Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 7 - Témoignages - Séance du matin
REGINA, le mardi 19 septembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 8 h 58 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes en train d'examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous nous intéressons plus particulièrement à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant que le gouvernement du Canada a signée et ratifiée en 1989, mais n'a pas mis en œuvre par le truchement d'une loi habilitante.
Certes, certaines provinces de même que le gouvernement fédéral ont adopté des lois pour se conformer aux obligations de la Convention relative aux droits de l'enfant, mais les dispositions de cette convention n'ont pas encore été globalement intégrées dans le droit canadien. Nous voulons nous assurer que le Canada respecte ses obligations internationales et que, quand il signe et ratifie des traités, il respecte ensuite ses engagements.
De plus, nous voulons voir dans quelle mesure le Canada a mis en œuvre des dispositions destinées à améliorer le sort des enfants. Il existe bien sûr d'autres obligations internationales auxquelles nous sommes tenus en ce qui concerne les enfants, dont le protocole relatif aux adoptions internationales et la Convention de La Haye. Toutefois, notre étude s'articule autour de la Convention relative aux droits de l'enfant.
Comme il est impossible de parler des enfants uniquement en fonction d'un accord international, nous avons été amenés à sillonner le pays pour entendre ce que les Canadiennes et les Canadiens, les universitaires, les particuliers, les groupements et les ONG en tous genres ont à nous dire, parce que nous voulons en apprendre davantage sur la situation des enfants dans notre pays.
Nous sommes très heureux de nous trouver à Regina ce matin où j'ai le plaisir d'accueillir M. Kearney Healy, avocat en exercice, et le professeur Otto Driedger de la School of Human Justice de l'Université de Regina.
Kearney Healy, avocat, à titre personnel : Merci de votre invitation. Je suis avocat à la Commission d'aide juridique de la Saskatchewan, à Saskatoon, depuis 25 ans environ et, depuis 10 ou 12 ans, je me consacre presque exclusivement aux jeunes.
Bon an mal an, je traite environ 400 cas par année. J'ai entendu des milliers de récits de la bouche de ces jeunes. J'ai entendu les récits de leurs victimes, de leurs familles, des travailleurs sociaux qui s'en occupent et des policiers qui les arrêtent. J'ai participé à de nombreux cercles qu'on appelait alors les « conseils de détermination de la peine » et qu'on a rebaptisés « conférences de concertation des familles ».
Pour ce qui est de votre travail sur les droits de l'enfant, permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour avoir compris qu'il est absolument nécessaire d'adopter une approche fondée sur le droit, ce qui est d'autant plus vrai en Saskatchewan, comme vous le savez sans doute. Dans cette province, on a tendance à beaucoup plus enfermer les jeunes que n'importe où ailleurs dans le monde, à ce que je sache. Il peut y avoir des exceptions, mais nous avons tendance à davantage miser sur le contrôle que sur le développement des jeunes en difficulté.
Je trouve horrible que 75 à 80 p. 100 des jeunes qui sont placés en Saskatchewan soient des Autochtones. La plupart d'entre eux, soit encore une fois 75 à 80 p. 100, souffrent d'un handicap. Vous constaterez que, côté études, ils accusent au moins deux ans en retard par rapport à des enfants du même âge. Même ceux qui ont 15 ou 16 ans sont très peu instruits.
Pour ce qui est des autres indices de qualité de la vie de ces jeunes, on s'aperçoit que leurs taux de dépression, de suicide ou de problèmes dus à l'éclatement des familles sont plus élevés que pour d'autres groupes. Il reste que beaucoup d'entre eux ne connaissent même pas leurs familles. D'ailleurs, quand le groupe Children in Care a pris un instantané de la situation des jeunes placés dans l'ensemble du Canada, il s'est rendu compte que la moitié d'entre eux, je crois, avait été confiée aux soins d'organismes de protection de la jeunesse, des services sociaux ou d'organismes compétents dans la province étudiée. C'est à cause de cela qu'un grand nombre de ces enfants ne connaissaient pas leurs parents. Nous sommes bien sûr tous au courant des problèmes ayant notamment découlé des pensionnats.
Je suis convaincu, en partant, que c'est en réglant ce genre de problèmes et en éloignant ces jeunes de la criminalité que vous obtiendrez les meilleurs résultats. Je pense que vous pourrez récupérer très largement les fruits de toute action qui consisterait à mettre les jeunes sur la voie du succès plutôt que sur celle du crime.
Vous avez sagement compris que vous deviez fonder votre approche sur le droit plutôt que de vous inscrire simplement en réaction. Le problème, c'est que vous allez devoir élaborer une politique répondant aux besoins des jeunes et leur permettant de devenir des adultes indépendants et épanouis; et ça, c'est essentiel!
Je vous exhorte à considérer que les enfants ont le droit de devenir des adultes qui réussiront, qui seront sociables, qui auront du talent, qui seront fiables et qui pourront s'enorgueillir de leurs réalisations. J'estime, pour ma part, que cela découle directement de votre idée d'adopter une approche fondée sur le droit des jeunes. Quand on adopte une telle approche, la transformation est surprenante.
Je vais vous lire un extrait d'une lettre de Benjamin Rush à Thomas Jefferson, deux signataires de la Déclaration d'indépendance de l'Amérique. Parlant de la différence entre la monarchie et la démocratie, le Dr Rush disait qu'en monarchie le corps d'une personne n'est guère plus important aux yeux du monarque que celui d'une vache ou d'un poulet pour nous, tandis qu'en démocratie tout individu est unique et présente un énorme potentiel de grandeur, et tout le monde mérite d'être élevé vers le merveilleux. Elle était là, pour lui, la différence entre la démocratie et la monarchie.
Personnellement, je dirais que la démocratie est parfaitement illustrée par le fonctionnement du service des urgences. Je pourrais très bien me retrouver au service des urgences à l'Hôpital général de Regina avec un petit rhume et être plus riche que la plupart des patients présents en même temps. Je pourrais directement sortir d'un comité du Sénat. Je pourrais avoir toutes sortes d'avantages par ailleurs, mais je devrais tout de même faire la queue. En revanche, la femme enceinte sur le point d'accoucher, la personne souffrant d'une crise cardiaque ou la victime d'un horrible accident passeraient devant tout le monde parce que leurs besoins seraient plus importants. Dans une démocratie, nous nous préoccupons du sort de chacun dont les besoins deviennent beaucoup plus importants que le rang de l'individu par rapport au monarque.
En Saskatchewan, malheureusement, nous avons appliqué la mauvaise recette pour des raisons que j'estime culturelles. Rien de la supervision et du contrôle, ni de tout ce qui caractérisait notre relation avec le monarque n'a disparu.
J'ai parlé tout à l'heure des indices qui donnent à penser que beaucoup d'enfants sont en grande difficulté parce qu'ils ne connaissent pas leurs parents, du fait que leur taux de suicides est élevé et ainsi de suite. Ils sont marginalisés à plus d'un titre et, plutôt que de répondre à leurs besoins, nous avons simplement cherché à les contrôler.
À Saskatoon, nous administrons plusieurs excellents programmes qui sont incroyablement sous-financés et en sous- effectif. Voici ce qui se passe. Un enfant peut s'intéresser à une activité, comme le sport ou le théâtre, avec la Saskatchewan Native Theatre Company, comme les arts avec la Saskatoon Community Youth Art Programs, comme l'informatique avec l'Advantage Computer Co-op, ou encore comme le cinéma, le canoë ou l'aventure de plein air avec les services de police de Saskatoon et le programme Peacemakers. Intervient alors un groupe d'adultes qui, désireux de faire quelque chose, constitue un groupe de garçons et de filles ayant les mêmes engouements. Les adultes se disent que ce serait formidable si tout le monde pouvait être emballé de la même façon et ils invitent ces jeunes à imaginer un monde meilleur, à formuler une vision. Une fois que ce groupe a énoncé sa vision, il lui faut passer aux actes.
J'ai représenté bien des jeunes que les services de police et les services du procureur considèrent comme ce qu'il y a de pire à Saskatoon. Or, j'en ai vu quelques-uns qui, après être passés par ces programmes, sont ressortis transformés ayant trouvé la pleine possession de leurs moyens et s'intéressant désormais vraiment à notre collectivité. Ils sont prêts à donner beaucoup de leurs temps libres et de leur énergie pour améliorer leur collectivité.
Cette transformation n'est pas le produit de la supervision, mais de l'emballement des jeunes face à la possibilité de passer de ce qu'ils sont à l'état d'adulte ayant réussi. Celui ou celle qui aurait pu être le gamin du fond de la classe que personne n'aime, passe devant et dit au reste de la classe « réveillez-vous, nous pouvons améliorer le monde ». Ce genre de démarche est incroyablement payante. Malheureusement, aux Saskatchewan, notre culture favorise le contrôle et la supervision plutôt que les encouragements.
Je suis avocat de la défense et je crois qu'on a peur de ces jeunes parce qu'ils ont commis des crimes. Or, on pourrait leur porter secours avant qu'ils ne commettent de crimes pour qu'on ne leur accole jamais le qualificatif de criminel, mais on semble se heurter à un mur, ce qui est absurde.
Comme l'a indiqué la Commission Linn dans son rapport, un jeune Autochtone a beaucoup plus de chances d'aboutir en prison que d'obtenir son diplôme du secondaire. C'est horrible de penser cela et nous devons donc nous demander comment faire pour les transformer. J'oserais dire que, dans 90 p. 100 des cas si ce n'est plus, il pourrait être incroyablement facile de les transformer pour qu'ils deviennent la fierté de nos collectivités.
Le plus difficile — et nous sommes dans une province qui est en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis — c'est de s'organiser pour reconnaître le géni chez ces jeunes, pour reconnaître qu'ils sont brillants et qu'ils ont du potentiel, untel dans l'ameublement, un autre comme serveur dans un restaurant, un autre encore derrière une caméra ou sur une scène, peu importe. Nous n'avons pas fait ce genre de chose.
J'ajouterai que, dans votre rapport intitulé Qui dirige ici? vous citez une jeune femme avec qui je crois avoir travaillé. Je crois qu'elle était de Saskatoon et qu'elle avait vécu dans la rue. Elle avait été invitée à une conférence à Vancouver pour rencontrer d'autres jeunes victimes d'agressions sexuelles dans le cadre du commerce du sexe. J'ai donc travaillé avec elle, de même qu'avec ceux qui lui avaient demandé de participer à cette conférence. Ensemble, nous avions proposé un projet de loi qui aurait consisté à garantir à tout jeune pris dans le commerce du sexe l'accès à un travailleur social en qui il puisse avoir confiance. Celui-ci aurait mis sur pied un comité d'accompagnement du jeune composé du travailleur social, d'un enseignant, éventuellement d'un représentant de l'aide juridique et de plusieurs intervenants appartenant à la famille de l'enfant.
Ce groupe se serait ensuite retourné contre les clients et les souteneurs de la jeune victime parce qu'il y aurait forcément eu des échanges d'argent autour d'elle, et le groupe aurait eu recours à la loi provinciale sur les lieux de travail malsains pour poursuivre ceux qui auraient demandé au jeune garçon ou à la jeune fille de remplir un service qui, s'il n'était pas illégal, était pour le moins très dangereux. Le comité d'accompagnement aurait alors utilisé l'argent remis — normalement mensuellement — par les clients et les souteneurs en complément des sommes reçues des services sociaux pour répondre aux besoins de la jeune victime, par exemple en s'assurant qu'elle a un lieu convenable où vivre, qu'elle est encadrée pour son instruction et qu'elle a accès à des activités récréatives ou d'éveil. L'argent n'aurait pas été remis au jeune, parce que nous n'aurions pas voulu qu'il l'utilise pour se droguer, par exemple pour acheter des seringues.
J'invite l'institution fédérale que vous représentez à promouvoir ce genre de concept. Je suis conscient que cela ne sert à rien à l'échelon fédéral, mais vous pourriez certainement promouvoir ce genre de concept dans chaque province. Une fois que les clients et les souteneurs se rendront compte qu'ils risquent de devoir payer 500 $ par mois pendant un certain nombre d'années, soit durant tout le temps qu'il faudra à un jeune pour obtenir un diplôme universitaire et embrasser une carrière, ils y réfléchiront à deux fois avant de faire pression sur des enfants pour les contraindre à se livrer au commerce du sexe, et nous constaterons une diminution du nombre d'agressions sexuelles contre ces jeunes.
Je vous invite très vivement à maintenir votre orientation dans le sens d'une approche fondée sur les droits. Je crois que le droit le plus important est celui de devenir une personne forte, libre et créative qui peut se retrouver en avant plutôt qu'à l'arrière de la classe.
Otto Driedger, professeur émérite, Université de Regina, School of Human Justice : Je me sens privilégié d'être ici. Mon épouse, Florence, et moi-même avons récemment eu l'occasion de travailler comme consultants pour l'ACDI à la suite d'une demande que l'Ukraine avait adressée au Canada pour que nous aidions la Cour suprême de ce pays à formuler de nouvelles lois sur les questions concernant les services à la jeunesse. J'ai donc eu le privilège de travailler avec l'ACDI et l'Ukraine sur ce projet.
Je vais, pour commencer, vous parler de certains aspects de votre rapport après quoi je dégagerai d'autres enjeux.
Pour ce qui est de la coordination, de l'information et des initiatives publiques, j'estime que votre idée de créer un poste de coordonnateur national ou d'ombudsman est très importante et qu'elle est une étape nécessaire pour assurer la coordination à l'échelle nationale; je suis bien sûr tout à fait favorable à cette idée. Il y aurait également lieu d'envisager très sérieusement l'idée consistant à créer un secrétariat ou un comité du cabinet.
Il serait aussi très utile, je pense, d'adopter une loi fixant des normes nationales en la matière. Je sais bien que le gouvernement fédéral a eu des difficultés dans le passé à cause de normes nationales, surtout dans le domaine de la santé, mais j'estime qu'il est très important de disposer de normes nationales relativement aux droits des enfants, normes qui pourraient ensuite faire l'objet d'un dialogue entre les provinces et le gouvernement fédéral.
Le deuxième aspect dont je veux vous parler est celui de la démocratisation et de la législation. Je suis aussi d'accord avec votre suggestion consistant à mettre en place des lois fédérales et provinciales qui portent spécifiquement sur les droits de l'enfant et sur l'obligation de faire régulièrement rapport au Parlement, pas uniquement à propos de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, mais aussi pour tout ce qui a trait aux droits de l'enfant en général.
S'agissant des jeunes, des jeunes délinquants et des jeunes en difficulté, nous avons malheureusement pris une mauvaise orientation au Canada parce que nous avons opté pour un système qui est punitif plutôt que réparateur. J'estime qu'il ne faut absolument pas que ces jeunes soient transférés dans le système de justice pour adultes. Il faut traiter du cas de ces jeunes par l'application de lois les concernant spécifiquement; nous ne devrions pas avoir à les traduire devant des tribunaux pour adultes. C'est ce que je pensais quand je travaillais au gouvernement provincial, il y a bien des années, et je continue de croire que nous devrions nous orienter dans ce sens.
J'estime que nous n'avons pas d'excuse à loger les jeunes dans les mêmes locaux que des délinquants adultes. C'est ce que vous avez fait remarquer et je suis on ne peut plus d'accord avec cela. L'économie du Canada est forte et nous n'avons aucune excuse à obliger ces jeunes à cohabiter avec des adultes. Dans un rapport que vous citez, un défenseur de cette nouvelle théorie dit qu'il ne faudrait pas non plus amener les adolescents les plus âgés à cohabiter avec les plus jeunes. C'est effectivement un autre problème et nous devons nous doter des ressources nécessaires pour le régler.
Le Canada est, de tous les pays industrialisés, celui où l'on compte le plus grand nombre de jeunes derrière les barreaux. Je travaille dans ce domaine depuis assez longtemps pour me rappeler la Loi sur les jeunes délinquants et ses nombreuses incarnations depuis lors. On avait estimé à l'époque que les droits de l'enfant n'étaient pas correctement protégés par cette loi. Beaucoup pensaient que si l'on accordait plus d'attention à l'infraction qu'au délinquant, beaucoup plus de jeunes allaient se retrouver en prison. C'est malheureusement ce qui s'est produit. Personnellement, je crois qu'il faudrait réviser en profondeur la loi concernant les jeunes délinquants et se demander s'il est possible de régler le problème de l'incarcération excessive des jeunes.
Dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, on insiste sur les intérêts et le bien-être de l'enfant. Les meilleurs intérêts de l'enfant constituent un aspect très important qui ne date pas d'hier. Tout à l'heure, je parlerai peut-être du fait qu'il convient de ne plus aborder la question uniquement sous l'angle des meilleurs intérêts de l'enfant.
Une des questions qui se pose quand on veut agir dans le meilleur intérêt d'un enfant consiste à savoir qui va décider de ses meilleurs intérêts? Ses parents? La société? La collectivité? La communauté ethnique? La famille ou l'enfant? J'en parlerai plus tard.
Pour ce qui est du rôle des ONG, je suis d'accord avec vous quand vous dite que peu d'organisations non gouvernementales travaillent actuellement dans le domaine des droits de l'enfance au Canada. Les services offerts par ces ONG sont importants et, comme vous l'avez indiqué, leur financement est généralement très insuffisant.
Dans votre rapport, vous indiquez également que le financement est accordé projet par projet. J'estime que c'est là un problème depuis les années 1970, quand nous sommes passés d'une approche fondée sur le développement à un mode de financement au projet. De plus, la tendance est aux appels d'offres, ce qui veut dire que c'est systématiquement le moins disant qui est retenu. C'est devenu un véritable problème pour quelques organismes qui offrent des services depuis très longtemps. Il n'est pas possible d'offrir des services valables quand il faut travailler projet par projet et répondre à des appels d'offres. Je crois qu'il faudra s'attaquer à cet aspect également.
