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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 9 - Témoignages - Réunion du jeudi 21 septembre - Séance du matin


VANCOUVER, le jeudi 21 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se trouve à Vancouver pour poursuivre son étude, soit d'examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. La Convention relative aux droits de l'enfant a été signée et ratifiée en 1989; néanmoins, les gouvernements de tous ordres ne l'ont pas encore entièrement mise en œuvre. Nous avons entamé une étude afin de déterminer jusqu'à quel point la Convention relative aux droits de l'enfant est mise en œuvre au Canada.

Nous regardons aussi les autres traités auxquels le Canada est partie dans la mesure où ils ont une incidence sur les enfants et, bien entendu, nous nous attardons à toutes les questions auxquelles font face les enfants. Nous ne procédons pas à une étude approfondie qui aboutirait à ce qu'on pourrait qualifier d'état de la situation des enfants : c'est un rapport qui serait exhaustif à ce moment-là. Nous ciblons plutôt la Convention relative aux droits de l'enfant, mais nous portons notre regard sur une autre question qui touche les enfants dans la société d'aujourd'hui.

Mme Jane Morley devait venir comparaître à titre d'agent pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique, mais elle est malade. M. Milowsky, qui la remplace, présentera un exposé. Nous entendrons également Mme Lynda Fletcher-Gordon du Lower Mainland Purpose Society for Youth and Families.

Fred Milowsky, agent adjoint pour l'enfance et la jeunesse de la Colombie-Britannique : J'ai une déclaration préliminaire préparée par Mme Morley. Elle n'est pas malade; elle ne pouvait tout simplement pas assister à l'audience aujourd'hui. Elle est en très bonne santé.

Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de faire part de mes réflexions sur une question clé qui touche mon travail en tant qu'agent pour l'enfance et la jeunesse en Colombie-Britannique. Il s'agit de savoir comment faire la promotion des droits des enfants et des adolescents en Colombie-Britannique et, en particulier, comment accorder la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et la politique gouvernementale de la province.

Je crois que la Convention repose sur une vision des choses qui devrait être celle des responsables des politiques publiques touchant les enfants et les adolescents en Colombie-Britannique. C'est une vision où la dignité fondamentale des enfants est affirmée, de même que leurs droits fondamentaux. Il est reconnu que les enfants ont besoin de soins spéciaux et d'une assistance particulière pour exercer les droits en question. À mes yeux, la vision de la Convention place l'enfant au cœur de la démarche — à juste titre —, dans le contexte de sa famille, de sa collectivité et de sa culture.

Mon mandat est de nature provinciale et il comporte notamment la tâche qui consiste à observer de manière indépendante les services que finance la province à l'intention des enfants et des adolescents et de dispenser au gouvernement provincial des conseils sur la manière d'améliorer les services en question. Je vais donc m'attacher à dire comment la Convention peut prendre vie en Colombie-Britannique. Je souhaite aborder deux des questions soulevées dans votre rapport provisoire, Qui dirige, ici? Ce sont la responsabilisation et la sensibilisation du public.

Pour que la Convention ait vraiment une signification du point de vue des politiques gouvernementales en Colombie-Britannique, il faut qu'il se passe deux choses, par ailleurs interreliées : le gouvernement provincial doit faire de la Convention un important outil de planification et de responsabilisation; et le grand public, y compris les jeunes et les adolescents, doit mieux prendre conscience des droits des enfants et de la Convention elle-même.

Je vous ai remis trois documents à titre d'information; ensemble, ils forment une série. Le premier de la série porte sur le recours à la Convention, en Colombie-Britannique, comme cadre pour l'établissement des politiques officielles et la planification transministérielle. Le deuxième document traite de l'utilisation des données réunies par les autorités gouvernementales pour mesurer l'efficacité relative avec laquelle le gouvernement de la Colombie-Britannique réalise les objectifs énoncés dans le cadre de planification. Le troisième document fait le lien entre, d'une part, les quatre droits fondamentaux enchâssés dans la Convention et, d'autre part, les recherches sur la résilience et les modèles de pratique fondés sur cette notion, par exemple le Circle of Courage.

La façon actuelle de faire : ce sont le gouvernement et les ONG qui font rapport au comité de l'ONU sur la conformité du Canada avec la Convention de l'ONU — n'est pas sans faille. C'est un processus à tendance réactive où les fonctionnaires provinciaux ont pour tâche de dresser la liste de tous les programmes provinciaux applicables, puis d'établir un lien entre eux et les diverses dispositions de la Convention, essentiellement pour faire valoir que la Colombie-Britannique se conforme à la Convention. Les ONG s'appliquent ensuite, de leur côté, à démontrer que la province ne s'y conforme pas. Cela a tendance à créer des affrontements plutôt que de la coopération entre le gouvernement et les ONG. Certes, cela ne fait rien pour que le gouvernement provincial voie en la Convention un outil de planification pour la promotion des droits des enfants.

Si le gouvernement et les ONG se donnaient une vision et des priorités communes concernant les enfants et les adolescents, le dossier des droits de l'enfant progresserait d'autant mieux. N'entendons pas par là que le gouvernement et les ONG devraient présenter un rapport mixte; plutôt, il faut instaurer un dialogue constructif entre le gouvernement et les ONG, de façon à en arriver à une compréhension commune des droits. Les parties devraient se donner des objectifs communs à l'égard des enfants et des adolescents, et jauger le degré de réalisation des objectifs en question. Il est peu probable que les parties en arrivent à une vision commune des droits ou que la Convention serve d'outil de planification proactif au gouvernement provincial si le grand public ne s'intéresse pas davantage aux droits de l'enfant et à la Convention. Pour que les droits puissent être exercés, une certaine conscientisation s'impose.

La méconnaissance publique de la Convention dont il est question dans le rapport provisoire concorde certainement avec l'observation que nous faisons de la situation en Colombie-Britannique. Pour cette raison, mon bureau, de concert avec la Society for Children and Youth of B.C. et le B.C. Institute for Safe Schools, s'est engagé dans un projet à étapes multiples qui fait appel à des stratégies progressives, dont le but consiste à mieux sensibiliser et mobiliser l'opinion publique en ce qui concerne les droits de l'enfant en Colombie-Britannique.

Notre approche se fondera sur les droits et non pas sur les besoins; par ailleurs, elle comportera un modèle socio- économique et mettra en valeur les droits de tous les enfants, quels que soient leurs origines ou attributs.

Dans la recherche que nous avons effectuée sur les approches de sensibilisation aux droits partout au Canada, nous avons trouvé très peu d'éléments susceptibles de nous aider à concevoir une stratégie britanno-colombienne. Nous espérons que nos travaux à cet égard en inspireront d'autres à avancer sur ce front.

Enfin, je vais déclarer que je suis tout à fait d'accord avec la recommandation du rapport provisoire du comité, soit de légiférer pour créer un commissariat fédéral aux enfants qui soit indépendant. Comme le Canada est un État fédéral et qu'une bonne part des pouvoirs législatifs se rapportant aux enfants et aux adolescents appartiennent aux provinces, le commissaire fédéral aux enfants jouerait un rôle complémentaire à celui des responsables provinciaux.

Le commissariat aux enfants serait particulièrement utile s'il englobait les fonctions primaires suivantes. Il aurait pour tâche de sensibiliser le public aux droits des enfants, de manière générale, et à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, en particulier. Il aurait à sensibiliser les jeunes et les adolescents aux questions touchant les droits des enfants, à coordonner les efforts intergouvernementaux et interprovinciaux en la matière. Il encouragerait les efforts de coopération entre les divers ordres de gouvernement, les ONG et d'autres secteurs, dans les cas de compétence concurrente, et particulièrement en ce qui touche les enfants, les adolescents et les familles de réfugiés, d'immigrants et de Premières nations.

En tant qu'agent pour l'enfance et la jeunesse en Colombie-Britannique, je suis membre du Canadian Council of Provincial Child and Youth Advocates. En travaillant au sein de cette organisation, j'ai pu constater que, du côté fédéral, il y a bel et bien un vide qu'il faut combler.

Lynda Fletcher-Gordon, directrice exécutive, Lower Mainland Purpose Society for Youth and Families : Je vais parler d'une perspective tout à fait différente. Je vais vous raconter ce que c'est de dispenser des services aux enfants et à leur famille. D'abord, je vous en dirai un peu sur l'organisme. La Lower Mainland Purpose Society est un organisme multiservices qui existe depuis environ 25 ans. Nous comptons une centaine d'employés chargés de dispenser les services. Au fil des ans, l'organisme a crû en reconnaissant et en établissant les besoins des clients, puis en concevant un programme en conséquence; voilà comment nous sommes devenus un organisme multiservices.

Nous avons une école pour les jeunes que nous qualifions de centre d'apprentissage non traditionnel, car il ne s'agit pas d'une école dite parallèle. Les enfants, qui éprouvent généralement des difficultés dans d'autres établissements d'enseignement, sont censés répondre aux attentes; nous ne diluons pas le contenu. Ils peuvent obtenir leur diplôme Dogwood, qui leur permet de fréquenter l'université.

Nous avons un éventail de programmes pour les familles et les jeunes. Nous nous occupons du volet justice juvénile pour la région de New Westminster. Nous avons un refuge pour les jeunes femmes ayant des difficultés liées à la consommation d'alcool ou de drogues. Nous avons un centre sans rendez-vous pour les jeunes à risque, qui était conçu à l'origine pour les jeunes victimes d'exploitation sexuelle. C'était un endroit où les jeunes femmes — elles pouvaient n'avoir que 11 ans — quittaient la rue pour être en lieu sûr. Nous avons une maison de transition pour les jeunes et un centre médical pour les jeunes, et un programme VIH. Vous pouvez donc voir que nous offrons une panoplie de services, et il est difficile d'administrer tout cela, mais nous essayons tout de même de fournir un spectre de services aux jeunes et aux familles.

Chez nous, l'argent présente une difficulté énorme. Et aussi le manque d'argent dans le système de services sociaux pour les enfants, en général. Notre organisme n'est pas syndiqué et, récemment, le gouvernement provincial a conclu un certain nombre de conventions collectives dans le secteur sans but lucratif ou le secteur public, et les organismes syndiqués ont reçu des augmentations et des bonis de signature, et les organismes qui ne sont pas syndiqués ont été laissés pour compte, et cela fait mal pour toutes sortes de raisons. D'un point de vue pratique, cela a un effet réel sur le personnel. Nous prenons encore du recul pour ce qui est de la capacité d'offrir un salaire comparable à celui des autres organismes, de sorte que nous perdons de bons talents. En même temps, les familles que nous servons sont de plus en plus à risque et de plus en plus en crise. Il nous faut un degré plus élevé de compétence chez nos employés. En l'absence d'un financement adéquat, il est difficile de garder chez nous un thérapeute ayant une maîtrise.

Le gouvernement fédéral appuie les programmes de prévention et d'intervention précoces. Nous constatons le manque de places autorisées en garderie, pour répondre aux besoins des enfants qui proviennent d'une famille à haut risque ou qui éprouvent déjà de graves troubles affectifs. Ces enfants passent dans l'engrenage, et une fois arrivés au début de l'école élémentaire, déjà ils sont suspendus. Pour que nous puissions vraiment répondre aux besoins des jeunes, il nous faut des centres à vocation thérapeutique où on peut repérer les problèmes qui existent et travailler auprès des enfants provenant de familles ayant des antécédents d'alcoolisme et de toxicomanie, sinon de violence ou de mauvais traitements. Nous y voyons un ajout important au nombre croissant de places en garderie qui sont aménagées de manière générale.

Pour ce qui est des immigrants, nous en recevons un nombre croissant provenant de plusieurs pays. Ils apportent avec eux toute une série de défis que nous devons relever : souvent, ils ne parlent pas la langue; ils ont de la difficulté à se retrouver; ils se méfient du système, et ils ont des valeurs différentes. Il est difficile de fournir le genre de services dont ils ont besoin sans financement accru.

Je vais vous donner l'exemple d'une famille qui ne pouvait pas envoyer ses enfants à l'école parce que le conseil scolaire local insistait pour qu'elle paie les frais scolaires pour étudiants étrangers. Elle n'en avait pas les moyens, de sorte que les enfants sont demeurés à la maison pendant huit mois, jusqu'à ce que le travailleur réussisse à convaincre un autre conseil scolaire d'accueillir les enfants, puis la famille s'est établie sur le territoire de cet autre conseil scolaire.

La présidente : Est-ce que les parents en question étaient des réfugiés ou des immigrants?

Mme Fletcher-Gordon : C'était des immigrants. Ce n'est qu'un cas, mais il y en a probablement plus. C'est le genre de chose qui ne devrait pas survenir. Une bureaucratie ridicule qui empêche les gens de vivre leur vie et d'être productifs.

Le dernier point que je souhaite faire valoir porte sur le logement et les jeunes. Dans toutes les villes où vous vous êtes rendus, je suis sûr que vous avez entendu parler de l'accroissement de l'itinérance; ce n'est pas différent à Vancouver, et ce n'est pas différent à New Westminster, là où je travaille. Toutes les semaines, c'est un problème qui va en s'aggravant, et ce sont des adultes dans la majeure partie des cas, mais il y a aussi des jeunes. De façon générale, les jeunes sont mieux à même d'aller dormir chez un, puis chez l'autre, de trouver un adulte qui leur offrira un lit et qui les exploitera ou ne les exploitera peut-être pas, mais nous trimons dur pour trouver un hébergement provisoire aux jeunes. Nous ne recevons pas de financement pour cela. Nous louons une maison et nous faisons une évaluation préalable des jeunes qui y viennent. Ils paient 325 $, c'est-à-dire leur allocation de logement, et nous payons le propriétaire. Nous les surveillons, nous nous assurons qu'ils ne mettent pas le feu ou je ne sais quoi encore, mais nous ne pouvons pas fournir l'ensemble des services dont ces enfants auraient besoin. Ces enfants arrivent de la rue; ils sont en phase de transition. Ils sont parvenus à conclure un accord, mais ils ont besoin de soutien. C'est un travail d'équilibre que nous faisons en essayant de leur fournir un logement. C'est un logement sécuritaire et abordable, mais en même temps, en tant qu'organisme, nous courons des risques terribles, car s'il arrivait quoi que ce soit du fait d'un manque de surveillance, nous nous retrouverions en mauvaise situation. Nous sommes pris entre l'idée de venir en aide à ces enfants et l'approche sévère que justifierait le risque couru par l'organisme.

La présidente : Pouvez-vous nous préciser quelque chose? Vous avez parlé d'un centre à vocation thérapeutique; voilà un terme intéressant que je n'ai jamais entendu auparavant. J'ai entendu parler de centre de jour spécialisé, mais pas de centre à vocation thérapeutique. Partout au Canada, nous avons entendu dire que des gens veulent fournir des services à la maison même, travailler auprès de l'enfant et de la famille devenue dysfonctionnelle pour quelque raison que ce soit. Les gens en question recherchent un financement. Vous dites qu'un centre de jour de type spécialisé est nécessaire. Pouvez-vous expliquer quels sont les enfants qui auraient besoin de ce service? De quel genre de foyers proviennent-ils? Pourquoi est-il obligatoire qu'ils soient dans un centre de jour?

Mme Fletcher-Gordon : Les enfants qui ont besoin d'un centre de jour à vocation thérapeutique proviennent de foyers où il y a eu un traumatisme incroyable. Ils proviennent de foyers où il y a consommation excessive d'alcool et de drogues, où il y a violence, violence conjugale et sexuelle ou de mauvais traitements physiques qui n'ont peut-être pas été signalés aux autorités. Un simple test nous permet d'identifier ces enfants. Nous savons tous qui sont ces enfants dès qu'ils ont deux ou trois ans; le tort a été fait. Au point où ils en sont dans leur développement, vous ne pouvez pas attendre de leurs parents, même s'ils veulent progresser, qu'ils fournissent à leurs enfants ce dont ceux-ci ont besoin. Ils ne savent pas comment être parents.

Il nous faut un endroit où les enfants reçoivent un enseignement spécial qui leur permet d'avoir, sur le plan social et affectif, un développement qu'ils n'auraient pu avoir à la maison. Il faut que les parents puissent acquérir les habiletés nécessaires pour devenir de bons parents.

Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Certaines personnes croient qu'on peut arranger les choses du jour au lendemain ou dans une semaine ou dans trois mois. Six brèves séances de thérapie ne permettent pas de régler les problèmes. Les gens ont besoin de temps pour changer et apprendre et grandir et être différents. C'est un modèle de prévention de ce genre qui doit être le point de départ, et nous devons bien prendre acte du tort qui a été fait à ces enfants, et aussi aux enfants victimes de TSAF.

Le sénateur Poy : Madame Fletcher-Gordon, j'aimerais donner suite à la question du sénateur Andreychuk. Jusqu'à quel point le traitement peut-il porter fruit si l'enfant se trouve dans le centre thérapeutique le jour, mais qu'il retourne au foyer dysfonctionnel en soirée?

Mme Fletcher-Gordon : Eh bien, ce qu'il faut faire, c'est insister pour que les parents participent aussi à un programme. Sinon, ça ne fonctionnera pas; il faut que les parents se prêtent à une thérapie individuelle ou de groupe. Les parents doivent apprendre l'art d'être parent et observer d'autres modèles. Ils viennent au centre de jour pour un certain temps et observent un membre du personnel qui affiche la conduite appropriée, ce genre de chose. Non, ce ne serait pas efficace si les parents faisaient fi du problème ou n'y voyaient pas de problème ou ne voulaient pas évoluer. C'est un programme qui s'adresse aux gens qui ont affirmé qu'ils souhaitent changer leur vie de famille. Ils ont reconnu avoir un problème et sont prêts à accepter de l'aide, pour apprendre la manière de changer leur vie.

Le sénateur Poy : C'est donc pour les parents qui reconnaissent qu'il y a un problème. Qu'en est-il des parents qui refusent de reconnaître le problème; vous ne pouvez pas aider les enfants?

