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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 7 - Témoignages - Séance de l'après-midi


REGINA, le mardi 19 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 13 h 5, afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, nous allons commencer la séance de l'après-midi. Nous sommes ici pour examiner et faire rapport des obligations du Canada en ce qui a trait aux droits et libertés des enfants. Nous nous pencherons plus particulièrement sur la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant que le gouvernement du Canada a signée et ratifiée en 1989, mais à laquelle il n'a pas donné force de loi. Nous sommes ici pour déterminer dans quelle mesure la Convention a été mise en oeuvre et si elle a fait une différence pour les enfants au Canada. Notre premier groupe de témoins est celui de la First Nations Child Welfare Association.

Dexter Kinequon, directeur exécutif, bande indienne du Lac La Ronge, Services à l'enfance et à la famille autochtone : Bonjour. Notre bande est l'une des plus importantes des Premières nations au Canada; nous sommes une bande multi- communautaire de 7 300 membres vivant dans la réserve et à l'extérieur de celle-ci. Nous sommes situés dans le nord de la Saskatchewan, à environ 760 kilomètres au nord de Regina.

Notre agence fonctionne depuis 12 ans. Nous offrons des services aux enfants et aux familles des six communautés de la bande indienne de Lac La Ronge. Nous sommes l'une des 18 agences des Premières nations à qui on a confié la tâche d'offrir des services d'aide à l'enfance aux enfants vivant dans les réserves de la Saskatchewan. À titre de directeur exécutif de la prestation des services d'aide à l'enfance, j'ai l'honneur aujourd'hui de vous faire part de notre expérience et de nos observations concernant les services d'aide à l'enfance, en rapport avec la Convention des Nations Unies relatives aux droits de l'enfant.

De nombreuses familles et communautés des Premières nations espéraient que la ratification de la Convention par le Canada serait le signal d'un nouveau départ. Les membres des Premières nations ont cru que nous allions enfin reconnaître que la séparation involontaire et disproportionnée des milliers d'enfants autochtones de leurs familles, de leurs communautés et de leurs cultures par les réseaux d'aide à l'enfance était inacceptable.

Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones réalisé en novembre 1996 a également suscité des espoirs chez les membres des Premières nations. Malheureusement, nous n'avons pas vu les changements auxquels nous nous attendions à la suite des recommandations de ce rapport.

Plus récemment, les engagements des membres des Premières nations au titre de l'Accord de Kelowna de février 2006 sont un recul par rapport à notre cheminement historique. Nous en sommes toujours au statu quo, avec peu d'espoir que la vie de nos enfants ou ceux de la prochaine génération s'améliorera de manière significative.

Notre agence, en partenariat avec d'autres agences et avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), a participé à un examen de la politique nationale du MAINC visant à subventionner toute une gamme de services à l'enfance et à la famille comparable à ce que les provinces offrent à l'extérieur des réserves. Un rapport avec 17 recommandations a été présenté au MAINC en juin 2000 et nous n'avons pas encore vu d'améliorations ou de changements significatifs.

Le maintien du statu quo a pour effet d'élargir l'écart entre la qualité de vie des communautés autochtones et celle des collectivités non autochtones et de retarder la mise en oeuvre du processus nécessaire pour apporter des changements.

Nous travaillons avec d'autres agences à l'établissement d'un institut communautaire et familial des Premières nations. Le gouvernement de la Saskatchewan et les Premières nations reconnaissent que la mise en oeuvre de cet institut aiderait grandement les agences à l'élaboration de politiques, de normes et de programmes et permettrait la coordination de programmes de recherche et de formation. Le gouvernement fédéral actuel ne prévoit cependant aucun fonds pour ce genre d'initiative.

Nous devons développer des ressources, des services d'aide et des capacités, afin de réparer le tort que nous ont causé les écoles résidentielles et d'autres politiques qui ont été élaborées sans la participation des Premières nations et qui nous ont laissés sans forums pour régler les conflits opérationnels que ces politiques créent dans nos communautés. Ces politiques n'ont pas assuré aux enfants et aux familles le bien-être et la sécurité que l'on retrouve à l'extérieur des réserves ni n'ont amélioré l'accès des Premières nations à toute la gamme de services dont jouissent les autres Canadiens. Et aucune mesure préventive n'a été élaborée pour améliorer la qualité de vie des futures générations des Premières nations.

Les Premières nations devraient avoir accès à des forums fédéraux qui élaboreraient, examineraient et réviseraient les politiques pour les enfants et les familles des Premières nations. Elles ont également besoin de ressources pour élaborer leurs propres politiques, normes et méthodes de reddition de compte.

Comme l'a récemment rapporté le Sénat, le Canada partage la responsabilité de mettre en oeuvre la Convention avec les provinces et les territoires. Malheureusement, aucun effort concerté n'a été déployé pour que les enfants des Premières nations puissent bénéficier de cette Convention, et des articles 20 et 30, plus précisément.

Le défenseur des enfants de la Saskatchewan (Saskatchewan Children's Advocate) a rapporté en 2000 que trois enfants autochtones sur quatre sont placés dans des foyers d'accueil non autochtones. Nous croyons que c'est là une violation flagrante des articles 20 et 30 de la Convention. La raison généralement évoquée pour justifier cet état de choses est qu'il en va de l'intérêt des enfants. Le sens de « meilleur intérêt » a été défini dans plusieurs décisions des tribunaux. Il est rare, toutefois, que le principe de continuité culturelle pour l'enfant exerce une influence dans le choix du foyer d'accueil pour l'enfant. La sécurité et le manque de ressources appropriées sont les raisons les plus souvent évoquées pour justifier le non-respect de la Convention. Nous croyons que les Premières nations ont le droit de déterminer ce qui est dans le meilleur intérêt pour l'enfant autochtone.

Les gouvernements fédéral et provinciaux élaborent des politiques sans la participation des Premières nations, alors qu'elles ont d'importantes répercussions sur les familles autochtones. Nous sommes d'accord avec M. Rodolfo Stavenhagen, le rapporteur spécial sur la situation des droits de la personne et des libertés fondamentales des peuples autochtones. Dans son rapport du 25 avril 2006, il dit ceci :

Le rapporteur spécial recommande l'établissement d'organismes, en consultation et avec la participation des peuples autochtones, pour l'élaboration de toutes les mesures générales et particulières qui les concernent, avec une attention spéciale accordée aux lois, aux ressources naturelles et aux projets de développement. Il considère qu'il est crucial d'établir, en parallèle avec les nouvelles lois, des mécanismes et des pratiques de surveillance et d'évaluation, et des mécanismes pour la mise en œuvre des normes établies avec la participation des peuples autochtones. Les Parlements devraient établir des commissions sur les affaires autochtones et sur les droits de la personne, là où elles sont toujours inexistantes, et si elles existent déjà, elles devraient avoir la responsabilité de proposer des lois qui répondent efficacement aux besoins et aux exigences des peuples autochtones, en consultation avec ces derniers. De la même manière, elles devraient surveiller de près l'utilisation des budgets alloués à la protection et à la promotion des droits des peuples et des communautés autochtones. Le Rapporteur officiel demande que soient adoptées rapidement les lois statutaires et organiques pour la mise en œuvre des normes énoncées dans les lois sur les droits des peuples autochtones. S'il y a incohérence entre les lois, la préséance devrait être accordée à celles qui protègent les droits des peuples autochtones, et les conflits qui émanent de ces incohérences devraient être résolus en toute bonne foi, dans le cadre d'ententes mutuelles.

De plus, le rapporteur officiel recommande l'établissement de mécanismes indépendants, comme des observatoires des droits de la personne, afin de déterminer les critères et les indicateurs appropriés à une surveillance systématique de la mise en œuvre de lois sur les droits des peuples autochtones. Le Rapporteur spécial réclame le respect et l'application intégrale des normes internationales relatives à la reconnaissance des droits des peuples autochtones.

Les Premières nations entretiennent une relation spéciale avec l'État, aux termes de la proclamation royale, des traités et de la Constitution du Canada. Le Canada a une obligation fiduciaire vis-à-vis des Premières nations. Nous demandons au gouvernement fédéral qu'il protège nos droits et remplisse ses obligations aux termes de la Convention. Nous lui demandons d'appuyer la prestation de services par les agences et les institutions des Premières nations, dans le respect des normes, des cultures, des systèmes de croyance et des valeurs des peuples des Premières nations.

Nous attendons toujours l'application intégrale des recommandations de l'examen conjoint de la politique nationale de 2000. Des recherches ont été réalisées en 2005, à la suite de ces recommandations, par la Child and Family Caring Society des Premières nations pour le compte du gouvernement fédéral et des organismes offrant des services aux enfants et aux familles des Premières nations, partout au Canada. Ces recherches fournissent des informations et d'autres recommandations pour orienter la mise en œuvre des recommandations de cette politique nationale. L'étude de ce dossier a encore une fois été reportée d'un an en raison du changement de gouvernement.

