Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 9 - Témoignages - Réunion du jeudi 21 septembre - Séance de l'après-midi
VANCOUVER, le jeudi 21 septembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 13 h 16 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nos premiers témoins cet après-midi sont Victor Porter de MOSAIC, et sœur Deborah Isaacs du Separated Children Intervention and Orientation Network — voilà un nom qui est long.
Sœur Deborah Isaacs, représentante, Separated Children Intervention and Orientation Network : Nous avons tendance à appeler l'organisation SCION, qui veut dire « jeunes descendants » en anglais.
Madame la présidente, mesdames et messieurs membres du Sénat, le projet SCION est heureux d'être invité à vous présenter un mémoire sur certains des dossiers où, à son avis, le Canada ne respecte pas les obligations que lui confère la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant, ou CRE. Comme le projet est conçu à l'intention des enfants séparés de leur famille, notre travail touche d'abord et avant tout des enfants qui sont réfugiés ou victimes de la traite des humains, et c'est en m'appuyant sur ce point de vue que je vais vous présenter mon exposé. Je suis d'accord avec les observations formulées dans votre rapport intérimaire, intitulé Qui dirige, ici? quant aux lacunes de la méthode qu'emploie le Canada pour mettre en œuvre la Convention et à la nécessité d'adopter des dispositions législatives pour que la CDE ait force de loi au pays. De nombreux témoins ont déjà souligné pourquoi cela a de l'importance du point de vue juridique; je ne vais pas répéter les arguments utilisés, mais j'ajouterai, pour compléter, des exemples de lois et de politiques canadiennes qui ne répondent pas aux obligations en question, même si l'on prétend qu'elles seront conformes à la Convention.
Pour respecter mon objectif à cet égard, je vais traiter de cinq questions : la pauvreté et la discrimination; l'intérêt supérieur de l'enfant; la réunion des enfants et de la famille dont ils ont été séparés; la séparation d'un enfant d'avec un parent; et la politique nationale touchant les enfants séparés de leur famille. L'autre grand dossier où le Canada ne s'acquitte pas de ses obligations, à mon avis — celui des enfants réfugiés et immigrants, le critère étant celui de la réunion de la famille — sera abordé par un autre témoin.
L'article 2 de la Convention précise que les États parties s'engagent à respecter les droits énoncés dans la Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction sans distinction aucune, notamment la situation du parent. L'article 18 prévoit des services de garde à l'intention des enfants dont les parents travaillent. Les articles 26 et 27 traitent du droit à la sécurité sociale et du droit qu'a l'enfant à un niveau de vie conforme aux conditions nationales. Néanmoins, nous constatons que le crédit d'impôt pour les enfants est refusé dans le cas des enfants de demandeurs d'asile et de personnes sans statut.
Or, ces enfants sont souvent les plus pauvres de tous; parfois même, ils sont nés au Canada. Autrement dit, ce sont des citoyens canadiens. Non seulement ils sont pauvres, mais en plus, le plus souvent, ils n'ont pas droit à des services de garde ou à un logement subventionnés, et leurs parents éprouvent de la difficulté à trouver un travail adéquat, en raison de leur situation. C'est une forme de discrimination fondée sur la situation des parents. De fait, il y a deux catégories d'enfants canadiens.
L'article 3 prévoit que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. Cependant, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés précise que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être pris en considération dans les cas où le demandeur peut être admis pour des raisons humanitaires. Tout de même, cela ne s'applique pas aux autres demandes et aux autres cas, et même là où des motifs humanitaires sont en cause, l'intérêt de l'enfant n'est pas tenu pour une considération primaire. Dans son dernier rapport, le comité a affirmé qu'il reste encore à définir et à énoncer rigoureusement dans certaines lois le principe selon lequel c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui est tenu pour une considération primordiale.
Comme il faut parfois des années pour traiter une demande comportant des considérations humanitaires, il arrive souvent que la question de l'intérêt supérieur de l'enfant ne soit jamais même étudiée avant que soient prises des mesures draconiennes, par exemple l'expulsion du pays. De même, les autorités ne tiennent pas compte de l'intérieur supérieur de l'enfant quand elles appliquent la mesure draconienne prévue à l'alinéa 117(9)d) de la LIPR; cela équivaut à punir les enfants pour les erreurs commises par leurs parents.
L'enfant qui est séparé de sa famille et qui est accepté comme réfugié au Canada ne peut présenter une demande de réunion de la famille, même si l'article 10 précise que toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Pour expliquer pourquoi il n'autorise pas ce type de demande, le Canada déclare craindre que les parents envoient leurs enfants ici pour mettre le pied dans la porte, pour ainsi dire. Ainsi, ils pourront suivre. Cependant, cela n'a aucun sens. Si un enfant est accepté comme réfugié, cela veut dire qu'il est justifié qu'il vienne ici. Si ce n'était que pour mettre le pied dans la porte, il ne serait jamais accepté. Condamner un enfant à être séparé à jamais de sa famille constitue un traitement cruel et inusité qui ne respecte ni les droits de l'enfant, ni nos obligations sous le régime de la Convention. Comment pouvons-nous affirmer que nos lois ici sont conformes?
L'article 9 précise que l'enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de contrôle judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Au Canada, il arrive souvent qu'une expulsion ait pour effet de séparer un enfant d'un parent. Les procédures d'expulsion peuvent se tenir sans que quiconque envisage même la question de l'intérêt supérieur de l'enfant, comme nous l'avons déjà mentionné. Par ailleurs, il se peut que les autorités prennent cela en considération; parfois, elles le font en refusant sous prétexte que la séparation n'est pas considérée comme une difficulté indue. Les autorités affirment que la personne devrait être expulsée, puis présenter une demande d'immigration à l'étranger. Cependant, personne ne cherche jamais à savoir vraiment ce qui se passera : la demande sera-t-elle acceptée ou sera-t-elle acceptée dans un délai raisonnable, étant donné les dispositions législatives et les délais de traitement de l'immigration canadienne?
J'ai entendu parler d'un cas de divorce où la garde a été accordée à la mère, qui n'est pas canadienne. Toutefois, le tribunal de la famille a aussi ordonné que l'enfant ne soit pas expulsé de la province, car le père est canadien. Néanmoins, la mère est frappée d'une mesure d'expulsion. À ce moment-là, la Cour fédérale détermine que là où il y a une garde, cela ne veut pas forcément dire que l'enfant doit habiter avec la mère, et que la mère doit présenter une demande d'immigration depuis l'étranger. Comme elle a à travailler et à faire vivre son enfant, la mère n'accumule jamais assez de points pour venir au Canada à titre d'immigrante indépendante, de sorte que l'enfant ne la verra peut- être plus jamais.
À l'article 46 de ses observations finales sur la situation au Canada (2003), le Comité des droits de l'enfant disait s'inquiéter particulièrement de l'absence d'une politique nationale concernant les enfants demandeurs d'asile qui sont soit seuls, soit séparés de leur famille. En 2001, le sénateur Landon Pearson, aux côtés de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada et du Service social international, a organisé à Ottawa une table ronde nationale sur les enfants séparés de leur famille. Une des recommandations issues des travaux de la table ronde consistait à créer un groupe de travail, sous la direction de CIC et faisant appel aux ONG, dont le mandat serait d'établir une politique nationale en la matière. Le groupe de travail a été mis sur pied, mais, en vérité, ses progrès ont été insignifiants. Plusieurs personnes se sont relayées pour représenter CIC — Immigration Canada —, dont certaines connaissaient très peu de choses au problème; la dernière a pris sa retraite au printemps. En tant que membre du groupe des ONG, permettez-moi de vous dire que cela me frustre au plus haut point. Sans loi pour mettre en œuvre le CDE, nous ne disposons d'aucune façon de faire progresser la question, sinon la défense des droits, qui ne donne aucun résultat en ce moment.
Nous, les ONG, aimerions que soit tenue une autre table ronde nationale pour regarder ce qui a été accompli — ou pas — depuis la dernière table ronde, et pour se pencher à nouveau sur le problème. Dans quelques années, nous comparaîtrons à nouveau devant le Comité des droits de l'enfant et, pour évoquer leurs observations de 2003, rien n'aura changé.
Victor Porter, gestionnaire des relations avec la communauté, MOSAIC : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je m'appelle Victor Porter. Je travaille pour MOSAIC, organisation installée ici même à Vancouver. Quand j'ai révélé à mes amis et collègues que j'allais comparaître devant votre comité, certains ont proposé que je lise mon exposé. D'autres ont dit plutôt : « Non, parle-leur. » Mesdames et messieurs, je vous offrirai ce qu'il y a de mieux de part et d'autre : je lirai certains segments, puis je vous parlerai.
Avant de commencer, je tiens à vous remercier du temps que vous m'accordez et, aussi, de l'aide du personnel très compétent que vous avez mis à votre disposition, qui a fait des aménagements pour nous et tenu compte de l'horaire de fou que je tiens, pour que je puisse venir vous présenter un exposé.
Comme je l'ai dit, je travaille pour MOSAIC. MOSAIC vient en aide aux réfugiés et immigrants nouvellement arrivés au pays, par un ensemble de programmes et de services, dont des services d'aide à l'emploi, un soutien familial, des services d'information bénévoles, des services d'interprétation et de traduction. MOSAIC compte 130 employés, 300 bénévoles et près de 250 traducteurs et interprètes indépendants, dûment formés. Notre connaissance intime de la question de la réunion des familles s'explique par le fait que nous ayons à notre disposition 11 conseillers bilingues qui, entre eux, parlent au total 24 langues. Ils consacrent l'essentiel de leurs efforts au projet financé par la Foundation of British Columbia. Je suis aussi membre du comité exécutif du Conseil canadien pour les réfugiés. C'est un conseil qui est situé à Montréal, et si jamais vous vous retrouvez à Montréal pour délibérer, je vous invite à communiquer avec Mme Janet Dench, notre directrice générale.
Au sujet de notre mémoire, en tant que membre du Conseil canadien pour les réfugiés, nous appuyons les idées de l'organisation-mère dans son ensemble. Je vais commencer par lire un passage des conclusions de juin 1995 du Comité des droits de l'enfant. L'article 562 se lit comme suit :
Le comité salue les efforts que fait depuis de nombreuses années le Canada qui accueille un nombre important de réfugiés et d'immigrants. Toutefois, il regrette que les principes de la non-discrimination, de l'intérêt supérieur de l'enfant et du respect des opinions de l'enfant n'aient pas toujours été pris en considération de façon entièrement satisfaisante par les organes administratifs chargés des enfants réfugiés ou immigrants. Le comité est particulièrement préoccupé par le fait que des fonctionnaires des services d'immigration ont recours à des mesures de privation de liberté à l'encontre d'enfants, pour des raisons de sécurité ou à d'autres fins, et par l'insuffisance des mesures prises pour que les demandes de réunification familiale soient traitées de façon favorable avec humanité et diligence. Il regrette particulièrement la longueur des formalités nécessaires pour obtenir la réunification familiale lorsqu'un ou plusieurs membres d'une famille ont obtenu le statut de réfugiés au Canada et lorsque des enfants réfugiés ou immigrants nés au Canada risquent d'être séparés de leurs parents, si ces derniers font l'objet d'un arrêté d'expulsion.
S'il y a un point que je souhaite faire valoir, c'est le fait que la Convention vise à faire en sorte que les gouvernements aident à réunir plus rapidement enfants et familles. Cela ne se fait pas. Je voudrais vous faire part du récit d'une personne proche de notre organisme, qui s'est rendue au Congo une fois qu'elle a su qu'elle y avait trois neveux devenus orphelins. Il est allé au Congo à ses risques et périls, a retrouvé les enfants, de jeunes adolescents, les a amenés dans un lieu sûr, et, est revenu au Canada et a entamé les procédures pour les faire immigrer en bonne et due forme. Un certain temps s'est écoulé; il s'est plié scrupuleusement à toutes les exigences. La situation dans la région où habitaient les enfants devenait de plus en plus dangereuse. Il les a déplacés encore une fois, cette fois en Côte d'Ivoire, où la communauté de Sœur Deborah, les Sœurs du Bon-Pasteur, leur a fourni un refuge et a veillé à leur sécurité. Puis, il y a eu crise en République de Côte d'Ivoire, crise où les étrangers étaient ciblés dans la rue. La sécurité des enfants était donc compromise encore une fois.
Cette famille a vécu une sorte de cauchemar bureaucratique : leurs visas étaient prêts, mais le temps que les enfants sachent que leur visa était prêt, la période de validité de leurs examens médicaux s'était écoulée, si bien qu'ils ont dû retourner subir les examens médicaux à nouveau. Ensuite, le temps que les examens médicaux se fassent, ce sont les visas dont le délai était expiré.
Je vois bien votre réaction, mais les cas du genre ne nous surprennent plus : ce n'est pas un phénomène isolé. Cela arrive périodiquement dans les cas de réunion des familles.
Enfin, par chance, les enfants étaient prêts à être transportés au Canada, mais il fallait prendre leur photo. À leurs risques et péril, ils sont allés se faire photographier, ont apporté les photos à la délégation canadienne et, trois semaines plus tard, on les a rappelés. Les photographies n'étaient pas conformes : le fond était bleu; et il fallait un fond blanc.
Je prends l'exemple pour montrer que l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas présent dans l'esprit des gens qui sont chargés des cas en question. Comme je l'ai dit, ce n'est pas un cas isolé. C'est le genre de choses que nous voyons constamment.
Cela dit, je ne veux pas pointer du doigt les agents d'immigration. Ils sont là sur le terrain; ils manquent toujours de personnel; ils disposent d'un budget limité et doivent composer déjà avec un arriéré. Quel que soit le moment d'arriver à destination, il y a arriéré. Ils — nos agents d'immigration, ont fait un boulot extraordinaire pour sortir d'un mauvais pas des enfants ou des gens qui sont à risque, mais, comme je l'ai dit, ce sont des cas extraordinaires. Le reste du temps, la démarche est lente, lourde, et elle met les enfants en péril.
Même là où les enfants ne se trouvent pas en péril, ils seront quand même séparés de leur famille pendant des années, et ce sont des années qui laissent leur marque sur un enfant, sur la famille et, en dernière analyse, sur nous tous. Le reste de la société canadienne devra composer avec le tort fait à ces enfants.
Mon temps est écoulé, mais je dois dire que ce sont des problèmes qu'on peut régler. Il n'est pas nécessaire de modifier la loi; il suffit de modifier le règlement pour permettre que les enfants en question soient réunis avec leurs parents ou leur famille au Canada et que leurs dossiers soient traités ici même, un peu comme on le fait dans le cas des conjoints. Grâce à une modification du règlement, la demande du conjoint peut maintenant être traitée au Canada, pour que la situation soit réglée.
