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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 8 - Témoignages - Séance du matin


EDMONTON, le mercredi 20 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous sommes ici à Edmonton afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous avons entendu des témoins dans les différentes régions du pays et nous en avons reçu à Ottawa afin de déterminer dans quelle mesure le Canada s'acquitte de ses obligations, tant à l'échelle provinciale que fédérale, bien que nous ciblions davantage les responsabilités fédérales en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant. Il va de soi que nous parlons des enfants de manière générale en cherchant à placer la convention dans le contexte approprié.

Nous sommes très heureux de recevoir aujourd'hui Mesdames Yvette Ludwig et Gail Wilkinson, toutes deux de l'organisme Families for Effective Autism Treatment.

Yvette Ludwig, représentante, Families for Effective Autism Treatment (FEAT) : Bonjour. J'ai trois enfants et l'un de mes fils est autiste. Comme les enfants autistes sont très vulnérables et que leur état pose des exigences tout à fait uniques à leurs familles qui cherchent à les protéger et à leur offrir toutes les possibilités de s'épanouir pleinement, je me suis jointe à d'autres parents pour former une organisation qui s'emploie à aider ces enfants. Cette organisation a pour nom Families for Effective Autism Treatment.

Pour ajouter à mon expérience personnelle, mon travail au sein de cette organisation parentale m'a permis de rencontrer des centaines d'autres familles qui naviguent elles aussi au sein des systèmes canadiens dans leurs efforts pour aider au mieux leurs enfants. J'aimerais aujourd'hui me faire leur porte-parole et vous sensibiliser un peu à leur vécu.

Les obligations du Canada ne se limitent pas aux seuls besoins physiques fondamentaux que sont la nourriture, l'eau et le logement. La Convention dit qu'il nous faut assurer la survie et le développement de nos enfants. Il nous faut concrétiser un engagement à maximiser et à optimiser leurs possibilités d'intégration dans tous les aspects de la société : physique, émotif, mental, spirituel, culturel et communautaire.

Il est très facile pour nous de nous laisser leurrer par les belles paroles au sujet de la protection et du soutien offerts aux membres les plus vulnérables de notre société et c'est l'évidence même que nos enfants, et surtout ceux ayant une incapacité, ont besoin de notre protection et de notre appui afin de pouvoir s'épanouir pleinement et participer de façon significative à la vie sociale.

Mais, dans la pratique, les meilleurs intérêts des enfants ne sont ni la priorité ni la principale préoccupation. Bien que l'autisme soit un diagnostic médical, il est bien souvent impossible d'avoir accès aux traitements. On devrait pourtant chercher à rendre ces enfants mieux aptes à se préparer en vue d'une participation active à la société.

En Alberta, nous vivons d'importants problèmes d'évaluation et d'accès aux ressources. Ces problèmes existent aussi dans les autres régions du pays. Nous en sommes conscients et nous travaillons avec des familles de tout le continent.

Pour certaines familles, il faut des années pour obtenir une évaluation adéquate. Ces familles peuvent se heurter à de nombreuses difficultés pour simplement arriver à trouver la bonne personne à rencontrer ou la bonne file d'attente à choisir.

Il n'y a pas suffisamment de programmes dont l'efficacité est scientifiquement prouvée et les listes d'attente sont longues, peu importe le programme. Il arrive souvent que les familles doivent donc assumer le fardeau financier associé aux services et aux traitements requis. Il n'est pas rare de voir des familles avoir recours à leur hypothèque résidentielle pour assumer les coûts supplémentaires à engager pour obtenir en temps opportun les services essentiels dont leurs enfants ont besoin.

La facilité d'accès aux programmes varie selon les régions et les provinces, ce qui amène souvent des familles à se déraciner. De nombreuses familles albertaines choisissent ainsi de déménager pour avoir accès à des services offerts dans d'autres régions parce que c'est de cette manière que les gouvernements ont structuré le système. Certaines familles quittent carrément leur collectivité, transfèrent leurs enfants dans d'autres écoles, s'installent dans un nouveau domicile et cherchent du travail plus près des ressources accessibles. D'autres familles choisissent de vivre séparées. Il arrive qu'il ne soit pas possible de déménager toute la famille, mais l'enfant peut habiter chez un parent résidant dans une région où le programme est offert.

Il est inconcevable que des familles aient à envisager une séparation pour permettre à leurs enfants d'obtenir les services et les ressources dont ils ont besoin.

Nous avons souvent l'impression que les voix de nos familles ne sont pas entendues. Bon nombre de nos enfants sont capables d'exprimer leurs idées et leurs points de vue et personne n'est mieux en mesure de défendre leurs intérêts que leurs parents qui s'efforcent vraiment et sincèrement de voir à leur permettre de s'épanouir pleinement. Les familles n'ont pas d'intentions cachées et il faut leur prêter une oreille attentive lorsqu'elles s'emploient à défendre les droits d'un enfant.

Pour une grande partie des services que nous essayons d'obtenir pour nos enfants, on nous a indiqué bien clairement que notre voix n'était pas toujours la bienvenue. Par exemple, au ministère des Services à l'enfance, un comité de révision a reconnu ouvertement que les familles pouvaient être présentes uniquement pour une petite portion des délibérations concernant l'accès aux programmes, une concession qui a d'ailleurs exigé d'importantes pressions de notre part, alors que les enfants ne peuvent carrément pas y assister.

Pour ce qui est de l'éducation, des enfants qui obtiennent de bons résultats à l'école satisfont aux critères établis pour certains programmes offerts à l'ensemble des élèves, même s'ils présentent des déficiences dans d'autres domaines. Il est toutefois fréquent que ces enfants n'aient pas la possibilité de s'exprimer quant aux répercussions que cela peut avoir et à l'importance pour eux d'avoir accès aux programmes réguliers.

Il n'est pas rare que nos enfants soient considérés et traités d'abord en fonction de leur diagnostic, plutôt que d'après les capacités qu'ils possèdent. Nous avons souvent l'impression que les enfants autistes sont perçus davantage comme de simples pièces sur l'échiquier, plutôt que comme des composantes véritables du processus.

Il faut aussi grandement s'inquiéter du fait que les enfants autistes sont exposés aux abus et à la négligence. Ils semblent différents des autres et on les comprend mal. Il arrive souvent qu'on ne tienne pas compte de leurs besoins. Sans les traitements et les mesures de soutien appropriés, les enfants autistes deviennent des proies faciles pour l'intimidation et la marginalisation.

Malheureusement, comme il est difficile d'avoir accès aux traitements et aux programmes appropriés pour ces enfants, les familles se retrouvent dans une situation très pénible car elles ne disposent pas des outils requis pour mieux appuyer leurs enfants dans la collectivité, ce qui les entraîne dans le tourbillon d'une situation qui ne cesse de s'aggraver. La solution est pourtant très simple. Si nous pouvions offrir à ces enfants les programmes et les mesures de soutien dont ils ont besoin, nous leur permettrions de s'épanouir pleinement, d'avoir une existence plus normale et de participer davantage à la vie de la collectivité, un objectif que nous partageons tous.

Les familles sont plus fortes lorsqu'on les soulage du fardeau d'avoir à s'occuper d'enfants qui n'ont pas pu avoir accès aux mesures de soutien et aux services dont ils avaient besoin pour leur plein développement. Il serait facile pour nous de renverser la vapeur pour améliorer la situation des familles et permettre à tous de s'épanouir pleinement et de participer activement à la vie de la société.

Malheureusement, la tendance est à la mise à l'écart ou au regroupement des enfants ayant une incapacité. Il est beaucoup plus facile de s'en occuper si on les place dans un endroit séparé, ce qui réduit d'autant les exigences pour les lieux de développement conventionnels. Par exemple, il n'est pas rare que des autorités scolaires disent aux familles que l'environnement d'une école ordinaire dans la collectivité ne répond pas nécessairement au mieux aux besoins de leurs enfants et qu'il serait peut-être préférable pour eux de se retrouver dans une autre institution. Un tel déplacement n'est pas bénéfique pour nos enfants. Nous voulons leur offrir une expérience semblable à celle des autres enfants; nous voulons qu'ils les côtoient et profitent des mêmes possibilités.

Pourquoi mon enfant autiste devrait-il toujours être associé uniquement aux enfants qui sont également atteints d'une incapacité alors qu'il pourrait vraiment profiter d'une expérience plus complète, plus riche et plus significative s'il avait la possibilité de coexister avec les autres enfants de la collectivité?

Les familles finissent par s'épuiser à devoir négocier et se battre constamment pour obtenir les différents services et mesures de soutien dont leurs enfants ont besoin. Cela exige beaucoup d'une famille, surtout lorsqu'elle compte un certain nombre d'enfants, lorsqu'elle doit déployer autant de ressources pour s'assurer qu'un de ses enfants profite des mêmes possibilités que les autres.

Je suis consciente que l'Alberta est parfois considérée comme un modèle à atteindre pour les autres provinces. Les gens semblent penser que tout se passe très bien ici actuellement et ils sont extrêmement nombreux à déménager pour s'installer dans notre province parce qu'ils croient qu'ils pourront y obtenir des services auxquels ils n'ont pas accès chez eux.

Malheureusement, il est bien possible que ce soit le cas. Les gens vont effectivement déraciner leurs familles et déménager ici pour obtenir des services sommaires et limités, comparativement à pas de service du tout dans leur région. Si c'est l'Alberta qui est notre modèle, il nous faut vraiment nous pencher sérieusement sur le soutien que nous apportons à nos enfants, et surtout à nos enfants handicapés.

L'Alberta est aux prises avec un problème énorme relativement à la disponibilité d'experts en mesure de poser un diagnostic. Des gens peuvent attendre très longtemps avant même de recevoir un diagnostic, ce qui est essentiel pour pouvoir comprendre la situation et avoir accès aux programmes qui conviennent.

Une fois le diagnostic obtenu, il est extrêmement difficile de trouver des programmes de qualité. Nous avons beaucoup plus souvent tendance à offrir des mesures de répit, de détente ou de gardiennage rudimentaire, plutôt que des programmes dont l'efficacité est scientifiquement prouvée qui vont vraiment contribuer au développement à long terme de nos enfants. En outre, l'offre de programme est plutôt fragmentée selon l'endroit où on se trouve. L'accès n'est pas égal pour tout le monde. Généralement, les enfants dont les parents défendent les droits avec le plus d'ardeur vont avoir accès à de meilleurs programmes et à des possibilités plus intéressantes que ceux dont les parents font moins entendre leurs voix.

Il m'est souvent difficile de bien dormir lorsque je pense à cette réalité qui est la nôtre.

Je vais maintenant laisser la parole à Gail Wilkinson, la présidente de FEAT.

Gail Wilkinson, présidente, Families for Effective Autism Treatment (FEAT) : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Le plus vieux de mes fils est atteint d'autisme. Il a 15 ans. Mes commentaires de ce matin seront plutôt brefs, mais j'ose espérer qu'ils vous permettront d'y voir un peu plus clair.

Je veux d'abord vous expliquer brièvement ce qu'est l'autisme, pour le cas où certains d'entre vous s'interrogeraient à ce sujet. L'autisme est souvent appelé trouble du spectre autistique parce qu'il regroupe en fait un spectre de symptômes. On considère actuellement que l'autisme est un trouble du traitement de l'information par le cerveau.

Les causes de l'autisme n'ont pas encore été établies. Un très grand nombre de recherches ont été menées à ce sujet, mais on n'a pas encore la réponse.

Les enfants autistes souffrent de retards ou de difficultés dans leurs interactions sociales ainsi qu'au niveau de la parole et des communications. Ils ont tendance à se montrer très stricts ou répétitifs dans leurs routines, leurs comportements ou leurs intérêts. Ils éprouvent des difficultés à réagir à l'information provenant de leur sens du toucher, de l'ouïe et de la vue. Il leur est particulièrement difficile d'établir des relations et de les maintenir.

Un fonctionnement sous-jacent du cerveau affecte un grand nombre d'aspects de l'existence de ces enfants. Il est complexe pour eux de cheminer au sein du système d'éducation. Il leur est également difficile de fonctionner au sein d'un réseau familial type. C'est la même chose pour la collectivité dans son ensemble.

Les plus récentes données de prévalence sur l'autisme indiquent qu'un enfant sur 166 en est atteint, ce qui correspond à 60 enfants pour 10 000 naissances. C'est le trouble neurologique le plus courant chez les enfants actuellement. L'autisme devance ainsi la trisomie. Il est également plus courant que la paralysie cérébrale. Lorsque nous discutons de la situation de ces enfants et de leurs besoins, nous parlons au nom d'un très grand nombre d'enfants au Canada.

Voilà pour ce survol de l'autisme. Je veux maintenant vous entretenir brièvement de l'organisme FEAT Alberta. Families for Effective Autism Treatment est constitué de parents et de bénévoles du milieu familial qui se sont regroupés dans l'ensemble de l'Alberta, tant dans les régions rurales qu'en milieu urbain. Nous nous employons d'abord et avant tout à sensibiliser les gens et à faire valoir la nécessité d'un traitement efficace pour les enfants autistes. Nous appuyons les différents groupes et les familles dans leurs efforts pour obtenir les traitements et services dont les enfants ont besoin.

Pour être efficace, le traitement doit être précoce; cela a été prouvé scientifiquement. Par précoce, on n'entend pas nécessairement dès la petite enfance, mais dès que possible après qu'un enfant soit diagnostiqué. Le traitement doit également être intensif et adapté aux besoins particuliers de chaque enfant. Il n'existe pas de panacée.

Au cours des dernières années, FEAT Alberta s'est penché sur des problèmes liés à l'accès au dépistage diagnostic, à l'accès à une évaluation effectuée par des professionnels formés à cette fin, à l'accès aux programmes de traitement, à l'accès aux programmes d'éducation appropriés, à l'accès aux soutiens familiaux et individuels nécessaires pour ces enfants, et à leur intégration en milieu scolaire et communautaire. Ce sont là autant de situations que nos familles doivent vivre quotidiennement.

J'ai constaté dans votre rapport de 2005 que vous aviez déjà détecté l'absence de normes nationales pour les services et les programmes de traitement destinés aux enfants autistes. La situation ne s'est pas améliorée, même s'il serait encore plus important aujourd'hui de pouvoir compter sur une telle norme.

La qualité des services et des traitements offerts en Alberta se détériore. À Edmonton et dans le nord de l'Alberta, une seule entreprise offre des interventions dont la valeur scientifique a été prouvée pour les enfants. Tous les autres fournisseurs agréés par le gouvernement n'utilisent pas des méthodes de traitement validées par les scientifiques.

Nous voulons surtout faire valoir qu'il est absolument nécessaire d'établir une norme nationale.

Votre rapport fait également ressortir la contradiction entre les grands discours du gouvernement et ce qui est fait dans la pratique pour aider les enfants. Alors qu'en théorie, on semble vouloir améliorer les choses, la situation se détériore. Il y a un écart grandissant entre ce qu'on nous promet et ce qu'on accomplit effectivement pour nos enfants.

Merci de nous avoir invitées ici.

Le sénateur Munson : En ma qualité d'ancien journaliste, je trouve absolument aberrant qu'aucun représentant des médias ne soit présent ici pour vous entendre. Si notre comité parlait de défense nationale ou de sécurité ou peut-être même d'énergie, la salle serait remplie.

J'ai lancé une enquête au Sénat et le dossier a été transmis à un comité des affaires sociales sur l'autisme. Je propose, et c'est une suggestion que d'autres font également, une stratégie nationale sur le trouble du spectre autistique. J'en ai discuté abondamment au Sénat et j'ai également parlé des mesures à prendre pour aider les familles et les enfants. Nous avons des amis qui ont des enfants autistes. C'est un sujet qui nous touche de près. Je pense que c'est la même chose pour nous tous.

Chez moi, au Nouveau-Brunswick, j'ai pu constater cet été l'anxiété des parents touchés. J'ai rencontré un homme, maintenant séparé parce que le stress était devenu insupportable, dont le fils jouait sur la plage. J'ai pu voir tout le travail qu'il avait à accomplir comme enseignant et tout ce qu'il devait faire pour son jeune fils.

Au fil de nos déplacements au pays, des gens du Canada atlantique et de l'Ontario nous disent qu'ils vont déménager en Alberta, parce qu'on n'y trouve pas seulement du pétrole, mais aussi une aide véritable, de même que de l'argent en masse. Ces gens agissent en fonction d'un mythe ou d'un rêve et je pense que vous venez tout juste de nous ramener à la réalité; tout ne baigne pas nécessairement dans l'huile dans cette province.

Comment pouvons-nous régler ce problème de la détérioration des services malgré les beaux discours que nous entendons dans ce pays? Les frontières entre les provinces n'existent pas pour moi, mais on nous dit que c'est un problème provincial.

Je pense que le présent gouvernement, comme peut-être celui qui l'a précédé, et ceux parmi nous qui poursuivent vraiment ce grand objectif devons en arriver à établir un genre de stratégie. Peut-être que Santé Canada devrait financer directement les programmes provinciaux pour l'autisme. Je ne sais pas comment cela pourrait fonctionner, mais il est bien certain que nous devons éliminer ces barrières provinciales, étant donné que la situation se détériore, comme vous nous l'avez indiqué.

J'aimerais connaître votre point de vue sur ces questions.

Mme Wilkinson : Je conviens qu'une stratégie nationale est nécessaire. Il est également vrai, selon moi, que l'Alberta est considérée comme la poule aux œufs d'or. Le gouvernement provincial a considérablement fragmenté ses services aux enfants ayant une incapacité. Le ministère des Services à l'enfance offre un programme de soutien aux familles ayant un enfant handicapé.

