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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 16 - Témoignages du 26 février 2007


OTTAWA, le lundi 26 février 2007

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne, et pour examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous avons été chargés de surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne, et d'examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Avant d'entamer la partie audition des témoins proprement dite, il me faut souligner la démission de notre vice- présidente, le sénateur Carstairs. Je tiens à dire, afin que cela figure au procès-verbal, et je suis certaine de parler ici au nom du comité tout entier, notre reconnaissance pour ses conseils, son engagement et sa participation dans le cadre des travaux du comité et des diverses études que nous avons entreprises.

Je tiens, en ma qualité de présidente, à remercier personnellement le sénateur Carstairs d'avoir été disponible, de nous avoir fait bénéficier de ses conseils, d'avoir appuyé le comité et d'être venue les lundis, ce qui est toujours difficile pour les sénateurs. Aujourd'hui, avec la tempête à Toronto, il nous manque encore quelques membres, qui sont en route. Le sénateur Carstairs a exercé ses fonctions avec diligence, et je sais que je peux parler au nom de tous les membres du comité pour lui exprimer notre reconnaissance.

Dans le cadre des conversations que j'ai eues avec le sénateur Carstairs, et elle pourra certainement parler en son nom propre, elle a indiqué qu'elle continuera de suivre notre travail de très près dans la poursuite de ses fonctions en tant que vice-présidente du Comité des droits de l'homme des parlementaires à l'Union interparlementaire. Son engagement à l'égard des questions relatives aux droits de la personne demeurera et nous ferons appel à elle de temps à autre pour les conseils et la participation que son emploi du temps lui permettra de nous accorder.

Nous allons maintenant procéder à l'élection d'un vice-président.

Le sénateur Carstairs : Étant donné que je suis aujourd'hui membre du comité, je propose l'élection du sénateur Fraser au poste de vice-président.

Le sénateur Munson : J'appuie la motion.

La présidente : Cela me ravit que vous l'appuyiez. S'il n'y a pas d'autres mises en candidature, je déclare le sénateur Fraser élue au poste de vice-présidente du comité. Bienvenue.

Le sénateur Fraser : Merci beaucoup.

La présidente : Ceci arrive à point nommé, et je suis certaine que le sénateur Carstairs et le sénateur Fraser en ont discuté entre elles, car nous poursuivons notre étude des mécanismes du gouvernement en matière de droits de la personne, étude qui occupe depuis quelque temps déjà le comité. Nous avons commencé avec Des promesses à tenir, un examen des rouages internationaux et de l'action canadienne face aux influences nationales et internationales. Nous avons produit plusieurs rapports par suite de cette étude. La Commission des droits de l'homme des Nations Unies s'est transformée, dans le cadre de la réforme des Nations Unies qui est en cours, en Conseil des droits de l'homme. Le Conseil vit une évolution et il demeure encore des questions à régler, mais nous avons pensé que le moment était opportun pour nous pencher à nouveau sur les rouages internationaux dans leur incidence sur les droits de la personne et fournir des conseils à l'échelle internationale ou plus particulièrement à notre gouvernement en vue de son travail au sein du Conseil des Nations Unies.

Nous sommes heureux de compter parmi nous aujourd'hui deux témoins, pour commencer. Je crois comprendre qu'ils ont entre eux décidé que le premier à parler serait M. Prasad, conseiller en droits de la personne pour Action Canada pour la population et le développement, ou ACPD, une organisation qui assistait autrefois aux réunions de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies et qui aujourd'hui suit de très près les travaux du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Ce sera ensuite au tour d'une personne qui est bien connue dans le monde des droits de la personne. M. Neve, secrétaire général d'Amnistie internationale — Section canadienne, a toujours appuyé le travail de notre comité et a plusieurs fois comparu devant nous. Amnistie internationale s'intéresse depuis de nombreuses années au travail de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, maintenant le Conseil des droits de l'homme. Nous lui demanderons conseil et l'inviterons à nous présenter une perspective historique du nouveau Conseil.

[Français]

Sandeep Prasad, conseiller en droits de la personne, Action Canada pour la population et le développement (ACPD) : Madame la présidente, Action Canada pour la population et le développement est une organisation qui œuvre à la défense des droits de la personne. ACPD focalise sur la santé, les droits sexuels et reproductifs et aborde la question de la migration internationale.

[Traduction]

ACPD a été sur place chaque année depuis 2001 pour la Commission des droits de l'homme de l'ONU, collaborant avec des gouvernements et d'autres organisations de la société civile. ACPD maintient sa présence au Conseil et a été sur place pour les séances du Conseil et pour les réunions des groupes de travail en matière d'établissement d'institutions, se concentrant tout particulièrement sur l'examen du système de procédures spéciales.

Je vais concentrer mes commentaires sur la première des quatre questions posées aux fins de la discussion d'aujourd'hui, celle de savoir si le Conseil réagit de façon efficace aux préoccupations exprimées relativement à la Commission.

Les raisons qui ont souvent été citées relativement au discrédit dans lequel était tombée la Commission étaient que son travail était devenu trop politisé et sélectif. Certains pays évitaient d'être surveillés du fait d'alliances politiques et de nombreux dossiers étaient activement ignorés, et je citerai à titre d'exemple le refus de la Commission de traiter de violations de droits de la personne pour des raisons d'orientation sexuelle ou d'identité sexuelle.

Pour ce qui est du Conseil, comme l'indiquent de nombreux rapports de presse, l'on aurait relevé certains signes avertisseurs du maintien de cette politisation et de cette sélectivité. Il a cependant également été relevé des indications de changements positifs. Clairement, la création du nouvel examen périodique universel, ou mécanisme EPU, est une mesure prometteuse visant à veiller à ce qu'aucun État ne puisse échapper à au moins un certain niveau de surveillance.

Il y a également eu des gains, au moins en cette première année, du côté de la participation de la société civile, à laquelle on reconnaît maintenant de droit de participation à des dialogues interactifs avec des rapporteurs spéciaux et la capacité de soulever des questions sous la rubrique « Autres questions » de l'ordre du jour des rencontres.

Le principal message qu'ACPD souhaite livrer est qu'il est à ce stade-ci encore trop tôt pour dire si ce Conseil sera une amélioration par rapport à la Commission. Nous nous trouvons toujours au beau milieu d'un processus de création de six institutions qui devra aboutir dans le courant du mois de juin. Le gros de la réponse à cette question dépendra de ce que les trois groupes de travail responsables de ces processus seront en mesure de bâtir comme structures du Conseil. L'efficacité de l'EPU et la poursuite de ces gains sur le plan de la participation des ONG dépendra des résultats obtenus.

Dans le cadre de ce travail d'établissement d'institutions, il y a certainement eu des développements négatifs, mais il y en a également eu des positifs. J'aimerais en mentionner quelques-uns dans chacune des deux catégories, en insistant particulièrement sur les développements dans l'examen par le groupe de travail du système des procédures spéciales, ce sur quoi ACPD concentre son travail.

Lorsque j'emploie le terme « procédures spéciales », j'entends par là le système de 41 rapporteurs spéciaux, représentants spéciaux, experts indépendants et groupes de travail créés par la Commission et qui ont maintenant été transférés au Conseil. Ils sont reconnus comme étant l'un des outils les plus efficaces que la Commission ait créés aux fins de la protection et de la promotion des droits de la personne. De fait, Kofi Annan les a appelés « les joyaux de la Couronne du système » lors de son récent discours prononcé à l'occasion de la Journée des droits de l'homme. ACPD appuie cette caractérisation.

Il importe, pour renforcer le système de procédures spéciales, de traiter de certains éléments clés. Premièrement, l'outil de communications individuelles des procédures spéciales doit être maintenu et renforcé. C'est cet outil d'appel urgent grâce auquel les procédures spéciales peuvent communiquer avec les gouvernements pour le compte des victimes individuelles de violations des droits de l'homme. Deuxièmement, il importe de combler les écarts de protection de façon à englober dans le cadre du système toutes les questions relatives aux droits de l'homme. Par « écart de protection », j'entends par là des volets des droits de l'homme pour lesquels il n'y a à l'intérieur du système aucun mandat en matière de couverture. L'existence de ces écarts est le reflet de la sélectivité. Troisièmement, il importe d'élaborer des méthodes de suivi pour vérifier la mise en œuvre de toutes les recommandations émanant des procédures spéciales. Quatrièmement, la collaboration de l'État avec les procédures spéciales doit être rehaussée. Cinquièmement, l'indépendance des titulaires de mandat doit être maintenue.

En ce qui concerne les écarts de protection, il y a maintenant convergence au sein du groupe de travail pour dire que ces écarts doivent être comblés. La dernière ronde de négociations a débouché sur une directive claire du facilitateur demandant des propositions concrètes pour combler et prévenir les écarts de protection. Reste à savoir comment cela sera réalisé, mais il s'agit d'un élément encourageant.

En ce qui concerne la question du suivi, il est bien reconnu que le manque de suivi systématique et efficace suite aux recommandations des procédures spéciales entrave sérieusement l'efficacité du système. Il y a aujourd'hui entente pour dire qu'à ce stade des mesures pour veiller à ce qu'il y ait un suivi efficace doivent être prises, et c'est là encore un autre signe positif.

En ce qui concerne l'amélioration de la coopération de la part des États, il reste à voir quelles mesures concrètes peuvent être prises, mais les ONG et plusieurs pays, dont le Canada, ont avancé des propositions constructives à cet égard.

Pour ce qui est des développements inquiétants, j'en mentionnerai deux. En décembre, le Conseil a adopté une résolution exigeant que le groupe de travail chargé de revoir les procédures spéciales élabore un code de conduite pour les titulaires de mandat, en dépit du fait que ceux-ci soient déjà assujettis à un code déontologique depuis 2002. Nous ignorons encore ce que renfermera ce code de conduite supplémentaire et l'incidence qu'il aura sur les méthodes de travail, comme par exemple l'outil de communications individuelles. Je crois que le groupe africain va très prochainement déposer son ébauche.

La sélection des titulaires de mandat a été une autre question chaudement débattue. Au stade actuel, il semble qu'il se tiendra une certaine forme d'élections, en dépit de la politisation que cela amènera. Cependant, même là-dessus il y a certainement des innovations qui pourraient minimiser la politisation, dont une proposition brésilienne prévoyant un processus rigoureux de sélection préalable et une proposition du Japon d'affiner encore cela en plaçant un seul candidat présélectionné devant le Conseil pour confirmation, au lieu que le Conseil procède à une élection à partir d'une liste de candidats présélectionnés.

En conclusion, le processus d'établissement d'institutions est toujours en cours. Chez ACPD, nous sommes d'avis qu'il y a eu suffisamment d'éléments positifs dans ce processus pour que nous demeurions optimistes.

Alex Neve, secrétaire général, Amnistie internationaleSection canadienne : Je suis en effet heureux d'être de retour parmi les membres du comité. Amnistie internationale apprécie, et je dirais même célèbre, depuis longtemps votre travail. Nous estimons que la création de ce comité a été un ajout particulièrement important sur la scène parlementaire, et nous avons suivi et nous sommes efforcés d'appuyer comme cela nous était possible l'important travail que vous avez entrepris. Le fait que vous vous intéressiez aux questions que vous nous avez demandé d'examiner aujourd'hui est encore une autre indication de l'importance du comité ici réuni, car ces questions ne sont pas en train d'être examinées ailleurs dans un contexte parlementaire.

Il y a un an, à la même époque, la communauté des droits de la personne retenait son souffle en attendant l'issue du débat final au sujet de la réforme extrêmement importante mais déjà trop longtemps attendue du système de défense des droits de la personne des Nations Unies.

Comme le savent les membres du comité, après une série de rapports et de réponses à des rapports envisageant et proposant des réformes exhaustives des Nations Unies, qui se sont succédés tout au long des années 2004 et 2005, les dirigeants mondiaux avaient, lors de leur sommet de septembre 2005, marquant le 60e anniversaire des Nations Unies, convenu de remanier en profondeur tout l'appareil des Nations Unies en matière de droits de la personne, y compris le renforcement du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, l'amélioration de l'efficacité du processus de surveillance des traités des Nations Unies et, ce qui est peut-être le plus important, la décision de créer un nouveau Conseil des droits de l'homme des Nations Unies pour remplacer la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, décision qui n'est pas venue sans contestation.

Je vais, dans mes remarques liminaires, traiter de ces deux dernières initiatives — la réforme des organes de suivi des traités et la création du nouveau Conseil des droits de l'homme —, à commencer par le Conseil.

La décision de créer le Conseil en particulier a capté l'imagination et alimenté les espoirs des défenseurs des droits de l'homme partout dans le monde. La Commission des droits de l'homme, créée en 1946, avait, pendant six décennies, été le plus important organe mondial de défense des droits de l'homme. Je pense qu'il est important de reconnaître que, bien que l'on s'attarde beaucoup sur ses manquements, la Commission a, pendant ces six décennies, réalisé beaucoup de choses et fait une contribution incroyablement importante au paysage mondial des droits de l'homme.

Cependant, en dépit de tout son bon travail, il est devenu indéniable en 2005 que la Commission avait été largement discréditée comme étant politisée et inefficace. Lors de sa séance annuelle, les gouvernements s'étaient davantage attachés à se mettre les uns les autres à l'abri de la surveillance du respect des droits de la personne, au lieu de veiller à ce que les préoccupations à l'égard des droits de l'homme partout dans le monde reçoivent l'attention régulière et approfondie qu'elles méritent. La décision, donc, de démanteler la Commission et de la remplacer par un organe pouvant et devant être plus fort et plus efficace a bel et bien été capitale.