Les autres facteurs, mentionnés dans votre rapport, qui interfèrent avec le développement et le bien-être de l'enfant, comme la pauvreté, la migration, la désintégration du milieu familial et social, les handicaps et la santé, sont très importants. J'estime qu'une société comme la société canadienne doit globalement s'attaquer à ces problèmes pour réduire au minimum les atteintes portées aux droits de l'enfant.
Il faut aborder l'enfant de façon holistique; c'est quelque chose d'important et vous en parlez d'ailleurs dans votre rapport également. Il convient donc d'aborder globalement le développement intellectuel, psychosocial, social, physique et spirituel de l'enfant.
Le dernier aspect dont je veux vous parler est celui du fondement philosophique de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Dans le préambule de la convention, on fait allusion à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l'homme, et l'on nous rappelle « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ainsi que l'égalité et le caractère inaliénable de leurs droits ». Les enfants ne sont pas exclus de cette définition, mais dans nos politiques ou dans nos hypothèses de travail, nous avons tendance à les oublier parce que nous voulons protéger leurs meilleurs intérêts sans tenir compte de leur opinion, du moins pas suffisamment.
Le CERPS de Vienne, Centre européen de recherche en politique sociale affiliée aux Nations Unis, a réalisé une série d'études intéressantes. Il a en effet étudié la situation dans plusieurs pays, notamment au Canada, en ce qui a trait à la nature des services offerts aux enfants et à la façon dont la problématique des enfants est perçue. Le livre Childhood Matters, qui est le produit de ces études réalisées sur une certaine période, pose quelques questions fort intéressantes.
Les auteurs soulèvent notamment celle de l'ontologie, soit de l'être en tant qu'être en fonction de l'âge. Ils soulignent que la société a eu tendance à faire une différence entre l'enfant et l'adulte relativement à cette question de l'être en tant qu'être. Or, les auteurs remettent en question cette façon de voir en soutenant que l'ontologie n'a rien à voir avec l'âge.
Si l'on accepte cette affirmation, force alors est de reconnaître que ce n'est pas une question de droit, autrement dit qu'on ne peut pas estimer que l'enfant est un objet par rapport à l'adulte qui, lui, est considéré comme le sujet des droits. Cela étant, nous devons changer notre mentalité, notre façon de voir les choses pour nous dire que les enfants ont des droits au même titre que les adultes. Les auteurs soutiennent dès lors que les enfants devraient avoir des droits d'être humain et pas uniquement « d'être humain en devenir ».
On a généralement eu tendance à considérer les enfants non pas comme des êtres humains à plein titre, mais comme des « êtres humains en devenir ». Ne dit-on pas qu'ils seront « la prochaine génération »? C'est vrai qu'ils sont cela, mais pour l'instant, ils ont leurs propres droits d'êtres humains. Un changement de mentalité à cet égard voudrait dire que nous reconnaîtrions que les enfants ont des droits d'êtres humains et que ces droits ne peuvent être modifiés que dans la mesure qui s'impose en fonction de leurs capacités. John Rawls en parle également dans son orientation philosophique relativement aux enfants quand il soutient que les droits des enfants ne devraient être limités qu'en fonction de leur propre capacité.
J'estime que si nous allions dans ce sens, nous changerions profondément notre façon d'appréhender les enfants et de concevoir notre rapport à l'enfance. Je n'aurai pas le temps de vous en parler cette fois-ci, mais j'estime que c'est là un aspect auquel il est important de s'intéresser. Nous pourrions nous pencher sur ces questions si nous disposions d'un commissariat national avec un secrétariat bénéficiant de fonds importants pour nous aider à explorer cette question et à reformuler ce qu'il faut entendre par « droits des enfants ».
La présidente : Merci beaucoup pour vos deux exposés qui étaient à la fois particuliers et marquants.
Le sénateur Munson : Votre allusion à la question du contrôle a piqué ma curiosité. Que s'est-il passé en Saskatchewan pour que la province se retrouve dans ce que vous je qualifierais de véritable pagaille en misant sur le contrôle des enfants plutôt que sur le respect de leurs droits, et cela de façon beaucoup plus marquée que ne l'ont fait les autres provinces?
M. Healy : C'est une question délicate et je mériterai d'être blâmé si je me trompe dans ma réponse. Je vous répondrai en vous citant ce que l'ancien procureur général de la Saskatchewan m'a dit un jour lors d'un tête-à-tête : en ce qui concerne les enfants blancs de la classe moyenne, la Saskatchewan ne s'en tire pas plus mal que la Suède et le Danemark, autrement dit nous mettons rarement ces enfants derrière les barreaux. Nous faisons donc aussi bien que la Finlande qui, aux dernières nouvelles, avait seulement huit enfants en prison. Je suppose que les autres sont beaucoup trop occupés à jouer du bon hockey.
Je crains que tout cela ne soit qu'un héritage des pensionnats. Je crains que ce soit dû au racisme. Je crains que les gens ne soient pas disposés à prendre fait et cause pour le développement des enfants autochtones. Pourquoi cela? Je ne le sais pas. Ces jeunes sont notre avenir et je crains qu'en Saskatchewan nous passions à côté d'une chance incroyable, celle d'embrasser la culture autochtone et de la mettre à notre service. Je crains qu'on ne considère que les enfants autochtones sont à part, parce qu'on ne les comprend pas ou qu'on prétend ne pas les comprendre, d'où la réponse la plus sèche et la plus évidente qui consiste à leur laisser faire ce qu'ils veulent tout en les supervisant de façon de plus en plus étroite pour s'assurer qu'ils se comportent comme il faut.
J'ai réalisé une étude que j'ai déposée auprès de la Commission on First Nations and Métis Peoples and Justice Reform. J'y examine tous les crimes mentionnés dans les dossiers du tribunal de la jeunesse en octobre 2002. Quelque 45 p. 100 de ces crimes étaient des préjudices ou des menaces de préjudice contre la personne ou la propriété. Le restant, soit 55 p. 100, étaient liés à des constats de supervision du style « Johnny était avec son meilleur ami Freddy, et il n'est pas rentré à l'heure prévue de couvre-feu », « Mary n'est pas allée à l'école » ou « Susan n'a pas rencontré sa conseillère en toxicomanie ». Tout cela est remarquable parce que les conditions qui sont fixées correspondent à des plans pour les gens et que ces plans doivent bien sûr obéir à des objectifs. Si le plan échoue et que Johnny ne va pas à l'école, en quoi le fait de le jeter en prison va-t-il l'aider? Pourquoi ne pas placer ces jeunes dans des écoles? Ils ne font de mal à personne. C'est en agissant ainsi que l'on pourrait commencer à dire qu'on est de leur côté.
Le sénateur Munson : Ces derniers jours, on nous a constamment répété que le problème est certes dû à un manque d'argent, mais si c'est plus que cela, si c'est du racisme, que pourrait-on faire pour changer les choses? Que faudrait-il faire de radicalement différent au niveau des services sociaux ou gouvernementaux pour régler un problème de ce genre? D'après les statistiques, les jeunes Autochtones constituent la population qui connaît la plus forte croissance dans cette province; comment exploiter ce potentiel et changer les attitudes?
M. Healy : La situation est pire dans le cas des jeunes, surtout des filles, qui participent au commerce du sexe. Voilà pourquoi j'ai recommandé que, si c'est le financement qui fait problème, il serait possible de contourner la difficulté en poursuivant les clients et les souteneurs pour obtenir d'eux les fonds nécessaires.
J'ai effectué une autre étude. J'ai appelé toutes les compagnies d'assurance de Saskatoon pour leur demander combien elles versent en dédommagement au titre des entrées par effraction. Les entrées par effraction, les vols de voiture et les dommages occasionnés aux véhicules sont des crimes que l'on attribue en grande partie aux jeunes. Les compagnies d'assurance m'ont dit que cela leur coûtait 5 millions de dollars par an, et on ne parle ici que des compagnies de Saskatoon. Cette facture ne comprend pas le coût des installations de garde des jeunes, des services de police ni du système judiciaire. On ne parle pas non plus des coûts subis par les propriétaires des résidences ou des voitures.
À l'époque, la police m'a indiqué que seulement 40 ou 50 jeunes de Saskatoon commettaient ce genre de crimes. Je n'étais pas d'accord avec ce chiffre, pensant qu'ils étaient plutôt quelque 200 ou 300. Mais peu importe, 5 millions de dollars divisé par 200 ou 300 enfants, cela fait beaucoup d'enfants qui ne demandent qu'une chose : trouver quelqu'un comme eux qui soit capable de les faire passer de l'arrière à l'avant de la classe.
Ce n'est pas un problème de manque d'argent, c'est un problème de culture qui consiste à dire qu'il vaut mieux contrôler les enfants que de favoriser leur épanouissement. Je ne peux être plus clair que cela.
Le sénateur Carstairs : Professeur Driedger, je tiens à vous remercier pour ce que vous avez dit et qui est l'une des phrases les plus réjouissantes que j'aie entendue depuis longtemps, à savoir que les « enfants sont des êtres humains et pas des êtres humains en devenir ». Je vous garantis que je vais la faire mienne.
Ma question s'adresse à vous deux et j'aimerais que vous y répondiez, parce qu'elle me hante depuis l'époque de la Loi sur les délinquants juvéniles, devenue la Loi sur les jeunes délinquants et enfin la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Quel message fait-on passer à la population? Cela étant, comment faire comprendre aux politiciens qu'il faut changer le modèle que nous appliquons dans le cas des enfants? C'est là, selon moi, que réside l'obstacle le plus important. Je côtoie de plus en plus de politiciens qui estiment que les mesures punitives portent fruit. Or, je sais bien, pour avoir passé 20 ans dans les salles de classe, que cette méthode ne fonctionne pas. Comment pourrais-je arriver à le faire comprendre?
M. Driedger : C'est la grande question. Je pense qu'il convient d'adopter un certain nombre d'approches, notamment, comme je le disais à la fin de mon intervention tout à l'heure, en reconceptualisant notre vision des jeunes.
Deuxièmement, il y a les véritables possibilités offertes par la justice réparatrice. Cette forme de justice, avec son orientation philosophique, nous amène à penser différemment et je crois qu'elle a du bon, à la fois pour les problèmes des jeunes et pour ceux des adultes. Nombre d'initiatives de justice réparatrice ont été lancées un peu partout au pays, y compris en Saskatchewan.
Je reconnais avec vous qu'il y a beaucoup de problèmes en Saskatchewan, mais je pense aussi qu'il s'y fait de bonnes choses, notamment grâce aux initiatives en matière de justice réparatrice. Si nous aidons la société à changer de mentalité et à opter pour des modèles de justice réparatrice — non pas en tant que solution de remplacement absolue, mais en tant que formule parallèle — nous parviendrons à combattre la polarisation. Toutefois, il faudra du temps.
À Saskatoon, par exemple, nous avons un comité qui administre des programmes d'éducation en matière de justice réparatrice et qui nous aide à envisager les choses différemment; croyez-moi, nous aurions besoin de beaucoup plus d'initiatives de ce genre.
M. Healy : C'est toute une question que vous posez. Le plus important, selon moi, c'est de ne pas se tourner a priori vers le secteur public pour voir ce que cela va donner. Je crois que le problème ne tient pas tant aux élus qu'aux appareils bureaucratiques. Je crois que les fonctionnaires doivent être conscients qu'il faut transformer les choses et qu'il faut qu'une transformation s'opère avant qu'on se réjouisse officiellement des cas de réussite. Il se trouve que les programmes que je connais, qui sont en place en Saskatchewan, sont à peine connus de la population. Les fonctionnaires devront veiller à ce que ces programmes et ces idées soient solidement ancrés, après quoi les élus pourront en faire l'article.
Il est des choses fondamentales dans une démocratie et c'est pour cela que j'ai cité Benjamin Rush tout à l'heure, selon qui le caractère précieux et unique de chacun est inhérent à la démocratie. Les élections sont l'instrument qui nous permet de veiller au respect de nos droits, mais ce n'est pas l'essence de la démocratie, puisque Hitler a été élu.
La démocratie, c'est la façon dont nous nous traitons les uns les autres et nous devons pouvoir dire à ceux qui prêchent en faveur des mesures punitives qu'elles n'ont rien à voir avec la démocratie, qu'elles sont même anti- démocratiques.
Le sénateur Nancy Ruth : Il y a quelque chose qui me perturbe beaucoup, maître Healy, lors de chaque réunion, à la lecture de chaque rapport, c'est le fait que l'on parle des « jeunes », des « enfants », de la « population de jeunes » sans jamais établir de différence entre les sexes. Tout à l'heure vous avez dit espérer que l'on parvienne un jour à trouver une façon de titiller l'imagination de ces enfants, à les amener à imaginer une vie meilleure. La vie m'a enseigné qu'il existe des différences entre les sexes, je sais que les petites filles apprennent différemment des garçons, comme le prouvent les études réalisées sur le cerveau humain. Quel genre de politique gouvernementale pourriez-vous appliquer ici, en Saskatchewan, pour refléter ces différences et pensez-vous que le fait d'utiliser des mots comme « jeune » et « enfant » sans faire de différence entre les sexes constitue un problème, surtout quand on parle d'incarcération ou de commerce du sexe?
M. Healy : Bonne question. J'ai en fait esquivé la question que vous soulevez à juste titre en affirmant qu'il faut prendre soin de chaque enfant. Chaque enfant vous dira ce qu'il a dans le cœur, quels sont ses rêves, ses aspirations, ce dont il se sent capable, ce pour quoi il est compétent et ce dans quoi il pourrait réussir. C'est la meilleure réponse que je puisse vous donner : il faut accorder toute l'attention à l'enfant et à sa capacité de réussir.
Le sénateur Nancy Ruth : Professeur Driedger, parlons des contractions éventuelles qui pourraient exister entre différentes conventions. D'aucuns prétendent que, si l'on rendait la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant exécutoire en droit canadien, cela pourrait se retourner contre les mères en droit familial. Estimez-vous que le Canada devrait intégrer toutes les conventions dont il est signataire dans son droit national? Ne pensez-vous pas que, dans certains cas, cela pourrait être source de confusion? Comment feriez-vous la part entre différents droits qui sont équitables, mais conflictuels?
M. Driedger : Nous pourrions en discuter en profondeur pendant une heure ou deux. Tout d'abord, je dirais que nous devrions aller jusqu'au bout de nos intentions quand nous signons une convention. Nous le faisons de façon générale, mais pas de façon particulière. En principe, je dirais que ces conventions ont un effet sur la politique nationale et intérieure. Je ne suis pas certain qu'il faille toutes les refléter dans nos lois. Je n'y ai pas véritablement pensé, mais je crois qu'en principe ces conventions devraient avoir un effet contraignant. Quand aux conflits éventuels entre différentes conventions, je pense qu'il faudrait examiner la chose et voir comment les régler.
C'est en fait un peu ce dont je voulais parler à propos des meilleurs intérêts de l'enfant. Il existe des conflits en la matière entre les intérêts de la famille et ceux de l'enfant, et il y a aussi des conflits du point de vue ethnique, c'est-à-dire au niveau des Autochtones ou d'autres groupes ethniques à cause des valeurs de ces groupes par rapport à celles de la société en général.
Je préférerais que nous débattions tout cela pour essayer de trouver une solution plutôt que de ne pas appliquer les conventions. Je préfère cette approche, même si elle n'est pas la plus facile.
C'est tout le problème en ce qui concerne la Loi sur les services à la famille et à l'enfant. Quelle orientation donner à ce genre de loi? La primauté doit-elle être accordée à l'enfant? La société continue de faire pression pour que la primauté soit accordée à la famille. Depuis que j'ai débuté dans ce domaine, depuis 1954, je me suis rendu compte que les choses ont changé. Avant, on accordait la primauté à l'enfant, puis, dans les lois de la Saskatchewan par exemple, on s'est mis à accorder la primauté à la famille. Certains d'entre nous se sont demandé à partir de quel niveau de violence au sein d'une famille on allait pouvoir retirer les enfants pour les placer ailleurs.
Il y aura toujours une certaine tension entre ces deux pôles et la question ne sera jamais carrément réglée; nous serons toujours en présence de ce genre de dynamique et j'irai jusqu'à dire que nous allons devoir composer avec cette situation.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Pourquoi les jeunes Autochtones sont-ils si peu instruits?
M. Driedger : Comme le disait M. Healy, je crois que le racisme joue un rôle important. Et puis, il y a tout un ensemble de raisons qui font que nous avons actuellement des problèmes avec les jeunes Autochtones. Des études sociologiques ont été réalisées, pas uniquement dans le cas des Autochtones, mais aussi à propos des collectivités qui vivent un afflux important de personnes d'origines différentes. Sous l'effet d'un afflux important de nouveaux éléments extérieurs, comme cela se passe quand une mine de potasse s'ouvre quelque part, la collectivité d'origine a tendance à se désagréger, même si elle était stable au départ. Dès qu'il y a désintégration de la collectivité, on voit apparaître tout un ensemble de problèmes sociaux dont la prostitution et la délinquance
Je crois que c'est ce qui est arrivé dans la communauté autochtone. Quand nous, les Européens, sommes arrivés dans ce pays, non seulement nous avons envahi les Autochtones, mais de plus nous les avons empêché de continuer à vivre en fonction de leur système de valeur. Nous avons placé leurs enfants dans des pensionnats et ainsi de suite et nous avons provoqué l'éclatement social de leurs communautés. C'est à cause notamment de cet éclatement que tant d'Autochtones sont pris dans les nasses de notre appareil de justice pénale. Le racisme est certes important dans tout cela, mais bien d'autres choses interviennent.
J'ai été encouragé de constater que, dans les années 70, la communauté autochtone de la Saskatchewan s'était rendue compte qu'afin de réduire l'éclatement de sa société, il lui fallait éduquer les siens. C'est alors qu'elle a produit toute une série de récits sur les aspects positifs de la culture autochtone. Elle a présenté des profils d'Autochtones ayant réussi. Elle a misé sur la fierté identitaire, ce qui est très positif.