Les services à l'enfance ont introduit une nouvelle loi il y a plusieurs années. Elle est remplie de belles paroles quant à la nécessité de répondre aux besoins des enfants, de s'adapter aux exigences de chacun, d'offrir différents niveaux de services en fonction des besoins. Cependant, la mise en œuvre de cette loi ne permet en fait aux enfants autistes d'avoir accès à des services spécialisés que si leur handicap est vraiment très lourd. Grâce à cette loi, la plus grande partie des enfants autistes n'ont tout simplement pas accès au genre de traitement scientifiquement reconnu dont ils ont besoin.

Lorsque les enfants sont atteints d'une incapacité assez grave pour être admissibles aux programmes, ils ont probablement droit au quart de ce qui était offert comme intervention il y a cinq ans à peine. Il n'y a pas d'intervention intensive individualisée et ce n'est pas ce qui est financé. Dans les faits, la loi est mise en œuvre d'une façon qui va à l'encontre de l'esprit de son texte même.

Comment pouvons-nous nous attaquer à ces problèmes à l'échelle nationale? Je crois qu'il nous faut abattre les obstacles qui marginalisent ce groupe d'enfants. Ces obstacles les empêchent d'avoir accès aux services de santé.

Mon enfant autiste ne peut profiter des services d'un phoniatre ou d'un ergothérapeute via le système de santé régulier en raison de son diagnostic d'autisme. Il doit passer par les services à l'enfance et il n'obtient absolument rien, si son autisme n'est pas suffisamment prononcé.

Le système d'éducation ne s'acquitte pas de ses responsabilités. Ces gens-là sont également forts sur les belles paroles en nous disant que nos enfants seront intégrés et auront droit à des programmes répondant à leurs besoins. Dans les faits, le système encourage plutôt les parents à marginaliser leurs enfants ou à s'occuper eux-mêmes de leur éducation à domicile. Les programmes distincts pour les enfants autistes prolifèrent jusque dans les écoles secondaires. Les parents peuvent ainsi choisir de placer leurs enfants dans de petites classes au sous-sol de l'école où ils ne suivent pas le programme régulier ou encore de sortir complètement leur enfant du système, ce qui accroît d'autant le fardeau familial. Il y a véritablement marginalisation de ces enfants et de leurs familles au sein de la société.

C'est la situation qui prévaut en Alberta. Je pense que ces barrières doivent être abattues. Toute stratégie nationale devrait permettre d'éliminer cette fragmentation. Il est impossible pour les enfants autistes de marcher dans les traces des autres enfants.

Le sénateur Munson : Il est bon que nous sachions comment les choses se passent vraiment en Alberta, parce qu'autour de la Colline du Parlement et dans les dizaines de courriels que nous recevons, nous entendons sans cesse parler de gens qui se préparent à déménager en Alberta parce qu'ils croient qu'ils recevront 50 000 dollars par année jusqu'à ce que leur enfant ait 18 ans et qu'ils auront accès à une thérapie comportementale intensive pendant toutes ces années. Il ne semble pourtant pas que ce soit le cas ici. Les programmes semblent plutôt fonctionner en vase clos et tous les gouvernements devraient agir rapidement pour régler ce grave problème.

Vous avez dit qu'un enfant sur 160 était atteint d'autisme, c'est bien cela? Il y a trois ans à peine, c'était un enfant sur 200. Avant cela, c'était un sur 10 000. Jusqu'où faut-il aller? Faudra-t-il que la moitié des enfants qui naissent au Canada soient autistes pour qu'on se réveille?

Toute cette question est pour moi une grande source de frustration. Je sais que d'autres enfants vivant avec une incapacité connaissent également des situations problématiques, mais celui-ci me touche tout particulièrement.

Mme Wilkinson : Permettez-moi de répondre en vous citant une expérience vécue par mon fils. Il a 15 ans et a eu droit à des interventions intensives au cours des neuf dernières années. Pour obtenir de tels services pour mon fils, j'ai dû intenter une poursuite contre le gouvernement, ce qui a donné lieu à de nombreux appels auprès des services à l'enfance et du système d'éducation. J'ai dû obtenir que le ministre évalue l'éducation de mon fils. À toutes fins utiles, j'ai un avocat à mon service depuis 1997.

Mon fils obtient de bons résultats à l'école, mais est tout de même atteint d'une incapacité assez grave. Il a débuté l'école secondaire cette année. Après avoir obtenu une note finale de 90 p. 100 en sciences, il a demandé à être inscrit dans un programme enrichi en sciences au secondaire. Pour être admis à ce programme, on demande une moyenne de 75 p. 100 dans les matières de base et une recommandation du professeur de sciences. Il a satisfait à tous ces critères d'admission. On a toutefois refusé sa demande parce qu'il autiste et parce qu'il a un handicap.

J'ai dû faire appel la dernière semaine d'août pour cause de discrimination afin de lui permettre d'accéder à ce programme secondaire. Il était en concurrence avec tous les autres enfants d'Edmonton qui souhaitaient accéder à ce programme, mais il a été rejeté en raison de son handicap.

Il faut nous attaquer non seulement au cloisonnement, mais aussi aux attitudes sous-jacentes. Ces attitudes posent un grave problème, surtout en Alberta.

Mme Ludwig : Je pense qu'il serait utile de dresser un bref profil historique de l'Alberta et des raisons pourquoi tout d'un coup, un programme a été offert là-bas, mais pas ailleurs, et pourquoi nous avons été la province choyée, contrairement à d'autres.

Il importe de reconnaître que tout cela nous vient de quelques familles qui n'étaient pas prêtes à accepter qu'il n'y ait pas de services. Certaines familles ont intenté des recours juridiques pour faire pression sur le gouvernement et certaines se sont rendu compte qu'il existait un mécanisme d'appel qui fonctionnaire au ministère des Services aux enfants.

Lorsqu'elles ont demandé du financement pour services exceptionnels parce qu'il n'y avait rien pour offrir une éducation convenable à leurs enfants dans la province, les gestionnaires du système ont été pris au dépourvu et ont dû reconnaître que les faits parlaient d'eux-mêmes, que ces enfants avaient besoin de services et qu'il existait des services reconnus scientifiquement qui avaient fait leurs preuves d'efficacité.

Après que ces quelques premières familles eurent obtenu gain de cause, bien entendu, le mot s'est répandu : « C'est comme ça qu'on peut obtenir des services. Il suffit de rassembler de la documentation et de faire la même démarche. » Il n'a pas fallu beaucoup de temps pour qu'on tente d'éliminer ce processus d'appel.

Un groupe de familles a commencé à obtenir gain de cause et à avoir accès à des programmes, puis bien vite, les règles ont commencé à changer. Tout à coup, il y avait une limite d'âge. Oui, on pouvait obtenir des services pour ces enfants à la condition d'y accéder avant que l'enfant n'ait sept ans. Une semaine après le septième anniversaire de l'enfant, il n'était plus admissible.

Les ministères se sont mis ensemble; chaque ministre était bien content de dire qu'il reconnaissait le besoin des familles, mais le message était le même : « Ce n'est pas notre problème, vous devez vous adresser à un autre ministère. »

Vous nous avez demandé ce qui fonctionnait. La première chose qui fonctionne, à notre connaissance, c'est le fait de donner voix au chapitre aux familles d'une façon ou d'une autre. Il doit y avoir un mécanisme d'appel ou de poursuite pour contester les règles ou le système actuel : c'est fondamental. Sinon, les familles sont mutées dès le départ, rien n'est dit et l'on n'entend pas parler des différents cas.

Il doit aussi y avoir une motivation. Il doit y avoir quelque chose pour inciter les gens du gouvernement à se demander véritablement ce qu'ils peuvent faire pour répondre aux besoins des enfants.

On peut jeter un coup d'oeil à ce qui fonctionne déjà. Premièrement, nous avons besoin d'un mécanisme pour que les familles puissent contester les règles si elles ne sont pas justes, si elles ne répondent pas aux besoins. Nous avons besoin d'un mécanisme accessible pour les familles.

Deuxièmement, il nous faut une norme pour que les familles, les consommateurs de services, puissent rendre les gouvernements responsables pour ce qu'ils font et intenter des poursuites si les gouvernements ne respectent pas leurs obligations. Il nous faut des normes et il nous faut un quelconque organisme de surveillance qui rendrait tout le monde responsable.

Je sais que toutes les personnes avec qui je parlemente au sujet des besoins de programmes pour mon fils me diraient qu'elles sont de tout coeur avec moi, qu'elles me souhaitent la meilleure des chances, mais qu'elles ont les mains liées. Nous devons simplement trouver un moyen de leur délier les mains.

S'il y a une chose qui ressort lorsque Mme Wilkinson et moi parlons, c'est qu'il s'agit de familles qui se battent depuis longtemps. Nos enfants réussissent très bien. Si cela se trouve, nous sommes des exemples du potentiel que nos enfants avaient. Croyez-moi, lorsque nos enfants ont été diagnostiqués, personne ne s'attendait à ce qu'ils aient les aptitudes qu'ils ont, et leur réussite montre clairement qu'avec des services, comme ceux que nous avons acquis à force de batailles et qui restent inégaux, nos enfants ont du potentiel.

Nous devons admettre que nous créons des personnes qui vont participer activement à notre société. Nous devons admettre que l'autisme n'est pas une peine de potentiel limité. Beaucoup d'enfants atteints d'autisme ont énormément de potentiel, et nous avons la responsabilité de leur permettre de réaliser ce potentiel.

Le sénateur Poy : À quel âge les enfants sont-ils diagnostiqués habituellement? Diagnostique-t-on l'autisme à la naissance ou est-ce que ce peut être plus tard?

Mme Ludwig : On peut diagnostiquer l'autisme chez quelqu'un n'importe quand dans sa vie. Souvent, surtout depuis qu'on est davantage sensibilisé à l'autisme, on se rend compte que des itinérants ostracisés qui ont longtemps été incompris souffrent en fait d'un trouble de la famille de l'autisme diagnostiqué tardivement.

En règle générale, on diagnostique l'autisme lorsque l'enfant commence à accuser des retards dans les étapes du développement. C'est souvent autour de 18 mois. On s'attend à ce que les enfants franchissent certaines étapes du développement comme le premier mot, l'interaction sociale, l'aptitude à suivre des instructions. C'est le plus souvent l'incapacité des enfants à franchir ces étapes qui pousse les parents à demander un avis médical. S'ils soumettent le cas de leur enfant à un médecin qui comprend ce trouble, ils peuvent être orientés dans la bonne direction. Autrement, le médecin finit par leur dire que l'enfant a simplement un retard, qu'il faut lui laisser plus de temps, et l'on perd du temps.

À bien des égards, c'est un coup de dés, et tout dépend si les enfants et leurs familles consultent des professionnels qui comprennent ce trouble et peuvent les aider. En règle générale, le diagnostic se pose pendant la prime enfance, si l'enfant ne franchit pas les étapes du développement voulues.

Le sénateur Poy : Y a-t-il une limite d'âge pour l'obtention de services en Alberta? Dans certaines provinces, il y en a une.

Mme Wilkinson : En Alberta, la limite d'âge était de six ans. Celle-ci a été contestée devant les tribunaux à Calgary il y a quelques années, et le juge a ordonné que le gouvernement soit responsable jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de 18 ans.

Le gouvernement a choisi de ne pas interjeter appel de cette décision, et d'après ce que nous comprenons de ce que nous ont dit des fonctionnaires, le gouvernement accepte cette responsabilité. Cela dit, cette acceptation de responsabilité ne signifie pas que nous avons accès aux services. Encore une fois, il y a une différence entre la théorie et la réalité.

Pour revenir à votre question concernant le diagnostic, j'aimerais ajouter qu'il peut falloir jusqu'à deux ans avant pour rencontrer un professionnel de la santé qualifié qui peut étiqueter l'enfant comme il faut et donner aux parents la documentation voulue. Les parents savent que leur enfant a un problème bien avant qu'il ne soit étiqueté. Souvent, les parents savent même ce qui cloche chez leur enfant, parce qu'ils ont fait les recherches et l'ont déduit. Cependant, c'est une toute autre histoire que d'obtenir le bout de papier nécessaire pour accéder aux services.

Il est très malheureux que les parents doivent faire étiqueter leur enfant pour avoir accès à des services. S'il faut deux ans avant qu'un enfant soit officiellement diagnostiqué puis encore un an ou deux avant qu'il ait accès à des services potentiels, l'enfant qui est diagnostiqué à l'âge de deux ans peut ne pas commencer le traitement avant l'âge de six ans. C'est une tragédie en soi.

Le sénateur Munson : Est-ce presque trop tard?

Mme Wilkinson : En fait, le traitement peut être efficace toute la vie. Lorsque l'enfant est traité tôt et efficacement, tout l'objectif est de l'intégrer avec ses pairs et de lui permettre de rattraper son retard développemental pour qu'il puisse progresser avec les autres enfants. Plus on retarde le traitement, plus il y a du rattrapage à faire. C'est possible.

Mon enfant n'a pas reçu d'intervention avant l'âge de six ans. Comme je l'ai dit, il a maintenant 15 ans. Il a encore beaucoup de chemin à parcourir, mais il n'a encore jamais raté les cibles que nous lui avions fixées. Son potentiel est encore illimité.

Le sénateur Poy : Vous avez mentionné que votre fils de 15 ans réussissait très bien à l'école. Son diagnostic d'autisme a aussi eu l'effet de le stigmatiser. Comment peut-on surmonter cela?

Mme Wilkinson : En fait, mon fils a trois diagnostics. Il est autistique, souffre de paralysie cérébrale et a une grave perte auditive qui l'oblige à porter des appareils auditifs. Il a trois étiquettes.

Il a acquis assez de perspicacité pour que nous lui enseignions dorénavant ce qu'est l'autisme, parce que pour apprendre à se défendre, il doit comprendre quels sont ses besoins. Il aura besoin d'aide pour accomplir les choses qui lui posent des difficultés jusqu'à ce qu'il apprenne à les faire seul. Nous croyons qu'il faut notamment apprendre à cet enfant de 15 ans à dire : « Vous savez, j'ai besoin d'aide pour cela. »

Il se sent différent des autres enfants. Il a presque l'obsession de ne pas avoir l'air différent des autres enfants. Souvent, il préfère avoir l'air idiot que d'admettre qu'il ne comprend pas ou qu'il ne sait pas quelque chose, simplement parce qu'il veut être comme tous les autres enfants.

Il est très motivé dans ses programmes de traitement et dans l'apprentissage de ce dont il a besoin. Il vous dira qu'il veut aller à l'université. Il veut vivre une vie indépendante. Comme il l'a dit à un groupe d'enseignants au printemps : « Je ne veux pas être riche, mais j'aimerais en avoir assez pour vivre. » C'est son objectif personnel en ce moment, et nous sommes là pour l'aider.

Le sénateur Poy : Vous avez mentionné qu'il avait des notes élevées en sciences et une bonne moyenne; pourtant, le stigmate de l'autisme l'empêche de concurrencer les autres dans son école secondaire. À mon avis, ce devrait être l'inverse. En raison de son état, il devrait être encouragé. Je ne comprends pas pourquoi on le retient.

Mme Wilkinson : L'attitude générale est qu'il est trop compliqué d'accommoder des enfants différents plutôt que d'avoir un beau groupe de jeunes enfants brillants, énergiques et vifs qui n'ont pas besoin d'une attention très différente de la moyenne. Il n'y a pas d'encouragement en ce sens.

Oui, le stigmate de l'autisme contribue beaucoup au fait que les autres jettent sur lui un regard différent.

Mme Ludwig : Sénateur Poy, vous nous avez demandé si les services étaient rendus inaccessibles à partir de six ans. Nous vous avons répondu qu'une politique avait été contestée et qu'on avait un peu révisé le tir, mais il y a d'autres façons de réduire les programmes et les services qui sont disponibles. Lorsque la limite d'âge a été révisée, d'autres restrictions sont apparues.

Par exemple, il y a d'autres critères étroits. Actuellement, la ministre des Services aux enfants impose des règles selon lesquelles certains critères doivent être respectés, et si le problème d'un enfant n'est pas suffisamment grave, il n'a pas accès au programme. Par contre, si son handicap est trop grave, on estime parfois que l'enfant n'a pas de potentiel, ce qui est injuste et faux. Pourtant, si un enfant a des forces, s'il est un peu entre deux, si le problème est présent, mais qu'il n'est pas assez grave pour constituer l'un des exemples qui brisent le plus le cœur, alors l'attitude, c'est que l'enfant s'en tire extrêmement bien pour un enfant autistique et que par conséquent, nous devrions offrir nos services à ceux qui en sont plus gravement atteints.

Il y a aussi les enfants qui ont vraiment le potentiel de réussir incroyablement bien parce que leur autisme est moins grave, bien qu'il soit présent et qu'il demeure un obstacle à la réalisation de leur potentiel; on dit alors que ces enfants devraient rire parce qu'ils sont à la limite supérieure du spectre de l'autisme.

Bien souvent, c'est peine perdue, quelle que soit la situation d'un enfant, parce qu'où qu'il se situe, c'est comme s'il était puni pour la gravité ou le manque de gravité de son handicap. Le traitement devrait être adapté aux besoins, et l'on ne devrait pas fixer de seuil pour admettre les enfants dans ces programmes.

Si un enfant a des besoins moindres, c'est merveilleux. Cet enfant s'en tirera probablement très bien si nous lui offrons les services nécessaires. Si un enfant a un besoin plus grand, c'est très bien aussi. Notre objectif pour cet enfant sera qu'il devienne indépendant. Les objectifs seront différents, mais le potentiel d'amélioration est grand, et l'on ne devrait pas prendre des décisions arbitraires sur le type de services à offrir à un enfant et son potentiel.

Le sénateur Carstairs : J'aimerais revenir à la question du sénateur Poy. En tant qu'éducatrice, je trouvais très négatif d'étiqueter les enfants. J'ai très peur qu'on leur appose des étiquettes qui pourraient ne pas correspondre à la réalité à long terme.

