Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 18 - Témoignages du 13 juin 2007
OTTAWA, le mercredi 13 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, saisi du projet de loi C-293, Loi concernant l'aide au développement officielle fournie à l'étranger, se réunit ce jour à 16 h 7 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Eymard G. Corbin (président suppléant) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président suppléant : Honorables sénateurs, bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-293, loi concernant l'aide au développement officielle fournie à l'étranger. Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire émanant de la Chambre des communes.
[Français]
Notre séance d'aujourd'hui comportera deux parties distinctes; dans un premier temps, le ministère (britannique) du Développement international, et dans un deuxième temps, deux particuliers qui nous présenteront leur point de vue respectif.
[Traduction]
Nous avons le plaisir de recevoir, par téléconférence, M. Mark Lowcock, directeur général, Division de la politique et des affaires internationales au ministère du Développement international de la Grande-Bretagne, à Londres.
M. Lowcock va brièvement nous parler de la Loi sur le développement international de 2002 du Royaume-Uni. De fait, le Royaume-Uni a déjà défini dans une loi le mandat de son aide au développement international. La Loi sur le développement international est la pièce législative maîtresse autorisant l'octroi de l'aide au développement ou humanitaire et fait de la réduction de la pauvreté l'objectif premier de l'aide au développement international du Royaume-Uni.
Cet exposé aidera les membres du comité à comparer le projet de loi dont nous sommes saisis à une loi en vigueur depuis cinq ans dans un pays du Commonwealth.
Monsieur Lowcock, vous avez la parole.
Mark Lowcock, directeur général, Politique et affaires internationales, ministère (britannique) du Développement international (Grande-Bretagne) : Honorables sénateurs, mes responsabilités au ministère du Développement international couvrent nos rôles stratégiques, notre collaboration avec les autres donateurs bilatéraux et toute la contribution britannique aux organisations de développement multilatérales.
Je suis l'un des trois adjoints du secrétaire permanent, et donc mon homologue le plus proche à l'Agence canadienne de développement international est Diane Vincent, vice-présidente exécutive de l'ACDI.
Je serais ravi de répondre à vos questions sur l'approche britannique du développement international et sur notre cadre législatif. Je connais également le Comité d'aide au développement de l'OCDE. En effet, je représente le Royaume-Uni au niveau supérieur du Comité d'aide au développement et j'ai été dans le passé examinateur des programmes d'aide au développement d'autres pays dans le cadre du système d'examen par les pairs de l'OCDE.
La loi de 2002 régit l'emploi des crédits votés par le Parlement du Royaume-Uni pour l'aide au développement. Elle a remplacé la Loi sur l'incorporation du développement outre-mer de 1980, qui elle-même remplaçait une loi adoptée dans les années 1940. Le gouvernement actuel a décidé dans les années 1990, pendant qu'il était dans l'opposition, qu'il voulait une nouvelle législation britannique sur l'aide face à un scandale qui a vu une haute cour statuer que le gouvernement d'alors avait agi illégalement en finançant un projet de barrage hydroélectrique en Malaisie, pour des raisons autres que la promotion du développement.
Le gouvernement actuel a décidé qu'il voulait spécifier explicitement que les crédits votés par le Parlement pourraient servir uniquement à des actions visant à réduire la pauvreté et à promouvoir le développement durable ou le bien-être de la population des pays pauvres. Autrement dit, le gouvernement voulait exclure, sans équivoque possible, tous les autres motifs ou intentions relativement à l'emploi des crédits d'aide. Bien entendu, la Grande-Bretagne poursuit un large éventail d'autres objectifs avec sa politique étrangère, mais nous disposons d'autres outils pour les réaliser.
Notre expérience est que la loi de 2002 s'est avérée bénéfique à différents égards. Premièrement, elle assure la clarté des objectifs. Cela a été signalé dans le plus récent examen par les pairs de l'action du R.-U. effectué par le Comité d'aide au développement. Un mandat flou peut être un problème pour les administrations publiques et la loi est précise à cet égard.
Deuxièmement, la loi est bénéfique comme source de motivation pour le personnel du ministère et nos partenaires extérieurs. Le personnel est désireux de se lever le matin et de venir au travail afin de contribuer de façon manifeste à la réduction de la pauvreté dans les pays démunis.
Troisièmement, elle nous évite les problèmes que nous avons rencontrés lorsque nous utilisions le programme d'aide pour réaliser des objectifs multiples. Par exemple, il s'est avéré peu efficace, tant au plan commercial qu'au plan du développement, d'utiliser explicitement notre aide pour promouvoir les objectifs commerciaux de la Grande-Bretagne en la rendant conditionnelle à la fourniture de biens et services britanniques. Des études ont montré que cela réduisait le rapport qualité-prix de nos dépenses d'environ 25 p. 100.
Quatrièmement, mes ministres considèrent que la loi a renforcé le soutien public à l'aide étrangère. Cette mesure législative est très appréciée des organisations non gouvernementales chez nous.
Nous avons été aux prises avec une question qui, je crois, a aussi été un sujet de discussion dans certains des témoignages antérieurs que vous avez entendus, à savoir si la réduction de la pauvreté représente un critère trop étroit ou trop flou. Cela a fait l'objet d'un débat au Parlement britannique lors de l'adoption de la loi de 2002.
Les efforts d'aide au développement britanniques s'inscrivent dans les objectifs du Millénaire pour le développement des Nations Unies. La vérité est que maintes activités peuvent contribuer à ces objectifs. La promotion du développement du secteur privé, par exemple, qui génère de la croissance et crée des emplois et majore les revenus, contribue au premier objectif du Millénaire pour le développement, soit la réduction de la proportion de personnes vivant avec moins de 1 $ par jour. De même, les investissements dans la santé et l'éducation, la gouvernance et la réduction des conflits peuvent contribuer au recul de la pauvreté.
Le Parlement a conclu que le critère général de la réduction de la pauvreté était judicieux. La question centrale — comme il a été spécifié dans le texte final de la loi — lorsqu'il s'agit de juger toute proposition de dépense, dont l'approbation est la responsabilité du Secrétaire d'État, est de savoir quel est l'effet et quel est le motif. L'effet de la dépense sera-t-il de réduire la pauvreté, et le motif est-il de promouvoir le développement?
En sus de la loi de 2002, le Parlement britannique a adopté en 2006 la Loi sur le développement international (Rapports et transparence). Elle a été introduite par un député d'arrière-banc du parti au pouvoir à titre de projet de loi d'initiative parlementaire. Elle a été adoptée avec la bénédiction du gouvernement. Elle n'a pas de répercussion sur l'utilisation des crédits. Elle ne modifie pas la loi de 2002. Elle énonce plutôt les modalités selon lesquelles le gouvernement doit faire rapport au Parlement de ces dépenses. Elle est plutôt plus détaillée que les dispositions du projet de loi dont vous êtes saisis. Le gouvernement s'acquitte des obligations que le Parlement lui impose à cet égard au moyen d'un rapport annuel déposé au Parlement par le Secrétaire d'État du développement international. Un résultat en est que, cette année, nous avons produit un rapport annuel au Parlement très long, qui atteint 300 ou 400 pages.
Voilà les quelques remarques liminaires que je souhaitais faire. Je serais ravi de répondre à toutes vos questions.
Le sénateur Segal : Merci, monsieur Lowcock, de vous mettre à notre disposition et de nous faire profiter de l'expérience britannique dans ce domaine, et particulièrement de nous faire part de vos précieuses réflexions en ce qui concerne la Loi sur le développement international. Je sais qu'il est tard au Royaume-Uni, et nous apprécions d'autant plus que vous vous mettiez à notre disposition.
Ma question ne porte pas tant sur la Loi sur le développement international, encore qu'il me faille admettre, en tant que Canadien, que je suis impressionné par le niveau de détail et le degré auquel les définitions fondamentales sont présentées de manière constructive de façon à guider les fonctionnaires et les employés du ministère dans différents domaines de leur travail. Cependant, j'aimerais avoir votre point de vue sur le projet de loi d'initiative parlementaire qui a été adopté ultérieurement par la Chambre des communes et la Chambre des lords, avec l'appui du gouvernement, concernant le format des rapports au Parlement, en particulier. Je regrette de ne pas avoir le texte de cette loi sous les yeux pour m'aider à formuler cette question, mais je la pose néanmoins. Est-ce que la loi prescrit d'une façon quelconque le niveau des consultations que le Secrétaire d'État ou le ministre responsable doit conduire dans l'exécution de ses fonctions intéressant la signature d'accords ou la dépense de fonds dans les pays figurant sur la liste des pays cibles du ministère?
M. Lowcock : La réponse à votre question est non, la loi de 2006 ne prescrit pas cela. Nous pensons que la concertation est une bonne chose, qu'elle améliore la qualité des décisions, mais rien dans notre Loi sur le développement international (Rapports et transparence) ne l'impose.
Le sénateur Segal : Pourriez-vous me dire, selon votre expérience et votre perspective de haut fonctionnaire, dans quelle mesure cette nouvelle loi d'initiative parlementaire a amené un changement qualitatif, le cas échéant, dans le dialogue entre la société civile et le Parlement et dans l'intérêt porté par le Parlement à l'aide étrangère?
M. Lowcock : Pour vous répondre franchement, il est trop tôt pour le dire. Un large éventail d'intervenants ont témoigné d'un énorme intérêt au cours de l'élaboration du projet de loi et des différents stades d'examen au Parlement. Le fait que le gouvernement a donné sa bénédiction au projet de loi implique qu'il estimait judicieux de maximiser la transparence et la dissémination de l'information et de réagir à ce qui a été au cours des 10 dernières années un accroissement assez remarquable de l'intérêt des parlementaires pour les affaires de développement international, ce qui traduit bien sûr l'intérêt accru dans un grand nombre de segments de notre société.
Nous, les hauts fonctionnaires du ministère, soit le secrétaire permanent, les deux autres directeurs généraux et moi- même, témoignerons devant le Comité du développement international de la Chambre des communes au milieu du mois prochain, ce qui sera la première occasion pour lui de nous interroger sur les rapports que nous avons dressés en application de la loi de 2006. On verra au fil du temps dans quelle mesure cette loi contribue à améliorer le débat public au Royaume-Uni et l'examen parlementaire des activités du ministère.
Le sénateur Segal : En ce qui concerne la LDI de 2002 et son exécution, je remarque que la partie traitant de l'aide au développement contient une définition assez large de l'aide au développement et de sa relation avec le développement durable. Comment voyez-vous la différence entre cette notion, telle que définie dans la loi, et l'exigence de réduction de la pauvreté dont vous avez fait état dans vos remarques liminaires?
On peut dire que les partisans de l'insertion de l'expression « réduction de la pauvreté » dans la loi canadienne y voient un moyen de clarification qui va rendre beaucoup plus explicite et précis le point focal de notre aide internationale. Les détracteurs de la présence de la réduction de la pauvreté comme seul critère disent que cela pourrait faire obstacle au développement économique et à l'emploi d'autres instruments qui, pour reprendre les termes de votre propre loi, « sont susceptibles de produire des avantages durables pour la population du ou des pays auxquels elle est fournie ».
Sans vous demander d'exprimer une opinion sur ce que peuvent être ou ne pas être nos problèmes canadiens — vous avez les vôtres — il nous serait très utile de bénéficier de vos enseignements concernant la façon dont ces valeurs s'articulent entre elles dans votre pays sous le régime de cette loi.
M. Lowcock : Vous avec certainement raison de dire que nous avons nos propres problèmes. Permettez-moi de vous parler un peu du débat qui s'est déroulé dans mon pays sur le critère de la réduction de la pauvreté.
Il y a eu pas mal d'écrits à ce sujet à l'échelle internationale. Il y a notamment un livre édité par M. Lael Brainard du Center for Global Development à Washington, l'un des meilleurs cercles de réflexion du monde dans ce domaine. Ce livre a été publié l'an dernier et l'un de ses chapitres résume bien le débat entourant la réduction de la pauvreté.
Il dit que certains intervenants — dont, affirme-t-il, « certains de mes propres collaborateurs » — craignaient que le critère de réduction de la pauvreté signifierait que le ministère se concentrerait sur le secours des pauvres, c'est-à-dire s'attaquerait aux besoins résultant de la pauvreté plutôt qu'aux causes sous-jacentes. Il ajoute que les ministres et les hauts fonctionnaires savent depuis toujours que la réduction durable de la pauvreté suppose que l'on s'attaque à cette cause et qu'ils ont interprété ce critère au sens large comme englobant l'investissement de la croissance économique, la réduction des conflits, l'amélioration de la gouvernance, la lutte contre la corruption, et des investissements à long terme dans la recherche-développement et le développement humain.
Nous avons certainement une conception large des actions qui répondent au critère de la réduction de la pauvreté. Celle-ci est le premier critère dans la loi de 2002. La motivation représente le deuxième. La vérité est que l'on pourrait faire certaines choses qui contribuent marginalement à la réduction de la pauvreté mais qui ne seraient pas principalement motivées par elle. Voilà la distinction établie dans la loi britannique, mais la réduction de la pauvreté est un critère très explicitement large.