Mme Fletcher-Gordon : Eh bien, quand les problèmes deviennent vraiment graves, les gens finissent généralement par en entendre parler. J'imagine que M. Milowsky pourrait en parler... avec le temps que vous avez passé au ministère. Dans toutes nos écoles locales, les enseignants savent quels sont les enfants qui vont avoir des problèmes. Ce n'est pas un secret. Vous parlez des droits de l'enfant, et nous disons qu'il faut une communauté pour élever un enfant — c'est ce qu'il faut. Quiconque fait partie de la vie de l'enfant doit aider, et doit aider la famille. Nous ne sommes pas encore près du but, mais ce serait la situation idéale.

M. Milowsky : Je peux parler de deux points de vue : premièrement, j'ai été directeur régional au ministère des Enfants et des Familles avant d'occuper mon poste actuel, celui d'agent adjoint pour l'enfance et la jeunesse.

Le ministère et le gouvernement financent les services spécialisés pour les enfants dans la province, mais, d'ordinaire, les services en question sont dispensés à des enfants ayant une déficience visible, soit une déficience physique, soit un retard de développement. Un grand nombre des enfants dont nous parlons proviennent aussi d'un milieu socio- économique défavorisé. Ces enfants vivent dans la pauvreté et connaissent de piètres conditions de logement.

Les fonds consacrés aux enfants ayant des besoins particuliers doivent permettre d'engager plus de personnel, car bon nombre des enfants en question ont par ailleurs des déficiences que l'on ne voit pas, par exemple le THDA ou les TSAF. Nous n'avons pas un nombre suffisant de personnes pour donner des soins spécialisés adéquats à ces enfants. Parfois, le financement des services spécialisés « s'accompagne » d'aide ou d'autres formes de soutien individuel, ce qui n'est pas accessible dans le cas des enfants dont nous parlons.

Selon les recherches, que vous aidiez les familles ou non, il importe d'intervenir entre la naissance et le cinquième anniversaire de naissance de l'enfant pour que celui-ci puisse se développer correctement. Il se peut que la famille soit dysfonctionnelle et qu'elle ait besoin d'aide; il est probable que, dans un tel cas, le système de protection entre en jeu et essaie d'aider les gens à régler leur problème. Dans bien des cas, le problème tient davantage aux conditions de vie de l'enfant qu'à une question de protection, nécessairement, mais l'enfant aura besoin d'autres appuis pour s'en sortir. Il faut investir davantage dans ces enfants pour qu'ils aient des chances égales.

Mme Fletcher-Gordon : Il y a beaucoup de recherches qui se font, et je citerais en particulier les recherches de Clyde Hertzman à l'Université de la Colombie-Britannique. Les travaux de M. Hertzman reposent sur la prémisse selon laquelle les années les plus importantes sont celles qui se situent entre la naissance et le sixième anniversaire, que les enfants qui ne bénéficient pas d'une stimulation maximale ou de la stimulation la mieux choisie pendant cette période, même s'ils peuvent arriver à quelque chose, ne donneront jamais leur pleine mesure. Ce sont les années magiques. Je crois que c'est la notion qui a cours en ce moment, et nous voyons en cette période — de la naissance au sixième anniversaire — l'occasion d'avoir une incidence sur le développement de l'enfant.

M. Milowsky : L'autre fait qui entre en jeu, pour les enfants en question, c'est que le problème n'est souvent détecté qu'au moment où ils arrivent à l'école. Il importe que nous donnions une aide supplémentaire à ces enfants, à cette époque particulière de leur vie.

Le sénateur Poy : Monsieur Milowsky, vous avez parlé de l'idée de sensibiliser le public aux droits de l'enfant. Depuis quand le poste d'agent pour la jeunesse existe-t-il?

M. Milowsky : J'ai commencé à occuper le poste moi-même en 2004, mais il existe depuis 2002.

Le sénateur Poy : Qu'est-ce que le poste a permis de faire pour sensibiliser le public aux droits de l'enfant?

M. Milowsky : Nous avons une section de défense des droits qui vient en aide à des enfants et à des adolescents en particulier. En rapport avec chaque cas, nous avons souvent affaire aux différents systèmes qui existent et, surtout, au système de protection concernant les enfants et les droits. Les droits des enfants sont énoncés à l'article 70 de l'actuelle Child and Family Services Act; souvent, nous avons affaire à ce système pour nous assurer que les droits des enfants sont défendus. Nous avons conçu des ateliers que nous donnons partout dans la province. Un atelier en particulier porte sur la participation réelle des enfants et des familles aux décisions. C'est un atelier conçu pour les fournisseurs de services et le personnel du ministère. Il s'agit de faire voir en quoi les enfants, les adolescents et les familles peuvent contribuer aux décisions prises.

Nous avons conçu un autre atelier, baptisé « Rights 2 Success », qui est à l'essai en ce moment même. L'atelier est conçu à l'intention d'enfants et d'adolescents, et aussi d'adultes dans un contexte distinct. Il cible davantage les enfants et les adolescents à risque.

Nous venons de terminer un projet baptisé « Conversations with Youth », qui s'applique à l'ensemble de la province. Nous avons fait le tour de la province et avons engagé le dialogue avec des jeunes à propos des questions qui les intéressent, tout en profitant de l'occasion pour promouvoir l'idée qu'ils ont des droits sous le régime de la Convention de l'ONU.

Deux de nos coordonnateurs jeunesse sont des jeunes eux-mêmes, et ça a été tout un exploit, de fait, de convaincre la bureaucratie et la commission de la fonction publique de reconnaître l'idée de confier à un jeune un poste spécialisé; nos jeunes font un travail merveilleux. L'un d'entre eux provient de Colombie, l'autre est un Autochtone. Ils nous ont aidés à donner quelques-uns de ces ateliers.

De concert avec le ministère, nous avons achevé d'évaluer une conférence familiale, c'est-à-dire une sorte d'instance décisionnelle familiale, et y voyons une pratique exemplaire. Nous nous attachons beaucoup, autant que faire se peut, à la sensibilisation du public : le volet défense des droits de notre organisation est assez peu développé, et nous devons essayer de nous y appliquer de façon plus systématique.

Le sénateur Poy : Vous travaillez surtout auprès des jeunes à risque. Vous ne produisez pas de programmes d'enseignement destinés aux écoles.

M. Milowsky : Non, nous ne faisons pas cela. Nous avons produit un dépliant, qui s'apparente davantage à des lignes directrices destinées aux gens qui veulent défendre les droits des familles, des enfants et des adolescents, dépliant qui a assez bien circulé. Il s'est peut-être retrouvé dans les écoles aussi.

Nous avons un personnel composé d'une vingtaine de personnes. Nous ne nous attachons pas aux objectifs généraux comme celui-là. C'est probablement ciblé davantage sur les enfants et les adolescents à risque.

Le sénateur Poy : Nous rencontrons des jeunes... hier, il y avait des jeunes d'Edmonton qui n'étaient pas conscients de leurs droits. C'est pareil partout au Canada. Je crois que tous les enfants devraient être conscients de leurs droits.

M. Milowsky : C'est ce que nous avons constaté nous aussi. Dans le cadre de notre projet Conversations with Youth, nous nous adressons aux organismes de services aux jeunes... le constat, de façon générale, a été le même. Nous nous engageons dans un projet avec la Society for Children and Youth of B.C. Nous allons envisager diverses stratégies pour sensibiliser non seulement les enfants à risque, mais l'ensemble des enfants à leurs droits. Une des questions qu'il nous faudra regarder, c'est celle qui consiste à établir des données de base, pour dresser d'abord l'état des lieux. Nous allons voir quelles sont les connaissances accumulées à propos des droits des enfants. Ce serait la première étape à mon avis.

Le sénateur Nancy Ruth : Je veux greffer mon propos sur l'idée soulevée par le sénateur Poy, soit que tous devraient connaître leurs droits. Vous dites que s'il y avait un commissariat national, une de ses tâches consisterait à informer les gens et à travailler avec les provinces. Êtes-vous membre d'une association nationale?

M. Milowsky : Oui, Jane Morley est membre.

Le sénateur Nancy Ruth : L'organisme est représenté.

M. Milowsky : Oui.

Le sénateur Nancy Ruth : Que font les gens en question pour atteindre ces objectifs et qu'est-ce qu'un commissariat national pourrait accomplir de plus?

M. Milowsky : Je ne peux répondre à la question parce que je n'ai pas assisté aux réunions.

Le sénateur Nancy Ruth : Ils forment bel et bien un groupe de pression.

M. Milowsky : C'est bel et bien un groupe de pression. Je crois que cela touche surtout la province elle-même... je crois que Jane Morley a d'abord et avant tout fait pression en Colombie-Britannique en faveur de diverses stratégies qui permettent de promouvoir, en rapport avec les services aux enfants et aux familles, une approche fondée sur les droits. Je crois que l'établissement d'un commissariat permettrait de mieux faire connaître la question et aussi d'apporter un élément de coordination qui n'existe probablement pas. Si je ne m'abuse, les mandats des divers bureaux situés un peu partout au pays sont très différents; les gens approchent le travail selon des perspectives différentes. En Alberta, la défense de la cause privilégie les enfants pris en charge et non pas nécessairement la population générale. Chez nous, c'est axé sur les services désignés à l'intention des enfants à risque. Encore une fois, ce n'est pas conçu pour tout le monde. Ce n'est pas forcément prévu pour tout le monde, mais c'est conçu pour les enfants à risque bénéficiant de services désignés; l'approche des droits des enfants au Canada varie donc d'un endroit à l'autre.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Est-ce que les gens à risque — les parents et les enfants — participent de leur propre gré à ces programmes?

M. Milowsky : Nous le ferions... il faudrait que la collectivité prenne en charge l'organisation, nous ne pourrions l'organiser nous-mêmes. Dans certains cas, ils ne participent pas forcément de leur plein gré : nous avons été dans les centres de détention et avons dispensé des programmes de défense des droits. L'idée est assez nouvelle dans les centres de détention : l'idée d'aller parler aux enfants et aux adolescents à propos de leurs droits. Ils se retrouvent là parce qu'ils n'ont pas d'autres choix; nous nous sommes également rendus dans ce genre d'établissement, oui.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Les jeunes qui se retrouvent dans les foyers de groupe s'y rendent-ils volontairement, n'ayant pas d'autres endroits où vivre? N'ont-ils pas une famille?

Mme Fletcher-Gordon : Oui. Quand ils emménagent dans l'une de nos maisons de transition, ils le font de leur plein gré. Il y a bien des familles et des enfants qui participent à nos programmes parce que c'est obligatoire. Il y a des questions concernant la protection de l'enfance et il y a le ministère qui dit que les parents doivent participer au programme s'ils veulent revoir leurs enfants.

La Purpose Society est un organisme de première ligne. Nous travaillons auprès de gens à risque extrêmement élevé. Certains de nos clients sont ceux que d'autres organismes n'ont ni la capacité ni la volonté d'aider. Nous voyons également beaucoup de gens de la rue qui viennent participer à notre programme pour personnes ayant contracté le VIH. Vous devez comprendre le contexte où s'inscrivent mes observations : ce sont des gens à risque très élevé.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Qu'en est-il du transport de certains des jeunes, qui n'ont peut-être pas les moyens de se rendre dans les centres en question? Qu'est-ce qui leur arrive?

Mme Fletcher-Gordon : Se déplacer et se nourrir : voilà les deux grandes questions. Notre organisme compte une banque alimentaire; pour cela, nous recourons à la banque alimentaire de Vancouver. Nous allons y cueillir des tonnes de nourriture, que nous distribuons par la suite. Nous demandons de l'argent à des établissements comme la Vancouver Foundation ou le CKNW Children's Fund pour payer les tickets de transport aux jeunes. Depuis un certain temps, les établissements du genre reconnaissent que c'est là une dépense légitime. Nous consacrons donc plusieurs milliers de dollars à cela tous les ans, mais c'est difficile... des fois, les gens n'ont pas d'argent pour prendre l'autobus.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Quel est le pourcentage d'Autochtones qui participent à ces programmes?

Mme Fletcher-Gordon : Un certain nombre de jeunes, de familles autochtones participent à tous nos programmes. Je ne saurais vous dire le pourcentage exact dans chacun des organismes, mais vous savez probablement que la Colombie- Britannique est en voie d'établir le premier système de services sociaux pour Premières nations; il y a donc un certain nombre de membres des Premières nations qui y ont été transférés. Le système est en transition.

Le sénateur Lovelace Nicholas : La plupart des jeunes Autochtones qui viennent participer à vos programmes habitent en ville, n'est-ce pas?

Mme Fletcher-Gordon : Ils vivent à New Westminster ou dans les alentours. Notre programme est offert à New Westminster, et des enfants et des adolescents nous viennent d'aussi loin que Vancouver-Nord, Vancouver et Maple Ridge, parce qu'ils se sentent en sécurité chez nous. Nous avons la réputation d'avoir une école très sécuritaire pour les gais et les lesbiennes et les jeunes qui ne sont pas sûrs de leur orientation. Au dernier compte, 11 p. 100 de nos jeunes étaient soit gais soit lesbiennes, et c'est donc un endroit très sûr pour les jeunes.

M. Milowsky : Dans le système de la Colombie-Britannique, plus de 50 p. 100 des enfants en garde permanente sont des Autochtones. Nous avons constaté qu'il faut adapter les ateliers aux enfants autochtones.

Comme vous le dites, le transport est toujours un problème, mais plus on se déplace vers les régions rurales, plus le problème devient prononcé.

Dans bien des cas, il existe des organismes autochtones qui prennent en charge certains des services, et nous travaillons avec eux. À Vancouver, il y a Urban Native Youth qui travaille tout particulièrement auprès des jeunes à risque. À Vancouver, il y a la Vancouver Aboriginal Family and Child Services Society qui travaille tout particulièrement auprès des jeunes Autochtones. Nous avons vu qu'il faut appliquer une approche différente et prévoir un contenu différent pour les enfants, les adolescents et les familles autochtones.

La présidente : J'ai lu le document de Mme Morley. Cela m'intrigue de constater que, partout au Canada, on nous dit que, pour que les enfants se développent et deviennent des adultes responsables, il nous faut encourager leur estime de soi. Si les enfants acquièrent une certaine estime de soi, ils peuvent conquérir toutes sortes de choses. Dans le document, il est dit que la vision du bureau des agents pour la jeunesse consiste à affirmer la dignité fondamentale des enfants, plutôt que de privilégier les droits des enfants. J'aime bien la phrase qui se lit comme suit :

C'est une vision qui défend la dignité fondamentale des enfants, qui revendique la protection de leurs droits fondamentaux, et qui reflète le fait qu'ils ont besoin de soins particuliers et d'aide pour jouir de ces droits.

Pourquoi insister sur la dignité plutôt que sur les droits ou les besoins?

M. Milowsky : Si vous insistez sur la dignité, le chemin mène naturellement aux droits. Du point de vue de la reconnaissance des droits, je crois que l'une des batailles que nous devons mener, c'est celle-là; en insistant sur la dignité des enfants et des adolescents, et sur leur caractère unique en tant qu'individus, et sur leur droit aux services, je crois que les gens finiront par mieux comprendre et mieux accepter le fait qu'ils ont des droits. À mon avis, personne ne remettrait en question l'idée d'insister sur la dignité des adultes et d'aborder les adultes de cette façon.

Si vous manquez de respect en abordant les adultes, vous essuyez des critiques. Je crois que c'est la même chose pour les enfants et les adolescents. Je crois qu'en insistant sur les droits et sur ce à quoi ils ont droit, nous misons sur des forces reconnues, et c'est pourquoi nous ne faisons pas que tenir compte des besoins, car il y a là une sorte de déficit. Bon, on dit non pas qu'il faut négliger les besoins, mais plutôt qu'il faut regarder les forces et faire valoir les forces, car il s'agit de leurs forces à eux, de leur résilience, ce qui leur permet de surmonter les obstacles qui se présentent au cours de leur vie.

Est-ce que j'ai répondu à votre question?

La présidente : Oui, merci beaucoup. C'était très utile.

Madame Fletcher-Gordon, vous avez dit que vous accueilliez parfois des familles d'immigrants. Dans le cas de vos programmes, l'afflux de familles d'immigrants est-il le même et avez-vous affaire à des enfants réfugiés, et ces familles ont-elles des problèmes différents selon vous?

Mme Fletcher-Gordon : Nous avons accueilli bien des gens provenant de diverses régions de l'Afrique. De nombreuses femmes infectées au VIH participent à notre programme conçu pour les gens ayant contracté le virus. Lorsqu'elles ne parlent pas la langue anglaise, il est difficile de leur donner un bon service. Il faut qu'un travailleur s'occupe d'une femme et d'elle seule pendant au moins deux à trois semaines, qu'il l'amène partout, qu'il l'aiguille vers d'autres services, qu'il l'aide à établir un compte bancaire, à trouver un logement, à subvenir à des besoins très, très élémentaires. Dans le contexte, cela prend énormément de temps aux travailleurs. Une fois la personne établie, vous la voyez moins souvent, et elle peut venir participer à un groupe d'entraide ou je ne sais quoi. Un jour, une jeune cliente arrive à l'organisme avec son bébé. Elle tenait une bouteille pleine de cidre aux pêches, que l'enfant buvait. Le personnel a dit : « C'est de l'alcool », mais elle ne le savait pas. Ayant vu l'image d'une pêche, elle a décidé de donner la bouteille à l'enfant, en ne sachant pas que c'était de l'alcool. C'est assez terrible.

La présidente : Obtenez-vous des fonds pour le réétablissement?

Mme Fletcher-Gordon : Nous avons un petit programme, cela représente 21 heures par semaine, un programme de mentorat. Nous jumelons un jeune avec un de ses pairs, qui vit ici depuis un certain temps et qui est stable. Par cela, nous essayons de montrer au nouvel arrivant en quoi il est possible de passer au travers cette période.

La présidente : Vous avez souligné le fait que votre programme est très complexe. Combien d'employés avez-vous, et quelle est votre clientèle?

Mme Fletcher-Gordon : Nous avons entre 90 et 100 employés répartis sur cinq sites. La clientèle diffère un peu selon le programme dont il s'agit. Par exemple, dans le cas de notre programme scolaire, les élèves ont moins de 19 ans et, de manière générale, ont au moins 15 ans : c'est que nous n'aimons pas mêler les jeunes aux plus vieux.