Il y a eu quantité de débats et de battage politique au cours des mois qui ont suivi cette décision, de septembre 2005 jusqu'en mars 2006, lorsque la décision de créer le nouveau Conseil a finalement été confirmée et les détails peaufinés. Comptaient parmi les innovations : des élections pour le nouveau Conseil exigeant un vote majoritaire à l'Assemblée générale des Nations Unies, appuyé par des promesses publiques en matière de droits de la personne de la part des gouvernements se présentant aux élections, ce qui devait amener au processus électoral une rigueur et un contrôle qui n'avaient jamais existé auparavant; la promotion du nouvel organe au sein du système des Nations Unies au rang d'organe subsidiaire de l'Assemblée générale, soit un niveau de plus que l'ancienne Commission; le lancement d'un nouveau processus d'examen permanent — l'examen périodique universel ou EPU — des dossiers en matière de droits de la personne de tous les pays du monde; et la décision que le nouveau Conseil serait un organe permanent qui se réunirait au moins trois fois par an, alors que la Commission ne s'était, elle, réunie qu'une fois par an.

Ce nouveau Conseil, auquel le Canada a bien sûr été élu parmi la première liste de membres, s'est réuni pour la première fois en juin 2006 et a à ce jour eu trois sessions régulières et quatre sessions extraordinaires. Que son travail à ce jour nous dit-il au sujet du Conseil, du rôle du Canada en son sein et du potentiel du Conseil d'être à la hauteur des grands espoirs qu'il représente?

Comme l'a souligné M. Prasad, les reproches s'accumulent, les gens disant que le nouveau Conseil ne semble n'avoir changé que de nom et qu'il ne parvient pas à se libérer des bagarres politiques dont avait souffert la Commission. Trois des quatre sessions extraordinaires que les membres du Conseil ont convenu de convoquer en 2006 traitaient de la situation des droits de la personne dans l'État d'Israël. La quatrième a quant à elle traité assez timidement du Darfour. Il n'est rien ressorti de spécial du Conseil relativement à quelque autre crise en matière de droits de la personne ailleurs dans le monde. Est-ce un reflet fidèle et impartial de l'état des droits de la personne dans le monde que, l'an dernier, 75 p. 100 de l'attention spéciale du Conseil ait été accordée à Israël, 25 p. 100 au Darfour et qu'aucune autre crise n'a mérité qu'on s'y penche? Clairement pas. Le Conseil est-il sans espoir d'être sauvé? Encore une fois, je me ferais l'écho de ce qu'a dit M. Prasad : pas encore.

Cette première année a surtout été consacrée à mettre de l'ordre dans les procédures du Conseil, ce qui est extrêmement important. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus séduisant ni de plus enthousiasmant comme travail, mais c'est ce qui jettera les bases d'une institution qui pourra être durable. Deux initiatives en particulier ont occupé les membres du Conseil, et j'aimerais en faire ressortir quelques éléments clés, car c'est ce travail qui finira peut-être par faire ou défaire le nouveau Conseil. La première initiative est une innovation vitale, l'établissement d'un examen périodique universel du dossier en matière de droits de l'homme de tous les pays du monde. La deuxième, dont M. Prasad a déjà beaucoup parlé, est l'espoir de renforcer ce qui sont peut-être les joyaux de la Couronne ou l'épine dorsale du système de droits de la personne des Nations Unies — le système de procédures spéciales. Si quelque chose de solide et d'efficace pouvait naître de ces deux processus, alors le Conseil serait réellement en mesure de faire d'importantes nouvelles contributions à la protection des droits de l'homme dans le monde.

Je vais commencer par l'examen périodique universel ou EPU. L'un des reproches les plus fréquents à l'endroit de l'ancienne Commission des droits de l'homme était qu'elle était sélective et qu'elle avait deux poids deux mesures dans son traitement des accusations de violation des droits de la personne dans certains pays. Certains pays étaient souvent et assez facilement pris à partie et critiqués. D'autres, pour lesquels les inquiétudes en matière de droits de la personne étaient au moins égales voire plus sérieuses encore, échappaient régulièrement à tout contrôle. La clé, bien trop souvent, n'était pas la gravité des problèmes en matière de droits de la personne mais plutôt la puissance et l'ingéniosité politique du pays en question.

L'examen périodique universel a pour objet de changer cela. Dorénavant, tous les pays feront l'objet d'un examen régulier, dans le cadre d'un système de roulement. Si ce travail est fait correctement, cela pourra, ce qui serait sans parallèle, permettre au Conseil de disposer véritablement des moyens nécessaires pour promouvoir les droits de la personne dans tous les pays de façon uniforme, objective, transparente et même constructive. Cela étant dit, il y a toujours tout un débat en cours quant à la façon dont sera mené l'examen périodique universel.

Permettez que je passe en revue un certain nombre d'éléments critiques dont Amnistie internationale pense qu'ils détermineront la réussite ou l'échec de l'EPU.

Premièrement, l'EPU doit être plus qu'une petite séance de bavardage toutes les quelques années avec un gouvernement au sujet de ses antécédents en matière de respect des droits de la personne. Cela doit s'inscrire dans un processus continu de solide préparation préalable, de dialogues interactifs et exhaustifs, de résultats probants et de mesures serrées de suivi et de mise en œuvre.

Deuxièmement, pour qu'un processus d'EPU réussisse, il lui faut être appuyé par de solides compétences indépendantes en matière de droits de la personne, de façon à pouvoir cibler les éléments clés du respect des droits de la personne dans n'importe quel pays. Cela devrait inclure la mise à profit du travail du système des procédures spéciales, d'où l'importance de veiller à ce que l'actuel examen des procédures spéciales rende ces dernières plus fortes, plus indépendantes et plus efficaces.

Troisièmement, chaque État devrait subir un examen tous les trois ans. C'est là la position du gouvernement canadien, et nous l'appuyons. Il s'agit là du seul échéancier qui vaille, étant donné que les membres du Conseil sont censés faire l'objet d'un examen pendant qu'ils y siègent et que les mandats sont de trois ans. Cette fréquence est par ailleurs tout à fait logique pour une chose aussi importante que les droits de la personne. Des intervalles plus longs seraient tout simplement trop longs.

Quatrièmement, le processus d'EPU doit être en tout temps et à tous égards transparent, y compris pour ce qui est des renseignements servant de base à l'examen, du processus d'examen lui-même, du dialogue interactif, de l'issue et du suivi et de la mise en œuvre.

Enfin, Amnistie internationale maintient que l'EPU doit être perçu comme étant un outil parmi plusieurs dont dispose le Conseil pour s'attaquer aux situations que vivent les pays. Il ne devrait pas être considéré comme étant le seul outil. Les espoirs de tout le monde étant si lourdement investis dans la réussite du processus d'EPU, il y a une crainte que les autres outils, qui ont pendant si longtemps été à la disposition des membres de la Commission, et qui pourraient certainement continuer d'être utilisés par le Conseil, seront tout simplement oubliés.

Le Canada a été un fervent défenseur de l'EPU. En fait, le Canada a compté parmi les premiers et les plus énergiques des partisans de cette nouvelle approche. Amnistie internationale applaudit à ce rôle et comptera sur le Canada pendant les prochains mois, qui seront décisifs, pour maintenir cette position solide. Il reste à faire beaucoup de travail pour veiller à ce que l'EPU devienne tout ce qu'il peut être.

J'aimerais, entre parenthèses, souligner que l'attention du Canada à l'égard de l'EPU ne doit pas et ne peut pas ne viser que la scène internationale. Une fois l'EPU lancé et opérationnel, le Canada lui-même verra examiner son dossier en matière de droits de la personne. Le Canada sera peut-être en fait l'un des premiers pays. Étant donné que le Canada a été le champion de ce processus, il sera d'une importance critique que nous fassions bien les choses.

Le Canada a une longue histoire de participation active à l'examen, au niveau des Nations Unies, de son dossier en matière de droits de la personne, par le biais du processus d'organe de suivi des traités, que je vais aborder dans un instant. Le Canada prend très au sérieux ces examens. Cependant, il est devenu clair qu'il y a un écart de mise en œuvre important et très troublant, et tel que l'observance des recommandations découlant des examens de niveau Nations Unies fait souvent défaut. Je n'ai pas à insister sur cet aspect avec le comité. Vous en avez vous-même fait état dans plusieurs de vos rapports.

Une grosse partie du problème est que le Canada n'est doté d'aucun processus ou mécanisme sérieux de coordination transministérielle au niveau fédéral ainsi qu'entre les paliers gouvernementaux fédéral, provincial et territorial pour assurer la mise en œuvre. Au lieu de cela, les recommandations des Nations Unies semblent disparaître dans un trou noir, pour en ressortir dans une large mesure non exécutées en prévision de la ronde suivante d'examens.

Ce n'est pas là un modèle que le Canada peut se permettre de suivre avec le lancement du nouveau processus d'examen périodique universel. Un élément clé du bon fonctionnement de l'EPU sera que le Canada règle enfin ses propres problèmes, longtemps négligés, quant à sa capacité de respecter et de mettre en œuvre les recommandations en matière de droits de la personne émanant des Nations Unies.

Je vais maintenant traiter brièvement d'un autre important sujet de débats et de négociations au sein du Conseil : l'examen du système des procédures spéciales. Comme l'a souligné M. Prasad, un aréopage impressionnant et croissant d'experts, y compris rapporteurs spéciaux, représentants spéciaux et groupes de travail, s'est, au fil de nombreuses année, constitué au sein de la Commission. Certains de ces experts se concentraient sur des pays en particulier : le Burundi, la Corée du Nord, le Bélarus et Cuba sont des exemples d'actualité. D'autres se sont concentrés sur des thèmes : la torture, la violence faite contre les femmes, et le droit à la santé, par exemple.

Bien qu'il y ait eu une inégalité remarquable dans le degré auquel ces experts ont joui de la collaboration des gouvernements, ainsi qu'une inégalité sur le plan de la qualité de leur travail, au total, le système des procédures spéciales a été perçu comme étant peut-être la meilleure réussite de l'ancienne Commission. Son travail au fil des ans a servi à relever et à documenter des violations de droits de la personne partout dans le monde, à proposer des recommandations précises en vue de changements au niveau national, à identifier des schémas régionaux voire même mondiaux d'abus des droits de la personne, et à faire ressortir la nécessité de changements plus vastes, y compris au niveau international.

Il y avait des inquiétudes à l'égard du système. De nombreux gouvernements se sentaient menacés par le travail de ces experts et ont systématiquement cherché à en affaiblir ou à en miner l'efficacité. Au fil des ans, par exemple, plusieurs rapporteurs spéciaux qui se concentraient sur des pays en particulier ont vu leur mandat interrompu par un vote de la Commission, non pas parce que les problèmes en matière de droits de la personne qu'ils avaient relevés avaient miraculeusement disparu, mais plutôt parce que le pays concerné avait enfin réussi à rallier suffisamment d'alliés pour pouvoir remporter le vote. D'autres gouvernements, y compris celui du Canada, ont exprimé des inquiétudes quant à l'augmentation continue du nombre d'experts, parfois dotés de mandats flous, parfois dotés de mandats politisés, et ont demandé que le système soit rationalisé et mieux coordonné.

Avec la transition de la Commission au Conseil, le système des procédures spéciales a été conservé mais est sujet à examen. J'approuve et appuie toutes les recommandations que vous a soumises M. Prasad quant aux genres de choses au sujet desquelles le Canada devrait intervenir.

J'aimerais revenir sur la question d'un code de conduite, dont M. Prasad a fait état, et qui est aujourd'hui un sujet de préoccupation, car il est indicatif de l'intention de certains gouvernements d'essayer de trouver des moyens de miner, de saper et de trahir l'indépendance des procédures spéciales.

Un petit nombre de pays ont contré avec une proposition intéressante, soit qu'il importe d'avoir un code de conduite pour les gouvernements pour ce qui est du système de procédures spéciales. C'est ici que l'on relève les pires problèmes. Il y a des gouvernements qui traitent ces experts nommés par les Nations Unies de façon méprisante. Ils les ignorent, leur nuisent, ne les autorisent pas à entrer dans leur pays, les insultent, les offensent — toutes choses qui sont tout à fait inacceptables à l'égard d'experts désignés par les Nations Unies. Ces problèmes doivent être abordés dans un code de conduite pour gouvernements. Nous croyons comprendre que certains pays, comme par exemple la Suisse et le Liechtenstein, ont commencé à s'intéresser à la question. Si le Canada ajoutait sa voix et son énergie à cette initiative, ce serait positif.

Je dirai encore un mot au sujet du rôle du Canada en ces jours importants mais difficiles au Conseil. Ces huit premiers mois ont été difficiles, souvent marqués par le conflit et la division. Cela nous soucie, car le Conseil est en train de traiter de ces questions de procédures banales mais terriblement importantes qui jetteront les bases de ce que deviendra en bout de ligne le Conseil, et nous aimerions, idéalement, que tous les gouvernements s'unissent derrière des positions qui avancent aussi énergiquement que possible les droits de la personne. Ce retour facile à une concentration disproportionnée et fractionnelle de l'attention sur la situation des droits de la personne en Israël n'augure pas bien de l'avenir, pavant la voie à un retour aisé aux jeux politiques qui ont, pour une large part, contribué à la déconfiture de la Commission. Tout ceci contre une toile de fond animée par des regroupements, comme par exemple le regroupement africain, qui ont adopté des approches encore plus rigides qu'auparavant en matière de votes groupés sur les différentes questions.

Rien de tout cela ne contribue à l'instauration d'un environnement simple ou encourageant. Dans un tel contexte, donc, le Canada est peut-être l'un des pays les mieux placés pour surmonter les clivages géographiques, tendre la main aux modérés d'autres groupes et bâtir des coalitions en vue de contrer certaines de ces tendances inquiétantes. Nous autres, en tout cas, pressons depuis quelque temps le Canada de consacrer à cela une grande attention diplomatique.

