Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 12 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 30 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Le comité invite également le ministre des Affaires indiennes et du Nord à commenter les recommandations incluses dans le rapport du comité intitulé Un toit précaire : les biens matrimoniaux situés dans les réserves, déposé au Sénat le 4 novembre 2003.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne est réuni pour examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous avons fait une analyse exhaustive de la Convention de l'organisation des Nations Unies relative aux droits des enfants et d'autres mesures législatives internationales qui touchent les enfants au Canada. Nous nous penchons bien sûr sur des questions qui vont au-delà des conventions, mais notre examen et notre rapport mettront l'accent sur les questions relatives à la Convention de l'ONU relative aux droits des enfants, et nous présenterons bientôt nos recommandations au gouvernement fédéral.
Aujourd'hui, nous entendrons deux représentantes de FUJA, Mme Youngson et Mme Gillespie. Elles ont toutes les deux une brève déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite à M. Robert Marsh, qui nous expliquera pour quelle raison il est venu témoigner.
Linda Youngson, représentante, FUJA Unity : FUJA est une association non structurée de familles qui estiment avoir été victimisées par le ministre des Services communautaires de la Nouvelle-Écosse. Ces familles ont des inquiétudes graves quant au sort des enfants qui sont confiés à l'État en Nouvelle-Écosse. Nous nous sommes regroupés pour nous entraider et nous encourager mutuellement. Je vous fournirai de plus amples détails durant mon exposé. Nous sommes un groupe de promotion de l'unité familiale et de la justice. Ma collègue et moi venons toutes les deux de la Nouvelle- Écosse.
Je voudrais vous remercier de nous donner cette occasion de faire part de nos inquiétudes à votre important comité. Tout comme d'autres groupes, nous travaillons depuis un certain nombre d'années à la défense des familles qui sont en conflit avec le ministre des Services communautaires de la Nouvelle-Écosse relativement à l'appréhension de nos enfants et de nos petits-enfants. Dans notre travail, nous essayons d'encourager et d'orienter les familles dans leur expérience de ce système. Nous assistons aux audiences judiciaires à titre d'observatrices et nous accompagnons les familles à diverses réunions et rendez-vous pour leur donner du soutien. Nous faisons constamment des recherches et nous allons chercher des rapports et des documents gouvernementaux qui fournissent la preuve de ce que nous estimons être une corruption systémique dans le domaine de l'appréhension des enfants en Nouvelle-Écosse depuis des générations.
En outre, nous avons mis sur pied de trois blogues sur lesquels nous affichons nos résultats. Nous demeurons également en communication avec des journalistes et les encourageons à faire leur devoir et à demander des comptes au gouvernement. Nous encourageons la reddition de comptes à l'égard de la population.
En septembre 2005, nous sommes tombés par hasard sur le compte-rendu des délibérations de votre comité. On pouvait y lire que les sénateurs Mercer, Pearson, Oliver et Andreychuk étaient venus à Halifax le 16 juin pour recueillir de l'information auprès de divers représentants du gouvernement provincial. Nous avons été déçus de voir que nous, qui avions un point de vue bien différent à communiquer, n'avons été informés de la tenue de cette réunion qu'après coup. Nous ne savions pas que des sénateurs allaient venir à Halifax. En fait, quand j'ai visité le bureau de mon député local, le personnel s'est dit étonné d'entendre dire que leur sénateur étaient venu à Halifax tenir cette audience. Il m'a dit qu'il n'avait pas été informé de la tenue de cette réunion. On me l'a dit personnellement.
Votre comité doit s'assurer à l'avenir que toutes les mesures nécessaires sont prises pour garantir la participation publique. Il faut que les citoyens soient entendus, pas seulement les représentants du gouvernement. Il faut que des comités comme le vôtre entendent les témoignages des citoyens, dans l'intérêt de nos enfants et dans l'intérêt des familles que les politiciens prétendent aider.
D'une façon générale, les représentants du gouvernement de la Nouvelle-Écosse ont l'habitude de citer des articles de la Children and Family Services Act quand cela leur sied et de parler comme s'ils en respectaient les dispositions. Dans son témoignage devant votre comité et en réponse aux questions que les membres du comité lui avaient posées, M. George Savoury, directeur principal du service Family and Children's Services du gouvernement de la Nouvelle- Écosse a fait des déclarations inexactes et trompeuses. Pour commencer, il a parlé de l'article 88 de la Children and Family Services Act, qui donne au ministre des Services communautaires le mandat de constituer un comité consultatif chaque année pour examiner la loi et sa mise en œuvre. M. Savoury a laissé entendre qu'un tel examen était monnaie courante. Dans les faits, depuis que la loi est entrée en vigueur en 1990, un tel comité n'a été constitué qu'à deux reprises, en 1993 et en 1996. En décembre 2005, soit exactement six mois après la tenue des audiences du Comité sénatorial des droits de la personne à Halifax, une autre membre de notre groupe, Mme Marilyn Dey, et moi-même avons trainé le ministre devant les tribunaux pour l'obliger à appliquer cet article de la loi. La Cour nous a donné raison, mais il est important de comprendre la mentalité de ce gouvernement. Le gouvernement provincial a fait valoir, pour se défendre, que l'État n'a de compte à rendre qu'à l'État et que les citoyens comme Mme Dey et moi-même n'ont pas le droit d'entamer des poursuites contre le gouvernement pour qu'il respecte ses propres lois.
M. Savoury a aussi menti à votre comité en déclarant que les enfants âgés de 12 ans et plus peuvent être représentés par un avocat dans le dossier qui met en cause les services à l'enfance, l'aide à l'enfance et l'agence gouvernementale. La Children and Family Services Act dit effectivement que c'est le cas, mais nous ne connaissons aucun cas d'enfant de 12 ans ou plus qui ait pu obtenir les services d'un avocat indépendant conformément à ce droit prescrit dans la loi. Les enfants ne peuvent avoir recours aux services d'un avocat que lorsque des accusations criminelles sont déposées contre eux, parfois par des personnes appartenant à ce système qui est censé les protéger. Toutefois, le gouvernement provincial a fait échec à toutes les tentatives que nous connaissons de fournir à des enfants les services d'un avocat dans des dossiers qui les opposent au ministre des Services communautaires. Nous avons donc été étonnés que le sénateur Oliver, supposant que ce droit était exercé, propose que l'âge prévu dans cette disposition soit ramené à huit ans ou neuf ans.
Troisièmement, M. Savoury a fait l'éloge du bulletin Voice of Youth in Care, rédigé par des jeunes pris en charge par la Halifax Children's Aid Society. Cette publication n'est pas du tout représentative. Les enfants avaient exprimé leur véritable opinion dans une première publication intitulée Listen! The System Does Not Work for Us, qui a été censurée et supprimée. À notre avis, le bulletin actuel n'est rien de plus qu'un outil de propagande sur papier glacé entre les mains du ministre des Services communautaires.
Thelma Gillespie, représentante, FUJA Unity : Je m'appelle Thelma Gillespie et je vais continuer à exprimer mes préoccupations.
Lorsque M. Savoury a témoigné devant le comité sénatorial en juin 2005, il a fait mention d'un témoignage présenté récemment par des grands-parents devant le comité des services communautaires de l'assemblée législative. Il a dit à ce sujet, de façon désinvolte, que la plupart des problèmes étaient dus au divorce. En plus de mon travail de défense des droits dans ce dossier, je suis membre fondatrice de la Grandparents Rights for Nova Scotia Association, dont parlait M. Savoury. À titre de membre de ce groupe. Je tiens à dire clairement que le problème ne vient pas seulement des familles déchirées par un divorce, mais aussi des actes que pose le ministre des services communautaires lorsque des enfants ont été injustement appréhendés.
En ce qui a trait aux droits des grands-parents, M. Savoury a déclaré ce qui suit : « notre loi intitulée Children and Family Services Act exige que nous tenions toujours compte des parents comme première possibilité de placement pour les enfants plutôt que de recourir à la famille d'accueil ou à un foyer d'accueil spécialisé. » Ce n'est pas le cas. En fait, lorsque des membres de la famille proposent d'assumer la garde de ces enfants, ils sont souvent assujettis à une évaluation bâclée dont on se sert pour rejeter leur candidature.
Mme Youngson et moi avons toutes deux demandé à des psychologues respectés de revoir de telles évaluations. Ils ont été choqués par le manque d'objectivité, d'étique et de respect des règles dans ces évaluations. Nous avons toutes deux déposé des plaintes officielles auprès de la Nova Scotia Board of Examiners in Psychology. Nos plaintes ont été rejetées, sans droit d'appel. En outre, on nous a écrit pour nous informer que si nous écrivions pour demander de plus amples renseignements au sujet de nos dossiers, nous n'obtiendrions pas de réponses.
M. Savoury a également parlé du bureau de l'ombudsman. J'ai quelques observations à faire à ce sujet. Mme Youngson et moi avons tenu trois longues réunions avec des représentants du bureau de l'ombudsman. À cette époque, le bureau annonçait dans des brochures et des sites Web qu'il était le représentant des enfants placés à l'extérieur de leur famille. Grâce à ces rencontres avec ces représentants et grâce à des recherches dans leurs états financiers, nous avons découvert que ce n'était pas le cas. Nous avons en outre découvert que le bureau de l'ombudsman n'avait ni le mandat ni de désir de s'occuper des enfants placés en foyer d'accueil, là où se retrouvent les enfants les plus jeunes et les plus vulnérables. Nous ne faisons aucune confiance au bureau de l'ombudsman. Pendant des années, ces fonctionnaires ont empoché l'argent alloué à la surveillance de l'exercice des droits des enfants confiés à l'État. Toutefois, ils ont choisi de ne pas exercer cette compétence. Depuis que nous avons signalé à leur attention certains éléments de leurs rapports financiers, ils ont cessé de ventiler les dépenses relatives à certaines catégories d'enfants dans leurs états financiers.
Depuis que nous avons rencontrés ces fonctionnaires du bureau de l'ombudsman, nous avons obtenu des documents du gouvernement montrant que nos enfants sont envoyés à l'extérieur de la province, par exemple en Alberta, ou à l'extérieur du pays, dans l'Utah. Le bureau de l'ombudsman ne s'acquitte pas de son travail de veiller au bien-être de nos enfants. Nous n'avons donc aucune raison de croire qu'il défend les droits des enfants qui sont envoyés à l'extérieur du pays.
Sénateurs, nous comprenons que vous voulez présenter à la communauté internationale un bon rapport concernant les droits et le bien-être des enfants confiés aux soins de l'État. Vous avez également l'obligation de présenter un rapport équilibré exposant le point de vue des familles qui ont eu directement affaire au système. Nous ne représentons pas le gouvernement; nous sommes des familles, nous aimons nos enfants. Nous sommes ici pour vous dire qu'en Nouvelle-Écosse, le système de prise en charge des enfants par l'État ne fonctionne pas. De surcroît, les mesures de contrôle qui devraient nous permettre de demander des comptes ne fonctionnent pas non plus. Actuellement, nous faisons du lobbying pour que l'on fasse enquête sur les Services de la famille et de l'enfance, sur la société de l'aide à l'enfance et l'agence gouvernementale de la Nouvelle-Écosse. Nous avons présenté plusieurs documents pour étayer et préciser les arguments que nous venons de présenter ici.
Nous avons soumis plusieurs documents pour appuyer et clarifier cette présentation. Nous implorons les sénateurs de lire ces documents et nous vous invitons à consulter le site dont l'adresse est indiquée ici.
La présidente : Merci.
Nous allons maintenant écouter M. Marsh et Mme Lee, qui sont aujourd'hui en compagnie de leur fille Katie. Allez- y, monsieur Marsh.
Robert Marsh, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le comité. Nous aimerions vous parler du droit à la citoyenneté des enfants adoptés. Nous sommes les fiers parents de Katie, que nous avons adoptée, et nous vous remercions de l'avoir autorisée à assister à cette séance.
Comme les sénateurs le savent, la Loi sur la citoyenneté est discriminatoire à l'encontre des enfants étrangers adoptés par des Canadiens, parce qu'elle les oblige tout d'abord à faire la preuve de leur résidence permanente et ensuite, à faire une demande pour devenir citoyens canadiens. En revanche, les enfants biologiques de Canadiens obtiennent automatiquement la citoyenneté canadienne, de même que les personnes nées au Canada, même lorsqu'elles n'ont aucun lien familial ou personnel avec notre pays. Le projet de loi C-14, actuellement à l'étude au Parlement, vise à solutionner ce problème et à atténuer la distinction entre les enfants adoptés et les autres enfants de parents canadiens en matière d'obtention de la citoyenneté. Nous sommes heureux de constater que tous les partis semblent convenir de la nécessité d'un projet de loi concernant les droits des enfants adoptés en matière de citoyenneté.
Malheureusement, le projet de loi actuel présente de sérieuses lacunes qui, à notre avis, tiennent partiellement à une interprétation fondamentalement fautive de la question essentielle. Le projet de loi semble viser une réduction du fardeau administratif qui pèse sur les familles adoptives; or, si ce fardeau est réel et injuste, il ne représente qu'une partie du problème, et non pas son élément central. Pour nous, ce sont des droits fondamentaux qui se trouvent au cœur du problème, et c'est pourquoi nous nous adressons à vous aujourd'hui.
Les enfants adoptés légalement en vertu de la législation des provinces et des territoires du Canada sont à tous égards, notamment aux plans juridique et affectif, des enfants à part entière au sein de la famille. La seule exception problématique concerne la citoyenneté. En matière de citoyenneté, les enfants adoptés sont considérés comme des individus de deuxième classe au sein de la famille.
À notre connaissance, le Tribunal canadien des droits de la personne et la Division d'appel de la Cour fédérale ont tous les deux affirmé qu'un régime de citoyenneté qui traite les personnes différemment en fonction de leur statut d'enfant adopté au lieu de vérifier simplement la légitimité de l'adoption exerce une discrimination injustifiable. Malheureusement, le projet de loi C-14 ne remédie que partiellement à cette discrimination.
Le projet de loi entend remédier au problème causé par l'obligation de demander la résidence permanente. Il prévoit également que l'agent des visas ou quelqu'autre fonctionnaire fédéral devra refaire le travail de la province et confirmer, après l'adoption, que celle-ci sert effectivement les intérêts de l'enfant. Deuxièmement, ce fonctionnaire devra établir qu'il ne s'agit pas d'une adoption fictive visant à contourner la législation sur la citoyenneté. Cela signifie que le projet de loi va perpétuer la discrimination. Une fois l'adoption approuvée par les autorités provinciales ou territoriales compétentes, qui ont elles aussi un mandat constitutionnel, l'enfant sera soumis à un deuxième test de son « intérêt supérieur ». Avant qu'il n'obtienne la citoyenneté, ce test sera administré par l'agent fédéral des visas, qui n'est pas qualifié pour s'acquitter d'une telle tâche. Si cet agent estime que l'enfant a été adopté de façon illégitime, il punira ce dernier en lui refusant la citoyenneté.