Le ministère des Enfants et des Familles sert de porte d'entrée à nos programmes familiaux. C'est lui qui nous envoie les clients. Il y a cinq ans, n'importe qui pouvait appeler et demander de l'aide, et nous réagissions. Maintenant, nous devons passer par le ministère. Ce qui arrive, c'est que les gens ne veulent pas avoir affaire au ministère pour une raison ou une autre, si bien que leur situation s'aggravera beaucoup avant qu'ils ne se résignent à s'adresser au ministère. À ce moment-là, le ministère nous les envoie. Les programmes d'entrée ont eu un effet notable sur le recours au programme par les enfants et les familles. Au moment où ils arrivent à l'organisme, le degré de tension et de crise est donc plus élevé, de sorte qu'il faut un employé plus spécialisé pour s'en occuper. C'est également très stressant pour le personnel, qui n'a jamais eu à composer avec autant de crises.

Je voulais répondre à la question que vous avez posée à propos de la dignité et des droits. J'ai une opinion différente sur la question. Je crois que la notion de droit est importante. À mon avis, vous pouvez avoir une dignité personnelle, mais cela ne vous ouvre pas les portes ni ne vous garantit l'accès au programme. Je crois que les enfants ont droit aux repas, à un logement, à l'éducation et aux programmes qui vont leur permettre le mieux possible de donner leur pleine mesure. J'aime le mot « droits » parce qu'il fait naître certaines attentes dans l'esprit des gens. La dignité, à mon avis, c'est une tout autre affaire.

M. Milowsky : Je n'essayais pas de dire qu'on ne devrait pas promouvoir des programmes où les enfants et les adolescents deviennent conscients de leurs droits; il nous faut ces programmes, absolument. Cependant, une des questions auxquelles nous faisons face quand nous organisons des ateliers sur les droits pour les adultes, c'est toute la question des responsabilités qui entrent en jeu.

Mme Fletcher-Gordon : On ne saurait parler de droits sans parler de responsabilités. Quand les enfants viennent à notre école, nous leur faisons prendre conscience de leurs droits et leur expliquons qu'ils seront bien traités. Nous leur faisons prendre conscience de leurs responsabilités et leur disons qu'ils doivent traiter les gens comme ils sont traités eux-mêmes. À mon avis, on ne saurait séparer les deux notions, du moins quand on travaille auprès des enfants.

La présidente : Là où vous vous rachetez dans votre document, monsieur Milowsky, c'est quand vous affirmez que la dignité fondamentale des enfants étaye leurs droits fondamentaux, et c'est le lien que j'ai souligné.

Le sénateur Poy : Madame Fletcher-Gordon, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'école? Vous avez parlé de jeunes ayant entre 15 et 19 ans. Est-ce que c'est une école secondaire?

Mme Fletcher-Gordon : Oui.

Le sénateur Poy : Qui peut fréquenter cette école? Vous avez mentionné que cela prépare les élèves à l'université? Pouvez-vous donner plus de précisions à ce sujet?

Mme Fletcher-Gordon : Le programme scolaire était d'abord un programme de jour pour les jeunes judiciarisés.

Le sénateur Poy : Qu'est-ce que vous entendez par là?

Mme Fletcher-Gordon : Le terme désigne des jeunes qui ont eu des démêlés avec la loi. Au fil des ans, notre école secondaire a fini par obtenir une accréditation officielle. Selon les règles du ministère de l'Éducation, c'est ce que nous appelons une école indépendante en Colombie-Britannique. Comme je l'ai dit, il y a environ 165 jeunes qui y sont inscrits à tout moment; c'est donc un bon petit groupe. Nous appelons cela un centre d'apprentissage non traditionnel, car on y présente très exactement le même programme d'enseignement que les écoles publiques, de sorte que les étudiants peuvent obtenir un diplôme « Dogwood ». Cependant, nous dispensons le programme de manière très différente. Nous parlons de choses comme les responsabilités, et nous parlons de choses comme la famille et la participation aux affaires communautaires. Nous essayons d'exposer les élèves à des manifestations culturelles et sportives aussi bien qu'à la chose scolaire. C'est le bouche à oreille qui fait que certains viennent s'inscrire à l'école, car c'est une école indépendante et non pas une école publique.

Le sénateur Poy : Êtes-vous en train de dire que n'importe quel jeune peut s'y inscrire?

Mme Fletcher-Gordon : Oui, et de ce fait, nous avons un bon mélange. Il y a des jeunes qui proviennent de familles très bien nanties, et qui y sont parce qu'ils jettent un regard un peu différent sur le monde et qu'ils veulent fréquenter une école moins grande. Il y en a qui sont parents eux-mêmes; il y en a qui sont en phase de rétablissement; et il y en a qui sont gais ou lesbiennes. Tous se sentent en sécurité à l'école. C'est une école très, très conviviale du point de vue des jeunes, et très centrée sur l'élève, mais, en même temps, il y a beaucoup d'encadrement, et le jeune comprend qu'il doit répondre à certaines attentes. Chacun des jeunes subit une entrevue où tout lui est expliqué. Nous lui demandons s'il souhaite fréquenter l'école et s'il est prêt à prendre les engagements voulus. Il s'engage à le faire, il s'engage à devenir un membre productif du comité scolaire et à veiller à sa propre sécurité et à celle des autres.

Voilà donc les belles paroles que l'on peut sortir, le moment voulu. En réalité, les jeunes peuvent éprouver des problèmes de toxicomanie et d'alcoolisme; ils peuvent provenir de foyers où il y a de la violence. Ils ont besoin d'aide tous les jours. Quand ils arrivent le matin, s'il y a un problème, un conseiller s'enquiert auprès d'eux et agit immédiatement. Le jeune a l'occasion de discuter du problème avant de commencer le cours. Les jeunes reprennent les travaux jusqu'à ce qu'ils aient compris. Les élèves comprennent que l'école et les enseignants et les conseillers les aideront à réussir. Dans la plupart des cas, les enfants finissent par réussir.

Le sénateur Poy : Certains de ces jeunes vivent-ils à la maison?

Mme Fletcher-Gordon : Quelques-uns d'entre eux vivent de façon autonome, grâce à un accord, d'autres sont installés dans un refuge, d'autres encore dans une maison traditionnelle, parfois avec un parent seul, parfois avec les deux parents.

Le sénateur Poy : Depuis quand l'école existe-t-elle?

Mme Fletcher-Gordon : C'était d'abord un programme de jour pour jeunes judiciarisés, en 1983.

Le sénateur Poy : Monsieur Milowsky, dans votre mémoire, vous mentionnez le fait que l'agent pour l'enfance et la jeunesse insiste sur les droits de tous les enfants, quelle que soit leur origine. Pouvez-vous expliquer comment vous vous y prenez pour composer avec les groupes nombreux et variés qui vivent à Vancouver? Quelle approche employez-vous pour aider les jeunes dans cette ville?

M. Milowsky : Eh bien, il est très difficile de répondre à cette question. Au moment de consulter l'AMMSA, regroupement d'organismes de services aux immigrants dont les membres sont à l'œuvre dans toute la Colombie- Britannique, j'ai posé aux gens devant moi une question semblable. Comment défendre efficacement la cause des familles, des enfants et des adolescents immigrants et réfugiés, étant donné que les questions qui se posent sont très différentes. Nous devons avoir des programmes d'extension; nous devons travailler dans la collectivité et non pas dans un bureau. Nous devrons collaborer avec les organismes de services aux immigrants, prendre une place dans les organismes en question et travailler avec les gens en vue de fournir le service. Nous travaillons avec les médias des groupes ethniques. Nombre de groupes ne lisent pas bien l'anglais, de sorte qu'il a été question d'utiliser la radio et la télévision, aussi bien que la presse écrite des groupes ethniques. Les gens parlent de l'idée de fournir des services en dehors des heures normales de bureau. Nous avons discuté de nombre de questions concrètes. Souvent, les jeunes immigrants et leur famille, auprès desquels on travaille, cumulent deux ou trois boulots pour seulement s'en sortir. Pour des raisons évidentes, ils ne prendront pas congé pour assister à un atelier, si bien que nous devons trimer dur pour informer ces gens. Nous devons adopter une approche différente de celle qui s'applique aux services généraux. Selon eux, pour une grande part, les services généraux ne répondent pas aux besoins des réfugiés et des immigrants nouvellement arrivés. Nombre d'organismes de services aux immigrants ne s'attachent qu'à des questions liées au réétablissement, sans toucher aux domaines du counselling et du traumatisme, ce dont ont besoin nombre des familles en question. C'est un défi. La seule façon d'y parvenir consiste à nouer un dialogue avec les groupes en question. Ce n'est pas assis au bureau à échafauder une stratégie qu'on trouve la solution.

Le sénateur Poy : Combien d'employés travaillent à votre bureau? Combien d'employés sont plurilingues? Combien d'employés proviennent des communautés d'immigrants? C'est là la meilleure façon de rejoindre les communautés.

M. Milowsky : Nous avons une vingtaine d'employés.

Le sénateur Poy : Combien de langues parlent la vingtaine d'employés?

M. Milowsky : Nous avons un employé qui parle espagnol et anglais; un autre, chinois et anglais. Wilma Clark, qui ne pouvait être ici aujourd'hui, nous vient des Antilles. Elle parle anglais, et je ne sais pas si elle parle d'autres langues. Je ne saurais donc vous dire que nous avons un effectif varié. Non, je ne saurais dire cela.

Le sénateur Poy : Êtes-vous allé les chercher dans la communauté d'immigrants?

M. Milowsky : La fonction publique applique le principe du mérite et prend ses candidats dans le bassin général des candidatures. Le système est très concurrentiel, mais une des critiques consiste à dire que ce n'est pas nécessairement équitable pour ce qui est des services d'extension. Tous ne sont pas au courant des postes affichés ni à l'aise à l'idée de se présenter devant une commission composée de quatre fonctionnaires qui réalisent l'entrevue. Toute la question de l'équité en emploi et de l'embauche devient très difficile dans le contexte de la fonction publique en Colombie- Britannique.

Le sénateur Poy : Si je me fie à mon expérience, les groupes qui ne parlent pas anglais sont d'avis que vos bureaux, tout ce qu'on fait à votre bureau, n'est pas du tout en phase avec leurs problèmes. Quand ils ont un problème, ils ne le diront qu'à quelqu'un qui provient du même milieu.

Mme Fletcher-Gordon : Notre personnel aux multiples origines ethniques parle 14 langues au total. Même avec un si grand nombre de langues, nous avons affaire à des immigrants qui ont besoin de parler à quelqu'un dans une langue que personne ne parle chez nous.

La présidente : Voilà que le temps qui nous est alloué prend fin. Je tiens à remercier nos deux témoins de nous avoir présenté des perspectives très intéressantes, depuis cette région du Canada, et quelques très bonnes recommandations dont nous allons tenir compte dans le cadre de nos travaux.

Birgitta von Krosigk, avocate, témoignage à titre personnel : Je tiens à remercier le comité de l'occasion qui m'est offerte de témoigner aujourd'hui. J'espère pouvoir vous faire part de certaines de mes observations à titre d'avocate ayant évolué dans le domaine des enfants handicapés. Devant les tribunaux, les tribunaux administratifs et la défunte commission des enfants de la Colombie-Britannique, j'ai tenté de défendre les droits de ces enfants.

J'aimerais également remercier le comité d'avoir produit un rapport provisoire très utile et éclairé : je dois dire que je suis d'accord avec tout ce que j'ai lu. C'est un travail d'une grande importance, et j'attends impatiemment le prochain volet. Je crois qu'il est très important d'attirer l'attention des gens sur ces enjeux. Le rapport peut aussi servir de ressource pour des gens comme moi et des parents qui sont à la recherche de renseignements historiques et contextuels et de recommandations. J'adhère aux conclusions et aux recommandations du comité, et j'espère qu'on poursuivra les discussions concernant ce qui peut être fait.

Puisque je suis non pas une chercheure, mais bien une praticienne du droit, j'ai tendance à chercher des solutions pratiques et réalistes. Je suis toujours consciente des difficultés liées au fait de porter une affaire devant les tribunaux, en raison du nombre d'années et des ressources qu'il faut investir.

J'ai travaillé sur de nombreux dossiers portant sur l'autisme. Comme je le signale à la troisième page de mon résumé, j'ai tendance à invoquer la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. J'essaie, à ma façon, de faire connaître la Convention et d'enrichir le droit jurisprudentiel selon lequel les traités internationaux sont pertinents à l'interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés.

Vous connaissez peut-être Auton c. Colombie-Britannique (Procureur général), affaire concernant des enfants autistes qui a été déférée à la Cour suprême du Canada. La Cour suprême et la Cour d'appel de la Colombie- Britannique ont tranché en faveur des familles, estimant que la violation du paragraphe 15(1) de la Charte ne pouvait être justifiée au sens de l'article premier de la Charte. Toutefois, cette décision a été renversée par la Cour suprême du Canada, qui a conclu que les requérants n'avaient même pas réussi à satisfaire aux critères permettant d'établir la discrimination. J'ai présenté une partie du contexte de l'affaire pour montrer que les familles qui avaient porté l'affaire devant les tribunaux avaient amorcé leurs démarches auprès du gouvernement dès 1995. Pendant trois ans, elles ont tenté de trouver divers moyens de discuter de l'obtention de financement pour le traitement de leurs enfants. Ce n'est qu'après trois ans d'efforts qu'elles ont engagé des poursuites. Personne ne considère le recours aux tribunaux comme une option. Je crois que les parents s'aventurent dans cette voie par dépit, parce que toutes les autres portes leur sont fermées. Je ne crois pas que cela s'applique uniquement à l'autisme.

La procédure a commencé en 1998, et c'est à la fin de 2004 que nous avons reçu une décision de la Cour suprême du Canada. Pour un jeune enfant, c'est une éternité. Dans le cas en l'espèce, même si le gouvernement a été informé des opinions médicales et psychologiques justifiant le traitement, les enfants n'ont obtenu du financement qu'après la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Les familles ont dû assumer un fardeau incroyable en tentant, d'une part, de mener à terme une procédure si longue, et, d'autre part, de financer le traitement par leurs propres moyens.

J'étais heureuse de constater que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique avait prêté une attention particulière à la Convention. J'ai reproduit, à la page 4, les conclusions de la juge Saunders. Après avoir mentionné les articles de la Convention portant sur les enfants handicapés, elle poursuit en disant ce qui suit :

La Convention a une pertinence morale à l'égard de l'évaluation de l'application de l'article premier de la Charte à une violation du paragraphe 15(1) [...]

Le comité a déclaré que la Convention n'est pas exécutoire en soi, mais il est encourageant de voir que les tribunaux l'utilisent à d'autres fins.

En ce qui concerne le fardeau et les épreuves liées à une telle procédure, c'était toute une expérience de voir Ottawa et tous les gouvernements intervenir contre les familles. Le gouvernement fédéral a pris les devants en appuyant les efforts du gouvernement de la Colombie-Britannique pour obtenir l'annulation de la décision relative à une violation. C'est un fardeau insupportable pour les familles d'essayer de réagir lorsqu'une succession d'avocats se lèvent pour dire qu'il s'agit d'une ingérence inacceptable des tribunaux à l'égard de la prérogative du législateur.

D'autres intervenants se sont également fait entendre dans le cadre de cette affaire. De plus, on l'a reportée à de nombreuses reprises. J'espérais que les juges Iacobucci et Arbour allaient faire partie du tribunal saisi de l'affaire, mais la procédure, qui devait commencer en janvier, avait été reportée, et ils ne siégeaient plus à ce moment-là. En outre, si je ne me trompe pas, l'affaire devait être entendue en même temps que l'affaire Chaoulli du Québec, car cette affaire mettait en cause des enjeux politiques liés au financement des soins de santé. Il arrive parfois que des enjeux soient emportés dans le tourbillon d'autres événements qui se passent au pays.

Il y a eu d'autres affaires liées à l'autisme au Canada. En Ontario, il y a eu Wynberg c. Deskin, où la juge de première instance Kiteley a tranché en faveur des familles. Sa décision a été infirmée par la Cour d'appel de l'Ontario assez récemment, et cette procédure se poursuit. Cette affaire avait initialement suscité l'optimisme des familles, et pas seulement les familles ayant des enfants autistes. De nombreuses autres familles ayant des enfants handicapés ont suivi ces affaires de très près.

À l'heure actuelle, je suis plutôt pessimiste quant à la possibilité d'une percée du côté des tribunaux. Je constate que l'article 15, relatif à la discrimination ou à l'égalité, devient de plus en plus difficile pour les requérants. Cette tendance se manifeste dans le débat actuel sur les groupes de référence. Je sais que dans Wynberg c. Deskin, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que les familles n'avaient pas mis de l'avant des preuves suffisantes permettant de faire une comparaison avec d'autres groupes d'enfants handicapés dans le système scolaire. Encore une fois, cela nous ramène au fardeau imposé aux familles pour ce qui est d'avoir les ressources financières nécessaires pour présenter une preuve qui, en vérité, est du ressort du gouvernement concerné. Lorsqu'on cherche à obtenir de l'information sur, par exemple, la réussite ou l'échec d'autres enfants dans le système scolaire, on nous répond généralement que cette information est confidentielle.

À quoi bon avoir une Charte s'il est presque impossible de porter une affaire devant les tribunaux? Il faut mettre cinq, six, sept, huit ans. Lorsqu'enfin un tribunal est saisi de l'affaire, les gouvernements manifestent clairement leur intention de faire durer le processus d'appel. Très souvent, lorsqu'on finit par aboutir, on nous dit que, malheureusement, on a choisi le mauvais groupe de référence. C'était un obstacle beaucoup moins difficile à surmonter à l'époque de l'élaboration de la Charte.

Je constate chez les tribunaux une tendance croissante à traiter les gouvernements avec déférence et à vouloir éviter de donner l'impression de marcher sur les plates-bandes du législateur. À la lumière de ce qui précède, je crois que le travail de votre comité est particulièrement important, car, si le recours aux tribunaux est un outil, ce n'est certainement pas le seul outil que nous puissions utiliser.