J'aimerais maintenant aborder votre autre sujet de préoccupation : la réforme du processus des organes de suivi des traités. Je ne vais pas vous brosser le tableau de l'ampleur de la réforme qui est nécessaire. Je suis certain que les membres du comité en sont bien au courant. Que le document produit à l'issue du Sommet mondial de 2005 des Nations Unies signale qu'il faille s'y intéresser et que Mme Arbour, dans son travail, ait souligné cet aspect comme étant une priorité, sont des messages plutôt clairs. Le système accuse un arriéré, est sous-financé et compte certains membres de comité absolument exceptionnels mais d'autres, qui sont clairement moins qu'exceptionnels, ne sont pas indépendants ou ne possèdent pas les compétences requises. Les organes de suivi des traités eux-mêmes sont traités avec irrespect, désintérêt et mépris, à des degrés variables, par des gouvernements qui ne ratifient pas les traités essentiels, qui ne reconnaissent pas la pleine ampleur des pouvoirs de suivi des traités, qui font peu d'efforts pour soumettre des rapports aux comités afin que ceux-ci puissent faire ne serait-ce qu'un petit examen, sans parler de respecter les délais, et ignorent les recommandations et les opinions formulées par les comités.

Je vais vous donner quelques exemples. À tout moment, il y a plus de 1 000 rapports devant être soumis à des organes de suivi des traités qui sont en retard. Plusieurs pays ont 15 rapports ou plus qui sont en retard. La Malaisie, qui siège à l'heure actuelle au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, n'a ratifié que deux traités des droits de l'homme des Nations Unies : la Convention relative aux droits de l'enfant et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. L'actuel président de l'organe de suivi du traité sur les travailleurs migrants est l'ambassadeur du Sri Lanka aux Nations Unies — qui est, bien évidemment, loin d'être indépendant.

Tout cela étant dit, il s'agit d'une lutte qui mérite d'être menée plus avant. Les traités eux-mêmes sont critiques. Ils sont l'épine dorsale du droit international en matière de respect des droits de la personne. Il n'y a aucun doute que la principale faille en ce qui concerne les traités se trouve du côté de leur mise en œuvre, de leur respect de leur application. Il est assez facile de parapher et de ratifier un traité. C'est tout à fait autre chose que d'obliger les gouvernements à respecter leurs obligations. C'est pourquoi un système solide et efficace de contrôle du respect de ces traités est essentiel.

Vous vous interrogez tout particulièrement au sujet de la proposition du Haut Commissaire des droits de l'homme visant la création possible d'un seul et même vaste organe unifié qui serait responsable de la totalité des traités. Cette proposition a été faite pour plusieurs raisons, notamment en réponse à la plainte émanant de plusieurs gouvernements selon lesquels les nombreuses exigences en matière de rapports d'un nombre croissant d'organes de suivi de traités sont devenues un fardeau trop lourd et trop coûteux qui doit être rationalisé. Cette inquiétude augmente avec l'ajout prochain de comités supplémentaires, une fois entrées en vigueur les conventions sur les disparitions et les handicaps.

La réaction des États, des ONG et des organes de suivi des traités eux-mêmes a été tiède, pour des raisons vraisemblablement différentes. Amnistie internationale n'a pas déclaré sans équivoque que nous trouvons que c'est une mauvaise idée. Nous avons dit craindre que l'adoption d'une approche globale unique au contrôle des traités risque de diminuer l'attention particulière présentement accordée aux droits de segments particulièrement vulnérables de la société, notamment les femmes, les enfants et les minorités raciales. Cependant, nous avons surtout dit qu'avant d'adopter un changement aussi profond, il importerait de s'attaquer réellement aux lacunes chroniques du système, et nous estimons que l'attention et l'énergie dont bénéficie l'idée de réforme offrent une occasion à saisir. Par exemple, un aspect qui a désespérément besoin d'attention est la nécessité d'améliorer la qualité des membres des organes de suivi des traités. Cela vaut tant pour un mécanisme global unifié de suivi des traités que pour les organes de suivi qui sont en place à l'heure actuelle.

Nous reconnaissons que la tenue d'élections continuera vraisemblablement d'être le mécanisme par lequel les membres seront choisis, ce qui est malheureux, car cela fait intervenir la politique dans le processus; le système pourrait néanmoins être sensiblement amélioré. Les mécanismes pourraient être renforcés au niveau national, ce de façon à attirer les meilleurs candidats possibles. Le Canada pourrait offrir à cet égard de bons exemples, à titre d'illustration, à d'autres pays. Les États doivent être pressés de ne pas voter pour des membres qui ne sont pas indépendants du gouvernement ou qui ne sont clairement pas des experts.

Des discussions sont en cours en vue de la proposition de versions moindres d'unification, dont la fusion possible du Comité des droits de l'homme et du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, mais sans qu'il faille fusionner tous les comités. Une autre possibilité est la fusion fonctionnelle de comités, aux fins de la réception de plaintes individuelles, tout en laissant les comités fonctionner chacun de leur côté pour ce qui est du plus vaste travail d'examen périodique des antécédents des pays.

Comme vous le savez sans doute, le Haut Commissaire aux droits de l'homme organise pour juillet une rencontre à Berlin pour discuter de ces possibilités et d'autres encore. Amnistie internationale continue de participer activement aux discussions et de préconiser que toute approche en matière de réforme s'attaque aux problèmes structurels sous- jacents qui militent encore aujourd'hui contre le système même des organes de suivi des traités. Autrement, nous nous retrouverons simplement avec un énorme organe unifié au sein duquel se retrouveront tous les problèmes qui sont aujourd'hui parsemés.

Je vais conclure sur un mot au sujet du rôle du Canada au sein des organes de suivi des traités, ce qui nous ramène à certains des commentaires que j'ai faits au sujet de l'examen périodique. Dans le cadre du processus de réforme, le Canada a, sur le plan international, joué un rôle constructif, mais il continue de passer à côté au niveau national. Comme je l'ai dit plus tôt, il est grand temps que le Canada revoie en profondeur son propre engagement envers le système des traités en matière des droits de l'homme des Nations Unies. Notre dossier compte parmi les meilleurs qui soient en matière de ratification de traités et de fourniture, dans les temps, des rapports requis. Mais après cela, tout s'effrite. L'approche du Canada en matière d'observance est, pour dire les choses gentiment, obscure et confuse. Au fil des ans, de plus en plus d'importantes recommandations émanant d'organes de suivi des traités sont ignorées, sans explication convaincante de la part du Canada, et nous risquons de devenir encore un autre exemple d'État qui ne prend pas au sérieux cet important système.

Cela devient de plus en plus évident du fait du ton impatient de nombre des organes de suivi des traités, leurs observations de conclusion suite à l'examen des rapports périodiques du Canada soulignant les nombreuses recommandations qui n'ont pas été mises en œuvre et les frustrations face à l'argument fédéral-provincial que le Canada avance régulièrement pour expliquer ou excuser sa non-conformité.

Bien que le Canada continue de participer aux efforts internationaux visant à réformer le processus des organes des traités, il importe en même temps qu'il consacre une attention nationale à trois choses. Premièrement, nous devrions ratifier tous les traités en matière de droits de l'homme restants, y compris la convention sur les travailleurs migrants, le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et les nouvelles conventions sur les handicaps et les disparitions. Deuxièmement, nous devrions reconnaître le pouvoir de pétition individuelle en vertu de tous les traités, y compris les nouveaux mais également la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, convention que le Canada a ratifiée il y a de cela de nombreuses années, mais dont la procédure de plainte individuelle n'a jamais été acceptée ni reconnue par le Canada.

Troisièmement, au niveau ministériel, nous croyons qu'il est temps de convoquer une réunion qui se fait depuis trop longtemps attendre entre ministres fédéraux-provinciaux-territoriaux responsables des droits de l'homme dans ce pays. Il n'y a pas eu une telle réunion depuis 1988, ce qui est, selon nous, scandaleux. Une telle réunion pourrait faire beaucoup pour donner un coup de fouet au processus d'élaboration d'un mécanisme plus efficient, mieux coordonné, plus musclé et plus transparent pour veiller au plein respect des obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. À moins que nos dirigeants politiques n'épousent cette cause au Canada, nous ne verrons jamais se réaliser les progrès qui sont nécessaires.

La présidente : Merci. Vous avez repris un commentaire que nous avons énoncé dans notre rapport initial, soit qu'il faudrait une intervention de niveau ministériel pour changer la dynamique.

Le sénateur Munson : En ce qui concerne l'examen périodique universel, dont vous avez abondamment parlé, vous avez mentionné le terme « observance ». Comment faire pour obtenir des pays qu'ils observent des recommandations découlant de l'examen périodique universel? Quel muscle y aurait-il derrière ces recommandations?

M. Neve : C'est là la question éternelle qui se pose à l'intérieur du système des Nations Unies, car dans tout système de droit international, à quelques exceptions près, l'observance est presque toujours une question de bonne volonté et d'États qui se cajolent, s'encouragent et se pressent les uns les autres en ce sens.

L'on est en train d'étudier la question de savoir s'il devrait y avoir des sanctions sous une forme ou une autre en cas de non-respect — à tout le moins, la sanction légère mais pas si légère que cela de ne pas pouvoir se représenter comme candidat pour siéger au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. C'est là une option qui est à l'étude.

Nous espérons que ceci deviendra l'un des processus de droits de la personne les plus importants au sein du système des Nations Unies, et nous nous attendons à ce que cela en soi soit un désincitatif suffisant pour les pays qui se préoccupent de leur réputation internationale et qui ont à ce jour pu échapper à ce niveau de surveillance internationale.

Nous savons que même de puissants pays comme la Chine, par exemple, qui semblent souvent être à l'abri de pressions internationales quelles qu'elles soient, se préoccupent de ce que les Nations Unies disent ou ne disent pas au sujet de leurs antécédents en matière de respect des droits de la personne. Cela est ressorti clairement dans l'énergie et le capital diplomatiques que le gouvernement chinois a consacrés année après année à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies dans sa campagne réussie pour éviter que soit soumise à la Commission une résolution critiquant le dossier de la Chine en matière de droits de la personne. Cela signifie-t-il que lorsque ce sera au tour de la Chine de subir un examen périodique universel, il y aura par magie conformité de la part de la Chine? Nous ne sommes pas si naïfs. Nous savons qu'il restera encore à livrer d'importantes batailles à l'avenir, mais nous pensons que ce processus nous donne une force de frappe qui n'a jamais auparavant existé au sein du système international.

Le sénateur Munson : On nous a dit il y a deux semaines que le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a tenu quatre sessions extraordinaires, trois sur Israël et une sur le Darfour. Il est intéressant de relever certains des termes employés à l'époque. En ce qui concerne Israël, le Conseil avait exprimé sa réaction de « choc ». Cependant, dans le cas du Darfour et du Soudan, le Conseil a fait état « d'inquiétude ». Qui tient le stylo quant à ces discussions ou aux propos qui sont alors tenus? Lorsque des mots du genre sont employés, les gens ont tendance à regarder de l'autre côté, ce qu'ils ont, bien sûr, fait dans le cas du Darfour. Qu'est-ce qui a vraiment changé?

M. Neve : C'était là un sujet de réelle préoccupation. Ils ont commencé avec un reflet disproportionné du paysage mondial des droits de la personne en laissant entendre que les trois-quarts de leur attention spéciale auraient dû aller à Israël. Amnistie internationale critique souvent et clairement Israël pour son dossier en matière de droits de l'homme, mais cela veut-il dire qu'Israël devrait selon nous accaparer 75 p. 100 des sessions extraordinaires du Conseil des droits de l'homme? Clairement pas, et nous avons fait état de cette préoccupation. Le terme que nous avons employé pour décrire l'approche du Conseil des droits de l'homme à l'égard du Darfour a été « tiède », précisément du fait de notre attitude quant à la terminologie employée et à d'autres préoccupations relatives aux résolutions que le Conseil a adoptées à l'égard du Darfour. Cela est troublant. Nous autres et d'autres organisations avons dit qu'à moins que le Conseil ne prenne en main la situation de l'attention disproportionnée accordée à Israël et veille à ce qu'il y ait uniformité dans la façon dont sont traitées les situations dans les différents pays, alors il ne quittera même pas le bloc de départ s'agissant de convaincre le monde qu'il y aura une crédibilité différente cette fois-ci.

Quant à la question de savoir qui manie le stylo, ce sont les gouvernements. Ces résolutions résultent de négociations entre gouvernements. En essayant de déterminer si une résolution peut devenir acceptable pour tous et donc être adoptée par voie de consensus, le processus mène parfois à une édulcoration telle que vous vous retrouvez avec un libellé insipide que chacun peut appuyer. Cela peut créer des problèmes, bien qu'il soit toujours porteur d'avoir un solide consensus.

Le sénateur Munson : L'on est toujours préoccupé par quelque chose, mais cela dépasse la simple édulcoration.

La question d'un ambassadeur canadien des droits de l'homme a été mentionnée lors de nos dernières conversations avec M. Heinbecker et d'autres. J'aimerais connaître vos points de vue à tous les deux là-dessus.

M. Neve : Nous serions, bien sûr, favorables à tout ce qui amènerait une attention accrue, à grande incidence, aux droits de l'homme au sein du gouvernement. Je pense que le concours de circonstances pourrait être porteur. Je sais qu'au sein du gouvernement, des fonctionnaires très consciencieux ont été bouleversés par la réalisation que la nouvelle ère du Conseil des droits de l'homme est en train d'amener une série de défis et d'exigences exhaustives et sans fin, qui dureront toute l'année, et dont la quantité et la qualité n'ont rien du tout à voir avec ce à quoi le gouvernement était confronté à l'époque des six semaines assidues à Genève en mars et en avril. Il importe que soient dégagées, au sein du gouvernement, des ressources accrues pour veiller à ce que le Canada puisse être un joueur en tout temps et à tous les niveaux au sein du Conseil, le cas échéant. Il importera, sur différents plans, que puissent être lancées des initiatives diplomatiques à haut niveau, auxquelles un ambassadeur spécialisé dans le domaine pourrait faire une importante contribution.

M. Prasad : Pour me faire l'écho des commentaires de M. Neve, une élévation du statut des droits de la personne au sein du système des Nations Unies, combinée à une régularité des sessions, justifierait certainement l'existence d'un point focal de niveau ambassadorial pour ce qui est des droits de l'homme.

