Aller au contenu

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 6 - Témoignages


WINNIPEG, le lundi 18 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs et invités, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne siège à Winnipeg aujourd'hui pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous avons produit un rapport provisoire. Après ces audiences, nous compléterons notre travail et déposerons un rapport final avant la fin de l'année.

Nous sommes chargés de déterminer de quelle façon le Canada s'acquitte de sa responsabilité de mettre en œuvre la Convention internationale. Nous avons concentré nos efforts sur les obligations fédérales, plus que sur les obligations provinciales. Nous nous intéressons aux enfants en premier, et non à ce que font les provinces et le gouvernement fédéral.

Nous accueillons ce matin M. Yude Henteleff, avocat qui pratique le droit ici à Winnipeg, ainsi que M. David Matas. Les deux sont des experts dans différents domaines. Comme les membres du comité ont reçu votre curriculum vitæ, je n'ai pas à énumérer la longue liste de vos réalisations. Je vous souhaite tous deux la bienvenue au comité.

Yude Henteleff, avocat, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis bien sûr enchanté d'avoir cette occasion de m'adresser à vous. Si je manifeste quelque impatience ou peut-être même une certaine colère au cours de mon exposé, c'est parce que je m'occupe de ce domaine depuis longtemps.

Les progrès réalisés en ce qui concerne les enfants handicapés se mesurent en millimètres. Au cours des dernières années, pour différentes raisons que j'espère pouvoir examiner avec vous, il y a même eu des reculs qui sont vraiment inquiétants.

Je me réjouis du plein engagement du comité envers la mise en œuvre effective des droits des enfants, mais, en toute franchise, je dois vous dire que votre rapport provisoire comporte deux grandes omissions. J'ai l'impression que vous auriez dû y faire figurer l'engagement de mettre en œuvre ces droits le plus tôt possible et les moyens à prendre pour y parvenir. J'aurais voulu voir un sous-titre dans votre rapport sur ce qui peut et doit être fait tout de suite.

Je me félicite bien sûr des quatre recommandations présentées dans le résumé de la page 8. Elles pourraient, le moment venu, accélérer la mise en œuvre des droits des enfants au Canada, conformément à la Convention des Nations Unies. Toutefois, cela ne se fera pas demain. Il faut pourtant répondre aux besoins d'aujourd'hui. Ces besoins ont été clairement définis dans les critiques de la Coalition canadienne pour les droits des enfants et de la Fondation canadienne pour les enfants, les jeunes et le droit. Il y a aussi le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies. Il n'y a pas de doute que le Canada s'est soustrait depuis longtemps à l'obligation d'assurer ces droits à beaucoup d'enfants, et en particulier aux enfants handicapés et autochtones.

Je voudrais commencer par mentionner qu'en plus d'être ici à titre personnel, je suis aussi l'avocat honoraire de l'Association canadienne des troubles d'apprentissage, qui est au courant des observations que je dois présenter. Même si l'Association n'a pas eu la possibilité de tout lire en détail, à cause du manque de temps, elle partage mon point de vue sur le sujet.

J'ai également eu l'occasion de lire le rapport que vous a présenté la Fondation canadienne pour les enfants, les jeunes et le droit. Je dois vous dire que je suis parfaitement d'accord avec elle.

Comme je l'explique en détail dans le document « Human Rights : Still Largely Unmet », que je vous ai remis, il est nécessaire de dispenser d'urgence des services à ce groupe particulier d'enfants, et surtout aux enfants autochtones. Cette question a fait l'objet d'une série de conférences tenues un peu partout au Canada dans les dernières années. Au cours de toutes ces rencontres, il a été prouvé qu'il existe un besoin urgent et qu'à défaut d'y répondre, il y aurait de graves conséquences. De toute évidence, on ne s'est pas occupé des besoins de ces enfants en matière d'intervention précoce et de traitement.

L'échec enregistré à tous les niveaux du système des services à l'enfance, y compris l'éducation préscolaire dans les écoles publiques et en particulier le système de justice des mineurs, est dû à l'ignorance, à l'incompétence, à la discrimination et au racisme. Cela s'applique aussi au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui a la responsabilité de nombreux enfants et jeunes autochtones atteints du trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale.

La plupart des membres de la bureaucratie et beaucoup des responsables semblent croire qu'il ne vaut pas la peine d'investir dans ces enfants aux besoins spéciaux. Ils appliquent ce que j'appelle le ratio coûts-avantages : si, à leur avis, l'investissement a peu de chances de rapporter un rendement suffisant, alors ces enfants deviennent pour eux des citoyens de seconde zone.

En réalité, rien n'est plus faux : l'investissement en vaut sûrement la peine. Dans mon document de 2005, je mentionne un certain nombre d'études qui prouvent sans exception que l'investissement dans les enfants ayant des besoins spéciaux est toujours payant.

J'ai l'impression que, de l'île de Vancouver à Terre-Neuve, le droit de ces enfants à la justice sociale et à l'égalité en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés ne représente rien pour ces décideurs. J'insiste là-dessus parce qu'en contrepartie des progrès minimes réalisés ces trois dernières années, il y a eu dans les 5 à 10 dernières années des réductions sensibles du financement nécessaire pour dispenser à ces enfants des services appropriés au moment voulu, le prétexte invoqué en général étant l'insuffisance des ressources.

Je vais vous donner un exemple. Après des années d'études, le Manitoba a finalement adopté une loi portant sur les droits des enfants qui ont des besoins spéciaux. Lorsqu'on en lit le texte, on ne peut que se réjouir de chacune des dispositions, à part celle qui dit « sous réserve des ressources disponibles ». Soit dit en passant, ce genre de réserve ne s'applique jamais aux enfants qui ne sont pas « spéciaux » parce qu'ils ne sont ni handicapés ni autochtones. Je trouve cela très difficile à comprendre. C'est pour cette raison que j'accuse de discrimination les organismes de services à l'enfance de tout le pays. Le comité des Nations Unies mentionne particulièrement cette situation au paragraphe 21 de sa réponse au rapport 2003 du Canada.

Tout le concept des difficultés excessives repose, lui aussi, sur l'existence de citoyens de seconde zone. Je n'en parle pas dans mon document parce que je ne m'en suis rendu compte qu'en lisant le rapport de la Fondation canadienne pour les enfants, les jeunes et le droit. Comme vous le savez, j'en suis sûr, le gouvernement et le secteur privé ont le droit de faire de la discrimination au Canada s'ils peuvent démontrer qu'ils auraient des difficultés excessives autrement. Même si les tribunaux ont fixé un seuil relativement élevé pour accepter une défense fondée sur les difficultés excessives, il n'en reste pas moins que la discrimination est admissible sur la base de motifs économiques. Autrement dit, on peut atteindre un point au-delà duquel on a le droit de dire qu'on n'a pas les moyens d'offrir des services aux enfants ayant des besoins spéciaux. Pourquoi? Eh bien, c'est parce qu'on aurait des difficultés excessives autrement. Pourtant, aucune réserve de ce genre ne s'applique aux services dispensés aux enfants n'ayant pas de tels besoins. Cela signifie qu'il y a une norme pour les premiers et une autre pour les seconds. Quelle est cette norme? Eh bien, c'est une norme qui se fonde sur des considérations économiques plutôt que sur les droits de la personne. Il est vraiment inquiétant de constater qu'on mesure les droits de la personne en fonction de facteurs économiques dans le cas des plus vulnérables.

Voilà pourquoi, comme l'ont souligné d'autres mémoires présentés au comité, il est vraiment essentiel, pour cette raison et pour d'autres que je mentionnerai plus tard, d'inscrire la Convention des Nations Unies dans la législation canadienne. Aucune réserve de ce genre ne figure dans la Convention. C'est vraiment essentiel. On n'y trouve pas non plus de limites comme celles qui figurent à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés au sujet des droits individuels.

Je voudrais vous entretenir brièvement de l'affaire Terre-Neuve c. NAPE qui a fait l'objet d'une décision de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, le gouvernement provincial avait signé une entente accordant à des femmes quelque 21 millions de dollars au titre de la parité salariale. Ensuite, parce que Terre-Neuve avait des difficultés économiques, elle a suspendu le paiement de ces 21 millions aux femmes qui attendaient l'argent depuis je ne sais combien d'années. Le motif invoqué était que les finances de la province étaient dans un état tel que l'intérêt public imposait de passer outre aux droits de ces femmes.

On peut comprendre qu'il y a des cas où les droits individuels doivent être subordonnés aux droits collectifs. Ce que je trouve absolument effarant, malgré le grand respect que j'ai pour le jugement de la Cour suprême du Canada, c'est qu'il n'y avait aucune preuve que d'autres groupes semblables avaient été touchés d'une façon disproportionnée. C'était une discrimination flagrante envers un groupe — les femmes — qui a perpétuellement été traité d'une façon injuste. Dans ce cas précis, la discrimination a été maintenue.

Voilà pourquoi, encore une fois, la réserve qu'on trouve à l'article 1 de la Charte, qui subordonne les droits individuels aux droits collectifs, ne figure pas dans la Convention relative aux droits de l'enfant.

La seconde grave omission dans le travail de votre comité — dont j'admire quand même la plus grande partie — réside dans le fait que le rapport provisoire ne dit rien, absolument rien, du trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale. C'est pourtant une véritable épidémie parmi les enfants autochtones du Canada, particulièrement dans le Nord.

En octobre 1996, le ministre fédéral de la Santé d'alors, David Dingwall, ainsi que le Dr Pierre Beaudry, alors président de la Société canadienne de pédiatrie, avaient publié une déclaration commune disant que le trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale était l'une des principales causes évitables des malformations congénitales et des retards de développement chez les enfants. On estime en outre que c'est l'une des principales causes connues de débilité mentale, de graves troubles d'apprentissage et de sévères troubles affectifs.

Deux enquêtes ont permis d'évaluer des Autochtones comprenant surtout des enfants dans des collectivités des Territoires du Nord-Ouest et du Manitoba. Elles ont révélé que 30 à 40 p. 100 des enfants nés dans les réserves sont atteints du trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale, et que 70 p. 100 de ces enfants souffrent de troubles d'apprentissage, 56 p. 100 de déficit intellectuel et 50 p. 100 de troubles de l'élocution.

Le TSAF a des effets neurologiques permanents, notamment dans le domaine cognitif. Cela ne signifie pas qu'on ne peut rien faire pour aider ces enfants à surmonter leurs handicaps, mais il faut s'en occuper d'une manière très positive.

Il existe une forte corrélation entre les enfants et les jeunes atteints du TSAF et les démêlés avec la justice. J'ai fourni de nombreuses études établissant cette corrélation, non parce que les effets sont intrinsèques chez les gens atteints du TSAF, mais parce que les troubles neurologiques ont des ramifications qui engendrent cette situation.

Des enfants non autochtones atteints de toute une gamme de troubles cognitifs tels que l'autisme, le syndrome de la Tourette, le syndrome d'Asperger, et cetera souffrent par suite de la réduction considérable de ces services. Ces réductions avaient pour prétexte l'inclusivité, qu'on invoque partout dans le pays pour dispenser moins de services.

J'ai récemment participé en Colombie-Britannique à une affaire que nous avons gagnée, mais qui est bien sûr en appel. Six grands procès sont actuellement devant les tribunaux à cause des réductions et du fait que le système n'offre plus à ces enfants les services dont ils ont besoin.

Je vous rappelle que les multiples rapports produits au fil des ans, y compris le rapport le plus récent du comité des Nations Unies, ont noté que les enfants handicapés, autochtones et non autochtones, manquent sérieusement de services d'une façon constante. Cette situation a empiré ces dernières années. Au Canada, nous sommes actuellement aux prises avec une violation systématique des droits de ces enfants.

Le 1er mai 2002, la Coalition canadienne pour les droits des enfants a signalé une détérioration régulière des services nécessaires pour permettre aux enfants ayant des besoins spéciaux de jouir des droits que leur confère la Convention. Le Conseil des ministres de l'Éducation n'a rien fait à ce sujet. En fait, on n'entend jamais parler de lui en dépit des besoins criants qui existent dans tout le pays.

Il est essentiel que les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral conjuguent leurs efforts à l'échelle nationale. La santé, qui est aussi une préoccupation nationale, a bien fait l'objet d'efforts communs des provinces, des territoires et du gouvernement fédéral. Alors pourquoi pas le domaine de l'éducation, surtout dans le cas des enfants ayant des besoins spéciaux?

Nous devons avoir une formule de financement nationale assortie de services et de programmes à court, moyen et long terme. Nous devons établir un nouveau comité conjoint fédéral-provincial-territorial doté d'un cadre commun et de pouvoirs concrets lui permettant d'agir. De toute évidence, comme on vous l'a recommandé à maintes reprises, ces consultations nécessitent une participation importante des ONG. Le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies le mentionne expressément au paragraphe 13 de son rapport d'octobre 2003 sur la conformité du Canada aux dispositions de la Convention.

Je parle longuement, dans mon document, de la responsabilité directe et non transmissible du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Parmi tous ceux qui ont manqué à leurs obligations envers les enfants atteints du TSAF dans les réserves du Canada, ce ministre est le plus coupable. Les rapports concernant le manque constant de services sont absolument effroyables, comme en témoigne encore une fois le paragraphe 24 du rapport 2003 du Comité des droits de l'enfant.

Vous dites dans votre rapport que le Canada ne reconnaît pas, autant qu'il le devrait, la Convention des Nations Unies et d'autres accords. Je ne suis pas tout à fait d'accord. En fait, des décisions judiciaires récentes prouvent le contraire. Je ne suggère pas pour autant de renoncer à inscrire la Convention dans la législation canadienne, comme je le recommande, mais il est clair que les tribunaux agissent plus rapidement que les politiciens à cet égard.

Avant d'oublier, je voudrais vous signaler un texte très récemment paru intitulé International Human Rights Law and Canadian Law - Legal Commitment Implementation of the Charter. Il a été écrit par William Schabas, professeur à l'UQAM, que vous connaissez bien.

Le chapitre 6 de votre rapport provisoire ne me laisse pas grand espoir quant aux possibilités d'amélioration de la situation des enfants souffrant de handicaps tels que le TSAF. Votre rapport devrait comprendre un chapitre distinct sur le système d'éducation, comme celui des Nations Unies. Il devrait comprendre un chapitre distinct sur le manque de services aux enfants atteints du trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale et un autre sur le système de justice pénale des mineurs. Soit dit en passant, la situation aux États-Unis n'est pas la même parce qu'ils ont une loi très intéressante, l'Americans with Disabilities Act. Les États qui souhaitent obtenir une aide fédérale doivent se conformer à cette loi, de même que tous les systèmes de justice des mineurs du pays. Les Américains ont des programmes très forts pour l'identification et dispensent des services aux enfants ayant des troubles de l'apprentissage et d'autres fonctions cognitives ainsi qu'aux enfants atteints du TSAF.

Ce sont là mes observations préliminaires. Je voudrais souligner que les articles 2, 3, 12, 23, 28 et 29 de la Convention insistent sur la nécessité d'inscrire celle-ci dans la législation nationale. Notre Charte ne traitera jamais en particulier des droits des enfants de la même façon que la Convention des Nations Unies.

Je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous présenter cet exposé, qui représente un peu plus que des observations préliminaires. Je vous remercie de la patience dont vous avez fait preuve en m'écoutant.