Nous sommes un peuple patient, mais l'une de nos plus pressantes obligations est de bien nous occuper de nos enfants. Nous sommes donc ici pour proposer des mesures pratiques et raisonnables pour venir en aide à nos enfants et nos familles.

Tout ce que nous demandons pour nos enfants et nos familles, c'est qu'ils puissent bénéficier, au même titre que tous les autres Canadiens, des ressources que nous offre notre grand pays. Aux termes des lois constitutionnelles, les enfants et les familles des Premières nations ont droit aux mêmes avantages que ceux qui sont offerts aux autres Canadiens. De nombreuses lois qui ont eu des effets inéquitables sur les enfants et les familles autochtones ont été maintenues longtemps après qu'elles se soient révélées nuisibles pour les peuples autochtones.

La possibilité pour les enfants et les familles autochtones de développer leur potentiel est un droit, au même titre que les autres enfants et familles du Canada. Ils ont droit à une gamme de services comparables qui reconnaissent, protègent et tiennent compte des valeurs et des cultures autochtones.

Les Premières nations doivent obtenir les ressources dont elles ont besoin pour se développer, ainsi que des services qui tiennent compte de leur culture, de leurs valeurs et de leurs traditions communautaires, si bien que leurs enfants bénéficieront de la sécurité et du bien-être, au même titre que les autres enfants du Canada.

Les différends entre les gouvernements et les ministères sur le plan juridique, des responsabilités financières et des mandats ont abouti à un fouillis de programmes et des services compliqués et fragmentés. Les politiques qui ne tiennent pas suffisamment compte des particularités des communautés autochtones ignorent généralement que le coût des biens et des services est plus élevé dans les collectivités nordiques et que les services et les programmes de soutien ne sont pas aussi facilement accessibles dans les réserves que dans les centres urbains. Les politiques à courte vue et le manque de vision à long terme de la part des autorités se sont soldés par des interventions fragmentées, mises en œuvre dans des situations de crise, et qui répondent inadéquatement aux besoins des enfants vulnérables et de leurs familles.

Une véritable participation des Premières nations au processus d'élaboration de politiques éviterait que les différends n'élargissent l'écart entre la sécurité et le bien-être offerts aux enfants autochtones par rapport à ceux du reste du Canada. Nous recommandons l'établissement de forums intergouvernementaux, lorsque l'approche du règlement des différends se fonde sur le principe de la comparabilité, et la mise en œuvre d'un plan d'action étalé sur dix ans pour rétablir les ponts et atteindre une qualité de vie comparable.

Les travailleurs sociaux privilégient les mesures de prévention et de soutien pour assurer la protection des enfants. Bien trop souvent, et plus spécialement en ce qui concerne les agences de la Saskatchewan qui offrent des services aux enfants et aux familles, les politiques fédérales ont tendance à protéger les enfants en les plaçant loin de leurs familles. Il n'y a pour ainsi dire pas de ressources pour aider les familles à retrouver leur capacité de s'occuper de leurs enfants à leur retour. L'examen de la politique nationale, et la recherche effectuée par la suite par la Child and Family Caring Society des Premières nations, ont fait ressortir la nécessité de subventionner les agences des Premières nations, afin d'élaborer et de mettre en œuvre des services de prévention et de soutien aux familles.

Nous demandons que les recommandations de l'examen de la politique nationale et des recherches subséquentes soient mises de l'avant le plus tôt possible.

Nous recommandons l'établissement d'un centre national de responsabilité, afin d'assurer la coordination et l'imputabilité des travaux de toutes les parties responsables de la protection des droits des enfants autochtones, et la mise en place d'un plan visant à réduire les écarts dans un délai raisonnable.

Nous recommandons que les gouvernements fédéral et provinciaux appuient la création d'un commissariat aux enfants autochtones, afin que les droits de tous les enfants des Premières nations de la Saskatchewan soient protégés et que les lois, les politiques et les programmes soient conformes à la Convention des Nations Unies relative au droit de l'enfant.

J'aimerais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui et j'espère enfin que certaines des informations que j'ai exposées ici serviront à renforcer les droits de tous les enfants au Canada.

La présidente : Monsieur Kinequon, c'est la première fois que j'entends parler d'un rapport contenant 17 recommandations. Il doit s'être égaré dans les dédales de la paperasserie administrative. Nous avons entendu des groupes autochtones, des bureaucrates et des ONG, et personne ne nous a parlé de ce rapport du mois de juin 2000 qui semble très important à vos yeux et qui a trait, semble-t-il, aux questions qui nous intéressent. Pouvez-vous nous en parler? Se sert-on de ce rapport dans les communautés autochtones?

M. Kinequon : L'examen de la politique nationale a été entrepris par le MAINC et des organismes canadiens d'aide à l'enfance. Le rapport final a été déposé et, selon ce que j'ai pu comprendre du MAINC, certaines recommandations ont été mises en œuvre. Nous attendons le dépôt de quelques articles ayant trait à la capacité de financer des services préventifs. Le Comité consultatif national, composé de représentants du MAINC et d'organismes d'aide à l'enfance de partout au Canada, cherche actuellement à faire consensus sur les 17 recommandations restantes. Cela fait six ans que nous attendons.

La présidente : Si je comprends bien, vous n'avez pas les mêmes ressources qu'ailleurs en Saskatchewan, surtout en ce qui concerne les services préventifs, parce que vous êtes lié au gouvernement fédéral, et non au gouvernement provincial. N'êtes-vous pas également confronté au problème du va-et-vient des familles dans les réserves et hors réserve et cela ne complique-t-il pas le problème lié à la détermination de degré de responsabilité du gouvernement?

M. Kinequon : Pour répondre à votre première question, c'est en partie sur ce problème que la recherche sur la politique nationale de financement du gouvernement fédéral a été orientée. L'entente de financement stipule que nous devons offrir des services dans les réserves qui sont comparables à ceux offerts hors réserve. Le gouvernement provincial a la possibilité de se prévaloir de tous les articles de la Loi sur les services à l'enfance et à la famille. Toutefois, les articles sur les services préventifs ne sont pas reconnus dans notre entente de financement, et c'est pourquoi les services préventifs ne sont pas financés dans les réserves. Nous sommes confrontés ici à un problème de non-comparabilité.

Quant aux va-et-vient dans les réserves et hors réserve, effectivement, il y en a. Ma communauté est carrément divisée par une route; une résidence peut se situer d'un côté d'une rue et être dans la réserve, et si vous traversez la rue, vous voilà hors réserve. Cela crée des problèmes. Nous avons travaillé avec le ministère des Ressources communautaires de la province à l'élaboration d'une entente qui s'applique aux membres qui vivent dans les réserves et hors réserve, et nous utilisons actuellement avec le ministère un système de repérage à partir de la base de données informatisée des clients inscrits. Nous sommes maintenant mieux en mesure de suivre les allées et venues des clients dans les réserves et hors réserve.

La présidente : Les comparaisons ont toujours été un problème pour moi en Saskatchewan; si des ressources sont offertes à un endroit, cela veut dire qu'il faudra les offrir à Regina, à Saskatoon, peut-être à Moose Jaw et à Prince Albert, parce que les enfants ont besoin de services spécialisés et que nous ne disposons que d'un certain nombre de pédiatres, d'orthophonistes, et cetera.

Quels services préventifs ou spécialisés avez-vous désespérément besoin dans les réserves, et qui, selon vous, seraient également nécessaires ailleurs dans la province?

M. Kinequon : La question de l'heure, c'est de garder les enfants dans leur milieu familial plutôt que de les en retirer. Nous avons besoin de services d'aide sur appel, si bien que les enfants et leurs familles n'auraient pas à se déplacer dans les centres pour obtenir ces services.

Je viens d'une communauté de 5 000 à 6 000 personnes de La Ronge. Nous n'avons ni psychologues ni services de santé mentale là-bas. La bande ne peut offrir des services de santé mentale qu'aux adultes et, pour obtenir ces services, ces derniers doivent se rendre à Prince Albert, à 250 kilomètres au sud.

Nous aimerions pouvoir offrir davantage de services à domicile. Nous avons souvent envoyé nos jeunes dans le sud afin qu'ils puissent y suivre des thérapies fort coûteuses et efficaces, mais ils se retrouvent en quelques semaines après leur retour dans leur communauté au même point où ils en étaient avant d'entreprendre leur thérapie. Si aucun changement n'est effectué à la maison, il est difficile d'amener l'enfant à modifier son comportement.