Le sénateur Kinsella : Bien sûr, notre distinguée présidente était autrefois l'ambassadeur du Canada auprès de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, mais vous ne pouvez pas l'arracher au Sénat; il nous faut la garder ici.

Cela est presque une honte nationale, pour irresponsabilité, de la part des ministres responsables des lois en matière de droits de la personne à l'échelle du pays, que ce soit au palier territorial, provincial ou fédéral, que dans ce domaine de politiques publiques cela fait presque 20 ans qu'il n'y a pas eu de rencontre de ministres. Or, si vous regardez l'issue de leurs première et dernière rencontres — car je pense qu'ils ne se sont rencontrés que deux ou peut-être trois fois —, ces rencontres ministérielles ont produit beaucoup de fruits. Je suis ravi que vous ayez exprimé publiquement votre appui et votre encouragement en faveur de la tenue d'une telle réunion ministérielle.

Il y a de nombreuses choses que les ministres doivent examiner. Ils sont responsables de déterminer quel genre de modèle national est requis aux fins de l'observance des traités. Après tout, ce sont eux qui sont responsables, envers le public, du respect des lois que leurs gouvernements — qu'ils soient provinciaux, territoriaux ou fédéraux — adoptent, ce afin de veiller à ce qu'elles soient conformes aux traités.

Deuxièmement, en ce qui concerne les examens périodiques, en vertu des différents traités pour lesquels sont à l'heure actuelle soumis des rapports périodiques, les ministres sont responsables des ressources publiques qui sont consacrées à la préparation de ces rapports aux paliers provincial, territorial et fédéral. Ne serait-ce que pour des raisons de reddition de comptes, c'est là encore une autre raison pour laquelle les ministres devraient se rencontrer.

Si l'on remonte loin en arrière, aux affaires des conventions de travail, la convention constitutionnelle établit qu'avant que le Canada ne ratifie un quelconque instrument international dans un domaine relevant de la compétence des provinces, il doit y avoir consultation entre les paliers de gouvernement. Comme l'ont souligné les témoins, il y a plusieurs traités que le Canada devrait ratifier et d'autres pour lesquels des discussions sont sur le point d'être entamées et qui exigent eux aussi des décisions politiques. Voilà encore une autre raison pour laquelle les ministres devraient se rencontrer.

Je poserais la question que voici aux ministres, peut-être pour les obliger à y réfléchir : en l'absence d'une infrastructure nationale, souhaitons-nous que la Commission canadienne des droits de la personne se voie chargée de fournir le mécanisme national requis? Je pose la question à titre de défi, et non pas nécessairement pour prôner ce modèle particulier. Il nous faut un instrument efficace d'un genre ou d'un autre. Les témoins sont-ils d'accord avec moi là-dessus?

M. Neve : Sommes-nous d'accord avec l'idée que vous lanciez un défi aux gouvernements là-dessus? Absolument. Je ne suis pas en position de dire si l'idée particulière au sujet de la Commission canadienne des droits de la personne est la meilleure solution. C'est une idée intéressante et c'est justement le genre de proposition qui mérite qu'on y accorde une attention sérieuse. Il y a probablement d'autres modèles qui pourraient également être examinés et envisagés.

Le sénateur Kinsella : De votre point de vue, qu'est-ce que donne à ce jour la représentation canadienne au sein du système? Y a-t-il suffisamment de rencontres avant les réunions du Conseil des droits de l'homme? Y a-t-il ici au Canada des réunions avec la communauté non gouvernementale avant les rencontres du nouveau Conseil des droits de l'homme des Nations Unies? Le processus tel qu'il existait avec l'ancienne Commission des droits de l'homme a-t-il été maintenu?

M. Neve : Comme le savent sans doute les membres du comité, la tradition de longue date était qu'il y ait trois journées de consultations entre ONG et gouvernements avant les réunions de l'ancienne Commission des droits de l'homme. Nous tenons une série de réunions avec un petit groupe d'ONG et des intervenants clés au ministère des Affaires étrangères pour réfléchir à ce que signifie pour nous cette nouvelle ère. Cette tradition des réunions préalables était logique à l'époque où il y avait une session pour la Commission; à cette époque, une réunion de consultation tant de semaines avant la session était la bonne façon de procéder. Aujourd'hui, le Conseil tient des sessions tout au long de l'année.

Le sénateur Kinsella : Avez-vous bon espoir qu'il y aura un nouveau modèle?

M. Neve : Je pense que oui. Cette année, comme solution d'attente, nous avons retenu l'ancien modèle. Début février, il y a eu deux journées de consultations et les dernières sessions de deux jours ont justement porté sur cette question de l'avenir des consultations. Il y avait de part et d'autre — c'est-à-dire du côté du gouvernement et de celui de la communauté des ONG — un esprit de bonne volonté et d'engagement à trouver quelque chose qui puisse fonctionner.

Le sénateur Kinsella : Étant donné sa nouvelle structure, pensez-vous que l'ONU sera mieux équipée pour traiter avec les nombreux acteurs non étatiques qui exercent une influence énorme sur le plan de la jouissance des droits de l'homme et qui sont en fait bien souvent coupables du refus du respect des droits de l'homme? Je songe aux cartels de la drogue, aux organisations criminelles et aux organisations terroristes. Dans certaines circonstances, je peux également songer à des sociétés mondiales tout à fait légitimes qui, de par leur comportement, entravent la promotion et la protection des droits de l'homme. Cette nouvelle structure sera-t-elle mieux équipée, en cette ère post-Westphalienne, pour traiter de ces acteurs non étatiques, dont bon nombre disposent de plus de ressources financières et autres que la moitié des États membres des Nations Unies? Cette structure saura-t-elle trouver la formule, ou bien existe-t-il une autre structure? Devons-nous tout simplement baisser les bras?

M. Neve : Une partie de la réponse à cela est toujours en évolution. Il n'y a aucun doute que les innovations comme l'examen périodique universel sont très axées sur les États. Cela étant dit, c'est aux États qu'il revient de déterminer quel genre de questions ils veulent aborder dans leur examen d'autres États. C'est souvent l'appui de l'État ou la négligence par l'État qui est derrière le pouvoir des acteurs non étatiques dont vous avez parlé. Bien qu'ils ne soient peut-être pas redevables à l'intérieur d'un système onusien axé sur les États, il y a des gouvernements qui leur offrent abri ou appui tacite et qui peuvent et devraient être tenus responsables. L'examen périodique universel serait une façon de faire davantage remonter cela à la surface.

Par ailleurs, il a été lancé, il y a de cela quelques années, et cela continue encore aujourd'hui, un processus au sein du système onusien des droits de l'homme visant la possibilité d'une nouvelle approche pour exiger des comptes des sociétés transnationales pour leur comportement sur le plan des droits de la personne. Ce processus continue de faire l'objet de beaucoup de débats. Il n'y a rien qui s'approche d'un consensus entre gouvernements, sociétés et ONG quant à ce sur quoi devrait déboucher cet exercice. Je pense qu'il nous faudra attendre encore plusieurs années avant d'en voir la fin, mais cela montrera la voie pour au moins l'un des acteurs dont vous avez fait état.

M. Prasad : L'approche à l'égard des droits de l'homme au Conseil demeure axée sur les États, tout comme c'était le cas à la Commission, en dépit de l'existence de mandats pour les procédures spéciales relatifs aux différentes questions que vous avez mentionnées. Je pense que la question est toujours de savoir ce qui sera prescrit dans les structures du Conseil.

Le sénateur Dallaire : Vous devez néanmoins être optimiste face à toute cette friction entre États et aux manipulations et aux rafistolages dans les coulisses auxquels s'adonnent les États relativement aux résultats ou aux mesures que cette mission pourrait éventuellement enclencher. Cela est encourageant. Si tout le monde ignorait ce qui se passait, cet exercice tout entier serait perdu. Il y a donc un sentiment que les choses pourraient évoluer de façon plus positive.

Nous avons une loi fondamentale du pays qui est vieille de 25 ans et qui n'a pas été revue, et je veux parler de notre Charte. Nous nous posons d'importantes questions au sujet de son application. Songez aux peuples autochtones. Ils sont un million, et ce n'est pas une minorité insignifiante. Songez également aux complexités des nombreux groupes ethniques qui arrivent, avec les frictions culturelles et religieuses qui les accompagnent et qui exigeront arbitrages et solutions. Notre politique étrangère est fondée sur l'idée de nous rendre sur place dans les pays étrangers pour les aider à établir droits de l'homme, bonne gouvernance et ainsi de suite, à un point tel que nous y envoyons des troupes à l'appui de ce travail. Nous nous occupons de plus en plus de commerce, et la population souhaite voir les entreprises être beaucoup plus responsables à l'égard des droits de la personne. Elle veut voir des sociétés propres et transparentes qui prennent des mesures. Étant donné tout cela, comment se fait-il que les droits de l'homme soient une tâche secondaire pour un autre ministre? Comment se fait-il que la gouvernance de cet élément fondamental de la nation, dont nous pensons qu'il est l'essence même de nombre de nos valeurs, est assurée par un autre ministre lorsqu'il a le temps et avec du personnel secondaire qui n'est pas au fait? Pourquoi n'avons-nous pas dans ce pays un ministre, un politique, qui soit responsable des droits de la personne?

M. Neve : Je pense que la volonté politique est sans doute un élément clé de la réponse à votre question. Bien sûr, si une attention politique de haut niveau dans ce pays était accordée aux questions et préoccupations en matière de droits de l'homme, au niveau tant international que national, alors il serait beaucoup plus difficile pour les gouvernements d'esquiver, d'ignorer et de tirer au flan en matière de droits de l'homme, ce que nous constatons souvent. Je ne veux pas dire par là que c'est toujours le cas. Bien souvent, d'importantes décisions et initiatives en matière de droits de l'homme sont prises, mais certains des aspects que vous avez soulignés ont été particulièrement contentieux. Les droits des peuples autochtones et des réfugiés et des immigrants sont de bons exemples de cas pour lesquels il y a eu beaucoup de contention et de friction, et il est beaucoup plus facile de balayer ces questions dans un coin et de ne pas utiliser le langage des droits de l'homme. Lorsque nous travaillons dans le domaine des revendications d'Autochtones, les organisations comme Amnistie internationale parlent souvent de questions de droits. Les gouvernements préfèrent alors parler plutôt de questions sociales, de problèmes de droit pénal ou autres, ce qui amène tout un autre jeu de responsabilités et de solutions. C'est là un gros élément dans tout cela.

M. Prasad : J'appuie les commentaires de M. Neve. Une part importante du comportement des États au niveau du Conseil, et c'était certainement le cas à l'époque de la Commission, visait à éviter la surveillance et à ne pas consacrer d'attention aux droits de l'homme. Cela ne diffère pas de votre observation.

Le sénateur Dallaire : Je n'accorde aucune confiance aux commissaires. Je ne leur reconnais pas de pouvoir ultime d'exercer une influence conséquente. Je trouve extraordinaire que nous ayons un ministre du sport mais pas des droits de l'homme.

Le sénateur Fraser : Cette question s'adresse à vous deux, mais elle a été amenée par une référence que vous avez faite dans votre déclaration, monsieur Neve, et concerne la réforme des organes de suivi des traités. Vous avez mentionné des craintes que si la proposition en matière d'unification de Mme Arbour devait porter fruit, alors certains droits, comme par exemple ceux des minorités et des femmes, pourraient peut-être être traités plus légèrement que ce n'est le cas à l'heure actuelle. Cela me soucie beaucoup. J'en sais quelque chose des droits des femmes. Il est éminemment clair, pour un nombre navrant de gouvernements et de parlements de par le monde, que non seulement les droits des femmes sont loin sur leur liste de priorités, mais que dans certains cas ils y sont carrément opposés. Cela me préoccuperait beaucoup que le tout soit réuni sous une seule et vaste ombrelle où ces gouvernements seraient les seuls ayant droit de vote. Notre gouvernement pourrait lui aussi voter, mais il n'y aurait pas d'organe distinct chargé d'examiner ces questions.

Vous avez chacun exprimé un optimisme prudent — très prudent — quant aux perspectives de ce Conseil, et vous avez chacun souligné la nécessité, au minimum, d'un genre de réforme administrative plutôt que ce genre de prolifération sans fin d'organes divers que l'on relève si souvent sur la scène internationale. Votre inquiétude est-elle si vive qu'il est inhérent que, pour l'avenir prévisible, pour bon nombre d'années, nous devrions laisser de côté toute unification, mis à part un certain ménage administratif, ou bien entrevoyez-vous des moyens de résoudre ces sujets de préoccupation dans le cadre de la proposition de Mme Arbour?

M. Prasad : Action Canada pour la population et le développement partage entièrement les inquiétudes que vous avez exprimées quant à la perte de spécificité relativement aux différentes conventions s'inscrivant sous cette proposition d'organe conventionnel unifié. La question serait de savoir de quelle manière la compétence des membres actifs dans le cadre de l'actuel système sera maintenue à l'intérieur d'un modèle unifié. Bien que le plan du Haut Commissaire aux droits de l'homme fasse état du fait qu'il en sera tenu compte, il est avare d'explications quant à la façon dont cela serait fait et ne détaille en vérité aucune proposition en ce sens. C'est là une grosse préoccupation pour nous, surtout si chaque comité produit chaque année autant de conclusions au sujet de chaque pays.

Les droits des différents titulaires de droits pourront-ils faire l'objet d'un tel niveau de surveillance à l'intérieur d'un organe conventionnel unifié? À ce stade-ci, cela est ni clair ni certain. Cela requiert un travail plus poussé. Les présidents des différents organes de suivi des traités se rencontrent annuellement et ont produit de nombreuses recommandations en vue de l'harmonisation et de la simplification de leur travail. Il importe de donner à ces innovations la possibilité de faire leurs preuves.