Il y a dix ans, le grand enjeu était la dyslexie. Je serais portée à croire que le grand enjeu actuel est l'autisme. Je crains que les enfants soient étiquetés et qu'ils ne puissent jamais se défaire de cette étiquette, même lorsqu'ils deviennent parfaitement fonctionnels ou qu'ils devraient être considérés fonctionnels. Je pense à votre fils, madame Wilkinson, qui réussit à rivaliser avec d'autres enfants. Les enfants ne devraient pas être mis indéfiniment dans des catégories spéciales parce qu'ils ont déjà souffert et qu'ils souffrent toujours d'un trouble qu'on appelle l'autisme.

Ferions-nous la même chose pour un enfant diabétique? Ferions-nous la même chose pour un enfant seulement malentendant? Ferions-nous la même chose pour un enfant qui porte des lunettes?

Quelle est la solution? J'ai été enseignante pendant 21 ans, et ma philosophie était de me demander d'abord si une chose était dans l'intérêt de l'enfant, puis si elle était dans l'intérêt de tous les autres enfants de la classe, ainsi que dans l'intérêt de l'enseignante. Maintenant, la réflexion semble inversée : une chose est-elle dans l'intérêt de l'administration, est-elle dans l'intérêt de l'enseignant, est-elle dans l'intérêt des autres enfants et enfin, est-elle dans l'intérêt de cet enfant?

Comment pouvons-nous changer ces étiquettes? Nos outils de diagnostic sont-ils si bons qu'il ne nous arrive jamais de diagnostiquer à tort de l'autisme chez des enfants qui ne sont pas autistiques?

Avons-nous les outils nécessaires dans la collectivité pour poser ce diagnostic et avons-nous des programmes à proposer après le diagnostic?

Mme Ludwig : Je pense que nous pouvons être plutôt rassurés que l'autisme est un diagnostic médical. Le diagnostic d'autres déficiences est peut-être moins exact, mais il y a des symptômes particuliers et assez précis qui doivent être observés pour qu'un enfant soit considéré autistique. En fait, il est plus fréquent que les médecins ne soient pas certains si un enfant atteint le seuil et qu'ils posent un diagnostic atténué, prudent, puis qu'on finisse par déterminer que l'enfant est atteint d'autisme.

Le diagnostic d'autisme est difficile à poser parce qu'il y a toute une gamme d'états faisant partie de ce trouble. Un enfant peut être capable de réciter l'alphabet très jeune, mais ne pas rester habillé ou ne pas tolérer la moindre goutte de sauce sur ses doigts. Parfois, il est difficile d'évaluer ce que l'on voit, mais l'autisme est diagnostiqué médicalement. En général, les enfants sont dirigés vers un nombre limité d'endroits, où l'on finira par le diagnostiquer.

Nous n'avons pas de problème de diagnostic excessif ni nécessairement de mauvais diagnostic. Souvent, les médecins hésitent beaucoup à apposer cette étiquette à un enfant.

Pour ce qui est de la façon dont l'étiquette peut toucher les enfants à l'école, l'objectif devrait être la prestation des services les moins intrusifs possibles, les plus intégrés possibles et les plus ordinaires possibles pour élargir le plus les possibilités.

Pourtant, l'étiquette de l'autisme peut être nuisible dans la classe, surtout si elle signifie que l'enfant est mis de côté pour des leçons spéciales, qu'il manque des activités dans la classe, qu'il reçoit de l'aide en classe, qu'il fait tout dans un coin et qu'il ne participe pas à la leçon normale dans la classe. Nous devons viser à offrir des services appropriés et judicieux de la façon la moins intrusive possible; nous devons trouver des moyens d'intégrer l'instruction et de l'aide dans un environnement typique.

Mme Wilkinson a beaucoup d'expérience du système d'éducation et pourrait probablement vous en dire plus. C'est un exemple de cas où il n'est pas difficile de faire en sorte que les choses fonctionnent.

Mme Wilkinson : La réalité est telle qu'en Alberta, selon le système d'éducation, on ne peut pas obtenir d'aide ni de services sans étiquette. Ce sont les règles. Si mon enfant n'avait pas reçu un diagnostic d'autisme, il n'aurait pas les services dont il bénéficie dans le système d'éducation. Bien sûr, il faut se battre pour les obtenir de toute façon.

Un élément clé, c'est que l'inclusion commence par l'enseignant et la façon dont il prévoit donner ses cours dans cette classe et accommoder les enfants. Il y a très peu de formation pour les enseignants dans les universités sur la différenciation de l'instruction et la façon d'enseigner à des élèves différents. Les enseignants sortent d'un programme universitaire de quatre ans avec très peu de formation à cet égard. Compte tenu que de nos jours, un enfant sur 166 souffre d'autisme, il est facile de comprendre que dans un groupe de 500 élèves, il y en a deux ou trois qui souffrent d'autisme chaque année. Dans une école de 1 000 enfants, il y en a encore plus.

Par conséquent, les enseignants devront s'occuper fréquemment d'enfants souffrant d'autisme du début à la fin de leur carrière. Ils auront besoin d'outils pour s'occuper de ces enfants et du reste de la classe aussi. Actuellement, on n'offre pas d'outils aux enseignants dans notre système.

Le sénateur Carstairs : En tant qu'enseignante, je peux vous dire qu'il est extrêmement difficile de se tenir devant une classe qui comprend un enfant souffrant de divers handicaps. Peu importe de quel handicap il s'agit. On se trouve le 3 septembre sans compétence pour s'occuper d'un enfant. Non seulement l'enseignant n'a-t-il pas les compétences nécessaires, mais il ne peut pas les acquérir parce qu'il n'y a même pas de cours offerts pour l'aider à les acquérir.

Beaucoup d'enseignants ont peur. J'ai eu un père diabétique, donc quand un enfant est tombé dans un coma diabétique dans ma classe, je savais quoi faire; j'avais déjà vécu une situation semblable et je savais comment réagir. La plupart des enseignants n'en ont aucune idée. Nous ne leur enseignons pas ce type de compétence. Cela nuit à l'enseignant et évidemment aussi à l'enfant qui se trouve dans sa classe.

J'aimerais vous parler du financement de l'éducation. Il y a deux jours, un expert de renom nous a parlé des besoins des enfants handicapés de Winnipeg.

Grâce à mon expérience de politicienne provinciale pendant quelques années, je sais que le pourcentage du budget total qui est alloué à l'éducation est en déclin. Dans ma province, il est passé de 18 à 16,5 p. 100 du budget total.

Certains diront que les sommes consenties ont augmenté, mais en fait, elles ont diminué. La plus grande hausse dans le budget de l'éducation de n'importe quelle province vise à juste titre les enfants ayant des besoins spéciaux. Cependant, d'autres parents sont très fâchés, parce qu'ils disent que cela enlève de l'argent à leurs enfants. Qu'en pensez-vous?

J'ai indiqué que d'après moi, la plupart de ces besoins ne concernaient pas les services d'éducation, mais les services sociaux et que l'argent devrait peut-être venir du budget des services sociaux plutôt que du budget de l'éducation. Ainsi, on ne monterait pas les parents les uns contre les autres comme on le fait en ce moment.

Mme Wilkinson : C'est une observation très intéressante. J'ai participé à une réunion de notre conseil d'école publique il y a quelques années avec un groupe de parents dont les enfants ont des besoins spéciaux parce qu'une nouvelle initiative devait être présentée. Nous sommes arrivés un peu à l'avance, pendant la discussion sur un autre sujet. L'un des conseillers a demandé à un bureaucrate du conseil combien d'argent exactement les enfants ayant des besoins spéciaux volaient aux autres enfants. Ce commentaire d'un membre du conseil d'administration illustre le tragique de la situation. Ce ne sont pas seulement les autres parents qui ont cette attitude; elle est répandue partout. Dans une certaine mesure, on perpétue l'attitude que les enfants ayant des besoins spéciaux utilisent tout le budget parce que l'on ne permet pas aux gens de parler des enjeux ensemble, ce qui divise les familles et les monte les unes contre les autres. Il y a une certaine stratégie politique à maintenir cette attitude.

Il faut aussi se demander comment l'argent réservé aux élèves aux besoins spéciaux est vraiment dépensé. Cet argent est-il dépensé de façon efficace et appropriée? Lorsque vous saurez cela, vous pourrez peut-être déterminer s'il en faut davantage.

La tendance à l'heure actuelle consiste à injecter la majorité des fonds consacrés à l'éducation spécialisée dans des classes spéciales, mais la politique provinciale préconise plutôt l'intégration scolaire; il y a ici encore une dichotomie entre la rhétorique et la pratique. Tout l'argent est injecté dans des classes spéciales, dont les parents ne veulent pas; en même temps, on dispose de peu de ressources pour aider les enfants à bien s'intégrer dans des classes ordinaires.

À l'école secondaire que fréquente mon fils, il existe un programme spécial pour les élèves atteints d'autisme. Mon fils en est absolument consterné et se demande quels parents peuvent inscrire leur enfant dans ce programme. Je lui ai dit que les parents font parfois ce choix, mais il ne peut le croire. La réalité, c'est que mon fils est un cas rare et son expérience n'est pas celle que vivent la plupart des adolescents autistes.

Concernant le financement, vous devez rendre des comptes sur la façon dont l'argent est dépensé et vous pouvez alors dire quelle somme supplémentaire est nécessaire et le justifier devant les autres parents. Toutefois, l'attitude à l'égard des enfants ayant des besoins spéciaux, c'est qu'ils sont des voleurs : ils volent l'argent, le temps des enseignants, les ressources. Cette attitude doit changer.

Mme Ludwig : Il nous faudrait adopter une vision différente. Au lieu de penser qu'une classe est en compétition pour l'obtention des ressources, il faut songer aux avantages que peut retirer chaque enfant dans une classe où l'enseignant reçoit un bon appui et où tous les besoins des élèves sont satisfaits. Cela peut sembler être une aspiration noble, mais il arrive que l'argent soit injecté dans des programmes qui paraissent bons, mais qui ne sont que rhétoriques.

Il y a quelque temps, nous avons eu un projet touchant la santé des élèves. Des fonds ont été dégagés pour ce programme, une classe pour les problèmes d'ordre émotif, une façon de récupérer les élèves qui passaient à travers les mailles du filet. Une grosse machine a été mise en place; au départ, c'était un modèle de consultation où quelqu'un viendrait dire aux enseignants tout ce qu'ils devraient faire de plus dans la classe. Finalement, c'était un fardeau dans la classe; cette initiative a accaparé beaucoup d'argent, mais n'a pas permis de donner une aide pratique.

Si nous pouvons fournir le soutien approprié dans la classe, que ce soit par la formation, du personnel supplémentaire, des aides additionnelles, en faisant preuve de créativité pour adapter certaines approches et certaines expertises en éducation, tout le monde dans la classe en profiterait et nous n'aurions pas nécessairement besoin d'une compétition pour les ressources.

Il est clair que nos éducateurs sont bien intentionnés, mais leurs mains sont liées également. Ils font face à des exigences excessives, des élèves aux besoins multiples, des classes de grande taille, des attentes et des différences particulières dans chaque classe. Nous devons créer un climat dans lequel le droit de chaque enfant de réaliser son potentiel et de recevoir une éducation convenable est valorisé et nous devons faire en sorte d'offrir le soutien nécessaire aux enseignants et au personnel, qui ont à cœur de valoriser nos enfants, pour que ces éducateurs réussissent dans leurs tâches.

La présidente : Toutefois, où se situe la limite, lorsqu'un enfant accapare trop de ressources? Il y a 25 enfants dans une classe et l'enseignant doit répondre à tous leurs besoins.

Tous les enfants ont des besoins. C'est là notre point de départ. Ils ont des besoins de développement et ils peuvent connaître des lacunes sur le plan familial ou autre. À un moment donné, l'enseignante doit porter un jugement de valeur à l'égard des élèves dont elle doit s'occuper. Comme dans une famille, l'enfant qui fait le plus de bruit ou qui a le plus de problèmes est celui qui reçoit habituellement le plus d'attention.

Chez les enfants autistes, où établissez-vous la limite, si vous le faites, et comment décidez-vous que l'enfant ne peut être intégré à la classe et qu'il a besoin d'une attention spéciale? Au fil des années, nous avons essayé de définir des seuils à l'égard des comportements criminels pour ne plus défavoriser la majorité, et nous disons que cette personne en particulier a besoin de soins spéciaux dans un environnement spécial. Est-ce qu'on définit les limites pour les enfants autistes de cette façon?

Mme Wilkinson : Il faut être très prudent ici. Lorsque vous avez des programmes d'enseignement efficaces pour les enfants autistes, vous n'avez pas de problèmes de comportement, ni d'attention; vous avez des enfants qui apprennent dans la classe. Il faut leur offrir un programme efficace et des aides comportementales appropriées.

Mon fils a une aide à temps plein qui l'assiste lorsqu'il a des difficultés avec certaines choses.

Où est la limite? Je crois qu'il faut faire bien attention de ne pas mettre le fardeau sur l'enfant. Vous devez vous demander si l'enfant réussit lorsqu'il reçoit le soutien nécessaire. Si l'enfant ne reçoit pas d'aide, vous le destinez à l'échec et il ne profitera pas de cette inclusion. L'intégration scolaire touche au programme autant qu'à l'inclusion physique.

Vous devez donner aux enfants le soutien approprié. Cette expertise est disponible. Le ministère de l'Éducation de l'Alberta a publié un livre complet sur l'éducation des élèves autistes. Le défi actuel consiste à mettre les concepts en pratique, parce que les idées préconisées dans le livre sont des pratiques exemplaires, des interventions standards. De l'avis du ministère provincial, ces pratiques conviennent dans un environnement inclusif. Il nous reste maintenant à les appliquer effectivement dans pareil environnement.

Vous pouvez dépenser bien des ressources, mais si vous ne le faites pas efficacement, vous avez un problème. C'est très différent d'avoir une chaleur dans la classe que d'avoir quelqu'un qui a les connaissances, les compétences et la formation nécessaires pour aider l'enseignant et les élèves. Il faut voir si nous dépensons l'argent efficacement ou si nous le gaspillons.

Mme Ludwig : J'ai l'impression que vous demandez dans quelle mesure la pleine intégration est ce qui convient le mieux à l'enfant.

La présidente : Dans d'autres domaines, par exemple en enseignement de l'anglais, langue seconde, le fait de retirer les enfants de la classe pour une période de formation intensive et de les réintégrer lentement dans la classe donne de bons résultats. Au lieu d'essayer de s'attaquer à tous les problèmes à la fois dans une classe, une formation spécialisée peut parfois être préférable. Je n'ai pas entendu pareille chose en ce qui a trait aux enfants autistes.

Mme Ludwig : Je crois que ce que vous dites est juste. Il n'y a pas de solution parfaite qui répond aux besoins de chaque enfant. Il faudrait viser la plus grande intégration possible. Même s'il y a des périodes où la famille, l'éducation ou les besoins de l'enfant nécessitent un environnement plus protégé, de façon temporaire ou peut-être à long terme, il faut viser à offrir un environnement le moins perturbateur et le plus inclusif possible.

Malheureusement, ce n'est pas ce qui se produit. On finit par croire que la ségrégation est plus facile et les familles sont persuadées que c'est la meilleure solution parce que c'est ce que disent les experts qui savent comment satisfaire aux besoins de l'enfant.

Il faut faire une distinction entre un environnement protégé ou spécial pour répondre à certains besoins et un entrepôt. Si nous pouvons faire cette distinction et établir la norme pour que les enfants se retrouvent dans l'environnement le plus intégré qui leur convienne, ce pourrait être une meilleure façon d'aborder cette question.

Le sénateur Carstairs : Par ailleurs, si vous avez un enseignant attitré à une classe spéciale de six places et que quatre enfants seulement ont besoin de ce programme, vous devez en trouver deux autres, ce qui constitue également un problème.

Mme Ludwig : Ce serait très triste.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Qu'en est-il des enfants dont les parents ne peuvent accéder aux programmes faute de moyens de transport ou de moyens financiers?

Mme Wilkinson : Pour les enfants qui ne bénéficient d'aucune intervention, l'avenir est plutôt sombre. Dans la majorité des cas, ces enfants autistes qui ne profitent d'aucune intervention deviendront des adultes qui vivront dans un établissement quelconque. Il y a des foyers collectifs ou des établissements plus formels; de nombreux adultes dont l'autisme n'est pas traité sont aussi aux prises avec le système de justice et se retrouvent en prison. Sans traitement, les enfants autistes ont peu de chance de vivre des vies productives et indépendantes.

Lorsque les parents n'ont pas les moyens de payer eux-mêmes des traitements ou n'ont pas accès aux traitements par l'entremise des diverses agences provinciales, les enfants doivent s'en passer.

Mme Ludwig : Cela nous ramène à l'idée que nous avons besoin de normes et qu'il faut mettre des services sur pied dans les secteurs où ces services ne sont pas accessibles. Nous ne pouvons accepter que les enfants d'une ville puissent bénéficier d'un programme tandis que ceux de l'extérieur ne le peuvent pas. Cela va de pair avec l'établissement des normes, les incitatifs et la reddition de comptes à prévoir pour que ces normes soient atteintes, et la prise en charge des problèmes précis en cours de route.

Le sénateur Mitchell : J'ai étudié ce problème à l'université il y a 35 ans; il semble que certains progrès aient été réalisés, mais certainement pas assez.

Mme Wilkinson a dit quelque chose à propos des normes qui me paraît intéressant. Ai-je bien compris que diverses cliniques ou agences adhèrent à des normes différentes de traitement et qu'il y a des normes médicalement reconnues, mais qu'elles ne sont pas appliquées sur une grande échelle? Si c'est le cas, comment peut-on expliquer cela? N'y a-t-il pas un organisme dirigeant? Sinon, devrait-il y en avoir un?

Mme Wilkinson : À l'heure actuelle, le meilleur traitement pour les enfants autistes est une technique qu'on appelle l'analyse comportementale appliquée, ou ABA. Il s'agit d'une référence internationale pour le type d'intervention qui profite le mieux aux enfants autistes.