Le sénateur Segal : Je réalise que vous vous intéressez principalement au contenu de la politique, mais votre ministère est cité en exemple par maints ONG et d'autres dans ce pays comme une organisation qui remplit ses objectifs avec une efficience remarquable et une grande présence sur le terrain dans les pays ciblés. J'entends ici par efficience le coût de l'acheminement de l'aide aux bénéficiaires de manière rentable et rapide. Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure, à votre avis, soit la LDI de 2002 soit la loi d'initiative parlementaire ultérieure sur la transparence a exercé un effet à cet égard, positif ou négatif, selon le cas?
M. Lowcock : L'un des effets de la loi de 2002 a été de rendre très explicite notre objectif premier. Pour reprendre ce que je disais, notre constat est que la clarté de l'objectif contribue à l'efficience et à l'efficacité. L'effet de la loi de 2006 a été de renforcer le contrôle exercé par le Parlement et d'autres intervenants sur ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons.
Ce sont certainement là des conditions qui contribuent à l'efficience. Bien sûr, d'autres facteurs y contribuent également, tels que le cadre global que le gouvernement fixe à la disponibilité de ressources pour coûts administratifs, comme nous les appelons ici. Il s'agit là des ressources consacrées à payer les salaires de ceux qui travaillent pour l'organisation, le coût de nos loyers outre-mer, et cetera.
Ce souci d'efficience est au premier plan à l'heure actuelle au Royaume-Uni. Il nous impose, dans mon ministère, de porter le ratio de notre budget programmes à notre budget administratif d'environ 20 à 1 aujourd'hui à un ratio de 50 ou 60 à 1 au cours des 10 prochaines années.
Nous avons réalisé quelques gains d'efficience — environ un tiers au cours des cinq dernières années à peu près. L'efficience est un gros moteur et les deux lois y contribuent, mais d'autres facteurs y contribuent également.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez mentionné que la loi de 1980 a été remplacée par la Loi sur le développement international de 2002. Il s'est produit un développement en Malaisie. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres de ce fait?
M. Lowcock : Je ne suis pas sûr de comprendre votre question.
Le sénateur Mahovlich : La raison pour laquelle la loi de 2002 a été introduite était un projet de développement en Malaisie. Pouvez-vous m'expliquer en quoi les riches sont devenus plus riches du fait de ce projet? En outre, pouvez- vous me dire pourquoi cette centrale électrique ou ce projet n'a rien fait pour atténuer la pauvreté?
M. Lowcock : Ce n'était pas cela le reproche adressé au gouvernement pour avoir financé le barrage hydroélectrique de Pergau. Il en existe des comptes rendus dans le domaine public car cette affaire a fait l'objet d'une série d'enquêtes parlementaires chez nous. La critique était que la décision de financer le barrage — qui à l'époque était considéré comme non économique en ce sens que si l'on voulait accroître la production d'électricité il y avait de meilleurs investissements à faire — a été prise parce que l'aide pour le barrage faciliterait la vente d'armements à la Malaisie, vente que le gouvernement britannique souhaitait légitimement favoriser. Ce qui a été jugé illégal a été le processus décisionnel, car il liait les deux objectifs.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez dit que votre rapport cette année fait 300 à 400 pages. Est-ce que vous présentez aussi des rapports trimestriels, ou bien uniquement une fois par an?
M. Lowcock : Nous avons l'obligation, sur une base annuelle, de déposer un rapport au Parlement sur la façon dont les crédits que le Parlement nous a alloués ont été employés à la poursuite des objectifs annoncés par le gouvernement. Je dois préciser que ce n'est pas là le seul rapport que nous présentons. Nous publions des centaines de documents chaque année. Certains le sont expressément pour le Parlement et d'autres portent sur des enjeux particuliers auxquels s'intéresse le comité parlementaire. D'autres sont destinés au grand public et affichés sur notre site Internet. Le rapport annuel est une exigence du système des comptes publics britanniques qui veut que chaque ministère du gouvernement explique au Parlement ce qu'il a fait des crédits alloués.
Le sénateur Mahovlich : Il y a donc des rapports multiples.
M. Lowcock : Oui. Il y a de nombreux rapports sur divers sujets. Le rapport annuel constitue la réponse agrégée à la question suivante : « Nous vous avons alloué beaucoup d'argent et vous avez dit que vous feriez cette liste de choses. Qu'avez-vous effectivement accompli? »
Le sénateur Andreychuk : J'ai deux questions. Premièrement, quelle est l'obligation du ministre de consulter avec l'éventail des intervenants tels que les ONG et d'autres groupes actifs dans l'aide au développement? Deuxièmement, de quelle manière ou dans quelle mesure le ministre est-il obligé de consulter sur le terrain dans les pays dans lesquels vous travaillez, au-delà des gouvernements et des ONG locales — autrement dit, la population aidée? Est-ce en vertu d'une politique; est-ce inscrit dans la loi? Est-ce obligatoire ou facultatif?
M. Lowcock : Il n'y a rien ni dans la loi de 2002 ni dans celle de 2006 exigeant la consultation. Nous sommes de fervents adeptes de la consultation sur les politiques, programmes et projets, tant des intervenants britanniques que d'autres à l'échelle internationale qui sont familiers des sujets dont nous traitons. Mais surtout, nous consultons les pays et les populations qui y vivent et qui sont censés être les bénéficiaires de notre action. Cette consultation est motivée par la réalisation que nous ne possédons pas toutes les solutions.
Le sénateur Andreychuk : Dans votre description de la réduction de la pauvreté, vous avez fait une grande place à la science et à la recherche. Est-ce qu'il y a des exceptions? Diriez-vous que quiconque travaille dans les pays en développement ou même dans votre pays à des activités de recherche scientifique et technologique pouvant toucher les pays en développement est englobé dans votre définition de la « réduction de la pauvreté »?
M. Lowcock : La législation ne détermine pas comment le Secrétaire d'État est censé s'assurer que la dépense proposée contribuera à la réduction de la pauvreté. La loi impose simplement au Secrétaire d'État d'établir qu'il en sera bien ainsi.
Concrètement, si quelqu'un invente un nouveau vaccin pour le VIH-sida ou la malaria, il est bien évident que cela représentera potentiellement une contribution massive à la réduction de la pauvreté. Même chose pour la recherche. Le ministère octroie actuellement des subventions de recherche financées sur son budget bilatéral à hauteur de quelque 300 millions de dollars canadiens par an. Les recherches se situent dans toutes sortes de domaines, depuis la mise au point de nouvelles variétés de cultures et de nouveaux vaccins jusqu'à des politiques sociales et économiques qui peuvent contribuer à la réduction de la pauvreté. La loi exige que la question soit posée explicitement. La loi ne dit pas que certaines choses répondent aux critères et d'autres non.
Le sénateur Andreychuk : Vous avez adopté la première loi en 2002. Je l'ai étudiée de très près mais n'ai pas examiné la loi de 2006 avec autant d'attention que je l'aurais voulu. Si j'ai bien compris, cette loi ne modifie guère les types de programmes que vous pouvez financer dans les pays en développement, mais spécifie comment vous devez en rendre compte, autrement dit elle porte sur l'efficience, la participation et la dissémination de l'information au sein de votre pays et ailleurs. Les types de projets que vous réalisez sur le terrain n'ont pas sensiblement changé. Ai-je raison? Est-ce que les catégories de programmes ont sensiblement changé?
M. Lowcock : La loi de 2006 impose des exigences détaillées quant à l'information que nous fournissons au Parlement. Elle ne dit rien sur l'objet des dépenses des ministères.
La loi de 2002 est plutôt non prescriptive pour ce qui est des actions pouvant contribuer à la réduction de la pauvreté. Cela nous ramène à ce que nous disions tout à l'heure. Ce qui est déterminant chez nous c'est le résultat du débat sur les deux points : Est-ce que la dépense aura pour effet de réduire la pauvreté, et le but poursuivi est-il de promouvoir le développement plutôt qu'une autre fin? Il faut bien voir que nous n'avons que cinq années d'expérience avec la loi de 2002. Jusqu'à présent, ces critères se sont avérés établir un bon cadre.
Le président suppléant : Comment réglez-vous la question de la transparence et de la reddition de comptes du côté des bénéficiaires de l'aide? Est-ce que la fourniture de l'aide est assortie de conditions imposant la transparence aux bénéficiaires? Comment cela fonctionne-t-il chez vous?
M. Lowcock : C'est une vaste question. Premièrement, dans le cadre des accords de financement que nous signons avec les pays en développement, nous convenons de mécanismes de vérification. Ces derniers mettent typiquement en jeu le National Audit Office britannique qui ouvre un dialogue avec l'autorité suprême de vérification du pays partenaire pour obtenir l'accès à ses comptes, mécanismes, et cetera. Lorsque nous avons des préoccupations particulières, nous complétons parfois cela par un audit indépendant commandé à un cabinet privé.
Tous les fonds que nous versons, non pas directement à un pays en développement mais, mettons, à une ONG ou une autre entité, sont sujets à un audit du National Audit Office du Royaume-Uni, et cela est stipulé dans l'accord de subvention.
Nous investissons également beaucoup dans le renforcement des systèmes de gestion financière et de vérification comptable publics dans les pays partenaires. Par exemple, nous finançons un accord par lequel le National Audit Office britannique fournit des services de conseil en vue de renforcer les fonctions de vérification et de comptabilité dans maints des pays en développement avec lesquels nous travaillons. Le ministère compte un gros effectif de spécialistes de la gouvernance et des finances publiques qui passent toute leur vie à renforcer et édifier des systèmes dans les pays en développement en vue d'améliorer la reddition de comptes, l'optimisation des ressources, l'efficacité des dépenses, et cetera. C'est là un vaste secteur d'activité pour le ministère et un secteur qui a grossi au cours des cinq dernières années environ. C'est le corollaire du fait que les contribuables britanniques, par le biais de leurs représentants, ont alloué beaucoup plus d'argent au développement international au cours des dix dernières années, ce qui s'accompagne aussi d'un examen beaucoup plus serré des résultats obtenus avec cet argent. À notre avis, un tel examen est une très bonne chose.
Le sénateur Dawson : En quoi cet examen et cette transparence s'appliquent-ils aux tierces parties? Je vois dans la loi que vous travaillez beaucoup avec des parties tierces. Mon honorable collègue demandait comment vous contrôlez ce qui se fait dans les pays bénéficiaires, mais comment gérez-vous la transparence et l'accès à l'information chez vos partenaires, c'est-à-dire les tierces parties? Vous faites appel à des parties tierces pour réaliser les activités de développement. Comment contrôlez-vous ces tierces parties?
M. Lowcock : Il faut distinguer différentes sortes de parties tierces. Une catégorie est celle des institutions multilatérales comme la Banque mondiale ou les Nations Unies. Près de 45 p. 100 du budget du ministère passent par ces organisations. Dans ce cas, à titre d'actionnaires de ces organisations et de membres de l'organe de direction de ces organisations, nous nous fions à leurs systèmes d'audit et de comptabilité.
Une deuxième catégorie est le cas où notre assistance est canalisée par le gouvernement d'un autre pays développé. Par exemple, nous avons un accord par lequel nous versons au gouvernement néerlandais des fonds qu'il gère et dépense pour l'amélioration du système judiciaire et du maintien de l'ordre en Ouganda. Le National Audit Office britannique et son homologue néerlandais ont conclu un protocole d'entente au titre duquel le National Audit Office britannique accepte comme adéquats les examens et audits effectués par l'organe néerlandais.
Une troisième catégorie sont les organisations de la société civile que nous subventionnons. Dans leur cas, les accords de subvention stipulent que l'organisation doit nous fournir ses états de comptes vérifiés et, dans certains cas, des documents comptables spécifiques sur un projet ou un programme en particulier. Ces documents eux-mêmes seront examinés par le National Audit Office.
Dans tous les cas, il existe donc un système de vérification comptable dont nous sommes partie prenante parce que nous sommes membres d'une organisation internationale ou qui est sujet à l'examen ultime du National Audit Office du Royaume-Uni.
Le sénateur Dawson : Sur un sujet complètement différent, la priorisation, je vois que 45 p. 100 de vos dépenses passent par la Banque mondiale. Celle-ci fixe les priorités pour l'action à laquelle vous coopérez, mais comment établissez-vous les priorités pour les 55 p. 100 restants? Est-ce que fait par pays ou par secteur d'activités? Qui détermine les priorités?
M. Lowcock : Environ 45 p. 100 de l'aide est multilatérale — c'est-à-dire passant par la Banque mondiale, les Nations Unies, et cetera — le reste représentant 55 p. 100. Sur ces 55 p. 100, de l'ordre de 45 p. 100 va à ce que nous appelons des programmes de pays, c'est-à-dire des programmes bilatéraux comme nous en avons avec une cinquantaine de pays. Les 20 pays supérieurs, partenaires de la Grande-Bretagne, reçoivent environ 90 p. 100 de ces ressources. Dans ces cas, nous convenons d'une stratégie élaborée après consultation publique et publiée de concert avec le gouvernement de ce pays. C'est dans cette stratégie, qui établit un programme de travail pour trois à cinq ans, que nous décidons des secteurs d'activités que nous allons appuyer.
