Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 5 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 19 juin 2006
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 3 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, voici que nous sommes réunis de nouveau pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Ayant eu droit à une vue d'ensemble de la convention, nous allons maintenant porter notre regard sur des préoccupations précises quant à la mise en œuvre du traité en ce qui concerne les enfants au Canada.
Nos témoins aujourd'hui sont le chef Angus Toulouse, Chef régional de l'Ontario, et M. Jonathan Thompson, responsable du développement social et des langues. Messieurs, bienvenue parmi nous. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui. Si je ne m'abuse, le chef Toulouse doit présenter une déclaration liminaire, puis nous pourrons poser des questions.
Le chef Angus Toulouse, chef régional de l'Ontario, Assemblée des Premières nations : Je tiens d'abord à remercier le comité de permettre que l'Assemblée des Premières nations puisse comparaître aujourd'hui.
Nous sommes là pour discuter des obligations internationales du Canada relatives aux enfants des Premières nations, car le Canada est signataire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Or, la situation des enfants des Premières nations au Canada fait ressortir un urgent besoin d'agir. Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, publié en 1996, traitait bien de la situation des enfants, mais au cours des dix années qui se sont écoulées depuis, nous n'avons vu aucune action véritable. Quelques progrès indirects ont été faits en novembre dernier à la rencontre des premiers ministres à Kelowna, mais un effort de taille s'impose toujours pour que se règle la situation des enfants des Premières nations. L'engagement pris à Kelowna — un plan décennal visant à combler l'écart entre les Premières nations et les autres Canadiens du point de vue de la qualité de vie — doit tenir compte des besoins et des aspirations de nos enfants. Nous croyons que cela doit se faire à la réunion des premiers ministres sur les questions autochtones que le premier ministre Harper s'est engagé à tenir en 2008. Il suffit de jeter un coup d'œil rapide à certaines statistiques pour voir à quel point cette réunion est nécessaire.
Selon les statistiques, 1,2 million d'enfants au Canada connaissent la pauvreté, soit presque un enfant sur six. Or, la proportion est plus du double chez les enfants autochtones. Selon le recensement de 1991, près de 80 p. 100 des Indiens vivant dans une réserve présentent un revenu inférieur à 20 000 $. Cela veut dire que, d'après le seuil de pauvreté établi par le Conseil canadien de développement social, 84 p. 100 des ménages dans les réserves ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté. À l'heure actuelle, quelque 130 000 enfants des Premières nations ont moins de 9 ans. Plus de 100 000 d'entre eux vivent sous le seuil de la pauvreté. Voilà une situation qui est clairement contraire à l'article 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant, selon lequel tout enfant a droit à un niveau de vie suffisant et les États parties sont tenus de fournir des programmes d'appui et de l'assistance matérielle en vue de mettre en œuvre le droit en question.
En 1996, le gouvernement fédéral a imposé un taux de croissance maximal de 2 p. 100 à l'ensemble des programmes et des services de base conçus pour les Premières nations. Ce taux maximal de 2 p. 100 s'est révélé inférieur au taux d'inflation ou au taux de croissance démographique des Premières nations, d'où un écart qui est à l'origine d'une crise aiguë dans le domaine de l'éducation au sein des Premières nations. Le retard qu'accusent les Premières nations se fait de plus en plus important, et la diminution du pouvoir d'achat, en dollars réels, dépasse les 13 p. 100. De ce fait, le manque à gagner dans le dossier de l'éducation dans les réserves, pour l'exercice 2006-2007, s'élèvera à 172 millions de dollars. Si les mécanismes de financement actuels sont maintenus, le manque à gagner en éducation s'élèvera à plus de un milliard de dollars d'ici 2011.
La crise du financement de l'éducation est à l'origine d'importants écarts qu'atteste l'Assemblée des Premières nations, les Premières nations et des chercheurs indépendants. L'édition de 2004 du rapport de la vérificatrice générale en fait état.
Selon le recensement de 2001, 31 p. 100 seulement des jeunes des Premières nations ayant entre 15 et 24 ans ont obtenu au minimum un certificat d'études ou un diplôme d'études secondaires, par rapport à 58 p. 100 des Canadiens non autochtones. Selon le recensement de 2001, toujours, 36 p. 100 seulement des adultes des Premières nations ayant entre 25 et 64 ans possèdent un certificat ou un diplôme d'études postsecondaires, par rapport à 54 p. 100 des Canadiens non autochtones. Voilà une situation qui va clairement à l'encontre de l'article 28 de la Convention relative aux droits de l'enfant, selon lequel les enfants ont droit à une éducation.
Même là où les enfants des Premières nations réussissent à faire des études, le manque de possibilités économiques et d'occasions d'emploi mine leur succès éventuel. Certaines communautés des Premières nations offrent actuellement des services de garde, mais l'assemblée des Premières nations estime à plus de 250 le nombre de communautés où il n'y a pas de service de garde réglementé. De plus, dans la plupart des cas où la communauté offre des services de garde et de développement de la petite enfance, les programmes ne sont pas correctement financés, d'où un manque de places, et surtout un manque de services ou de places pour les enfants ayant des besoins particuliers.
Selon l'enquête régionale sur la santé, 12 p. 100 environ des enfants des Premières nations ont une déficience et des besoins spéciaux. On estime que les coûts annuels des services de garde réglementés varient entre 5 000 et 12 000 $ par enfant sans besoins particuliers. Si nous prenons le chiffre le moins élevé — 5 000 $ — nous arrivons à une estimation annuelle totale d'environ 454 millions de dollars pour la garde des enfants autochtones. Pour calculer le coût des services de garde des enfants ayant des besoins particuliers au sein des Premières nations, il faut doubler ce chiffre au minimum. On estime que même en comptant les programmes fédéraux de garde des enfants et de développement de la petite enfance, il y a encore un manque à gagner important, soit 373 millions de dollars, du point de vue du financement.
Les enfants des Premières nations confiés au service d'aide à l'enfance aujourd'hui sont plus nombreux que l'étaient les enfants des Premières nations vivant en pensionnat au moment où ces derniers battaient leur plein. C'est une réalité qui devrait nous alarmer tous, car nous sommes conscients des conséquences tragiques qu'ont eues les pensionnats pour plusieurs générations. Par exemple, pour prendre des chiffres de mai 2005, 10,23 p. 100 des enfants d'Indiens inscrits dans quatre provinces échantillonnées étaient pris en charge par les services d'aide à l'enfance. Chez les autres enfants, la proportion s'élève à 0,5 p. 100. Le système d'aide à l'enfance fait avec les enfants des Premières nations essentiellement la même chose que le système des pensionnats faisait jadis. Il retire les enfants des Premières nations à leur famille, à leur communauté et à leur culture, pour les placer dans la société générale. Or, c'est une pratique qui est clairement contraire aux articles 5, 8 et 30 de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant.