J'énonce, à la page huit, une suggestion qui, selon moi, découle de certaines des recommandations formulées par le comité dans son rapport provisoire. Un excellent précédent a été créé dans le cadre du Programme de contestation judiciaire. Malheureusement, il ne concerne que les lois et politiques fédérales. J'aimerais voir s'il y a possibilité d'étendre la portée d'un tel programme, car la majorité des lois et des politiques qui concernent directement les enfants handicapés relèvent de la compétence provinciale.

Jim Kelly, président législatif, Parent Finders of Canada : Depuis les « British home children », jusqu'aux enfants de Duplessis, en passant par Mount Cashel et les « butterbox babies », la discrimination systémique du Canada à l'égard de ses citoyens les plus vulnérables remonte loin. Ce serait bien de penser qu'au XXIe siècle, les mauvais traitements infligés à cette minorité par le Canada seraient chose du passé. Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que ce n'est pas le cas.

Bonjour, je m'appelle Jim Kelly, je suis président législatif de Parent Finders of Canada. Parent Finders a été fondé à Vancouver en 1974 en vue d'offrir un groupe de soutien aux adultes adoptés, aux parents, frères ou sœurs biologiques, et aux parents adoptifs ayant pour but principal de promouvoir l'ouverture et la compréhension à l'égard de l'adoption. Nous exerçons des pressions en vue de favoriser l'accès aux dossiers d'adoption et aux dossiers de naissance pour les enfants descendants de parents donneurs. Parent Finders a travaillé avec le Comité consultatif sur l'adoption de la Colombie-Britannique au sein d'un groupe spécial constitué de personnes adoptées, de parents biologiques, de parents de familles d'accueil et de représentants de la communauté gaie et lesbienne qui a mis l'accent sur l'intérêt supérieur de l'enfant en vue de favoriser la modification de la loi sur l'adoption de la Colombie- Britannique. Cette Adoption Act, avec ses vetos discriminatoires, a été, pour le meilleur et pour le pire, reproduite à Terre-Neuve en 2003 et en Alberta en 2004.

À titre de président, j'ai agi en qualité d'intervenant au nom de nos membres auprès du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée, et à titre de témoin devant la Commission des droits de la personne de la Colombie- Britannique dans Gill and Maher; Popoff and Murray c. Vital Statistics Agency. Dans cette affaire, deux femmes lesbiennes voulaient que leur nom figure sur le certificat de naissance original de l'enfant.

En outre, en avril 1997, Parent Finders a témoigné au sujet du projet de loi fédéral C-47 devant le sous-comité de la santé sur la Loi sur les techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique, faisant valoir la Convention relative aux droits de l'enfant et le droit des descendants de donneurs à l'identité biologique.

Notre organisme a également demandé à témoigner devant le comité chargé d'examiner le projet de loi C-13, mais nous n'avons pas été invités. Il est intéressant de signaler que ce comité a recommandé, dans le cadre de ses travaux sur le projet de loi C-13, qu'on respecte le droit des descendants de parents donneurs à l'identité biologique.

Certains croient que les lois existantes fourniront des protections qui font actuellement partie non pas des lois, mais bien de la Convention relative aux droits de l'enfant. J'ai le regret de vous annoncer qu'ils ne s'appliquent pas à notre organisme ou aux membres de notre organisme.

Des militants du domaine de l'adoption en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario ont également tenté de revendiquer le droit à l'identité prévu dans la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant, sous le régime des lois provinciales relatives aux droits de la personne, mais on a rejeté leurs demandes avant même de les avoir entendues. Les raisons fournies à ces militants s'appuyaient sur les pratiques discriminatoires utilisées antérieurement pour rejeter de telles demandes.

Aujourd'hui, la discrimination législative systématique qui touche cette minorité invisible, ces 5 p. 100 de la population constituée d'enfants adoptés et de descendants de donneurs, se trouve dans les législations fédérale et provinciale, et on la trouve dans la Adoption Act, et dans la Loi sur la citoyenneté, dans la Loi sur l'assurance-emploi, dans le régime fiscal et dans la Loi relative aux techniques de reproduction humaine. De plus, le gouvernement fédéral procède désormais à l'expulsion de personnes adoptées qui commettent des crimes. Des citoyens canadiens qui se rendent à l'étranger pour adopter légalement des enfants apprennent, dans certains cas, que le Canada refuse d'accueillir leur enfant pour des raisons de santé.

À quel endroit le Canada fait-il état de la discrimination continue à l'égard de cette minorité invisible dans ses rapports sur la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant? Il n'en fait pas état. Pour cette minorité invisible, les deux premiers rapports font totalement abstraction des enjeux les concernant.

Les modifications proposées de la Loi sur la citoyenneté canadienne concernant l'adoption ont eu lieu non pas parce que le gouvernement fédéral se considérait tenu de se plier aux dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant, mais bien parce qu'une militante, Shirley (Starrs) McKenna, a présenté une plainte concernant les droits de la personne sur cette question.

Pourquoi la question de l'adoption et du droit à l'identité a-t-elle été mentionnée dans les dernières observations de clôture du Comité des droits de l'enfant? Encore une fois, ce n'est pas parce que les gouvernements fédéral ou provinciaux se sentaient obligés de respecter la Convention. C'était parce que des militants comme Mike Slater, Karen Lynn, Ron Murdock et Sandra Falkiner Pace se sont sentis obligés de s'adresser directement au Comité des droits de l'enfant pour faire valoir le droit à l'identité des enfants adoptés et des descendants de donneurs. Le plus surprenant, c'est que la délégation canadienne, dans son deuxième rapport, évite délibérément de répondre aux questions du Comité des droits de l'enfant visant à déterminer pourquoi il y a des dossiers d'adoption fermés au Canada. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les personnes adoptées et les descendants de donneurs ont bien peu de confiance envers le processus redditionnel actuel du Canada sur la Convention relative aux droits de l'enfant, car ce processus fait fi constamment des enjeux liés à cette minorité invisible.

Je tiens à signaler à votre comité qu'au moment où la délégation canadienne rendait des comptes — il s'agit de son deuxième rapport — sur la Convention relative aux droits de l'enfant, on lui a rappelé à maintes reprises que tous les droits prévus dans la Convention doivent être respectés, car les autres pays s'attendent maintenant à ce que le Canada soit un chef de file en ce qui concerne la mise en œuvre de cette Convention.

Le sénateur Nancy Ruth : Je m'intéresse à votre demande concernant la création d'un fonds similaire au fonds de contestation judiciaire. Comme vous le savez, le gouvernement est déterminé à comprimer son budget de quelques milliards de dollars, et des programmes de ce genre sont susceptibles de disparaître, alors on ne saurait songer à une expansion. On ne sait pas encore.

Je ne suis pas avocate, mais je crois savoir que la plupart des causes fondées sur la Charte depuis 1985 concernaient des organismes gouvernementaux, comme dans Auton.

Peut-on s'attendre à ce que le Canada élabore une nouvelle loi régissant le droit à l'égalité, y compris celui des enfants? Peut-on s'attendre à une loi qui s'intéresserait uniquement aux affaires civiles? Il semble que la Charte restreint les droits des Canadiens.

Mme von Krosigk : Je suis toujours en faveur de nouvelles lois qui ouvrent la voie à des personnes qui cherchent à faire valoir leur droit à l'égalité. Pour ce qui est d'étendre cela afin qu'on puisse aller au-delà des affaires mettant en cause un organisme gouvernemental, on a l'occasion de faire cela dans le cadre de la législation relative aux droits de la personne. J'ai eu des dossiers avec un tel scénario aussi. Ces affaires mettent souvent en cause des employeurs, ce qui a, évidemment, une grosse incidence au chapitre de l'invalidité, et il y a également eu des affaires concernant des écoles privées, et ainsi de suite. Il y a toujours des difficultés en ce qui concerne le choix du moment. Je saluerais l'établissement de tout cadre qui ouvre les choses et qui favorise une certaine responsabilisation. Je saluerais l'établissement de tout cadre qui permettrait d'accomplir cette tâche en moins de cinq ans.

J'étais désolée d'apprendre que la commission des enfants de la Colombie-Britannique était abolie. La commission ne pouvait que formuler des recommandations à l'intention du gouvernement, certes, mais elle offrait une tribune pour les familles et les enfants, et le ministère répondait aux questions de personnes ne faisant pas partie du gouvernement. Elle favorisait la divulgation d'information et de documents, ce qui n'est pas toujours très fréquent.

Selon mon expérience, la plupart des problèmes des enfants handicapés concernent, d'une certaine façon, un ordre de gouvernement ou un autre. Je crois que le secteur privé est davantage concerné lorsqu'il s'agit de mesures d'adaptation et d'emploi.

J'ignore si cela répond vraiment à votre question.

Le sénateur Nancy Ruth : J'étais intéressée par votre espoir à l'égard des juges Iacobucci et Arbour. La province de l'Ontario a fait ce matin des annonces relatives aux tribunaux qui ne feront pas plaisir aux nombreuses personnes qui revendiquent l'égalité dans notre pays. J'ignore si c'est le début de quelque chose de nouveau, mais Frances Kiteley, de l'Ontario, est une juge exceptionnelle. Cela montre à quel point le processus judiciaire est important à la question qui nous intéresse.

Avez-vous des commentaires à formuler au sujet du processus judiciaire, car j'ai l'impression que vous vous sentez flouée parce que vos juges n'étaient pas là.

Mme von Krosigk : Je ne choisirais probablement pas ces mots-là.

Le sénateur Nancy Ruth : Ça va.

Mme von Krosigk : J'ai eu le privilège de m'adresser à la Cour suprême du Canada dans le cadre d'une affaire différente, qui n'avait rien à voir avec les droits des personnes handicapées. Dans le cadre de cette cause, les juges étaient engagés et intéressés, ils connaissaient la documentation et posaient de nombreuses questions qui se sont révélées plutôt difficiles. Toutefois, quand nous avons plaidé dans Auton, nous nous sommes retrouvés devant un mur de visages sans expression, et nous savions que nous n'allions pas nous rendre très loin. J'étais également très déçue par l'absence d'une vraie discussion sur le fond et sur la grande quantité de témoignages d'experts. Je ne saurais dire, bien sûr, si la présence de la juge Arbour ou du juge Iacobucci aurait changé quelque chose au résultat, mais je fonde ces commentaires sur des décisions antérieures auxquelles ils ont participé.

Je suis troublée par cette nouvelle tendance où il est beaucoup, beaucoup plus difficile de même songer à contester devant les tribunaux. Si une telle chose se produit, alors pourquoi avons-nous une Charte? Je crois effectivement que les tribunaux ne sont pas les seuls gardiens de la Charte. Je crois que notre gouvernement en est un aussi. Je reprends les paroles de Mary Ebert qui a fait valoir que c'est d'abord à tous les ordres de gouvernement qu'on doit s'adresser; on doit invoquer non seulement la Charte, mais aussi la Convention. Je ne suis pas certaine que cela se produit toujours.

Le sénateur Nancy Ruth : Juste pour donner suite à cela, il y a des personnes qui diront que Auton et l'affaire relative à l'AE à Terre-Neuve ne sont pas nécessairement liées aux droits de l'enfant ou des travailleurs. Ils avanceront qu'il s'agit plutôt de déterminer si le tribunal a le droit de forcer le gouvernement à verser des fonds à même le Trésor. Les tribunaux n'imposent pas de taxes, et ils ne peuvent demander qu'on dépense des revenus fiscaux. Comme vous l'avez déjà dit à deux ou trois reprises, vous n'êtes pas d'accord avec cela, et je suppose que c'est normal si vous avez plaidé dans Auton, mais nous sommes des politiciens.

Nous sommes à une époque où il n'est pas impossible qu'on ait un gouvernement conservateur pendant encore six ans. Avez-vous des suggestions quant à ce que nous pourrions faire à ce sujet, car certains d'entre nous sont peut-être d'accord avec vous?

Mme von Krosigk : Vous pourriez tirer avantage de la perspective à long terme du Sénat, par opposition à la Chambre des communes, où l'on tient des élections. On pourrait également tenir compte du délai des provinces. La période au cours de laquelle les politiciens peuvent agir est généralement très courte. Puisque vous parlez de dépenses à même le Trésor public, et que je cite Auton en exemple, la recherche montre qu'une intervention précoce permettrait de réaliser des économies de plus de un million de dollars pour chaque enfant, au cours de la vie de cet enfant. Lorsqu'on est en campagne électorale, les économies réalisées au cours d'une vie n'ont pas autant de poids que quelque chose qui va se produire pendant le mandat. Ici, en Colombie-Britannique, et j'ignore si cela s'applique partout au pays, les ministres voient leur salaire réduit s'ils ne réalisent pas certains objectifs budgétaires. L'atteinte de buts liés au budget est un objectif très personnel, et c'est également un objectif gouvernemental. Je crois que ce qui nous fait défaut, c'est une perspective à long terme. Nous avons appris dans Auton qu'il peut parfois coûter jusqu'à 350 000 $ par année pour héberger et prodiguer des soins à un adulte autiste, alors c'est à ce chapitre qu'on réalise des économies de coût. Si votre comité mettait l'accent sur une perspective à long terme, ce serait utile.

Le sénateur Poy : Monsieur Kelly, vous avez parlé du droit à l'identité des enfants adoptés et des descendants de donneurs. Pourriez-vous nous fournir des précisions à ce sujet, s'il vous plaît?

M. Kelly : Madame, 95 p. 100 des membres de la population peuvent obtenir leur certificat de naissance original de l'État civil. Il suffit que la personne remplisse le formulaire et acquitte les droits prévus pour obtenir copie de son extrait de naissance original. Ce document indique le nom de vos parents biologiques. Ce processus n'est pas mis à la disposition des personnes adoptées, et n'est certainement pas offert, après le projet de loi fédéral, aux descendants de donneurs. Seuls la Colombie-Britannique, l'Alberta, Terre-Neuve et les Territoires du Nord-Ouest offrent une certaine forme d'accès, mais continuent d'appliquer des veto discriminatoires. La seule province qui va permettre cela est l'Ontario, grâce au projet de loi 183 récemment adopté, qui n'est pas encore en vigueur.

Le sénateur Poy : Est-ce que cette loi concerne l'adoption en territoire canadien?

M. Kelly : Oui.

Le sénateur Poy : Je croyais que l'identité des descendants de donneurs était confidentielle, dans un grand nombre de cas. Je croyais que les donneurs voulaient garder l'anonymat.

M. Kelly : Je suis certain que ce n'est pas toujours le cas, mais cela n'est pas pertinent, car l'article 2 garantit les mêmes droits à tous les enfants, sans aucune forme de discrimination. Alors, pourquoi tout le monde au pays, y compris les enfants adoptés, ont un certificat de naissance qui nomme les parents biologiques, mais que ce n'est pas le cas pour les descendants de donneurs? Il s'agit d'une discrimination de la fonction publique fondée sur la situation des particuliers au sein des familles. Je n'ai que faire de l'opinion de l'industrie liée à la fécondité. La convention relative aux droits de l'enfant prévoit l'égalité pour tous.

Le sénateur Poy : Ce que vous dites, c'est que, n'en déplaise aux donateurs, s'ils ne veulent pas révéler leur identité, ils ne devraient pas effectuer de dons.

M. Kelly : Ils ne devraient pas devenir donneurs. Il y a des administrations qui sont passées de la protection de l'identité du donneur à la divulgation de l'identité du donneur, et, malgré une baisse initiale du nombre de donneurs, on a constaté à long terme que le nombre de donneurs avait augmenté, et qu'au lieu d'avoir pour donneurs des étudiants de niveau universitaires, on avait des hommes mariés qui étaient déjà pères de famille. Les hommes mariés comprenaient le besoin de divulguer cette information, et ils étaient disposés à agir d'une façon plus moralement acceptable que ce que fait actuellement l'industrie nationale liée à la reproduction.

Les descendants de donneurs sont victimes de la plus grande fraude de l'histoire du Canada. En juin dernier, le premier bébé éprouvette conçu grâce à un donneur a atteint l'âge de 21 ans, alors, pour toute une génération, les extraits de naissance de descendants de donneurs ont été remplis de façon frauduleuse. Le bureau de l'État civil est au courant de cela depuis le début. Les fonctionnaires ont convenu, en catimini, de continuer à faire cela sans remanier leurs lois. Ils ont apposé le nom du père non biologique sur ces documents, et c'est inacceptable.

L'extrait de naissance original est une attestation de la naissance de l'enfant. Il porte un numéro d'identification unique ainsi que le nom de l'enfant. Ce document est censé rendre compte de la naissance de l'enfant. Chaque enfant a une mère biologique et un père biologique. Le descendant d'un donneur devrait avoir accès à cette information, au même titre que toute autre personne au pays.

Le sénateur Poy : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il y a eu fraude au moment de l'enregistrement?

M. Kelly : Les bureaux de l'État civil n'ont pas reconnu et n'ont pas tenté de mettre un terme à cette pratique consistant à indiquer le nom du père non biologique sur ces documents, sur l'extrait de naissance original. Ils mettent le nom du père non biologique sur le certificat de naissance.

Le sénateur Nancy Ruth : Pouvez-vous nous donner un exemple? Qui est le père non biologique? S'agit-il de l'amant de la mère? Donnez-moi seulement un exemple de comment cela peut se produire.

M. Kelly : Supposons qu'un homme et une femme aient recours à des traitements relatifs à la fécondité, parce que le mari de la femme est stérile. Très souvent, le sperme est importé des États-Unis, et lorsque la femme donne naissance à l'enfant, on indique le nom du père — pas celui du père biologique — sur le formulaire d'enregistrement.