Nous avons à cet égard deux niveaux de priorisation. Premièrement, quels pays allons-nous aider et combien allons- nous donner à chacun? Les principaux facteurs sont le degré de pauvreté du pays, sa taille, les ressources provenant d'autres donateurs. Deuxièmement, il y a un dialogue à l'intérieur du pays pour effectuer les choix concernant ce programme de pays.
Les 10 p. 100 restants du budget du ministère sont absorbés par des choses telles que les contributions aux ONG, la recherche, l'évaluation et diverses autres fonctions. Nous avons un mécanisme de répartition annuelle des ressources par lequel nos ministres décident, par exemple, combien donner à Oxfam, à Save the Children, ou pour la recherche sur le sujet X et le sujet Y.
Le sénateur Dawson : Avez-vous des organes consultatifs avec lesquels vous vous concertez pour établir ces priorités et faire ces choix?
M. Lowcock : Les ministres ont à répondre à des questions et sont éprouvés sur les choix qu'ils effectuent principalement au Parlement et au Comité du développement international. Ce système britannique laisse à l'Exécutif beaucoup plus de liberté une fois le budget global voté que dans beaucoup d'autres pays. Ce n'est pas une prise de décisions parlementaire ligne par ligne; c'est à la discrétion de l'exécutif. Il y a beaucoup de consultations sur les choix et les priorités sectorielles, mais ensuite le Parlement laisse à l'exécutif presque tout le pouvoir de décision.
Le sénateur Downe : Ces dernières années, le ministre responsable de l'ACDI a informé notre comité que l'Afrique est prioritaire pour l'aide gouvernementale, mais lorsqu'on regarde le budget, on voit que davantage de fonds vont à l'Afghanistan.
J'ai remarqué des doléances similaires au Royaume-Uni. Les ONG britanniques se sont plaintes du transfert de gros montants d'aide au Pakistan, à l'Afghanistan et à l'Irak. Que répondez-vous à ces critiques?
M. Lowcock : La première chose à dire est que, depuis 1997, l'aide britannique à l'Afrique a été multipliée par quatre environ, soit une majoration supérieure à celle de toutes les autres régions. Nous nous sommes engagés à doubler l'aide britannique à l'Afrique entre 2004 et 2010. Nous sommes bien en voie de tenir cette promesse. L'Afrique jouit d'un fort soutien public et politique au Royaume-Uni.
Nous avons indiqué très clairement que l'aide britannique doit servir prioritairement aux objectifs du Millénaire pour le développement. Cela signifie que le gouvernement s'est engagé publiquement à donner 90 p. 100 de l'aide au développement britannique bilatérale aux pays dont le revenu par personne est inférieur à 700 $ américains.
En 2003, un grand débat s'est déroulé chez nous parce que nous voulions contribuer à la reconstruction — nous espérions que ce serait le cas — de l'Irak. Pour cela, nous devions libérer des fonds, non pas en privant les pays les plus pauvres, les pays à faible revenu, mais en prélevant sur les pays à revenu moyen. Le choix que nous avons fait concernait les 10 p. 100 de pays qui constituent le groupe à revenu moyen.
L'Afghanistan est un cas différent car c'est un pays extrêmement pauvre. C'est un pays auquel depuis longtemps nous fournissions une aide de différentes sortes. Cette aide a augmenté depuis 2001. Nous escomptons y avoir un engagement à long terme car nous pensons que la réduction de la pauvreté et le progrès du pays seront lents à réaliser. Vu la pauvreté de l'Afghanistan, il existe une très solide logique de développement pour investir dans ce pays, tout comme pour investir dans les pays d'Afrique connaissant des niveaux de pauvreté similaires.
Le sénateur Downe : Rectifiez si je me trompe, mais j'ai cru comprendre que la doléance des ONG britanniques est que les préoccupations sécuritaires ont été privilégiées par rapport à l'aide, avec une augmentation des montants pour le Pakistan, l'Afghanistan et l'Irak. Que faites-vous en réponse à cela?
M. Lowcock : Nous n'avons pas été beaucoup critiqués, à ma connaissance, pour notre augmentation de l'aide au développement pour le Pakistan et l'Afghanistan. C'est à propos de l'Irak qu'on nous a critiqués. La réponse que je vous ai donnée est la position du gouvernement : cela s'inscrit dans une partie du budget qui ne peut pas dépasser 10 p. 100 du total.
Nous pensons que la vie des pauvres en Afghanistan, au Pakistan et dans d'autres pays ne va pas s'améliorer si règnent l'insécurité, les conflits et ce genre de choses. De la même manière que nous investissons dans les solutions permettant de désamorcer les conflits dans les pays africains, nous sommes prêts à le faire dans d'autres pays aussi. La réduction des conflits, à notre sens, peut contribuer à la réduction de la pauvreté.
Il est vrai également qu'un certain nombre d'activités que nous finançons, au ministère, contribuent à la réduction des conflits mais ne répondent pas à la définition de l'aide publique au développement donnée par le Comité d'aide au développement de l'OCDE. Le ministère a un budget séparé, qui ne compte pas pour l'enveloppe de l'aide publique au développement, et qui n'es pas régi par la Loi sur le développement international, qui nous permet d'entreprendre des actions qui contribuent à ces objectifs plus larges de sécurité et de réduction des conflits.
Par exemple, nous sommes un important bailleur de fonds de la mission AMIS au Soudan, dont certains de vos témoins antérieurs ont parlé. Selon les règles de l'OCDE, cette dépense ne compte pas comme APD. Dans notre pays, elle n'est pas régie par la Loi sur le développement international, mais elle est gérée par le ministère. Nous jugeons cette action importante car l'amélioration du climat sécuritaire est l'une des choses qui peut apporter la plus grosse contribution à l'amélioration de la vie des gens, par exemple au Darfour. Sur ce plan, les ONG ne formulent que peu de critiques contre le gouvernement.
Le sénateur Downe : Pour ce qui est de votre aide à l'Afrique, quel pourcentage des crédits, si vous avez un chiffre en pourcentage, va au secteur privé?
M. Lowcock : Je n'ai pas en tête le chiffre précis, mais je pourrais peut-être vous dire plusieurs choses à ce sujet.
Nous sommes propriétaires d'une société de capital-risque — une société privée de financement par prise de participation, en quelque sorte — appelée CDC, qui possède un capital d'environ 5 $ canadiens. La moitié de ces ressources doivent être investis dans les pays les plus pauvres, principalement d'Afrique. C'est l'une des principales façons dont nous finançons le développement du secteur privé.
Par exemple, cette société a été l'investisseur pionnier dans Celtel, le plus gros fournisseur de services de téléphonie mobile de tout le continent africain.
Nous mettons également beaucoup l'accent dans notre programme bilatéral, géré directement par le ministère et non la société de financement privée, sur les conditions qui vont promouvoir le développement du secteur privé. Nous pensons qu'une macroéconomie stable, un climat favorable à l'investissement, le respect des contrats, des institutions qui assurent au secteur privé le respect de la loi et de l'ordre, et une infrastructure telle que routes et électricité contribuent tous à établir un environnement propice à l'entreprise privée. Nous finançons d'importantes activités dans ce domaine par notre programme bilatéral.
Ce que nous ne faisons pas dans notre programme bilatéral régulier autant que d'autres organisations de développement, c'est de fournir directement des subventions aux entreprises privées pour leur expansion. Dans la mesure où nous avons une telle activité, c'est par le biais de notre société de financement privée.
Le sénateur De Bané : Comment réagissez-vous à ceux qui disent que l'aide au développement est un échec parce que si l'on regarde la situation économique de nombreux pays d'Afrique, la plupart sont aujourd'hui dans une situation pire qu'en 1960? Voyez-vous une logique dans cet argument voulant que l'aide soit un échec parce que l'Afrique est plus pauvre aujourd'hui dans son ensemble qu'en 1960?
M. Lowcock : J'ai travaillé en Afrique pendant la plus grande partie de ma carrière. J'ai suivi l'histoire du continent sur la période postcoloniale. Un instantané indiquerait que le continent a considérablement progressé, surtout dans les années 1960. Le choc pétrolier et divers autres événements des années 70 ont réduit ce progrès. Les ajustements structurels, l'impact du VIH-sida, les conséquences des conflits, les défaillances gouvernementales, une politique économique désastreuse dans nombre de ces pays et l'effondrement de l'aide étrangère à l'Afrique au cours des années 90 ont encore empiré les choses.
En termes réels, l'aide étrangère moyenne par personne reçue par un Africain a diminué de moitié entre 1994 et 1998. Ce qui s'est passé depuis, au cours des 10 dernières années, c'est que les politiques en Afrique se sont améliorées. Il y a eu une réduction de l'ampleur des conflits, du nombre des pays en conflit; les termes de l'échange pour de nombreux pays africain se sont améliorés; l'aide étrangère aussi, au cours des cinq ou six dernières années, a augmenté; et au cours des cinq dernières années, 20 pays d'Afrique ont affiché un rythme de croissance supérieur à 5 p. 100 par an. Au cours des deux ou trois dernières années, le taux de croissance de l'Afrique a été beaucoup plus rapide que celui du reste du monde.
Je pense que c'est une situation complexe. Le rôle de l'aide dans le développement ne peut jamais être qu'auxiliaire. La raison principale pour laquelle les pays se développent ou non tient à ce que font les gouvernements et les populations de ces pays. L'aide peut faire une différence si elle est investie judicieusement aux bons endroits.
Le sénateur De Bané : Les bons exemples de ce que vous dites sont le Ghana, l'Ouganda, le Botswana, le Mozambique et le Mali, dont les peuples ont décidé, pour leurs raisons propres, de bien gouverner leur pays et où l'on constate une différence remarquable. Dans d'autres pays, qui sont dirigés par des brigands — un Mugabe ou le type du Liberia dont le slogan était « il a tué papa, il a tué maman, mais je vais voter pour lui » — avec des gens comme cela, nous savons ce qui se produit.
Je conviens avec vous que le facteur majeur de développement, c'est l'existence d'un bon gouvernement. Les pays donateurs ayant des organisations comme votre ministère et l'ACDI, et tous les autres pays partageant des conceptions communes font ce qu'ils peuvent, mais au bout du compte c'est le pays qui doit lui-même se gouverner. Êtes-vous d'accord?
M. Lowcock : Je viens de dire que le déterminant majeur du progrès ou de l'absence de progrès d'un pays est ce que fait son gouvernement et son peuple. Comme je l'ai dit, l'aide peut faire une différence considérable. Il y a eu un grand débat chez nous et à l'échelle internationale sur le rôle de l'aide, et c'est une bonne chose. Notre lecture de la problématique est que, si elle est appliquée dans les bonnes circonstances, l'aide peut-être efficace.
Le sénateur De Bané : Mais lorsque vous voyez le Nigeria...
Le président suppléant : À l'ordre. Laissez le témoin finir de répondre, sénateur De Bané.
M. Lowcock : J'avais dit ce que je voulais.
Le sénateur De Bané : Depuis 1980, le Nigeria a perçu plus de 280 milliards de dollars de revenu pétrolier et son revenu per capita aujourd'hui est inférieur à ce qu'il était en 1960. Ce n'est tout de même pas un manque de fonds au Nigeria qui explique cela. Selon une organisation internationale, l'ancien président du Nigeria aurait caché 5 milliards de dollars au Royaume-Uni. Cela donne à réfléchir.
Le président suppléant : Sénateur De Bané, nous devons nous en tenir à la substance du projet de loi.
Le sénateur De Bané : Oui, mais en fin de compte je dis que le président néglige sa population.
Le sénateur Merchant : Pouvez-vous nous citer un cas où vous avez dû retirer l'aide à une région ou à un pays parce que les paramètres ont changé? Avez-vous refusé de donner de l'aide à un pays même s'il est très pauvre?
M. Lowcock : Oui. En fin de compte, le critère est de savoir si nous pouvons fournir une aide qui a contribué au développement, dans le contexte qui règne, et contribuer à la réduction de la pauvreté. La réalité est que nous opérons dans les pays les plus pauvres qui connaissent les plus gros problèmes et n'ont souvent pas la meilleure gouvernance du monde. Nous constatons, comme tous les donateurs d'aide au développement international, que parfois des problèmes émergent qui nous obligent à décider comment réagir. Nous nous interrogeons d'abord non pas sur le niveau de l'aide, mais s'il y a lieu de modifier le type d'assistance que nous fournissons.
Nous nous sommes posé ces questions à propos de l'Éthiopie, de l'Ouganda et d'autres pays pauvres. Je pourrais mentionner plusieurs choses sur le Nigeria, que le sénateur précédent a évoquées. Pendant toutes les années 1990, il n'y a pratiquement pas eu d'aide au développement fournie au Nigeria, en dépit du fait qu'il compte, et de loin, par un multiple de deux ou trois, plus de pauvres que tout autre pays d'Afrique.
Au cours des cinq dernières années, il y a eu beaucoup de progrès au Nigeria. Le gouvernement s'est montré beaucoup plus engagé. En réponse, nous avons accru notre aide au développement. Si l'environnement est potentiellement positif, nous sommes disposés à investir. Le Nigeria compte 7 millions de filles et de garçons qui n'ont jamais mis les pieds à l'école, et le gouvernement cherche maintenant à y remédier. Nous pouvons faire des investissements qui vont appuyer cet effort et qui vont contribuer à réduire la pauvreté.
