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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 13 - Témoignages


MONTRÉAL, le lundi 6 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 13 h 1, afin d'examiner, en vue d'en faire rapport, les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants.

Le sénateur Sharon Carstairs (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Notre comité a le mandat d'examiner et de faire rapport concernant les obligations internationales du Canada relativement aux droits et libertés des enfants. Nous commencerons notre séance avec le témoignage du Dr Gilles Julien, pédiatre social et président de la Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale et du Dr Nicolas Steinmetz, directeur général.

Dr Gilles Julien, pédiatre social et président, Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale : Madame la vice-présidente, c'est vraiment un privilège d'être parmi vous, merci beaucoup de votre invitation. Je ne ferai pas la lecture du document puisque vous l'avez en mains. Je préférerais vous le commenter un petit peu, et tout de suite passer aux questions.

Je tiens à souligner que le Dr Steinmetz et moi-même avons été invités à titre de pédiatres. On forme maintenant une équipe constituée d'un pédiatre administrateur et d'un pédiatre clinicien pour mettre de l'avant la pédiatrie sociale. La pédiatrie sociale, c'est vraiment une approche de pédiatrie de milieu qui puise sa source d'inspiration justement dans la Convention des droits de l'enfant. Ce qu'on avait décidé de faire au début, c'était de travailler avec les enfants en s'associant avec la convention.

Votre document l'illustre bien : la convention existe, elle a été signée, elle est parfaite. En fait, à sa lecture, on y trouve à peu près tout ce dont on a besoin pour organiser un vrai programme de soutien aux enfants dans la communauté. Tout est là. La convention est très inspirante pour des gens qui, comme nous, défendent les droits de l'enfant à l'école, à l'hôpital, quand ils n'ont pas assez de services dans leur communauté, quand ils n'ont pas accès à des loisirs suffisants, quand ils ont besoin de protection localement. La convention est là pour nous supporter.

En général, quand on l'utilise de cette façon, et on l'a utilisé récemment au Tribunal : de quel droit on fait cela à un enfant? C'est écrit dans la convention que l'enfant a droit à être protégé, à avoir une éducation, d'aller à l'école dans une école qu'il reconnaît et qui s'adapte à lui, et non pas l'inverse. On peut l'utiliser à peu près à toutes les sauces dans notre travail quotidien, ce qui est inspirant, mais qui amène une puissance aussi dans nos interventions qui est très intéressante.

On veut faire passer le message que, oui, la convention existe. Ce serait bien qu'il y ait éventuellement une commission pour aider à faire connaître la convention. L'exemple du résident en pédiatrie qui finit son cours de pédiatrie à l'université, qui fait un stage et qui n'a jamais entendu parler de la convention, démontre bien qu'il y a là un problème de société. C'est tout à fait inacceptable. Donc, la plupart des gens ne connaissent pas la convention.

Il serait donc intéressant que l'on ait une commission qui puisse la diffuser, et éventuellement obliger les gouvernements à l'appliquer dans chacune de leurs lois, et faire passer la convention au-delà d'autres priorités dans la vie des enfants.

En même temps, il faut qu'il y ait des témoins d'application de la convention dans les communautés. En ce qui nous concerne, l'on prétend, qu'avec les projets de pédiatrie sociale développés dans les quartiers Côte-des-Neiges et Hochelaga, être un bon exemple de l'application de la convention localement afin qu'elle devienne efficace et incontournable.

C'est le message que l'on souhaite donner aujourd'hui. C'est sûr que l'on appuie vos recommandations parce qu'il faut que la convention descende du haut vers le bas. Vous pouvez sûrement encourager des façons de faire qui aideraient à faire descendre la convention et à la faire connaître.

Il faut, également, qu'il y ait des témoins dans les communautés, particulièrement les communautés appauvries où l'on retrouve les enfants les plus vulnérables. Ces derniers manquent d'accessibilité à des services adaptés. Leurs droits fondamentaux sont bafoués quotidiennement parce qu'ils n'ont pas accès à ce qu'il faut pour se développer de façon adéquate, malgré ce que l'on pense, dans un pays comme le Canada.

On a des exemples à volonté. J'ai passé l'avant-midi dans une école primaire où l'on essaie avec le comité d'école, la direction, les enseignants, les professionnels de l'école, d'arrimer nos services et de les rendre plus accessibles aux enfants qui sont en difficultés. Nous le faisons depuis plusieurs années dans le cadre de l'approche de pédiatrie sociale.

Continuellement, d'année en année, et particulièrement cette année qui en est une assez douloureuse, on coupe les ressources, surtout dans les milieux appauvris. De fait, on coupe partout et c'est deux fois pire que dans les milieux appauvris. On dénombre, dans un milieu plus favorisé, un ou deux élèves en difficultés par classe, alors qu'il y en a 15 à 20 parfois, et souvent plus de la moitié qui sont en difficultés de toutes natures dans un milieu démuni. La compression budgétaire n'a pas la même signification dans un milieu favorisé que dans l'autre.

Or, on coupe un peu mur à mur. Ce que l'on observe depuis deux ans est dramatique. On en parlait ce matin, ce sont des classes de 30 enfants avec un seul professeur, et avec un grand nombre d'enfants en difficultés. On parlait avec le sénateur Dallaire tantôt, au sujet des populations multiethniques. J'étais dans une école complètement multiethnique où les enfants ont des difficultés en arrivant à l'école parce que la langue n'est pas acquise et que la culture est différente.

Les parents veulent beaucoup, mais c'est en général un choc culturel que d'arriver dans une école francophone à Montréal, et d'être exposé à une troisième, quatrième langue avec des façons de faire différentes. Donc, cela demande beaucoup d'énergie de la part des adultes, des enseignants et de la direction.

Ce qu'on observe encore une fois, c'est que les classes grossissent alors que les ressources diminuent. Quand les enfants ont des difficultés, on s'en débarrasse en les envoyant dans des écoles spéciales ou des classes spéciales loin du quartier où l'on n'a plus le contrôle. C'est dramatique.

Il y a un article dans la convention qui dit clairement que l'enfant a droit à une éducation adaptée à ses besoins et à ses façons de faire.

Dans ce cas-ci, l'article devrait s'appliquer intégralement. C'est une réalité au niveau scolaire, mais également dans le milieu de la protection de l'enfant, où l`on y travaille tellement de façon isolée. Les systèmes au Québec, et probablement dans les autres provinces aussi, sont des systèmes monolithiques qui agissent seuls en général.

Alors, comment considérer le besoin de protection globale d'un enfant si l'on ne se préoccupe que de sa santé physique en oubliant les questions de stabilité et d'identité. Il y a des conséquences énormes à couper l'enfant de sa famille ou de son milieu. La convention spécifie bien que l'identité est un bien très précieux. On pourrait donner des exemples.

C'est certain que pour nous, la convention est un don du Ciel. Nous pouvons l'utiliser au tribunal, à la direction d'une école, à l'hôpital pour dire : vous l'avez mal accueilli, vous avez refusé trois fois de faire un électroencéphalogramme à cet enfant qui a en grandement besoin parce qu'il convulse tout le temps, alors que la seule raison de votre refus provient du fait qu'il a des poux. C'est un problème que nous vivons quotidiennement et c'est inacceptable.

En résumé, on croit fermement à la convention. On est content de pouvoir en parler avec vous. On s'attend à ce que vous déployez l'énergie, mais aussi des moyens pour nous aider à la faire connaître et à l'appliquer. Le plus grand obstacle c'est bien sûr les questions de pauvreté parce que quand on est pauvre, on a moins de chances de faire respecter nos droits, c'est très clair, et cela se fait souvent subtilement.

Un autre grand obstacle, c'est qu'il n'y a pas dans les quartiers, des gens rassembleurs qui aident à son application en rappelant constamment aux adultes qui s'occupent d'enfants, qu'il existe une convention et que si l'on veut bien faire, on doit considérer globalement tous les articles de la convention.

Il faut intégrer la sécurité de façon intégrée avec l'éducation et l'identité. La seule façon d'y arriver, c'est par une approche de communauté. Un très bel exemple, pour parler pour notre clocher, c'est l'approche de pédiatrie sociale que l'on met de l'avant depuis quelques années et que l'on souhaite voir se répandre un peu partout au Québec et au Canada.

Je voudrais conclure ainsi et passer à vos questions. Mon partenaire, le Dr Steinmetz a sûrement des commentaires à ajouter.

Dr Nicolas Steinmetz, docteur, directeur général, Fondation pour la promotion de la pédiatrie sociale : Madame la vice-présidente, d'abord je vous remercie de nous rencontrer aujourd'hui. C'est un moment très précieux pour nous de pouvoir vous parler des problèmes que nous rencontrons quotidiennement sur le terrain.

Le principe de la convention englobe vraiment tout, si on veut la lire comme il faut et regarder quelles sont les implications dans la société, concrètement, pas seulement sur les lois mais sur leur application et l'implication des gens à tous les niveaux de la société.

J'aimerais vous donner quelques chiffres pour appuyer les propos du docteur Julien concernant les problèmes rencontrés dans la société où il travaille, à Montréal : au cours des derniers vingt ans, l'écart entre les riches et les pauvres a augmenté de 17 p. 100. Cela est vrai pour tous les gouvernements, tous les partis politiques, c'est une tendance qui va dans la mauvaise direction.

Dans les derniers deux ans, à Montréal, il y a eu une augmentation de 12 p. 100 de négligence des enfants. Il y a eu une augmentation de 43 p. 100 d'abandon d'enfants. C'est un fait important à reconnaître. Nous devons faire attention quand on parle du respect des droits des enfants à d'autres pays, parce qu'on n'est pas le meilleur exemple quand on regarde là où il faut regarder.

On doit se rappeler que cela prend vraiment tout un village pour élever un enfant. Nous ne sommes pas des villages d'antan, mais bien une société complexe qui agit par l'entremise des lois, des règlements, des politiques gouvernementales dans tous les ministères.

Quand on doit parler avec des gens d'un ministère pour un octroi d'argent pour faire le travail de la pédiatrie sociale, on se rend compte qu'on parle avec des gens d'un ministère au sein duquel il y a aussi des îlots. Par exemple, si le Dr Julien veut aider à préparer les enfants à la réussite à l'école, il doit également travailler avec les gens du ministère de l'Éducation. Sauf que les interlocuteurs du ministère de l'Éducation considèrent que d'assurer le développement d'un enfant revient au ministère de la Santé, alors qu'ils n'ont rien à voir avec cela. Et c'est difficile de leur faire comprendre que pour une chose comme le développement d'un être humain, c'est toute la société qui est impliquée et que la façon dont nous sommes organisés comme gouvernement ne reflète pas le besoin des gens, mais illustre plutôt le besoin du gouvernement d'organiser ses affaires, et ce n'est pas toujours la même chose.

On nous dit que notre système de santé est ouvert à tous, ce n'est pas vrai. Le mois dernier, le London School of Economics and Political Science a publié une étude de Sarah Allen qui a démontré que particulièrement au Canada, il y a un écart en faveur de ceux qui sont mieux nantis en comparaison à ceux qui sont moins bien nantis, en termes d'accès à tous les soins de santé.

Alors, probablement que si on faisait une étude pour les écoles, on trouverait la même chose. Comme Dr Julien vient de vous dire, on a coupé les ressources à travers toutes les écoles. Dans le cas où l'on peut se payer une gardienne, des cours de musique, se payer quelqu'un pour aider aux enfants avec leurs devoirs, les amener au parc et au musée, c'est très bien. Pour ceux qui ne le peuvent pas, ils sont perdants. Naturellement, ils perdent non seulement au niveau de leur développement, mais aussi face à leur connaissance du monde, l'épanouissement de leur cerveau, leurs connaissances et l'édification de leur identité. La question d'identité est très importante. Dans les milieux défavorisés, c'est une question pointue. Ils se reconnaissent plutôt comme des perdants et non comme des gagnants.

Le sénateur Jim Munson : Messieurs, si vous me permettez, je vais soumettre ma question en anglais parce qu'en français c'est très difficile pour moi et le public.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Vous avez dit que l'on réduit les ressources dans les régions désavantagées. Est-ce que les gouvernements expliquent pourquoi ils procèdent de la sorte à cette époque, dans cette province, dans ce pays?

[Français]

Dr Julien : Oui. Effectivement, les compressions budgétaires, c'est parce qu'elles arrivent subitement pour toute la population. Je disais que l'impact des compressions budgétaires est beaucoup plus important quand elles arrivent dans les quartiers défavorisés où il y a déjà une souffrance énorme et où il faudrait investir davantage. On n'a jamais de rationnel, quand on est sur le terrain.

L'an dernier, il y a eu une fusion scolaire pour deux territoires dans l'Est de Montréal. On a décidé, sans consulter personne, qu'il n'y aurait plus de classes spéciales de ce côté-ci du quartier et que toutes les classes s'en allaient à l'extrémité de l'Île. Cela veut dire, pour nos enfants en grandes difficultés soit d'apprentissage, de développement ou d'adaptation, qu'ils doivent maintenant s'éloigner de leur quartier, partir en autobus pour une demi-heure, une heure. Nous travaillons beaucoup en réseau autour des enfants dans nos projets. Notre fonction, c'est de surveiller, et comme vous l'avez vu dans les schémas, il y a des besoins. On travaille avec tout cela. Il y a une trajectoire que nous essayons de suivre.

Mais, si l'enfant part du quartier pour la journée, dans une école loin de son milieu, on ne peut plus rien faire. L'année passée, la plupart de nos classes spéciales sont parties vers l'est, et l'on ne sait pas pourquoi. En fait, on nous dit que c'est pour rationaliser.

Comme le disait le Dr Steinmetz, on vient de couper toute l'identité au quartier et le sentiment d'appartenance à l'école. On sait que l'appartenance et les racines, c'est une réalité que l'on n'a plus à démontrer. Si on est déraciné, et c'est vrai pour les immigrants, les réfugiés, mais également dans notre propre milieu, on perd nos repères. Ils n'existent plus.

Si on a de la difficulté à l'école, au moins, on est dans une école qui nous connaît, qu'on aime, où l'on a nos amis, puis des gens qui viennent nous aider. Mais, quand il y a déracinement en plus, c'est terrible. Il semble qu'il n'y a personne qui considère de tels éléments, quand ils font ces fameuses compressions budgétaires.

C'est vrai en santé aussi. C'est vrai un peu partout. Mais, en éducation, l'année passée a été dramatique. Nous, on visite les écoles. On va voir les enfants dans leur classe. Ils se sentent encore accompagnés. Cet enracinement donne la motivation qui est la base du développement.

Quand les intervenants de la Protection de la jeunesse nous disent : on va déplacer l'enfant pour son bien. Finalement, on le déplace mais on le punit en même temps. On le déracine. Il perd ses repères. Il a l'impression d'être puni, d'avoir été abusé ou violé. C'est incroyable.

Mais jamais ils ne nous parlent de ces raisons-là. Ils nous parlent juste de raisons économiques, de rationalisation, faire plus avec moins, et ainsi de suite. Jamais on va nous parler des droits de l'enfant. Parce qu'il s'agit bien des droits de l'enfant. Je ne sais pas si cela répond bien à votre question, ou peut-être que le Dr Steinmetz peut rajouter, mais on n'a jamais ces rationnels-là sur le terrain.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Vous avez dit que dans les régions pauvres, vous pouvez trouver jusqu'à 20 enfants ayant des besoins spéciaux, alors que dans d'autres régions, il n'y en a que deux. En d'autres termes, il semble y avoir plus d'enfants ayant des besoins particuliers dans les régions plus pauvres.

En voiture pour venir au comité, j'ai écouté une histoire à la radio où l'on parlait d'un bébé abandonné par sa mère. Vous avez indiqué que le taux d'abandon des enfants a augmenté de 43 p. 100. Je sais que mes deux questions ne sont pas reliées, mais je trouve ces chiffres déconcertants.

[Français]

Dr Julien : En ce qui a trait aux statistiques, c'est clair que dans les milieux appauvris, comme celui où nous sommes, le milieu Hochelaga-Maisonneuve, mais il y en a d'autres à Montréal, ce n'est pas exclusif à Hochelaga, les taux de maladies physiques, les problèmes respiratoires, sont plus élevés. Les taux de décrochage, d'abandon scolaire, de réussite scolaire, tout est complètement différent.

Les taux de signalements à la Protection de la jeunesse sont trois à quatre fois plus élevés que dans les autres quartiers. Les taux de placements d'enfants sont beaucoup plus élevés. Tout est démesuré en nombre. C'est exponentiel dans de tels milieux.

Je parle souvent à des gens un peu partout à Montréal, et ils ne croient pas qu'il existe une telle pauvreté à Montréal. Le manque de prise de conscience est un autre problème. On dit qu'il y a un enfant sur quatre au Canada qui vit dans la pauvreté. C'est quoi vivre dans la pauvreté? C'est vivre dans des milieux où l'on a moins de chances de réussir, où il y a plus de tous les problèmes, et où l'on devrait avoir plus d'aide directe.

Or, quand on fait des compressions budgétaires, on revient à la même question; on coupe partout pareil. Prenons une classe du quartier Outremont qui est un quartier plus riche, il y a peut-être un ou deux élèves par classe qui ont des difficultés relatives. Allez dans une classe identique dans Hochelaga, vous y trouverez la moitié de la classe qui est en difficultés. Ce n'est pas du tout la même affaire.

Ils ont des difficultés de toutes sortes. Ils n'ont pas dormi de la nuit; Ils n'ont pas mangé à leur faim; Ils ont été abusés; Ils ont été violentés; Ils n'ont pas dormi de la nuit parce qu'il y a trop de gens qui circulent dans la maison. Ils ont des troubles d'apprentissage, des troubles de développement parce que leur génétique est en train de changer. Il y a des troubles de développement neurologique en quantité industrielle dans ces quartiers; ce que nous ne voyons pas ailleurs. Alors, tout est exagéré avec une lunette grossissante et ces enfants-là n'ont pas les mêmes accès, les mêmes chances qu'ailleurs. C'est un peu cela que cela veut dire. Et cela va contre chacun des articles de la Convention des droits des enfants.

Dr Steinmetz : J'aimerais faire le point sur une chose que le Dr Julien vient de dire parce que c'est important. Les gens qui vivent en pauvreté expérimentent un stress continuel, des insécurités physiques, financières et de santé. Et le cumul de ces stress fait en sorte que les adultes, et particulièrement les enfants, ont ce qu'on appelle en médecine « the metabolism syndrome ».

Le résultat de tout cela à long terme, le long terme étant une question de mois chez les enfants, est que cela se traduit en une diminution de la taille, dans l'atrophie de l'hippocampe au cerveau et d'une autre structure du cerveau qui s'appelle l'amygdale. Curieusement, c'est uniquement sur le côté gauche. Et cela donne comme résultat l'incapacité de ces gens à contrôler leurs émotions et leurs impulsions de violence. La majorité des gens dans notre société qui posent des gestes violents, si on regarde dans leur vécu, ont eu une enfance inadéquate, triste, violente, stressante en tout cas.

Un autre élément que j'aime soulever pour approfondir ce que le Dr Julien vient de dire : les enfants qui grandissent en pauvreté commencent à leur naissance avec un quotient d'intelligence normal, et au fur et à mesure qu'ils vivent leur vie en pauvreté, ce quotient d'intelligence diminue. Tandis que les enfants qui naissent dans des milieux plus normaux ou aisés, avec un quotient d'intelligence dans la normale, cela ira en augmentant à mesure qu'ils grandissent. Et si ces enfants de milieu nantis ont une intelligence plus basse, l'intelligence progressera vers la normale et même au-delà.

Les enfants qui naissent en pauvreté et qui grandissent en pauvreté, non seulement leur intelligence est atteinte à cause de la situation, mais même le fonctionnement de leur cerveau est atteint. Est-ce que c'est atteint pour toujours? Est-ce qu'on peut changer cela? Personne ne le sait dans le moment. Mais, la preuve est là. Il faut porter attention à cela.

Alors, de garder nos enfants en nombre important dans la pauvreté, c'est non seulement inéquitable envers ces enfants, mais on est en train de bâtir une société qui aura des problèmes énormes. Parce que même si les enfants sont minoritaires dans notre société, ce sont eux qui représentent tout notre futur.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Pour ce qui est des enfants abandonnés, j'ai trouvé que l'augmentation de 43 p. 100 était astronomique. C'est incroyable.

Dr Steinmetz : Lorsqu'on parle de pourcentage, il faut toujours se reporter au critère de référence. L'abandon d'enfants est passé de 43 à 58 cas à Montréal au cours des deux dernières années, ce qui représente une augmentation considérable.

Le sénateur Munson : Oui, cela représente une hausse notable. Comment l'expliquez-vous?

Dr Steinmetz : Cela revient un peu à ce dont nous parlions.

Le sénateur Poy : Docteur Julien, vous avez indiqué qu'il faudrait appliquer la Convention aux soins de santé. Pouvez-vous nous en fournir un exemple? Pouvez-vous nous indiquer en quoi cela porterait fruit? Disons, par exemple, qu'un enfant a besoin d'une IRM ou d'un autre soin médical. Vous avez indiqué que bon nombre de résidents ne connaissent pas la Convention. Comment procédez-vous? Est-ce que vous leur enseignez la Convention et le droit des enfants?

[Français]

Dr Julien : Effectivement, on a mis sur pied depuis deux ans, un réseau de formation en pédiatrie sociale. Et bien sûr la base de la formation, en pédiatrie sociale, est clairement la convention. Pour nous, c'est une base de travail et les étudiants doivent être au courant.

Et le « timing » étant bon, les quatre universités du Québec ont adhéré à ce réseau, les quatre écoles de médecine du Québec. Et maintenant le stage de pédiatrie sociale est obligatoire à McGill et à l'Université de Montréal pour les résidents en pédiatrie. Ce que nous souhaitons, dans un avenir rapproché, c'est qu'il le soit pour tous les médecins, y compris les médecins de famille. On a des petits moyens, il faut voir.

Donc, il y a un départ là où les médecins, en tout cas, seront davantage sensibilisés à la Convention des droits de l'enfant et à son application. Ce qu'on veut enseigner de plus en plus c'est comment appliquer la Convention des droits dans les milieux. Dans ce cas-ci, on parle d'une médecine globale plus que d'une médecine d'hôpital. Cela peut également s'appliquer à l'hôpital. Jeudi matin, je rencontre les résidents en neuropédiatrie au Montreal Children's Hospital, pour leur parler de ce à quoi ils doivent s'attendre quand ils traitent des enfants de milieu défavorisé.

Dans l'exemple que j'ai donné tantôt de l'enfant, une magnifique enfant qui fait des convulsions continuellement au point de ne pas être capable d'apprendre à l'école, on a besoin qu'elle prenne ses médicaments, on a besoin d'ajuster ses médicaments, et on a besoin d'un électroencéphalogramme. Ce n'est pas compliqué.