Le sénateur Carstairs : Monsieur Kinequon, je viens du Manitoba et je connais très bien les organismes d'aide à l'enfance et à la famille, plus particulièrement les organismes autochtones. Pouvez-vous me dire si vos organismes d'aide à l'enfance et à la famille fonctionnent selon les mêmes principes ou si vous avez moins de pouvoirs en Saskatchewan?

M. Kinequon : Je crois savoir que les services à l'enfance et à la famille sont plus avancés au Manitoba. Des ententes ont été conclues à différents niveaux avec le gouvernement provincial. Je pense aussi qu'ils offrent des services de ce genre depuis plus longtemps. Notre agence est l'une des premières à avoir été mise sur pied, bien qu'elle ne soit ouverte que depuis 12 ans. En ce sens, nous avons un peu de retard par rapport au Manitoba.

Le sénateur Carstairs : Je pense qu'il est très important de donner le mandat d'offrir des services aux communautés. Cependant, les communautés du Manitoba sont encore confrontées à bien des problèmes similaires aux vôtres. Si je comprends bien, même au Manitoba où les ententes sont plus élaborées, les enfants peuvent obtenir toutes sortes de services d'aide de l'extérieur, mais aucun service n'est offert aux parents pour qu'ils puissent garder leurs enfants à la maison. Je pense que l'enfant a plus de chance de se tirer d'affaire s'il demeure à la maison ou dans son environnement communautaire, surtout s'il peut bénéficier de services dès qu'il en a besoin.

Si votre communauté avait le choix, vous choisiriez de toute évidence de garder l'enfant dans la collectivité. Pourriez-vous lui offrir cette possibilité si vous aviez plus de ressources financières? N'y a-t-il pas suffisamment de foyers d'accueil dans votre communauté.

M. Kinequon : Je serais tenté de répondre par l'affirmative à ces deux questions. Certaines communautés éloignées ne comptent guère plus de 300 personnes. Le foyer d'accueil de l'enfant pris en charge pourrait se situer en face de chez lui ou au bout de sa rue. Cette proximité peut être une source d'angoisse et empêcher les gens de se constituer en famille d'accueil.

Comme nous avons six communautés, nous avons été en mesure de développer des ressources dans les réserves, si bien qu'un enfant peut quitter sa communauté, tout en demeurant dans la bande indienne de Lac La Ronge. Certaines de nos communautés sont à 35 kilomètres les unes des autres, tandis que d'autres peuvent se situer à 210 kilomètres de la communauté voisine. Nous avons essayé de développer plus de ressources dans toutes les communautés, de sorte que si les enfants ne sont pas dans la communauté d'origine, ils demeurent tout de même dans une bande dont la structure et la culture sont les mêmes.

Le sénateur Carstairs : Il est important de garder les enfants occupés. Recevez-vous des fonds pour l'organisation d'activités récréatives les fins de semaine et après l'école, comme des soirées de danse, des activités culturelles ou autres? Je sais que vous recevez des subventions pour assurer le fonctionnement des écoles, mais bon nombre d'écoles que j'ai visitées dans les communautés autochtones ne sont pas différentes des écoles urbaines : elles sont fermées vers 16 heures, même si plusieurs d'entre elles ont des installations que les enfants pourraient utiliser après les heures de classe. Qu'en est-il dans votre communauté?

M. Kinequon : Les communautés les plus éloignées organisent de plus en plus d'activités parascolaires, notamment dans des centres où les jeunes peuvent se retrouver. Malheureusement, la réalité est que les dirigeants politiques ne portent qu'un intérêt de façade à l'idée que les jeunes représentent notre avenir. Ils nous disent combien il est important de s'occuper d'eux, mais lorsque vient le temps d'établir le budget, la part consacrée aux loisirs des jeunes est très mince et ne constitue souvent que des miettes. Nous nous réunissons donc souvent pour essayer de leur trouver des loisirs qui ne coûtent pas grand-chose. Nous sommes confrontés au même problème avec les enfants désœuvrés qui errent ici et là et se retrouvent avec de graves problèmes.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Lorsqu'un enfant autochtone est adopté par des parents adoptifs d'une communauté non autochtone, cet enfant peut-il revenir dans la communauté en tant que membre?

M. Kinequon : Oui.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Les survivants des pensionnats autochtones peuvent-ils facilement faire une demande d'indemnisation, s'ils vivent de ce côté-ci du pays?

M. Kinequon : Il y a un peu de confusion entourant cette question. La Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan (FNIS) a joué le rôle de chef de file en tentant d'informer les communautés de la Saskatchewan sur le processus. Toutefois, pas plus tard que la semaine dernière, j'étais au bureau et les gens s'interrogeaient sur le processus et se demandaient où nous en sommes. Nous n'avons pas beaucoup d'information. Bien des membres de la communauté n'ont ni ordinateurs ni accès aux sites Web; ils dépendent donc de la bande et ce sont les responsables des programmes d'éducation, de santé ou autre qui doivent transmettre l'information aux membres de la réserve. Malheureusement, ils ne sont pas informés très rapidement.

Le sénateur Lovelace Nicholas : A-t-on besoin de ressources financières pour faciliter l'accès à l'information sur les indemnisations?

M. Kinequon : Je ne peux pas parler au nom de la FNIS, mais pour ce qui est des Premières nations de la Saskatchewan, je crois que c'est une question de financement. Ils feraient le nécessaire pour assurer que tous les membres des Premières nations de la Saskatchewan qui ont droit à ces indemnisation en soient informés. Je ne peux parler de manquement à ce chapitre de notre côté. Nous n'avons pas de fonds pour cela.

Le sénateur Munson : Au début de votre exposé, vous avez indiqué que, d'après le protecteur des enfants de la Saskatchewan, trois enfants autochtones sur quatre avaient été placés en foyer d'accueil non autochtone en 2000. La situation a-t-elle changé?

M. Kinequon : Je ne suis pas tout à fait certain de ce que disent les statistiques actuellement à cet égard, mais je sais que le nombre d'enfants autochtones en service d'accueil par rapport aux autres Canadiens en Saskatchewan est très disproportionné.

Le sénateur Munson : Vous avez également dit que c'était une flagrante violation aux articles 20 et 30 de la Convention. Si le Canada décidait de l'appliquer après l'avoir ratifiée, qu'est-ce que cela changerait? Y aurait-il des pénalités si nous ne nous conformions pas à la Convention? Je suppose que les cas de non-conformité pourraient être portés devant les tribunaux. Comment cela fonctionnerait-il?

M. Kinequon : Je ne sais trop comment cela fonctionnerait, mais je pense que ce qu'il faut retenir de cette déclaration, c'est que le gouvernement fédéral doit venir en aide aux agences qui travaillent auprès des enfants autochtones. Ainsi, les agences seraient mieux en mesure de garder les enfants autochtones dans les réserves et ces derniers se sentiraient plus en sécurité dans leur environnement.

Le sénateur Munson : Pouvez-vous me dire ce que vous savez des enfants autochtones atteints du syndrome d'alcoolisme fœtal actuellement en Saskatchewan et des nouveau-nés qui en meurent? Nous avons entendu des témoignages troublants et contradictoires ce matin. On nous a dit que la situation était un peu moins sombre que dans le passé; nous avons entendu dire qu'il y avait des problèmes de racisme systémique; nous avons entendu des témoignages de ce qui se passe dans les rues de Saskatoon. Ces statistiques qu'on nous a données sur la Saskatchewan sont très troublantes. Nous ne voulons pas nous en tenir à un autre rapport; nous voulons faire des recommandations sur les mesures à prendre.

M. Kinequon : L'un des problèmes très important auquel nous sommes confrontés, je pense, c'est le manque de vision du gouvernement fédéral au sujet des peuples des Premières nations. Cette constatation s'applique non seulement au gouvernement actuel, mais aux gouvernements antérieurs. Les communautés autochtones ont des problèmes et le gouvernement fédéral ne sait tout simplement pas que faire. Des politiques sont mises en place pour régler ces problèmes, et si elles ne fonctionnent pas, on se contente de les remplacer par d'autres. Il n'y a pas de vision d'ensemble sur la manière de résoudre ces problèmes systémiques.

J'ai parlé plus tôt d'un centre de responsabilité. Ce n'était peut-être pas le cas il y a 15 ans, mais il y a aujourd'hui suffisamment d'Autochtones instruits pour former des groupes de réflexion dans tout le Canada sur les moyens de résoudre certains de ces problèmes. Les Premières nations ont maintenant un niveau d'éducation et les connaissances nécessaires pour y parvenir. Les choses ont bien changé depuis que je m'occupe des services d'aide à l'enfance. Je rencontre de nombreux Autochtones qui sont très intelligents, crédibles et expérimentés.