La présidente : Vous dites qu'il faut modifier le règlement. Je croyais savoir que le règlement accordait au ministre un pouvoir discrétionnaire, mais vous me dites qu'il faudrait, de fait, modifier le règlement? Permettez-moi de vous rappeler que la Loi sur l'immigration a été modifiée il y a trois ans et que le législateur a accordé au ministre des pouvoirs qui me paraissent trop grands, par règlement; ce sont des pouvoirs qui, de tradition, se trouvaient dans la loi elle-même.
Cependant, je croyais savoir que les autorités pouvaient agir. Elles auraient simplement à déposer le dossier. Je ne croyais pas qu'il fallait modifier le règlement en tant que tel. À votre avis, il faut modifier le règlement?
M. Porter : Je crois savoir qu'il n'y a pas lieu de modifier la loi; il faut modifier les directives, de fait.
La présidente : Oui.
M. Porter : Une modification des directives, pardon, pour accélérer la réunion des familles.
La présidente : Je voulais dire que c'est même plus simple qu'une modification du règlement.
M. Porter : Oui. Tout ce qu'il faut, c'est d'avoir la volonté politique de le faire et mettre au cœur de la démarche l'intérêt supérieur de l'enfant.
La présidente : Sœur Isaacs, vous avez abordé plusieurs des questions que nous avons étudiées. Pouvez-vous nous dire auprès de quel genre d'enfants vous travaillez? Pouvez-vous expliquer un peu ce qu'est votre organisation et comment vous en êtes venue à travailler auprès de ces enfants?
Sœur Isaacs : Les enfants séparés de leur famille sont des enfants qui se trouvent en dehors de leur pays d'origine, en l'absence de la ou des personnes qui en en ont la garde juridiquement ou de tradition. Ce sont des enfants qui ont moins de 18 ans, selon la Convention, qui arrivent au Canada disons... Parfois, nous avons affaire à des enfants séparés de leur famille ailleurs et qui ont un membre de la famille ici au Canada. Il s'agit ici des enfants qui arrivent comme réfugiés ou comme demandeurs d'asile, des victimes de la traite des enfants ou de migrants. Nous ne recevons pas encore un grand nombre de migrants au Canada, mais nous recevons des victimes de la traite des humains, et nous recevons bien des réfugiés — les deux présentent ici des demandes.
Nous avons adopté un moratoire sur les enfants réfugiés séparés de leur famille, qui arrivent au Canada aux fins du réétablissement, mais nous venons d'adopter certains protocoles concernant la tutelle, notamment. Je ne sais si ces nouveaux protocoles ont été appliqués à quelqu'un jusqu'à maintenant. Ce sont ces enfants qui viennent au Canada.
Ici, en Colombie-Britannique, nous avons le ministère des Enfants et de la Famille, qui est doté d'une équipe spéciale qui prend en charge les enfants « non accompagnés ». Cela qualifie l'enfant qui n'est pas accompagné d'un adulte. La signification est beaucoup plus étroite que celle du terme « séparé de sa famille ». L'enfant séparé de sa famille peut arriver au Canada en compagnie d'une tante ou d'un cousin éloigné, mais la personne en question n'en a pas la tutelle au sens juridique. D'abord, ici au Canada, il n'y a pas d'obligation que de telles personnes soient les tuteurs juridiquement reconnus des enfants, ce qui leur impose de graves difficultés. À mon avis, cette chose en soi est contraire à la Convention relative aux droits de l'enfant. Autrement dit, personne n'a la responsabilité juridique de ces enfants. La démarche peut se faire, mais ce n'est pas simple, car il n'est pas toujours facile de communiquer avec les parents, s'ils sont en vie, et d'obtenir une preuve qu'ils n'ont peut-être pas. De même, cela coûte très cher et, ici, en Colombie- Britannique, il n'y a pas d'aide juridique offerte aux gens qui entreprennent une telle démarche. Ce qui fait que, la plupart du temps, cela reste lettre morte.
La présidente : Votre mémoire me paraît décrire adéquatement cette situation et le travail que vous faites autrement. Ce que je souhaite vraiment savoir, c'est comment votre organisation entre en scène dans de telles situations?
Sœur Isaacs : Je travaille à MOSAIC, mais je ne travaille pas pour MOSAIC. J'ai accès à ces enfants grâce au personnel de MOSAIC. Également, je travaille avec, je communique avec le ministère. Certains des enfants arrivent directement de la rue. J'ai noué connaissance avec eux par l'entremise d'autres organisations qui sont en contact avec des enfants comme ceux-là, par exemple Covenant House, qui travaille directement dans la rue pour venir en aide aux enfants de la rue. Nous avons organisé ce réseau, le SCION — voici où la question du réseau entre en jeu —... ce réseau d'organisations à la fois gouvernementales et non gouvernementales dont les gens se réunissent assez souvent pour étudier le problème des enfants séparés de leur famille ici en Colombie-Britannique.
La présidente : À ce moment-là, vous travaillez auprès d'eux et vous défendez leur cause, c'est bien ça?
Sœur Isaacs : Je défends leur cause et j'essaie de les aider à régler différentes questions qui peuvent survenir. Je peux vous donner un exemple : nous avons eu affaire à un enfant qui avait été adopté à l'étranger, mais l'adoption n'a pas fonctionné ici, si bien que l'enfant s'est retrouvé dans la rue sans aucun papier d'identité. Il était venu au Canada légalement, il n'y avait pas de problème à ce chapitre, mais il n'avait pas d'identité; il n'avait pas droit au régime d'assurance-santé, ni à rien d'autre. Nous l'avons aidé à obtenir une assurance médicale et nous avons essayé d'obtenir une assistance par l'entremise du ministère, mais étant donné les différentes politiques maintenant appliquées au ministère, les autorités n'étaient pas trop intéressées : c'est qu'il avait plus de 16 ans à ce moment-là. Nous l'avons au moins aidé pour qu'il puisse avoir ses papiers pour travailler, chez McDonald's ou ailleurs, et obtenir des soins de santé s'il en a besoin et d'autres trucs auxquels il a droit aussi.
La présidente : De combien d'enfants parle-t-on? C'est une des questions auxquelles nous sommes confrontés en parcourant le pays. Par exemple, à combien de cas du genre avez-vous affaire durant une année? Certaines personnes nous disent que ces enfants ne sont pas très nombreux, d'autres nous disent qu'il y a des cas cachés. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
Sœur Isaacs : Oui, j'ai déjà entendu dire cela. À certains moments, nous avons eu affaire à un plus grand nombre d'enfants vivant cette situation, par exemple, au moment où les bateaux venus de Chine sont arrivés ici, comme ailleurs. D'autres fois, il y en a moins. Aujourd'hui, il y en a beaucoup moins, car l'Entente sur les tiers pays sûrs a eu pour effet de réduire le nombre de réfugiés qui arrivent au Canada, même si la catégorie des enfants séparés de leur famille figure justement à titre d'exception.
La méthode de calcul pose problème. Les autorités de l'immigration ont décidé de calculer le nombre de demandes d'asile présentées par un mineur seul, les demandes où le demandeur principal était un mineur. Cependant, cela ne tient pas compte du fait que certaines des demandes font intervenir quelques mineurs, ce n'est pas toujours clair. Parfois, surtout dans le cas des enfants séparés de leur famille par rapport aux mineurs non accompagnés, la demande sera établie par le truchement de la famille avec laquelle l'enfant vit. Si, par exemple, l'enfant vit avec un frère aîné ou un oncle, la demande est traitée comme si l'enfant faisait vraiment partie de cette famille, mais il n'est pas le demandeur principal. De fait, parfois, la situation de l'enfant lui-même n'est pas évaluée, même s'il présente des revendications fondées.
La présidente : Relativement à votre projet, pourriez-vous nous donner un chiffre rond, approximatif? Y en a-t-il 10 ou 20 par année? Combien? Juste une approximation.
Sœur Isaacs : Ici même, au Canada, je dirais que j'ai affaire à une dizaine d'enfants par année, même s'il y a d'autres cas que je prends en main, par exemple celui dont je vous ai parlé — les trois enfants qui se trouvaient en Côte d'Ivoire... pour essayer de les faire venir ici. En ce moment, je travaille auprès de deux fillettes d'Éthiopie qui ont déjà été victimes de la traite. Elles ont été envoyées en Arabie Saoudite, puis ont été renvoyées en Éthiopie. Leur sœur aînée se trouve ici au Canada. Une fois de retour en Éthiopie, elles ont vécu au sein d'une famille — avec les violences que l'on a connues en Éthiopie, en décembre, l'homme à la tête du ménage a été tué. À ce moment, les deux filles, accompagnées du fils de la famille en question, se sont enfuies vers le Soudan. Je me demande si elles ne tombent pas de Charybde en Scylla.
La présidente : On dirait presque.
Sœur Isaacs : Oui, c'est tout juste à côté. Elles sont maintenant à Khartoum. Encore une fois, j'ai été chanceuse. Il y a à Khartoum des sœurs membres de ma congrégation; après quelques appels téléphoniques, nous avons réussi à communiquer avec les filles. Elles ont été prises en charge, et on essaie en ce moment d'obtenir pour elles le statut de réfugié au Soudan, pour qu'elles puissent être réétablies ici au Canada, auprès de leur sœur aînée.
La présidente : Un autre problème a été soulevé en rapport avec la traite des humains : c'est que certaines personnes semblent échapper à notre radar, soit celles qui ont entre 16 et 18 ans, des filles en fait. Croyez-vous qu'il y a là un problème? Autrement dit, si une jeune femme arrive au pays et qu'elle a 17 ans, elle n'est pas considérée comme un enfant.
Sœur Isaacs : Ça dépend de la province.
La présidente : Ça dépend de la province? C'est le règlement, l'attitude des autorités, quoi enfin?
Sœur Isaacs : Non, c'est le règlement. Par exemple, en Ontario, il y a le règlement que la province a établi pour les mineurs, où le ministère...
La présidente : Autrement dit, c'est 16 ans?
Sœur Isaacs : Il faut avoir 16 ans pour être admis. Les autorités vont s'occuper d'un enfant qui a plus de 16 ans, mais au moment d'être admis, il faut avoir 16 ans au maximum.
Ici, en Colombie-Britannique, c'est l'inverse : nous les acceptons jusqu'à l'âge de 19 ans, il y a donc des différences d'une province à l'autre. Je ne dirais pas que cela ne touche que les filles, car les garçons aussi sont visés. Ici, en Colombie-Britannique, selon la politique adoptée... il y a les jeunes de 16 à 19 ans qui ne sont pas tout à fait ouverts à l'idée d'être pris en charge, ce qui pose un problème. À ce moment-là, les autorités laissent tomber et feignent de ne pas les connaître. Nous avons bien cette difficulté pour ce qui est de certains des enfants qui ont été l'objet de la traite. Je parle de « traite » ici, parce que les enfants ne peuvent donner leur consentement...
La présidente : Tout à fait.
Sœur Isaacs : ... en vue d'aller vendre de la drogue qui provient du Honduras, par exemple. C'est une situation qui se répète. Les jeunes sont amenés ici, mais ils ont une dette à rembourser pour le transport. Je sais qu'ils font de l'argent; à leurs yeux, c'est beaucoup d'argent, mais si vous me posez la question, je vous dirai qu'ils font l'objet de la traite d'êtres humains, du moins ceux qui ont moins de 18 ans. Quant à ceux qui ont plus de 18 ans, alors il y a matière à débat.
La présidente : Ma dernière question porte sur ce qui se produit quand ils arrivent au pays. Quelqu'un a dit que les enfants peuvent être pris en charge — autrement dit, ils peuvent être privés de leur liberté, par rapport aux adultes, car il serait obligatoire de donner sa liberté à l'adulte. C'est parce que les enfants peuvent alors entrer dans le rayon d'action des Services d'aide à l'enfance ou de quelque organisme. Il n'y a pas d'installations où garder ces enfants, qui ne recevront probablement pas les services de soutien que recevrait un autre enfant pris en charge au Canada et qui a été arrêté pour d'autres raisons... autrement dit, ils n'ont pas accès au counseling, à l'éducation et aux autres services, et certains d'entre eux sont quelque peu traumatisés à leur arrivée au Canada.
Sœur Isaacs : Encore une fois, cela dépend de la province. En raison des bateaux qui sont venus ici en Colombie- Britannique, nous avons mis sur pied une équipe chargée des services aux migrants, au ministère, pour prendre en charge les enfants séparés de leur famille — je devrais peut-être parler de mineurs non accompagnés. Étant donné les mesures prises par le ministère à cet égard, la plupart des enfants dans cette situation ne sont plus détenus en Colombie-Britannique.
Auparavant, toutefois, j'ai été au Québec, et je sais qu'il y a eu des enfants au centre de détention de l'immigration à Laval, là où il n'y pas d'installations conçues pour les enfants. Là, les enfants détenus n'ont pas fréquenté l'école pendant des mois. C'était des Chinois et des Pakistanais. Ils commençaient à être un peu, vous savez...
La présidente : Difficiles.
Sœur Isaacs : Eh bien, ils avaient aussi des problèmes mentaux. Ils étaient traumatisés, et c'était un problème parce qu'à l'époque il y avait au Québec un vide, un vide juridique. Tout enfant séparé de sa famille devenait la responsabilité de SCION, mais aucune tutelle ni aucune mesure protectrice ne s'ensuivait. Tous les enfants ont le droit de fréquenter l'école, mais il n'y avait pas d'écoles dans les centres de détention, et rien n'a été fait pendant des mois pour qu'ils puissent être instruits ni même pour leur apprendre l'anglais. Leur seule activité consistait à écouter la télévision et, comme vous le savez, ce sont des jeunes... leur demander de rester assis toute la journée, ce n'est pas la solution la plus judicieuse. Ils n'avaient personne à qui parler parce qu'ils n'apprenaient pas l'anglais — ni le français, dans le cas du Québec.
Par conséquent, pour ce qui est des autres provinces, il n'y a pas de mesures précises qui aient été adoptées, et la situation varie d'une province à l'autre. En Ontario, comme je l'ai dit, les enfants en question sont considérés comme des enfants jusqu'à l'âge de 16 ans. Après, il leur appartient, à eux seuls, de prendre des décisions et des dispositions, et Covenant House, à Toronto, a fini par accueillir un très grand nombre de ces jeunes. À un moment donné, près de 50 p. 100 des clients étaient des enfants séparés de leur famille. C'était en 2001, époque à laquelle ils nous ont remis leur rapport, mais cela varie d'une année à l'autre.
Le sénateur Nancy Ruth : Tous les deux, vous pourriez peut-être nous dire si vous constatez des différences de traitement entre les garçons et les filles. Bien entendu, vous verrez des différences entre les garçons et les filles, mais dans le cas des enfants auxquels vous avez affaire, y a-t-il des questions qui se posent autrement pour une fille plutôt qu'un garçon et, le cas échéant, qu'en est-il?
