d'atteindre ces objectifs précis. À ce titre, nous sommes probablement d'accord vous et moi. Cela semble une question légitime si nos successeurs commencent à remettre en question la façon dont le ministre a atteint ces trois objectifs. Le ministre avait-il un plan d'activités? Je ne crois pas qu'il soit approprié de l'intégrer à la législation, mais c'est néanmoins une question légitime.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Est-ce qu'un instrument, tel un plan d'affaire, doit faire partie du texte d'un projet de loi? Il s'agit d'une méthodologie de gestion imposée par les agences centrales du gouvernement. Une agence n'a pas le droit d'opérer sans un plan d'affaires. C'est un principe fondamental de gestion. Je ne sais pas si, dans la méthode utilisée dans la rédaction des projets de loi, on devrait inclure ce principe.
Le sénateur Corbin : Mieux vaut prévenir que guérir et corriger. Une série de rapports ont été demandés sur l'article 8 du projet de loi. Il me semble plus sensé de demander à une agence de nous fournir ces plans plutôt que d'examiner une foule de rapports, un an, deux ans ou trois ans plus tard, qui eux feront l'objet de rapports à être étudiés et débattus. Pendant ce temps, le temps passe. Si vous voulez attaquer le problème, il faut aller à la source et regarder les plans.
Le sénateur Dallaire : D'emblée, si c'est la méthodologie que nous désirons introduire dans les projets de loi, qu'il en soit ainsi.
Le sénateur Corbin : Cela existe dans certaines lois.
Le sénateur Dallaire : Très bien.
[Traduction]
Je passe à ma dernière question. J'ai lu toutes les délibérations du comité de la Chambre des communes. J'ai été quelque peu surpris par l'attitude de certains, mais je ne commenterai pas davantage la façon dont l'autre endroit mène ses affaires.
M. McKay : Vous venez tout juste de passer un commentaire.
Le sénateur Dawson : Il était à cet endroit avec moi il y a de nombreuses années de cela, si je peux me permettre de le lui rappeler.
Le sénateur Corbin : Je suis surpris que le sénateur Dallaire n'ait pas mentionné quelque chose lors de son allocution au Sénat. Cette législation n'a pas l'appui du gouvernement. Le gouvernement, à la Chambre des communes, s'est opposé à cette législation à toutes les étapes. Il a voté contre toutes les clauses et toutes les modifications faites au comité. Le gouvernement a-t-il fait une proposition de rechange? Dans la négative, pourquoi le gouvernement s'oppose-t-il à ce projet de loi, à votre avis? J'ai besoin de savoir.
M. McKay : Vous posez la question à la mauvaise personne, mais je vais formuler une hypothèse, ce que je ne devrais pas faire.
Premièrement, lorsque le premier ministre Harper était chef de l'opposition officielle, il a écrit au premier ministre de l'époque, Paul Martin pour lui dire : « Voilà ce que vous devriez faire ». Cela semblait raisonnable. À ce moment, le Parti conservateur a participé à une résolution unanime appuyant le rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Les choses ont changé.
Le gouvernement actuel a gagné les élections sur la base de la responsabilité et de la transparence. Le projet de loi porte sur la responsabilité et la transparence. Le gouvernement, par l'entremise de ses membres siégeant au comité et à la Chambre et lors de discours que vous avez lus — et j'ai de la sympathie pour vous à cet égard —, a choisi de s'opposer à un projet de loi qui porte essentiellement sur la responsabilité et la transparence. Ça n'est pas Moïse descendant de la montagne avec les Dix commandements gravés sur la pierre. On n'est certainement pas dans cette catégorie. Je suis franchement déconcerté par l'intransigeance du gouvernement par rapport à ce qui est essentiellement un mandat encadrant notre aide officielle au développement. J'aurais espéré que durant les 16 mois de vie de ce gouvernement, il aurait mis de l'avant une proposition de loi plus complète traitant des nombreuses préoccupations que vous avez tous manifestées ici. Ce sont des préoccupations légitimes que l'honorable sénateur et moi partageons.
Le sénateur Corbin : Retireriez-vous votre projet de loi si le gouvernement présentait une proposition d'envergure visant à réformer tout l'appareil?
M. McKay : Si le gouvernement présentait une proposition d'envergure et qu'il le menait jusqu'à ce stade et que mon projet de loi n'allait pas plus loin, certainement.