La présidente : Je vous remercie de votre exposé et de vos documents. Je précise, au nom du comité, que le rapport provisoire n'était pas complet. Nous avons commencé par écouter des témoins. Ce rapport représente une synthèse de ce que nous avons entendu jusqu'ici. C'est précisément la raison pour laquelle nous poursuivons nos audiences. Nous brossons un grand tableau des traités sur les droits de la personne et de leur mise en œuvre au Canada. Nous nous servons de la Convention comme modèle.

Nous avons l'intention d'examiner la Convention en détail, article par article. Vos travaux nous seront utiles à cet égard. Nous espérons que notre rapport final correspondra au document général que nous envisageons. Une fois qu'il aura paru, nous serons heureux de recevoir vos critiques ou votre appui.

M. Henteleff : Pour moi, il est tragique et triste de constater que pas un seul témoin n'a jugé bon de mentionner ces préoccupations. Cela me trouble profondément. Cela signifie que même les défenseurs des droits des enfants n'ont pas pensé à ces questions.

David Matas, avocat, à titre personnel : J'ai apporté un texte, mais je ne compte pas le lire. Je vais plutôt en présenter un résumé. Vous trouverez plus de détails dans le texte, que je vous invite à examiner.

Je parlerai de questions liées à l'immigration et à l'exploitation sexuelle. Pour ce qui est de l'immigration et des réfugiés, à part la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comporte un principe selon lequel elle doit être interprétée en conformité avec les instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. De ce fait, la Convention relative aux droits de l'enfant constitue un guide d'interprétation de cette loi.

Je voudrais attirer votre attention sur deux questions particulières. D'après l'article 3.1 de la Convention, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions que nous prenons ou que prend le gouvernement. Malheureusement, ce n'est pas le cas lorsque des familles sont expulsées du Canada. Non seulement l'intérêt de l'enfant ne constitue pas une considération primordiale, mais on ne semble pas du tout en tenir compte. Aucun mécanisme n'est en place pour déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant lorsqu'une famille fait l'objet d'une mesure de renvoi. Le seul mécanisme qui existe en principe est celui de la demande fondée sur des considérations humanitaires. N'importe qui peut présenter une telle demande pour rester au Canada. Le problème, c'est que le mécanisme n'est pas coordonné avec la procédure de renvoi. L'examen de cette demande peut être très long et durer des mois sinon des années avant qu'une décision finale soit rendue. Si la date du renvoi arrive avant la décision finale, eh bien, tant pis pour les enfants, pour la famille et pour les obligations internationales du Canada. Les responsables des renvois ne prennent même pas la peine de considérer s'il est opportun d'attendre les résultats de la demande avant d'expulser les personnes en cause.

Je vais vous donner un exemple parmi beaucoup d'autres. Un de mes clients s'est réfugié avec sa femme et ses enfants dans une église de Winnipeg. Le couple a six enfants, dont deux sont nés au Pakistan, deux aux États-Unis et deux au Canada. Une demande fondée sur des considérations humanitaires est en cours d'examen. La famille a demandé aux responsables des renvois de reporter la date d'expulsion jusqu'à ce que la demande fasse l'objet d'une décision. Les responsables ont une réponse standard dans ces cas. Ils parlent de procédures distinctes et disent qu'ils ne peuvent pas attendre les résultats d'une demande. Ils se refusent à considérer la valeur des arguments avancés dans la demande. Les circonstances de ce genre sont très courantes lorsque des gens vont se réfugier dans un lieu du culte, ce qui se produit au Canada de temps à autre. C'est un problème. La famille s'est adressée à la Cour fédérale. Lorsque la Cour a refusé d'intervenir, la famille est allée se réfugier dans une église.

J'encourage le comité à recommander au gouvernement de se conformer à ses obligations aux termes de la Convention relative aux droits de l'enfant en demandant aux responsables des renvois de prendre en considération l'intérêt supérieur des enfants et notamment de déterminer si une demande en cours fondée sur des considérations humanitaires comporte des arguments convaincants ou dignes d'être examinés. Les responsables acceptent parfois de reporter une expulsion pour permettre aux enfants de finir l'année scolaire, mais il est évident que cela ne règle pas vraiment le problème.

La seconde question a trait aux enfants qui se trouvent à l'étranger et dont les parents sont au Canada. Pour cette question particulière, j'attire votre attention sur l'article 10.1 de la Convention qui demande aux États signataires de considérer dans un esprit positif, avec humanité et diligence, la demande d'un enfant qui veut rejoindre ses parents. Toutefois, si les parents qui se trouvent au Canada ont demandé le statut de réfugiés, la demande de réunification familiale présentée par les enfants n'est pas examinée dans un esprit positif, avec humanité et diligence. En fait, ces demandes sont systématiquement rejetées conformément à la politique en vigueur, qui interdit la réunification familiale aux demandeurs du statut de réfugié. Le gouvernement refuse de considérer les enfants comme des visiteurs parce qu'il suppose qu'ils voudraient rester au Canada ou demander eux-mêmes le statut de réfugié. Par conséquent, les enfants se voient refuser le visa dont ils ont besoin pour entrer dans le pays.

Le gouvernement dit qu'il ne veut pas laisser venir des membres de la famille parce que la demande de statut de réfugié peut être rejetée, ce qui ne ferait qu'accroître le coût du renvoi s'ils laissent les enfants rejoindre leurs parents. Cela pourrait bien être le cas de certaines familles. J'estime, pour ma part, que le préjudice causé par le refus de la réunification familiale, particulièrement dans le cas de jeunes enfants, l'emporte de loin sur le coût du renvoi. Je pense que le gouvernement du Canada devrait réviser cette politique.

C'étaient les deux questions que je voulais soulever au sujet de l'immigration. L'une des questions liées à l'exploitation sexuelle découle des nombreuses conclusions à tirer de la saga de Peter Whitmore. Ce délinquant sexuel chronique est accusé d'avoir enlevé deux garçons, l'un de Winnipeg et l'autre de la Saskatchewan. Il a été appréhendé le mois dernier. Cette affaire soulève des questions au sujet de l'accès aux registres de la police, qui occasionne des problèmes réels, des critères législatifs de désignation comme délinquant sexuel dangereux et de l'âge de consentement. Je voudrais juste aborder à cet égard la question de la délivrance d'un passeport à une personne telle que Peter Whitmore.

Après avoir été condamné il y a quelque temps, Peter Whitmore a violé les conditions d'une ordonnance judiciaire et s'est rendu au Mexique où, d'après certains rapports de presse, il a eu des contacts avec des enfants. On a trouvé sur lui un carnet où figuraient le nom et l'âge de 13 enfants. Il a été extradé et ramené au Canada. À mon avis, un individu de ce genre n'aurait pas dû pouvoir obtenir un passeport et, s'il en avait déjà un, son passeport aurait dû être révoqué.

Il y aurait donc lieu de modifier le Décret sur les passeports canadiens pour remédier au problème. Aux termes du décret, une seule infraction — l'utilisation frauduleuse d'un certificat de citoyenneté — peut justifier le refus d'un passeport. D'autres infractions devraient être ajoutées, et particulièrement les infractions sexuelles répétées commises contre des enfants. De plus, le décret ne prévoit la révocation d'un passeport que dans des circonstances très limitées, excluant des individus comme Peter Whitmore, qui s'est rendu coupable d'infractions sexuelles au Canada et qui est susceptible d'en commettre d'autres à l'étranger. Il devrait être possible de révoquer le passeport de personnes qui se trouvent dans cette situation.

J'en viens enfin à mon second point concernant l'exploitation sexuelle, ce qui porte le total à quatre. Le Canada devrait avoir un plan d'action national visant à prévenir l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Le Canada s'est en fait engagé à élaborer un tel plan en 1996 et avait alors signé à Stockholm une déclaration à cet effet. Nous n'avons cependant rien fait depuis 10 ans.

Nous avons adopté en 2004 un plan d'action national pour les enfants, qui comportait quelques éléments liés à l'exploitation sexuelle. Nous avons également une stratégie pour protéger les enfants contre l'exploitation sexuelle sur Internet. Je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas avoir un plan d'action national sur l'exploitation commerciale et sexuelle des enfants. J'encourage le comité à recommander au gouvernement d'adopter un tel plan.

Le sénateur Carstairs : Monsieur Henteleff, parmi l'ensemble des troubles d'apprentissage, l'autisme a beaucoup plus retenu l'attention ces derniers temps que d'autres affections, beaucoup plus en tout cas que le syndrome d'alcoolisation fœtale. Il semble que ce soit le sujet à la mode. Pourtant, j'ai l'impression qu'il n'y a pas de grandes différences entre les besoins des enfants autistiques et ceux des enfants atteints du syndrome d'alcoolisation fœtale.

Si nous formulons des recommandations, devraient-elles être assez génériques? En d'autres termes, devraient-elles viser tous les enfants ayant des troubles d'apprentissage ou bien devrions-nous traiter séparément des différents troubles, que ce soit l'alcoolisation fœtale, l'autisme ou autre?

M. Henteleff : Il serait possible de traiter des déficits cognitifs d'une façon générale. Toutefois, la situation des enfants autochtones est très différente parce qu'ils vivent dans un environnement beaucoup plus nocif que celui de l'ensemble des autres enfants. Nous en connaissons les raisons, mais si ce n'est pas le cas, nous devrions nous familiariser avec les circonstances qui rendent leur environnement tellement plus difficile que celui des autres. Je crois que ces enfants forment un sous-ensemble très distinct qu'il faudrait aborder d'une façon spécifique sous le titre général des enfants autochtones.

Permettez-moi de revenir à la situation des enfants autistiques. Il existe une autre raison pour laquelle nous n'avons pas réalisé de progrès dans leur cas. Les gouvernements invoquent le prétexte de l'insuffisance des ressources, qui ne semble pas très convaincant. Ils commencent maintenant à élever une nouvelle barrière en soutenant que les tribunaux n'ont pas à empiéter sur le droit des assemblées législatives de formuler des politiques. C'est le prétexte qui est invoqué aujourd'hui.

Je vais vous donner un exemple. En Ontario, il y a l'affaire Wynberg et quelques autres dans lesquelles des parents ont intenté des poursuites contre le gouvernement. Malheureusement, le gouvernement a réussi à faire admettre qu'il a le droit de décider de la façon de répartir les crédits disponibles.

Ce qui me touche profondément à cet égard, c'est que l'égalité est un droit constitutionnel. Autrement dit, le droit d'une personne handicapée de ne pas faire l'objet de discrimination devrait passer avant tous les autres droits, y compris celui d'une assemblée législative qui, en affirmant avoir le pouvoir de formuler des politiques qui prennent le pas sur n'importe quoi d'autre, s'arroge le droit de faire de la discrimination et de passer outre au droit constitutionnel à l'égalité. L'Ontario, le Manitoba et d'autres provinces dispensent des services et accordent l'aide gouvernementale aux enfants jusqu'à l'âge de six ans. Dès que l'enfant entre à l'école, les provinces ont tout à coup toutes sortes de raisons pour mettre fin aux services en invoquant leur coût.

Malgré tout le respect dû aux politiciens, je dois constater que, trop souvent, ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez quand il s'agit d'enfants ayant des handicaps. Ils ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, ils ne peuvent ou ne veulent pas admettre — à moins que cela ne leur soit indifférent — que l'investissement nécessaire pour s'occuper des enfants ayant des besoins spéciaux est très rentable à long terme. Nous avons maintenant un nouvel obstacle à surmonter partout dans le pays.

Je vais vous donner très rapidement un exemple de mesures répugnantes prises par un gouvernement provincial. Dans l'affaire Moore, en Colombie-Britannique, la province a présenté des chiffres artificiels d'incidence concernant les enfants atteints de graves troubles d'apprentissage pour limiter les crédits à attribuer aux divisions scolaires. La province a avancé ces chiffres en sachant pertinemment que l'incidence réelle était beaucoup plus élevée à de nombreux endroits, notamment là où il y avait un nombre important d'enfants autochtones. Lorsque la province a décidé de faire des compressions budgétaires, elle a supprimé le seul établissement qui s'occupait des enfants atteints de graves troubles d'apprentissage. En même temps, la seule chose qu'elle a trouvé à supprimer pour les enfants n'ayant pas de besoins spéciaux a été un programme de musique. J'ai participé à cette affaire à titre d'intervenant au nom de l'Association canadienne des troubles d'apprentissage. Voilà un exemple concret de ce qui se passe dans le pays.

J'ai profité de votre question pour aborder un sujet que je n'avais pas mentionné dans mon exposé. Tout le domaine des troubles et des handicaps cognitifs devrait être traité d'une façon particulière comme je l'ai suggéré. À cet égard, il est curieux de constater que les établissements pénitentiaires fédéraux ont des programmes plus avancés que ceux du système de justice des mineurs pour le traitement des Autochtones atteints du trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale. Je trouve étrange que le gouvernement attende d'avoir un grand nombre de détenus autochtones pour se rendre compte enfin de la nécessité de prendre des mesures.

Le sénateur Carstairs : Monsieur Matas, vous dites que nous ne devrions pas envoyer nos délinquants sexuels dans d'autres pays, ce que nous faisons en leur accordant un passeport. Ce point de vue m'intéresse. Souvent, dans ces autres pays, ils sont soumis à des lois moins sévères que les nôtres à l'égard des infractions sexuelles.

Par ailleurs, à quel genre de contestations en vertu de la Charte serons-nous exposés si nous privons tel ou tel individu du droit d'obtenir un passeport sur la base d'infractions criminelles pour lesquelles il a déjà purgé sa peine?

M. Matas : Nous ne parlons pas nécessairement de gens qui ont purgé leur peine car il y a des délinquants sexuels qui purgent une partie de leur peine dans la collectivité. Même si l'interdiction de passeport ne s'appliquait qu'à cette période passée dans la collectivité, ce serait déjà mieux que la situation actuelle parce que l'interdiction s'appliquerait à des gens comme Peter Whitmore. Il était encore sous le coup d'une condamnation lorsqu'il s'est rendu au Mexique. C'est pour cette raison qu'il a été possible d'obtenir son extradition puisqu'il avait violé les conditions qui lui étaient imposées en allant à l'étranger.

La Charte canadienne des droits et libertés accorde à tout citoyen le droit de quitter le pays. Il est donc bien possible, en cas de modification du Décret sur les passeports canadiens dans le sens que je préconise, qu'il y ait une contestation en vertu de la Charte. L'interdiction de passeport constituerait effectivement une violation de ce droit mais, à mon avis, ce serait une restriction raisonnable, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Elle résisterait donc à une contestation. Je crois qu'il devrait s'agir d'une restriction très limitée de ce droit. Il ne faudrait pas aller trop loin, mais il serait possible de trouver des moyens de rendre la restriction raisonnable et justifiable. Comme vous l'avez signalé, nous parlons d'un phénomène international.

Nous avons maintenant donné à l'infraction un caractère extraterritorial qu'elle n'avait pas auparavant. C'est une mesure positive, mais nous devons songer à d'autres moyens, à part la criminalisation. Quand il s'agit d'exploitation sexuelle des enfants, nous devons songer à la prévention, sans attendre pour agir qu'une infraction soit commise, surtout dans le cas des récidivistes dont on sait avec quasi-certitude qu'ils vont recommencer. L'avantage de la modification du Décret sur les passeports canadiens que je propose, c'est qu'on n'agit pas après coup et qu'on cherche à prévenir l'infraction. Vous pouvez la recommander sur cette base.

Le sénateur Munson : Comme nouveau membre de ce comité, je suis effaré par quelques-unes des statistiques que vous nous avez présentées. Je suis sûr que les gens les ont déjà vues, monsieur Henteleff, mais je n'ai pas l'impression que le public ou les politiciens s'y sont vraiment arrêtés. Vous avez parlé de reculs. Se sont-ils produits partout dans le pays? Les provinces sont-elles responsables de la réduction de tous ces programmes sociaux?