Sœur Isaacs : Oui, il y aurait des différences. Une fille est nettement plus vulnérable. Peut-être qu'elle n'a pas fait l'objet de la traite des humains pour être envoyée au Canada, mais une fille de 16 ans qui est laissée à elle même en Ontario, ou peut-être dans un autre pays, pour la première fois dans sa vie, sans surveillance, est nettement plus susceptible d'être sollicitée par des gens qui s'en serviront comme prostituée, qu'un garçon, qui peut aller se trouver un travail quelconque beaucoup plus facilement. C'est ce que je qualifierais essentiellement de différent : le degré de vulnérabilité de la personne. Autrement, non.
M. Porter : J'ajouterais seulement que, dans certaines communautés, dans certaines communautés culturelles, ce qu'on attend d'un jeune homme est différent de ce qu'on attend d'une jeune femme, et la stigmatisation ou les stéréotypes appliqués aux enfants en question ne sont pas du tout les mêmes. Par exemple, dans certaines cultures, le fait qu'un jeune se trouve seul à se défendre, dans le monde, à 15 ou 16 ans, est considéré comme un atout, une preuve de courage, ou d'héroïsme, vous voyez ce que je veux dire... Par contre, quand c'est une jeune femme de 16 ans qui se trouve dans la même situation, la connotation n'est pas la même. Les gens dans certaines communautés y voient une cause perdue. Il y a donc, dirais-je, plusieurs différences, et cela dépend des communautés : le système dans son ensemble, le système d'éducation, le système d'aide à l'enfance. Tout de même, ce sont les attitudes que je peux signaler du côté de la communauté, ou de la perception qu'a la communauté ethnique de tels enfants.
Le sénateur Poy : Sœur Isaacs, pouvez-vous nous dire quelle ampleur a la traite des enfants au Canada? Nous lisons toutes sortes de choses à ce sujet. D'après votre expérience, qu'en est-il des enfants d'Europe, et ainsi de suite?
La présidente : La question porte sur la « traite » des enfants; nous parlions des mineurs non accompagnés, séparément. Tout de même, vous dites, au total?
Le sénateur Poy : Oui, oui.
Sœur Isaacs : Vous parlez des enfants victimes de la traite?
Le sénateur Poy : Oui.
Sœur Isaacs : À mon avis, le problème est beaucoup plus grand que nous le croyons. Il est très facile de cacher un enfant, beaucoup plus facile que de cacher un adulte, même.
Le sénateur Poy : Pourquoi?
Sœur Isaacs : Eh bien, d'abord, il est plus facile de faire venir des enfants ici. Il est plus facile de prétendre que ce sont vos enfants, si vous voulez leur faire passer la frontière, que s'il s'agit d'un adulte. J'ai vu de mes yeux ces enfants qu'on dit victimes de la « traite ». J'ai eu affaire à des situations du genre. Je me souviens d'un cas précis à Montréal : il s'agissait d'un garçon de 13 ans qui était censément le jeune frère de la femme présente. Nous nous trouvions dans un refuge à ce moment-là; dès le départ, sous nos yeux, l'enfant accomplissait toutes les tâches de la famille : il faisait cuire les aliments, faisait la lessive, le nettoyage. Il ne mangeait pas avec le reste de la famille, même s'il était censé être le jeune frère de la femme en question. Bien entendu, nous avons aussi noté qu'il était analphabète, par rapport aux autres enfants de la femme en question, et nous avons immédiatement pris des mesures. Ce n'était pas acceptable. Nous lui avons interdit de faire quoi que ce soit, du moins au refuge. Nous nous adressés aux organismes externes. Nous les avons avertis de la situation, mais ils n'ont pas pris de mesures à ce moment-là. Dès que la famille a quitté le refuge, j'ai soupçonné que l'enfant ne fréquenterait pas l'école, mais nous les avons perdus de vue. Puis, par accident, un an plus tard, je me suis retrouvée à la Commission de l'immigration au moment où cette famille y était. Je n'étais pas là pour cela, mais j'ai pu m'adresser à l'enfant et, comme nous l'avions prédit, il n'allait toujours pas à l'école. Encore une fois, j'ai communiqué avec les autorités en son nom, et j'ai dû faire beaucoup de pression pour qu'elles déclenchent une enquête. Et puis, le temps de le dire, la famille s'était installée dans une autre province.
Le sénateur Poy : Comment avez-vous pu connaître cette famille? Vous l'avez eue sous les yeux, c'est ce que vous dites.
Sœur Isaacs : Par chance, mais je suis convaincue qu'il y en a bien d'autres dans ce cas. Je sais que j'ai entendu des histoires à propos d'autres enfants qui sont amenés dans des familles, prétendument parce qu'ils en font partie ou pour quelque autre raison. De même, j'entends d'autres histoires selon lesquelles, dans certaines communautés, les enfants sont livrés à la traite à des fins d'exploitation sexuelle, mais je n'ai jamais eu affaire directement à un tel cas. J'entends des histoires du genre de la part d'organisations dont le travail touche la prostitution et d'autres sources, des sources différentes, mais nous n'avons jamais pu repérer directement un tel cas. Nous savons quand même qu'il y a des enfants — les enfants du Honduras, par exemple, qui, à une certaine époque, étaient présents en assez grands nombres. D'abord, ils nous disaient leur âge véritable, puis ils découvraient que le ministère pouvait essayer de les prendre en charge, de sorte qu'ils commençaient à mentir à ce sujet. Cependant, il est évident qu'ils n'avaient pas 19 ans.
Le sénateur Poy : Il y a des groupes d'enfants que l'on fait venir. Je crois que vous avez parlé de l'âge... Selon la province où ils se retrouvent, l'âge où ils sont considérés comme des enfants est différent, n'est-ce pas?
Sœur Isaacs : Oui. Dans certaines provinces, c'est 16 ans; dans d'autres, c'est 18 ans. Ici, en Colombie-Britannique, je crois que c'est 19 ans. Nous sommes uniques à cet égard, au sens où nous respectons le critère énoncé dans la Convention.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Votre témoignage me bouleverse, tout simplement. Les enfants en question peuvent- ils finir par obtenir la citoyenneté?
Sœur Isaacs : Voilà un autre problème. Ces enfants ne peuvent obtenir la citoyenneté. Ici, dans la mesure où ils sont acceptés comme réfugiés, le ministère présentera une demande pour qu'ils obtiennent le droit de s'établir, et cetera, et les gardera sous ses bons soins, et cetera, mais la Loi sur la citoyenneté leur interdit de demander la citoyenneté avant d'avoir eu 18 ans, même s'il leur faut dans certains cas attendre 13 ans peut-être. De fait, c'est un gros problème. La province n'a pas le droit de demander la citoyenneté en leur nom, ce qui empêche les enfants de participer pleinement, parfois, aux activités scolaires. Par exemple, dans le cas d'une excursion ou d'un échange avec les États-Unis, ils n'ont pas le droit de participer et ainsi de suite. S'ils sont brillants, ce n'est pas la même chose. La citoyenneté confère de nombreux avantages, même pour un enfant, mais la Loi sur la citoyenneté leur ferme cette avenue.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Mais ils peuvent demander la citoyenneté parce qu'ils n'ont pas de tuteurs?
Sœur Isaacs : Ils ont le gouvernement provincial pour tuteur, mais les autorités ne les voient pas comme les verrait un parent. Il y a donc une restriction applicable aux enfants séparés de leur famille, qui ne peuvent devenir citoyens avant d'avoir atteint l'âge de 18 ans. Cependant, à ce moment-là, ce ne sont plus des enfants, et le gouvernement provincial ne peut plus demander la citoyenneté en leur nom. Ils peuvent alors demander le droit de s'établir, mais pas la citoyenneté.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Je vous en prie : racontez-moi une histoire où tout se termine bien. Il y a bien des cas où les choses se passent bien?
Le sénateur Nancy Ruth : Bonne question.
Sœur Isaacs : Je peux vous raconter une histoire. M. Porter a ramené les trois enfants dont il parlait. Ils sont maintenant au pays depuis quelques années. Ils ont terminé leurs études secondaires et vont à l'université. Mais je vais vous dire quelque chose : on a mis un bon bout de temps, plus d'un an, pour les sortir de là, nous avons dû exercer continuellement des pressions. Par exemple, M. Porter a mentionné les photos. Le photographe avait été recommandé par l'ambassade canadienne. Il a fallu quatre ensembles de photos avant d'enfin en avoir de bonnes, et ce n'est que parce que, pour le quatrième ensemble, les sœurs ont fini par recourir à un autre photographe. En premier, c'était bleu, ensuite, c'était gris et ainsi de suite. Pendant ce temps-là, la guerre civile faisait rage.
Dans certains cas, c'est tout simplement horrible, le temps qu'on a dû mettre. Il y a un autre exemple où il a fallu huit ans pour amener les enfants ici au Canada, et, pendant tout ce temps, ils ne sont pas allé à l'école. Si nous pouvons amener les enfants ici à temps, ils peuvent apporter leur contribution au Canada. On peut leur donner l'éducation dont ils ont besoin. Ils ne seront pas en retard. Ils peuvent connaître leurs parents, car, avouons-le, s'ils sont séparés de leurs parents pendant des années, les enfants ne connaîtront pas leurs parents, surtout dans le cas d'un enfant de deux ans.
Il y a eu une situation, il y a plusieurs années, en Belgique je crois, où le premier ministre de la Belgique est intervenu afin qu'un enfant du Congo puisse rejoindre sa mère au Canada, car quelqu'un tentait de le faire passer illégalement à la frontière.
Certaines situations peuvent être très difficiles. Nous entendons parler de cas où les choses se déroulent bien, et le système fonctionne, mais il n'y a aucune façon d'en contester le fonctionnement. On entend parfois des choses qui n'ont pas de sens. Il y a l'exemple de l'enfant afghan — non, il s'agit plutôt de l'enfant canadien d'un père afghan. Le père est ici et gagne sa vie, mais il devrait retourner en Afghanistan et présenter sa demande d'immigration de l'extérieur. Il est marié et vit ici depuis des années, mais la seule façon pour lui d'obtenir le statut d'immigrant admis, c'est d'aller en Afghanistan et de présenter une demande, mais il ne pourra peut-être jamais revenir ici. Qu'advient-il de l'enfant? Doit-il quitter son enfant? On laisse entendre que la mère peut amener l'enfant en Afghanistan pour visiter son père, malgré le fait que le Canada recommande à ses citoyens de ne pas se rendre en Afghanistan. Tout cela me semble déconnecté de la réalité.
M. Porter : Nous voyons constamment des situations où les choses tournent bien. L'une des belles choses liées au travail que nous faisons, c'est que, à peu près chaque mois, une mère ou un père vient nous présenter leurs enfants et nous disent : « Nous avons enfin obtenu pour eux le droit d'établissement. Les voici. Vous savez, les enfants, c'est la personne qui nous a aidés. » Ce sont des exemples de réussite. Le problème, c'est qu'il y a tellement de gaspillage de temps et de ressources. Les parents envoient de l'argent là où sont leurs enfants. Les enfants arrivent ici et ne savent pas que leurs parents ont travaillé très dur pour faire en sorte qu'on les amène ici. Certains en veulent à leurs parents : « Pourquoi ne m'as-tu pas fait venir plus tôt? Pourquoi ai-je dû attendre cinq ans, trois ans, quatre ans? » Ce sont des exemples de problèmes qui ressortent encore et encore dans le cadre de nos programmes destinés aux familles, où l'on tient des séances de counselling et d'éducation familiale en groupe, et ainsi de suite, et il ne s'agit pas d'événements isolés. Cela se répète. Il y a une tendance en ce qui concerne la relation entre l'enfant qui arrive plus tard et ses parents.
Nous parlons des enfants, aujourd'hui, mais la même situation s'applique aux conjoints. La mère ou le père est là; la personne qui est au pays finit par fonctionner au sein de la société canadienne, puis le conjoint arrive. Il ou elle arrive après avoir connu une expérience de séparation. Il s'agit de deux personnes différentes. Ils ont vécu des expériences différentes pendant trois, quatre, cinq ans. C'est un rattrapage qui exige beaucoup d'efforts de tout le monde, et cette énergie consacrée aux questions familiales pourrait être consacrée aux études, au travail ou à l'établissement d'une entreprise. Ainsi, le fait de ne pas simplifier le système de regroupement familial ou les lois connexes a des répercussions non seulement sur la famille concernée, mais sur nous tous, en tant que société. Nous perdons la contribution que ces enfants et leurs parents peuvent apporter.
Sœur Isaacs : Il y a également les problèmes liés à ce que nous appelons les « pays touchés par un moratoire ». Il s'agit de pays où le Canada considère qu'il est dangereux de renvoyer quelqu'un. Si une personne d'un tel pays n'est pas acceptée ici par les autorités, alors elle ne peut jamais faire venir sa famille au Canada. Certains de ces pays sont exclus du processus depuis des années. Bien sûr, de tels demandeurs ne peuvent amener leurs enfants. Il se produit parfois des choses qui n'ont pas de sens. Une personne peut présenter une demande d'établissement pour des considérations humanitaires, et se faire répondre : « Eh bien, puisque vous n'avez pas une partie de votre famille au pays, vous n'êtes pas vraiment intégrée. Par conséquent, nous n'allons pas vous accepter pour des motifs d'ordre humanitaire. » D'une certaine façon, le mot « humanitaire » a perdu son sens. Je veux dire, bien sûr, le préposé applique la loi. Le demandeur ne peut amener sa famille ici parce qu'il n'en a pas le droit, mais ensuite on le lui reproche lorsqu'il tente d'améliorer sa situation. Pendant ce temps, il est peut-être en train de travailler et de contribuer en payant des impôts au Canada, et toutes ces choses.
On pourrait dire la même chose du crédit d'impôt pour enfants. Il y a des gens qui, en payant des impôts, contribuent à l'économie canadienne, et ne sont pourtant pas admissibles au crédit d'impôt pour enfants. D'ailleurs, certains de ces enfants sont nés au Canada, ce sont des citoyens canadiens, mais l'admissibilité à ce programme est fondée non pas sur la nationalité de l'enfant, mais bien sur celle du parent.
La présidente : Vous décrivez la situation des enfants apatrides, essentiellement. Êtes-vous confrontée à des situations de ce genre?
Sœur Isaacs : J'ai eu un dossier de ce genre, mais rien n'en est advenu, pour l'instant. À vrai dire, le processus ne se déroule pas ici, au Canada. La mère est ici. L'enfant a été laissé dans le pays d'origine, mais il n'est pas citoyen de ce pays, et ne me demandez pas comment nous allons arriver à l'en sortir. L'enfant est victime de ce que j'appelle le cruel alinéa 117(9)d), qui énonce les restrictions applicables aux membres de la famille, comme les situations où les parents, pour une raison ou une autre, n'ont pas mentionné une personne, un membre de la famille, sur leur demande initiale. Parfois, c'est parce que la personne n'existait pas au moment de la présentation de la demande, comme dans le cas d'un enfant. Peut-être que, en raison du long délai de traitement, ils sont nés pendant ce temps, et ensuite des gens disent aux parents : « Si vous les avisez maintenant, le processus sera beaucoup plus long. » Ou ils peuvent aviser quelqu'un, mais se tromper de personne. Ils croient aviser le gouvernement canadien, mais il peut s'agir...