Et pour faire bouger une famille d'Hochelaga à l'hôpital pour faire un électro, il faut plus que dire : ça lui prend un électroencéphalogramme. Il faut qu'elle soit en confiance et il faut qu'elle soit accompagnée. Souvent, on va même envoyer un accompagnant avec la famille pour s'assurer qu'ils s'y rendront.

Pour cette enfant, on l'a fait trois fois. Les parents se sont rendus et l'enfant a été renvoyée à cause des poux. Cela ne marche pas.

Il faut enseigner à l'hôpital à mieux recevoir les enfants, à ne pas les exclure pour des raisons aussi banales que les poux qui sont endémiques dans nos quartiers, tout le monde en a. Donc, on va refuser tous les enfants à l'hôpital?

Dans les premiers jours où le Dr Steinmetz était arrivé avec nous, il a dit : « Si c'est comme cela, on va faire venir l'appareil d'électroencéphalogramme dans le quartier Hochelaga puis on va lui faire. »

Tout cela pour dire que pour nous, c'est gros et compliqué d'organiser une quatrième visite. C'est l'enfant qui est pénalisée tout le temps, parce qu'elle n'apprend pas. De plus, à chaque convulsion, il y a un petit peu plus de dommages qui se font, et elle aura de la difficulté à récupérer.

Donc, oui, on fait des démarches. La Fondation pour la promotion de pédiatrie sociale a été mise sur pied, il y a un an pour justement contribuer à faire connaître cette forme de pratique qui n'est pas exclusive, mais qui est une forme de pratique qui rend les services accessibles dans la communauté si possible; qui essaie de ramener les gens d'en haut vers le bas. C'est-à-dire que les gens de l'hôpital doivent savoir ce qui se passe dans les communautés pour mieux recevoir ces enfants à l'hôpital, les traiter adéquatement et leur donner accès aux services même s'ils ont l'air méfiants, même s'ils sont mal habillés, puis même s'ils ne sont pas attirants parfois à cause de l'odeur ou quoi que ce soit d'autre. Ils sont souvent refusés ou jugés pour ces raisons-là.

Moi, j'ai plein de parents qui ne veulent pas aller à l'Urgence de l'hôpital parce qu'ils ont peur que l'Urgence appelle la Protection de la jeunesse parce qu'ils se sentent jugés d'avance. Cela existe, et c'est courant. Donc, on travaille là-dessus dans les deux sens.

On essaie de développer le maximum de services dans la communauté parce que c'est là qu'est la racine, l'identité de l'enfant. Et, en même temps, on essaie de convaincre les gros systèmes. Vous l'avez vu dans le schéma, il y a plein de systèmes mis en place par la société pour venir en aide aux enfants. Tout le monde est là. Sauf que personne ne se parle. Le Dr Steinmetz en a parlé, tout le monde travaille en silos.

La Protection de la jeunesse, souvent, trouve cela difficile de travailler avec d'autres. L'hôpital pense qu'ils sont les meilleurs, et ils n'aiment pas travailler avec des gens dans les milieux. Cela se joue à tous les niveaux.

En plus, tous ces gens qui sont supposé de travailler en concertation pour l'enfant, ne se parlent pas. Donc, il y a là quelque chose à changer. Nous pensons que les projets de pédiatrie sociale sont un bon moyen intermédiaire entre les familles et les enfants appauvris et l'ensemble des systèmes pour faire une espèce de moyen terme pour que ces gens-là se parlent, se connaissent et soient conscients qu'il y a des droits d'enfants à respecter là-dedans. C'est ce qu'on essaie de faire actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Poy : Est-ce que votre fondation compte beaucoup de bénévoles?

[Français]

Dr Julien : En fait on a deux projets, un dans Côte-des-Neiges qui s'appelle « Le Centre de Services préventifs à l'enfance » où il y a cinq employés et des bénévoles. Dans Hochelaga, c'est à peu près le double. C'est un projet qui existe depuis plusieurs années. Il y a beaucoup de bénévoles, et beaucoup d'offres de bénévoles. Ce n'est pas facile à gérer des bénévoles parce qu'on a besoin de constance. Un bénévole qui vient une fois par année, cela ne nous intéresse pas trop. On leur demande une certaine intensité, pour assurer une stabilité auprès de l'enfant.

En fait, ce que l'on veut des bénévoles, c'est qu'ils nous aident à accompagner les enfants sur leur trajectoire et qu'ils contribuent à leurs succès. Donc, pour y arriver, cela prend une certaine constance. On a beaucoup d'offres de bénévolat. Dans Hochelaga, on a à peu près une centaine d'offres, dont 50 grands amis, des jeunes qui accompagnent un enfant individuellement sur un bout de chemin, pendant un an, deux ans, quatre ans, même. C'est très important.

Par contre, on a une capacité limitée. On est des petits organismes. Et, ces deux projets-là qui devraient se multiplier à l'échelle du Québec et du Canada doivent rester des petits organismes de quartier. Sinon, ils vont perdre cette capacité d'intégrer les choses. Mais, le bénévolat, oui, sûrement.

Le sénateur Dallaire : Messieurs, si vous me permettez, je vous demanderais de peut-être prendre des notes, car je vais vous poser quatre questions. Parfois, avec les réponses et le temps, on n'y arrive pas avec toutes nos questions. Vous choisirez les questions auxquelles vous voulez répondre.

Première question : la Fondation travaille avec les enfants de secteurs pauvres d'une région du Québec. Il y a l'école, le CLSC, la famille et le travailleur social. Pourriez-vous m'expliquer spécifiquement où vous êtes situés dans ce groupe, et qui sont vos intervenants pour aider votre cause?

Deuxième question : les décrocheurs ou les enfants de la rue, ultimement qui les ramasse? Y a-t-il une méthodologie qui a été créée pour ramasser ce volet très réel dans notre société?

Troisième question : le Code criminel permet encore aux parents de donner la fessée aux enfants. Avez-vous une opinion sur cet aspect-là?

Et quatrièmement, vous parliez du Droit de la personne. De la méconnaissance générale de la convention. On voit qu'il y a des lacunes dans l'application des droits de la personne dans les différents programmes sociaux. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'avoir un genre de champion, ou peut-être une entité politique qui aurait le mandat d'assurer que les programmes respectent ou rencontrent les exigences des droits des enfants, tant au provincial qu'au fédéral?

Dr Julien : En fait, je vais répondre assez rapidement. Peut-être que le Dr Steinmetz pourra préciser des choses.

Notre modèle est assez souple, assez simple, et est un modèle de professionnels. C'est-à-dire que nos équipes, sont constituées d'un médecin, un pédiatre social avec une équipe qui est habituellement composée d'une travailleuse sociale, psycho-éducateur, d'éducateurs, arts thérapeutes. En général, c'est une équipe que nous considérons comme minimale. Et on est tous des professionnels. On s'installe dans un quartier, ce qu'on a fait dans Hochelaga et dans Côte-des-Neiges, avec l'objectif de mettre en place des services adaptés aux enfants pour l'ensemble des besoins que vous voyez dans le schéma, soit les besoins globaux.

On n'est pas là juste pour la médecine. La médecine est une partie, mais c'est souvent un prétexte. Ils vont commencer par nous les amener pour un bobo, mais rapidement cela crée une espèce de mouvement vers les autres besoins, si l'on est attentif, et c'est ce qu'on veut faire.

Donc, on devient un noyau dans un quartier qui crée du mouvement autour de l'enfant. On va alors développer un réseau autour de cela. Il y a des bénévoles, et bien sûr, les gens du CLSC. Mais, ce n'est pas toujours facile car on se confronte. Souvent, ils nous prennent pour des compétiteurs. Au CLSC, c'est déjà arrivé. Mais de plus en plus, avec notre crédibilité, le CLSC, la DPJ, le système scolaire, viennent chercher des services, des conseils, des orientations.

C'est un de nos plus précieux collaborateurs. Tellement que c'est eux maintenant qui nous appellent pour initier du mouvement autour des enfants. C'est assez particulier. Donc, on est vraiment un créateur de mouvement autour des besoins de l'enfant et des droits de l'enfant. Et, c'est d'une efficacité incroyable parce que c'est simple. Les familles peuvent venir, et elles n'ont pas besoin d'être référées avec des copies en trois exemplaires. Elles viennent, et elles demandent de l'aide. Et cela, c'est super précieux parce que c'est très proche.

On croit beaucoup à l'identité, mais on croit aussi à l'attachement. Donc, on se sert de la théorie de l'attachement pour créer cette confiance qui génère ensuite du mouvement. Voilà qui l'on est. C'est ce que l'on voudrait que d'autres organismes reproduisent.

Les enfants de la rue ont accès chez nous, mais nous on est dans le groupe d'âge 0-12 ans, puis dans Côte-des-Neiges dans les 0-5 ans. Donc, on est vraiment dans un modèle de prévention du décrochage. D'ailleurs, dans Côte-des-Neiges, l'objectif du Centre de services préventifs à l'enfance, c'est l'arrivée à l'école préparé. Autrement dit on essaie de les trouver avant qu'ils rentrent à l'école, puis on les prépare à l'entrée à l'école tant au plan langage, de la motricité fine, de la socialisation, que de l'appropriation des parents et de leur école. On fait tout cela avant qu'ils rentrent à l'école.

Notre objectif c'est : que les enfants arrivent à l'école avec leurs pleins moyens. On le fait de plus en plus, et on voit déjà un impact à l'arrivée à l'école. Ce sont les profs qui nous disent : « Ah! Cela change d'une année à l'autre quand vous vous en mêlez. Ils arrivent à l'école, ils ont déjà été stimulés. On sait qu'est-ce qu'ils ont. »

Les parents sont d'accord. Ils sont déjà embarqués avec nous. Ils connaissent l'école parce qu'il y a des ateliers à l'école, durant l'été, avant qu'ils commencent l'école à quatre ans. Donc, cela est un système bien intéressant. En parallèle, il y a toute une confiance qui s'installe. Les parents forment des groupes de parents pour nous aider. Ce mouvement-là se crée et les parents embarquent dans le processus. C'est incroyable parce que dans Côte-des-Neiges, ce sont des parents de toutes nationalités confondues.

Quand on parle des besoins et des droits de l'enfant, tout le monde est d'accord. Le problème transculturel, il n'existe même plus autour de cela. C'est cela qu'ils veulent.

La fessée, je suis contre. Mais, ce que cela a malheureusement provoqué c'est une espèce de désengagement des adultes au niveau de la fermeté avec les enfants. Avec un enfant, il faut être ferme. Il faut mettre un cadre. Il faut que les limites soient claires. En enlevant la fessée, c'est comme si on avait enlevé tout cela et cela n'a pas de bon sens. Il ne faut pas les frapper, mais il faut leur mettre des règles claires, puis un cadre : Cela tu peux; cela tu ne peux pas. Les parents ne font même plus cela. Et, souvent dans les milieux plus favorisés où là tout est permis, les enfants sont perdus là-dedans car les enfants ont besoin de repères. Ils n'ont pas besoin d'être frappés.

Quatrièmement, oui, cela prend des champions des droits de l'enfant à tous les niveaux. Il faut qu'il y en ait tant au fédéral qu'au provincial, et qu'ils soient bien identifiés : Lui, c'est le champion des droits. Mais, il faut qu'il y en ait aussi dans les communautés. Il faut donc que cela se démultiplie vers les communautés sinon cela ne marchera pas. Et tout cela restera des vieux pieux.

Il faut un mécanisme de haut en bas et de bas en haut qui travaille sur les droits des enfants. Et je trouve qu'en bas, cela devrait être les médecins qui soient les maîtres d'œuvre, à cause de notre crédibilité et de l'impact que l'on peut avoir. Ce n'est pas parce que je suis promédecin à tout prix, mais pourquoi ne pas utiliser une crédibilité qui existe jusque dans les populations à l'extrême, les plus défavorisées.

Dans un quartier comme Hochelaga, j'ai toujours pu entrer dans les maisons parce que je suis médecin. Je peux cogner à la porte : « Je suis le docteur Julien », ils vont me laisser rentrer. Ce qu'ils ne feront pas avec une travailleuse sociale nécessairement parce que c'est trop menaçant. Donc, il faut utiliser ce pouvoir-là tout en travaillant en équipe avec d'autres spécialités.

Dr Steinmetz : Pour la question des fessées, on dit que la société doit éliminer la violence, mais qu'à la maison c'est permis. Ça ne va pas. C'est certain que les gens qui sont démunis de moyens et qui sont sous beaucoup de stress vont perdre le contrôle et vont faire des choses comme cela. Mais, aussi, il y a une attitude que frapper un enfant, c'est bien. On croit encore dans la société, que les nouveaux-nés, par exemple, ne sentent pas la douleur, qu'on peut faire la circoncision chez les garçons sans anesthésie parce que pour eux, cela ne fait pas mal. Ce n'est pas vrai. Tous les conduits de la douleur sont là et fonctionnent très bien.

Question de champion pour les droits des enfants, oui, il faut y penser. Ce serait dommage d'établir une autre bureaucratie qui ne fonctionnerait pas. Alors, c'est mieux de savoir comment on fait l'éducation de la population. Une éducation de tous ceux qui ont une fonction dans la société, que ce soit les médecins, les infirmières, les travailleurs sociaux, les professeurs d'école, les gens qui sont en garderies, les policiers ou les avocats, que toute personne sache que cela existe, comment cela s'exprime, qu'il faut respecter, que c'est important et que cela s'applique partout.

Dr Julien : Je voulais juste rajouter que la semaine dernière j'étais à l'Île-du-Prince-Édouard, j'étais invité par la Commission des parents francophones du Canada qui sont partout au Canada et qui ont, en tout cas, une motivation à toute épreuve pour s'occuper des enfants. J'ai passé un petit diaporama qu'on a fait sur les droits de l'enfant. Ils ont été emballés, tout le monde prenait des notes et je les entendais dire : « Ah! Tel droit, cela nous touche, on va s'en servir ». Les gens ne demandent pas mieux que de se mobiliser, mais à condition qu'on soit des moteurs, plus que des champions, en fait, des moteurs pour amener cette connaissance-là et les supporter à l'utiliser.

Le sénateur Pépin : C'est à moi de vous remercier d'être venus nous rencontrer parce qu'on sait que vous êtes des champions des droits de l'enfant. Si je me rappelle bien, vous avez fait, l'été dernier, un gros rallye pour ramasser des fonds pour les enfants.

Vous avez dit que les gens impliqués ne se parlent pas. Évidemment au niveau des CLSC, de la famille, du médecin, il semble que les gens réussissent à se parler. Mais, si l'on regarde plus loin, que ce soit au municipal ou même au provincial, comment pensez-vous agencer cela pour que les gens prennent conscience? Comme vous dites, il faut aller à trois ministères pour avoir quelque chose, puis il y a les compressions budgétaires.

Il n'y a pas une personne, il n'y a pas eu un genre de comité qui a été formé dans lequel vous avez pu participer pour annoncer vos priorités et votre fonctionnement. Comment pourrait-on améliorer cela? Il y a tellement d'obstacles.

Dr Julien : Je ne suis pas très bon en organisation. Ce que j'ai voulu faire dans les dernières années, c'est de créer quelque chose au niveau local. Maintenant, on s'aperçoit que cela fonctionne. Au début, je n'avais même pas imaginé que cela puisse dépasser le local. La notion de pédiatrie sociale, à ce moment-là, mon ami le Dr Steinmetz y croyait beaucoup. Moi, je disais : Bien non, c'est local. Il faut que cela reste local.

Et là, plus on en parle, plus il y a de gens qui disent : Ah! Bien, c'est cela qu'il faut faire ». Mes résidents en pédiatrie, c'est assez étonnant, n'ont jamais entendu parler de la convention. Par contre, ils viennent faire leur stage en pédiatrie sociale, puis ils disent : « C'est cela que j'ai toujours voulu. C'est pour cela que je suis allé en médecine, pour faire quelque chose comme ça. »

Donc, cela est rassurant. Je pense que finalement, il faut que cela parte d'en bas pour monter vers le haut. Mais, quand on essaie de monter, on a essayé jeudi passé avec un certain succès avec le ministère de la Santé. On a dit : non, pas juste Santé, on veut l'Éducation, on veut Famille, on veut Justice, on veut Solidarité sociale, Loisirs. Il faut que tout le monde soit là parce que ce qu'on vous propose, c'est que c'est un projet de société qui vient d'en bas.

Mais, à ce sujet, on se heurte à des difficultés importantes. C'est vrai au provincial, et c'est sûrement vrai au fédéral.

Le sénateur Pépin : Au fédéral, oui.

Dr Julien : Au municipal, c'est encore pire parce qu'on ne sait pas à qui parler. On ne sait jamais à qui parler. Mais, c'est sûr que s'il y avait un système défini tel que vous mentionnez, un commissariat ou un groupe de travail qui soit présent et qui nous aide.

Le sénateur Pépin : Qui crée un réseau.

Dr Julien : Oui, qui crée un réseau qui monte au provincial et au fédéral et où l'on peut se plaindre aussi, une sorte de commission des droits où l'on dit : regarde, cela ne marche pas. Dans tel secteur, il se passe telle affaire. Ce n'est pas compatible avec les droits de l'enfant. Qu'est-ce que vous pouvez faire pour nous aider?

C'est sûr qu'il faut qu'il soit relié à la base. Il y a beaucoup de groupes communautaires, mais ces groupes, souvent, ils ne se parlent pas. C'est un phénomène qui est généralisé. Ils se méfient l'un de l'autre. Des organismes enfance/ famille, il y en a à peu près cinquante dans Hochelaga-Maisonneuve. Juste faire le lien avec eux c'est difficile. S'il y en a un qui en a plus que l'autre, il est jaloux.

Le sénateur Pépin : Ils ne sont pas contents.

Dr Julien : En fait, ce qu'il faut c'est créer un consensus autour des enfants à tous les niveaux. Il n'y en a pas de consensus. Tout le monde fait son bout. Tout le monde se satisfait de son bout. Et, ce n'est pas suffisant. Et tout le monde se donne bonne conscience. Ils ne voient pas les enfants pauvres. Ils ne savent pas que cela existe, puis ce n'est pas de leurs affaires. Il n'y a pas de consensus autour des enfants au Canada.

Dr Steinmetz : Permettez-moi de répondre. Pour compléter, une chose que je trouve importante, c'est quand on parle de faire quelque chose sur les droits des enfants, le Dr Julien est d'accord avec moi, il importe de ne pas « judiciariser ». Parce que nous voyons que dans la question de la DPJ, la « judiciarisation » de ces problèmes sociaux familiaux, cela ne fait pas de bon sens parce qu'on blâme quelqu'un. Il faut faire une sentence. Il faut faire des choses. Et, ce n'est pas approprié à ce dont on parle.

Le sénateur Pépin : Vous avez souligné également qu'il y a très peu de personnes qui connaissent la convention, notamment, les étudiants en pédiatrie. Je crois, qu'en tant que parlementaires, notre priorité devrait être de faire connaître la convention. Ainsi, cela attirerait davantage l'attention des gens.

On parle évidemment de la pauvreté et de l'augmentation de la violence. Je lisais dernièrement au sujet de l'augmentation des gangs de rue. Il y a donc un lien entre, ce dont vous nous parlez et les gangs de rue. Parce que les gangs de rue, ce sont des adolescents. Croyez-vous qu'il y ait un lien important?

Dr Julien : Oui. On voit très bien les jeunes qui vont aller vers les gangs de rue. On les voit. On le sait. On en parle dans les écoles et on les identifie. Si on n'est pas capable de l'attraper, c'est clair qu'il va être recruté. Et là, on touche à des causes fondamentales dont l'identité. Les jeunes se joignent aux gangs de rue pour deux grandes raisons : l'identité et la démotivation à l'école. Cela va de pair.

L'identité, c'est vraiment l'appartenance. J'ai deux modèles de gangs de rue en tête : un dans Côte-des-Neiges et un dans Hochelaga. Dans Côte-des-Neiges, c'est beaucoup relié aux fractures survenues lors de la migration ou dans les vécus antérieurs. Les familles qui se referment sur elles-mêmes. Les jeunes qui veulent tout connaître et qui sont souvent freinés par la famille pour toutes sortes de raisons d'origine migratoire ou traumatique.

Les jeunes iront alors se chercher une identité ailleurs. Quand ils la trouvent à l'école, c'est bon. Et, ils la trouvent souvent à l'école parce que les enseignants sont très attachés aux enfants. Nos petites écoles primaires sont très riches en mobilisation des enfants sauf s'il y a un problème.

Si l'enfant a un problème de comportement, ce qui arrive souvent, c'est la violence, l'opposition, n'importe quoi. Il sera mis dans une classe spéciale, dans une école spéciale en dehors de son quartier. Cela rejoint ce que je disais tantôt. Et, on le perd de vue. Il n'a même plus son identité locale. S'il est déplacé par la DPJ, même affaire. Il s'en va dans une famille, on ne sait pas trop où. Puis, souvent, les familles d'accueil sont en dehors de l'Île de Montréal. On les perd. Et quand ils vont sortir de là, ils vont s'en créer une identité. Et, où est-ce le plus facile? C'est le gang qui est sur le coin de la rue, qui dit : « Viens, nous autres, on t'aime. On va te faire travailler. »

C'est comme cela que cela fonctionne. Alors, c'est un premier niveau. Dans des quartiers plus défavorisés comme Hochelaga, bien c'est sûr que c'est tous les stress familiaux qui font en sorte que l'enfant a des maux de vivre importants, qui vont le pousser à l'extérieur. Et, partout autour des écoles primaires, il y a tout le temps du monde pour récupérer ces enfants-là, soit avec la drogue ou avec n'importe quoi pour les mobiliser dans d'autre chose.

Il y a donc la souffrance et il y a la recherche d'identité. Si on est capable de garder nos enfants dans nos communautés avec le plus possible de ressources, on verra moins ce phénomène et l'attrait des gangs de rue sera moins fort, c'est clair.

Tout cela est connu, on sait que c'est comme cela que cela marche. On est capable de les repérer. Sauf que quand l'école dit : je l'envoie dans une école spéciale, je ne suis plus capable de l'endurer, je n'ai pas assez de ressources, alors on le perd et l'on sait qu'il ira dans un gang. On peut vous écrire une liste de noms, je peux vous l'apporter demain matin, si vous voulez.

Le sénateur Pépin : Je suis très contente que vous soyez dans Côte-des-Neiges.

[Traduction]

Le sénateur Nancy Ruth : Le sénateur Dallaire a parlé de la spécificité. Qu'en est-il des différences spécifiques entre les enfants ou les parents? Quelles en sont les répercussions sur le modèle de médecine que vous utilisez?

[Français]

Dr Julien : Ce qui ressort le plus dans la question des gens. Selon moi, c'est qu'à l'école les filles sont mieux reçues que les gars. Ce sont des filles qui enseignent alors que l'on trouve très peu de modèles hommes dans nos écoles.

Le sénateur Pépin : Il n'y en a plus.