M. Henteleff : Il serait difficile de trouver une province où il n'y a pas eu de réductions.

Le sénateur Munson : Pourquoi cela se produit-il? Comment les provinces font-elles pour s'en tirer?

M. Henteleff : C'est une question qui m'a longtemps tourmenté. Pourquoi cela se produit-il quand il y a tant de preuves du contraire? Je crois que beaucoup de parents d'enfants n'ayant pas de besoins spéciaux ont exprimé leur inquiétude d'une façon très énergique au sujet de l'argent consacré aux enfants ayant des besoins spéciaux. Pourquoi? Ils constatent que ce qui se passe dans le système scolaire est attribuable à tout ce processus d'inclusivité. En moyenne, un enseignant dans une classe générale peut avoir à s'occuper de cinq à sept enfants ayant des besoins spéciaux sur un total de 25 ou 30 élèves, parfois même 35. Par conséquent, le temps que l'enseignant doit consacrer à ces enfants réduit, selon les parents, le temps qu'il peut accorder aux autres élèves. Pour les parents, la société d'aujourd'hui est extraordinairement concurrentielle, tandis que les options offertes à leurs enfants sont de plus en plus limitées. Ces parents exercent des pressions sur les politiciens et les divisions scolaires. Comment celles-ci réagissent-elles? Elles ont éliminé les psychologues, les spécialistes en rééducation des dyslexiques et beaucoup d'autres spécialistes. Pour les remplacer, elles ont engagé des aides-enseignants n'ayant absolument aucune formation en éducation spéciale. Ces personnes sont devenues plus ou moins des gardiennes qui s'occupent temporairement des enfants afin de donner à l'enseignant un peu plus de temps pour répondre aux besoins de tous les autres élèves.

Nous sommes malheureusement témoins d'un conflit entre les parents des enfants qui n'ont pas de besoins spéciaux et les parents de ceux qui en ont. Qui, pensez-vous, l'emportera? Les 15 p. 100 de parents d'enfants ayant des besoins spéciaux ou les 85 p. 100 qui votent pour élire des conseillers scolaires et des politiciens provinciaux? Cette situation effarante se produit constamment dans le système scolaire public, au détriment des enfants ayant des besoins spéciaux.

La présidente : J'étais dans ce système dans les années 1970. À cette époque, les enfants qui avaient des besoins spéciaux étaient envoyés dans des établissements qui leur dispensaient des services spécialisés. Il y a eu des excès : quiconque se singularisait ou manifestait une différence se retrouvait d'une façon ou d'une autre sous la garde de l'État. Nous étions en train de marginaliser ces gens en les plaçant en établissement à cause d'un problème. Nous nous sommes rendu compte que, ce problème mis à part, ils pouvaient fonctionner dans une collectivité. Nous avons donc libéré ces gens. Certains soutiennent que cela a fait beaucoup de sans-abri. Dans certains cas, le public n'a pas compris que les établissements ordinaires avaient en même temps étaient chargés de s'occuper de ces gens. Lorsque nous avons fermé les établissements spécialisés, il était entendu que les ressources seraient transférées, mais cela n'a pas été le cas.

M. Henteleff : Votre description des années 1970 est exacte, mais un changement s'est produit dans les années 1980, avec une transition vers des dispositions beaucoup plus souples d'entrée et de sortie. Il y avait une sorte de pyramide de traitement selon les troubles qu'avaient ces enfants. Certains d'entre eux étaient si gravement atteints qu'il fallait les isoler pendant certaines périodes, mais l'idée de base consistait à les remettre le plus tôt possible dans une classe générale. Malheureusement, les gouvernements ont constaté que la gamme des services nécessaires ne cessait de croître et ont conclu, à un moment donné, qu'il était trop coûteux de continuer. Un autre phénomène s'est produit exactement au même moment, leur donnant le prétexte idéal pour couper les services. C'est le phénomène de l'inclusivité. Bien sûr, il n'y a rien de mal à l'inclusivité. Il est bon de mettre ensemble les enfants ayant des besoins spéciaux et ceux qui n'en ont pas pour qu'ils apprennent les uns des autres. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'existe qu'un seul moyen de répondre aux besoins de tous les enfants. La salle de classe inclusive n'est pas faite pour tous les enfants. Il faut prévoir des variantes sur ce thème. Malheureusement, les gouvernements se sont précipités, adoptant d'emblée l'idée de l'inclusivité. Qu'est-il arrivé entre-temps? Le nombre des psychologues a baissé de 80 p. 100 et il ne reste presque plus d'orthopédagogues.

La salle de classe à aire ouverte est devenue la panacée. Vous avez donc raison en partie. C'est un fait il y a eu des changements dans le système. Lorsque les politiciens ont dit qu'on dépensait trop d'argent, tous les services supplémentaires ont été supprimés. Voilà pourquoi nous en sommes là aujourd'hui et que la situation est en fait pire qu'il y a 20 ans.

Le sénateur Munson : Je deviens fou furieux quand les gens disent que c'est un problème de compétence provinciale.

Au sujet de l'autisme, j'ai présenté une interpellation au Sénat par suite de laquelle la question est renvoyée à un autre comité spécial. J'ai proposé notamment d'élaborer une stratégie nationale touchant les programmes relatifs à l'autisme dans toutes les provinces. Je trouve honteux que des familles soient obligées de quitter l'Ontario et les Maritimes pour aller s'établir en Alberta, où elles peuvent obtenir de meilleurs soins pour leurs enfants autistiques. Pour moi, les traitements ne devraient connaître aucune frontière. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet. Après tout, nous sommes tous Canadiens.

Pour ce qui est des jeunes autochtones et du syndrome d'alcoolisation fœtale, j'estime que l'attitude actuelle correspond au dicton « Loin des yeux, loin du cœur ». C'était un peu la même chose que pour le sida en Afrique. Pourquoi devrions-nous nous soucier de ce qui se passe très loin? Ces deux problèmes me préoccupent beaucoup.

M. Henteleff : Si vous jetez un coup d'œil aux rapports que j'ai mentionnés tout à l'heure — je peux vous en faire parvenir des exemplaires —, vous constaterez dans celui des Territoires du Nord-Ouest que la situation générale des personnes ayant des handicaps physiques ou mentaux dans le Nord est épouvantable. Je ne parle même pas de l'épidémie de diabète qui sévit parmi ces gens. Vous ne pouvez pas vraiment, sans lire ces rapports, vous faire une idée de la situation des enfants atteints de troubles du spectre de l'alcoolisation fœtale.

Permettez-moi de citer brièvement quelques statistiques. Sur les 15 p. 100 d'enfants canadiens ayant des handicaps, 8 à 9 p. 100 ont des troubles d'apprentissage, et tous les autres ont des troubles du comportement, dont l'autisme, le syndrome d'Asperger, le syndrome de la Tourette, et cetera. Il serait injuste de mentionner un seul groupe de ces enfants en le séparant de tous les autres. Cela reviendrait à faire abstraction de la nature et de l'étendue de leurs difficultés.

Vous avez parfaitement raison. Comme M. Matas l'a mentionné, nous avons besoin d'une stratégie nationale pour remédier à ces problèmes. Le Canada n'a pas un plan global portant sur les droits des enfants handicapés, ce qui laisse perpétuellement à l'écart un groupe de défavorisés. Les études ont démontré que 99,9 p. 100 des enfants ayant des handicaps peuvent mener une vie active et positive et contribuer à la société. Ils peuvent devenir des membres à part entière de la société. Je voudrais vous rappeler une disposition de la Convention et vous expliquer à quel point il est important de l'intégrer dans la législation canadienne.

En moyenne, ces gens ont une contribution de plus de 50 000 $ par an pendant leur vie active, par exemple sous forme d'impôts. Imaginez, par comparaison, ce qu'il nous en coûterait autrement. Imaginez le fardeau pour les parents et l'éclatement des familles qui peut en résulter. C'est vraiment effroyable. Je suis en contact quotidien avec ces gens par suite de mes fonctions d'avocat honoraire de l'Association canadienne des troubles d'apprentissage. Imaginez ce qu'il en coûte à la société lorsque ces gens ont des démêlés avec la justice et n'ont pas une vie bien remplie. Le coût, en moyenne, se situe entre 2 et 3 millions de dollars par enfant qui n'obtient pas les services nécessaires.

Permettez-moi de vous rappeler l'article 23.3 de la Convention qui vise à préserver la dignité en favorisant l'autonomie et la participation active de l'enfant à la vie de la collectivité. L'article souligne la nécessité d'une intégration sociale aussi complète que possible et de l'épanouissement personnel, y compris dans le domaine culturel et spirituel.

D'après l'article 29.1a) de la Convention, l'éducation de l'enfant doit viser à « favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Les deux dispositions garantissent l'épanouissement personnel aussi complet que possible. Vous ne trouverez cette garantie dans aucun texte canadien. Différentes lois sur le système scolaire public la mentionnent, mais il y a toujours des réserves qui réduisent les droits de ce groupe. C'est de la discrimination.

La présidente : Je voudrais poser à M. Matas une question sur le plan d'action dont il a parlé et qui semble éminemment raisonnable. Nous n'avons vraiment obtenu un plan d'action faisant intervenir les provinces et le gouvernement fédéral qu'en présence d'une tempête de protestations dans la collectivité. Comment pouvons-nous recommander un plan d'action comprenant la déclaration de Stockholm auquel souscriraient vraiment les provinces et le gouvernement fédéral? Serait-il réaliste de notre part de formuler une telle recommandation à un moment où la collectivité ne semble pas exercer de pressions à cet égard?

M. Matas : Il est un peu injuste de dire que la collectivité n'exerce pas de pressions. Je viens de vous présenter mon point de vue, et je ne suis pas le seul qui en ait parlé. À cause de mon association avec des groupes de défense des droits des enfants, j'ai des contacts avec différentes collectivités. Quand ces gens ont appris que je comparaissais ici aujourd'hui, ils m'ont demandé d'attirer votre attention sur cette importante question.

Un plan d'action national ne doit pas être axé sur une crise suscitée par un incident particulier, même si les incidents font souvent les manchettes.

Dans le cas de Peter Whitmore, le fait de parler d'un plan d'action national ne retient pas nécessairement l'attention du public comme le ferait la mention du registre public ou d'un autre aspect concret.

Un plan faisant suite à des protestations implique une réaction émotive ou une réaction à une situation de crise. La planification devrait plutôt constituer une réaction intellectuelle réfléchie. Ce n'est pas la même chose. J'estime qu'il serait vraiment utile que le Sénat recommande un tel plan. Le Sénat devrait pouvoir faire plus qu'en favoriser l'élaboration. Il pourrait commencer à réfléchir aux éléments d'un plan national, à son contenu, aux intervenants et au processus à suivre pour aller de l'avant. Le Sénat pourrait certes faire du travail utile en ce sens.

Le sénateur Carstairs : Vous savez que je siégeais à l'assemblée législative provinciale dans les années 1980 lors de la discussion de beaucoup de ces sujets. J'avais l'impression alors que nous faisions passer les enfants du budget des services sociaux à celui de l'éducation. Or le budget de l'éducation était en train de baisser parce que celui des soins de santé augmentait sans cesse. Il y avait une lutte constante entre les deux. Comme vous l'avez dit, les parents des enfants sans besoins spéciaux disaient que leurs enfants obtenaient moins d'attention qu'auparavant de leurs enseignants. Pour eux, les enfants ayant des besoins spéciaux en étaient responsables.

Serait-il avantageux de changer les désignations? Les ressources devraient-elles provenir d'un budget autre que celui de l'éducation, ne serait-ce que pour apaiser les parents?

M. Henteleff : C'est un excellent point, qui montre pourquoi la concertation entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral est essentielle. Il est nécessaire de faire des changements en prenant soin d'éviter les prises de position politiques intéressées, que nous ne devrions plus tolérer. C'est peut-être banal de le dire, mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ces enfants, non seulement parce qu'ils peuvent contribuer à la société, mais aussi à cause du prix énorme à payer pour s'en occuper s'ils ne sont pas autonomes.

Oui, vous avez parfaitement raison, nous devons travailler ensemble sur cette question. Si nous avons pu le faire dans le cas du plan national sur la santé, nous pouvons sûrement travailler de concert pour définir un plan national d'éducation. On pourrait penser que l'éducation de nos jeunes, avec tout ce qu'elle comporte, a autant d'importance que notre santé physique. À mon avis, elle est en fait plus importante. Je pense donc qu'un réalignement de la répartition, de l'utilisation et de la désignation des ressources devrait faire partie d'un plan national.

La présidente : Monsieur Matas, j'ai reçu un certain nombre de documents concernant des enfants adoptés à l'étranger et ramenés au Canada. Ces enfants ont eu des difficultés, ont été abandonnés par les parents, se sont retrouvés dans le système de services sociaux, puis ont eu des démêlés avec la justice. Il y a eu un cas en Colombie- Britannique dans lequel un jeune a perdu sa citoyenneté canadienne et a été renvoyé au Mexique.

Que pensez-vous du fait que, d'une part, l'adoption est considérée comme l'équivalent d'une naissance et que, de l'autre, on puisse retirer la citoyenneté canadienne à ces jeunes lorsqu'ils ont des démêlés avec la justice et les renvoyer dans leur pays d'origine? Dans ces cas, la responsabilité parentale n'est pas prise en compte à l'arrivée de ces enfants au Canada. Le pays n'assume pas ses responsabilités en ne leur accordant pas un traitement égal. Est-ce que les problèmes de ce genre vont se multiplier? Faut-il en tenir compte dans notre appui à l'adoption internationale? Avez-vous des observations à formuler sur cette conséquence négative?

M. Matas : Oui. Cette question soulève un certain nombre d'autres, dont les critères qui s'appliquent aux adoptions internationales. Lorsqu'un enfant est adopté à l'étranger et ramené au Canada, le Canada considère que l'adoption est réelle si elle crée une relation parent-enfant. Si c'est le cas, l'enfant est admis dans le pays. Autrement, il ne l'est pas.

À mon avis, c'est l'intérêt supérieur de l'enfant, selon la définition de la Convention, qui devrait être considéré en premier. Le système d'immigration ne le fait pas. De toute évidence, s'il existe une relation réelle, ce ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant, mais d'autres considérations, à part la relation, entrent en jeu dans la détermination de cet intérêt. Ces considérations méritent notre attention.

Il y a des cas où des gens sont expulsés pour avoir commis des infractions criminelles. Cette situation n'est pas toujours liée à l'adoption parce qu'elle peut se produire si des parents biologiques n'ont pas obtenu la citoyenneté canadienne pour leurs enfants. Il arrive que des parents négligent de faire les démarches nécessaires afin d'obtenir un statut de résidence permanente pour eux-mêmes et leurs enfants. Cela n'a de l'importance que si une infraction criminelle est commise. Dans d'autres cas, les parents obtiennent eux-mêmes la citoyenneté, mais omettent d'inclure les enfants dans leur demande. Les enfants ne savent alors même pas qu'ils ne sont pas citoyens jusqu'à ce qu'ils commettent un crime et commencent à faire l'objet d'une procédure de renvoi. Cela pose une double question concernant l'unité de la famille et l'intérêt supérieur de l'enfant, dont la procédure de renvoi ne tient pas compte en général. La situation est particulièrement grave dans le cas des personnes condamnées à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. En vertu de la nouvelle loi, une telle peine supprime le droit d'en appeler à la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La personne peut donc être expulsée sans appel.