M. Neve : Il nous faut retourner en arrière et nous demander pourquoi la communauté internationale a jugé nécessaire d'adopter des traités spécifiques traitant de la discrimination à l'endroit des femmes, des enfants et des minorités raciales. La communauté internationale a pris ces décisions sous l'impulsion de la société civile, mais c'étaient des décisions gouvernementales, car on a reconnu qu'il s'agissait de secteurs de la société dont les droits étaient particulièrement vulnérables et méritaient donc une attention plus grande et plus ciblée. L'on ne pouvait pas compter simplement sur les traités généraux. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ont traité de ces questions. Ils parlent de non- discrimination et d'égalité des sexes. Il n'y a rien dans ces pactes qui ne prévoie pas les genres de protection pour les femmes, les enfants et les minorités raciales dont nous parlons, mais le monde reconnaît que ces traités génériques n'étaient pas à la hauteur et ne protégeaient pas suffisamment ces segments de la société.

Deux ou trois décennies plus tard, selon le traité dont vous parlez, y a-t-il eu un tel avancement, une telle maturation au sein du système international que nous pouvons maintenant compter que le monde a intégré ce message et que la protection des hommes, des femmes, et des minorités raciales fait aujourd'hui partie intégrante de la façon dont la communauté internationale aborderait le travail en matière de droits de l'homme? C'est loin d'être le cas. Vous avez fait ressortir à ce propos vos propres inquiétudes, et je pense qu'elles sont bien fondées.

À notre avis, ce qui est proposé est prématuré. Est-ce que j'espère que d'ici quelques années ou quelques décennies nous aurons une communauté internationale qui aura solidement intégré la compréhension, la perspective, l'analyse et l'importance des droits de ces secteurs et d'autres qui sont en train d'être ajoutés au paysage des droits de l'homme? Nous avons par exemple la nouvelle convention sur les handicaps. Il s'agit là encore d'un autre bon exemple. Pour l'amour de Dieu, il a fallu six décennies pour mettre en place ce traité, et cela nous inspirerait aujourd'hui confiance de décharger cette responsabilité en matière de protection de ce traité à quelque nouvel organe unifié générique? J'espère que nous en serons là un jour. Est-ce que je pense que nous en sommes là en 2007? Non.

Le sénateur Carstairs : Cela me désole que les Canadiens ne comprennent pas, et je crois en effet que de nombreux Canadiens ne comprennent pas, sans parler de nombreux gouvernements canadiens, mais voilà qu'un petit groupe d'écolières de sixième année a quitté un terrain de soccer à Montréal parce qu'une des membres de l'équipe n'a pas été autorisée à porter son hidjab, et je me dis : « Fantastique! Nos enfants ont compris. » Cela me permet d'espérer pour l'avenir pour ce qui est de l'aspect respect.

J'aimerais que vous nous donniez quelques conseils pratiques. Nous partageons, bien sûr, votre préoccupation face au fait que, sur quatre réunions, trois soient consacrées à Israël et une seule au Darfour. Le Canada devrait-il appuyer le vote aux deux tiers nécessaire pour obtenir que les problèmes liés à un pays soient soulevés une deuxième fois aux fins d'une deuxième rencontre, au lieu de laisser la simple majorité gouverner? Cela suffit-il?

Ma deuxième question concerne un sujet qu'a soulevé le sénateur Fraser. Je peux m'imaginer des cas où certains organes pourraient peut-être être intégrés. Je pourrais peut-être même envisager un organe de suivi de traité qui se consacrerait particulièrement aux groupes minoritaires et qui pourrait ainsi cibler son travail. Cependant, une meilleure solution ne serait-t-elle pas de fournir de l'aide à ces pays qui ont de la difficulté à respecter les procédures de rapport? Ne devrions-nous pas prendre cette mesure-là avant d'envisager de fusionner ces choses?

M. Prasad : Je vais répondre à la première question que vous avez posée, au sujet de la majorité des deux tiers. En dépit des soucis légitimes à l'égard de ce déséquilibre et des thèmes des sessions extraordinaires, l'adoption d'une règle de majorité des deux tiers des voix rendrait plus difficile la tenue de sessions extraordinaires. L'une des innovations du Conseil est que, malgré le fait qu'il y ait eu asymétrie quant aux sujets abordés, il ait tenu quatre sessions extraordinaires en l'espace de sept mois. Il s'agit là d'un signe positif; la Commission, elle, n'a jamais tenu que cinq sessions extraordinaires pendant toute son existence. Je ne serais pas en faveur de cette proposition.

M. Neve : Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il importe de faire quelque chose pour veiller à ce que les sessions extraordinaires soient convoquées de façon plus responsable. Cependant, je partage également votre crainte que, si l'on haussait la barre de façon à traiter de l'attention disproportionnée accordée à Israël, cela pourrait en même temps vouloir dire que de nombreuses situations dans d'autres pays, comme celle au Darfour ou ailleurs, n'auraient aucune chance de passer au-dessus de cette barre. C'est là une très bonne question.

Le sénateur Carstairs : Je ne considérerais cela comme étant une barre que si le pays en question n'avait pas déjà fait l'objet d'un examen pendant l'année civile en cours.

M. Neve : Bien. Puis-je prendre le temps de réfléchir à cette question? J'aimerais connaître le point de vue de mes collègues basés à Genève et qui suivent de près la convocation et les processus entourant les sessions extraordinaires. J'entreprends de faire cela et de vous livrer leurs points de vue. Je sais qu'ils ont été frustrés et troublés, bien que quelque peu excités également, comme l'a souligné M. Prasad, du fait que des sessions extraordinaires soient tout d'un coup tenues, et à un rythme encore jamais vu.

En ce qui concerne le processus des organes de suivi des traités, je pense qu'il y a des options intéressantes à explorer outre l'idée d'un seul et unique organe unifié, parfaitement énorme, qui s'occuperait de tout pour la totalité des traités. Cela fait partie de ce qui sera exploré à la réunion prochaine à Berlin. Y a-t-il une unification partielle qui pourrait être envisagée, pour rassembler des gens autour des thèmes ou de fonctions particuliers? Je pense que ce sont là d'intéressantes idées à explorer.

Vous avez raison de dire que, quoi que nous fassions en matière d'unification, il y a des questions critiques sous- jacentes qui doivent être examinées, et ce, que nous demeurions fragmentés, ou que nous soyons partiellement unis ou totalement unis. Comme je l'ai souligné plus tôt, compte parmi ces questions le fait de veiller à ce que ces organes de suivi des traités soient composés des bonnes personnes. Le fait de ne pas y avoir de bons membres compte pour une grosse partie du problème; c'est pourquoi des arriérés s'accumulent et c'est pourquoi la qualité du travail qui ressort de certains de ces organes n'est pas ce qu'il devrait être et est, de ce fait, plus facilement ignoré par certains gouvernements.

Ce que vous avez dit, également, au sujet du fait de mettre l'accent sur la constitution de capacités et de fournir une aide, sur le plan ressources, aux gouvernements, pour veiller à ce qu'ils soient en mesure de prendre les choses en main et de simplifier les processus, afin que les gouvernements soient en mesure de rendre compte aux organes de suivi de façons qui ne deviennent pas désespérément onéreuses, est un autre volet qui mérite désespérément qu'on y travaille.

La présidente : Il y a de nombreuses autres questions que nous pourrions et devrions explorer relativement à ce dossier, et vos compétences et votre intérêt sont tout à fait les bienvenus. L'on sait trop peu de choses au sujet de nos obligations découlant de traités internationaux, et il nous faut cerner des possibilités d'améliorations pour le Canada et pour la cause des droits de l'homme.

Il importe qu'il y ait un équilibre entre la poursuite de progrès dans ces dossiers et la nécessité d'avoir un processus qui fonctionne. C'est là l'une des énigmes du passé; en l'occurrence, vous avez la situation que l'on sait au Darfour, mais vous avez également une procédure à suivre qui peut ou non vous aider. Il nous faut faire coïncider les dossiers qui nous préoccupent et la nécessité d'intervenir et les moyens les plus efficaces de le faire. Ceci n'est que le début d'une exploration et nous vous remercions tous les deux pour vos exposés. Je trouve qu'ils ont été très utiles. S'il y avait quoi que ce soit que vous aimeriez ajouter, n'hésitez surtout pas, car nous espérons déposer notre rapport dans les plus brefs délais, mais il reste encore un peu de temps pour la réflexion.

Nous allons maintenant entendre notre deuxième panel dans le cadre de notre ordre de renvoi, qui est de surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et d'examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne. Ce panel est composé de deux personnes, notamment Mme Riddell-Dixon, du département des sciences politiques de la Univesity of Western Ontario, et M. Penny, professeur adjoint de droit international à la Norman Paterson School of International Affairs.

Elizabeth Riddell-Dixon, professeure, département des sciences politiques, University of Western Ontario : Merci de l'occasion qui m'est ici donnée de partager certaines de mes idées avec vous. Je n'étais pas certaine de me rendre, vu le mauvais temps, mais j'y suis arrivée et j'ai eu le privilège d'entendre la toute fin de la séance précédente.

Mes points de discussion, dont vous avez, je pense, copie devant vous, sont divisés en trois parties, ce afin de traiter des trois thèmes que vous m'avez soumis.

Le sénateur Nancy Ruth : Nous ne les avons pas.

Mme Riddell-Dixon : Lorsque vous les aurez en main, vous verrez qu'ils sont répartis en trois sections, qu'ils coïncident avec les trois sujets dont on m'a demandé de traiter.

Étant donné que j'ai entendu une partie de la discussion avec le panel qui m'a précédée, je ne vais pas insister sur les façons dont le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies fonctionne bien du fait de ses avantages en tant qu'organe permanent, ni sur les progrès qu'il a réalisés relativement à certaines questions de procédure et de fond. Ces aspects sont énumérés sur les feuilles que vous allez bientôt recevoir.

J'aimerais cependant, sur la base de la discussion que vous venez d'avoir, souligner le fait que certains des plus graves problèmes de l'ancienne Commission des droits de l'homme persistent encore, surtout au niveau des membres. Même si les règles de procédure pour les élections sont telles que la composition du Conseil est moins défectueuse qu'autrefois, celui-ci compte néanmoins de sérieux abuseurs de droits de la personne, comme par exemple l'Algérie, le Pakistan et l'Arabie saoudite. Il s'agit là d'un sérieux problème qui doit être réglé, même s'il est clairement délicat et difficile sur le plan politique.

Cet état de choses amène à son tour quantité d'autres problèmes, dont le fait que les débats géopolitiques accaparent une grosse partie du temps, laissant peu de place aux autres questions à l'ordre du jour. Plus grave encore, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies n'a pas pris de mesures concrètes face à certaines des pires situations de violation des droits de l'homme survenant au Darfour, au Tchad, au Sri Lanka, à Myanmar, en Ouzbékistan, en Colombie et au Zimbabwe. Il y a également le problème, dont je sais que vous avez déjà traité, de la sélectivité des cibles et du fait qu'Israël soit le seul pays dont le dossier fasse régulièrement l'objet d'évaluations.

Il faut, pour s'attaquer aux principaux problèmes du Conseil, examiner sa composition. Il s'agirait de tenir les membres responsables des promesses qu'ils font lorsqu'ils arrivent en premier lieu au Conseil et être prêt à suspendre les droits de membre de ceux qui sont des violateurs systématiques et flagrants des droits de la personne.

La deuxième question qu'on m'a demandé d'examiner est celle du rôle du Canada. J'aimerais commencer par parler du rôle du Canada dans le contexte de son dossier en matière de création de normes et de mise en œuvre de normes.

En ce qui concerne la création de normes, le Canada est un chef de file mondial. Nous sommes sans doute le pays qui a proposé le plus grand nombre de résolutions à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, et ce dans le cadre d'une vaste gamme de dossiers. C'est là une chose dont nous pouvons être fiers.

Cependant, la réputation du Canada en tant que promoteur de normes dans le domaine des droits de la personne a récemment été ternie par le fait que nous ayons tenté de contrecarrer l'adoption de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, non seulement au Conseil, mais également à la Troisième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies.

Le dossier de mise en œuvre du Canada ne correspond pas à son dossier en matière de création de normes. Le rapport de 2006 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels reproche au Canada de ne pas avoir mis en œuvre les recommandations faites par le Comité en 1993 et en 1998.

Le plus récent rapport du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes fait état de toute une gamme de domaines dans lesquels le Canada n'est pas à la hauteur de son dossier en matière de droits de la personne, notamment la pauvreté des femmes, la violence faite aux femmes, la sous-représentation chronique des femmes dans la vie politique et publique, et la discrimination systématique à l'endroit de femmes autochtones.

En cette époque où les dossiers des membres du Conseil sont de plus en plus contrôlés, il est important que le Canada mette de l'ordre dans sa maison sur les plans et de l'établissement de normes et de leur mise en œuvre. Clairement, il y a du travail à faire sur les deux plans, mais surtout, dirais-je, sur celui de la mise en œuvre des normes.

Le Canada doit être félicité d'avoir appuyé la participation d'organisations non gouvernementales au processus d'élaboration de politiques à l'intérieur du pays et lors de négociations internationales. Les ONG jouent un rôle important dans la démocratie. Elles facilitent, par exemple, le regroupement et l'expression des préoccupations des citoyens. Cela est particulièrement important dans le domaine de la politique étrangère, car cela ne fait pas partie des programmes électoraux.

Les ONG sont également importantes en ce qui concerne le contrôle du respect des traités. Le Canada mérite d'être félicité du fait qu'il ait régulièrement inclus dans ses délégations des représentants d'ONG. Les mécanismes d'origine gouvernementale visant à faciliter la participation d'ONG à la plupart des importants sommets et conférences des Nations Unies au cours des années 1990 ont eu des retombées très positives. Dans le court terme — c'est-à-dire pendant la durée de leur fonctionnement —, ces mécanismes ont permis la participation d'un groupe plus important et plus diversifié d'ONG, et leur ont également permis de faire des études et des examens beaucoup plus exhaustifs des documents internationaux.