L'article 5 reconnaît les droits qu'ont les parents, les membres de la famille élargie ou de la communauté « de donner [à l'enfant]... l'orientation et les conseils appropriés à l'exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention. » L'article 8 protège le droit qu'a l'enfant de préserver son identité et ses relations familiales. L'article 30 énonce le droit qu'ont les enfants autochtones d'avoir leur propre vie culturelle et d'employer leur propre langue. Cela irait à l'encontre de l'article 6 du projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones — qui, s'il est ratifié, empêchera que les enfants autochtones puissent être retirés à leur famille et à leur communauté.
Comme le confirment les auteurs du rapport de la First Nations Child and Family Caring Society of Canada, la pauvreté, les mauvaises conditions de logement et la consommation excessive d'alcool et de drogues sont des facteurs clés pour expliquer la crise vécue chez les enfants autochtones. Par conséquent, la solution réside d'abord et avant tout dans la mise en œuvre de l'article 27 de la Convention relative aux droits de l'enfant, selon lequel les États doivent prendre les mesures qui s'imposent pour mettre en œuvre le droit que chaque enfant a un niveau de vie suffisant.
Les engagements contractés à la réunion des premiers ministres à Kelowna ont représenté une première étape importante pour régler à la racine même le problème de la représentation excessive des membres des Premières nations dans le système d'aide à l'enfance. Si les engagements de Kelowna sont respectés, le Canada en fera beaucoup pour se conformer ainsi aux articles 5, 8 et 27 de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant.
La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant constitue le traité le plus exhaustif qui soit dans le domaine des droits de la personne. Il englobe les champs d'action habituellement définis : droits de la personne, droits civils, droits politiques, droits économiques, droits sociaux et droits culturels. Les quatre grands principes de la convention sont : la non-discrimination, la défense de l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement, et le respect de l'opinion de l'enfant.
La convention protège les droits des enfants en fixant les normes applicables aux soins de santé et à l'éducation ainsi qu'aux services juridiques, civils et sociaux. Les articles de la convention jettent les fondements de l'édifice sur lequel repose la réalisation de tous les droits. Ces articles préconisent la mobilisation de ressources, d'aptitudes et de contributions particulières visant à garantir que les enfants se développent au maximum de leur capacité. Le Canada fait valoir à l'égard de la convention deux réserves et une déclaration d'interprétation. La réserve du Canada concernant l'article 21 touche l'adoption et le droit qu'a le Canada de ne pas appliquer les dispositions de l'article 21, dans la mesure où cela serait incompatible avec les coutumes en ce qui concerne le traitement des enfants autochtones au Canada. La déclaration d'interprétation du Canada concernant l'article 30 de la convention fait valoir que les mesures qu'adopte l'État pour mettre en œuvre les droits prévus dans la convention, à l'article 4, doivent tenir compte des considérations énoncées à l'article 30.
L'article 30 montre qu'il importe de ne pas priver les enfants autochtones du droit d'avoir leur propre vie culturelle, de pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue. En ratifiant la convention, le Canada s'est engagé à protéger les droits des enfants et à rendre des comptes sur ce plan à la communauté internationale. Pour mettre en œuvre la convention, le Canada a adopté une approche multifactorielle. Cependant, à l'exception du Programme d'aide préscolaire aux Autochtones, aucune des mesures ainsi adoptées ne portent particulièrement sur les enfants des Premières nations.
Quant au financement des services d'aide à l'enfance dans les réserves, la directive 20-11 du ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada prévoit une formule qui s'est révélée tout à fait inadéquate. Les fonds sont transférés aux agences de service à l'enfance des Premières nations afin que celles-ci retirent les enfants de leur foyer, mais pas pour aider les familles à donner un foyer sécuritaire à leurs enfants. L'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit aux gens des Premières nations vivant dans les réserves de s'adresser à la Commission canadienne des droits de la personne pour obtenir réparation en rapport avec une violation des droits de la personne. Quant aux inégalités concernant le financement des services d'aide à l'enfance des Premières nations, en l'absence d'un tribunal ou d'une commission, les Premières nations doivent s'en remettre aux tribunaux. Or, les démarches sont coûteuses. Je formulerais plusieurs recommandations pour faire concorder les politiques existantes avec la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant.
Premièrement, il faudrait adopter une approche holistique cadrant avec l'approche de la convention — approche qui touche le développement physique, mental, social, spirituel et affectif des enfants. Deuxièmement, il faudrait garantir un niveau de vie suffisant aux enfants des Premières nations en réalisant des engagements comme ceux qui ont été contractés à la réunion de Kelowna. Troisièmement, il faudrait protéger la culture et l'identité des enfants des Premières nations en réduisant le nombre d'entre eux qui sont confiés aux services à l'enfance. Le nombre élevé d'enfants des Premières nations qui sont ainsi pris en charge est tel que cela constitue une violation des articles 5, 8 et 30 de la convention et va à l'encontre de la déclaration d'interprétation du Canada concernant l'article 30 de la convention. Quatrièmement, il faudrait mettre en place les mesures les moins perturbatrices à l'égard des services à l'enfance; prévoir les soins voulus et accroître le financement des mesures. Ces programmes appuient les parents pour que ceux-ci puissent mieux procurer un environnement sécuritaire à leurs enfants. Cinquièmement, il faudrait créer un organisme de surveillance fédéral chargé des droits des enfants en continuant à soutenir les objectifs fixés et l'idée qui consiste à combler l'écart d'ici dix ans, comme on l'a établi à Kelowna. Ainsi, les autorités s'attaqueront enfin aux facteurs qui sous-tendent la situation déplorable constatée chez les enfants des Premières nations, par exemple, au chapitre de la pauvreté, de l'éducation et du logement. Nous devons continuer d'appliquer ces mesures et en faire l'assise d'une action encore plus grande. Nous avons besoin d'agir pour que les choses changent dès maintenant.
Merci de l'occasion que vous m'avez offerte de parler de cette question importante.
La présidente : Merci d'avoir présenté votre mémoire. C'est la première fois que le comité entend parler du lien existant entre la convention et les droits des enfants autochtones. C'est une question que nous sommes heureux d'intégrer à nos travaux et qui nous aidera à déterminer les recommandations que nous allons adopter concernant les enfants autochtones.
Passons maintenant aux questions.
Le sénateur Munson : Bienvenue. Pour ce qui est du lien existant entre la convention et les droits des enfants autochtones, comment faire pour attirer l'attention du gouvernement à cet égard? Durant mes nombreuses vies antérieures, j'ai vu proposer, en rapport avec les Premières nations, des lois en matière d'autonomie qui se sont révélées parfaitement futiles, mais il y a encore de l'espoir dans certains milieux, mais pas dans d'autres. La rencontre de Kelowna a suscité un grand espoir qui semble aujourd'hui s'en aller à la dérive, mais il y a un espoir neuf. En tant que reporter, je ressentais une grande frustration quand je traitais de ces événements. Aujourd'hui, à titre de politicien et de membre du présent comité, j'essaie de concevoir des politiques et de susciter des idées nouvelles.