M. Porter : Du HCNUR.
Sœur Isaacs : ... du HCNUR ou de quelque chose comme ça, de l'existence d'un autre enfant, lorsqu'ils viennent au pays. Toutefois, parce que le nom de l'enfant n'est pas indiqué, ils ne peuvent jamais le faire venir au pays. Ce que je veux dire, c'est que l'enfant souffre en raison des erreurs du parent. Cet enfant est privé d'un parent parce que la loi est si rigide, et nous n'avons toujours pas déterminé, dans la plupart des cas, comment contourner ces mensonges. Il n'y a pas de limite de temps. S'ils présentent l'information de manière inexacte — et une autre chose, c'est qu'il y a une limite de deux ans, mais pas pour ça.
La présidente : Ce que vous nous dites, c'est que vous voulez que nous tenions une autre table ronde nationale. Cependant, j'ai l'impression que nous connaissons les enjeux. Il n'est pas indiqué de tenir une autre table ronde; le temps est venu d'agir, n'est-ce pas?
Sœur Isaacs : La structure d'immigration change si souvent que de nombreuses personnes qui sont là maintenant ne sont pas au courant des enjeux. Par exemple, le représentant de l'immigration responsable du groupe de travail m'a dit : « qu'est-ce que ça change qu'il ait un tuteur légal ou pas, dans la mesure où il a un toit? »
La présidente : Ce que je veux dire, c'est que, si on s'en remet à l'administration, on peut former de nouvelles personnes qui à leur tour vont prendre leur retraite. N'est-il pas plutôt question ici de faire passer les enfants avant tout?
Sœur Isaacs : Avant tout, certainement.
La présidente : Alors, il faut mettre une certaine volonté politique derrière cette idée.
Sœur Isaacs : C'est exact. Mais il serait encore mieux de promulguer une loi visant à mettre en œuvre ces propositions, car il deviendrait beaucoup plus prioritaire pour le ministère de l'Immigration d'élaborer ce genre de politique.
La présidente : Il pourrait également s'agir d'une directive du gouvernement selon laquelle il faut procéder de telle ou telle façon. Vous parlez de la table ronde nationale, mais j'ai produit un rapport avant cela — comme l'ont fait des centaines d'autres personnes aussi. Cet enjeu n'est pas nouveau. Les tables rondes se suivent et se ressemblent. C'est pourquoi je tente de...
M. Porter : Certainement.
La présidente : C'est seulement que vous êtes désespérés, vous cherchez une sorte de...
Sœur Isaacs : ... nous cherchons un moyen de remettre cet enjeu à l'avant-plan, car, à mon avis, les choses n'ont pas avancé du tout.
La présidente : Très bien.
Le sénateur Poy : Monsieur Porter, vous nous avez parlé des enfants du Congo que vous avez enfin réussi à faire venir au pays. Ont-ils été admis à titre de réfugiés ou à titre de membres de la famille de...
M. Porter : Ils ont été admis à titre de membres de la famille d'un résident permanent, oui.
Sœur Isaacs : À titre d'enfants adoptés.
Le sénateur Poy : À titre d'enfants adoptés, je crois, par leur oncle, n'est-ce pas?
M. Porter : Oui.
Le sénateur Poy : Nous avons entendu ce matin d'autres témoins qui nous ont fourni de l'information à cet égard, et voici ce que j'aimerais savoir : j'ignore quel âge ont ces enfants, et c'est sans importance, mais il semble que, si l'adoption a eu lieu à l'étranger, ces enfants ne sont pas canadiens. C'est ce qu'on nous a dit ce matin.
M. Porter : Ils ne sont pas canadiens...
Le sénateur Poy : Avant d'atteindre l'âge de 18 ans?
M. Porter : ... tant qu'ils ne deviennent pas citoyens canadiens. Dans le cas de ces enfants, le père adoptif ou la mère adoptive peut présenter une demande de citoyenneté en leur nom lorsqu'ils sont au pays depuis trois ans.
Le sénateur Poy : Alors, ces enfants n'ont pas besoin d'attendre l'âge de la majorité pour devenir canadiens?
M. Porter : Non.
La présidente : Il y a un parent.
Le sénateur Poy : Il y a un parent, oui.
M. Porter : Il y a un parent.
Sœur Isaacs : Un parent adoptif, mais un parent néanmoins.
La présidente : Mais ce qui pose problème, c'est quand ces enfants sont confiés à un organisme, et le gouvernement — le gouvernement provincial — ne peut pas présenter une demande. C'est le problème qu'on a soulevé, je crois.
Sœur Isaacs : Ou s'ils sont confiés à un tuteur légal. Par exemple, les musulmans n'aiment pas l'adoption. Ils ne croient pas en l'adoption. Par conséquent, ils accepteront de devenir tuteur légal, mais ils ne vont pas adopter.
Le sénateur Poy : Si vous êtes tuteur légal d'un enfant, pouvez-vous présenter une demande de citoyenneté en son nom?
Sœur Isaacs : Non.
Le sénateur Poy : On ne peut pas. Vous avez mentionné, plus tôt, l'exemple d'une adoption qui n'avait pas fonctionné, de sorte que l'enfant...
Sœur Isaacs : C'est une autre histoire.
Le sénateur Poy : C'était une autre histoire, et l'enfant était, comme vous l'avez laissé entendre, apatride.
Sœur Isaacs : Non, il n'était pas apatride. Il était résident permanent.
Le sénateur Poy : Oui.
Sœur Isaacs : Seulement, il n'avait pas de papiers sur lui.
Le sénateur Poy : Comment cet enfant pourrait-il se tirer d'affaires sans papiers? Comment pourrait-il trouver un emploi?
Sœur Isaacs : Il ne pourrait pas, à moins de travailler au noir. C'est pour cette raison qu'il était très important lui procurer ses papiers, et de veiller à ce qu'il soit admissible à l'assurance-maladie. Ce que je veux dire, c'est qu'il était déjà admissible; le problème, c'est qu'il fallait trouver des preuves et intervenir en sa faveur pour tenter d'obtenir...
Le sénateur Poy : Je ne comprends pas bien. Avancez-vous qu'une personne qui adopte un enfant peut tout simplement dire : « Va-t'en, cela ne fonctionne pas. Nous ne t'aimons plus »? Est-ce de cette façon que les choses fonctionnent?
Sœur Isaacs : Parfois. Ou il peut arriver, à l'occasion, lorsque les choses ne fonctionnent pas, que l'enfant déguerpisse après quelques années.
Le sénateur Poy : L'enfant déguerpit. Très bien. Merci.
La présidente : On peut abandonner un enfant volontairement. Pas dans tous les cas, mais on peut tenter une réunification familiale, si vous me permettez l'expression. Qu'il s'agisse de votre enfant adopté ou de votre enfant par le sang — permettez-moi de puiser dans mon expérience du tribunal de la famille — et vous travaillez sur le cas d'une famille. Toutefois, s'il y a une rupture totale du processus, alors l'enfant est confié en permanence aux autorités provinciales, jusqu'à ce qu'il atteigne la majorité, ou on peut admettre temporairement la famille afin de continuer de travailler sur la situation.
De même, un enfant peut tout simplement quitter la maison et vivre dans la rue, et il y a une rupture totale entre l'enfant et sa famille. On ne fait rien, sur le plan juridique. On peut également abandonner un enfant; on peut dire : « Je n'arrive pas à fonctionner avec cet enfant. Je n'ai pas noué de relations avec cet enfant. Je renonce à cet enfant. » Les autorités sont tenues de continuer d'essayer de vous réunir et de vous conseiller, mais si la démarche échoue, l'enfant finira par être confié aux services de bien-être social.
Au Canada, ce problème n'est pas aussi bien connu que les difficultés des personnes qui veulent adopter à l'étranger. Les difficultés liées à l'adoption internationale ont beaucoup été médiatisées. Cependant — et j'émets une opinion personnelle, je ne parle pas au nom du comité — je ne crois pas qu'on assure un suivi convenable à l'égard de ces enfants adoptés; je crois que nous n'assurons pas de suivi afin de déterminer ce qui arrive aux enfants adoptés après leur arrivée au pays. C'est là, j'imagine, que vous voulez en venir avec votre témoignage?
Sœur Isaacs : Tout comme ce que vous avez dit au sujet du suivi, et toutes ces choses, le problème, en ce qui concerne les enfants séparés de leur famille, si on compare aux enfants non accompagnés, c'est que, parfois, ils arrivent avec quelqu'un qui prétend être un oncle, ou on prétend que l'enfant va rejoindre un membre de sa famille, mais on ne mène pas toujours une enquête au domicile pour déterminer si c'est vraiment le cas. Autrement dit, les autorités n'effectuent pas une vérification, pas de la même façon qu'elles le feraient pour, disons, une maison d'accueil. L'enfant est-il en sécurité dans cet endroit? Est-ce un foyer convenable? Y a-t-il vraiment un lien parental ou consanguin? On ne fait pas toujours ce genre de vérification. J'avancerais que , la plupart du temps, on ne le fait pas.
Je me souviens d'être allée à La Baie pour acheter un maillot de bain et, lorsque je conversais avec la vendeuse, elle m'a dit : « Vous savez, cet homme vient ici pour acheter des dessous affriolants pour ses nièces, et il semble avoir de nombreuses nièces. »
La présidente : Je crois que l'un des problèmes qui nous ont été signalés par courriel, c'est que si un enfant est abandonné ici, cela occasionne des problèmes.
Le sénateur Poy : Ils sont expulsés.
La présidente : Ils sont expulsés lorsqu'on les abandonne, mais quelle est l'obligation du Canada au chapitre de l'autorisation initiale de l'adoption, du traitement du dossier de cet enfant et de l'expulsion de l'enfant? Je veux dire, est-ce que cela est conforme ou contraire à la Convention relative aux droits de l'enfant? Il y a récemment eu un cas de ce genre en Colombie-Britannique.
Sœur Isaacs : Et j'ai également eu du mal avec le dossier d'un enfant originaire d'un pays musulman — et il s'agit non pas d'un dossier de réfugié, mais bien d'un dossier d'immigration. Les parents immigraient, mais l'enfant n'était pas vraiment le leur. Cependant, parce qu'il n'y a pas d'adoption dans ce pays, l'enfant aurait été enregistré, à la naissance, comme le leur. La mère courait le risque d'être tuée pour une question d'honneur, et ce couple a pris l'enfant une heure après sa naissance pour sauver la mère, et, au moment d'enregistrer la naissance, on a fait comme si la mère adoptive avait donné naissance. Nos lois ne sont tout simplement pas adaptées à une telle situation. Ils délivraient des visas d'immigration à l'intention des parents, mais refusaient de le faire pour l'enfant, car il n'était pas de leur sang. L'enfant n'est pas adopté; comme je l'ai déjà dit, il n'y a pas d'adoption dans les pays musulmans. Néanmoins, les autorités canadiennes exigeaient des documents qu'il est impossible d'obtenir.
La présidente : Je crois qu'une partie du problème tient au fait que nous commençons à cerner ces problèmes dans notre système d'immigration. Par exemple, dans le cas de pays où les gens traitent les enfants comme les leurs, même s'ils ne sont pas de leur sang — il peut s'agir de nièces, de neveux ou d'autres choses —, je crois que la communauté autochtone nous a appris à adopter une définition plus large de la notion de « famille ».
Votre témoignage et les autres témoignages me font comprendre que nous n'avons pas encore assimilé la notion qui consiste à envisager la situation du point de vue de l'enfant, et à envisager toutes les conséquences de la présence ou de l'absence d'un enfant. Des enfants adoptés, immigrants, finissent sous la rubrique « réfugié ». Nous n'avons pas encore réglé toutes ces choses.
Sœur Isaacs : Les autorités diront certaines choses, mais elles n'ont pas encore rassemblé toutes les pièces du casse- tête. Il y a également cette question liée à l'analyse de l'ADN aux fins de l'immigration. Certains avancent que si on procédait à l'analyse de l'ADN des enfants, on aurait des résultats très surprenants.
La présidente : C'est vrai.
Sœur Isaacs : Il y a des hommes qui passent toute leur vie à croire que leurs enfants sont d'eux, et qui apprennent par la suite que ce n'est pas le cas.
Le sénateur Nancy Ruth : Des femmes se sont montrées très rusées afin de sauver leur peau.
Sœur Isaacs : Ensuite, nous insistons sur ces analyses d'ADN, et cela cause des problèmes de tous ordres dans les familles.
La présidente : Je crois que c'est une réaction au comportement des adultes, mais nous n'avons pas songé aux conséquences pour l'enfant.
Sœur Isaacs : Non. L'incidence de cela sur la vie de l'enfant, on n'en tient pas compte. Comme je l'ai dit, en vertu de l'article 117, ils diront : « Vous avez fait de fausses déclarations. Vous n'avez pas indiqué le nom de l'enfant, donc vous devez être puni. » Mais dans de tels cas, la sanction punit-elle uniquement le parent? On punit également l'enfant. Cela n'a jamais été mentionné.
La présidente : C'est le dilemme qui survient depuis toujours lorsqu'il s'agit de dossiers liés à la protection. Les conséquences pour le parent sont généralement subies par l'enfant aussi.
Sœur Isaacs : Même lorsqu'il s'agit d'une demande présentée pour des considérations humanitaires, il incombe aux parents de tout décrire en détail. En quoi cela protège-t-il l'intérêt supérieur de l'enfant? Certains parents peuvent faire cela; d'autres ne comprennent pas comment procéder, surtout s'ils ne retiennent pas les services d'un avocat ou s'ils n'ont pas les moyens de recourir à un avocat. Ensuite, s'il ne le font pas bien, on n'en tient pas compte, en quelque sorte.
Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais en savoir davantage sur les ressources internationales que vous devez avoir. Vos commentaires sur la présence ici, là et partout ailleurs, de votre congrégation, m'ont impressionnée. Quels autres réseaux utilisez-vous pour trouver des enfants, les suivre, les aider?
Sœur Isaacs : Premièrement, en ce qui concerne ma congrégation, nous existons à l'échelle internationale. Nous sommes représentées dans 72 pays du monde, y compris dans certains pays où la situation est très difficile. De plus, nous faisons partie de l'ECOSOC des Nations Unies, ce qui nous permet de miser sur certaines relations avec les Nations Unies. Je mise également sur mes relations avec d'autres organismes comme la Croix-Rouge, et avec d'autres communautés religieuses. Je vais recourir à toute ressource et à toute personne qui me sera utile.
Le sénateur Nancy Ruth : Le Croissant-Rouge aussi?