Troisièmement, le projet de loi exige qu'un enfant adopté demande la citoyenneté, ou que quelqu'un le fasse en son nom. En revanche, les enfants biologiques n'ont qu'à faire une demande de preuve de citoyenneté. Même si l'on ne peut y voir qu'une légère différence administrative, nous considérons qu'au plan symbolique, cette différence est consternante. Elle signifie que le projet de loi vise paradoxalement à protéger un enfant déjà adopté en lui refusant à l'occasion la citoyenneté. Elle signifie aussi, curieusement, que dans certains cas, la citoyenneté canadienne peut être dangereuse ou préjudiciable à l'enfant. Par ailleurs, sous prétexte des adoptions de complaisance, qu'on semble redouter de façon excessive, on fait passer la protection de la loi sur la citoyenneté et la procédure de demande de citoyenneté avant l'intérêt supérieur de l'enfant. Même si nous reconnaissons que les adoptions de complaisance puissent causer problème, l'intérêt supérieur de l'enfant devrait avoir préséance.
En conséquence, les enfants étrangers adoptés risquent toujours de faire l'objet d'un refus injustifiable et inéquitable de la citoyenneté, même si le projet de loi C-14 est adopté. Nous pensons que cela va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, des obligations internationales du Canada à l'égard des enfants adoptés telles qu'elles découlent de la Convention de La Haye et de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, ainsi qu'à l'encontre du bon sens et de la décence.
Katie est notre fille, point final. Le Canada n'a aucune raison de la traiter différemment des autres.
Agnes Lee, à titre personnel : Je vais simplement répondre aux questions.
Le sénateur Munson : Combien de familles ou d'enfants adoptés sont visés par cette procédure? Combien de personnes ont dû s'acquitter de la paperasse que vous avez décrite avant de devenir des citoyens de deuxième classe?
Mme Lee : Au cours de la dernière décennie, il y a eu environ 2 000 adoptions par an. Ce chiffre est resté constant. Les autorités canadiennes pourront vous dire que l'adoption internationale a suscité un intérêt croissant, notamment parce que bien des gens vous diront que c'est la meilleure façon de constituer une famille, mais aussi à cause des enfants adoptés par des célébrités.
Chaque année, quelque 2 000 familles doivent s'acquitter de cette paperasse inutile. On pourrait s'accommoder de la paperasse, si elle va dans le sens de l'intérêt supérieur de l'enfant. Mais cette paperasse imposée aux requérants de la citoyenneté est ridicule et discriminatoire. Nous nous adressons à vous aujourd'hui parce que cette procédure a enfreint les droits de mon enfant.
Le sénateur Munson : Avant d'être sénateur, j'étais journaliste; j'ai travaillé pour un réseau national et j'ai rédigé les premiers articles sur l'adoption d'enfants chinois. À l'époque, des familles canadiennes françaises ont été les premières à adopter des enfants. J'ai constaté que les choses se passaient bien avec la Chine.
Mais jusqu'à maintenant, les familles doivent toujours s'acquitter de cette paperasse pour obtenir la citoyenneté canadienne.
M. Marsh : Oui, les familles sont toujours confrontées à cette paperasse.
Le sénateur Munson : Il est difficile de comprendre la tournure d'esprit de la classe politique, et plus encore celle de la bureaucratie. Cette procédure ressemble à un labyrinthe que chaque famille doit franchir. Le journaliste a l'impression que les articles consacrés à cette expérience humaine vont avoir un effet de sensibilisation et vont aider les familles, mais en attendant, il faut toujours se soumettre à cette procédure infamante.
M. Marsh : Nous sommes intervenus devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration, où tout le monde semble avoir réagi en faisant appel au bon sens. Pourquoi ne pas en rester au bon sens?
D'un point de vue bureaucratique, il y va de la nature même de ce domaine d'activités. Je ne veux pas formuler de critiques personnelles, mais les fonctionnaires s'attachent à une procédure et à des détails qui peuvent leur faire perdre de vue l'essentiel. Prenons un peu de recul et pensons à ce qui nous préoccupe. Je suis comptable et quand je vois que l'attention porte sur les adoptions de complaisance plutôt que sur la majorité des cas d'adoption et sur les droits des enfants, c'est comme si on faisait la vérification de la petite caisse parce que c'est plus facile à faire que de vérifier les comptes principaux. Il faut remettre les choses en perspective selon leur importance et traiter les dossiers problématiques comme des cas exceptionnels, et non pas comme la norme.
La présidente : Vous avez utilisé l'expression « adoption de complaisance ». Si je comprends bien cette expression, c'est lorsque quelqu'un veut entrer au Canada et a recours à l'adoption comme un moyen susceptible de libérer des ressources et de permettre à d'autres membres de la famille d'immigrer. Cette méthode concerne habituellement des enfants plus âgés.
M. Marsh : En règle générale, elle concerne effectivement des enfants plus âgés. Les statistiques indiquent qu'il y a 100 cas de ce genre par année. Nous comprenons qu'il s'agit d'un problème. Nous pensons qu'il s'agit de déterminer la gravité du problème. De toute évidence, si une famille est disposée à renoncer au lien juridique de parenté et de faire adopter un enfant, le terme « complaisance » est faible. La pire chose qui peut se produire, si l'on privilégie une adoption déjà approuvée par les autorités provinciales, c'est qu'une personne qui tient à venir au Canada pour améliorer sa qualité de vie y parvienne. Il est possible qu'il y ait des problèmes de resquillage. Par contre, si par erreur vous refusez l'entrée, et nous sommes au courant de certains cas où il y a eu des problèmes, les conséquences pour la famille sont tellement dévastatrices que nous considérons que ce devrait être aux autorités d'assumer le fardeau de la preuve en cas de refus, et que dans les cas types, la citoyenneté devrait être automatique s'il s'agit d'une adoption légitime.
Le sénateur Munson : Une contestation en vertu de la Charte est une vaste entreprise. N'est-il pas plus logique, selon le projet de loi C-14, d'autoriser l'enfant à acquérir la citoyenneté?
M. Marsh : Une contestation en vertu de la Charte est une vaste entreprise. Je crois savoir qu'une telle contestation est en cours en Colombie-Britannique, même si je ne suis pas sûr que cette contestation continuera d'être financée beaucoup plus longtemps.
En général, ce processus semble être un gaspillage des fonds publics. Il serait simple de rendre la citoyenneté automatique et d'empêcher les enfants d'être victimes d'une défaillance du système. On pourrait procéder de façon beaucoup plus simple. Nous avons présenté diverses propositions concernant le projet de loi et le règlement. On nous a laissé croire que le règlement permettrait de donner au projet de loi l'orientation que nous souhaitions, même si nous ne l'avons pas constaté dans le projet de règlement. Nos espoirs ont été déçus à plusieurs reprises.
Le sénateur Poy : Monsieur Marsh, vous avez parlé d'enfants adoptés de façon illégitime. Je ne comprends pas tout à fait ce que cela veut dire parce qu'à ma connaissance, l'adoption est légitime.
M. Marsh : C'est une bonne question, parce que d'une certaine façon je ne suis pas tout à fait sûr de ce que je veux dire par cette expression. C'est une expression utilisée par les autorités de l'Immigration et de la Citoyenneté. Une fois qu'une adoption est conclue en vertu des lois du Canada — et il existe des cas particuliers d'adoption où ce n'est pas le cas — cette adoption, à notre connaissance et à tout autre égard, est considérée légitime et irrévocable. C'est chose faite; c'est la nouvelle famille de l'enfant et ce fait ne doit pas être contesté. C'est une très bonne question, mais je ne peux pas vraiment y répondre, sénateur Poy.
Le sénateur Poy : Voulez-vous dire que cette expression a été utilisée?
Mme Lee : Une adoption illégitime c'est une expression utilisée par CIC pour décrire les adoptions de complaisance. Ce type d'adoption semble avoir été le principal obstacle à l'octroi automatique de la citoyenneté. La raison habituelle que nous donne CIC, c'est la sécurité nationale. Katie n'aurait représenté une menace pour personne.
La deuxième raison invoquée, c'est la préoccupation à propos de la traite d'enfants. Il s'agit de toute évidence d'un grave problème, mais une fois qu'un enfant a été adopté, ce n'est plus un problème. Le refus d'accorder automatiquement la citoyenneté aux enfants adoptés ne les empêchera pas de faire l'objet de traite, parce que cela ce serait déjà produit, si tel était le cas. C'est la raison pour laquelle les gouvernements provinciaux font subir à tous les parents adoptifs des procédures très rigoureuses. Il nous a fallu 18 mois pour examiner tous les documents, sans compter les visites du travailleur social, les vérifications de la part de la GRC, d'Interpol et du médecin. Nous avons dû fournir des lettres d'employeurs et huit lettres de membres de la famille et d'amis indiquant que nous serions des parents acceptables. Toutes les vérifications permettant de s'assurer que l'adoption est légitime ont déjà été faites. Je ne comprends pas CIC lorsqu'il dit que l'adoption de complaisance est la principale raison pour laquelle il ne peut pas accorder automatiquement la citoyenneté, car c'est un fait accompli. Il est trop tard.
À notre connaissance, la grande majorité des adoptions internationales ne sont pas catégorisées de la sorte. Cela pénalise la grande majorité d'enfants, surtout des orphelins, qui font déjà face à de la discrimination dans leur pays de naissance. Nous les emmenons au Canada et on leur dit une fois de plus qu'ils ne sont pas dignes d'estime, qu'ils ne sont pas comme les enfants biologiques de Canadiens, et je considère cela tout simplement inacceptable.
Le sénateur Poy : Vous avez dit que CIC parle d'adoption de complaisance. Monsieur Marsh, vous avez mentionné que certaines personnes pourraient vouloir venir dans ce pays par complaisance pour devenir des citoyens canadiens, mais ce n'est pas le cas en ce qui concerne les jeunes enfants. Y a-t-il une limite d'âge pour l'adoption?
M. Marsh : On pourrait probablement adopter légalement un adulte, mais personne n'a soutenu que l'on doive viser des personnes autres que des mineurs. On pourrait peut-être établir la limite à 21 ans, qui est l'âge requis pour consommer de l'alcool aux États-Unis; ou 18 ans, qui est l'âge légal pour voter; ou 16 ans, qui est l'âge exigé pour conduire; ou 14 ans, qui est l'âge limite prévu dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Il s'agit surtout d'une question de définition de « l'enfant » plutôt qu'une question des droits fondamentaux de l'enfant.
Le sénateur Poy : À l'heure actuelle, il n'existe aucune limite quant à l'âge légal?
Mme Lee : Pas à notre connaissance, mais la Convention de la Haye sur l'adoption internationale renferme des lignes directrices claires quant aux limites d'âge et la définition de « l'enfant ». Ces définitions nous satisfont parce qu'elles sont établies pour protéger les enfants. Refuser d'accorder automatiquement la citoyenneté aux enfants ne leur fournit pas une protection accrue, à moins que le fait de posséder la citoyenneté leur cause du tort d'une certaine façon. À l'heure actuelle, les enfants de l'adoption internationale entrent au Canada à titre de résidents permanents. Si CIC leur refuse la citoyenneté, ils demeureront au Canada à titre de résidents permanents, l'argument invoqué étant que cela leur assure d'une certaine façon une plus grande protection; c'est ridicule.
M. Marsh : L'un des dangers que présente le projet de loi C-14, c'est que si la citoyenneté est refusée, la résidence sera probablement refusée. C'est la raison pour laquelle les amendements proposés au projet de loi en ce qui concerne l'appel sont d'une telle importance. C'est la situation classique du risque et de la récompense. Vous pourriez être mieux récompensés dès le départ si CIC est bien disposé à votre égard, mais autrement, vous pourriez vous retrouver le bec dans l'eau. Les familles d'enfants adoptés légalement ne pourront pas les faire entrer au pays; cela pourrait avoir des répercussions encore plus tragiques.
Le sénateur Kinsella : Madame Youngson, que signifie l'acronyme « FUJA »?
Mme Youngson : Il signifie « Family Unity and Justice Advocates ».
Le sénateur Kinsella : Quelle est la situation dans l'unité de protection de l'enfance en Nouvelle-Écosse? Dans la province du Nouveau-Brunswick, on a connu de mauvaises expériences au cours des 18 derniers mois. En fait, on a perdu certains enfants. Quelle est la situation en Nouvelle-Écosse? Est-ce que cela relève de votre travail?
Mme Youngson : Vous me posez une question très vaste et générale. Essentiellement, rien ne fonctionne comme cela devrait pas plus que les freins et contrepoids qui sont censés exister lorsque les familles ou des parents cherchent un recours.
Le sénateur Kinsella : La différence lorsque l'on s'adresse à cette instance du Parlement du Canada, c'est que nous n'avons pas compétence sur ce qui se passe dans la province de la Nouvelle-Écosse. J'aimerais savoir ce que notre comité est en mesure de faire, à votre avis.
Mme Youngson : Je crois comprendre qu'il existe un article concernant les droits des enfants à propos desquels vous devez faire rapport aux Nations Unies, n'est-ce pas? Je crois comprendre que cela concerne les enfants sous la garde de l'État. Je ne suis pas au courant d'enfants qui sont sous la garde de l'État fédéral; ce sont les gouvernements provinciaux qui assument cette responsabilité. Essentiellement, vous avez rencontré l'ensemble des représentants du gouvernement lorsque votre comité est venu en Nouvelle-Écosse. Vous avez entendu ce qu'ils avaient à dire. Nous sommes en désaccord avec tout ce qu'a dit le représentant provincial concernant la situation des enfants. Nous sommes préoccupés par la Children and Family Services Act.
Une des principales raisons pour lesquelles Marilyn Dey et moi-même avons pris le ministre des Services communautaires à partie au sujet de l'article 88, c'est que ce n'est que la pointe de l'iceberg. Nous suivons le travail des tribunaux depuis des années et nous connaissons la chanson. Marilyn Dey et moi avons posé notre candidature pour faire partie du comité mais évidemment, elle a été refusée, même si nous satisfaisions aux exigences. Récemment, ils ont publié une annonce dans le journal en demandant au public de présenter des mémoires au comité. Tout ce que je peux vous dire, c'est que tout le monde semblait avoir quelque chose d'important à dire au sujet du gouvernement, sauf nous. Au début, nous avons reçu une lettre nous disant d'appeler à tel numéro pour déterminer le moment de notre comparution. Puis, lorsque nous avons téléphoné, on nous a dit qu'il fallait nous conformer à des exigences supplémentaires pour comparaître devant le comité. Il fallait, notamment, si l'on voulait s'adresser au comité, trouver la partie de la loi dont on voulait traiter. Pour commencer, le citoyen moyen au Canada ne connaît pas cette loi. Le travail du comité consiste justement à en faire le rapport. Il y a sans doute des choses qui ne seront pas couvertes, des choses qui manqueront dans cette loi. Peut-être faudra-t-il présenter de nouveaux amendements. Lorsque j'ai parlé à la personne chargée de l'organisation des séances, on m'a dit : « Linda, vos mémoires étaient formidables. Vous avez parlé de tous les points précis de la loi qui vous préoccupent. Vous n'avez pas besoin de venir témoigner. » J'ai répondu : « Oh si, je veux venir et j'irai. » À ce jour, nous ne savons toujours pas quand nous allons témoigner. Je vais le croire quand je vais le voir.
Le sénateur Kinsella : S'agit-il d'un examen de la Nova Scotia Children and Family Services Act, la loi sur les services aux enfants et aux familles de la Nouvelle-Écosse?