Le gouvernement fédéral doit adopter une nouvelle approche, une nouvelle philosophie fondée sur la transparence. Actuellement, le principe directeur à tous points de vue est de dépenser le moins possible d'argent pour résoudre une situation. Voilà mon impression à titre de représentant d'un organisme de première ligne de services d'aide à l'enfance. Dans bien des cas, on met des conditions aux subventions qui nous sont accordées, afin d'exercer un contrôle sur les montants que nous attribuons à nos services.

Quant à la situation en Saskatchewan, les Premières nations doivent assumer leurs responsabilités à l'égard des enfants des Premières nations. Protéger les droits des enfants implique parfois la nécessité de protéger les enfants autochtones des membres des Premières nations eux-mêmes.

Des améliorations doivent être apportées sur le plan de la certification, de l'accréditation et des normes de pratique. Les Premières nations ont du travail à faire à ce chapitre. Nous n'avons pas à imposer ces responsabilités à d'autres et nous sommes maintenant en mesure d'accomplir ce travail et d'assurer la sécurité de nos enfants.

Nous avons entendu parler d'enfants qui sont décédés alors qu'ils étaient sous la garde d'une agence des services à l'enfance et à la famille. Je peux affirmer que des enfants meurent pendant qu'ils sont sous la garde du gouvernement provincial en Saskatchewan et dans d'autres provinces.

Tout le secteur des services d'aide à l'enfance doit être examiné.

Steven McArthur, représentant, Conseil tribal de Yorkton, Services à l'enfance et à la famille : Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Kinequon. Notre agence offre des services à 13 communautés des Premières nations dans le sud de la Saskatchewan et le fait que le financement soit lié aux risques et responsabilités a toujours été une source de problèmes pour nous. Nous nous demandons si les fonds alloués permettront d'assurer la prestation des services dont nous avons besoin. Je pense qu'il est très important que l'examen de la politique nationale serve de moyen pour résoudre les nombreux problèmes qui ont été relevés, comme le manque de ressources qui compromet la qualité des services offerts aux enfants des Premières nations.

Le critère primordial des agences a toujours été de travailler dans le meilleur intérêt des enfants. L'objectif premier de l'examen de la politique nationale a été d'établir si nous avions les ressources financières et autres pour offrir des services adéquats. Cet examen a été effectué entre 2000 et 2006. Combien de temps faudra-t-il attendre encore? Il s'agit d'une politique de financement nationale pour l'ensemble des agences de services à l'enfance et à la famille des Premières nations de la Saskatchewan. Nous devons tenir compte des risques que représentent ces délais et l'escalade des facteurs de risque avec le temps. Nous devons analyser plus attentivement les liens existant entre ces risques et la politique de financement. Nous devons faire des liens entre les ressources et la capacité de fournir des services dans le meilleur intérêt des enfants des Premières nations et de leurs familles.

La présidente : Monsieur Kinequon, vous avez parlé de l'établissement d'un institut de la famille et de la communauté autochtone en Saskatchewan. Je crois vous avoir entendu dire que les enfants autochtones ont des besoins uniques en raison de leur culture et de leur histoire et que vous étiez confronté à des problèmes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des réserves. Cet institut tiendrait-il compte des meilleures pratiques et des problèmes communs? Comme vous l'avez dit, vous avez maintenant les connaissances et l'éducation nécessaires pour cerner les problèmes et vous avez les qualifications professionnelles pour commencer à vous employer à les résoudre.

Considérez-vous que cet institut devrait être une initiative du Canada ou de la province de la Saskatchewan? Il posséderait des qualités intellectuelles et s'adonnerait à des travaux de recherche, mais si j'ai bien compris, il pourrait également recommander des pratiques exemplaires. Par exemple, dans une réserve située à 20 milles des services spécialisés, comment assurez-vous les fonctions courantes que les travailleurs sociaux doivent apprendre pour effectuer leur travail? Si l'institut devait régler tous ces problèmes, ne croyez-vous pas que tout le pays en bénéficierait? L'idée est captivante et je pense qu'elle est applicable.

M. Kinequon : Je souhaite que cet institut soit un organisme national de recherche qui échange des informations et élabore des politiques sociales avec les services d'aide à l'enfance.

Je ne veux pas jeter tout le blâme sur le MAINC; nous sommes différents, mais en même temps, cet institut était un projet conjoint, réunissant les agences d'aide à l'enfance qui relèvent de la FNIS et financé par le ministère des Ressources communautaires et par le MAINC pour ce qui est du volet consultation. Ils n'offrent pas de subventions pour le fonctionnement de l'institut en tant que tel, et je pense que cela devrait faire partie de leurs responsabilités, tant à l'échelle provinciale que nationale.

Il existe actuellement des disparités entre le bureau régional du MAINC et le bureau national. Nous avons une très bonne relation de travail avec le bureau régional; les gens qui y travaillent essaient vraiment de venir en aide aux agences. À Ottawa, toutefois, les choses sont totalement différentes; nous nageons dans l'inconnu. Le bureau national ne peut prendre la direction que nous souhaitons donner à ce genre de projet mixte, notamment. Nous espérons la mise en place d'un institut qui soit bénéfique pour l'ensemble du pays. Le processus de consultation est lancé et nous irons de l'avant à partir de cela.

Le sénateur Carstairs : Nous avons eu beaucoup de succès avec un projet de recherche sur le milieu familial intitulé RESOLVE, mis en œuvre dans les universités de la Saskatchewan, du Manitoba et de Calgary, en Alberta. Il semble que les problèmes de prestation de services aux enfants et aux familles que nous avons en Saskatchewan sont similaires à ceux du Manitoba et de l'Alberta. Ce serait peut-être une bonne idée de créer une fondation de la recherche pour les Prairies. Les problèmes sont quelque peu différents dans le Canada atlantique, le Québec et l'Ontario, ne croyez-vous pas?

M. Kinequon : Effectivement. Il y a bien des similitudes dans le fonctionnement des agences des Prairies. Nous travaillons en collaboration avec les centres d'excellence du Manitoba à l'élaboration de politiques et de nouvelles stratégies. J'espère qu'un jour, l'institut des Premières nations de la Saskatchewan pourra travailler en collaboration avec ces provinces, parce que nous avons un intérêt collectif à travailler ensemble au développement futur.

Le sénateur Carstairs : Un grand nombre de peuples non autochtones pensent que les Autochtones ne veulent pas être accrédités et être assujettis aux mêmes normes. Néanmoins, je sais par expérience que les peuples autochtones veulent servir leurs communautés autant, sinon davantage, que les non-Autochtones. Ils veulent obtenir de la formation et acquérir de l'expertise, plus précisément sur leur peuple et leur culture. Je crois qu'il importe de préciser que ce ne sont pas les normes ou l'accréditation qui les laissent indifférents, mais bien la non-pertinence de ces normes et de ces accréditations.

M. Kinequon : Je suis tout à fait d'accord. Les opinions divergent au sujet des processus d'accréditation. Nous avons besoin de l'aide d'un organisme comme un institut des Premières nations pour orienter ce processus. On constate même des divergences à cet égard à l'intérieur même des 18 agences de la Saskatchewan. Nous devons également tenir compte du caractère unique du Nord. J'appuie le principe de l'accréditation et l'élaboration de normes de pratiques et de politiques connexes, mais elles doivent être appropriées.

Le sénateur Merchant : La structure du gouvernement est complexe. Je pense parfois qu'il dépense beaucoup d'argent à se battre contre la prestation de services. Les subventions accordées doivent être bien justifiées. Quels sont les plus grands obstacles que vous devez surmonter lorsque vous traitez avec le gouvernement?

Combien de temps faut-il avant qu'une idée ne porte fruit sur le terrain? Combien d'années sont-elles nécessaires pour convaincre les gens? Les gouvernements sont constitués de politiciens et il est dans la nature des choses de rendre des comptes à l'électorat. Ce matin, un intervenant a parlé de racisme envers les peuples des Premières nations dans son exposé.

M. Kinequon : À titre de directeur d'une agence de services d'aide à l'enfance, je peux vous dire que je dois lutter contre les injustices faites à l'endroit des organisations autochtones qui traitent avec la bureaucratie gouvernementale. Il n'y a souvent aucune réciprocité; tout se passe souvent à sens unique. Lorsque je traite avec le gouvernement, j'ai souvent le sentiment d'être comme un enfant à qui on dit de faire ceci ou cela, de telle ou telle manière, et si on ne le fait pas, on nous coupe les vivres.

