Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 23 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne; et pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Nous poursuivons notre étude de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. Nous examinerons des enjeux liés aux droits de la personne, et, plus particulièrement, nous pencherons sur les instruments liés à la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant et à toute autre obligation internationale concernant les enfants.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui un groupe de témoins de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Craig Forcese, professeur adjoint, est accompagné de trois étudiantes : Farzana Jiwani, Mary Mitsios et Jennifer Stebbing. Les sénateurs membres de notre comité ont lu à votre sujet afin de ne pas perdre de temps pendant la séance du comité. Cela vise non pas à miner votre capacité de témoigner à l'occasion de l'audience, mais bien à veiller à ce que vous puissiez vous exprimer. Nous sommes heureux de vous avoir ici. Nous vous écoutons.
Craig Forcese, professeur adjoint, Faculté de droit, Université d'Ottawa : Au nom du Programme de stage en politiques étrangères de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, je tiens à remercier les sénateurs et le comité de nous avoir invités à présenter notre point de vue sur la Convention américaine relative aux droits de l'homme.
Dans le cadre du Programme de stage en politiques étrangères, une équipe d'étudiants en droit examine de fond en comble un sujet en politique étrangère canadienne axé sur des enjeux juridiques internationaux. Le produit fini est un mémoire détaillé soumis et présenté à des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux.
En 2005-2006, les participants au programme ont élaboré le mémoire présenté à votre comité sur le bien-fondé de l'adhésion du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Ces travaux donnaient suite à des conversations que j'avais eues en mai 2005 avec des membres de la Commission interaméricaine des droits de l'homme qui se disaient préoccupés par le fait que le Canada n'était pas partie à ce traité pour l'hémisphère. Ce projet s'inspirait également des travaux antérieurs de votre comité sur la Convention américaine relative aux droits de l'homme.
Les opinions formulées dans ce mémoire sont le fruit des travaux des participants au stage et n'engagent que ces derniers. Trois participantes sont ici aujourd'hui, et deux n'ont pu être présents. Au cours des sept minutes mises à notre disposition, les trois participantes au stage se présenteront et se prononceront brièvement sur une question de fond examinée dans le mémoire.
La présidente : Avant que nous passions à cela, j'ai jeté un coup d'œil à notre prochain groupe de témoins, et nous étudions l'ensemble des mécanismes internationaux relatifs aux droits de la personne. Nous effectuons une étude d'ensemble de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. J'avais envisagé l'ordre des témoins différemment. Vous allez vous concentrer sur l'Organisation des États américains, l'OEA, sur la Convention et les processus judiciaires prévus. Je cède maintenant la parole à Mme Stebbing.
Jennifer Stebbing, étudiante, Faculté de droit, Université d'Ottawa : Je tiens à vous remercier, au nom de nous trois, de nous donner l'occasion de témoigner devant le comité aujourd'hui. Je vais vous décrire brièvement le régime de droits de la personne de l'OEA, et j'énoncerai la principale raison pour laquelle le Canada devrait adhérer à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, ou CADH. Mme Mitsios analysera les diverses mesures juridiques que pourrait prendre le Canada, au moment de son adhésion, pour composer avec toute incompatibilité avec le droit canadien. Elle parlera également de la question du droit à la vie et de la clause fédérale. Mme Jiwani se penchera sur la liberté d'expression et le droit de réponse, et présentera une brève conclusion.
La CADH est entrée en vigueur en 1978. À l'heure actuelle, 25 États y ont adhéré. Mais le Canada et les États-Unis brillent par leur absence. On pourrait avancer que la CADH est l'instrument régional relatif aux droits de la personne le plus complet. Elle protège les droits civils et politiques, ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels de la personne. Les citoyens canadiens tireraient avantage des compétences supplémentaires de la Commission et de l'utilisation du tribunal qui seraient mis à leur disposition en vertu de la CADH. L'adhésion permettrait également au Canada de porter plainte contre les États qui violent les droits de la personne, ce qui va favoriser l'amélioration du respect des droits de la personne dans les Amériques.
Le Canada travaille à l'avancement de l'intégration économique dans l'hémisphère sans aider à créer un régime complémentaire de protection des droits de la personne. Un tel régime est crucial pour protéger les citoyens contre les effets parfois négatifs de l'intégration économique. En adhérant à la CADH, le Canada peut utiliser le régime de droits de la personne pour promouvoir le progrès économique respectueux des droits de la personne. En outre, nous pourrons nous montrer plus convaincants à l'égard de ces pays qui n'ont pas adhéré à la Convention ou qui songent à la répudier.
Le Canada pourrait également promouvoir le changement au sein du régime des droits de la personne des Amériques en procurant au régime l'expérience et l'expertise qui lui fait défaut.
En conclusion, même si le Canada est doté d'une Charte canadienne des droits et libertés et a adhéré à la Convention de l'ONU portant sur les mêmes sujets relatifs aux droits de la personne, son adhésion à la CADH conférera une légitimité accrue au régime, encouragera d'autres membres à assurer une participation pleine et entière, et procurera au Canada une occasion supplémentaire de tenter d'atteindre ses buts au sein du régime en vue d'assurer la transparence et la responsabilisation.
Mary Mitsios, étudiante, Faculté de droit, Université d'Ottawa : Comme on vous l'a déjà dit, j'aborderai trois questions aujourd'hui. Premièrement, malgré les nombreux avantages de l'adhésion à la CADH, il y a aussi des obstacles. Essentiellement, ces obstacles sont liés aux préoccupations concernant les nouvelles obligations juridiques qui découleraient de l'adhésion à la CADH.
Pour atténuer ces préoccupations, nous recommandons que le Canada recoure à une déclaration interprétative conditionnelle, en vertu de laquelle l'adhésion est assujettie à l'interprétation d'un terme ou d'une disposition.
De plus, nous recommandons que le Canada mise sur de telles déclarations interprétatives. L'effet juridique de cet outil viserait non pas à imposer une interprétation spécifique d'un terme ou d'une disposition, mais bien à en expliquer notre compréhension.
Deuxièmement, en ce qui concerne les droits et obligations prévus dans la CADH, il y a de l'incertitude à l'égard du droit à la vie garanti par l'article 4.1 de la CADH. Spécifiquement, les chercheurs et la société civile craignent que l'article 4.1 n'exige la réglementation de l'avortement au Canada. Par conséquent, nous recommandons fortement que le Canada adopte une déclaration interprétative conditionnelle imposant l'interprétation du Canada selon laquelle l'article 4.1 n'exige pas que le Canada établisse une réglementation relative à l'avortement.
Troisièmement, en ce qui concerne la mise en œuvre du traité, l'article 28 limite la responsabilité du gouvernement central afin que ses responsabilités en matière de mise en œuvre n'empiètent pas sur la compétence d'autres ordres de gouvernement. Malgré cela, selon l'interprétation de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, c'est le gouvernement central qui a la responsabilité d'appliquer la Convention, « quel que soit le partage constitutionnel des compétences ».
La responsabilité à l'égard de l'application n'empêche pas le gouvernement d'amorcer des négociations avec les gouvernements provinciaux à cet égard. Par conséquent, nous recommandons l'adoption d'une déclaration interprétative reconnaissant le fait que le Canada doit, à la lumière de notre répartition des compétences, négocier avec les provinces.
Farzana Jiwani, étudiante, Faculté de droit, Université d'Ottawa : Tel que mentionné précédemment, je vais faire la lumière sur deux préoccupations supplémentaires liées à la ratification de la CADH, concernant les droits liés à la liberté d'expression et le droit de réponse.
D'abord, les limites à la liberté d'expression définies à l'article 13 de la CADH sont conformes au droit canadien. L'article 13.2 prévoit que l'exercice du droit à la liberté d'expression comporte des responsabilités ultérieures au lieu d'être soumis à une censure préalable, tel que prévu dans le droit canadien. Toutefois, l'article 13.4 établit une exception selon laquelle on permet la censure préalable « uniquement pour [...] réglementer l'accès » à des spectacles publics.
Pour veiller à ce que les limites canadiennes applicables à la liberté d'expression ne puissent être contestées devant la Commission interaméricaine des droits de la personne ou un tribunal, nous recommandons que des déclarations interprétatives conditionnelles soient appliquées aux spectacles publics, et que l'article 13.2 soit soumis à une interprétation large.
Ensuite, l'article 14 de la CADH, concernant le droit de réponse, est compatible avec la loi canadienne. L'article 14 confère un droit de rectification à toute personne qui a subi un préjudice à la suite de la diffusion de données inexactes ou de déclarations diffamatoires le concernant dans un organe de diffusion légalement réglementé.
Même si le droit de réponse n'existe pas au Canada, les lois provinciales offrent des recours aux victimes de diffamation. Pour éviter toute ambiguïté, le Canada devrait adopter une déclaration interprétative précisant que le droit de réponse est limité par les droits garantis au chapitre de la liberté d'expression et de la liberté de presse.
Comme nous allons le démontrer, le Canada peut facilement adopter des déclarations dans le but de concilier le droit national et la CADH. La légitimité et l'efficacité d'un régime régional complet relatif aux droits de la personne sont minées par la réticence du Canada à assurer une participation pleine et entière. Par conséquent, pour veiller à ce que la protection des droits de la personne soit une priorité là où l'intégration économique l'emporte sur la protection des droits de la personne, le Canada doit adhérer à la CADH et adopter les déclarations recommandées.
La présidente : Merci. Vous avez décrit les points positifs ainsi que les obstacles à l'adhésion du Canada, aspect qui revêt peut-être plus d'importance. Nous aimerions examiner de façon plus approfondie ces obstacles avec vous.
Madame Mitsios, on a tenu de nombreuses consultations sur la façon dont nous pourrions soutenir l'OEA et nos initiatives à cet égard, dans la politique étrangère et par l'entremise des tribunaux, mais aucun gouvernement ne veut revenir sur la question de l'avortement. On craint que la ratification de cet article, même avec la déclaration interprétative, n'incite des gens au Canada à vouloir faire le point, dans un sens ou dans l'autre, sur cette question. Avez-vous songé à ce qu'un gouvernement pourrait faire pour sortir de ce dilemme, malgré la formulation de sa propre interprétation?
Mme Mitsios : À l'occasion d'une discussion en groupe, nous avons déterminé que, pour sortir de ce dilemme, le gouvernement pourrait demander à la Cour interaméricaine des droits de l'homme un avis consultatif afin que nous puissions clarifier l'interprétation.
La présidente : La Cour a-t-elle émis d'autres avis consultatifs? Je sais que notre tribunal s'est récemment aventuré dans cette voie, mais la Cour interaméricaine des droits de l'homme a-t-elle déjà émis des avis consultatifs à l'avance? Dans le cas qui nous occupe, il s'agirait d'un avis fourni avant l'adhésion du Canada. S'agit-il d'un cas unique, ou y a-t- il d'autres exemples que nous pourrions examiner?
Mme Stebbing : La Cour a produit de nombreux avis consultatifs, mais pas de son propre chef. À ma connaissance, elle n'a jamais formulé une opinion avant qu'un État adhère à la Convention. Il s'agirait d'une première pour la Cour, mais cela n'échappe pas à sa compétence. Si le Canada voulait s'assurer de l'interprétation de l'article 4.1 avant d'adhérer à la Convention, ce serait l'un des meilleurs moyens de le faire, car si la Cour formule une interprétation que le Canada ne veut pas accepter, il sait qu'il doit émettre des réserves ou formuler une déclaration interprétative conditionnelle. Ce serait utile de clarifier les choses. D'ailleurs, il est surprenant que personne n'ait encore posé la question. Je crois que c'est parce que personne ne veut connaître la réponse. Le point de vue à l'égard de la notion varie d'un État à un autre, et c'était le cas même au moment où on rédigeait la Convention.
La présidente : Aux fins du compte rendu, selon votre analyse, rien n'empêche un État de demander un avis consultatif à la Cour avant d'adhérer à la Convention?
Mme Stebbing : Rien ne l'empêche de le demander, mais la Cour peut ne pas répondre.
La présidente : Ce serait, bien sûr, à la discrétion de la Cour.
Mme Stebbing : Oui : la Cour peut choisir de ne pas répondre, car nous ne sommes pas partie à la Convention, mais un État qui a adhéré à la Convention peut poser la question en votre nom. Si nous entretenons des relations amicales avec un membre de l'OEA qui a adhéré à la Convention, qui est disposé à poser la question pour nous, alors cet État a peut-être davantage de pouvoirs, et il est possible que la Cour lui réponde.