Mme Youngson : C'est pour cette raison que Marilyn Dey et moi avons intenté une poursuite contre le ministre. La loi stipule que le ministre doit, sur une base annuelle, créer un comité d'examen de la Nova Scotia Children and Family Services Act. Normalement, deux parents doivent siéger au comité. Je pense qu'il devrait aussi y avoir des grands- parents. La loi dispose qu'il doit s'agir de deux parents dont les enfants ont été retirés par les services de protection de la jeunesse ou qui ont craint que leurs enfants leur soient retirés. Ce que je peux vous dire, c'est que les personnes nommées au comité ont été recrutées à l'interne. Comme je l'ai dit, Marilyn Dey et moi connaissons très bien la loi et savons d'expérience comment elle est appliquée. Nous avons posé notre candidature pour siéger au comité compte tenu de notre expérience en promotion des droits de l'enfant, mais elle a été rejetée. Les personnes qui ne connaissaient même pas la loi ont dit : « On nous a donné un bout de papier, je pense que c'est la loi. On nous a dit de la lire. » Ce sont ces personnes-là qui ont été nommées au comité.
Le sénateur Kinsella : Pour établir un lien entre cette loi de la Nouvelle-Écosse et le travail de notre comité, il faut se tourner vers la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. C'est la question dont nous sommes saisis. Les rapports périodiques du Canada sont préparés avec la participation de toutes les provinces et des territoires, dont, évidemment, la Nouvelle-Écosse. Le ministère du Patrimoine canadien a créé le rapport du Canada avec la participation de tous les gouvernements. Lorsque ce rapport est déposé aux Nations Unies, le comité qui en fait l'examen veut évidemment consulter les organisations non gouvernementales. Lorsque vous examinerez le rapport canadien, cherchez les articles qui portent sur la Nouvelle-Écosse.
La présidente : Merci de votre observation. Notre travail est d'examiner la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Lorsque nous nous sommes rendus en Nouvelle-Écosse, nous avons contacté le plus grand nombre de personnes possible qui connaissaient cette convention et qui voulaient s'exprimer à son sujet. Par conséquent, notre liste comprenait des universitaires, certaines ONG et sans doute davantage de personnes du côté provincial qui ont participé à ce processus. Une partie de notre travail consiste à sensibiliser les gens au sujet de cette convention et de la façon dont ils peuvent y contribuer. Dans ce contexte, c'est ce que vous nous avez expliqué. Je vous en remercie.
Le sénateur Kinsella : Mme Gillespie et Mme Youngson nous ont montré que les questions de la vraie vie ne sont pas toujours couvertes par la convention. Nous les en remercions.
J'aimerais maintenant me tourner ver Mme Lee et vers M. Marsh. D'abord, je vous remercie tous les deux, ainsi que votre charmante petite fille, d'être venus et d'avoir partagé votre histoire avec nous, car elle reflète celle de beaucoup de Canadiens. C'est un excellent exemple de la Citoyenneté canadienne active. Ce n'est pas facile de faire ces choses-là. Vous êtes en quelque sorte des héros. Merci de nous avoir parlé du projet de loi C-14, qui est actuellement étudié par l'autre chambre. Lorsqu'il arrivera au Sénat, nous nous inspirerons de votre témoignage.
M. Marsh : Nous ne savons pas à quel comité il sera renvoyé, mais nous espérons que ce sera celui-ci.
Le sénateur Kinsella : S'il est adopté par la Chambre des communes, il sera renvoyé au Sénat et nous en ferons une étude approfondie.
Pensez-vous que le processus d'adoption des provinces devrait comprendre également la demande de citoyenneté? En effet, le processus d'adoption devrait inclure le processus de demande de citoyenneté. Du point de vue administratif, ça ne doit pas être très compliqué de concilier les deux.
Je vais employer une métaphore et vous corrigerez si elle n'est pas adaptée. Une fois l'adoption complétée, la citoyenneté est automatique. C'est un peu comme quand un bébé nait dans un hôpital canadien. Peu après sa naissance, l'État crée un certificat de naissance et la citoyenneté accompagne automatiquement ce certificat. Il s'agit simplement de faire coopérer les autorités fédérales et provinciales sur cette question. Est-ce que cela vous paraît un modèle efficace?
M. Marsh : Le projet de loi C-14 reconnaît ce modèle, qui existe au Québec. Il y a une clause distincte qui porte sur le Québec et qui stipule qu'en ce qui concerne le meilleur intérêt de l'enfant, la réelle relation parent-enfant, et cetera — tout sauf l'adoption de complaisance, on accepte la lettre du Québec. Je ne sais pas pourquoi, il y a certainement des explications administratives, mais c'est assez bizarre que le Québec ait un traitement différent. En effet, ce système devrait s'appliquer à toutes les provinces.
D'une certaine façon, la protection de l'enfant et sa protection contre l'adoption de complaisance fait déjà partie du processus d'adoption. Les provinces sont sans doute réticentes à un fardeau administratif supplémentaire, mais elles se trompent parce qu'elles s'occupent déjà de ce travail. On a déjà dit que les provinces ne peuvent pas savoir si les familles ont essayé de faire venir un enfant au Canada par d'autres moyens et si l'adoption est leur dernier recours. C'est la définition classique de la soi-disant adoption de complaisance, lorsqu'une famille essaie de faire venir quelqu'un au pays par le programme de parrainage familial et que cela n'a pas fonctionné. Leur dernier recours est de faire adopter cette personne par une tante ou un frère. Il serait très facile d'envoyer cette information aux autorités provinciales. C'est un peu comme la responsabilité de la police de vérifier les antécédents des parents auprès des autorités fédérales comme la GRC ou le ministère de l'Immigration pour vérifier que l'information est exacte. Il faudrait que cela fasse partie du processus des autorités provinciales. Au bout du compte, il ne s'agit pas tant d'une demande de citoyenneté que d'une adoption complète, qui confère automatiquement la citoyenneté aux personnes adoptées, afin que personne ne passe à travers les mailles du filet.
Le sénateur Dallaire : Ce sont deux choses différentes d'être un enfant adopté ou un enfant biologique.
M. Marsh : Ce sont deux façons d'arriver à la même fin.
Le sénateur Dallaire : Vous savez, même la naissance ne garantit pas la citoyenneté. Je suis né à l'étranger d'une épouse de guerre et j'ai dû me battre pour ma citoyenneté. J'étais déjà capitaine dans l'armée lorsque j'ai dû mener ce combat. Il y a des milliers d'enfants de pères canadiens qui ne sont pas reconnus comme des citoyens canadiens, parce que les règles étaient ainsi faites à cette époque. Ce que vous vivez actuellement n'est pas unique.
Nous trouvons que l'analyse du service d'immigration est assez sévère. Je ne suis pas étonné des réponses obtenues. Il semble que cela tient à une attitude ou à une culture ministérielle en ce qui a trait aux personnes qui revendiquent leurs droits. Je n'aime pas tellement l'argument selon lequel il faut passer par tous les rouages, pour l'adoption; certains d'entre nous sont passés par tous ces rouages, autrement.
Si l'exception confirme la règle, au sujet de l'adoption de complaisance, est-il possible que cela soit fait pour protéger les enfants qui font l'objet de ces adoptions de complaisance? Si on fait exception à cette règle, ou s'il n'y a pas de méthode de contrôle, est-ce qu'on n'ouvre pas la porte toute grande aux abus? En résumé, est-ce que ceux qui suivent la procédure d'adoption pour adoption de complaisance passent par les mêmes étapes que vous, au niveau provincial?
M. Marsh : Dans la plupart des cas, oui, et c'est la raison pour laquelle il est difficile d'obtenir une adoption de complaisance par ce moyen.
Vos questions et commentaires sont interreliés. Pour les enfants nés à l'étranger de parents canadiens, la paperasserie constitue un problème parce qu'ils doivent prouver qu'ils sont des citoyens, plutôt que de faire une demande de citoyenneté. Au CIC, M. Davidson m'a donné les raisons pour lesquelles il était important de faire une demande de citoyenneté, afin de protéger les enfants. J'ai trouvé que c'était très obscure et d'une insondable stupidité, et au bout du compte, je ne l'ai pas cru. Mais cela se rapportait bien à votre question sur l'utilité des adoptions de complaisance dans la protection des enfants. Dans l'intérêt de qui cela pourrait-il exister? Franchement, je suis Canadien, très fier de l'être, et je refuse de croire qu'on protège qui que ce soit en refusant la citoyenneté canadienne à quelqu'un. Je ne peux pas croire que la citoyenneté canadienne ne serait pas dans l'intérêt de quelqu'un. Comment peut-on protéger les enfants en leur refusant la citoyenneté, comment la citoyenneté peut-elle leur nuire, je n'arrive pas à le comprendre.
Quant à ouvrir la porte aux abus, dans les rares cas où il est clair que l'on essaie de contourner les règles, c'est assez manifeste. Dans ces cas, il y a un dossier qui remonte à assez loin et il est assez clair, normalement, qu'il n'y a pas de véritable relation familiale, ni d'amour familial pour la personne qu'on essaie de faire venir au pays, par exemple.
Il ne faudrait surtout pas donner des pouvoirs considérables de prendre des décisions mesquines, dans les cas limites, ce qui pourrait avoir un effet désastreux sur des familles et des particuliers. Il ne faut pas donner tout ce pouvoir, dans le but de protéger une procédure bureaucratique. Vous pouvez venir au Canada en vacances, et y donner naissance à un enfant, qui aura la nationalité canadienne. Cette règle existe depuis toujours. On n'en a pas abusé massivement.
Le sénateur Dallaire : Je dirais comme vous que beaucoup de gens veulent devenir des citoyens canadiens.
J'ai vu en Afrique des centaines de milliers d'orphelins que tous voulaient exporter vers d'autres pays, dans leur intérêt mais au bout du compte, ce n'est pas là la solution. Il était préférable de les garder dans leur pays et de les réinsérer dans leur société, afin de les aider à la reconstruire. Ce n'est pas parce qu'ils ont vécu des circonstances difficiles que la vie dans leur pays leur sera nécessairement nuisible. Il y a des paramètres de protection de chaque enfant, dans son entourage, et cela compte à mes yeux. Mais on se sert de cette idée au sujet de ceux qui abusent du système. À votre avis, faut-il éviter ces abus, et comment?
M. Marsh : La première limite naturelle, c'est qu'il n'y a pas des centaines de milliers de parents adoptifs au Canada, prêts à accueillir ces enfants, même s'ils sont quelques milliers par année. L'autre plafond naturel, c'est la procédure rigoureuse qui tient compte de l'intérêt de l'enfant, dans le cadre de l'adoption. D'ailleurs, dans les cas d'adoption internationale, au Canada du moins, il est capital de maintenir un lien entre l'enfant et sa culture de naissance. C'est très important. Le travailleur social pose des questions à ce sujet et c'est important pour les pouvoirs publics. En outre, dans la plupart des cas, pour que l'adoption soit approuvée au Canada, il doit y avoir des accords et une coordination avec les pays étrangers. Dans le cas de la Chine, par exemple, la relation est étroite. Dans notre cas, manifestement, il est plus facile de garder ces liens culturels.
Le sénateur Dallaire : Mon autre question porte sur les enfants qui sont déplacés dans le cadre des services de protection de l'enfance. En Nouvelle-Écosse, y a-t-il une méthode de suivi rigoureuse pour les enfants qui passent d'une famille à l'autre, en fonction des raisons de ces transferts? Y a-t-il une évaluation psychologique? Ont-ils accès à des psychologues ou à des psychiatres? D'après les arguments que nous avons entendus, je tiens pour acquis que les enfants ont besoin de chaleur et d'amour. Les enfants qui ont vécu des traumatismes ont-ils ce soutien?
Mme Youngson : Pour ce qui est des évaluations, j'ai traité de nos préoccupations dans le mémoire que j'ai remis au comité. Nous n'accordons aucune crédibilité à ces évaluations. Nous constatons que les intervenants en santé mentale, en Nouvelle-Écosse, tiennent à préserver leur contrat lucratif avec le gouvernement. Nous avons demandé à une psychologue, docteure en psychologie, de donner des conférences pour nous. Elle a parlé très sincèrement de ses préoccupations au sujet de l'agence gouvernementale des services d'aide à l'enfance. Mme Gillespie a aussi assisté à cette conférence. La psychologue a déclaré qu'il y a un problème pour l'ensemble de la province, mais plus particulièrement pour la région de Halifax-Dartmouth. Nous n'avons aucun mal à comprendre qu'il y ait une telle concentration de travailleurs en santé mentale, dans la région de Halifax-Dartmouth, qui ont besoin d'un gagne-pain.
Deux psychologues différents ont passé en revue deux évaluations faites dans des dossiers différents et ont été époustouflés. Dans ces deux évaluations, il n'y avait rien de bon, rien d'éthique, rien de juste. Je vais vous donner un exemple en essayant d'expliquer de manière que vous puissiez comprendre, si c'est possible.
Dans l'un des cas, un test a été administré et d'après notre psychologue, on n'avait pas le droit d'administrer ce test. Avant de faire passer ce test, il faut donner le test de niveau 1. Si on décèle un problème à cette étape, alors seulement on peut passer au test de niveau 2. Le test de niveau 2 n'avait rien du tout de normal. Peu importe à qui on fait passer ce test, le résultat sera nécessairement un portrait psychologique négatif. Si vous ne donnez pas d'abord le test de niveau 1, qui clarifie les choses et permet de constater la possibilité de passer au niveau 2, à quoi cela sert-il? C'est un effort délibéré de donner d'une personne un portrait psychologique négatif.
La présidente : Sénateur Dallaire, nous avons 10 minutes de retard et les autres témoins attendent. Comme d'habitude, nous manquons de temps.
Je tiens à remercier nos témoins, Mme Youngson et Mme Gillespie. Vous nous avez bien fait comprendre que les systèmes existent, mais que les mesures doivent être mises en œuvre de manière adéquate pour que les citoyens canadiens puissent profiter de cette loi. C'est ce qui figurera au compte rendu et nous vous remercions d'être venues aujourd'hui.
Au sujet de la protection des enfants, nous vous avons par ailleurs signalé qu'un rapport est envoyé aux Nations Unies et que vous pouvez y exprimer vos préoccupations, au sujet des autorités provinciales.
Madame Lee, monsieur Marsh, vous nous avez éloquemment fait comprendre, avec la présence de votre fille ici, qu'il nous faut administrer des lois précises. Dans bien des cas, la justice est grossière, parce qu'il faut prévoir toutes sortes de cas de figure. Si j'ai bien compris, ce que vous nous dites, c'est qu'il ne faut pas avoir de préjugés envers les personnes qui ont des raisons de vouloir penser aux enfants. Plus important encore, il faut voir les choses du point de vue de l'enfant. Si nous voulons vraiment traiter sur le même pied les enfants adoptés et les enfants naturels, il faut y consacrer tous nos efforts. Vous avez signalé à notre intention le projet de loi C-14 et la procédure d'adoption. Aussi, que ceux qu'il faut protéger, ce sont les enfants. Si nous voulons traiter les enfants de manière juste, il faut tenir compte de leur famille, y compris de leurs grands-parents.
Je vous remercie malgré le peu de temps qui vous a été accordé ici d'avoir au moins entamé le dialogue avec nous.
Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Nous examinons actuellement les faits nouveaux survenus depuis la publication du rapport du comité, Un toit précaire : Les biens matrimoniaux situés dans les réserves, déposé au Sénat le 4 novembre 2003. Nous avons publié deux rapports de suivi. Nous nous intéressons à l'application de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qui concerne les biens matrimoniaux situés dans les réserves. Plusieurs de ces témoins ont déjà comparu lors de nos travaux qui ont conduit au rapport initial ainsi qu'aux rapports de suivi. Il y a maintenant du nouveau au gouvernement fédéral et à l'Assemblée des Premières nations dans ce dossier.