La situation des enfants des Premières nations est-elle meilleure qu'elle l'était il y a dix ans? Comment devons-nous appliquer cette convention aux droits de l'enfant autochtone? Concrètement, les gens vont-ils respecter les droits en question et agir en complément de ce que vous essayez de faire?
M. Toulouse : Régler la question des pensionnats est une chose. Nous parlons des effets sur plusieurs générations de lois ou de politiques d'assimilation du gouvernement envers les Premières nations. Il faudra du temps pour renverser les effets en question, pour que les enfants des Premières nations dans nos communautés puissent embrasser à nouveau leur culture et leur langue. Il y a eu là une perte énorme touchant l'identité des gens des Premières nations, surtout chez bon nombre de jeunes.
À mes yeux, ce serait là un bon point de départ pour que les autorités comprennent que nous avons besoin de guérir à cet égard. Le fait de confier un nombre toujours plus grand de nos enfants aux soins institutionnels, de les placer dans des foyers d'accueil, là où la langue et la culture autochtones n'ont pas une place prédominante, n'aidera en rien l'enfant à lutter contre cette perte d'identité, mais comment porter cette question à l'attention du gouvernement? Nous avons besoin de votre appui et de l'appui des leaders des Premières nations, pour que cette question obtienne la même attention que la question des pensionnats quand le chef national l'a soulevée. S'attaquer à cette question serait un point de départ.
Je vois un problème dans le fait que le gouvernement veuille imprimer sa marque et orienter le processus. C'est ce qui frustre le plus les leaders des Premières nations, car, au niveau communautaire, nous en sommes encore à lutter avec les mêmes problèmes tandis que passent les administrations. Nous revenons chaque fois soulever les mêmes questions, individuellement, à titre de chefs des Premières nations, de fournisseurs de services aux Premières nations et de collectifs représentant les Premières nations — l'Assemblée des Premières nations, ou APN.
Pour soulever ces questions, nous avons maintes fois adressé au gouvernement des résolutions et des lettres exprimant nos préoccupations. Nous allons continuer de le faire, mais nous avons besoin de mettre en lumière des exemples de problèmes qui soient beaucoup plus clairs.
Jonathan Thompson, directeur, Développement social, éducation et langues, Assemblée des Premières nations : La question du sénateur Munson me permet de m'éloigner un peu du sujet : comment retenir l'attention du gouvernement fédéral — en rapport avec cette question ou avec les précédentes?
C'est un défi, un combat frustrant que je fais mien depuis neuf ans environ, à soulever les questions concernant les services à l'enfance, comme le chef régional a pu en parler particulièrement, et d'autres problèmes sociaux. Une difficulté qu'a soulevée, encore une fois, le chef régional Toulouse, c'est le fait que les cycles politiques sont de courte durée et que les solutions aux problèmes évoqués sont à long terme.
Quant à la situation des enfants des Premières nations et du système d'aide à l'enfance, eh bien, non, ce n'est pas de l'argent qui va permettre de résoudre le problème. C'est un problème qui est nettement plus complexe. Le ministre Prentice en a touché un mot ce matin. Il s'est adressé à la Chambre en réponse à une motion déposée par un membre de l'opposition appuyant l'accord de Kelowna. Bien entendu, le débat portait sur Kelowna et l'allusion à une note griffonnée sur un bout de papier, à un document d'une page et tout le reste. Cependant, le ministre a souligné un fait important : c'est un problème qui est complexe.
Il ne faut pas croire, par exemple, que résoudre la question du logement permettra de réduire le nombre d'enfants confiés au service à l'enfance. L'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants — 2003, portée à l'attention du comité récemment par Cindy Blackstock, au moment de son témoignage, évoque les raisons fondamentales pour lesquelles les enfants sont pris en charge — pauvreté, piètre condition de logement, consommation excessive d'alcool et de drogues et ainsi de suite. Il y a de nombreuses raisons à cela. Encore une fois, il n'y a pas de panacée.
Comment donc attirer l'attention du gouvernement fédéral? Quel que soit l'étonnement qu'ils provoquent et la détresse qu'ils évoquent, les chiffres sont connus depuis un certain temps déjà, mais le gouvernement n'a pas agi. Se pourrait-il que la question ne soit pas assez intéressante? Je ne sais pas où réside le problème.
À l'occasion de discussions récentes que nous avons eues avec le chef national, nous avons discuté de la façon de s'y prendre, mais différemment. Quel angle, quelle perspective adopter? Par exemple, nous pouvons parler de ce à quoi aboutissent les enfants confiés au service d'aide; de leur vie, de ce qu'ils font comme études et de leur bilan de santé. Ils souffrent tous de leur présence dans le système d'aide à l'enfance, que celle-ci ait été de courte durée ou non.
Si vous regardez les pénitenciers au Canada et le nombre de détenus autochtones et membres des Premières nations qui s'y retrouvent, vous devez vous demander combien d'entre eux ont déjà été pris en charge? Bon nombre d'entre eux.
Nous pourrions parler aussi de ce que cela coûte au contribuable. Chaque gouvernement qui se fait élire au Canada est conscient des préoccupations de ses commettants. Cela revient souvent à l'impôt qu'ils doivent payer. Or, l'impôt en question sert une fin utile quand il est utilisé en rapport avec la présence des gens en question dans les pénitenciers, les problèmes de santé, les problèmes d'éducation, le régime d'aide sociale et les coûts associés à ces mesures. C'est une des perspectives dont nous avons parlé.
De même, nous pouvons invoquer carrément la responsabilité du gouvernement fédéral dans le financement inégal fourni non seulement aux agences d'aide à l'enfance, mais aussi aux refuges pour la prévention de la violence familiale et ainsi de suite; il y a donc là des questions que l'on peut aborder.
Le gouvernement a commencé à agir récemment en vue de prévenir la violence familiale. D'après ce que j'en sais, c'est à la perspective d'être l'objet d'actions en justice en matière de responsabilité qu'il a été incité à agir. Ce n'est pas le genre d'ambiance ou d'approche qui, de manière générale, favorise la collaboration en vue de résoudre un problème. Malheureusement, comme l'a souligné le chef régional Toulouse, c'est souvent là la seule possibilité qu'il nous reste. Les tribunaux représentent une approche coûteuse pour résoudre des problèmes.
Le prix à payer pour ne rien faire, sénateur Munson, du point de vue du grand public, du gouvernement fédéral, du contribuable canadien — et le prix humain aussi — est énorme. Il y a la possibilité de gaspillage. Certes, il y a la question de la responsabilité du gouvernement fédéral qui entre en jeu.