Bien entendu, il faut considérer la situation dans le pays et trouver les bonnes façons d'aider. Parfois, il faut accepter qu'il y a des limites à ce que l'on peut faire.
Le sénateur Merchant : Si l'aide est liée exclusivement à la pauvreté, est-ce que cela pourrait nous causer des problèmes?
M. Lowcock : Je ne peux que vous offrir notre expérience depuis l'adoption de notre loi en 2002. Il est utile que vos objectifs soient clairs. C'est ce que la loi de 2002 nous a donné : la clarté quant à notre mission.
Ensuite il faut répondre à la question suivante : « Est-ce que je peux, dans ce pays, mener une action qui va contribuer à ces objectifs? Rien ne remplace l'analyse rigoureuse du contexte. Il est possible de faire bien plus de choses pour soulager la pauvreté dans des pays très peuplés, pauvres et fragiles de l'Afrique que ce que l'on a fait pendant la plus grande part des 10 dernières années, dans des pays comme la République démocratique du Congo, le Nigeria et le Soudan. Cependant, il faut avancer très prudemment et former des jugements avec la tête froide.
Le président suppléant : Je dois mettre un terme à cet échange très intéressant. Monsieur Lowcock, au nom du comité, je vous remercie du fond du cœur de nous avoir consacré votre temps. Cet échange a été très utile et fructueux. Nous espérons rétablir le contact à l'avenir.
M. Lowcock : Merci beaucoup. J'espère que cela a été utile.
[Français]
Le président suppléant : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Robert Fowler, haut fonctionnaire à la retraite qui a connu une remarquable carrière dans la fonction publique fédérale. Son dernier poste aura été celui d'ambassadeur du Canada en Italie. Il aura également été représentant personnel du premier ministre pour l'Afrique, et ce, sous trois premiers ministres, à savoir messieurs Chrétien, Martin et Harper. Bien qu'il soit à la retraite, M. Fowler est, depuis janvier 2007, président du Groupe d'étude sur l'Afrique de l'Institut canadien des affaires internationales. Monsieur Fowler a comparu devant notre comité en mai 2006 lors de notre étude sur l'Afrique.
Nous sommes heureux de l'accueillir en personne aujourd'hui.
[Traduction]
Nous entendrons également le professeur George Ayittey, professeur de sciences économiques à l'American University de Washington. M. Ayittey détient un doctorat de l'Université du Manitoba et a écrit sur maints sujets touchant l'Afrique, en particulier l'économie politique, le développement économique, et cetera. Il est l'auteur, entre autres, d'un ouvrage intitulé Africa Unchained : The Blueprint for Africa's Future. Il a comparu devant notre comité lors de notre étude sur l'Afrique en mai 2005.
Bienvenue à tous au Sénat du Canada.
[Français]
Je cède tout d'abord la parole à M. Robert Fowler.
[Traduction]
Robert Fowler, haut fonctionnaire à la retraité à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir été invité pour vous faire part de mes vues à l'occasion de votre étude du projet de loi C-293. Permettez-moi de dire d'emblée que j'estime que nous, les Canadiens, pouvons faire mieux. Nous pouvons être des fournisseurs d'aide au développement plus intelligents, plus efficients et plus efficaces. Néanmoins, à mon avis, ce projet de loi, en l'état, n'accomplira rien de tel.
Je considère que l'administration de notre programme d'aide au développement devrait être transparente, mieux focalisée et mieux reliée aux objectifs prioritaires que nous cherchons à réaliser. Ces objectifs devraient plus largement compris et leur réalisation mieux contrôlée, mais rien de cela n'arrivera du fait de ce projet de loi.
Monsieur le président, le rapport de votre comité intitulé Surmonter 40 ans d'échec : Nouvelle feuille de route pour l'Afrique subsaharienne, publié il y a quatre mois, a mis en lumière un certain nombre d'entraves à l'exécution d'un programme d'aide efficace. Vous avez relevé que 11 ministres se sont succédé au portefeuille de l'ACDI depuis 1989. Un grand nombre d'observateurs et de témoins ayant comparu devant le comité sur le projet de loi C-293 ont fait état de changements d'orientation politique au gré du vent qu'un tel défilé de ministres a encouragés.
Vous savez, cependant, que le Canada est loin d'être seul à mettre en question ces mécanismes de prestation de l'aide au développement et à chercher à mieux relever les impressionnants défis que présente l'administration efficace de l'aide dans le monde complexe d'aujourd'hui. L'époque est révolue où l'aide consistait simplement à construire des barrages, des routes, des cliniques et à forer des puits, encore que beaucoup pensent — et j'en fais partie — qu'il est peut-être temps de retourner en partie à une telle conception.
D'importants aspects de la fourniture de l'aide méritent un examen serré, en particulier la concentration de l'aide, tant sur le plan géographique que thématique et le retrait des conditions au soutien budgétaire direct, sur lesquels votre comité et moi sommes en désaccord. En outre, il y a le montant de l'APD et les attentes irréalistes quant à ce que l'aide au développement peut et ne peut pas raisonnablement accomplir. Ce projet de loi ne touche à aucune de ces considérations.
À l'évidence, le statu quo est intenable pour ce qui est de l'exécution de l'aide canadienne. Nous devons aux Canadiens qui apportent les fonds et aux plus pauvres d'entre les pauvres du monde, et particulièrement ceux dont la situation va en empirant, de faire mieux.
Je ne crois tout simplement pas que le projet de loi va contribuer à aucun de ces objectifs. De fait, il me semble que l'adoption de ce projet de loi pourrait bien nuire à l'efficacité de notre aide et compliquer encore davantage la solution des problèmes essentiels en rapport avec l'amélioration de notre performance.
Permettez-moi de consacrer un moment au contenu précis du projet de loi tel qu'il se présente actuellement, pas nécessairement dans l'ordre du texte. Pour ce qui est de l'impératif global de réduction de la pauvreté, j'estime que le Canada devrait mener une politique d'aide « faite au Canada », sans se laisser contraindre par les règles du Comité d'aide au développement de l'OCDE ou les pratiques et procédures d'autres donateurs, aussi bonnes soient elles. Mais ne vous y trompez pas : le CAD joue un rôle vital d'égalisation du terrain de jeu qui mérite notre soutien continu. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas beaucoup marqué de buts que je préconise d'agrandir la taille du filet.
J'aime croire que nous tous considérons que l'aide doit viser à changer la situation économique du tiers-monde, à arracher des milliards d'êtres humains à l'esclavage d'une pauvreté dégradante et, plus particulièrement, à mettre un terne à la relégation d'un milliard d'Africains en marge de l'économie mondiale.
Je crois également que la plupart d'entre nous conviennent que diverses approches de ce problème sont valides, qu'aucune ne s'est avérée spectaculairement plus efficace et que 50 années d'histoire de développement nous ont appris à nous méfier des solutions faciles ou simplistes. Il existe beaucoup de bonnes façons de faire du développement et certaines façons notoirement mauvaises, notamment le fait d'imposer des solutions à nos partenaires en développement.
J'espère que nous pouvons également convenir que si nous voulons changer le sort des pauvres, nous ne pouvons le faire au milieu de la guerre et de l'anarchie. Aider à résoudre les conflits et à gérer l'instabilité est un volet totalement légitime et nécessaire de la lutte contre la pauvreté. Par conséquent, je suppose qu'il n'y aura pas d'opposition à ce qu'un ministre compétent consacre des crédits d'aide au développement pour aider l'Union africaine à maintenir un semblant de paix au Darfour, puisque nous sommes si clairement réticents à le faire nous-mêmes.
Quelle heureuse nouvelle cela a-t-il été d'apprendre hier que Khartoum a enfin accepté une force hybride de l'UA et de l'ONU.
Si de telles dépenses ne sont pas considérées à 100 p. 100 par le CAD comme faisant partie de l'aide au développement canadienne et ne sont pas incluses dans le calcul du pourcentage de l'aide canadienne par rapport au PIB per capita, tant pis. Le choix du gouvernement canadien est soit d'accepter le chiffre inférieur de l'aide officiellement sanctionnée soit, bien entendu, d'accroître ses dépenses d'APD. Honorables sénateurs, vous savez que je suis fervent partisan de le faire de toute façon. Ce n'est pas parce que le CAD ou le fantôme de Mike Pearson disent que nous le devrions, mais plutôt parce que nous le pouvons et que le besoin en est clairement évident aux yeux de quiconque veut bien regarder.
Dans la même veine, je suppose que nulle personne raisonnable ne s'opposerait à ce que des fonds d'aide canadiens servent à promouvoir un climat plus propice à l'investissement dans les pays bénéficiaires ou même à former, mettons, des négociateurs commerciaux africains afin qu'ils puissent obtenir de meilleures conditions dans les négociations commerciales multilatérales, si jamais elles vont reprendre.
S'il n'est pas entendu que la focalisation exclusive sur la réduction de la pauvreté doit englober de tels éléments d'une approche équilibrée du développement, alors le projet de loi pourrait avoir des conséquences extrêmement pernicieuses. Pour éviter de telles possibilités et minimiser le risque de confusion, je mets en garde contre toute description de ce que la réduction de la pauvreté peut englober ou exclure.
Pour ce qui est de la reddition de comptes, certes, le ministre devrait assumer la responsabilité de ses décisions et veiller à ce que ses décisions et les flux de dépenses et affectations de crédits aux programmes qui en résultent soient communiquées de manière transparente. Personnellement, je pense que toute personne intéressée peut trouver toutes les données requises dans les documents existants accessibles par le public et dans les publications sur support papier et électroniques, et je crains que l'imposition à une bureaucratie déjà constipée de contraintes déclaratoires supplémentaires obligeant à masser le message ne va faire que ralentir et alourdir encore plus l'acheminement de notre aide.
Lorsque j'étais chargé de conseiller — avec vos collègues, le sénateur Dallaire et le sénateur Jaffer — sur les mesures à prendre pour soulager les souffrances au Darfour, je n'en croyais pas mes yeux qu'il faille quatre mois pour fournir un soutien par hélicoptère et six mois pour livrer des véhicules blindés à l'AMIS. Les raisons citées étaient principalement des formalités bureaucratiques et couche après couche de surveillance inspirées principalement par le climat d'aversion au risque qui continue de régner dans la capitale depuis le scandale des commandites.
Nul n'aime particulièrement prendre des risques, particulièrement pas les politiciens et leurs bureaucrates, quoi qu'ils en disent, mais lorsque des gens meurent pendant que nous effectuons un audit de plus ou rédigeons un rapport de plus au Parlement, il faut s'interroger sur la validité de nos priorités.
Votre rapport sur l'Afrique déplorait le nombre et la proportion de l'effectif de l'ACDI en poste à Ottawa. Je vous garantis que si ce projet de loi est adopté avec ses exigences de rapport, la tendance n'ira pas dans le sens que vous souhaitez.
Le projet de loi exige que notre aide au développement soit conforme aux valeurs canadiennes et définie exclusivement en fonction de ces valeurs. Je sais ce que j'aimerais que soient ces valeurs, et certaines sont plus ou moins contenues dans l'article d'interprétation. Mais je ne suis pas du tout certain qu'il existe une définition légalement validée de ces valeurs et je crains que, contrairement aux dictats du politiquement correct, on obtiendrait des réponses sensiblement divergentes en provenance des éléments disparates de la mosaïque canadienne.
On pourrait dire la même chose de la stipulation que l'aide au développement canadienne doit être compatible avec les normes internationales en matière de droits de la personne, encore que dans ce cas l'article d'interprétation donne une définition un peu plus concrète.
Honorables sénateurs, ma dernière observation intéresse l'obligation pour le ministre compétent doit consulter les gouvernements. Parlons clair : je suis fervent partisan d'une large concertation avec nos partenaires en développement. Cependant, ce libellé me paraît donner des instructions inutilement détaillées au ministre sur la façon de faire son travail.
Cependant, ma crainte principale est que ce texte prive le ministre et son personnel de la latitude d'agir de manière aussi imaginative, créative et même courageuse que dans le passé pour calmer les conflits et soulager les souffrances et encourager un changement positif dans des circonstances géopolitiques très particulières.
Monsieur le président, je vous laisse à vous et à vos collègues le soin de juger si les exemples historiques que je vais citer pourraient avoir une pertinence actuelle ou future dans notre monde troublé et imparfait. Permettez-moi de rappeler que dans les années 1980 l'ACDI avait des programmes en Afrique australe, tant dans les États de la ligne de front qu'en Afrique du Sud elle-même, pour « assister les victimes de l'apartheid ». Ces programmes apportaient éducation et formation à des personnes bannies et offraient un soutien financier à des organisations interdites comme le parti qui est aujourd'hui au pouvoir en Afrique du Sud. Pouvez-vous imaginer ce qui serait arrivé s'il avait fallu consulter le régime raciste au sujet de l'établissement et de l'exécution de tels programmes? Il est évident qu'ils n'auraient jamais vu le jour.