Représentant à l'Assemblée des Premières nations, nous recevons M. Bob Watts, chef du personnel, ainsi que Mme Debra Hunuse, directrice, Loi et législation. Pour représenter l'Association des femmes autochtones du Canada, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Jacobs.
Beverley Jacobs, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Je tiens à remercier le Sénat d'assurer le suivi de ce dossier très important. Nous félicitons le gouvernement fédéral de permettre à l'Association des femmes autochtones du Canada de participer pleinement aux consultations actuelles sur les biens matrimoniaux situés dans les réserves.
Nous voulons nous assurer de disposer d'une loi qui offre aux femmes autochtones une solution pratique et sensée. Les femmes de nos collectivités nous ont dit que la question touche leurs enfants, leurs petits-enfants, ainsi que les générations futures et que toute solution doit prévoir leur situation.
Nous tenons des consultations depuis le début du mois d'octobre à l'échelon national, régional et local. Nous voulons être certaines que la voix des femmes autochtones sera entendue. Nous créons actuellement des lieux sûrs pour les femmes qui ont elles-mêmes souffert de l'absence d'une loi sur les biens matrimoniaux pour leur permettre de discuter des solutions. Le premier mois, nous avons tenu cinq séances de consultation sur invitation. Nous avons tenu six audiences publiques dans quatre provinces et deux territoires pendant le mois. Des femmes, leurs enfants ainsi que des aînées ont pu présenter leurs vues de vive voix ou par écrit. Les consultations se poursuivront jusqu'en décembre.
Nous avons aussi une section dans chaque province et territoire. Chacune tiendra ses propres consultations au sein de leurs collectivités. Elles se déroulent très bien. Elles nous permettent de recueillir des renseignements et des avis précieux auprès des participantes. Ce sont souvent les femmes qui ont la garde des enfants. Or, elles doivent aussi souvent abandonner les biens de la famille pour créer un chez-soi sain. Quand il y a rupture du couple, il arrive souvent que la femme attende des années avant d'obtenir un divorce. Ces femmes nous disent aussi que les lois pourtant rigoureuses de la culture et de la tradition ne sont pas appliquées et qu'elles doivent être prises en compte dans l'examen des solutions.
Il n'y a pas qu'une personne qui soit concernée. C'est la famille tout entière de la femme, de son mari, ses enfants et sa communauté qui en pâtissent. Nous voulons que la communauté assume sa responsabilité.
Nous faisons partie d'un groupe de travail mixte d'AINC et de l'APN. Nous voulons nous assurer que le fruit de ces travaux entre dans la préparation des options et des solutions de la loi.
Nous constatons que ce travail informe et conscientise tous les Canadiens. Pour la première fois, en effet, les médias s'intéressent à la question. L'avis de toutes les femmes autochtones est important. Nous avons aussi pris des dispositions pour celles qui ne pouvaient pas se présenter. Nous avons aussi créé plusieurs groupes de discussion en novembre et décembre qui vont se pencher sur des cas particuliers. Nous voulons que leurs conclusions servent à l'élaboration du cadre législatif.
Quand nous sommes venues au Sénat pour la première fois pour demander des solutions, nous avons dit qu'il faudrait un an. Malheureusement, il y a maintenant six mois que nous avons commencé les consultations et il est très difficile pour nous de respecter les délais des Affaires indiennes. Nous sommes un peu frustrées, comme c'est parfois le cas quand il faut se plier aux délais fixés par le gouvernement.
Nous faisons de notre mieux pour que les consultations se fassent de manière respectueuse. Si elle est adoptée, la loi reposera sur l'inaliénabilité des terres des réserves. Nous ne voulons pas que les terres et les territoires soient fractionnés et amputés des terres hors réserve sous forme de terres en fief simple. Il n'est pas question de fractionner les terres et les territoires à cause de notre régime foncier traditionnel.
Nous voulons aussi réserver un espace sûr pour les générations futures. Il est en effet dans l'intérêt collectif des peuples autochtones de nous assurer que nos terres d'origine et que les terres visées par traité sont protégées au profit des générations futures. Nous voulons préserver nos liens traditionnels avec nos terres et reprendre possession de notre mode de vie parce qu'il s'agit de la nature de notre lien avec la terre et notre collectivité.
Voilà les positions énoncées clairement et d'une voix forte par les femmes que nous consultons.
Bob Watts, chef du personnel, Assemblée des Premières nations : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Je tiens d'abord à vous transmettre les excuses de notre chef national, Phil Fontaine, qui ne peut pas être des nôtres ici aujourd'hui. Il est à New York dans le cadre d'une autre partie de ses fonctions, en train de rassembler des appuis pour la déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones.
Une grande partie de la déclaration porte justement sur les questions dont nous discutons ici aujourd'hui et dans beaucoup d'autres tribunes.
L'Assemblée des Premières nations est une association nationale qui représente les citoyens des Premières nations de toutes les régions du Canada sans égard à leur âge, leur sexe ou leur lieu de résidence. Je suis accompagné de Debra Hanuse, directrice de la section Loi et législation de l'Assemblée des Premières nations.
Nous sommes reconnaissants au comité de son rapport de décembre 2004 intitulé Biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves : Toujours en attente ainsi que du rapport précédent de novembre 2003 intitulé Un toit précaire : Les biens matrimoniaux situés dans les réserves.
Comme l'a dit la présidente Jacobs, nous sommes heureux de vous annoncer que le gouvernement fédéral, par la bouche du ministre, a annoncé le 21 juillet une série de consultations nationales sur la question des biens matrimoniaux situés dans les réserves, conformément à la recommandation que vous aviez faite.
Le ministre Prentice a invité l'Assemblée et l'Association des femmes autochtones du Canada à proposer des options susceptibles de combler le vide législatif au sujet des terres des réserves.
Nous sommes heureux de participer à la recherche de solutions. Toutefois, nous nous inquiétons des délais imposés par le ministre pour la tenue des consultations nationales et le dépôt d'un texte.
Le mécanisme créé par le ministre se divise en trois phases et doit aboutir au dépôt d'une loi au printemps de 2007. La phase 1, plans et préparatifs, s'est tenue de juin à août 2006. La phase 2, consultations et dialogues, va de septembre à janvier 2007. Dans nos régions, cette phase n'a pas encore débuté. Nous venons à peine de recevoir notre partie des fonds. Nous sommes actuellement à la recherche de lieux de rencontre, de chambres d'hôtel et de centres communautaires pour la tenue des consultations. C'est une grande partie de ce qui nous inquiète. Pendant cette phase, l'APN et l'AFAC et AINC amorceront un dialogue auprès de nos clientèles respectives pour trouver des solutions au problème des biens matrimoniaux.
La phase 3, établissement du consensus, doit commencer en juin 2007. C'est alors que la représentante du ministre, Mme Wendy Grant-John, travaillera avec l'Assemblée, l'Association des femmes autochtones du Canada et le ministère pour dégager un consensus entre les parties autour des options recensées dans la phase actuelle.
Dans votre rapport de décembre 2004, vous avez recommandé de procéder à des consultations sans tarder. Nous approuvons l'idée mais nous craignons que les consultations organisées par le ministre se fassent avec précipitation sur une trop courte période. Nous voulons participer à un processus respectueux et aux résultats respectables. Nous tenons à ces consultations mais nous nous inquiétons de la brièveté des délais qui nous sont imposés. Par-dessus tout, nous voulons que soient adoptées des solutions pratiques et applicables au problème des biens matrimoniaux situés dans les réserves. Nous savons qu'il s'agit d'un dossier épineux et que la ou les solutions ne réussiront que si la population a le sentiment d'avoir été consultée et d'avoir eu voix au chapitre. Les gens doivent aussi être convaincus que les membres de leurs communautés appuient bien l'option retenue.
Nous ne sommes pas convaincus que les délais prévus pour ces consultations aboutiront à des solutions pratiques et applicables. Les questions sont complexes et font intervenir les droits énoncés à l'article 35 de la Constitution ainsi que d'autres considérations constitutionnelles, qui toutes exigent un dosage d'intérêts collectifs et individuels des Premières nations. Il faut aussi aborder de nombreuses questions connexes. Nous nous réjouissons toutefois que le gouvernement fédéral s'occupe enfin du problème.
Quelles sont les solutions? Pour nous, il ne s'agit pas d'imposer le droit des provinces en matière de biens immobiliers matrimoniaux. Outre la validité constitutionnelle douteuse de cette option, il existe de nombreux autres problèmes d'ordre pratique. La solution n'est pas de rafistoler la Loi sur les Indiens. C'est elle qui est à l'origine d'un grand nombre de problèmes avec lesquels doivent composer les Premières nations et le gouvernement fédéral. Ce n'est pas en surchargeant de modifications une loi bancale de l'époque coloniale qui menace de s'effondrer qu'on réglera le problème. Non, c'est en reconnaissant et en appliquant la compétence des Premières nations en matière de biens matrimoniaux situés dans les réserves. Ces choses sont possibles si les Premières nations et le gouvernement fédéral collaborent et nous saluerons l'occasion de travailler avec lui et avec l'Association des femmes autochtones du Canada à l'occasion des consultations.
La présidente : Le problème n'est pas nouveau et il reste épineux. D'une part, il s'agit de la façon dont les terres situées dans les réserves sont détenues et aménagées. D'autre part, en 2003, nous avons pris connaissance du dilemme dans lequel se trouvaient les femmes et dans lequel elles se trouvent toujours aujourd'hui comme en 2003, 2004 et 2005. Cela ne date pas de 2005. Cela existe depuis longtemps. Comme le sénateur Nancy Ruth nous le rappelle souvent, il s'agit de droits rivaux. Comment proposez-vous de régler le problème de la communauté des terres et des besoins légitimes des femmes et des enfants d'aujourd'hui?
La solution ne sera pas plus facile en réserve qu'elle ne l'a été hors réserve pour le reste d'entre nous. Quelle est donc la pierre d'achoppement? Je comprends que de votre point de vue il faut peut-être reporter les délais. C'est un horizon.
Vous servez-vous des modèles de biens dégrevés? Les modèles suffisent-ils à concilier individuel et collectif?
Depuis notre rapport de 2003, les réserves ont-elles progressé au profit de leurs habitants?
Mme Jacobs : Ma première réaction, c'est que les femmes à l'extérieur des réserves ont eu accès. C'est un des principaux problèmes. Les femmes autochtones n'avaient pas accès comme les femmes non autochtones à l'extérieur des réserves. Je pense que c'est la principale atteinte aux droits humains. Je ne peux pas vous dire exactement ce qui se passe dans les collectivités à l'heure actuelle, à moins d'avoir une liste détaillée des communautés de Premières nations qui ont mis de l'avant des solutions concernant les BM. Je sais qu'il y en a qui ont une loi sur la gestion des terres des Premières nations qui contiennent des codes de BM. Je ne suis pas au courant d'une analyse de la façon dont ça marche. Une partie de la difficulté, c'est la mise en œuvre de l'accès. Ça doit être inclus dans notre travail, même s'il y a une loi ou un mécanisme en place. Est-ce que c'est accessible dans les faits aux femmes autochtones? Dans les premières rencontres, les femmes disent que c'est bien beau mais se demandent comment ça va les aider. Actuellement, les femmes n'ont pas de droits. Elles n'ont pas de moyens. Il n'y a pas d'aide juridique pour elles. Ces grands dossiers influent sur ce travail. Surtout, il y a le fait que ça s'en vient et que des mesures vont être prises. Jamais il n'en a été autant question. C'est un pas positif à la sensibilisation au sujet de la question parce que les premiers touchés, ce sont les femmes autochtones et leurs enfants.
En ce qui concerne les droits individuels et les droits collectifs sur les terres, la question existe depuis toujours. Quand les femmes parlent de leurs droits dans la communauté, elles invoquent toujours les droits traditionnels, qui disent que la terre et la maison appartiennent à la femme. C'est ce que les aînés ont dit et c'est ce que les enseignements nous disent. Dans beaucoup de nations distinctes, le message est le même, qu'il s'agisse des Mohawk, des Cris, des Ojibwa et des Mi'kmaq. Il y a unanimité.
Nous vivons dans deux systèmes différents. Il y a le système juridique canadien eurocentrique et notre droit traditionnel coutumier. C'est lui qui est victime du système eurocentrique canadien.
Ces dernières années, l'Association des femmes autochtones du Canada a essayé de rétablir l'équilibre. Nous essayons de restaurer le lien que nous avions avec nos terres et nos territoires. Faut-il pour autant mettre en place quelque chose pour assurer le respect des droits des femmes et obtenir l'aide du système eurocentrique canadien? C'est un dilemme pour nous parce que ce système nous piège.
Je serais ravie que nos communautés obéissent à nos lois et à nos valeurs traditionnelles. Malheureusement, nous avons été contaminés par le système du colonisateur. Tel est notre dilemme. C'est pourquoi nous nous tournons vers la tradition. Tout y est abordé : le collectif — qui nous sommes comme nation — et l'individuel.
M. Watts : Si vous me permettez, je veux dire que j'appuie Mme Jacobs en ce qui concerne le genre de changement que nous souhaitons. Il ne suffit pas de remplacer quelques mots de la Loi sur les Indiens. Il s'agit de nous décoloniser. Ce ne sera pas facile. Aborder cela comme un problème isolé risque de donner le mauvais message aux membres de notre communauté. Beaucoup de ces problèmes sont la manifestation de la terrible misère dans laquelle vit notre peuple.
Si vous examinez le cas d'autres groupes au Canada qui vivent dans le dénuement, et si vous posez la question de savoir si le droit matrimonial s'applique de la même façon à Pointe Saint-Charles qu'à Westmount, on vous répondra qu'il y a une différence. C'est en partie une question d'accès à la justice. Un système d'aide juridique fédéral va-t-il aider les hommes et les femmes autochtones à régler ces problèmes? Quels mécanismes d'aide seront mis en place? Un tribunal constitué en vertu de l'article 95 aidera-t-il à démêler cet écheveau? Comment ouvrira-t-on la voie à la réapparition de nos valeurs, de nos lois et de notre compétence?
Le sénateur Dallaire : Il est tout à fait déplorable que votre nation se soit retrouvée subordonnée à une autre, qu'elle soit eurocentrique ou chrétienne. Vous avez été humiliés et devez discuter de ces choses, alors qu'elles devraient faire partie intégrante de vos sociétés et réglées en fonction de ce que vous estimez être juste. Notre société a eu un effet traumatisant dont on discute les séquelles aujourd'hui.
J'ai tendance à penser qu'un système juridique qui impose des changements qui vous ramène aux normes sociales de votre propre société n'est pas quelque chose de progressiste. Mais si vous retournez dans votre culture aux normes que vous avez décrites alors je vous demande, monsieur Watts, quel est votre plan? Si vous n'avez pas de loi qui modifie ça et un instrument comme ça, combien de générations faudra-t-il pour procéder à cette décolonisation? Combien de victimes y aura-t-il d'ici là? Si vous voulez quelque chose qui respecte vos traditions, comment pouvez-vous envisager une méthode traditionnelle quand votre propre société n'obéit plus à la tradition? Vous êtes coincé.
Dans votre nation, quel est donc l'instrument — si vous me permettez d'utiliser le terme dans son sens générique — si vous n'avez pas de loi pour le faire?