Le sénateur Munson : La situation des enfants des Premières nations est-elle pire qu'elle l'était il y a dix ans? Vous avez parlé de perte d'identité.
M. Toulouse : Je dirais que oui. Les jeunes sont si nombreux à se sentir désespérés au point de se suicider. Cela doit bien montrer l'expérience, le vécu de nos enfants. Un grand nombre des suicidés sont des jeunes. J'ai parlé au grand chef Stan Beardy, de la nation Nishnawbe-Aski, dans le nord de l'Ontario, et il m'a dit que les chiffres sont astronomiques. Toutes les semaines, dans une de ces localités éloignées, il y a un cas tragique où un jeune s'enlève la vie. À mes yeux, cela montre que notre situation n'est pas meilleure, et qu'elle est peut-être même pire, par rapport à ce qu'elle était il y a dix ans.
Le sénateur Carstairs : Vous avez commencé par nous remercier de permettre que l'APN comparaisse. C'est moi qui vous remercie d'être venu.
J'ai plusieurs questions à poser, mais je vais commencer par quelques questions rapides.
Dans vos propres termes, pouvez-vous me dire quelle est l'importance de la langue, selon vous, dans la vie d'un enfant autochtone, de l'acquisition de sa langue autochtone?
M. Toulouse : Heureusement, je parle encore moi-même la langue, et la langue est si importante à nos yeux. Les jeunes de ma communauté sont nombreux à ne pas parler la langue autant que ma génération à moi. C'est un élément critique, qui touche ce que nous sommes. La langue, quand vous la parlez, saisit les relations que nous avons les uns avec les autres, notre façon de partager et notre façon de rire. Quand vous vous faites traduire quelque chose, en visite chez nous, ce n'est pas pareil. La langue est ce qui nous distingue, dans notre manière de décrire, notre manière d'être en relation et notre manière de communiquer entre nous.
Sans elle, bon nombre de nos enfants rappellent maintenant aux adultes : vous ne pouvez nous oublier et ne pas nous donner des cours de langue dans nos écoles des Premières nations. Cette situation est si courante que nombre de communautés des Premières nations, parmi celles qui contrôlent leur système d'éducation dont le fonctionnement est confié à la bande, souhaitent instaurer des cours d'immersion jusqu'à une certaine année, en raison de l'importance de la langue.
Le sénateur Carstairs : Merci. Vous avez recommandé ce que nous recommandons dans notre rapport intérimaire, soit la création d'un commissariat à l'enfance. Pourquoi êtes-vous d'avis que cette fonction serait particulièrement importante du point de vue des enfants autochtones au Canada?
M. Toulouse : J'espère que les autorités sauront se servir d'un tel organisme pour, encore une fois, montrer à quel point il est injuste de retirer des enfants de leur culture et de les insérer dans la culture d'un autre, puis de s'attendre que l'enfant en question ne se soucie plus jamais d'une telle expérience pendant sa vie. À un moment donné, l'enfant va se demander pourquoi il n'a pas reçu les mêmes enseignements culturels ou assisté aux mêmes cérémonies spirituelles que bon nombre de ses parents. Selon moi, le lien spirituel qu'entretient la personne avec sa communauté est d'une importance capitale.
Le sénateur Carstairs : À la page 13 de votre mémoire, vous reconnaissez le fait que les Autochtones ont été exclus de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'APN a-t-elle une proposition officielle selon laquelle il faudrait les y inclure?
M. Toulouse : Je crois que c'est la position de l'APN : que les Autochtones soient inclus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Pour ce qui est de la scène internationale, nous voulons appuyer les autres peuples autochtones dans la mesure où les autorités envisagent une loi prévoyant un traitement juste à leur égard.
Le sénateur Carstairs : Enfin, aujourd'hui, à la une du Globe and Mail, il y avait une photo et un reportage faisant état d'un jeune Palestinien qui voulait se faire arrêter par les autorités israéliennes, pour pouvoir s'en aller en prison, la vie en prison étant meilleure que la vie dans les rues de la Palestine. Je crois que vous pourriez nous raconter une histoire semblable. Je connais trop d'enfants qui sont passés à l'acte afin de se retrouver au Centre manitobain de développement : pour eux, la vie en détention était malheureusement et tragiquement meilleure que la vie dans leur propre communauté. J'aimerais que vous commentiez cela, car, comme le sénateur Munson l'a signalé, nous avons droit à un reportage à la une portant sur un enfant palestinien; alors, pourquoi ne voyons-nous pas à la une un reportage de cette ampleur sur un enfant autochtone qui souffre tout autant?
M. Toulouse : C'est tellement vrai, et c'est là la triste réalité : bon nombre de nos jeunes se sentent davantage en sécurité dans un lieu comme une prison. C'est l'élément triste de tout le système.
Il y a environ un an, j'ai eu des nouvelles d'un jeune qui se trouvait en prison. Je ne me souviens plus de l'endroit. C'était dans l'Ouest. Il parlait des foyers dans lesquels on le plaçait quand il était jeune, il disait comment on l'avait enlevé à sa mère, comment il a pu la rejoindre et comment il s'est senti perdu quand elle est morte. Il a été abandonné dans un système où il a fini par faire partie d'un gang de rue, puis en est devenu le leader, sans vouloir vivre ce genre de situation. Malheureusement, a-t-il dit, c'est dans cela qu'il se sentait à l'aise à ce moment-là. Après avoir connu un certain éveil spirituel, après avoir reçu la visite d'hommes de médecine, il a pris conscience du fait qu'il existe une autre façon, vraiment, d'accepter qui il est, et cela consiste à revenir aux traditions et à la culture. Voilà où se situe son filet de sécurité aujourd'hui. La langue et la culture sont importantes, et j'espère que les gens emprisonnés verront qu'il y a là d'autres façons de composer avec la douleur. Nos aînés sont nombreux à vouloir les aider.
Le sénateur Nancy Ruth : Je m'intéresse aux questions concernant les enfants, les filles en particulier. D'après ce que je sais des statistiques collectives du Canada, durant les années 1970 et 1980, on a mis beaucoup d'énergie à recueillir des données sur les hommes et les garçons, les filles et les femmes. Puis, durant les années 90 et jusqu'à ce jour, nous sommes revenus à une sorte de neutralité en employant à nouveau des termes comme « jeunes ». Il est difficile de savoir s'il existe des différences entre les filles et les garçons à cet égard. Par exemple, vous avez parlé d'un jeune qui s'est donné la mort. Est-ce que ce sont surtout des garçons ou des filles qui agissent ainsi, est-ce 50-50? Pour ce qui est du commerce du sexe, je présume que ce sont surtout des filles qui sont portées disparues. Je suis au courant de la campagne des sœurs disparues. Y a-t-il une différence entre les filles et les garçons pris en charge? Pouvez-vous nous parler de cette question, de manière générale?