Dix ans plus tard, dans les années 90, l'ACDI fournissait un soutien aux journalistes libres de Serbie pendant et immédiatement après la guerre des Balkans. Vous vous souviendrez que Milosevic a dû céder le pouvoir moins sous l'effet des pressions externes que des manifestations d'un public toujours plus informé. Un tel programme aurait-il pu être le fruit de consultations poussées avec le gouvernement de Belgrade?
Si, comme je « l'affirme », l'impératif est trop fort et que les auteurs du projet de loi ne peuvent se résoudre à dire « peut », pourquoi ne pas écrire « devrait consulter », pour manifester clairement l'intention du Parlement mais en laissant un peu de latitude au ministre lorsque clairement il ou elle ne doit pas?
Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Fowler.
George Ayittey, professeur, Sciences économiques, American University, à titre personnel : Honorables sénateurs, merci beaucoup de m'inviter à témoigner devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. C'est une opportunité et une invitation qui ne m'a encore jamais été accordée par aucun gouvernement ou Parlement africain.
J'aimerais établir la distinction entre l'assistance ou le secours humanitaire et l'aide publique au développement. Je vais concentrer mon propos sur l'aide publique au développement.
Ma position est que l'aide étrangère est noble et qu'il est noble d'aider l'Afrique, mais que l'aide à l'Afrique est devenu un théâtre de l'absurde où les aveugles conduisent les ignorants. Le fait est que les ressources d'aide dont l'Afrique a si désespérément besoin se trouvent en Afrique même. Son bol de mendiant fuit horriblement.
La quantité d'aide étrangère de toute provenance qui se déverse dans le bol chaque année totalise près de 25 milliards de dollars, mais il y a des fuites massives. Selon l'Union africaine, la corruption à elle seule coûte 148 milliards de dollars par an à l'Afrique. La fuite des capitaux hors d'Afrique est estimée à 50 milliards de dollars par an. De fait, la Banque mondiale estime que 40 p. 100 de toute la richesse créée en Afrique s'investit en dehors du continent. Au moins 15 milliards de dollars sont dépensés par les gouvernements africains pour importer des armes et entretenir des armées qui, au lieu de protéger la population, retournent ces armes contre elle. La Somalie, le Rwanda, le Burundi, le Zaïre, le Liberia, la Sierra Leone, la Côte d'Ivoire, le Togo et le Nigeria ont tous été ruinés par des régimes militaires.
Une autre fuite réside dans les 19 milliards de dollars que l'Afrique dépense chaque année pour importer de la nourriture, alors que dans les années 1950 l'Afrique non seulement subvenait à ses besoins mais exportait des aliments. Si vous totalisez toutes ces fuites, vous arrivez au chiffre de plus de 230 milliards de dollars par an, soit dix fois plus que l'aide étrangère versée à l'Afrique. De toute évidence, l'Afrique pourra trouver davantage de ressources en bouchant les fuites qu'en mendiant davantage d'aide.
L'aide ne peut être interrompue. C'est un impératif moral pour les pays nantis que d'aider les pays démunis. Je suis sûr que les organisations de la société civile canadienne vont faire pression pour que le gouvernement canadien porte son engagement d'aide de 0,4 à 0,7 p. 100 du PIB, d'autant qu'il est peu probable que l'Afrique remplisse les objectifs du Millénaire pour le développement.
En avril de cette année, lors de la Conférence des ministres de la CEA tenue à Addis Abeba, en Éthiopie, M. Wani Tombe Lako du Service d'information et de communication de la CEA a déclaré qu'au rythme actuel il est irréaliste pour les pays africains d'imaginer qu'ils puissent remplir les objectifs du Millénaire pour le développement, même en l'espace de 100 ans. Cet avis a été repris par un autre directeur onusien du développement de l'Afrique, Gilbert Houngbo, qui a affirmé à Brazzaville que les pays africains « n'atteindront pas l'objectif de la division par deux de la pauvreté d'ici 2015 ».
Honorables sénateurs, pour aider l'Afrique, nous ne pouvons continuer à faire les choses comme à l'accoutumée. Quarante années d'aide au développement à l'Afrique ont été un échec retentissant. Comme je l'ai indiqué dans mon témoignage devant votre comité il y a deux ans, des problèmes existent tant du côté des donateurs que de celui des bénéficiaires. Aussi, je félicite votre comité d'avoir eu le courage d'admettre cet échec de l'aide au développement à l'Afrique. Je sais qu'il est difficile de reconnaître l'échec, mais c'est thérapeutique.
Je sais que ce projet de loi est passé au hachoir parlementaire, sachant que le gouvernement est opposé à certains articles, et a été amputé de certaines dispositions — par exemple, le comité consultatif et aussi les pétitions. Néanmoins, le projet de loi cherche à réaliser trois objectifs louables.
Premièrement, les objectifs de l'aide au développement canadienne sont plus clairement définis. Dans le passé, le Canada voulait faire tout et n'importe quoi pour tous les pauvres. Cette fois-ci, le projet de loi fait de la réduction de la pauvreté l'objectif de l'aide publique au développement canadienne et impose que cette aide soit conforme aux obligations internationales en matière de droits de la personne du Canada. Il oblige à prendre en compte également — et c'est la partie que j'aime — les points de vue des pauvres.
Deuxièmement, et c'est peut-être la première fois dans l'histoire du Canada, le projet de loi cherche à imposer la responsabilité et la transparence dans l'octroi de l'aide publique au développement. Le ministre compétent doit publier un rapport indiquant ce qui a été dépensé et quels résultats ont été obtenus sur le plan de la réduction de la pauvreté.
Troisièmement, le projet de loi cherche à ramener des deux années actuelles à six mois après la fin de l'exercice le délai de production de l'information sur l'aide au développement.
Néanmoins, bien que ce projet représente une amélioration majeure par rapport au statu quo, je formule quelques réserves à son endroit.
Premièrement, je reconnais que l'expression « réduction de la pauvreté » a été adoptée par conformité à certaines normes internationales spécifiées par le Comité d'aide au développement de l'OCDE. Cependant, comme l'a indiqué le témoin précédent, peut-être aurait-il mieux valu adopter une définition canadienne originale. Je me range à cet avis parce que cette expression peut créer des incitations perverses en ce sens que, puisque la pauvreté en Afrique a souvent été exacerbée par des politiques gouvernementales pernicieuses, qu'est-ce qui empêche un gouvernement de provoquer davantage de pauvreté pour recevoir davantage d'aide au développement?
« Création de richesse », à mon avis, serait un meilleur terme car il changerait la matrice de tout le cadre de réflexion sur le développement. Au lieu de concevoir les pauvres comme ces miséreux dont il faut atténuer la pauvreté, ils pourront être perçus comme des créateurs de richesse dynamiques, ce qu'ils sont. Mais surtout, l'adoption de ce nouveau terme « création de richesse » contribuerait à réduire le rôle de l'État dans le développement économique. En effet, la richesse est créée dans le secteur privé, et non par l'État.
L'expression « réduction de la pauvreté » actuellement en vigueur tend plutôt à renforcer le rôle de l'État dans le développement économique. En réalité, les Africains considèrent leur gouvernement comme un problème, tel que l'a magnifiquement résumé un chef tribal du Lesotho en disant : « Ici au Lesotho, nous avons deux problèmes : les rats et le gouvernement ».
Deuxièmement, le projet de loi veut que soient pris en compte « les points de vue des pauvres », mais il ne dit pas de quelle manière cela pourrait être fait. Le texte initial prévoyait un comité consultatif et un mécanisme de pétition, mais ces deux dispositions ont été retranchées et il n'existe plus dans la nouvelle version de mécanisme à cet effet.
Ensuite, au sujet des bénéficiaires, à mes yeux, c'est là que réside principalement la défaillance des programmes d'aide étrangère. Il existe davantage de problèmes au niveau des destinataires pour ce qui est de l'utilisation faite de l'aide au développement. Je reconnais que, en raison des contraintes diplomatiques et autres considérations de souveraineté, le Canada est limité dans ce qu'il peut faire pour influencer la reddition de comptes et la transparence, mais ce sont exactement là les concepts que les pauvres aimeraient voir. Ils veulent pouvoir demander des comptes à leur gouvernement. Ils veulent pouvoir demander à leur gouvernement combien d'aide ils reçoivent et ce qu'ils en font.
L'an dernier, dans mon témoignage, j'ai dit que l'aide intelligente est ce qui habilite les pauvres à initier des changements de l'intérieur et à exiger la même reddition de comptes que celle que les contribuables canadiens attendent de leur ministre compétent. Les donateurs parlent de réduction de la pauvreté, mais les démunis de l'Afrique qui voient dans leur gouvernement la cause de leur pauvreté aimeraient plutôt voir un changement. Le Canada peut être un exemple à cet égard en fixant des conditions à l'octroi de son aide.
À tout le moins, le projet de loi exige que le ministre compétent rende compte de la façon dont l'aide au développement est dépensée; mais il pourrait dans le même temps exiger que les ministres compétents des pays bénéficiaires rendent compte des montants d'aide canadienne que leur gouvernement a reçue et de l'usage qui en a été fait. Ce rapport du ministre compétent du pays bénéficiaire devrait être rendu public et envoyé aux deux Parlements.
Au maximum, le Canada pourrait cibler son aide de façon stratégique. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. L'aide étrangère donnée à un gouvernement africain est considérée comme un soutien général de ce gouvernement et disparaît dans le budget de celui-ci. Il est impossible de savoir comment l'aide a été utilisée.
Une meilleure façon pour le Canada de distribuer l'aide serait de la canaliser vers des institutions particulières. Le témoin précédent a dit que l'ACDI a versé une aide aux journalistes serbes. L'institution d'une presse libre est très importante pour l'Afrique. À l'heure actuelle, seuls huit pays d'Afrique ont une presse indépendante et libre. On ne peut combattre la corruption sans une presse libre ni une magistrature indépendante pouvant imposer le respect de la loi. Personnellement, je considère que six institutions sont cruciales. Si le gouvernement canadien les ciblait, cela permettrait aux pauvres d'exiger des comptes et imposerait la transparence sur le plan de l'utilisation de l'aide.
Je vais m'en tenir là, en vous remerciant indéfiniment de votre invitation.
Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Ayittey.
Le sénateur Johnson : Monsieur Fowler, vous avez parlé d'une bureaucratie constipée à l'ACDI. Je suis fasciné; pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par-là?
M. Fowler : Je vous en ai donné un exemple, sénateur Johnson, avec les quatre mois qu'il a fallu pour acheminer de l'essence et des hélicoptères.
Le sénateur Johnson : Quels sont les remèdes?
M. Fowler : Si les hauts fonctionnaires de l'ACDI se voyaient libérés par leurs maîtres politiques de cet impératif de ne prendre aucun risque, s'ils avaient la faculté d'acheminer l'aide au lieu d'être contraints à cette prudence extrême qui oblige à fournir une litanie sans fin de rapports et de comptes et de compilations statistiques et à tout faire avaliser par le Conseil du Trésor — je devrais consacrer un long moment au Conseil du Trésor, mais je vais le laisser de côté. Qui fournit l'aide dans ce pays? Est-ce le ministre responsable de l'ACDI ou le ministre responsable du Conseil du Trésor? On peut se poser la question. En tout cas, je pense que l'on pourrait faire beaucoup pour rationaliser le processus d'agrément et acheminer l'aide plus vite, avec moins de contraintes.
Le sénateur Johnson : Comment voyez-vous cela se faire, monsieur Fowler?
M. Fowler : Je ne le vois pas se faire.
Le sénateur Johnson : Monsieur Ayittey, le sénateur Dallaire est le parrain de ce projet de loi et n'est pas du tout en faveur de modifications. Que pensez-vous de son adoption en l'état? Vaut-il mieux avoir quelque chose plutôt que rien?
M. Ayittey : À mon avis, c'est une amélioration par rapport à la situation actuelle, mais cela ne va pas assez loin. Comme je l'ai dit dans mon témoignage, une grande partie du problème réside au niveau des bénéficiaires. La reddition de comptes n'est pas suffisante. Nous ne pouvons pas poser les questions à notre gouvernement. Nous ne savons pas combien le Canada donne à un pays africain donné. Nous ne pouvons le demander. Nous ne savons pas à quoi sert l'argent.
Je reconnais qu'il y a là des considérations de souveraineté. Le Canada ne peut obliger un pays africain à ouvrir ses comptes. Le Canada est limité dans ce qu'il peut faire. C'est pourquoi je dis que, si le projet de loi apporte certes une amélioration, il ne répond pas à mes préoccupations majeures relatives aux dépenses faites en Afrique.
Le sénateur Johnson : Vous n'êtes pas en faveur de l'expression « réduction de la pauvreté ». Vous dites qu'elle peut créer des incitations perverses. Qu'entendez-vous par-là? Pourriez-vous expliquer?
M. Ayittey : Je pense que « réduction de la pauvreté » dépeint les pauvres comme placés dans un état pitoyable. Leur « pauvreté » en soi a une connotation stigmatisante, surtout en Afrique où les gouvernements sont la cause de la pauvreté. Cela peut créer une incitation perverse pour les gouvernements à créer davantage de pauvreté pour recevoir davantage d'aide.