À Edmonton et dans le nord de l'Alberta, une entreprise fournit ce service. Il s'agit en fait d'une succursale d'une entreprise de la Californie qui est située à Calgary.

Aucun fournisseur de services local n'offre des services d'ABA. Toutefois, le programme provincial de soutien aux familles ayant un enfant handicapé autorise les fournisseurs à offrir un traitement aux enfants autistes.

Lorsque des parents me téléphonent pour me demander comment ils peuvent obtenir une ABA pour leur enfant, je dois leur dire qu'une entreprise de Calgary, établie en Californie, ou que l'entreprise de la Californie enverra quelqu'un dans le nord de l'Alberta. En fait, il y a deux fournisseurs de services, mais un seul réside en Alberta. Vous devez appeler l'un ou l'autre et espérer que du personnel sera disponible pour vous offrir le service.

Le sénateur Mitchell : Le gouvernement paie-t-il ce service?

Mme Wilkinson : Le gouvernement a approuvé ces deux fournisseurs de services qui font de l'ABA. Il a aussi approuvé de nombreux autres fournisseurs de services qui ne font pas de l'ABA.

À l'heure actuelle, l'ABA est la référence clinique pour le traitement des enfants autistes. C'est le traitement le plus efficace, comme le montre la littérature médicale. Toutefois, ce n'est pas la norme en Alberta. Ce traitement n'est pas utilisé comme la base de l'intervention auprès des enfants dans cette province.

Jusqu'à présent, aucune norme n'a été établie en matière d'intervention. Certaines entreprises font des interventions en Alberta, dont les directeurs sont des ergothérapeutes, des orthophonistes ou, dans de rares cas, des psychologues. Si vous leur demandez s'ils ont reçu une formation pour intervenir auprès des enfants autistes, ou s'ils ont un diplôme d'études supérieures ou des titres de compétences, la réponse est non.

Le sénateur Mitchell : Comment une norme pourrait-elle être imposée ou appliquée de façon plus générale? Faut-il faire appel à l'association médicale, ou aux associations de psychiatres ou de psychologues? Qui pourrait faire cela? Y a-t-il un organisme faisant autorité en matière d'autisme au Canada, ou pourrait-on en créer un?

Mme Wilkinson : Personnellement, je crois que le leadership doit venir du gouvernement fédéral. Lorsque les médecins ne sont pas les seuls à faire des interventions, tout à coup l'association médicale refuse d'établir des normes. Toutes ces autres disciplines ont leurs propres organisations professionnelles. En conséquence, aucun groupe ne peut dire « Ceci doit être la norme, ou la meilleure pratique. »

Aux États-Unis, il existe plusieurs organisations multidisciplinaires formées de parents et de professionnels qui préconisent certaines normes pour l'obtention des diplômes d'études supérieures et un certain nombre d'heures de stage avant de pouvoir faire des interventions. Certaines pressions sont exercées, mais rien n'est fait au niveau bureaucratique ou législatif.

La présidente : Nous devons conclure notre discussion. J'aimerais vous remercier de nous avoir fait part de vos expériences personnelles, d'avoir parlé au nom des parents d'enfants autistes et d'avoir permis une discussion très franche. Je crois que nous avons appris des choses nouvelles sur la situation en Alberta, mais aussi sur l'autisme en général. Nous vous en remercions et nous tenterons de tenir compte de vos commentaires dans nos travaux.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nos prochains témoins seront Renée Vaugeois, représentante du Centre John Humphrey pour la paix et les droits de la personne; Penny Hume, représentante de Child and Youth Friendly Calgary; et Beverley Smith, porte-parole de la Care of the Child Coalition.

Renée Vaugeois, directrice exécutive, Centre John Humphrey pour la paix et les droits de la personne : Le Centre John Humphrey est une petite organisation établie ici, à Edmonton, qui travaille à l'avancement des droits de la personne par l'éducation. Nous menons diverses activités, que ce soit en sensibilisant des jeunes d'âges variés ou en nous engageant au sein de la collectivité pour l'avancement des droits de la personne.

Je ne peux pas vous présenter un exposé théorique sur la façon dont la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant peut être surveillée plus efficacement ou comment la Convention peut être appliquée de façon à respecter les engagements du Canada. Je peux vous parler seulement de ce que nous entendons dans la communauté et ce que nous disent les jeunes. Nous nous efforçons vraiment à faire participer les jeunes dans toute une gamme de projets.

Nous avons un projet intitulé Human Rights City Edmonton Project, qui fait partie d'une initiative collective de 14 villes réparties dans le monde visant la promotion des droits de la personne en milieu urbain. Ce projet nous permet d'effectuer beaucoup de travail auprès des jeunes. Nous nous engageons également auprès de nombreux organismes à but non lucratif dans la collectivité. Ils nous font part de leurs batailles et des défis qu'ils relèvent en s'occupant des jeunes et des enfants dans la collectivité.

L'Alberta connaît présentement une croissance économique fulgurante, ce qui crée beaucoup de pression relativement aux droits des jeunes et des enfants. Par exemple, l'explosion démographique à Edmonton a fait augmenter en flèche le nombre d'enfants autistes dans la collectivité, ce qui crée plus de pression sur les organismes qui s'occupent des enfants et des familles aux prises avec l'autisme.

Le secteur sans but lucratif doit maintenant lutter constamment pour composer avec les problèmes émergents. L'essor économique compromet de plus en plus notre capacité de fournir des services adéquats et d'intervenir efficacement. Des mécanismes vigoureux et des fonds sont nécessaires pour appuyer le travail du secteur bénévole, qui semble devoir veiller de plus en plus à la protection et à la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant alors qu'il dispose de moins en moins de ressources.

J'ai mentionné que le Centre John Humphrey travaille à l'éducation et à l'engagement des jeunes. J'aimerais vous faire part de certains aspects importants dont nous sommes témoins. Le nombre croissant d'immigrants et de réfugiés dans notre collectivité pose problème. C'est une question passablement complexe : non seulement nous devons souvent nous occuper d'enfants provenant de pays en guerre, qui souffrent maintenant de traumatismes émotionnels ou psychosociaux, mais ces enfants sont aussi placés dans des écoles où ils sont souvent incapables de fonctionner ou encore où le racisme est bien présent. Le racisme dans les écoles constitue un problème.

Je suis sidérée lorsque des jeunes de notre collectivité me disent qu'ils fréquentent une école à l'autre extrémité de la ville parce que l'école près de chez eux compte un trop grand nombre d'Autochtones ou de Noirs, et cette attitude est renforcée par les parents à la maison.

Le racisme sévit encore dans notre communauté. L'intimidation raciale est un problème. Certes, des organismes se penchent sur la question, mais c'est un problème grave. Les articles 16, 19, 34 et 37 de la Convention relative aux droits de l'enfant portent tous sur la discrimination.

Nous savons qu'au sein de la collectivité autochtone, la discrimination raciale a un impact important sur les enfants et les jeunes, qui les touche non seulement aujourd'hui, mais dans l'avenir.

Les sondages et les ateliers que nous avons effectués nous montrent toujours que la discrimination dans les écoles a un impact au-delà de l'enfance. Plusieurs personnes nous ont dit qu'un incident d'intimidation raciale à l'école a été un point tournant dans leur vie. La collectivité autochtone a également fait part de ses préoccupations au sujet du maintien des enfants autochtones dans la collectivité et la famille parce qu'il avait une incidence sur le maintien de la culture autochtone.

Chose intéressante, le racisme persiste au-delà des cours d'école. En milieu de travail à Edmonton, nous avons observé des effets importants du racisme sur les enfants et les familles. Le racisme dans le secteur de l'emploi, qui vous empêche de trouver du travail pour lequel vous êtes qualifié ou encore d'obtenir une promotion, aggrave le stress qui s'infiltre dans la maison. Le stress compromet la qualité de vie en affectant la santé des parents, tant physique que psychologique, ce qui peut faire augmenter les incidents d'alcoolisme ou de violence familiale. Il peut aussi compliquer la recherche de logements décents.

Les enfants vivant avec des parents immigrants ou réfugiés qui souffrent de stress au travail en raison de leur race peuvent être affectés, les effets à long terme du racisme se répercutant sur l'enfant, la famille et la communauté. La discrimination et le racisme sont donc deux problèmes importants auxquels se heurtent les jeunes de notre collectivité.

Un autre problème qui touche les jeunes et les enfants, c'est la bataille que doit livrer la communauté homosexuelle. Les craintes exprimées par certains jeunes sur l'affirmation de leur identité et certaines histoires que nous avons entendues sont particulièrement traumatisantes. Le stress mental et physique que vivent certains enfants est consternant et tragique. Ils craignent de se faire battre, etc.

Nous avons mené plusieurs ateliers auprès des jeunes à risque dans notre communauté et ils nous ont fait part des défis qu'ils doivent relever tous les jours et de la discrimination dont ils souffrent. Ils craignent d'être traités injustement par les tribunaux. Ils craignent d'être battus dans la rue. Ils craignent aussi la brutalité policière et la violence familiale.

Nous parlons souvent de la Convention relative aux droits de l'enfant avec ces jeunes. Le dernier groupe que nous avons rencontré a dit « Ce ne sont que des mots. Ces droits sont bafoués tout le temps. »

Que ce soit des enfants atteints d'autisme, des jeunes à risque ou des jeunes immigrants, ces enfants et ces jeunes marginalisés continuent d'être isolés du reste de la société, d'avoir un faible estime de soi et de manquer de confiance dans leur capacité de faire changer les choses. Il faut créer l'espace nécessaire pour les rejoindre.

Je sais que iHuman Youth Society devait présenter un exposé devant vous aujourd'hui. Les organismes comme celui-ci font un travail incroyable et luttent pourtant pour leur survie, ce qui est très malheureux. Nous en avons grand besoin pour établir des ponts, ne serait-ce qu'entre les diverses sphères sociales des jeunes.

Tous les enjeux dont je viens de parler concernent les droits de l'enfant. La discrimination touche vraiment aux droits de l'enfant. Je crois que l'article 25 porte sur la qualité de vie.

Pour promouvoir et protéger les droits de la personne, nous devons sensibiliser davantage la population à l'existence de la Convention relative aux droits de l'enfant et de la Déclaration universelle des droits de l'homme. L'éducation, en particulier dans le réseau scolaire, pose un autre défi. Il faut éviter d'alourdir encore le fardeau de nos enseignants, qui sont déjà surchargés et qui doivent souvent se concentrer sur les examens ministériels.

Comment promouvoir de manière efficace l'enseignement des droits de la personne, et il est essentiel de le faire si nous voulons être mieux à même de respecter nos engagements, sans taxer davantage nos enseignants, le secteur sans but lucratif étant déjà mis à rude épreuve?

Par ailleurs, le fait de dénoncer une violation des droits de la personne engendre, au sein de la collectivité, un sentiment général d'incertitude en raison des difficultés que cela pose. La commission est perçue comme un organisme sacro-saint, tandis que les processus à la fois longs et complexes ont tendance à décourager les gens. De sérieux efforts de vulgarisation doivent être déployés auprès des marginalisés pour faire en sorte qu'ils aient accès à la justice. Ils craignent en effet d'être victimes de réactions négatives s'ils s'adressent à la commission pour dénoncer une violation.

Il faut trouver d'autres moyens de régler les problèmes. On nous dit qu'il n'y a pas beaucoup d'endroits où l'on peut discuter de ces questions en toute sécurité et de manière constructive. Protéger les enfants et respecter les obligations internationales du Canada au regard de la Convention relative aux droits de l'enfant et de la Déclaration universelle des droits de l'homme constituent des problèmes complexes.

Le principal défi tient à l'importance des droits de la personne définis par la convention et la déclaration. En effet, leur surveillance et leur application intéressent tous les secteurs. La notion des droits de la personne demeure essentiellement subjective, étant donné qu'il est difficile de quantifier et de qualifier bon nombre des droits qui sont associés à la convention. De grands défis nous attendent, d'où l'importance pour le gouvernement de collaborer avec les secteurs privé et sans but lucratif, que ce soit par le dialogue ou par le biais de mécanismes de financement.

Il faut renforcer le secteur sans but lucratif et l'aider à composer avec les pressions additionnelles, notamment en Alberta, où les progrès réalisés par le secteur privé ne se sont pas nécessairement répercutés sur le secteur sans but lucratif.

C'est par la collaboration interministérielle et l'adoption de solutions holistiques que nous allons pouvoir répondre aux besoins des enfants. Telle est, d'ailleurs, la véritable signification de la notion de respect des droits de la personne. La législation sur les droits de la personne doit servir de cadre holistique et multidisciplinaire à nos efforts. C'est, en tout, cas l'idéal vers lequel nous tendons.

Enfin, j'espère que vous aurez été en mesure, vous aussi, d'associer les jeunes à ce processus.

Penny Hume, directrice exécutive, Child and Youth Friendly Calgary : Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des droits de la personne de m'avoir invitée à comparaître. C'est pour moi un grand honneur d'assister à cette réunion sur la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Le groupe Child and Youth Friendly Calgary est le fruit d'une conviction et le garant d'un rêve. La conviction est la suivante : les droits fondamentaux de la personne n'ont rien à voir avec l'âge. Les jeunes ont le droit d'être protégés et de bénéficier de soins. Ils ont également le droit d'être traités avec respect.

Or, le respect signifie la reconnaissance. Le respect signifie que la curiosité est un sentiment naturel qui doit être satisfait. Le respect signifie que l'on a le droit d'être entendu. Le respect signifie que le talent doit être encouragé et reconnu. Le respect signifie que l'on a la possibilité d'agir comme participant, et non seulement comme observateur. Le respect signifie que l'on est conscient du fait que les décisions qui touchent les adultes ont également un impact sur les jeunes. Nous nous sommes efforcés de trouver des moyens de permettre aux adultes de jouer un rôle actif au sein de la société. Nous devons maintenant trouver des moyens efficaces de permettre aux jeunes de faire entendre leur voix dans un monde qui conditionne également leur existence.

Child and Youth Friendly Calgary est un organisme de bienfaisance sans but lucratif qui est confronté aux mêmes problèmes que les autres organismes du même genre. Nous avons vu le jour en 1992, notre vision étant la suivante : les jeunes qui sont des membres actifs de la société vont devenir des adultes qui ont un sentiment d'appartenance et de responsabilité à l'égard de leur collectivité.

Notre mission est la suivante : permettre aux jeunes d'apporter une contribution concrète à la collectivité. Nous offrons de nombreux programmes. Certains s'adressent aux jeunes très doués, et d'autres, au Centre de détention pour jeunes contrevenants. Nous encourageons la participation des jeunes par l'entremise de diverses initiatives : mentionnons le Conseil jeunesse du maire, le Corps de jeunes bénévoles, la Fondation jeunesse de Calgary, et sept autres programmes. Les jeunes participants proviennent de toutes les écoles secondaires de la ville de Calgary. Au moins 40 p. 100 d'entre eux font partie de minorités visibles.

Au Canada, le taux de participation des citoyens à des activités telles que les élections, le bénévolat, la vie communautaire en général, est à la baisse. Nous devons promouvoir ces valeurs chez les jeunes. Nous devons souligner les efforts des jeunes qui contribuent de façon concrète au bien-être de nos collectivités. Nous devons mettre tous les jeunes à contribution. Lorsque ceux-ci participent à des activités communautaires très tôt, ils prennent conscience de ce qu'ils peuvent lui apporter, du rôle important qu'ils peuvent jouent, de leurs droits et responsabilités. Une fois adultes, ils sont plus sensibilisés aux besoins de leur collectivité; ils savent ce qu'ils peuvent lui donner.

Récemment, nous avons, par le truchement de la Fondation McConnell et de l'Institut international pour les droits et le développement de l'enfant, participé à une initiative qui visait à renforcer les collectivités en encourageant les jeunes à participer aux processus de planification de celles-ci, et aussi en mettant en œuvre des programmes de développement communautaire qui s'adressaient aux jeunes exclus ou désengagés. En effet, la participation de tous les jeunes est essentielle à la santé des collectivités canadiennes. La contribution de ces jeunes gens agit non seulement sur notre avenir, mais également sur notre présent.

Les jeunes peuvent, par le biais du commissariat des enfants que l'on se propose de créer, des établissements scolaires, des ministères fédéraux, provinciaux et municipaux et d'un secteur bénévole plus fort et plus cohérent, jouer un rôle de chien de garde en matière de respect des droits de l'enfant au Canada. En consacrant plus d'attention à la convention et en permettant aux jeunes d'en surveiller l'application, la collectivité dans son ensemble sera plus informée et engagée. Elle sera aussi en mesure d'assurer le respect de la convention sur une base quotidienne, au regard aussi bien des adultes que des jeunes.

Toutefois, avant d'y arriver, de nombreux défis devront être relevés. Comme nous l'avons indiqué dans notre résumé, les organisations du secteur bénévole sont largement sous-financées et agissent rarement comme un groupe homogène qui aspire aux mêmes objectifs. Résultat : le secteur bénévole est souvent incapable de coordonner ses efforts et d'assurer une surveillance externe efficace des droits de l'enfant au Canada.

Bien qu'il y ait très peu d'organismes qui se consacrent de manière exclusive à l'application et à la surveillance des droits de l'enfant, tous les organismes bénévoles qui travaillent avec les enfants s'intéressent de près à la convention des Nations Unies. Le fait d'accorder un financement accru à des groupes comme la Coalition canadienne pour les droits des enfants et l'association de Mme Vaugeois permettrait à certains de ces organismes de regrouper leurs efforts. Il s'agit-là un point important.

Par ailleurs, le financement d'activités qui pourraient être mises en œuvre par les organismes bénévoles et intégrées aux programmes d'études dans le but d'expliquer et de surveiller l'application de la convention devrait également constituer une priorité. À cela s'ajoutent d'autres enjeux : l'assurance, la gestion des risques, la capacité organisationnelle, ainsi de suite.