Les gains à long terme ont été encore plus importants. Nombre des groupes, notamment ceux défendant les intérêts des femmes et luttant contre la pauvreté ici au Canada, n'avaient pas eu d'expérience sur la scène internationale. Leur participation leur a appris comment fonctionner sur le plan international et leur a montré l'avantage d'utiliser ces documents internationaux pour promouvoir leurs programmes nationaux. Cela ne plaît peut-être pas toujours au gouvernement de se faire critiquer, mais ces groupes ont, dans la démocratie, un important rôle de chien de garde à jouer. C'est pourquoi j'encouragerais le Canada à participer et à appuyer une solide participation de la part d'ONG.

La troisième question qu'on m'a demandé d'aborder est la proposition de la création d'un organe conventionnel permanent unifié. Le rapport comporte certainement des points forts, et le système existant connaît définitivement des problèmes. Sur le plan des points forts, les objectifs sont louables. Le rapport cerne en effet certains des principaux problèmes de l'actuel système et propose un certain nombre de solutions.

Les arguments les plus convaincants en faveur de cette proposition sont qu'elle réduirait le dédoublement aux niveaux national et international, améliorerait la coordination et favoriserait l'uniformité. Cependant, cette proposition est faible pour ce qui est d'offrir des mesures concrètes pour veiller à la réalisation de ces objectifs. J'aimerais passer en revue certaines de ces faiblesses, car si le Canada va réagir de façon positive, il importe d'étayer ces questions et d'y répondre.

La proposition se concentre sur le changement structural et ignore certaines autres variables importantes, comme par exemple la volonté politique. Il y a une hypothèse sous-jacente voulant que s'il n'existait qu'un seul processus d'examen, alors les pays seraient beaucoup plus prêts à préparer les rapports, et ce dans les temps. Cependant, il n'y a aucune corrélation entre le nombre de traités qu'un pays a ratifiés et ses antécédents en matière de dépôt de rapports. L'on ne peut aucunement dire que le nombre de rapports est une variable essentielle pouvant servir à déterminer si un pays va s'acquitter de ses obligations. Je maintiens que la variable essentielle est l'engagement envers le régime des droits de l'homme, auquel s'ajoute la volonté politique de respecter ses obligations découlant de traités.

Dans la plupart des cas, le rapport n'établit pas que l'adoption d'un changement structural radical du genre — en d'autres termes, le passage de plusieurs organes de suivi des traités à un seul organe conventionnel permanent unifié — est en fait nécessaire pour corriger les problèmes du système actuel. Il existe de nombreux problèmes chez les membres actuels : ils ont des niveaux de compétence variables, la représentation géographique est insuffisante et, surtout, la représentation des deux sexes est déséquilibrée au sein des organes des traités.

Cependant, le rapport n'explique pas pourquoi il est nécessaire d'avoir un organe conventionnel permanent unifié pour résoudre ces problèmes. Pourquoi ne pas tout simplement améliorer la composition des actuels organes de suivi des traités et veiller à ce qu'ils renferment les niveaux de compétence requis ainsi que les représentations géographiques sexospécifiques appropriées? De la même façon, la nécessité d'une meilleure coordination parmi les organes de suivi des traités est bien connue, mais, là encore, faut-il avoir un organe permanent unifié de façon à ce qu'il y ait une meilleure coordination? Ne serait-il pas possible d'œuvrer tout simplement en vue d'une meilleure coordination parmi les différents organes?

En ce qui concerne les membres, les recommandations en matière de procédures électorales et visant à exiger des candidats qu'ils satisfassent des critères plus détaillés sont tout à fait louables, et la composition serait un facteur déterminant de l'efficacité de l'organe permanent et du régime de protection des droits de l'homme dans son ensemble.

Encore une fois, la proposition laisse sans réponse de nombreuses questions pertinentes. Par exemple, comment les priorités seraient-elles fixées quant aux différents critères pour pouvoir siéger à cet organe, quant à la représentation géographique, quant à l'égalité des sexes et à la nécessité de différents types de compétences?

La présidente : Étant donné que nous avons votre texte, vous pourriez peut-être le résumer afin qu'il nous reste du temps pour M. Penny et des questions.

Mme Riddell-Dixon : Les points au sujet de la spécificité dont a fait état l'intervenant qui m'a précédée sont très importants. Le problème du non-respect est le talon d'Achille du régime de protection des droits de l'homme en général, et ces questions ne sont pas traitées comme il se doit par la proposition. C'est ainsi que je pose un certain nombre de questions à cet égard. Enfin, l'on dit que la participation de la société civile est importante. Cependant, comment veiller à ce que celle-ci ait une participation meilleure sur les plans tant quantitatif que qualitatif?

En conclusion, j'espère que le Canada reprendra son rôle de promoteur de la création de lois, qu'il s'acquittera de ses obligations en matière de droits de la personne telles qu'énoncées dans les traités qu'il a ratifiés, et qu'il assurera un solide leadership en trouvant des réponses et des solutions aux questions et aux problèmes que j'ai évoqués.

Christopher Kenneth Penny, professeur adjoint de droit international, Norman Paterson School of International Affairs : Honorables sénateurs, c'est un honneur pour moi d'avoir été invité à vous entretenir ce soir de l'importante mais très vaste question qu'est celle des droits de l'homme au sein du système des Nations Unies. Je vais faire une déclaration d'ouverture très brève et générale. Je vous laisserai le soin de détailler certaines de ces généralités avec des questions.

J'apporte à vos travaux une note d'optimisme prudent, mais dans une perspective à très long terme des droits de l'homme au sein du système des Nations Unies, et cet optimisme est tempéré par une saine dose de réalisme à court terme fondé, en partie, sur la nature politique de l'organisation onusienne elle-même et en partie sur les réalités contemporaines des droits de l'homme dans le monde, qui ne sont pas ce que l'un quelconque d'entre nous ici dans cette salle veut voir.

En ce qui concerne le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, il est trop tôt pour conclure avec certitude quelle sera son incidence ultime sur les droits de l'homme, mais il est juste de dire qu'il sera, au mieux, une modeste amélioration par rapport à la Commission des droits de l'homme, et que d'importantes limites structurales et politiques demeurent relativement à son fonctionnement et à la réalisation de ses objectifs ultimes, et cela vaut également pour le respect des droits de l'homme en général au sein du système des Nations Unies.

Cela étant dit, il ne faudrait pas perdre de vue les réalisations remarquables de l'organisation. Les droits de l'homme sont vieux d'environ 60 ans, au sens auquel nous les entendons. Ils sont une création moderne et le produit d'un processus progressif par étapes, et il est important d'envisager le Conseil comme étant un produit de ce processus progressif. Envisagé sous cette lumière, le Conseil est un pas de plus, mais un petit pas seulement, dans le processus progressif et dans l'approche exhaustive aux droits de l'homme au sein du système des Nations Unies. Le Conseil a mis en évidence et élevé la question à l'intérieur du système des Nations Unies, bien au-delà du rôle joué par la Commission, dans le sens où le Conseil est un organe subsidiaire de l'Assemblée générale et ne fait pas partie du Conseil économique et social de l'ONU. Il est imparfait, mais il est légèrement supérieur à ce qui existait auparavant, et il est beaucoup mieux que rien. Il est important de garder cela à l'esprit.

Étant donné le stade auquel nous en sommes dans ce processus progressif de protection des droits de l'homme au sein du système des Nations Unies, pour traiter brièvement de la proposition de la création d'un organe conventionnel unitaire faite par le Haut Commissaire aux droits l'homme et par d'autres, je me ferai l'écho des commentaires faits tout à l'heure par Alex Neve, soulignant qu'il s'agit d'une suggestion prématurée. Étant donné les limites pratiques, politiques et, surtout, juridiques à l'établissement d'un tel organe, limites qui sont illustrées par le processus qui a amené la création même du Conseil des droits de l'homme, il serait prématuré d'emprunter cette voie. L'énergie consacrée à cela serait plus productive ailleurs.

En conclusion, j'aimerais recentrer votre attention sur la responsabilité de protéger, qui est l'une des plus importantes initiatives canadiennes en matière de droits de l'homme des cinq dernières années. C'est, là encore, une autre illustration du processus par étapes dont j'ai parlé il y a quelques instants. Son inclusion dans le document produit à l'issue du Sommet mondial de 2005 a eu son prix : un concept dilué de responsabilité de protéger. Il a certainement été dilué par rapport aux itérations antérieures de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États. Cependant, l'on peut s'attendre à ce qu'il ait un effet conséquent au fil du temps. Le Canada devrait continuer de l'appuyer, pas simplement de façon rhétorique mais bien dans la pratique. Cela suppose appuyer le Conseil des droits de l'homme, qui en est un élément, et j'irais même jusqu'à dire qu'il est un élément clé de la responsabilité de prévenir, qui est l'idée d'œuvrer, aux côtés d'autres organes de surveillance et d'habilitation en matière de droits de l'homme, à l'identification de problèmes et à l'établissement de moyens de les résoudre avant que ne soit déclenchée la nécessité de faire intervenir cette responsabilité.

Là où cela est faisable et là où cela est nécessaire, le Canada devrait également se concentrer sur une action plus coercitive, mais la clé, en ce qui concerne le Conseil des droits de l'homme et le reste, est la responsabilité de prévenir.

La présidente : Merci. Vous avez chacun adopté une perspective différente. Il y aura de nombreuses questions.

Le sénateur Poy : Si vous aviez aujourd'hui une baguette magique, exigeriez-vous des pays membres qu'ils rendent des comptes quant à la norme mise en œuvre? Si vous aviez une liste de vœux, qu'aimeriez-vous voir fait? Je vous invite à répondre tous les deux.

Mme Riddell-Dixon : La résolution de l'Assemblée générale comporte en effet des dispositions. La question, encore une fois, est d'en assurer la mise en œuvre, mais les dispositions que je proposais ne sont pas particulièrement radicales. Elles sont tirées de la résolution de l'Assemblée générale. Il y a des dispositions en vue de la suspension de membres. Si j'avais cette baguette magique, je ferais mettre en œuvre ces dispositions-là.

Le sénateur Poy : Pensez-vous que la suspension change vraiment quelque chose pour certains pays?

Mme Riddell-Dixon : Lorsque la Commission des droits de l'homme a pour la première fois été créée, elle n'a pas attiré beaucoup l'attention. Puis elle a commencé à travailler et les pays se sont rendus compte qu'il se passait des choses. Les pays qui ne voulaient pas que le programme avance se sont rendus compte qu'il pouvait être avantageux de se joindre à la Commission. Ces pays veulent siéger au Conseil pour les mauvaises raisons, mais ils sont en train de se rendre compte qu'il y a définitivement des avantages à faire dérailler un processus avec des débats géopolitiques, à se protéger soi-même et ses amis, à vilipender ses ennemis et à veiller à ce que le processus n'avance pas. Cela donne un certain pouvoir.

M. Penny : Je ferais peut-être un peu marche arrière par rapport à votre question pour demander si, dans le contexte de la reddition de comptes, la plus grande question n'est pas celle du non-respect. Il est important de déterminer d'abord à quoi ce non-respect est dû. Certains États ne respectent pas les normes du fait d'un choix délibéré, mais dans le cas d'autres États leur non-respect de leurs obligations est dû à un manque de capacité.

Il est important de prendre un peu de recul et de déterminer quels États font quoi. Il s'agit certainement là d'un rôle que le Conseil pourrait jouer et qu'il jouera probablement. Et c'est ainsi que l'on peut alors choisir une voie différente et appuyer l'établissement de capacité et l'observance de façons différentes. Dans le cas des États qui refusent délibérément de respecter leurs engagements, le fait de déposer un rapport devant le Conseil ou devant un autre organe peut certainement amener leur dénonciation et leur humiliation, ce qui peut avoir un effet sur des États qui ne tiennent pas forcément à leur position de non-respect, et dans le cas des autres fautifs, il existe des mécanismes davantage coercitifs. Cependant, il importe d'user parcimonieusement de ces mécanismes, car, bien des fois, les mécanismes d'exécution à la disposition de la communauté internationale, une fois que l'on s'aventure au-delà du politique et du diplomatique, créent davantage de problèmes humanitaires qu'ils n'en règlent. Il n'existe pas de bonne solution quant à l'imposition de l'observance. Le secret est de ne jamais se retrouver dans cette situation au départ.

Le sénateur Poy : La seule tactique de dissuasion à l'heure actuelle est-elle la dénonciation et l'humiliation? Ne pouvons-nous pas faire plus que cela?

M. Penny : Le seul moyen de dissuasion général est de dénoncer et d'humilier. Dans les cas extrêmes, d'autres mécanismes sont disponibles. Je vous citerai les sanctions économiques, qui sont une arme contondante, et les sanctions ciblées, qui sont une arme plutôt inefficace, et il y a très peu de choses entre les deux. Dans les cas extrêmes, il y a les interventions militaires ou de force, mais les cas les plus flagrants de non-respect des droits de l'homme ne seront pas et ne devraient pas être réglés de cette façon.

Le sénateur Fraser : Je vais, avec la question qui suit, me faire un petit peu l'avocat du diable. Si vous étiez ici à la fin de la session précédente, vous vous souviendrez que j'ai de sérieux doutes quant à l'organe conventionnel unifié standard. Néanmoins, pour être juste envers Mme Arbour, je me demande si elle ne s'est pas dit, étant donné surtout la façon dont le Conseil semble évoluer, que le moyen d'obtenir quelque réforme que ce soit était de larguer une bombe, et que lorsque les gens se précipiteraient pour dire : « Non, nous n'aimons pas la bombe », alors au moins ils bougeraient un petit peu plus qu'ils n'ont jusqu'ici semblé vouloir. Pensez-vous que ce soit plausible?

M. Penny : C'est une question intéressante. L'effet pratique sera bien celui-là, car, pour être réaliste, je ne vois pas là une option viable. Si cette proposition doit avoir le moindre effet important, ce sera en poussant les États à rendre les mécanismes existants plus efficaces. Que cela ait ou non été le but visé, je pense que c'est ce qui va se produire.