Nous essayons de maintenir la communication dans la mesure du possible, mais les ententes nous sont présentées comme un fait accompli, et si une entente nous pose problème, on nous dit que nous procéderons ainsi cette année et que l'an prochain on pourra essayer autre chose. Nous n'avons vraiment pas de recours; c'est comme si nous n'avions pas la possibilité de discuter d'égal à égal autour d'une table. C'est l'une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Pour ce qui est de l'imputabilité, je pense qu'on n'a pas confiance dans les décisions que je prends en matière de prestations de services à l'enfance. Nous devons constamment répondre à des conditions de toutes sortes. Nous essayons de rencontrer les responsables du ministère, afin d'essayer de régler quelques-uns de nos problèmes, mais, encore là, c'est comme si le papa d'Ottawa nous disait comment faire. Comment répondre à cela? Nous sommes forcés d'obtempérer...

Le sénateur Merchant : Le gouvernement peut toujours trouver de l'argent pour défendre ses idées. Alors comment pouvons-nous leur faire concurrence avec nos moyens limités? C'est presque impossible de présenter notre cause sur un pied d'égalité.

M. Kinequon : L'examen de la politique nationale est en réalité un véritable investissement collectif de l'ensemble des Premières nations du Canada. Ce rapport n'a pas été élaboré par quelques Premières nations de la Saskatchewan; il reflète les opinions de nombreuses Premières nations. Comme je l'ai mentionné dans mes exposés, de nombreuses initiatives ont été prises nous portant à croire que des changements se produiraient. Nous avons effectué un examen de la politique nationale et aucun changement n'a été apporté pour autant. Alors que peut-on faire? Nous nous présentons à des forums comme celui-ci ou à des forums des Nations Unies et nous espérons en quelque sorte pouvoir inciter le gouvernement à adopter des mesures pour résoudre quelques-uns de nos problèmes.

Le président : Merci de votre exposé écrit; il fait état de vos besoins particuliers et nous amène à nous pencher sur la question. Nous devons l'examiner, puisque vous considérez qu'il nous sera utile. Merci d'avoir parcouru toute cette distance pour venir nous rencontrer. Nous organiserons d'autres rencontres et nous espérons que nos recommandations viendront en aide aux enfants de votre réserve et des autres régions du Canada.

Geoff Pawson, fondateur, Ranch Ehrlo Society : Madame la présidente, c'est un honneur que d'être ici. Il y a longtemps que je n'ai comparu devant vous.

Je vais commencer par vous parler de la Ranch Ehrlo Society et de l'Ehrlo Community Services, qui sont deux entités distinctes. La Ranch Ehrlo Society offre des programmes de réinsertion sociale en établissement. Nous travaillons avec des enfants et des jeunes aux prises avec des problèmes de comportement, des difficultés psychiatriques et psychologiques et qui se sont intoxiqués par inhalation de métamphétamines en cristaux. Sans avoir été accusés de délits sexuels, ces jeunes ont des comportements sexuels qui, s'ils ne sont pas réfrénés, les mettront en difficulté. Nous travaillons également avec des jeunes aux prises avec des troubles envahissants du développement souvent causés par le syndrome d'alcoolisation fœtale.

Notre travail est d'assurer la sécurité de ces jeunes, de leur donner des traitements par l'intermédiaire d'un processus de résolution de problème, d'organiser des activités récréatives, de les éduquer et de leur donner de la formation professionnelle.

Notre deuxième organisme, l'Ehrlo Community Services, assure le volet préventif de notre programme. Nous organisons des loisirs communautaires pour plusieurs milliers de jeunes qui viennent des régions les plus pauvres de Regina durant toute l'année. Ainsi, nous avons formé une ligue de hockey et nous organisons des parties de football, de basketball et de soccer le lundi soir. Nous gérons des logements pour personnes à faible revenu. Nous donnons des conseils aux familles et aux enfants et nous avons également un service de consultation.

La Ranch Ehrlo Society, dont les activités ont débuté le 1er juin 1966, a quarante ans cette année. Au cours de ce périple de 40 ans, nous avons beaucoup appris et notre engagement envers les jeunes n'a jamais cessé. J'espère aujourd'hui pouvoir partager avec vous les leçons que nous avons tirées de toutes ces années.

Deborah Parker-Loewen, vice-présidente des programmes North, Ranch Ehrlo Society : Je vais vous donner un bref aperçu des périodes clés de notre organisation. La Ranch Ehrlo Society a examiné le rapport intérimaire que vous avez présenté en novembre 2005. Nous voulons vous féliciter pour le travail que vous avez fait à ce moment-là et appuyer plus particulièrement deux ou trois de vos recommandations.

La première recommandation que nous appuyons concerne les rapports du Canada et les conclusions du Comité des Nations Unies et le rapport de suivi du gouvernement qui devraient être déposés au Parlement et être renvoyés à un comité parlementaire, aux fins d'examen. Il est très important que ces rapports et ces observations soient présentés au public, afin que tous les citoyens canadiens, et plus particulièrement les jeunes, constatent ce qui est fait pour eux et ce qui reste encore à faire.

Vous avez également recommandé que le Canada crée un commissariat aux enfants, afin d'assurer l'application de la Convention et la protection des droits des enfants au Canada et nous appuyons vivement cette recommandation.

La création d'une commission des enfants sous-tend la mise en place de moyens appropriés pour inclure les jeunes et leur donner l'occasion d'exprimer leurs opinions. Des ressources financières sont nécessaires pour la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant au Canada.

Dans notre exposé écrit, nous avons soulevé quatre points clés. Le premier est la conformité du Canada avec l'article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant selon lequel :

[...] les institutions, les services et les établissements responsables de la garde ou de la protection des enfants doivent se conformer aux normes [...] [Traduction]

Ainsi que l'a mentionné le Dr Pawson, nous offrons des programmes de réinsertion sociale en établissement pour les jeunes. Nous connaissons les défis que doivent relever les responsables des installations, des institutions et des services qui offrent ces programmes aux jeunes. Nous savons qu'il est toujours difficile de faire du bon travail et d'offrir des services d'excellente qualité. Nous déployons énormément d'efforts à notre agence pour maintenir un personnel professionnel et hautement qualifié. Nous respectons un ensemble de valeurs et de principes positifs et nous tâchons qu'ils fassent partie du quotidien de chaque enfant qui participe aux activités de notre organisation.

Nous sommes l'un des rares organismes à offrir des programmes résidentiels pleinement accrédités pour les enfants en Saskatchewan. Comme M. Kinequon l'a mentionné plus tôt, nous avons réellement besoin d'établir des normes appropriées et d'assurer le respect de ces normes. Les normes relatives aux soins à prodiguer aux enfants en services d'accueil doivent être clairement énoncées par les divers organismes accrédités à cet effet. Nous croyons que les organisations qui offrent le genre de services que prodigue le Ranch Ehrlo en résidence sont celles qui respectent le mieux les droits des enfants.

Il existe de nombreux systèmes d'accréditation et nous n'en recommandons aucun en particulier. Actuellement, seuls le Québec, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont établi un règlement à l'effet que tous les services d'aide à l'enfance et à la famille soient accrédités. La Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada, dont le Dr Pawson est membre fondateur, ancien président et toujours membre du conseil de direction, a également endossé la nécessité de mettre en place des programmes accrédités pour les enfants en guise de méthode de protection de leurs droits fondamentaux.

Je suis certain que vous avez entendu le protecteur des enfants de la Saskatchewan ce matin au sujet des problèmes de l'Oyate Safe House à Regina et de la nécessité d'établir des normes en matière de soins pour les enfants vulnérables. Le Ranch Ehrlo est d'avis que si nous devions répondre aux normes d'un programme accrédité, les problèmes graves et complexes de ce genre pourraient peut-être être évités.

Nous savons que l'accréditation de programmes culturellement inappropriés pose problème; toutefois, la plupart des organismes d'accréditation sont très sensibilisés à cela et ils accueillent avec plaisir les propositions de diverses méthodes d'interprétation des normes, afin de répondre aux besoins culturels, linguistiques ou religieux des organismes.

Il y a des coûts rattachés à l'accréditation, mais nous croyons que les services offerts aux enfants par ces organismes en valent la peine.

Notre deuxième point a trait aux droits des enfants d'obtenir les meilleurs soins de santé possible, surtout en santé mentale. Le Comité des Nations Unies a fait part de ses préoccupations dans ses conclusions sur le Canada, en octobre 2003, à l'égard des besoins des enfants canadiens en santé mentale, plus particulièrement chez les enfants autochtones, et il a souligné le taux élevé de suicide et de toxicomanie, entre autres choses.

Le document intitulé Un Canada digne des enfants a également reconnu la nécessité de mettre l'accent sur l'amélioration des services de santé mentale pour les enfants.