Le système comporte cependant deux démarches faisant intervenir des pouvoirs discrétionnaires. La première consiste à présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires, comme je l'ai mentionné dans mon exposé. Dans ce cas, le manque de coordination fait que les intéressés peuvent être expulsés avant l'examen de leur demande, indépendamment du bien-fondé de leurs arguments. C'est un vrai problème, qui constitue un autre élément à l'appui de la recommandation que j'ai formulée au début de mon exposé. La seconde démarche faisant appel à des pouvoirs discrétionnaires se situe au début de la procédure : en effet, la déclaration de la violation de la loi, qui peut aboutir à l'expulsion, se fonde sur une décision discrétionnaire.

Il y a actuellement une énorme confusion quant à l'étendue de ce pouvoir discrétionnaire. Lorsque le gouvernement avait déposé les nouvelles dispositions législatives au Parlement, il avait précisé que l'abolition du droit d'appel serait remplacée par des pouvoirs discrétionnaires accrus à ce niveau. Cela ressort clairement dans le compte rendu des délibérations parlementaires. Malheureusement, il arrive souvent que les décisions prises ne tiennent pas compte de cette intention. De leur côté, les tribunaux ont rendu toutes sortes de décisions contradictoires à ce sujet. Certains ont soutenu que la loi autorise des pouvoirs discrétionnaires élargis, tandis que d'autres ont affirmé le contraire. Bien sûr, les gens qui ne bénéficient pas des pouvoirs élargis, qui sont injustement traités et à qui les tribunaux n'offrent aucune solution se retrouvent dans une bien mauvaise situation. C'est une lacune du système. De plus, il y a eu de nombreux procès dans lesquels on a soutenu que l'unité familiale et l'intérêt supérieur de l'enfant s'inscrivent dans le cadre de la Charte des droits et libertés. Nos tribunaux n'ont pas accepté ce principe, qui a cependant été admis comme interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme par la Cour européenne des droits de l'homme. On a essayé d'amener les tribunaux canadiens à accepter cette jurisprudence, mais ils l'ont rejetée. J'encourage le comité à examiner cette question.

Je crois que ma réponse était assez technique. Je suis disposé à reprendre mon mémoire pour mentionner ce sujet d'une façon un peu plus ordonnée. Vous auriez ainsi mon point de vue par écrit.

La présidente : Nous vous serions très reconnaissants de nous présenter cela par écrit.

Le sénateur Munson : Je suis frappé par la force des mots que vous avez employés pour parler du trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale dans le Nord. Vous dites qu'une épidémie sévit dans le Nord, vous parlez de racisme, d'ignorance et d'une attitude générale consistant à dire que le problème n'est pas digne de notre attention.

S'il y avait une chose que les gouvernements pouvaient faire, quelle serait-elle? Si les gouvernements ne font rien malgré toutes les statistiques que vous avez mentionnées, quelles seront les conséquences?

M. Henteleff : J'aurais bien voulu pouvoir répondre à cette question. On ne peut s'empêcher d'être frustré quand personne ne veut s'occuper de ce qui est évident. On s'interroge alors sur ce qui peut amener les gens à accorder à cette question l'attention qu'elle mérite. Faut-il attendre — je répugne à parler de cela, mais je n'ai pas le choix — que quelqu'un commette un acte désespéré dans une réserve? Jusqu'ici, les personnes touchées ne se sont fait du mal qu'à elles-mêmes. Le taux de suicide parmi les jeunes autochtones est effroyable. Pourquoi? Il n'y a pas d'espoir. Il n'y a aucun espoir. Ils considèrent l'avenir et constatent qu'il n'y en a pas. Je ne sais pas ce qui arrivera si nous ne poursuivons pas ce travail extrêmement important, parce que personne d'autre ne le fera. À part ce comité, personne n'accorde à ce sujet l'attention qu'il mérite. Pourquoi? Que font tous les autres gouvernements?

Je voudrais par ailleurs vous signaler un excellent texte que vous voudrez peut-être consulter. Il se trouve dans l'ouvrage The Unity of Public Law de Jutta Brunnée et Stephen J. Toope, et porte lui-même le titre A Hesitant Embrace : Baker and the Application of International Law by Canadian Courts. L'affaire Baker, qui est mentionnée dans votre rapport, pose d'importantes questions sur lesquelles vous devriez vous pencher dans le cadre de vos délibérations. Dans quelles conditions le droit international s'applique-t-il directement au Canada? Dans quelle mesure les effets juridiques du droit international dépendent-ils de sa mise en œuvre dans la législation canadienne? Qu'est-ce que la mise en œuvre? Dans quelles conditions les dispositions du droit international qui lient le Canada ont-elles des effets juridiques chez nous? Enfin, dans quelles circonstances une norme internationale qui ne lie pas le Canada ou n'a pas un caractère obligatoire a-t-elle des effets juridiques au Canada?

Madame le juge en chef McLachlin a mentionné cette étude dans l'extraordinaire discours qu'elle a prononcé en Nouvelle-Zélande. Si vous n'avez pas eu l'occasion de lire ce discours, je vous engage à le faire. Mme McLachlin parle de la « conscience professionnelle » du juge. Je voudrais reprendre son propos en substituant « législateur » à « juge ». Cette conscience professionnelle repose sur le serment fait par le législateur de faire respecter la primauté du droit. Elle n'est pas inspirée par ses opinions personnelles, ni par son point de vue sur ce qui constitue la meilleure politique. Elle est inspirée par le droit, dans toute sa majesté complexe, tel qu'il ressort de trois sources. Pour Mme McLachlin, ces trois sources sont l'usage coutumier, les déductions tirées de principes constitutionnels écrits et les normes établies ou implicites dans les instruments juridiques internationaux auxquels l'État a adhéré. Dans la recherche de la justice sociale pour les personnes handicapées, et en particulier celles que j'ai mentionnées, nous devrions prendre les paroles de Mme McLachlin comme point de repère extrêmement utile.

La présidente : Monsieur Henteleff et monsieur Matas, comme d'habitude, vous nous avez donné de quoi réfléchir et nous avez lancé un défi au sujet de nos responsabilités. J'espère que vous jugerez notre prochain rapport plus favorablement que notre rapport provisoire. Nous acceptons votre défi. Je vous remercie d'être venus.

M. Henteleff : Je dois m'acquitter d'une tâche non officielle. M. Matas et moi-même nous occupons du projet de Musée canadien des droits de la personne. Comme je disais à Gail Asper que je venais ici aujourd'hui, elle m'a demandé de remettre à chacun d'entre vous cette magnifique étoile des droits de la personne. Je crois que personne n'est plus digne que vous de porter ces étoiles.

La présidente : Je vous remercie.

Sénateurs, notre prochain groupe comprend Mme Joan Durrant, du département des sciences sociales et de la famille de l'Université du Manitoba, Mme Billie Schibler, protectrice des enfants pour le Manitoba, et Mme Jane Ursel, représentante de RESOLVE - Manitoba.

Joan Durrant, professeure, Département des sciences sociales et de la famille, Université du Manitoba : Honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi de m'adresser à vous aujourd'hui. Je parlerai surtout des châtiments corporels, qui constituent l'une des quatre domaines dans lesquels, d'après le comité de Nations Unies, le Canada n'a pas respecté ses obligations aux termes de la Convention. C'est également un domaine auquel le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a accordé une attention particulière.

L'article 19 de la Convention relative aux droits de l'enfant demande aux États parties de prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales. Le comité des Nations Unies a pressé à maintes reprises tous les États d'interdire les châtiments corporels et a régulièrement critiqué le Canada parce qu'il n'avait pas procédé à la réforme législative nécessaire pour assurer une telle protection aux enfants. J'ai apporté des extraits de ces rapports si vous souhaitez les consulter.

Non seulement le gouvernement ne s'est pas conformé à ses obligations relatives à la protection des droits des enfants, mais la Cour suprême du Canada a énoncé en 2004 les conditions dans lesquelles ces droits peuvent être violés. S'ils ont entre 2 et 12 ans, on peut frapper les enfants avec la main, on peut leur donner des coups n'importe où sur le corps sauf la tête, et cetera.

Du point de vue des droits de la personne, cette décision représente un important recul pour plusieurs raisons. Premièrement, elle considère les enfants comme des objets et non comme des personnes. Elle confère le droit à la protection à certains enfants, mais pas à d'autres, en fonction de critères arbitraires qui n'ont rien à voir avec leur expérience vécue. Deuxièmement, elle va à l'encontre du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Des dizaines d'années de recherches nous ont appris que les châtiments corporels n'ont jamais eu de résultats positifs. Les recherches ont plutôt établi qu'en général, la brutalité peut compromettre un développement sain. Troisièmement, cette décision sape tous les efforts déployés pour sensibiliser les Canadiens aux droits de l'enfant. Elle est contraire à la Convention et fait abstraction des recommandations du comité des Nations Unies, en définissant une norme trop faible pour la mise en œuvre de la Convention. Elle affaiblit tous les efforts visant à délégitimer les châtiments corporels pour prévenir la violence physique contre les enfants. Enfin, elle appuie la conviction de nombreux Canadiens que ces châtiments sont justifiables, efficaces et même nécessaires. D'après une étude portant sur plus de 400 messages adressés à un babillard en ligne dans les jours qui ont suivi la publication de la décision, la majorité des auteurs avaient interprété celle-ci comme un feu vert pour les châtiments corporels. Les messages indiquant une connaissance des restrictions imposées sur le recours à ces châtiments étaient extrêmement rares.

Plus de 30 ans de recherches ont prouvé que l'essentiel de ce qu'on appelle mauvais traitements consiste en châtiments corporels. Le moyen le plus efficace de mettre fin aux mauvais traitements est de faire tout notre possible pour que la société juge ces châtiments inacceptables. Or la décision de la Cour suprême a confirmé leur légitimité.

Les contradictions qu'on relève dans les lois fédérales, provinciales et territoriales au sujet des châtiments corporels reflètent le fait que ces lois ne procèdent pas d'une approche fondée sur des principes en matière de protection des droits de l'enfant. En Ontario, par exemple, un organisme de protection de l'enfance peut enquêter sur une dénonciation relative à des violences physiques infligées à une enfant par ses parents, conclure qu'elle court des risques dans sa famille et la prendre en charge. La police pourrait même porter une accusation de voies de fait, mais l'article 43 offre aux parents un moyen de défense. La famille d'accueil n'aurait pas le droit d'infliger à l'enfant des châtiments corporels, mais aurait le droit de punir ses propres enfants biologiques. En outre, si la famille adoptait l'enfant, elle aurait alors le droit de recourir aux châtiments corporels et d'invoquer l'article 43. Cette situation absurde montre qu'une approche non fondée sur les droits de l'enfant peut créer une grande confusion chez les jeunes au sujet de leurs droits.

Contrairement au Canada, des pays dont le nombre ne cesse de croître modifient leurs lois de façon à affirmer le droit des enfants à la protection. Quinze pays ont non seulement supprimé les dispositions législatives permettant de justifier des châtiments corporels, mais interdit explicitement ceux-ci. Cette interdiction s'applique également dans deux territoires dépendants. De plus, six autres pays se sont engagés à interdire complètement les châtiments et trois autres ont supprimé les dispositions pouvant les justifier, sans aller jusqu'à l'interdiction explicite.

En maintenant les dispositions de justification, le Canada est en train de perdre sa réputation internationale de chef de file en matière de droits de la personne. Je conviens avec le comité que l'éducation est un facteur clé pour limiter les châtiments corporels, mais son efficacité sera sérieusement compromise tant que la loi dit le contraire.

Nous savons que les travailleurs sociaux préposés à la protection de la jeunesse trouvent plus difficile de persuader les parents de renoncer aux châtiments corporels depuis que la Cour suprême a rendu sa décision. Nous savons aussi que le gouvernement ne peut pas dire clairement que ces châtiments ne sont pas permis. Il doit dire qu'ils ne sont pas permis si l'enfant à moins de 2 ans ou plus de 12 ans, et cetera. En Suède, où la réforme législative et la sensibilisation du public ont fait partie d'une grande stratégie visant l'élimination des châtiments corporels, ceux-ci sont devenus extrêmement rares.

Je voudrais souligner, en conclusion, que le droit à la protection constitue l'un des trois piliers de la Convention relative aux droits de l'enfant. Une loi qui tolère et va même jusqu'à justifier les châtiments corporels viole ce droit d'une façon aussi profonde que symbolique. Comme l'a déclaré Paolo Pinheiro, expert indépendant qui a dirigé l'étude du secrétaire général des Nations Unies sur la violence contre les enfants, « discipliner ou punir en causant un préjudice physique constituent clairement une violation du plus fondamental des droits de l'homme ».

Il est vraiment honteux que les enfants soient les derniers dont le droit à la protection soit reconnu. Faisons en sorte que le Canada ne soit pas le dernier pays à reconnaître ce droit.

Jane Ursel, RESOLVE - Manitoba : Madame la présidente et membres du comité, je vous remercie de m'avoir accordé l'honneur de comparaître devant vous. Je crois que ce comité est extrêmement important. La possibilité d'apporter des changements très réels dans la vie des enfants canadiens est vraiment passionnante. Je suis donc très heureuse d'y participer.

Ayant écouté les exposés précédents qui portaient sur de nombreuses questions très complexes, des conflits de compétence et des aspects internationaux touchant le bien-être des enfants, je suis heureuse de dire que mon exposé traitant de ce que le gouvernement peut faire pour renforcer sensiblement les droits des enfants est relativement simple.

Je voudrais parler en particulier du projet de loi C-2, mais avant de le faire, je tiens à exprimer mon appui à l'exposé de Mme Durrant. Je crois aussi que l'article 43 devrait être abrogé.

Dans le cadre de mes fonctions de recherche, j'assiste régulièrement aux audiences du tribunal de la violence familiale de Winnipeg, qui s'occupe des affaires de violence physique et sexuelle contre des enfants. Je suis très déçue de voir que l'article 43 continue d'être invoqué comme moyen de défense pour justifier les mauvais traitements infligés à des enfants. Tant que cette disposition existera, nous permettrons à des gens de recourir à ce moyen de défense parfaitement injuste qui viole les droits des enfants.

Pour revenir au projet de loi C-2, je voudrais aborder les récentes modifications qui sont entrées en vigueur en janvier 2006. Même si le projet de loi comportait des éléments extrêmement positifs, il y en a un qui est très décevant, mais qu'il serait très facile de corriger. Il s'agit des témoignages à l'extérieur de la salle d'audience.

Le sénateur Carstairs : Madame la présidente, Mme Ursel devrait peut-être préciser le sujet du projet de loi C-2 parce que nous avons actuellement un projet de loi portant le même numéro qui n'a rien à voir avec les droits de l'enfant. Il s'agit peut-être d'une législature précédente.

Mme Ursel : Je m'excuse. Le projet de loi apportait des modifications concernant des infractions contre les enfants, y compris le trafic sexuel.

La présidente : C'est ce que le gouvernement appelle un projet de loi omnibus. Il remonte à la dernière législature, n'est-ce pas?

Mme Ursel : C'est exact. Je vous remercie, sénateur Carstairs, d'avoir demandé des précisions.

Je voudrais parler en particulier de l'article 486.2 concernant les témoignages à l'extérieur de la salle d'audience. La disposition modifiée permet à un témoin de moins de 18 ans ou qui est atteint d'une déficience physique ou mentale de témoigner hors de la salle d'audience. Cela se fait ordinairement par télévision en circuit fermé, si le poursuivant le demande et si le juge est d'avis que l'ordonnance est nécessaire pour obtenir du témoin un récit complet et franc des faits sur lesquels se fonde l'accusation. Si le juge souhaite déterminer si ces mesures sont nécessaires, il peut demander ou ordonner à l'enfant de témoigner pour en prouver la nécessité.