Les jeunes ont le droit et le devoir de jouer un rôle important au chapitre de la surveillance de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Ils pourraient, avec le soutien d'adultes et de mentors bien informés, apporter une contribution énorme sur ce plan, et encourager aussi la participation de la collectivité dans son ensemble.

Child and Youth Friendly Calgary est également le garant d'un rêve : les expériences enrichissantes que constituent le civisme, l'apprentissage, la créativité et l'acceptation, expériences que nous nous efforçons de transmettre à nos enfants, sont celles que nous allons vivre au sein de la collectivité. Ce rêve peut devenir réalité quand les enfants sont autorisés à occuper la place qui leur revient au sein de la société.

Merci encore une fois de nous avoir invitées à comparaître devant le comité.

Beverley Smith, porte-parole de la coalition Unpaid Caregivers, Care of the Child Coalition : Je vous ai remis un petit dépliant qui contient le premier exposé que j'ai préparé, la copie révisée, et mes commentaires sur le rapport.

Je tiens d'abord à dire que nous devons, lorsque nous mettons en œuvre la Convention relative aux droits de l'enfant, accorder une attention particulière à certains articles clés. Le premier traite de ceux qui doivent offrir des soins aux enfants. Le deuxième porte sur les soins qu'un enfant est en droit de recevoir. L'article 7 stipule que l'enfant a le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. L'article 9 précise que l'enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre leur gré. L'article 11 dispose que l'enfant a le droit d'exprimer librement son opinion sur toutes les questions l'intéressant.

La politique actuelle du Canada à l'égard des enfants ne reconnaît pas suffisamment ces droits. La prestation universelle pour la garde d'enfants prend fin lorsque l'enfant atteint l'âge de 6 ans. Le montant versé est dérisoire. Par conséquent, la majorité des frais engagés jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de 12 ans, et la presque totalité des dépenses assumées jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de 18 ans, ne sont pas pris en compte. Or, la convention, elle, définit l'enfant comme un être humain âgé de moins de 18 ans. Par ailleurs, la prestation favorise certains enfants par rapport à d'autres, et certains modes de garde. Cette prestation inégale prive l'enfant de sa dignité, un des principes fondamentaux de la convention.

Nous devons financer la garde d'enfants, point à la ligne — que les enfants soient placés dans des services de garde ou gardés à domicile, par les grands-parents, par le père et la mère. Malheureusement, la politique actuelle favorise massivement un mode de garde, les services de garde institutionnels, qui assuré par des tiers.

En 1980, le Sénat a mené une étude intitulé L'enfant en péril, qui a fait ressortir deux constats : d'abord, jusqu'à l'âge de 3 ans, l'enfant devrait être gardé par la même personne et non pas par une série d'étrangers. Il s'agit là d'un facteur important pour la stabilité de l'enfant. Ensuite, le fournisseur de soins devrait être une personne qui aime l'enfant, un sentiment que les enfants savent reconnaître. Il n'est pas nécessaire que ce soit les parents. Cela peut être quelqu'un d'autre, une personne à qui les parents, l'enfant, font confiance et qui est prête à prendre soin de cet enfant. C'est ce qui compte du point de vue de l'enfant.

Nous n'avons pas de politique qui repose sur de tels critères. En fait, nous avons des lois qui rendent une telle chose peu probable. Les dispositions touchant les prestations de maternité n'aident que certaines mères qui prennent soin de leur nouveau-né, pas toutes. Nous favorisons certains enfants par rapport à d'autres, selon le genre de travail rémunéré de la mère, chose que nous ne devrions pas faire. Priver un nouveau-né de la présence de sa mère ne peut que créer des problèmes pour l'enfant.

La déduction pour frais de garde d'enfants ne peut être réclamée que par certains ménages, en fonction de leur revenu. Les parents les plus pauvres sont, ironiquement, ceux qui sont les moins susceptibles d'obtenir une aide de l'État pour les services de garde en milieu scolaire le midi ou les leçons de musique. Le fait que seuls les ménages à deux revenus peuvent réclamer la déduction va à l'encontre de ce que propose le rapport de 1970 de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme. Tous les parents doivent assumer des frais de garde d'enfants.

Notre régime fiscal pénalise le ménage à revenu unique par un impôt supérieur à 45 p. 100. Même les ménages à deux revenus sont, à divers degrés, pénalisés. Nous pouvons corriger cette anomalie, comme de nombreux pays l'ont fait.

Notre régime de pension pénalise également le ménage où l'un des deux conjoints choisit de rester à la maison pour s'occuper des enfants. Dix-sept groupes de défense des droits de pension — qui défendent les intérêts de deux millions de pensionnés — vont se réunir au début d'octobre, à Ottawa, et demander au gouvernement d'éliminer cette injustice. Ces groupes sont influents. Il ne faut pas en faire fi.

Puisque nous favorisons certains enfants par rapport à d'autres, et étant donné que la loi actuelle privilégie les services de garde non parentale, nous ne respectons pas certains des articles de la convention.

Autre point de préoccupation : le type de soins donnés. L'article 8 stipule que l'enfant a le droit de préserver son identité, y compris ses relations familiales. L'enfant a le droit d'apprendre la langue et la culture de ses parents. Malheureusement, encore une fois, le système de garde universel doté de programmes standardisés ne permet pas une telle chose.

Certaines personnes veulent que leurs enfants soient placés dans des services de garde pour qu'ils puissent apprendre la langue seconde. Toutefois, d'autres veulent que leurs enfants apprennent d'abord leur langue maternelle. Je suis une enseignante et j'ai acquis beaucoup d'expérience dans ce domaine. Les enseignants constatent que l'analphabétisme dans les deux langues est un problème bien réel : les enfants ne connaissent pas leur langue maternelle et arrivent difficilement à maîtriser la langue seconde. Nous devons leur apprendre à maîtriser d'abord leur langue maternelle, et ensuite la seconde.

Si nous encourageons trop rapidement la socialisation des enfants, nous allons créer chez ceux-ci des problèmes d'identité. Les enfants ont le droit d'être fiers de qui ils sont.

La convention précise que les enfants ont le droit d'exprimer leur opinion sur toute question les intéressant. L'article 14 précise que les enfants ont le droit à la liberté de penser et de conscience. Quand nous avons mis sur pied le programme national de garde d'enfants, nous n'avons pas demandé aux enfants s'ils en voulaient un.

Les gouvernements, non seulement les libéraux, mais également les conservateurs, vont inviter les intervenants à prendre part à des rencontres, sauf qu'ils considèrent habituellement ces personnes comme les exploitants des services de garde. En tant que parents, nous ne sommes pas contre les services de garde. Toutefois, nous aimerions avoir le droit d'êtres représentés à ces rencontres. Or, nous sommes en fait exclus de certaines de celles-ci.

Nous devons élargir le processus de consultation. Nous devons faire en sorte que tous les parents et grands-parents aient leur mot à dire, et que les enfants aient la possibilité de choisir le mode de garde qui leur convient. Certains aiment les services de garde. J'ai deux petits-enfants qui en fréquentent. D'autres préfèrent se retrouver en compagnie de quelques amis, chez un voisin, avec leur grand-mère, ou avec un de leurs parents, à la maison.

Il y a des parents qui ont des enfants handicapés, des enfants qui sont atteints de nombreuses allergies, des enfants qui souffrent de timidité. Certains parents veulent rester à la maison avec l'enfant, tandis que d'autres veulent avoir accès à des soins professionnels. Enfin, certains pensent qu'ils sont les mieux placés pour s'occuper de leurs enfants. Nous devons permettre la diversité.

Les enfants, si on le leur demandait, nous diraient ce qu'ils veulent. Je me suis entretenue, la fin de semaine dernière, avec un homme qui s'appelle Bo Pedersen. Il vit en Suède. Il m'arrive rarement de recevoir des appels de l'étranger. M. Pedersen a déposé une plainte auprès des Nations unies, parce que la Suède n'applique pas la Convention relative aux droits de l'enfant. Comme vous le savez peut-être, le gouvernement de la Suède a été défait, la fin de semaine dernière. Le gouvernement qui est resté au pouvoir pendant 70 des 80 dernières années a été renversé. L'État providence est en difficulté.

Nous devons examiner cette situation de près. Pourquoi les gens sont-ils si insatisfaits? Personnellement, je pense qu'on ne leur donne pas suffisamment de choix quand vient le temps de prendre une décision personnelle. La Suède, qui finance massivement les services de garde et qui vous pénalise si vous choisissez de rester à la maison avec votre enfant, possède un des taux de suicide les plus élevés au monde.

Les enfants ont le droit d'être traités également en vertu de la loi. Je sais que les défenseurs des services de garde vont dire, « Eh bien, nous allons leur accorder l'égalité d'accès aux services de garde. Il s'agit là d'un programme universel. »

Cela ne correspond pas à une interprétation démocratique de la convention. Vous ne pouvez dire, « Vous allez pouvoir bénéficier de droits égaux si vous êtes d'accord avec moi. » Il faut plutôt dire, « Vous avez accès à des droits égaux. » Par conséquent, je financerais l'enfant. Cette façon de faire ne pénalise pas ceux qui utilisent les services de garde. Tous sont traités de façon égale.

La présidente : Merci.

Le sénateur Munson : Encore une fois, je crois que les médias auraient dû être ici aujourd'hui. Je vais envoyer une lettre aux journaux locaux, car je me demande s'il y a quelqu'un, en Alberta, qui nous écoute pendant que nous sommes en train de discuter de ces questions. Que pouvons-nous faire de plus? Comme je l'ai déjà mentionné, si nous étions en train de discuter de pétrole et d'argent, la salle serait bondée.

Vous nous avez exposé vos vues, mais je me demande si vous avez quelque chose à dire au sujet de la loi sur la protection des enfants qui se livrent à la prostitution. Cette loi autorise la détention involontaire des prostitués enfants dans le but de protéger les jeunes à risque. Un policier ou un directeur qui a des motifs raisonnables de croire qu'un enfant a besoin d'être protégé peut demander au tribunal d'émettre un mandat qui lui permet d'appréhender l'enfant et de le confier à un parent ou encore à un foyer d'hébergement, où il fera l'objet d'une évaluation et recevra des conseils. Toutefois, si le policier ou le directeur croit que la vie ou la sécurité de l'enfant est en danger, il peut placer l'enfant en détention, sans mandat. Je crois comprendre qu'à la fin de 2003, plus de 700 enfants avaient été appréhendés depuis l'entrée en vigueur de la loi, en 2000.

Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de cette loi, de son efficacité depuis sa mise en œuvre? Pouvez-vous nous en dire plus au sujet du nombre d'enfants qui ont été appréhendés depuis l'entrée en vigueur de la loi, et des résultats que cela a donné? Comment les enfants, les travailleurs communautaires, les parents, les policiers et le gouvernement réagissent-ils, de manière générale, à cette loi? Je crois comprendre que la loi albertaine est plutôt vague et controversée.

Est-ce que quelqu'un peut répondre?

Mme Smith : Je ne suis pas une experte en la matière, mais nous avons, nous aussi, une loi similaire pour les jeunes qui consomment des drogues. La loi est controversée. J'ai entendu à ce sujet deux points de vue contradictoires. Il y a d'un côté les parents qui disent, « Protégez mon enfant; il n'est pas en mesure de prendre soin de lui-même », et de l'autre, l'enfant qui dit, «Non, je vais faire ce qui me plaît. » Vous allez ainsi à l'encontre des désirs de l'enfant. C'est une question délicate.

La présidente : Je sais que vous n'êtes pas des experts en la matière, mais si vous avez des données empiriques à nous fournir en réponse aux questions du sénateur Munson, cela nous serait utile.

Mme Smith : J'ai entendu parler du cas d'une jeune fille de 16 ans qui s'est rendue à Vancouver avec un type et qui s'est retrouvée, semble-t-il, dans une maison de passe. La mère a fini par le découvrir et a communiqué avec la police. Elle a dit, « Nous devons intervenir. » Elle était accompagnée de deux policiers. Un d'entre eux a dit, « On ne peut rien faire. Elle est là par choix. » L'autre a répondu, « Je suis père de famille. Nous allons y aller. »

Le sénateur Munson : Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez, de manière générale, des services sociaux qu'offre la province? Pour ceux d'entre nous qui vivent et qui travaillent dans l'Est, et j'inclus toujours la région de l'Atlantique dans l'Est, de sorte que vous n'avez pas à avoir peur d'un sénateur de l'Ontario, où commence l'Ouest?

Nous avons entendu dire, ce matin, que nous avons, dans l'Est, une perception erronée des traitements et des services qui sont offerts aux personnes atteintes d'autisme en Alberta. Nous avons l'impression que l'Alberta est le lieu tout désigné pour se faire soigner, que la province a de l'argent et des programmes à offrir. À votre avis, est-ce que le gouvernement consacre suffisamment de fonds aux services sociaux? Est-ce que l'industrie attache suffisamment d'importance à cette question?

Nous entendons dire que la ville de Fort McMurray est pleine à craquer en raison des nouvelles infrastructures sociales, et que l'Alberta n'est pas tout à fait prête à faire face à la situation. Je suppose que l'absence de médias à la réunion d'aujourd'hui montre que les services sociaux ne constituent pas un enjeu quand il y a des luttes à l'hôtel de ville ou autre chose du genre.

Mme Smith : Je tiens à préciser que le premier ministre Klein doit aujourd'hui remettre sa démission, et que cette question est peut-être plus importante que je ne le croyais. C'est là que se trouvent peut-être les médias.

Le sénateur Munson : C'est possible.

Nous sommes un comité bipartite. J'ai constaté, depuis mon arrivée au Sénat il y a trois ans, que les gens font attention à ce que recommandent les divers comités. Et s'ils le font, c'est parce que nous ne faisons pas de basse politique.

Nous nous réunissons en tant que groupe, nous formulons des idées, nous les présentons au gouvernement, et nous espérons que quelqu'un va nous écouter et les mettre en œuvre. Je trouve ce travail passionnant, parce que nous n'avons pas à nous occuper de tous ces autres détails futiles.

Mme Smith : Je suis consciente du fait que le Sénat assume le rôle de chambre de réflexion, car il y a beaucoup trop de partisannerie à la Chambre des communes. Nous préférons être entendus par des gens qui sont beaucoup plus susceptibles d'être non partisans. C'est merveilleux.

Mme Hume : Je tiens à signaler, en ce qui concerne Fort McMurray, mais également Calgary et Edmonton, que les jeunes peuvent obtenir des emplois sans difficulté. Ils gagnent de bons salaires. Cette situation risque d'avoir un impact sur les infrastructures sociales, surtout à Fort McMurray, mais également dans d'autres villes. Elle va entraîner de sérieux problèmes à la longue.

Ils n'arrivent pas à garder le Tim Horton de Fort McMurray ouvert parce qu'il manque de jeunes pour y travailler. L'organisme Kids Help Phone m'a appelé un jour parce que dans tout Fort McMurray, on ne pouvait trouver des jeunes pour faire du bénévolat, parce que tout le monde travaille.

C'est l'expérience dans une communauté qui fait connaître cette communauté, et c'est ce que ces jeunes-là ne comprennent pas. Je pense que c'est une société transitoire à bien des égards. Ils ne restent que trois ou quatre ans, sans vraiment se lier à la communauté. Je pense que cela va créer un véritable problème social au bout du compte.

Mme Vaugeois : J'apprécie votre question, à savoir si on porte une attention suffisante aux coûts. Une femme extraordinaire de notre communauté a récemment quitté l'Alberta parce qu'elle n'arrivait pas à avoir une aide financière suffisante pour s'occuper de son enfant handicapé.

Nous tenons des ateliers avec la communauté des personnes handicapées, nous nous faisons constamment dire que l'aide offerte aux personnes gravement handicapées est loin d'être suffisante, et les coûts des handicaps sont prohibitifs. Par exemple, le soutien financier offert ne couvre pas le coût des cathéters, dont le prix a doublé depuis cinq ans. Ce sont les familles qui doivent absorber ces coûts.

J'entends constamment dire dans la communauté que le soutien offert est insuffisant. C'est un énorme défi que d'élever en Alberta un enfant qui a des handicaps ou incapacités graves.

Le sénateur Poy : Madame Smith, vous avez parlé de subventionner l'enfant plutôt que les garderies et les travailleurs professionnels des garderies. Je comprends ce que vous voulez dire. Je suis une mère et une grand-mère.

À votre avis, quel montant devrait être fourni, par enfant, et jusqu'à quel âge? Y avez-vous réfléchi?

Mme Smith : Le docteur Pierre Lefebvre, de l'Université du Québec, a suggéré environ 7 000 $ par année par enfant, et tout un tas d'organismes canadiens ont suggéré environ le même montant, y compris Citizens for Public Justice et diverses associations de femmes.

Ils pensent au mécanisme de la prestation fiscale pour enfants que, personnellement, je ne trouve pas approprié, parce qu'il est rattaché à toutes sortes de retenues et de conditions. J'aime un mécanisme sans condition. Nous avons besoin de plus d'argent que ce qu'a donné M. Harper, mais il est sur la bonne voie pour ce qui est de l'équité.

Le sénateur Poy : Jusqu'à quel âge?

Mme Smith : Une allocation familiale est versée en France jusqu'à ce que les enfants atteignent l'âge de 22 ans. Ce n'est pas ce que je demande.

Le sénateur Poy : Que pensez-vous?

Mme Smith : Eh bien, si on se fie à leur convention, elle dit que l'enfance se termine à 18 ans. J'ai quatre enfants. Nous savons que les jeunes ont d'énormes dettes. Certains terminent leurs études universitaires avec une dette de 400 000 $. Bonne chance s'ils veulent fonder une famille. Ils doivent reporter cela.