La présidente : Dans votre déclaration préliminaire, madame Stebbing, vous avez affirmé qu'il serait avantageux pour l'hémisphère de voir le Canada adhérer à la Convention. En particulier, pour les femmes dans d'autres pays, quel serait l'avantage, selon vous, de notre adhésion?
Mme Stebbing : C'est une bonne question. En ce qui concerne les droits des femmes, le Canada a déjà accompli des choses importantes au sein de l'OEA, et nous avons adhéré à d'autres accords relatifs aux droits des femmes.
De façon générale, notre adhésion à la CADH créerait un régime plus robuste, car l'ensemble des parties à la Convention tireront avantage de la participation d'un pays industrialisé comme le Canada, qui peut mettre à contribution toute sa jurisprudence et son expérience en la matière. Je ne vois pas comment cela pourrait ne pas aider quiconque, en particulier les enfants ou les pauvres. L'intégration de notre expérience et de nos ressources au régime serait bénéfique à tous points de vue.
Le sénateur Carstairs : Bien que j'appuie pleinement l'adhésion du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, ainsi que sa ratification de cette Convention — et je m'intéresse à vos déclarations, car je crois qu'elles sont importantes —, mon expérience me dit que l'appareil judiciaire ne fonctionne pas très bien. J'exerce les fonctions de vice-présidente au sein du Comité des droits de l'homme des parlementaires de l'Union interparlementaire. Nous avons demandé à maintes reprises à la Cour interaméricaine des droits de l'homme de se pencher sur certains cas, en Équateur et en Colombie en particulier, et de les examiner. Ils disent souvent qu'ils vont le faire, et ensuite, ils font valoir que l'accumulation de dossiers est telle qu'ils n'arrivent jamais à ces questions.
Dans votre étude de la Convention et, par conséquent, de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, quelles sont vos conclusions à l'égard du fonctionnement du tribunal et de son manque d'efficacité? Le Canada peut-il apporter son aide en adhérant à la Convention et en fournissant une partie du financement nécessaire pour rendre ce tribunal plus efficace qu'il ne l'est à l'heure actuelle?
Mme Stebbing : Il y a plusieurs volets à votre déclaration. Premièrement, je crois que l'arriéré tient partiellement à un manque d'argent. Ils n'arrivent pas à regagner le terrain perdu parce qu'ils ne bénéficient pas du soutien d'un système fournissant suffisamment d'argent pour qu'on puisse en faire assez.
J'envisage le manque d'efficacité de deux façons. Premièrement, le tribunal examine effectivement des affaires. Les décisions sont censées être exécutoires. Elles le sont la plupart du temps, mais j'ignore le pourcentage exact. Les États se plient aux décisions de la Cour. La Cour est efficace lorsqu'elle prend une décision et se prononce sur une affaire. Je conviens du fait qu'on peut envisager l'efficacité sous un autre angle et se demander si le tribunal entend un nombre suffisant d'affaires. Je conviens du fait que le tribunal n'arrive pas à en faire autant qu'il le pourrait, en raison surtout de raisons budgétaires et du manque de personnel pour entendre les affaires.
Le sénateur Carstairs : Si le Canada était partie à la Convention, croyez-vous que cela pourrait augmenter le budget et, par conséquent, accroître la capacité d'entendre certaines de ces affaires?
Mme Stebbing : J'espère bien. J'espère que le gouvernement, en plus de faire sa part au chapitre du financement, prêtera son aide au début, pour montrer que la Cour est une instance efficace qui prend de bonnes décisions et qui procure des droits aux autres pays signataires. Si les autres pays signataires peuvent également donner davantage, alors ils devraient le faire. J'ose également espérer qu'un Canada signataire consentirait davantage de fonds à ce système, ce qui serait certainement utile.
Mme Jiwani : Si le Canada ratifiait la Convention, elle serait considérée comme plus légitime et plus efficace.
En réponse à votre question, les groupes de femmes ont à cœur la ratification de cette Convention et seraient disposés à mettre à contribution leurs ressources, leur expertise et du financement — pas seulement ceux du gouvernement, mais ceux de ces groupes de femmes qui ont produit des rapports s'appuyant sur de vastes quantités de recherches.
Mme Mitsios : De plus, la ratification de la Convention américaine par le Canada apporterait un soutien politique et renforcerait la volonté politique dans tout l'hémisphère, car le Canada est perçu comme l'une des grandes puissances dans l'hémisphère. Cela pourrait encourager d'autres pays à se joindre au Canada et à offrir du financement, du soutien et de l'expertise.
Le sénateur Munson : Soyez les bienvenus. Je suis membre du comité depuis relativement peu de temps. Depuis que je siège au comité, nous étudions principalement les droits de l'enfant.
Vous parlez de rehausser le rôle que joue le Canada à l'égard de l'OEA et de la Convention américaine sur les droits de l'homme. Vous faites du bon travail à l'université, mais, lorsque vous dites que l'adhésion du Canada à la Convention améliorera telle chose et donnera tel résultat, pourriez-vous me donner des exemples précis afin que les gens qui suivent les travaux du comité puissent comprendre exactement de quoi vous parlez? Il est normal que vous décriviez les choses à grands traits ici, mais si on s'adresse à monsieur et madame Tout-le-monde, qu'est-ce que nous améliorons? Que peut-on dire aux Canadiens pour leur montrer que cela va nous faire passer à un autre niveau, à l'échelle internationale, dans le domaine des droits de la personne? Pourriez-vous me donner des exemples d'où cela nous mènera?
Mme Stebbing : Si vous cherchez à déterminer en quoi cela va améliorer la vie des Canadiens en particulier, à l'heure actuelle, sous le régime de l'OEA, les Canadiens peuvent s'adresser à la Commission interaméricaine des droits de l'homme pour déposer une plainte relative aux droits de la personne contre le Canada, en vertu des règles actuelles de l'OEA. Si on adhère à la CADH...
Le sénateur Munson : De quoi s'agit-il?
Mme Stebbing : De la Convention américaine relative aux droits de l'homme.
Le sénateur Munson : Oui, mais nous devons vous comprendre.
Mme Stebbing : Lorsqu'on adhère à la CADH, on peut également habiliter la Cour interaméricaine des droits de l'homme à intervenir. À l'heure actuelle, les Canadiens n'ont pas accès à la Cour. En général, pour les Canadiens, le processus prend fin lorsque la Commission rend une décision. Toutefois, sa décision n'a pas force exécutoire, il ne s'agit que d'une recommandation. Le gouvernement peut faire ce qu'il veut de cette recommandation. Si la Commission estime qu'il s'agit d'un enjeu important à l'égard duquel la Cour doit trancher, elle recommande à la Cour de se prononcer, et la Cour se penche sur cette question. Ensuite, la Cour rend une décision exécutoire à laquelle le Canada est censé se plier. Comme je l'ai déjà dit, la plupart des États se sont pliés aux décisions de la Cour.
Le fait de pouvoir déposer des plaintes relatives aux droits de la personne permettrait de protéger davantage les droits des Canadiens. Prenons l'affaire Suresh c. Canada, concernant les droits des immigrants. La ratification de la Convention créerait un nouvel échelon dans le système judiciaire, une nouvelle instance qui pourrait se pencher sur l'affaire, déterminer si elle respecte les règles de la Convention, et prendre une décision à cet égard. C'est de cette façon que la ratification influera sur les droits des Canadiens en particulier.
Nous parlons également de l'incidence de la ratification sur l'Amérique du Sud et les États actuellement partie à la Convention. Nous parlons d'améliorations, car, à l'heure actuelle, ce sont des pays du tiers monde et des pays dont l'économie n'est pas au même niveau que les pays du G7 qui ont adhéré à la CADH. Il y a eu dans ces pays des violations des droits de la personne au cours des 20 dernières années. Ils cherchent des moyens d'améliorer la protection des droits de la personne chez eux. Ils se tournent vers les pays industrialisés — le Canada, peut-être — pour qu'on leur montre comment faire mieux. Si le Canada participe au régime et déclare qu'il reconnaît et accepte le régime, le régime sera, en soi, plus viable.
Le sénateur Munson : Y a-t-il une différence entre « ratification » et « mise en œuvre »? Notre étude sur les droits de l'enfant nous a permis de constater que notre pays a ratifié la Convention, mais qu'il ne l'a pas appliquée.
La présidente : Notre comité a accueilli de nouveaux sénateurs depuis le début de nos travaux. Le Canada est effectivement devenu membre de l'Organisation des États américains. Il s'agit d'un organisme à la fois juridique et politique. On peut ensuite faire appel à une commission, et il y a toute une procédure établie. Toutefois, nous n'avons jamais accepté de reconnaître la compétence de la Cour. La différence — je tiens à le rappeler aux membres du public et du comité —, c'est qu'il ne s'agit pas d'une Convention en vertu de laquelle on doit reconnaître la compétence de la Cour. C'est une situation propre à notre hémisphère.
Nous étudions la situation en vue de prodiguer des conseils au gouvernement, car cela va au-delà de ce que nous faisons dans le cadre des autres études, où nous nous contentons de recommander la mise en œuvre. La mise en œuvre, dans le cas qui nous occupe, consiste à reconnaître la compétence de la Cour et à en accepter les conséquences. J'ignore si vous comptiez fournir plus de détails sur la question de la mise en œuvre. Aurions-nous à changer certaines de nos lois au Canada, ou s'agit-il seulement de dire que la Cour est désormais accessible? Est-ce que la reconnaissance du tribunal mènerait à la mise en œuvre d'autres dispositions, selon vous?
Mme Stebbing : Nous n'avons pas besoin de changer les lois du Canada; parfois, la différence entre la ratification et la mise en œuvre tient à la façon dont le Canada adhère à un traité. On peut ratifier un traité, mais il ne s'applique aux lois canadiennes que si les lois canadiennes abondent dans le même sens, c'est-à-dire si on a enchâssé les dispositions du traité dans les lois du Canada. Voilà pourquoi il y a une légère différence entre la ratification et la mise en œuvre. On peut ratifier un traité, mais cela ne change pas grand-chose à la vie d'un citoyen canadien si les dispositions du traité ne sont pas enchâssées dans nos lois, car les tribunaux ne peuvent pas encore l'invoquer.
Le sénateur Munson : Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas avocat. Je suis relativement nouveau dans l'arène politique, mais je sais très bien comment poser des questions, alors je tire avantage chaque jour de la grande sagesse des gens ici présents.
Y a-t-il des groupes d'envergure qui s'opposent à la ratification de la Convention américaine? Avez-vous une opinion sur leur opposition à la Convention? Je crois savoir que certains groupes s'y opposent peut-être.
Mme Jiwani : Certains groupes craignent que la Convention ne limite ou n'étende la portée d'une disposition. Par exemple, concernant la liberté d'expression, certains groupes avancent que la Convention conférerait aux particuliers un droit automatique de réponse ou le droit de demander à un journal d'apporter une correction. C'est pour cette raison que nous recommandons l'adoption d'une déclaration interprétative conditionnelle selon laquelle nous interprétons cet article de façon à ce que la liberté d'expression soit assujettie aux restrictions prévues dans le droit canadien. Le fait de ne pas avoir à changer nos lois et de montrer que la CADH est compatible avec le droit canadien aidera d'autres pays qui n'ont pas adhéré à la Convention à le faire aussi, et améliorera la protection des droits de la personne dans ces pays.
Le sénateur Dallaire : De nombreuses personnes dans notre pays ne savent même pas qu'il y a une Organisation des États américains. De fait, quand Joe Clark y a adhéré en notre nom, cela nous a surpris. J'étais dans l'armée, et nous ne savions pas que nous avions signé cela. Il n'y avait pas eu de débat sur la question. Depuis, nous avons reçu énormément d'information concernant le maintien de la paix et la responsabilité des militaires envers les gouvernements démocratiques, les démocraties libérales, et ainsi de suite. Il y a eu de nombreux échanges. À l'heure actuelle, nous contribuons à la reconstitution de l'armée bolivienne afin que le pays puisse s'affranchir de son passé dictatorial et devenir un pays démocratique. Il y a donc dans ces pays de nouvelles luttes à l'égard de ce que cette région du monde peut offrir. Nous nous sommes toujours concentrés sur l'Amérique du Nord. Nous savons peu de chose sur cette région du monde, et nous essayons de la découvrir.