M. Watts : J'aimerais, si vous voulez bien, répondre à votre question en deux temps et pour commencer en vous disant que l'instrument en question n'est pas la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Dallaire : Je suis entièrement d'accord. C'est pernicieux.
M. Watts : L'instrument n'est pas une autre de ces lois qui ressemblent à la Loi sur les Indiens dans la mesure où elle ne prévoit pas, ou ne reconnaît pas notre compétence. Il faudrait peut-être adopter une loi qui protège les droits de tous ceux qui vivent hors réserve — femmes, enfants, hommes, anciens. C'est possible, mais s'il s'agit d'une loi qui se veut une solution péremptoire et complète par rapport à ces droits, mais qui ne prévoit pas la compétence des Premières nations, nous ne serions pas plus avancés qu'aujourd'hui.
L'interprétation que les tribunaux ont donnée aux débats constitutionnels de 1867 est que la Couronne a divisé les pouvoirs pour créer une unité. Les droits ancestraux, les titres ancestraux, en étaient absents, de sorte qu'elle ne pouvait pas prétendre légiférer dans ce domaine, mais c'est ce qu'elle fait, d'où le dilemme. Comment rétablir cela et comment faire en sorte que nos propres lois, nos propres coutumes et traditions, puissent s'épanouir? Simultanément, j'en conviens avec vous, il faudra peut-être que nous adoptions des mesures bouche-trou pour assurer la protection des gens, mais sans pour autant que ces mesures oppriment encore davantage nos propres lois.
Le sénateur Dallaire : À quoi attribuez-vous cette panique de la part du ministre? Pensez-vous qu'il y ait tout d'un coup une véritable volonté de résoudre un problème qui a pris cinq ou six générations avant de poindre, et de faire cela en six mois? Cela repose-t-il sur une décision politique? Le gouvernement essaie-t-il d'introduire un instrument de poids, un instrument compatible avec les deux nations, pour concrétiser cela?
Mme Jacobs : Je serai tout à fait honnête avec vous.
Le sénateur Dallaire : Le but de ce que nous faisons est précisément la franchise.
Mme Jacobs : Je pense que c'est un problème politique et les choses se font à si court préavis parce que le gouvernement est minoritaire et qu'il risque d'y avoir des élections au printemps. Le gouvernement tente de déposer ce projet de loi avant les élections et d'organiser des consultations dans l'entrefaite. Nous continuons à essayer de suivre le cours des choses et de respecter les échéances, mais c'est extrêmement difficile parce qu'il faut sensibiliser les gens là- bas. Nous sommes au courant des problèmes. Il y a des femmes, dans nos collectivités, qui n'en sont pas conscientes, qui ne savent pas que c'est un problème parce qu'elles sont en train d'apprendre les mécanismes de survie de base.
Effectuer ce travail de sensibilisation afin que les femmes soient au courant du problème, c'est pour nous l'une des premières interventions nécessaires. Nous avons accepté un an parce que nous voulions utiliser cette année complète pour parler à toutes les femmes partout au Canada, mais il ne nous reste maintenant que trois mois.
La présidente : Sénateur Dallaire, les témoins tout comme d'ailleurs les membres du comité avaient à l'époque le sentiment que nous devions boucler rapidement ce dossier. Dans les différents rapports du comité, nous avions recommandé qu'il n'y ait plus de consultations, cela voulant dire que nous ne voulions pas en faire l'étude. Mme Jacobs nous a signalé être au courant de nouveaux problèmes. Elle a fait valoir devant nous aujourd'hui la question de savoir si cela pourrait être mis en œuvre selon les paramètres avancés par le ministre et s'il ne devrait pas y avoir plus de temps pour le faire. Le problème est urgent, nous en convenons tous. En disant cela, je me porte à la défense de mon prédécesseur et des collègues qui siégeaient au comité. Peut-être est-ce quelque chose de territorial, mais c'est justifié parce qu'à l'époque, nous avions entendu des témoins.
Le sénateur Dallaire : Merci pour cette précision. Comme vous pouvez vous en rendre compte, je fais mon apprentissage.
La présidente : Vous vous en tirez fort bien, je dois le reconnaître.
Le sénateur Dallaire : Si c'est un dossier qui traîne déjà depuis trois ans, j'aurais bien du mal à admettre qu'il faudrait encore six mois. Si je ne me trompe pas, il y a au Canada plus de 600 établissements des Premières nations.
Wendy Grant-John, représentante du ministère, à titre personnel : Il y en a 633.
Le sénateur Dallaire : En effet, et la plupart sont difficiles d'accès.
M. Watts : Et souvent dans des régions isolées.
La présidente : On a fait valoir qu'il fallait progresser. Les témoins pourraient nous dire ce qu'ils estimeraient être un calendrier raisonnable. Nous avons donné suite avec deux rapports pour dire que nous voulions un calendrier. Ainsi, nous pourrions discuter pour voir si ce calendrier est trop court ou trop long. Les choses avancent, alors que jusque-là ce n'était que de belles paroles. Tout le monde disait bien que les programmes des femmes avaient leur importance, mais les problèmes en question n'étaient pas sur les écrans radar de tout le monde. Je suis heureuse d'entendre que nos témoins sont en phase avec le rapport et que nous nous employons maintenant à déterminer comment nous allons faire les choses plutôt que si nous allons bel et bien les faire. Cela prouve qu'il y a un peu de progrès.
J'inviterais les sénateurs à poser leurs questions afin que nous puissions entendre les réponses.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question s'adresse au groupe. Pensez-vous qu'il vaudrait mieux abolir la Loi sur les Indiens plutôt que de la modifier? Êtes-vous satisfaits des modifications apportées à la Loi sur les Indiens?
M. Watts : Nous avons préconisé l'abolition de la loi à de nombreuses reprises, mais ce faisant, le gouvernement ne devrait pas y voir un outil pour punir les Indiens. Il faut procéder de façon réfléchie, graduelle et respectueuse. C'est une jolie courte réponse.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Avez-vous entendu des organisations manifester leur opposition à cette question des droits immobiliers matrimoniaux?
La présidente : Est-ce qu'il y a quelqu'un qui est contre l'idée de chercher une solution?
Mme Hanuse : Comme l'a déjà dit M. Watts, nous n'avons pas encore eu l'occasion d'aller sur place pour ouvrir le débat, de sorte qu'il serait pour nous prématuré de répondre parce que nous n'avons encore rien entendu.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Pensez-vous que les organisations qui représentent les hommes autochtones pourraient marquer leur opposition?
M. Watts : Pour pouvoir participer au processus, nous avons dû demander la permission aux chefs. Un peu comme le ministre Prentice doit avoir la permission de ses collègues pour pouvoir aller de l'avant, le chef national a dû obtenir de ses collègues la permission d'aller plus loin; c'est ce qu'il a fait, et les chefs ont accepté.
Mme Jacobs : Dans le cadre des consultations qui ont eu lieu jusqu'à présent, aucun de nos ministres provinciaux ou territoriaux ne s'est opposé au processus; en revanche tous ont dit que nous ne nous sommes pas mis en rapport avec eux pour leur permettre de répondre. Nous avons entendu qu'ils avaient quelques difficultés auprès des chefs et des conseils. Ici encore, je suis parfaitement honnête en vous parlant des réponses que nous ont données ces femmes. Nous savons que cela fera partie de notre rapport final et que le message des femmes sera cohérent. Nous sommes en train de consulter les femmes qui ont une connaissance personnelle de la chose — les femmes et leurs enfants, qui sont maintenant des jeunes gens et des enfants adultes.
Le sénateur Pépin : C'est le chef qui décide. Peut-être y aura-t-il un chef qui ne sera pas d'accord avec le processus. Pensez-vous que les femmes seront suffisamment fortes pour manifester leur désaccord auprès du chef en réclamant des changements? C'est une question qui fait intervenir la tradition, l'héritage et la culture. Peut-être ne m'y retrouverais-je pas bien, mais j'ai le sentiment qu'il y en a peut-être beaucoup qui ne veulent pas de changements, à moins que je vous aie mal comprise.
Mme Jacobs : Les femmes nous racontent ce qu'elles ont vécu lorsqu'elles se sont séparées ou ont divorcé de leur mari. Elles nous ont dit qu'on les avait chassées de leur collectivité et que le chef et le conseil ne leur avaient marqué aucun appui. Je sais que ce sont des questions dont se saisira l'Assemblée des Premières nations lorsque nous nous réunirons. Nous allons parler de tous ces problèmes et nous allons essayer d'élaborer des résolutions parce que la façon dont les femmes sont traitées dans nos collectivités est un problème qui exige qu'on s'y attelle.
J'ai dit à ces femmes lors de ces consultations que je n'hésiterais pas à mettre ces questions sur la table. Le problème consiste à déterminer comment aborder la question de la sécurité des femmes dans leurs collectivités parce que lorsqu'elles parlent, elles prennent des risques. Elles savent ce qui leur est déjà arrivé et comment elles ont été traitées. C'est cela, leur réalité.
Le sénateur Pépin : Je m'intéresse activement aux dossiers qui concernent les femmes autochtones depuis le cas de Mary Two-Axe Earley. J'avais en effet travaillé avec elle au début des années 1980.
Monsieur Watts, vous nous dites qu'effectivement, vous avez pris du retard, et que ce qui était censé commencer en septembre ne commencera qu'en janvier. Êtes-vous sûr que ce sera en janvier ou y aura-t-il peut-être d'autres retards?
M. Watts : Selon la proposition fédérale, la phase 3 devrait commencer en janvier. La phase 2 a tardé à commencer, nous l'avons dit, nous avons également dit que nous aurions peut-être besoin de plus de temps; en réalité, le gouvernement fédéral aura peut-être besoin de plus de temps. J'ignore le nombre de consultations que le gouvernement fédéral a tenues avec ses homologues provinciaux. Nous n'avons pas été invités, de sorte qu'il est fort possible selon moi qu'il n'y en ait pas eu.
Il y a des gens qui ont peut-être pris un peu de retard. Nous avons toute une nation à consulter. Même si nous avions commencé en septembre, je ne suis pas certain qu'il soit réaliste d'escompter pouvoir terminer d'ici la fin novembre, de pouvoir rédiger un rapport en décembre et de passer à un autre processus en janvier.
Le sénateur Nancy Ruth : Je voudrais commencer par répondre à l'élément politique, à la question du calendrier, parce qu'il me semble que les relations très étroites entre les grands chefs et les gouvernements libéraux précédents suffisaient pour pouvoir conclure qu'il y avait un avantage — on pourrait présenter les choses sous cet angle — à retarder le processus. Soyez prudents dans votre réponse à cette question.
Il y a deux choses que j'aimerais savoir, madame Jacobs : tout d'abord, comment cela touchera-t-il les enfants et les petits-enfants, et comment voyez-vous les choses se dérouler — non seulement après la dissolution du mariage, mais également au fil des générations suivantes?
En second lieu, je compatis avec vous, monsieur Watts, lorsque vous vous plaignez que les gens n'embarquent pas — s'ils n'ont pas suffisamment de temps pour le faire, cela ne peut pas marcher. Cela vaut pour n'importe quel type de négociation, mais laissons l'élément politique de côté. Vous allez vous mettre dans l'embarras. Je vais vous mettre dans l'embarras. Parlez-moi des générations futures. Je ne sais pas ce que cela veut dire.
Mme Jacobs : Cela veut dire que nous avons toujours en tête les sept générations à venir lorsque nous pensons à notre tradition et à notre culture. Dans le cas du régime de tenure actuel dans les réserves, nous avons de petites parcelles. Si c'est tout ce que nous avons, eh bien c'est au moins cela que nous essayons de préserver pour les générations à venir. Mais les femmes veulent plutôt envisager le tableau d'ensemble. Ce sont elles en effet qui ont la charge des enfants et des petits-enfants.
Le sénateur Nancy Ruth : Pouvez-vous me donner l'exemple d'un couple qui a trois enfants et qui vient à se séparer; qu'est-ce que cela donnerait pour la septième génération?
Mme Jacobs : Admettons que la femme en question doive quitter son foyer et sa collectivité. Ses enfants et elle sont condamnés à la pauvreté; ils doivent trouver un endroit où habiter.
Le sénateur Nancy Ruth : Dans le monde idéal de cette négociation, qu'est-ce que cela pourrait donner?
Mme Jacobs : Un logement dans les territoires pour les familles.
Le sénateur Nancy Ruth : Pour combien de générations?
Mme Jacobs : Nous pensons à au moins sept générations.
Le sénateur Nancy Ruth : Très bien. Je voulais avoir la certitude d'avoir bien compris.
Le sénateur Poy : Madame Jacobs, vous avez dit un peu plus tôt que la tradition voulait que la terre appartienne aux femmes des Premières nations. Qu'est-ce qui se passe dans ce cas-là? Vous nous avez dit qu'avec le gouvernement eurocentrique, tout a commencé à aller de travers. Si les membres des Premières nations avaient vraiment respecté la tradition, les femmes n'auraient pas été chassées de chez elles et de leur terre. Pouvez-vous nous donner une explication, je vous prie?
Mme Jacobs : Combien de temps avons-nous?
Nous parlons de l'impact de la colonisation. Nous avons essayé de maintenir nos traditions, mais le système patriarcal imposé par la Loi sur les Indiens a bouleversé notre système ancestral. Il a eu une incidence non seulement sur la gouvernance, mais également sur nos terres et nos territoires. Il a touché notre système de clans, notre système foncier ainsi que nos relations réciproques. Nous discutons ici des pensionnats, du génocide culturel issu de la Loi sur les Indiens, du bien-être social pour les enfants et du système de justice pénale. Tous ces impacts patriarcaux, eurocentriques, coloniaux et génocides ont eu une influence directe sur nos femmes et sur nos collectivités. Nous parlons ici de violence et de questions familiales qui transcendent les générations, d'abus sexuels, de violence corporelle, de racisme, de violence sexuelle, autant de produits ou d'impacts du système colonial. M. Watts a parlé de pauvreté et, si on parle de pauvreté, il faut également parler de suicide, de racisme, de stéréotypes et de problèmes de santé; tous ces problèmes ont eu une influence sur notre système traditionnel.
Le sénateur Poy : Ce que vous voulez dire, c'est que s'il n'y avait pas eu la colonisation, les femmes contrôleraient toujours la terre, est-ce bien cela?
Mme Jacobs : Tout à fait.
Le sénateur Poy : Était-ce ainsi que les choses se passaient avant?
Mme Jacobs : En effet.
Le sénateur Poy : Il faut que je comprenne bien parce que cela remonte à très longtemps. Je vous remercie.
Le sénateur Nancy Ruth : C'est néanmoins une idée surprenante.
La présidente : Monsieur Watts, je voudrais une précision avant que nous ne terminions.
Vous nous dites qu'il vous faut plus de temps et que les choses vont probablement beaucoup plus loin que la Loi sur les Indiens. Que je sache, au Canada, les peuples autochtones ont accepté la Charte des droits et libertés. Convenez- vous du fait que, si nous persistons à ne pas apporter de solution au problème, ce serait une violation des droits des femmes au titre de la Charte?
M. Watts : À notre avis, oui. Il existe de très nombreuses violations des droits des membres des Premières nations : droit à des services de garde adéquats, droit à l'eau potable, droit à des maisons qui ne sont pas pleines de moisissure. Je ne voudrais pas les classer par ordre d'importance, mais les problèmes sont nombreux. Le dilemme qui nous interpelle tous est en partie la question de savoir comment traiter cette question importante sans pour autant sacrifier, simultanément, les possibilités qui nous sont données de pouvoir vivre selon nos propres croyances, dans notre propre culture et notre propre juridiction. Y a-t-il en cela une solution qui permette de résoudre ce problème?