Je suis très loin de votre question au sujet de l'éducation, mais je pense que tout cela contribue à faire avancer les choses.
Quand j'ai commencé à l'Université de Regina en 1971, on pouvait compter sur les doigts de la main les Autochtones qui y étaient inscrits. Quand j'ai pris ma retraite en 1997, nous avions l'Université des Premières nations du Canada à laquelle des milliers d'Autochtones s'étaient inscrits.
Si nous voulons régler ces problèmes-là, il faudra adopter une approche multiple.
M. Healy : Tout cela nous ramène encore à la démocratie. Quand la crise de la vache folle a éclaté, tout le monde s'est tourné vers les éleveurs et ceux qui avaient des troupeaux et on s'est mis à considérer qu'ils étaient en difficulté et qu'ils avaient besoin d'un coup de main. Cela fait des décennies que l'on sait que les Autochtones quittent les réserves pour déménager dans les villes. Les conseils municipaux se sont-ils demandé comment ils allaient loger ces gens-là? Non. Les conseils scolaires se sont-ils dit qu'ils devraient peut-être changer leurs programmes pour accueillir les enfants autochtones dans leurs écoles? Non! Le Barreau s'est-il dit qu'il fallait commencer à défendre ces jeunes faute de quoi ils entreraient en conflit avec la loi ou seraient victimisés par des propriétaires ou par d'autres? Non! Personne n'a rien fait.
C'est cela l'essence de la démocratie, mais nous n'appliquons pas la démocratie comme moyen de résoudre les problèmes, puisque nous préférons l'exercice du contrôle. On dirait qu'il suffit de dire : voici les règles, vous les respectez ou vous en subirez les conséquences. Nous sommes cependant prêts à changer les règles pour les éleveurs qui ont subi la crise de la vache folle, mais pas pour les Autochtones.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Pensez-vous que la barrière de la langue contribue également beaucoup au problème des Autochtones?
M. Healy : Je ne le pense pas.
Un professeur de l'Université de la Saskatchewan, qui était allé en Arizona ou au Nouveau Mexique, m'a dit que, là- bas, la culture autochtone vaut 5 milliards de dollars par an. Ce pourrait vrai en Saskatchewan aussi. Nous avons, chez les Autochtones, une formidable ressource parce que ces gens-là ont une façon tout à fait unique de raisonner et que les Allemands ou les Français sont friands de la culture des Cris ou des Saulteux.
Si nous appliquions l'approche démocratique, nous pourrions afficher dans toutes les entreprises des enseignes portant la mention « Nous parlons cri ». La langue cri pourrait être parlée par les Blancs tout autant que par les Autochtones. Le problème, c'est que nous n'avons pas ouvert notre société en nous disant que les Autochtones sont des citoyens à part entière, qu'ils sont nos frères et nos sœurs et que nous devons veiller à ce qu'ils réussissent, parce que c'est ce que l'on souhaite normalement pour un membre de sa famille. Au lieu de cela, nous les avons contrôlés.
M. Driedger : La langue n'est pas un grave problème, mais je pense qu'elle intervient tout de même et pas uniquement pour les Autochtones, mais aussi pour les immigrants. Je vais vous raconter une petite histoire. Un jour, une famille autochtone a accompagné son enfant malade dans une clinique. Le médecin leur a dit « Il a besoin d'un petit coup de fouet et je vais lui arranger ça! »; loin de penser que c'est d'un remontant dont parlait l'omnipraticien, la mère s'est mise à pleurer pensant qu'il allait battre son enfant.
La présidente : Aucun de vous n'a parlé de ce qui a été fait de bien en Saskatchewan, du fait que les leaders autochtones se sont attaqué aux problèmes de l'enfance, que ce soit par le truchement de la Federation of Saskatchewan Indian Nations ou par celui des ONG autochtones. N'est-ce pas là une tendance positive? À moins qu'on ne retrouve les mêmes problèmes si le leadership autochtone adulte ne tient pas compte de la situation de la jeunesse?
Je vais vous poser deux questions. D'abord, quelle répercussion l'augmentation de l'autonomie et du niveau de responsabilité des collectivités autochtones a-t-elles sur les problèmes des jeunes et des enfants? Deuxièmement, constate-t-on dans la communauté les mêmes conflits entre adultes et enfants que dans le reste de la société?
M. Driedger : Tout à l'heure, j'ai brièvement répondu à votre première question en disant que les choses évoluent parce que certains mises sur la fierté identitaire et les récits autochtones. Les responsables des communautés autochtones ont joué un rôle très important et c'est l'une des raisons pour lesquelles je suis optimiste.
Quand je travaillais au ministère des Services sociaux, il y a plusieurs années de cela, j'étais plutôt pessimiste parce que je voyais toujours les problèmes. Quand j'ai commencé à enseigner à l'université, je me suis mis à voir le bon côté des choses, surtout dans le cas des initiatives autochtones en matière de problèmes de l'enfance et des initiatives prises par la société en général. Je ne suis pas aussi pessimiste que vous semblez l'être à propos des initiatives de la Saskatchewan. Je vois beaucoup de signes encourageants et il est certain que l'évolution du leadership de la communauté autochtone est importante.
Je crois qu'il existe, malgré tout, les mêmes problèmes entre adultes et enfants. Ce genre de chose est illustré par un exemple, celui de la protection et du placement des enfants parce que, s'il est très important pour les Autochtones de garder les enfants au sein de la communauté, il ne faut pas oublier que cela obéit à la volonté des adultes de ne pas « perdre » leurs enfants. Certains enfants pourraient être d'accord, mais demander à ce qu'on ne les prive pas de soins. Je pense donc que l'on retrouve à peu près la même dynamique dans la communauté autochtone.
M. Healy : Si je suis ici, c'est parce qu'un leader autochtone m'a demandé de venir. Je pense, bien sûr, que le leadership autochtone est très important, mais nous sommes tous des êtres humains et nous sommes toujours aux prises avec la question de savoir quelle est la bonne chose à faire dans les circonstances. Nous sommes tous aux prises avec les mêmes dilemmes moraux et il nous arrive tous de ne pas comprendre certaines choses. Je suis bien sûr encouragé par ce que font les dirigeants autochtones ainsi que par la largesse et la sagesse d'un grand nombre de mes confrères autochtones. Je suis également enthousiasmé par ce que j'ai lu au sujet de la culture autochtone telle qu'elle a été pratiquée durant des centaines d'années sur ce territoire.
Ce qui m'inquiète c'est qu'on en vienne à dire « c'est un problème autochtone et ce sont les Autochtones qui devraient le régler ». Cela m'inquiète parce que nous formons un couple avec eux, nous sommes des frères et des sœurs. Il peut arriver que nous ne soyons pas d'accord, pas comme deux races qui ne s'entendent pas parce que ce serait triste, mais que nous divergions d'opinion en tant qu'êtres humains.
Tandis que nous réfléchissons pour formuler notre vision d'une Saskatchewan où il serait plus agréable de vivre, d'aucuns pourraient toujours dire que je raconte des foutaises, que ce que je condamne est bien réel et que je suis dans l'erreur. Pour parvenir à plus de sagesse, les êtres humains doivent débattre et converser entre eux. Dans une culture du contrôle, il n'est pas inhabituel que certains disent « Ça, c'est leur problème, c'est à eux de le résoudre ». Or, ce n'est pas leur problème, c'est notre problème et il nous appartient, à nous tous, de le résoudre.
La présidente : Nous avons épuisé le temps qui nous était imparti, mais j'aurais aimé que nous ayons plus de temps pour parler des besoins particuliers des enfants de la Saskatchewan, comme de la question du syndrome d'alcoolisme fœtal ou d'autres problèmes et incapacités que nous connaissons. Il aurait été bien que nous puissions passer plus de temps sur ces sujets. Merci beaucoup de nous avoir fait part de votre expérience et de vos réflexions. Nous en aurons certainement retiré quelque chose.
Betty-Ann Pottruff, directrice exécutive, Planification des politiques et de l'évaluation, ministère de la Justice, gouvernement de la Saskatchewan : Sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole devant votre comité. Je suis accompagnée d'un certain nombre de fonctionnaires d'autres ministères et, quand nous en arriverons aux questions, je leur demanderai éventuellement de vous répondre si le sujet abordé relève davantage de leurs compétences.
L'une des raisons pour lesquelles nous sommes aussi nombreux, c'est que nous nous intéressons tous aux jeunes et aux droits des enfants et que nos ministères travaillent en étroite collaboration pour promouvoir les droits des enfants et la justice réparatrice pour les jeunes, et que nous administrons de nombreux autres programmes ensemble. Je suis donc simplement la porte-parole d'un groupe de ministères qui mènent un effort coordonné. Je vais vous faire part du point de vue du ministère de la Justice et de celui du gouvernement provincial.
Le mémoire que nous avons remis au comité est ambitieux et je ne vais certainement pas vous lire les 27 pages qui le composent en cinq minutes. Toutefois, sachez que ce mémoire était destiné à vous renseigner sur l'éventail des questions de justice juvénile en ce qui concerne nos programmes. Par ailleurs, nous avons réagi à certaines questions traitées dans votre rapport intérimaire et au chapitre six intitulé Plans d'avenir pour essayer de vous donner une idée de notre position à cet égard.
Je trouve que les intervenants précédents ont dit quelque chose d'important, soit que la Saskatchewan applique le principe de la justice réparatrice dans le cas des jeunes. Je suis consciente que M. Healy a un point de vue différent sur ces questions-là, mais au fur et à mesure que nous avancerons dans notre témoignage, vous constaterez que la province a adopté des mesures importantes en faveur de la justice réparatrice et en vue de réformer le système de justice juvénile.
De plus, nous essayons de relever le défi auquel est confronté notre province qui connaît malheureusement le taux de criminalité le plus élevé au pays, lequel taux de criminalité a des répercussions sur notre façon de réagir par ailleurs.
Le nombre élevé de jeunes autochtones et de jeunes en général qui se retrouvent placés ou confiés aux soins du ministère des Ressources communautaires ou du ministère des Services correctionnels et de la Sécurité publique est le résultat de situation désavantageuse dans laquelle se retrouvent leurs communautés d'appartenance. Nous sommes conscients de ces problèmes et, depuis un certain temps déjà, le gouvernement verse des sommes importantes pour répondre aux besoins des Autochtones, plus particulièrement, depuis deux ou trois ans, dans le domaine de la justice.
Dans les documents qui vous ont été remis, vous trouverez un exemplaire du modèle de services à la jeunesse qui a été conçu en 1999-2000 par différents ministères; il nous sert de gabarit à l'échelle de la province. C'est d'ailleurs sur ce gabarit que nous nous sommes appuyés pour mettre en œuvre la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents afin d'essayer d'obtenir les meilleurs résultats possible chez les jeunes ayant commis des écarts de conduite. Nous ne qualifions pas systématiquement ces jeunes de délinquants sous prétexte qu'ils se sont écartés un temps soit peu du droit chemin et nous ne recourons pas systématiquement à l'appareil de justice pour jeunes, puisque nous appliquons aussi d'autres méthodes.
Nous estimons que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est appliquée conformément aux principes énoncés dans le texte et que nous parvenons à modifier les réponses apportées aux écarts de conduite ou aux infractions dont les jeunes se rendent coupables. Comme vous pourrez le constater à la page 3 de notre mémoire, le nombre de fois où la police a exercé son pouvoir discrétionnaire et où l'on a réglé hors cour a considérablement augmenté. Nous avons noté une diminution de 13 p. 100 du nombre de jeunes ayant été officiellement mis en accusation en Saskatchewan. Les services de police ont sensiblement augmenté le nombre d'interventions auprès des jeunes faisant intervenir des moyens non traditionnels. On a même réclamé à la police provinciale de dispenser un programme de mise en garde. Nous avons élaboré, puis approuvé cette procédure au printemps dernier et les documents relatifs à cet aspect sont également disponibles.
Ce faisant, nous avons constaté que le nombre de jeunes traduits devant les tribunaux et pris en compte dans les programmes correctionnels a diminué. Le nombre de ceux qui ont été traduits devant un tribunal ou qui ont été pris en compte dans un programme correctionnel a diminué de 25 p. 100. Comme on pouvait s'y attendre, on voit de moins en moins de jeunes de 12 et de 13 ans et de moins en moins de primo-délinquants; la proportion des 16 et 17 ans qui ont des antécédents est en progression par rapport à la moyenne globale.
Les types de condamnations ont également changé. On constate que les juges confient de moins en moins les jeunes à la garde, qu'ils prononcent moins de peines communautaires et de peines autres que la garde, et qu'ils ont de plus en plus recours à des solutions de rechange ainsi qu'à des mesures et des peines extrajudiciaires.
Nous avons modifié notre approche vis-à-vis du risque global que présentent ces jeunes et des besoins qu'ils éprouvent, ainsi que des raisons pour lesquelles ils ont des démêlés avec la justice. Nous essayons de trouver des façons de répondre à leurs besoins pour changer ce qui leur vaut d'être traduits devant l'appareil de justice. Nous intervenons véritablement en fonction des besoins des jeunes, plutôt que pour essayer de les contrôler comme cela vous a été dit tout à l'heure.
À la page 5 de notre document, nous expliquons que 62 p. 100 des jeunes délinquants et 85 p. 100 des jeunes placés sous garde représentent des risques élevés voire très élevés de récidive. La présence d'une telle multitude de facteurs montre que leur vie est bouleversée, ce qui explique leurs écarts de conduite. Ils peuvent être toxicomanes ou appartenir à un milieu familial défavorable si ce n'est violent, autant de facteurs auxquels nous essayons de nous attaquer par le biais des programmes que nous administrons afin que ces jeunes ne récidivent pas ou que leur récidive soit moins grave.
Nous avons élaboré des programmes d'éducation, notamment pour favoriser la transition entre la garde et l'école ou un système d'éducation communautaire dans lequel les jeunes se retrouvent à leur sortie.
Nous avons lancé des projets modèles de service à la jeunesse à Regina et à Prince Albert, et nous tenons d'ailleurs à votre disposition les évaluations de ces projets pilotes. Ceux-ci nous ont permis de mobiliser des collectivités et des institutions communautaires afin de mettre sur pied des programmes d'emploi et autres s'adressant aux jeunes. Nous avons lancé énormément de programmes axés sur les jeunes Autochtones en réponse aux recommandations de la Commission on First Nations and Métis Peoples and Justice Reform.
Nous avons amplement recours aux mesures de rechange, plus que n'importe où ailleurs au pays, et nous avons constaté que celles-ci portent fruit dans 93 p. 100 des cas qui, en 2004-2005, concernaient plus de 3 500 jeunes.
Nous avons également des programmes ciblés sur des volets particuliers de la délinquance. Par exemple, notre stratégie de lutte contre le vol d'automobiles à Regina — qui fait appel à une combinaison de surveillance, de contrôle des régimes et des peines de garde, d'éducation et de rééducation, de même qu'à des mesures de rechange dans le cas des primo-délinquants — a permis de réduire le nombre de vols d'automobiles de 44,1 p. 100.
Nous appliquons différentes approches pour essayer de nous attaquer aux problèmes que représentent les jeunes, et force est de reconnaître que nous continuons de faire face à un certain nombre de défis. Il demeure que la situation est loin d'être sombre et nous aimerions vous laisser sur l'impression que, s'agissant du nombre de crimes commis par les jeunes, s'agissant du nombre de ceux qui bénéficient d'une instruction, les choses sont en train d'évoluer. De plus en plus de jeunes autochtones sortent avec un diplôme en main de l'école ou, comme le disait le professeur Driedger, de l'université, et ils sont de moins en moins nombreux à être judiciarisés parce qu'ils bénéficient de mesures de rechange, outre que l'on compte de plus en plus de programmes qui s'adressent aux jeunes autochtones.
Certains de ces programmes correspondent à la réponse que la province a donnée au rapport de la Commission on First Nations and Métis Peoples and Justice Reform. En 2005, la province investissait 48 millions de dollars et elle en a investi 80 millions en 2006. Nous continuons de travailler à la mise en œuvre des recommandations de la commission.
Nous avons notamment lancé le projet Hope qui bénéficie de fonds importants pour lutter contre la consommation abusive d'alcool et d'autres drogues — problème non négligeable chez les jeunes, surtout chez les jeunes autochtones. De nouveaux fonds ont été débloqués pour les initiatives d'éducation et de lutte contre les bandes de rue, de même que pour les projets de santé mentale des enfants et des jeunes. Nous travaillons de concert avec les municipalités du Nord à la réalisation d'un projet destiné à évaluer les besoins des jeunes de cette région que nous cherchons à cibler.
De nombreux partenaires travaillent avec les communautés des Premières nations; beaucoup sont d'ailleurs mentionnés dans le document que vous avez devant vous. Nous continuons à progresser dans le sens de la justice réparatrice, sous la forme des tribunaux thérapeutiques et des mesures de rechange, et nous travaillons avec les comités de justice communautaire. Nous croyons que cette approche va nous aider à régler ce genre de problème.
Toutefois, tout est question d'équilibre parce que, si l'on est en présence d'un délinquant, c'est qu'il y a aussi une victime quelque part et un milieu où des infractions ont eu lieu. Il faut réaliser l'équilibre entre les besoins de sécurité du milieu et de la victime et la réaction aux actes du délinquant afin de réduire ou de stopper les comportements délictueux.
Pour ce qui est de la sensibilisation à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, je vous ai fait distribuer un livret qui a été préparé en collaboration avec plusieurs ministères provinciaux. Il présente ce qu'un enfant doit savoir et précise les dispositions de la convention et celles de la loi provinciale pour mieux faire connaître ce genre de choses. Nous sommes en train de le réviser et de voir si nous devons en produire un pour les jeunes et les enfants et un autre pour les adultes et les familles.