Un certain nombre de personnes d'Amérique centrale, des Antilles et d'Amérique du Sud immigrent dans notre pays. Pouvez-vous me dire si les pays suivants ont signé ou ratifié la Convention : Haïti, Colombie, Venezuela, Uruguay, Jamaïque et République dominicaine? Y a-t-il des gens de ces pays qui se seraient établis ici parce qu'ils ont été victimes de violations des droits de la personne dans leur pays, et qui font appel à une participation du Canada à cette convention afin que la situation dans leur pays d'origine s'améliore?
Mme Stebbing : La Colombie, la République dominicaine, Haïti, la Jamaïque et le Venezuela ont adhéré à la Convention.
Le sénateur Dallaire : Ainsi, les personnes des Amériques qui immigrent au Canada ne constituent pas nécessairement un groupe de pression susceptible de nous inciter à ratifier la Convention.
Quelle forme prennent les structures en matière de droits de la personne des pays qui ont signé et ratifié la Convention? S'agit-il d'une commission ou d'un commissaire national responsable de la protection des droits de la personne? Est-ce que cela relève tout simplement du ministère de la Justice? Y a-t-il un dirigeant politique à l'égard de cette question? Que savez-vous de ces structures nationales relatives aux droits de la personne, et en quoi se comparent- elles aux nôtres?
Mme Stebbing : Je suis désolée, mais nous n'avons pas effectué de recherche sur cette question pour la rédaction de notre mémoire, alors nous ne pouvons pas répondre à cette question. Nous serons heureux de faire cette recherche pour vous et vous transmettre la réponse par courriel, si vous voulez.
Le sénateur Dallaire : Cela m'intéresse beaucoup, car j'essaie de mettre en valeur, lentement, l'importance pour le Canada de faire preuve de leadership au chapitre des droits de la personne. Je crois qu'il faut exercer à l'égard des droits de la personne un leadership non pas nécessairement bureaucratique, mais plutôt politique, partout au pays.
La présidente : Sur cette question, si vous avez le temps de faire des recherches et d'y réfléchir, vous pourriez peut- être soumettre un document à la greffière afin qu'elle puisse le distribuer à tous les sénateurs, dans les deux langues officielles, à titre d'information.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir à l'article 28 concernant la responsabilité du gouvernement central au chapitre de la mise en œuvre, pour ce qui est de ne pas empiéter sur la compétence d'autres ordres de gouvernement. Je crois que les provinces sont un peu préoccupées par le fait que nous nous penchions sur cette question. À quoi tiennent leurs préoccupations? Craignent-elles pour les chartes des droits et libertés qu'elles ont établies, ou y a-t-il là des considérations qui nous échappent?
Mme Stebbing : Nous pouvons vous donner une réponse partielle. Je sais, à la lumière de nos nombreuses lectures, que ces questions sont soulevées à l'occasion de conférences fédérales-provinciales. Malheureusement, ces rencontres ont lieu à huis clos, et nous ignorons quels sont, du point de vue des provinces ou du gouvernement fédéral, les vrais enjeux. Comme l'a mentionné Mme Jiwani, les préoccupations des provinces tiennent probablement à la clause fédérale de la Convention.
Mme Jiwani : L'article prévoit que le gouvernement fédéral serait responsable de la mise en œuvre de la Convention. Ainsi, le gouvernement fédéral serait responsable de tout manquement. Mais, à notre avis, rien n'empêche le gouvernement fédéral de discuter de ce qu'il faudrait faire avec les provinces. Il n'est dit nulle part que l'article l'emporte sur la compétence provinciale, ou qu'il peut empiéter sur elle, alors les pouvoirs provinciaux et fédéraux sont maintenus si on ratifie la Convention et on applique l'article 28.
Le sénateur Dallaire : Les provinces ne sont pas d'accord avec cela, je suppose.
Mme Jiwani : Les provinces craignent que la mise en œuvre n'autorise le gouvernement fédéral à empiéter sur leurs compétences. Cependant, à l'égard de traités antérieurs, le gouvernement fédéral a négocié avec les provinces et les a consultées, et il a veillé à ce qu'il n'y ait aucun empiétement.
Le sénateur Dallaire : Ces rencontres fédérales-provinciales sont-elles dirigées par des bureaucrates? Sont-elles tenues par des politiciens?
Mme Mitsios : Je crois qu'il s'agit de rencontres internes.
M. Forcese : Si vous le permettez, j'aimerais intervenir. Cela s'applique à tout processus de ratification pour tout traité canadien, surtout dans le domaine des droits de la personne. Pour revenir à la question du sénateur Munson, il est vrai que notre reconnaissance de la Cour devrait nécessairement être enchâssée dans le droit canadien. Cependant, nombre de droits prévus dans la Convention américaine sont liés à des aspects régis par les lois provinciales, de sorte que toute modification législative nécessaire au Canada incomberait, en toute franchise, aux provinces. Dans de nombreux cas, il incomberait aux provinces d'atténuer ou de modifier les lois provinciales.
J'imagine que certaines provinces ne voient pas d'un bon œil l'idée que leurs lois provinciales soient soumises à l'examen d'un tribunal situé au Costa Rica. Pour ce qui est du fonctionnement du processus de ratification, c'est, du point de vue d'un observateur externe, un peu nébuleux. Cependant, il y a un processus plus ou moins officiel dans le cadre duquel les fonctionnaires du gouvernement fédéral consultent leurs homologues provinciaux lorsqu'il est question de ratifier un traité international. On craint que, si le gouvernement fédéral ne consulte pas les provinces, le Canada sera incapable de mettre en œuvre la Convention parce que les provinces résisteraient.
Le sénateur Dallaire : Lorsqu'il s'agit de ratifier une convention, la responsabilité est-elle plutôt bureaucratique que politique?
M. Forcese : Le processus de ratification en soi est un exercice de la prérogative royale assujetti à l'approbation du Cabinet, mais, certes, les détails de la plupart des traités internationaux relèvent du ministère des Affaires étrangères, en consultation avec d'autres ministères du gouvernement. Je présume que la décision finale quant à la ratification est prise à l'échelon politique.
Le sénateur Dallaire : Ma dernière question est pour vous, monsieur Forcese. C'est une initiative merveilleuse, cet exercice méthodologique ou pédagogique dont vous parlez, lequel a mené à l'élaboration de ce mémoire. Quelle note leur avez-vous donnée : A, B ou C?
M. Forcese : Ils ont eu un A. Lorsque cinq étudiants produisent 100 pages, on leur donne un A.
Le sénateur Dallaire : Nous devons parler de cela.
La présidente : Il a fallu beaucoup de temps avant que le professeur n'intervienne, et je pense que ce simple fait nous en dit long sur la capacité et le potentiel de ces étudiantes.
Monsieur Forcese, les étudiantes ont examiné de façon compétente les divers domaines. À votre avis, y a-t-il une quelconque différence entre le fait de s'inscrire à la Cour interaméricaine des droits de l'homme et de participer à une autre organisation internationale? Notre comité a défendu l'idée que la procédure appropriée que devrait suivre le gouvernement fédéral avant d'aborder un nouveau domaine serait de consulter suffisamment les gouvernements provinciaux. De cette façon, lorsqu'il y aurait un certain consensus, les provinces seraient au courant, et elles connaîtraient leurs responsabilités, ainsi que les conséquences de celles-ci. Si nous pouvions remonter le temps, est-ce que ce serait le type de processus que vous auriez défendu pour la Cour interaméricaine des droits de l'homme?
M. Forcese : En fait, je défendrais ce processus pour tout traité international d'une quelconque importance. J'y ajouterais non seulement des dimensions fédérales et provinciales, mais aussi la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le Parlement. Dans le cadre de notre système actuel, il n'est pas obligatoire de procéder à des consultations au Parlement avant de ratifier un traité. Ainsi, en ce qui concerne l'application, s'il appartient au Parlement d'adopter des lois pour l'application d'un traité donné, et que les parlementaires ignorent à peu près tout de la nature des obligations internationales que le gouvernement est sur le point d'accepter, cela pourrait avoir des répercussions négatives à long terme sur l'application du traité. Je sais qu'on a proposé non seulement de rendre les consultations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux officielles, mais aussi de faire en sorte que les traités soient déposés devant le Parlement lui-même et soumis à l'examen d'un comité comme le vôtre avant d'être ratifiés. Les deux idées seraient bien reçues. Le gouvernement prétendra que, en ce qui concerne les relations fédérales-provinciales, il consulte toujours les provinces. Cependant, ce n'est pas rendu public, et il n'y a pas de document décrivant la procédure qui soit facilement accessible par un membre de la population souhaitant comprendre ce que le processus suppose. Il serait utile de rendre le processus plus transparent.
La présidente : Vous avez vu venir ma deuxième question, mais pas la troisième.
Nous sommes au beau milieu de tout cela. Nous nous sommes joints à l'Organisation des États américains. Il y a eu une certaine résistance, qui persiste, mais la volonté politique a néanmoins été là à un moment donné. Le premier ministre de l'époque, M. Mulroney, a indiqué qu'il voulait aller de l'avant. Il a fait face à un certain scepticisme, mais on a adopté sa proposition, et tout le monde a reconnu que c'était une bonne idée. Nous avons pensé qu'il y aurait dû y avoir davantage de consultations, — nous étant la contrepartie canadienne, — avant de nous inscrire à la Cour. Nous ne sommes pas sûrs de bien connaître les tenants et les aboutissants de ces consultations, ni du fait qu'il y a eu des consultations politiques aux échelons fédéral et provincial, et même, en fait, avec d'autres États de l'OEA. Puis, le temps a passé, et les bureaucrates ont évidemment discuté de la question; nous ne savons ni dans quelle mesure ni à quelle fin.
Ce que je veux dire, en fait, c'est que le temps a passé. Ce n'est pas une nouvelle initiative. Quelle est, à votre avis, la meilleure manière de surmonter l'inertie bureaucratique ou politique et de déterminer si nous devrions reconnaître la compétence de la Cour, compte tenu du fait que le processus est déjà à mi-chemin, et non plus au début?
M. Forcese : Vous disposez probablement des mêmes renseignements que moi, c'est-à-dire selon lesquels le gouvernement fédéral a récemment demandé à des milliers de personnes d'examiner l'idée d'accéder à la Convention américaine. Certaines organisations sans but lucratif se sont inquiétées, dans le sens où elles ont déterré d'autres raisons pour lesquelles elles ne pourront y accéder. Nous n'avons jamais pris connaissance du résultat final de cette consultation interministérielle au fédéral. D'après ce que je sais, le document se trouve sur le bureau du ministre de la Justice depuis au moins avril. Je ne sais pas si cette information est exacte, mais c'est celle dont je dispose. Si c'est le cas, la façon logique de créer un enthousiasme chez le ministre de la Justice et chez les autres membres de la bureaucratie serait de leur demander de témoigner devant vous et de répondre à vos questions sur l'état d'avancement du processus.
Le sénateur Dallaire : Le rythme de la discussion tient, à mon avis, au fait qu'il s'agit d'une situation plutôt inhabituelle, en ce sens que l'une des lois fondamentales de notre pays est la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte est à la base de la manière dont nous percevons notre croyance en les gens, notre point de vue humain. Il s'agit aussi d'une loi fondamentale quant à la manière dont nous nous percevons dans le monde. Malgré tout, il n'y a absolument aucune surveillance ou orientation politique sur ce sujet précis. C'est une sous-composante du ministère de la Justice, l'Agence canadienne de développement international, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et d'autres ministères qui tendent à faire passer ces choses du côté de la bureaucratie. Ces organisations ne sont pas nécessairement l'objet de l'attention, elles ne font pas partie des priorités, et elles ont encore moins la capacité de régler des questions litigieuses qui exigent une orientation politique, comme la ratification d'une nouvelle convention.
Au moment où nous entrons dans cette nouvelle période, postérieure à la guerre froide, complexe et ambiguë, il faut beaucoup plus de surveillance politique du contenu de nos préoccupations concernant les droits de la personne et leur application, préoccupations qui évoluent constamment. Il faut espérer que les comités qui n'ont pas de pouvoir exécutif, qui peuvent soulever des questions et que nous espérons influencer, puissent raffermir l'engagement politique à ce sujet.