Autrement dit, le témoignage en personne dans la salle d'audience constitue la norme, tandis que la TCF doit faire l'objet d'une demande et d'une ordonnance du juge en fonction de la nécessité d'obtenir un récit complet et franc des faits. Cette disposition ne tient donc pas compte du droit pour l'enfant d'être protégé contre un environnement éprouvant ou traumatisant. Ayant assisté à de nombreux procès pour violence contre des enfants, je peux vous assurer que le fait de témoigner au tribunal est extrêmement stressant et traumatisant pour eux. Ils sont souvent appelés à témoigner contre leurs parents, des membres de leur famille ou des personnes qu'ils connaissent. Nous avions auparavant la possibilité de faire témoigner un enfant à l'extérieur de la salle d'audience. Aujourd'hui, cette possibilité dépend toujours d'une demande de la Couronne. Il est troublant de noter que, partout au Canada, la Couronne présente rarement des demandes de ce genre.

Je voudrais parler d'une expérience menée en Australie qui avait des dispositions législatives très semblables. Là aussi, les responsables de la poursuite avaient la même possibilité, mais n'y recouraient jamais.

En 1989, le Territoire de la capitale d'Australie a procédé à une expérience dans laquelle un certain nombre d'enfants ont témoigné par TCF tandis que d'autres le faisaient dans la salle d'audience. L'expérience a abouti à deux importantes conclusions. Premièrement, tous les enfants qui avaient choisi la TCF ont trouvé que le témoignage était beaucoup moins éprouvant. Ils avaient l'impression d'exercer un plus grand contrôle sur leur propre rôle et ont général trouvé qu'il leur était plus facile de témoigner ainsi.

Deuxièmement, les Australiens ont constaté que les membres du personnel du tribunal, et surtout le juge, étaient plus susceptibles d'intervenir lors de témoignages par TCF, par exemple pour veiller à accorder des pauses à l'enfant quand il en avait besoin, pour tenir compte de la tension qui lui était imposée et pour contrôler la nature des contre- interrogatoires.

Le sénateur Munson : Qu'est-ce que vous voulez dire par TCF?

Mme Ursel : C'est la télévision en circuit fermé. Bref, les résultats étaient vraiment concluants, les enfants faisant ainsi de bien meilleurs témoins. Les Australiens ont également noté que, dans certains cas, le procès pouvait aller de l'avant parce que les enfants acceptaient de témoigner par télévision en circuit fermé, mais refusaient de le faire autrement. Ils ont également constaté que le personnel du tribunal s'était très bien adapté à cette forme de témoignage.

Au Canada, nous disposons de la technologie nécessaire pour procéder de cette façon et avons sûrement la possibilité d'installer la télévision en circuit fermé dans toutes les salles d'audience. Pourtant, à cause de l'habitude sans doute, les professionnels qui peuvent demander que cette option soit offerte aux enfants répugnent à le faire. C'est le cas partout au Canada. La possibilité existe, mais personne n'y recourt.

Sur la base des résultats de cette expérience, l'Australie-Occidentale a adopté une loi autorisant tous les enfants à témoigner hors de la salle d'audience. Le témoignage n'a lieu en salle d'audience que si l'enfant le demande expressément ou si le juge l'ordonne à cause de circonstances particulières, ce qui est très rare. Depuis 1992, tous les enfants d'Australie-Occidentale ont témoigné par télévision en circuit fermé.

Le succès de cette mesure législative a été remarqué partout en Australie, qui connaît des problèmes de compétence autrement plus complexes que les nôtres parce que le droit pénal relève des États, et non du gouvernement fédéral. Depuis que cette loi a été adoptée par l'Australie-Occidentale, le Queensland, l'État de Victoria et celui de Nouvelle- Galles du Sud envisagent des mesures législatives semblables. C'est un excellent modèle que je demande au comité de recommander au gouvernement.

Billie Schibler, défenseur des enfants, province du Manitoba :

[Mme Schibler parle dans sa langue natale, le cri.]

Les grands-mères et les grands-pères m'ont donné le nom de Femme à l'Oiseau-tonnerre blanc. J'appartiens au clan Crane. C'est pour moi un grand honneur d'être ici ce matin. Je vous remercie de ce privilège. Je suis mieux connue sous le nom de Billie Schibler, protectrice des enfants pour le Manitoba.

J'ai lu le rapport Qui dirige, ici? Je suis bien d'accord qu'il y a de nombreux domaines dans lesquels le Canada ne respecte pas ses engagements envers les enfants et les jeunes, par exemple la santé mentale des enfants, la pauvreté parmi les enfants, les enfants dans les collectivités des Premières nations, l'éducation des enfants ayant des besoins spéciaux, les enfants réfugiés venant de pays déchirés par la guerre, et cetera. J'ai également passé en revue l'expérience que j'ai acquise depuis un an et demi à titre de protectrice des enfants pour le Manitoba. Pour moi, le domaine le plus démoralisant est celui du suicide des enfants et des jeunes.

Comme je le mentionne dans mon rapport annuel qui paraîtra bientôt, j'ai siégé tous les mois avec le médecin légiste en chef du Manitoba à un comité chargé d'examiner le nombre alarmant de suicides d'enfants âgés de 8 à 17 ans. Avec autant de filles que de garçons, il est difficile de trouver des facteurs déterminants communs. Les modes de suicide diffèrent, quoique la pendaison semble constituer le mode le plus fréquent. Le nombre d'enfants autochtones est élevé, mais celui des non autochtones est également alarmant.

Notre comité de professionnels de différentes disciplines, dont la médecine, le droit et la protection de l'enfance, est dérouté par l'absence d'un commun dénominateur. Ces jeunes venaient de différents milieux socioéconomiques et de collectivités urbaines, rurales et isolées. Certains avaient des familles qui semblaient normales, tandis que d'autres avaient des antécédents tragiques et un mode de vie à risque. Certains étaient studieux et avaient de bons résultats à l'école, tandis que d'autres se débattaient dans de nombreux aspects de leur vie. Certains présentaient des signes précoces de détresse et avaient des idées suicidaires, tandis que d'autres semblaient heureux et sans soucis. Certains ont laissé des notes décrivant leur angoisse, d'autres n'ont donné aucune indication sur ce qui les avait poussés à un geste aussi désespéré. Le seul fait confirmé, c'est que nous, Manitobains, sommes en train de perdre tragiquement nos enfants mois après mois.

En avril dernier, j'ai invité une quarantaine de professionnels des principales disciplines travaillant avec des enfants — santé, santé mentale des enfants, protection de l'enfance, éducation, justice pour les jeunes, programmes de traitement spécialisés — ainsi que des aînés autochtones et des fournisseurs de services pour discuter d'une stratégie de prévention du suicide parmi les jeunes. Il était clair que la quasi-totalité des participants avaient été personnellement ou professionnellement touchés par le suicide tragique d'un jeune. Il était également très clair qu'en dépit de notre sérieux engagement envers les enfants, personne parmi nous n'avait une solution permettant d'élaborer une stratégie efficace pour combattre cette épidémie qui touche non seulement le Manitoba, mais tout le Canada. Tout ce que nous savons, c'est que quelque chose de terrible arrive à nos enfants. Nos enfants sont dans un tel état de désespoir que beaucoup d'entre eux sont incapables de voir la moindre lueur d'espoir dans leur avenir. Comment tant de jeunes esprits se sont- ils éteints? Pourquoi ressentaient-ils une peine tellement écrasante que la seule solution pour eux consistait à quitter ce monde?

Il était en outre choquant de constater que beaucoup de ces enfants ne faisaient plus partie du système officiel d'éducation. Et ce qui est encore plus affreux, c'est qu'autant de ces enfants aient réussi à s'enlever la vie. Il y en a bien d'autres dont le public et les médias n'entendent pas parler. Ce sont ceux qui se trouvent actuellement dans des établissements de santé mentale ou dont s'occupent les services de protection de l'enfance parce qu'ils ont manqué leur tentative de suicide.

Nous avons fini par conclure qu'il faut chercher les réponses auprès des enfants eux-mêmes. Il faut les amener à nous dire ce dont ils ont besoin et ce qu'ils attendent de nous. Nous devons les écouter.

Cet été, nous avons organisé quelques groupes de discussion composés d'enfants et de jeunes pour connaître leur expérience de la violence et son intensité. Nous avons appris qu'ils vivent dans un monde de violence et de peur. La violence est partout, dans les médias, la musique, les films, à la télévision, dans les jeux vidéo et, d'une façon générale, dans leurs villes et leurs collectivités, leurs écoles et leurs foyers. Ils disent que les drogues de toutes sortes circulent partout. Même les adultes, leurs parents, en consomment. Ils disent que ni les parents ni la société ne s'occupent plus des enfants. Ils ne connaissent aucune sécurité et n'en voient pas dans leur avenir.

En conclusion, lorsque nous parlons de leurs droits tels qu'ils sont énoncés dans la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, ceux qui les touchent le plus figurent à l'article 6 :

1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.

2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l'enfant.

Au Manitoba, quand nous parlons de « fougueuse énergie », nous devrions l'assimiler à nos enfants. Comme pays, le Canada manque très clairement à son devoir de protéger ses membres les plus vulnérables, de préserver sa ressource la plus précieuse et la plus chère, nos enfants. Nous sommes un pays avancé. Nous avons des ressources naturelles abondantes et de brillants dirigeants, mais, à défaut d'assurer un meilleur avenir à nos enfants, de leur donner de l'espoir, de commencer à les écouter et d'entendre ce qu'ils nous disent, notre province est perdue et notre pays n'a pas d'avenir.

Le sénateur Munson : Nous vivons dans un pays sensé, mais je n'arrive pas vraiment à croire que j'ai entendu aujourd'hui ce témoignage concernant les châtiments corporels. Vous connaissez bien sûr nos recommandations. Comme comité, nous ne pouvons que formuler d'énergiques recommandations. Pouvez-vous nous suggérer des mesures à prendre pour que le gouvernement se débarrasse de cette disposition législative archaïque?

Mme Durrant : Je trouve la situation aussi ridicule que frustrante. Cette question est en fait tellement simple. Mme Schibler et Mme Ursel ont parlé de questions complexes comportant de multiples aspects. Celle-ci est très simple. Nous n'avons que deux choses à faire, et le plus tôt serait le mieux. La première est d'abroger l'article 43 et la seconde, d'attribuer des ressources suffisantes pour sensibiliser les gens aux châtiments corporels et, d'une façon générale, éduquer les parents.

Nous avons également besoin, au Canada, d'un programme universel de soutien et d'éducation des parents. Aujourd'hui, les parents n'ont accès à des services de soutien et d'éducation que si l'on détermine qu'ils courent des risques. Beaucoup d'entre eux ne peuvent donc pas obtenir ces services. Écoutez, je ne suis pas personnellement très susceptible d'être considérée comme une mère à risque, mais j'ai parfois besoin d'aide. À mon avis, aucun parent n'y échappe. Nous devons reconnaître que tous les parents ont besoin de soutien et de renseignements. Nous devons mettre des renseignements à leur disposition de façon qu'ils puissent y accéder facilement et sans frais. Ensuite, il faut simplement abroger l'article 43, qui va à l'encontre de tous les efforts déployés pour prévenir la violence contre les enfants.

Pour moi, la recette est assez simple. Il pourrait être difficile de la mettre en pratique, mais je crois que l'abrogation de l'article 43 est perçue comme beaucoup plus difficile et complexe qu'elle ne l'est en réalité.

Dans les pays qui se sont débarrassés de ce moyen de défense et qui ont interdit les châtiments corporels, il n'y a tout simplement pas eu de conséquences. La Nouvelle-Zélande en discute actuellement. Il y a 10 ou 12 ans, elle avait interdit aux enseignants de recourir aux châtiments corporels. Aujourd'hui, les gens n'y pensent même pas et n'arrivent même pas à imaginer qu'ils avaient pu, dans le passé, autoriser les enseignants à user de violence contre un enfant. Les pays évoluent très vite. Une fois qu'un geste est interdit par la loi, il devient inacceptable pour la société. Les attitudes changent alors très vite.

Le sénateur Munson : Vous n'avez pas parlé des autres pays, à part la Suède, la Finlande, la Norvège, l'Australie, Chypre, le Danemark, la Croatie, la Lettonie, l'Allemagne, l'Afghanistan, la Grèce et les Pays-Bas.

Mme Durrant : Oui.

Le sénateur Munson : Où sommes-nous? Je suis sidéré. Je suppose qu'au Manitoba, les châtiments corporels ne sont pas explicitement interdits par la loi. C'est bien cela?

Mme Durrant : Non. Même la Loi sur l'éducation ne les interdit pas encore dans les écoles. C'est le cas en Alberta, en Ontario et au Manitoba. Dans les foyers d'accueil, les lois varient d'une province à l'autre. À la maison, c'est l'article 43 qui définit ce qui est acceptable. Les châtiments corporels sont donc acceptables et justifiés à la maison, partout au Canada.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé d'éducation. Quelles sont les autres formes de discipline? Avez-vous quelque chose à nous dire à ce sujet?

Mme Durrant : Oui. Nous disposons de nombreuses ressources. Je ne veux pas tenter de présenter un manuel d'éducation des parents. Il s'agit plutôt de changer les attitudes relatives aux châtiments corporels. Le rôle parental devrait se fonder moins sur une relation de puissance et de punition que sur une relation d'éducation et d'orientation. Nous devons songer davantage à créer des relations parent-enfant qu'à substituer une forme de punition à une autre.

Je suis coauteure d'un document intitulé Déclaration conjointe sur les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents, auquel ont souscrit plus de 220 organismes professionnels et un certain nombre d'éminentes personnalités de différentes disciplines. Ce document comprend une liste assez complète de ressources pour les parents et les professionnels qui cherchent des moyens différents d'envisager le conflit entre parents et enfants, de façon à s'écarter des coups et à trouver des réactions plus constructives. Les parents peuvent recourir à de nombreuses stratégies pour éduquer au lieu de punir.

Le sénateur Munson : Serait-il possible d'envisager d'autres contestations de l'article 43? Y a-t-il des groupes prêts à le contester encore une fois? Est-ce encore possible?

Mme Durrant : Oui. Je ne crois pas que des recours judiciaires soient encore envisageables, mais les projets de loi d'initiative parlementaire restent possibles. Le sénateur Hervieux-Payette a déposé un projet de loi portant abrogation de l'article 43. Le sénateur Carstairs avait proposé dans le passé un projet de loi portant sur l'aspect éducatif. C'était la deuxième fois que le sénateur Hervieux-Payette proposait son projet de loi. Il est resté au Feuilleton lors du déclenchement des élections. Il faudra qu'elle le dépose encore et encore.

Nous devons surmonter les craintes que suscite l'idée de l'abrogation de cet article. Les mêmes craintes reviennent chaque fois qu'on parle en général des droits de l'enfant. Nous devons cesser de craindre que le respect de ces droits nous prive de tout pouvoir et de toute autorité. Je suppose que le comité fait déjà de grands efforts à cet égard en cherchant à sensibiliser les Canadiens aux droits de l'enfant. Nous pouvons y arriver en cernant soigneusement les obstacles à surmonter et en nous y attaquant de front.

Le sénateur Munson : J'étais au courant du travail accompli par le sénateur Carstairs et le sénateur Hervieux- Payette. Il m'arrive de penser que je ne suis devenu politicien que de façon accidentelle. J'espère bien en arriver un jour à vraiment comprendre le processus des projets de loi d'initiative parlementaire, mais c'est un processus qui aboutit rarement. Nous devons en faire plus.