Prenez le Darfour, par exemple. Chaque fois que la communauté internationale fournit une aide humanitaire, cela soulage le gouvernement de ses propres responsabilités à l'égard de son peuple. C'est ce que j'entends par incitation perverse.
Le sénateur Johnson : Et donc, au lieu de « réduction de la pauvreté » vous préconisez « création de richesse ».
M. Ayittey : Oui.
Le sénateur Johnson : Cela pourrait changer le point focal.
M. Ayittey : Je prône ces termes car « création de richesse » est une expression plus positive — positive au sens où elle est l'envers de la même médaille. Si vous enrichissez les gens, vous les rendez moins pauvres. « Création de richesse » a une connotation positive en ce sens que cela ne décrit pas les pauvres comme des êtres misérables et pitoyables qui mendient une aide. Si on les présente comme des créateurs de richesse, cela change la dynamique du développement économique. S'ils sont créateurs de richesse, nous avons l'obligation de voir comment faciliter le processus de création de richesse.
De fait, M. Richard Fowley a dit que l'aide canadienne devrait peut-être servir à créer un milieu propice à l'épanouissement d'entreprises. Si nous changeons le mode de pensée en faveur de la notion de création de richesse, nous pourrons peut-être réduire le pouvoir ou le rôle de l'État dans le développement économique, car la richesse est créée par le secteur privé et non par l'État.
Le sénateur Johnson : Cela dit — et je ne conteste pas votre thèse — à mon sens cela pourrait changer l'orientation du projet de loi. Son but est d'assigner clairement la réduction de la pauvreté comme objectif de l'aide publique au développement du Canada, ce qui peut ne pas signifier la création de richesse. Dans quelle mesure cet amendement est- il important à vos yeux? Avez-vous autre chose à dire? Je pense que vous avez à peu près exprimé votre pensée à ce sujet.
M. Ayittey : Le terme a déjà été adopté dans le projet de loi. Je ne fais que suggérer cela comme concept préférable.
Le sénateur De Bané : M. Ayittey nous a rappelé que, selon l'Union africaine, la corruption coûte environ 150 milliards de dollars par an. Bien sûr, les pays donateurs n'ont pas une telle somme, même s'ils doublaient ou triplaient leur aide. Plus de 50 milliards de dollars sortent d'Afrique chaque année; 40 p. 100 de la richesse créée se cache dans les banques étrangères.
M. Fowler nous a rappelé que l'aide ne sera jamais le facteur premier du développement d'un pays. Elle peut contribuer, mais en fin de compte, elle ne peut compenser la guerre et la corruption.
Monsieur Fowler, j'ai été très surpris que vous, l'un des sous-ministres les plus expérimentés, préconisiez de supprimer les règles du Conseil du Trésor ou du vérificateur général. C'est de l'argent qui appartient au contribuable et il a fallu des années pour mettre en place ces règles. Lorsque vous étiez sous-ministre, vous étiez un administrateur rigoureux; vous administriez d'énormes budgets, supérieurs de cinq ou six fois au budget annuel de l'ACDI, et vous exigiez une administration rigoureuse. En tant que contribuable, j'espère que nous continuerons à avoir une gestion rigoureuse des dépenses.
Monsieur Ayittey, j'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit au sujet de l'espace politique du peuple, de la nécessité pour les journalistes et les gens de pouvoir s'exprimer librement. L'un des problèmes majeurs en Afrique, c'est que plusieurs pays sont nominalement démocratiques, mais ne vous risquez pas à critiquer leurs dirigeants.
Robert Calderisi est un Canadien, un boursier Rhodes qui a consacré sa vie à l'Afrique. Il vient de prendre sa retraite après 35 années passées au ministère des Finances, à l'ACDI et à la Banque mondiale. Il a publié un livre intitulé The Trouble with Africa : Why Foreign Aid Isn't Working. L'Economist l'a classé comme l'un des meilleurs livres de 2006. Il dit qu'en fin de compte les Africains ont beaucoup plus besoin d'espace politique pour s'exprimer que de toute l'aide des pays donateurs. Je soupçonne que vous êtes d'accord avec lui pour dire qu'aussi longtemps que les Africains ne seront pas libres de critiquer leurs dirigeants, ces tristes statistiques que vous nous avez rappelées persisteront.
M. Ayittey : Oui.
M. Fowler : Le sénateur De Bané a délicatement évité de me poser une question. J'aimerais néanmoins lui répondre.
Je n'ai jamais dit que le Conseil du Trésor et le vérificateur général ne devaient pas intervenir. Ils jouent des rôles vitaux et importants. Je pense qu'ils pourraient les jouer de façon plus efficace et efficiente et je ne pense pas qu'il faille superposer à leur rôle important des rôles additionnels qui reviennent à doubler et tripler les contrôles au point de ralentir, en particulier, notre aide d'urgence au point que des vies sont perdues. Voilà ce que j'entendais par-là.
Le président suppléant : Monsieur Ayittey, souhaitez-vous répondre au sénateur De Bané?
M. Ayittey : Non. Je suis d'accord avec ce que le sénateur a dit. Tant qu'il n'existera pas la liberté et l'espace politique... N'oublions pas que les pauvres savent exactement ce qui leur fait mal. Les pauvres doivent disposer d'espace politique pour exiger que leurs gouvernements leur rendent des comptes et montrent quels résultats ils ont obtenus avec l'aide reçue.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Entre 1970 et 2004, plus de 450 milliards de dollars ont afflué dans les coffres du gouvernement nigérian. Selon le président de l'Economic and Financial Crimes Commission, 412 milliards de cet argent ont été volés par les gouvernants du pays. Si vous regardez le revenu per capita du Nigeria, en 1960 il était d'environ 200 $. Aujourd'hui, le revenu per capita du Nigeria est d'environ 265 $, une différence très marginale.
La corruption représente aussi un énorme fardeau. Les Nigérians ne peuvent rien faire contre cela parce qu'ils ont vécu sous le joug militaire pendant la plus grande partie du temps pendant l'indépendance.
J'essaie de montrer que tant que les Africains ne pourront tenir leurs gouvernements pour responsables, tant qu'ils n'auront pas d'espace politique et la liberté de critiquer leurs dirigeants, les choses ne vont pas changer.
Le Canada peut aider. L'une des façons dont le Canada peut aider serait de cibler son aide sur certaines institutions particulières, comme je l'ai dit dans mon témoignage. Par exemple, il pourrait cibler son aide sur la création d'une presse indépendante et libre, la création d'une magistrature indépendante appliquant la règle de droit et la création d'une commission électorale indépendante.
J'ai isolé six domaines dans mon exposé dont j'ai envoyé copie aux membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Si vous donnez aux Africains ces six institutions cruciales, ils feront la plus grande partie du travail eux-mêmes.
J'aimerais rappeler aux membres du comité comment nous avons agi vis-à-vis de l'ancienne Union soviétique et des pays de l'Est. Souvenez-vous du rôle des médias dans la disparition de l'Union soviétique, ainsi que de la perestroïka. Nous voulons avoir en Afrique notre propre glasnost.
Le sénateur Segal : Monsieur Ayittey, seriez-vous plus favorable à ce projet de loi si l'on reprenait les éléments spécifiques de votre mémoire pour préciser que, dans la plupart des cas, et sauf preuve du contraire, il vaut mieux ne pas dépenser de fonds destinés à la réduction de la pauvreté pour une aide de gouvernement à gouvernement en Afrique mais plutôt par l'intermédiaire d'autres institutions du type de celles que vous citez dans votre mémoire?
M. Ayittey : Il est difficile de répondre à cette question en raison des relations diplomatiques que le Canada peut avoir avec divers pays d'Afrique.
Ma réaction instinctive, et cela rejoint mon témoignage de l'an dernier, c'est que l'aide donnée de gouvernement à gouvernement a eu des résultats désastreux. Elle n'a tout simplement rien donné parce qu'il n'y a aucune reddition de comptes.
Personnellement j'aimerais que l'on contourne les gouvernements corrompus et incompétents d'Afrique pour que l'aide aille directement à la population.
Le Canada a montré la voie à cet égard en accordant une partie de son aide à des organisations de la société civile canadienne. J'aimerais que cela soit élargi aux organisations de la société civile africaine, celles sur le terrain. Les ONG sur le terrain savent exactement ce qui se passe et pourraient probablement être beaucoup plus efficaces.
Cependant, je ne sais pas s'il est possible de complètement supprimer l'aide de gouvernement à gouvernement.
Le sénateur Segal : Merci de votre franchise et de votre clarté, monsieur Fowler. Je n'ai pas eu à me demander après votre exposé : « Que voulait-il bien dire? » C'était très clair et j'ai apprécié.
Vous êtes familier de ce domaine depuis longtemps, de par les différents postes que vous avez occupés. Vous savez que la motivation des promoteurs du projet de loi est réellement très constructive. Ils cherchent à améliorer les choses. Ils sont persuadés que la qualité de notre aide étrangère — non pas la quantité, mais la qualité — gagnerait à une plus grande transparence et à un mécanisme de consultation plus structuré.
Nous avons pris connaissance de la législation applicable depuis déjà quelques temps au ministère du développement international britannique. Nous avons entendu un témoignage à ce sujet tout à l'heure. Je crois que l'on s'accorde à dire que ce ministère a fait un meilleur travail sur le terrain que peut-être l'ACDI, pour toute une série de raisons qui ne sont pas nécessairement la faute de quiconque à l'ACDI mais tiennent plutôt à des obstacles structurels.
Que feriez-vous si vous étiez législateur et deviez vous prononcer sur ce projet de loi, qui a été présenté avec les meilleures intentions et pour les meilleures raisons du monde, étant donné vos propres positions, que je partage très largement?
M. Fowler : Je vais répondre à la question du sénateur Segal par le biais de M. Ayittey, si vous me permettez.
Vous vous souviendrez de notre discussion, lorsque j'étais à Rome et que vous faisiez votre étude sur l'Afrique, que je considère que nous devons être hautement sélectifs dans le choix de nos partenaires d'aide. Nous devrions concentrer beaucoup plus notre aide. Je n'aurais guère d'hésitation à fournir une aide de gouvernement à gouvernement à certains de nos partenaires africains. Nous ne devrions pas en donner à ceux sur lesquels nous avons des réserves.
Il se pose une question distincte, celle de savoir si vous considérez, par exemple, qu'il est viable à long terme que des pays comme la Tanzanie ou la RDC — et je ne place pas ces deux-là précisément dans la même catégorie — que 60 p. 100 de leur budget provienne de l'extérieur. Cependant, du point de vue de la corruption ou de la déperdition d'argent, je pense que nous pouvons travailler très efficacement de gouvernement à gouvernement dans certains pays.
Pour répondre peut-être de façon un peu oblique à la question précédente du sénateur Johnson, indépendamment de ce que nous faisons à Ottawa, il existe différents mécanismes d'exécution de l'aide qui sont, par définition, plus efficients.
Si je puis schématiser à outrance, nous fournissons l'aide aujourd'hui à peu près de la même façon qu'il y a 50 ans. Nous la distribuons « au détail » et pour de petits projets. Une partie de ces petits projets répond à des modes passagères et sont dispersés. La production de programmes-souvenir, lorsque des dignitaires viennent en visite, est faite pour séduire des ambassadeurs, des ministres et premiers ministres. Cela exige beaucoup d'administration.
Le soutien budgétaire direct n'exige pas beaucoup d'administration lorsque vous avez un partenaire de confiance. Il est facile de rédiger un chèque. Vous saurez d'après mes propos antérieurs que je considère que nous devons appliquer les principes que nous prétendons épouser pour ce qui est des bonnes pratiques de don.
Pourquoi la Norvège ne réaliserait-elle pas l'audit des programmes éducatifs en Tanzanie pour nous et pour tous les autres? Est-ce que les Norvégiens sont plus vénaux que nous? Pourquoi ne pas faire ce genre de choses. Mais pour cela il nous faudrait l'autorisation du Conseil du Trésor et du vérificateur général et, à l'heure actuelle, je crois qu'ils ne seraient pas d'accord.
Pour ce qui est de votre question plus large, j'ai cherché à limiter mes remarques liminaires au contenu de ce projet de loi plutôt que d'esquisser un nouveau mécanisme de prestation de l'aide pour le Canada. Je crois que c'est ce que vous m'invitiez à faire.
Le sénateur Segal : Non. Je vous demandais de vous prononcer sur le projet de loi.
M. Fowler : C'est ce que je crois faire. Je suis tout à fait d'accord avec vous et j'aurais peut-être dû le dire plus clairement, je pense que le projet de loi est bien intentionné. Il va établir un encadrement pour l'aide canadienne mais, je l'espère, pas un cadre aussi étroit qu'une interprétation stricte de la notion de réduction de la pauvreté nous empêcherait d'aider la mission de maintien de la paix de l'Union africaine au Darfour, je suppose.
Si nous adoptions l'expression « création de richesse » — et, professeur Ayittey, j'ai flirté moi-même avec cette idée — je ne sais pas trop... Il serait encore plus difficile de financer la mission de l'Union africaine au Darfour avec le concept de la création de richesse. Je ne pense pas qu'il existe une jolie petite tournure accrocheuse qui puisse résumer la complexité du développement dans le monde d'aujourd'hui. Or, c'est ce que veulent faire les auteurs du projet de loi. Ce n'est pas possible.