La présidente : Vous avez dit avec éloquence ce que nous avons inscrit dans notre rapport, c'est-à-dire qu'à un moment donné, nous recommandons aux gouvernements, tant provinciaux que fédéral, de prendre au sérieux la question de la législation concernant les droits de la personne du point de vue international. Lorsque nous signons des ententes, comment les mettons-nous en œuvre? Nous sommes cependant allés plus loin, en disant comment le processus devrait être lancé et comment il devrait se dérouler. Vous parlez de volonté politique. Nous avons aussi formulé une recommandation au sujet de la volonté du Parlement.
Le sénateur Nancy Ruth : Tout le monde encense le Canada et ses droits à l'égalité. On cite les articles 15.1, 15.2 et 28 de la Charte. On parle de la Commission provinciale des droits de la personne, mais, en réalité, d'après ce que je sais, il n'y a pas de loi civile dont puisse se prévaloir un citoyen victime d'inégalité ou de discrimination au Canada.
Comment le fait de signer cette convention permettrait-il de mettre davantage de pression sur les parlementaires, pour qu'ils se penchent sur le fait que nous n'avons pas de loi sur l'égalité? Comprenez-vous ce dont je parle?
Mme Stebbing : Oui.
La présidente : Je veux m'assurer de comprendre.
Le sénateur Nancy Ruth : On peut poursuivre les gouvernements dans le cadre de la Charte, mais il se peut que ce ne soit pas le gouvernement que l'on souhaite poursuivre.
La présidente : Vous dites que la Charte traite de ce qui a rapport au gouvernement, et que c'est là l'intention.
Le sénateur Nancy Ruth : Il n'y a pas de loi civile concernant les droits à l'égalité au Canada.
La présidente : Est-ce que l'une des étudiantes, ou M. Forcese, souhaite dire quelque chose là-dessus?
Le sénateur Nancy Ruth : C'est merveilleux de vous voir tous ici. C'est l'avenir.
La présidente : Est-ce que le système, l'Organisation des États américains ou la Cour prennent en charge l'aspect civil des choses, ou seulement le rapport entre l'État et le citoyen, ce qui fait l'objet de notre Charte?
M. Forcese : Pour préciser, vous parlez de l'idée d'un recours contre le secteur privé, et non seulement contre le gouvernement, en ce qui concerne les droits de la personne.
Le sénateur Nancy Ruth : Oui.
M. Forcese : Dans une certaine mesure, les lois provinciales concernant les droits de la personne nous offrent ce recours.
Le sénateur Nancy Ruth : C'est un labyrinthe par lequel on doit passer, qui est géré par chacune des provinces. Il n'y a pas de loi fédérale.
M. Forcese : C'est vrai; il y a la Commission canadienne des droits de la personne, malgré que son mandat soit plutôt limité en ce qui concerne les entreprises qui relèvent du fédéral.
Pour répondre à votre question, la jurisprudence à ce sujet, assez vieille maintenant, indique que les organisations provinciales des droits de la personne ont bel et bien remplacé la perspective d'une action judiciaire en réparation d'une discrimination, en vertu de la common law. Dans leur sagesse, les assemblées législatives provinciales ont créé un appareil supplantant tout concept existant en common law.
Vous avez raison; il n'y a pas en tant que tel de recours judiciaire en cas de discrimination.
Le sénateur Nancy Ruth : Il me semble que c'est un problème. Des gens comme Mme Catharine MacKinnon, de l'Université du Michigan, pensent que c'est effroyable que le Canada n'ait pas de loi comme celle-là; elle a travaillé avec notre Charte lorsqu'elle était à Osgoode Hall.
M. Forcese : En ce qui concerne les choses précises qui existeraient en vertu de la Convention américaine, je ne sais pas si cette convention nous obligerait nécessairement à élaborer un volet du droit de la responsabilité civile délictuelle pour la discrimination.
Pour illustrer la manière dont ces procédures internationales peuvent avoir une incidence sur les recours des Canadiens, un exemple remarquable est la torture. Bien entendu, nous avons la Convention des Nations Unies contre la torture. Il existe un organisme des Nations Unies chargé d'évaluer le rendement des pays en vertu de ce traité international.
Très récemment, on a condamné le Canada pour sa Loi sur l'immunité des États, qui empêche les poursuites judiciaires contre des États devant les tribunaux canadiens, lorsque ces États se livrent à la torture. Le comité des Nations Unies contre la torture a dit que le Canada était obligé de fournir des recours contre la torture en vertu de la Convention des Nations Unies contre la torture, même lorsque c'est un État étranger qui est à l'origine des actes en question.
Le gouvernement n'a pas encore réagi, mais un organisme international, en réaction à la frustration de Canadiens ayant subi un préjudice aux mains d'un gouvernement étranger et n'ayant pas trouvé de recours au Canada, a réagi et s'est adressé au gouvernement du Canada pour lui dire qu'il ne se pliait pas à ses obligations internationales en mettant un obstacle sur le chemin des personnes qui lancent des poursuites et qui tentent d'obtenir réparation.
Il se peut que la Convention américaine offre une chose semblable. Ce que la Convention américaine peut offrir, c'est un autre endroit où aller pour les Canadiens qui sont insatisfaits des recours politiques et judiciaires qu'ils auront trouvés au Canada, et un encouragement aux gouvernements canadiens à faire preuve de créativité.
Le sénateur Carstairs : Madame Stebbing, vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire que les deux signataires de la Convention qui brillent par leur absence sont le Canada et les États-Unis. D'après vos lectures et vos recherches, pensez-vous que les États-Unis pourront jamais signer la Convention, même si le pays n'a jamais voulu adhérer à la Cour internationale de Justice? J'aimerais profiter du fait que vous avez fait des recherches là-dessus.
Mme Stebbing : Je n'ai pas vu le moindre indice d'une volonté de signer de la part des États-Unis. Je crois que si les États-Unis faisaient quelque chose, ce serait d'adhérer à la CADH, mais le pays ne reconnaîtrait pas la compétence de la Cour. Je ne pense pas que cela se produise jamais, mais il est possible que les États-Unis adhèrent à la CADH.
Ils ont exactement les mêmes problèmes avec nous que les problèmes dont nous avons parlé concernant leurs lois. Ils envisageraient le même genre de déclarations interprétatives. Ils ne signeraient pas sans réserve, en disant qu'ils sont d'accord avec tout.
La présidente : Les États-Unis voient leur taille comme une chose importante, que vous vouliez utiliser l'expression superpuissance ou une autre expression, et cela fait partie du processus d'évaluation par lequel ils décident ou non de reconnaître les compétences internationales. Dans vos lectures, avez-vous constaté que c'était l'une des raisons données par de nombreux autres pays qui voulaient que le Canada se joigne à eux — pour aider d'autres pays, de tailles petites ou moyennes, à se rassembler pour obtenir un consensus quant aux démarches à adopter à l'échelle internationale. Ils voient ainsi comme une chose très utile le fait que le Canada, pays de l'Amérique du Nord, puisse se joindre à eux, et, peut-être à long terme, pensent-ils que le Canada est le pays le mieux placé de l'hémisphère pour convaincre les États- Unis.
Mme Stebbing : Je dois préciser que les opinions sont celles des auteurs provenant de ces pays, et non les opinions des gouvernements de ces pays en tant que tels, puisque je n'ai pas accès à ce que pensent les gouvernements.
Il y a une volonté de rallier le Canada pour certaines des raisons que vous avez mentionnées — parce que c'est utile. Les autres pays se tournent aussi vers le Canada parce que nous avons ce super système des droits de la personne; nous avons la Charte et d'autres choses du genre, et ils s'intéressent à notre expertise. Que nous fournissions cette expertise parce que nous avons adhéré à la CADH ou à titre d'aide intergouvernementale n'a aucune importance.
On obtiendra plus de légitimité en faisant signer le Canada et les États-Unis. Le fait que les deux plus grand pays de l'organisation ne signent pas engendre des problèmes. Si l'on prend par exemple d'autres documents régionaux, l'Union européenne a un document semblable, et l'ensemble des pays de l'Union européenne ont signé ce document. Ils font cela, tandis que le Canada est, grosso modo, à l'extérieur du système des droits de la personne de l'OEA. Cela fait que les systèmes ne sont pas aussi légitimes qu'ils pourraient l'être ou aussi bons et productifs qu'ils pourraient l'être. Les auteurs de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud le soulignent et, souhaitent rallier le Canada parce qu'ils pensent que cela sera utile.
La présidente : Il y a aussi un mouvement dans l'adoption de systèmes régionaux pour renforcer la Cour internationale de justice et le système des Nations Unies. Par exemple, la Cour européenne de justice et l'Union africaine ont leurs propres systèmes. Dans vos recherches, avez-vous constaté qu'il s'agissait de l'une des autres raisons de rallier le Canada — pour compléter le système régional?
Nous traiterions avec les États-Unis de façon indépendante, mais nous harmoniserions les lois, obtiendrions un certain consensus, et les lois seraient donc les mêmes. En d'autres termes, nous envisageons l'élaboration d'un code et d'une norme internationale, de façon qu'une région ne parte pas de son côté et dise qu'elle ne reconnaît pas ces droits ou les voit différemment. Nous voulons lentement trouver un consensus à l'échelle internationale au sujet des droits de la personne, et cela commence par l'obtention du consensus à l'échelle régionale.
Mme Stebbing : Je suis d'accord avec cela; et, comme je l'ai dit dans mon introduction, la CADH est probablement la plus complète. Elle est plus complète que celle de l'Union européenne et que celle de l'Afrique. Je suis d'accord pour dire que, sans consensus régional, il sera difficile d'aller plus loin et d'obtenir un consensus international, pour que ce soit le résultat d'un travail à l'échelle mondiale que tous les pays respecteront.
Si l'on prend les États-Unis à part, il serait utile d'ajouter les derniers éléments au système. Nous en avons 25 de 34 à l'heure actuelle; il n'en manque pas beaucoup. Le système serait complet si le Canada s'y joignait. Je pense aussi que cela encouragerait les quelques pays qui restent à signer — peut-être pas les États-Unis, mais les autres qui se joindraient au système.
Il y a deux pays qu'ils ont pensé dénoncer. Le Canada a essayé de se prononcer là-dessus, mais on a répondu que le pays n'avait pas encore signé : comment pouvez-vous nous dire de ne pas dénoncer un autre pays si vous n'avez pas encore signé?
Mme Jiwani : Je voulais ajouter quelque chose à ce sujet moi aussi. Vous avez parlé des petits pays qui attendent du Canada une démarche qui soit davantage normalisée. Il y a beaucoup d'écarts entre les pays. En ratifiant la Convention, nous ferions en sorte que ces pays puissent examiner nos lois, ce qui les aiderait à négocier entre eux lorsqu'ils pensent à une dénonciation, ou même pour améliorer leurs propres lois là où il y a des écarts.
Le sénateur Nancy Ruth : Ce qui me vient immédiatement à l'esprit lorsque vous dites que ces pays demandent au Canada de se tenir tranquille, c'est le commerce, et c'est comme ça que vous avez amorcé la discussion. Quel est le rôle des syndicats dans tout cela, et comment exercent-ils des pressions ici au Canada pour que le Canada signe la Convention? Historiquement, on les a vus comme un contrepoids à la malveillance des grandes entreprises.
Mme Stebbing : Je n'ai soit pas cherché soit pas trouvé cela dans mes recherches. Je pourrais chercher la réponse à votre question, à moins que mon professeur ou l'une de mes collègues ait une réponse à vous offrir.
Mme Mitsios : Pour reprendre une chose que ma collègue a dite, en ce qui concerne les syndicats, nous n'avons pas trouvé de points de vue particuliers à eux. Par contre, une chose que nous avons découverte dans le cadre de nos recherches est que la Convention américaine relative aux droits de l'homme est distincte et qu'on la voit comme étant davantage complète, parce que, lorsqu'on l'a négociée, on a fait en sorte qu'elle tienne compte du point de vue des pays en développement et de la manière dont ils envisagent les droits. Ce point de vue comporte souvent des choses comme les droits économiques et les droits sociaux. En ce sens, le Canada, comme puissance moyenne, en accordant davantage de volonté politique à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, pourrait contribuer à l'atteinte d'un consensus entre, par exemple, les États-Unis et les pays d'Amérique latine, l'Amérique du Sud et l'Amérique centrale, ainsi que les points de vue différents qu'ils offrent au sujet de cette convention particulière.