Sœur Isaacs : Oui, lorsque cela est utile. Cet organisme offre de nombreux services équivalents et fait partie, à vrai dire, de la même organisation internationale. C'est seulement que cet organisme ne porte pas le même nom et qu'il ne dispense pas de services de repérage aux fins du regroupement familial, et cetera. Je dois vous dire, cependant, que la démarche ne réussit pas toujours. Peut-être le HCNUR essaie-t-il de trouver quelqu'un dans les camps. Ce n'est pas toujours facile.
M. Porter : En juin dernier, le Conseil canadien pour les réfugiés tenait une conférence internationale sur les droits des réfugiés à laquelle prenaient part des ONG de diverses régions du monde, et nous nous affairons actuellement à établir un réseau international d'organismes d'aide aux réfugiés, et il y a déjà beaucoup d'échange de courriels et de questions, et d'aide offerte, et ainsi de suite.
La présidente : Je crois que nous arrivons à la fin de notre séance. Nous tenons à vous remercier d'enrichir notre analyse d'un système international très complexe, mais, je dois le dire, très lourd sur le plan de l'administration, dont une partie se trouve sur nos territoires national et provinciaux. Une partie de cela constitue un dilemme international. C'est très difficile à expliquer, et je suis certaine qu'il est très difficile d'évoluer dans ce système. Nous vous remercions d'avoir insisté sur l'importance de faire passer « les enfants avant tout », au lieu de soulever tous les autres enjeux, et soyez certains du fait que notre rapport mentionnera cet aspect.
Merci d'être venus cet après-midi.
La présidente : Accueillons maintenant Fiona Kelly, candidate au doctorat à l'Université de la Colombie- Britannique.
Fiona Kelly, candidate au doctorat, Université de la Colombie-Britannique : Merci de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. J'aimerais vous parler aujourd'hui des obligations du Canada, en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant, envers les enfants nés de mères lesbiennes. Il y a maintenant quatre ans que je me consacre à cette question et que je m'intéresse, tout particulièrement, à la reconnaissance juridique des mères lesbiennes au Canada, avec un accent particulier sur les enfants qui sont conçus par insémination artificielle par donneur et qui, à leur naissance, sont pris en charge par un couple de lesbiennes. Je ne parle ni d'enfants adoptés ni d'enfants nés d'une relation hétérosexuelle antérieure.
J'ai effectué 48 entretiens auprès de mères lesbiennes de la Colombie-Britannique et de l'Alberta dont les enfants ont été conçus par insémination artificielle par donneur dans de telles circonstances, et je dois dire que les couples interrogés ne constituent que la pointe de l'iceberg. De nos jours, les chercheurs parlent d'un « baby boom » lesbien. Au Canada, on parle de milliers d'enfants. Les estimations pour les États-Unis s'élèvent à des millions d'enfants. Ce qui me préoccupe, et c'est la raison pour laquelle je m'adresse à vous aujourd'hui, c'est que, selon moi, à l'heure actuelle, le Canada a laissé tomber ces enfants. Ils demeurent juridiquement vulnérables, alors que les enfants conçus par insémination artificielle par donneur pour un couple hétérosexuel sont juridiquement protégés. Autrement dit, la loi canadienne ne permet pas actuellement à ces enfants de partir sur un pied d'égalité. C'est un aspect important des travaux de votre comité, car les obligations du Canada sous le régime de la Convention sont envers tous les enfants, pas seulement pour les enfants nés de parents hétérosexuels.
La CRDE n'établit aucune distinction quant à la forme que prend l'unité familiale, et, de fait, l'article 2 prévoit de façon explicite que l'enfant ne peut faire l'objet de discrimination fondée sur le statut ou sur les activités de ses parents ou des membres de sa famille. Je veux aborder deux points pendant mon témoignage : premièrement, je compte expliquer en quoi la loi actuelle laisse tomber les enfants de mères lesbiennes; et deuxièmement, je vais décrire les répercussions d'une telle situation sur la vie quotidienne des enfants.
Lorsqu'un enfant est conçu par insémination artificielle par donneur et pris en charge par un couple hétérosexuel au Canada, qu'ils soient mariés ou non, le nom du partenaire de la mère est simplement apposé sur le certificat de naissance de l'enfant, de sorte que, à toute fin que de droit, cet homme est le père et le parent de l'enfant. Par contre, un enfant conçu par insémination artificielle par donneur pour un couple de lesbiennes est traité très différemment, et ce traitement varie d'une province à une autre. Dans certaines provinces, l'enfant d'un couple de lesbiennes aura la chance d'avoir, dès sa naissance, le nom de ses deux mères sur son certificat de naissance, dans la mesure où le donneur est inconnu. Dans d'autres provinces, cependant, une telle chose est absolument interdite. Dans ces provinces, la mère non biologique n'a aucune relation juridique avec l'enfant au moment de sa naissance. Même dans les provinces où le nom des deux mères peut figurer sur le certificat de naissance de l'enfant, c'est une nouvelle mesure, et cela ne s'applique pas de façon rétroactive, de sorte qu'il y a encore des milliers d'enfants qui ne sont pas visés par cette nouvelle loi.
La solution de rechange habituelle à la reconnaissance sur le certificat de naissance existe depuis beaucoup plus longtemps au Canada : il s'agit de l'adoption par le deuxième parent, c'est-à-dire lorsque la mère non biologique adopte l'enfant. Dans la plupart des provinces, cela suppose généralement une période d'attente d'au moins six mois. Il faut que la mère biologique y consente, et, de façon générale, il faut débourser des milliers de dollars de frais de demandes pour devenir un parent sur le plan juridique. Même dans les provinces où l'une de ces options ou les deux options sont permises, les mères non biologiques demeurent juridiquement vulnérables, en raison d'enjeux liés au consentement, au coût et à l'intervention par un donneur de sperme connu.
Il y a diverses opinions quant à la façon de corriger la situation, mais je mentionne cette loi uniquement pour montrer que les enfants de mères lesbiennes conçus par insémination artificielle par donneur sont traités différemment des enfants de couples hétérosexuels conçus par insémination artificielle par donneur.
Quels sont les effets de cette situation sur les enfants concernés? Le premier argument que j'aimerais mettre de l'avant...
La présidente : Pourriez-vous clarifier quelque chose? Vous dites que, dans le cas de couples hétérosexuels, c'est non pas le donneur mais bien le partenaire de la mère qui est inscrit?
Mme Kelly : Oui.
La présidente : Merci.
Mme Kelly : La première chose que j'aimerais signaler, c'est que de vastes recherches, qui remontent maintenant jusqu'à presque 30 à 40 ans, montrent que les enfants élevés par des mères lesbiennes ne font aucune distinction entre leur mère biologique et leur mère non biologique. Ils considèrent les deux femmes comme leur mère; ils nouent des relations avec les deux, et l'absence de l'une ou de l'autre leur fait du mal. Comme on le fait dans la Convention relative aux droits de l'enfant, l'enfant ne définit pas ses relations parentales en fonction uniquement de critères biologiques, et je crois que nos lois doivent refléter cette réalité pour vraiment être axées sur l'enfant.
Mon deuxième argument, c'est qu'en raison de la loi actuelle, les enfants se sentent plutôt vulnérables sur le plan juridique, et on peut raisonnablement affirmer que c'est le cas. Dans le cadre de mes travaux de recherche, de nombreux enfants m'ont raconté les craintes qu'ils expriment lorsqu'ils arrivent à ce point dans leur vie où ils prennent connaissance du statut juridique précaire de leur famille. Nombre d'entre eux ont peur de ce qui pourrait leur arriver si leur mère biologique mourait ou si leurs parents se séparaient. D'autres se sentent frustrés par l'attitude d'enseignants, de médecins ou de membres des médias qui ne considèrent pas leur mère non biologique comme une vraie mère.
De fait, dans le cas d'une famille de Vancouver que j'ai interviewée, une fille de huit ans a passé plus d'une heure avec un bras cassé dans une salle d'attente d'un hôpital de Vancouver parce que le médecin de garde refusait d'accepter le consentement au traitement de la mère non biologique.
Bref, pour conclure, les enfants de mères lesbiennes arrivent dans le monde en citoyens de seconde zone par rapport aux enfants de couples hétérosexuels. La loi canadienne les laisse émotivement et financièrement vulnérables, malgré la volonté des mères non biologiques d'être légalement tenues de s'occuper de leurs enfants et de les soutenir au quotidien, chose qu'elles font déjà de toute façon.
Mais l'aspect le plus pernicieux de la loi actuelle, selon moi, c'est qu'elle refuse à l'enfant sa conception personnelle de la famille. En refusant de reconnaître juridiquement l'un des parents de l'enfant, la loi dit à l'enfant que cette personne qui l'a imaginée, qui a rêvé de son existence, qui l'a élevée depuis sa naissance est, de fait, juridiquement, un étranger, et si le Canada est vraiment déterminé à remplir ses obligations en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant, je crois qu'il doit déployer les efforts pour veiller à ce que la façon dont l'enfant conçoit sa propre famille soit non seulement protégée, mais valorisée.
Le sénateur Nancy Ruth : J'ai deux questions : est-ce que la loi traite ces enfants différemment si le couple de lesbiennes est marié? C'est ma première question. L'autre question est liée à un enjeu qui a été soulevé tout juste ce matin. Nous avons accueilli un témoin qui représentait Parent Finders of Canada, et cet homme tenait mordicus à ce qu'on inscrive tous les donneurs de sperme comme pères. Comment réagissez-vous à un tel argument?
Mme Kelly : Pour répondre à la première question, sur l'incidence du mariage, il n'en a aucune. Nous sommes confrontés à une situation plutôt inhabituelle dans notre pays : deux lesbiennes peuvent légalement se marier dans notre pays, mais l'un des parents ne sera pas reconnu comme parent juridique de l'enfant né de l'autre parent. C'est ce que prévoit actuellement la loi au Canada. Si vous êtes assez chanceux pour vivre dans une province où il est possible d'inscrire les deux noms sur le certificat de naissance, vous pouvez faire cela, et il y a un certain nombre de provinces où c'est possible. Sinon, vous devrez tout de même recourir à l'adoption, dans le cas du deuxième parent. Enfin, il y a des provinces où aucune de ces options n'est offerte.
Pour ce qui est de la deuxième question, concernant le témoignage des Parent Finders et l'inscription du donneur de sperme comme père — je suppose que j'ai deux réponses à cette question. Ce n'est manifestement pas un enjeu qui concerne uniquement les mères lesbiennes. Évidemment, la vaste majorité des gens qui ont recours à l'insémination artificielle par donneur sont, de fait, des couples hétérosexuels. Je ne vois pas ce qu'il y aurait de mal à enregistrer les donneurs à des fins médicales, par exemple, ou si nous voulons établir un système, comme l'ont déjà fait un certain nombre de provinces canadiennes, à recourir uniquement à des donneurs qui consentent à la divulgation de leur identité. Ainsi, les hommes qui sont disposés à divulguer leur identité peuvent consentir à cela lorsque l'enfant atteint l'âge de 18 ans. C'est une possibilité, et je crois que cela s'appliquerait dans tous les cas.
La deuxième situation intéressante, selon moi, c'est que les couples de lesbiennes comptent parmi le faible nombre de couples qui utilisent des donneurs connus dans un contexte d'insémination artificielle par donneur. Nombre de ces hommes entretiennent une relation continue avec l'enfant pendant toute sa vie. Il s'agit souvent d'amis proches du couple. Il y a beaucoup moins de secrets. Il est évidemment très difficile de cacher le fait qu'on a été conçu par insémination artificielle par donneurs si nos deux parents sont des femmes, et cela tend à favoriser la création d'un environnement plus sain.
Si on compare les enfants élevés par des mères lesbiennes qui ont eu recours à l'insémination artificielle par donneur anonyme aux enfants de couples hétérosexuels qui ont eu recours au même processus, on constate que les enfants de mères lesbiennes ont moins tendance à s'interroger sur leur identité, car tout est si ouvert dès le début. J'irais peut-être même jusqu'à dire que la communauté lesbienne offre un modèle intéressant, voire meilleur, d'honnêteté à l'égard des enjeux touchant l'insémination artificielle par donneur et le rôle que joue le donneur après la naissance.
Le sénateur Poy : Madame Kelly, vous avez mentionné que les deux mères, soit la mère biologique et sa partenaire, qu'elles soient mariées ou non, devraient toutes deux être inscrites comme mères. Lorsqu'il y a un donneur connu, et que cette personne est inscrite sur l'extrait de naissance, alors cet enfant aura trois parents.
Mme Kelly : Oui.
Le sénateur Poy : Vous ne voyez peut-être pas cela comme un problème, le fait d'avoir trois parents?
Mme Kelly : Ce serait, de toute évidence, un changement radical. L'important, selon moi, c'est que nous nous interrogions sur les droits et responsabilités juridiques qui découleraient de l'enregistrement. Si on indique le nom d'un donneur aux fins de l'obtention de renseignements médicaux et pour donner à l'enfant la possibilité, plus tard, de communiquer avec le donneur et d'avoir une certaine interaction avec lui lorsqu'il est plus vieux, alors je n'ai rien contre l'enregistrement. Je ne sais même pas s'il y a lieu d'indiquer cela sur le certificat de naissance. Par exemple, on a déjà établi un système de divulgation de l'identité des donneurs en Ontario; cela se fait déjà.
En ce qui concerne les décisions quotidiennes quant aux services médicaux, à l'éducation, à la religion, et cetera, encore une fois, le droit de la famille prévoit déjà que la responsabilité parentale et les droits en matière de tutelle sont attribués à un ou à deux parents, alors je ne vois pas vraiment en quoi cela irait à l'encontre du système actuel.
Le sénateur Poy : Ce que vous dites, finalement, c'est que le couple de lesbiennes devrait assumer les responsabilités de mère au quotidien, même si le donneur est enregistré.
Mme Kelly : Les responsabilités au quotidien, oui. J'assimilerais ce genre de situation à l'établissement de modalités de garde et de visite, histoire de décrire la situation au moyen de mots qui sont compatibles avec le système actuel.
Il y a certainement des familles que j'ai interviewées où le donneur, ou dans certains cas, le donneur et sa partenaire, joue un rôle actif dans la vie de l'enfant et, de fait, cet enfant a trois ou quatre parents, et je ne trouve rien de particulier à redire à cela. Je crois que le fait d'avoir des adultes importants dans la vie d'un enfant ne peut que procurer des avantages à cet enfant, à long terme.
Le sénateur Poy : Ce que vous dites, c'est que, à l'heure actuelle, la mère biologique est enregistrée, mais sa partenaire ne l'est pas; cette personne n'est pas légalement considérée comme un parent au Canada?
Mme Kelly : Dans la plupart des provinces, oui.
Le sénateur Poy : Dans la plupart des provinces. Je vais seulement vous donner un exemple. Nous avons des amis, un couple gai, qui ont recours à une mère porteuse. Ils ont tous deux donné du sperme. Ils ne savent pas de qui est l'enfant; à vrai dire, ils auront des jumeaux. Les jumeaux naîtront bientôt, en novembre. Je n'avais jamais vraiment songé à ce qui arrive dans un cas comme celui-là. Est-ce que la mère biologique est la mère, et qu'advient-il de ces deux hommes?