Il nous faut envisager des mécanismes de financement qui durent jusque tard dans l'adolescence. Malheureusement, vous ne seriez probablement pas d'accord, mais les enfants coûtent plus cher en vieillissant.

Le sénateur Poy : Moi je le sais.

Mme Smith : Pourtant, le gouvernement va dans l'autre sens. On reçoit moins pour un enfant plus âgé. C'est plutôt drôle. Je sais qu'on peut s'attendre à ce qu'ils gagnent un peu d'argent. Je peux le voir. Je pense aussi que les études postsecondaires sont un investissement. Ici, c'est un grand obstacle pour les enfants, mais elles sont gratuites en France.

Je pense que vous devez vous attaquer au problème quand vous êtes un gouvernement fédéral et que la santé et l'éducation relèvent des gouvernements provinciaux. Cela fait d'incroyables croisements, mais il n'est pas possible de résoudre rien que par les compétences certains des problèmes qui vous sont posés. J'essaie de vous amener à changer les choses par le biais du régime fiscal, que vous pouvez modifier. Vous auriez probablement bien du mal à intervenir dans les domaines de l'éducation et de la santé.

Le sénateur Lovelace Nicholas : J'aurais un commentaire à faire sur le racisme. Il y a des manifestations de racisme tous les jours dans nos écoles. À l'école de mes enfants, on a suggéré que les professeurs suivent un cours de sensibilisation. Cela a fonctionné dans une certaine mesure. Ce n'est pas parfait, parce que la formation n'est pas obligatoire, mais certains professeurs sont prêts à la suivre, et c'est efficace.

Le sénateur Carstairs : J'ai plusieurs commentaires à faire, mais j'aimerais commencer avec Mme Vaugeois, et je voudrais qu'elle sache que nous devons entendre le témoignage de la communauté gaie et lesbienne cet après-midi. Nous recevons aussi un groupe de jeunes. Je pense que ce sont des témoins importants.

Bien que Mme Smith et moi-même ayons des points de vue fondamentalement opposés sur le financement des garderies publiques et sans but lucratif, nous nous entendons sur tous les autres éléments. Elle a tout à fait raison.

L'un des aspects les plus déprimants de la prestation fiscale pour enfants, à mon avis, c'est qu'elle a été assortie de dispositions de récupération fiscale auprès des bénéficiaires de l'aide sociale, et cela me dépasse. Ce sont principalement des mères qui reçoivent ces fonds. Ce sont les plus pauvres des pauvres, et pourtant, les provinces font des retenues sur ces versements. C'est un problème qui se pose très souvent avec notre régime fiscal, il me semble.

Vous avez parlé de la difficulté évidente causée qui vient du fait que la santé et l'éducation relèvent largement des compétences provinciales, au plan constitutionnel, tandis que la politique fiscale relève surtout de la compétence fédérale. Là où je vois le problème, c'est que lorsque le gouvernement fédéral institue ce qui me semble être des dispositions fiscales plus équitables, les provinces s'interposent et disent « bon, voilà un nouvel avantage pour nous ». Que pensez-vous de ce genre de difficulté?

Mme Smith : Au sujet des garderies, quand Ken Dryden a fait sa tournée dans tout le pays pour rallier tout le monde à l'idée des garderies nationales, nous savons que Heather Forsyth, en Alberta et Bernard Lord, au Nouveau-Brunswick, se sont objectés à la formule universelle. Ils ont tout fait pour essayer d'obtenir des prestations pour les parents qui n'utilisent pas les services des garderies. Dans le cas d'Heather Forsyth, ils ont pu obtenir un allègement fiscal pour les familles à revenu unique, à déduire les cours de musique et ce genre de choses, mais ce n'était que des mesures très minimes. L'équipe de Bernard Lord a pu libérer un peu des fonds provinciaux pour offrir un petit soutien financier aux parents au foyer.

Je comprends le problème. Je pense que c'est vraiment vexant quand on voit les mérites de quelque chose et que la province décide d'investir de l'argent dans la construction d'une route ou autre chose. Cela me rendrait folle.

Le sénateur Carstairs : Les programmes d'éducation sont utiles. Ils sensibilisent aux problèmes. Cependant, souvent, les programmes d'éducation s'enfoncent dans un bourbier de frais administratifs et n'aboutissent pas à la prestation de programmes aux enfants qui en ont besoin.

Devrions-nous recourir aux ONG pour fournir un plus grand nombre de ce type de programmes plutôt que d'essayer d'alourdir encore un système d'éducation qui est déjà surchargé? Si nous en chargeons les ONG, engageons-nous la pleine participation de la communauté dans la prestation de ces programmes? C'est pourquoi on passe toujours par les écoles, parce qu'en fin de compte, c'est là que sont tous les enfants, un public captif.

Mme Hume : Je suis tout à fait d'accord que l'éducation est très utile et cela fait une partie du travail. Cependant, lorsque les jeunes peuvent faire l'expérience des choses, ils peuvent réellement changer la situation eux-mêmes, et c'est beaucoup plus efficace comme apprentissage.

Par le biais du programme de la McConnell Foundation, ils essaient de trouver des moyens d'engager les jeunes de la communauté qui sont déjà désengagés. Ils cherchent des moyens novateurs d'engager les enfants d'immigrants, les enfants handicapés, les enfants autochtones — tous les jeunes désengagés.

C'est en grande partie une question de droits de la personne. Les ONG sont, à mon avis, le meilleur moyen de régler les problèmes de droit de la personne, mais il n'est pas possible d'y recourir maintenant, principalement à cause du manque de financement.

L'organisme Child and Youth Friendly Calgary reçoit environ un sixième ou un septième de son budget avec certaines garanties de la ville de Calgary. Nous recevons environ 1 p. 100 de la province de l'Alberta. Nous ne recevons rien du gouvernement fédéral.

Nous faisons beaucoup de recettes avec les loteries. Nous avons notre première loterie cette année. C'est un mode de financement. Nous avons la garantie de recevoir 80 000 $, soit environ un dixième de notre budget, par le biais de la loterie et du casino.

Mme Vaugeois : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Au John Humphrey Centre, nous dialoguons avec les enseignants et d'autres organisations sans but lucratif pour déterminer le meilleur moyen d'intégrer la sensibilisation aux droits de la personne dans les écoles et dans d'autres organisations auxquelles participent des jeunes, comme les clubs d'enfants et d'adolescents, ou divers autres groupes.

Nous avons prévu cinq ateliers avec des enseignants, dans l'année, pour explorer le sujet un peu plus en profondeur. Nous venons de concevoir un cursus que les enseignants devront adopter. Encore une fois, c'est eux qui en porteront le fardeau.

Nous avons travaillé avec les enseignants pour essayer de définir notre mode de collaboration. Nous essayons de constituer une base de données des diverses organisations sans but lucratif qui peuvent livrer divers aspects du cursus pour leur faciliter la tâche. Je pense que c'est une excellente idée que de donner ce mandat aux organisations sans but lucratif, mais il leur faut vraiment ce coup de pouce pour qu'ils y engagent différents segments.

Nous avons un programme de camp d'été depuis six ans. Il nous est facile de livrer cet enseignement dans le cadre des camps d'été, ce qui est un apprentissage par l'expérience pour les jeunes en matière de droits de la personne. Il nous est facile d'atteindre l'enfant moyen, de classe moyenne, de race blanche. C'est un problème très grave.

Nous essayons depuis longtemps de trouver un moyen d'atteindre les autres. Nous avons été dans des centres de jeunes à risque cet été, pour tenter d'atteindre les enfants d'immigrants, et cela a été pour nous une expérience remarquable. Ce genre de travail devrait presque devenir une condition du financement. Si les organisations sans but lucratif sont financées, elles doivent vraiment cibler ces autres segments de la population de jeunes.

Le sénateur Carstairs : Il y a plusieurs années, nous avons cessé, au niveau fédéral et dans bien des provinces, de financer les programmes de base de toutes les ONG. Je pense que cela a créé un problème énorme. Il est souvent facile d'obtenir des fonds pour un projet particulier. Entre-temps, le loyer n'est pas payé, la ligne téléphonique n'est pas payée, le personnel principal qui organise le projet n'est pas payé. Devrions-nous revenir en arrière et chercher à plus financer les ONG?

Mme Smith : Est-ce que je peux dire peut-être pas?

Le sénateur Carstairs : Peut-être quoi?

Mme Smith : Peut-être pas. Je savais que j'allais vous choquer.

Je suis d'accord qu'il faudrait un financement de base à certains groupes, mais je m'interrogerais sur les groupes. Les décisions au sujet de ce qu'il faut faire avec l'argent des contribuables ne devraient pas se prendre derrière des portes fermées, entre copains. Je sais que ce n'est pas ce que vous faites.

Dans mon mouvement, depuis 30 ans, nous nous fendons en quatre pour faire reconnaître nos organisations afin d'en obtenir le financement, et nous n'avons jamais réussi. Il n'en est pas de même pour les organisations qui font la promotion des garderies.

Évidemment, nous n'en sommes pas heureux. Je ne donnerais pas à ces gens de plus en plus d'argent, avec des garanties qu'ils peuvent continuer jusqu'à la fin des temps, à moins d'offrir en parallèle un financement à ceux qui ont d'autres modes de garde d'enfants. C'est tout. Financez-les, d'accord, mais équitablement.

Le sénateur Carstairs : L'équilibre.

Mme Vaugeois : Vous devez absolument revenir là-dessus. Quand on parle des droits de la personne, qu'il s'agisse de fournir des services, des programmes ou de l'éducation, c'est multidisciplinaire, et toutes nos organisations veulent collaborer. Nous voulons désespérément travailler ensemble, mais parce que nous n'avons pas de financement de base, nous nous concentrons pleinement sur les projets. Nous n'avons pas de financement de base pour offrir de notre temps aux comités consultatifs d'autres organisations, etc. C'est un véritable obstacle à notre collaboration.

Mme Hume : C'est beaucoup plus facile d'obtenir des fonds de base d'une société que des gouvernements ou de la ville. Nous avons de la chance, nous obtenons un financement de base de la ville de Calgary, mais c'est beaucoup plus facile pour Suncor. Ils sont beaucoup plus sensibles au problème.

La présidente : Ce débat est des plus intéressants. J'ai eu le privilège de présider, pour le gouvernement fédéral, au début des années 70, à l'étude nationale sur la participation non gouvernementale dans notre société démocratique.

Il y a deux problèmes : d'abord, dans quelle mesure le gouvernement doit ou devrait financer les organisations, les attitudes et les opinions dans la communauté dans le cadre du processus démocratique? Deuxièmement, comment les ONG devraient-elles répondre au gouvernement et réagir à toutes ces pressions en faveur de la coordination?

La coordination semble être une merveilleuse idée, de rassembler les ONG pour qu'elles s'expriment d'une seule voix. Le problème, c'est que notre société a besoin de voix disparates.

Je pense que nous allons extraire ce rapport de la poussière, parce que nous parlons ici exactement des mêmes problèmes, avec les mêmes valeurs fondamentales dans une société démocratique. Évidemment, il a largement été question de restructurer les financements de base. « Gens d'action », cela fait deux mots. Nous avons dit que si nous n'y intégrions pas les gens, il ne resterait plus qu'un mot.

Le sénateur Tardif : Madame Vaugeois, vous avez dit qu'un nombre de plus en plus grand d'immigrants et de réfugiés s'installent en Alberta. Madame Smith, je pense que vous avez dit aussi que l'enfant a droit à sa propre identité, le droit d'apprendre la langue de ses ancêtres, et de maîtriser cette première langue.

« La francophonie multiculturelle » s'élargit de plus en plus en Alberta. Edmonton est maintenant le foyer de quelque 2 000 Congolais qui font partie de la collectivité francophone.

Je me demandais s'il y a des gens qui vous ont parlé de leurs besoins? Avez-vous l'impression qu'on en fait assez en Alberta? Qu'est-ce qui pourrait et devrait être fait?

Mme Vaugeois : Lors des ateliers et d'entretiens que nous avons eus avec eux, ils n'ont pas parlé précisément de leurs droits à l'identité et la culture. Ils se concentrent pour l'instant sur les besoins fondamentaux. Je pense qu'ils sont portés à penser qu'il faut qu'ils essaient de s'adapter et de s'intégrer de leur mieux, plutôt que de se concentrer sur leur propre identité culturelle pour l'instant.

Je ne pense pas encore pouvoir parler tellement de cette question.

Mme Smith : Je crois que nous parvenons extrêmement bien à nous intégrer. J'ai enseigné récemment à une école le premier cycle du secondaire, l'une des meilleures écoles de la ville, de haut niveau et très bien financée par les groupes de parents. Les étudiants sont pour la plupart chinois. C'est fantastique.

Nous les intégrons très bien, mais nous ne leur laissons pas leur propre identité. Hier, j'ai enseigné à des enfants de troisième année à l'école primaire Connaught. Il y avait là des enfants qui avaient vécu des expériences traumatisantes au Soudan. Certains n'avaient jamais été à l'école. Ils ont 10 ans. Cet enseignant travaille fort pour leur inspirer la fierté aussi, tout en les intégrant.

Je pense que nos démarches d'intégration sont efficaces, et nos démarches pour leur laisser leur identité n'ont que de piètres résultats.

Le sénateur Nancy Ruth : Madame Vaugeois, l'expérience de toute une vie m'a appris que les droits ne sont jamais donnés, il faut les prendre.

La question que j'ai à vous poser concerne votre matériel pédagogique et les occasions que vous avez d'inspirer la révolte parmi ceux qui le reçoivent. Je vous rappellerai aussi que tout organisme de charité est autorisé par la loi, au Canada, à réserver 10 p. 100 de ses revenus aux activités politiques, et j'encourage le Centre John Humphrey à le faire. Que faites-vous?

Avec tout le respect que je vous dois, je ne pense tout simplement pas que l'éducation soit la seule réponse.

Mme Vaugeois : L'intégralité de notre programme vise à leur donner les possibilités et l'espace pour agir. Par exemple, le cursus des élèves de dixième année, que nous venons d'établir, vise l'apprentissage par l'expérience, à leur donner la possibilité d'explorer leurs enjeux dans un cadre pratique, mais aussi de créer des plans d'action.

De plus en plus, nous essayons de trouver des moyens de faciliter l'utilisation, par les jeunes, du médium avec lequel ils sont le plus à l'aise, que ce soit le hip hop ou le film, par exemple, pour s'exprimer sur les enjeux que la communauté doit, à leur avis, entendre, y compris les droits de la personne.

L'occasion est idéale pour annoncer que le Centre John Humphrey a récemment remporté le pari d'accueillir à Edmonton, l'année prochaine, la United Nations Youth Assembly, qui se réunira pour la première fois ailleurs qu'à New York. Ce sera une occasion formidable pour nous de rassembler les forces des jeunes d'Edmonton autour d'enjeux réels et de leur donner une voix réelle au chapitre des enjeux fondamentaux. Nous en sommes très heureux et nous nous concentrons là-dessus.

Le sénateur Nancy Ruth : Je dis seulement que Sandra Lovelace n'a pas gagné ses droits en allant à l'école; elle y est parvenue parce qu'elle a intenté une poursuite.

Mme Smith : J'aime bien votre perspective de la révolution. J'adore quand les enfants réagissent. Quand mes enfants étaient au premier cycle du secondaire, les étudiants sont sortis de l'école pour clamer leur droit de porter des shorts à l'école. Je n'approuvais pas le message, mais j'ai bien aimé l'idée qu'ils avaient pensé pouvoir gagner.

J'ai essayé d'organiser un rallye il y a des années pour protester contre le manque de financement de l'école. Je n'étais que parent, à l'époque, et non pas encore professeur. Cela a été rallye pitoyable; il n'y est venu presque personne. La semaine suivante, les étudiants du secondaire sont venus. Ils ont dressé un barrage dans la rue principale. Ils ont bloqué la 8e Avenue. La police a dû intervenir. Cela a été l'une des plus belles expériences de ma vie. J'adore le pouvoir des enfants quand ils sont convaincus de leurs droits.

Le sénateur Nancy Ruth : Ce qui m'inquiète un peu au sujet du modèle éducatif, c'est que si vous incitez la révolution, si vous incitez les enfants à agir, il faut dans une certaine mesure en assurer la gestion, parce qu'il y aura aussi des déceptions. Si on veut encourager les gens à ne pas lâcher le morceau s'ils veulent parvenir à leurs fins, il faut une espèce de cadre. Il faut en tirer le positif, puis les aider à passer au niveau suivant.

La présidente : Je pense que nous pourrions débattre de ce qu'est l'éducation et de la définition à lui donner. Je suis de l'avis des Nations Unies que l'éducation est la première étape de l'éveil, pour ensuite passer à un niveau d'éducation plus structurée, etc. Je ne pense pas que nous soyons en désaccord. Je pense seulement que nous formulons de façon différente les problèmes et les questions.

Je vous remercie de stimuler le débat entre vous-mêmes et entre les sénateurs, ici. Vous vous êtes très bien acquittée de votre tâche. Nous tiendrons compte de vos commentaires dans nos études.

Sénateurs, nous accueillons maintenant, de la Nation métisse de l'Alberta, mesdames Fran Hyndman et Eileen Mustus.

Fran Hyndman, directrice tripartite, Nation métisse de l'Alberta : Je tiens à vous remercier de nous donner cette occasion et à vous transmettre les salutations de notre présidente provinciale, Audrey Poitras, et de notre vice-président provincial, Trevor Gladue.

Le document que j'ai remis vous présente à la Nation métisse de l'Alberta. À la page 3, vous verrez la répartition de nos bureaux régionaux en Alberta. La Métis Nation of Alberta est divisée en six régions. Nous avons des bureaux régionaux dans six collectivités. Notre conseil d'administration est composé de 14 représentants, dont Mme Poitras, M. Gladue et les dirigeants régionaux.