Par ailleurs, la Public Legal Education Association of Saskatchewan a produit un grand nombre de documents utilisés dans les écoles à propos de la Convention des Nations Unies. S'agissant de la participation des jeunes à la prise de décisions, à partir de la page 14 du document, nous citons les lieux où il existe des comités de jeunes qui assument un rôle consultatif très important auprès du gouvernement, sur les questions intéressant les jeunes; ces comités sont des points de contact pour le gouvernement et ils servent à la consultation des jeunes.
Nous essayons, sur plus d'un front, de faire participer davantage les jeunes à la prise de décisions. Le comité consultatif provincial des jeunes, qui est le porte-parole de la jeunesse, est le produit d'un projet pilote mené par les Services de la jeunesse de Regina. Il y a également le Saskatchewan Youth in Care and Custody Network dont on devrait vous parler un peu plus tard.
Nous vous avons aussi fourni beaucoup de renseignements sur la santé, question dont vous traitez au chapitre 6 de votre rapport. Je me propose de commenter deux ou trois aspects à propos desquels nous vous informons dans ce document.
Il y a d'abord la question des programmes concernant les enfants atteints d'un handicap. Nous prenons acte de l'importance du syndrome d'intoxication fœtale à l'alcool, mais les troubles cognitifs sont beaucoup plus répandus et notre réaction face à ce problème est également beaucoup plus vaste. La question de la responsabilité législative et financière et de la coordination des services fait problème en ce qui concerne la prestation des services aux Autochtones handicapés.
La pauvreté est un problème qui touche de nombreux enfants autochtones, mais à l'échelon provincial, nous pensons détecter une amorce d'amélioration. Le nombre de familles autochtones bénéficiant du bien-être social a diminué de 37 p. 100 de janvier 1995 à janvier 2005.
Cela dit, force est de constater que la Saskatchewan est la province qui connaît le plus haut niveau de pauvreté autochtone au Canada. Nous ne sommes évidemment pas satisfaits de ces chiffres, mais d'après certains indices, nous pensons que nos tentatives visant à régler certaines des causes sous-jacentes dont souffrent les communautés sont en train de donner des résultats.
L'année dernière, nous avons indiqué au comité sénatorial que le gouvernement provincial a lancé un certain nombre d'initiatives dans le cadre de sa stratégie visant à réduire l'exploitation sexuelle des enfants. Voici un rapport qui fait le point sur ce projet. Nous avons accompli beaucoup, puisque nous sommes parvenus à donner suite à 48 des 49 recommandations formulées en 2002 par le comité conjoint spécial. Il reste encore certaines choses à faire et le défenseur des enfants en a parlé la semaine dernière.
Dans notre document, nous fournissons une description complète des programmes de protection de l'enfance offerts par la province ainsi que des partenariats que nous avons conclus avec les communautés de Première nation. En tout, nous nous occupons de plus de 4 000 enfants dont 1 000 ont été confiés aux soins d'organismes de Premières nations. Il s'agit-là d'un véritable partenariat qui tient compte de toute la gamme des réponses à apporter au problème de la garde, notamment par la parenté. La première de ces solutions ne consiste pas à retirer les enfants de leur foyer ou de leur communauté et nous essayons toujours de trouver des solutions de rechange qui soient plus favorables à l'enfant.
La dernière question dont je parle dans le document est celle du châtiment corporel, simplement pour vous signaler que le gouvernement provincial a apporté des modifications à sa Loi sur l'éducation afin de confirmer sa politique d'interdiction des châtiments corporels à l'école, dans les autres établissements provinciaux ou dans le cadre des programmes qu'elle finance pour les enfants confiés à ses soins ou à sa responsabilité.
Voilà qui met un terme à ce bref survol de la situation de notre province. Nous pourrions évidemment vous en dire beaucoup sur la réponse que nous apportons aux questions de justice autochtone. Tout ce dossier nous mobilise depuis plusieurs années déjà et le gouvernement est véritablement déterminé à agir en réponse à ce problème et à travailler en partenariat avec les communautés autochtones pour le bien-être des enfants et des jeunes, en fait pour le bien-être de tous les membres des communautés concernées.
La présidente : Je sais que vous aimeriez en dire bien davantage, mais nous avons vos documents, ceux que vous avez fait produire pour le comité et les autres, et nous nous réjouissons que vous nous les ayez remis.
Marvin Bernstein, défenseur des droits des enfants, Bureau du défenseur des droits des enfants de la Saskatchewan : Merci de nous avoir donné l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Je suis accompagné de l'avocate adjointe de mon bureau, Glenda Cooney.
Nous partons d'un grand principe : même si le Canada et la Saskatchewan sont généralement préoccupés par la défense des droits et des intérêts des enfants, et même s'il se trouve dans notre province d'excellentes personnes qui veulent véritablement améliorer le bien-être des enfants, nous nous disons que les deux ordres de gouvernement pourraient faire davantage au titre de leurs obligations en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
Nous vous invitons à consulter, en plus de notre mémoire, la présentation que nous avions faite devant la Commission des Nations Unies pour les droits de l'enfant, lors du débat général, présentation qui, je crois, a été envoyée au comité sénatorial la semaine dernière.
Nous vous invitons également à examiner quatre autres documents produits par notre bureau. Ils sont mentionnés dans le mémoire très long que nous vous avons fait remettre et vous pouvez aussi les consulter en ligne sur notre site Web à l'adresse www.saskcao.ca.
Le premier document en question s'intitule CAO Perspectives on Corporal Punishment and Saskatchewan Children, volume 1, no 1, de février 2005. Le deuxième est un rapport spécial, The Youth Drug Detoxification and Stabilization Act. La semaine dernière, j'ai également déposé deux autres rapports : Investigative Report of the Oyate Safe House et Beyond `at Risk' Children Systemic Issues Report regarding Sexually Exploited Children and Oyate Safe House.
Nous avons trois grands messages à vous adresser. Tout d'abord, il faut faire passer les enfants d'abord et nous devons les protéger contre toutes les formes de violence et de préjudice. La responsabilité de protéger les enfants et d'éviter qu'ils soient victimes de préjudice incombe au gouvernement qui doit veiller à ce qu'ils puissent grandir et s'épanouir dans un milieu sûr. À cet égard, il convient d'agir très rapidement pour abroger l'article 43 du Code criminel du Canada. Je vais également vous parler un peu de ce que la province peut faire dans ce domaine.
Deuxièmement, il faut encadrer les droits de l'enfant dans nos lois fédérales et provinciales et dans le cadre d'une action jumelée. Il s'agit-là d'une première étape nécessaire pour garantir les intérêts et le bien-être de nos enfants. Ottawa doit surveiller plus activement la façon dont les provinces et les territoires s'acquittent de leurs obligations de prendre en compte et d'appliquer dans leurs lois, politiques et pratiques les principes de la Convention des Nations Unies.
Troisièmement, il convient de nommer un commissaire à l'enfance chargé de contrôler les services offerts aux enfants à l'échelon fédéral afin de promouvoir une gouvernance efficace et responsable en la matière et d'offrir des services uniformisés à tous les enfants. De plus, le Canada doit véritablement inciter les provinces et les territoires à nommer, à leur niveau, des avocats ou défenseurs indépendants qui se chargeront de défendre la cause des enfants.
Compte tenu du peu de temps qui m'est alloué, je vais directement passer à nos recommandations.
Tout d'abord, nous recommandons que le gouvernement du Canada adopte une loi d'habilitation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, loi qui aurait un caractère exécutoire pour les provinces et les territoires.
On dirait parfois qu'il existe une coupure entre ce qui se fait à l'échelon fédéral et ce qui se fait à l'échelon provincial. Cela étant, il convient de mettre en œuvre un mécanisme de surveillance visant à s'assurer que ce genre de loi sera appliqué par les provinces. C'est là une chose que je prends très au sérieux étant donné mon rôle de défenseur des enfants dans cette province et de mandataire indépendant de l'Assemblée législative.
Deuxièmement, nous recommandons que le gouvernement du Canada fasse preuve de leadership en persuadant et en surveillant de façon proactive les provinces et les territoires pour s'assurer qu'ils adhèrent à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qu'ils la prennent en compte et qu'ils l'appliquent dans toutes leurs lois, politiques et pratiques concernant les enfants.
Dans notre présentation, nous soutenons que le gouvernement de la Saskatchewan tarde à faire siens les principes de la Convention des Nations Unies et à les incorporer dans ses lois, politiques et pratiques en vue de les mettre en œuvre. Dans notre mémoire, nous relevons quelques défauts graves dans la Loi sur les services à la famille et à l'enfant de même que dans la toute récente Loi sur la stabilisation et la désintoxication des jeunes toxicomanes.
Il convient tout particulièrement de remarquer, en ce qui a trait à l'accès à la justice et à l'article 12 de la Convention des Nations Unies, que, contrairement aux autres lois provinciales et territoriales de protection de l'enfance, la loi de la Saskatchewan sur les services à la famille et à l'enfant interdit explicitement qu'un enfant soit partie à une procédure et donc qu'il puisse directement participer à des poursuites en matière de protection de l'enfance, quel que soit son âge.
De plus, en ce qui concerne l'accès à la justice, la loi de la Saskatchewan sur la stabilisation et la désintoxication des jeunes toxicomanes, qui est la première du genre au Canada, s'articule autour d'un modèle de santé mentale qui semble aller à l'encontre d'un certain nombre d'articles de la Convention des Nations Unies, plus précisément des articles 12 et 37. Dans notre mémoire, nous précisons les problèmes d'équité procédurale, de droit de notification, de représentation légale et d'autres préoccupations annexes.
En ce qui a trait à la question de l'accès à la justice et de la Loi sur les services à la famille et à l'enfant, notre mémoire traite de l'absence de mécanismes pérennes pour permettre aux enfants de bénéficier d'une représentation légale indépendante. Pour l'instant, cette représentation dépend dans une large mesure du tribunal chargé d'entendre la cause de protection de l'enfant. Contrairement à la Cour du Banc de la Reine, les tribunaux inférieurs de la province n'ont pas compétence en la matière et l'on constate donc l'application d'un traitement différent en vertu de la loi. Cette situation exige un amendement législatif.
Comme on peut le lire dans les deux rapports Oyate, contrairement à la plupart des autres provinces et territoires canadiens, la partie qui présente l'objet de notre loi provinciale sur les services à l'enfant et à la famille ne précise pas que l'enfant doit avoir la primauté. Le fait que l'on n'accorde pas la primauté aux meilleurs intérêts de l'enfant est en complet décalage par rapport à ce que font la plupart des autres provinces et territoires et n'est pas conforme à l'article 3 de la Convention des Nations Unies. Je conclus donc que la philosophie qui sous-tend la loi de la Saskatchewan sur les services à la famille et à l'enfant enfreint clairement l'article 3.
Le gouvernement du Canada est investi d'une responsabilité envers tous les enfants, surtout envers les enfants des Premières nations qui relèvent de la compétence fédérale et nous recommandons donc qu'Ottawa nomme un commissaire, un défenseur ou un ombudsman pour les enfants. Il n'existe pas de défenseur indépendant des enfants des Premières nations qui pourrait s'assurer que ceux-ci bénéficient des services auxquels ils ont droit en vertu des traités et des lois. Il faut que quelqu'un soit directement responsable de veiller à la protection des droits de ces enfants dans toutes les mesures prises par le gouvernement fédéral.
Mes homologues défenseurs des enfants dans les autres provinces et territoires et moi-même cherchons à combler ce vide grâce au Canadian Council of Provincial Child and Youth Advocates auquel nous appartenons et nous essayons de mobiliser Ottawa chaque fois que sa politique a des répercussions sur le droit des enfants. Nous pouvons bien évidemment défendre les intérêts des enfants dans nos provinces respectives en appliquant la loi fédérale, mais on constate un vide très net à l'échelon fédéral. Nous aimerions pouvoir collaborer avec un commissaire canadien aux droits de l'enfant.
Nous recommandons aussi que le gouvernement du Canada incite toutes les provinces et les territoires à nommer leurs propres défenseurs indépendants des droits des enfants. Nous pensons que la recommandation formulée en 2003 par la Commission des Nations Unies sur les droits de l'enfant — à savoir que chaque territoire doit nommer un défenseur véritablement indépendant des droits de l'enfant — n'a pas été respectée. Non seulement certains défenseurs des droits de l'enfant continuent de devoir directement faire rapport à des fonctionnaires fédéraux, mais ni le Nouveau- Brunswick, ni l'Île-du-Prince-Édouard ni les trois territoires n'ont créé cette fonction.
Nous estimons que le gouvernement fédéral doit inciter toutes les compétences concernées à prendre les mesures nécessaires en vue de nommer des défenseurs indépendants des droits de l'enfant. À cet égard, nous recommandons au comité de s'inspirer de la loi de la Saskatchewan relative à l'ombudsman et au défenseur des droits de l'enfant qui pourrait servir de modèle aux autres provinces et territoires.
Enfin, nous recommandons que le gouvernement du Canada abroge rapidement l'article 43 du Code criminel. Nous estimons que le jugement rendu par la Cour suprême du Canada correspond à une lecture décousue de l'article 43 du Code criminel qu'il semble reformuler. Le jugement ne tient pas compte des droits égaux et fondamentaux de l'enfant considéré en tant qu'être humain, droits qui sont garantis par les articles 19, 28(2) et 37 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. La Cour suprême a appliqué un ensemble de principes juridiques qui sont à la foi confus et déshumanisants puisqu'ils abaissent les enfants canadiens au rang de mini personnes jouissant de droits humains diminués. Depuis que la Cour suprême a rendu cette décision, de nombreux tribunaux inférieurs ont transformé ce qui semblait être des limites absolues en limites discrétionnaires.
Au fil du temps, de plus en plus de preuves non scientifiques nous montrent les dégâts occasionnés par les punitions corporelles et le fait que l'opinion publique est de plus en plus favorable à l'interdiction de ce genre de punitions et que de plus en plus de pays éclairés interdisent le recours au châtiment corporel dans des lois civiles. J'estime qu'il est temps que le Canada agisse en la matière, faute de quoi il s'exposera à l'opprobre internationale.
Le Children's Advocate Office de la Saskatchewan et le Canadian Council of Provincial Child and Youth Advocates ont adopté une déclaration conjointe qui fait autorité en matière de châtiment corporel infligé aux enfants et aux jeunes. Cette question me tient beaucoup à cœur, d'autant que j'ai fait partie de l'équipe d'avocats qui a représenté l'un des intervenants dans cette cause constitutionnelle portée devant la Cour suprême.
Je prends acte du très bon travail de ma province qui a modifié sa loi sur l'éducation en vue d'interdire le recours à la punition corporelle dans les écoles. Cependant, je l'invite à aller plus loin en interdisant le recours à la punition corporelle par une mention dans sa loi sur les services à la famille et à l'enfant. J'applaudis le conseil scolaire des écoles publiques de Saskatoon qui a été le premier au Canada à endosser la déclaration conjointe sur les punitions physiques des enfants et des jeunes.
Dans nos documents, nous citons l'Observation générale No 8 du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, en particulier le paragraphe 39 qui est une recommandation dont je vous fais lecture :
Le Code de la famille devrait également indiquer de manière positive que, parmi les responsabilités des parents, figure la fourniture d'une orientation et de conseils appropriés aux enfants sans recours à une quelconque forme de violence.
Cette phrase laisse entendre que les provinces et les territoires pourraient et devraient apporter des modifications à leur loi sur la protection des enfants de même qu'à leur loi sur l'éducation afin d'y adjoindre des dispositions civiles interdisant le recours au châtiment corporel.
Le sénateur Andreychuk : Merci à vous tous. Je suis consciente que ce sujet exigerait toute une journée d'audience pas simplement une heure, mais vos documents nous sont très utiles.
Le sénateur Carstairs : Ma question s'adresse à Mme Pottruff. Vous avez repris une phrase que l'on entend souvent, c'est-à-dire que pour tout délinquant, il y a une victime. J'ajouterai personnellement que, dans presque tous les cas, le délinquant a lui-même été une victime et que la victimisation s'est produite bien longtemps avant que celui ou celle qui a en été l'objet ne se place hors la loi. Pourquoi est-ce qu'on ne précise pas, chaque fois que l'on dit une chose du genre « pour tout délinquant, il y a une victime », que les délinquants ont presque systématiquement tous été des victimes? Certains auront été trahis par les services sociaux ou par leurs familles, à moins qu'ils ne soient nés avec un handicap. Pourquoi n'en parle-t-on pas?
Mme Pottruff : Je vais vous donner une brève réponse après quoi je céderai la parole à M. Kary. Je pense que nous en parlons parce que nous nous intéressons aux besoins des jeunes et que nous cherchons à voir ce qu'il faut faire pour que le système y réponde.
Bob Kary, directeur exécutif, Programmes des jeunes contrevenants, Services correctionnels et sécurité publique, gouvernement de la Saskatchewan : En 2003, à la faveur de l'entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, nous avons entièrement revu notre approche vis-à-vis des jeunes délinquants. Le résultat n'est pas une réponse absolue, mais une approche fondée sur les besoins. Nous tentons de comprendre les besoins de l'enfant, ce qui ne se limite pas simplement au risque de récidive. Nous prenons en compte leurs besoins en matière d'enseignement, d'emploi, de vie familiale, de logement et ainsi de suite, et l'approche que nous adoptons consiste à concevoir un plan susceptible de répondre à l'ensemble de ces besoins.
La planification dans le cas d'un jeune délinquant ne revient pas simplement à prévoir des peines de détention, puisqu'il faut songer à son instruction, à son emploi, à son bien-être, à sa santé mentale, à tous les aspects susceptibles d'influer sur sa vie de jeune. C'est en appliquant cette approche tous azimuts que nous essayons de régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Nous pouvons, par exemple, prendre la question de la victimisation en examinant les différents aspects qui font que le jeune tombe dans la délinquance, ce qui nous ramène en partie à ce dont vous parliez. De plus, il existe des programmes s'adressant à certains jeunes qui ont pour objet de les aider à ne plus être des victimes parce que, comme quelqu'un l'a dit, il y a beaucoup de recoupements entre le bien-être de l'enfant et la situation des jeunes que l'on retrouve dans la rue; ce sont là autant de questions qu'il convient de régler.