Mme Kelly : À vrai dire, la maternité par substitution est une branche tout à fait distincte du droit.
Le sénateur Poy : C'est différent, très bien.
Mme Kelly : Je ne crois pas que cette question est réglée dans le droit canadien, cette situation mettant en cause deux hommes. Il y a eu une affaire où un homme gai seul a obtenu la qualité parentale à l'égard d'un enfant conçu grâce à une mère porteuse, où il est le seul parent dont le nom figure sur le certificat de naissance de l'enfant. Il n'y aurait aucune raison d'exclure la mère porteuse dans ce cas en particulier, mais il a fait appel aux tribunaux et a veillé à ce qu'il soit le seul parent enregistré.
Dans le cas que vous avez décrit, il faudrait d'abord se demander dans quelle province ils vivent, mais rien n'empêche ces deux pères, si la province où ils résident le permet, de s'inscrire tous les deux à titre de parents sur le certificat de naissance de l'enfant.
Le sénateur Poy : Mais vous venez tout juste de dire qu'il faut être parent biologique pour être inscrit. En passant, je parlais de l'Ontario.
Mme Kelly : Très bien.
Le sénateur Poy : Vous savez, cela ne m'était jamais venu à l'idée, jusqu'à ce que je vous entende le dire. Je compte leur poser la question, mais, pour l'instant, je suppose qu'il faudra attendre la naissance des jumeaux pour découvrir qui est le père biologique.
Mme Kelly : D'accord.
Le sénateur Poy : Ce sera une grande surprise.
Mme Kelly : Au cours du mois passé, une décision a été rendue en Ontario qui concerne directement les couples de lesbiennes qui ont eu recours à des donneurs anonymes, mais qui permet, à la naissance, d'apposer le nom des deux femmes sur le certificat de naissance de l'enfant. J'ai bien hâte de savoir comment cela va se dérouler dans le cas de vos amis.
Le sénateur Poy : Moi aussi.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question porte sur l'adoption. Si deux lesbiennes, ou encore deux homosexuels, adoptent un enfant, sont-ils dans l'obligation de dire à l'enfant qui est le parent biologique?
Mme Kelly : S'agit-il de l'adoption par le deuxième parent? Est-ce que l'un des deux est le parent biologique de l'enfant et l'autre non?
Le sénateur Lovelace Nicholas : Non. Disons que ces deux personnes adoptent un enfant par, disons, compassion.
La présidente : Ce n'est l'enfant ni de l'un ni de l'autre?
Mme Kelly : Aucun des deux...
Le sénateur Nancy Ruth : Aucun des deux n'est le parent biologique de l'enfant.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Ils ne sont que les parents adoptifs de l'enfant. Doivent-ils l'en informer?
Mme Kelly : Les mêmes lois qui s'appliquent à toute personne qui adopte un enfant s'appliqueront à eux. Le Canada progresse rapidement vers un système d'adoption ouverte, et il est donc probable que l'on voie des adoptions de ce genre dans l'avenir. Cela dépend de qui sont leurs parents biologiques et du fait qu'ils soient ou non admissibles à l'adoption, mais il n'y a pas de raison pour laquelle il n'y aurait pas — ou ne pourrait y avoir — une composante d'adoption ouverte. Ce ne serait pas différent.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Y a-t-il vraiment beaucoup d'adoptions de cette nature dans ces situations?
Mme Kelly : Oui. Si je devais ordonner les chiffres, je dirais que la vaste majorité des enfants naissent aujourd'hui d'une mère lesbienne. L'adoption, tant au pays qu'à l'étranger, serait la catégorie suivante, puis, la troisième serait celle des enfants nés d'un couple hétérosexuel qui s'est séparé.
La présidente : Peut-être puis-je me faire l'avocat du diable pour quelques instants. Nous avons passé des dizaines d'années à parler de la manière de permettre aux enfants adoptés d'avoir des droits, des attentes, et cetera, qui se rapprochent de ceux des enfants naturels, pour ainsi dire. Nous avons élaboré toutes sortes de nouvelles manières d'établir des relations, que ce soit l'insémination artificielle, les moyens d'assurer la fécondité ou toutes ces autres découvertes médicales qu'on semble faire et dont je ne connais rien, y compris les rapports récents dans lesquels on a dit qu'il était possible que le sperme ne soit plus nécessaire, comme vous le savez. Avec toutes ces expériences, il semble que le débat a porté plutôt sur le nom de la personne à inscrire au registre comme parent, que sur ce qui est le mieux pour l'enfant.
Je reviens aux commentaires du sénateur Nancy Ruth au sujet des intérêts opposés. Elle parlait des droits opposés, mais je parle des intérêts opposés. D'un côté, il y a les besoins de l'enfant d'avoir de bons parents, de systèmes d'appui, de stabilité, de sécurité, de sûreté, et ainsi de suite. De l'autre, il y a son droit de savoir; le droit au respect de sa vie privée; son droit d'accès, par exemple, aux soins médicaux. C'est comme ça que nous avons ouvert l'adoption, parce que nous nous sommes dit, pourquoi attendre que les enfants aient 18 ans? Un enfant peut se trouver dans une situation critique à sept ans, et il a le droit de savoir qui est le parent biologique qui, peut-être, ne s'en occupe plus, et de quel genre de famille il est issu.
Mme Kelly : Oui.
La présidente : Je vous rappelle que je me fais l'avocat du diable. La discussion semble tourner autour de l'intérêt des adultes et du nom de la personne qui se retrouvera sur le formulaire d'enregistrement, et il me semble que je voudrais un système qui nous permette de cerner les capacités parentales dont l'enfant a besoin. Si nous disons, dans le formulaire d'inscription, « Voici votre dossier médical. Déterminons qui a fait quoi pour vous sur le plan médical. », Puis, « Qui s'occupe de vous? Qui devra payer pour vous? », ce que je veux dire, c'est que nous avons déjà fait cela à l'égard des parents biologiques. Cela s'applique, bien entendu, à l'époque où les tests d'ADN n'étaient pas encore disponibles. Ce que nous avons dit, c'est que si vous pouvez prouver qu'il y a possibilité que nous portions atteinte aux droits de deux ou trois partenaires d'une femme, mais l'enfant ne recevra jamais plus que ce dont il a besoin, même s'il peut obtenir ce dont il a besoin de plus d'une personne. La discussion était entièrement axée sur les droits de l'enfant.
Où en viendrons-nous avec ce débat? Sommes-nous encore aux prises avec les formulaires d'enregistrement de naissance qui sont peut-être désuets et ne répondent pas vraiment aux besoins des enfants, plutôt qu'aux désirs des parents?
Mme Kelly : Je crois que je vais répondre à votre dernière question en premier. J'en pense qu'il est possible que nous en soyons à une étape où il est important de créer, peut-être, des documents à part pour les renseignements d'ordre biologique et ceux relatifs aux soins quotidiens, droits et responsabilités relatifs à l'enfant. Encore une fois, je ne crois pas que cela soit propre à un contexte de lesbiennes ou gais.
La présidente : Non. C'est ce que je dis.
Mme Kelly : Bon nombre de femmes que j'ai interrogées ont, en effet, suggéré ce modèle, surtout des femmes ayant eu recours à des donneurs anonymes, selon lequel il est très important que les renseignements d'ordre médical soient disponibles. Il y a un fort appui en ce qui concerne les donneurs qui acceptent de divulguer leur identité, et une certaine frustration, par exemple, en Colombie-Britannique, du fait qu'il n'y ait pas suffisamment de donneurs qui acceptent de divulguer leur identité, ce qui fait que de plus en plus de femmes se rendent aux États-Unis pour l'insémination. Je crois qu'il s'agit d'un problème qu'on doit régler au Canada.
En ce qui concerne le fait de répondre aux besoins de l'enfant, les questions, je pense, nous ont amenés à réfléchir au nom de la personne qui figure sur le certificat de naissance. Je pense que le point que je souhaitais aborder dans mon exposé est que l'enfant voit ces deux femmes, et, dans certains cas, ces deux femmes et le donneur/le père comme ses parents. L'idée que l'enfant se fait de sa famille ne se reflète pas, à l'heure actuelle, dans la loi, et il y a de nombreux cas — dont un en particulier qu'on a vu aux États-Unis au début des années 1990, celui d'une enfant de huit ans qui s'exprimait extraordinairement bien, qui a maintenant 21 ans et a récemment fait l'objet d'un article publié dans le New York Times, qui a comparu et témoigné elle-même dans cette affaire où le donneur, qui n'a joué aucun rôle dans sa vie, cherchait à faire valoir son droit de paternité. Son témoignage a été extraordinaire en ce qui concerne la façon dont elle a défini sa famille. L'une de ses mères lui a donné naissance, l'autre a donné naissance à un autre enfant, et, dans son témoignage, elle a expliqué que ce que le donneur laissait entendre, c'est que sa mère adoptive, l'autre enfant et le donneur constituaient une famille, et qu'elle, sa mère biologique et l'autre donneur étaient une autre famille, ce qui ne correspondait pas à son idée de sa famille.
Ainsi, en ce qui concerne les droits de l'enfant, je pense que nous devons prêter oreille aux enfants de ces familles qui ne définissent pas la « famille » de la manière dont nous l'imaginons en général. En d'autres termes, ces enfants qui voient deux femmes comme leurs parents. Il arrive souvent qu'ils voient le donneur comme leur père ou comme un autre adulte jouant un rôle important dans leur vie et qu'ils ne souhaitent pas voir séparé de leurs deux mères par la loi. La manière de protéger l'idée que l'enfant se fait de sa propre famille passe par des choses comme l'enregistrement de la naissance, et ces parents, parce que leur nom figure sur le certificat de naissance, sont capables de faire preuve de leur sens de la famille, du sens de la famille de l'enfant, en temps de crise ou de conflit, et de protéger l'enfant.
La présidente : Je crois que votre exemple de l'enfant de huit ans correspond tout à fait à selon je parlais, parce que nous vivons dans un monde international où les définitions de la famille sont multiples, et si nous devons prendre la Convention au sérieux, il faut écouter ce que l'enfant a à dire, et lui permettre d'avoir une famille, mais nous n'avons en réalité pas à définir cette famille.
Ce qui me trouble, c'est l'une des choses que vous avez dites au début, soit que l'enfant a le droit de savoir à 18 ans. Il s'agit d'une vision du monde terriblement centrée sur l'adulte. Lorsqu'ils seront comme nous, ils acquerront cette connaissance. Je pense que la Convention nous enseigne qu'il faut écouter les enfants. Ils peuvent avoir besoin des connaissances en question à huit ans, à sept ans ou même à cinq ans. J'imagine que ce que je vous mets au défi de dire, c'est que le droit qu'a l'enfant de savoir, de se développer et de choisir lui-même ses ressources doit nous amener à déterminer les formes de soutien dont l'enfant a besoin, plutôt que de dire : « Bon, est-ce qu'ils vont inscrire cela au registre, et l'enfant aura une certaine sécurité. » Ça ne fonctionne pas, et nous le savons. On peut inscrire tous les noms sur le certificat de naissance, puis voir les parents divorcer le lendemain.
J'ai examiné un certain nombre de cas d'adoption où nous avons tenté de réduire le risque lorsque nous donnions l'enfant en adoption. Laissez-moi vous dire que certains des cas qui semblaient en béton ont échoué deux semaines plus tard, et que certains qui étaient tirés par les cheveux tiennent encore.
Pourrions-nous peut-être éviter de nous perdre dans ces détails d'ordre biologique ou relatifs à l'enregistrement, pour plutôt mettre en place dès maintenant une espèce de processus permettant de renforcer les capacités dont l'enfant a besoin, puisque nous traversons cette nouvelle époque, dans un monde scientifique et de nouvelles relations?
Mme Kelly : Oui, d'accord.
La présidente : Nous ne sommes donc pas en train de condamner le vieux système d'enregistrement des naissances et la confidentialité des renseignements jusqu'à l'âge de 18 ans?
Mme Kelly : La raison pour laquelle j'ai dit « 18 ans » est simple : c'est l'âge prescrit en ce qui concerne la divulgation de l'identité des donneurs au Canada.
Je crois que j'ai deux réponses. D'abord, pour revenir là-dessus, ce à quoi nous assistons chez les lesbiennes qui est très différent de ce que nous constatons auprès des hétérosexuels, c'est la participation active des donneurs connus. Si vous cherchez un modèle de participation, du fait d'offrir à un enfant la chance de rencontrer les diverses personnes qui ont contribué à sa vie et pris des décisions, vous en trouverez un chez de nombreux couples de lesbiennes. Cependant, le secret qui entoure encore souvent le fait d'avoir recours à l'insémination chez les hétérosexuels, et, en particulier, en ce qui concerne l'infertilité masculine, est, très franchement, quelque chose que nous cachons. Si nous pouvions modifier les comportements au sein de cette communauté aussi, de façon qu'on en parle ouvertement et sans avoir peur du fait que le donneur fasse partie de la vie de l'enfant, alors je serais d'accord avec vous. Je crois qu'il s'agit d'une voie qu'il est important de suivre.
L'autre point que j'aimerais soulever est qu'il est très facile d'envisager rétroactivement le secret qui a entouré les traitements comme l'insémination artificielle, la fertilisation in vitro et l'adoption des pratiques qui ont eu cours il y a longtemps, et de présumer que tous ces enfants ont des problèmes d'identité, parce que ce que nous voyons — les enfants qui passent par là à l'heure actuelle, qui ont peut-être entre 10 et 15 ans, qu'on commence à interroger et au sujet de qui on commence à faire des recherches — c'est qu'ils ne font pas du tout état des mêmes problèmes d'identité. On entoure ce genre de situation de beaucoup moins de secret. Les gens sont plus ouverts à ce sujet. Il y a davantage d'enfants qui naissent dans ces conditions, et je crois donc que nous devons être un peu prudents avant de présumer que tous ces enfants connaîtront ce genre de problème lorsqu'ils grandiront et prendront conscience du contexte de leur naissance.
La présidente : Il ne s'agit pas d'un problème. C'est le droit de savoir qui est en question, et ce n'est donc pas un problème. Il s'agit simplement, à mon avis, du droit d'une personne de savoir, ce qui serait juste.
Honorables sénateurs, M. Chris Buchner vient de se joindre à nous. Nous avons réorganisé l'ordre de présentation, monsieur Buchner, parce qu'il y a eu une petite erreur sur notre ordre du jour. Mme Kelly a bien voulu se présenter tôt et commencer. Vous n'avez pas pu entendre son exposé, mais je suis sûre que vous en connaissez une partie.
Nous aimerions vous écouter maintenant, si vous voulez bien présenter votre exposé, puis nous pourrons vous poser des questions à tous les deux.