Le sénateur Fraser : J'ai une deuxième question, tout à fait différente, qui concerne le Canada et des exemples de non-observance ici. Pouvez-vous, en tant qu'observateurs experts, nous indiquer des choses qui ont été faites ici, ou même ailleurs, pour pousser les gouvernements canadiens à respecter nos obligations lorsque ces gouvernements hésitaient manifestement à le faire? Qu'est-ce qu'il faut? Il ne se fait pas beaucoup de manifestations dans les rues pour obtenir le respect des traités dont nous sommes signataires, mais il doit y avoir des cas au sujet desquels nous avons fait des progrès. Qu'est-ce qui a donné des résultats?

M. Penny : L'un des membres du comité a donné un exemple, celui de dénoncer et d'humilier les coupables devant les organes existants de défense des droits de l'homme.

Le sénateur Fraser : Cela a en effet tendance à donner des résultats.

M. Penny : C'est l'un des processus les plus efficaces dans une démocratie qui est sensible à son image internationale comme défenseur des droits de l'homme, comme c'est le cas du Canada. C'est sans doute de toute façon le mécanisme le plus efficace qui existe pour obliger le Canada à se conformer par le biais de mécanismes internationaux.

Le sénateur Fraser : Pour en revenir aux droits des femmes, un domaine qui m'est familier, cela change-t-il quelque chose d'avoir un ministre de premier plan qui soit responsable de la situation de la femme? Devrions-nous avoir des ministres responsables des droits de l'homme comme l'a suggéré tout à l'heure le sénateur Dallaire, ou bien est-ce une dynamique différente qui est à l'œuvre ici?

Mme Riddell-Dixon : Un problème est la hiérarchie qui existe à Ottawa. Le ministre du Patrimoine canadien et de la Condition féminine sera toujours déclassé par le ministre des Finances et d'autres. C'est un problème permanent. L'on pourrait certainement rehausser l'importance des droits des femmes, mais ce qui est récemment arrivé à Condition féminine Canada est troublant : ce bureau va perdre 40 p. 100 de son personnel.

Il est important, au sein du gouvernement, d'accorder à la question un profil plus important. Il y a, au sein de nombreux ministères, des gens très solides et très engagés qui œuvrent aux droits de la femme, mais ils sont souvent isolés et leur statut au sein de leur propre ministère n'est pas très élevé. Ces personnes ne se font pas reconnaître le statut qu'il faudrait pour pouvoir exercer à long terme une plus grande influence.

L'autre aspect est la publicité. Comment attirer l'attention des médias? Si un Canadien très en vue est prêt à se prononcer publiquement sur une question et que cela devient un événement médiatisé, alors cela aide.

L'on ne peut pas toujours obtenir la participation de gens bien connus, mais je me suis intéressée au projet Abolissons la pauvreté. Les responsables du projet ont réussi à obtenir que le Toronto Star fasse une série d'articles d'une semaine sur la pauvreté. Ils ont réussi à obtenir que l'émission de télévision The Hour consacre une heure complète à la pauvreté. J'ignore comment ils s'y sont pris pour obtenir ces choses, mais c'est peut-être là un modèle qui vaudrait la peine d'être examiné, car ils semblent utiliser des techniques différentes de celles qu'emploient traditionnellement les ONG pour attirer l'attention des médias. Ils ont également fait appel à des vedettes du rock comme Bono et organisé des méga-événements. J'ignore comment ils s'y prennent, mais il y a des gens de la communauté des ONG qui semblent bouger. Peut-être que vous pourriez leur parler et obtenir quelques tuyaux.

La présidente : Dénoncer et humilier est une chose, mais je pense que nous avons aujourd'hui une société à l'intérieur de laquelle les dirigeants ne peuvent plus contrôler leur pays comme ils le faisaient autrefois. Cerner, présenter et expliquer les droits feraient, me semble-t-il, partie du processus du Conseil. En conséquence, l'adhésion aux conventions internationales que vous signez, que vous soyez un pays ou une personne, est dans l'intérêt de la stabilité et de la sécurité, ainsi que des droits de l'homme.

Ne sommes-nous pas rendus plus loin que la dénonciation et l'humiliation? Le Conseil n'a-t-il pas en partie été créé afin que nous puissions avoir un débat plus complexe, sinon meilleur, et bâtir nos coalitions différemment qu'autrefois?

M. Penny : Je suis d'accord. Le Conseil jouera un rôle important. Il peut aider à identifier les États qui œuvrent vers l'observance mais qui n'y sont pas encore, non pas parce qu'ils ne le souhaitent pas, mais parce qu'ils n'en sont pas capables. Le développement des capacités sera un élément clé de l'observance à long terme, tout comme le sera la discussion qui ressortira du Conseil. L'on ne souhaite pas voir le Conseil politisé à un point tel qu'il ne sera pas dans l'intérêt des États qui ne sont pas en mesure d'observer leurs obligations d'adhérer à ces régimes en vue d'amener la réalisation progressive des objectifs des traités. Le Conseil doit favoriser le respect, plutôt que de pointer du doigt, d'une façon politisée, le non-respect.

La présidente : Pointer du doigt le non-respect, serait, j'imagine, la solution de dernier ressort, mais l'on espérerait travailler avec ces pays jusqu'à ce stade-là, n'est-ce pas?

M. Penny : Exactement. Il n'y a aucun État dans le monde, le Canada compris, qui n'est pas en situation de non- respect de certaines de ses obligations en matière de droits de l'homme. Je ne suis pas certain que ce soit dans l'intérêt de quiconque de dénoncer et d'humilier au sein du Conseil lui-même. Les rapports qui sortiront du Conseil seront utilisés indirectement par les ONG et d'autres groupes aux fins de ce processus de dénonciation et d'humiliation, mais je ne suis pas convaincu que cela cadre avec le mandat du Conseil qu'il se consacre principalement aux questions de non-respect.

Le sénateur Dallaire : Quel est le lien entre les rapports ou les renseignements dont dispose le Conseil des droits de l'homme ou, plus particulièrement, le Haut Commissaire et des observateurs sur le terrain, et ce dont dispose la Cour pénale internationale? Y a-t-il un lien direct entre le contenu de leurs rapports et la Cour pénale internationale?

M. Penny : Je ne suis au courant d'aucun lien particulier, mais le procureur de la cour aurait, bien sûr, la possibilité de voir ces rapports. Le procureur est bien sûr autorisé à mener, pour son propre compte, des enquêtes sur des abus en matière de droits de la personne qui relèvent de la compétence de la cour. Si des rapports émanant du Conseil, ou d'ailleurs, révélaient des abus flagrants relevant de la compétence de la cour, alors je suis certain que ceux-ci pourraient servir de base à une enquête plus poussée.

Le sénateur Dallaire : Est-il ressorti quoi que ce soit de nouveau du nouveau Conseil et des liens existants à ce niveau? L'ancienne organisation, avec ses rapports, a créé certains des tribunaux internationaux, mais l'on ne sait rien d'un lien direct du genre devant servir à faire avancer ce dossier, comme priorité, à la Cour pénale internationale.

M. Penny : Il n'existe aucun lien formel que je connaisse.

Le sénateur Dallaire : La communauté des ONG, bien qu'elle soit vaste, demeure immature. Étant donné la nature de leur indépendance, les ONG ne se sont pas regroupées pour former un corps doté du pouvoir potentiel incroyable qu'elles devraient avoir et qui pourrait user de son poids dans la sphère internationale, en ignorant les frontières.

Est-ce du domaine du possible dans le monde des ONG qu'elles deviennent une voix concertée en faveur des droits de l'homme, ou bien y a-t-il trop d'ONG qui sont trop spécialisées et qui ne se concentrent pas forcément sur les droits de l'homme? Mon impression est qu'elles s'intéressent toutes aux droits de la personne, mais que ce n'est pas sous cet angle qu'elles s'expriment. Serait-ce là une possibilité, ou envisagez-vous une mutation future en ce sens pour les ONG?

Mme Riddell-Dixon : Beaucoup de choses ont changé. J'ai étudié les mécanismes parrainés par le gouvernement qui ont été établis en prévision de plusieurs conférences parrainées par le Canada. L'on peut constater une transformation. Nombre des groupes d'il y a dix ou 15 ans étaient extrêmement naïfs et inefficaces.

Je viens tout juste de boucler encore une série d'entrevues avec des personnes qui s'occupent de deux conférences différentes et j'ai été impressionnée par la façon dont elles ont réussi à se retrouver à différents égards. Au niveau national, des groupes qui s'occupaient autrefois de jeux de droits bien particuliers, comme par exemple les droits des femmes, les droits des peuples autochtones ou les droits des enfants, étaient plutôt séparés. Cependant, du fait de se retrouver lors de conférences et de sommets, et parce que le Canada facilitait ce processus, un bien plus grand nombre de groupes ont pu participer. Ces groupes sont restés en contact et ont depuis élaboré des réseaux entre le Canada français et le Canada anglais, ainsi qu'entre les différents dossiers. Ils ont également établi et maintenu des relations avec des réseaux transnationaux. J'ai été étonnée de voir à quel point il y a eu ce développement. Certains des groupes de femmes qui n'avaient aucune expérience à l'extérieur du Canada travaillent aujourd'hui activement avec d'importants groupes à New York.

Il est encore tôt dans le processus, mais il y a des signes que les ONG sont en train de s'unir. La question de savoir comment faire, en bout de ligne, participer la société civile est cependant un énorme problème. Je ne pense pas que nous ayons jamais « la voix de la société civile ». Il y a des voix puissantes, surtout dans le Sud, qui disent que cela n'est pas du tout souhaitable. Je pense que nous nous retrouverons pris avec tout un tas de voix différentes, et c'est sans doute ainsi qu'il faut que soient les choses. L'important est qu'une vaste gamme de voix viennent à la table et soient écoutées.

J'ajouterai que les négociateurs canadiens m'ont dit que, du fait de l'expérience des années 1990, avec tous les sommets et les conférences, il arrive très souvent que des ONG dans des pays où les gouvernements n'ont pas du tout été réceptifs abordent des ONG canadiennes, car elles savent que ces dernières ont de meilleures chances d'avoir l'écoute du gouvernement. Le Canada non seulement fait la promotion de ses propres ONG, mais est perçu comme assurant traditionnellement un accès à des ONG qui, autrement, n'auraient pas d'accès. J'aimerais voir le Canada poursuivre en ce sens.

M. Penny : Je conviendrais qu'il y a, au sein des ONG, une diversité de perspectives, dont je ne suis pas certain que nous puissions les centraliser dans ce sens, et je ne suis pas non plus convaincu qu'il faille le faire. Le Conseil, et d'autres mécanismes qui permettent la participation d'ONG et l'expression devant eux de diverses opinions par le biais d'ONG, sont extrêmement importants, mais cela ne livre qu'un genre de perspective. Je vous dirais qu'il faudrait équilibrer cela avec d'autres perspectives également. La perspective de l'État, en tant que représentant de la société civile — en tout cas à l'intérieur d'une démocratie efficace —, sera un élément clé au sein du Conseil et au sein de la plupart des mécanismes inter-États auxquels les ONG apporteront une vision généralement centrée sur un dossier particulier.

Cette diversité existe cependant. Par exemple, je crois que la NRA est une organisation non gouvernementale accréditée. Il existe un grand nombre d'ONG et j'hésiterais à donner une perspective unifiée à leur sujet.

Le sénateur Dallaire : Nous savons tous qu'il y a des désaxés sur les franges de n'importe quel concept et qu'il nous faut nous en méfier.

La présidente : Je suis certaine que vous ne voulez pas parler de Canadiens.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais insister sur un autre point encore. Comme dans le cas du Darfour, nous voyons la responsabilité de protéger créée comme doctrine des Nations Unies depuis septembre 2005. Nous voyons un gouvernement coupable de génocide et nous voyons les États-nations qui se refusent à intervenir. La communauté des ONG ne pourrait-elle pas devenir une massive influence supranationale auprès d'éléments comme le Conseil? Le Conseil pourrait, en fait, changer de vitesse et ne pas être responsable uniquement envers les États-nations, mais adopter un autre angle. Cela ne serait-il pas une évolution progressive, ou bien cela ne ferait-il que compliquer encore davantage les choses?

M. Penny : À certains égards, c'est une évolution progressive, en ce sens que les ONG poussent l'attention vers les problèmes au Darfour. Cependant, il arrive fréquemment que les ONG aient une perspective très myope. Je ne dis pas cela pour être négatif, mais elles sont typiquement très ciblées. Le Darfour est une situation complexe, dont je ne suis pas convaincu qu'elle se prête à une solution à l'intérieur d'une perspective myope de ce genre.

Oui, il est important d'attirer l'attention de la communauté internationale sur le problème. Cela a été fait, et ce sont les ONG qui en ont été le moteur. Cependant, il importe de faire preuve de prudence à l'égard du Darfour, et cette prudence émane principalement d'États et du système des Nations Unies.

Une partie de cette prudence va être critiquée, et devrait l'être, mais une partie de cette prudence est raisonnable. Il n'existe aucune solution facile pour le Darfour. Une solution militaire, par exemple, ne sera vraisemblablement pas possible dans le court terme — l'Union africaine connaît des problèmes et continuera vraisemblablement d'en connaître.

De ce point de vue-là, donc, oui, il était important de mettre la question sur la table, et les ONG seront importantes en mettant des questions devant le Conseil. Cependant, le second examen objectif, de la part des États qui sont les principaux acteurs qui devront en fait exécuter toute réaction, est lui aussi mérité.

Mme Riddell-Dixon : Un mouvement de masse enclenché par la société civile aide, mais même au Canada, le gouvernement est très réticent à partager le pouvoir avec la société civile et les ONG. Toute la documentation montre que les ONG n'exercent que très peu de pouvoir réel à l'intérieur de notre propre pays, et le Canada compte parmi les pays les plus réceptifs à l'égard des ONG.