Étant un organisme tripartite, à mes débuts à la Nation métisse de l'Alberta, il y a plus de cinq ans, l'entente-cadre que nous avions avec l'Alberta ne prévoyait pas de financement pour la santé. J'ai en quelque sorte pris la direction de cet aspect et je me suis découvert une vocation. Si nous voulons parler de ce en quoi nous croyons, je crois en la santé, et tous les membres de la Métis Nation of Alberta croient maintenant dans la santé et un mode de vie sain.

Nous vous avons apporté des cadeaux. L'un est une bouteille d'eau de plastique, portant notre logo. On y lit « Become Aware Prevent Diabetes ». Nous avons récemment mis en œuvre de nombreux projets. En fait, je suis fière de pouvoir annoncer que Santé Canada nous a financés pour cinq ans et demi de projets. Nous avons reçu une demi-année, parce qu'ils sont en transition actuellement, et ils renouvellent leur initiative sur le diabète chez les Autochtones.

Nous avons graduellement commencé à travailler avec les enfants. J'en ai six, alors j'aime les enfants, et j'ai toujours trouvé très gratifiant de travailler avec les enfants à cause de leur franchise, leur énergie, leur vitalité et tout le reste.

Nous avons fait une découverte très intéressante, que les jeunes sont ouverts aux idées, ils ont de l'énergie et ils veulent participer. Nous avons fait beaucoup de travail sur le diabète. Mme Mustus parlera de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale. Nous travaillons au plan du VIH/sida. Nous avons aussi remporté certains succès en ciblant notre leadership. Quand on a l'appui de son leadership, on remporte automatiquement plus de succès.

Notre mémoire explique aussi l'entente de consultation tripartite qui a été signée en 1992 par la Nation métisse de l'Alberta et les gouvernements fédéral et provincial. Ce n'est sans doute rien de nouveau pour vous. Vous êtes au courant de cette entente. J'espère toutefois vous en avoir appris un peu plus sur notre nation.

À la page 6 du mémoire, à la rubrique « préoccupation principale », je parle de Capital Health. J'ai assisté à une séance du comité de la santé des Métis cette semaine. Nous voulons organiser une rencontre communautaire entre la population métisse et Capital Health parce que Capital Health estime ne pas servir les Métis aussi bien qu'il le pourrait et il veut en discuter avec nous.

Au cours de cette séance, une aînée métisse qui travaille à l'Amiskwaciy Academy, l'école autochtone, nous a raconté qu'une étudiante aurait eu besoin d'aide à l'âge de 16 ans mais, comme elle était métisse et qu'elle n'avait pas accès aux mêmes services que les autres jeunes Indiens du même âge visés par un traité, trois ans plus tard, à l'âge de 19 ans, elle s'est suicidée.

Je suis ici pour défendre les intérêts des enfants métis qui sont toujours victimes du système et ne reçoivent pas l'aide voulue en raison de l'origine de leurs parents, de leur lieu de naissance ou de leur arbre généalogique.

Je trouve qu'il est formidable que, dans notre très beau pays et notre riche province, la ville d'Edmonton ait mis sur pied des programmes de dîner et même de déjeuner à l'intention des enfants métis et autres, mais il y a encore beaucoup de pauvreté. Beaucoup de familles éprouvent encore des difficultés.

Quand un enfant métis a des problèmes, vous savez sans doute qu'il n'y pas seulement l'enfant en cause; il faut s'occuper de la famille immédiate. Un mode de vie sain est important, mais il faut en faire la promotion, pas seulement pour les enfants mais aussi pour les familles.

Eileen Mustus, coordonnatrice provinciale ETCAF, Nation métisse de l'Alberta : Merci de nous avoir invités à venir discuter avec vous des problèmes auxquels les enfants de la Nation métisse de l'Alberta et de l'ensemble du pays sont confrontés.

J'aimerais d'abord vous parler des services de soutien offerts aux enfants et aux familles de l'Alberta qui vivent en dehors des territoires visés par l'entente. La région 10 aide les enfants et les familles de l'Alberta visés par l'accord.

Les services offerts aux enfants métis sont financés par le ministère des Services à l'enfance de l'Alberta. Il y a plus de 743 enfants métis, 431 enfants indiens non inscrits et 341 autres enfants autochtones, pour un total de 1 515 enfants pris en charge en Alberta actuellement.

La Nation métisse croit qu'il y a beaucoup plus de Métis que ceux répertoriés. Il est certain que l'identité et le contact avec la communauté sont d'une importance primordiale et vitale pour le succès des enfants.

Les Services à l'enfance et le bureau d'inscription des Métis de notre organisme cherchent actuellement à communiquer de l'information pour s'assurer que tous les enfants métis de l'Alberta sont pris en compte. Le travail continue; il y a encore beaucoup à faire.

La Nation métisse comprend six régions qui regroupent dix administrations offrant des services aux enfants et aux familles en Alberta. La Nation métisse a besoin d'un plus grand soutien financier pour venir en aide au nombre croissant d'enfants métis pris en charge et pour recruter assez des travailleurs sociaux pour s'occuper des enfants et des familles métisses.

La Nation métisse travaille en étroite collaboration avec les Services à l'enfance et à la famille métisse et le comité provincial pour régler les problèmes urgents dans la province. Comme je l'ai dit, la Nation métisse reçoit l'aide financière du ministère des Services à l'enfance de l'Alberta. Elle veut consolider ses liens avec tous les organismes de services à l'enfance grâce à un protocole d'entente. Nous envisageons également une entente provinciale de portée générale entre la Nation métisse de l'Alberta et le ministère des Services à l'enfance de la province.

J'aimerais maintenant surtout vous parler de notre projet et de ce que j'ai appris depuis que je travaille avec la Nation métisse et pour le projet ETCAF. La Nation métisse veut bâtir une communauté forte pour assurer une participation efficace et remplir sa mission qui consiste à établir un cadre de coopération et de partenariat afin d'élaborer et de mettre en œuvre des méthodes mutuellement acceptables pour répondre aux besoins et aux aspirations de la population métisse et l'aider à préserver sa dignité et sa culture.

Nous avons encore beaucoup de travail à faire. Les enfants métis et autochtones ne parviennent pas à fréquenter les établissements postsecondaires ou les écoles de métier. La Nation métisse veut aider les communautés à offrir aux enfants les moyens de réussir dans leurs études.

Il faut d'abord encourager les Métis à être fiers de leurs origines et favoriser leur culture. C'est un aspect qui reste à consolider dans beaucoup d'écoles fréquentées par les enfants métis. Toutes les écoles doivent le faire, pas seulement celles qui offrent des programmes culturels pour les enfants autochtones ou métis, comme l'école élémentaire Prince Charles à Edmonton.

La violence physique, la cruauté mentale, notamment les attitudes racistes et l'intimidation de la part d'autres enfants et d'adultes, sont inacceptables dans les écoles. Nous savons qu'il en est question de façon exhaustive dans le rapport sur les droits. Il ne faudrait tolérer aucune forme de violence dans les écoles à tous les niveaux. L'intimidation à l'école reste encore un problème important pour nos enfants.

Pour ce qui est du fait qu'il y a peu de Métis sur le marché du travail qui ont une formation postsecondaire ou un métier, une jeune fille a expliqué à notre assemblée annuelle l'été dernier qu'elle avait des compagnons et des compagnes de classe qui étaient victimes d'intimidation et étaient rejetés. Il faut que les jeunes soient mieux compris et mieux acceptés à tous les niveaux d'enseignement.

Dans le cadre de notre projet sur l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale, nous faisons de la sensibilisation et de l'éducation dans les communautés et les écoles. Nous voulons mettre sur pied dans au moins deux écoles par région des ateliers et des exposés sur la prévention de ces troubles. Nous donnons aussi des ateliers et des exposés à des professionnels dans les écoles, les centres de soins de santé et le milieu judiciaire, par exemple.

Dans bien des cas, on nous pose des questions qui montrent que les gens en connaissent encore bien peu sur les troubles causés par l'alcoolisation fœtale et sur la façon de soigner et d'éduquer les enfants qui en sont atteints. Tous les enseignants et les travailleurs doivent connaître les stratégies sur le sujet. Les enfants atteints par ces troubles sont très vulnérables. Il devrait y avoir une norme à ce sujet dans les différents programmes d'enseignement postsecondaire et supérieur. Les diplômés devraient connaître l'impact des troubles causés par l'alcoolisation fœtale sur les enfants et leur famille. La plupart des programmes d'enseignement devraient traiter de ces troubles.

Le gouvernement fédéral et la population canadienne en général doivent s'engager à faire encore plus pour soulager les enfants du reste de la planète de la faim, de l'itinérance, de la maladie et de l'exploitation sexuelle.

Dans nos communautés, le cycle de la pauvreté est attribuable en partie à un faible niveau de scolarisation. L'attitude des parents à l'égard de l'école est aussi en cause. Certains d'entre eux ont tellement eu de mauvaises expériences à l'école qu'il leur est difficile de valoriser l'école ou d'aider leurs enfants dans leurs études, et cela nuit au succès des enfants.

La présidente : Vous nous avez donné beaucoup d'informations. Je viens de la Saskatchewan où il est difficile de dénombrer la population métisse; on sait que les tribunaux ont demandé que les membres de la communauté s'identifient eux-mêmes. Au fait, en Saskatchewan, on cite l'Alberta en exemple à ce sujet.

À combien estime-t-on la population métisse en Alberta? Je sais qu'elle fluctue.

Mme Hyndman : Il y a à peu près 35 000 Métis qui ont une carte de membre. Il y a en fait 67 000 Métis et à peu près 35 000 d'entre eux sont membres de notre organisme. Puis, il y a les Métis qui vivent dans les territoires visés par l'accord. Il y a huit territoires et environ 8 000 à 10 000 Métis y vivent, mais ils ne font pas partie de notre organisme, et nous avons aussi des problèmes à ce sujet.

Le sénateur Poy : Ma question fait suite à celle du sénateur Andreychuk. Je suis un peu perplexe. Comment faites-vous la différence entre un Métis, un Autochtone ou un membre des Premières nations? Selon mes connaissances limitées sur le sujet, toutes ces populations sont métissées. Vous avez aussi dit qu'il y avait des Métis détenteurs de carte et d'autres qui ne l'étaient pas. Comment les identifier et les distinguer?

La présidente : Je vais laisser les témoins répondre à votre question. J'ai eu la chance de faire partie du comité des peuples autochtones. Je pense que nous pouvons vous remettre le document d'information expliquant comment le gouvernement canadien a cité trois groupes dans la Constitution et comment le statut de Métis est à déclaration volontaire et non pas fondé sur les liens du sang.

En Alberta, les Métis sont plus organisés en raison de leurs antécédents et des ententes qu'ils ont signées à l'issue d'une longue saga juridique.

Mme Mustus : À mon avis, les Métis ont leur propre culture même si elle ressemble à la culture autochtone. Les Métis sont des descendants des Autochtones et des Européens. Ils combinent la culture des uns et des autres, mais leur culture est unique en son genre depuis longtemps.

Le sénateur Poy : Parlent-ils une ou plusieurs langues?

Mme Mustus : Ils parlent surtout anglais. Beaucoup d'aînés, de gens plus âgés comme moi, parlent le michif.

Le sénateur Poy : On a dit qu'une jeune fille s'était suicidée parce qu'elle n'avait pas reçu l'aide nécessaire en tant que Métisse. Pouvez-vous m'expliquer cela? Je n'ai pas très bien compris pourquoi elle n'a pas eu l'aide voulue.

Mme Hyndman : J'aimerais vous préciser comment les Métis sont répertoriés en Alberta. Il faut établir son arbre généalogique et remonter jusqu'à la colonie de la rivière Rouge, au territoire de Rupert, soit jusqu'à cinq générations en arrière. Quand on peut le faire, on permet aux membres de sa famille de se déclarer Métis. Il faut qu'une personne fasse tout le travail, mais elle le fait habituellement avec plaisir. C'est ainsi qu'on établit ses origines.

On m'a déjà demandé comment commençait une réunion de Métis et j'ai répondu que je n'allais pas expliquer nos rituels à un représentant du gouvernement. On pouvait nous poser la question, mais je ne voulais pas mettre cela par écrit.

Il faut créer des liens avec les gens qui sont réunis et chercher à découvrir si telle aînée privilégie la spiritualité autochtone ou la foi catholique parce que la culture pratiquée par les membres de notre bureau n'est pas vraiment traditionnelle, de tradition autochtone. Il n'y a ni tambour ni plume, mais plutôt des ceintures fléchées, des violons et de la musique de gigue. Il y a des Métis qui critiquent souvent cette partie de leur héritage, mais c'est une question personnelle.

Je trouve toujours cela à la fois étonnant, particulier et formidable que les Métis puissent s'identifier à toutes ces cultures et qu'à différents moments de leur vie ils puissent choisir de saluer leur patrimoine autochtone et participer à des pow-wows. Cependant, en général, les Métis aiment plus les violons, les ceintures fléchées et la foi catholique.

J'ai parlé de cette jeune fille avec la directrice du bureau ce matin. On s'est demandé si elle aurait pu parler au conseiller scolaire. L'aînée métisse qui a raconté cette histoire lundi a dit qu'il était psychologue. Mon adjointe a des enfants qui sont des Indiens inscrits et qui peuvent se prévaloir des services du ministère des Affaires indiennes et du Nord, mais ce n'est pas son cas parce qu'elle est Métisse. J'imagine que cette jeune fille n'avait pas droit aux mêmes services que les enfants autochtones ou visés par un traité parce qu'elle était Métisse et que nous n'avons droit à aucun service de santé.

Je m'occupe de beaucoup de problèmes de santé au bureau, et on m'appelle pour savoir si les Métis vont avoir droit à des services. Je réponds que ce n'est pas pour demain, si jamais cela se produit. Beaucoup de Métis ne veulent pas de ce à quoi les Premières nations ont droit, c'est-à-dire les vieilles montures poussiéreuses qui traînent dans le fond de la pharmacie et qui sont réservées aux Premières nations. Les Métis veulent dresser eux-mêmes la liste des services dont ils pourront bénéficier.

Le sénateur Poy : Faut-il être officiellement un Métis pour avoir accès à certains services?

Mme Hyndman : Oui. Dans notre association, une carte est nécessaire et, pour la question de la chasse, il faut absolument avoir fait approuver son arbre généalogique par le président pour avoir le droit de chasser, ce qui est une tout autre question.

Mme Mustus et moi-même avons assisté à beaucoup de réunions où il est question du droit de chasser. Quand nous n'existerons plus, la chasse sera inutile. Si nos enfants continuent de naître avec des troubles causés par l'alcoolisation fœtale et si nos proches se font amputer des membres, perdent la vue et l'usage de leurs reins à cause du diabète, le droit de chasser ne donnera pas grand chose.

J'ai décidé de penser un peu différemment, d'être moins radicale. J'ai exprimé ce point de vue aux grands dirigeants, qui ont finalement trouvé que j'avais raison, que si nous n'existons plus, nous ne chasserons plus.

Cependant, d'un point de vue général ou plus sage, les droits que l'on acquiert contribuent à la santé. On peut bien se dire qu'on ne chasse pas et qu'on n'a pas l'intention de chasser, mais au moins on a le droit de le faire et on peut ensuite s'occuper d'améliorer le reste de ses conditions de vie.

Le sénateur Poy : Si un enfant métis a besoin de services sociaux, doit-il consulter un service réservé aux Métis, ou peut-il utiliser les services mis à la disposition des autres enfants de la province?

Mme Hyndman : Une personne métisse a accès à tous les services offerts aux Albertains donc, oui, cet enfant peut consulter d'autres services.

Le sénateur Carstairs : Je pense que les Métis ont fait des progrès incroyables. Quand je vivais en Alberta dans le milieu des années 60 jusqu'au début des années 70, il n'y avait pas de Métis. Quand j'ai déménagé au Manitoba, les gens rejetaient leurs origines métisses. Ils ne voulaient pas être Métis. Aujourd'hui, quand je circule dans les rues de Winnipeg, je vois, sur de grandes affiches, une campagne de promotion des origines métisses et des réalisations de ce peuple.

Pour moi, c'était la première étape, que les Métis soient fiers de leurs origines comme je suis une Canadienne fière de mes origines irlandaises et françaises. C'est un énorme pas en avant, mais maintenant il faut leur offrir des services. C'est là le problème.

Le sénateur Poy a dit qu'ils avaient accès aux services offerts aux familles et aux enfants, ce qui est vrai, mais ces organismes ne connaissent pas la culture métisse et ne comprennent pas l'histoire ou l'expérience de ce peuple. Leurs travailleurs n'ont pas la formation voulue.

Madame Hyndman, vous avez dit que les Métis de l'Alberta parlent surtout anglais. Au Manitoba, ils parlent soit michif, soit français, pas anglais. Est-ce que les traditions en Alberta et au Manitoba sont différentes?

Mme Hyndman : En plus de m'occuper de presque toutes les mesures de santé, je m'occupe des services linguistiques. Nous recevons des fonds pour les programmes de langue michif. En michif, il y a des noms français et de verbes cris. J'ai rencontré des ainés qui disent parler la langue crie, mais ce n'est pas vraiment du cri. Ils parlent plutôt le michif.

Il y a beaucoup de français dans la langue des aînés du Lac La Biche, c'est-à-dire la région 1, et beaucoup de cri dans la langue des aînés de Slave Lake, la région 5. Cette langue, aux origines lointaines, qui compte beaucoup de dialectes parlés par bien des communautés où les Européens ont épousé des femmes autochtones est un mélange de cri et de français qu'on appelle le michif. Je ne sais pas qui parle le michif d'origine. Je sais que le michif est très important pour les Métis du Manitoba qui tiennent à cette langue.

En Alberta, le mouvement n'est pas aussi fort. Nous luttons pour ranimer une langue presque morte. Nous préparons un documentaire The Keepers of Michif, d'une quinzaine de minutes seulement. Je crois que ce sera utile, surtout à long terme, parce que le michif est une langue qui se perd et nous essayons de la faire revivre.