Chris Buchner, travailleur auprès des jeunes, GAB Youth Services, Community Centre Serving Lesbian, Gay, Transgendered and Bisexual People and their Allies : Mon nom est Chris Buchner, et je travaille auprès des jeunes aux GAB Youth Services. Notre service est offert au centre pour les lesbiennes, les gais, les transsexuels et les bisexuels de Vancouver.
Le sénateur Nancy Ruth : Que veut dire « GAB »?
M. Buchner : En fait, il ne s'agit pas d'un acronyme. C'est le verbe « gabbing », comme le fait de parler. Les gens pensent qu'il s'agit d'un acronyme, mais ce n'en est pas un. Dans le cadre de mon travail, j'essaie d'aider les jeunes de moins de 25 ans qui sont homosexuels, qui ne sont pas sûrs de leur orientation sexuelle ou qui sont hétérosexuels ou sympathisants, et nous les aidons de différentes manières. Nous offrons des services de soutien par les pairs et de soutien individuel, assurés par les travailleurs auprès des jeunes. Nous aiguillons aussi les jeunes vers d'autres services qui leur sont offerts. Nous leur offrons un endroit où ils peuvent se sentir en sécurité ou parler ouvertement de leur identité et de leur orientation sexuelle. Les jeunes peuvent se présenter sur place et décider des activités auxquelles ils veulent participer. Puis, il y a l'autre volet du GAB, dans le cadre duquel nous organisons des ateliers dans les écoles, de la maternelle à l'université, sur la lutte contre l'homophobie, les questions liées à l'homosexualité, l'intimidation et la manière d'offrir son soutien comme sympathisants.
Nous voyons beaucoup de choses dans le cadre du travail que je fais, des taux d'abandon de l'école élevés chez les jeunes homosexuels; de nombreux jeunes n'ont pas envie d'aller à l'école. Des jeunes qui doivent quitter la maison à 15 ou 16 ans parce que leurs parents n'acceptent pas leur orientation sexuelle, et lorsque les jeunes doivent faire face au fait de quitter l'école ou d'essayer de changer d'école, ils doivent surmonter de nombreux obstacles importants avant d'avoir accès aux bons services et d'y avoir accès suffisamment rapidement pour pouvoir se débrouiller par eux-mêmes.
La Convention relative aux droits de l'enfant parle des droits de l'État. Notre pays doit tenter de réduire le nombre d'absences et de faire diminuer le taux d'abandon de l'école, et nous avons remarqué qu'il y a un nombre élevé de jeunes, partout au Canada, et particulièrement dans le Lower Mainland, qui quittent l'école à cause de l'intimidation, à cause de ce qui peut leur arriver s'ils révèlent leur orientation sexuelle ou si on la découvre malgré eux.
Lorsque les jeunes quittent la maison ou sont forcés de le faire avant 18 ans, il est très difficile pour eux d'avoir accès aux services suffisamment rapidement, et aux bons services qui leur permettront de se débrouiller par eux-mêmes, d'avoir un toit au-dessus de leur tête et d'obtenir le soutien dont ils ont besoin.
Je suis prêt à répondre aux questions, si vous en avez au sujet de mon travail ou des jeunes auprès de qui je travaille.
La présidente : Qui finance votre ONG?
M. Buchner : Nous sommes financés par le Ministry of Children and Family Development, et par la Ville de Vancouver.
La présidente : La province de la Colombie-Britannique et la Ville de Vancouver?
M. Buchner : Oui.
La présidente : Vous offrez des services à environ combien de jeunes par année ou par mois?
M. Buchner : En ce qui concerne nos ateliers, il y a probablement de 2 000 à 3 000 jeunes qui participent dans l'ensemble du Lower Mainland. Pour ce qui est de l'accès à nos services, c'est probablement de plus de 150 à 200 jeunes par année dont il s'agit, à différents titres. Il y en a qui participent aux ateliers réguliers, d'autres qui viennent seulement pour obtenir des renseignements. Il y a des parents qui appellent et demandent des renseignements sur les services auxquels ils ont accès, et les jeunes sont âgés de 13 à 25 ans, encore une fois.
La présidente : Quelles sont les proportions de garçons et de filles?
M. Buchner : Je dirais que c'est à peu près égal. Nous avons aussi des jeunes transsexuels, et il y a dans les faits un nombre élevé de jeunes transsexuels qui sont en transition aussitôt qu'à 10 ou 11 ans. Au cours d'une année, nous travaillons probablement avec 15 à 20 jeunes transsexuels, qui sont répartis à peu près également entre les garçons et les filles, moitié-moitié. Encore là, nous ne leur demandons pas vraiment de préciser leur orientation sexuelle; nous ne faisons que les laisser venir et ils peuvent être qui ils veulent. Nous ne savons pas s'ils sont gais, lesbiennes, bisexuels ou hétéro-sympathisants tout le temps. En d'autres termes, nous travaillons auprès de toutes sortes de jeunes différents.
Nous avons aussi à gérer différents niveaux de risque. Nous travaillons auprès de bon nombre de jeunes engagés dans la rue qui sont au secondaire et leur offrons des activités à l'extérieur de l'école, puisqu'ils ont moins de 19 ans. Nous travaillons aussi auprès de jeunes universitaires. Il y a donc des différences plus ou moins grandes entre les jeunes qui accèdent à nos services.
La présidente : Lorsque vous dites « Lower Mainland », parlez-vous de jeunes qui résident dans cette région, ou est- ce que certains d'entre eux sont ceux dont nous entendons quelquefois parler, ceux qui gravitent autour des grands centres urbains lorsqu'ils ont des problèmes d'intégration, et des choses du genre? Est-ce que les jeunes à qui vous offrez des services sont résidents du Lower Mainland depuis un certain temps, ou sont-ils des jeunes de passage qui viennent ailleurs?
M. Buchner : Je dirais que la plupart sont des résidents de différentes villes du Lower Mainland, mais qu'il y a aussi, c'est certain, des jeunes qui sont de passage. Cet été, nous avons organisé un camp pour les jeunes homosexuels, et des jeunes sont venus de partout en Colombie-Britannique, de l'île de Vancouver, de l'Île de Summerland ou d'autres endroits en Colombie-Britannique, pour participer à ce camp de leadership. Cependant, il est certain que quelques-uns des jeunes avec qui nous travaillons viennent d'autres endroits du Canada et sont de passage. Beaucoup de jeunes de la rue viennent de partout au Canada et accèdent à nos services.
La présidente : Sénateur Nancy Ruth, je vais poser à votre place la traditionnelle question sur la langue. Hier, à Edmonton, nous avons entendu dire que les jeunes anglophones en étaient revenus à l'expression « queer », après une phase de « Nous ne devrions pas utiliser cette expression. Ce n'est pas l'expression appropriée. Ce mot ne nous identifie pas. » Il y a maintenant un mouvement de retour à cette expression, surtout chez les jeunes. Avez-vous un commentaire là-dessus?
M. Buchner : Tout à fait, j'imagine qu'il s'agit un peu d'une nouvelle prise de possession de la langue, et qu'il s'agit d'utiliser une expression liée... comme le symbole du triangle rose, par exemple, était un symbole de l'holocauste. Encore là, on utilise maintenant l'expression d'une manière positive, pour parler d'endroits ou de gens qui sont accueillants et positifs, ou du fait d'offrir un endroit sécuritaire pour les jeunes homosexuels. De la même manière, j'imagine qu'il s'agit d'une façon d'adoucir l'expression, et il est certain qu'on l'utilise beaucoup et dans plusieurs sens différents. Ce n'est pas tout le monde qui est habitué de l'entendre dans ce contexte, mais l'expression est certainement plus largement acceptée, parce que « queer » peut vouloir dire tant de choses. Il y a tant de types de personnes différentes. On pourrait passer cinq minutes à parler des différents types de personnes. Il s'agit donc d'une façon plus simple de parler d'un groupe de gens.
Le sénateur Nancy Ruth : Vous avez parlé du décrochage et de l'intimidation, et ainsi de suite. Je me demandais comment se répartissaient les chiffres selon le sexe. Y a-t-il autant de filles qui décrochent que de garçons?
M. Buchner : Tout à fait. Nous pourrions aussi parler de taux de suicide. Des études et des rapports, par exemple les études réalisées par McCreery, ont parlé de taux de suicide extrêmement élevés. Les tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les jeunes filles. On a dit que cela était probablement attribuable au fait que lorsque les jeunes garçons tentent de se suicider, ils y parviennent plus souvent que les jeunes filles, mais il est certain que les taux de suicide les plus élevés à l'heure actuelle se trouvent chez les jeunes qui sont homosexuels, ou qui sont victimes d'intimidation liée à l'homosexualité. Cela peut donc s'appliquer aussi aux taux de décrochage et au fait de ne pas vouloir aller à l'école.
Il arrive très souvent que des jeunes viennent me voir et disent qu'ils n'ont pas envie de retourner à l'école. Ils ne veulent pas être là-bas. Ils changent souvent d'écoles. Bon nombre d'entre eux fréquentent des écoles parallèles. Cependant, le conseil scolaire de Vancouver compte maintenant deux conseillers à la lutte contre l'homophobie, et ils sont donc réellement engagés dans une tentative de suppression de l'homophobie dans les écoles, et les écoles de Vancouver font un travail important en ce sens. On constate par ailleurs dans la ville un appui important à cette cause.
En Colombie-Britannique, un cours sur la justice sociale fera bientôt partie du programme d'études de la douzième année, et le conseil scolaire examinera bientôt le programme en entier de façon à s'assurer que le thème de la sexualité est abordé d'un point de vue historique, par exemple, là où cela pouvait ne pas se produire auparavant dans le cadre du programme d'études. Je crois que les choses sont définitivement en mouvement.
Je pense que ce qui me touche le plus au quotidien, c'est lorsque des jeunes ne sentent pas qu'ils ont une place à la maison. Même si les parents souhaitent les voir à la maison, il subsiste cette intimidation et ce harcèlement sous-jacent de la part de leur famille au sujet de leur sexualité. Ils ne peuvent être eux-mêmes. Ils ont le sentiment qu'ils doivent cacher qui ils sont. Cela fait certainement augmenter le risque auquel les jeunes font face et que causent différentes choses, et c'est donc très difficile. En fait, je n'ai encore jamais vu cela fonctionner. Je travaille auprès des jeunes depuis trois ans, et je n'ai jamais vu un jeune qui soit incapable d'obtenir un soutien adéquat à la maison se débrouiller et continuer d'aller à l'école.
Le sénateur Nancy Ruth : Le conseil scolaire de Toronto se trouve en plein dans le lancement du processus de collecte de données statistiques sur la sexualité des enfants dans les écoles, et on fait tout un vacarme politique à ce sujet. Est-ce que le conseil scolaire de Vancouver recueille des données statistiques sur l'orientation sexuelle?
M. Buchner : Je n'ai pas entendu parler d'une étude de ce genre. Je sais que, encore une fois, avec les rapports McCreery, qui sont des rapports plus anciens — je crois que ces rapports ont été rédigés en 1996 ou en 2000 — les rapports ne sont pas réellement fondés sur des questions comme « Êtes-vous homosexuel? » ou « Quel est le pourcentage d'homosexuels déclaré? » On pose plutôt des questions comme « Qu'arrive-t-il aux jeunes homosexuels dans le cadre du système d'éducation? » Je ne sais pas s'il y a des études en cours à l'heure actuelle.
Le sénateur Poy : Vous avez indiqué que le groupe dont vous vous occupez est constitué de gens âgés de moins de 25 ans. Vous travaillez avec les jeunes à partir de quel âge?
M. Buchner : Il y a des jeunes qui ont communiqué avec nous et qui n'avaient que 8 ou 9 ans, ou encore ce sont leurs parents qui l'ont fait, surtout en ce qui concerne des questions liées au sexe. Cependant, les jeunes qui viennent au GAB et qui participent à nos programmes ont habituellement entre 14 et 20 ans.
Le sénateur Poy : Vous avez un centre où les jeunes viennent? Est-ce comme cela que les choses fonctionnent?
M. Buchner : Oui.
Le sénateur Poy : Ils ne vivent pas là, n'est-ce pas?
M. Buchner : Non.
Le sénateur Poy : C'est comme un centre d'accueil?
M. Buchner : Oui.
Le sénateur Poy : Avez-vous dit que vous offrez des programmes de leadership?
M. Buchner : Certainement. Nous formons des jeunes pour qu'ils puissent organiser des ateliers de lutte contre l'homophobie dans les écoles, de façon que même des jeunes qui ont l'âge d'aller au secondaire puissent animer des ateliers dans leur école. Nous formons les membres d'alliances gais/hétérosexuels pour qu'ils puissent travailler dans les écoles, et, aussi, comme je l'ai déjà dit, nous organisons un camp de leadership pour favoriser l'acquisition par les jeunes homosexuels de compétences en leadership et leur permettre de contribuer davantage à leur collectivité, surtout dans les collectivités où l'isolement est plus fort, comme à l'extérieur de la région de Vancouver.
Le sénateur Poy : Vous avez dit que certains d'entre eux ne veulent pas retourner à l'école parce qu'ils ont des problèmes là-bas.
M. Buchner : Oui.
Le sénateur Poy : À quelle fréquence viennent-ils dans ces centres d'accueil? Viennent-ils chaque jour? Je souhaite seulement me faire une idée de la chose.
M. Buchner : Une idée?
Le sénateur Poy : Oui, s'il vous plaît.
M. Buchner : Nous sommes habituellement ouverts du lundi au jeudi, de 10 h à 18 h, puis le vendredi de 10 h à 22 h. Nous ne sommes pas ouverts la fin de semaine. Nos clients ont accès à nos services de jour. En ce qui concerne les séances sans inscription, nous en avons deux à l'heure actuelle, dont l'une est réservée aux filles qui commencera dans deux ou trois semaines. Ces séances se tiennent les vendredis soirs et les mercredis après l'école. C'est à l'occasion de ces séances sans inscription que de 20 à 25 jeunes viennent participer aux activités. Dans ce contexte, nous organisons des ateliers, par exemple pour le renforcement des compétences.
Le sénateur Poy : Est-ce qu'il arrive que les services à la famille aiguillent des jeunes vers votre organisation, ou est- ce que les jeunes doivent venir d'eux-mêmes?
M. Buchner : D'autres organisations s'occupant des jeunes nous ont déjà recommandé des jeunes. D'autres travailleurs auprès des jeunes, conseillers, et même des écoles — des conseillers scolaires et des enseignants qui avaient entendu parler de nous — nous recommandent parfois des jeunes. Je n'ai jamais entendu parler d'un jeune venant directement du MCFD, mais il y a certainement de nombreux services qui les aiguillent vers nous, malgré qu'ils puissent venir d'eux-mêmes aussi.
Le sénateur Poy : Vous avez dit qu'il arrive que les familles, disons les parents, amènent leurs jeunes chez vous, n'est- ce pas?