Le sénateur Carstairs : Les mots sont importants et lorsqu'on établit un lien entre le délinquant et la victime sans préciser que le délinquant lui-même a été victime, on oublie ce dernier parce que, tout ce qu'on dit dans la rue, au Parlement et dans les assemblées législatives provinciales, c'est qu'il faut protéger les victimes. On ne parle plus du délinquant en tant que victime.
Glenda Cooney, défenseur adjoint des droits des enfants, Bureau du défenseur des droits des enfants de la Saskatchewan : Le rapport de la Commission on First Nations and Métis Peoples and Justice Reform, que l'on peut consulter sur le site Web du ministère de la Justice de la Saskatchewan, établit un lien parfait entre les enfants qui ayant été pris en compte par la protection de la jeunesse et le phénomène de délinquance. Un pourcentage élevé de ces enfants ont été victime de mauvais traitements et se sont ensuite retrouvés dans le système de justice pénale pour jeunes.
En Saskatchewan, les enfants autochtones sont surreprésentés à la fois dans les services de protection de la jeunesse et dans le système de justice pénale pour les jeunes. Même si ce pourcentage diminue, il demeure l'un des plus élevés au Canada. Les Autochtones sont donc représentés de façon disproportionnelle. Nombre de ces enfants vivent dans des réserves, qui relèvent du fédéral, et la norme de traitement est différente dans leur cas. Ils n'ont pas accès au logement ni à des services préventifs susceptibles d'aider la famille. C'est toute la politique publique relative à la prestation des services fédéraux dans les réserves qu'il faut modifier. La victimisation de ces enfants ne cessera pas tant que nous n'offrirons pas des services appropriés dans les réserves pour aider les enfants dans leur milieu familial et répondre à leurs besoins avant toute chose.
Le sénateur Munson : Monsieur Bernstein, nous avons entendu des témoignages contradictoires tout à l'heure et j'aimerais recueillir votre avis sur la situation en Saskatchewan. Nous avons entre autres entendu M. Healy qui travaille sur le terrain en qualité d'avocat de l'aide juridique représentant les jeunes de la Saskatchewan. Il nous a dit qu'en Saskatchewan la supervision et le contrôle semblent malheureusement être la norme. Les programmes sont sous- financés. Il a exprimé ses craintes, par exemple en nous déclarant « Je crains que nous n'ayons affaire à du racisme ». D'un autre côté, les fonctionnaires provinciaux nous disent que la situation n'est pas aussi sombre qu'il y paraît et que les choses sont en train d'évoluer.
En votre qualité de défenseur des enfants, comment percevez-vous la situation en Saskatchewan à l'heure actuelle et êtes-vous suffisamment financé?
M. Bernstein : Je pense que beaucoup de gens déterminés travaillent très fort pour changer les choses par le biais d'un certain nombre d'initiatives. Depuis ma prise de fonctions, je suis impressionné par la qualité de l'engagement des fonctionnaires qui se préoccupent beaucoup des besoins des enfants et qui essaient de servir leurs intérêts au mieux.
L'activité est souvent intense, mais ce qui semble faire parfois défaut, c'est la coordination, la formulation d'une vision, l'impression d'une orientation, l'intégration des services et le travail en partenariat. Il m'est parfois très difficile de me faire entendre quand je parle des droits de l'enfant. Il arrive, dans les discussions et les discours sous-jacents, que certains invoquent la menace pesant sur les droits des parents, les droits de l'enfant semblant porter ombrage à ceux de la famille. Pour contrer ce genre d'arguments, nous rappelons l'importance qu'il y a de respecter la dignité de tout être humain ainsi que les droits fondamentaux des enfants, et nous soutenons qu'à moins de s'engager envers ce principe, notre société paiera un lourd tribu collectif dans l'avenir.
Il faut peu à peu éduquer la population afin de faire passer la notion voulant que les enfants ont des droits qu'il convient de respecter, et qu'il faut leur accorder une voix, par exemple devant les tribunaux, comme je le disais. Personnellement, toutes ces choses-là m'apparaissent évidentes, mais force est de constater que ce n'est pas le cas pour tout le monde. Il reste donc encore beaucoup à faire.
L'exploitation sexuelle des enfants est le thème d'un rapport que j'ai déposé la semaine dernière : Beyond `at Risk' Children. Nous avons constaté des problèmes de nature terminologique à l'examen des dossiers des travailleurs de la protection de la jeunesse et des autres fournisseurs de services. On y décrit souvent ces enfants comme étant des « prostitués » ou des « travailleurs des rues » ou encore des « racoleurs », ce qui ne fait qu'occulter le phénomène de victimisation.
Nous avons encore beaucoup à faire en Saskatchewan pour faire accepter le fait que les enfants sont des victimes, qu'ils ont des droits que l'on doit respecter et appliquer au quotidien.
Vous m'avez posé une question au sujet du niveau de financement de mon bureau et du travail que nous faisons. Eh bien, nous sommes investis d'un mandat très vaste qui fait que nous sommes tout à fait particuliers au Canada. Nous avons été le premier bureau indépendant de défense des enfants au Canada. Il n'en existe que huit du genre, dont quatre sont indépendants, bien que certains de ces bureaux aient compétence en matière de protection de l'enfance. Nous avons une compétence très large sur la prestation des services offerts par les ministères et organismes provinciaux.
Je suis en outre l'ombudsman des enfants, ce qui veut dire que je ne prends pas uniquement faits et causes pour eux, à titre individuel, mais que je réalise des enquêtes institutionnelles et particulières, que j'examine les décès d'enfants et que je me penche sur tous les cas où quelqu'un a infligé des blessures graves à un enfant. Nous offrons donc tout un éventail de services aux enfants et aux jeunes de la Saskatchewan. C'est un modèle que je recommande. Le défi tient au fait que nous disposons de ressources et d'un personnel limités et que nous devons affecter nos ressources en fonction des priorités de l'heure. Vous vouliez savoir s'il nous faudrait plus d'argent? Je vous répondrais par l'affirmative.
Le sénateur Munson : Nous devrions transmettre votre message au Nouveau-Brunswick, à l'Île-du-Prince-Édouard et aux Territoires du Nord-Ouest.
Madame Pottruff, vous avez parlé des droits de l'enfant et des programmes qui existent à cet égard. Par exemple, vous avez mentionné le fait que l'on enseigne la Charte des droits en classe et des choses du genre. Dispose-t-on de preuves statistiques indiquant que les enfants écoutent, qu'ils font attention et qu'ils participent à ce genre de programme ou pensez-vous qu'il faudrait apposer un énorme babillard portant la mention « Pour les droits des enfants, appelez ce numéro » afin que le gouvernement ait l'occasion d'interagir davantage avec les jeunes?
Mme Pottruff : Il s'agit-là de programmes administrés par l'Association de vulgarisation et d'éducation juridiques et je ne peux donc pas parler en son nom. Il est bon, je pense, que ces documents existent et je crois savoir qu'ils sont utilisés. On pourrait bien sûr faire davantage pour s'assurer que les gens connaissent leurs droits et responsabilités vis- à-vis des enfants.
Le sénateur Munson : Le gouvernement devrait-il aller plus loin pour faire passer le message, par exemple en organisant des tables rondes et ainsi de suite, et pour mobiliser les enfants? Aujourd'hui, ce sont les adultes que nous mobilisons.
Mme Pottruff : Nous voulons évidemment accroître le niveau de participation des enfants et des jeunes à notre travail d'élaboration de la politique. Nous sommes en train de réviser nos documents d'information concernant les droits de l'enfant en vue de les republier et cela pour qu'ils soient plus utiles pour les enfants, les jeunes et les parents. Je crois qu'il serait utile d'en faire davantage sur ce plan, mais je n'ai actuellement pas le budget nécessaire pour cela et je ne suis pas certaine du genre de priorité qu'il faille accorder à cette question par rapport à tout ce que nous aimerions entreprendre. Cela étant, il est bien sûr important de renforcer les attitudes du public vis-à-vis de la valeur que représentent les enfants ainsi que de leurs droits et responsabilités.
Mme Cooney : Notre bureau administre un programme appelé Rights/Advocacy Project qui a été mis au point par des jeunes. Nous l'avons offert aux élèves de la 4e à la 6e un peu partout en Saskatchewan, et nous avons remporté un succès retentissant. En collaboration avec notre ministère de l'Éducation, nous sommes d'ailleurs en train d'envisager la possibilité de l'inclure dans les programmes scolaires. Nous avons été ravis des résultats, parce que ce programme a permis aux jeunes de très vite comprendre la Convention des Nations Unies. Nous nous ferons un plaisir de vous en envoyer une copie.
Le sénateur Munson : Je suis heureux d'entendre cela et c'est le genre de message que nous pourrions faire passer à l'échelle du pays.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Monsieur Bernstein, comme de nombreux enfants autochtones sont peu instruits et que la langue constitue un obstacle pour eux, existe-t-il un défenseur de la justice autochtone?
Mme Cooney : L'Avocat pour les enfants est une institution provinciale qui chapeaute 18 organismes indiens de services à la famille et aux enfants. Les choses perdent de leur netteté dans les domaines de compétences fédérales, comme le logement, l'enseignement et les services de santé. Toutefois, nous avons compétence en fonction de certaines ententes.
Il n'existe pas de défenseur pour les Premières nations, ni provincial ni fédéral, bien que nous réclamions avec insistance et depuis longtemps la nomination d'un homologue à Ottawa.
Mme Pottruff : J'ajouterais à cela que la Commission on First Nations and Métis Peoples and Justice Reform a notamment recommandé de mettre sur pied un bureau du défenseur des enfants autochtones.
Le sénateur Nancy Ruth : Je ne cesse d'être étonnée, à la fois au provincial et au fédéral, par les termes asexués que vous employez. Pouvez-vous m'aider à comprendre pourquoi les statistiques ne sont pas ventilées entre garçons et filles, et en quoi les politiques gouvernementales pourraient être différentes si l'on faisait une telle ségrégation?
Mme Pottruff : Il se trouve que nous recueillons des données de nature sexospécifique, mais nous ne les avons pas ventilées entre les garçons et les filles aux fins de notre rencontre d'aujourd'hui. Si vous le désirez, nous pourrons essayer de le faire, puisque c'est là un des aspects que nous suivons.
Nous nous fions sur les données que nous communique le Centre canadien de la statistique juridique de même que sur des informations publiques qui sont réparties par sexe. Nous disposons donc de ces informations et nous nous penchons effectivement sur les besoins différents des jeunes gens et des jeunes filles, que ce soit dans le cadre du système de protection de la jeunesse ou dans celui de l'appareil de justice pour les jeunes.
Le sénateur Nancy Ruth : Si je vous pose cette question, c'est que dans votre exposé de tout à l'heure, vous n'avez pas fait de différence entre les sexes, raison pour laquelle ces différences s'estompent et que les femmes et les jeunes filles deviennent invisibles.
Mme Pottruff : Nous sommes évidemment conscients qu'il existe une énorme différence en ce qui a trait à la violence. Le rapport de la Commission on First Nations and Métis Peoples and Justice Reform mentionne la violence faite aux femmes et aux enfants autochtones, et nous continuons à œuvrer dans ce domaine, puisque nous avons conçu certains programmes pour nous attaquer à cette problématique. Cela s'inscrit aussi dans le cadre de la réponse apportée aux problèmes des enfants et des jeunes exploités sexuellement, parce que la majorité d'entre eux sont des fillettes et des jeunes filles.
Marilyn Hedlund, directrice exécutive, Services à l'enfance et à la famille, gouvernement de la Saskatchewan : Nous recueillons des données sur les fillettes et les garçonnets qui sont placés et nous pourrions vous fournir cette ventilation si vous le désirez. Il est vrai que, dans la majorité des cas d'exploitation sexuelle portés à notre attention, il s'agit de fillettes et de jeunes filles, ce qui est indicatif de la façon dont nous devons répondre à leurs besoins et les aider à devenir elles-mêmes des mères plus tard.
Nous savons cependant qu'une partie des enfants victimes d'exploitation sexuelle sont des garçons et des garçonnets et nous sommes en train, en Saskatchewan, d'étudier cette question.
La sénateur Nancy Ruth : Je vous invite à rendre régulièrement publiques ces statistiques, afin que l'on cesse d'occulter une partie de ces jeunes.
La présidente : Dans cette province, les lois sur les services à la famille ont été modifiées. À l'échelon fédéral, la Loi sur les délinquants juvéniles a été révisée pour devenir la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. À l'instar du professeur Driedger, j'ai vécu toutes les incarnations de cette loi.
Il semble que les services à la famille et les systèmes de justice pour jeunes ne sont pas coordonnés et qu'ils ne travaillent ensemble. On entend encore dire que si les services à la famille n'ont pas de ressources, il est toujours possible d'obtenir des services à condition de se pouvoir en justice. Les deux ministères continuent de se renvoyer la balle à cause d'un manque de ressources ou d'un défaut de mandat. Ces gens là ne semblent pas avoir compris qu'ils doivent travailler ensemble.
On se demande beaucoup à quel âge débutent les problèmes chez les futurs délinquants; eh bien, selon moi, ils commencent avant l'âge de cinq ans et, à ce que je sache, personne n'a prouvé le contraire, ni de façon anecdotique ni statistiquement. Leurs problèmes peuvent être dus à des troubles de santé, à un défaut d'encadrement ou à un handicap et si ces problèmes ne sont pas réglés très tôt, l'enfant se retrouve confié aux organismes de protection de la jeunesse ou dans un établissement de justice pour jeunes.
J'ai peur que nous ne nous attaquons pas assez tôt aux véritables problèmes qu'éprouvent les enfants et l'on attend que ces problèmes s'aggravent au point de se transformer en dossiers de justice pour jeunes ou de protection de la jeunesse. Je suis également préoccupée de voir que les deux systèmes continuent de ne pas collaborer. À cet égard, j'ai entendu des opinions optimistes exprimées à titre individuel, mais pas à titre collectif. Qui est tenté de réagir?
Mme Hedlund : Vous soulevez là une question très importante et sachez que la prévention de la délinquance nous tient beaucoup à cœur; je parle pour nous tous, pour tous nos secteurs. Je suis totalement d'accord avec vous pour dire que c'est dans les premières années que les interventions sont les plus porteuses. Récemment, en Saskatchewan, nous avons lancé le programme KidsFirst. Il s'agit d'une initiative conjointe des ministères de l'Éducation, de la Santé, des Ressources communautaires, des Relations avec les Premières nations et les Métis ainsi que de nombreux organismes communautaires. Ce programme vise à détecter les facteurs de risque connus dès la naissance.
De plus, dans un certain nombre de collectivités ciblées de la Saskatchewan, nous offrons un accès prioritaire à des services de soutien comme le traitement des toxicomanies et des maladies mentales, des consultations psychologiques et un soutien à la famille. Le programme KidsFirst comporte un volet de visites à domicile visant à apporter un soutien aux familles qui en ont besoin. Nous faisons porter l'essentiel de notre action sur les tout jeunes enfants dans le dessein, grâce à un soutien précoce et à un soutien bénévole, d'éviter qu'ils ne deviennent un jour officiellement des cas de protection de la jeunesse.
Mme Pottruff : Pour ce qui est de la question très générale de la coordination entre les ministères, il se trouve que nous ne travaillons plus chacun de notre côté. Nous ne sommes peut-être pas aussi intégrés que nous le devrions dans tous les cas, mais si nous sommes aussi nombreux devant vous aujourd'hui, c'est parce que nous travaillons tous ensemble sur les dossiers des jeunes et des enfants. La plupart de nos programmes ont une composante interministérielle destinée à favoriser la coordination. Là où nous avons le plus de difficultés, c'est pour faire passer la coordination des ressources et de la politique au niveau inférieur, à l'échelon régional et à celui des collectivités. Nous avons mis sur pied certains mécanismes comme les comités intersectoriels régionaux constitués d'organismes gouvernementaux et non gouvernementaux qui cherchent à comment offrir des services aux jeunes et aux enfants dans toute une diversité de domaines. Il y a des projets comme le modèle des services à la jeunesse de Regina et de Prince Albert et il existe aussi d'autres mécanismes.
Nous continuons de nous débattre sur le terrain, là où les gens sont aux prises avec des cas actifs, parce qu'il est difficile de n'oublier personne dans les consultations devant précéder la prise de décisions. Il existe des protocoles pour les cas complexes et pour régir la façon dont les groupes doivent travailler ensemble quand ils ne peuvent trancher pour savoir qui a le mandat d'intervenir dans tel ou tel cas. Nous continuons de chercher à mettre en œuvre une approche intégrée en matière de service d'accompagnement personnalisé. Toutefois, rien n'est terminé sur ce plan.
M. Bernstein : Je suis d'accord avec la nécessité d'insister davantage sur la prévention et sur les interventions précoces. À propos des enfants des Premières nations, qui passent d'un milieu dans une réserve à un milieu hors réserve, on entend souvent parler des différentes d'approche appliquées par les secteurs compétents. Dès que les services de la famille et de l'enfance des Premières nations du MAINC interviennent dans les dossiers d'enfants vivant dans les réserves, les organismes trouvent plus difficile d'obtenir des fonds pour leurs programmes de prévention. Ce faisant, ils doivent quasiment attendre qu'une situation de crise survienne pour pouvoir intervenir. Notre bureau souhaiterait que l'on applique des normes de prestation de services qui soient cohérentes afin que tous les enfants aient les mêmes droits.
Dans le rapport Oyate sur les problèmes systémiques caractéristiques de l'exploitation sexuelle des enfants en Saskatchewan, on précise que c'est à deux ans et 10 mois en moyenne que les enfants résidant à la maison d'hébergement Oyate de Regina sont pris en compte par le ministère des Ressources communautaires.