M. Thompson : Malheureusement, les statistiques propres à un sexe ou à l'autre, et en particulier aux jeunes, ne font pas légion. L'éducation n'est pas forcément mon domaine. Je travaille davantage du côté social. Je sais que les résultats scolaires se révèlent nettement meilleurs chez les femmes des Premières nations, les jeunes femmes et les filles, par rapport aux garçons.
Le sénateur Nancy Ruth : Cela veut dire qu'elles ont obtenu leur diplôme d'études secondaires.
M. Thompson : Oui : Je crois que le taux est à peu près équivalent au taux national, au Canada.
Quant à la ventilation statistique dans le cas des enfants, même dans celui des enfants des Premières nations pris en charge, nous n'en avons pas forcément. Nous n'arrivons même pas à obtenir des statistiques précises des organismes provinciaux. Ce ne sont pas tous les enfants des Premières nations qui ont été pris en charge par des organismes d'aide à l'enfance de Premières nations. Ils sont plus nombreux à avoir été confiés à des organismes provinciaux, qui n'établissent même pas la répartition des membres des Premières nations et des autres personnes.
Quant au commerce du sexe, si vous voulez, la campagne Sœurs d'esprit dénote bien ce problème. Le problème est plus important chez les femmes que chez les hommes, mais c'est un problème aussi chez les hommes. Cela se voit très bien dans les grands centres urbains.
Le sénateur Nancy Ruth : Et le suicide?
M. Toulouse : Je ne crois pas qu'il y ait de distinctions. J'imagine que c'est moitié-moitié. Il y a également un prix réel à payer pour s'occuper des détenus que le Service correctionnel du Canada communique de temps à autre. Comme il n'y en a pas un si grand nombre, le coût par détenu de sexe féminin est beaucoup plus élevé que pour un détenu masculin dans le groupe d'âge.
Le sénateur Nancy Ruth : Une des raisons pour lesquelles je m'intéresse à ce sujet, c'est que, à mon avis, on ne saurait concevoir au Canada une orientation gouvernementale qui fait fi de la question du sexe, quelle que soit la communauté en question. Divers groupes vivent divers problèmes, qu'il s'agisse de race, de sexe, de handicap et je ne sais quoi encore. L'APN souhaite-elle établir d'autres statistiques en fonction du sexe, pour que ses politiques répondent mieux aux besoins établis?
M. Thompson : Cela nous intéresse au plus haut point d'établir des données qui nous aideront à améliorer la situation des membres des Premières nations, que ce soit des jeunes ou non. En tant qu'organisation, nous étudions la question de l'analyse fondée sur le sexe; nous envisageons d'adopter des politiques et des programmes en procédant d'abord à une telle analyse.
Le sénateur Nancy Ruth : Ce n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder. Faites vos recherches ou venez m'en parler avant de choisir cette voie.
La présidente : Monsieur Toulouse, au cours de votre déclaration liminaire, vous avez affirmé que même là où les enfants des Premières nations reçoivent une éducation, le manque de possibilités économiques et d'occasions d'emploi mine leur succès éventuel. Pourriez-vous nous en dire plus? Parlez-vous de possibilités partout au Canada ou de possibilités dans les réserves? Je suis originaire de la Saskatchewan, où j'ai pu voir la croissance dans le domaine de l'éducation et la différence que cela fait. Tout de même, ce sur quoi insistent les chefs pour une grande part, et ainsi de suite, c'est le développement économique de la réserve, alors que les jeunes peuvent voir les occasions à saisir dans le monde entier, et non seulement au Canada.
La plainte est la suivante : comment s'assurer que les enfants des Premières nations font des études? Comment les appuyer au sein de leur propre communauté tout en leur permettant de réaliser leurs propres ambitions, et en leur donnant des occasions partout au Canada? Il y a un monde entre la réserve et le centre urbain d'à côté, par exemple les réserves que je connais bien moi-même et la ville de Regina. Pouvez-vous commenter la situation?
M. Toulouse : Pour ce qui est des jeunes qui souhaitent avoir des possibilités économiques dans une communauté des Premières nations ou à proximité, je crois que les communautés des Premières nations souhaitent qu'il y ait un potentiel d'emploi pour tous les jeunes qui veulent demeurer au sein de leur communauté. C'est ce qu'on veut.
Dans toute collectivité au sens général, il y a des jeunes qui ne veulent pas forcément rester dans leur ville ou leur village natal. Ils veulent explorer d'autres régions du pays; il y a donc un certain pourcentage de la population qui voudra toujours quitter l'endroit.
Je proviens d'une communauté de Premières nations et je suis chef de notre communauté. Essentiellement, la majorité des jeunes me rappelle toujours qu'il nous faut du développement économique pour créer des occasions d'emploi, pour qu'ils puissent demeurer et s'occuper de leurs parents, et continuer d'être eux-mêmes. Ils veulent s'assurer que leurs enfants connaissent leur culture, leur langue, leurs cérémonies et leurs traditions.
Cela est aussi important que les possibilités économiques, mais tout le monde, par les temps qui courent, pour survivre, a besoin d'un revenu qui se situe au-dessus du seuil de pauvreté. Pour cela il faut du travail, de sorte que les communautés des Premières nations doivent collaborer avec le secteur privé ou participer à une autre initiative mixte.
Les Premières nations souhaitent donner à leurs jeunes l'occasion de revenir, une fois leurs études faites et une expérience acquise dans leur domaine, pour offrir des services à la communauté avec des aptitudes et des titres scolaires accrus.
Ce ne sont pas tous les jeunes qui veulent aller en ville. Il y a une demande extraordinaire de logements au niveau communautaire. Ce ne sont pas tous des aînés ou des gens qui ne reviennent pas. La demande provient de jeunes qui se sont établis, sont fiancés et sont sur le point de se marier, ou qui sont déjà mariés, et qui ne souhaitent pas quitter la région. Les jeunes sont plus nombreux dans les réserves qu'en dehors de celles-ci.
Je voulais rectifier une chose. Les autorités affirment toujours que les Autochtones en dehors des réserves sont plus nombreux, mais les chiffres incluent les Métis et tout le secteur autochtone. Il y en aura plus en dehors des réserves du fait qu'il n'y a pas de réserves dans le Grand Nord ou dans les communautés métisses. Vu ces chiffres, je dois dire que les gens des Premières nations sont plus nombreux dans les réserves qu'en milieu urbain.