Dr Julien : Il y en a quelques-uns. C'est assez étonnant parce que souvent, on a des enfants avec des difficultés de développement, de comportement, d'apprentissage puis tout à coup, ils se retrouvent dans une classe de gars avec un homme qui enseigne et ils changent.

Ce matin, j'étais à l'école Lucille-Teasdale et c'est exactement la même chose. C'est une école où l'orthopédagogue est un homme. Il y a deux éducateurs hommes, cela fait une très grosse différence. C'est plutôt rare d'avoir des professeurs hommes; versus une autre école où il y a juste des femmes, je pense à une autre école dans Hochelaga, la directrice est très consciente du problème. Elle dit : « On est démunis devant les gars. C'est tolérance zéro pour la violence. »

Avec la tolérance zéro, il faut faire attention car les gars qui se développent, entre cinq douze ans, aiment cela se batailler un peu. Nous, on jouait aux cow-boys à l'époque et maintenant ils jouent à d'autre chose, mais cela revient au même. Il faut exprimer une certaine violence normale. Il faut pouvoir la passer dans le sport, dans la confrontation. Or, dans les écoles d'aujourd'hui, les gars ne peuvent pas exprimer cela.

J'avais un autre exemple intéressant. J'ai parlé récemment avec Dan Bigras, qui est un chanteur québécois connu, on a un projet ensemble justement là-dessus parce que lui fait de la boxe parce qu'il se dit violent. Il dit à tout le monde : « Moi, j'ai une violence qui est là. Je suis pris avec. Elle m'a causé bien du trouble. Mais, depuis que je fais de la boxe, je peux l'extérioriser. Je vais toujours avoir besoin de l'exprimer. » J'ai dit : « Regarde, moi, j'ai des jeunes, ils ont exactement cela puis ils se font planter à chaque fois qu'ils se battent. Et, on les met dans des écoles spéciales. Et, on les sort de l'école, on les exclut. Peux-tu les prendre? »

Donc, par rapport au genre, je pense que les gars sont davantage défavorisés. Parce que les filles ont plus de référence à des femmes pour s'identifier. Les gars ne peuvent plus s'identifier, et cela crée beaucoup de problèmes. Cela, on le voit quotidiennement aussi.

[Traduction]

Le sénateur Nancy Ruth : Y aura-t-il un ring de boxe pour les filles? Ça existe à Toronto.

[Français]

Dr Julien : Oui, parce qu'il y a une fille que je vais lui envoyer aussi qui a exactement ce besoin-là. Ce n'est probablement pas un besoin exclusif aux garçons. Ce que vous dites est très intéressant.

La vice-présidente : Je regrette, honorables sénateurs, mais le temps est écoulé.

[Traduction]

Merci beaucoup, docteur Julien et docteur Steinmetz. Vous nous avez fourni des exposés hors pair cet après-midi.

Honorables sénateurs, notre prochain témoin se nomme Brent Parfitt, il est membre du Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Il s'agit du groupe auquel nous faisons rapport à titre de gouvernement sur la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant.

Bienvenue, monsieur Parfitt. Nous sommes ravis que vous soyez membre de ce comité des Nations Unies et nous avons hâte de vous entendre cet après-midi.

Brent Parfitt, membre, Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant : Merci beaucoup, madame la vice-présidente et honorables sénateurs, de me donner l'occasion de prendre la parole cet après-midi.

D'abord, j'aimerais vous féliciter pour l'excellent travail que vous avez accompli. J'ai eu l'occasion de lire votre rapport de novembre. Vous y avez traité de manière admirable les questions propres au Canada, et je vous en félicite. J'ai également eu l'occasion d'étudier la liste des personnes qui ont comparu devant vous au cours des dernières années, et vous avez touché à presque tous les sujets. Ces témoins sont connus à l'échelle nationale et internationale, et je vous en félicite.

J'ai également lu les conclusions de votre comité, et elles m'ont impressionné. Une approche axée sur les droits est à mon avis la manière de traiter des questions relatives aux enfants. La Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant prévoit cette approche pour ce groupe vulnérable et sous-représenté de la société.

J'ai également noté que vous prônez une approche holistique ainsi que l'utilisation de la Convention comme prisme pour étudier les lois, les règlements, la politique et les programmes canadiens. Je vous félicite également d'avoir recommandé de mettre sur pied un groupe de travail interministériel pour faire rapport du progrès sur la mise en œuvre de la Convention. Nous savons tous qu'il s'agit d'un document holistique : il ne faudrait pas le sous-diviser en sections, mais plutôt l'étudier comme un tout.

Vous remarquerez que bon nombre des dispositions de la Convention semblent parfois contradictoires. Ainsi par exemple, l'intérêt supérieur de l'enfant se retrouve souvent en opposition avec le droit de l'enfant à être écouté. L'article 12 ne signifie pas que l'opinion des enfants sera le facteur déterminant. Cela signifie seulement que le point de vue des enfants sera pris en compte dans leur intérêt supérieur. Il est important de voir la Convention de manière holistique.

J'ai également noté que vous allez créer un mécanisme pour assurer le suivi de la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Le sénateur Pearson avait recommandé que l'on crée un poste de commissaire à l'enfant au niveau fédéral pour garantir que la Convention soit mise en œuvre uniformément au Canada.

J'aimerais parler de cet aspect, car je le trouve important, bien qu'il comporte plusieurs problèmes pratiques. Ces problèmes viennent du fait que nous vivons dans un État fédéral. La question est d'autant plus compliquée que la plupart des programmes destinés aux enfants sont administrés au niveau provincial plutôt que fédéral. Ainsi, un système de suivi fédéral serait difficile à mettre en œuvre, car il faudrait que les provinces l'acceptent pour qu'il soit efficace.

Notre comité a fourni des observations d'ordre général, en 2002, sur ce que constituerait un système de suivi indépendant. Nous avons indiqué que le comité, l'ombudsman des enfants ou encore un commissaire suivrait la mise en œuvre de la Convention, en ferait la promotion et enquêterait sur les plaintes émises par ou pour les enfants.

Cela donnerait au commissaire ou à l'ombudsman des enfants de l'information pratique et objective, qu'il pourrait présenter aux organes internationaux comme le nôtre qui font également le suivi de la mise en œuvre de la Convention.

Nous avons également recommandé que le commissaire ou l'ombudsman fasse un rapport public de ses conclusions, et qu'il soit indépendant et responsable devant le Parlement ou l'Assemblée législative.

Pour ce qui est de la division des pouvoirs dans notre État fédéral, je crois qu'il serait très difficile de créer un poste de commissaire fédéral, mais l'idée demeure néanmoins louable. Je crois qu'on pourrait créer un tel poste, si les gouvernements provinciaux se reportent au domaine de compétence de l'organisation.

On pourrait le faire de nombreuses façons. D'abord, on pourrait avoir recours au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral afin qu'une partie du financement soit versée aux gouvernements provinciaux. Ces derniers mettraient ensuite en œuvre à leur tour les dispositions de la Convention des Nations Unies.

Cela présente une possibilité. Elle requiert en revanche beaucoup de négociations entre les fonctionnaires fédéraux et provinciaux, mais je crois que cette organisation pourrait être très puissante et aider à la mise en œuvre de la Convention.

Enfin, dans votre conclusion, vous avez parlé d'une participation notable — vous avez parlé de « participation des jeunes » — et nous sommes tout à fait d'accord avec vous. Le comité a eu une réunion récemment, pour discuter de la participation des jeunes. Au moins 35 jeunes sont venus, et environ 100 nations. Nous y avons discuté d'une participation significative des jeunes. Bien trop souvent, il ne s'agit que d'un geste symbolique : on invite un certain nombre d'enfants à une conférence nationale pour témoigner de la perspective des jeunes. À mon avis, il ne s'agit pas d'une participation significative des jeunes.

Une participation significative des jeunes, c'est quand les enfants ont leur mot à dire ou un rôle à jouer dans le processus de prise de décision. Cela peut sembler un peu étrange, mais c'est possible, et nous en trouvons de nombreux exemples, tant au niveau des écoles communautaires qu'au niveau gouvernemental, provincial et fédéral. Les parlements des jeunes sont un exemple de la façon dont la voix des jeunes peut se faire entendre au niveau officiel.

Nous sommes impatients de produire un document d'observations générales sur la participation des jeunes, document qui pourra servir d'orientation pour les gouvernements provinciaux et fédéral.

On m'a demandé de formuler de brèves observations sur la mise en œuvre, par le Canada, de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant; j'ai examiné notre rapport — notre dernier rapport de 2003, et nos observations en guise de conclusion — et j'ai relevé certains aspects qui doivent toujours être accomplis au Canada.

Comme vous le savez, le Canada a une excellente réputation au niveau international pour ce qui est des conventions des Nations Unies, et le Canada a une bonne réputation non seulement parce qu'il ratifie la convention, mais parce qu'il fait aussi de son mieux pour la mettre en œuvre.

Au Canada, nous avons toujours des difficultés pour ce qui est de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Comme vous le savez, il y a des problèmes criants qui doivent être réglés. L'un de ces problèmes réside dans le fait que nous n'avons pas été en mesure d'adapter cette convention au niveau national. Nous l'avons signée, nous l'avons ratifiée, mais nous ne l'avons pas adaptée — c'est-à-dire que nous n'en avons pas fait une loi de notre pays. Je comprends qu'il y a des complications fédérales et provinciales, mais je crois qu'il est tout de même possible pour le Canada d'accorder une plus grande priorité à la mise en œuvre de cette convention.

Il y a plusieurs exemples de cette situation. Les tribunaux ont agi de façon extrêmement proactive pour appuyer cette convention. Au moins dix décisions de la Cour suprême du Canada ont fait référence non seulement à la Convention, mais également aux observations émises en conclusion par notre comité sur le traité.

Le projet de loi C-2 est un autre bon exemple de la façon dont les dispositions de la Convention ont été incluses dans la législation fédérale. En effet, le préambule du projet de loi C-2 indique que le projet de loi est conforme à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et qu'il respecte cette convention. J'aimerais en voir davantage d'exemples dans la législation nationale, tant au niveau provincial qu'au niveau fédéral, afin de démontrer une telle reconnaissance et une telle compréhension. En effet, pour ce qui est de la législation provinciale, je crois que toutes les juridictions au Canada, dans le domaine des relations familiales, font référence aux meilleurs intérêts de l'enfant.

La définition est un autre problème. Néanmoins, on reconnaît que ce principe est fondamental. C'est un problème au Canada.

Comme je l'ai mentionné auparavant, une façon de s'assurer d'une meilleure mise en œuvre de la Convention est liée au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, afin de ne pas empiéter sur la division des pouvoirs qui est enchâssée dans notre Constitution.

La surveillance indépendante est un autre domaine où nous n'avons pas réussi. On fait référence un certain nombre de fois aux ombudsmans provinciaux et aux défenseurs des droits de l'enfant ainsi qu'aux représentants des enfants — peu importe comment on souhaite les appeler — mais aucune organisation fédérale n'est responsable de mettre en œuvre la Convention et de veiller à sa mise en œuvre.

Encore une fois, le comité a recommandé qu'à défaut d'avoir une commission ou un ombudsman pour les enfants, il devrait au moins y avoir un appui accru accordé aux organisations non gouvernementales, les ONG, qui font beaucoup de travail et veillent à la mise en œuvre de la Convention ainsi qu'à la surveillance des progrès du Canada à cet égard.

Notre traitement des enfants autochtones est un autre problème criant qui me fait profondément honte. Comme de nombreux témoins l'ont indiqué à votre comité, les enfants autochtones sont surreprésentés dans nos systèmes de protection de l'enfance et dans nos systèmes de justice juvénile. Dans un pays qui engrange des excédents de plus de 13 milliards de dollars, je crois que cette situation est inexcusable à notre époque, et qu'elle a beaucoup à voir avec notre système fédéral.

Il y a la loi fédérale sur les Indiens ainsi que les législations provinciales qui portent sur les questions liées à la protection des enfants, et ces deux séries de lois ne semblent pas aller de pair. Les enfants autochtones continuent de passer entre les mailles du filet, et cela ne devrait pas arriver à notre époque. Nous avons les moyens et le financement nécessaires pour améliorer la situation des enfants autochtones dans notre pays pour ce qui est des questions d'éducation, de santé et de protection des enfants.

Les enfants réfugiés sont une autre question que le Canada doit régler de façon uniforme. Je crois que nous découvrirons de plus en plus d'enfants réfugiés sur nos côtes et, à l'heure actuelle, ces enfants ne sont pas traités de façon uniforme. Ils sont traités selon les lois locales de la province où ils arrivent. Parfois c'est une bonne chose, d'autres fois non.

La Colombie-Britannique, ma propre province, constitue un exemple de bonne pratique. Les enfants réfugiés, par exemple des enfants chinois non accompagnés qui demandaient l'asile, ont été traités comme n'importe quel autre enfant ayant besoin de protection en Colombie-Britannique. Je crois en effet qu'il s'agit d'une bonne pratique. Ils ne sont pas incarcérés; ils sont traités comme des enfants ayant besoin de soins et de protection de la part de l'État.

Les enfants exploités sexuellement et faisant l'objet de la traite des personnes sont une autre question dont vous avez entendu parler, question que nous avons soulevée et qui inquiète très certainement le comité et Genève. Il s'agit d'un problème criant dans toutes les provinces, étant donné que le nombre d'enfants dans les rues semble augmenter. Un certain nombre de ces enfants sont des victimes, bien entendu, de violence domestique à la maison et parfois dans la communauté.

Nous sommes au courant d'un autre domaine, soit la question des châtiments corporels. Une décision de la Cour suprême du Canada a été rendue au sujet des châtiments corporels, mais l'article 43 du Code criminel existe toujours, bien que sa portée ait été diminuée dans une certaine mesure par la Cour suprême. Le comité a recommandé l'abolition de cette défense dans les cas d'agression contre un enfant. Cette opinion n'est pas nécessairement populaire, mais le comité suggère d'examiner cette opinion et d'amender l'article 43 en conséquence.

Je crois que vous êtes saisis de projets de loi dans ce domaine. Si le Canada n'est pas prêt à appliquer les recommandations, il devrait au moins faire preuve d'un certain leadership dans le domaine des rapports adéquats entre parents et enfants et trouver une autre solution que les châtiments corporels lorsque l'on parle de la discipline des enfants.

Je crois que le Sénat pourrait appuyer l'éducation parentale, spécialement dans le cadre de l'éducation secondaire, où d'autres solutions que les châtiments sont enseignés. Malheureusement, ou peut-être heureusement, la plupart d'entre nous apprenons l'art d'être parents par nos parents, ce qui peut être une bonne chose ou une mauvaise chose.

Si nos parents faisaient usage du châtiment corporel, il est très probable que nous ayons recours au même type de moyens disciplinaires. On devrait donc apprendre, à l'école, d'autres moyens de faire régner la discipline, au lieu du châtiment corporel.

Le Sénat devrait également consacrer son attention aux centres d'excellence qui ont été créés partout au pays. Je crois que ces centres ont fait du très bon travail pour ce qui est d'augmenter la sensibilisation aux questions liées aux enfants, et je crois également que les centres devraient continuer d'être appuyés par le gouvernement.

Maintenant, je vais vous parler de quelques initiatives du comité à Genève qui pourraient vous aider. Nous préparons actuellement un document d'observations générales. Je ne sais pas si vous connaissez ce type de document, mais le comité prendra certains articles de la Convention, se concentrera sur ces articles et tentera d'expliquer, en langage non spécialisé, ce qu'ils signifient. Nous l'avons fait dans de nombreux domaines. Comme je l'ai mentionné auparavant, la question de la surveillance indépendante a fait l'objet d'un document d'observations générales.

Nous travaillons à l'heure actuelle sur un document portant sur les enfants autochtones, document qui devrait être disponible au cours des deux prochaines années. Le comité embauche un rédacteur expert, le rédacteur crée une ébauche pour nous, le comité examine cette ébauche à de nombreuses reprises et ensuite produit une observation générale qui guide les États sur la façon dont ils peuvent se conformer à ces dispositions et les mettre en application — c'est-à-dire les dispositions de la Convention.

Je suis également heureux d'indiquer qu'un sous-comité, à Genève, sur les peuples autochtones a choisi un rédacteur pour nous aider, et ce rédacteur vient de ma province. Je n'ai pas participé au processus de prise de décision, mais son nom est Margot Greenwood, et elle travaille avec les gouvernements provinciaux et fédéral sur les questions autochtones, et en particulier sur les questions de soins de santé pour les Autochtones. Nous sommes très heureux de cette possibilité.

De plus, nous travaillons actuellement à des articles sur les enfants ayant des handicaps, les enfants en services de garde alternatifs et la participation des jeunes. Notre journée de discussion générale sur la participation des jeunes alimentera notre document portant sur le même sujet.

Par ailleurs, vous êtes peut-être au courant d'une autre publication, soit l'étude onusienne sur la violence contre les enfants, réalisée par Paolo Pinheiro. Dans cette étude, M. Pinheiro fait de nombreuses recommandations quant à la façon dont nous traitons les enfants victimes de violence. Ses recommandations sont nombreuses, et l'étude assez longue, mais je vais néanmoins les aborder brièvement.

L'auteur affirme que nous devons renforcer notre engagement et notre action aux échelons national et local. Nous devons par exemple interdire toute forme de violence contre les enfants, y compris en modifiant l'article 43 du Code criminel. Nous devons établir des priorités en matière de prévention. Nous devons faire la promotion des valeurs non violentes et de la sensibilisation. Nous devons renforcer la capacité de tous ceux qui œuvrent pour et avec les enfants. Nous devons fournir des services de réadaptation et de réinsertion sociales. Nous devons assurer la participation des enfants. Nous devons créer des systèmes et des services qui soient accessibles et sensibles aux besoins des enfants. Nous devons promouvoir la reddition de comptes et mettre fin à l'impunité de ceux qui violent les droits des enfants. Nous devons nous attaquer à la dimension sexospécifique de la violence contre les enfants. Enfin, nous devons élaborer des mécanismes systématiques de collecte de données et de recherche à l'échelle nationale sur la violence contre les enfants, et renforcer notre engagement à l'échelle internationale.

En terminant, je voudrais souligner le fait que le Haut Commissaire aux droits de l'homme, Louise Arbour, a entrepris une étude. Elle y recommande qu'un certain nombre d'organes de suivi des traités soient intégrés en une seule instance permanente qui aurait la charge de tous les traités.

La position du comité des droits des enfants est contraire à cette proposition, et nous nous y opposons, parce que nous croyons qu'étant donné que les enfants sont particulièrement vulnérables et qu'ils n'ont pas voix au chapitre, nous devrions alors leur donner une voix indépendante. Nous ne voyons pas d'avantages pour les enfants à intégrer tous les organes de suivi des traités en une seule instance permanente.

Nous sommes conscients du fait que les États parties éprouvent parfois des difficultés à se conformer à toutes les dispositions des traités. Par exemple, au Canada, nous sommes assujettis à sept organes de suivi des traités, ce qui suppose énormément de travail pour les fonctionnaires tant fédéraux que provinciaux. Nous pourrions rendre les choses beaucoup plus faciles si les organes de suivi des traités s'entendaient, du point de vue administratif, sur l'élimination de tout dédoublement et une sorte de calendrier de sorte que les États parties ne soient pas obligés d'examiner un nouveau traité chaque année.

Les administrateurs des organes de suivi des traités semblent convenir que certains problèmes auxquels font face les États parties pourraient être réglés sur le plan administratif, plutôt que d'avoir à intégrer tous les organes de suivi des traités en un seul comité permanent.

Merci beaucoup de votre attention, je me ferai un plaisir à vos questions.

La vice-présidente : Merci, monsieur Parfitt.

[Français]

La vice-présidente : Bienvenue, madame Filiatreault. Madame Filiatreault est la présidente du Conseil jeunesse de Montréal.

Marilou Filiatreault, présidente, Conseil jeunesse de Montréal : Madame la vice-présidente, merci beaucoup de votre invitation. On m'a dit que je pouvais parler dans la langue que je voulais, je m'adresserai donc à vous en français.

Comme vous l'avez souligné, je suis la présidente du Conseil jeunesse de Montréal. Il me fait très plaisir d'être ici aujourd'hui car on représente les jeunes. Je pense qu'une belle façon de donner une place aux jeunes, c'est de leur donner une occasion comme celle-ci de s'exprimer.

Je voulais souligner que nous sommes heureux de la très grande qualité du rapport, et de son initiative. On est très contents de voir qu'il y a des choses qui se passent pour les enfants.

Je vous présenterai un court sommaire. On m'a dit que j'avais cinq minutes, donc je ne prendrai pas trop de votre temps.

Le sénateur Pépin : Vous pouvez prendre dix minutes.

Mme Filiatreault : Je vous présenterai le Conseil jeunesse de Montréal, qu'est-ce qu'on fait, qu'est-ce qu'on représente. Pour sauver du temps, j'ai soulevé seulement quatre points importants qui semblaient concerner le rapport.

Le Conseil jeunesse de Montréal, c'est une instance consultative pour le maire de Montréal et le Comité exécutif de la ville. C'est la voix des jeunes Montréalais à la ville. C'est quinze membres bénévoles, dont je suis la présidente. Ce n'est pas nécessairement des représentants d'organismes, mais bien des jeunes. Leur implication sociale : qu'est-ce qu'on peut faire pour les jeunes Montréalais? Ce sont des gens aux études, qui travaillent, qui sont âgés entre seize et trente ans. On s'intéresse aux préoccupations des jeunes de douze à trente ans. Donc, les enfants rentrent un peu là-dedans, voilà pourquoi on se sentait interpellés aujourd'hui.

On travaille, on émet des avis. On crée des événements aussi. Mais, notre principal mandat, c'est de faire des avis. Donc, on a travaillé sur l'alimentation, l'obésité chez les jeunes, sur les gangs de rue. On a travaillé au niveau de la prostitution aussi, chez les adultes.

On pense au futur des jeunes et l'on pense que c'est important d'investir. Donc, on a aussi la perspective de développement durable. On a travaillé sur le transport en commun, sur le toit vert, sur la consommation responsable de l'eau, sur l'activité physique, le logement. Les sujets sont nombreux. Je remettrai à la greffière, une petite pochette qui vous donnera plus de détails.

On est un jeune conseil, nous en sommes à notre quatrième année seulement, mais on est déjà assez bien connu et bien implanté. On travaille, cette année, sur le sentiment d'appartenance des jeunes à la ville de Montréal et à leurs arrondissements. On travaillera encore cette année sur le transport en commun et alternatif, parce que c'est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. Parce qu'il existe d'autres façons que l'autobus quand on veut sensibiliser les jeunes.

Pour en arriver précisément au rapport, voici les quatre points que j'avais relevés. Je me permettrai de faire référence à mes notes pour bien représenter les membres et ne rien oublier.