La présidente : C'est tout le temps que nous avions. Je remercie Mme Jiwani, Mme Mitsios, Mme Stebbing et M. Forcese d'être venus. Je dois dire que nous vous accordons un A. Nous nous sommes penchés sur la Convention relative aux droits de l'enfant et, bien qu'on ne puisse dire que vous êtes des enfants ou des adolescents au sens de la définition, vous êtes jeunes mais accomplis, et vous nous avez offert un point de vue. Je crois que nous devrions favoriser la participation d'un plus grand nombre d'étudiants à nos discussions.
Le sénateur Munson : On dirait un juge.
La présidente : Nous avons toujours du respect pour les idées du professeur, mais, de temps à autre, il est bon de recevoir des étudiants. Merci d'être venus et d'avoir donné un souffle nouveau à notre examen de la manière dont on devrait envisager la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Votre suggestion de faire appel au ministère de la Justice et aux ministres responsables de cette question à ce moment-ci arriverait à point. Nous vous remercions d'avoir effectué des recherches, du temps que vous avez pris pour venir ici, de votre éloquence quant aux sujets abordés et des réponses fournies à toutes les questions des sénateurs.
Notre prochain témoin, Mme Kathy Vandergrift, est la présidente de la Coalition canadienne pour les droits des enfants. Nous aimerions que vous présentiez un court exposé, puis nous passerons à la période de questions.
Kathy Vandergrift, présidente, Coalition canadienne pour les droits des enfants : Merci beaucoup de m'offrir cette occasion de vous parler des travaux importants que le comité a effectués.
J'ai eu l'occasion d'entendre votre dernière discussion. Ce que je vais dire n'est pas la position officielle de la coalition. Au fil du temps, j'ai participé à de nombreux débats au sein de la société civile en ce qui concerne les Amériques, et, au cours des deux dernières années, à des débats en vue des rencontres de l'Organisation des États américains, dans le cadre desquels la principale demande de nos collègues de la société civile des autres pays était que le Canada ratifie cette entente concernant les droits de la personne.
Au cours des dernières années, le Canada a été un ardent défenseur de la cause démocratique auprès de l'Organisation des États américains. Les pays en question sont souvent intéressés à mieux définir l'idée de la démocratie, et cela concerne en partie les droits de la personne et, pour une grande part, les droits de l'enfant. Certains des mécanismes mis en place dans les Amériques ont été très efficaces en ce qui concerne les droits des enfants, et certains des pays ont des initiatives assez fortes en ce qui concerne ces droits. Les représentants de la société civile des Amériques ont exprimé cela. Je voulais que vous le sachiez.
Dans le cadre des débats qui ont lieu au sein de la société civile du Canada, certains groupes de femmes ont des préoccupations. Si vous étudiez la question, peut-être voulez-vous communiquer avec certains de ces groupes. Je ne parlerai pas en leur nom, mais vous aimeriez peut-être les entendre.
Je suis ici aujourd'hui pour parler de trois thèmes. Premièrement, nous souhaitons dire à quel point nous avons apprécié le rapport provisoire du comité sur l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous sommes ici pour vous encourager à assurer le suivi de ces recommandations dans votre rapport final. Il y a d'autres éléments que nous aimerions porter à l'attention du comité, dans le but de faire avancer les choses. Premièrement, les constatations du comité recoupent les nôtres en ce qui concerne le besoin pour le Canada de se doter de mécanismes plus efficaces pour l'application des droits de l'enfant au pays. La coalition a participé à certains des exercices de surveillance et à la promotion de la Convention relative aux droits de l'enfant, et nous sommes d'avis que le Canada a besoin de ces mécanismes plus efficaces.
Nous sommes totalement en faveur de l'idée d'exiger une loi qui fasse de la Convention relative aux droits de l'enfant un élément du droit canadien, et nous suggérons que vous envisagiez d'ajouter à cela un processus d'examen de la manière dont nous pouvons faire appliquer la loi existante. Je sais que cela sera l'une des sources d'hésitation, mais si l'on prend le temps de le faire, cela devrait être non pas un obstacle, mais bien une occasion.
Nous sommes conscients des difficultés de le faire dans le contexte du fédéralisme. J'encourage le comité à voir cela comme une occasion, et non comme un obstacle. De nombreux mécanismes fondés sur les droits offrent des outils qui permettent de tenir compte de la diversité dans l'ensemble du pays, tout en faisant respecter des valeurs fondamentales comme l'absence de discrimination et l'équité. L'adoption de tels mécanismes fondés sur les droits pourrait contribuer à l'amélioration des relations fédérales-provinciales. Une partie de la nouvelle loi doit porter sur une plus grande responsabilité et une plus grande transparence publique. Nous apprécions aussi le fait que vous ayez abordé ce thème dans votre rapport.
Nous vous encourageons à poursuivre dans cette voie et à envisager un processus qui permettrait d'évaluer la conformité de la loi avec la Convention, de façon semblable à ce qui a été fait concernant les droits de la femme. Ce processus devrait faire intervenir non pas seulement les bureaucrates, mais aussi les parlementaires et la population.
Deuxièmement, nous apprécions le fort appui à l'égard de la création d'une commission dans votre rapport. Nous vous demanderions d'envisager l'ajout d'une procédure de plainte. Les mécanismes d'application des droits de la personne comportent une disposition concernant la procédure de plainte. De cette façon, les problèmes peuvent être portés devant l'organe administratif, et peuvent être réglés avant que les gens aient à intenter des poursuites judiciaires très coûteuses. Il est clair que le Canada pourrait continuer d'être un leader en envisageant d'intégrer une procédure de plainte à la proposition de création d'une commission.
Troisièmement, la Coalition pour les droits des enfants fera certainement la promotion des recommandations formulées dans votre rapport. Nous vous avons fait parvenir par télécopieur un document que nous envoyons aux organismes qui s'occupent des droits des enfants à l'échelle du pays. Nous avons envoyé une lettre au premier ministre Harper dans laquelle nous présentons une autre justification à l'appui de vos recommandations, soit le fait que le Canada se félicite d'être nommé au sein du nouvel organisme de défense des droits de la personne de l'ONU. L'une des choses que l'on demande aux membres du nouveau Conseil des droits de l'homme, c'est qu'ils soient des chefs de file dans l'application des conventions internationales dans leur propre pays. Si le Canada souhaite être un membre du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, il faut que le pays examine la manière dont est appliquée la Convention relative aux droits de l'enfant au Canada. Ensuite, bien entendu, nous aimerions demander au Canada de faire preuve de leadership lorsqu'il s'agira de s'assurer qu'on tienne compte des droits des enfants au nouveau Conseil des droits de l'homme. C'est l'une des exigences à respecter pour être membre, et le Conseil va évaluer tous les membres. C'est là une autre justification que vous pouvez inscrire dans votre prochain rapport. Enfin, comme je l'ai déjà mentionné, la coalition s'est renouvelée au cours de l'été. Nous espérons nous engager dans la défense des droits en lançant un nouveau processus de surveillance, et en nous préparant dès maintenant pour le prochain rapport du Canada, en 2009.
On nous a informés du fait que le Comité des droits de la personne examinera de façon de plus en plus approfondie les mécanismes en place dans un pays pour l'application de la Convention. Nous nous concentrerons aussi là-dessus dans le cadre de nos activités de surveillance, à partir de maintenant, et nous espérons être prêts en janvier 2009, lorsque le Canada produira un nouveau rapport. Cette fois, nous espérons mettre en œuvre une stratégie de défense des droits tout en sollicitant des appuis au Canada, et en envisageant une stratégie de surveillance.
J'espère que vous nous verrez comme des alliés de la société civile dans le cadre des travaux du comité pour faire avancer la question.
La présidente : Merci. Pourriez-vous expliquer rapidement au comité et au public le travail que vous effectuez à la Coalition?
Mme Vandergrift : La Coalition est un réseau national d'organisations s'occupant de la promotion de la Convention relative aux droits de l'enfant au Canada, et elle participe au suivi de l'application de cette convention au pays. Le Comité des droits de l'enfant prévoit un droit de présentation de contre-rapports par des organisations de la société civile du pays. La Coalition l'a déjà fait à deux reprises, et c'est le processus que nous envisageons de suivre encore une fois. Les grandes organisations de défense des droits de l'enfant sont généralement membres, et nous faisons passer le message par elles. Le nouveau conseil compte 15 membres très dynamiques, et nous nous sommes engagés à donner de l'ampleur à nos activités au cours des deux prochaines années.
Le sénateur Nancy Ruth : Ma question porte non pas particulièrement sur la Convention relative aux droits de l'enfant, mais plutôt sur le Canada et sur toutes les conventions que le pays a adoptées. Vous avez parlé de résultats. J'ai été témoin de la manière dont certaines femmes ont réagi à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Bon nombre d'entre elles ont exprimé leurs points de vue au sujet de ce qui ne s'est pas produit. Je n'arrive pas à me souvenir d'avoir lu quoi que ce soit au sujet de ce qui s'est réellement passé. Y a-t-il eu des changements, même si cela n'a pas permis d'éradiquer la pauvreté, par exemple? Voyez-vous la possibilité, dans le cadre de toutes ces conventions, de mesurer les résultats, plutôt que de simplement dire : « Vous n'avez pas apporté le grand changement que nous espérions »?
Mme Vandergrift : Lorsque la Coalition a évalué le rendement du Canada la dernière fois, le titre du rapport a été Le Canada respecte-t-il ses engagements? Nous avons tenté de trouver l'équilibre entre les accomplissements et les problèmes. Un sujet aussi vaste que la Convention relative aux droits de l'enfant peut vous amener à produire un très gros document, et le comité n'a pas beaucoup de temps pour l'examiner; le gouvernement prépare ce genre de rapport complet. Bien sûr, le rapport gouvernemental décrit toujours de façon très positive ce que nous avons fait. Le comité préfère que nous, qui représentons la société civile, mettions en lumière certaines des zones qu'il faut explorer davantage.
Je voudrais souligner qu'il serait important, la prochaine fois, que le Canada donne suite aux commentaires formulés par le comité la dernière fois, et qu'on soit en mesure de montrer qu'on a bel et bien pris des mesures en conséquence. Certains membres de notre organisation le font dans le cadre de discussions avec les ministères, et nous souhaitons être en mesure de dire, la prochaine fois, que la question est réglée. Nous voulons parler tant des progrès réalisés que des zones où il y a des problèmes.
La Convention relative aux droits de l'enfant comporte un élément que nous n'avons pas suffisamment utilisé par rapport à certaines des préoccupations des provinces, et cet élément, c'est la notion de réalisations progressives. Selon ce concept, on ne doit pas tout faire à la fois, mais on doit au moins avancer, et non reculer en ce qui concerne les principaux indicateurs. Il faut établir des objectifs et mesurer les progrès.
Lorsque le Canada a élaboré son plan d'action national pour la mise en œuvre du plan « Un monde digne des enfants », on a discuté d'objectifs concrets. Nous manquons d'objectifs réellement concrets, mais le fait d'établir des objectifs est certainement un pas en avant.
Le sénateur Nancy Ruth : Vous aimez les objectifs.
Mme Vandergrift : Oui, puis il faut avancer en élaborant un plan d'action pour réaliser ces objectifs et continuer d'avancer. Par exemple, en ce qui concerne la pauvreté chez les enfants, nous savons que certains des pays qui ont réglé ce problème de cette façon ont fait de réels progrès. Je pense que vous savez que nous n'avons pas fait beaucoup de progrès. Nous pensons qu'il s'agit d'une façon de procéder, et il est certain que le plan d'action permet d'en faire la prochaine étape.
Le sénateur Nancy Ruth : De quelle façon pensez-vous que la procédure de plainte pourrait fonctionner?
Mme Vandergrift : On pourrait examiner toutes les plaintes. On pourrait aussi en examiner un nombre limité parmi celles soumises à la Commission. On a proposé ou élaboré une procédure de plainte dans le cadre de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et il y a certains modèles qu'on pourrait envisager. L'idée générale est que les groupes de jeunes qui pensent qu'on a violé leurs droits de façon systémique pourraient en faire part, et on pourrait leur donner une réponse sans qu'ils aient besoin d'intenter une poursuite judiciaire. J'imagine qu'il faudrait du travail. On s'inquiéterait du fait de recevoir trop de plaintes, j'en suis sûre; cependant, je suis convaincue que nous pourrions vraiment arriver à faire fonctionner cette procédure de plainte.