Le sénateur Mercer : Merci d'être venu aujourd'hui pour nous éclairer jusqu'à un certain point et nous rappeler certaines statistiques, que je trouve démoralisantes, en tant que Canadien. Les enfants des Premières nations pris en charge par les services à l'enfance sont plus nombreux de nos jours que l'étaient les enfants des Premières nations dans les pensionnats à l'époque où ceux-ci battaient leur plein. Nous n'avons pas fait beaucoup de chemin. Voilà qui montre la faillite du système entier, quel que soit le gouvernement en place. La tendance est à la déclaration politique, mais je vais résister, car cela ne donne rien. De multiples gouvernements se sont succédés depuis qu'on a abandonné le programme des pensionnats, et malgré tout, nous sommes encore dans le pétrin.
Demain matin, la présidente du comité organisera une réunion avec le premier ministre Harper, le ministre des Finances, M. Flaherty, et le ministre des Affaires indiennes et du Nord, M. Apprentice. Nous allons pouvoir passer 15 minutes avec eux. Quelles sont les deux, trois ou cinq mesures que vous signaleriez comme devant être adoptées immédiatement pour régler les problèmes esquissés aujourd'hui?
M. Toulouse : Si vous avez 10 à 15 minutes, vous pourriez dire que le respect de l'accord de Kelowna est un bon début : les engagements financiers pris par les premiers ministres et le gouvernement à ce moment-là. Cela permettrait de s'approcher beaucoup du but.
De même, vous pourriez parler de la reconnaissance des gouvernements des Premières nations. Historiquement, pendant d'innombrables décennies et générations avant l'arrivée de la Loi sur les services à l'enfance, de la Loi sur les Indiens et de la Constitution de 1867, les Premières nations s'occupaient d'elles-mêmes. Nous n'avions pas besoin de services de protection ou d'exécution de la loi. Il y avait une place dans le monde pour l'enfant et une responsabilité que saisissaient bien le clan et le système traditionnel du jour.
La reconnaissance du fait que nous sommes encore aptes à prendre soin de nous-mêmes — ce serait beaucoup, que les gouvernements fédéral et provinciaux du jour comprennent que leurs politiques et leurs lois, souvent, n'ont aucun sens du point de vue de peuples autochtones qui essaient d'élever leurs enfants dans le respect de leur culture et de leurs traditions. Les élever dans le respect de leur propre culture correspond à ce qu'il y a de mieux pour l'enfant.
Si vous pouviez soulever certaines de ces questions, ce serait utile. Nous avons besoin de ressources qui ont été cernées à la suite de nombreuses discussions et de bien des travaux effectués de nombreuses personnes. Les conclusions font voir qu'il faut certaines ressources pour faire le pont, pour exécuter les programmes et les services actuellement en place.
Le sénateur Mercer : Dans ma vie antérieure, avant d'être sénateur, j'ai passé beaucoup de temps à discuter avec des Autochtones de partout au pays de l'idée de s'engager dans le processus politique et de comprendre le pouvoir du scrutin. Je tiens un fait pour sûr : dans au moins 45 circonscriptions un peu partout au pays, si les Autochtones décidaient de voter ensemble en grand nombre, ils pourraient susciter des changements à ces endroits-là.
Nous en sommes à notre deuxième gouvernement minoritaire. Il me semble que l'occasion est encore plus grande aujourd'hui qu'elle l'a été par le passé. Si nous pouvions motiver tous les Canadiens à participer au processus politique et, particulièrement, dans le cas qui nous occupe, motiver la communauté autochtone à participer, ce serait une somme de pouvoir énorme que les gens brandiraient ici et autour de la ville, au Parlement et à la Chambre des communes. J'espère que les dirigeants autochtones vont continuer à envisager cette question. Je sais qu'il y a une longue histoire derrière tout cela et que, dans certains contextes culturels, ce n'est pas vu d'un bon œil, mais j'encourage les gens à en discuter.
Rien ne vaut le pouvoir dont jouit celui qui sait envoyer des gens à la Chambre des communes. Cela donne une telle influence — et je vois encore des groupes qui se limitent eux-mêmes en ne participant pas. Les questions que vous avez soulevées concernant l'entretien de 15 minutes prévu avec M. Harper demain matin sont bonnes. Ce sont des questions à partir desquelles nous pouvons travailler, et je vous en remercie.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Je comprends tout ce que vous avez dit durant votre exposé, car j'ai grandi au sein d'une communauté autochtone et j'en connais tous les problèmes. Croyez-vous que le racisme entre en jeu quand les gens cherchent des emplois à l'extérieur de leur communauté?
M. Toulouse : Oui, malheureusement, c'est un facteur. Il y a des gens qui sont en difficulté. Je prendrai pour exemple le programme Ontario au travail, qui est un système d'aide sociale. Il faut que la personne trouve une façon de se réinsérer dans le système pour avoir la possibilité de se recycler.
Nous avons connu des cas où des communautés des Premières nations ont essayé de travailler dans les limites de la loi en question et, comme il n'y a aucun développement économique chez eux, les gens doivent se tourner vers la ville pour recevoir une formation.
C'est voué à l'échec, car on ne permet à aucun membre d'une Première nation de saisir l'occasion d'emploi qui appartient aux gens de la ville tout près. Ce serait du jamais vu dans les villes des régions éloignées ou les villes près des communautés des Premières nations.
Malheureusement, cette forme de racisme existe toujours. Le visage hideux du racisme entourant le conflit des Douglas Creek Estates, à Caledonia, dans le territoire des Six Nations, était triste à voir. Souvent, ce n'est pas forcément les gens de l'endroit qui étaient racistes. Ce sont des gens qui sont venus sur place pour provoquer ce racisme, si vous voulez. Que quelqu'un vienne d'ailleurs pour faire cela, c'est ce qui est vraiment triste, mais ça existe.
En tant que membre d'une Première nation, j'en ai ressenti les effets. J'en ressens toujours les effets. C'est difficile à décrire, mais c'est là. Je suis sûr que de nombreux autres immigrants peuvent confirmer qu'ils le ressentent, eux aussi, le racisme. À mon avis, ce que ressentent davantage les Premières nations, c'est la forme systémique, institutionnelle, du racisme, qui fait que nous sommes souvent exclus. C'est le genre de racisme qui, à mon avis, est le plus courant.
Le sénateur Lovelace Nicholas : J'en ai certainement été témoin toute ma vie durant. Ma seule autre question portait sur l'accord de Kelowna, et le sénateur Mercer en a parlé. Je vous remercie donc.
Le sénateur Zimmer : Merci d'avoir présenté un exposé aujourd'hui. Je remplace le sénateur Dallaire, qui assiste à la première réunion du comité consultatif des Nations Unies sur la prévention des génocides, à New York.
De même, j'étais heureux de pouvoir assister à la séance aujourd'hui, car la cause que je défends, c'est la cause des jeunes au Canada — et quand je dis cela, je veux dire tous les jeunes de toutes les races. J'ai grandi en Saskatchewan et j'ai fréquenté l'Université de Saskatoon. J'étais un compagnon de classe de madame la présidente.