Le CJM est particulièrement interpellé par l'éducation, les loisirs et l'activité culturelle. Tel que mentionné dans le rapport, le CJM partage les préoccupations du Comité à l'égard des obstacles financiers à l'enseignement postsecondaire auxquels se heurtent les étudiants à faible revenu. Plusieurs doivent concilier travail et études. Certains se devront de choisir le travail à un moment de leur parcours à cause des difficultés de la conciliation travail/ études.

Je parle en connaissance de cause puisque je suis aussi conseillère à l'emploi auprès de jeunes de treize à trente-cinq ans. Je vois souvent des jeunes, des jeunes mères monoparentales ou des jeunes décrocheurs qui décident de raccrocher avec toutes les responsabilités que cela comporte. C'est difficile pour eux de raccrocher surtout quand ils sont à faible revenu. Donc, c'est un point soulevé dans le rapport et que l'on trouvait fort intéressant.

On partage aussi le besoin émis par le Comité de rechercher des données pour combler le manque d'informations sur les enfants de rue alors qu'ils sont, en effet, un grand nombre dans cette situation. Il faudrait se documenter davantage pour avoir un portrait plus juste. Il y a de plus en plus de jeunes qui sont dans la rue, mais les données précises à ce sujet sont inexistantes. Les centres urbains tels que Montréal sont particulièrement touchés par cette réalité très préoccupante où les jeunes sans-abri sont en grand nombre et dont les enfants font malheureusement partie.

On explique ce phénomène par la pauvreté, par des situations de sévices, de négligence au sein des familles. Le fait d'obtenir ce portrait permettra de développer une stratégie d'intervention adéquate selon les besoins et surtout viser la réduction ou l'élimination de ce phénomène. Donc, c'est sûr qu'il faut avoir des stratégies.

Au Conseil jeunesse, on est parfois confrontés à cela aussi. Pour émettre des avis et donner des solutions, cela prend un portrait juste et établi. Le fait d'avoir ces données permettra de mieux s'orienter, et incitera les organismes à se mobiliser. Donc, c'est un point du rapport qui nous a paru très important.

Nous voulons aussi souligner dans le rapport l'importance accordée aux enfants d'origines ethniques diverses qui nécessitent une attention particulière face à leur vulnérabilité en terre d'accueil. La qualité variable des soins de santé et autres services offerts pour une équité envers tous les enfants. Cette réalité nous interpelle particulièrement dans les régions montréalaises qui est une ville de plus en plus multiculturelle.

En terminant, je souhaite mentionner notre intérêt commun pour le phénomène de la prostitution pour lequel le CJM a émis un avis cette année. Notre avis portait sur la prostitution de rue adulte car nous devons nous limiter dans les champs de compétence municipale. Mais, nous sommes très conscients que les enfants sont aussi concernés par ce phénomène et votre action pourrait être complémentaire à la nôtre.

Nous sommes le Conseil de la ville de Montréal, donc c'est sûr qu'on doit émettre des avis, des recommandations qui sont de champs de compétence municipale. Des fois, on voudrait tellement, mais je crois qu'en parlant ensemble, en mettant nos intérêts en commun, cela peut avoir plus d'un effet au niveau de la prostitution de rue, au niveau des jeunes. On a des intérêts communs et c'est pour cela que même si nos avis sont des actions locales ou municipales, il y a plusieurs recommandations qui peuvent être adaptables à plus grande échelle aussi.

Donc, on soumettra nos avis aussi en consultation. Et, si vous pouvez regarder notre avis sur les gangs de rue et la prostitution de rue, cela pourrait être complémentaire à votre étude.

Ce sont les quatre points que je voulais soulever. Je vous remercie grandement pour cette invitation. En tant jeunes, le comité est une plateforme idéale pour se faire entendre. La jeunesse c'est le futur. Le Conseil jeunesse est une belle école pour apprendre à être des citoyens responsables. C'est en nous encourageant à prendre notre place et en nous invitant comme cela qu'on va réussir.

[Traduction]

Le sénateur Munson : L'un ou l'autre pourrait répondre à cette question. Tout à l'heure, le Dr Julien a évoqué la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et il a utilisé l'expression « un don de Dieu », mais Dieu, qui qu'il soit ces jours-ci, ne livre pas la marchandise, puisqu'on est en train de réduire les ressources. Il a parlé des ressources à Hochelaga. J'ai l'impression qu'il est en train de livrer une bataille qu'il risque de perdre dans les quartiers défavorisés de Montréal, et ce ne sera pas par manque d'engagement et de courage de sa part.

Mme Filiatreault, vous avez parlé du travail fait auprès des gangs et des jeunes de la rue, de la protection des jeunes, et ainsi de suite.

Nous entendons toujours parler de querelles entre les provinces et le gouvernement fédéral sur les champs de compétence — or, là encore, il n'y a pas de frontière : ce sont les enfants qui en font les frais. Vous avez également parlé des Parlements des jeunes. Comment passer de ces discussions que nous avons eues à l'échelle du pays avec différents groupes sur les droits de l'enfant à quelque chose de concret, comment faire pour franchir la dernière frontière et faire en sorte que ce damné dossier soit réglé à Montréal et ailleurs au pays?

[Français]

Mme Filiatreault : Je pense que le Conseil jeunesse est déjà une bonne plateforme pour s'exprimer. Il y a quand même une volonté d'avoir l'opinion des jeunes à la ville de Montréal. On est toujours confronté, effectivement, au manque d'argent. Et, il y a des chicanes. Montréal n'a pas de sous, il faudrait aller au fédéral ou au provincial.

Ce ne sont pas les idées qui manquent. On est chanceux au Conseil jeunesse, on est bien écouté. Je pense qu'il faut travailler dans un sens de continuum aussi, de concertation. Il faut que tout le monde s'assoit ensemble et ait une vision commune et à long terme. Je parle aussi d'avoir de la récurrence dans les projets. Ce qui arrive souvent, c'est qu'il y a de bonnes idées, il y a de beaux projets qui se font et, malheureusement, cela ne dure qu'un an ou deux. Quand on travaille avec les jeunes, c'est un lien de confiance qu'il faut établir. Cela prend du temps. Pour cela, il faudrait que tout le monde s'assoie ensemble pour assurer qu'il y ait des projets. Il ne faut pas réinventer la roue mais il faut assurer une récurrence dans les projets.

Au niveau de la place de Montréal face à cela, le Conseil jeunesse, c'en est une. On est écouté. C'est sûr que cela va toujours être un cheval de bataille, parce que ce n'est pas dans les priorités.

Je suis allée dans une rencontre ce matin, justement, en arrondissement pour rencontrer des élus, leur dire que c'est important la jeunesse, de ne pas les oublier dans leur orientation. Et, les gens me disent : « Marilou, on a des rues à réparer, on a des infrastructures à réparer ». Pour parler en jeune, je leur dis que ce n'est pas « in », la jeunesse de temps-ci.

Si on n'investit pas dans la jeunesse, quel avenir va-t-on avoir? C'est bien beau investir sur les rues, mais il faut aussi offrir des services aux jeunes. Je parlais juste de l'offre de services de la ville pour les jeunes de 18-30 ans. Des cours de pétanque, je ne suis pas sûre que les jeunes de 18-30 ans sont intéressés. Les cours de courte-pointe. Ou s'inscrire dans un cours de photos, mais c'est juste des 40 ans et plus. Est-ce qu'on va y aller à cela? Pourquoi ne pas offrir des cours de hip-hop? Oui, mais cela fait peur. Des gens d'un arrondissement me disaient : « On fait des cours de salsa et de tango, sur le bord de l'eau ». Je réponds : « Ah! C'est intéressant. Pourquoi pas des cours de hip-hop? » Ils m'ont dit : « Vous savez, madame, le hip-hop cela vient avec d'autres problèmes. »

Mais là, il faut aussi arrêter d'avoir peur d'avoir peur. C'est de sensibiliser la population qu'un jeune avec la casquette de côté et le fond de culotte un peu trop bas, n'est pas nécessairement un délinquant. Et à ce niveau-là aussi, il y a beaucoup de travail à faire auprès de la population adulte. Ce n'est pas nécessairement des personnes plus âgées qui sont victimes d'âgisme, les jeunes en sont aussi victimes. Je suis une conseillère en emploi et souvent les employeurs répondent : « Ah, mais c'est un jeune ». C'est de dépasser cette barrière-là aussi.

Donc, il y a beaucoup de sensibilisation à faire autant au niveau du politique que de la population, quant à la place aux jeunes et de leur offrir des vrais services.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Monsieur Parfitt, êtes-vous d'accord pour dire que les gouvernements ne font pas la promotion de quelque chose qu'ils n'ont pas mis en œuvre? S'ils étaient à jour, la ratification c'est bien beau, mais si la mise en œuvre n'a pas été assurée, ils n'en font pas la promotion au moyen de grands panneaux publicitaires ou de services publics de promotion. L'engagement devient alors très limité.

M. Parfitt : Je pense que la question que vous soulevez, sénateur Munson, est un problème de longue date associé à une approche fondée sur les droits. Pour que les choses bougent, il faut qu'il y ait une volonté ou un engagement politique. Comment s'assurer cela? D'où cela émane-t-il?

Je pense que nous aurions énormément d'engagement politique si nous baissions l'âge électoral à 12 ans. Là, tout d'un coup, on se rendrait peut-être compte que les politiciens réagissent de façon beaucoup plus positive. C'est parce que les enfants sont vulnérables et qu'ils n'ont pas encore le droit de voter et de prendre des décisions concernant leur propre vie qu'il y a problème.

Cela étant, vous me demandez comment faire en sorte de nous assurer cet engagement? Bien entendu, une des choses que vous avez recommandées est l'institution d'un organisme de surveillance pour faire pression sur le gouvernement et l'obliger à faire rapport publiquement sur la non-mise en œuvre de la Convention. Celle-ci a été ratifiée, et il y a eu beaucoup de discussions autour des principes, de même qu'il y a eu beaucoup d'adhésion à la Convention, mais dès qu'il est question d'espèces sonnantes et trébuchantes, là, l'engagement n'est plus le même.

Comment le rendre exécutoire? Les groupes d'ONG devaient avoir plus de moyens pour rendre ces enjeux plus politiques. Je pense que les organismes de défense des droits de l'enfant devraient être parrainés, et qu'il devrait y avoir un forum pour soulever ces questions. Comme l'a mentionné ma collègue, les jeunes ont besoin d'être entendus de façon constructive, et je ne parle pas uniquement du Parlement des jeunes qui a lieu une fois par année, mais de la nécessité de les intégrer à l'action communautaire. En effet, les jeunes devraient avoir un rôle au sein du pouvoir local où leur voix sera non seulement entendue, mais prise en compte.

Il y a des façons de concrétiser ces objectifs, mais il faudra commencer à un échelon inférieur. Ainsi, la société dans son ensemble devrait s'engager en faveur de cette approche. Si on se contente de faire intervenir les ministères des Finances et les Conseils du Trésor, là, on se heurtera à un véritable problème, car la voix qui compte ne sera pas entendue. Les priorités sont établies, pas en fonction des intérêts supérieurs des enfants, mais en fonction d'autres critères.

Si nous faisions notre travail préparatoire convenablement, nous pourrions alors être en mesure de montrer au gouvernement que l'investissement dans les enfants est un bon investissement financier et économique, car sans cela, nous paierons trois fois le prix.

En ce qui concerne la prévention, nous essuyons trop souvent des échecs — nous devons composer avec les difficultés avec lesquelles nous sommes aux prises actuellement, souvent au niveau tertiaire, nous devons établir davantage de centres de détention pour jeunes et nous devons prendre en charge plus d'enfants. Ces façons de s'attaquer aux problèmes sociaux sont extrêmement coûteuses. C'est pourquoi nous devons convaincre les responsables des politiques d'investir dans la prévention. Les responsables des politiques doivent examiner les questions touchant les enfants à travers le prisme de la Convention. Ils doivent comprendre qu'en ratifiant une convention, le Canada s'engage à mettre en œuvre les diverses dispositions touchant les enfants.

La sensibilisation s'impose. Les responsables politiques aux échelons fédéral, provincial et municipal doivent comprendre le sens de ces articles, et on doit leur fournir de bons conseils sur la façon de les mettre en œuvre. Les bons exemples pratiques abondent, même ici au Canada. L'ennui, c'est que c'est fragmenté et que, souvent, ils ne sont pas communiqués aux divers organismes qui devraient les connaître.

Le sénateur Munson : Peut-être les gouvernements provinciaux et fédéral peuvent-ils tirer des leçons du Conseil jeunesse de Montréal et du Dr Julien, et peut-être cela les amènera-t-il à être attentifs.

Le sénateur Poy : Monsieur Parfitt, vous avez dit dans votre exposé que la Convention n'a pas été adaptée au Canada. Après la publication du rapport sur le Canada, que pourrez-vous faire en termes pratiques, à titre de membre du comité de l'ONU? Quelles mesures pourriez-vous prendre en cas de non-conformité?

M. Parfitt : C'est une bonne question, une question avec laquelle le comité est aux prises. C'est justement une des questions que nous avons fait valoir auprès de Louise Harbour en sa qualité de Haut Commissaire. Il n'existe pas de disposition pour ce qui est de la façon dont le comité doit traiter le rapport une fois les observations finales faites.

En revanche, ce que nous avons recommandé, et ce que certains États parties ont fait, c'est qu'on a invité le président et le rapporteur à se rendre dans les pays respectifs pour passer en revue les observations finales, paragraphe par paragraphe.

J'ai eu le privilège d'être rapporteur pour la Thaïlande il y a environ une année et demie, et peu de temps après que nous ayons fait notre rapport, le président et moi-même avons été invités à nous rendre en Thaïlande pour aider le gouvernement et divers organismes du pays, y compris des ONG, à passer en revue les conclusions du rapport et à en discuter.

À ce moment-là, ils nous ont posé des questions du genre : « Qu'est-ce que vous entendez par ceci? Et comment faire pour mettre en œuvre cela? » Les recommandations étaient très générales. Ils nous disaient « Nous aimerions vous parler davantage des frustrations que ressent notre pays, de la vague massive de migration en provenance d'autres pays, et des réfugiés et des chercheurs d'asile d'autres pays, et vous dire à quel point la mise en œuvre de la Convention nous frustre. »

Nous avons écouté, fourni quelques solutions; à la lumière de notre expérience internationale, nous sommes en mesure de mettre en commun les bonnes pratiques observées dans d'autres pays.

Il en va de même, par exemple, pour la question de la surveillance indépendante, en ceci que nous avons observé comment d'autres pays de par le monde assurent une surveillance indépendante de la Convention. En tenant compte de la constitution des différents pays, de leur système de gouvernement, c'est-à-dire si c'est un pays fédéral ou unitaire, nous pouvons leur fournir des conseils qui, d'après notre observation, leur permettront de mettre en œuvre les dispositions.

Cela dit, je pense qu'un problème réel subsiste. Il n'est pas abordé par la Convention elle-même, mais c'est une de nos recommandations qui s'est révélée efficace.

Le sénateur Poy : Est-ce que vous traitez le Canada de la même façon?

M. Parfitt : Nous n'avons pas été invités à le faire. Je n'étais pas présent au moment où le rapport a été fait, et je crois comprendre que nos dernières observations finales remontent à 2003. Que je sache, aucun membre du comité n'a été invité au Canada pour discuter de ces recommandations.

Cela étant, les membres du comité ont été invités à s'entretenir avec votre groupe. C'est un pas dans la bonne direction qui, à tout le moins, vous permettra de voir quels aspects le Canada devra améliorer.

Le sénateur Poy : Madame Filiatreault, votre organisme existe depuis environ quatre ans maintenant. Comment est-il financé? Combien de bénévoles travaillent avec vous?

Je poserai une question complémentaire, car vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour faire votre exposé. Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont on traite un groupe de jeunes personnes ou une jeune personne en particulier? J'aimerais que vous nous décriviez exactement comment les choses se passent pour que nous ayons une meilleure compréhension de votre action.

[Français]

Mme Filiatreault : Le Conseil jeunesse existe depuis quatre ans et est financé par la ville. C'est la ville de Montréal qui nous accorde un budget de fonctionnement annuel, qui nous permet d'avoir une personne à temps plein, soit une coordonnatrice et une secrétaire à mi-temps et aussi certains sous pour nous permettre de faire des avis structurés sur des sujets, et d'engager des agents de recherche en contrat de service. Les autres membres sont 15 bénévoles qui accordent leur temps les soirs, les week-ends, pour travailler en sous-comité.

L'idée est de travailler à faire notre place dans le milieu des jeunes, mais c'est aussi de connaître la ville. On travaille beaucoup en mentorat. Je suis chanceuse, j'ai un mentor à la ville. Pour m'aider lors de présentations comme aujourd'hui ou concernant le fonctionnement complexe de la ville. On est des jeunes, on ne connaît pas tout, mais c'était une belle recommandation qu'on avait de dire : il faut faire de la place aux jeunes, mais il ne faut pas perdre toute l'expérience qu'il y a.

Donc, travailler ensemble, c'est la manière que l'on fonctionne. Alors pour répondre à la première question, on est financés entièrement par la ville. C'est vraiment le maire de Montréal qui a décidé que c'était important d'entendre les jeunes, d'avoir la voix des jeunes à Montréal. C'est son Conseil, mais on demeure apolitique.

Je vois les têtes se relever, mais on n'est pas politiques, on est là pour les jeunes, c'est la voix des jeunes. Donc, peu importe, on est autonomes dans nos façons de dire et de penser. Notre approche c'est de faire des recommandations et jamais vous allez entendre le Conseil jeunesse faire des revendications. On a toujours une approche de collaboration.

On est là pour travailler en collaboration avec la ville et ses services et cela va dans les deux sens. Donc, le maire peut nous mandater pour travailler sur un sujet. Pour vous donner un exemple, il nous a dit : « Il y a peu de jeunes qui travaillent au niveau de la Fonction publique. » Effectivement, le renouvellement de la Fonction publique le préoccupait. « Vous êtes des jeunes, trouvez-moi des solutions ». On a donc soumis des stages rémunérés à la ville, pour des jeunes immigrants ou de jeunes présentant des handicaps.

C'est une voie plus facile pour rentrer à la ville. Puis ensuite, cela peut donner une chance aux gens de connaître le travail à la ville, et de poursuivre après. Depuis le 11 septembre 2006, il y a 65 stagiaires qui sont à la ville, de différentes cultures, avec des handicaps, tous des jeunes. C'est une nouvelle façon et toujours dans la perspective de les garder par la suite.

À titre d'exemple concret : je suis une personne de terrain, qui travaille avec les jeunes dans un Carrefour jeunesse emploi. C'est donc un peu mon apport à la ville, mon expérience terrain. Souvent, cela vient aussi des observations des membres. Et moi je travaille à tous les jours avec des jeunes. C'est un libre service, donc, un jeune peut m'arriver avec deux sacs de vidanges, et me dire : « Je viens pour me chercher un emploi. » Je dis : « D'accord. Pourquoi veux-tu chercher un emploi? » — « Parce que ma mère m'a mis dehors. » Donc, ma première question est : « Où tu vas coucher ce soir? »

Un exemple dans le continuum, c'est vraiment de prendre les jeunes où ils sont, de trouver des services et de les référer du mieux qu'on peut, face à ce que l'on voit. Je pense que c'est notre plus grand succès.

C'est de travailler aussi en pré-prévention. Moi, je suis responsable d'un projet qui s'appelle « Passage primaire/ secondaire ». On sait qu'il y a beaucoup de décrochage scolaire. Est-ce que les jeunes décrochent en Secondaire I? Non, bien sûr que non. Mais s'ils prennent une année de retard, si c'est difficile de s'adapter au secondaire, quand tu arrives au Secondaire III puis que tu as du retard, c'est là que tu décroches.

Donc, c'est quoi travailler en pré-prévention? C'est de travailler avec les élèves de 6e année pour favoriser, démystifier le passage à l'école secondaire, pour qu'en Secondaire I, on ne voit pas de chute dans leurs notes. Pas de chute au premier, pas de retard, donc prévention du décrochage.Voilà un beau succès que l'on a depuis quatre ans, à Lachine. Je rencontre les élèves de 6e année, afin de démystifier et répondre à toutes leurs questions. La plus grande peur des jeunes de 6e année face au Secondaire, c'est de se perdre dans les corridors. Cela paraît ridicule comme cela, parce que cela fait longtemps qu'on est passés par là.

Cela est un exemple de projet, sur le terrain, avec des jeunes. Que de les référer dans les services, de les accueillir où ils sont et de cheminer avec eux. Et cela ne se fait pas sur un espace de temps. Je peux ensuite suivre le jeune pendant plusieurs années. Le jeune qui est en 6e année, il me voit à l'école secondaire, parce que je suis aussi à l'école secondaire une journée par semaine. Cette façon de suivre les jeunes, est un exemple précis dans mon travail, qui pourrait répondre à votre question.

[Traduction]

Le sénateur Poy : Est-ce que vous devez demander du financement chaque année?

[Français]

Mme Filiatreault : Pour le Conseil jeunesse?

Le sénateur Poy : Oui.

Mme Filiatreault : Non, effectivement. On est constitué par règlement et notre salaire est inclus dans les budgets de la ville. Donc, ce n'est pas une préoccupation que l'on a à chaque année. La beauté dans le règlement, c'est que pour chaque avis qui est émis, il doit y avoir une réponse écrite. Donc, les élus, l'administration publique, par règlement, doit répondre à tous les avis qu'on émet. C'est une belle façon, parce que les gens me disent : « Oui, c'est bien beau un Conseil jeunesse, mais qu'est-ce que cela donne réellement? Est-ce que vous êtes juste là pour faire beau, puis que c'est politiquement correct d'avoir un Conseil jeunesse, mais après cela, on ne les écoute pas? »

Non, dans le règlement, ils doivent vraiment avoir des plans d'action sur les avis qu'on émet. Puis bien sûr, c'est à nous de faire le chien de garde de nos avis, mais jusqu'à maintenant, on a de beaux succès. Cela fait seulement quatre ans, et les stages que je vous ai nommés, c'est une belle réalisation. Il y a eu une politique culturelle, et quatre recommandations faites par des jeunes sont textuellement dans la politique culturelle. Donc, on a une belle écoute à la ville. Mais on n'a pas à trouver des sous. Déjà que ce sont des bénévoles qui prennent de leur temps, et c'est vraiment beaucoup de temps. Ce sont vraiment des citoyens responsables, mais c'est aussi un apprentissage. Parce que je vous avoue que les jeunes, quand ils arrivent au Conseil jeunesse, ils pensent changer la ville. Il s'agit de leur apprendre que la ville, c'est une machine, c'est lourd et c'est à petits pas. Mais cela prend aussi l'écoute au niveau des élus.

Puis les jeunes quand disent : « On veut cela. » La recommandation a été faite en 2003, cela passe en 2006, cela aura pris trois ans. Cela réussit, mais lentement. C'est à nous aussi de faire les efforts par rapport à cela.