Si le projet de loi introduisait toute une nouvelle façon de mener le développement, la question de savoir où l'ACDI devrait se situer dans l'appareil gouvernemental et quelle est la meilleure supervision politique sont deux choses totalement différentes qui méritent tout à fait l'attention du gouvernement. Cependant, ce n'est pas ce que fait le projet de loi.
Le sénateur Downe : Le sénateur Segal a loué la franchise du rapport de M. Fowler. Je peux vous le dire, lorsque j'ai eu l'honneur d'être chef de cabinet du premier ministre et que M. Fowler était haut fonctionnaire, il parlait tout aussi franchement en privé qu'en public, et c'est ce qui le rendait si efficace.
Je partage certaines des préoccupations qu'il a soulevées au sujet du projet de loi. La consultation est un souci primordial, mais j'ai demandé à d'autres témoins leur avis sur les dispositions relatives aux rapports et l'obligation de présenter un rapport dans les six mois après la fin de l'exercice. Ce rapport exige actuellement deux ans et cela me ramène aux reproches que nous formulions dans notre étude sur l'Afrique — que les deux témoins ont manifestement lu vu qu'ils en ont fait état — soit le fait que plus de 80 p. 100 des fonctionnaires de l'ACDI sont en poste à Ottawa et non pas sur le terrain.
Au cours de cette étude, nous avons rencontré des représentants d'autres pays dont les fonctionnaires sont dispersés dans les pays bénéficiaires de l'aide. Non seulement sont-ils dispersés, mais ils sont dispersés en jouissant souvent d'une grande autonomie financière. Nous avons entendu des exemples de fonctionnaires canadiens que l'on contactait pour des projets et qui avaient pouvoir de signer jusqu'à hauteur de 50 000 $ ou 100 000 $; leurs homologues étrangers avaient un pouvoir de signature pour 2 ou 2,5 millions de dollars. Le temps que nos fonctionnaires reçoivent le feu vert, le gouvernement hôte était déjà passé à d'autres projets et ils devaient reprendre tout le circuit à partir de zéro.
Les intentions des auteurs du projet de loi C-293 sont manifestement nobles; nul ne peu être contre la focalisation sur la réduction de la pauvreté. Cependant, je me demande ce que le comité devrait faire au sujet du projet de loi, monsieur Fowler. Votre conseil serait-il de le rejeter totalement ou d'essayer de l'amender?
M. Fowler : J'ai essayé d'y répondre en disant que l'exécution de notre aide se porterait mieux sans ce projet de loi. Cela dit, s'il va être adopté, j'ai proposé quelques changements précis qui le rendraient moins néfaste.
Pour ce qui est des obligations de rapport, je ne puis chiffrer en personnes-heures ou personnes-jours ou personnes- mois la charge de travail supplémentaire, mais je sais qu'elle existe. Je sais que l'ACDI est déjà surchargée par tous les rapports à produire. Si vous vous inquiétez de la taille ou de la répartition du personnel administratif de l'ACDI, ceci va empirer les choses.
Je pense qu'il faudrait davantage d'agents de l'ACDI en poste à l'étranger. Moi aussi je trouve curieux que 71 p. 100 des agents de service étranger soient basés à Ottawa. Des agents de haut rang dans les pays de concentration clé — et j'entends des très hauts fonctionnaires — travaillant avec du personnel local informé, formé, expert, pourraient faire des merveilles, en particulier si nous rationalisions notre aide en collaboration plus étroite avec les gouvernements partenaires, au lieu de l'élaboration plus détaillée, au cas par cas, de matrices de projet spécifiques, complexes. Oui, cela va imposer un fardeau administratif supplémentaire, mais l'on pourrait en discuter. Autrement dit, peut-être pourrait- on mieux expliciter la volonté du Parlement afin que l'ACDI puisse revoir ce qu'elle fait actuellement et décider quoi cesser de faire de façon à fournir ce dont le Parlement a réellement besoin, et ce sous un format acceptable par le Parlement. L'ACDI produit certainement déjà énormément d'information.
Le sénateur Downe : Il n'y a aucun doute qu'il n'y a pas pénurie de renseignements. À moins qu'ils n'obtiennent une augmentation de leur budget et qu'ils n'aient à ramener le délai pour faire rapport de deux ans à six mois, cela va bien évidemment exiger davantage d'argent. Si ce n'était pas le cas, c'est déjà ce qu'ils feraient.
L'autre souci que j'ai — et je m'efforce d'en faire état presque à chaque réunion — concerne les priorités de l'ACDI. Vous en avez fait état dans vos remarques de tout à l'heure au sujet du roulement des ministres. Je pense que vous avez parlé de « projets à la mode » ou de projets « au goût du jour » et de la réaffectation des ressources. Les ministres de l'ACDI sous les gouvernements antérieurs ont comparu devant le comité et nous ont dit que l'Afrique est la priorité; en d'autres termes que toute l'aide et l'assistance vont à l'Afrique. Puis, vous regardez le budget et découvrez que plus d'argent n'est pas forcément dépensé mais que la cible est l'Afghanistan plutôt qu'un quelconque pays d'Afrique. Lorsque vous retournez les voir et leur demandez : « Comment est-ce possible que l'Afrique soit la priorité si les fonds ont pour cible l'Afghanistan? », alors on vous offre toute une gamme de réponses.
Une personne à l'esprit méfiant pourrait dire que, du fait que nous n'étions pas en Irak, le gouvernement a essayé de redistribuer l'argent pour lutter contre le problème de la pauvreté en Afghanistan. Il pourrait dès la semaine prochaine survenir une situation telle que, tout d'un coup, la priorité est l'Afrique, mais il nous faut envoyer l'argent dans un autre pays. Le projet de loi aurait une incidence sur ce genre de choses également. Partagez-vous cette préoccupation quant à la répartition des fonds de l'ACDI?
M. Fowler : Oui, mais c'est logique, non? Je suis engagé à l'égard et aux côtés de l'Afrique depuis longtemps. En passant, vous n'avez pas mentionné les 300 ou 400 millions de dollars que nous avons envoyés en Irak en route pour l'Afghanistan. Je mettrais cela dans la même poche.
Il y a 32 millions d'Afghans qui sont absolument démunis — ils vivent dans la plus grande indigence. Ils sont tout en bas de l'indice de développement humain. Il y a 960 millions d'Africains démunis. Je n'éprouve aucune difficulté à décider entre 32 millions et 950 millions. Oui, l'Afrique mérite une plus grande attention. Je pense également — et ceci est peut-être un petit peu audacieux — que, si nous procédons de la bonne façon, nous pourrons réaliser de meilleurs résultats en Afrique qu'en Afghanistan.
Cette discussion me permet par ailleurs de souligner encore autre chose, soit que le travail de développement, de par sa définition même, est très long — beaucoup plus long que ne le sont les horizons politiques.
La pression pour non seulement distribuer des centaines de millions de dollars en Afghanistan mais également produire, en l'espace de quelques mois, des résultats visibles, importants et heureux ne correspond tout simplement pas à la façon dont cela fonctionne. Cela ne fonctionne pas de cette façon-là en Afrique non plus.
Monsieur le président, je ne sais pas si vous seriez prêt à m'accorder trois minutes pour que j'offre au comité une petite parabole pour vous expliquer pourquoi l'on ne peut pas s'attendre à ce que les sommes d'argent dont le professeur Ayittey et moi-même avons parlé puissent vraiment changer grand-chose dans le Tiers Monde en général et en Afrique en particulier.
Le président suppléant : Faites.
M. Fowler : Vous êtes au courant, vu la grande discussion de la semaine dernière, du montant d'argent que nous avons en vérité promis à l'Afrique et de ce que nous avons livré et de ce que nous aurions dû livrer. Les vedettes du monde de la musique rock ont insisté pour dire que les 25 milliards de dollars américains de 2005 doivent devenir 50 milliards de dollars américains d'ici 2010. La question était donc de savoir si, à partir du sommet de cette année, le Canada allait pouvoir maintenir le cap pour ce qui est de verser sa part. Ayant livré 2,1 milliards, est-ce qu'il aurait fallu parler de 2,7 milliards ou de plus de 3 milliards ou autre? Ce que j'essaie de dire est que le montant total d'aide au développement que nous offrons ne changera pas beaucoup dans le Tiers Monde et ne changera pas beaucoup en Afrique. S'attendre à autre chose, c'est mal comprendre la réalité économique de ce que nous faisons. Au mieux — et je pense que le professeur Ayittey a mentionné cela il y a un petit moment —, nous pouvons gentiment amener la bonne gouvernance et le bon rendement à livrer des résultats encore meilleurs, ce qui attirera peut-être de l'investissement, ce qui permettra, dans le meilleur des scénarios, d'au moins démarrer.
Ma parabole m'a été expliquée lorsque j'étais aux Nations Unies et que le ministre allemand responsable du nivellement du terrain de jeu interne y est venu pour expliquer ce que faisait l'Allemagne pour accueillir en son sein l'ex-Allemagne de l'Est.
Lorsque le mur est tombé à la fin de l'année 1989, le gouvernement allemand avait décidé qu'il ne ménagerait aucun effort et que sa priorité numéro un serait de faire en sorte que ces 13 millions d'ex-Allemands de l'Est se sentent heureux et égaux à l'intérieur d'une nouvelle Allemagne unifiée. Le gouvernement y a réservé 100 milliards de marks par an. À l'époque, et encore aujourd'hui, si l'on fait la conversion à partir de l'euro, cela donne environ 135 milliards de dollars américains par an pour niveler le terrain de jeu pour ces 13 millions de voisins allemands.
Ce programme devait durer 15 ans, et coûter 15 fois 135 milliards de dollars américains. Il y a deux ans, le gouvernement a décidé que, oups!, il n'allait pas y arriver. Il allait lui falloir maintenir le programme pendant 10 années, ou peut-être même 15 années de plus, pour un total de 30 fois 135 milliards de dollars américains pour niveler le terrain de jeu entre les 65 millions d'Allemands de l'Ouest et les 18 millions d'Allemands de l'Est vivant maintenant à côté.
Je ne connais aucun Africain qui ne serait pas heureux d'être un ex-Allemand de l'Est. C'était plutôt bien comme situation, comparativement à celle que vivent la plupart des gens en Afrique.
Nous essayons de nous occuper de 950 millions d'Africains qui ne sont pas voisins et qui vivent des circonstances géopolitiques et géostratégiques très différentes et qui sont souvent sensiblement moins amicales. Tout cela pour dire qu'il ne faudrait pas croire que les deux ou trois milliards de dollars qu'envoie chaque année en Afrique le Canada vont amener les différences auxquelles s'attendent de nombreux Canadiens.
M. Ayittey : J'envisage les choses d'un point de vue légèrement différent pour ce qui est de ce que le projet de loi vise. Premièrement, il importe d'établir une très nette distinction entre aide humanitaire en cas de catastrophe et aide publique au développement. S'il y a une crise au Darfour, par exemple, et que des gens sont en train de mourir, j'y vois là davantage une question d'aide humanitaire que d'aide au développement économique. Il importe de faire une distinction entre les deux choses.
D'autre part, comme je l'ai indiqué, il faudra que le Canada établisse des critères pour ce qui est des pays d'Afrique auxquels il souhaite venir en aide. Tous les pays ne se situent pas au même niveau.
La question n'est pas de savoir si le Canada devrait aider ou non. L'aide donnera de bons résultats dans un pays qui a de bonnes politiques. Plusieurs études, y compris celle de la Banque mondiale, montrent que si un pays poursuit le bon genre de politiques, l'aide peut l'aider dans son cheminement. Le Canada doit déterminer ses propres critères quant à la sélection des pays d'Afrique qui vont bénéficier de son aide. Je sais qu'il s'agit d'un exercice difficile, mais c'est là une chose qui doit être faite.
Par ailleurs, il importe de trouver le moyen — et je ne sais pas si le Parlement canadien sera en mesure de le faire — de permettre aux gens de se faire entendre. Le projet de loi dit que nous devrions tenir compte de la perspective des pauvres. Je ne vois aucun mécanisme grâce auquel les pauvres puissent se faire entendre. Comment faire pour tenir compte des perspectives des pauvres?
Au minimum, les pauvres devraient pouvoir exiger des comptes de leurs gouvernements. Je sais que le Canada ne peut pas faire cela; mais nous pouvons au moins exiger que le ministre compétent exige de son homologue dans le pays bénéficiaire qu'il produise lui aussi un rapport.
Ma contribution serait de dire que, oui, il s'agit là d'un pas dans la bonne direction. Je rajusterais un petit peu le tir dans le projet de loi pour établir une distinction entre l'aide officielle au développement et l'aide humanitaire en cas de catastrophe et en l'axant davantage sur les résultats qu'il est censé obtenir en Afrique. Il faudra d'autre part que le Canada établisse ses propres critères pour ce qui est du choix des pays à aider; le Canada ne peut pas aider tous les pays d'Afrique.