Si sa proposition correspond au projet de loi, on pourrait tout simplement intégrer mon projet de loi au leur. Je considérerais cela comme un grand honneur, et je pourrais même aller jusqu'à vous payer une bière.
Le président : Nous pourrions avoir l'occasion de poser ces questions aux témoins appropriés lorsqu'ils se présenteront d'ici une semaine environ.
Le sénateur Downe : J'imagine que la dernière question sera posée à l'autre M. MacKay lorsqu'il se présentera devant nous la semaine prochaine.
Je m'intéresse aussi à la fonction de production des rapports. Vous avez indiqué dans vos remarques, qu'il faut deux ans ou plus pour certains rapports et vous voulez réduire ce délai à six mois. Cela va prendre beaucoup de temps aux bureaucrates et plutôt que de s'occuper de la réduction de la pauvreté, ils vont plancher sur des rapports. Pourquoi six mois? Pourquoi est-ce si important?
M. McKay : Comme vous le savez bien, sénateur Downe, il est essentiel de disposer de l'information en temps opportun pour prendre des décisions. L'information qui végète depuis deux ans est inutile en ce qui concerne la prise de décisions. Voilà pourquoi nous avons choisi six mois.
Quant à savoir si cela fait courir les bureaucrates pour rédiger des rapports, toute l'information se trouve au sein de l'ACDI, du ministère des Finances et des Affaires étrangères. Il ne devrait pas y avoir un seul bureaucrate de plus. De fait, avec un mandat ciblé pour l'aide officielle au développement, il me semble qu'à l'avenir, de nombreuses activités superflues de l'ACDI, du ministère des Finances et des Affaires étrangères pourraient être laissées de côté. Cela laisserait aux bureaucrates du ministère des priorités mieux fixées. S'ils ont un meilleur point de mire, en théorie, ils devraient pouvoir produire les rapports plus rapidement.
Le sénateur Dallaire : Je suis parfaitement d'accord : ils n'ont pas de priorités. Alors chaque direction court dans tous les sens dans sa façon de faire. On touche à tellement de domaines qu'il est difficile de tout regrouper pour produire un rapport commun. Il faut beaucoup de temps pour gérer un éventail aussi incroyable d'activités.
La bureaucratie est tellement énorme, avec 1 200 personnes à Ottawa et 75 sur le terrain, qu'on est submergé par les rapports produits. Les données sont nécessaires parce que la bureaucratie a donné une si mauvaise réputation à l'ACDI qu'ils protègent leurs arrières en tout temps. Ils ont tellement de données qu'ils ne savent pas comment les regrouper en un instrument clair et concis.
Peut-être que le projet de loi produira un changement de méthodologie au niveau de la structure qui sera bénéfique tant pour la clientèle que pour l'administration.
Le sénateur Downe : Avez-vous su pourquoi il leur faut autant de temps pour produire leurs rapports?
M. McKay : Non.
Le sénateur Dallaire : Je parle purement par expérience; des données massives alimentent continuellement le système et il faut énormément de gens pour les analyser, les mettre à jour et les rassembler dans une brochure plutôt luxueuse. Or, est-ce que quelqu'un les lit après deux ans?
Le sénateur Downe : Vous colligez toute cette information en six mois, pour reprendre la description de M. McKay, et après, qu'est-ce qu'on en fait?
M. McKay : Alors le ministre devrait présenter un rapport, probablement au Parlement, mais au moins il sera public. Ce sera le fondement grâce auquel on saura si les objectifs de réduction de la pauvreté ont été atteints, compte tenu de la perspective des pauvres et des normes internationales en matière de droits de la personne.
J'espère que dans sa sagesse, lorsque le premier rapport sera colligé et présenté au public ou au Parlement, le ministre constituera un comité afin de déterminer si les objectifs ont été atteints. S'ils n'ont pas été atteints, on peut penser que cela créera une certaine volonté politique de se concentrer davantage afin que notre aide soit efficace.
Le sénateur Downe : Nous aurons la chance de continuer à en débattre avec certains des témoins. Merci.
Le président : Je m'attends à ce que ce soit le cas. Merci à nos deux présentateurs. Nous avons un peu dépassé notre temps, mais je crois que les sénateurs conviendront que la séance a été utile et informative. Merci au sénateur Dallaire et à M. McKay qui nous ont aidés à enclencher cet examen du projet de loi C-293.
La séance se poursuit à huis clos.