En avril 2004, lorsque j'occupais le poste de protecteur des enfants de la Saskatchewan, nous avons rapporté à ce moment-là qu'autour de 10 p. 100 seulement des enfants atteints de troubles mentaux recevaient des services de santé mentale financés par la province. Les autres, soit 90 p. 100 des enfants aux prises avec des problèmes de cet ordre en Saskatchewan n'ont pas reçu de services du gouvernement provincial au cours de cette année-là et on ne sait pas s'ils ont reçu des services sous quelque forme que ce soit.

Comme M. Kinequon l'a mentionné plus tôt, il est particulièrement difficile de recevoir des services dans les régions rurales ou éloignées de la Saskatchewan. À ce propos, il a dit qu'il n'y avait aucun service de santé mentale dans sa communauté.

Nous avons eu le plaisir de souligner que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a publié son rapport intitulé De l'ombre à la lumière. Ce rapport est très important et le comité pourrait tenir compte de certaines de ses recommandations. Le droit des enfants à des services de santé mentale adéquats est pour nous une priorité et c'est une question qui nous préoccupe particulièrement.

Le troisième point a trait à la nécessité de soutenir la recherche. En 2000, le gouvernement fédéral a annoncé l'établissement des centres d'excellence pour le bien-être des enfants. Il en a établi cinq, dont le Centre d'excellence pour le bien-être et la protection des enfants, qui relève de la Ligue pour le bien-être de l'enfance et l'Université de Toronto et qui participe à divers projets de recherche, y compris un projet du centre de recherche sur les Premières nations de l'Université de Manitoba, à Winnipeg.

Le premier financement quinquennal a pris fin l'an passé et nous sommes d'avis qu'il devrait être renouvelé. Le Centre a maintenant un bon réseau de chercheurs et il s'est bâti une solide réputation dans la recherche sur le bien-être des enfants au Canada. Beaucoup d'efforts ont été déployés pour mettre ce Centre sur pied. Ses réalisations parlent d'elles-mêmes et ses travaux devraient être poursuivis.

Mon dernier point a trait à la nécessité de protéger les enfants des Premières nations et les autres enfants autochtones. Le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies a remarqué avec inquiétude que les enfants autochtones du Canada sont toujours aux prises avec de nombreux problèmes. Je ne les énumérerai pas tous, étant donné que nous en parlons dans notre rapport.

Je trouve étrange que vous n'ayez jamais entendu parler de l'examen mixte de la politique nationale que M. Kinequon a mentionnée. Il est difficile pour beaucoup d'entre nous qui travaillons dans le domaine de l'aide à l'enfance de comprendre pourquoi les recommandations du document communément appelé l'EPN n'ont pas été mises en vigueur, bien que la politique fasse l'objet d'un examen depuis six ans.

Certains rapports de suivi très percutants ont été réalisés par la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières nations du Canada, sous la direction de Cindy Blackstock. Nous les avons cités dans notre document, avec quelques données provenant de l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants, qui a été financée par l'Agence de santé publique du Canada et qui souligne les disparités entre les enfants autochtones et non autochtones et les services qu'ils reçoivent des organismes de protection de la jeunesse. Ce rapport monte un dossier complet sur les disparités entre les enfants des réserves et hors réserve.

Dans le domaine de la protection de l'enfant autochtone, nous voulons également souligner la nécessité d'aller plus loin, ainsi qu'on l'a reconnu lors d'une récente conférence sur la réconciliation à laquelle le Dr Pawson et moi-même avons eu le privilège de participer, aux chutes Niagara. Il doit y avoir une collaboration respectueuse entre les peuples autochtones et non autochtones, de manière que nous puissions aller de l'avant ensemble et que les droits des enfants au Canada puissent être protégés. Nous croyons que tous les enfants, peu importe la culture, la race ou la religion, ont le droit d'être protégés.

En somme, nous réalisons que de nombreux problèmes que vivent les enfants doivent être abordés en priorité. Nous croyons sincèrement que la création d'un commissariat aux enfants serait un bon moyen de promouvoir les droits des enfants au Canada.

Jessica McFarlane, animatrice communautaire provinciale, Saskatchewan Youth In Care and Custody Network : Mesdames et messieurs les sénateurs, je travaille pour le Réseau national des jeunes pris en charge de la Saskatchewan depuis plusieurs années. Nous ne sommes pas ici pour vous présenter un exposé officiel, mais pour appuyer les différents groupes qui sont venus comparaître ici aujourd'hui afin d'y exposer leurs problèmes, plus spécialement en ce qui a trait au bien-être des enfants et au système de justice pour les jeunes.

Nous travaillons avec des jeunes de 14 à 24 ans qui proviennent de foyers d'accueil et de milieux carcéraux. Nous faisons de notre mieux pour leur offrir du soutien, de la formation et pour défendre leurs droits. Nous appuyons la création d'un commissariat aux enfants, de même que les organisations qui sont venues présenter les problèmes liés à la protection des enfants. Nous appuyons tout spécialement l'application de la Convention au Canada. L'article 12 est celui qui nous concerne le plus; il y est question de la nécessité de donner la parole à l'enfant et de respecter son droit d'exprimer son point de vue librement et du mieux qu'il peut. Les recherches provenant de plusieurs sources, y compris du Réseau national des jeunes pris en charge, indiquent que les jeunes ont de la difficulté à se faire entendre de nos jours.

La présidente : Représentez-vous une organisation informelle de jeunes ou une ONG? Comment êtes-vous structuré? Offrez-vous des services à grande échelle? Qui vous finance? Ce serait bien que vous nous apportiez des précisions à ce sujet.

Mme McFarlane : Nous sommes une ONG incorporée et nous travaillons à l'échelle communautaire. Nos fonds proviennent du ministère des Ressources communautaires (Community Resources) de la province. Il est notre principal bâilleur de fonds, mais nous recevons également quelques subventions d'autres sources. Nous avons un bureau provincial avec deux employés, dont moi-même et notre directeur. Nous avons établi des réseaux dans de nombreuses régions de la province; les jeunes viennent de foyers d'accueil et d'établissements carcéraux, et nous invitons les représentants de foyers collectifs à se réunir, notamment pour y entendre des conférenciers invités. Nous offrons de l'aide aux adultes par des personnes provenant presque exclusivement du ministère des Ressources communautaires ou des Services correctionnels et de la Sécurité publique (Corrections and Public Safety).

Nous avons organisé deux ou trois conférences provinciales. Notre organisation est encore très jeune; nous avons été constitués en société en 1998. Malheureusement, nous sommes très peu d'employés et, comme la Saskatchewan est une province de grande taille, beaucoup de gens se trouvent à l'extérieur de notre secteur d'intervention.

Il existe également un Réseau national des jeunes pris en charge à Ottawa. Mis sur pied il y a 20 ans, ce réseau en chapeaute quatre autres. Beaucoup de travaux de recherche sont effectués par son entremise, partout au Canada, et il présente des recommandations au gouvernement.

La présidente : Monsieur Pawson, je peux certainement témoigner de la crédibilité et du succès du Ranch Ehrlo, non seulement parce qu'il existe depuis quarante ans, mais parce que j'y ai travaillé et que je sais que c'est une organisation sur laquelle on peut se fier. Le Ranch a connu des difficultés, mais nous avons toujours su que ses objectifs et les personnes qui y travaillent se dévouent pour les jeunes de la Saskatchewan.

Si vous le voulez bien, retournons 40 ans en arrière. Les problèmes auxquels les jeunes sont confrontés en Saskatchewan semblent prendre racine dans l'éclatement de la famille; les jeunes qui grandissent ont besoin d'influences positives et non négatives à cette étape de leur vie.

Notre approche des enfants est-elle demeurée la même depuis ou si nous l'avons modifiée? Ils inhalaient les vapeurs de la colle à l'époque, tandis que maintenant ils consomment des métamphétamines en cristaux. Peut-être qu'aujourd'hui nous sommes plus conscients de l'image que les communautés autochtones se font d'elles-mêmes. Vous voulez peut-être parler des problèmes qui sont différents, mais votre approche est-elle la même? En d'autres mots, les enfants ont-ils besoin des mêmes services de soutien et, partant, les fournisseurs de service doivent-ils avoir les mêmes compétences professionnelles, les mêmes connaissances et la même formation?

M. Pawson : C'est une excellente question qui revient souvent sur le tapis : les enfants ont-ils changé de 1966 à 2006? Je pense que les enfants avec lesquels la Ranch Ehrlo Society travaille ont changé. En 1966, nous étions surtout préoccupés par les troubles de comportement et la délinquance juvénile et nous pouvions établir beaucoup plus clairement lesquels parmi eux pouvaient représenter un problème majeur pour la société. La Loi sur les jeunes contrevenants a été modifiée à mesure que l'on a commencé à changer le visage de la justice juvénile et les moyens d'aborder les difficultés. Il y avait encore des chevauchements, mais ils étaient beaucoup plus clairement définis.