Plus on impliquera les gens, plus on fera du mentorat avec les jeunes, plus on les aidera à prendre leur place, mieux cela fonctionnera. Cela prend des invitations comme la vôtre, pour se faire entendre. De plus, je pense que de l'inter génération, on a beaucoup à apprendre de cela.

[Traduction]

Le sénateur Nancy Ruth : Je pense que l'idée de faire passer l'âge électoral à 12 ans est brillante. Commencez à faire pression sur votre gouvernement provincial pour qu'il change la Loi sur les municipalités.

J'ai deux questions. La première concerne les droits et les conflits, et comment concilier les deux dans une société libre, juste et démocratique. La deuxième porte sur les activités de promotion. Nous avons récemment appris que les subventions fédérales accordées à Condition féminine Canada ne seront plus autorisées à des fins de promotion. Avez-vous, l'un ou l'autre, entendu dire que les subventions que vous recevez à des fins de promotion pourraient être réduites?

M. Parfitt : La question de la conciliation des droits n'est pas facile. En effet, les tribunaux en sont saisis tous les jours, et les travailleurs sociaux doivent composer avec tous les jours. Il y a toujours des droits et des responsabilités concurrents, peu importe la loi ou le traité dont il est question.

Je pense qu'il est important de garder une vue d'ensemble de ces documents : quel est le préjudice que nous essayons de corriger au moyen de cette convention ou de ce texte législatif, et procéder à rebours. C'est faisable.

S'il s'agit d'un procès, par exemple : qu'en est-il des relations familiales quand le procès porte sur la garde ou la question d'accès? En vertu de la Convention, l'enfant a le droit d'être entendu et d'être pris en considération. Cela étant, la Convention reste muette quant à la limite d'âge. Pour notre part, nous soutenons que si un enfant est capable de comprendre ce qui se passe autour de lui, il doit alors avoir voix au chapitre, peu importe son âge. Si l'enfant est trop jeune, quelqu'un devra alors le défendre d'une façon quelconque. Cette voix mérite aussi d'être prise en compte, mais, en dernière analyse, les tribunaux doivent prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant, à la lumière de la Convention. Cela dit, l'intérêt supérieur de l'enfant risque d'être différent de ce que l'enfant souhaite.

Un exemple classique est illustré par un cas auquel j'ai travaillé quand j'étais encore au ministère en Colombie-Britannique; il s'agissait du cas d'un jeune enfant atteint du cancer. Le jeune enfant en question devait subir une intervention chirurgicale, et on devait lui amputer un membre. Le médecin devait obtenir le consentement de l'enfant, et l'enfant disait « Non, je ne veux pas qu'on m'ampute d'un membre : je serai handicapé pour le restant de mes jours. »

Le jeune enfant en question avait 14 ans. L'État devait alors intervenir et ordonner la chirurgie, prétextant que l'enfant aurait une vision différente du monde à l'âge de 19 ans.

Dans certaines circonstances, nous écoutons l'enfant et prenons en considération son point de vue, mais son point de vue ne sera pas forcément la solution retenue. Ces questions sont difficiles à trancher, et elles exigent un degré de sensibilité afin de concilier les différents intérêts.

[Français]

Mme Filiatreault : Je pense que je n'ai rien à rajouter sauf, si ce n'est que de dire que oui, peut-être voter à l'âge de douze ans, mais notre objectif, c'est de les faire voter à dix-huit ans. Le taux de votes des 18-30 ans, est tellement faible.

Le sénateur Ruth : You'd get more money though, from your city councillors, if they were voters.

Mme Filiatreault : Oui, mais on travaille déjà très fort à faire voter les 18-30 ans, à les informer. Ils sont désillusionnés face à la politique. Ils disent : « De toute façon, cela changera quoi, Marilou ». C'est de leur prouver le contraire.

Vous connaissez peut-être le projet « Électeur en herbe », qui se passe dans les écoles. Il s'agit d'encourager un vote symbolique, avec de vraies élections et de vrais élus. En fait, c'est une simulation. Que ce soit une élection fédérale, provinciale ou municipale, on parle de tous les candidats et il y a un vrai vote. On essaie de les sensibiliser. Je pense qu'il faut commencer par les 18 à 30 ans, avant les 12 ans.

Le sénateur Pépin : Malheureusement, vu qu'il me reste à peu près une minute et demie, je vais m'adresser à madame Filiatreault.

Vous avez dit que vous manquiez d'information sur les enfants de la rue, et sur les actions complémentaires en prostitution. Et comme actuellement, la prostitution augmente de plus en plus chez les adolescentes, quelles sont les actions complémentaires dont vous auriez besoin? Quelle est votre plus grande difficulté actuellement, pour composer avec ce qui vous manque?

Mme Filiatreault : C'est sûr que nous, on est limités au niveau de la prostitution adulte, donc dix-huit ans et plus.

Le sénateur Pépin : Mais vous êtes un groupe de jeunes.

Mme Filiatreault : On est un groupe de jeunes, mais la ville n'a pas de champ de compétence au niveau des jeunes, de la prostitution jeunesse. Les champs de compétence sont au niveau des dix-huit ans et plus. Et l'on sait très bien que la prostitution, cela commence très rarement à dix-huit ans. C'est sûr que nos recommandations vont dans le sens de favoriser l'accompagnement des prostituées dans les démarches à la Cour et à l'accès aux ressources. C'est bien beau d'avoir une intervention policière plus flexible au niveau des jeunes femmes prostituées, jeunes adultes.

Le sénateur Pépin : Entre deux adultes consentants, cela devrait être possible.

Mme Filiatreault : C'est cela. Mais de travailler au niveau de l'employabilité et du logement. Pour les sortir de ce milieu-là, cela ne sert à rien de faire des interventions si on ne leur donne pas un emploi, parce qu'ils vont retourner dans la rue.

Je travaille avec des jeunes de la rue, qui sont en prostitution. Donc, c'est au niveau de l'employabilité, c'est au niveau du logement. Mais au niveau des enfants, comme nos recommandations ne pouvaient pas être axées là-dessus, je pense que le côté adulte et le côté enfant ensemble, cela pourrait avoir une belle portée d'action.

Le sénateur Pépin : Avec l'expérience que vous avez, est-ce que vous pensez que la Loi devrait être amendée, et que ce qui se passe entre deux adultes consentants, cela devrait être permis ou pas? Si vous ne voulez pas répondre, soyez bien à l'aise.

Mme Filiatreault : Entre deux adultes, peu importe l'âge?

Le sénateur Pépin : Je dis des adultes, évidemment, à partir de l'âge de vingt ans, je ne le sais pas trop. Vingt ans, on est considérés adultes, on vote à dix-huit ans.

Mme Filiatreault : Oui, on vote à 18 ans.

Le sénateur Pépin : Parce qu'actuellement, on les prend, on les condamne et on les met en prison. On met des policiers, juste pour surveiller, pour voir s'il y a un client qui semble faire des approches à une prostituée, puis il y en a des fois où ils sont plus âgées que 20 ans. Mais vous n'êtes pas obligée de vous embarquer là-dedans.

Mme Filiatreault : Mais je pense qu'il faut prendre le problème de la prostitution dans un phénomène global. Ce sont des personnes vulnérables, qui ont plusieurs problématiques, de consommation. Est-ce que cela concerne le rapport entre deux adultes consentants, dans ce cas-là? C'est difficile à dire. Parce que ce sont des gens qui vivent des situations difficiles et je pense qu'ils ont besoin d'aide.

Le sénateur Pépin : S'ils avaient du travail, probablement qu'ils n'en seraient pas là.

Mme Filiatreault : Travail et logement aussi.

La vice-présidente : Merci beaucoup. Thank you, Mr. Parfitt. Merci beaucoup, madame Filiatreault. Vos présentations étaient très intéressantes.

[Traduction]

La vice-présidente : Chers collègues, nous avons deux autres groupes de témoins à entendre cet après-midi. Janet Dench représente le Conseil canadien pour les réfugiés et Claude Malette et Marian Shermarke le PRAIDA. Nous allons commencer avec Mme Dench.

[Français]

Janet Dench, directrice exécutive du Conseil canadien pour les réfugiés : Madame la vice-présidente, merci beaucoup de l'invitation. Je suis honorée d'être ici au nom du Conseil canadien pour les réfugiés, qui est un organisme de regroupement. Le CCR a environ 170 organismes membres à travers le Canada et notre mandat est de lutter pour la protection des réfugiés au Canada et dans le monde pour l'établissement des réfugiés et des immigrants au Canada.

[Traduction]

La question des droits de l'enfant interpelle au plus haut point le Conseil canadien pour les réfugiés, et il y a quelques années, nous avons publié un rapport sur l'incidence de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sur les enfants. Je crois savoir que le rapport a été distribué aux membres du comité.

Ce rapport a été publié en novembre 2004, et à l'époque, nous cherchions à examiner l'incidence de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sur les droits des enfants.

J'aimerais attirer votre attention sur un certain nombre de questions soulevées dans le rapport, et j'exhorte le comité, quand vous étudierez la question des droits des enfants, à examiner les droits des enfants à la lumière de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Nous nous sommes réjouis de constater dans cette loi, notamment, une plus grande reconnaissance des droits humains internationaux. En effet, selon une des dispositions de la loi, la loi doit être appliquée d'une manière qui est conforme aux obligations internationales du Canada en matière de droits humains. En outre, dans quatre endroits différents, on évoque expressément les intérêts supérieurs de l'enfant, et c'est un important pas en avant.

Cela étant dit, il y a aussi des préoccupations et des limites. En ce qui a trait en particulier à la question des intérêts supérieurs de l'enfant qui, bien entendu, est absolument centrale si on veut garantir la reconnaissance des droits des enfants, nous observons que la règle relative à la prise en considération des intérêts supérieurs de l'enfant ne s'applique pas à tous les aspects de la loi. En effet, elle n'est évoquée que dans quatre endroits spécifiques et, en fait, les autorités s'en sont servies pour dire que dans toutes les autres circonstances, il n'est pas indispensable de prendre en considération les intérêts supérieurs de l'enfant.

De plus, quand il est question des « intérêts supérieurs » de l'enfant, la loi dispose que ceux-ci doivent être pris en compte au lieu de disposer que c'est la principale considération, comme l'exige la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Nous avons soulevé un certain nombre de questions dans notre rapport, et je n'ai pas le temps de les aborder toutes, mais je voudrais néanmoins insister sur nos principales préoccupations en ce qui a trait à la réunification familiale, question qui touche, notamment dans les cas de séparation familiale, de nombreux enfants dans différentes circonstances.

Dans notre rapport, nous avons mis en relief un certain nombre de façons dont les enfants sont particulièrement pénalisés par les problèmes de séparation familiale. La première concerne les enfants seuls, c'est-à-dire les réfugiés qui arrivent au Canada tout seuls, sans leurs parents. En vertu de la loi, il n'existe pas de disposition qui permette leur réunification avec leurs parents et leurs frères et sœurs, alors que si un adulte arrive au Canada, et qu'il est reconnu comme réfugié, il peut alors ajouter sa conjointe ou son conjoint et leurs enfants dans sa demande de résidence permanente, et c'est ainsi qu'est réalisé l'objectif de l'unification familiale. Cela dit, s'il s'agit d'un enfant seul, celui-ci ne peut pas ajouter ses parents ou ses frères ou sœurs à sa demande, et les dispositions de la loi ne l'autorisent pas à demander la réunification familiale. C'est une préoccupation majeure pour nous.

Il y a également les problèmes liés aux tests d'ADN, et les effets de ceux-ci sur les enfants. Dans bien des cas, ces tests retardent la réunification familiale, et dans certaines situations particulièrement difficiles, les enfants découvrent — ou les parents découvrent — que l'enfant que l'on croyait être l'enfant biologique du père, ne l'était pas. Ce genre de découverte a un effet carrément dévastateur sur la vie de l'enfant.

Nous voulons aussi signaler un problème réglementaire relativement à ce que l'on appelle la catégorie des membres de la famille exclus, instaurée en 2002 par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. En effet, cette disposition exclut de la famille tout membre d'une famille qui n'a pas été examiné au moment où le parrain est arrivé au Canada. Cela signifie que la disposition touche les enfants. Nous avons vu des cas où un enfant a été considéré comme ne faisant pas partie de la famille simplement parce que l'enfant en question n'a pas été examiné par un agent de l'immigration quand le parent a immigré au Canada.

Je veux aussi insister sur une barrière, celle des droits exigés pour une demande de résidence permanente. Cette barrière a une incidence sur les enfants seuls qui font une demande ici au Canada et qui sont reconnus comme réfugiés. Pour obtenir le statut de résident permanent, ces enfants doivent payer 550 $, ce qui est un montant faramineux pour un enfant qui, souvent, vit dans la pauvreté au Canada. À notre avis, il n'est pas normal que le Canada dise à un enfant : « À moins que vous ne payez le montant exigé, vous allez devoir vous passer du statut de résident permanent au Canada. »

Je me fais un plaisir d'aborder d'autres questions soulevées dans notre rapport, mais je voudrais terminer mon exposé en vous faisant part d'une inquiétude que nous avons par rapport à certains arguments que vous avez entendus de la part du gouvernement qui tentait de justifier ses politiques. En de nombreuses occasions, nous avons vu comment le gouvernement parle de la nécessité de protéger les droits des enfants, alors qu'il se sert de cet argument pour nier les droits aux enfants.

À titre d'exemple, je parlerai du problème des retards dans la réunification familiale. Quand un enfant se trouve à l'étranger et qu'il doit attendre longtemps pour être réuni avec sa famille, le gouvernement nous dit que nous devons faire attention avant de réunir un enfant avec ses parents, et ce, en raison des risques de traite d'enfants. Cet argument est utilisé sans qu'on évoque un danger dans un cas particulier de traite, mais on se contente d'évoquer le principe général. En effet, nous avons entendu le gouvernement avancer cet argument à de nombreuses occasions au fil des ans. Or, il nous paraît pervers d'avancer un argument en faveur de la nécessité de protéger les enfants, puis d'utiliser ce même argument pour justifier ce qui manifestement est une violation des droits de l'enfant en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Je discuterai volontiers de ces questions avec vous.

Claude Malette, directeur, Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile (PRAIDA) : Madame la vice-présidente, nous vous remercions pour cette opportunité qui nous est offerte de vous présenter le travail du PRAIDA et, plus particulièrement, nos interventions auprès d'une clientèle spécifique, que sont les mineurs non accompagnés.

Le PRAIDA est une nouvelle direction, c'est un nouveau programme, le Programme régional d' accueil et d' intégration des demandeurs d' asile. Il a une juridiction territoriale régionale, à vocation provinciale, et il s'insère au sein du Centre des services sociaux et de santé, le CSSS de la Montagne, qui regroupe trois CLSC, notamment le CLSC Côte-des-Neiges, qui est le CLSC auquel nous avons toujours été rattachés, préalablement, lorsque le PRAIDA était scindé en deux services, notamment le Service d'aide aux réfugiés et immigrants du Montréal métropolitain, le SARIMM, et la Clinique santé accueil, qui était une clinique santé autonome.

Depuis le mois de juin, nous avons fusionné les deux entités et nous relevons, bien sûr, du ministère de la Santé et des Services sociaux, au sein du CSSS de la Montagne.

Nos clientèles cibles sont essentiellement les demandeurs d'asile, ainsi que les personnes avec un statut migratoire défini, qui se retrouvent dans un état de vulnérabilité et qui ont des besoins complexes, souvent sans couverture médicale, ainsi que les personnes aux prises avec des problèmes de régularisation de statut et qui rencontrent des difficultés d'accès aux services sociaux.

On peut penser aux personnes qui ont été refusées à la CISR; aux personnes qui sont en processus de révision judiciaire à la Cour fédérale; aux personnes éligibles au programme d'examen des risques avant renvoi; aux personnes en demande de résidence permanente pour motifs humanitaires; aux personnes refusées mais sous programme des pays moratoires; aux personnes ayant perdu leur résidence permanente; aux personnes désireuses de demander le statut de réfugié, mais qui ne se sont pas encore présentées à l'Immigration; aux personnes sujettes à un bris de parrainage ou aux personnes qui sont arrivées avant la fin du processus d'immigration.

Toutes ces personnes en situation complexe de régularisation tombent sous notre mandat et nous leur offrons des services de santé et des services sociaux, ainsi que psychosociaux. Nous les accompagnons dans leur parcours migratoire, en leur offrant les services de santé, avec la couverture du programme fédéral de santé intérimaire et au niveau social, dans le cadre d'information et d'accompagnement auprès des principales ressources, notamment en matière d'hébergement, d'éducation, auprès aussi des instances gouvernementales en rapport avec leur processus de demande d'asile, processus d'immigration.

Nous procédons à des évaluations biopsychosociales de leurs besoins. Nous les orientons vers les ressources variées. Nous les soutenons dans leurs démarches d'immigration. Nous donnons l'information pertinente. Nous avons aussi un volet important de notre programme, qui est le volet de la représentation désignée, qui s'inscrit dans le cadre d'une entente avec Citoyenneté et immigration Canada, afin d'assister toute personne sujette aux procédures de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et qui, en raison de son âge, soit qu'elle est mineure ou de sa santé physique ou mentale, inapte, n'est pas en mesure de comprendre la nature des procédures, ni d'être représentée par sa mère, son père ou son tuteur légal.

Nous avons, dans ce cadre, outre cette entente, des ententes avec l'Agence des services frontaliers, la CISR, la CIC, relativement au service de la représentation désignée, avec le ministère des Communautés culturelles pour des évaluations psychosociales des requérants inadmissibles au Canada et avec le service social international, concernant des demandes de liaison entre les organismes canadiens de service social et leur contrepartie à travers le monde.

Vous retrouverez dans la pochette d'information que l'on vous a distribuée, l'essentiel de notre offre de services et de notre clientèle dans le petit dépliant du PRAIDA. Vous retrouverez aussi le rapport annuel synthétique du CSSS de la Montagne, ainsi que deux documents exhaustifs, mais fort pertinents qui décrivent les services psychosociaux du PRAIDA, qui existaient à l'époque du SARIMM, mais qui sont toujours pertinents, ainsi qu'un document issu d'une recherche ciblant la situation des mineurs non accompagnés.

Concernant le volet de la représentation désignée et les mineurs non accompagnés, j'aimerais signaler que dans le sillon des recommandations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui recommandait la mise en place d'un mécanisme permettant de s'assurer qu'une personne majeure soit dûment mandatée pour assurer l'autorité parentale d'un mineur non accompagné demandant l'asile, il y a eu des comités de travail qui ont suivi un comité interministériel et qui ont consolidé une entente de principe relativement à l'actualisation et l'intégration des tutelles provisoires pour les mineurs non accompagnés, demandeurs de statut de réfugié.

Cette entente est sur le point d'être entérinée par les instances appropriées et vise le processus de désignation de l'autorité parentale par délégation ou par tutelle. Alors, il y aura possibilité d'une délégation d'autorité parentale, qui sera assumée dans le cadre de familles d'entraide avec l'appui et la supervision notamment du SARIMM.

Cette entente est intervenue entre le PRAIDA, la DPJ et les Centres jeunesse de Montréal et vise une délégation d'autorité parentale, soit une tutelle par un tiers ou une tutelle par la DPJ.

Ce sera un moment, on pourra dire, historique à l'égard des mineurs non accompagnés, puisque depuis plusieurs années, on souhaitait concrétiser juridiquement la délégation d'autorité parentale, par délégation ou par tutelle. Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, cela sera probablement chose faite.

J'aimerais maintenant laisser la parole à ma collègue, Marian Shermarke, qui est notre conseillère en immigration et qui intervient auprès des mineurs non accompagnés depuis plusieurs années, à titre de représentante désignée. Elle vous fera part de notre réalité à l'égard de cette clientèle vulnérable.

Mme Marian Shermarke, représentante, Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile (PRAIDA) : Madame la vice-présidente, je vous parlerai spécifiquement du travail que l'on fait sur le terrain, avec les enfants réfugiés. Notre travail consiste en deux volets : un premier volet est celui de protection. Quand on parle de protection, c'est tout l'accompagnement, de s'assurer que le droit des enfants est respecté surtout dans la détermination de leur statut d'immigration. Et pour cela, nous avons un contrat avec la Commission de l'immigration et du statut de refugié, pour être présents dans les audiences, quand il y a des mineurs non accompagnés.

Cette entente est formelle entre la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et notre service le PRAIDA. Nous préparons donc les jeunes pour leur audience, nous les accompagnons avec des préparations des avocats, pour que l'avocat tienne compte de l'âge de l'enfant et de la compréhension de l'enfant.

À l'audience, on est présents pour voir si les questions qui sont posées aux enfants sont des questions qui peuvent être saisies au niveau de l'enfant.

C'est sur que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a fait un pas en avant avec les directives sur les mineurs demandeurs du statut de réfugié. Par contre, nous trouvons que l'idéal serait qu'à la Commission, il y ait un panel spécialisé sur la problématique des enfants. Parce que ce volet d'intervention auprès des enfants nécessite une connaissance non seulement de la loi, mais une connaissance des différentes phases du développement de l'enfant, des différentes façons de communiquer avec les enfants et toute une expertise pour pouvoir solliciter le témoignage des enfants. Pour vraiment rendre la vie facile à ces enfants, il faudrait que cette expertise soit concentrée dans un groupe de personnes.

C'est ce que nous souhaitons, dans un monde idéal, pour faciliter la vie à ces enfants qui n'ont jamais été devant un tribunal et qui s'y trouvent pour la première fois.

Par contre, en ce qui concerne l'Immigration, Citoyenneté et immigration Canada qui est l'autre institution avec laquelle nous transigeons, le volet d'assurer la protection du statut de l'enfant, ainsi que l'Agence des services frontaliers du Canada, nous n'avons pas d'entente aussi définie. C'est vraiment toute une procédure que l'on essaie d'apprivoiser, sans les alerter à l'effet que notre présence est essentielle pour que les enfants soient à l'aise, que l'on puisse expliquer certaines hésitations de ces enfants.

L'Agence des services frontaliers du Canada est toute nouvelle, donc elle est moins développée dans cette approche-là avec des enfants, que Citoyenneté et immigration Canada, et je pense qu'il y a là encore beaucoup de travail à faire.

En ce qui concerne notre volet d'intervention, c'est tout le volet d'intégration sociale auprès de ces enfants. J'aimerais diviser en deux parties cette intervention d'intégration sociale auprès des enfants réfugiés.

Nous intervenons auprès des enfants séparés, mais nous intervenons aussi auprès des enfants qui sont accompagnés par leurs parents.

Je vais commencer par notre intervention auprès des enfants qui sont accompagnés par leurs parents. Il faut un accompagnement psychosocial auprès de ces parents, parce que ce sont des gens qui ont vécu des traumatismes, qui viennent d'arriver dans un milieu qui leur est complètement étranger et qui doivent interagir avec des systèmes qu'ils ne maîtrisent pas ou qu'ils ne connaissent pas.