À mon avis, ce que Mme Jacobs vous a dit, c'est qu'on peut trouver là une solution, et c'est également mon avis. Faisons-nous un sacrifice? Prenons-nous un peu de temps pour essayer de trouver la bonne solution ou nous contentons-nous d'aller le plus rapidement possible pour essayer d'en trouver une qui soit commode parce que rapide?
C'est là un dilemme difficile auquel nous sommes confrontés. Il y aura peut-être des gens qui devront se presser pour faire du rattrapage et d'autres qui devront ralentir pour nous attendre. Pour moi, c'est cela le dilemme.
Mme Hanuse : Il faut être prudent lorsqu'on parle de violation des droits humains. Lorsqu'on regarde ce dossier, il ne s'agit pas nécessairement de choses clairement énumérées. Il n'y a pas chez nous de discrimination fondée sur le sexe. Ce vide législatif touche de la même façon, les hommes, les femmes et les familles des Premières nations, donc il ne s'agit pas simplement d'une question de sexe dans ce contexte en particulier.
Nous avons également les droits qui nous sont conférés par l'article 35. Les tribunaux ont reconnu aux Autochtones le droit de contrôle sur le droit familial. Les adoptions et les mariages sont reconnus par les tribunaux. Les tribunaux ont également reconnu le droit de gérer la terre. Donc nous bénéficions d'une part de la protection que nous confère l'article 35. Nous ne voulons pas que cet article devienne vide de sens, nous ne voulons pas non plus que les gens aient à aller devant les tribunaux pour le faire respecter. Les recours devant les tribunaux dans tous ces dossiers sont extrêmement coûteux pour les membres des Premières nations. Par ailleurs, il y a également l'article 15 et les autres droits concomitants conférés par la Charte, et c'est précisément là où nous réclamons ce juste équilibre. On pourrait dire, certes, que dans les grandes lignes, il s'agit bien d'une violation des droits humains, mais ce serait dangereux de le faire parce que nous céderions ainsi à l'émotion. Si nous cédons à l'émotion, nous ne parviendrons jamais à trouver de solutions qui correspondent à des circonstances particulières. Par conséquent, lorsqu'on utilise ce terme, il faut le faire avec circonspection.
S'agit-il de pénuries de logements ou s'agit-il de trouver des moyens de séparer les biens fonciers que possèdent les couples lorsqu'ils se séparent? Quel est le problème que nous devons régler? Nous nous préoccupons du fait que des femmes et des enfants autochtones sont forcés de quitter leur milieu. Avons-nous les statistiques et les renseignements voulus pour expliquer pourquoi ces femmes et ces enfants sont évincés? Est-ce à cause d'un vide législatif ou est-ce à cause d'une pénurie chronique de logements? Lorsqu'un couple se sépare, les gens n'ont pas d'endroit où aller et ils n'ont pas assez d'argent, même s'il existait une loi parfaite qui nous permettrait de partager les biens dans l'équité la plus stricte. Au bout du compte, est-ce qu'on a assez d'argent pour acheter des logements comparables et abordables dans le milieu? Ou le problème tient-il au fait qu'il n'y a pas assez de terrain pour bâtir une maison, et si c'était le cas, le problème tiendrait-il au fait que les femmes ne peuvent pas hypothéquer les terres de la réserve? Elles doivent s'adresser à la bande ou au gouvernement pour recevoir l'argent qui leur permettrait d'acheter un logement comparable.
Qui est le vrai coupable? Allons-nous mettre au point un mécanisme formidable qui nous permettra de régler un problème qui, à notre grande surprise, un jour, ne serait peut-être pas le vrai problème à régler? Peut-être que le vrai problème, c'est la pauvreté et la pénurie chronique de logements. Nous devons être prudents dans la manière dont nous allons définir ces problèmes et les régler.
La présidente : Je parlais de la Charte. Il s'agit de savoir où commencer. Avec la multiplicité des enjeux, c'est un point de départ. C'est ce dont le rapport faisait état. Qu'il s'agisse d'enjeux propres aux Autochtones ou non, il y a des personnes qui souffrent tous les jours pendant que nous discutons. Dans mon esprit, il s'agit pour nous de trouver la bonne solution qui viendra en aide à la femme ou à la famille qui est en détresse en ce moment.
Pendant que nous cherchons des solutions pour le long terme, j'espère que nous allons commencer à faire quelque chose pour ces personnes dont la vie est en péril, qu'elles vivent dans des réserves ou hors réserve, qu'elles soient autochtones ou non. C'est toujours le même problème qui se pose. On a un plan, mais dans l'immédiat, à l'heure où nous nous parlons, il y a quelqu'un qui souffre.
Pendant que nous travaillons au niveau gouvernemental, j'espère que les dirigeants autochtones cherchent des solutions aux cas qui se posent aujourd'hui même. Il s'agit peut-être de palliatifs, mais cela pourrait aider une personne et un enfant — même pour sept générations, chose qui m'a frappée. Il est important de commencer maintenant avant de commencer à corriger des problèmes qui remontent à il y a sept générations de cela.
Nous nous retrouvons ici devant une multiplicité de problèmes. Nous espérons qu'il y a une lumière au bout du tunnel. Nous nous tournons vers vous pour que vous trouviez une solution. D'après ce qu'on me dit aujourd'hui, nous aurions peut-être besoin de plus de temps. Je peux proposer au nom du comité — et si les membres ne sont pas d'accord, ils pourront le dire plus tard — que nous prenions plus de temps pour les consultations et le reste. Il faut avoir la volonté d'aller au fond des choses. Si telle est notre volonté, le délai devient alors négociable. Il faut vraiment que cette question figure sur notre programme.
Merci d'être venus et de nous avoir donné l'assurance que vous êtes décidés à aller jusqu'au bout. Je pense que c'est une bonne nouvelle pour ces enfants et ces familles. Nous vous en remercions.
Honorables sénateurs, je constate que le ministre Prentice est arrivé avec ses collaborateurs. Nous avons invité le ministre des Affaires indiennes et du Nord à nous donner son avis sur le rapport de notre comité intitulé Un toit précaire : Les biens matrimoniaux situés dans les réserves, qui a été déposé au Sénat le 4 novembre 2003.
Nous avons fait paraître depuis plusieurs rapports de suivi et indiqué ainsi que notre rapport devait être suivi de mesures concrètes. Nous sommes heureux d'apprendre que le ministre a fait certaines annonces. J'ai la conviction qu'il en parlera lorsqu'il commentera notre rapport.
Monsieur le ministre, bienvenue. Vous avez avec vous plusieurs collaborateurs, dont Mme Wendy Grant-John, qui sera responsable du processus que vous avez annoncé. Vous pourriez peut-être nous présenter vos autres collaborateurs.
L'honorable Jim Prentice, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits : Avec plaisir. Je suis accompagné de Mme Sandra Ginnish, de Mme Holly King et de Mme Margaret Buist.
Je suis heureux d'avoir la possibilité de m'adresser au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
[Français]
J'aimerais d'abord remercier les membres du comité de leur important travail sur la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
[Traduction]
Je salue le sénateur Jaffer qui, plus tôt ce mois-ci, a souligné ici même le travail de ses collègues, les sénateurs Maheu et Chalifoux. Le rapport intitulé Un toit précaire : Les biens matrimoniaux situés dans les réserves constitue un ouvrage de grande envergure sur la question des biens immobiliers matrimoniaux. La recherche approfondie et l'analyse sérieuse du comité nous ont grandement aidés à saisir les enjeux, en plus de nous permettre de nous diriger vers une solution efficace. Je vous félicite du travail qui a été réalisé, madame la présidente.
J'ai lancé un processus de consultation qui nous aidera à trouver une solution législative efficace aux biens immobiliers matrimoniaux. J'ai apporté des exemplaires de la trousse de consultation — je crois que vous l'avez déjà reçue — et je répondrai dans l'heure qui suit à toutes vos questions avec grand plaisir. Mais tout d'abord, j'aimerais vous communiquer quelques-unes de mes idées et vous expliquer pourquoi, à mon avis, l'initiative en cours constitue la meilleure solution à l'épineuse question des biens immobiliers matrimoniaux.
[Français]
Je suis d'accord avec le comité pour dire que l'actuel vide législatif est la cause de graves atteintes aux droits de la personne, et je partage son désir d'instaurer une solution rapide.
[Traduction]
Toutefois, notre gouvernement, ou en fait tout gouvernement, commettrait une grave erreur s'il adoptait une solution unilatérale, par exemple s'il modifiait la Loi sur les Indiens de façon à faire appliquer, dans les réserves, les lois provinciales en matière de droit de la famille. En fait, deux organisations autochtones nationales ont rejeté cette avenue. Elles ont demandé que nous tenions plutôt des consultations. En outre, les fonctionnaires provinciaux et territoriaux qui hériteraient du jour au lendemain de la responsabilité des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves accueilleraient sans doute mal des modifications sur lesquelles on ne les aurait pas consultés. Si nous n'avons pas l'appui de ces acteurs importants, toute modification sera assurément un échec. Il est donc important d'agir, mais d'agir après avoir tenu des consultations.
[Français]
Il nous faut une solution qui reçoit l'aval des membres et des collectivités des Premières nations, ainsi que de tous les Canadiens. Je suis convaincu que le processus de collaboration en cours débouchera sur une solution législative efficace et récoltera l'appui nécessaire à la mise en œuvre réussie de cette solution. Cet exercice mise sur la consultation et le consensus, et il est dirigé par les Canadiens les plus touchés par les biens immobiliers matrimoniaux, soit les membres des Premières nations.
[Traduction]
L'Association des femmes autochtones du Canada et l'Assemblée des Premières nations tiennent des séances de consultation et de discussion indépendantes. D'autres groupes pourraient aussi choisir de tenir leurs propres séances, et certains ont déjà soumis des propositions à AINC. En outre, les fonctionnaires de mon ministère ont entamé des pourparlers avec les provinces, les territoires et les organismes non représentés par l'Association des femmes autochtones du Canada et l'Assemblée des Premières nations. Ces discussions et séances visent toutes un même objectif : trouver une solution législative efficace à la question des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Autrement dit, les consultations portent sur la forme de la mesure législative et non sur le fait qu'il est souhaitable ou nécessaire d'adopter une telle mesure. Les consultations portent sur la forme et le contenu de la mesure législative.
Comme je l'ai indiqué, j'ai l'intention de présenter une mesure législative après la tenue des consultations, au printemps de l'année qui vient. Nous sommes tous pleinement conscients du fait que ce problème perdure depuis trop longtemps. Je sais que je m'adresse entre autres à certains des auteurs du rapport Un toit précaire : Les biens matrimoniaux situés dans les réserves. Nous devons combler ce vide juridique si nous avons vraiment à cœur le bien-être des membres et des collectivités des Premières nations.
Comme vous le savez, les biens immobiliers matrimoniaux, ou la maison familiale, constituent les biens les plus précieux des couples établis dans une réserve. Lorsqu'un mariage éclate, la répartition de ces biens touche toutes les parties en cause : les époux, mais aussi leurs enfants, leurs familles et, par extension, la collectivité au grand complet.
Tout au long de notre travail, notre motivation à régler cette question est très simple. Nous voulons veiller à ce que les droits et les recours judiciaires qui sont à la portée des Canadiens établis hors des réserves soient également accessibles aux membres des Premières nations, aux Canadiens qui vivent dans les réserves.
Cependant, nous devons éliminer le vide législatif d'une manière qui soit acceptable pour ceux qui sont touchés : les membres des Premières nations, en particulier les femmes et les enfants, ainsi que les collectivités des Premières nations. Voilà pourquoi je crois que le processus en cours nous permettra d'atteindre notre objectif, soit une solution qui permettra d'atteindre l'équilibre entre les droits individuels et collectifs. Par conséquent, j'aimerais préciser clairement que l'intention n'est pas de viser une quelconque forme de privatisation des terres des réserves. Ce n'est pas de cela qu'il est question.
Ce processus est dirigé par ma représentante, Mme Grant-John, une chef de file respectée, une entrepreneure prospère et une négociatrice de talent. Mme Grant-John travaillera également en partenariat avec l'Association des femmes autochtones du Canada et l'Assemblée des Premières nations.
Ce travail aboutira, j'en suis certain, aux solutions novatrices et équilibrées que nous recherchons. Des solutions qui feront en sorte que les droits relatifs aux biens immobiliers matrimoniaux seront protégés et qui respecteront les intérêts de la collectivité sur le plan de la protection des terres de réserve au profit des prochaines générations.
[Français]
Afin de diriger ce processus et les efforts qui suivront pour l'établissement d'un consensus, nous avons la chance de compter sur une femme dont les remarquables réussites lui ont valu des éloges de la part des groupes concernés, peu importe l'opinion qu'ils avaient sur la question des bien immobiliers matrimoniaux. Wendy Grant-John a été élue chef de sa Première nation pas moins de trois fois et elle a occupé le poste de chef régionale à l'Assemblée des Premières nations. Cette entrepreneure a également siégé au comité exécutif des Affaires indiennes et du Nord canadien.
[Traduction]
Mme Grant-John a tout un défi à relever. Parmi ses fonctions de représentante ministérielle chargée du dossier des biens immobiliers matrimoniaux, je lui ai demandé de chercher à établir une solution consensuelle à la question des biens immobiliers matrimoniaux. À défaut de consensus, elle me recommandera la solution qu'elle croit la meilleure. Et j'entends bien sûr donner suite à ses conseils.
Au cours du processus de consultation, de nombreux membres des Premières nations nous ont dit qu'ils craignaient que mon ministère n'ait déjà fait une ébauche de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux. Laissez-moi vous rassurer sur ce point, comme je l'ai fait déjà auprès du chef national de l'Assemblée des Premières nations : aucune ébauche de loi n'a été élaborée.
La question des biens immobiliers est complexe et nous devons tenir des consultations. J'ai confié cette tâche à une personne d'une intégrité remarquable en qui j'ai personnellement une grande confiance, c'est-à-dire Mme Grant-John. Elle formulera une recommandation sur laquelle se fonderont les mesures que j'entendrai prendre. Je me guiderai sur sa recommandation et ses conseils pour formuler les mesures que je présenterai à mes collègues du Cabinet.
En plus, certains membres des Premières nations nous ont dit qu'ils avaient peur que l'objectif sous-jacent de ce processus mène à l'érosion des réserves, c'est-à-dire à l'érosion de la propriété dans les réserves. L'objectif de ce processus est de traiter de la question historique des droits de la personne, c'est-à-dire de la question que votre comité a traité dans son rapport Un toit précaire : Les biens matrimoniaux situés dans les réserves. Le gouvernement du Canada n'a aucunement l'intention de faire disparaître le statut de réserve au moyen d'une mesure législative relative aux biens immobiliers matrimoniaux. Un des principes fondamentaux réitérés par mon ministère tout au long de ce processus est que les terres de réserve ne devraient pas être aliénables. Ce n'est pas le but de cette initiative. Je vous assure que les réserves continueront d'être utilisées par et pour les membres des Premières nations. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ces terres ont été mises en réserve.