À ce moment-là, les enfants ont commencé à avoir besoin de services de santé mentale et nous nous sommes résolument attaqués à ce problème. Par la suite, les problèmes de consommation de drogues chez les jeunes ont commencé à émerger; ces problèmes ont probablement commencé à se faire sentir au début des années 60, mais ce n'est pas avant les années 70 et 80 que les gens ont commencé à s'en préoccuper, parce qu'on est graduellement passé durant ces années des drogues douces à des drogues plus dures qui occasionnaient toutes sortes d'autres problèmes.

Durant toutes ces années, nous avons appris beaucoup de choses sur le syndrome du stress post-traumatique et ses effets sur les enfants, plus particulièrement dans les foyers d'accueil. Les enfants arrachés à leurs familles souffriront probablement du syndrome de stress post-traumatique. Nous avons vu que les enfants déplacés d'un foyer d'accueil à un autre problème clinique en émergence, soit des troubles de l'attachement. Les jeunes qui arrivent à la Ranch Ehrlo Society à 12 ans sont passés par 15 ou 20 foyers d'accueil; bien sûr qu'ils ont des troubles de l'attachement. Comment un enfant pourrait-il s'attacher à quiconque après avoir subi des changements de cette fréquence?

Nous avons également commencé à prendre conscience des conséquences de l'alcoolisme fœtal sur les enfants. Non seulement y a-t-il des enfants de toute évidence atteints d'incapacité physique et de certaines déficiences mentales, mais il y a ces jeunes, vraiment beaux, qui ont souvent de grands talents artistiques, mais qui ont beaucoup de difficulté à s'imaginer qu'ils peuvent se retrouver mêlés à de graves problèmes. L'alcoolisme fœtal engendre une multitude de problèmes.

Par conséquent, les enfants deviennent plus fragiles, beaucoup plus complexes, et leurs difficultés prennent de l'ampleur. Je pense que nous apprenons à mieux déterminer leurs problèmes. Contrairement aux médecins, nos privilégions une approche douce dans tous nos programmes de traitement; nous n'avons pas de programmes cliniques de dépistage de drogues ni de systèmes d'évaluation des traitements offerts. Nous devons travailler là-dessus.

Ce sont les membres de notre personnel et nos programmes de formation qui constituent nos principaux moyens de contrôle. Ces problèmes ont émergé avec le temps et il nous apparaît maintenant évident que nous parviendrons à améliorer le sort de ces jeunes que si nous offrons et maintenons un personnel de qualité et si nous mettons en place une culture pour leur venir en aide.

Le sénateur Carstairs : Madame McFarlane, vous avez de toute évidence passé beaucoup de temps à discuter avec les jeunes en foyer d'accueil. Si vous deviez classer leurs problèmes et leurs préoccupations par catégorie, quels seraient selon vous les trois principales difficultés auxquelles les jeunes en foyer d'accueil sont confrontés?

Mme McFarlane : Leurs problèmes sont nombreux et ils varient selon les provinces, et même selon qu'ils vivent au nord ou au sud de la Saskatchewan. Le Réseau national des jeunes pris en charge a mené un projet de recherche en 2003 appelé Primer, dans lequel sont énumérés les cinq principaux problèmes auxquels font face les jeunes en foyer d'accueil au Canada. D'après cette recherche et les témoignages des jeunes de la Saskatchewan, les jeunes ont beaucoup de difficulté à se faire entendre. Un deuxième problème réside dans le fait que les enfants sont « ballottés » d'une famille à l'autre. Il n'y a pas suffisamment de maisons d'accueil et les jeunes sont placés temporairement quelque part, et non sur de longues périodes. Les services de suivi ou le prolongement des services pour les jeunes de 16 à 18 ans est un troisième problème. La situation varie d'une province à une autre et il n'y a pas de normes nationales en ce qui a trait à l'âge où les jeunes doivent quitter le réseau d'aide et en ce qui a trait aux services de soutien lorsqu'ils quittent le réseau. Bien des jeunes doivent s'en remettre à l'aide sociale lorsqu'ils quittent le foyer d'accueil.

Je dirais que ces trois problèmes sont probablement les plus criants en Saskatchewan.

Le sénateur Carstairs : Il est étrange que vous ayez mentionné le prolongement des services. Dans ma province, même si l'enfant peut vivre en foyer d'accueil jusqu'à l'âge de 18 ans, s'il choisit de quitter à 16 ou à 17 ans, très peu de services lui sont offerts par la suite. Les gens sont plutôt contents qu'ils quittent le réseau. Pour ma part, je pense qu'un jeune de 16 ans est encore un enfant. Avez-vous le même problème en Saskatchewan?

Mme McFarlane : Oui. Nous avons ce que nous appelons l'article 10 pour les enfants de 16 ou 17 ans qui n'ont pas été sous tutelle gouvernementale en permanence ou pendant de longues périodes. Rien ne leur est offert après 18 ans, si ce n'est l'aide sociale.

Les jeunes qui sont depuis toujours sous tutelle gouvernementale ou qui l'ont été pendant longtemps peuvent obtenir un peu d'aide jusqu'à l'âge de 21 ans, aux termes de l'article 56, dans la mesure où ils poursuivent leurs études ou une formation, mais lorsqu'ils ont 21 ans, ils n'ont plus rien.

On se demande si un jeune qui a quitté le foyer d'accueil à 16 ans peut revenir et si un jeune peut quitter le foyer d'accueil à 15 ans.

Le sénateur Lovelace Nicholas : N'importe qui peut répondre à cette question. Certains ont parlé de la création d'un commissariat aux enfants. Croyez-vous que les communautés autochtones auraient besoin d'un commissariat autochtone?

Mme Parker-Loewen : D'abord, je pense que tous les enfants canadiens bénéficieraient d'un commissariat aux enfants, y compris les enfants autochtones, bien entendu. Compte tenu de la relation particulière entre les enfants des Premières nations vivant dans les réserves et le gouvernement fédéral, il se peut qu'un mécanisme spécial soit nécessaire pour en faciliter l'accès. Les enfants des Premières nations, des Métis, des Inuits et des Indiens non inscrits sont surreprésentés dans la plupart des services sociaux, des réseaux de services à l'enfance, dans les familles d'accueil, les services de santé mentale, les systèmes de santé publique, et le nombre de ces enfants ayant de piètres résultats scolaires est également plus élevé. Des études récentes ont démontré que la vaste gamme de problèmes auxquels les Autochtones sont confrontés est liée à des problèmes systémiques comme la pauvreté, l'hébergement, l'éducation des enfants et l'alcoolisme chez l'adulte. Ces problèmes doivent être abordés à plus grande échelle. Le Canada a eu bien des occasions de venir en aide aux peuples des Premières nations et, pour une raison que j'ignore, ça ne fonctionne pas.

Pour revenir à votre question à savoir si les enfants des Premières nations ont besoin d'un commissariat, je pense qu'il faudrait peut-être mettre en place un mécanisme spécial qui permette aux jeunes des Premières nations de s'exprimer. Pour ma part, je ne suis pas convaincue qu'il faudrait deux commissariats, mais il faut reconnaître que les communautés autochtones ont des problèmes particuliers.

Le sénateur Lovelace Nicholas : De par mon expérience, les enfants autochtones parlent beaucoup plus librement à un travailleur autochtone du secteur de la santé. Je me demande si un commissariat autochtone pour les enfants des Premières nations de tout le Canada ne les aiderait pas à s'ouvrir davantage.

Mme Parker-Loewen : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que les enfants établissent des liens avec les gens qu'ils reconnaissent, qui les comprennent et qui parlent leur langue ou qui leur ressemblent.

M. Pawson : Je ne pense pas que la nationalité du commissaire soit un facteur important. Cette personne devrait être choisie en fonction de ses qualifications et de ses aptitudes. Le bureau, par contre, devrait être emménagé pour que l'enfant s'y sente à l'aise. Il devrait bien sûr y avoir une forte proportion d'employés autochtones, en raison du nombre si élevé d'enfants indiens en famille d'accueil, tout comme il devrait y avoir des gens de race noire au bureau des provinces de l'Est, en raison de leur forte représentation dans les services d'aide à l'enfance de cette région.

Je pense que la participation des gens de race noire est nécessaire, mais je ne crois pas que ce soit là un facteur de toute première importance. Les gens qui y travailleront devraient être représentatifs des gens avec qui ils travaillent.

Le sénateur Munson : À titre d'ancienne journaliste, il faut que je sache d'où vient l'appellation du Ranch Ehrlo?