Notre travail consiste donc à accompagner les parents pour augmenter leur capacité parentale. Néanmoins, il y a certaines difficultés et celles-ci sont plutôt dû à des obstacles structurels. Qu'est-ce que j'entends par obstacles structurels? C'est à différents niveaux. Sur le plan financier, par exemple, cela dépend des provinces, souvent il y a des provinces où les parents qui sont demandeurs d'asile n'ont pas accès aux allocations familiales.

Il y a d'autres provinces où ils ont accès à l'allocation familiale en partie. Ce sont donc des gens qui partent dans une nouvelle société où ils doivent pratiquement recommencer de zéro, en termes d'hébergement, en termes d'habillement et ainsi de suite. En même temps, on demande à ces familles de payer, comme Janet Dench l'a mentionné, les frais pour le traitement de leur dossier, s'ils sont acceptés, qui sont de 550 $ par adulte et 150 $ par enfant. Ils sont vraiment en panne financière pour pouvoir défrayer ces coûts.

Ce qui se passe souvent dans ces familles, c'est que ces frais seront payées aux dépens des enfants, parce que les enfants seront moins bien nourris, et cela pour pouvoir mettre de côté assez d'argent et répondre aux besoins de paiement de ces sommes.

Ce seul élément pose donc des difficultés. Par contre, au Québec, les enfants séparés se portent mieux dans ce contexte que les enfants qui accompagnent leurs parents. La différence est que ces frais de traitement du dossier, au moins au Québec, sont payés par notre institution, pour les enfants séparés.

Il y a donc une différence qui n'est pas négligeable. Un autre niveau où les enfants séparés peuvent se porter mieux que les enfants qui sont accompagnés par leurs parents, c'est tout le volet qui touche la détention des mineurs. Depuis la nouvelle loi de l'immigration, la Loi sur l'immigration et la protection du réfugié, il y a moins d'enfants séparés qui sont détenus. Donc, on voit que la Loi a apporté une amélioration dans ce champ d'intervention.

Par contre, on détient des enfants qui sont accompagnés par leurs parents. Or, je trouve que la détention n'est pas vraiment le lieu idéal pour quelque enfant que ce soit. Je pense que si on regarde la Convention aux droits de l'enfant, il faudrait trouver d'autres solutions pour ces familles monoparentales qui sont en détention à cause des documents d'identité et qui sont accompagnés par leurs enfants.

Je pense qu'il y a plusieurs solutions possibles. Des conditions peuvent être imposées à ces parents pour qu'ils se présentent à Immigration chaque fois, plutôt que de les détenir et de garder ces enfants en détention, parce que ce n'est vraiment pas un lieu idéal. Les enfants doivent se réveiller à 6 heures le matin, avec les parents. Question de nourriture, c'est toujours problématique, on est souvent interpellés pour intervenir auprès de ces enfants.

Il va de soi que des enfants qui sont nouveaux dans cette société, on ne les séparera pas de leurs parents non plus. Parce que si en tant que service social, on intervient auprès de ces enfants, cela veut dire que l'on doit laisser les parents en détention et séparer les enfants, les placer, ce qui serait encore plus traumatisant pour ces enfants.

En ce qui concerne le volet de réunification familiale, là aussi j'aimerais porter à votre attention deux problématiques. D'abord, celle que Janet Dench a déjà mentionnée, par rapport aux enfants séparés, qui n'ont aucune possibilité de réunification familiale.

Sur le terrain, on côtoie des enfants qui inconsciemment refusent de manger. Ils suivent d'ailleurs des thérapies auprès des psychologues. Ils sont rongés par la culpabilité d'avoir laissé les membres de leur famille dans des situations critiques et ils se sentent terriblement coupables de vivre dans un confort contrairement aux membres de leur famille.

Nous voyons quotidiennement que cela a un impact sur leur développement. Pour contrer ce phénomène, on essaie de faire un budget avec des enfants pour qu'ils puissent envoyer au moins 20,00$ par mois à certains membres de leur famille, afin de diminuer leur culpabilité. Cela serait idéal que quelque chose soit fait relativement aux besoins de réunification familiale des enfants séparés et demandeurs d'asile ou des enfants réfugiés séparés de leur famille.

L'autre problématique de la réunification familiale, concerne les parents réfugiés qui arrivent, qui sont acceptés et qui essaient d'amener leurs enfants sous le chapeau de la réunification familiale. La lenteur des procédures outre-mer est inacceptable. Et le problème que les services sociaux ont dans ce contexte, c'est qu'on n'arrive pas à avoir une intégration de ces personnes qui ont été acceptées. Souvent les gens sont vraiment pris avec une dépression énorme.

Surtout dans le contexte où leurs enfants sont restés dans des lieux ou dans des environnements où il y a des conflits, de la guerre et où les enfants sont à risques. Nous pensons que la solution est là aussi pour ces enfants, ils pourraient venir avec un permis temporaire. Le traitement de dossier pourrait se faire au Canada. Donc, il y a plusieurs alternatives que l'on peut regarder, pour accélérer cette réunification familiale, surtout des enfants qui sont restés dans des régions à risques.

Le sénateur Pépin : Je vous souhaite la bienvenue à tous les trois. Je dois avouer que j'ai lu votre rapport et j'ai été horrifiée de lire ce qui arrivait aux enfants. Je pense que cela n'a pas de bon sens, que ce soit des enfants séparés ou bien des enfants qui viennent avec leurs parents.

Je ne vous cache pas que j'ai été fort surprise de constater que ces choses arrivent chez nous. Premièrement, c'est que le lapse de temps n'a pratiquement pas d'allure, mais surtout que l'on mette des enfants en détention.

Vous parlez aussi de la lenteur des réunifications. Pourquoi croyez-vous que c'est si long que cela? C'est incroyable que cela prenne des mois, voire des années, avant que cela se produise. Je pensais que l'on avait un système d'immigration qui fonctionnait assez bien, mais au niveau des enfants je trouve que c'est excessivement pénible. Cela n'a pas de bon sens.

Vous dites que l'Agence a beaucoup de travail à faire, au niveau simplement de l'argent, mais surtout en regard de la lenteur des réunifications familiales. Pourquoi croyez-vous qu'il n'y en a pas de permis temporaires qui sont émis?

Mme Shermarke : Je pense que c'est parce qu'on n'a pas mis des mécanismes sur pied qui font que le traitement du dossier de ces enfants est prioritaire. C'est une première chose. Et la deuxième raison, c'est qu'il n'y a pas assez de ressources dans les ambassades pour accélérer le traitement des dossiers de réunification familiale.

Le sénateur Pépin : Alors, vous pensez que c'est de là que provient la lenteur?

Mme Shermarke : Il y a deux éléments.

Le sénateur Pépin : Ce n'est pas dans notre système ici.

Mme Shermarke : Avant tout, les dossiers de ces enfants ne sont pas prioritaires. Deuxièmement, il n'y a pas assez de ressources. Je vous donne comme exemple le bureau de Nairobi. Nairobi dessert toute l'Afrique de l'Est qui est vraiment une région où il y a des guerres et des conflits. Donc, le nombre de dossiers qu'il dessert est très élevé, alors que le nombre d'agents d'immigration sur place est de deux ou trois personnes, je crois.

Donc, cela explique. Mais je pense que ce qui serait essentiel, c'est vraiment de créer un mécanisme pour prioriser les dossiers des enfants.

Peut-être Janet pourrait ajouter quelque chose.

Mme Dench : Oui, c'est aussi une question que l'on se pose : comment cela est-il possible? Il faut noter aussi que c'est une question que les personnes dans cette situation se posent, et c'est souvent au désavantage de la personne qui est au Canada. Parce que le réfugié qui est au Canada parle à sa conjointe, souvent c'est un homme et c'est la femme qui est là-bas dans une situation difficile, avec les enfants. Les membres de la famille à l'étranger disent : ça ne se peut pas que ça prenne autant de temps. Ça doit être parce que vous ne faites pas ce qu'il faut faire pour nous faire venir. C'est parce que vous ne faites pas assez d'efforts ou parce que vous ne voulez pas qu'on vienne.

Il y a des hommes qui nous disent : « Ma femme dit que c'est sûr que j'ai trouvé quelqu'un d'autre, parce que sinon elle serait là avec moi. Donc, c'est moi qui empêche cela d'arriver. »

Et c'est vrai que l'on se pose la question : comment cela se fait-il qu'un pays comme le Canada, qui se dit être un pays d'immigration, un pays qui est bon envers les réfugiés, avec des réfugiés que l'on a acceptés, prenne deux, trois ans dans beaucoup de cas pour faire venir les membres de la famille. C'est incroyable.

Comme Marian vient de dire, il y a le manque de priorité. On comprend que les agents d'immigration sont énormément sous pression. On leur demande d'aller plus vite avec les étudiants, d'aller plus vite avec les demandes de visa économique, d'aller plus vite avec la réunification familiale. Tout est prioritaire et ils ne sont pas assez nombreux pour faire le travail. Ceci est un point important.

Ce qui est aussi difficile à comprendre, c'est le fait que les délais de traitement varient énormément selon la région. J'ai devant moi les derniers chiffres, qui sont sur le site Internet du ministère, ils nous donnent les chiffres pour savoir combien de mois cela prend pour finaliser la majorité des cas. On peut voir que cela varie énormément, dépendamment du poste de visa par lequel cela passe. C'est difficile à justifier, parce que normalement on devrait avoir une répartition des ressources suffisantes pour avoir un même délai de traitement dans tous les postes. Mais ce n'est pas le cas. Et c'est certain que souvent en Asie et en Afrique que cela prend le plus de temps.

Nous, on avait, depuis longtemps, recommandé au Ministère d'accepter ou de faire venir les membres de la famille du réfugié immédiatement au Canada et de faire le traitement au Canada.

À notre point de vue, c'est une perte de temps pour tout le monde que de les laisser à l'étranger. C'est mauvais pour les familles et c'est mauvais pour le Canada. Parce que si ces gens-là arrivent deux, trois ans plus tard, cela implique souvent des dépenses pour la société, parce qu'il y a des ruptures de famille, il y a des enfants qui sont en mauvaise santé parce qu'ils étaient dans un camp de réfugiés, des enfants qui ont manqué plusieurs années d'école. Donc, il y a plein de problèmes quand ils sont finalement réunis au Canada.

Donc, ce n'est pas logique, même si on regarde juste la question de l'intérêt de la société. Mais ce que l'on rencontre toujours du côté du gouvernement, c'est une réticence à faire venir des gens sur des papiers temporaires. Eux, ils ont une orientation politique qui se penche toujours en faveur du traitement à l'étranger pour des demandes permanentes. Et plus particulièrement, ils soulèvent les questions par rapport aux examens de santé et à l'identité. De notre côté, on pense que ces questions pourraient assez facilement être prises en charge. D'abord, pour la question de santé, chaque année, il y a des milliers et des milliers de personnes qui arrivent comme visiteurs. On a une façon d'évaluer s'il y a un risque de santé ou pas, et l'on pourrait certainement procéder de la même façon. S'il y a des risques de santé en particulier, on fait passer un examen de santé à la personne.

On comprend s'il y a des questions sur l'identité. Par exemple, si quelqu'un arrive au Canada, dit qu'il a deux enfants et un an plus tard, une fois accepté, dit : « J'avais oublié, j'avais un troisième enfant ». On peut se poser des questions. Mais si la personne dit qu'elle a deux enfants, à son arrivée au Canada, en général, ce sont ses deux enfants qui vont venir.

Si on regarde dans le traitement des dossiers, par le passé, je pense que l'on peut voir que la vaste majorité de demandes déposées pour résidence permanente, pour des membres de la famille, ces personnes ont fini par venir au Canada. Donc, le risque est minime.

En fait, ce sont des gens qui vont venir au Canada. Donc, pourquoi tous ces retards? Pourquoi ne pas les faire venir directement et terminer le traitement de leur dossier au Canada?

Le sénateur Pépin : Vous avez parlé, d'un panel spécialisé qui a une approche pour les enfants, qui peut les accompagner dans leurs différentes démarches?

Mme Shermarke : Non, moi, je pensais plutôt en termes de l'Immigration et la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, quand ils écoutent les dossiers des mineurs. Ce sont deux approches qui, normalement, se confrontent. Il y a une approche où l'on dit que tout le monde qui travaille dans une institution doit être apte à déterminer ou apte à travailler avec les enfants.

Il y a une autre approche qui dit que toutes les personnes ne sont pas aptes. Il y a des gens qui ont des tendances naturelles à être proches des enfants. Donc, c'est vraiment deux approches et cela dépend quelle approche les institutions vont privilégier.

Pour l'instant, à ma connaissance, les institutions publiques privilégient l'approche que tout le monde devrait être apte à travailler avec les enfants. Et il n'y a pas de panel spécialisé, ni à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ni à l'Immigration ou à l'Agence des agents qui ont vraiment une spécialité particulière et cherchent vraiment des formations poussées pour pouvoir entendre les causes des enfants ou pour interroger les enfants.

Le sénateur Pépin : Je suis portée à suivre ce que vous nous recommandez, surtout après avoir entendu le premier groupe d'aujourd'hui composé de médecins qui nous disaient, effectivement, que si on veut être capables de donner confiance aux enfants, on doit évidemment avoir des personnes qui soient capables de s'en approcher.

[Traduction]

La vice-présidente : Je vais intervenir un instant. Certains processus ont été élaborés au sein de nos tribunaux pénaux pour traiter spécifiquement les dossiers des enfants, et il était clair que les tribunaux ne pouvaient interroger un enfant dans une salle de tribunal de la même façon qu'on interroge un adulte. C'est ainsi que fonctionne le système de tribunaux familiaux au Manitoba, par exemple. Quand une affaire fait intervenir des enfants, on procède d'une façon entièrement différente que s'il s'agissait d'adultes impliqués dans un même type de procès.

Est-ce que c'est le genre de choses que vous proposez pour la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, la CISR, c'est-à-dire qu'il y ait un processus spécial pour traiter les enfants?

Mme Shermarke : Absolument.

Le sénateur Poy : Madame Dench, compte tenu de la réputation dont jouit le Canada, j'ai été absolument horrifiée quand j'ai lu votre rapport de 2004. Il contient énormément d'information, mais je voudrais vous poser une question sur les tests d'ADN.

À la page 15 de votre rapport, on peut lire :

Les citoyens des pays du Nord, essentiellement blancs, sont rarement assujettis à des tests d'ADN, parce qu'ils sont en mesure de produire des documents. Par conséquent, les cas de fausse paternité ne sont pas découverts. Par contre, la plupart de ceux à qui on demande de subir des tests d'ADN sont des gens de couleur.

Les réfugiés ne cherchent qu'à sauver leur peau, à s'éloigner des zones de guerre — la dernière chose à laquelle ces gens penseraient, ce serait de prendre des documents avec eux.

Je me demande si les problèmes tiennent à la documentation ou à la discrimination raciale. Dans certaines régions du monde, en Asie notamment, le test d'ADN n'est pas vraiment valable, car au sein des familles chinoises, il y a beaucoup d'adoption, c'est-à-dire que dans des familles où il y a beaucoup d'enfants en bas âge, les frères et les sœurs échangent des enfants selon que l'un ait des garçons seulement ou que l'autre des filles seulement. C'est un processus normal, et, donc, le test d'ADN ne marchera pas.

Voulez-vous réagir à cela?

Mme Dench : Je pense que nous constatons la différence de traitement, selon le pays d'origine de la personne, et ce traitement varie manifestement en fonction de la race. Cela étant, ce n'est pas principalement racial en ceci que si quelqu'un est d'origine chinoise ou africaine et qu'il peut produire des documents émis en Europe, parce qu'il est citoyen européen, à mon avis, que je sache, on ne demandera pas à cette personne de se soumettre à un test d'ADN.

En revanche, ce que nous constatons, c'est que les gens qui arrivent de pays où parfois, en raison d'un conflit, les documents sont détruits ou tout simplement inaccessibles, il se peut qu'il soit impossible d'obtenir un certificat de naissance ou encore que les certificats de naissance ne sont pas délivrés, car la personne est née à un moment où il n'y avait pas de capacité à consigner les naissances.

L'autre chose que nous constatons régulièrement, c'est que le Canada impose des normes canadiennes en matière de documentation. À titre d'exemple, j'ai eu connaissance d'un cas où un homme, un Congolais, avait soumis des documents pour prouver l'identité de ses enfants, mais le gouvernement a rejeté ces documents et a exigé un test d'ADN. Pourquoi? J'imagine que c'est parce que le Congo n'a pas le même niveau de sécurité ni les mêmes formalités que celles que recherchent les autorités canadiennes. Évidemment, il faut dire qu'il est facile de falsifier des documents.

L'effet de tout cela, c'est que les personnes de nombreuses régions de l'Afrique et de l'Asie sont traitées différemment des gens originaires de l'Europe. En tant que Canadiens, nous devons nous préoccuper de cette situation; nous ne pouvons pas nous contenter d'affirmer que les mêmes normes sont appliquées envers tout le monde, parce que les réalités varient selon la région du monde et qu'il faut prendre ces réalités différentes en considération.

Si nous continuons à ne pas le faire, cela revient à appliquer des normes différentes aux différentes populations, parce que comme l'indique le rapport, les familles européennes entrent probablement au Canada régulièrement avec des enfants qui n'ont pas de lien biologique avec elles parce qu'on ne leur demande pas de subir des tests d'ADN alors qu'on exige dans certains cas — mais pas dans tous — de telles analyses pour les Africains, les Asiatiques et d'autres.

Le sénateur Poy : Dans beaucoup de sociétés, on ne délivre pas vraiment de certificats de naissance. Si l'enfant vient au monde à la campagne, par exemple, il fait simplement partie de la famille.

Mme Dench : Exact, et cela vaut également pour la façon dont on détermine qu'une personne est membre d'une famille. En vertu de la législation canadienne — et il s'agit d'une nouvelle disposition de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés — il s'agit expressément de l'enfant biologique. À cause de cela, certains enfants peuvent se retrouver sans aucune famille. Dans le rapport, nous donnons le cas pathétique de l'enfant qui a perdu sa mère et qu'on retrouve après la mort de celle-ci, mais le père n'est pas le même.

Cet enfant n'a pas d'autres parents, or, le père n'est peut-être pas son père biologique, mais c'est le seul père qu'il ait et ses frères et sœurs sont les seuls qu'il ait jamais eus.

Le sénateur Poy : Vous avez raison.

La vice-présidente : À votre connaissance, combien d'enfants ont été rejetés par leurs familles après leur arrivée au Canada?

Mme Shermarke : En fait, le processus de réunification des familles est très lent et plus le temps passe, plus la dynamique familiale risque d'être perturbée quand toute la famille sera enfin réunie.

Beaucoup de parents nous disent qu'ils ont l'impression d'accueillir des étrangers. Lorsque l'enfant est rejeté, c'est souvent parce que la réunification de la famille a pris beaucoup de temps. Je dois dire cependant que les cas de rejet sont rares.

Le sénateur Munson : Même s'il n'y a pas de caméra de télévision dans la salle, en tant qu'ancien journaliste, je vous félicite des exemples que vous décrivez dans vos rapports parce qu'ils nous permettent de vraiment comprendre comment les choses se sont passées jusqu'ici et se passent encore.

À la page 7, vous décrivez le cas d'un jeune garçon du Soudan. Il est accepté comme réfugié au Canada, et pourtant son frère ne peut pas venir en raison de la loi. Ce garçon n'a pas d'autres parents. Savez-vous pour quelle raison on refuse l'accès au Canada à son frère? Que craignent les fonctionnaires dans ce cas? Je sais bien qu'ils suivent les directives des politiciens, mais de quoi s'inquiète-t-on? Cela me semble pourtant aller de soi.

Mme Dench : La loi en vigueur définit les membres d'une famille comme un conjoint, un partenaire ou un enfant à charge, si bien qu'elle exclut les frères et sœurs ou les parents d'un mineur.

Quand nous faisons valoir auprès du gouvernement que cette définition est discriminatoire envers l'enfant, en plus d'être évidemment totalement inhumaine et contraire à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, on nous répond que c'est une mesure nécessaire. Autrement, les parents seraient tentés d'envoyer leurs enfants au Canada dans le but de pouvoir les suivre plus tard.

C'est un autre exemple de la tendance que j'ai mentionnée dans ma déclaration, c'est-à-dire d'invoquer l'intérêt de l'enfant pour justifier le fait qu'on le prive de ses droits. Cette façon d'envisager les droits de l'enfant nous semble troublante.

Or, cet argument est difficile à comprendre parce que si l'enfant se voit accorder le statut de réfugié, il est probable que ses parents obtiendront le même statut, car ils sont généralement dans la même situation que lui. Il est rare que les demandes des enfants soient tout à fait distinctes de celles de leurs parents. Les demandes reposent habituellement sur la situation de l'ensemble de la famille.

Quoi qu'il en soit, même si c'était le cas, le gouvernement n'a jamais présenté de preuve que de telles manœuvres existent ou puissent exister.

Enfin, nous estimons que la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant ne justifie nullement qu'on prive les enfants de certains droits afin de protéger les droits d'autres enfants dans des cas hypothétiques futurs, des enfants qui pourraient être maltraités à cause de cette pratique. La Convention ne permet pas d'invoquer ce genre d'argument fondé sur la dissuasion. Nous ne voyons pas comment on pourrait pénaliser certains enfants sur la foi d'un tel argument.

Le sénateur Munson : Quand les médias font état du cas d'un enfant, par exemple, l'enfant nord-coréen que vous mentionnez et le cas d'autres enfants que j'ai couvert par le passé en tant que journaliste, et quand les médias s'emparent de l'histoire, les gens sont émus aux larmes : « Comment, au Canada, une personne peut-elle être obligée de se cacher dans une église pendant deux ans?, et ainsi de suite. Par la suite, on permet à la personne de rester au Canada.

Pour chaque personne qui peut rester au Canada, combien sont expulsées? Combien se font dire discrètement qu'elles doivent quitter le pays? Cela vous semble-t-il acceptable?

Mme Dench : Je n'ai pas de statistique à ce sujet, mais je crois qu'il y a de nombreux cas d'expulsion pour chaque personne qui peut rester au Canada. Pour qu'un cas soit publicisé dans les médias, la famille doit vouloir accepter de parler aux journalistes, ce qu'elle refuse souvent de faire. Elle doit être appuyée pour le faire, et souvent elle n'a pas ce soutien. Il y a des gens qui sont prêts à protester bruyamment contre le traitement qu'on leur accorde, mais il n'y a pas toujours un organisme pour les épauler, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'organisations qui peuvent offrir un tel service.

Je crois que chaque jour, des gens sont renvoyés du Canada d'une façon qui viole la Convention, sans que les médias n'en parlent.