La présidente : Je suis assez vieille pour me souvenir de l'époque où l'adoption était la seule autre façon d'avoir un enfant. La Vital Statistics Act tenait compte de l'intérêt de l'enfant, et les parents prenaient l'enfant en charge. Quand nous avons commencé à avoir des enfants hors des liens traditionnels du mariage, nous avons commencé à permettre à la mère de s'enregistrer sans mettre le nom du père sur le document, et nous pensions que c'était dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Ce n'était pas universel, mais il y avait certainement une bonne part des gens qui pensaient comme cela. Ce n'est que plus tard que nous avons compris qu'il était important, pour des questions médicales et autres, de connaître l'identité du père. Cependant, nous nous sommes toujours penchés sur les enjeux sociaux liés à l'enfant et à son intégration, en ce qui concerne les renseignements médicaux et ainsi de suite. Nous n'avons pas fait très bonne figure pour ce qui est d'équilibrer tous ces enjeux, car ils se font parfois concurrence. Nous avons encore des difficultés dans le domaine de l'adoption. Nous devons poser la question : qui doit être nommé dans le dossier? Quels noms pouvons- nous apposer de force sur le certificat? Ce n'est que plus récemment, avec l'ADN, que nous en sommes venus à mieux comprendre l'importance de connaître l'identité du père. À l'époque, on croyait protéger l'intérêt supérieur de l'enfant en cachant l'information.

À titre d'artisans des lois, nous commençons tout juste à comprendre les nombreuses façons dont nous allons produire des enfants dans notre monde, et les conséquences de ces méthodes.

Convenez-vous du fait que ce domaine évolue constamment et que nous ne nous sommes pas suffisamment préoccupés du point de vue de l'enfant lorsqu'il est question des nouvelles techniques de reproduction? Nous devons déterminer comment obtenir cette information et inciter les gens à commencer à réfléchir à toutes ces conséquences, car je crois que nous n'avons pas fait cela.

M. Kelly : Je suis certainement d'accord avec vous. Ils n'ont pas tenu compte de cela. Vous avez soulevé plusieurs enjeux, et je vais tenter de vous répondre au mieux de mes capacités.

Vous vous demandiez si le nom du père biologique devrait figurer sur le certificat de naissance. J'aimerais attirer l'attention de votre comité sur une récente décision de la Cour suprême du Canada relative à Darrell Wayne Trociuk. Son nom avait été exclu de l'extrait de naissance parce que la Vital Statistics Act de la Colombie-Britannique prévoyait que c'était la mère biologique qui devait remplir le certificat de naissance. On a privé M. Trociuk du droit d'avoir son nom sur l'extrait de naissance. Il s'est battu, et, au bout du compte, la Cour suprême du Canada a tranché en sa faveur. La question de l'inscription du nom du père biologique sur ces extraits de naissance originaux est, selon moi, maintenant réglée, du moins je l'espère.

Vous avez parlé de la confusion qui règne à l'heure actuelle, et je suis tout à fait d'accord avec vous. Les personnes qui sont adoptées ont deux paires de parents, soit des parents au sens juridique et des parents au sens biologique. Les descendants de donneurs peuvent avoir jusqu'à cinq parents : une mère biologique, un père biologique, une mère juridique, un père juridique et une mère porteuse. Quels noms doit-on indiquer sur le formulaire d'enregistrement de la naissance? Nous estimons que le descendant de donneurs devrait être traité comme tout le monde, et que le nom des parents biologiques devrait figurer sur l'extrait de naissance original, car l'enregistrement de la naissance est censé rendre compte de la naissance de l'enfant. On peut modifier ces documents par la suite, en fonction de ces autres situations, mais il est certain que le gouvernement fédéral a promulgué la loi relative à la reproduction humaine. Les bureaux provinciaux de l'État civil n'ont pas suivi l'évolution des choses. Ils sont au courant de ces choses depuis 20 ans, et ils n'ont pratiquement rien fait pour régler ces problèmes, et ils accusent un retard considérable.

Les personnes adoptées et les descendants de donneurs constituent environ 5 p. 100 de la population. C'est ce groupe de personnes, cette minorité invisible, qui est laissée pour compte lorsqu'on rédige un projet de loi, car on le rédige pour la majorité. Les 95 p. 100 de la population qui restent reflètent la norme de la mère biologique et du père biologique qui sont la mère et le père juridiques. C'est de cette façon qu'on rédige toujours les lois, et cette minorité invisible est laissée pour compte chaque fois qu'une loi est mise au point.

Une partie des recommandations que je vous ai présentées consiste à tenir compte de cette réalité dans le cadre d'efforts futurs pour reconnaître cette minorité invisible. Cela forcerait les gouvernements provinciaux et fédéral à donner suite à ces enjeux, à la fois dans leurs rapports et dans leurs diverses lois. On ne se penchera sur ces problèmes que lorsque les groupes de travail ou les comités reconnaîtront cette modeste minorité.

J'espère avoir répondu à vos questions.

La présidente : Oui, merci. Je voulais savoir si vous aviez ce point de vue. Certainement, à l'époque de la présentation du projet de loi sur les techniques de reproduction humaine, on a tenu de nombreuses discussions et entendu de nombreux discours au Sénat et dans la Chambre des communes, mais on s'intéressait moins aux conséquences pour les enfants. On s'intéressait aux enjeux moraux et éthiques touchant les adultes concernés.

M. Kelly : Notre organisme a exercé des pressions vigoureuses à l'égard des lois antérieures et du projet de loi C-13 afin qu'on reconnaisse la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant, surtout en ce qui concerne l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit à l'identité. Si vous regardez le projet de loi, vous constaterez qu'on ne mentionne l'intérêt supérieur de l'enfant que dans le préambule, ce qui n'est certainement pas exécutoire, alors que, par exemple, la Adoption Act de la Colombie-Britannique prévoit la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant à l'article 2 et à l'article 3. De plus, les auteurs de la loi ont omis de mentionner le droit à l'identité, malgré la recommandation formulée par le comité à cet égard, et c'est déplorable. Ces deux questions font partie de la Convention relative aux droits de l'enfant. Cela fait partie du mandat fédéral. Votre comité a manifesté son intention d'agir comme si le gouvernement fédéral était lié par cette Convention. Si c'est le cas, alors je crois que votre comité a le devoir et l'obligation de veiller à ce que ce projet de loi soit modifié, de veiller à ce que l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi que le droit à l'identité soient enchâssés dans le corps du projet de loi.

Le sénateur Poy : Vous avez mentionné que de nombreux donneurs sont aux États-Unis. Est-ce que nos lois iront à l'encontre des lois américaines? Qu'arrivera-t-il si les États-Unis n'exigent pas que les donneurs divulguent leurs noms et leurs antécédents médicaux? Allons-nous les forcer à le faire? Je ne sais pas vraiment comment cela pourrait fonctionner, dans une situation où le donneur est dans un autre pays.

M. Kelly : Je crois que nous sommes souverains sur notre territoire, madame. Je crois certainement que nous pouvons inciter l'industrie liée à la fécondité à agir de façon éthique. Puisque nous sommes signataires de cette Convention, je crois que nous devrions forcer l'industrie à la respecter.

Il y a un autre élément intéressant à cet égard, et je l'ai mentionné auparavant, je crois que les certificats de naissance qui sont produits pour ces enfants sont frauduleux parce que le nom du père biologique n'y figure pas. À mon avis, les enfants conçus au moyen de techniques de reproduction où le sperme utilisé est importé ont droit à la double citoyenneté qui leur a été refusée.

Le sénateur Poy : C'est très intéressant.

M. Kelly : Il est contraire au Pacte international de l'ONU relatif aux droits civils et politiques de priver ces enfants de leur droit à la double citoyenneté. L'industrie liée à la fécondité croit qu'elle peut mener ses activités comme elle l'entend.

Le sénateur Poy : Vous avez également mentionné que des personnes adoptées peuvent être expulsées du Canada si elles commettent un crime, mais où?

M. Kelly : On peut les expulser vers leur pays d'origine. Il s'agit d'adoptions internationales. Des citoyens canadiens se sont rendus à l'étranger et ont ramené ces enfants au Canada, où ils les ont élevés. Ces personnes sont maintenant des adultes, mais ces personnes qui sont responsables de veiller à ce que les documents de citoyenneté qui conviennent soient produits ont laissé tomber ces enfants d'une façon déplorable. Lorsque ces enfants adoptés commettent un crime à l'âge adulte, on les expulse du pays, vers leur pays d'origine. Leur famille juridique est au Canada. Ils n'ont aucune famille dans leur pays d'origine. La plupart d'entre eux ne parlent même plus la langue de leur pays d'origine. Notre gouvernement inflige cette situation effroyable à ces enfants. À mon avis, le gouvernement doit revenir en arrière et tenter de retrouver tous les enfants expulsés de cette façon. Il faut leur donner gratuitement un passeport, un billet d'avion pour le Canada, et des excuses.

Le sénateur Poy : Ce que vous dites, c'est que les bébés adoptés par des parents canadiens deviennent, bien sûr, des Canadiens dotés de passeports canadiens.

M. Kelly : Ils n'auraient pas de passeport.

Le sénateur Poy : Pourquoi donc?

M. Kelly : Ils n'ont pas le droit d'avoir un passeport, car ces enfants ne sont pas des citoyens canadiens. Ils n'ont aucun droit, car les gens responsables de leur entrée au pays ont omis de produire les documents appropriés. On ne reconnaît pas ces enfants comme citoyens, ils ne peuvent ni sortir du pays, ni voter. Ils ne peuvent pas faire tout ce que les autres citoyens ont le droit de faire, car on ne les reconnaît pas comme citoyens.

Le sénateur Poy : Est-ce que cela s'applique à toutes les adoptions internationales?

M. Kelly : Cela s'applique aux adoptions internationales où les formulaires relatifs à la citoyenneté n'ont pas été remplis. Ce n'est pas la faute des enfants. Vous avez peut-être vu un certain nombre d'articles sur ces enfants dans les journaux récemment.

Le sénateur Poy : Est-ce la faute des parents?

M. Kelly : En partie, mais le problème tient également au fait que la Loi sur la citoyenneté ne traite pas les enfants adoptés de la même façon que les enfants non adoptés.

La présidente : Lorsqu'on adopte un enfant à l'étranger, on peut ajouter l'enfant à son passeport. Voulez-vous dire que les parents doivent demander la citoyenneté à part entière au nom de leur enfant?

M. Kelly : C'est le fond de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire McKenna. Pour obtenir la citoyenneté, ces enfants doivent être soumis au processus d'immigration, et ce processus doit être mené à terme avant qu'ils obtiennent leur citoyenneté, alors que les enfants nés à l'étranger de citoyens canadiens sont considérés comme des citoyens, car il s'agit d'un droit acquis.

La présidente : Merci de nous avoir fourni les précisions dont nous avions besoin aux fins du compte rendu.

Le sénateur Nancy Ruth : Jour après jour, nous sommes confrontés à des droits de la personne qui sont contradictoires, et nous devons déterminer comment trancher. Ce sont autant de droits raisonnables dans une société libre et démocratique, mais quelqu'un doit trancher. Pouvez-vous nous aider? Si nous versons toute cette information dans notre rapport, il y aura des foules de gens de divers milieux qui contesteront et qui feront valoir leurs droits, et j'ignore quelle sorte de mécanismes nous pourrions utiliser pour démêler tout cela. Je connais l'argument selon lequel les six premières années de la vie sont plus importantes que ne le pensent certaines personnes de mon âge, mais allons, essayez de nous expliquer quel est le problème?

M. Kelly : Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que vous entendez par « démêler tout cela » madame. Quatre- vingt-quinze pour cent des gens ont droit à leur identité biologique, alors que 5 p. 100 n'y ont pas droit. Le seul problème qui doit être réglé concerne les 5 p. 100 qui ne jouissent pas de ce droit. Ces 5 p. 100 doivent jouir des mêmes droits que les autres 95 p. 100; c'est l'opinion de notre organisme. C'est le seul problème qui, de quelque façon que ce soit, doit être réglé.

Le sénateur Nancy Ruth : Revenons à la cause relative à l'autisme. Dans Auton, l'enfant a droit aux services de santé dont il a besoin. Par contre, la Cour estime que l'État a le droit de déterminer de quelle façon il dépense son argent. C'est ce que je veux dire lorsque je parle de droits contradictoires. Dans le contexte actuel, c'est un gros problème.

Il serait intéressant d'assortir notre rapport d'idées sur la façon de trancher. On ne peut se contenter de dire : « Voici la façon dont les choses doivent être faites », car une telle approche ne tiendra pas la route.

Mme von Krosigk : Un des aspects que j'apprécie vraiment au sujet des travaux de votre comité permanent et de l'examen de la Convention de l'ONU, c'est qu'on envisage le tout du point de vue des droits de l'enfant. Je ne crois pas qu'il y ait lieu de se dire qu'on devrait tenir compte d'une foule d'autres choses. Il faut adopter une position solide, réellement fondée sur ce point de vue.

En ce qui concerne les droits contradictoires, c'est dans cette impasse que se retrouvent très souvent les personnes handicapées. Elles doivent se demander si elles sont plus ou moins dignes d'intérêt que tel groupe. Je crois que cela ne rend service à personne, car tous les Canadiens risquent, à un moment donné, d'être frappés d'une invalidité quelconque. Nous sommes tous censés être des citoyens à part entière du Canada. On ne devrait pas créer une situation où une modeste part du gâteau, c'est-à-dire le Trésor, l'argent des contribuables, est mise de côté pour les personnes handicapées, et où les personnes handicapées doivent se disputer les miettes. Nous devrions adopter un point de vue plus sain et nous demander ce qui est bon pour la société. Je crois qu'il est bon pour la société d'offrir le soutien et les soins de santé à tous ceux qui en ont besoin.

En ce qui concerne l'autisme, la juge Saunders a déclaré ce qui suit, et j'ai repris ses paroles dans les documents que je vous ai fournis :

Toutefois, dans la mesure où on admet que la législation, au lieu d'interdire un tel traitement, établit un cadre administratif qui ne prévoit pas un tel traitement, la mesure contestée visant à refuser de consentir du financement ou de dispenser un traitement pour l'autisme ou les TED n'est pas un objectif gouvernemental.

Elle a formulé cette déclaration dans le contexte de la législation en matière de santé, tant provinciale que fédérale. M. Kelly a établi une distinction entre le préambule et le corps de cette loi, mais, certainement, dans le préambule comme dans le corps, l'objectif du gouvernement, lorsqu'il adopte une loi en matière de santé, doit être de dispenser un service complet et universel.

Dans le cadre de la même affaire, le tribunal a envisagé la question de ce point de vue, plus large, et a poursuivi :

Il s'agit plutôt d'une manifestation de l'administration du régime actuel et du niveau de priorité accordé au traitement de ces enfants autistes, ou, peut-être, de l'omission pure et simple de tenir compte de leur principal besoin en matière de soins de santé.

C'est troublant, l'idée selon laquelle ceux d'entre nous qui sont physiquement aptes et ont des ressources jouissent d'une sorte d'accès aux ressources du gouvernement, alors que les gens qui sont le plus vulnérables doivent justifier leur admissibilité. Je veux bien admettre que la tendance actuelle penche davantage vers les compressions budgétaires, mais, encore un fois, je vous invite à adopter une perspective à long terme et à comprendre qu'il est dans l'intérêt de toute la société de soutenir les gens qui n'ont pas le même point de départ que nous. J'ai également de l'expérience à l'égard du syndrome d'alcoolisation fœtale. On constate, encore une fois, qu'il est moins coûteux d'intervenir rapidement que de dépenser l'argent plus tard, dans le système de justice pénale. De nombreux jeunes atteints, à divers degrés, de déficiences ou de maladie mentale finissent dans le système de justice pénale, lequel est très mal adapté à leurs difficultés.

Nous devons envisager la société dans son ensemble et ne pas nous intéresser à une seule forme d'invalidité. Nous protestons lorsqu'il s'agit d'affecter 40 000 $ par année au traitement d'un enfant autiste, mais nous ne trouvons rien à redire lorsqu'il s'agit d'une intervention chirurgicale au cerveau ou d'un traitement pour le cancer. Les gens ne sont pas tenus de justifier leurs besoins de chirurgie; il n'y a aucune limite d'âge pour la chirurgie, alors qu'il y en a une pour le traitement d'un enfant autiste. Un médecin peut dire qu'une personne, en raison de son âge ou de son état de santé, ne peut supporter une telle intervention, de sorte qu'on recommande de ne pas procéder à l'intervention.

Dans le cas de l'autisme, nous avons des règles universelles selon lesquelles on va interrompre ou réduire de façon importante le financement destiné au traitement lorsque l'enfant atteint l'âge de six ans, peu importe si le traitement a commencé hier ou il y a deux ans, ou s'il donne des résultats. C'est, selon moi, une erreur et une discrimination fondamentales.

J'ose espérer que le Canada aura le courage de montrer l'exemple comme il l'a fait dans un grand nombre de domaines, même si cela « fait mal au portefeuille », car c'est ce que les pays riches sont censés pouvoir faire.

Le sénateur Nancy Ruth : Je vous donne un autre exemple. J'ai entendu ce que vous avez dit. Parlons de la question de la fessée. Les parents ont le droit d'administrer une fessée aux enfants âgés de deux à 12 ans, et il y a au Canada un mouvement énorme en faveur de l'élimination de cette disposition du Code criminel. À ma connaissance, toutes les sociétés d'aide à l'enfance ont pris part à ce mouvement. Par contre, il y a des groupes de femmes qui avancent qu'il s'agit de manigances des SAE pour enlever des enfants à leur mère. C'est ce que je veux dire quand je parle de situations contradictoires. Ce serait bien que les sociétés d'aide à l'enfance n'aient à faire cela que lorsqu'il est absolument nécessaire de le faire, et qu'elles ne misent pas sur cette modification de la loi pour le faire, mais il s'agit de droits et de peurs qui se font concurrence.

Mme von Krosigk : Il est très important, lorsqu'on tente de déterminer si des intérêts contradictoires entrent en jeu, de s'assurer que la décision prise est bien étayée et qu'il y a effectivement un conflit. J'admets que j'ai un parti pris à l'égard de cette question. Je suis citoyenne du Canada, mais je suis également citoyenne de la Suède. La loi suédoise interdit depuis de nombreuses années les châtiments corporels infligés aux enfants. Je ne suis certainement pas au courant d'une grande vague d'enfants enlevés à leurs parents ou d'une incidence particulière sur les enjeux touchant les femmes. De fait, cette loi jouit d'un appui massif, et ces principes font presque partie de la culture. J'étais plutôt déçue de la décision de la Cour suprême du Canada sur cette question, mais je dois reconnaître que je ne connais pas tous les faits, alors je crois qu'il est important de ne pas tirer des conclusions hâtives. Il importe d'amorcer un dialogue.