Il y avait près de Saskatoon une communauté, appelée Sulland, qui fait maintenant partie de la réserve urbaine. Ma question est la suivante : nous parlons des jeunes Autochtones qui sont instruits. Demeurent-ils en ville ou retournent- ils dans la réserve? Il semble maintenant y avoir une troisième option : la réserve urbaine. Vont-ils dans les réserves urbaines pour travailler là?
M. Thompson : Le chef Toulouse a dit que les gens veulent aller là où ils sont le plus à l'aise, et où leur identité est soutenue et leur culture, respectée. Dans le cas de la Saskatchewan, où la réserve urbaine est en train de devenir une option, c'est certainement une chose dont ils profiteraient.
Si vous me demandez de dire s'il devrait y avoir une expansion au Canada des réserves urbaines, disons, à Winnipeg ou en Saskatchewan, j'outrepasserais probablement mon mandat en répondant, car c'est une décision qui revient aux personnes et aux nations à l'intérieur de chacune des régions.
En Saskatchewan, les gens trouvent cela très avantageux, dirait-on, d'avoir accès à un monde relevé, si vous me permettez l'expression. Cependant, en même temps, comme le chef régional Toulouse l'a dit plus tôt, si vous comptez le nombre de personnes qui se trouvent dans les réserves et en dehors des réserves, vous constatez que le mouvement s'inverse, c'est-à-dire que les gens reviennent à la communauté plutôt que de s'en aller. Les dernières statistiques montrent que c'est le cas si vous tenez compte du groupe autochtone par rapport au secteur pancanadien des Autochtones, si vous voulez.
M. Toulouse : Souvent, les membres des Premières nations s'installent là où il y a un collectif, c'est-à-dire un lien culturel et spirituel avec autrui, qui est aussi important que les terres spirituelles de leur communauté d'origine. C'est l'aspect collectif qu'ils recherchent, car c'est là qu'ils retrouvent leur langue, leur culture et leurs cérémonies. Je ne connais pas bien les réserves urbaines, si vous voulez, dans la province de la Saskatchewan.
Le sénateur Zimmer : J'y voyais une troisième option. Je parlais non seulement d'emploi, mais aussi d'occasion d'affaires. Apparemment, le modèle de Saskatoon fonctionne bien. Il a été assimilé dans la communauté et est le bienvenu. Il donne une autre option, non seulement pour l'emploi, mais aussi pour les occasions d'affaires.
Le sénateur Nancy Ruth : Ma question porte sur les conventions internationales. Le Canada a été condamné pour sa façon de traiter les droits des Autochtones dans toutes sortes de conventions : le pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; l'entente sur la discrimination faite aux femmes; et la convention relative aux enfants dont nous avons parlé. Toutes ces conventions renferment des choses horribles qui sont dites à propos du Canada, en général, et des peuples autochtones, en particulier.
Selon vous ou l'APN, que pourrions-nous faire pour que le gouvernement canadien adopte des mesures judicieuses en réaction aux critiques contenues dans ces conventions internationales, ici même au Canada, pour que cela soit à votre avantage? Qu'est-ce que nous pouvons faire pour motiver un peu le Canada à agir? Nous sommes curieux à ce sujet. Toutes les idées sont les bienvenues.
Le sénateur Kinsella : Mes questions vont droit au but. D'abord, certaines lois importantes en matière de droits de la personne ne s'appliquent pas aux Autochtones du Canada. L'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux Indiens habitant normalement une réserve. Je crois que c'est l'interprétation qu'il faut faire de l'article en question.
En rapport avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, le Canada a fait valoir une réserve pour que la convention ne s'applique pas aux enfants autochtones. Dans les deux cas en question, que voyez-vous comme étant la justification de l'exclusion visée par la réserve en rapport avec la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant?
Ensuite, pouvez-vous récapituler votre position sur l'article 67?
M. Thompson : La première question nous ramène à la question du sénateur Munson, à savoir comment faire en sorte que le gouvernement fédéral agisse en rapport avec les questions dont nous avons parlé aujourd'hui.
Certes, ce sont les mêmes questions. Vous ne faites qu'y donner un tour international, à savoir si cela est conforme ou non à la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant et à d'autres instruments internationaux. C'est la question qui a tout déclenché pour nous. Nous nous débattons avec cette même question : comment attirer l'attention du gouvernement du Canada et faire en sorte qu'il adopte les mesures qui s'imposent?
Nous lisons tous les histoires tragiques relatées dans les journaux nationaux et locaux. Nous voyons que les agissements du Canada sont assimilés à la faillite, vis-à-vis des instruments internationaux. Nous multiplions les réunions avec les responsables fédéraux pour parler des statistiques que nous voyons bon an, mal an.
Malheureusement, cela prend souvent une tragédie pour que les autorités décident d'agir. Par exemple, dans le cas où il a fallu déménager la communauté dans le Nord, ce n'est pas nécessairement l'emplacement qui est en cause. C'est une solution ponctuelle. Je m'éloigne du sujet, mais c'est ma bête noire : quand on s'éloigne de la question fondamentale...
Le sénateur Nancy Ruth : Si la presse n'intervient pas, il est difficile d'avoir l'attention des politiciens.
M. Thompson : C'est vrai, mais pour pousser les choses encore un peu plus loin, je dirais qu'on veille ainsi à ce que le gouvernement fédéral n'adopte pas encore une solution ponctuelle. Il faut de l'argent, mais le simple fait d'injecter de l'argent n'est pas utile. Il faut comprendre pourquoi la situation existe, en saisir les raisons fondamentales. Ensuite, il faut s'y attaquer. Ce genre de mesure, malheureusement, ne se concrétisera probablement pas du jour au lendemain. Dans le contexte du cycle politique, c'est une approche qui, souvent, n'est pas particulièrement attrayante. Je crois que cela fait partie du problème.
Je m'excuse de m'être éloigné du sujet. Puis-je vous demander de répéter votre question?
M. Toulouse : Vous avez parlé de l'article 67, des droits de la personne et de l'exclusion des Premières nations. Je crois que le gouvernement fédéral en a fait un usage abusif en ce qui concerne les ressources fournies. Le souci, du point de vue des Premières nations, c'est de recevoir des ressources limitées à l'échelle communautaire. Je prendrai pour exemple l'éducation.
Nous avions une école élémentaire — allant jusqu'à la huitième année — qui relevait de la bande. Certains des parents ont fait savoir qu'ils voulaient envoyer leurs enfants dans un autre établissement d'enseignement, en dehors de la réserve. Même si nous souhaitions appuyer cette démarche et leur dire qu'ils avaient le droit de le faire, nous ne pouvions pas. Collectivement, nous avions seulement les ressources suffisantes pour prévoir une sorte d'établissement d'enseignement. Nous ne pouvons peut-être pas offrir des cours de musique, ni toute la gamme des disciplines scientifiques et ainsi de suite; nous aimerions bien le faire. Souvent, les parents affirment que leurs enfants ont des droits. Le gouvernement fédéral ne pouvait fournir que ce minimum. Notre souhait collectif, c'est que les jeunes fréquentent l'école au sein de notre communauté, mais ils ont droit individuellement à des cours de français langue seconde, même si nous offrons des cours dans notre propre langue.