Pendant plus d'une dizaine d'années, on a apparemment essayé d'appliquer systématiquement des solutions symboliques en mettant l'accent sur la réunification des familles. Très souvent, ces enfants étaient renvoyés dans des situations à risque. C'est à croire qu'on ne fait pas passer l'enfant en premier et qu'on ne fait pas non plus de planification à longue échéance. Il semble qu'on ait davantage affaire à des réactions intermittentes, de nature réactive, temporaire.
D'après les enfants que nous avons suivis durant notre enquête, nous avons constaté que 88 p. 100 des jeunes passent le plus clair de leur temps à aller et venir dans des foyers caractérisés par la violence et la négligence. Il faut que quelque chose change. Ces enfants ont des besoins multiples et beaucoup sont des toxicomanes, beaucoup sont atteint d'hépatite C ou sont séropositifs. Nous sommes en présence d'un grand nombre de problèmes.
Il nous faut trouver une meilleure façon de remonter dans le temps pour intervenir le plus tôt possible et les appuyer, et nous devons cesser de donner d'autres chances à des parents qui, à l'évidence, ont démontré qu'ils ne sont pas en moyen de répondre aux besoins de leurs enfants de façon suivie.
La présidente : Il y a bien des années, en Saskatchewan, on aurait appréhendé les enfants pour les faire passer en premier. Puis, on s'est rendu compte que ce qui fait en partie un enfant, c'est son bagage, son identité, ses racines et le reste; nous avons commencé à tenir compte de ces aspects et nous avons créé des ressources communautaires.
Êtes-vous en train de nous dire que le problème est universel, qu'il s'agisse d'une communauté autochtone, d'une communauté d'immigrants ou de la société en général, que c'est la voix des adultes qu'on entend inévitablement et que l'on passe à côté des besoins des enfants? La bureaucratie empêche-t-elle de favoriser la permanence, de créer des liens, de faire en fait tout ce qui est important pour un enfant?
M. Bernstein : C'est en partie le problème. L'autre problème que j'ai soulevé, c'est qu'il n'existe pas de mécanisme bien défini pour donner une voix indépendante à la protection de la jeunesse dans le cadre des procédures juridiques en Saskatchewan. Tout ce se combine : la position de l'adulte — puisqu'on insiste trop sur les intérêts des parents — et la position des enfants que l'on ne considère pas comme des êtres humains à part entière même s'ils ont des intérêts et des besoins en propre, eux qui viennent parfois troubler les choses dans le contexte familial. Il est évident que ces enfants appartiennent à un cadre familial et nous nous efforçons de les maintenir au sein de leurs familles quand cette formule convient. Nous voulons respecter les identités culturelles et nous voulons être ouverts à cette question de culture, mais pas au risque de compromettre les intérêts, la sécurité et la protection de l'enfant. Ce sont là des droits fondamentaux que mérite chaque enfant de la province, quelles que soient sa culture et sa race.
Mme Hedlund : Le défenseur des enfants nous a livré énormément de matières à réflexion, surtout au cours des dernières semaines à l'occasion du dépôt de deux rapports. Nous avons décidé d'entreprendre un examen législatif et d'étudier chacune de ses recommandations. Il a soulevé des points importants de rédaction et de modernisation des principes pour s'assurer que l'on s'intéresse plus nettement aux droits des enfants.
Je vais vous parler de quelques-uns des défis auxquels nous sommes confrontés du point de vue de la prestation des services. On dénombre un peu plus de 3 000 enfants qui ont été pris en charge par la province dont 70 p. 100 sont des Autochtones. À cela, il faut ajouter 1 100 enfants placés dans les réserves, sous l'autorité des organismes de services à la famille et à l'enfance qui sont investis de pouvoirs délégués aux termes de notre loi. Cela fait donc plus de 4 000 enfants en tout dont 80 p. 100 sont des Autochtones.
Les problèmes dans les centres urbains abondent : les familles sont coupées de leur soutien culturel et communautaire et elles tombent dans le cercle vicieux de la toxicomanie, de la maladie mentale et de la violence. Une analyse récente de nos dossiers nous a montré que ces problèmes sont à l'origine des cas de protection de la jeunesse.
Quand on songe aux meilleurs intérêts de l'enfant et à la façon de promouvoir son bien-être, il est difficile de ne pas tenir compte également des intérêts de la famille et de la dimension culturelle, même si je comprends bien qu'il faut mettre l'accent sur la sécurité, sur le bien-être et sur les meilleurs intérêts de l'enfant.
Nous travaillons en étroite collaboration avec les Premières nations de la Saskatchewan. Nous avons créé des tribunes avec les directeurs des organismes de Premières nations. Nous offrons les mêmes formations aux fournisseurs de services dans les réserves et hors réserves. Nous avons fait intervenir deux formateurs appartenant à des Premières nations pour aider notre personnel à comprendre leur culture et leur passé. Les Premières nations nous ont garanti qu'elles ne veulent pas appliquer des normes inférieures pour leurs enfants.
J'ai hâte, à la faveur de l'examen de notre loi et du processus de consultation qui l'accompagnera, de rencontrer les enfants et les jeunes, leurs familles et les Premières nations afin de parvenir à des solutions que nous pourrons reprendre dans nos lois et ainsi donner suite à ces recommandations.
M. Bernstein : Dans mon rapport, j'ai recommandé non seulement d'adopter un ensemble de principes directeurs rappelant l'importance qu'il y a de promouvoir les meilleurs intérêts, le bien-être, la protection et la sécurité des enfants d'une façon qui soit conforme à celle appliquée par la plupart des autres provinces et territoires, mais j'ai aussi recommandé de codifier un ensemble de principes en matière de prestation de services pour rappeler l'obligation faite au gouvernement de répondre aux besoins des enfants et de codifier les droits légaux et naturels des enfants placés.
Une partie du travail de notre bureau consiste à rappeler au gouvernement qu'il est tenu de respecter certaines obligations vis-à-vis des besoins des enfants et des jeunes de la province. Certaines provinces et certains territoires ont inscrit dans leurs lois les services devant être offerts à la famille et aux enfants et, à cette occasion, ils ont précisé les droits naturels et légaux des enfants. J'ai fait cette proposition dans le rapport que j'ai déposé la semaine dernière à l'assemblée législative et je mets la province au défi de faire preuve de leadership et de suivre cette orientation.
La présidente : Nous sommes malheureusement arrivés au terme du temps qui nous était imparti. Nous avons eu accès à vos autres rapports, monsieur Bernstein, notamment aux plus récents et, même si vous avez beaucoup affaire en Saskatchewan, je suis rassurée de constater qu'ici on connaît la Convention relative aux droits de l'enfant, ce qui n'est pas le cas partout, comme nous avons pu le voir. Nous espérons être en mesure de faire appliquer les dispositions de la convention, de façon tout à fait particulière ou avec davantage de force que cela s'est fait jusqu'ici au Canada. Malheureusement, les choses évoluent très lentement depuis 1989 et j'espère que nous parviendrons à redonner une impulsion à tout ce dossier.
Merci pour vos mémoires. Nous les consulterons attentivement et, si nous avons besoin de quoi que ce soit d'autre, nous recommuniquerons avec vous. Merci beaucoup pour votre travail et merci de vous être déplacés aujourd'hui.
Bill Thibodeau, directeur exécutif, EGADZ (Saskatoon Downtown Youth Centre Inc.) : Je n'ai pas de remarque liminaire à faire. Quand j'ai reçu votre invitation, j'y ai pensé pendant un moment avant de m'en désintéresser estimant qu'il s'agissait-là d'un autre processus qui, à vous dire bien franchement, allait m'écarter de ce que j'estime important, c'est-à-dire le véritable travail sur le terrain auprès des enfants. J'en ai parlé avec le président de mon conseil et avec certains de mes collègues de travail et homologues. Tous m'ont dit que c'était une excellente occasion pour moi-même et pour EGADZ; j'y ai réfléchi davantage et je me suis dit qu'après tout, il s'agissait en fait d'une excellente occasion pour les enfants et les jeunes avec qui nous travaillons quotidiennement. C'est donc animé de cette pensée que je me présente devant vous, et je vais essayer de garder mon optimisme et mon ouverture d'esprit tout au long de la séance.
Je vais maintenant donner l'occasion aux autres de vous dire quelques mots d'introduction.
La présidente : Pour les besoins de la transcription, pourriez-vous nous dire quelques mots au sujet des jeunes avec qui vous travaillez?
M. Thibodeau : Il y a quelques années de cela, un groupe d'adultes a mis sur pied ce centre qu'il a baptisé Saskatoon Downtown Youth Centre Inc. Or, ce nom ne disant pas grand-chose aux jeunes, les gamins l'ont rebaptisé EGADZ Youth Centre parce que cela leur parle davantage.
Nous sommes une organisation pour jeunes qui travaille à Saskatoon et dont les services touchent 100 à 150 enfants et jeunes quotidiennement. Nous offrons toute une gamme de services allant d'une halte-accueil à un programme de soutien de jour en passant par des services d'approche, par un programme d'aide aux parents adolescents, par un programme de soutien en milieu scolaire et par notre opération d'aide aux travailleurs du sexe, Operation Help, administrée en partenariat avec d'autres organismes de Saskatoon. Il y a quelques années, nous nous sommes lancés dans le secteur du logement et nous administrons actuellement deux foyers à Saskatoon connus sous les noms de My Home et My Home Too.
L'organisation s'est développée et a évolué, mais elle demeure une organisation de base populaire. Elle fonctionne depuis 1990. Je crois qu'elle a survécu parce que nous étions prêts à nous adapter aux besoins et que nous avons cherché à changer la vie des jeunes qui sont nombreux à franchir nos portes.
La plupart des jeunes que nous recevons sont fixés dans la rue et nous avons rarement la possibilité de faire du travail de prévention; nous oeuvrons davantage dans l'urgence et au contact des jeunes.
Sue Delanoy, directrice exécutive, Saskatoon Communities for Children : Communities for Children est une organisation dirigée par les jeunes, à la fois gouvernementale et non gouvernementale. Les jeunes avec qui je travaille ont insisté pour que je les représente devant vous aujourd'hui. Après discussions avec eux, voici la déclaration liminaire sur laquelle nous nous sommes entendus.
Au Canada et à Saskatoon, nous vivons dans une société démocratique avancée, complexe, qui freine tout autant qu'elle favorise l'administration d'une politique publique destinée à garantir les droits des enfants comme le prévoit la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
L'une des obstacles auxquels nous nous heurtons, selon nous, c'est la réticence de la population en général de donner la possibilité à un enfant d'être insolent et d'excuser ses écarts de conduite. L'autre frein, c'est la perception publique de la notion de droit individuel par rapport au droit collectif qui a donné lieu à l'adoption de politiques fondées sur les droits qui ont été édulcorées pour calmer les familles qui craignaient que le gouvernement ne les empêche de définir elles-mêmes leur rôle et leurs responsabilités envers les enfants.
Il s'ensuit donc logiquement que la mise en œuvre complète des droits de l'enfant doit passer par une meilleure éducation de la population et par la tenue d'un débat qui aura pour objet de faire clairement ressortir que ces droits sont un fondement de l'appui que mérite tout enfant, tout en reconnaissant la nécessité de miser sur la protection et sur les soins offerts dans un contexte familial. Pour cela, il faudra notamment mettre en exergue le cadre familial qui, dans certains cas, offre de nouvelles conditions de vie et qui sont propices à des situations auxquelles l'enfant n'a rien à voir.
Le travail que j'effectue pour le compte de Communities for Children consiste à superviser des groupes de travail qui rassemblent des membres des Premières nations, des personnes n'appartenant pas aux Premières nations, des organismes gouvernementaux et les jeunes afin de discuter de six grands problèmes à Saskatoon.
La pauvreté infantile est l'un de nos thèmes de discussion et nous parlons aussi de la nécessité de disposer d'un système global de garderie de la petite enfance. Les autres problèmes sont l'exploitation sexuelle des enfants, l'absentéisme scolaire, la multiplication des bandes de rue à Saskatoon et en Saskatchewan, ainsi que les abus d'alcool et d'autres drogues.
Pour chacun de ces aspects, nous avons mis sur pied un groupe de travail composé de représentants du gouvernement, d'organismes non gouvernementaux, de Premières nations et de jeunes. Nous avons pour ambition d'influencer la politique publique afin de la modifier, d'appuyer les jeunes, de trouver des idées novatrices et de favoriser le lancement de nouveaux projets à Saskatoon.
Je suis très heureuse que l'Avocat pour les enfants ait pris la parole avant moi parce que vous avez maintenant une bonne idée de la situation des enfants et des familles en Saskatchewan. Il est évident que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant n'est pas une réalité en ce qui nous concerne.
Voici maintenant quelques recommandations que nous jugeons importantes.
Tout d'abord, il faut offrir davantage de bons emplois si l'on veut régler le problème de la pauvreté des enfants qui découle de la pauvreté des adultes et de la famille.
Nous sommes intimement convaincus de la nécessité de mettre sur pied des programmes de garderie et d'enseignement de la petite enfance qui soient accessibles à tous.
Nous applaudissons le programme KidsFirst que mon confrère a mentionné plus tôt, mais il s'agit d'un programme ciblé qui, comme c'est souvent le cas avec ce genre de programme, est fragmenté. Il n'appuie pas les familles et ne va pas non plus dans le sens du droit des enfants d'avoir accès à un enseignement précoce de haute qualité.
En Saskatchewan, on dénombre 168 000 enfants de moins de 12 ans; nous comptons 110 000 mères qui travaillent et avons 8 000 places de garderie agrées. La question est donc la suivante : où ces enfants se retrouvent-ils? Comme l'Avocat pour les enfants l'a dit, il n'est pas rare que les enfants soient pris en compte par le système de services sociaux dès l'âge de deux ans et 10 mois, ce qui me fait dire que l'existence d'un programme d'apprentissage précoce de qualité aiderait beaucoup.
Nous faisons ce que nous pouvons pour aider les garçons et les filles qui travaillent dans l'industrie du sexe et nous sommes conscients qu'afin de répondre à leurs besoins, il nous faudrait disposer d'un système unifié, non fragmenté.
Il m'arrive souvent de me retrouver dans des groupes où l'on parle de collaboration et, à chaque fois que les gens autour de la table se disputent sur des questions de droits des institutions compétentes, je constate que les droits des enfants ne se retrouvant jamais au cœur des débats. Je pense que nous voulons toutes et tous accorder notre attention aux enfants, mais c'est de plus en plus difficile à cause des services fragmentés, des instances politiques qui se livrent bataille entre elles et du fait que les droits des enfants ne sont pas au cœur de notre action.
Deb Davies, directrice exécutive, Saskatchewan Foster Families Association : Au nom du conseil d'administration de la Saskatchewan Foster Families Association, la SFFA, je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à lui faire part de nos préoccupations relativement aux obligations internationales du Canada à l'égard des droits et des libertés des enfants, et plus précisément compte tenu de notre expérience au contact des enfants placés en foyer nourricier.
Si l'on peut affirmer que la législation canadienne concernant les enfants répond aux obligations que notre pays a contractées aux termes de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, on peut aussi soutenir qu'il y a loin de la coupe aux lèvres entre ce que dit la loi et la façon dont elle est appliquée dans le cas des enfants confiés aux soins des organismes de protection de la jeunesse.
Les articles 3 et 20 de la Convention précisent les responsabilités incombant aux États, lesquels doivent répondre aux besoins des enfants placés en tenant compte de leurs meilleurs intérêts. Malheureusement, les législations provinciales ne se recoupent pas d'un bout à l'autre du pays et il n'existe pas non plus de province où les lois et les politiques en la matière sont appliquées uniformément.
Cela étant, nous nous trouvons aux prises avec tout un ensemble de problèmes durables qui ont un effet négatif sur la vie de ces enfants que l'on promène d'un foyer nourricier à l'autre.
Comme on vous l'aura dit, quand l'éclatement d'un foyer pourrit le milieu de vie, il est nécessaire de retirer les enfants. Il convient alors d'accorder à l'enfant qu'on éloigne de sa famille — à cause d'un problème de violence, sous l'une ou l'autre de ses nombreuses formes, de négligence ou de disfonctionnement — une attention et des soins particuliers étant donné les traumatismes qu'il subit. Malheureusement, on peut soutenir aujourd'hui que les droits de l'enfant ne sont pas pleinement respectés lorsqu'on les retire d'un milieu menaçant ou dangereux. Il arrive trop souvent que frères et sœurs soient séparés.
De plus, je pourrais vous citer des cas où des enfants ont été changés de foyers d'accueil six à treize fois en une seule année, pour aboutir dans un établissement afin d'y être évalués ou stabilisés parce qu'ils avaient commencé à passer aux actes. Pourtant, psychologues et autres professionnels de la santé s'entendent pour dire que tous les enfants ont besoin de stabilité et de régularité pour fonctionner et se développer normalement.
N'estimez-vous pas qu'une approche fondée sur les droits de l'enfant devrait mettre l'accent sur les meilleurs intérêts des enfants? On pourrait soutenir que cette approche n'est pas appliquée actuellement pour décider de ce qu'il y a de mieux pour l'enfant. Par exemple, après une semaine de réunification ratée avec ses parents naturels, un enfant de huit ans a été replacé, mais dans un autre foyer d'accueil; il s'est retrouvé dans une nouvelle école et dans une nouvelle collectivité après avoir passé 19 mois dans un foyer d'accueil positif. Les autorités ont pris cette mesure pour que l'enfant soit plus près de ses parents naturels qui avaient décidé de déménager.
Un enfant de deux ans atteint de difficultés respiratoires aigus a récemment été placé dans un foyer d'accueil non fumeur, parce que ses parents nourriciers précédents étaient de gros fumeurs. Mais voici qu'à présent le plan d'intervention prévoit qu'on le rende à sa mère biologique qui est elle-même une grosse fumeuse et dont les cinq autres enfants sont placés à long terme.