M. Buchner : Bien sûr. Nous recevons beaucoup d'appels de parents, et nous tentons de les aiguiller vers P Flag. Pour une raison ou une autre, les parents semblent préférer obtenir de l'aide de notre part plutôt que de P Flag. La raison de cela m'échappe.
La présidente : Pourriez-vous nous expliquer ce qu'est l'autre organisation dont vous parlez?
M. Buchner : P Flag est pour les parents — il s'agit d'un groupe de parents de jeunes homosexuels.
Le sénateur Poy : Merci. Y a-t-il au sein de l'organisation des psychologues qui peuvent aider ces jeunes?
M. Buchner : Il y en a. Nous offrons des services de conseils gratuits par l'intermédiaire du centre, et non directement par l'intermédiaire de GAB, et ces conseils gratuits sont généralement dispensés par des étudiants en psychologie, qui font une majeure en psychologie ou qui offrent des services de conseils. Nous disposons d'un système d'aiguillage par l'intermédiaire duquel nous recommandons les jeunes à différents conseillers, comme les conseillers spécialisés dans les problèmes de drogues et d'alcool, ou encore les conseillers qui sont sympathiques à la cause des homosexuels ou qui se déclarent eux-mêmes homosexuels. D'autres psychologues ou psychiatres nous appuient aussi.
Le plus gros problème auquel nous faisons face consiste à trouver un logement approprié pour les jeunes de la rue. Bon nombre de programmes visant les jeunes de la rue ont des fondements chrétiens, et les jeunes ont vraiment de la difficulté à accéder à ces services et à se sentir à l'aise dans ce contexte.
La présidente : Vous avez parlé des problèmes d'acceptation et des problèmes liés à l'école, mais vous n'avez pas parlé du VIH/du sida et de l'éducation ou de la sensibilisation par rapport aux autres maladies. S'agit-il d'un problème ou de quelque chose que les jeunes savent déjà et dont ils n'ont pas besoin?
M. Buchner : En fait, nous offrons des ateliers sur le VIH/sida et l'hygiène sexuelle. Nous collaborons avec la Youth CO AIDS Society, organisation dirigée par des jeunes et qui organise des ateliers dans les écoles sur les thèmes du VIH et de l'hygiène sexuelle, et nous fournissons donc beaucoup de connaissances sur ce sujet. Nous avons aussi une clinique gratuite et une clinique d'hygiène sexuelle au centre, les infirmières de la rue qui y travaillent sont formidables, et les jeunes peuvent y aller et poser toutes les questions qu'ils veulent poser, et cetera. Cependant, les jeunes homosexuels sont certainement plus à risque en ce qui concerne bon nombre de problèmes de santé, de consommation de drogues et d'alcool et d'autres problèmes du genre que les autres jeunes, en raison d'un certain nombre de facteurs sociaux.
La présidente : Notre comité se penche sur la Convention relative aux droits de l'enfant, et, dans ce contexte, nous prenons connaissance de nombreux volets différents de la vie au Canada. Enseignez-vous quoi que ce soit au sujet de la Convention relative aux droits de l'enfant? Est-ce que cela fait partie de votre réflexion?
M. Buchner : Non, pas jusqu'à maintenant. Après avoir lu l'appendice et avoir lu au sujet de la Convention, je vous dirais que oui, mais avant cela, je n'en avais pas réellement conscience. Nous savions, bien entendu, qu'il y avait des lois et surtout des lois canadiennes, en ce qui concerne la sexualité. Nous connaissons ces lois et les droits des jeunes et nous avons des connaissances au sujet de différents aspects. Il y a différentes ressources par l'intermédiaire desquelles nous instruisons les jeunes de leurs droits, que cela soit simplement en lien avec leur âge ou qu'il s'agisse de droits relatifs à leur sexualité. Je dirais que nous avons certainement des ressources concernant les droits de l'enfant, mais, dans le contexte de la Convention des Nations Unies, c'est la première fois que je lis à ce sujet, et j'ai aimé ce que j'ai lu. Après avoir lu les renseignements sur la Convention des Nations Unies, j'ai vu pas mal d'éléments qui ont certainement des liens avec la situation des jeunes homosexuels à l'heure actuelle au Canada, et des liens avec le fait que les choses s'améliorent certainement de façon draconienne pour les jeunes dans certaines régions du Canada, surtout en ce qui concerne l'intimidation et l'homophobie. Il s'agit d'un signe positif, mais je sais que le phénomène est confiné à certaines régions comme le conseil scolaire de Vancouver ou à Toronto ou à d'autres villes.
La présidente : J'allais vous poser la même question.
Mme Kelly : Ma formation est en droit de la famille, et en droit des enfants, et j'ai organisé un certain nombre d'ateliers dans les écoles de Vancouver sur les droits des enfants, en prenant, en fait, la Convention comme point de départ. La réaction des jeunes m'intrigue, puisqu'ils semblent ne jamais en avoir entendu parler auparavant. Cela ne fait pas partie de leur programme d'études, et ils sont tout à fait surpris d'entendre qu'ils ont ces droits au Canada, et ils indiquent les situations dans lesquelles ces droits ne sont peut-être pas toujours respectés. Lorsque je m'en vais, les enseignants sont toujours aux prises avec une certaine confusion au sein de leur classe. Cependant, je crois qu'il s'agit de quelque chose qu'il faudrait peut-être enseigner aux enfants, aux jeunes eux-mêmes.
Le sénateur Nancy Ruth : Et aux enseignants.
La présidente : Lorsque vous offrez un enseignement au sujet de la Convention relative aux droits de l'enfant — et je crois qu'un des témoins a bien dit aujourd'hui qu'il n'y a pas de droit sans responsabilité correspondante. Il m'arrive souvent de souhaiter que la Charte des droits et libertés ait comporté les mêmes droits, libertés et responsabilités, puisque nous n'aurions probablement pas à en débattre comme nous le faisons aujourd'hui.
Comment l'enseigner? Est-ce qu'il faut dire aux enfants « voilà vos droits » ou « puisque vous avez ces droits, vous pouvez choisir votre avenir vous-même, devenez donc responsable de votre vie »... ou s'agit-il simplement d'une question d'information?
Mme Kelly : Je vais en fait commencer par une histoire. Il s'agit d'une histoire que j'ai lue, et que Craig Keilburger a écrite, au sujet de sa prise de conscience relative aux droits de l'enfant, et c'est l'histoire d'un jeune garçon de 12 ans vivant au Pakistan. Il s'agit d'un ouvrier qui s'est battu pour ses droits et qui s'est fait tuer. C'est, dans un sens, là où ça a commencé; les enfants qu'on a imaginés lorsqu'on a rédigé la Convention étaient des enfants en situation périlleuse, tandis que les enfants occidentaux vivaient peut-être dans un certain luxe. Puis j'envisage la Convention en elle-même et j'essaie de l'appliquer à un contexte canadien, pour qu'ils puissent commencer à comprendre à partir des exemples que je leur donne, qui sont des espèces d'exemples généraux concernant les jeunes. Je suis aussi grande sœur dans le cadre du programme Grande Sœur/Petite Sœur. Je suis souvent en contact avec des jeunes qui vivent des situations quotidiennes auxquelles la Convention s'applique directement. J'essaie de mettre les choses dans ce contexte. Ça devient ensuite en général une discussion où des questions sont posées et des réponses sont données, et les jeunes sont simplement intrigués par ce qu'est en fait la Convention et le rôle qu'elle peut jouer dans leur vie. Bon nombre de jeunes homosexuels, ou à tout le moins des jeunes faisant partie de l'alliance gaie/hétérosexuelle de leur école, m'ont posé des questions précises sur les questions liées aux jeunes homosexuels.
La présidente : Les sénateurs ont-ils d'autres questions? C'est l'occasion ou jamais de les poser.
Le sénateur Nancy Ruth : Je crois que la question m'a échappé, mais c'était au sujet des façons différentes de traiter les garçons et les filles, mais je ne suis plus sûre de ma question.
Nous avons entendu hier des témoignages selon lesquels ce sont les garçons qui sont en fait les victimes d'intimidation dans les écoles, et que la discrimination envers les lesbiennes tend à être l'isolement. On les isole et elles sont seules. Je me demande si cela correspond à votre expérience, mais j'aimerais aussi obtenir plus de données sur les différences dans la manière dont les enfants des deux sexes sont traités. Je m'intéresse aussi aux jeunes transsexuels. Je veux aussi savoir combien de femmes deviennent des hommes et combien d'hommes deviennent des femmes parmi les jeunes transsexuels?
M. Buchner : D'après mon expérience, je crois qu'il y plus de filles qui deviennent des garçons.
Le sénateur Nancy Ruth : C'est ce que je pensais que vous diriez.
M. Buchner : Je me fie aux jeunes qui ont communiqué avec nous.
Le sénateur Nancy Ruth : C'est extraordinaire. Je ne comprends pas.
M. Buchner : En ce qui concerne l'intimidation dans les écoles qui a pour origine les différences entre les sexes, les choses semblent certainement différentes, en général, si l'on a affaire à un garçon ou à une fille. J'anime des ateliers dans les écoles, et nous parlons de ce que les gens pensent des lesbiennes, et, bien sûr, beaucoup de garçons hétérosexuels disent des choses comme « C'est correct, c'est tout à fait correct, mais pas deux gars », ou autres idées du genre. Encore une fois, d'après mon expérience de travail auprès des jeunes bisexuels ou des lesbiennes, ces jeunes font face aux mêmes choses. Elles sont victimes d'intimidation physique, d'autres filles les maltraitent et des garçons aussi.
En fait, j'ai remarqué récemment un changement en ce qui concerne la vision de la société des gais dans les écoles, parce que le sujet est plus médiatisé. On voit plus de gais parler ouvertement de leur sexualité dans les médias, plus qu'on ne voit de lesbiennes. Il est pratiquement normal pour les jeunes femmes d'avoir un meilleur ami gai, c'est nouveau et nous constatons cela. Dans bon nombre d'écoles, il y a des jeunes qui se disent ouvertement homosexuels, et les jeunes le disent de plus en plus tôt, à cause de nombreux facteurs : à cause de la manière dont la société l'envisage, à cause d'Internet et de choses du genre. Je dirais donc que les jeunes se dévoilent plus tôt, et qu'ils le font dans les écoles. Encore une fois, cependant, si vous êtes jeune et que vous avez de la difficulté sur le plan social, ou que vous avez de la difficulté à socialiser à l'école et que vous vous déclarez homosexuel, cela ce peut que l'expérience soit réellement traumatisante
Pour répondre à votre question, honorable sénateur, je crois que l'intimidation est aussi présente chez les garçons et chez les filles, mais je crois qu'elle se produit de façon différente.
Le sénateur Nancy Ruth : Cependant, il y a bien une raison pour laquelle vous avez décidé de créer un groupe réservé aux lesbiennes à votre centre. Ce que je veux dire c'est, d'où cela vient-il? Qu'avez-vous observé? Comment avez-vous analysé la situation et comment avez-vous décidé que cela constituait la façon de répondre aux besoins? Y a-t-il un groupe réservé aux garçons?
M. Buchner : Non, il n'y a pas de groupe réservé aux garçons. La plupart du temps, ce sont des garçons qui participent à nos ateliers, plus que des lesbiennes ou des femmes bisexuelles. Les lesbiennes et les femmes bisexuelles ont recours à nos services, mais elles ne participent pas nécessairement à nos ateliers, et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de créer un groupe réservé aux filles.
Le sénateur Nancy Ruth : Dites-vous que c'est une décision que le personnel a prise de faire cela pour tenter de faire en sorte que les lesbiennes utilisent vos services?
M. Buchner : Oui, pour que les filles soient plus à l'aise de venir utiliser nos services, certainement.
Le sénateur Nancy Ruth : Madame Kelly, pouvez-vous nous dire quelque chose à ce sujet?
Mme Kelly : J'ai quelque chose à dire au sujet de l'intimidation et des différences entre les sexes. Je crois que je suis d'accord avec M. Buchner pour dire que l'intimidation prend diverses formes. Je crois par ailleurs qu'il faut presque sortir du cadre de la sexualité pour comprendre l'intimidation à l'école et la manière dont les jeunes femmes sont victimes d'intimidation. Il s'agit dans tellement de cas de rectitude sexuelle, et si la jeune femme se déclare homosexuelle, et que, au bout du compte, elle représente une menace pour son sexe, alors l'intimidation est souvent de nature sexuelle. Il s'agit de l'affirmation de l'hétérosexualité ou du comportement sexuel adéquat par le harcèlement sexuel des jeunes femmes.
Le sénateur Nancy Ruth : Même le viol?
Mme Kelly : Je...
Le sénateur Nancy Ruth : ... ne le sais pas?
Mme Kelly : Je ne sais pas, mais les jeunes femmes sont déjà victimes de harcèlement sexuel. Nous le savons, et il s'agit peut-être de quelque chose qui s'ajoute. Je pense aussi que l'intimidation dont sont victimes les transsexuels, surtout les filles qui deviennent des garçons, a probablement beaucoup avoir avec la rectitude sexuelle.
M. Buchner : L'homophobie peut alors sembler très différente. Lorsque je demande aux jeunes dans les écoles « croyez-vous que votre école est un milieu sécuritaire pour les personnes qui se déclarent homosexuelles? » il arrive souvent qu'on me réponde qu'il n'y aura, au bout du compte, pas de violence physique réelle, ce qui se produit certainement parfois, mais on me parle davantage d'ostracisme ou d'isolement des jeunes homosexuels : ils ne se sentent pas les bienvenus ou n'ont pas d'amis. Les garçons et les filles ne sont pas nécessairement victimes de violence à l'école, ou encore après l'école, mais les jeunes répondent que cela pourrait arriver. Cependant, de manière générale, j'ai compris, dans le cadre des ateliers que j'anime dans le Lower Mainland, qu'il y a d'autres formes d'intimidation dans les écoles que l'intimidation physique.
La présidente : Nous en arrivons à la fin de la séance. Je tiens à vous remercier de vous être présentés et d'avoir communiqué votre expérience avec nous en ce qui concerne la Convention, que cette expérience soit récente ou non. Grâce à vous, nous avons davantage de données, et nous en avons besoin lorsque nous parlons de l'application, dans le contexte canadien, de la Convention relative aux droits de l'enfant.
Par ailleurs, il est important pour nous d'obtenir des renseignements sur tous les jeunes du Canada, parce qu'on ne peut pas toujours aborder le sujet d'un point de vue strictement juridique. Comme je suis certaine que vous le comprenez, madame Kelly, nous devons voir les choses du point de vue de la vie quotidienne des jeunes du Canada.
Nous vous remercions tous les deux d'être venus nous offrir des renseignements qui sont utiles à notre étude. Nous espérons terminer cette étude bien avant Noël, puisque nous devons alors rédiger notre rapport provisoire. Nous prévoyons rédiger un rapport final, et nous espérons qu'il vous sera utile, et, surtout, qu'il sera utile aux jeunes du Canada. Merci de votre présence.
Le comité suspend ses travaux.