Mme Durrant : Plus de 220 organismes professionnels ont souscrit au principe de l'abrogation, dont la Société canadienne de psychologie, la Société canadienne de pédiatrie, le Collège des médecins de famille du Canada, le Collège de psychiatrie de l'adolescent et l'Association canadienne des infirmières/infirmiers. Cette question fait l'objet d'un vaste consensus. Si nous pouvons mobiliser ces appuis et informer les Canadiens de ce consensus, nous arriverons sans doute à changer les attitudes et à apaiser les craintes.

Le sénateur Lovelace-Nicholas : Madame Schibler, nous savons tous, je crois, que les tentatives de suicide dans les collectivités des Premières nations sont liées à l'insuffisance du financement, au chômage et aux disparités. Si l'accord de Kelowna avait été adopté et s'était répercuté sur ces collectivités, aurait-il eu une influence sur cette situation?

Mme Schibler : C'est ce que j'ai recommandé. De nombreux professionnels se sont rencontrés, essayant désespérément de trouver des solutions. Je m'occupe d'une étude sur les décès d'enfants survenus au Manitoba au cours des derniers mois. C'est un travail particulièrement démoralisant. Lorsque nous avons examiné les antécédents de quelques-uns de ces enfants, sans trop aller dans les détails, nous avons été atterrés par l'intensité de la peine qu'il y avait dans la vie de beaucoup d'entre eux. Si les professionnels n'ont pas trouvé de solutions, je crois que la seule façon d'essayer d'y parvenir consiste à écouter les jeunes et à aller dans les collectivités pour les rencontrer.

J'ai toujours vu beaucoup de désespoir dans les collectivités où j'ai vécu et travaillé, surtout dans les endroits isolés qui manquaient de ressources. Toutefois, le problème ne se limite plus aux collectivités isolées. Il est partout. La situation est effarante.

Bien sûr, les enfants connaissent beaucoup d'autres problèmes graves, mais ces problèmes deviennent insignifiants si nous n'arrivons pas à les maintenir en vie. Voilà donc l'essentiel. Nous avons besoin de trouver des moyens de garder nos jeunes en vie.

Le sénateur Lovelace-Nicholas : Qu'est-ce que le comité peut faire pour améliorer la situation?

Mme Schibler : Allez rencontrer des gens, écoutez les jeunes, renseignez-vous sur ce dont ils ont besoin. Demandez- leur ce qui est important dans leur vie et ce qu'il leur faudrait pour considérer qu'ils ont un avenir dans le pays.

La présidente : Vous avez mentionné qu'il y a de la violence partout dans la vie des enfants, et qu'une bonne partie est attribuable à Internet, à la télévision, et cetera. Nous sommes tous aux prises avec ce problème. De quelle façon un pays comme le Canada peut-il se protéger de ce qu'il y a sur un Internet qui s'étend à toute la planète? Y avez-vous pensé?

Vous avez également dit que la violence et les suicides qui en résultent ne se limitent pas aux collectivités autochtones. Ce ne sont pas seulement les garçons qui sont touchés. Les filles le sont aussi. Le phénomène touche en outre les agglomérations urbaines et toutes les classes et catégories de la société. Avez-vous des statistiques à ce sujet? Nous avons eu connaissance de statistiques concernant les jeunes autochtones de certaines régions, mais vos observations sont pour nous les premières qui aient un caractère global. Nous aimerions beaucoup avoir une idée de la répartition des chiffres. Disposez-vous de rapports à ce sujet?

Mme Schibler : Nous sommes en train d'établir un rapport pour le gouvernement sur l'étude concernant les décès d'enfants. Ce rapport porte sur les renseignements dont nous avons connaissance ou que nous sommes autorisés à recevoir des services d'aide à l'enfance. Vous trouveriez probablement plus utiles les données recueillies par les médecins légistes en chef.

Les statistiques que j'ai portent sur les suicides de jeunes survenus au Manitoba dans les cinq dernières années. En 2000, nous en avons eu 18; en 2001, 13; en 2002, 14; en 2003, 12; en 2004, 18 et, en 2005, 25. Certains pourraient croire que ces chiffres ne sont pas trop alarmants, mais je crois que n'importe quel nombre de suicides dans une province est inquiétant. Ce chiffre de 25 en 2005 a suscité de vives préoccupations. Comme je l'ai mentionné, la plus jeune victime avait 8 ans.

Je peux certainement vous faire parvenir les autres renseignements qui vous intéressent, mais je répète qu'ils concernent surtout notre province, le Manitoba.

La présidente : Je crois que ce serait utile, même s'ils se limitent au Manitoba. Nous avions entendu dire qu'il s'agissait surtout de victimes autochtones de sexe masculin. Vous dites que le phénomène est plus général. Nous aimerions bien avoir ces renseignements pour essayer de déterminer les différences, et cetera.

Le sénateur Carstairs : Madame Ursel, vous avez présenté un exposé très simple. Si nous ne pouvons pas faire autrement, nous aurons toujours la possibilité de recourir à un projet de loi d'initiative parlementaire pour que tous les enfants puissent témoigner par télévision en circuit fermé au tribunal.

Madame Durrant, je suis très troublée par vos observations concernant la décision de la Cour suprême du Canada. Je veux dire que ma première réaction a été très différente de la vôtre. Je vais sûrement devoir lire les renseignements que vous avez présentés. Je suppose que j'ai envisagé cette décision du point de vue d'une enseignante. La Cour suprême du Canada a interdit les châtiments corporels aux enseignants, ce qui m'a vraiment fait plaisir. L'Association des enseignants du Manitoba avait toujours préconisé l'abrogation de l'article 43. La Fédération canadienne des enseignants est intervenue dans cette affaire parce qu'elle insistait pour le maintien des châtiments corporels. Par conséquent, j'ai été très satisfaite lorsqu'ils ont été interdits.

Vous dites qu'en fait, la décision de la Cour suprême a eu, dans une certaine mesure, des effets contraires à ce qui avait été prévu en laissant une marge de manœuvre aux partisans de ces châtiments. J'espérais que la décision amènerait les gens à se dire que si les tribunaux ne pouvaient pas se prononcer en s'appuyant sur la Charte, qui ne protège malheureusement pas les enfants au Canada, ils feraient tout leur possible pour que les politiciens modifient la loi. Je suis consternée de voir que la décision a eu ces effets.

Bien entendu, j'appuie le projet de loi du sénateur Hervieux-Payette, qui est essentiellement le même que les deux projets de loi que j'avais moi-même déposés.

Je me soucie cependant de la question des compétences parentales. J'aimerais que vous me donniez toutes votre avis à ce sujet. Nous avons de très bons cours prénataux presque partout dans le pays. Beaucoup de femmes enceintes s'y inscrivent et sont souvent accompagnées de leur mari. Ça s'arrête là. Après l'accouchement, le nouveau-né rentre à la maison, le plus souvent le même jour — c'est le cas au Manitoba et dans bien d'autres provinces — sans que nous ayons rien fait pour aider le jeune couple — certains ne sont d'ailleurs pas si jeunes — à affronter les nouvelles tensions qu'occasionne un bébé. Bien sûr, il est merveilleux d'avoir un nouveau-né, mais ce n'est pas toujours facile. Toutes les mères et tous les pères le savent. Un nouveau-né apporte avec lui beaucoup de joies, mais aussi beaucoup de contraintes.

J'aimerais demander à nos trois témoins de nous dire ce qu'à leur avis, non seulement le comité, mais la société doit faire pour inculquer aux parents les compétences susceptibles d'empêcher leurs enfants d'envisager et, à plus forte raison, de tenter de s'enlever la vie. Comment pouvons-nous les aider à affronter les différentes formes de violence qui existent, que ce soit l'intimidation à l'école, dont j'ai vu les effets sur les enfants, ou la violence sur Internet? Que peuvent faire les parents pour atténuer ces dangers qui guettent leurs enfants?

Mme Schibler : C'est une autre question que j'aborde dans mon rapport annuel. J'y parle par exemple des sentiments que suscitent chez les gens les services d'aide à l'enfance. Beaucoup considèrent leur intervention comme étant hostile plutôt que d'y voir des mesures d'appui préventives. Beaucoup de questions ont été soulevées ici ce matin.

L'une de mes préoccupations, c'est qu'on ne peut évidemment pas retirer aux enfants ce qu'ils savent déjà. J'aurais préféré avoir une forme de censure pour protéger les enfants contre le monde des adultes. Aujourd'hui, les enfants en savent bien plus que moi, ce que je trouve effrayant. Lorsque j'étais petite, le pire qu'on pouvait voir à la télévision, c'était quelqu'un en train de fumer une cigarette ou de prendre un verre. Aujourd'hui, les enfants sont exposés à des choses horribles, à un monde qui est vraiment malsain pour eux. Comment revenir en arrière pour défaire ce qui est déjà fait? Comment pouvons-nous les protéger des connaissances qu'ils ont déjà acquises?

Ils ont perdu leur enfance pendant que les adultes regardaient et laissaient faire. Nous avons laissé cela se produire. Comment faire marche arrière maintenant? Je ne le sais pas. La seule chose à laquelle je puisse penser, c'est que nous devons aider les parents à comprendre à quel point il est important de bien élever les enfants. Il ne s'agit pas seulement de leur donner à manger à temps. Les élever et les éduquer est un processus continu qui dure toute la vie. Nous devons faire savoir aux parents qu'il y a des endroits où ils peuvent obtenir l'aide et le soutien dont ils ont besoin sans être considérés comme de mauvais parents. Tous les parents ont besoin d'aide.

Mme Ursel : La raison pour laquelle les cours prénataux sont universellement populaires est que tous les parents qui attendent un enfant les envisagent avec plaisir et les trouvent intéressants parce qu'ils sont gratuits et pratiques et n'impliquent aucun jugement. Ce n'est pas le cas des cours de compétences parentales. Dans notre société, les seuls cours de ce genre qui soient offerts gratuitement impliquent un jugement puisqu'ils ne sont dispensés qu'aux parents jugés « à risque ». Je crois que toute la philosophie entourant l'éducation des parents doit être radicalement changée de façon à donner à cette éducation le même prestige que les cours prénataux. Les parents trouvent ceux-ci intéressants et stimulants et ont hâte d'y assister, tandis que ceux qui sont envoyés aux cours de compétences parentales ont l'impression de subir une punition parce qu'ils sont considérés comme des parents à risque.

Mme Durrant : Je n'aurais pas pu mieux le dire. Je suis parfaitement d'accord. Nous faisons vraiment fausse route en supposant que tous les parents savent élever des enfants, que c'est un talent naturel et que si on ne sait pas comment faire, on a quelque chose qui ne tourne pas rond et on a besoin de suivre un programme spécial.

J'ai un doctorat en développement de l'enfant. Pourtant, je sais que j'ai besoin d'aide. C'est le cas de la plupart d'entre nous. Il n'y a rien de tel qu'un parent à risque. Chaque parent risque de commettre des erreurs, de frapper ses enfants et d'agir d'une façon qui n'est pas constructive.

Pour assurer un soutien universel des parents... Je préfère parler de soutien plutôt que d'éducation parce que l'éducation implique que l'éducateur connaît la bonne solution et va l'enseigner aux parents. En parlant de soutien, on admet que le rôle parental comporte des contraintes et on est prêt à donner aux parents l'aide dont ils ont besoin au bon moment.

Par ailleurs, il est difficile pour les parents d'accéder au soutien et à l'éducation s'ils ne disposent pas de services de garde d'enfants. Toutes ces politiques s'imbriquent les unes dans les autres. Nous devons donner au soutien parental une plus grande priorité et reconnaître que beaucoup de politiques sont complémentaires. Les parents doivent pouvoir obtenir de leur employeur du temps libre pour participer à des ateliers de soutien et d'éducation. Nous avons besoin d'une politique d'emploi qui appuie les parents.

J'ai passé beaucoup de temps en Suède à étudier les politiques familiales, notamment en ce qui concerne le rôle parental. Les municipalités suédoises ont créé des « cafés-bébé » où les parents peuvent aller n'importe quand prendre une tasse de café et bavarder avec d'autres parents, tandis que leurs enfants jouent avec d'autres sous surveillance. L'un des éléments importants du soutien parental consiste à atténuer l'isolement social des parents, et surtout ceux qui viennent tout juste d'avoir un premier enfant, et de banaliser en quelque sorte les défis qu'ils ont à affronter. Le fait d'apprendre que tous les bébés crient et qu'ils ont tous besoin d'être nourris toutes les trois heures peut énormément réduire les crises de rage qui amènent certains parents à secouer violemment leur nouveau-né. Le fait d'entendre d'autres parents parler des mêmes problèmes peut être extrêmement apaisant.

Les Suédois font beaucoup d'autres choses qui peuvent passer inaperçues. Je lisais l'autre jour dans le Free Press que les Winnipegois discutent beaucoup actuellement du problème des poussettes dans les autobus, que certains considèrent comme une plaie des transports en commun. Pour leur part, les parents disent qu'ils ont besoin de pouvoir circuler avec leurs enfants.

En Suède, les autobus ont des sections sans sièges avec des courroies permettant d'attacher les poussettes là où ils ne gênent pas les autres passagers. De plus, des sièges sont réservés aux parents. Les autobus ont une passerelle qui descend pour faciliter l'entrée des poussettes. Les parents ne paient pas parce qu'ils montent par la porte arrière et n'ont pas à aller à l'avant. Il y a d'autres choses du même genre. Par exemple, les musées et d'autres activités sont gratuits pour les enfants, de sorte que les familles nombreuses peuvent se permettre de sortir plus souvent. Ces choses sont essentielles au développement d'une relation fondamentale parent-enfant qui crée l'attachement.

Il est extrêmement important de rétablir entre parents et enfants l'attachement qui a disparu depuis des générations. Il ne s'agit pas nécessairement de donner aux parents une recette ou de leur dire qu'en faisant « A », ils aboutiront à « B ». Nous parlons d'établir des relations dès le premier jour, au lieu de renvoyer la mère à la maison deux heures après la naissance de son bébé. Nous devons l'aider à surmonter la dépression qui suit souvent l'accouchement plutôt que de la laisser seule avec son nouveau-né. Nous devons reconnaître le stress et les changements physiologiques qui se produisent à ce moment et donner à la mère le soutien dont elle a besoin.

La présidente : Je voudrais revenir sur vos observations concernant la Suède. Notre comité s'est rendu en Suède et a noté qu'elle n'a pas mis en œuvre la Convention relative aux droits de l'enfant.

Mme Durrant : Dans sa législation.

La présidente : Oui, dans sa législation. Lorsque nous avons interrogé des Suédois qui détenaient des postes représentatifs, ils nous ont dit qu'ils ne jugeaient pas importante la mise en œuvre en soi, qu'elle représentait un objectif à long terme. J'ai trouvé par ailleurs qu'ils avaient une attitude paternaliste envers les enfants, qu'ils estimaient savoir ce qui était bon pour eux d'un point de vue d'adulte qui ne tient pas vraiment compte de leurs droits. Vous semblez dire que le modèle suédois est excellent. Voulez-vous entendre par là que nous ne devrions pas mettre en œuvre la Convention relative aux droits de l'enfant?