Selon moi, la limitation des ressources accordées aux Premières nations s'est parfois prêtée à un mauvais usage. Cela fait que nous affrontons nos frères qui veulent quelque chose de différent et nous acceptons, même si nous n'en avons pas les moyens. Plus tard, on nous reproche de ne pas bien gérer nos ressources, étant donné qu'il y a un déficit de quelques millions de dollars.
Voilà donc les questions entourant le manque de financement dont le gouvernement fédéral a fait un mauvais usage par le passé.
Le sénateur Kinsella : Que pensez-vous de la réserve émise au sujet de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant? Le Canada a fait valoir une réserve pour affirmer qu'il ne veut pas que cette norme s'applique aux enfants indiens.
M. Thompson : Parlez-vous de la réserve du Canada à l'égard de l'article 21 concernant l'adoption?
Le sénateur Kinsella : Oui.
M. Thompson : Pour ce qui est de l'adoption des enfants indiens, notre propos nous ramène à la notion que les Premières nations ont la volonté que les enfants en question continuent de jouir de leurs coutumes et de leurs traditions. Il y a aussi la question du financement. Quand des enfants sont pris en charge de manière traditionnelle au sein de nos communautés, par exemple, les fonds attitrés par enfant seront nettement inférieurs à ce qui est investi dans un foyer d'accueil ou un service à l'extérieur de la communauté.
C'est un des scénarios que nous aimerions voir changer. Voilà pour la réponse à votre question concernant la réserve du Canada touchant l'article 21.
Le sénateur Munson : J'ai deux questions rapides : ce sont des questions qui ont déjà été débattues de façon substantielle.
À la page 7, vous dites qu'environ 12 p. 100 des enfants des Premières nations ont une déficience ou des besoins particuliers : est-ce que c'est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale?
M. Thompson : Oui : je ne saurais vous dire, par cœur, jusqu'à quel point, mais c'est probablement le double.
Le sénateur Munson : Qu'entendez-vous par déficience et besoins particuliers?
M. Thompson : Pour ce qui est des enfants, il y a des troubles de développement et des déficiences physiques. C'est un domaine où il faut vraiment intervenir, non seulement pour mettre en place des instruments d'évaluation adaptés au contexte culturel, mais aussi pour bien comprendre les divers programmes fédéraux qui existent en ce qui concerne les besoins particuliers. En ce moment, l'approche se veut ponctuelle. Nous aimerions que les choses soient organisées un peu, pour que les gens puissent mieux comprendre de quoi il s'agit.
Souvent, les gens dans les communautés des Premières nations sont obligés d'envoyer leurs enfants ailleurs. Pour que certains des enfants en question reçoivent les services voulus, il faut qu'ils soient pris en charge, quelles que soient la compétence des parents et la qualité du foyer.
Le sénateur Munson : Un commissariat à l'enfance permettrait-il de défendre les intérêts en question et de répondre à ce genre de besoins, comme nous en avons parlé dans notre rapport précédent?
Vous êtes d'accord, comme le comité que nous formons est d'accord, avec l'idée d'un commissariat à l'enfance. Ce qu'il faut, c'est aller au-delà de la simple recommandation, peut-être que le gouvernement pourrait faire quelque chose?
M. Thompson : Je reviendrai à la discussion qu'il y a eu ce matin à la Chambre. Le ministre Prentice a parlé de la nécessité d'instaurer un changement structurel.
Ce dont je vais parler entre probablement dans la catégorie du changement structurel. Il y a des choses précises dont j'aimerais parler en ce qui concerne les services d'aide à l'enfance. Je crois que c'est une question dont nous pourrions discuter dans des discussions du genre de celles qui ont eu lieu à Kelowna, pour nous approcher des principaux pans du tableau structurel qu'il faut regarder avec les Premières nations, le gouvernement fédéral ainsi que les provinces et les territoires. Nous pourrions mettre cela à l'ordre du jour en 2008 et tenir des discussions à court terme.
Le sénateur Mercer : Nous sommes toujours là, assis autour d'une table, à discuter des mauvaises nouvelles concernant les communautés autochtones, mais il y a aussi des cas de réussite.
Ce sont les bonnes nouvelles. Il y a des réserves qui sont dynamiques et fonctionnent bien pour diverses raisons. Est- ce que ce succès se manifeste aussi du côté de l'aide à l'enfance dans la réserve? Dans les réserves où la vie économique est bonne — je songe à la réserve de Membertou, en Nouvelle-Écosse, où mon ami, Bernd Christmas, jouait un grand rôle —, y a-t-il moins de problèmes sociaux, moins d'alcoolisme et moins de problèmes pour les enfants, dans les réserves où le côté économique va mieux? Si la réponse est « oui », cela montre pourquoi il faut régler l'autre problème d'abord.
M. Toulouse : La question économique fait partie de la solution.
Les Premières nations elles-mêmes doivent participer à une sorte de développement communautaire, à l'échelle de la communauté, où tout est débattu. J'ai vu comment une communauté peut commencer à se guérir elle-même, à enrayer les maux qui l'accablent depuis plusieurs générations.
Ils ont commencé à en discuter entre eux et à songer, individuellement, à prendre la voie de la guérison, pour que leur famille et leur communauté prennent aussi la voie de la guérison.
Même si la plupart des réponses sont internes, les Premières nations ont parfois besoin d'une aide extérieure pour stimuler les discussions en question. Il y a des communautés où se regroupent de 2 000 à 3 000 personnes. Ce genre de travail a davantage trait à une solution à long terme qu'à une réponse économique à court terme. Au bout du compte, la personne encaisse encore un chèque et elle souhaite toujours faire ce qu'elle a fait historiquement, ce qui ne représente pas nécessairement une activité saine. Cependant, si la personne est déjà saine, elle participera à des activités saines pour soutenir la famille et la communauté.
Je crois que c'est là que réside pour une grande part le défi à relever. En arriver à un certain développement économique, voilà un facteur clé. Je m'aventurerais à dire que la communauté dont vous avez parlé a beaucoup exploré la voie du développement communautaire, pour en arriver au développement économique dont toutes cherchent à profiter.
La présidente : Chef Toulouse, merci d'être venu nous remettre un mémoire écrit qui expose certaines de vos préoccupations et recommandations en ce qui concerne la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Merci d'avoir eu avec nous un dialogue honnête et sans détour. Nous espérons faire partie de la solution et non pas du problème qui persiste.
Le comité poursuit à huis clos.