Je peux peut-être vous donner un exemple lié aux problèmes que connaissent les Autochtones. Certains d'entre vous ont probablement entendu parler du cas d'un jeune Autochtone qui a fait un séjour à l'hôpital pour des soins de courte durée, et qui a vu les gouvernements fédéral et provincial se renvoyer la balle lorsqu'est venu le temps de payer pour les soins à domicile. Si un cas comme celui-là était porté à l'attention d'un groupe, je pense que la plupart des parlementaires ou des gens diraient : « Réglez cette question et assurez-vous que l'enfant se trouve à la bonne place », puis réglez les problèmes entre le fédéral et le provincial. C'est un argument en faveur du fait de privilégier les intérêts de l'enfant et d'adopter un mécanisme qui permette de mettre fin aux chinoiseries de l'administration pour le faire. C'est comme ça que nous voyons le fonctionnement de la procédure. Peut-être qu'il faudrait d'abord en limiter la portée, mais nous aimerions que les choses aillent dans cette direction.
Le sénateur Carstairs : On nous a parlé d'un cas intéressant dans une collectivité d'une réserve du Manitoba, le cas d'un enfant qu'on gardait à l'hôpital simplement parce qu'on n'arrivait pas à obtenir une autorisation relative à une pompe. Nous sommes au courant d'autres cas du genre. C'est incroyable qu'on puisse garder un lit d'hôpital occupé, alors que ce lit vaut 1 200 $, parce qu'on n'a pas une pompe à 108 $.
Le rapport publié par les Nations Unies le 11 octobre au sujet des répercussions de la violence sur les enfants m'inquiète particulièrement. Le rapport ne nomme aucun pays, mais il est clair que le Canada viole bon nombre des recommandations — tout, des punitions corporelles infligées aux enfants aux lois du travail, en passant par les taux extraordinairement élevés d'emprisonnement des enfants. Est-ce que votre groupe étudie ce rapport précis, et formulerez-vous des recommandations dans le même sens que le rapport présenté à l'Assemblée générale?
Mme Vandergrift : Oui. Lisa Wolff, d'UNICEF, est l'un des membres de notre conseil, et elle a beaucoup travaillé à la préparation de ce rapport et à son lancement à New York. D'après ce que je sais, on prévoit un événement pour novembre, dans le cadre duquel on lancera le rapport au Canada. Nous espérons que, d'ici le lancement, nous disposerons aussi d'un rapport régional plus détaillé. Mais je pense qu'on a examiné la situation du Canada et des États-Unis ensemble.
Nous comprenons que certaines des recommandations des Nations Unies sont semblables aux recommandations du comité, au chapitre du besoin de certains mécanismes pour régler ces questions. Bon nombre de nos membres participeront aux événements de novembre à Vancouver, événements qui auront pour thème ce rapport précis, et notre conseil a déjà fait du suivi du rapport un point à l'ordre du jour.
Le sénateur Carstairs : D'après ce que je sais, le lancement aura lieu les 19 et 20 novembre à Vancouver.
En ce qui concerne la procédure de plainte, évidemment, la réticence des gouvernements aura trait au fait que cela est simplement trop général, et que, en six mois, le système sera tellement congestionné qu'il ne sera plus possible de produire de rapports. Si vous et votre comité deviez fixer certaines limites, pourriez-vous envisager quelque chose comme le fait de dire que, au cours des cinq premières années, vous recevriez des plaintes ayant pour objet, par exemple, la violence faite aux enfants et la santé chez les Autochtones?
Avez-vous une idée de ce à quoi vous pensez en tant que limite?
Mme Vandergrift : J'aimerais en faire part au groupe. Nous sommes certainement disposés à travailler avec vous lorsque nous mettrons en œuvre les prochaines étapes, tant la loi que tout mécanisme en découlant, pour voir comment nous pouvons contribuer à les rendre efficaces.
J'envisagerais la situation des protecteurs de l'enfance à l'échelle provinciale. Je m'attends à ce que, dans de nombreuses provinces, on se préoccupe beaucoup du fait qu'ils pourraient être débordés aussi. Il y en a qui le sont, mais ils ont trouvé des façons de s'en sortir. Je ne peux pas imaginer travailler sans un mécanisme fédéral aussi. Comme vous le savez, certains des protecteurs de l'enfance des provinces ont des mandats plus limités que d'autres, et c'est l'un des problèmes. Je serais réticente à limiter la portée de la procédure, sauf pour nous lancer, comme vous le dites; examinons cela, puis l'autre chose, mais sans limiter le mandat, de peur que des droits soient violés.
Certains des membres du groupe examinent la situation d'autres États fédéraux, comme, je pense, votre comité a commencé à le faire aussi. Soit dit en passant, quelqu'un posait une question sur les mécanismes de défense des droits des enfants dans les Amériques. L'Argentine dispose d'un mécanisme, et il s'agit d'un État fédéral. C'est très intéressant.
Nous examinons aussi la situation d'autres États fédéraux pour voir ce que nous pouvons apprendre, dans le but de surmonter cet obstacle, qui semble être l'un des obstacles auxquels nous faisons face au Canada. Vous en entendrez davantage à ce sujet de la part des membres qui travaillent à cela.
Le sénateur Munson : Je viens de relire la Convention relative aux droits de l'enfant, comme le sénateur Landon Pearson m'a dit de le faire de nombreuses fois. Nous avons ratifié cette entente en 1989 et nous sommes maintenant en 2006. Je serais curieux de voir le visage des enfants du pays, si le Canada avait bougé et appliqué la Convention dans un délai de cinq ans. Nous sommes maintenant en 2006, et nous sommes toujours en retard sur de nombreux autres pays. Qu'est-ce qui aurait changé dans la vie des enfants? Pouvez-nous donner des exemples précis de ce qui est arrivé aux enfants canadiens? Nous venons d'entendre un exemple, fourni par le sénateur Carstairs. Je pose probablement des questions qu'on vous a posées des milliers de fois.
Mme Vandergrift : Ma première question serait : de combien de temps disposez-vous? Il ne fait pas de doute que les membres de notre groupe pensent que les enfants canadiens se trouveraient dans une meilleure situation si nous avions pris les mesures nécessaires pour appliquer la Convention à l'aide de mécanismes sérieux dès le début.
Le sénateur Munson : Avez-vous des exemples précis?
Mme Vandergrift : Nous avons travaillé au dossier des enfants séparés de leurs parents au Canada. Nous avons découvert des exemples plutôt tragiques d'enfants perdus entre les systèmes provinciaux du bien-être des enfants et le système d'immigration.
Il y a un certain nombre d'années que nous défendons l'idée de la mise en place d'une politique nationale pour les enfants séparés de leurs parents. Nous avons porté cette plainte devant le Comité des droits de l'enfant, et vous verrez dans le rapport que le Canada devrait avoir mis en place une politique de ce genre. Il s'agit d'un exemple concret d'un besoin d'engagement plus sérieux.
Il est certain que les personnes qui travaillent auprès des enfants qui passent des familles d'accueil au tribunal de la jeunesse pour aboutir en prison font état de nombreux cas dans lesquels ils sont d'avis qu'on n'a pas respecté totalement les droits des jeunes. Il est certain que la protectrice des droits des enfants de l'Ontario a travaillé sur certains de ces cas et les a améliorés. C'est un autre sujet.
La notion des droits des Autochtones est très large. J'ai cru que l'idée de privilégier l'intérêt des enfants autochtones d'abord pour déterminer ensuite quelle administration est responsable constituerait un mécanisme conforme à la Convention relative aux droits de l'enfant et utile aux enfants en question.
S'il est question de la santé des enfants, les exemples que l'on peut donner sont nombreux, et je reviendrais au cas de la pauvreté chez les enfants. Si nous prenions au sérieux la Convention relative aux droits de l'enfant, nous aurions constaté déjà une amélioration du sort des enfants pauvres.
Le sénateur Munson : Dans notre système d'éducation provinciale, est-ce que les élèves saisissent cela? Les élèves en sont-ils conscients et est-ce que cela fait partie de l'enseignement donné? Nous avons parcouru le pays, et j'ai eu l'impression que les gens étaient au courant de ce que nous faisions, mais qu'à part les gens comme vous, ceux qui se trouvent dans le mouvement à la base même, je crois que personne n'avait la moindre idée de ce que représentent les droits de l'enfant.
Mme Vandergrift : Une des obligations des États parties à la Convention relative aux droits de l'enfant consiste à sensibiliser le public à la question, à promouvoir l'éducation en la matière. C'est un des aspects qui doit être davantage mis en valeur. Certes, nous faisons une partie de ce travail; nous avons une trousse d'outils pour la surveillance dans les collectivités, nos membres prennent part à des ateliers et conçoivent des leçons pour les enfants de divers groupes d'âge dans les écoles, mais il n'y a rien de systématique en ce moment.
Le sénateur Munson : Est-ce qu'il devrait y avoir quelque chose de systématique?
Mme Vandergrift : Oui, il devrait y avoir quelque chose de systématique en ce qui concerne l'éducation du public. Par exemple, ce n'est pas un élément obligatoire de quelque programme d'études que ce soit. Certes, l'éducation et la promotion font partie de la mise en œuvre, et nous sommes d'avis qu'il faut insister nettement plus là-dessus.
Le sénateur Munson : À votre avis, que faudrait-il pour que le gouvernement franchisse le seuil voulu? Il y a des sénateurs qui militent en faveur de cette convention depuis un certain temps déjà, que faudra-t-il pour faire agir le gouvernement?
Mme Vandergrift : Certains progrès ont été faits. Au moment où la Convention a été adoptée, nous avons constaté que, dans l'idée des gens, c'était une sorte d'idéal auquel il fallait aspirer et non pas un pacte auquel se conformer en prenant pour mesure le minimum prescrit. De plus en plus, nous nous dirigeons vers l'adoption d'une telle position, et c'est ce qui se passe dans d'autres pays.
Qu'est-ce qui devra se passer pour que le gouvernement agisse? Il faudrait peut-être un incident gênant sur le plan international. Le Canada ne pourra continuer à dire qu'il est un chef de file parmi les pays, et je crois que votre comité en est arrivé à ce constat lui aussi. Les gouvernements ne voudront pas se retrouver dans une situation où le Canada n'est pas vu comme un chef de file. Cela fera partie de la pression internationale en faveur de la Convention.
Nous n'allons pas pouvoir continuer à préconiser certaines des idées que le Canada a préconisées par le passé. Je travaille beaucoup à promouvoir la protection des droits des enfants menacés par la guerre. Si nous voulons continuer à agir en ce sens et insister pour que les autres pays respectent les droits des enfants, nous devons faire voir que nous faisons de notre mieux au Canada. Quand nous allons à l'étranger, certes, la situation des enfants autochtones est soulevée en ce qui concerne la société civile : vous ne vous débrouillez pas si bien dans votre propre pays; pourquoi êtes-vous venu ici, nous dire qu'il faudrait faire mieux?
C'est une question d'incitation et d'attraction, à mon avis. Sans aucun doute, nous allons consacrer des efforts au dossier depuis la base même, avec votre concours. Il y aura les pressions provenant de l'étranger, et les deux facteurs ensemble, nous l'espérons, produiront des effets.
La présidente : Le sénateur Nancy Ruth et le sénateur Munson ont tous deux parlé de mise en œuvre et de stratégies, et les questions touchant les femmes ont été invoquées. Dans l'expression « organisations de la société civile », la notion d'organisation est importante; tout de même, dans le cas du mouvement des femmes, il y a eu les électrices, puis les femmes se sont regroupées pour faire pression.
Comment faire pour attirer l'attention du public et des politiciens, pour qu'ils comprennent que les enfants ont des droits en ce moment même et non pas à l'avenir? Ils cultivent peut-être des idées progressistes, ce qui fait qu'il faudrait une stratégie différente, non? Nous semblons employer les mêmes stratégies quelle que soit la question concernant les droits de la personne. Dans le cas des droits des enfants, faut-il trouver quelque chose de plus novateur, pour imposer la question à l'esprit des politiciens et des membres du grand public?
Mme Vandergrift : Les politiciens réagissent bien aux jeunes, je crois. Sur notre fiche descriptive, j'ai noté que la mobilisation des jeunes dans le cadre du processus politique soulève de véritables préoccupations au pays. Chaque élection fait voir des politiciens qui parlent de l'absence de participation des jeunes au processus politique. Nous disons qu'il faut commencer non pas au moment des élections, mais plus tôt en mobilisant les étudiants. Vous parlez aux jeunes des droits et des responsabilités, qui font partie de la vie en société. Si nous souhaitons que les jeunes participent au processus politique, il est certes utile de les aborder quand ils sont très jeunes et de leur parler de droits et de responsabilités. Nous pouvons tous réfléchir à des façons plus novatrices de procéder.