Mme Durrant : Bien sûr que non. Je crois que la Norvège, qui est très semblable à la Suède, a mis en œuvre la Convention. La Suède est un chef de file mondial en matière de droits de l'enfant. Des organisations telles que Save the Children Sweden et Children's Rights in Society sont extrêmement influentes en Suède. Le Parlement suédois a approuvé à l'unanimité — en 1999, je crois — le principe des études d'incidences sur les enfants. Le bureau de l'ombudsman des enfants étudie les incidences de toute nouvelle politique susceptible de toucher les enfants. À cette fin, le bureau discute avec des enfants et examine tous les aspects de la politique en cause et des politiques connexes. La recommandation finale s'inspire de l'intérêt supérieur des enfants, qui prend toujours le pas sur les autres considérations, à moins qu'il ne s'agisse de sécurité nationale, d'importants intérêts économiques ou d'autres facteurs du même ordre. Si l'intérêt des enfants ne prime pas, il incombe à l'auteur de la politique ou du projet de loi d'en expliquer les raisons et de prévoir des mesures compensatoires.

C'est ainsi que les Suédois cherchent à mettre en œuvre la Convention parce qu'ils ont trouvé difficile de la mettre en pratique en se servant des études d'incidences au niveau du gouvernement. Ils sont en train d'élaborer un processus qui est censé être appliqué dans tous les cas.

La présidente : Vous semblez dire que la mise en œuvre d'un point de vue parental et sociétal est plus importante que la reconnaissance et le respect des droits de l'enfant.

Mme Durrant : Oh, non, ce n'est pas du tout ce que je veux dire. Je crois que la Suède s'efforce depuis des dizaines d'années d'édifier une société accueillante pour les parents et les enfants. Pour ce qui est de la mise en œuvre de la Convention, je sais que c'est l'un des moyens dont les Suédois veulent se servir pour y arriver. Je ne connais pas les raisons pour lesquelles ils n'ont pas intégré la Convention dans leur législation. Je ne sais pas pourquoi ils ont choisi cette voie parce qu'ils constituent par ailleurs une société extrêmement axée sur les droits de l'enfant.

La présidente : C'est la raison pour laquelle je ne suis pas sûre de convenir avec vous que c'est une société axée sur les droits de l'enfant. C'est probablement une société accueillante pour les enfants, mais les Suédois n'ont pas reconnu que les enfants ont des droits. Pour le faire, ils devraient mettre en œuvre et respecter la Convention.

Mme Durrant : C'est une discussion intéressante, mais je ne suis pas d'accord avec vous. La Suède a pris des mesures très concrètes pour garantir le droit des enfants à un environnement exempt de violence, à un environnement sûr pour ce qui est de la circulation, et cetera. Chaque enfant a légalement droit à une place en garderie, par exemple. Les parents salariés ont droit à du temps libre jusqu'à ce que tous leurs enfants soient d'âge scolaire et bénéficient d'une pleine sécurité d'emploi. Ce sont des droits universels qui reposent sur une approche fondée sur des principes plutôt que sur des critères arbitraires.

Il serait probablement intéressant de tenir une discussion sur la définition d'une société axée sur les droits. De plus, j'aimerais bien en savoir plus sur les gens qui vous ont dit ne pas souhaiter intégrer la Convention dans leur législation.

La présidente : Nos interlocuteurs n'ont pas dit qu'ils n'avaient pas l'intention de mettre en œuvre la Convention. Ils considèrent la mise en œuvre comme un objectif à long terme. Ils pensent que s'ils signaient la Convention, ils auraient à l'appliquer, à respecter leur parole, c'est-à-dire à ne plus laisser les adultes définir les droits de l'enfant. La Convention traite des droits des enfants. Ce sont eux qui doivent jouir de ces droits, et non les parents ou la société. En matière de droits, la Commission des droits de l'homme ne fait pas de distinction entre adultes et enfants.

Madame Schibler, dans mes fonctions antérieures au tribunal de la famille, je m'étais inquiétée du nombre de familles autochtones qui comparaissaient devant le tribunal. Malheureusement, la plupart de nos politiques et pratiques étaient axées sur les parents et ne tenaient pas compte des différences culturelles des Autochtones.

Certaines personnes m'ont dit que si nous abrogeons l'article 43 sans faire le travail préalable nécessaire, nous verrons probablement dans nos tribunaux et, par la suite, dans nos cours d'assises beaucoup plus de défavorisés parce qu'ils sont les moins susceptibles de se prévaloir de nos politiques et pratiques. Cela reviendrait à les marginaliser davantage. Par exemple, si on vous a appris qu'une tape est la meilleure façon de discipliner un enfant, vous serez probablement tentée de recourir instinctivement à ce mode de discipline quand vous êtes en colère. Si les services sociaux vous connaissent déjà, ils auront une raison de plus de s'en prendre à vous, comme me l'a dit un parent. Qu'en pensez-vous?

Mme Schibler : Je crois que le Canada doit adopter un modèle fondé sur la valeur des enfants, qui s'appliquerait à tous les gens et à toutes les nations. Nous sommes témoins de l'éclatement des familles et des collectivités, et ce n'est pas seulement parmi les Autochtones. Ceci est intéressant parce que j'ai eu la même conversation avec mes enfants à qui je parlais de la vie que nous avions dans le passé. Nous avons évoqué la tristesse qu'il y a à voir un pays devenir plus riche sur le plan des biens matériels et du niveau de vie et plus pauvre en fonction des valeurs familiales et de la valeur de la famille.

Dans nos sociétés autochtones — vous en avez probablement entendu parler puisque vous avez tant voyagé —, l'éducation traditionnelle des enfants était différente. Nous avions des moyens différents de les éduquer. C'était une responsabilité partagée, ce qui fait qu'on valorisait chacune des générations dont la famille se composait. Chacun assumait son rôle et ses responsabilités dans l'éducation des enfants, qui étaient très appréciés, de même que nos aînés.

Nous avions de grandes familles qui vivaient ensemble. On ne s'arrêtait pas à 2,5 enfants. Chaque membre de la famille avait une grande valeur. La richesse d'une famille se mesurait à ses enfants. Ce n'est plus la même chose aujourd'hui, et cette situation ne se limite pas aux Autochtones. J'ai l'impression que la famille avait alors une valeur différente. Je crois que le Canada a la responsabilité de retrouver cette valeur pour comprendre toute l'importance que revêtent les enfants dans notre monde. Si le gouvernement adopte ce modèle, les gens commenceront à l'adopter. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La présidente : Vous y avez répondu d'une certaine façon, et je vous en remercie. Si nous commencions à valoriser les enfants en tant qu'êtres humains, ce qui constitue l'essence de la Convention relative aux droits de l'enfant, au-delà de ses dispositions précises, les gouvernements seraient bien obligés de s'intéresser à eux. Nous avions mentionné, dans notre précédent rapport, que les enfants sont négligés parce qu'ils ne votent pas. Comment faire pour qu'on s'intéresse à eux, qu'on les valorise et qu'on les considère comme des égaux? C'est peut-être en leur donnant les droits que leur confère la Convention. Autrement, chacun parle dans son propre intérêt. La voix des enfants n'est pas entendue. Si j'ai bien compris, c'est le sens de votre message.

Mme Schibler : Absolument.

Le sénateur Carstairs : Pendant notre voyage en Suède, nous n'avons pas surtout remarqué les grandes réalisations des Suédois. Il est évident qu'ils ont pris beaucoup de mesures très positives axées sur les enfants. Toutefois, leur attitude est très différente de celle des Écossais. Nous avons noté en Écosse une plus grande participation des enfants à l'élaboration des politiques et des stratégies. La commissaire écossaise des enfants a été choisie par des enfants. Elle a d'ailleurs dit qu'elle avait trouvé ses entrevues d'embauche avec eux nettement plus difficiles que si elle avait eu affaire à des adultes. Deux groupes d'enfants, l'un de moins de 10 ans et l'autre de plus de 10 ans, ont tenu ces entrevues. Ce processus valorise et habilite les enfants. Bien sûr, cela ne diminue en rien la valeur de ce qu'ont fait les Suédois, qui forment de toute évidence une société axée sur les enfants et la famille.

Je suis préoccupée par le fait que notre société est vraiment trop occupée. Dans mon enfance, j'adorais les jours de neige parce que ces jours-là, papa et maman restaient à la maison et comme personne ne pouvait sortir à cause de la neige, nous pouvions jouer ensemble. Nous pouvions nous parler et faire des choses ensemble. Aujourd'hui, nous avons une vie beaucoup trop remplie. Les enfants sont occupés : l'école, les devoirs et les activités parascolaires, du moins pour les plus favorisés. Mon mari disait que les enfants n'avaient même plus le temps de compter leurs orteils. C'est vrai. Comment créer une société qui valorise le temps passé en famille? Je n'ai pas l'impression que ce temps a une très grande valeur aujourd'hui.

Mme Schibler : Vous avez bien raison. J'ai récemment eu une conversation intéressante quand j'ai entendu des parents dire : merci, mon Dieu, voici septembre revenu, les enfants repartent à l'école. Pour ma part, je suis triste quand les enfants s'en vont. Je suis peut-être une mère différente, je ne sais pas. J'ai peut-être besoin des enfants plus qu'ils n'ont besoin de moi. Je sais que lorsque les journées chargées reviennent, les choses ne sont plus les mêmes dans notre famille et dans notre vie.

Il serait merveilleux de préserver nos enfants des environnements instables. Il serait merveilleux de les garder à l'écart des activités risquées et de les faire participer à des activités saines. Cet avantage ne devrait pas être réservé à ceux qui ont les moyens de se l'offrir.

Que devrions-nous favoriser pour avoir des familles plus unies? Que pouvons-nous offrir aux familles pour qu'elles fassent des choses ensemble? Quelles activités récréatives pourraient convenir à toutes les catégories socioéconomiques pour encourager les gens à s'amuser ensemble plutôt que d'envoyer les enfants à différents cours et activités? Nous avons vraiment besoin de concevoir des activités et des loisirs axés sur la famille.

La présidente : Je voudrais remercier nos trois témoins pour leurs arguments et leurs renseignements stimulants et pour leur amour des enfants.

Susan Prentice, défenseur des droits des enfants, Child Care Coalition of Manitoba : Madame la présidente et membres du comité, je suis très heureuse de cette occasion de m'adresser à vous. Je vous suis très reconnaissante de m'avoir permis de comparaître à la dernière minute, malgré votre programme très chargé.

Je vais essayer de prouver aujourd'hui que la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies impose au Canada une orientation claire et qu'aux termes de cet accord international ayant force obligatoire, le Canada doit, bien qu'il ne le fasse pas encore, s'occuper de l'éducation préscolaire de tous les enfants.

L'article 18 souligne l'importance primordiale du rôle des parents dans la vie des enfants et l'obligation pour les gouvernements de les aider. D'après l'article 18.2, « les États parties accordent l'aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l'enfant dans l'exercice de la responsabilité qui leur incombe d'élever l'enfant ». L'article 18.3 est encore plus précis : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour assurer aux enfants dont les parents travaillent le droit de bénéficier des services et établissements de garde d'enfants... »

Le Canada est bien loin de cet objectif puisqu'à l'échelle nationale, il n'y a de places dans les garderies agréées que pour 15,5 p. 100 des enfants canadiens de moins de 12 ans. Nous n'avons même pas assez de services pour les enfants des parents qui travaillent. Là où des garderies agréées existent, elles sont coûteuses et les subventions sont soumises à d'importantes restrictions. Souvent, les parents doivent payer 7 000 $ par an ou plus pour une place dans une garderie agréée. Dans la plupart des provinces, le revenu de la famille doit être bien en deçà du seuil de la pauvreté pour qu'elle soit admissible à des subventions et, malheureusement, la qualité des services agréés est plus souvent médiocre que propice au développement de l'enfant.

Parlons maintenant de l'accès. L'accès aux services de garde agréés varie considérablement d'un endroit à l'autre du pays. Dans la Saskatchewan voisine, par exemple, il n'y a de places en garderie que pour moins de 5 p. 100 des enfants de la province. Au Québec, par contre, un enfant sur trois a accès à une place. Même à l'intérieur d'une même province, les services ne sont pas aussi développés d'une région à l'autre. Et partout dans le pays, les nourrissons, les enfants d'âge scolaire et les enfants ayant des besoins spéciaux sont moins bien servis que les autres. La Coalition canadienne pour les droits des enfants a signalé que cette situation est contraire non seulement à l'article 18, mais aussi à l'article 2, qui interdit la discrimination. Elle est également contraire à l'article 23, qui traite en particulier des droits des enfants handicapés. Comme le précise la Coalition, « le système actuel de garde d'enfants du Canada est discriminatoire envers certains enfants, en fonction de l'endroit où ils vivent et de leur situation socioéconomique ».

Les services de garde et d'éducation préscolaire vont bien au-delà de la garderie. Ils comprennent le congé de maternité et le congé parental, les politiques de conciliation du travail et de la famille, le soutien et les soins prénataux, le traitement des enfants dans le régime fiscal et bien plus encore. Il se rattache à l'éducation primaire, et notamment au jardin d'enfants. Pourtant, le Canada envisage rarement cette forme élargie et plus généreuse des services de garde. Nous avons d'ailleurs de la difficulté à dispenser ne serait-ce que des services étroitement définis de garderie.

Aujourd'hui, la majorité des enfants canadiens fréquentent des garderies d'une forme ou d'une autre. C'est une réalité contemporaine qui est là pour rester. Votre comité s'interroge probablement sur les moyens à prendre afin de faciliter au maximum les choses pour les enfants et leurs parents.

D'après les chiffres les plus récents de Statistique Canada, plus de 53 p. 100 des enfants de plus de six mois sont gardés par quelqu'un d'autre que leurs parents. Toutefois, la plupart de ces enfants ne disposent pas de services agréés de qualité propices à leur développement. Je tiens à souligner que de bons services de garde sont bons pour l'enfant. Voici ce qu'en a dit un éminent chercheur de la National Academy des États-Unis : « La relation positive qui existe entre la qualité des services de garde et la quasi-totalité des aspects du développement de l'enfant qui ont été étudiés est l'une des conclusions les plus constantes des sciences du développement. Les services de garde de qualité sont associés à des résultats que tous les parents recherchent dans leurs enfants, depuis la coopération avec les adultes jusqu'à l'aptitude à établir et à maintenir des échanges positifs avec les pairs, en passant par les compétences précoces en mathématiques et en lecture. [...] Les garderies de qualité renforcent les compétences linguistiques, cognitives et sociales des enfants et présentent des avantages particulièrement durables pour les enfants venant de familles à faible revenu. »

Votre comité s'intéresse particulièrement aux obstacles que doivent affronter les enfants, et surtout les plus vulnérables d'entre eux. Je vais maintenant aborder ce sujet.

Les services de garde de qualité sont particulièrement importants pour les enfants défavorisés par la pauvreté de leur famille. De bons services assurés par un personnel formé et réceptif peuvent atténuer quelques-uns des effets négatifs à long terme touchant les enfants qui grandissent dans la pauvreté. Ils peuvent réduire la pauvreté en permettant aux mères de travailler, ce qui favorise du même coup l'égalité des chances pour les enfants. Compte tenu de ce rapport étroit, on devrait s'attendre à un accès facile à des services agréés de garde et d'éducation aux endroits du Canada où les taux de pauvreté sont élevés parmi les enfants. Malheureusement, c'est l'inverse qui est vrai. L'accès des enfants pauvres aux services de garde est nettement moindre que celui des enfants aisés. Les données recueillies tendent à prouver que lorsque les enfants pauvres ont accès à des services de garde, ils sont généralement surreprésentés dans les services de basse qualité. Je peux vous citer quelques données tirées d'études récentes réalisées au Québec, à Winnipeg et à Vancouver si vous souhaitez avoir la preuve statistique de ce schéma, qui est vraiment concluante. À mon avis, cela est attribuable, du moins en partie, au fait que le Canada ne se soucie pas des obligations qu'impose la Convention relative aux droits de l'enfant aux États parties, c'est-à-dire aux gouvernements nationaux. Au Canada, les services de garde d'enfants relèvent du secteur privé. Bien sûr, la plupart sont assurés par le secteur bénévole sans but lucratif, qui administre environ 80 p. 100 des places en garderie du Canada. Le reste relève du secteur à but lucratif. À mon avis, cette dépendance du secteur privé dans la mise en œuvre de la politique publique témoigne de l'échec de la politique canadienne en matière de services de garde et d'éducation des enfants. À cause de cette situation, on compte sur le secteur privé à des endroits où il n'est pas bien développé. De plus, les collectivités riches sont avantagées par rapport aux pauvres. D'une façon générale, les quartiers pauvres du Canada ont moins de programmes de garde d'enfants et ces programmes sont de moindre qualité.