Si, dans ce cas, on reconnaît effectivement les droits des parents, en quoi la loi et les politiques actuelles protègent- elles cet enfant qui, de toute évidence, est trop jeune pour parler en son nom?
Le gouvernement provincial hésite à prendre position sur le tabagisme dans les maisons d'accueil. Plus tôt cette année, notre association a formulé une proposition de normes minimales; jusqu'ici ici, rien n'a été fait à cet égard.
Les membres de votre comité auront noté qu'il n'existe pas d'Avocat pour les enfants ou de bureau d'ombudsman pour les enfants dans toutes les provinces et que, là où il y en a, les gens en poste n'ont pas tous les pouvoirs nécessaires pour travailler en toute indépendance. D'où ma question : faut-il étendre le rôle de l'Avocat pour les enfants afin de lui permettre d'intervenir dans tous les placements d'enfants et de s'assurer que leurs droits sont représentés ou faudrait-il nommer un avocat chargé de défendre les enfants qui sont trop jeunes ou qui n'ont pas la capacité mentale de comprendre leurs droits et de s'exprimer en leur nom?
Et puis, les meilleurs intérêts de l'enfant sont menacés par le manque de foyers d'accueil et d'installations de garde de substitution, d'autant plus que la demande est en progression. En une semaine à Saskatoon, il n'y a pas si longtemps que cela, on a signalé que 43 enfants avaient été placés. Très souvent, ces jeunes se retrouvent dans des foyers d'accueil d'urgence qui ne sont pas très nombreux, raison pour laquelle un grand nombre d'enfants se retrouvent placés dans certaines familles. Le grand nombre d'enfants et de jeunes placés en foyer d'accueil d'urgence est particulièrement préoccupant parce que la planification relative aux placements est limitée, voire inexistante à cause des circonstances dans lesquelles les enfants sont souvent appréhendés et de la nécessité de les placer sur-le-champ dans un milieu stable et sans danger.
Les enfants qui ont été appréhendés dans les rues ou retirés de foyers instables sont complètement bouleversés et peuvent être violents. La SFFA a eu vent de cas où des parents d'accueil ont été agressés par un enfant placé. Il faut évidemment s'attendre à ce que la vie en promiscuité favorise de tels problèmes. Normalement, on place les enfants dans des foyers d'accueil pour leur garantir un milieu sain caractérisé par des soins et une supervision de qualité. Je vous pose la question : comment un parent nourricier peut-il assurer ce genre de service quand il doit régulièrement s'occuper de 14 à 18 enfants en plus des siens, éventuellement?
La SFFA soutient qu'en règle générale le regroupement de plus de quatre enfants dans un même foyer d'accueil est la recette garantie pour un désastre. Qu'en est-il en effet de la capacité des parents d'accueil d'encadrer véritablement un tel nombre d'enfants, surtout s'il y a à la fois des garçons et des filles? Qu'en est-il de leur capacité d'offrir des soins et une attention appropriés à ces enfants, et qu'en est-il de leur capacité de leur offrir un minimum d'intimité et un couchage approprié, surtout s'il y a des garçons et des filles?
Nous sommes également préoccupés par la sécurité incendie dans ces foyers d'accueil et par la capacité des enfants d'évacuer en cas d'urgence, par leur santé et leur stabilité émotionnelle, de même que par la cohabitation d'adolescents et de jeunes enfants dans des foyers d'accueil d'urgence où l'on ne dispose souvent que de très peu d'informations sur le parcours des pensionnaires.
Je me suis efforcée de vous mentionner un petit nombre de problèmes auxquels nous nous heurtons dans le contexte du placement des enfants. Je n'ai malheureusement pas la réponse à tous ces problèmes.
Toutefois, à l'examen de votre rapport intérimaire, j'ai été réjouie par la nature des droits inscrits dans la Convention des Nations Unis relative aux droits de l'enfant, de même que par les constats, les conclusions et les recommandations éclairés de votre comité jusqu'ici. Ce ne sont évidemment que des mots qui demeureront sans effet si l'on ne se dote pas des mécanismes nécessaires pour s'assurer que tous les ordres de gouvernement adopteront des lois pour encadrer leurs programmes et leurs politiques et pour que tous les administrateurs d'organismes de protection de la jeunesse connaissent bien ces principes et comprennent que la prise de décisions doit se faire en tenant compte, d'abord et avant tout, des meilleurs intérêts de l'enfant.
Le sénateur Munson : Monsieur Thibodeau, vous avez dit que vous aviez hésité à venir ici aujourd'hui et je suppose que, quand vous travaillez dans la rue, au contact des jeunes, ce genre de déclaration affectée quant à l'obligation du Canada de respecter l'esprit de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant n'est pas vraiment un sujet de discussion avec les jeunes. Cela étant posé, je crois savoir que, l'année dernière, on avait envisagé d'imposer un couvre- feu à Saskatoon, mais que cette mesure a été rejetée par le conseil municipal.
M. Thibodeau : Effectivement.
Le sénateur Munson : Qu'en pensez-vous? Je vous pose la question compte tenu de la tendance, en Saskatchewan, à contrôler les jeunes, d'après ce que nous a en dit M. Healy. Étiez-vous d'accord avec ce couvre-feu ou y avez-vous vu un instrument de contrôle comme semblent le penser certains?
M. Thibodeau : En fait, cette proposition de couvre-feu remonte à quelques années et un membre du conseil municipal m'avait demandé ce que j'en pensais à l'époque. Le règlement sur le couvre-feu se trouve en fait dans les livres de Saskatoon depuis le milieu des années 1960.
La présidente : Je me rappelle qu'à Saskatoon, les sirènes se déclenchaient pour rappeler aux gens qu'il était temps de ne plus traîner dans la rue.
M. Thibodeau : Je savais que cela existait. J'ai dit à ce membre du conseil que je ne pensais pas qu'un couvre-feu était la réponse, que ce n'était que de l'esbroufe. Ce genre de mesure donne une fausse impression de sécurité aux résidents de la ville qui croient que, dès que le couvre-feu est annoncé, quelqu'un va automatiquement réagir. Personnellement j'estime — mais je n'en suis pas certain à 100 p. 100 — que les services de police de la ville de Saskatoon reçoivent chaque week-end une cinquantaine de signalisations de jeunes qui sont portés disparus. Il n'y a tout simplement pas assez de ressources pour tous ces jeunes que nous voyons et avec qui nous traitons quotidiennement dans la rue. Où les mettriez-vous la nuit? Les foyers d'accueil sont surchargés, les installations gouvernementales débordent déjà. Je ne pense pas que le couvre-feu soit une option valable.
Le sénateur Munson : Parmi les nombreuses questions que nos recherchistes ont formulé pour nous, il y a celle de la prostitution infantile et je n'arrive pas à imaginer que je vais vous poser une question de ce genre — il est possible que je sois un Néo-Brunswickois naïf — mais pourriez-vous me dire si la prostitution juvénile est un grave problème à Saskatoon et ailleurs dans la province?
M. Thibodeau : Très grave.
Le sénateur Munson : Et que peut faire notre comité à cet égard? Mme Davies vient juste de nous dire que les mots sur papier ne restent que des mots tant qu'ils ne sont pas suivis d'effets. Comment régler ce problème?
M. Thibodeau : À Saskatoon, nous administrons un programme d'approche des jeunes de la rue qui consiste à communiquer quotidiennement avec eux au moins quatre fois en fin de soirée et deux fois en début de soirée par semaine. Ce problème ne date pas d'hier à Saskatoon, mais personne ne l'a jamais officiellement reconnu. J'ai passé plus de cinq ans dans la rue au contact de jeunes qui pouvaient ne pas être plus vieux que 10 ans. J'ai vu 35 enfants et adolescents mourir dans la rue, certains d'entre eux étaient des jeunes adultes. Une chose est sûre, la plupart de ces gamins avaient été exploités sexuellement et avaient été victimes de violence dans leur enfance.
J'ai beaucoup de mal avec l'expression « prostitution infantile ». Il faudrait que nous trouvions une autre façon de décrire le phénomène pour que nos compatriotes comprennent un peu mieux ce qu'il en est. Quand on dit prostitution, on a l'impression qu'il s'agit d'échanger des faveurs sexuelles contre une rémunération et qu'il n'y a donc pas de victimisation. Mais ce sont des enfants. Je trouve que nous n'avons pas répondu aux besoins de ces enfants, que nous les desservons depuis de nombreuses années en Saskatchewan.
Il y a plusieurs années de cela, quand j'ai débuté dans ce domaine, il existait un centre de désintoxication et de traitement des jeunes toxicomanes à Saskatchewan, mais celui-ci a été fermé. Il demeure qu'il existe encore des installations pour les adultes. Je me suis toujours demandé pourquoi, si nous sommes disposés à entretenir un centre de désintoxication et de traitement pour les adultes qui sont des consommateurs de drogues dures, nous ne faisons pas la même chose pour les enfants? La réponse m'est apparue clairement : ici, on a réglé le problème en enfermant ces enfants. C'était la façon dont la Saskatchewan réagissait au problème et rien n'a donc changé pour ces enfants. À leur sortie de leur détention, ils se retrouvent dans le même bourbier. On ne leur a rien apporté.
Il est très difficile de travailler avec une audience captive, même si l'on pense qu'elle vous écoute.
J'ai moi-même fréquenté le système. J'avais toutes les bonnes réponses à fournir à mes agents de probation et aux travailleurs sociaux quand ils me posaient des questions, parce que j'étais programmé. Je savais ce qu'ils voulaient entendre et si mes réponses pouvaient me permettre d'être placé ou de sortir et d'obtenir ce que je voulais, c'était tant mieux. Après toutes ces années, rien n'a changé pour les enfants de la rue. Il y a encore des problèmes de toxicomanie et le logement en est un autre.
J'entends beaucoup de Canadiens moyens ronchonner et se plaindre du caractère laxiste de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, du fait qu'elle dessert nos villes en général et j'ai tendance à être d'accord avec eux en ce qui concerne les enfants. Quand cette loi est entrée en vigueur, personne n'était prêt pour elle et tout le monde a appuyé sur le bouton de panique et s'est mis tout simplement à réagir à chaque cas qui survenait. Il n'y a eu aucune cohérence ni régularité dans ce que nous avons fait pour les enfants.
Nos ressources sont très limitées, voire inexistantes. Nous essayons de faire du rattrapage et c'est très difficile.
Tout à l'heure, vous avez fait allusion à mon hésitation à me rendre à votre invitation. Cette hésitation tenait en partie au fait que j'entends souvent les gens dire qu'il faut toute une collectivité pour élever un enfant et que les enfants sont notre avenir, deux affirmations avec lesquelles je suis d'accord. Toutefois, il est vraiment difficile d'envisager l'avenir quand on en a jusqu'au cou dans le présent et qu'on voit ce qui se passe. Il est très difficile de dire à des enfants « patiente, l'avenir arrive et tout va changer ».
Le sénateur Munson : Je le comprends.
Mme Delanoy : Nous avons fait énormément en Saskatchewan et à Saskatoon pour nous débarrasser de l'expression « prostitution infantile ». Il s'agit d'exploitation sexuelle des enfants qui devrait faire l'objet d'une tolérance zéro. Bill Thibodeau, moi-même et d'autres avons fait de nombreux exposés à nos conseils municipaux, aux dirigeants de nos collectivités, à tous ceux qui étaient prêts à nous écouter. Nous avons organisé des journées de deuil, des semaines de sensibilisation, des campagnes d'affichage, et nous en avons parlé. Or, ce n'est que la semaine dernière, après le dépôt d'un rapport particulièrement cinglant sur l'exploitation sexuelle des enfants par l'Avocat pour les enfants que les gens se sont dit « Mon Dieu! c'est peut-être un véritable problème ».
Cela fait déjà un bon moment que nous parlons de la situation des enfants dans le commerce du sexe, d'enfants qui peuvent ne pas avoir plus de 10 ans — et Bill fait cela depuis plus longtemps que moi — et nous sommes tellement connus à ce titre que nous avons même été invités à nous rendre aux États-Unis pour discuter de la question des enfants et du commerce du sexe aux émissions de Tyra Banks et d'Oprah Winfrey. Et pourtant, dans notre pays, chez nous, on dirait que personne ne nous écoute.
Le sénateur Munson : Quel effet le manque de foyers d'accueil a-t-il sur les enfants qui ont des besoins spéciaux? Je vois que M. Evans a été directeur de l'Association canadienne pour l'Obtention de Services aux Personnes Autistiques, l'autisme étant un problème qui me touche de près. Quel genre de traitement offre-t-on dans cette province à des enfants qui ont des besoins spéciaux et qui sont placés en foyer d'accueil, ce qui est une véritable double malédiction.
Mme Davies : Le ministère des Ressources communautaires apporte un certain soutien sur place aux enfants et aux familles d'accueil d'enfants ayant des besoins spéciaux. Encore une fois, là où nous avons des problèmes, c'est dans l'évaluation du nombre d'enfants qui ont des besoins spéciaux et qui se retrouvent dans un foyer d'accueil.
Larry Evans, coordonnateur du soutien aux familles, Saskatchewan Foster Families Association : C'est exact. Le ministère s'efforce d'apporter un appui aux parents nourriciers qui s'occupent d'enfants souffrant de handicaps divers, notamment d'autisme.
Pour ce qui est de l'autisme en particulier, je peux affirmer en me fondant sur mon expérience passée qu'il s'agit d'un aspect où le gouvernement de la Saskatchewan n'a pas vraiment répondu à la demande et je n'hésiterais même pas à dire qu'il a mis à côté de la plaque. Le financement fait toujours défaut compte tenu de l'éventail des enjeux auxquels nous sommes confrontés dans notre société actuelle. Malheureusement, on n'entend pas la voix des familles qui sont aux prises avec des enfants autistes. On continue de considérer que l'autisme est un problème mineur, de sorte qu'il n'existe pas beaucoup de services à l'intention des enfants autistes placés en foyer d'accueil.
Cette semaine, nous avons décidé de recycler une formule que nous appliquions dans le cas des services de traitement de l'autisme, c'est-à-dire le recours à des récits sociaux. Notre bureau va se doter du logiciel nécessaire pour rédiger ces récits que nous remettrons à toutes nos familles d'accueil afin de les aider à composer avec les divers problèmes auxquels les enfants autistes sont confrontés. Je crois également que ces cas sociaux, que nous raconterons, aideront les enfants qui ont des troubles d'apprentissage ou de la difficulté à s'adapter à la vie en foyer d'accueil. Ce n'est qu'une toute petite chose quand on considère la situation en général, mais nous nous raccrochons désespérément à tout ce que nous pouvons.
Nous avons l'intention de nous adresser au ministère des Ressources communautaires pour lui demander de débloquer un appui supplémentaire pour ces enfants qui ont des besoins spéciaux. Nous allons simplement continuer de frapper à toutes les portes.
Le sénateur Carstairs : Monsieur Thibodeau, vous dites que vous vous occupez de 100 à 150 enfants quotidiennement. Qui vous finance et avez-vous assez d'argent? Pourriez-vous servir davantage d'enfants si vous aviez plus de ressources?
M. Thibodeau : Nous sommes financés par différentes sources, la plus importante étant le gouvernement provincial. Nous travaillons à contrat pour le gouvernement. Côté fédéral, nous ne recevons que très peu d'argent. Je pourrais sans doute consacrer un quart d'employés à temps plein ne serait-ce que pour passer au travers de toute la rhétorique et la paperasserie que nous impose le fédéral. Pour recevoir des fonds de ce palier de gouvernement, il faut respecter des échéances dans le dépôt de nos propositions et dans l'exécution de nos programmes. Pour chaque programme, nous recevons un contrat signé et des fonds en décembre, ce qui ne nous laisse guère plus de trois mois pour tout dépenser.
C'est une véritable farce, parce que notre organisation intervient auprès des enfants, qu'elle les encourage à participer et qu'elle écoute ce qu'ils ont à dire. Nous partons du principe que, dans la vie, tout n'est que compromis, au travail et dans nos vies personnelles. Nous traitons tous ceux et toutes celles qui franchissent le pas de notre porte de la même façon. Nous parvenons à les amener à adhérer à l'idée qu'il faut élaborer des programmes répondant à leurs besoins et aux besoins de leurs petits camarades. Or, il est difficile de les garder mobilisés quand, une semaine sur deux ou, dans ce cas, un mois sur deux, nous leur disons que nous sommes en attente de fonds. Nous avons perdu des enfants parce qu'ils n'ont pas la patience voulue.
Notre organisation sollicite annuellement des dons qui lui rapportent 85 000 $ pour couvrir une partie de ses frais, et nous ne faisons pas d'extra. Je pense que tous les ordres de gouvernement devraient prendre modèle sur les organisations sans but lucratif où l'on apprend à gérer avec ce que l'on a et à faire preuve de créativité et de débrouillardise.
Même si notre programme d'approche des jeunes de la rue a été encensée au fil des ans, parce qu'il est novateur et qu'il est présent, nous nous débattons en permanence pour obtenir des subventions afin de le financer. On dirait qu'il ne manque pas d'argent pour financer la réalisation d'études et il ne s'écoule pas une quinzaine sans qu'on nous propose d'en effectuer une. Pour l'instant, je n'ai qu'un employé trois quarts à temps plein pour ce programme d'approche et je ne parviens pas me faire financer pour en engager plus. Le reste du personnel tourne par quarts. Moi aussi j'interviens dans la rue, mais pas aussi fréquemment que je le souhaiterais, et comme le personnel pense que je suis devenu un bureaucrate, il ne veut plus me voir sur le terrain.
Nous faisons ce qu'il faut, mais c'est très difficile au quotidien. Je sais que d'autres organisations éprouvent les mêmes problèmes que nous. Nous travaillons en réseau avec des organisations sœurs en Alberta, dans le cadre du programme d'approche des jeunes de la rue, parce que nous avons un contact sur place.