Le Zimbabwe, par exemple, ne peut plus être sauvé. Tant qu'il n'y aura pas eu de changement politique au Zimbabwe, l'aide canadienne, quelle qu'en soit l'importance, ne pourra pas aider ce pays.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Fowler, est-il possible qu'il y ait création de richesse pendant qu'un gouvernement corrompu est en place? Est-ce possible? D'autre part, y a-t-il des pays pauvres, dotés de bons gouvernements, qui ont besoin d'aide en Afrique?
Monsieur Ayittey, nous allons recevoir quatre ou cinq rapports sur ce projet de loi. L'ACDI aura plus de rapports avec ce projet de loi dans son libellé actuel. Devrions-nous envoyer des copies des rapports aux pays auxquels nous donnons de l'aide, afin que les pauvres y voient ce que nous réalisons? Au lieu que tous les rapports aillent à l'ACDI — ils savent déjà ce que nous faisons —, je pense que ce que vous dites est que les pauvres devraient eux aussi savoir ce que nous faisons. Ce n'est pas ce qui se passe ici. Tous les rapports nous viennent à nous, mais les pauvres ne voient pas ce qui se passe. Est-ce cela que vous voulez dire, c'est-à-dire qu'ils devraient eux aussi recevoir nos rapports?
M. Fowler : Peut-il y avoir développement dans des pays dont les gouvernements sont corrompus? Certainement pas très facilement. Oui, nous pouvons déployer des efforts extraordinaires pour faire de bonnes choses dans ces pays et essayer de garder l'argent à l'écart de ces gouvernements corrompus; et nous faisons un peu de cela. Vous vous souviendrez que, lors de ma comparution dans le cadre de votre étude sur l'Afrique, j'ai commencé par exhorter le Canada de ne pas traiter avec des gouvernements corrompus.
Le sénateur Mahovlich : Et qu'en est-il si les gens meurent de faim?
M. Fowler : Nous devrions, en gros, récompenser le succès et arrêter de récompenser l'échec.
Le Zimbabwe est un exemple que je viens de mentionner. En fait, le Canada est en train d'aider sensiblement au Zimbabwe, principalement par le biais du Programme alimentaire mondial, en donnant de la nourriture aux gens qui meurent de faim là-bas. Les habitants du Zimbabwe n'ont, comme nous le savons, que peu de contrôle sur leur gouvernement.
Pour ce qui est de l'aide humanitaire — et je fais toujours une distinction très nette entre les deux —, pour les gens qui sont les plus démunis du fait de catastrophes naturelles ou amenées par l'homme, le Zimbabwe serait admissible. Il nous faut continuer d'offrir aux gens du Zimbabwe de l'aide humanitaire, mais prudemment.
En ce qui concerne l'aide au développement, pour essayer d'aider les gouvernements à se lancer, à commencer par — et je suis d'accord avec le professeur Ayittey — l'investissement africain, dont 70 à 80 p. 100 part à l'étranger, cela ne devrait se faire qu'avec des gouvernements qui ne sont pas corrompus.
Quant à la question de savoir s'il y a de bons gouvernements de pays pauvres qui ont besoin de l'aide du Canada, oui, il y en a. À mon avis, le pays d'Afrique le mieux gouverné est le Botswana. Il a un excellent gouvernement depuis l'indépendance. Il est vrai qu'il est installé sur une pile de diamants et qu'il se porte donc relativement mieux par rapport aux autres. Il compte une petite population, un territoire assez important et, grâce à ces diamants, il affiche un revenu annuel par tête d'habitant de plus de 3 000 $, ce qui le rend inadmissible à quelque aide canadienne que ce soit. Je ne pense pas que ce soit bien. Si nous sommes à la recherche de vedettes, si nous sommes à la recherche de pays pouvant montrer la voie et fournir la preuve que le bon gouvernement fonctionne, alors le Botswana est un exemple formidable.
Dans la même foulée, parce que ce n'est pas un domaine facile, permettez-moi de mentionner l'un des grands dilemmes auxquels je n'ai pas encore trouvé la clé — et il y en a beaucoup. Le Botswana, dont je viens tout juste de dire que je pense qu'il est le pays d'Afrique le mieux gouverné, connaît un taux d'infection au VIH/sida qui frise les 40 p. 100. Le seul autre pays qui connaisse un taux aussi élevé est un des pays d'Afrique les moins bien gouvernés, le Swaziland, qui ne se trouve pas très loin. Les deux pays ont un taux d'infection au VIH/sida qui tourne autour de 40 p. 100. À quoi cela est-il dû? Je ne le sais pas. La solution, c'est de changer les schémas de comportement, et nous n'avons clairement pas trouvé le moyen de faire cela.
Il existe d'autres pays d'Afrique qui sont extrêmement bien gouvernés, et le Ghana sera mon exemple suivant. Le Ghana est un partenaire privilégié du Canada. Le président Kufuor m'a parlé du NEPAD et de l'idéal et de la vision et de la façon de les réaliser. Il a dit : « Je veux être certain de bien comprendre : si un gouvernement fait toutes ces bonnes choses, transfère le pouvoir d'une partie de la maison à l'autre, librement et sans violence, s'attaque à la corruption — et j'ai envoyé trois de mes ministres en prison et fait toutes ces bonnes choses — alors l'investissement viendra, n'est-ce pas? » J'ai répondu en disant : « Oui, c'est là l'idée ». Il a alors dit : « Il y a quatre ans, j'ai reçu 300 millions de dollars en investissements étrangers; il y a deux ans, j'ai reçu 210 millions de dollars en investissements étrangers, et l'an dernier, le total était de 70 millions de dollars en investissements étrangers. Redites-moi comment cela fonctionne? » La réponse est qu'il vit dans un mauvais quartier. Avec la Côte d'Ivoire en flammes, avec l'incertitude le long de la frontière togolaise et l'énorme incertitude nigériane au-dessus, les investisseurs se méfient de la région. Ce n'était pas une très bonne réponse pour le président Kufuor, mais il est un excellent partenaire dans le développement.
M. Ayittey : Vous avez demandé si les rapports des ministères compétents devraient être mis à la disposition des parlementaires des pays en développement, des pauvres. J'aimerais beaucoup que cela se fasse, car il y aurait une plus grande transparence et les pauvres sauraient exactement combien d'argent le Canada leur donne et quelle part de cet argent est dépensée. Je pense que le fait de rendre ces rapports disponibles aiderait également les pauvres à exiger des comptes de leurs gouvernements. Nous pourrions également demander au ministre du pays bénéficiaire de fournir des rapports afin que les Canadiens eux-mêmes voient ce qui est fait de leurs dollars d'aide à l'étranger.
Permettez-moi d'ajouter à ce qu'a dit M. Fowler au sujet des pays pauvres dotés de bons gouvernements. Il a mentionné le Botswana et le Ghana. Il y a également le Mali et l'île Maurice, deux autres pays pauvres qui sont bien gouvernés. J'ajouterais peut-être également à la liste le Bénin, par exemple.
Cela intéressait peut-être le comité de savoir que, dans le cas du Ghana, le président Kufuor me décrit comme étant l'un des architectes du changement dans ce pays. Nous avons amené le changement démocratique au Ghana sans aide aucune de la part de donateurs occidentaux. Nous avons mobilisé les forces de l'opposition au Ghana pour qu'elles se présentent aux élections et amènent au pays le changement et la véritable démocratie grâce au processus électoral. Nous pensons que cet exemple de réussite pourra être reproduit dans d'autres pays d'Afrique.
Le principal message que j'ai pour vous — et ceci est un petit peu à côté mais est important — est qu'il y a des Africains, des groupes de la société civile, qui travaillent pour amener le changement.
Je reviens tout juste d'Arusha, en Tanzanie, où nous avons tenu une conférence mondiale. Nous avons rassemblé de jeunes et dynamiques Africains. Ce sont des entrepreneurs. Nous les appelons les guépards africains; ils ne vont pas attendre que les gouvernements fassent quelque chose pour eux. Ils comprennent ce qu'est la corruption, ce qu'est la transparence. Ils ne tolèrent pas la corruption. Ces jeunes Africains sont en train de prendre les choses en mains, s'efforçant de gérer l'Afrique et d'entamer pour le continent un chapitre nouveau.
Malheureusement, ces groupes de personnes n'apparaissent souvent pas à l'écran radar des donateurs. Les donateurs en ignorent l'existence. Voilà pourquoi il est important de chercher plus loin et d'identifier ces Africains, agents de réforme. Peut-être que c'est là l'une des façons dont l'aide canadienne pourra cibler stratégiquement certains groupes de personnes. Je ne dis pas que le Canada devrait faire certaines choses de façon subversive en Afrique, mais une aide intelligente repérera des groupes particuliers.
Le sénateur Merchant : Les pays riches ont pour responsabilité d'aider les pauvres, et les Canadiens veulent faire cela. Il me semble, sur la base des commentaires que nous avons entendus aujourd'hui et à d'autres moments, que nous perdons parfois notre perspective : il arrive parfois que de bonnes politiques et de bons gouvernements aillent main dans la main. Lorsque nous donnons de l'aide, y a-t-il moyen pour nous d'éviter les écueils?
Vous avez dit quelque chose au sujet des vedettes de la musique rock, monsieur Fowler. C'est là quelque chose qui accroche tout de suite l'attention des médias et des Canadiens, et c'est ainsi que l'on perd de vue ce qu'est le bon gouvernement, par opposition, parfois, à ce qu'est la bonne politique.
Avec ce projet de loi, y a-t-il quelque chose que vous pourriez dire qui nous aiderait à canaliser notre désir d'aider les gens de la bonne façon? Y a-t-il quelque chose que nous pourrions faire avec ce projet de loi pour faire avancer les choses au lieu de le jeter tout simplement par-dessus bord? Comme beaucoup d'entre nous l'ont dit aujourd'hui, il est très bien intentionné.
M. Fowler : Sénateur, vous connaissez mes vues au sujet du projet de loi. Bien sincèrement, je ne comprends pas et il me faut retourner à l'école pour comprendre la portée de votre action dans ce contexte. Je ne suis pas convaincu que le tout soit bien couché sur papier.
Serait-il possible de rédiger un projet de loi qui soit utile? J'ai dit que oui. Ce pourrait être un petit projet de loi ou un gros projet de loi. Le gros projet de loi réorganise la livraison de l'aide au développement du Canada, établit un cadre législatif pour l'ACDI, clarifie la façon dont l'ACDI est politiquement gérée, inscrit la mission dans l'orientation, parle des thèmes et des domaines dont nous avons discutés autour de cette table. Tout cela pourrait être fait, mais pas demain. C'est toute une entreprise et je ne sais pas si les étoiles politiques sont toutes alignées comme il le faut pour que le Parlement du Canada entreprenne une telle tâche. Je n'en ai pas la moindre idée.
Ce petit projet de loi pourrait-il être rajusté pour être utile? Si nous ne parlons que de bricoler, je ne le pense pas. Je vous ai livré mes opinions quant à la façon de faire en sorte qu'il soit moins pernicieux. Je ne crois pas un seul instant que les auteurs et parrains de ce projet de loi aient la moindre intention d'être pernicieux. Cependant, je vois qu'une surcharge bureaucratique supplémentaire va être ajoutée aux tâches de ce que je considère déjà comme une ACDI surchargée sur le plan administratif. Je vois des problèmes avec les valeurs canadiennes et les normes en matière de droits de l'homme et avec les exigences en matière de consultation qui sont à la fois dangereuses et lourdes. C'est pourquoi je vous exhorterais de modifier ces choses.
Que pourriez-vous inscrire dans le projet de loi à la place? Clairement, j'aimerais y voir une déclaration du genre : « L'aide au développement est d'une importance vitale et le monde a besoin de plus d'aide au développement et le Canada devrait faire davantage ». Je devine que cela pourrait poser problème aussi. Je n'ai pas de solution miracle pour vous.
Le président suppléant : Monsieur Ayittey, auriez-vous quelque commentaire à faire?
M. Ayittey : Le projet de loi est un pas dans la bonne direction. Il est bien intentionné. Il devrait peut-être être peaufiné de-ci de-là pour être plus précis, en ce qui concerne notamment les objectifs ou les critères selon lesquels le Canada pourra aider. Par exemple, je choisirais quels pays d'Afrique doivent être aidés. Un sénateur a demandé quels pays pauvres ont de bons gouvernements? Je choisirais ces pays-là. Je ferais en sorte que le projet de loi exige que le ministre qui reçoit l'aide ait à en rendre compte, ce de façon à ce qu'il soit responsable. Ce sont là des choses mineures.
Mon principal souci est qu'il existe beaucoup plus de problèmes du côté des bénéficiaires. Je ne vois pas comment le projet de loi pourrait régler ces problèmes compte tenu des questions de souveraineté. Les pauvres en Afrique doivent être habilités de façon à pouvoir exiger des comptes de leurs gouvernements.
Le président suppléant : Merci, monsieur Ayittey.
Il ne me reste plus, au nom de tous mes collègues du Sénat, qu'à remercier nos deux témoins, M. Robert Fowler, qui a si généreusement abandonné sa retraite pour nous faire bénéficier de sa longue et riche expérience, et M. Ayittey, qui nous est, pour la deuxième fois, venu depuis Washington. Merci à tous les deux d'avoir accepté notre invitation. Cette discussion a été extrêmement utile.
La séance est levée.