Et la situation ne fera qu'empirer le 1er avril 2007. Même si les progrès enregistrés à l'échelle nationale en matière de services d'éducation et de garde d'enfants ont été désespérément lents, les accords bilatéraux conclus en 2005 entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux constituaient un progrès très important, quoique imparfait. Les provinces devaient recevoir des fonds réservés aux services réglementés qui, avec le temps, auraient amélioré aussi bien l'accès que la qualité pour tous les enfants, et surtout pour les plus vulnérables d'entre eux. Ici, au Manitoba, nous devions recevoir l'année prochaine 42 millions de dollars, par rapport à 24 millions cette année. Ces fonds se sont évaporés.

Dans sept mois, les progrès limités réalisés, qui auraient contribué au respect de nos engagements aux termes de la Convention, seront inversés. C'est là une question qui, je l'espère, revêt une importance directe et urgente pour votre comité.

Les Nations Unies ont demandé aux gouvernements de faire figurer les enfants, et surtout les plus jeunes, en tête de liste lors de l'examen de toutes les politiques. Les Nations Unies ont pressé tous les gouvernements d'accorder à cet objectif tout le soutien financier et politique nécessaire. Permettez-moi d'affirmer, avec tout le respect que je vous dois, qu'il reste encore au Canada un long chemin à parcourir pour que nos systèmes d'éducation et de garde des enfants respectent les engagements que nous avons pris envers les Nations Unies.

La présidente : Voulez-vous dire que le Canada manque à ses obligations à titre d'État partie à la Convention? Je ne suis pas sûre des chiffres, mais je conviens avec vous que nous comptons beaucoup sur le secteur bénévole sans but lucratif. Préconisez-vous un système universel de garderies administré par l'État? Je ne suis pas sûre de comprendre. Si c'est le cas, de quelle façon réfutez-vous tous les arguments qui font état de la force du secteur sans but lucratif? Beaucoup de garderies sans but lucratif sont contrôlées par des parents. J'avais cru comprendre que c'était une bonne chose qui permettait de tenir compte du besoin des parents d'être les principaux intervenants dans les décisions touchant leurs enfants. Je ne sais pas vraiment quel modèle vous préconisez ni quels motifs vous invoquez pour réfuter ces arguments.

Mme Prentice : Vous avez noté avec beaucoup de perspicacité un important aspect de mon exposé. Il n'y a pas de doute qu'environ 80 p. 100 des places en garderie relèvent du secteur sans but lucratif. Nos recherches confirment que les services de garde d'enfants de ce secteur sont supérieurs en qualité aux services du secteur à but lucratif, surtout à cause de la formation du personnel, d'une meilleure rémunération, d'un roulement moindre, d'un meilleur financement des programmes et du fait que moins d'argent en est retiré. Il n'y a pas de doute que, d'une façon générale, les services sans but lucratif sont d'une meilleure qualité que les services à but lucratif et sont meilleurs pour les enfants.

Ils ne sont cependant pas d'une qualité aussi élevée que celle des services directement exploités par le secteur public, comme ceux que nous avons au Québec et dans certaines municipalités ontariennes. Les études nationales de la qualité des services révèlent que les meilleurs sont ceux des garderies du secteur public. Je ne préconise pas des services de garde gouvernementaux obligatoires auxquels tous les parents doivent inscrire leurs enfants. Je préférerais de loin des services facultatifs. Je ne suis certainement pas en faveur de la nomination d'agents de discipline dans les garderies. Les parents ont besoin de services à temps plein, à temps partiel, occasionnels, qui correspondent à leurs besoins. Je crois cependant que le fait de compter essentiellement sur le secteur bénévole n'est pas bon pour le Canada.

Mes enfants, qui ont 8 et 10 ans, vont dans une garderie sans but lucratif de Winnipeg qui n'existe que parce qu'un groupe de parents s'est formé pour la créer. Nous vivons dans un quartier assez aisé où les parents ont les compétences et les ressources nécessaires pour une entreprise de ce genre. Dans le noyau central de Winnipeg, nous attendons encore que des parents s'organisent pour mettre sur pied des garderies car s'ils ne le font pas eux-mêmes, personne ne le fera pour eux. À mon avis, le fait de compter sur l'initiative et la bonne volonté des gens ne permet pas de dispenser des services aux enfants les plus vulnérables. Dans ces collectivités, cette façon de procéder ne donne aucun résultat, elles n'ont tout simplement pas de services.

La présidente : Sauriez-vous combien de places en garderie ont été créées au Manitoba par suite de l'accord bilatéral de 2005?

Mme Prentice : Nous ne comptons pas les places créées au Manitoba. Ce que je peux vous dire, c'est que les fonds provenant de l'accord bilatéral ont permis d'apporter un certain nombre d'améliorations qualitatives. Des programmes qui ne disposaient d'aucun financement ont eu accès à des fonds directs. Les salaires ont monté. Pour la première fois depuis des années, il a été possible de faire des dépenses de capital pour réaliser des améliorations, notamment en ce qui concerne l'accès des enfants handicapés.

Le Manitoba ne tient pas un compte des places en garderie. Nous ne pouvons donc pas établir un rapport direct entre les fonds obtenus et les places créées. Je peux cependant dire que les gens sont consternés en pensant à ce qui arrivera le 1er avril lorsqu'il n'y aura plus de fonds.

La présidente : Vous dites que vous ne pouvez pas nous donner des statistiques sur le nombre de places. Pouvez-vous nous fournir les chiffres que vous avez mentionnés?

Mme Prentice : Oui, je peux le faire. Je serai heureuse de les transmettre au comité.

Le sénateur Carstairs : J'aimerais maintenant parler d'enfants un peu plus âgés parce que je ne suis en désaccord avec rien de ce que vous avez dit. Ma fille enseigne à Toronto. Ce que je découvre malheureusement en lui parlant, c'est que le système scolaire commence à subir les mêmes pressions que le système de garde d'enfant. Dans les secteurs aisés, les parents peuvent réunir beaucoup d'argent, ce qui se traduit dans les écoles par de meilleurs ordinateurs, de meilleurs services, des fonds pour financer la production de pièces de théâtre et pour former des orchestres. Dans les écoles où ma fille a enseigné, rien de cela n'est possible. L'essentiel de l'argent vient de la province et de la division scolaire, et le reste, qui sert à financer les activités parascolaires, doit venir des parents. Autrement dit, c'est encore ceux qui ont de l'argent qui peuvent obtenir ce qu'ils veulent. Savez-vous si ce « glissement » est également en train de se produire au Manitoba?

Mme Prentice : Oui. Environ 3 p. 100 du financement du système manitobain de garde d'enfants vient des collectes faites par les parents. Il n'est pas difficile de voir dans quels secteurs les parents ont accès à plus de fonds.

Je sais que dans les garderies du noyau central, les parents doivent par exemple apporter leurs propres couches pour les nourrissons parce que les établissements ne peuvent pas les payer eux-mêmes. Les gens doivent également apporter de la lotion solaire. Je sais aussi que les enfants qui ne peuvent pas payer pour les sorties ne sortent pas.

Le Manitoba a un assez bon système à cet égard. Nous avons un barème très innovateur de frais fixes. Nous n'avons pas de garderies de luxe ou, du moins, de grand luxe dans les secteurs aisés. Ce n'est pas du tout la même chose qu'à Toronto où les frais peuvent varier très considérablement, avec une garderie à prix modique à un coin de rue et une garderie de luxe quelques pâtés de maisons plus loin. Le Canada dit à ses citoyens que s'ils veulent recourir à une garderie, ils doivent payer. Si on est prêt à ouvrir tout grand son portefeuille, on peut obtenir des services de qualité. Autrement, on n'a droit qu'à une qualité minimale. Je crois que cela représente un énorme désavantage pour nos enfants.

La présidente : Le sénateur Carstairs a posé une bonne question. De toute évidence, vous vivez ici à Winnipeg et vous avez des enfants. Nous aimerions savoir si le « glissement » se produit aussi dans le système scolaire. Vous êtes revenue à la garde d'enfants, mais nous voudrions avoir votre avis sur le système scolaire.

Mme Prentice : Oui, c'est la même chose. Je viens d'envoyer mon chèque obligatoire à l'école pour que les enfants puissent participer aux sorties cette année. Oui, c'est bien la même chose. J'espère que nous en arriverons un jour à voir un certain rapprochement entre le système de garde d'enfants et le système d'éducation. Il est notoire qu'avant six ans, les enfants sont votre responsabilité, mais qu'après six ans, ils appartiennent au système scolaire. Les deux systèmes ne se rencontrent jamais.

Nous nous efforçons, dans la mesure de nos moyens limités, de créer des liens. Les écoles constituent une ressource communautaire de premier plan. Dans la plupart des collectivités, les bibliothèques, les centres informatiques, les gymnases et les terrains de jeux ne servent à rien pendant tout l'été. Il y aurait peut-être des moyens de combiner les ressources du système scolaire et du système de garde d'enfant. J'aimerais bien que ce glissement pernicieux dont vous parlez cesse immédiatement.

Le sénateur Carstairs : La sémantique, les mots sont importants. Devrions-nous éliminer le mot « garderie » de notre vocabulaire et parler uniquement d' « éducation préscolaire »?

Mme Prentice : Cette question me tourmente vraiment parce que je ne peux y répondre que par oui et non à la fois. Oui, surtout parce que cette expression plus inclusive traduit davantage l'important rôle que les services de garde et d'éducation préscolaire joue dans la vie des enfants. Par ailleurs, la plupart des gens n'ont pas la moindre idée de ce que l'expression signifie. J'en parle tout le temps, puis je précise : Vous savez, la garderie quoi. Là, le regard d'incompréhension disparaît et la lumière se fait. Nous avons besoin de faire la transition. Il ne faut pas perdre de vue qu'au Canada, seulement un enfant sur sept ou huit a accès à une garderie. Les parents des six ou sept qui restent n'en ont pas, ne comprennent pas ce que nous voulons dire, n'ont pas pu constater les effets positifs sur la vie de leurs enfants et n'ont pas la moindre idée de ce que représentent les services de garde et d'éducation préscolaire.

Le sénateur Carstairs : J'avais le même problème lorsque je parlais de soins palliatifs. Quand j'ai commencé à parler plutôt des soins de fin de vie, les gens ont tout à coup compris. Les soins palliatifs ne signifiaient absolument rien pour eux.

La présidente : Vous parlez de garde d'enfants et d'éducation préscolaire. Nous pouvons lui donner le nom et la portée que nous voulons, mais, en définitive, nous n'en sommes encore qu'aux garderies. C'est là que réside le dilemme. Je viens de la Saskatchewan qui reste encore très rurale. La garde d'enfants, telle que la décrivent ses défenseurs, est très difficile à envisager dans un tel milieu parce que nous parlons de déposer les enfants, d'aller les chercher et d'aider une famille classique entre 9 heures et 17 heures. La plupart des familles qui s'adressent à moi me disent que rien de tout cela ne peut leur convenir dans un milieu rural, que les modèles proposés ne feraient que les marginaliser davantage. En même temps, la pauvreté dans les régions rurales de la Saskatchewan sévit autant que dans le Canada urbain. Que pouvons-nous faire pour remédier à cette situation?

Mme Prentice : Il est évident que les centres urbains ont plus de places dans des garderies agréées que les régions rurales. Je m'occupe actuellement d'une étude sur le Manitoba rural, dans la région de Parkland. Nous examinons les répercussions économiques et sociales de la garde d'enfants. Nous avons procédé à des consultations avec des parents, qui nous ont fait part de quelques brillantes idées. Si les conseils scolaires trouvent des moyens d'aller chercher les enfants de 5 ans en autobus pour les emmener au jardin d'enfants, pourquoi ne pouvons-nous pas en faire autant pour conduire les enfants à la garderie? Puisque nous avons des écoles, pourquoi ne pouvons-nous pas en faire des centres dont les ressources sont à la disposition des enfants pendant toute l'année?

En milieu rural, il peut y avoir des besoins saisonniers très différents des besoins urbains. Il est évident que les exploitations agricoles sont des lieux de travail. Les enfants ont plus d'accidents qui entraînent un plus grand nombre de décès dans les régions rurales. C'est un problème de sécurité urgent. La ferme est l'un des rares lieux de travail où les enfants peuvent circuler presque sans restrictions.

Il existe en fait un certain nombre de modèles très intéressants. Si vous n'avez pas entendu parler du groupe Les Voix rurales, je crois que vous-même ou des membres de votre personnel devriez prendre connaissance de ce qu'il a réalisé. Le groupe a créé, dans le cadre de projets pilotes, des centres ruraux innovateurs de très grande qualité qui répondent bien aux besoins des collectivités desservies. Le problème est que ces centres doivent disposer d'importantes ressources. S'ils ne pouvaient compter que sur les frais acquittés par les parents, ils seraient inabordables. C'est la difficulté. La garde d'enfants devrait-elle être financée exclusivement ou principalement par les frais imposés aux parents qui s'en servent ou bien devrait-elle, comme l'éducation et la santé, faire l'objet d'un financement public?

La présidente : Soit dit en passant, je trouve intéressant le lien que vous faites entre la garderie et l'école. Il ne faut cependant pas perdre de vue les heures de fermeture des écoles, les autobus et les transports qui doivent aller plus loin, et cetera. Si une famille rurale a des enfants de différents âges, elle peut trouver très difficile de conduire un enfant à une place et un autre à un endroit différent tout en essayant de maintenir à flot une exploitation agricole déjà en difficulté. Une famille de ce genre aurait à subir de grandes contraintes.

Vous avez parlé du groupe Les Voix rurales. Nous n'en sommes vraiment pas là au niveau national. Nous examinons en fait un modèle urbain. C'est l'un de nos dilemmes.

Mme Prentice : Vous avez probablement raison. Le nombre d'enfants vivant dans un même secteur a une grande influence, et nous savons que ce nombre est peu élevé en milieu rural. D'ailleurs, comme vous le savez, il ne fera que baisser davantage. Les régions rurales sont en train de se dépeupler. De plus en plus, les familles agricoles trouvent que le revenu de la ferme ne suffit plus pour survivre. Les femmes rurales sont de plus en plus nombreuses à prendre un emploi salarié, ce qui est très difficile pour elles quand il n'y a personne pour s'occuper des enfants pendant les heures de travail.

La présidente : S'il n'y a pas d'autres questions, je dirai que nous avons terminé cette phrase de nos audiences. Nous vous remercions d'avoir présenté votre point de vue sur le Manitoba et les questions que nous étudions. Il est bon qu'on nous rappelle les disparités qui existent dans nos familles. Vous l'avez certainement fait. Je vous en remercie.

La séance est levée.


Haut de page