[Français]
Je crois que cette démarche, c'est-à-dire la tenue de consultations, l'établissement d'un consensus puis l'adoption d'une loi, nous permet plus que toute autre d'espérer aboutir à une solution efficace, durable et pratique qui ne portera pas atteinte à l'inaliénabilité des terres des réserves. En fait, notre démarche encouragera les personnes les plus touchées par le problème à prendre les choses en main. Après tout, la réussite de toute nouvelle loi repose sur la compréhension et le soutien des citoyens.
[Traduction]
Il est temps de remédier une fois pour toutes au vide législatif lié au dossier des biens immobiliers matrimoniaux. Notre gouvernement entend adopter une solution qui fonctionne pour tout le monde : les provinces, les territoires, les collectivités des Premières nations, les femmes autochtones et leurs enfants, et l'ensemble des Canadiens.
Pour parvenir à cette solution, nous avons besoin de la participation active de tous les intervenants clés. Et c'est précisément ce que nous nous emploierons à faire dans le cadre de l'initiative en cours.
En terminant, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité, et vous féliciter de l'excellent travail fait à ce sujet par le Sénat et par les comités qui vous ont précédé. Ce travail important m'a permis de m'informer et il a orienté mes délibérations en tant que ministre.
[Français]
Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Mme Grant-John : En entrant dans la salle, j'ai vu les personnes ici présentes et je m'en voudrais de ne pas signaler la présence du sénateur Lovelace Nicholas et de ne pas la féliciter pour le travail qu'elle a fait en faveur des femmes autochtones de ce pays.
Je vous remercie de me donner l'occasion de parler des consultations et des démarches de recherche ou de consensus concernant les questions des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. J'ai eu l'honneur de faire partie de ces procédures et je serai heureuse de répondre maintenant à vos questions.
Je sais que vous connaissez bien les questions des biens immobiliers matrimoniaux; les travaux de votre comité ont éclairé les discussions actuellement en cours. Nous serons tous d'accord pour dire qu'on attend dans ce domaine une solution depuis trop longtemps. Et pourtant, la question est complexe et pose un véritable défi. En revanche, il est encourageant de constater que l'Association des femmes autochtones, l'Assemblée des Premières nations et le ministère des Affaires indiennes et du Nord sont prêts à se consulter mutuellement et à rechercher des réponses constructives. Ils s'y sont engagés.
Il est certain que la participation de l'Association des femmes autochtones et de l'APN est essentielle pour résoudre le problème des biens immobiliers matrimoniaux. Les membres de ces associations sont directement concernés par le problème et ressentiront directement les effets de la solution retenue. C'est pourquoi cette solution nécessite leur participation. C'est là le fondement même de cette démarche de recherche de consensus et de l'engagement de toutes les parties en présence. La démarche vise à favoriser la discussion sur la protection des droits dont les conjoints ont besoin pendant le mariage et à la rupture du mariage.
Il y a eu une première étape de planification des consultations et de recherche du consensus. Elle a amené les parties à travailler ensemble pour élaborer des lignes directrices afin de promouvoir un débat constructif et respectueux entre les trois parties sur les questions liées aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Au cours de la deuxième phase, qui vient tout juste de débuter, la consultation et le dialogue entre les membres des Premières nations vont suivre trois voies différentes. L'Association des femmes autochtones du Canada consulte les organismes régionaux des femmes des Premières nations et organise des séances publiques de consultation. Son objectif est de faire en sorte que les voix des femmes soient entendues. L'Assemblée des Premières nations sollicite le point de vue des représentants de plus de 630 Premières nations. Quant au ministère des Affaires indiennes, il consulte les provinces et les territoires ainsi que les organismes et collectivités concernés qui ne sont représentés ni par l'APN ni par l'Association des femmes autochtones, notamment le Barreau autochtone et l'Association nationale des centres d'amitié. Au cours de cette deuxième phase, je vais surveiller et faciliter le processus et j'assurerai la diffusion des résultats pour qu'on puisse trouver des solutions. Les séances de consultation et de dialogue doivent se terminer en janvier prochain.
La phase finale, qui est à mon sens la plus prometteuse, va comporter une période de formation du consensus pendant laquelle les trois parties vont examiner les possibilités d'ouverture sur un projet de réponse aux questions des biens immobiliers matrimoniaux notamment, comme l'a dit le ministre, sur une réponse législative tenant compte de ce qui s'est dit au cours des consultations.
Pendant cette phase finale, comme le ministre l'a dit, je vais rédiger un rapport sur les résultats des consultations et formuler des recommandations d'intervention concrète. J'espère que cette démarche débouchera sur un ensemble de recommandations qui traduiront le consensus des trois parties.
Il est certain que mes partenaires et moi-même allons avoir fort à faire au cours des prochains mois. Nous avons ici l'occasion de formuler des réponses à une question qui a causé de graves difficultés aux hommes et aux femmes des Premières nations.
Nous avons entendu dire à plusieurs reprises que selon les traditions de la plupart, sinon de la totalité des Premières nations, il existe un principe fondamental voulant que l'on respecte les autres, les hommes, les femmes, les enfants et les anciens. Ce respect est au cœur même de nos lois traditionnelles et il y était déjà bien avant l'adoption de la Loi sur les Indiens. Les chefs et les membres des Premières nations qui participent à la démarche ont insisté sur ce principe du respect, élément essentiel de toute réponse viable au problème des biens immobiliers matrimoniaux.
Il est temps d'intégrer les garanties fondamentales à une solution équitable des problèmes des biens immobiliers matrimoniaux dans l'intérêt des résidents des réserves, selon des modalités qui respectent et honorent les hommes et les femmes en conformité des valeurs traditionnelles des Premières nations.
Je considère comme un privilège ma participation à la recherche de ces solutions et je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
Le sénateur Dallaire : On s'est posé des questions sur la façon de remédier à cette grave injustice. Vous avez affirmé que la réponse était d'ordre législatif et que vous cherchez des données qui permettront d'élaborer cette solution législative.
Dans cette recherche d'une solution législative qui réponde aux besoins traditionnels des Premières nations par opposition aux nôtres, jusqu'où remontez-vous dans les traditions pour trouver un point de référence? Allez-vous remonter jusqu'à l'arrivée des Européens et utiliser leur référence pour définir vos propres paramètres, ou comptez- vous sur la consultation, qui semble désormais plus ou moins court-circuitée, pour vous fournir l'information nécessaire?
M. Prentice : Il me semble préférable que Mme Grant-John et moi-même fournissions chacun notre propre réponse à cette question.
La législation est indispensable pour remédier à l'absence de protection législative des femmes. On peut évidemment discuter de la forme que devra prendre la loi, se demander s'il devra s'agir d'une loi des Premières nations, s'il faut plutôt modifier la Loi sur les Indiens ou s'il est préférable d'envisager une autre solution législative qui renverrait au droit provincial sur les biens immobiliers matrimoniaux. En tout cas, le problème existe au Canada depuis l'arrêt Derrickson de 1986, dans lequel la Cour suprême du Canada a affirmé que la législation sur les biens immobiliers matrimoniaux ne s'appliquait pas aux femmes des réserves. Jusqu'alors, on avait supposé le contraire. Nous sommes donc en progrès et la solution réside sans doute dans une loi découlant de l'autonomie gouvernementale des Premières nations. La fin de semaine dernière, j'ai participé à la mise en œuvre du premier traité de l'ère moderne en Colombie- Britannique. Ce traité permet à la Première nation d'adopter une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux ou, si elle le juge préférable, d'adopter par renvoi la législation de la Colombie-Britannique.
Nous sommes à la recherche d'une solution en attendant que des traités s'appliquent dans l'ensemble du pays. Il existe environ 630 Premières nations au Canada. La situation ne s'améliore pas rapidement. Il faut trouver une mesure provisoire de nature législative qui protégera les femmes autochtones en matière de biens immobiliers matrimoniaux en attendant la mise en place d'un régime qui conférera l'autonomie gouvernementale à toutes les Premières nations et leur permettra de se doter de leurs propres lois.
Mme Grant-John : Je voudrais préfacer ma réponse en citant notre présidente sortante, qui a été parmi les premières à soulever la question. Elle a dit que de nombreux facteurs, notamment ceux dont vous avez entendu parler ce soir, avaient une incidence sur les biens immobiliers matrimoniaux, mais elle a affirmé : « Il ne faut pas laisser ces facteurs, pas même la recherche de nos modèles de gouvernance traditionnelle, faire obstacle à notre volonté de protéger dès maintenant les membres des collectivités. Il ne faut pas que cela se produise. »
Au cours des consultations, le gouvernement a proposé trois modèles législatifs. Comme l'a dit le ministre, deux d'entre eux correspondent à ce qui va rester en vigueur jusqu'à ce que le relais soit pris par les collectivités des Premières nations. Chacun reconnaît que le débat sur les formes traditionnelles de gouvernement doit comporter des délais, de façon que tous les Autochtones puissent y participer. À mon avis, c'est là qu'on va véritablement commencer à approfondir la question.
Certains ont commencé à l'étudier et des règlements ont été adoptés. On a parfois tenté de passer par la Loi sur les Indiens, pour se faire dire ensuite que c'était impossible. Plusieurs personnes travaillent sur la question, étant entendu que ce travail doit être fait. Elles espèrent constituer un cadre à l'intérieur duquel les démarches et les discussions pourront se poursuivre.
Le sénateur Dallaire : Monsieur le ministre, vous avez affirmé que vous n'avez pas de proposition législative en main. On s'attend du moins à ce que votre personnel fasse de la planification concernant la rédaction d'un projet de loi dans l'éventualité où vous souhaiteriez en présenter un à la Chambre. Quelqu'un s'occupe certainement du budget nécessaire. Si vous déposez un projet de loi pour proposer du logement aux familles séparées, vous devrez faire face à l'actuelle pénurie de logements disponibles. Est-ce que vous avez prévu un poste budgétaire pour les logements supplémentaires? Avez-vous sollicité des crédits supplémentaires ou est-ce que vous restez dans les limites de votre budget actuel?
M. Prentice : Nous travaillons avec l'Assemblée des Premières nations sur le problème du logement. Dans le budget du nouveau gouvernement, on a prévu 300 millions de dollars pour la construction de nouveaux logements au nord du 60e parallèle, dont la plupart sont destinés aux Autochtones. À cela s'ajoutent les 300 millions affectés aux logements des Autochtones hors réserve au sud du 60e parallèle. En outre, nous travaillons avec l'Assemblée des Premières nations sur une initiative distincte concernant le logement dans les réserves au sud du 60e parallèle.
Pour répondre à votre question sur les mesures législatives, il est évident que mes fonctionnaires ont rédigé différentes versions des mesures législatives susceptibles de remédier au problème. Je peux simplement dire que je me consacrerai au choix du projet de loi approprié une fois que j'aurai entendu le point de vue de ma collègue Mme Wendy Grant-John.
[Français]
Le sénateur Pépin : Monsieur le ministre, vous avez dit que le processus de consultation prendra la forme d'une période de recherche de consensus. Dans votre présentation, vous répétez l'importance du processus de consultation visant la recherche de consensus.
Comment se déroulera le processus de recherche de consensus? Tantôt on a dit que ce sera probablement difficile à cause des antécédents et de la loi qui s'en vient. Je sais que vous avez demandé à Mme Wendy Grant-John d'organiser des consultations. Comment pensez-vous être capable d'aboutir à un consensus? Vous pouvez répondre en anglais si vous le désirez.
M. Prentice : Je vais exprimer mes idées en français aussi. Nous avons débuté la période de consultation et je crois qu'il est possible d'en arriver à un consensus d'ici environ quatre mois. C'est une période suffisante pour cet enjeu.
[Traduction]
C'est un processus de consultation très étendu. La solution législative ne figurera pas dans un projet de loi de 10 pages ou plus. Le projet de loi qui proposera la solution nécessaire ne fera guère plus de deux pages. Le processus de consultation est important et c'est pourquoi j'ai procédé de cette façon, au lieu de déposer directement un projet de loi à la Chambre.
Je peux vous dire ceci : j'ai l'intention de présenter un projet de loi qui règle la question parce que je considère qu'il s'agit de l'une des plus graves lacunes actuelles en matière de droits de la personne. J'espère que les consultations déboucheront sur un consensus qui satisfera tout le monde. En définitive, j'ai l'intention de déposer un projet de loi et s'il ne reçoit pas un appui unanime, eh bien tant pis. Je vais présenter un projet de loi à la Chambre des communes. D'après mes discussions avec mes collègues députés, le projet de loi que je vais déposer devrait bénéficier d'un appui assez fort. La recherche d'un consensus ne doit pas se solder par l'inaction.
[Français]
Le sénateur Pépin : On nous a dit que les consultations prévues pour septembre 2006 ne débuteront probablement pas avant janvier 2007. C'est exact?
M. Prentice : Oui, mais au Canada, on discute de cet enjeu depuis 20 ans.
[Traduction]
Depuis 32 ans, nous parlons de l'article 67 de la Loi sur les droits de la personne, qui constitue une autre source de grief.
Le sénateur Dallaire : Mais vous ne voulez pas pour autant précipiter les choses.
M. Prentice : Je ne pense pas qu'on puisse précipiter quoi que ce soit en 32 ans, pas plus que depuis 1986.
[Français]
Le sénateur Pépin : Madame Grant-John, j'ai cru comprendre que vous aviez débuté les consultations. J'aimerais savoir, si dépendant des régions et des organisations, vous avez reçu différentes perspectives.
[Traduction]
Mme Grant-John : Je ne tiens pas de consultations moi-même, mais j'assiste à celles de l'Association des femmes autochtones et de l'Assemblée des Premières nations. J'ai assisté à diverses séances de consultation. Je constate que les problèmes sont les mêmes partout et qu'il n'y a guère de différence dans les propos tenus par les femmes. Elles disent qu'il faut agir rapidement pour protéger leurs intérêts. Il est devenu évident, comme l'a dit Mme Jacobs, qu'il faut amorcer le dialogue sur nos gouvernements respectifs et sur l'égalité des femmes telle qu'elle existait avant les premiers contacts.
Le thème est resté le même à chaque séance, sans exception. Les femmes exigent que nous protégions leurs droits individuels et collectifs et que nous fassions état de la pénurie de logements, des difficultés d'accès à la justice et de toutes les choses de ce genre lorsque nous nous réunirons pour rechercher un consensus, parce que nous avons établi des lignes directrices. Les trois organismes se réunissent depuis plusieurs mois et nous avons établi des lignes directrices sur la façon dont nous devons aborder cette question.
Le sénateur Pépin : J'en suis très heureuse et je suis convaincue que vous êtes parmi les personnes toutes désignées pour réussir dans cette démarche.
Le sénateur Poy : Monsieur le ministre, vous dites que vous voulez passer de la consultation à la formation d'un consensus puis à une mesure législative. Pourtant, dans votre exposé, vous avez dit que s'il n'y avait pas de consensus, Mme Grant-John vous ferait des recommandations sur les mesures à prendre. Pouvez-vous nous expliquer cette contradiction?
Mme Grant-John pourra peut-être me répondre. Vous dites que les questions soulevées aux différentes réunions auxquelles vous avez assisté étaient très semblables. Vous avez également parlé de Mme Jacobs, qui était ici tout à l'heure avec deux autres témoins. Tous les trois se sont dit inquiets des délais très courts qui vous sont impartis. Mme Jacobs a même dit qu'il faudrait un an pour terminer les consultations. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
Mme Grant-John : J'ai dit que les questions étaient les mêmes, mais n'oubliez pas que je n'ai assisté qu'aux séances de l'Association des femmes autochtones, car celles de l'Assemblée des Premières nations n'ont pas encore commencé. Le ministre a été informé dès le début de la difficulté des délais; dès l'amorce de ce processus, tout le monde a dit souhaiter disposer d'un peu plus de temps pour les consultations.