Un des aspects que j'ai trouvés plutôt décevants, en ce qui concerne le dossier de l'autisme, c'est qu'après des années devant les tribunaux, nous nous retrouvons dans une situation où il est très, très difficile de dialoguer. Je crois vraiment qu'il serait utile de tenter de discuter avec les parties concernées, de se montrer disposés à sortir des salles d'audience, à s'asseoir, à parler avec ouverture et à cerner les vrais enjeux. Une telle chose est plutôt difficile, dans un contexte où de nouvelles politiques sont présentées aux familles au lieu d'être élaborées en collaboration avec les familles, alors c'est un autre aspect digne d'intérêt.

La présidente : Comme d'habitude, notre comité manque de temps. Les questions soulevées sont très larges. Cependant, j'invite nos deux témoins à nous faire part de leurs commentaires à une date ultérieure, si cela vous convient, sur le fait que les droits prévus dans la Convention relative aux droits de l'enfant sont soumis à de nombreux modificatifs. Autrement dit, il ne s'agit pas de droits inconditionnels. On les interprète à la lumière d'autres conventions et de la déclaration universelle, mais surtout à la lumière du processus, des pratiques et des procédures — si vous me permettez un terme non juridique — des Nations Unies où c'est l'interprétation du pays signataire qui importe. Vous savez, on dit : « L'État doit veiller », mais qui définit « l'État », surtout au sein d'une société démocratique? Alors, quand vous faites valoir que la Convention vous confère un certain droit, il y a deux obstacles à surmonter. Premièrement, nous devons veiller à ce que la loi exerce une influence non seulement morale, mais aussi juridique sur notre société. Deuxièmement, si nous en arrivons à cette étape, comment pouvons-nous, comme l'a signalé le sénateur Nancy Ruth, composer avec des droits contradictoires, car il incombera ensuite aux gouvernements de déterminer comment ils ont consenti ces droits, dans un grand nombre de cas. Nous n'avons toujours pas défini l'interprétation de ces droits pour notre gouvernement national et nos gouvernements provinciaux ainsi que, de façon indirecte, pour nos tribunaux, car ils seront soumis à des considérations financières et à des interprétations contradictoires relatives aux droits. Nous devons en arriver à ce point en ce qui concerne la Convention et de nombreux autres droits de la personne, alors je me demande si vous avez réfléchi à cela. Nous essayons encore de dire que la Convention devrait être prise en compte. Alors vous nous mettez au défi, et je crois que nous voulons vous inciter à pousser votre réflexion un peu plus loin, afin que nous puissions prendre des mesures concrètes au lieu de simplement dire que la Convention est importante. Nous aimerions pouvoir proposer des étapes concrètes pour veiller à ce qu'on en tienne compte. La première étape est évidente : nous devrions l'enchâsser dans nos lois nationales, mais elle s'assortit d'une foule d'interprétations internationales. Nous allons relever votre défi. Vous avez tous deux soulevé des enjeux qui devraient être intégrés à notre rapport, alors vous pouvez vous attendre à ce que nous trouvions la meilleure façon, selon nous, de soulever ces questions en votre nom.

Merci d'avoir témoigné et d'avoir soulevé des questions que nous n'avions pas vraiment abordées jusqu'à maintenant. Merci beaucoup. Si vous avez d'autres choses à nous signaler, ne vous gênez pas.

La présidente : Mesdames et messieurs, nos prochains témoins sont Angela Cameron et Asia Czapska.

Angela Cameron, attaché de recherche, FREDA Centre for Research on Violence Against Women and Children : Merci et bonjour à vous, sénateurs. Je suis accompagnée de mes deux collègues et associées, Nasra et Hawa Mire. Nous allons prendre brièvement la parole à tour de rôle. Nasra et Hawa parleront en particulier de leur expérience personnelle de filles grandissant au Canada.

J'aimerais parler brièvement, dans ma déclaration préliminaire, des travaux de recherche auxquels participe FREDA, lesquels sont liés au mandat du comité sénatorial. Le centre FREDA s'est engagé, avec quatre autres centres de recherche du Canada, dans un projet en quatre étapes financé par Condition féminine Canada et portant sur la violence faite aux filles au Canada. Le rapport, qu'on a communiqué au comité en français et en anglais, résume les résultats de la deuxième étape de ce projet qui en comporte quatre. Le rapport traite spécifiquement de l'écart entre l'expérience vécue par les filles ayant participé à l'étude et les obligations du Canada en vertu des droits internationaux de la personne, notamment de la Convention relative aux droits de l'enfant. Le rapport a aussi pour objectif de formuler des recommandations précises sur la manière dont les Canadiens peuvent mettre en œuvre de façon plus efficace ces instruments internationaux, et, ce faisant, régler le problème de la violence faite aux filles qui ont participé à notre étude. Les recommandations figurent dans le rapport. Nous en sommes actuellement à la troisième étape de ce projet de recherche. Je crois qu'il est important de mentionner que près de 600 filles et garçons du Canada ont participé à l'étude, ce qui représente un échantillon substantiel, et que nous avons effectué des travaux d'analyse qualitative et quantitative. À l'examen de ce rapport, vous entendrez la voix des garçons et des filles, surtout des filles, dont les propos ont été recueillis mot à mot. Vous y trouverez aussi de la poésie et de la prose.

Je vais parler brièvement des thèmes qui ressortent le plus clairement des travaux de recherche. Ces thèmes touchent de façon significative certaines des formes de violence que les filles interrogées ont été les plus nombreuses à connaître. Je souhaite aussi faire remarquer que, dans la plupart des cas, sinon dans tous, la Convention relative aux droits de l'enfant peut précisément protéger les enfants contre certaines des formes de violence dont les filles ont parlé, leurs propos étant rapportés dans le cadre des résultats de l'étude.

Le premier thème est le racisme et la violence à caractère racial; le second, la violence persistante en milieu scolaire; le troisième, les effets des médias sur l'image du corps et l'estime de soi des filles; le quatrième, le harcèlement sexuel, qui est certainement un thème très présent un peu partout et qui recoupe le thème de la violence à l'école; enfin, l'exploitation sexuelle constitue un autre thème.

Le centre RESOLVE, des Prairies, a effectué des travaux de recherche précisément sur la question des jeunes filles qui sont exploitées sexuellement et qu'on force à se prostituer. Le rapport de recherche figure parmi les documents que nous avons présentés ce matin.

Le sixième thème est l'accès aux services, le septième, la pauvreté et le huitième, le sexisme.

Je crois qu'il est important de signaler que le centre FREDA et les quatre autres centres de recherche ont adopté une approche intersectionnelle, et nous n'avons donc pas envisagé les différentes expériences de violence de façon indépendante.

Le sénateur Nancy Ruth : Pourriez-vous définir « intersectionnalité »?

Mme Cameron : L'intersectionnalité consiste en la manière dont la situation sociale, comme le fait d'être pauvre, autochtone ou une fille, a une incidence sur la façon dont les filles vivent la violence. Un excellent exemple de ce concept nous est fourni par des recherches effectuées ici, en Colombie-Britannique : des filles autochtones ont parlé du fait que, lorsqu'elles se promènent dans leur quartier, on les prend constamment pour des prostituées, ce qui n'arrive pas aux garçons autochtones du même quartier. Cela leur arrive parce qu'elles sont pauvres, parce qu'elles sont Autochtones et parce qu'elles sont des filles. Ces trois formes de pression qui se recoupent dans leur vie a pour résultat que des garçons ou des hommes les pourchassent en voiture dans leur quartier. Elles ont déjà été arrêtées par des hommes en voiture qui leur ont fait des avances. Elles ne se prostituaient pas et n'avaient aucune envie de le faire. Il s'agit d'un très bon exemple de la manière dont la théorie de l'intersectionnalité s'applique à la vie des participantes à l'étude.

Les 600 filles et garçons qui ont participé à l'étude provenaient d'un milieu très différent, certains enfants étant très pauvres et d'autres étant avantagés sur le plan économique. Il s'agissait d'enfants exploités sexuellement et de filles aux prises avec des problèmes relatifs à l'image qu'elles se font de leur corps. L'élément le plus important qui est ressorti des recherches, peu importe la forme de violence, est que des programmes tenant compte des différences entre les sexes étaient importants dans tous les cas. Cela s'est vérifié auprès de groupes du Nouveau-Brunswick et de l'Ontario aussi. Les filles ont vécu le sexisme et le racisme en tant que filles, et le fait d'être une fille a constitué un facteur aussi important dans leur façon de vivre la violence que leur race, leur orientation sexuelle ou leur situation économique. Dans l'ensemble, il est ressorti non seulement que leurs expériences dépendaient du sexe, mais aussi que les choses qu'elles voulaient que nous fassions pour les aider à faire respecter leurs droits comportaient un élément lié au sexe. Elles souhaitent pouvoir participer à des groupes composés de filles seulement pour parler de harcèlement sexuel, d'éducation sexuelle et du fait d'être parents même si elles sont jeunes. Cela va à l'encontre d'une tendance, particulièrement en Colombie-Britannique, à offrir des programmes et des services neutres sur ce plan.

Je vais m'arrêter ici et céder la parole à Hawa et Nasra, deux jeunes femmes qui sont ici pour parler de ce qu'elles ont vécu. Un ou deux mots pour vous les présenter : Nasra et Hawa sont conseillères en recherche et chercheures au centre FREDA. Elles ont participé à Go-Girls, groupe d'action et de recherche participative pour les filles, dont l'objectif est de les rendre autonomes et de nous aider dans le cadre de nos recherches et de nous aider à comprendre la réalité des jeunes femmes du Canada. Nous avons tenté de formuler des recommandations sur la manière de régler les problèmes de violence qu'elles vivent et que vivent leurs pairs. Elles sont ici pour parler de ce que signifie la Convention relative aux droits de l'enfant à leurs yeux, de la manière dont les Canadiens peuvent mieux faire valoir ces droits et de ce que signifie pour elles leur participation à un programme sexospécifique. Elles vont vous parler de la valeur de ce genre de programmes.

Nasra Mire, représentante de Go-Girls, FREDA Center for Research on Violence Against Women and Children : Je suis membre de Go-Girls, qui fait partie de FREDA. Je trouve que la société n'accorde pas la place qui leur revient aux jeunes, même si nous formons la majorité de la population mondiale. On nous juge naïfs, jeunes et pas en mesure de réaliser notre potentiel, ce qui est contraire à la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous pouvons faire valoir nos droits en formant des groupes de jeunes, dirigés par des jeunes. De cette façon, nous encourageons les jeunes à acquérir de bonnes compétences en matière de leadership et de communication, ce qui leur donnera la volonté de surmonter n'importe quels obstacles.

En devenant membres de Go-Girls, j'ai découvert que je pouvais comprendre la société, et j`ai appris à exprimer mon opinion. J'ai appris comment une fille peut exprimer ses opinions.

Hawa Mire, représentante de Go-Girls, FREDA Center for Research on Violence Against Women and Children : Comme Angela l'a mentionné plus tôt, je suis membre de Go-Girls, qui fait partie de FREDA. Go-Girls est un groupe de filles de 14 à 16 ans, et il s'agit, en gros, d'un endroit sécuritaire où les filles peuvent venir parler des différentes questions qui touchent leur vie. Elles peuvent venir parler des choses qui leur arrivent au quotidien. Notre groupe de filles, qui ont participé ensemble à la première étape du projet, ont évolué ensemble. Nous avons maintenant deux ou trois autres projets en tête. C'est vraiment un projet intéressant, parce que je ne pense pas qu'on se rende compte de ce qu'on peut faire avant d'avoir atteint le point où il faut faire quelque chose, et c'est une chose importante que j'ai apprise.

Je suis ici aujourd'hui pour parler de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, et je vais donc poursuivre sur ce sujet. Je n'avais jamais vraiment entendu parler de la Convention relative aux droits de l'enfant. Pour moi, il s'agissait d'une chose un peu bizarre parce qu'elle me concernait jusqu'au mois d'août dernier. Je croyais que les enfants étaient protégés par la Charte canadienne des droits de la personne. Je ne savais pas qu'il y avait une section complètement à part nous concernant. J'ai commencé à lire, et j'ai remarqué deux ou trois choses. Je devrais d'abord mentionner que j'ai remarqué ces choses en rapport avec mon expérience personnelle. L'adoption de la Convention, et son existence même, me semble ne constituer qu'un paquet de mots couchés sur le papier, dont une grande partie n'a aucun effet sur ma vie, et je n'ai vu aucune preuve de l'effet de ces droits sur ma vie. C'est comme savoir que les droits en question existent, tout en comprenant que le système n'est pas nécessairement organisé de façon à me protéger la plupart du temps en vertu de ces droits. Il est aussi intéressant de constater que les gens visés par ces droits n'ont aucune idée de leur existence.

Laissez-moi vous parler un instant de mon expérience personnelle. Le racisme a une influence énorme sur ma vie et fait partie de tout ce que j'ai réussi ou qu'on m'a refusé. Je ne pourrai jamais échapper à la couleur de ma peau, et c'est quelque chose dont je ne souhaite jamais échapper, et qui pousse les autres à placer des obstacles sur mon chemin. Je suis très chanceuse d'être entêtée et déterminée à détruire le plus grand nombre d'obstacles possible. Lorsque je vous dis que la liste des droits qui figurent dans la Convention ne sont rien d'autre pour moi que du papier, je ne fais pas que le dire pour le plaisir. J'ai le sentiment que mon expérience personnelle donne corps à mes paroles. Il est très important pour moi de voir ces droits accessibles aujourd'hui aux jeunes femmes et aux filles.

Évidemment, la solution la plus simple pour faire comprendre ces droits aux jeunes femmes pour qu'elles les connaissent est l'enseignement en milieu scolaire. Cependant, le problème qui se cache derrière cette solution simple est le suivant : les jeunes qui obtiennent l'information dans les écoles ne sont pas nécessairement ceux qui en ont besoin. Je crois que la solution consiste à créer des programmes et des services d'éducation axés sur les jeunes femmes défavorisées des secteurs communautaires neutres. Ce sont ces enfants qui ont besoin de comprendre leurs droits, parce que ce sont eux que notre système tend à ignorer ou à laisser de côté.

Lorsque je parle de créer certains services, j'en reviens toujours à Go-Girls, et le fait de disposer, à 16 ans, d'un endroit sécuritaire où aller m'a permis de m'exprimer beaucoup plus et de me faire une opinion beaucoup plus claire des choses que je veux voir réaliser dans ma collectivité. En plus, c'est un endroit où je peux rencontrer des filles de mon âge, m'asseoir, me plaindre et me libérer de tout ce dont je me rends compte qui ne fonctionne pas comme je le voudrais.

Je suppose que la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui c'est ce que vous pouvez faire pour moi, n'est-ce pas? La réponse est donc plus, plus, plus. Plus de fonds pour les endroits sécuritaires pour les filles; plus de services axés sur les jeunes défavorisés; et la promotion de la participation des jeunes aux événements et services qui leur sont offerts. Par « jeunes », je veux dire les jeunes femmes. Nous avons besoin d'elles, elles ne sont pas là, et c'est nécessaire. Il faut faire participer les jeunes femmes. La Convention dit que les enfants ont droit à leur propre opinion, mais on ne les encourage jamais à parler. Si nous exprimons nos opinions, il est probable que le décideur en débatte sans vouloir nous écouter. Plus de services offerts par les jeunes aux jeunes; créez des groupes de réflexion axés sur les jeunes. Demandez aux jeunes de 12 à 18 ans ce qu'ils souhaiteraient voir réaliser dans leur collectivité. Ce n'est pas suffisant que moi, qui ai 19 ans, je sois ici pour vous dire ce que je souhaite voir. Je veux que ce soit eux qui viennent vous dire ce qu'ils souhaitent voir parce que c'est leur vie et que cela a des répercussions sur eux chaque jour de leur vie. Concentrez-vous pour écouter à fond ce qu'ils ont à dire, ne vous attardez pas à la surface des choses. Posez-leur des questions qui les feront parler. Les jeunes ne sont plus là pour ne pas être écoutés. Ils crient pour qu'on les entende. Leurs idées peuvent être novatrices et neuves, mais il y a des chances pour qu'elles fonctionnent parfois. C'est ce qu'il y a de plus important aujourd'hui. C'est ce qu'il y a de plus important aujourd'hui.

Si vous partez d'ici en vous souvenant d'une chose, faites en sorte, s'il vous plaît, que ce soit la conscience du fait que les jeunes savent ce qu'ils veulent voir et savent ce dont ils ont besoin pour faire bouger les choses. Il s'agit de bâtir une confiance chez les autres, la confiance que nous savons ce que nous faisons. Ce sont les droits des enfants, les droits des jeunes et les droits des jeunes femmes. En ne leur faisant pas prendre conscience de ces droits et en ne leur fournissant pas les services dont ils ont besoin, vous enlevez aux jeunes les outils dont ils ont besoin dans la lutte pour les droits qu'on leur a déjà promis.

Asia Czapska, coordinatrice de la stratégie du logement, Justice for Girls : Je représente Justice For Girls, et j'ai déjà plus ou moins mis par écrit ce que je vais dire, mais je vais m'en écarter un peu.

La présidente : Nous avons vos déclarations, et nous aimerions vraiment passer à la période de questions; n'abordez donc que les points précis que vous souhaitez voir figurer au compte rendu. Ils feront partie du témoignage.

Mme Czapska : Depuis que nous avons créé notre organisation, il y a environ sept ans, notre objectif est qu'il n'y ait plus de filles sans abri. Nous cherchons à nous assurer que les filles qui sont dans la rue et qui vivent seules ont un endroit sûr où aller et des endroits sécuritaires où rester à court et à long terme, qu'il y a une sorte de logements pour les filles qui sont dans la rue. À l'heure actuelle, il n'y a presque rien, et c'est de ça dont nous nous occupons.