Mme Mustus a raison, l'anglais prédomine, mais il y a des aînés qui parlent le michif. Le cri est aussi beaucoup parlé parce que c'est une langue plus facile qui est vivante. Il y a de jeunes enfants qui apprennent le cri à l'école. La langue michif est beaucoup plus difficile à préserver.

Le sénateur Carstairs : J'aurais une autre question à poser sur le syndrome d'alcoolisation fœtale. Combien de jeunes Métis en seraient atteints dans votre communauté? Quels sont les programmes dont vous disposez pour venir en aide à ces enfants? Je pose la question parce que des recherches que j'ai lues cette semaine indiquent que des programmes intensifs dans les deux ou trois premières années de la vie peuvent permettre aux enfants souffrant de cette maladie de rattraper les enfants non atteints plus tard.

Mme Mustus : Nous ne connaissons pas le nombre d'enfants atteints. Je ne crois pas qu'on le connaisse dans aucune région ou qu'on sache quelle est la proportion d'enfants métis ou autochtones atteints. Il faut effectuer plus d'évaluations dans les régions, pas seulement dans les milieux urbains mais aussi dans les régions rurales et offrir des programmes de soutien.

Nous en sommes à l'étape de sensibilisation et nous essayons de faire comprendre aux parents que leurs enfants ont besoin de soutien s'ils sont affectés par des troubles causés par l'alcoolisation fœtale. Nous espérons que d'ici cinq ans ou moins, nous pourrons évaluer plus d'enfants et bien sûr réussir à intervenir.

Le sénateur Carstairs : Je pense qu'il existe des examens qui permettent de déterminer dans les premières semaines de la vie si l'enfant en est atteint de façon à pouvoir fournir l'aide voulue tout de suite, ce qui aura un impact important sur son développement futur.

Avez-vous travaillé avec le ministère de la Santé de la province pour que tous les enfants, pas seulement les Métis et les Autochtones, puissent être évalués dans les six premières semaines de la vie pour que tous les enfants atteints du syndrome d'alcoolisation fœtale puissent recevoir l'aide voulue?

Mme Mustus : Nos centres de santé et de diagnostic ne sont pas encore en mesure d'offrir cette possibilité aux parents. Si c'était le cas, ce serait merveilleux.

La présidente : Je pense que nous allons nous adresser à nos attachés de recherche parce que cette évaluation est faite à la naissance dans les hôpitaux de la Saskatchewan. Il faut savoir si elle est faite partout où c'est vraiment nécessaire. Je crois comprendre que l'Alberta a lancé un programme semblable. Je pense que nous allons demander à nos attachés de recherche de vérifier si tous les enfants sont examinés à la naissance et si c'est fait dans toute la province et pas seulement dans certains hôpitaux. Habituellement, ces services sont offerts à Regina, et ce n'est pas là où c'est le plus nécessaire.

Mme Hyndman : Je tiens à mentionner que Mme Mustus a travaillé très fort en vue de réduire la honte et les stigmates associés au syndrome d'alcoolisation fœtale. Je ne suis pas sûre que les collectivités métisses soient forcément prêtes à affronter le problème, mais elle a apporté un merveilleux document produit par la Nation métisse de l'Alberta, intitulé Faith Like a Child.

Les membres du Lakeland Centre for FASD ont été très impressionnés par le documentaire. En fait, ils ont constaté que, contrairement aux affiches et aux publications de l'Alberta Health and Wellness, il n'y avait aucune connotation de honte.

Le film est si bien fait. On y voit un couple de grands-parents qui parlent des petits-enfants qu'il a élevés. C'est très typique de la vie dans une collectivité autochtone, non seulement au sein des Premières nations. Ce sont les grands-parents qui élèvent les enfants.

Le film ne dit pas aux femmes que, parce qu'elles ont bu pendant leur grossesse, elles sont de mauvaises mères. C'est une bonne nouvelle. J'ignorais au sujet des tests intensifs, mais la nouvelle est encourageante, parce que certains jeunes de notre connaissance nous étonnent par leurs talents et capacités, même s'ils ont été étiquetés comme ayant le syndrome d'alcoolisation fœtale.

Je sais qu'en Alberta, le Dr Lynden Crowshoe et la Dre Margaret Clarke travaillent avec acharnement au syndrome d'alcoolisation fœtale et à son diagnostic.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Vous avez mentionné une collectivité métisse. Parlez-vous d'un territoire précis à Edmonton? Les Métis habitent-ils dans les villes?

Mme Mustus : Je parlais de la collectivité métisse en général partout en Alberta, non pas de collectivités d'un territoire précis, mais de toute la collectivité métisse.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Vous ne parlez pas d'un territoire précis comme une réserve?

Mme Mustus : Non.

Le sénateur Tardif : Y a-t-il des avantages associés au fait de pouvoir, en tant que Métis reconnu, fréquenter un collège, une université ou une école de métiers? Y a-t-il des avantages associés au fait d'être un Métis reconnu comme tel?

Mme Mustus : Il pourrait y en avoir si les étudiants sont admissibles à certaines bourses ou subventions qu'administre la Métis Nation of Alberta ou qu'elle offre dans le cadre de ses programmes. Je ne crois pas que les Métis jouissent des mêmes droits que les Autochtones, par exemple les peuples faisant l'objet de traités.

Le sénateur Tardif : C'est un peu là où je voulais en venir. Quelle est la différence entre celui qui est reconnu comme étant Métis et l'autre qui fait partie d'une Première nation?

La présidente : Je sais qu'ils ne jouissent pas de ces avantages ailleurs, à moins d'avoir passé un contrat de service particulier. Il existe en Alberta de nombreuses ententes entre la Province et les Métis, mais elles sont propres à l'Alberta.

Le sénateur Tardif : C'est juste.

Mme Hyndman : Au bas de la page 1 de mon document, il y a une liste de nos projets et initiatives. Notre service de développement du marché du travail fournit des fonds pour la dernière année d'un programme d'études, que ce soit un diplôme universitaire, un programme menant à un diplôme ou un certificat d'études. Il offre du financement pour la formation quand vous répondez aux critères.

Parce qu'on réclame une croissance des ressources humaines en matière de santé autochtone, on réclame aussi du financement pour la formation dans ces métiers. Actuellement, notre programme de développement du marché du travail paie les études de trois médecins et d'un dentiste. Nous ne sommes pas actuellement capables de défrayer toutes leurs études, mais c'est ce que nous visons.

Le sénateur Tardif : Quand j'étais à l'University of Alberta, par exemple, nous réservions des places dans l'école de médecine à des membres des Premières nations. Cela inclut-il les Métis?

Mme Hyndman : Je crois que oui. Des places sont réservées aux Métis. Par contre, ils doivent pour être admis réussir tous les examens.

Le sénateur Tardif : C'est vrai, mais existe-t-il une cibleé?

Mme Hyndman : Certaines places sont effectivement réservées aux Métis.

Le sénateur Tardif : Vous dites que le Labour Council of Alberta défraie les dernières années?

Mme Hyndman : Notre service de développement du marché du travail, effectivement.

Le sénateur Tardif : Il faudrait cependant que vous soyez reconnu comme Métis. Il existe donc une différence entre les 35 000 Métis, d'une part, et les 67 000 Métis, d'autre part?

Mme Hyndman : Tout à fait. J'étais à la même réunion, lundi dernier, quand quelqu'un de Capital Health a dit : « Où vont ceux qui ne sont pas inscrits? Pouvons-nous les inclure? » Et j'ai dû répondre que c'était très risqué, très dangereux parce que la question est de nature très politique.

J'ai suggéré d'établir des relations avec les centres d'amitié parce que c'est là que se rendent pour demander de l'aide tous les Autochtones qui ne sont pas admissibles aux autres services ou programmes.

Le sénateur Tardif : Pourquoi quelqu'un refuserait-il de s'identifier? Est-ce en raison du stigmate associé dans le passé au fait d'être considéré comme un Métis?

Mme Hyndman : Je trouve intéressant que vous posiez cette question. J'en ai discuté avec certains Autochtones qui décident de ne pas se conformer à ce genre de vie, qui adoptent simplement et entièrement le mode de vie occidental et qui prétendent que cela ne fait même pas partie de leur patrimoine.

Je ne crois pas qu'il y ait moyen d'échapper à son patrimoine, à son sang et à ses racines, d'oublier d'où l'on vient.

C'est parfois attribuable à la honte et au stigmate, mais parfois aussi à des clivages qui surviennent dans les familles. Je crois que parfois certains membres de la famille décident simplement qu'ils ne veulent plus avoir quoi que ce soit à faire avec leurs racines en raison de conflits ou de ruptures. Ce n'est pas là une question autochtone ou métisse.

Le sénateur Tardif : C'est un problème commun à toutes les cultures.

J'aimerais en revenir à la question des études postsecondaires. Par là, j'entends l'apprentissage d'un métier, l'acquisition de compétences, tout cela. Est-ce que l'entreprise privée joue un rôle? En raison de la pénurie de main-d'œuvre en Alberta, on pourrait croire que l'entreprise privée s'intéresserait de plus en plus à la question et travaillerait directement avec les Métis à cet égard.

Mme Hyndman : Que je sache, à Fort McMurray et dans les collectivités comme Conklin, dans la région 1, on travaille en étroite collaboration avec l'industrie. Des places sont réservées, et l'entreprise forme les Métis. Les Métis contribuent énormément aux métiers dans l'industrie du pétrole et du gaz. Il existe également des partenariats avec eux.

Mme Mustus : Ils sont aussi pressentis par les corps policiers et dans d'autres domaines.

Le sénateur Tardif : Des places sont-elles réservées aux Métis en éducation et en formation d'enseignants? Y a-t-il beaucoup d'enseignants métis?

Mme Mustus : Il y a beaucoup d'enseignants métis. J'en ignore le nombre exact et je ne sais pas si des places sont réservées aux Métis dans le domaine de l'éducation.

Mme Hyndman : J'ai un ami métis qui est enseignant. J'ignore combien il y a d'enseignants métis, mais il est difficile de se trouver du travail en Alberta en tant qu'enseignant. Il faut d'abord travailler comme substitut et se tailler une place petit à petit.

On demande de plus en plus d'information sur les Métis — ont-ils un territoire qui leur est propre, vivent-ils hors réserve, ce genre de chose? L'histoire de Louis Riel est très captivante. Nous essayons d'apporter du pain bannock et de la confiture quand nous faisons des exposés. Nous informons notre auditoire, puis le nourrissons. On demande de plus en plus d'exposés, et nous constatons qu'on souhaite en savoir plus au sujet de la culture métisse.

La présidente : Vrai ou faux, nous entendons souvent parler de la migration vers l'Alberta. Les Métis ont-ils gravité de la Saskatchewan et du Manitoba vers l'Alberta?

Mme Hyndman : Tout à fait. Je ne suis pas sûre que ce soit parce que les Métis de l'Alberta obtiennent plus. La situation en Saskatchewan n'est pas très reluisante actuellement; on s'efforce de résoudre certains problèmes. De nombreux Métis du Manitoba que j'ai rencontrés ont des racines très profondes au Manitoba, tout comme les Albertains en Alberta.

Je crois que le plus grand nombre vient probablement de la Saskatchewan, en partie à cause du boom économique. Il y a cinq ans, notre bureau avait deux commis aux adhésions. Notre siège social compte maintenant 25 employés. Les adhésions ont fait un bond. Dans le document que voici, j'ai changé le nombre de Métis, qui est passé de 19 000 à 35 000. En réalité, il se rapproche peut-être des 39 000. Beaucoup de Métis ont migré en Alberta, et les raisons de cette arrivée massive sont multiples.

Le sénateur Munson : En ce qui concerne le syndrome d'alcoolisation fœtale, qu'arrive-t-il si rien n'est fait pour les enfants métis parce que nous ne prévoyons pas les normes minimales que vous avez mentionnées pour les enseignants et les professionnels de la santé? C'est une tragédie incroyable.

Mme Mustus : Comme vous dites, ce pourrait être une tragédie. Tout dépend énormément du soutien que reçoivent les enfants dans leur famille et à l'école.

Par le passé, la famille était capable d'élever un enfant et d'en faire un être plutôt indépendant, autonome et capable de gagner sa vie, mais ce n'est plus le cas. Souvent, comme je l'ai dit tout à l'heure, ces enfants tombent entre les mailles du filet. Nous espérons qu'ils ne finiront pas comme la fille dont a parlé Mme Hyndman.

Quand nous faisons nos exposés, nous tentons de faire passer deux grands messages aux collectivités et aux professionnels. Tout d'abord, nous essayons de sensibiliser la population et de transmettre les connaissances voulues pour faire baisser le nombre d'enfants nés avec le syndrome d'alcoolisation fœtale. Ensuite, nous parlons aussi d'éliminer les modes de vie à risques élevés qu'adoptent les jeunes et les jeunes adultes s'ils n'ont pas les appuis voulus en place, de sorte qu'ils aboutissent soit en prison ou dans la rue.

Le sénateur Munson : Une des difficultés tient-elle au fait que les enfants et les familles métis sont répartis un peu partout? Vous ne savez pas forcément où ils se trouvent tous. Vous en connaissez une partie — les enfants et les familles du centre-ville. Dans les réserves, par contre, parfois vous offrez un programme parce qu'il y existe un groupe. D'après mon expérience de journaliste ayant publié des articles sur le sujet, les appels à l'aide sont lancés, mais nul n'est à l'écoute.

Mme Mustus : Exact. C'est là un aspect unique des services qui relèvent des programmes offerts aux Métis. Pour ce qui est de nos ateliers visant la prévention du syndrome d'alcoolisation fœtale et la promotion de bons styles de vie, nous allons dans les grands centres. Naturellement, nous ne limitons pas ces ateliers aux seuls Métis et n'excluons personne. Nous faisons nos exposés devant deux ou trois classes à la fois, toutes cultures incluses. Cela vaut tout autant dans les petites collectivités où nous parlons à tous les membres. Toutefois, il est difficile de rejoindre tous les Métis.

Le sénateur Munson : J'aurais une dernière question d'ordre général sur la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Si le Canada mettait en œuvre la convention plutôt que de simplement la ratifier, en quoi cela améliorerait-il le sort des enfants métis?

Mme Hyndman : Je crois qu'il y aurait moins de tragédies. Les questions de compétences continuent d'être problématiques. La mise en œuvre de la convention reviendrait en quelque sorte à dire : « D'accord, on réglera tout ça plus tard ». Quand ils sont à couteaux tirés, j'exige de mes enfants qu'ils prennent un seau et lavent un mur ensemble jusqu'à ce qu'ils reviennent à de meilleurs sentiments; ils régleront leurs problèmes plus tard. On met en œuvre la convention et on ne s'inquiète pas de savoir si vous êtes né sur une réserve, hors réserve, en Alberta, au Manitoba ou en Saskatchewan; cela n'a aucune importance. Vous êtes un enfant métis, vous êtes canadien.

Je crois que de la sorte, plus de personnes seraient incluses d'office qu'il n'y en a actuellement. Il y aura moins de tragédies, et nous éprouverons moins de difficultés à tenter de cibler un projet pour les Métis. Nous ne ciblons pas les membres des réserves métisses, parce qu'ils ont leur territoire, mais la Métis Nation of Alberta doit couvrir toute la province. Comment s'y prendre pour mener ce projet à l'échelle de toute la province, non pas seulement en milieu urbain, en milieu rural, à Edmonton ou à Calgary, mais dans toute la province?

Je trouve intéressant et ironique d'entendre dire que les Métis sont qualifiés ou ont été qualifiés de grands oubliés, alors qu'ils sont les plus généreux, parce qu'ils n'excluent personne.

Nous faisons bon accueil à tous. Nous animons des projets et nous sommes fiers d'en être les créateurs, et c'est ainsi que nous atteignons le plus de gens possible. C'est presque la même chose pour la convention. Si vous pouvez animer cela et la mettre en œuvre, alors plus d'enfants métis seront touchés simplement parce qu'ils font partie du plus grand groupe.

Mme Mustus : Les travaux du comité concernant les droits des enfants ont tout notre appui, et nous espérons que d'autres travaux seront effectués pour essayer de régler les problèmes qui ne semblent pas figurer au premier plan.

La présidente : Vous avez parlé du syndrome d'alcoolisation fœtale et de certains autres troubles de la santé. Êtes-vous confrontés au problème de l'exploitation des jeunes chez les Métis comme nous en avons entendu parler dans les collectivités tant autochtones que non autochtones? Par ailleurs, les gangs vous posent-ils un problème?

Mme Mustus : Dans le domaine de la toxicomanie, dans lequel je travaille étroitement parfois, nous entendons effectivement parler de nombreuses personnes qui font le commerce du sexe, qu'elles soient métisses ou autochtones. À nouveau, ces personnes ne vont pas s'identifier et préciser si elles sont métisses ou autochtones.

La présidente : C'était là mon point, que, si elles appartiennent à une collectivité des Premières nations, le système les identifiera si elles se retrouvent devant les tribunaux ou ont des démêlés avec la police. Qu'arrive-t-il aux Métis, parce qu'ils sont obligés de s'identifier? Vous dites qu'ils sont là, mais qu'il est difficile de les repérer?

Mme Mustus : Il est difficile de savoir qu'ils sont métis. Parfois, je crois que c'est là une des raisons pour laquelle ils ne s'identifient pas comme tels. Ils finissent par être étiquetés, puis perdus dans le système ou perdus dans la mêlée.

La présidente : Je vous remercie beaucoup d'être venue et d'avoir partagé avec nous le fruit de votre travail. La collectivité métisse est bien notée comme étant unique ici. Je vous remercie d'avoir pu mettre un visage à cette réalité et de nous avoir parlé de vos programmes. Je vous suis également reconnaissante de votre appui, et avec un peu de chance, vos voix se feront entendre grâce à nos travaux.

La séance est levée.


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