Tout n'est pas toujours une question d'argent. Même quand il y a des ressources dont nous pourrions nous prévaloir, la rhétorique, la paperasserie et la bureaucratie qu'il faut surmonter pour y accéder nous prennent beaucoup trop d'argent et d'énergie. Il y a des choses que beaucoup considérerait comme parfaitement logiques mais, comme ces choses-là ne sont pas conformes à la politique en vigueur ou qu'il n'existe pas de politique portant sur tel ou tel aspect, personne ne veut assumer la responsabilité de répondre comme il se doit à nos besoins.
Le sénateur Carstairs : Mon autre question s'adresse à Mme Davies. La semaine dernière, je me suis entretenue avec des parents de familles d'accueil à l'Île-du-Prince-Édouard et à Ottawa, et je trouve intéressant de me retrouver à Regina, en Saskatchewan, où j'entends parler exactement des mêmes problèmes. Les gens m'ont dit être frustrés par le fait que l'on retire des enfants de foyers d'accueil qui semblent répondre à leurs meilleurs intérêts — où ils s'épanouissent, vont à l'école, ont une vie régulière et ressentent la chaleur et la présence des autres — le plus souvent pour les replacer dans leur famille qui a eu un problème dans le passé. Quand un nouveau problème surgit, rien ne garantit que l'enfant va se retrouver dans le même foyer d'accueil. Quand va-t-on enfin admettre qu'il existe le concept de meilleurs intérêts de l'enfant?
Mme Davies : Très bonne question! Il nous arrive quotidiennement de nous débattre dans notre travail de planification à propos d'enfants dont on nous dit qu'il en va de leurs meilleurs intérêts de les renvoyer dans leur famille naturelle. Comme vous le mentionniez, à partir de quel moment l'enfant a-t-il le droit de dire, quand il a vécu l'éclatement à répétition de sa famille : « Je veux quelque chose de permanent, de sûr ». Nous estimons que les enfants appartiennent à leur famille et à leur milieu d'origine, à condition toutefois qu'ils y soient en sécurité. Les enfants méritent de connaître la régularité et la sécurité, mais la sécurité d'abord et avant tout.
M. Evans : Je vais vous dire comment les choses se déroulaient il y a 30 ans, quand j'ai débuté ma carrière de travailleur social. À l'époque, le ministère avait pour philosophie de maintenir la famille. Quand j'ai décidé de changer d'orientation et de quitter mon emploi d'agent de probation pour jeunes, j'ai examiné ma charge de travail et il m'est apparu très clairement que, dans 90 p. 100 des cas si ce n'est plus, les problèmes des enfants dont j'avais dû m'occuper étaient liés à leur famille biologique. Il pouvait s'agir d'un père absent, d'un parent alcoolique, peu importe... les problèmes partaient de la famille. J'avais décidé de changer d'orientation parce que je n'étais plus capable d'en prendre. Aujourd'hui, j'ai bouclé la boucle parce que je suis revenu dans le même domaine. Je constate malheureusement que la philosophie n'a pas évolué par rapport à ce qu'elle était il y a 35 ans.
Il est certes important d'instaurer des liens familiaux et de les entretenir, mais pas au risque de porter atteinte à la santé, au bien-être ou à la sécurité de l'enfant. Il va bien falloir que quelqu'un au ministère, au gouvernement — celui ou celle qui contrôle le placement de ces enfants — s'arrête un instant pour se dire que la santé et la sécurité des enfants doit passer en premier. Combien de décès d'enfants nous faudra-t-il chaque année pour en arriver à cette conclusion? Combien d'enfants vont devoir être exploités sexuellement avant cela? Je ne connais pas la réponse, mais je pense que nous devons tous nous mettre à y réfléchir pour essayer de trouver une solution.
Notre organisation a également réagi à la question des couvre-feux. Nous avions recommandé que l'on réfléchisse à la question, que l'on permette aux organismes et aux intervenants de Saskatoon qui s'occupent des enfants de s'arrêter un instant pour en parler. Un simple couvre-feu ne règle rien, parce que les problèmes sont beaucoup plus profonds que cela et qu'il faut aller au-delà des mots. Nous pourrions en parler toute la journée. La législation existe. Il demeure, comme Deb le disait tout à l'heure, que les mots ne restent que des mots tant qu'ils ne sont pas suivis d'effets par la volonté de libérer des décideurs d'examiner la situation et de se dire qu'il faut effectivement faire passer la santé et la sécurité des enfants avant tout le reste.
Il est possible que le défenseur des enfants doive jouer un rôle plus marquant. Si c'est le cas, il faut le financer, lui donner les moyens de faire respecter les règlements et les politiques ou d'engager un avocat pour protéger les enfants.
Mme Davies : Il est très important que l'on entende ce que les enfants ont à dire d'où l'importance de permettre au défenseur des enfants ou à un avocat de représenter ces jeunes parce qu'il faut absolument qu'ils soient entendus. Ils ont besoin de bénéficier de ce qui va dans le sens de leurs meilleurs intérêts.
Le sénateur Carstairs : Je fais de la politique depuis 22 ans maintenant et je dois vous dire que les politiciens adorent les solutions simples. Ils aiment des couvre-feux, ils aiment les changements apportés à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, parce qu'ils pensent que, d'une façon ou d'une autre, cela va changer les choses. Pourtant, il n'existe pas de solution simple, n'est-ce pas madame Delanoy?
Mme Delanoy : Certainement pas! En fait, j'essaie de trouver des solutions simples et je me dis qu'il faudrait peut- être intervenir durant les années de la petite enfance, avant la scolarité, de même qu'à l'école et après l'école. Et puis, nous devons privilégier un modèle des services de soutien à l'enfant qui fasse passer leurs besoins avant toute autre chose.
Vous avez raison, il est extrêmement difficile de faire comprendre cela. Je crois que tout le monde y croit, mais que nous ne parvenons pas à passer aux actes.
Je tiens à dire une chose. Il est en fait très difficile de véritablement se mettre à l'écoute des enfants et des jeunes pour les aider, et par enfants et jeunes, j'englobe tous ceux qui ont moins de 29 ans, sans doute à cause de mon âge avancé. Il faut donc du temps et des ressources et j'estime, pour ma part, que nous n'entendons pas la voix véritable des enfants et des jeunes, mais plutôt celle de faire-valoir. Nous avons des jeunes qui siègent pour la forme à des conseils ou à des comités, mais nous ne leur permettons pas vraiment de participer, outre que nous ne sommes pas tous disposés à investir le temps et les efforts nécessaires pour les encadrer et leur permettre de s'exprimer.
Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez parlé de groupes de travail et de groupes de discussion. Pouvez-vous me dire si les deux sexes sont également représentés au sein de ces groupes? Vous avez aussi parlé de la perception publique de la notion de droits individuels par rapport à celle de droits collectifs, et du fait que cela représente un problème. Pourriez- vous nous en donner un exemple, nous dire comment s'exprime ce genre de tension entre ces deux motions et ce que vous voudriez changer à cet égard?
Mme Delanoy : Il arrive que les deux sexes soient également représentés, mais il arrive aussi qu'ils ne le soient pas. Nous travaillons principalement auprès de jeunes femmes dont la plupart sont exploitées sexuellement, mais au sein de nos comités, nous travaillons aussi avec quelques jeunes hommes et garçons.
Pour ce qui est des droits individuels par rapport aux droits collectifs, comme je le disais, dans les différents dossiers sur lesquels nous travaillons, nous essayons d'équilibrer la représentation des organismes gouvernementaux et des organisations non gouvernementales pour recueillir tous les points de vue et nous essayons aussi de faire participer les jeunes. Ainsi, nous savons que l'accès à l'enseignement est un droit de l'enfant, un droit individuel. Toutefois, quand on considère la chose sous l'angle de la collectivité, on se rend compte que notre système scolaire ne permet pas aux jeunes qui peuvent avoir connu la violence ou qui travaillent dans le commerce du sexe d'accéder à l'école sous prétexte qu'ils pourraient s'en prendre à d'autres enfants. À cause de la nature collective de la loi, on ne respecte pas le droit individuel d'accéder à l'enseignement.
De plus, en Saskatchewan, on ne peut plus accéder à l'enseignement à partir de l'âge de 22 ans à moins que l'on paie pour cela. On a décidé que l'on a dépensé suffisamment d'argent sur la personne jusqu'à l'âge de 22 ans pour lui permettre ensuite d'accéder à un enseignement gratuit. Il arrive que des jeunes avec qui nous travaillons, qui ont été toxicomanes ou exploités sexuellement, décident de retourner à l'école après l'âge de 23 ans. Leurs droits individuels sont donc bafoués parce que, collectivement, nous avons décidé que notre système scolaire ne permettrait pas un retour tardif aux études.
La présidente : Ma question s'adresse à M. Thibodeau. En vous écoutant, j'ai eu une impression de déjà vu. J'ai quitté la région il y a 20 ans et je suis attristée de vous entendre parler des mêmes problèmes que ceux qui avaient cours à l'époque. D'un autre côté, je suis rassurée que vous soyez tous et toutes là. Je me suis toujours demandé comment on évalue la prévention. S'agit-il toujours des mêmes enfants dont vous vous occupez ou les suivez-vous durant un certain temps, après quoi ils sortent du portrait pour un temps? Par ailleurs, puisque vous travaillez dans ce domaine depuis pas mal de temps déjà, avez-vous constaté qu'il s'agit d'un problème de génération?
M. Thibodeau : Quand j'ai débuté à EGADZ, en 1991, nous voyions environ 200 jeunes par soirée. Nos installations se trouvent au centre-ville de Saskatoon. Avant, c'était une boite de nuit dont nous avons un peu conservé l'ambiance; je me rappelle l'avoir fréquentée une ou deux fois dans le passé. Au début, nous recevions des jeunes qui arrivaient des quatre coins de la ville et, après un certain temps, nous avons commencé à recevoir ceux qui n'avaient véritablement plus rien et qui avaient décidé de faire leurs ces lieux. Avec certain d'entre eux, on pourrait presque régler sa montre. Ils viennent là parce qu'ils s'y sentent acceptés et non jugés. Nous accueillons des enfants qui vont quotidiennement à l'école parce qu'ils aiment l'école, que c'est un lieu où ils sont bien. Et puis, il y a les autres qui ont l'impression qu'ils ne cadrent pas dans le décor. Nous avons affaire à des problèmes de pauvreté et aussi d'estime de soi.
Et puis, nous travaillons avec des durs, avec ceux qui ont pris racine dans la rue. Il y en a que nous ne voyons pas pendant des semaines jusqu'au jour où, malheureusement, nous apprenons qu'il y en a un qui a mal fini quelque part et que c'est justement pour cela que nous ne l'avions plus vu. Nous sommes aussi très présents dans les tribunaux, tous les jours, parce que nous voulons savoir qui est placé sous garde et où ces jeunes vont se retrouver, ce qui peut expliquer pourquoi nous ne les avons pas vus d'un certain temps.
Je fais cela depuis 15 ans et si certains jours je suis encouragé, je dois décrocher environ deux fois par semaine. C'est bien que je continue de fumer, parce que je vais m'installer dans mon véhicule pour regarder le bâtiment le temps de griller une cigarette avant de réintégrer mon bureau. C'est décourageant. J'en suis à la deuxième génération d'enfants de 12, 13 et 14 ans et je vois que rien n'a changé et que leurs parents, qui sont passés là avant eux, leur donnent le même genre de vie.
J'ai trois employés qui ont personnellement connu la même chose que les enfants dont ils s'occupent maintenant. Nous appliquons des normes très strictes et même si nous faisons participer les enfants à de nombreuses facettes de notre organisation, nous nous efforçons de ne pas trop les mobiliser tant qu'ils n'ont pas réglé leurs propres problèmes. Cela fait trois ans environ que nous avons ces trois employés, des gens qui ont changé de vie et qui sont sans doute mes meilleurs collaborateurs. Ils sont passés par là, ils savent ce que c'est. Il n'est pas vraiment nécessaire d'être passé par là avant pour faire ce qu'ils font et imprimer des t-shirts, mais ça aide certainement.
Je ne sais pas si j'ai vraiment envie de parler d'épidémie, mais il se trouve que nous n'avons pas eu de bandes de rue durant des années à Saskatoon, que nous ne connaissions pas le problème de l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes. Quand je vivais dans la rue, même la culture de la rue ne permettait pas que l'on porte atteinte à des enfants. Or, comme les choses ont changé dans cette ville, le commerce du sexe est apparu parce que les secteurs où les jeunes pouvaient traîner ont été déplacés dans les quartiers résidentiels à faible revenu où les enfants vivent dans la pauvreté et sont attirés par le commerce du sexe.
Sue vous a parlé d'éducation. Hier, j'ai participé à une réunion en compagnie d'un garçon de 17 ans qui avait participé à un combat particulièrement violent il y a quatre ans. C'était un combat à main nue, sans arme. Or, depuis quatre ans, aucune école n'est disposée à l'accepter. Ce n'est qu'hier, enfin, qu'une école a déclaré qu'elle était prête à l'accepter mais pour une heure par semaine seulement. C'est stupide! Comment parvenir à mobiliser ce jeune, comment lui dire qu'il peut s'attendre à plus? Il aura bientôt 18 ans et, à moins qu'il n'entretienne un véritable espoir d'avenir, il finira par intégrer une bande de rue et il fera partie de ceux à propos qui on dira : « Eh bien, nous avons tout essayé, mais on dirait qu'il n'a pas compris ».
Ce qu'il y a de merveilleux dans une bande pour ces jeunes, c'est qu'on ne les juge pas, qu'on les accepte pour ce qu'ils sont et qu'on est prêt à les intégrer. Nous pourrions beaucoup apprendre de ces bandes, parce que notre société n'agit pas de la sorte.
La présidente : Les écoles qui appliquent le principe de tolérance zéro ne font que refouler le problème dans la collectivité, parce que les enfants ne sont plus pris en compte par le système scolaire.
M. Thibodeau : Les deux conseils scolaires sont représentés à notre conseil d'administration. Nous serons très bientôt en octobre et je vous invite à me téléphoner dans trois semaines d'ici pour me demander combien d'enfants reviennent frapper à ma porte parce qu'ils n'auront pas été acceptés dans une école étant donné que, d'ici là il sera nécessaire de payer un prix de journée.
Il se peut que je sois trop idéaliste ou simpliste et pourtant, et quand j'étais adolescent, j'ai connu le même sort qu'un grand nombre de ces enfants : prison, drogues, violence et tout le reste. Je me demande souvent ce qui m'a permis de changer. Je n'ai pas la réponse, si ce n'est que je suis tombé sur des gens qui m'ont écouté et qui se sont montrés prêts à me donner un coup de main sans me juger. Ce que j'ai retenu du système, c'est que tous ceux et toutes celles sur qui je tombais connaissaient tout de moi après m'avoir vu cinq minutes seulement, ce que je trouvais ironique parce qu'à l'époque, je ne savais en fait pas grand-chose sur moi. Les choses n'ont guère changé dans le cas des enfants que nous voyons aujourd'hui.
Certaines solutions sont fort simples. Nos maisons My Home sont une réponse instinctive à l'entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Un juge avait menacé d'appeler le directeur régional des services sociaux. Dans nos deux maisons, nous sommes tenus très au courant de ce qui se passe par les enfants. Les jeunes travailleurs qui arrivent chez nous se plaignent que nous ne tenons pas de liste de corvées. Eh bien, il se trouve que je n'ai pas de liste de corvées pour mes enfants non plus, tout le monde vit dans un certain espace et tout le monde contribue à la vie collective.
Nous accueillons des jeunes de 13, 14, 15 et 16 ans qui sont quasiment laissés à eux-mêmes parce que leurs familles sont très dysfonctionnelles. Beaucoup de ces jeunes ont élevé des frères et des sœurs et ont des talents multiples. Nous misons sur ces talents pour chercher à les mettre sur la voie de l'indépendance.
Je tire mon chapeau aux employés du bureau central du ministère des Ressources communautaires qui nous ont finalement écoutés. Une de nos maisons accueille les filles de 12 à 15 ans et l'autre les filles de 16 à 17 ans. Il nous est arrivé d'abriter certaines d'entre elles durant trois ans, ce qui doit vouloir dire que nous faisons quelque chose de bien. Toutefois, il arrive que certaines se sabordent juste avant leur 18e anniversaire parce qu'un travailleur aura dit qu'il leur fallait commencer à songer à l'avenir étant donné qu'à 18 ans sonnant, elles n'auraient plus le droit de rester là et qu'elles devraient quitter My Home.
Il nous a fallu longtemps pour nous faire entendre par les fonctionnaires et il aura fallu qu'un de mes employés demande à l'un d'entre eux s'il avait des enfants. La personne lui ayant répondu par l'affirmative, mon employé lui a demandé si elle avait mis ses enfants hors de chez elle à l'âge de 18 ans.
Je suis certain que nous sommes nombreux à être tentés d'expulser nos enfants dès qu'ils ont 16 ou 17 ans, mais nous ne le faisons parce que ce sont précisément nos enfants. C'est comme cela que nous percevons ces jeunes, nous estimons que ce sont nos enfants. La politique a été modifiée depuis et nous allons bientôt avoir trois jeunes filles de 18 ans qui pourront rester à My Home jusqu'à ce qu'elles en décident autrement et que tous ceux qui travaillent à son contact s'entendent pour dire qu'elles sont aptes et prêtes à se retrouver seules. Cette solution était très simple et elle n'a pas nécessité beaucoup de rhétorique ni de paperasserie.
La présidente : Eh bien voilà une excellente note sur laquelle conclure. Nous aurions sans doute plus de succès si nous tenions compte des besoins de chaque enfant plutôt que d'essayer de les faire cadrer dans un système que nous avons imaginé de toute pièce. Merci de vous être déplacés. Nous sommes certains de ne pas contribuer à la rhétorique, mais plutôt de favoriser l'adoption de plans d'action.
La séance est levée.