À court terme, il y a les refuges pour les jeunes. Ils sont mixtes et accueillent tant les jeunes hommes que les jeunes filles, et nous pensons que ce n'est pas sécuritaire, nous savons que ce ne l'est pas. Le gouvernement de la Colombie- Britannique a récemment effectué une étude qui a révélé le fait que les refuges pour les jeunes peuvent être dangereux pour les jeunes femmes. Il arrive qu'une fille de 14 ans se trouve dans le même refuge qu'un garçon de 18 ans. Ces refuges emploient des hommes, et nous pensons que ce n'est pas sécuritaire. La situation est la même dans les prisons pour jeunes, ici, en Colombie-Britannique, les jeunes hommes et les jeunes femmes, dans certaines prisons, comme celle de Prince George et celle de Victoria, partagent les mêmes unités. Il est possible qu'une jeune femme se trouve dans la même unité que 12 garçons à Victoria. Nous en avons parlé au gouvernement, et on nous a répondu que c'est parce qu'on ne disposait pas de suffisamment d'unités pour séparer les garçons et les filles, et aussi parce qu'on pense que de laisser les jeunes femmes seules aurait pour effet de les isoler. Le gouvernement ne reconnaît pas le fait que les filles détenues sont victimes de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle, dans les centres de détention de la Colombie- Britannique.

Nous savons qu'il arrive souvent que des jeunes femmes quittent la maison pour cause de violence sexuelle, et nous savons que les autorités ne croient pas toujours les filles qui font état de ce problème et que les ministères des Services aux enfants disent aux filles de rentrer à la maison. Nous savons que les auteurs des actes en question sont rarement accusés au pénal. Nous sommes convaincus du fait que si le gouvernement prenait des mesures pour sortir des maisons les hommes qui exploitent sexuellement les filles, cela constituerait une des solutions au problème des filles sans abri. On verrait beaucoup moins de filles quitter la maison si le gouvernement en faisait sortir les hommes qui commettent des actes de violence.

Il arrive souvent que les filles autochtones quittent leur famille d'accueil non autochtone pour cause d'aliénation et de racisme, et elles sont susceptibles de devenir sans abri. Il y a très peu de services de logements offerts aux filles autochtones, et encore moins qui répondent à leurs besoins. En réalité, il n'y a presque rien. Les lesbiennes, qui quittent la maison ou se font jeter dehors, sont aussi susceptibles de devenir sans abri. Une fois qu'elles sont livrées à elles- mêmes, on offre aux filles, de façon humiliante, un ensemble de choix inappropriés. Le ministère des Services à l'enfance peut leur dire de rentrer à la maison. On peut leur dire de s'inscrire à l'aide sociale des adultes. Ici, en Colombie-Britannique, une fois que les filles ont 16 ans, le ministère des Services à l'enfance leur dit de s'inscrire à l'aide sociale, et elles vivent avec 525 $ par mois.

Il arrive souvent que les jeunes femmes finissent par vivre avec des hommes plus vieux, ce qu'on a constaté un peu partout lorsqu'on a interviewé des filles. De nombreuses jeunes femmes qui ont quitté la maison vivent avec des hommes dans la vingtaine ou plus vieux. Je ne sais pas quoi dire. Lorsqu'elles se trouvent vraiment en situation de vulnérabilité, il arrive que les filles se tournent vers la drogue pour tenter de vivre avec la violence et la pauvreté extrêmes dont elles souffrent. C'est parfois à ce moment que les prisons des jeunes interviennent, et que les jeunes femmes sont incarcérées en attendant de recevoir un traitement, d'aller en désintoxication ou d'être placées en établissement d'aide sociale aux enfants.

Cela se produit en Alberta avec la Protection of Children Involved In Prostitution Act, où il arrive que les jeunes soient placés en foyers d'accueil contre leur volonté, et soient enfermées pour leur propre protection. Il arrive souvent que des jeunes femmes soient enfermées. Lorsque la PCHIP est entrée en vigueur, je crois qu'il y avait quelque chose comme 98 p. 100 des jeunes femmes et de nombreuses jeunes femmes autochtones qui étaient enfermées.

Récemment, nous avons témoigné devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Nous avons parlé à ce comité des filles sans abri, et le comité a lui-même formulé des recommandations pour que le Canada porte une attention spéciale aux difficultés auxquelles font face les filles sans abri et prenne les mesures nécessaires pour leur fournir des logements et des services sociaux et de santé adéquats. Une des choses importantes que nous avons demandées est que les ministères de la Jeunesse et des Enfants de l'ensemble du pays fassent en sorte que leurs politiques et leurs programmes tiennent compte des différences entre les sexes. Il s'agissait de l'un des éléments de portée générale : si les ministères des Services à l'enfance devaient tenir compte de différences entre les sexes dans la planification de leurs programmes et services, et surtout des services de logements, alors on verrait peut-être apparaître des refuges réservés aux filles. Nous avons besoin de foyers de groupes et de foyers d'accueil réservés aux jeunes femmes qui ont été victimes de violence; des endroits sécuritaires pour elles.

Nous croyons que c'est la clé pour faire prendre conscience aux filles du fait qu'elles sont égales aux garçons : faire en sorte que les politiques et les programmes visant les jeunes tiennent compte de la différence entre les sexes partout au pays.

La présidente : Madame Czapska, vous disiez que, au sein du système judiciaire pour les jeunes, les filles se trouvent dans les mêmes unités que les garçons.

Mme Czapska : Oui, dans les prisons pour jeunes ici, en Colombie-Britannique, c'est le cas. Il y a deux prisons pour les jeunes — en fait, il y en a trois, mais il y en a deux où les unités sont mixtes, celle de Prince George, et celle de Victoria, où l'on peut placer les garçons et les filles dans les mêmes unités.

La présidente : Est-ce avant ou après la détermination de la peine?

Mme Czapska : Non, c'est avant et après, parce qu'il s'agit des centres de détention des jeunes.

La présidente : Il s'agit donc d'un centre de détention des jeunes.

Mme Czapska : Oui, il s'agit des centres de détention des jeunes de la Colombie-Britannique. Je suis à peu près certaine, d'après ce que nous savons, que la situation est la même dans les autres provinces. Oui, dans ces deux cas-là, c'est courant, puis, à Burnaby, il est arrivé que les filles soient placées dans la même unité que les garçons. Il y a quelques mois, ou peut-être un an, nous avons pris la défense d'une jeune fille. Elle avait été placée dans la même unité que les garçons, et nous avons soulevé le fait qu'il s'agissait d'un grave problème. Après que nous avons pris la défense de la jeune femme, et que nous sommes allés voir les médias pour parler de différentes choses, on l'a placée dans une unité résidentielle à part. En fait, ils ont placé une autre fille qui avait quelque chose comme 14 ans dans la même unité. Ils ont finalement cessé de le faire; puis ils ont cessé de le faire au centre de détention pour jeunes de Burnaby. C'est quelque chose comme une pratique courante aux deux autres centres de détention pour jeunes. Il n'y a vraiment pas beaucoup de femmes, ce qui est une bonne chose, dans les centres de détention pour jeunes de Victoria et de Prince George, ce qui fait qu'on ne dispose souvent pas d'une unité résidentielle qu'on pourrait réserver aux filles.

La présidente : Madame Cameron, dans votre déclaration préliminaire, vous n'avez pas abordé la question de l'immigration et des réfugiés; avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet? Les immigrants et les réfugiés connaissent-ils des difficultés supplémentaires, et, le cas échéant, de quelle nature?

Mme Cameron : L'étude que nous avons réalisée portait précisément sur les filles appartenant à des minorités visibles; la plupart d'entre elles venaient de familles dont les parents étaient des réfugiés. La plupart des filles qui ont participé à l'étude n'étaient pas des immigrantes ou des réfugiées elles-mêmes, mais venaient de familles immigrantes ou de réfugiés. Elles ont connu des problèmes de violence raciale liés précisément au fait qu'on les a vues comme étant fraîchement débarquées; on s'est en pris à elles à cause de leur accent, à cause de la nourriture qu'elles apportaient à l'école; des vêtements qu'elles portaient, qui révélaient leur groupe ethnoculturel d'appartenance. De façon plus précise, les filles ont parlé du racisme comme d'une forme de violence, mais aussi de violence raciale, et donc du fait de se sentir plus vulnérables en ce qui concerne la violence physique, le fait de se faire pousser ou d'être victimes d'intimidation à l'école parce qu'elles ne faisaient pas confiance aux conseillers scolaires, enseignants et directeurs parce qu'elles n'avaient pas l'impression que ces intervenants du système scolaire échappaient totalement au racisme non plus.

La présidente : Vous qui avez travaillé à l'étranger, avez-vous à vous occuper de jeunes qui arrivent déjà traumatisés d'une zone ravagée par la guerre? Je sais quels services on devrait leur offrir, mais quels sont les problèmes particuliers que vous avez cernés chez eux?

Mme Cameron : En Colombie-Britannique, nous avons eu affaire à deux groupes de filles réfugiées, des groupes très petits et homogènes, provenant surtout d'Afrique. Ces groupes se trouvaient dans des régions rurales très éloignées de la Colombie-Britannique, en raison de nos politiques relatives à l'immigration et aux réfugiés selon lesquelles on place les nouveaux Canadiens en régions rurales, surtout lorsque leurs parents sont des professionnels spécialisés. Dans bien des cas, les pères des filles vivant avec leurs parents de sexe opposé étaient des médecins, et ils vivaient donc à des endroits comme l'Okanagan et Prince George, par exemple, parce qu'on avait besoin des services professionnels de l'un ou l'autre de leurs parents. Je dirais donc que les problèmes auxquels font normalement face les réfugiés vivant dans les centres urbains, au chapitre de l'accès aux services limité par les obstacles linguistiques et par le racisme, étaient aggravés dans le cas de ces filles parce qu'elles vivaient dans une région rurale, si homogène et anglo-saxonne.

Dans une section de la fin du rapport, on retrouve des citations bouleversantes provenant de deux filles qui sont victimes de racisme à l'école. Ces filles ne voulaient pas aller à l'école et elles avaient le sentiment qu'elles ne pouvaient pas accéder aux services linguistiques en raison d'une forte impression que le conseiller scolaire était raciste et ne serait pas en mesure de leur fournir les services dont elles avaient besoin.

Le sénateur Nancy Ruth : Angela, vous avez dit que la plupart des programmes étaient neutres par rapport au sexe, plutôt que sexospécifiques. Je me demande si vous pourriez nous expliquer ce que ces expressions veulent dire. J'ai pris note de ce que vous avez dit au sujet des prisons. Pourriez-vous nous fournir une espèce de cadre pour ces expressions? Nous devons savoir si, lorsque nous rédigerons notre prochain rapport, nous devrions mettre l'accent sur la neutralité par rapport au sexe ou le caractère sexospécifique.

Mme Cameron : Je crois qu'il s'agit d'une excellente question. Le centre FREDA, comme bon nombre d'autres organismes communautaires, est constamment occupé à présenter de nouvelles demandes de fonds au fédéral et au provincial de façon à pouvoir maintenir nos programmes de base. Pour obtenir cet argent, nous devons utiliser un vocabulaire neutre, nous devons inclure à la fois les garçons et les filles. Nous voulons remonter à la source de ces problèmes liés au sexe et à la violence que des filles comme Hawa et Nasra nous font comprendre. Ce qui arrive souvent, c'est que nous présentons nos demandes de subventions de façon neutre. Les documents que nous recevons de la part de la municipalité et du gouvernement provincial sont clairs au sujet de l'inclusion des garçons et des filles dans les programmes. Une fois que nous recevons l'argent, nous réagissons en créant un programme comme Go-Girls, qui est réservé aux filles; il s'agit donc un peu d'un subterfuge. Ce que nous aimerions pouvoir faire, c'est de mentionner dans ce formulaire de demande que nous souhaitons nous occuper de filles en particulier, ainsi que les raisons pour lesquelles nous voulons le faire. Ce que nous constatons, c'est que lorsque nous sommes ouverts et honnêtes au sujet du besoin de s'occuper des filles seulement, en particulier, dans leur propre milieu, nous n'obtenons pas les fonds dont nous avons besoin. L'expression « neutre par rapport au sexe » renvoie généralement à des programmes qui ne parlent pas du sexe, ce qui suppose que ces programmes incluent tant les garçons que les filles. L'expression « sexospécifique » renverrait de façon explicite à des programmes réservés aux garçons ou aux filles, mais, dans le cas en question, nous nous intéressons précisément aux programmes réservés aux filles.

Le sénateur Nancy Ruth : Je veux que vous disiez que la situation est plus grave que vous ne l'avez mentionné. La violence sexuelle touche tous les enfants, mais je présume que, sur le plan statistique, elle touche les filles de façon disproportionnée, tout comme l'exploitation sexuelle.

Mme Cameron : La violence sexuelle touche les filles de façon disproportionnée au Canada, bien sûr, comme c'est le cas chez les femmes.

Le sénateur Nancy Ruth : Ne s'agit-il pas d'une raison pour laquelle toutes les demandes, toutes les déclarations, tous les documents et toutes les politiques gouvernementales devraient être rédigés en fonction d'une compréhension ou d'une analyse sexospécifique?

Mme Cameron : Certainement. Je pense que vous l'avez très bien dit. Si vous voulez parler de statistiques, et le rapport que nous vous avons fourni en est rempli, le groupe de recherche RESOLVE a effectué un projet de recherche sur les jeunes victimes d'exploitation sexuelle. Le projet portait principalement sur les filles et les jeunes femmes autochtones qu'on forçait à exercer le métier du sexe, à se prostituer. Il s'agissait de femmes, de jeunes femmes et de filles de façon disproportionnée, et elles ont vécu la violence liée à cette exploitation sexuelle en tant que femmes autochtones, pas nécessairement en tant qu'Autochtones. Lorsqu'elles ont parlé de ce qu'elles ont vécu et de l'aide dont elles avaient besoin pour gérer certains aspects de leur vie, nous avons entendu le témoignage de nombreuses mères qui souhaitaient pouvoir s'occuper de leurs enfants. Elles voulaient un endroit sûr où dormir et où les hommes ne pourraient profiter d'elles.

La violence dont sont victimes les filles de l'ensemble du pays est liée au fait d'être une fille, à la façon dont nous pouvons régler ces problèmes de violence, aider les filles à ce sujet et trouver des solutions est de s'occuper des filles, en gardant en tête que ce sont des filles, et de leur fournir des services qui répondent à leurs besoins précis. Elles ont besoin de parler d'éducation sexuelle, de harcèlement sexuel et d'exploitation sexuelle.

Les filles sont victimes de harcèlement sexuel dans les écoles. Ce sont les garçons qui harcèlent les filles dans les écoles. Le rapport sur la situation en Ontario l'indique, comme le rapport sur le Nouveau-Brunswick. Les auteurs ont parlé à des centaines de garçons et filles. Les garçons ont parlé très ouvertement du fait qu'ils harcelaient les filles, et du fait que ce comportement est normal dans toutes les écoles. On a donc parlé de harcèlement sexuel avec les groupes de garçons et de filles de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, mais même les garçons du groupe ont dit non, vous savez, vous les filles devez venir nous voir et comprendre certaines choses par vous-mêmes. Une partie du processus lancé au Nouveau-Brunswick et en Ontario était de nature éducationnelle et consistait en des groupes de travail et de réflexion où l'on parlait de harcèlement sexuel et du fait que ce phénomène touche à la fois le sexisme et le racisme. Les garçons disent : « Vous savez, il faut que nous en sachions plus là-dessus. » « Nous pensions qu'il s'agissait de flirter. » Nous voyons ça comme, vous savez, agacer les filles. » Lorsqu'on l'a fait remarquer aux garçons, ils ont dit penser qu'il fallait que les filles se mettent ensemble pour en parler et y réfléchir. Je crois donc qu'il s'agit de quelque chose d'important et d'essentiel.

Le sénateur Nancy Ruth : Comment un commissaire à l'enfance pourrait-il faire face à cette situation?

Mme Cameron : Le commissaire en question pourrait fournir des fonds, une impulsion et faire de la place pour des programmes réservés aux filles. Il pourrait financer des programmes comme Go-Girls et le Girlz Group, groupe de filles autochtones du centre-ville qui collabore aussi avec le centre FREDA. Le commissaire pourrait s'assurer du fait que les conseillers scolaires envisagent le harcèlement sexuel comme un problème sexospécifique et prévoient des espaces sécuritaires dans les écoles. Il pourrait contribuer aux programmes de leadership visant les filles.

Hawa et Nasra, vous avez probablement quelque chose à ajouter.

Mme Hawa Mire : Offrez à plus de jeunes femmes un rôle important dans la prestation de ces services. C'est l'une des meilleures façons de régler le problème, puisque, souvent, les jeunes ne sont pas très à l'aise à parler aux gens qui fournissent les services. Si l'on forme quelqu'un d'un peu plus jeune, il sera peut-être possible de faire passer un peu mieux le message.

Le sénateur Nancy Ruth : Il y a d'autres commissaires au sein de la structure fédérale, comme le commissaire à la protection de la vie privée, et on a entendu toutes sortes de commentaires au fil des ans sur le fait que certains de ces commissaires ne sont pas aussi efficaces que la population l'espérait. Certaines personnes disent qu'en mettant sur pied ces structures parallèles que sont les commissions, ce qu'on fait, en réalité, c'est qu'on retire le pouvoir du Parlement ou qu'on ne force pas le Parlement à faire le travail qu'il devrait faire. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet, et auriez-vous d'autres suggestions si l'on devait avoir recours à un autre moyen qu'à une commission?

Mme Cameron : Excusez-moi, mais à quelle commissaire faites-vous référence exactement?

Le sénateur Nancy Ruth : À un commissaire à l'enfance.

La présidente : Il existe certaines capacités à l'échelle provinciale dans l'ensemble du Canada. On les appelle soit défenseurs des enfants ou commissaires à l'enfance. Dans notre rapport provisoire, nous recommandions la nomination d'un commissaire à l'enfance au gouvernement fédéral. Nous cherchons à recueillir des avis sur le fait que cette capacité à l'échelle fédérale soit utile ou non, et, si elle est utile, ce que devrait faire le commissaire ou le bureau.

Le sénateur Nancy Ruth : Ou encore une meilleure idée.