Le sénateur Munson : Il y a dans le document que j'ai sous les mains le chiffre correspondant au nombre de réfugiés parrainés par le gouvernement qui viennent de camps de réfugié. Leur nombre est inférieur à 30 000. Est-ce le nombre de tels réfugiés que nous recevons chaque année? En plus de cela, il y a des réfugiés parrainés par des sources privées, par des Églises, par exemple. Nous n'accueillons pas assez de réfugiés, mais croyez-vous que nous devrions assouplir les exigences dans différentes catégories pour permettre au Canada de recevoir plus de réfugiés? Ce chiffre vous semble-t-il nettement insuffisant?

Mme Dench : Le gouvernement parraine 7 300 réfugiés par année et nous voudrions que ce chiffre augmente. Il a déjà été plus élevé, si bien qu'on peut s'interroger sur ce nombre et se demander si le Canada ne devrait pas faire plus.

Quant aux réfugiés parrainés par des organismes privés, la situation est particulièrement frustrante parce que des citoyens et des groupes canadiens sont prêts à parrainer un plus grand nombre de personnes mais comme le gouvernement n'en n'accepte qu'un nombre assez faible, ces gens doivent attendre dans leur pays. Tout le monde y perd, parce que les parrains sont prêts à prendre en charge des réfugiés et que cela ne coûterait pas très cher au gouvernement de recevoir ces réfugiés.

Nous demandons tout particulièrement au gouvernement d'augmenter le nombre de réfugiés parrainés par des organismes privés.

La vice-présidente : Avant de terminer, je veux vous poser une question qui me tarabuste depuis des années. Ce n'est pas directement lié à ce dont nous venons de parler, mais je sais que vous travaillez également dans ce domaine. Il s'agit des cas des personnes qui sont arrivées au Canada en tant que jeunes enfants. Leurs parents n'ont pas nécessairement obtenu la citoyenneté canadienne. On ne demande pas la citoyenneté au nom de l'enfant.

Cet enfant a des démêlés avec la justice et tout d'un coup nous décidons, quand il a 18 ans, de l'expulser vers son pays d'origine, alors qu'il est au Canada depuis l'âge de deux ans.

Si le jeune est devenu un criminel, il me semble qu'il est devenu un criminel canadien et non pas un criminel jamaïquain ni un criminel britannique. C'est mon avis, mais y a-t-il d'autres gens qui sont préoccupés par cette question comme moi?

Mme Dench : Oui, vous n'êtes pas la seule à penser ainsi. C'est un important sujet de préoccupation et on l'a soulevé chaque fois que la législation change. Malheureusement, en adoptant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le gouvernement a éliminé certaines possibilités de révision du dossier. Ainsi, s'il s'agit d'un crime assez grave, la personne n'a pas le droit de comparaître devant la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui pourrait surseoir à son expulsion pour des motifs humanitaires. Nous trouvons que c'est inacceptable, parce que, comme vous l'avez signalé, il faut tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire. La personne qui est arrivée enfant au Canada est canadienne de fait, qu'elle ait ou non les documents officiels. Ce n'est pas juste envers l'enfant et on pourrait aussi dire que ce n'est pas juste envers la société vers laquelle il est expulsé et dont il ne parle peut-être pas la langue et avec laquelle il n'a absolument aucun contact. Il ne serait ni utile ni bien vu au Canada qu'une personne ayant la citoyenneté canadienne mais ayant vécu à l'extérieur du Canada depuis l'âge de six ans soit renvoyée au Canada simplement pour avoir commis un crime dans un autre pays.

Mme Shermarke : Ces jeunes qui ont grandi au Canada et qui ont parfois commis des crimes pourraient avoir des problèmes de santé mentale. Malheureusement, notre société a tendance à l'oublier pour ne tenir compte que du crime commis. Ces jeunes sont souvent renvoyés dans des pays en guerre.

Ces jeunes ont des problèmes de santé mentale et si on les renvoie dans leur pays d'origine, ils peuvent très bien ressembler aux gens qui l'habitent, mais ils n'ont rien en commun avec eux puisqu'ils ont grandi au Canada; ils courent alors de grands dangers. Malheureusement, nous ne tenons pas compte de ces facteurs.

La vice-présidente : Je remercie tous nos excellents témoins d'avoir mis en évidence les droits des enfants qui, souvent, ne sont pas défendus.

Honorables sénateurs, nous avons avec nous un jeune homme courageux qui a été dans la salle pendant tout l'après-midi. Il s'appelle Nathaniel Mayer-Heft et il ferait normalement partie d'un groupe de trois témoins, mais il est le seul qui soit arrivé. Il a fait savoir qu'il désire vivement prendre la parole et je souhaite vivement l'entendre. J'invite Nathaniel à prendre place à la table. Tamira Cahana se joindra peut-être à lui sous peu, mais si elle n'arrive pas, ça ne fait rien. Quant à moi, la qualité l'emporte sur la quantité.

Sénateurs, Nathaniel a écouté tous les témoignages que nous avons entendus cet après-midi. Il étudie à l'école secondaire Beutel. J'aimerais savoir ce qu'il pense de la Convention relative aux droits de l'enfant et s'il connaissait l'existence de cette convention avant de décider de venir ici aujourd'hui. Je me demande aussi s'il savait qu'il avait tous ces droits et s'il trouve que ses droits sont bien gérés et protégés dans notre pays.

Nathaniel Mayer-Heft, École secondaire Beutel : Bonjour. Comme l'a signalé la présidente du comité, j'ai passé la journée ici et j'aimerais dire certaines choses. Presque tous les intervenants que j'ai entendus aujourd'hui ont dit que les enfants sont notre avenir et qu'il faut tenir compte des intérêts des enfants. Moi, j'aimerais savoir si on en tient suffisamment compte.

Aujourd'hui, au Québec, à cause de la Loi 101, seuls les étudiants dont les parents ont fait leurs études en anglais peuvent étudier en anglais. Cette pratique est-elle dans l'intérêt des étudiants? Privons-nous les francophones du droit à l'éducation en anglais? J'ai passé une partie de l'été à Prague et je pouvais communiquer soit en anglais, soit en tchèque. À mon retour à Montréal, j'ai constaté qu'il y a des endroits où je ne peux parler qu'en français. Je demande alors si cette décision a pris en considération l'intérêt des enfants.

À mon avis, les francophones qui ne peuvent pas étudier en anglais sont privés d'un droit, parce qu'ils ne pourront pas évoluer dans un milieu anglophone plus tard. Et je suis sûr que cela leur ferme de nombreuses portes.

Je suis heureux que les étudiants puissent s'exprimer comme je le fais aujourd'hui. Bien sûr, on ne devrait pas avoir un droit de vote à 12 ans, mais pourquoi ne pas demander aux jeunes leur avis? Pourquoi ne pas amener les étudiants de 12 à 17 ans à s'intéresser à la politique? Ainsi, ils pourraient voter lorsqu'ils atteindraient l'âge de 18 ans. Je crois que cela augmenterait le nombre de jeunes qui votent.

Je voulais simplement lancer cette idée pour qu'on en discute ensemble.

La vice-présidente : Cette fois, je vais prendre la parole en premier, puis les autres sénateurs pourront s'exprimer aussi.

J'ai enseigné au secondaire pendant 20 ans et je pense que les élèves, Nathaniel — si je peux t'appeler par ton prénom — trouvaient que je parlais trop de politique et pas assez d'histoire militaire, car j'enseignais surtout à des garçons. Cependant, quand je les ai revus l'année dernière à leur amicale après 25 ans, ils m'ont tous dit qu'ils avaient toujours voté parce qu'ils savaient que s'ils ne le faisaient pas, j'en serais fort mécontente car ils se souvenaient que je disais toujours qu'il fallait voter.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'il faut amener les jeunes à participer plus activement au processus politique si nous voulons qu'ils votent lorsqu'ils auront 18 ans. Mais pour qu'ils s'y intéressent, il faut que nous rendions la politique plus attrayante pour eux.

Nous disons que nos enfants sont notre avenir et qu'ils sont également notre plus grande ressource. Ce sont de belles phrases que nous utilisons toujours en politique. Cependant, qu'arrive-t-il quand ce que souhaite l'enfant ne concorde pas avec ce qui selon la société est dans l'intérêt de l'enfant? Ce midi, on a entendu l'exemple d'un garçon de 14 ans qui a besoin d'une amputation pour rester en vie. Mais il ne veut pas se faire amputer parce qu'un jeune de 14 ans ne peut pas imaginer vivre encore 50 ou 60 ans sans une jambe. Il ne veut pas y penser. Et pourtant, s'il avait 20 ans, son point de vue serait peut-être tout à fait différent. Toutefois, ce garçon ne se rendra pas à 20 ans s'il ne se fait pas amputer une jambe pour arrêter la progression du cancer.

Comment les adultes doivent-ils, à votre avis, déterminer ce qui est dans l'intérêt de l'enfant? En considérant le point de vue de l'enfant mais en décidant que ce que souhaite l'enfant n'est pas en fait dans son intérêt?

M. Mayer-Heft : Je pense que l'exemple du cancer est extrême et très différent de celui que je viens de donner. C'est une question de maturité et on ne peut pas s'attendre à ce que l'adolescent de 14 ans prenne une décision et qu'il doive choisir entre la vie et la mort. Cette décision doit être prise par ses parents ou son tuteur, ou par la société si nécessaire. Un jeune de 14 ans ne peut pas se condamner à mort parce qu'il ne veut pas être amputé. Comme vous l'avez dit, à 20 ans il sera reconnaissant d'être encore en vie; cependant, je ne pense pas que la société devrait obliger un jeune de 14 ans à décider de vivre ou non avec un bras ou une jambe en moins. Je suis persuadé qu'on tiendra davantage compte de l'opinion d'un adulte et que celle-ci pèsera beaucoup plus lourd dans la balance que l'opinion de l'adolescent, parce que l'adulte a plus de maturité et connaît les conséquences d'une telle décision. Je préférerais de loin m'en remettre à un médecin pour décider de ce que je dois faire plutôt qu'à l'avis d'un adolescent de 14 ans. Voilà ce que je pense.

Le vice-président : Prenons un cas de garde d'enfants. Disons qu'un adolescent de 14 ans veut habiter avec son père et sa mère veut qu'il vive avec elle. Qui devrait prendre la décision? Qu'est-ce qui est dans l'intérêt de l'enfant?

M. Mayer-Heft : Je pense qu'il faudra examiner la situation de la mère et du père pour s'assurer que si l'un d'eux ne peut pas offrir à son enfant un milieu de vie convenable, il ne puisse pas avoir la garde du jeune. Si l'enfant veut habiter avec son père parce que le père ne mange que du fast-food et qu'il montre à son enfant comment éviter de payer des taxes, je ne pense pas que l'adolescent doive vivre avec lui. Cependant, si les deux parents offrent un milieu convenable à leur enfant et que l'adolescent refuse d'aller vivre avec l'un d'entre eux, je crois qu'on ne devrait pas le forcer de le faire. On devrait lui demander son avis, mais au bout du compte c'est à l'adolescent qu'il appartient de décider où il veut vivre. Il ne faut pas gâcher la vie de ce jeune.

Le vice-président : Vous avez entendu parler de beaucoup de cas d'immigrants cet après-midi et nous avons parlé d'enfants qui sont séparés de leurs familles, soit parce qu'ils se trouvent au Canada sans leurs parents, soit parce qu'ils se trouvent dans un autre pays alors que leurs parents sont au Canada.

À votre avis, qu'est-ce qui, dans la politique du Canada en matière d'immigration, semble être à l'origine de ces problèmes?

M. Mayer-Heft : Vous avez parlé du garçon qui ne pouvait faire venir son frère et j'ai trouvé cela ridicule. Cela m'a vraiment touché. Je ne pouvais pas croire qu'il y avait de pareils cas où un enfant ne pouvait pas venir au Canada pour y trouver refuge, s'il s'enfuyait d'un autre pays, du même pays d'où était venu son frère et dans la même situation. Son frère est le seul membre de sa famille et le gouvernement du Canada ne devrait pas séparer ces deux frères. Peu importe les raisons qui ont mené à cette situation, je crois qu'il faut la corriger afin que cela ne se reproduise pas dans l'avenir. C'était un cas parmi beaucoup d'autres qui ont été mentionnés et qui sont sans doute décrits dans ce livre — je ne les ai pas tous lus — et je pense qu'il faut faire certains changements parce que c'est ridicule. Je ne peux rien dire d'autre.

Le sénateur Poy : Nathaniel, j'ai été très intéressé par ce que vous avez dit au sujet des droits linguistiques au Québec. Vous avez dit que lors de votre séjour à la République tchèque, vous pouviez parler tchèque ou anglais.

Je pense que plus un enfant apprend de langues, mieux c'est. Je ne comprends pas pourquoi, même à l'extérieur du Québec, j'ai entendu tellement de parents demander à quoi servirait à leurs enfants d'apprendre le français. Ils affirment avec force que leurs enfants n'ont pas besoin d'apprendre cette langue.

Cela vaut pour les anglophones et les francophones. Je ne vais pas commencer à commenter la politique du Québec. Croyez-vous que la plupart des jeunes au Québec préféreraient être bilingues? L'anglais est une langue internationale très utile.

M. Mayer-Heft : Encore une fois, comme dans le cas de l'adolescent de 14 ans, il faudrait qu'un adulte soit consulté, parce que l'enfant ne connaît pas nécessairement tous les avantages d'être bilingue ou encore polyglotte. Si un enfant francophone voulait un jour s'établir au Royaume-Uni, il éprouverait beaucoup de difficultés s'il n'était pas bilingue. Un enfant anglophone né au Québec n'aurait pas le même problème. Il pourrait aller vivre au Royaume-Uni ou en France, parce que les anglophones sont obligés d'être bilingues au Québec. Il est avantageux à mon avis que le gouvernement oblige les anglophones à apprendre le français, mais les francophones sont désavantagés. C'est un handicap et je pense que le gouvernement du Québec devrait repenser sa politique linguistique.

Le sénateur Poy : Beaucoup de Québécois voyagent aux États-Unis, particulièrement en Floride, où ils sont nombreux. Ils doivent bien savoir qu'il faut parler anglais, ce qui m'amène à m'interroger au sujet des parents; ne jugent-ils pas nécessaires que leurs enfants puissent communiquer en Amérique du Nord? Mis à part le reste du Canada, je parle des États-Unis. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Mayer-Heft : Je crois qu'il faut qu'ils apprennent l'anglais. Les parents doivent être au courant des avantages d'être bilingues et agir dans l'intérêt de leurs enfants en leur donnant toutes les chances. Ils doivent absolument pour cela leur permettre d'apprendre les deux langues.

Le sénateur Poy : Les enfants n'apprennent pas les deux langues, n'est-ce pas?

M. Mayer-Heft : Ils devraient le faire, mais ce n'est pas ce que je constate. Je pense que le Québec devrait devenir bilingue ou du moins, on devrait donner aux francophones le choix d'étudier en français ou en anglais, au lieu de décider à leur place. Oui, je crois que les parents doivent connaître les avantages et je pense que quelqu'un — n'importe qui — devrait revendiquer ce droit.

Le sénateur Poy : Cela nous ramène à l'implication des jeunes en politique. Si les jeunes s'intéressaient à la vie politique, du moins lorsqu'ils atteignent l'âge de 18 ans, il y aurait plus de Québécois au gouvernement. De façon générale, il y a une certaine apathie au sujet des lois démocratiques chez les jeunes canadiens et canadiennes.

Le sénateur Munson : Nathaniel, vous êtes un jeune homme patient; vous deviendrez peut-être politicien un jour. Vous êtes resté ici tout la journée à écouter les délibérations.

M. Mayer-Heft : C'était intéressant.

Le sénateur Munson : J'aimerais vous poser toutes sortes de questions parce que j'ai grandi au Québec et j'y ai passé une partie de ma vie.

Nos lois permettent de recourir au châtiment corporel et à la force raisonnable pour discipliner un enfant. Que pensez-vous des châtiments corporels? Pensez-vous qu'on devrait éliminer le recours au châtiment corporel?

M. Mayer-Heft : Je suis fortement opposé au châtiment corporel. À mon avis, il n'est jamais bon de frapper en enfant, peu importe les circonstances. On ne peut s'attendre à ce qu'un enfant sache distinguer le bien du bien dans tous les cas. L'adulte qui frappe un enfant, peu importe le degré de force qu'il utilise manque, de respect envers l'enfant et viole les droits de celui-ci.

Comment peut-on penser qu'un adulte, un enseignant par exemple, ait le droit de frapper un enfant simplement parce qu'il a envie de le faire, parce que l'enfant a bavardé en classe ou n'a pas fait son devoir? Cela revient à bafouer les droits de l'enfant, à l'humilier, ce qui est d'autant plus grave si c'est un professeur, un adulte qui n'a presque pas de rapports avec l'enfant qui le frappe. Les enseignants ne devraient pas avoir le droit de frapper un enfant.

Le sénateur Munson : Il est bon que vous ayez exprimé clairement ce point de vue, parce que c'est là l'un des enjeux importants de cette convention.

J'aimerais aborder l'incident survenu au Collège Dawson. Je viens de parcourir la Convention sur les droits de l'enfant, dans cette petite brochure. À force de la lire et de la relire, je finirai bien par la comprendre. Si elle était rédigée dans le même langage le Conseil canadien des réfugiés, ce serait beaucoup plus facile pour un vieux journaliste comme moi.

Voici ce que dit l'article 14 :

Les États parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de penser, de conscience et de religion.

Et l'article 15 :

Les États parties reconnaissent les droits de l'enfant à la liberté d'association et à la liberté de réunion pacifique.

Nous avons appris cet après-midi que le Canada a ratifié ces articles mais ne les a pas mis à exécution. Si le système d'éducation du Canada offrait aux jeunes des lieux d'échange qui leur permettraient de discuter de leurs problèmes, est-ce que les choses auraient été différentes? Que pouvons-nous faire pour aider les jeunes à comprendre ce qui est survenu au Collège Dawson? Comment expliquer les événements du Collège Dawson à un enfant — je déteste parfois utiliser ce terme — à un adolescent ou une adolescente de 14, 15 ou 16 ans? Comment aider ces jeunes à exprimer ce qu'ils ressentent après avoir été témoins d'un événement aussi violent et aussi terrible?

J'ai traité de nombreuses manifestations d'adultes. Que pensez-vous des manifestations d'enfants? J'estime que les enfants doivent pouvoir exprimer leurs pensées, jouir de la liberté d'association, et que tout cela se trouve dans la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant.

M. Mayer-Heft : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je fais partie d'un groupe de jeunes, et nous nous sommes rencontrés dans les jours suivant la tragédie du collège Dawson. En effet, nous nous sommes rassemblés parce que certains élèves allaient à Dawson et les autres, eh bien nous nous sentons tous interpellés d'une manière ou d'une autre par ce qui est arrivé. Nous avons donné l'occasion à chaque membre du groupe de s'exprimer, s'il le souhaitait.

Je trouve que c'était essentiel, car nous n'entendons pas assez la perception des adolescents et des enfants sur ce qui arrive dans le monde. Je crois que si on leur donnait davantage l'occasion de s'exprimer, nous comprendrions mieux ce qui se passe. Ainsi, ces tragédies diminueraient, puisque on comprendrait mieux la situation grâce aux opinions des élèves.

Depuis le drame de Dawson, il y a eu d'autres tragédies, telle que celle du secondaire de la Pennsylvanie. Je crois qu'on pourrait éviter bon nombre de ces tragédies si on donnait voix aux élèves et aux jeunes.

Sénateur Munson : Vos propos me font réfléchir. Dans notre rapport, il faudrait voir s'il s'agit d'un domaine où la liberté d'expression et de pensée peut être partagée avec les parents et avec le public.

La vice-présidente : Tamira Cahana vient de se joindre à nous. Laissons-lui le temps de souffler.

Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais revenir au tireur de Dawson et de l'École polytechnique. Ces deux jeunes ont déjà été formés au sein de l'armée canadienne, qui les a jugés inadéquats et les a renvoyés.

Est-ce que vous estimez que l'armée canadienne devrait tenir un registre des personnes qui ont été renvoyées de l'armée? Pourquoi pensez-vous que de telles choses arrivent à cette époque au Québec? Comment se fait-il que ce soit des hommes qui commettent ces crimes? Pourquoi déteste-t-on les femmes?

M. Mayer-Heft : Je crois que l'armée canadienne a une responsabilité légère dans ce dossier. En effet, si on déclare quelqu'un inapte et on le renvoie, c'est sans doute pour de bonnes raisons, et cette personne ne devrait pas avoir le droit de s'acheter des armes. Je crois que l'armée canadienne et le gouvernement du Canada devraient tenir un registre des Canadiens qu'ils jugent inaptes à posséder un fusil. Ce type de renseignements aurait pu éviter la tragédie qui a eu lieu.

Maintenant en ce qui concerne l'époque et la haine...

Le sénateur Munson : Pourquoi le Québec?

M. Mayer-Heft : Pourquoi? Je ne crois pas qu'il s'agisse nécessairement du Québec. Vous savez, une telle tragédie a eu lieu en Pennsylvanie et à Colombine, dans le passé.

La vice-présidente : Oui, et également en Alberta.

M. Mayer-Heft : C'est exact. C'est plutôt une question d'époque que d'emplacement. À 18 ans, on est impressionnable, et des problèmes peuvent en survenir. C'est malheureux, mais ça arrive.

Tamira Cahana, École secondaire Beutel : Je ne crois pas du tout que cela ait rapport avec l'âge. C'est plutôt le sentiment général d'aliénation qui me semble important. À mon avis, l'âge est le facteur le moins important dans ce contexte.

L'aliénation est cultivée dans notre société. Les gens s'isolent des autres à cause des idées nourries par la société : vous n'êtes pas assez bon, vous ne valez rien. Ce n'est pas une question d'âge. C'est une question de croyance, ça revient au mot que les gens utilisent lorsqu'ils se parlent.

Pourquoi est-ce que ça arrive au Québec? Il n'y a pas de raison. Il n'y a aucune raison pour que ça se passe ailleurs, et ce n'est pas parce que ça a eu lieu plusieurs fois au Québec, que...

M. Mayer-Heft : C'est une question de coïncidence.

Mme Cahana : Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une coïncidence, c'est tout simplement qu'on a permis que ça arrive. L'on ne s'est pas assez opposé à cela. Je vous dirais qu'il s'agit d'un manque d'éducation.

La vice-présidente : Que pensez-vous de l'intimidation? Vous avez dû en être témoin plusieurs fois à l'école. Peut-être que vous en avez été victime, ou peut-être que vous avez vue d'autres personnes être victimes d'intimidation. Est-ce que l'intimidation est répandue? Que pouvons-nous faire pour l'empêcher?

Mme Cahana : L'intimidation est très répandue.

Le sénateur Munson : Nous avons écouté des témoignages d'un océan à l'autre du pays. Nous avons trouvé des idées de parents, qui n'étaient pas très bonnes. Nous voulions que tous les groupes se réunissent avec le directeur pour voir comment ont pouvait résoudre le problème. Nous avons fini par comprendre que l'intimidation commence à la maison et se retrouve ensuite à l'école. Nous avons compris que si on osait rassembler les groupes, le problème empirait le lendemain. C'est une question épineuse.