Le ministre a répondu qu'on allait évaluer la situation en décembre et qu'on envisagerait alors un report des délais pour l'obtention du consensus. Nous prendrons la décision en décembre, mais le ministre est formel, il veut procéder au dépôt du projet de loi au printemps prochain.
Je mise en toute confiance sur un consensus entre les trois groupes. Comme je l'ai dit, les questions soulevées sont jusqu'à maintenant assez proches. Mais s'il n'y a pas consensus, je vais devoir faire une recommandation au ministre en fonction de ce que j'ai entendu au cours des séances auxquelles j'ai participé. Je suis consciente de cette responsabilité et je suis prête à l'assumer.
Le sénateur Poy : Le message qu'ont formulé très explicitement les témoins, c'est qu'ils vont manquer de temps pour procéder aux consultations. M. Watts a dit que la deuxième phase ne pouvait pas commencer faute de financement. Elle était censée débuter en septembre. Nous en sommes maintenant à la fin octobre et d'après ce que j'ai entendu, cette deuxième phase n'a toujours pas commencé.
M. Prentice : Nous sommes en train de fournir le financement. En ce qui concerne la durée des consultations, j'ai le plus grand respect pour Mme Grant-John et je m'entretiendrai avec elle puisqu'elle sera ma représentante tout au long de cette démarche; il reste cependant que votre comité a demandé qu'on agisse immédiatement.
Le sénateur Poy : Je sais. Vous avez raison, on attend un changement depuis trop longtemps.
M. Prentice : Votre comité demande que l'on présente immédiatement une mesure législative sans consultation. Vous avez demandé au ministre de la Couronne de présenter un projet de loi modifiant la Loi sur les Indiens. Je ne me suis pas contenté de cela et j'ai amorcé un processus de consultation très raisonnable, auquel le gouvernement du Canada accorde du financement, pour que les choses se fassent dans un souci de collaboration. Mais en définitive, il m'incombe d'agir. Ce comité m'a lui-même demandé d'agir immédiatement, et vous ne pouvez donc pas jouer sur les deux tableaux.
Le sénateur Poy : Je comprends cela, monsieur le ministre.
Le sénateur Dallaire : Même si le plus tôt sera le mieux, vous ne devez pas pour autant rédiger le projet de loi en un quart d'heure.
La présidente : Je crois que le sénateur Poy a la parole.
Le sénateur Poy : Je répète les préoccupations que nous avons entendues plus tôt.
M. Prentice : Nous travaillons avec l'Assemblée des Premières nations et l'Association des femmes autochtones du Canada. Je pense que vous avez entendu le témoignage de Mme Jacobs et vous savez donc qu'elle est contente des progrès effectués.
Le sénateur Poy : C'est Mme Jacobs qui a dit qu'il n'y avait pas suffisamment de temps, et qu'il fallait une année complète. C'est la dernière chose qu'elle a dite avant de quitter la salle.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Ma question s'adresse à Mme Grant-John. Est-ce que la mesure proposée comprend une disposition pour les cas où il n'y a pas de certificat de possession au moment de la rupture?
Mme Grant-John : C'est une très bonne question. Toute cette question nous intéresse. Nous avons quelques groupes de discussion sur la façon dont le territoire est géré, sur le titre de propriété sous-jacent et l'effet des biens immobiliers matrimoniaux. Nous demandons la participation d'experts des Premières nations qui sont à la fois avocats et chefs des terres.
La présidente : Nous avons réagi à la demande du milieu autochtone. Je n'étais pas présidente quand le rapport est arrivé, mais les Autochtones nous ont dit que cette question existait depuis très, très longtemps, que des familles en souffraient et qu'il fallait agir.
Trop souvent, on n'agit pas sous prétexte qu'on a besoin de consultations et de temps. En revanche, si un processus raisonnable existe déjà, les prolongations ne sont pas inutiles et des progrès réels se produisent.
Le milieu autochtone, ou une partie du milieu, nous a dit qu'il fallait agir immédiatement et nous avons réagi. À moins que le comité dise autrement, je crois que nous avons déclaré que nous voulions que les choses bougent, et non simplement des discours. Il reste que si comme ministre, vous avez choisi un processus adapté au milieu autochtone et qui prévoit des consultations, que le milieu autochtone réagit en prenant votre demande au sérieux, vous pouvez encadrer tout cela.
Quels signes ou mesures raisonnables peuvent être espérés? Qu'est-ce qu'un progrès substantiel?
M. Prentice : Madame la présidente, vous avez bien présenté votre mise en garde. Nous avons essayé d'instaurer un processus en collaboration avec l'Assemblée des Premières nations et plus particulièrement avec l'Association des femmes autochtones du Canada pour qui c'est très important.
Je l'ai déjà dit. Quand j'étais dans l'opposition, j'ai été particulièrement touché par l'Association des femmes autochtones du Canada qui défend les plus pauvres des pauvres de notre société, pour reprendre ses mots. Diverses questions ont été signalées à mon attention, et celle-là en priorité. Voilà pourquoi, comme ministre, j'ai l'intention d'agir.
Nous travaillons en collaboration, de manière sincère. Comme l'a dit le sénateur Pépin, nous avons trouvé l'une des meilleures personnes au Canada, je dirais la meilleure personne au Canada, pour diriger ce processus : Wendy Grant- John. Je l'écouterai tout au long du processus.
Je ne crois pas qu'il y ait lieu de craindre l'échec du processus. D'après ce qu'on me dit, les choses se passent très bien. Comme l'a dit Mme Grant-John, le travail est très sérieux et est axé sur des consultations. Je crois fermement que des gens raisonnables trouveront des solutions raisonnables qui protégeront les femmes et les familles. Je leur demande simplement conseil sur la façon de faire.
La présidente : D'après le témoignage de M. Watts, qui représentait l'Assemblée des Premières nations, et de Mme Hanuse, qui l'accompagnait, il y a bien d'autres violations, à part celle-là. Nous avons réagi plus particulièrement à la demande de femmes autochtones et de diverses associations, qui nous demandaient d'agir, en 2003. C'était la première étape. Ce qui était intéressant, c'est qu'elles disaient que c'était là une question de droits de la personne, une question relative à la Charte, mais qu'il y en avait d'autres, de ce genre.
Croyez-vous que si on agit énergiquement dans ce dossier, les autres questions se trouveront reléguées au second plan? Y a-t-il une concurrence entre les différents sujets ou sont-ils complémentaires?
M. Prentice : J'essaie d'instaurer quatre mesures précises pour remédier à la situation des femmes autochtones. La première est l'initiative sur la protection des biens immobiliers matrimoniaux. La deuxième est une mesure future qui sera en rapport avec l'article 67 de la Loi sur les droits de la personne. Je trouve inacceptable qu'au Canada, en 2006, notre législation en matière de droits de la personne interdise aux citoyens des Premières nations de porter plainte pour atteinte aux droits de la personne. L'article 67 de la Loi sur les droits de la personne ne concerne pas exclusivement les femmes, mais il a des effets défavorables pour les femmes et les enfants, en particulier. J'ai l'intention de corriger ce problème. Troisièmement, j'ai fait le nécessaire il y a une semaine pour stabiliser le financement des refuges pour femmes partout au Canada. Pour la première fois, en 10 ans, ces subventions ont été stabilisées et majorées de près de 50 p. 100. C'est la première fois en 10 ans que l'on élargit le réseau des refuges pour femmes dans les réserves pour protéger les femmes autochtones du Canada. Quatrièmement, j'ai signalé mon intention de revoir à fond le régime de financement qui s'applique aux organismes dont l'Association des femmes autochtones du Canada. Cette association est relativement sous-financée par rapport à d'autres. En examinant le mandat initial sur lequel le gouvernement de l'époque s'est fondé pour subventionner ces organismes en 1971, on voit qu'il ne répond pas aux critères que nous avons établis pour aider les personnes démunies qui ont besoin d'argent à faire valoir les droits des gens qu'elles représentent.
Il s'agit de quatre mesures précises et je vous assure qu'elles ne sont pas en concurrence les unes avec les autres. Ce sont quatre initiatives indépendantes qui aideront les femmes autochtones à assumer la place qui leur revient dans la société.
La présidente : Madame Grant-John, à la lumière de notre expérience passée, nous savons de quel type de protection les familles ont besoin lorsqu'il y a rupture et qu'un des conjoints doit déménager. Pour protéger de façon équitable les deux parties, il faut deux domiciles et, dans la plupart des cas, l'un sera dans la réserve et l'autre à l'extérieur de la réserve. J'imagine que cela contribue au problème. Nous avons entendu les vibrants plaidoyers de femmes qui ont dû se déraciner, partir de la réserve avec leurs enfants, loin des membres de leur famille, des ressources, des réseaux d'entraide et de soutien. Il faut remédier à ce problème dans l'intérêt de toutes les parties afin d'atténuer la souffrance émotive et le traumatisme vécu par les familles, et particulièrement par les enfants, quand leurs parents se séparent.
Êtes-vous prête à envisager d'autres solutions pour la répartition des biens matrimoniaux, à part celles que nous connaissons déjà? Je me reporte toujours à l'histoire au moment de chercher des solutions à un problème. Quelqu'un a eu une excellente idée d'adopter la « Homesteads Act », ou loi sur la propriété familiale; en vertu de cette loi, si l'épouse devait quitter et qu'elle ne détenait pas de titre foncier de la propriété, elle avait quand même le droit d'y rester. On lui avait réservé le quart de la terre. C'était une mesure éminemment sensée dans une société agricole.
Je ne connais pas la solution dans le cas des peuples autochtones où la propriété est commune, et ainsi de suite. Êtes- vous prêts à envisager de nouveaux modes et des formules innovatrices en matière de droits de propriété qui respecteraient aussi bien la collectivité que l'individu et seraient une solution originale pour les collectivités autochtones?
Mme Grant-John : Il est clair que nous devons explorer toutes ces options. Nous ne pouvons pas nous occuper seulement des lois relatives aux biens immobiliers matrimoniaux et faire fi de tout le reste. Tout est interrelié dans nos collectivités, même si on fait abstraction de la question des titres légaux.
Nous avons dressé une liste de trois pages regroupant tous les enjeux décrits par les trois groupes qui ont abordé différents sujets. Il faut à présent définir comment ces enjeux seront présentés dans le rapport à l'intention du ministre. Évidemment, nous devons faire des propositions qui lui permettront de formuler le projet de loi qu'il souhaite déposer. Dans la deuxième partie de ces trois options, on trouve la mention « Tant que leur juridiction [...] ». Nous aurions tort de ne pas reconnaître que nous devons expliquer les enjeux au ministre, lui montrer à quel point ils sont reliés entre eux, de façon ancestrale et lui proposer des idées qu'on pourra étudier pour trouver une solution.
On ne peut pas tout faire en même temps; la tâche est trop énorme et il y a trop de choses à faire. Cependant, nous pouvons jeter les bases de la recherche d'une solution.
Le sénateur Munson : Monsieur le ministre, vous avez dit qu'il y a eu des ententes avec 11 des 630 Premières nations.
M. Prentice : C'est exact.
Le sénateur Munson : Pourriez-vous expliquer au comité la formule ou l'autre moyen qui a permis de conclure une entente dans ces 11 cas?
M. Prentice : Voilà une question pertinente et fascinante. Je n'ai pas la mémoire exacte des chiffres, mais je sais qu'il y a quelque 630 Premières nations au Canada. Sauf erreur, 17 d'entre elles ont négocié l'entente d'autonomie gouvernementale intégrale avec le gouvernement du Canada. En ce moment, plusieurs en sont à différentes étapes de la procédure parlementaire. Je crois comprendre que 11 de ces 17 ententes traitaient également des biens immobiliers matrimoniaux.
Les solutions apportées sont diverses. Dans certains cas, et je crois que c'est la majorité des cas, les Premières nations ont simplement adopté par renvoi le code provincial en vigueur. D'autres ont adopté un règlement matrimonial propre aux Premières nations, et appliqué par la Première nation en cause. C'est le cas de deux ententes, je crois.
Le sénateur Munson : Les femmes qui habitent ces réserves sont-elles satisfaites des mesures prises?
Mme Grant-John : Comme je l'ai déjà dit, nous invitons les groupes qui ont travaillé dans ces domaines à venir nous expliquer leur mode de fonctionnement et à nous indiquer si nous pouvons nous servir de leur expérience pour d'autres Premières nations.
Nous nous sommes entretenus avec l'un des chefs qui a piloté ce dossier au cours des 20 dernières années. Nous lui avons demandé comment tout cela fonctionnait et s'il y avait eu des difficultés. À son avis, la simple mise en place d'un tel régime semble susciter un changement de mentalité dans les collectivités. Le simple fait de savoir que ce régime existe semble donner de l'assurance aux femmes, si bien qu'elles peuvent négocier avec leur conjoint au lieu d'avoir à adopter une attitude d'affrontement, ce qui arrive lorsqu'on doit faire appel au système judiciaire. Le chef nous a dit que depuis l'adoption de ces mesures, les femmes n'ont pas eu besoin d'y recourir.
M. Prentice : Il y a toujours des négociations sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations en cours au Canada. Quant à moi, dès que je suis devenu ministre, j'ai décidé de ne conclure des ententes d'autonomie gouvernementale que si elles abordent les biens immobiliers matrimoniaux. Je refuse d'entériner toute entente d'autonomie gouvernementale qui est vague quant à la situation des femmes des Premières nations. L'entente doit ou bien incorporer par renvoi la législation provinciale à cet égard ou bien comprendre un régime autonome en matière de biens matrimoniaux.
La présidente : Nous sommes préoccupés par les difficultés éprouvées par les familles lors de la rupture du couple. Il est connu que le Sénat prend toujours en considération les droits de la personne et les droits des minorités. Je salue les membres du comité qui ont inclus cet élément dans le premier rapport et je félicite ceux qui continuent à poursuivre cet objectif sans relâche, et nous suivons leurs travaux de près. Nous ne prenons pas cette question à la légère car elle est extrêmement importante pour le Canada et pour les collectivités autochtones.
Nous avons déclaré sans équivoque que nous voulons des changements. Nous voulions dire par là que nous ne voulions plus de consultations, plus de pourparlers qui ne menaient nulle part. Nous voulions des échanges qui aboutiraient à l'action. Le sénateur Pépin a indiqué que nous faisons confiance à Mme Grant-John et à la collectivité autochtone, maintenant que les objectifs sont clairs et que ce dossier va progresser. Nous nous en remettons donc à vous quant à la poursuite des efforts dans ce sens, pourvu que les consultations aboutissent à un règlement dans les meilleurs délais.
Nous ne sommes pas ici pour définir le sens des expressions « dans les meilleurs délais » ou « de façon expéditive », mais bien pour souligner l'urgence de la question, qui ne peut pas être coupée des autres et qui revêt énormément d'importance pour les sénateurs.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris connaissance de notre rapport, de prendre les délibérations des sénateurs au sérieux et je vous assure que, de notre côté, nous suivrons avec le plus grand intérêt l'évolution de ce dossier dont nous aurons sans doute l'occasion de discuter de nouveau avec vous.
La séance est levée.