Mme Cameron : Je n'ai pas nécessairement d'opinion sur la structure gouvernementale et la nomination d'un commissaire. En Colombie-Britannique, lorsque de l'argent arrive du fédéral pour les programmes provinciaux réservés aux filles, nous souhaiterions que cet argent aille aux programmes en question. Il arrive très souvent que l'argent aboutisse dans les coffres du gouvernement. Nous souhaiterions que le gouvernement fédéral précise où l'argent doit aboutir et qu'il ne laisse pas le gouvernement provincial dépenser l'argent sans penser aux questions liées au sexe.

Je dirais que, en ce qui concerne bon nombre de droits socio-économiques, nous aimerions voir la même chose, c'est- à-dire voir le gouvernement fédéral affecter les fonds à des choses comme l'aide au revenu pour les filles, au logement pour les filles, aux groupes de jeunes réservés aux filles et aux programmes scolaires pour les filles et nous aimerions que l'argent soit dirigé et qu'une responsabilité soit attachée.

La présidente : De toute évidence, vous avez réfléchi à cette question. Lorsque les compressions budgétaires sont survenues dans les années 1990, et j'utilise cette époque comme une sorte de marqueur, le gouvernement fédéral a mis fin à l'utilisation de la méthode traditionnelle à laquelle il avait recours pour verser de l'argent aux provinces. Les provinces ont réagi en disant qu'elles avaient besoin de cet argent, mais elles ont aussi mis de l'avant leurs droits. Êtes- vous en train de dire que l'argent provenant du gouvernement fédéral devrait être affecté à des fins particulières?

Mme Cameron : Honnêtement, je doute que les provinces et les territoires appuieraient ma position. Si vous jetez un coup d'œil du côté de la santé, par exemple, nous avions un mécanisme qui faisait que l'argent provenant du gouvernement fédéral était distribué selon les fins particulières auxquelles il était affecté, et nous avons perdu ce mécanisme. Oui, j'aimerais, surtout en ce qui concerne les questions liées aux droits socio-économiques, que l'argent soit affecté à des fins particulières par le gouvernement fédéral, pour faire en sorte que les gouvernements provinciaux offrent les mêmes services essentiels aux filles de Terre-Neuve, de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci beaucoup. Vos idées sont très bien accueillies. Vous avez parlé de racisme, et je souhaiterais donc connaître votre opinion sur la formation psychosociale des personnes en situation d'autorité qui ont à traiter avec des jeunes femmes de toutes les races.

Mme Cameron : Peut-être que ce que je devrais faire, c'est répondre en citant les propos des filles qui ont participé à l'étude, et qui ont mentionné de qui elles souhaitaient recevoir des services. Dans le cas, par exemple, du Girlz Group, qui est un groupe de filles autochtones du centre-ville, elles ont dit qu'elles n'avaient pas accès aux services communautaires et qu'elles n'avaient pas accès aux services offerts dans leurs écoles parce qu'elles n'avaient rien à voir avec les gens qui sont chargés de fournir ces services. Elles n'arrivaient pas à se situer par rapport aux gens chargés de fournir les services, sur les plans socio-économique, de l'expérience de vie, de la culture, de l'ethnie et de la race. Je pense qu'il est évident qu'il y a des personnes non autochtones qui sont intéressées à fournir ces services, sont heureuses de le faire et de suivre une formation psychosociale, mais je pense qu'il est aussi important de réaliser un mélange, de façon à ce qu'il y ait du personnel, du personnel de soutien et des fournisseurs de services qui sont Autochtones et qui partagent certaines expériences de vie avec les filles. Je crois qu'il se dégage clairement de ces quatre projets, les gais et les lesbiennes du Nouveau-Brunswick, les filles autochtones des provinces des Prairies et le Girlz Group, que tous souhaitent avoir accès à des services pour lesquels les fournisseurs sont de leur race, de leur ethnie et parlent leur langue. On doit créer le bon mélange de fournisseurs de services, de façon que les filles puissent parler à quelqu'un qui partage certaines de leurs expériences de vie.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Vous avez parlé des enfants exploités sexuellement, et des victimes d'agression sexuelle. Croyez-vous qu'il devrait y avoir des lois plus sévères concernant les délinquants sexuels?

Mme Cameron : C'est une question difficile. Je préfère peut-être retourner la question et l'envisager du point de vue des filles et des services dont elles ont besoin. Je crois que vous obtiendriez toutes sortes de réponses différentes de la part de ces filles au sujet de leur désir de voir incarcérer leurs agresseurs et les hommes qui les exploitent sexuellement. Je suis sûr que certaines des filles aimeraient les voir suivre un traitement, d'autres aimeraient les voir emprisonner. Je dirais que ma priorité serait ce dont nous avons besoin pour aider ces filles à échapper à la violence, par l'intermédiaire de services de logement, d'alimentation et de soins des enfants adéquats.

Mme Czapska : Il m'est venu une idée au sujet de la formation psychosociale, et je pense que c'est une idée parmi tant d'autres, mais que, au bout du compte, les gens doivent être responsables des actes qu'ils posent. La police doit rendre des comptes à quelqu'un, n'est-ce pas? Les policiers ne traitent pas les jeunes femmes appartenant à des minorités visibles et les jeunes femmes pauvres très bien. Ici, en Colombie-Britannique, c'est la police qui a enquêté lorsqu'on a accusé la police. Nous devrions faire en sorte que les enquêtes au sujet de la police soient indépendantes des services de police. Nous avons besoin de mécanismes pour régler les problèmes de racisme et de violence qui touchent les sans-abri. Il s'agit plutôt de rendre des comptes, de faire en sorte que les gens soient réellement responsables envers quelqu'un à qui ils font du mal, n'est-ce pas? Je crois que cela pourrait peut-être changer davantage les jeunes que la formation psychosociale. Oui. Je crois que les gens continuent d'opprimer les autres si on ne les oblige pas à rendre des comptes.

Pendant des années, nous avons vu défiler des cas d'exploitation sexuelle devant les tribunaux de la Colombie- Britannique, et nous nous sommes rendus ailleurs en Colombie-Britannique que dans le Lower Mainland, et les peines étaient tellement insignifiantes que vous auriez cru rêver. Je me souviens d'un cas où un homme a eu une peine de trois mois d'assignation à résidence. Il était épicier dans une petite ville. Il travaillait en face d'une école primaire, et il a pu continuer d'aller travailler. Il a commis des actes de violence grave à l'égard de nombreuses filles de cette collectivité. Les peines pour exploitation sexuelle sont légères.

Le sénateur Poy : Je tiens à vous remercier toutes les quatre d'avoir pris la parole et de nous avoir dit ce que vous nous avez dit ce matin, parce que, grâce à cela, nous avons une idée beaucoup plus précise de ce qui se passe ici. J'ai écouté, et je crois qu'il s'agit d'un reflet de notre société. Oui, les femmes ont pris la parole, mais pas tant que ça. Du point de vue de l'égalité, c'est quelque chose que je ressens chaque jour, vous savez, en tant que femme et que membre d'une minorité visible. Une femme — en fait, lorsque je rédigeais une thèse de doctorat — m'a dit qu'elle était doublement en danger, puisqu'elle était une femme et membre d'une minorité visible, alors je vois ce qui se passe.

Madame Cameron, vous avez dit que lorsque vous présentez une demande de financement, vous utilisez un ton neutre sur le plan du sexe, parce que si vous demandez de l'argent spécifiquement pour les femmes, vous ne l'obtiendrez probablement pas. C'est un très dur et long combat de faire en sorte que notre société prenne conscience du fait que nous avons besoin d'installations spéciales. Vous quatre l'avez fait ressortir très clairement. Il doit y avoir des programmes réservés aux femmes parce que les femmes sont plus souvent victimes de violence que les garçons. J'aimerais que vous formuliez des commentaires sur ce que nous pouvons faire pour améliorer la société telle que nous la connaissons à l'heure actuelle.

Mme Hawa Mire : Je crois avoir dit plus, plus, plus. Évidemment, en regardant les choses de ce point de vue, je m'attends à des changements de l'ordre du miracle, qui ne se produiront pas avant un certain nombre d'années.

Le sénateur Poy : Soit dit en passant, nous aimons tous les miracles.

Mme Hawa Mire : Ce que nous devons faire, c'est nous placer de façon que le centre FREDA puisse présenter des demandes concernant des espaces réservés aux filles, et qu'on puisse nous donner de l'argent pour la création de ces espaces réservés aux filles. Je peux le faire en faisant la tournée des écoles et en organisant des ateliers pour les jeunes filles. Je peux leur demander ce qu'elles veulent, mais cela ne servira à rien si personne ne m'écoute. Nous avons besoin d'être entendus. L'appareil bureaucratique n'est pas accessible aux jeunes, pas accessible aux jeunes femmes. Je peux me présenter dans une salle et dire tout ce que j'ai dit, mais on m'ignore facilement. Nous avons besoin d'accessibilité, d'accessibilité à la langue et aux installations.

Mme Nasra Mire : J'ai le sentiment que le fait d'être une femme est un obstacle important. Encore une fois, je pense que le fait d'investir de l'argent dans les groupes et d'être capable de créer des espaces ouverts pour les jeunes filles, et de faire savoir aux filles que ces espaces existent est très important. Je pense que les filles ne savent pas ce qui leur est offert. Les espaces offerts présentent des obstacles pour nos filles, quant à l'âge et à la race. Il n'y a pas assez de groupes de minorités visibles, et je pense que le fait de les rendre accessibles aux filles, qui pourront établir des liens avec d'autres membres des minorités visibles peut définitivement faire bouger les choses.

Mme Hawa Mire : L'animatrice de notre groupe Go-Girls est membre d'une minorité visible. C'est l'une des raisons pour lesquelles je suis en mesure de me situer par rapport à ce qu'elle dit. Elle est membre d'une minorité visible et elle peut comprendre ce que j'ai vécu. Je ne crois pas que j'aurais continué de faire partie du groupe si elle n'avait pas pu s'identifier à moi en ce qui concerne les problèmes de racisme et de sexisme que je connais. Il faut que ce soit quelqu'un qui puisse prendre le temps de comprendre où je me situe.

Le sénateur Poy : Pensez-vous que, s'il y avait plus de femmes parmi les élus, au Parlement, à tous les niveaux, nous serions en mesure de faire avancer cette cause? J'ai toujours pensé que nous avions besoin d'une masse critique importante. Nous avons besoin de plus de 50 p. 100 de femmes au sein de nos gouvernements, et les choses vont être difficiles jusqu'à ce que cela se produise. J'aimerais entendre vos commentaires.

Mme Nasra Mire : Je crois que c'est une bonne idée parce qu'il est important d'avoir quelqu'un vers qui se tourner. Bon nombre de jeunes gens veulent devenir sénateurs, devenir le directeur d'une entreprise et encourager les femmes à faire bouger les choses. J'ai le sentiment que cela rabaisse les femmes et que nous avons l'impression que nous ne sommes pas capables de faire ce que les hommes peuvent faire, et donc, je pense qu'il s'agit certainement d'une idée extraordinaire.

Mme Hawa Mire : Je crois qu'il faut aussi jeter un coup d'œil du côté de l'intersectionnalité, parce que, même si le Parlement est composé à 100 p. 100 de femmes, si aucune d'entre elles ne me ressemble, je ne serai pas en mesure d'établir des liens avec elles et cela ne m'apportera rien. Ce sera pareil à ce que l'on vit avec les hommes.

Par ailleurs, je l'ai dit de nombreuses fois, il faut commencer à prendre les jeunes femmes au sérieux aussi. J'ai assisté à une conférence l'année dernière à Ottawa, organisée pour les « ad hoc-ers ». J'ai demandé au groupe d'experts et aux 200 personnes qui étaient là ce que je pouvais faire pour m'assurer que les jeunes femmes participent à la vie politique et arrivent à ce niveau. La femme qui était assise là-haut a balayé mon intervention du revers de la main. Elle a dit quelque chose comme : « Vous êtes ici, c'est déjà suffisant. » Ils m'ont interrompue, ils ont pris une pause pour les caméras et elle n'a pas répondu à ma question. C'était frustrant, parce que j'avais posé une question, et personne ne voulait me donner une vraie réponse. Ils ne pouvaient même pas m'accorder 20 minutes. Si nous posons une question au sujet des politiques, quelque chose qui nous touche directement, les gens ne veulent pas en parler avec nous. C'est une question valable, comment dois-je faire pour me trouver dans votre situation, et elle n'a pas voulu y répondre. Comment régler ce problème? Comment faire en sorte que les gens vous répondent? Je pense que nous devons davantage discuter librement. Il vient un moment où il faut sortir la discussion du contexte officiel, n'est-ce pas?

Mme Cameron : Je souhaite ajouter, bien entendu, que je voterais pour Hawa ou Nasra si elles se présentaient comme première ministre. Je voterais pour l'une ou l'autre de ces femmes si elles souhaitaient devenir première ministre, puisque nous parlons de miracles et d'aspirations. Je souhaite aussi ajouter que les élus, plus d'élus, c'est fantastique, mais je pense aussi qu'il ne s'agit que d'une partie de la solution. Qu'il y ait 52 p. 100 de femmes au Parlement, si les taux d'agression sexuelle chez les femmes et les filles continuent d'être élevés, que l'exploitation sexuelle des filles existe toujours, que les filles vivent dans la pauvreté, vous savez, il s'agit d'un pas dans la bonne direction, mais cela fait partie d'une solution plus vaste.

Le sénateur Poy : Oui. Merci.

Mme Nasra Mire : Je voulais dire, avant que nous en venions aux politiques et à ce niveau élevé, qu'il est difficile pour nous, membres des minorités visibles et personnes, d'obtenir un emploi à temps partiel, même un emploi à 8 $ l'heure. Je crois que nous devrions envisager cet aspect des choses et dire que même lorsque nous présentons une demande d'emploi dans un restaurant, on nous regarde de haut. C'est difficile. Nous devons faire nos preuves. Il est toujours question de faire nos preuves, et nous devrions peut-être y réfléchir avant d'aborder les questions plus générales.

Le sénateur Nancy Ruth : Si, dans notre rapport, nous tentons d'adopter une approche sexospécifique des questions touchant les enfants, quels sont les mots que nous devons utiliser pour aborder les questions, que vous avez soulevées, du racisme, de la pauvreté ou de l'intersectionnalité; quels sont les mots qui existent pour exprimer ces réalités?

Mme Cameron : Il y a beaucoup de mots dans le rapport du centre FREDA, qui est un bon point de départ. Parlez des filles et des femmes, utilisez ces mots; mettez spécifiquement en lumière les statistiques qui diront aux Canadiens, aux sénateurs et aux députés que les filles sont victimes de violence de façon disproportionnée, et comparez ces statistiques à celles concernant les garçons et les hommes.

Mme Hawa Mire : Puis-je vous poser une question? Qu'est-ce qui pourrait faire en sorte que vous souhaitiez vous engager à notre niveau? Que faudrait-il pour que vous vous intéressiez davantage à ce que nous faisons au quotidien?

La présidente : Je crois qu'il s'agit d'une question personnelle, alors peut-être les sénateurs devraient-ils y penser et y réfléchir. Je crois que c'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Il s'agit d'une lutte dont l'objectif est de faire en sorte que les questions qui vous touchent soient débattues au Parlement. Je crois que nous sommes en train de franchir la première étape, mais nous tentons de déterminer comment parler en votre nom, et non à votre place, si vous voyez ce que je veux dire. Nous souhaitons vraiment entendre et écouter ce que vous avez à dire et tenter de le redire dans nos mots. J'espère que vous serez à même de constater dans notre produit final certaines des luttes que nous avons menées et certains de nos souhaits.

Chacun d'entre nous sommes devenus sénateurs par nomination, et cela fait partie de nos problèmes de législateurs, mais c'est aussi une part du pouvoir du Sénat. Nous avons une plus grande liberté, nous représentons des couches plus diversifiées de la société, je crois, que la Chambre des communes, parce qu'on nous a choisis d'une autre manière, ce qui fait que nous sommes passablement différents de la Chambre. J'espère que tout cela veut dire quelque chose. Nous avons choisi la Convention relative aux droits de l'enfant. L'un des éléments les plus forts de ce texte concerne le fait d'écouter la voix des enfants. Les femmes luttent pour être entendues comme les enfants. Aujourd'hui, nous parlons de la voix des jeunes, et cetera. C'est vous qui jugerez si nous avons fait du bon travail ou non, mais j'espère que notre rapport et notre approche répondront à votre question.

Je crois que je vous ai bien compris au sujet de la sexospécificité et des autres questions, mais la déclaration universelle des droits de la personne est en fait formulée d'une autre manière : n'abandonner personne. Vos alliés sont partout, et le message doit donc être répété encore et encore. Les porte-parole peuvent être de la même couleur, du même sexe ou de la même race que vous, et ils peuvent ne pas l'être, alors ce que nous tentons de faire est de toucher tout le monde et de modifier la dynamique de nos relations.

Nous avons compris le message quand vous nous avez dit que des programmes sexospécifiques sont très importants à votre niveau, qu'ils concernent l'emploi, le logement ou le racisme. Cependant, si nous ne contrecarrons pas certains des processus partout au Canada et chez les deux sexes, nous ne réussirons pas. Nous sommes à la recherche du meilleur moyen de faire passer votre message. Je crois que vous verrez une partie de cela là-dedans. Cela sera, à mon avis, le plus grand miracle, pour en revenir à cette histoire de miracle.

Je tiens à vous remercier toutes d'être venues ici et de nous avoir fourni un témoignage d'un point de vue certainement différent de ce que nous avons entendu à l'occasion d'autres audiences et de la part de nos autres groupes de témoins. Vous nous avez offert un point de vue différent. À nos yeux, vous êtes toutes très jeunes, soit dit en passant. Certaines d'entre vous avez moins de 18 ans, d'autres sont un peu plus âgées, et il y en a qui ont quelques années de plus, mais nous avons entendu des voix plutôt jeunes. Nous avons besoin d'entendre ces voix plus souvent et d'être plus honnêtes quant aux souhaits et aspirations des conventions. J'espère que vous retrouverez certaines des choses que vous avez dites dans notre rapport. Merci d'être venues.

Le comité suspend ses travaux.


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