Le travail que nous accomplissons dans d'autres pays, dans le cadre du développement international, nous procurerait peut-être des enseignements utiles. Nous devons voir en quoi les enfants prennent en charge le développement dans certaines collectivités. Nous pourrions libérer toute une énergie au profit du bien commun au Canada en employant certaines des stratégies que nous employons dans le cadre du développement international, en travaillant auprès des jeunes et en les faisant participer au développement. Le potentiel est là.
Je ne peux pas revenir à la chicane fédérale-provinciale qui hante toujours ce dossier, mais cela s'est révélé un obstacle. C'est pourquoi j'insiste pour dire que des mécanismes fondés sur les droits pourraient nous aider à trouver une solution au problème en question. Nous ne devrions pas permettre que cela demeure un obstacle à l'application d'approches fondées sur les droits au pays.
La présidente : Vous avez parlé de droits et de responsabilités liés aux responsabilités civiques. Devons-nous insister sur le fait que tout droit est associé à une responsabilité, et comment le ferions-nous dans le cas des enfants?
Mme Vandergrift : Les droits et les responsabilités représentent les deux côtés d'une même médaille; on ne saurait avoir un sans l'autre. C'est ce que nous essayons d'expliquer aux jeunes. L'organisme Aide à l'enfance publie un merveilleux petit livre où il est question à un moment donné d'un droit sur une page, et de la responsabilité qui y correspond, sur l'autre. C'est un livre pour enfants, un outil de travail merveilleux. J'aimerais pouvoir vous montrer certains des livres en question aujourd'hui. Nous devons mobiliser les jeunes. Les jeunes doivent comprendre qu'être citoyen du Canada, c'est d'avoir des droits et des responsabilités.
Le sénateur Dallaire : Quand je suis revenu au Canada avec l'intérêt que je porte à la question des enfants touchés par la guerre, j'ai pu regrouper mes idées sur la question grâce à deux femmes, qui sont présentes aujourd'hui, le sénateur Landon Pearson et Mme Vandergrift, qui m'ont servi de mentors. Ces deux femmes m'ont aidé à approfondir beaucoup la question. Le comité a entendu des témoins extraordinaires; il serait sage de demeurer en communication avec ces témoins au moment de préparer le rapport.
Il y a de terribles aberrations au Canada. Certains enfants vont à l'école sans avoir mangé d'abord. En droit pénal, nous permettons toujours les sévices physiques envers les enfants dans les familles. Certaines personnes ne semblent pas saisir le concept de droits des enfants. À une conférence tenue à Santa Barbara, j'ai discuté avec M. David Frum, qui a dit qu'il ne serait jamais d'accord avec l'idée, car il ne se voyait pas poursuivi par ses propres enfants sous prétexte que ceux-ci auraient des droits. Voilà qui montre à quel point la notion a été tordue. C'est pourquoi nous devons agir.
Ce qui m'amène à parler du mouvement qui s'est amorcé en ce qui concerne la Convention et son application. Le comité a proposé la création d'un commissariat aux droits de l'enfant qui aurait peut-être aussi qualité d'ombudsman et ainsi de suite. À mon avis, un commissariat n'aurait aucun pouvoir.
Êtes-vous d'avis que, au départ, c'est le législateur qui doit s'engager à mettre en œuvre la Convention et en surveiller l'application, plutôt que ce soit l'administration qui s'en charge?
Mme Vandergrift : Merci de poser la question. Notre première recommandation à l'intention du comité, c'est de légiférer pour que la Convention relative aux droits de l'enfant soit inscrite en droit canadien. Les avocats qui travaillent au nom des enfants nous disent que les tribunaux canadiens commencent à faire davantage allusion à la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. Cependant, comme la Convention n'est pas une loi canadienne à proprement parler, les tribunaux ne peuvent l'envisager au même titre qu'une loi provinciale sur les services d'aide à l'enfance, par exemple. Oui, nous demandons d'abord que vous en fassiez un élément du droit canadien. Ce serait la première étape. Puis, il faut créer un éventail de mécanismes. Même si les tribunaux prennent la question davantage au sérieux et que les avocats invoquent la loi, il faudra des mécanismes pour régler les questions qui se présentent, particulièrement en ce qui a trait aux enfants. La participation des enfants aux affaires judiciaires pose des difficultés. C'est là qu'un commissaire entre en jeu et que s'applique la procédure de plainte. Nous n'éliminerions jamais le droit de porter une cause devant un tribunal là où la loi fait partie du droit canadien.
Le sénateur Dallaire : Les commissaires et les procédures sont souvent dérivés de lois, qui servent d'assises. Ce ne sont pas les bureaucrates qui sont à l'origine des lois, même si, souvent, ils peuvent imprimer un mouvement certain à la démarche. Ce sont les politiciens qui légifèrent et, en dernière analyse, je ne vois pas d'autres façons de faire : même dans notre démocratie libérale, nous n'avons pas de chef politique qui s'intéresse vraiment à faire progresser les droits au pays.
Ma deuxième question me ramène au Canada et à sa position en ce qui concerne la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. Le Canada, en tant que chef de file parmi les puissances intermédiaires et démocratie libérale reconnue ayant une charte dans ses lois fondamentales, a-t-il un rôle de premier plan à jouer en ce qui concerne les droits des enfants? Le Canada doit-il envisager un projet, un effort, une priorité en particulier à l'étranger ou chez lui?
Mme Vandergrift : Pour répondre à votre première question, sénateur, dans notre fiche, nous proposons que le responsable des mécanismes de surveillance produise un rapport à l'intention d'un comité parlementaire. Je suis d'accord avec vous pour dire que le Parlement a un rôle à jouer, qu'il s'agisse du ministre responsable des droits de la personne, sous l'égide des Affaires étrangères ou de l'ACDI... Parfois, cela pose des difficultés, car la responsabilité devient une patate chaude. Il serait important qu'il y ait un comité parlementaire chargé de surveiller la situation. À l'heure actuelle, les rapports sur le Canada n'aboutissent nulle part. Tout au moins, un comité parlementaire devrait les examiner — peut-être un comité mixte, un comité des deux Chambres. Un tel comité prendrait au sérieux le rapport produit et chargerait des fonctionnaires d'élucider les raisons pour lesquelles nous n'avons pas de politique nationale concernant les enfants séparés de leur famille. Or, nous travaillons à une telle politique depuis plus de cinq ans. C'est faisable, mais vous avez raison, ce n'est pas faisable si des politiciens ne montrent pas la voie.
Pour ce qui est du leadership international, je dirais que le Canada présente un bilan variable. Nous avons assumé le leadership de plusieurs dossiers, mais je m'inquiète de ce que d'autres pays prennent de l'avance en ce qui concerne les mécanismes officiels et l'adoption d'une séance spéciale pour les enfants avec des plans d'action, des mécanismes de mise en œuvre qui font certainement progresser les choses. Le Canada commence à traîner derrière le peloton. Certes, le Canada travaille au Conseil de sécurité de l'ONU à la protection des droits des enfants menacés dans les conflits armés. Mes collègues des ONG me disent que le Canada a le droit à de bonnes marques d'appréciation pour les efforts qu'il déploie afin de garder le dossier à l'ordre du jour et de continuer à nous faire progresser.
Quant à l'exploitation sexuelle des enfants, les gens au Canada ont affiché un solide leadership international, ce qui est apprécié. On me pose aussi des questions du genre : « Où va le Canada? » Les gens s'inquiètent de ce que nous commencions à prendre du retard. Si nous voulons conserver la position de chef de file et faire en sorte que le nouveau Conseil des droits de l'homme de l'ONU fonctionne bien, il faut prendre la situation en main.
Le sénateur Dallaire : Sur la scène internationale, notre réputation tient souvent au travail que nous sommes censés faire dans les domaines qui relèvent souvent de la bureaucratie. Au bout du compte, notre crédibilité en tant que puissance dans le monde tient non pas aux décisions des politiciens, mais au fait que les bureaucrates font le travail qui leur est confié, mais sans obtenir forcément les conseils nécessaires pour le faire.
Encore une fois, notre identité dans le monde reflète non pas ce que font les bureaucrates, mais, en fait, ce que font les politiciens pour imposer leur leadership et leurs priorités aux bureaucrates, pour que ceux-ci puissent exécuter toutes les tâches qui leur sont confiées.
J'aimerais aborder la question des enfants touchés par la guerre. Dans un rapport récent, on faisait valoir que nous sommes peut-être en train d'entraîner des jeunes ayant moins de 18 ans au règlement d'affaires de sécurité en Afghanistan, et notamment pour le port d'armes. Cela va tout à fait à l'encontre du protocole facultatif de la Convention.
Dans certaines cultures, les filles de 14 ans sont considérées comme des adultes aux fins du mariage et de tout le reste, mais est-ce que nous pouvons vraiment nous laisser influencer par les différences culturelles de ce genre et accepter que les différences en question l'emportent sur les dispositions de la Convention?
Mme Vandergrift : Pour répondre à votre première question, je dirais que les bureaucrates ont un rôle à jouer, mais qu'il est très important que les dirigeants politiques fassent leur travail. Nous constatons que l'intervention de dirigeants politiques et de diplomates dans les hautes sphères améliore certes la situation en ce qui concerne les enfants pris dans des conflits armés. Il nous faut les deux. Il faut des bureaucrates qui s'occupent de leurs dossiers, mais il faut aussi un certain leadership politique.
Par les temps qui courent, je pense beaucoup à la situation en Ouganda, où ont lieu des négociations de paix; là, d'autres gouvernements vont exercer d'intenses pressions sur les autorités pour que les pourparlers aboutissent. Il y a là des milliers d'enfants dont le bien-être est en jeu. Je ne peux m'empêcher d'évoquer l'exemple : c'est un des groupes auxquels nous avons eu affaire auparavant.
Pour répondre à votre deuxième question, concernant le protocole facultatif, du côté de la société civile, nous essayons de voir si le Canada a respecté l'entente en ce qui concerne le protocole facultatif. Je ne saurais vous faire part de conclusions probantes en ce moment, mais cela m'inquiète. Le comité a également pris note d'inquiétudes soulevées concernant le recrutement de jeunes de 16 ans au Canada même. Ils ne sont pas déployés avant d'avoir atteint l'âge de 18 ans, mais ils sont recrutés à l'âge de 16 ans. Comme les pressions liées au recrutement s'accroissent, qu'est-ce qui arrive à ce groupe de jeunes, celui de 16 à 18 ans?
Au moment d'essayer de surveiller la situation, nous n'avons pu vraiment obtenir les statistiques concernant le groupe des 16 à 18 ans parce que les militaires tenaient des dossiers sur le groupe des 16 à 19 ans et ne souhaitaient pas vraiment révéler des statistiques sur les jeunes de moins de 18 ans. Je crois qu'ils devraient fournir ces informations pour se conformer à la loi. Je crois que nous devrions étudier de très près ce qui se passe dans notre propre pays. À ce moment-là, vous pouvez vous demander ce qu'il en est de l'entraînement des militaires de l'armée afghane. Je crois que ceux d'entre nous qui travaillent dans le domaine des droits de l'enfant essaient toujours de composer avec la culture où ils évoluent. Habituellement, vous pouvez trouver des éléments de cette culture qui vont vous appuyer en ce qui concerne les droits de l'enfant. Il y a rarement lieu de renoncer entièrement aux conventions internationales. Le problème réside davantage dans la manière de s'y prendre pour les appliquer.
Oui, nous sommes inquiets. Nous essayons d'obtenir des données dignes de ce nom. Comme vous le savez, il y a eu dans le cas de l'Afghanistan un programme visant à démobiliser les enfants soldats. L'Unicef y a consacré une jolie somme d'argent. Que les enfants démobilisés soient recrutés de nouveau représentait une inquiétude. Le programme est plus ou moins fini; il n'a pas été maintenu. Ce sont les meilleures données dont nous disposons pour l'instant, mais il faudrait que je confirme cela.
On se préoccupe du fait que certains des soldats des talibans n'ont que 14 ans. Que fait le Canada devant ce fait? En quoi cela change-t-il notre façon de comprendre la mission que nous devons remplir en Afghanistan?
Nous devons étudier l'effet de tout cela sur les jeunes pris dans la guerre au terrorisme ou les efforts antiterroristes. C'est une question où il nous faut aller voir de plus près. C'est un grand sujet.