M. Pawson : Lorsque nous l'avons mis en place en 1966, nous recherchions une propriété et nous réfléchissions au nom que nous allions donner à l'endroit. J'ai fini par acheter l'établissement le 22 février 1966 en mettant 1 000 $ sur la table, après une très difficile négociation, parce que je n'avais pas d'argent pour négocier. Le propriétaire était Cliff Ehrle, un homme d'affaires de l'endroit. Il l'a appelé le Ranch Ehrlo parce qu'il trouvait que ce nom avait une résonance très espagnole. C'était parfait pour ce que nous voulions en faire — le nom ne signifiait rien. Nous avons pris la propriété, nous y avons ajouté le mot « société » et c'est ainsi, que tout a commencé.

Le sénateur Munson : Nous avons entendu des témoignages intéressants aujourd'hui, plus particulièrement celui de M. Thibodeau, du Saskatoon Downtown Youth Centre. Je remarque dans quelques-uns de vos dépliants qu'environ 20 p. 100 de vos résidents ont plus de 18 ans. Je pense que le travail de M. Thibodeau auprès des jeunes doit rester dans les limites des fonds publics provinciaux qui lui sont versés et qu'une sorte de menace plane au-dessus des jeunes de 17 ans : « Fais attention à ce tu fais, semble-t-on leur dire, parce que tu seras considéré comme un adulte à 18 ans et que tu seras laissé seul à ton sort ». Ce qu'il y a d'implicite dans cette menace, c'est qu'il n'y arrivera peut-être pas.

Je m'interroge sur tout le concept de la limite d'âge. Lorsque les jeunes atteignent 18 ans, on leur dit automatiquement qu'ils sont laissés à leur sort, mais si certains sont prêts sur le plan physique, ils ne le sont peut-être pas sur le plan émotif ou mental. On fixe arbitrairement un âge pour voter, pour entrer dans l'armée, et ainsi de suite. Ne croyez-vous pas que l'on pourrait mettre un système en place dans les organisations privées et publiques pour donner un peu plus de temps aux gens, si nécessaire, avant qu'ils ne soient laissés à leur sort?

M. Pawson : Pour ma part, je pense qu'il est absolument essentiel que nous commencions à jeter un coup d'œil à ces enfants qui n'ont pas été en foyer d'accueil avant l'âge de 16 ans et qui se retrouvent dans toutes sortes de difficultés lorsqu'ils ont entre 16 et 18 ans. Nous devons également considérer que les jeunes de 18 ans et plus sont souvent très vulnérables. Les jeunes de 18 ans et plus sont au sommet de la courbe. Ce sont de jeunes adultes. Bon nombre d'entre eux ont des problèmes d'ordre mental et ce sont généralement des organismes comme Community Living, une division de Ressources communautaires de la Saskatchewan, et d'autres services sociaux qui les prennent en charge. Ils ont souvent des problèmes psychiatriques et parfois des comportements sexuels intrusifs. Ces jeunes ont besoin de soins à long terme et aucun autre programme ne leur est offert actuellement.

Nous nous sommes engagés envers eux par défaut. À mesure que ces jeunes approchaient de leurs 18 ans, nous cherchions des endroits où ils pourraient aller. Il n'y avait rien pour eux et personne ne voulait s'en occuper. Ils tombaient entre les mailles du filet. Les services de santé mentale disaient très clairement qu'ils relevaient de Community Living. Community Living disait qu'effectivement, ils avaient des problèmes, mais qu'ils n'étaient pas d'ordre mental. Certains jeunes qui ont participé à notre programme sont restés avec nous pendant un bon nombre d'années.

Le sénateur Munson : Croyez-vous que ce soit la responsabilité du gouvernement de raccommoder les mailles du filet? Nous voyons de plus en plus de gens dans la ville d'Ottawa et dans les rues, partout au Canada, qui devraient recevoir de l'aide et pourtant, ils sont dans la rue. Depuis les dix dernières années, je suis renversé de ce que je vois, non seulement dans les grandes villes comme Toronto et Vancouver, mais dans la ville d'Ottawa et d'autres villes de cette taille.

M. Pawson : On finira par les prendre en charge. Certains iront en milieu carcéral, d'autres dans le réseau de santé mental. Certains se suicideront, certains décéderont dans des circonstances tragiques. Ces personnes finissent par coûter très cher à la société. Il serait moins coûteux d'essayer de résoudre leurs problèmes.

Si une personne aux prises avec des problèmes d'ordre mental qui fonctionne bien à un certain niveau perd tout à coup cette capacité, il lui sera très difficile de revenir en arrière. Certains n'y parviendront jamais. Il faut faire quelque chose pour eux, ne serait-ce que leur offrir un programme de suivi et ainsi la possibilité de relever des défis au meilleur de leur capacité. S'ils déraillent et se retrouvent à la rue, nous savons par expérience qu'il sera presque impossible de les ramener à leur niveau de fonctionnement antérieur.

Je crois que nous finirons par en subir les conséquences d'une manière ou d'une autre et, à mon avis, la société sera plus en sécurité si nous nous occupons de ces gens et je pense que cette dépense peut se justifier.

Le sénateur Merchant : Madame McFarlane, l'une des priorités pour vous serait de donner la parole aux jeunes. On entend souvent dire qu'il est difficile d'amener les jeunes à discuter. Quels véhicules selon vous donneraient aux jeunes la possibilité d'être entendus? Qui les écoute?

Mme McFarlane : Heureusement que notre personnel, actuel et antérieur, a une bonne expérience de travail avec le système de justice juvénile ou dans les services d'aide à l'enfance. Comme on l'a mentionné plus tôt dans la discussion sur le commissariat aux enfants, les jeunes s'identifient aux gens qui leur ressemblent. Cela nous aide à encourager les jeunes à parler, parce qu'ils parlent à des gens qui ont vécu les mêmes expériences qu'eux.

Le sénateur Merchant : Vous avez seulement deux employés : cela ne fait pas boucoup d'oreilles. Qui d'autre participe à votre programme?

Mme McFarlane : Nous travaillons avec des travailleurs sociaux et du personnel des services correctionnels et de la sécurité publique de la Saskatchewan et du programme sur les jeunes délinquants. C'est notre personnel de soutien aux adultes et ils participent au fonctionnement des groupes locaux. Nous sommes très chanceux d'avoir des travailleurs aussi extraordinaires qui réussissent bien à entrer en contact avec les jeunes et auxquels les jeunes s'identifient. Certains de ces travailleurs sont eux-mêmes assez jeunes, et d'autres sont plus vieux. Ils ont tous la même approche de base — très importante, s'ils veulent réussir à communiquer avec les jeunes — qui consiste à ne pas se mettre au-dessus d'eux, mais à leur niveau, si bien qu'ils réussissent à communiquer. Nous n'avons pas de difficultés à les amener à discuter; ils développent une relation avec le personnel de soutien aux adultes et avec d'autres jeunes qui les aident à s'exprimer.

Les réunions du Réseau local des jeunes pris en charge regroupent une bande de jeunes qui savent que chacun d'entre eux voit un travailleur social et qui ont tous vécu dans des foyers d'accueil. Il s'établit un lien entre ces jeunes qu'il est difficile d'expliquer. Ils se comprennent mutuellement et cela les aide vraiment à parler. Nous réunissons des groupes de jeunes qui se mettent à parler : l'un dira qu'il a été placé dans tel ou tel foyer d'accueil, et les voilà qu'ils se lancent dans la discussion.

Le sénateur Merchant : Vous avez l'impression que les jeunes ont l'occasion d'être entendus. Vous occupez-vous de beaucoup de jeunes?

Mme McFarlane : Notre organisation donne cette possibilité, effectivement, mais seulement aux jeunes qui ont accès aux réseaux locaux des jeunes pris en charge. Malheureusement, il n'y en a que sept dans la province et il n'y en a guère dans le Nord. Nous pouvons faire des rapports et des recommandations, mais notre organisation est si modeste avec ses deux employés que nous ne pouvons leur servir de porte-parole auprès du gouvernement et des décideurs publics. Bien que nous soyons là pour les jeunes, de concert avec d'autres organisations similaires, ce n'est pas suffisant. Nous sommes si peu nombreux que nous ne pouvons faire grand-chose après les avoir écoutés. Nous comprenons leurs problèmes et nous rédigeons des rapports, mais que se passe-t-il ensuite? Nous sommes trop peu nombreux pour arriver à faire tout ce que nous devrions faire.

La présidente : Le temps qui nous est imparti est écoulé. J'aimerais remercier tous nos conférenciers qui se sont présentés ici, et pour le travail que vous faites dans la communauté, et pour être venu partager vos points de vue et faire quelques recommandations que nous soumettrons au gouvernement du Canada. Nous espérons réussir à faire au moins une fraction de ce que vous parvenez à faire dans la société et je crois que ce que vous faites aura des effets durables. De cela j'en suis convaincu.

La séance est levée.


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