Mme Cahana : Je crois que, de nouveau, cela revient à ce sentiment d'aliénation. Je crois qu'un tyran se sent très seul et essaie d'établir un contact, il veut se être validé, se sentir important. Afin de se débarrasser de ce problème, il faut que les enfants se sentent vivants. C'est la seule solution. C'est la solution à tous ces maux.

La vice-présidente : Tamira, à mon époque, nous croyions que c'était les garçons qui intimidaient et que les filles ne le faisaient pas. En revanche, puisque j'ai deux filles, je sais que ce n'est pas vrai. Je sais que les filles font également de l'intimidation. Leur intimidation est moins violente — moins physique que celle des garçons, mais elle crée autant de dommage psychologique.

Par exemple, j'ai vu des garçons donner des coups de poing dans le visage ou pousser d'autres garçons dans les casiers. Je n'ai pas vu de filles agir de la sorte, mais je les ai vues faire des observations désobligeantes et harceler leurs camarades en se moquant de toutes sortes de choses, dont leurs cheveux, leurs vêtements, leurs comportements ou encore leur langue.

Comment pouvons-nous changer cette culture dans les écoles pour qu'il y ait un degré de tolérance zéro pour l'intimidation? J'ai vu des enseignants masculins qui trouvaient que c'était comique que de voir des garçons se battre. Comment pouvons-nous changer cette attitude?

Mme Cahana : Je ne crois pas qu'il faille mettre en vigueur un degré de tolérance zéro. Je crois qu'en agissant de la sorte, on mettrait trop d'emphase sur cette question. La meilleure solution serait que l'aide vienne d'un étudiant en particulier, qui contrôle ce qui arrive dans les écoles. Il ne s'agirait pas d'un espion, mais d'un étudiant.

Le sénateur Nancy Ruth : À mon époque on les appelait des surveillants.

Mme Cahana : Oui, un seul élève qui aurait un contrôle particulier sur l'école.

La vice-présidente : Nathaniel, qu'en pensez-vous?

M. Mayer-Heft : Je ne crois pas que cela devrait émaner d'un étudiant. Je suis d'accord avec Tamira pour dire qu'une politique de tolérance zéro ne sera pas utile parce que chaque fois qu'il y a une telle politique en vigueur, elle ne résout pas les problèmes. Il est facile d'en parler, mais beaucoup plus difficile de la mettre en œuvre. Lorsque les gens parlent d'une politique de tolérance zéro, ils perçoivent cette politique comme une menace en l'air, comme quelque chose que l'on tente de régler, mais que l'on ne pourra pas le faire.

Je crois qu'il faut résoudre ce problème bien plus tôt, il faut bien éduquer les enfants. L'intimidation commence à partir de l'âge de six ans jusqu'à l'âge de 18 ou 19 ans. Elle a lieu à tous les niveaux. Lorsque les enfants sont ensemble, ils se confrontent. L'intimidation est différente chez les garçons et chez les filles. Tamira nous parle de la perspective féminine, où l'intimidation chez les filles proviendrait d'un sentiment d'aliénation. Bon nombre des garçons font de l'intimidation parce qu'ils peuvent le faire. Vous comprenez? Si un garçon peut intimider, il intimidera.

Je crois que si on les éduquait et qu'on leur parlait à un jeune âge, et qu'au cours de leur éducation, on leur expliquait en quoi l'intimidation est négative, si on les impliquait dans le processus, il y aurait beaucoup moins d'intimidation.

Mme Cahana : Je ne crois pas que l'éducation va aider particulièrement, car comme vous le mentionnez, s'ils peuvent intimider, ils le feront.

Le sénateur Nancy Ruth : Ils le font.

Mme Cahana : Oui, c'est exact, ils intimident.

Le sénateur Nancy Ruth : Il y a aussi des sénateurs qui font de l'intimidation. Je peux vous garantir que l'intimidation n'arrête pas à l'âge de 18 ans.

Mme Cahana : Je crois que l'intimidation est également liée aux mots utilisés. La langue est essentielle dans la compréhension psychologique de l'environnement. Je songe aux mots qu'on a le droit d'utiliser dans les salles de classe — à mon école, en classe, les gens disent des choses atroces et grotesques.

M. Mayer-Heft : Et les enseignants leur permettent de le faire?

Mme Cahana : Oui.

Le sénateur Poy : Ah oui, ils leur permettent de le faire?

Mme Cahana : Oui. Même des propos racistes sont permis. Nous fréquentons une école privée juive, alors je ne sais pas si cela a un lien.

M. Mayer-Heft : Je ne crois pas que la situation soit différente dans d'autres écoles, elle ne se limite pas seulement aux écoles privées juives.

Mme Cahana : Non.

M. Mayer-Heft : Je crois que si l'on posait la même question aux personnes que vous avez rencontrées à Edmonton et ailleurs au Canada, elles vous répondraient à peu près la même chose. Si vous leur demandiez quels mots sont utilisés dans les salles de classe, les étudiants vous diraient qu'ils font des blagues racistes, ou encore que, parfois, ils se moquent de leur professeur.

Je ne crois pas que les règles aient été mises en œuvre. J'ai l'impression que les élèves peuvent dire ce qu'ils veulent, quand ils le veulent. C'est un problème, car ils peuvent être très blessants et il n'y a rien ni personne pour les arrêter.

Le sénateur Nancy Ruth : Je suis curieuse. Est-ce que vous croyez qu'il y a plus de blagues racistes que de blagues sexistes parce que vous vous trouvez dans une école juive?

M. Mayer-Heft : Je ne vous dirais pas qu'il y en a plus ni qu'il y en a moins. Je crois que ça dépend de l'âge, de la salle de classe, de la personnalité des élèves. Mais, au bout du compte, ils font des blagues, et on leur permet de faire ces blagues alors qu'on ne devrait pas.

Je ne crois pas qu'il y a un rapport avec le milieu ethnique ou religieux. Je crois que de telles blagues sont probablement moins fréquentes dans des écoles plus religieuses. Mais je crois qu'une école publique ou une école privée catholique vous donnerait un témoignage similaire.

Le sénateur Nancy Ruth : Les mêmes blagues, mais inversées.

Mme Cahana : Je suis d'accord pour dire que cela n'a pas tellement rapport avec le fait qu'il y a des élèves juifs dans l'école juive. C'est plutôt que lorsqu'on n'est pas exposé à d'autres idées et à d'autres mentalités, ce type de blagues survient. C'est une question de ségrégation. La division des écoles est horrible. Je crois que c'est la pire expérience.

Vous avez parlé de sexisme. C'est un problème de taille. Il y a du sexisme partout. Les femmes — et les hommes — sont constamment maltraités par des mots et des gestes. C'est un des plus grands problèmes auxquels je dois faire face.

Je dois vous dire que j'ai peur, j'ai peur de savoir ce qui se passera plus tard, parce que l'intimidation est acceptée et se retrouve partout. Puisque je suis une femme, je songe à ce côté féministe, l'intimidation est permise dans la société. J'ai peur, parce que, en tant que femme, je suis complètement vulnérable et personne ne s'y oppose.

Le sénateur Munson : Est-ce que cela revient à l'utilisation du langage dans votre groupe d'âge? J'ai été étonné l'autre jour d'écouter des mots qui étaient utilisés dans le milieu de mon fils. Il était en train de parler et je lui ai dit « Qu'est-ce que tu as dit? » Il m'a répondu « Oh, ce n'est pas grave, tout le monde utilise ces mots, c'est.... » — et je lui ai répondu « Non, tout le monde n'utilisent pas ces mots ».

Mme Cahana : Mais qu'est-ce que — pourquoi serait-ce...

Le sénateur Munson : Eh bien c'était une référence aux femmes. Je parlais de certains mots utilisés, de certaines choses. C'est très mal. Est-ce que vous faisiez également référence à cela?

Mme Cahana : Oui.

Le sénateur Munson : De la violence verbale.

Mme Cahana : La violence verbale, les images, tout. Parce que tout le monde l'utilise, c'est accepté.

Le sénateur Munson : Oui.

Mme Cahana : C'est ce que je trouve le plus grotesque.

Le sénateur Munson : Et comment peut-on changer cette situation? Comment est-ce que la société peut changer cela? Vous avez parlé de la prochaine étape, soit l'université n'est-ce pas?

Mme Cahana : Oui.

Le sénateur Munson : Puis cela va aller plus loin que votre école, que votre ville, que la province. Cela ne fait que continuer et s'élargir.

Mme Cahana : Il faut cibler le problème plus tôt. Je crois.

Le sénateur Munson : C'est intéressant d'écouter votre témoignage. Nous avons écouté des témoignages intéressants en provenance de jeunes de l'école d'Edmonton. Ils venaient d'une sphère sociale différente que la vôtre, si je puis dire. Ces jeunes étaient issus de foyers monoparentaux, et vivaient dans un milieu difficile. Mais eux aussi parlaient de cette question de langue et de l'intimidation. Ils ont soulevé des préoccupations similaires aux vôtres.

Il est important que le comité écoute ces témoignages lorsque nous parlons des droits de l'enfant et de la mise en œuvre de la convention par le gouvernement au Canada.

Mme Cahana : Oui.

Le sénateur Munson : Nous devons comprendre les droits de l'enfant.

La vice-présidente : Est-ce que nos enfants grandissent trop rapidement? Je regarde les jeunes âgés de cinq ou six ans qui s'habillent avec des vêtements que des jeunes âgés de 12, 13 ou 14 ans portaient auparavant. Ils prennent part à des activités qui auparavant étaient réservées à des enfants beaucoup plus âgés. En fait, quel mal y a-t-il à jouer? Est-ce que nos enfants ont cessé de jouer?

M. Mayer-Heft : Ce n'est de la faute de personne si nos enfants vieillissent trop rapidement.

Le sénateur Munson : Je ne suis pas d'accord avec vous.

M. Mayer-Heft : Il est vrai que les enfants vieillissent beaucoup plus rapidement et qu'à sept ou à huit ans, ils font des choses qu'on s'attendrait à ce qu'un enfant de 12 ou 13 ans fasse. Je crois qu'ils sont en train d'essayer d'imiter les enfants plus vieux. Cela revient à la perception de ce qui est cool et ce qui ne l'est pas. Je ne crois pas qu'un parti politique puisse changer cette perception, mais si cela constitue un problème, il va falloir la changer.

Mme Cahana : Je ne crois pas qu'il y ait de solution, la curiosité se trouve partout. La curiosité fait partie intégrante de l'enfant.

Mais quand ça devient de l'abus, quand les enfants s'identifient avec cela, alors ce n'est plus de la curiosité, c'est un problème. Et je ne sais pas comment résoudre ce problème.

La vice-présidente : Je suis très troublée lorsque j'entends que l'on persuade des jeunes de 11 et de 12 ans à se filmer nus sur le Web pour distribuer ces images sur Internet. Dans quelle sorte de société vivons-nous? Quelle protection procurons-nous à nos enfants, si ce type de situations survient?

Mme Cahana : Cela revient aux images qui nous entourent, cela revient à nos modèles, leurs modèles. L'industrie génère ce comportement.

Le sénateur Ruth : Vous avez parlé à trois ou quatre reprises du terme « aliénation ». À mon avis, il s'agit de la désintégration de la collectivité, du pornographe qui sollicite les enfants, ou d'autres enjeux. Nous avons parlé des deux hommes qui ont tiré dans les collègues de Montréal.

L'aliénation, c'est quelque chose de terrible, c'est l'absence de collectivité. Mon Dieu, avez-vous des réponses à nous fournir? Nous n'en avons pas nécessairement. Nous sommes aux prises avec cela. Tout est tellement fragmenté. Les gens se promènent avec leur iPod. Hier soir à Toronto, j'ai vu un homme âgé d'environ 25 ans, qui a glissé sur sa bicyclette dans la rue, il y avait beaucoup de trafic et il faisait un petit peu plus noir qu'en ce moment. Il s'est levé et il a dit « Oh, ça va, ça va. Tout va bien. Ce n'était rien. » Ensuite il a vérifié pour voir si son téléphone cellulaire était en bon état. Il ne voulait pas interagir avec moi. Je suis sorti afin d'arrêter la circulation pour lui. Mais non, lui ce qui l'intéressait, c'était de voir si son cellulaire était en bon état. Il ne voulait pas avouer qu'il était blessé. Je veux dire, il a quand même glissé le long de deux voies, et ce sur une route de ciment. Il était blessé. Bien sûr qu'il était blessé. Il était sans doute en état de choc, mais il ne voulait pas interagir avec moi.

On voit cette aliénation quotidiennement, lorsque nous prenons des avions hebdomadairement; parfois, l'on a envie de parler avec le personnel, et parfois, l'on veut être seul. Notre société est mal en point et souffre de cela, « l'aliénation », et j'étais très impressionnée que vous ayez eu recours à ce mot.

Mme Cahana : J'ai trouvé cela très intéressant que vous mentionniez que cet homme ne voulait pas admettre qu'il était blessé.

Le sénateur Poy : Parce que ce n'est pas masculin?

La vice-présidente : Macho.

Le sénateur Poy : Oui, c'est très macho.

M. Mayer-Heft : Cela revient aux images dont Tamira parlait. Les garçons ont besoin d'être perçus comme des machos, comme des leaders, comme des êtres invincibles.

Cela revient à une question d'image, et je ne vois pas comment on peut la résoudre. Cela ne me surprend pas, parce que je vois ces cas quotidiennement à l'école. Les enfants se blessent, mais ils ne veulent pas l'admettre à leurs amis, car ils ont peur d'être aliénés parce qu'ils ne sont pas machos. Ils ont peur de ne pas être respectés et de ne pas être perçus comme étant cool.

Le sénateur Nancy Ruth : On retrouve cela également chez le pornographe et chez le tireur. Ils ne veulent pas avoir l'air vulnérable. Ils sont invincibles : voyez donc ce qu'ils ont accompli.

Le sénateur Nancy Ruth : Comment peut-on changer les choses avec la musique d'aujourd'hui?

M. Mayer-Heft : Une personne qui se sent vulnérable peut facilement s'en prendre à un enfant, parce que c'est facile et qu'ils sont petits.

Le sénateur Nancy Ruth : Ou ils peuvent s'en prendre à une femme.

M. Mayer-Heft : Car elles sont impressionnables — aux femmes — pardon.

Le sénateur Nancy Ruth : Parce qu'elles sont tous soumis à —

M. Mayer-Heft : Oui. Un homme —

Le sénateur Nancy Ruth : Le grand homme blanc.

M. Mayer-Heft : Les hommes sont généralement plus forts que les femmes, alors c'est plus facile pour un homme de se sentir macho, de se sentir fort en s'en prenant à une femme ou à un enfant. De toute évidence Tamira veut prendre la parole.

Mme Cahana : Je ne crois pas que les hommes ont besoin d'être de grands machos, de nos jours. Je crois que ce sont plutôt les femmes qui veulent être passives pour les hommes. Les femmes les plus belles de nos jours sont passives et se permettent d'être vulnérables. L'homme n'a pas besoin d'être un macho. Dans les cas d'abus, c'est la femme qui permet ce comportement.

La vice-présidente : Je ne crois pas que cela ait beaucoup changé. J'ai enseigné à des hommes et à des femmes de votre âge, du secondaire trois au CEGEP. J'ai toujours été sidérée de voir que des jeunes filles brillantes restaient muettes en classe pour ne pas donner l'impression d'être trop intelligentes.

J'ai déjà dit à une jeune femme que je l'aimerais beaucoup plus si elle me permettait de l'aimer davantage. Elle m'a dit : « Que voulez-vous dire »? J'ai répondu : « Je sais à quel point vous êtes brillante, alors pourquoi dissimulez-vous votre intelligence? » « Eh bien », a-t-elle répondu, « aucun garçon ne m'aimerait si j'étais aussi intelligente ».

Heureusement, elle ne pense plus de la même façon.

Le sénateur Munson : Eh bien, il y a beaucoup de jeunes filles qui ne pensent plus de la même façon aussi.

La vice-présidente : Cette jeune femme est devenue un médecin réputé. Il existe une période dans la vie d'une jeune femme où, surtout au secondaire, elle croit qu'elle doit donner l'impression d'être moins intelligente que les garçons. Elles croient devoir demeurer silencieuses pour ne pas détruire l'égo des garçons.

M. Mayer-Heft : J'aimerais rajouter quelque chose. Vous parlez d'une jeune fille qui a eu de la chance, car elle s'en est sortie.

Si vous regardez la société, il y a encore des femmes qui ne s'en sont pas sorties. C'est là que réside le problème. Cette élève est sortie de cette phase, et c'est pour cela que je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que chaque personne passe à travers cette phase dans sa vie. Je ne crois pas que tout le monde passe à travers des phases. Beaucoup vivent leur vie en fonction d'une phase en particulier, et se rendent compte ensuite que c'était ridicule. Il y a des adultes qui font exactement la même chose.

Mme Cahana : Cela a rapport aux personnes qui se sont privilégiées. Elles se sentent tellement importants qu'elles peuvent faire de telles choses.

Le sénateur Poy : Est-ce que vous parlez des femmes?

Mme Cahana : Non, je parle des hommes.

Le sénateur Poy : J'ai des amies qui sont extrêmement brillantes et qui étaient abusées par leur mari. Je leur ai demandé pourquoi elles avaient accepté cela et elles m'ont répondu qu'elles avaient été formées pour être des bonnes épouses. Qu'est-ce que cela veut dire? Je ne l'ai jamais compris. Je leur ai posé des questions à ce sujet, car elles pouvaient être indépendantes, mais elles n'ont pas essayé de l'être.

Pour revenir à l'aliénation, cela revient à la désintégration des familles — des familles élargies. Avant, les familles vivaient ensemble. Maintenant, nous avons des grands-parents, des parents, des oncles et des tantes. Tout le monde est éparpillé. Il y a aussi de plus en plus de divorces. La désintégration de la famille a causé beaucoup d'aliénation.

Qu'en pensez-vous?

Mme Cahana : J'aimerais parler des femmes qui ne se défendent pas. Je crois que cela va encore plus loin, et que c'est la peur de ne plus être un être humain quand elles n'ont pas quelqu'un avec elles, quand elles ne se sentent pas être aimées. C'est ce que je crois.

Le sénateur Poy : Oui, c'est quelque chose que je n'ai jamais compris. Vous ne voulez pas être amoureuse d'un homme qui vous maltraite. C'est ce qui me semble. En plus, vous n'avez pas besoin de lui!

La vice-présidente : Certaines personnes en ont besoin.

Mme Cahana : C'est illusion de l'amour.

Le sénateur Poy : Vous avez raison. C'est quelque chose que je n'ai jamais compris.

La vice-présidente : J'ai toujours cru que mon travail le plus important comme enseignante n'était pas tellement d'enseigner l'histoire, mais de contribuer à la création d'une image de soi chez les enfants de ma classe.

À quel type de développement faites-vous face? Y a-t-il des enseignants qui se préoccupent sincèrement de la personne de Tamira Cahana et de Nathaniel Mayer-Heft?

Mme Cahana : Je ne crois pas. Les frontières sont très limitées : Les enseignants sont là pour m'enseigner, je suis là pour écouter. Je ne crois pas qu'ils veuillent nous évaluer du point de vue humain. Je crois que les enseignants maintiennent cette distance, car — en fait je ne sais pas, qu'en pensez-vous?

M. Mayer-Heft : Je pense que ça leur viendrait peut-être à l'idée, mais j'ai le sentiment que l'école est très détachée de ses étudiants. Je pense que c'est un problème, et je pense que les enseignants devraient être plus près de leurs étudiants, devraient s'inquiéter de leurs propres étudiants et du genre de personnes que ceux-ci vont devenir. Après tout, ils apprennent tout à l'école ou de leurs parents, tout en subissant bien d'autres genres d'influences.

Si un enseignant se rend compte qu'un étudiant s'engage sur la mauvaise voie, j'ai l'impression que, dans mon école, par exemple, il ne fait pas grand-chose pour l'en empêcher. Je pense que les enseignants ne sont tout simplement pas intéressés. Je n'ai pas l'impression qu'ils sont là pour nous enseigner, nous sommes là pour les écouter, et je pense que nous sommes là pour qu'ils nous enseignent des choses.

La plupart des étudiants ne vont pas à l'école pour apprendre, ils vont à l'école parce qu'ils y sont obligés, parce qu'ils doivent passer à travers. La plupart des étudiants pensent qu'ils ne sont pas là dans leur propre intérêt; que l'école ne leur apportera rien. « Qui a besoin de mathématiques? » est une question qu'on entend tous les jours. Les enseignants devraient en être plus conscients et parler avec leurs étudiants et apprendre à les connaître.

Le sénateur Ruth : Vous avez tous les deux des valeurs très fortes. Où avez-vous appris vos valeurs? Elles sont peut-être différentes, mais vous en avez tous les deux. Est-ce que c'était à la synagogue? À l'école? Au sein de vos familles? Dans vos groupes d'amis, ou par la musique?

M. Mayer-Heft : Ma famille est très certainement un facteur important dans ma vie. Je n'ai pas l'impression d'avoir appris beaucoup de valeurs à l'école. J'ai l'impression que je les ai acquises après avoir vu ce qui arrive à l'école. Vous savez, après avoir vu à quel point les gens peuvent être détachés — c'est-à-dire, les enseignants par rapport aux étudiants. Puis, je les ai développées moi-même. Vous savez, il y a des influences partout. Mes amis m'influencent. Mes enseignants, dans une très petite mesure, m'influencent. Mes parents m'influencent. Je prends ce que je peux de tous. Je suis curieux.

Le vice-président : Bien sûr, puisque vous êtes resté ici tout l'après-midi.

M. Mayer-Heft : Je veux voir tout ce qui s'offre à moi et je prends ce que je peux; c'est ainsi que je suis fait.

Mme Cahana : J'aimerais simplement ajouter une chose au sujet de l'école. C'est une question très importante pour moi. Je pense que si l'école a changé, c'est pour devenir assez anti-intellectuel. Je pense que nous ne sommes pas vraiment là pour apprendre en tant qu'êtres humains; nous sommes là pour apprendre parce que nous y sommes obligés.

La vice-présidente : Sur cette note joyeuse, je vous remercie tous les deux infiniment. Je dois vous dire que nous avons été absolument enchantés de vous accueillir tous les deux cet après-midi. Comme vous l'imaginez bien, en tant que parlementaires, nous n'avons pas souvent l'occasion de parler avec des jeunes.

En fait, je vais aller à l'école de ma fille vendredi et j'assisterai à trois de ses classes, pour parler de la politique, et j'espère que je pourrai les sensibiliser un peu plus à l'art de la politique.

Nous n'aurions pas pu mieux choisir nos jeunes témoins aujourd'hui et je vous remercie infiniment.

La séance est levée.


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