De façon générale, je crois que vous allez trouver des façons de travailler à l'intérieur de la culture dont il est question, pour continuer à protéger les droits des enfants.
Le sénateur Dallaire : J'étais sous-ministre adjoint au moment où le Canada a ratifié le protocole facultatif. Je ne veux pas aborder cet aspect de la question ni le rôle que je jouais avec le poste que j'ai occupé à la Défense.
J'ai une question concernant les enfants inuits et les enfants des Premières nations qui participent à un programme baptisé Rangers juniors, qui permet à des jeunes de nombreuses collectivités de renouer avec leurs racines — c'est l'équivalent du mouvement des cadets. Le programme est axé sur le leadership, la responsabilité civile et la responsabilité civique, et non pas nécessairement les droits. Cela permet aussi aux jeunes de renouer avec les aspects fondamentaux de leur culture.
Croyez-vous qu'il serait utile d'avoir une structure axée sur les jeunes et plus déterminée, ou est-ce que cela brimerait leurs droits?
Mme Vandergrift : De fait, le programme dont vous parlez et le programme des cadets ne sont pas liés au protocole facultatif; cela n'a rien à voir.
Au moment de débattre de l'adhésion du Canada au protocole facultatif, bon nombre d'entre nous reconnaissions tout de même la valeur de l'argument sur lequel le recrutement d'une armée volontaire suppose qu'il faut aborder des jeunes au moment où ils terminent leurs études secondaires. Dans certaines régions du pays, c'est à l'âge de 16 ans. De nombreux commentateurs ont proposé que les autorités, pendant les deux années en question, organisent pour les jeunes des activités de formation sur l'édification de la paix et tout un ensemble d'activités, pour ne pas perdre contact avec eux pour ainsi dire, tout en faisant en sorte qu'ils ne participent pas à des programmes d'entraînement militaire classiques. Ce sont certaines des options que les gens voulaient envisager à ce moment-là.
Il y aurait une sorte de programme de transition pour les jeunes de 16 à 18 ans, puis, à 18 ans, le jeune, s'il le souhaite, entame un entraînement militaire complet. Ce n'est pas ce que nous avons fait, comme vous le savez. Il y a des jeunes de 16 ans qui s'engagent directement dans l'entraînement militaire. Je crois que la protection des droits des jeunes de 16 et de 17 ans est une mesure que nous allons vouloir étudier de près au cours de la prochaine période de rapport.
Le sénateur Nancy Ruth : À un moment donné, vous avez utilisé le terme « systémique ». J'ai présumé que vous faisiez allusion à de la discrimination. Je me demande comment vous conciliez la question des droits individuels de l'enfant et puis celle des problèmes systémiques de pauvreté.
Cela m'inquiète un peu de constater que la différence entre les garçons et les filles n'est pas abordée dans notre rapport. À mes yeux, le cas des filles et le cas des garçons ne soulève pas les mêmes questions. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
Le ministère de la Justice doit adopter ou a récemment adopté une peine pour la deuxième récidive. Je crois savoir que la société Elizabeth Fry et d'autres groupes sont très troublés à l'idée de l'impact que peut avoir une telle mesure sur les jeunes femmes autochtones. Avez-vous une observation à formuler à ce sujet?
Mme Vandergrift : J'ai utilisé le terme « systémique » en rapport avec une question que vous aviez posée précédemment. Si nous devions limiter une procédure de plainte — et je sais que les gens seraient nombreux à hésiter devant l'idée de limiter de quelque manière que ce soit une procédure de plainte, dois-je dire d'abord —, il faudrait peut-être regarder du côté des indicateurs prévalents pour bien choisir les priorités. Je crois que j'ai pensé à cela quand j'ai utilisé le terme.
Par exemple, il arrive souvent qu'un jeune Autochtone se retrouve dans l'interstice entre les responsabilités fédérales et les responsabilités provinciales en matière de santé. C'est ce que j'appelle « systémique ». Là où vous avez affaire à plusieurs plaintes de cette nature, cela dénote un cas où il faut peut-être s'attacher d'abord et avant tout au cas individuel de l'enfant. Je ne veux jamais diminuer les droits liés au cas individuel, qui, souvent, fait voir d'autres problèmes.
Quant à la différence entre les garçons et les filles, c'est un élément intégral de la Convention relative aux droits de l'enfant. Certes, dans le travail que nous effectuons auprès des enfants dans les zones où il y a un conflit armé, l'étude de l'impact différent que le conflit peut avoir sur les filles est devenue un thème très important. Au Canada, il ne fait aucun doute que nous devons parler des différences entre les filles et les garçons.
Je crois que les gens sont de plus en plus conscients de l'importance des distinctions faites selon l'âge. Le sénateur Dallaire en a touché un mot. C'est différent dans le cas des jeunes adolescents. De zéro à 18 ans : il y a là toute une gamme. Nous devons commencer à faire des distinctions selon le sexe et l'âge, pour ce qui est des droits relatifs à la participation.
Je ne souhaite pas commenter directement, au nom de la Coalition, la question de la peine pour la deuxième récidive.
Si la Convention relative aux droits de l'enfant devient une loi au Canada, il est à espérer que l'impact sur les jeunes sera évalué. Nous espérons que quelqu'un va étudier le projet de loi et présenter aux autorités son évaluation de l'impact sur les enfants de 0 à 18 ans. L'administration dispose de méthodes pour évaluer l'impact sur d'autres fronts. Elle peut réaliser une telle évaluation. À ce moment-là, cela s'inscrit dans la décision à prendre. Du point de vue du développement international, par exemple, certains d'entre nous préconisent que, pour chaque pays où les jeunes de moins de 18 ans comptent pour 40 à 50 p. 100 de la population, les responsables du programme de l'ACDI devraient étudier de très près la question des droits des enfants. Nous n'allons pas réussir à développer ces pays si nous oublions 40 p. 100 de la population.
De même, on pourrait se demander au Canada : l'évaluation de l'impact sur les droits de l'enfant fait-elle partie du processus d'examen législatif?
Le sénateur Carstairs : À Regina, j'ai entendu pour la première fois une expression qui a un peu mis les choses en perspective pour moi. Le témoin a dit qu'il fallait commencer à voir les enfants comme des êtres humains à part entière et non pas comme des êtres humains en devenir. Il me semble que c'est de cette façon que nous regardons les enfants. Nous ne les voyons pas comme des êtres humains à part entière, ils sont en devenir. Est-ce la raison pour laquelle nous avons tant de difficultés à faire en sorte que les autorités politiques se penchent sur les problèmes des enfants?
Mme Vandergrift : C'est là un concept central de la Convention relative aux droits de l'enfant : l'enfant est acteur; l'enfant est sujet et non pas objet. C'est le premier aspect. Pendant longtemps, historiquement, les enfants ont été des objets et des possessions. Non, les enfants sont des sujets; ils sont des acteurs de plein droit. Plus nous comprenons le potentiel des enfants, plus nous nous éloignons de l'idée de devoir les façonner, dans la mesure où nous comprenons qu'ils nous aident aussi à façonner nos collectivités. On peut utiliser aussi ce potentiel à bon escient.
À mes yeux, ce sont davantage les notions de sujet, d'objet, d'acteur et ainsi de suite qui importent. Ce n'est pas le point de vue de la coalition, mais nous avons assisté à une conférence, à la Brock University, où certains de nos penseurs les plus abstraits affirment que les droits des enfants concernent le devenir de chacun d'entre nous. Il y a cet élément qui dit que l'enfant est « en devenir ». C'est peut-être ce qui est considéré comme spécial chez l'enfant. L'enfance a été conceptualisée de nombreuses façons, et il y a ce penseur savant qui dit : « Voilà l'élément très particulier qu'il faut protéger chez l'enfant : le devenir. Nous ne devrions pas fixer la limite à 18 ans, mais il faut aller plus loin. »
Pour moi, la question de savoir si l'enfant est sujet ou objet est au cœur même d'une partie du débat dont il est question et au cœur même d'une part de la résistance qui s'oppose aux droits des enfants au pays; c'est-à-dire de voir les enfants comme des objets qu'il faut façonner, plutôt que des acteurs engagés dans l'acte qui consiste à aider à développer nos collectivités.
La présidente : C'est le dilemme qui s'est présenté dans le cas des adultes. J'ai fait partie des tribunaux pour la jeunesse, un système juridique et communautaire où nous disions que les enfants ne pouvaient composer avec tous leurs droits. Le débat visait à fixer l'âge approprié à cet égard. La discussion allait encore plus loin. On devenait adulte aux fins des élections à un âge donné; aux fins de la conduite automobile ou de la consommation de boissons alcoolisées et ainsi de suite, à un autre. Pour une grande part, le débat était centré sur l'idée selon laquelle l'enfant ne peut assumer tous les droits qu'assume l'adulte. Notre démarche visait à savoir à quel âge l'enfant se façonne et devient entièrement adulte, en gardant à l'esprit que certains voudraient bien que ce soit 30 ans ou même 40 ans. C'est très individualiste. Nous sommes pris à ce piège.
Comment faire pour reprendre le terrain perdu et affirmer que les enfants sont des êtres humains, comme le sénateur Carstairs l'a dit, mais en poursuivant pour maintenir que, de toute évidence, ils n'ont pas les capacités nécessaires pour exercer tous les droits qui leur reviennent? C'est dévolu à autrui; d'autres personnes parlent au nom de l'enfant; vous êtes venus ici parler en leur nom; le comité parle en leur nom. Très souvent, il y a un adulte qui parle au nom de l'enfant. Comment combler l'écart? Il est facile de faire de l'enfant un objet et de dire : « Nous allons faire ceci ou cela de toi. »
Mme Vandergrift : Si vous voulez savoir pourquoi la convention en question est celle que doit choisir le Canada s'il veut commencer à envisager sérieusement les conventions relatives aux droits de la personne, c'est qu'elle est très globale. Je participe souvent à des débats avec des gens qui affirment que le fait de donner des droits aux enfants minera les droits des familles. Je leur demande de lire la Convention. On y trouve plusieurs paragraphes qui reconnaissent expressément le rôle important des familles et le droit qu'a l'enfant à une famille. S'il est question d'un pays où sévit une guerre, ce serait un bienfait énorme si les gens pouvaient simplement foncer et se battre pour que les enfants aient droit à leur famille.
La Convention comporte au moins neuf paragraphes où il est dit expressément que l'enfant se développe dans différents contextes, non seulement celui de la famille, mais aussi ceux de la collectivité et de l'école. Une des beautés de la Convention relative aux droits de l'enfant, c'est justement cette complexité. C'est l'enfant en tant qu'acteur dans le monde, mais pas tout seul contre le monde. C'est l'enfant inséré dans un réseau de milieux de soutien qui, progressivement, développe ses capacités.
Souvent, les gens qui affirment que les droits des enfants seront la perte des parents n'ont pas lu la Convention. Ils ne l'ont pas lue, car celle-ci soumet cette question à une réflexion très rigoureuse. La Convention ne méprise pas les droits et responsabilités des parents pour affirmer que les enfants ont aussi des droits et des responsabilités.
La présidente : Voilà une bonne note sur laquelle clore le débat. Vous avez situé l'enfant dans le contexte de la famille et de la collectivité. C'est une affirmation qui mérite d'être faite souvent, par le comité et par d'autres, ailleurs.
Nous vous remercions du travail que vous effectuez, du fait que vous soyez venu commenter notre travail à nous, de nous avoir fourni aussi des perspectives nouvelles et plus approfondies sur les enfants. J'espère qu'une partie de vos propos se trouvera dans notre rapport, plus tard. Merci d'avoir été là cet après-midi.
Sénateurs, il y a une petite question qu'il faut encore régler. Il faudrait que quelqu'un propose...
Le sénateur Carstairs : J'en fais la proposition.
La présidente : Nous avons la transcription des audiences publiques du comité, tenues à Edmonton le mercredi 20 septembre 2006, de 14 heures à 15 h 30. D'après la motion, il s'agirait de publier le passage en utilisant des lettres pour identifier les participants : le participant A, le participant B, le participant C, et cetera. Si vous vous rappelez, ce sont des jeunes qui sont venus témoigner. Nous ne souhaitons pas les identifier parce que nous voulons respecter ce qu'ils disaient, dans le bon contexte. Voulez-vous en discuter ou encore appuyer la motion? Est-ce que tout le monde est d'accord?
Des voix : D'accord.
La présidente : Merci. La séance est levée.
La séance est levée.