Dans le contexte du système international, où la majorité des pays sont très loin d'être aussi réceptifs que l'est le Canada — en fait, nombre d'entre eux sont très hostiles —, je pense que le pouvoir de la société civile sera très limité.

Le sénateur Dallaire : Je pense qu'il leur faut tout simplement davantage de journalistes au sein de leurs conseils, et ils seraient alors plus ouverts à des influences.

La présidente : Il y a également toute la question des ONG du point de vue du Nord, ou des ONG indigènes au Sud. Ce débat a cours en permanence aux Nations Unies, comme le sait le sénateur Dallaire.

Le sénateur Nancy Ruth : Vous pourrez ajouter ma question à la liste de celui qui répondra le suivant, et y répondre à ce moment-là. Vous êtes tous les deux professeurs, et cela m'intéresse vraiment de savoir ce qui se passe avec les étudiants. Nous parlons d'ONG, mais des élections s'en viennent et je ne lis pas grand-chose là-dessus dans les journaux.

Je suis inquiète, car le dernier gouvernement a réduit du financement de base, et mon gouvernement en a réduit encore plus. L'appui accordé aux différentes voix est en chute libre dans ce pays. Il est difficile de savoir ce que je pourrais y faire. Où sont les étudiants?

Voici ce que je comprends du fonctionnement des ONG. Le sénateur Dallaire parcourt le pays semaine après semaine après semaine, rencontrant des journalistes, faisant ce qu'il fait, et quels changements de politique cela amène- t-il? Moi, je remonte à l'époque de la démission du sénateur Doris Anderson. L'AFAI, l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale, fonctionne bien car elle bénéficie d'un énorme réseau Internet que nous utilisons tous pour savoir ce qui se passe, mais celle-ci n'influe pas sur la politique.

Mme Riddell-Dixon : Non, je suis tout à fait d'accord.

Pour ce qui est des étudiants, lorsque ma mère fréquentait l'université à la fin des années 1930, 10 p. 100 des étudiants étaient actifs. Lorsque j'étais à l'université au début des années 1970, c'était 10 p. 100. On me dit qu'à Western, c'était toujours 10 p. 100 il y a de cela dix ou 15 ans. La réalité est que vous n'aurez jamais un très grand nombre d'étudiants qui sont vraiment actifs.

Le sénateur Nancy Ruth : Même dans le cadre de vos cours?

Mme Riddell-Dixon : Tout dépend de ce que vous enseignez. Lorsque je donne un cours sur les Nations Unies, ou l'aide étrangère ou même le droit international, j'attire des personnes qui sont passionnées. Si j'enseigne la politique étrangère canadienne, ce qui est mon domaine, je constate que j'ai souvent devant moi des personnes qui ne s'intéressent qu'à se remplir les poches en travaillant sur Bay Street.

Il y a des gens dans la classe qui s'intéressent. En tant que professeur, je déclare chaque fois, en début d'année, que j'espère enseigner certaines aptitudes mais que j'espère également vraiment les encourager à être des citoyens qui voudront faire de ce monde un endroit meilleur.

M. Penny : J'imagine que tout dépend de votre définition de ce qu'est l'activisme. La plupart des étudiants de la Norman Paterson School of International Affairs finissent par faire du travail de politique. Je peux vous assurer que la plupart d'entre eux sont très préoccupés par ces genres de questions. Vous ne les verrez peut-être pas dans la rue, mais ils sont activement engagés.

Le sénateur Nancy Ruth : Diriez-vous d'eux qu'ils sont de quelque façon que ce soit radicaux?

M. Penny : Je dirais d'eux qu'ils sont pragmatiques.

Le sénateur Dallaire : J'en ai quatre, et ils frisent le radicalisme.

M. Penny : Il y a beaucoup de choses qui plaident en faveur d'un radicalisme pragmatique et d'une compréhension de la mesure dans laquelle on peut accomplir des choses.

La présidente : Voilà une formidable introduction pour le sénateur Munson.

Le sénateur Munson : J'essaie de faire en sorte de rester simple, car j'ai toujours recherché la simplicité dans ma vie antérieure. On a mentionné le journalisme. J'ai posé des questions sérieuses et complexes aux témoins précédents. Cette question-ci est sérieuse, mais pas très complexe.

Dans l'intérêt de la simplicité, et par égard pour les millions de personnes qui regardent CPAC et cette émission de temps à autre, et pour les étudiants, y compris mes propres fils, qui étudient les droits de la personne et le droit international et qui, je l'espère, seront radicaux, j'aimerais que vous tiriez au clair un certain nombre de termes. Vous avez parlé du rôle et du dossier du Canada en matière de création de normes, disant que le Canada a, en la matière, été un chef de file mondial. Je sais de quoi vous parlez, mais je me demande si les gens que nous essayons d'engager comprennent véritablement ce que cela signifie. Vous avez dit que la réputation du Canada, en tant que chef de file en matière de création de normes, a récemment été ternie par les efforts déployés par le Canada pour contrecarrer l'adoption de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Je me demande si les gens comprennent cela. Peut- être qu'ils y prêteraient attention si cela était exprimé plus simplement. Qu'a fait le Canada et pourquoi notre réputation a-t-elle été ternie?

Mme Riddell-Dixon : Le Canada a proposé de nombreuses résolutions, ainsi qu'un libellé qui ferait avancer le statut de la femme et protégerait les enfants-soldats, par exemple. Nous avons commencé par être très progressifs pour ce qui est de la déclaration sur les peuples autochtones. Le Canada s'efforce d'intégrer certains libellés aux textes internationaux; ce ne sont pas des textes exécutoires, bien qu'ils soient plus forts que des déclarations ou des résolutions. Nous essayons de créer des normes et des mesures de comportement de façon à ce que les gens comprennent bien quelle est la norme internationale. Vous pouvez alors examiner le dossier d'un pays et voir s'il respecte ou non les normes. Vous sensibilisez les pays à l'existence de normes, car ceux-ci ignorent parfois quelles sont les normes, et vous expliquez qu'il y a des normes explicites et donc certains points de comparaison.

Puis survient une déclaration au sujet des droits des peuples autochtones, et le Canada et la Russie sont les deux seuls pays à voter contre. C'est très troublant. Clairement, cela ne contribue en rien à l'élaboration de normes grâce auxquelles mesurer le rendement d'un pays. Cela aide-t-il?

Le sénateur Munson : Oui, cela aide beaucoup. Je n'entends pas être simpliste moi-même. Je posais la question à des fins d'édification et pour que les gens qui ne sont pas en classe avec vous comprennent ce que vous dites dans vos cours.

Il nous faut partager ce savoir. Pour moi, le fait d'être au Sénat m'apporte quotidiennement des connaissances au sujet de nouveaux dossiers. Je suis nouveau au Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et il est important pour nous tous autour de la table, et pour les personnes qui regardent à la télévision, de mieux comprendre les questions et ce que vous avez à dire, car ce sont vous les experts.

M. Penny : Le Canada a joué un rôle important sur le plan de la création de normes en matière de droits de la personne, normes qui sont largement comprises comme plaidant en faveur de la création d'une cour pénale internationale, et jouant à ce niveau un rôle essentiel. L'autre développement que j'aimerais souligner est la responsabilité de protéger, qui, encore une fois, bien qu'il ne s'agisse pas d'un document légal, est un virage normatif profond en vue de comprendre comment réagir aux abus des droits de l'homme. Je conviendrais, bien que pour des raisons légèrement différentes, que le Canada risque de perdre un petit peu de sa réputation en n'appuyant pas ce qu'il dit avec des actes. Il y a beaucoup de mots dans le contexte de la responsabilité de protéger, et, bien qu'il y ait eu certains actes, il pourrait y en avoir davantage, tant en vue d'appuyer plus encore l'Union africaine, y compris en offrant des troupes limitées pour la mission des Nations Unies au Soudan, si celle-ci devait jamais englober la région du Darfour, que pour cibler les questions du jour, investissant d'importantes sommes à l'appui du travail du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Que cet argent serve au Conseil lui-même ou aux États ou au développement des capacités requises pour que ceux-ci s'acquittent de leurs obligations, il s'agit d'un engagement financier énorme, et le Canada doit faire sa part pour veiller à ce que les États soient en mesure d'exécuter leurs obligations et à ce que le Conseil soit en mesure d'exercer son rôle.

La présidente : Là-dessus, il nous faudra conclure.

Je tiens à remercier nos deux témoins, Mme Riddell-Dixon et M. Penny, d'être venus ici et de nous avoir livré des perspectives différentes sur les questions que nous étudions.

J'apprécie le fait que nous examinions maintenant plus largement la société canadienne et le rôle international du Canada. Nous nous débattons avec ces questions difficiles de savoir comment assortir le devoir de protéger de conséquences. Que cela signifie-t-il pour le Canada? Si nous disons que nous voulons aller au Darfour, quelles en seront les conséquences pour les Canadiens? Cela signifie-t-il une intervention militaire de dernier recours, ou des moyens diplomatiques? Vous avez alimenté davantage notre débat là-dessus et nous avez livré une perspective et des exemples, par opposition aux procédures générales dont nous discutions. Vous nous avez exposé un contexte auquel réfléchir pour ce qui est de savoir où le Conseil s'inscrit dans notre rôle en matière de politique étrangère et de défense des droits de l'homme.

Passant maintenant à notre dernier panel pour la journée, nous sommes heureux d'accueillir parmi nous des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, qui ne nous sont pas étrangers : Mme Adèle Dion, directrice générale, Direction générale de la sécurité humaine et des droits de l'homme; et M. Robert Sinclair, directeur adjoint, Droits de la personne.

Adèle Dion, directrice générale, Direction générale de la sécurité humaine et des droits de l'homme, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci de votre chaleureux accueil. Je tâcherai d'être brève dans mes commentaires. Nous avons fait distribuer le texte de la version plus longue de ma déclaration dans les deux langues officielles, alors je n'en couvrirai que les points saillants.

Le Conseil des droits de l'homme, comme vous l'avez entendu dire, remplace la Commission des droits de l'homme, vieille de 60 ans, et fait partie du plus vaste effort de réforme dans lequel s'est engagée l'ONU. Il est important de s'en rappeler, car il s'agit de la plus importante réforme à ce jour. Le document émanant du sommet où il a été décidé de sa création place les droits de la personne sur un pied d'égalité avec la sécurité et le développement comme constituant les trois objectifs fondamentaux des Nations Unies.

J'aimerais passer en revue les cinq principales nouvelles caractéristiques du Conseil. L'une d'entre elles a déjà été abordée de façon détaillée par des intervenants précédents : je veux parler de sa taille et de sa composition. Le Conseil des droits de l'homme est plus petit, réunissant 47 membres au lieu de 53. Le rééquilibrage des sièges entre groupes régionaux se traduit par une représentation beaucoup plus nombreuse des groupes d'Asie et d'Afrique et par une réduction de dix à sept sièges pour le groupe de l'Europe de l'Ouest et autres pays. L'importance de ce changement réside principalement dans le fait que nous n'avons plus les votes. Je suis certaine que nous reviendrons là-dessus lors des questions.

Le nouveau processus électoral prévoit l'élection des États membres directement et individuellement, par bulletin secret, tout en considérant le concours que chaque candidat a apporté à la cause de la promotion et de la défense des droits de l'homme et les contributions volontaires qu'il a annoncées et les engagements qu'il a pris en la matière pendant sa campagne. C'est le caractère permanent du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies qui est l'un des changements les plus significatifs. Le Conseil se réunira pendant au moins dix semaines en trois sessions, auxquelles s'ajouteront des sessions extraordinaires.

Je pense que les sénateurs ont déjà beaucoup entendu parler de l'examen périodique universel, une innovation majeure qui répond directement à l'accusation de sélectivité qui collait à l'ancienne Commission des droits de l'homme. Chaque État membre ferait l'objet d'un examen par les pairs de son dossier en matière de respect des droits de l'homme, indépendamment de son adhésion aux conventions internationales relatives aux droits de l'homme. Le Canada fait figure de chef de file dans l'établissement de ce modèle d'examen universel par les pairs pratique et crédible, et les travaux vont bon train à Genève.

Enfin, le statut plus élevé est sans doute le plus subtil des principaux changements, mais il pourrait être le plus important à long terme. La subordination du nouveau Conseil à l'Assemblée générale, plutôt qu'au Conseil économique et social, doit être revue dans cinq ans, et il pourrait alors devenir un organe principal des Nations Unies au même titre que le Conseil de sécurité.

Je vais maintenant dire quelques mots au sujet de l'efficacité. La résolution établissant le Conseil abonde en appels à l'objectivité, à la non-sélectivité, à l'impartialité, à la coopération, à un dialogue véritable et à une approche des travaux axée sur les résultats. Les huit premiers mois d'existence du Conseil donnent à penser qu'il reste encore beaucoup à faire. La première session de deux semaines s'est déroulée du 19 au 30 juin 2006, et un effort y a été fait pour voir si le Conseil pouvait organiser un débat et transcrire les résultats dans une déclaration consensuelle du président. L'effort initial a sensiblement avancé, mais il a finalement échoué, car le contenu n'était pas acceptable pour certains membres de groupes régionaux ne siégeant pas au Conseil. Suite à cet échec, l'Organisation de la Conférence islamique a présenté des résolutions sur les territoires palestiniens occupés et la diffamation religieuse, toutes deux comportant des aspects problématiques, et les a fait adopter par voie de vote sans aucune consultation préalable.

Entre début juillet et la mi-novembre, trois sessions extraordinaires ont été demandées par la Ligue des États arabes et l'Organisation de la Conférence islamique, et toutes ont débouché sur des résultats déséquilibrés, adoptés par des votes. Suite à ces trois sessions extraordinaires consacrées au Moyen-Orient, de nombreux États étaient impatients de voir rétabli un certain équilibre dans l'engagement du Conseil en veillant à la convocation d'une session extraordinaire sur la crise des droits de l'homme au Darfour. Le Canada a, en la matière, joué le rôle de chef de file en épousant la nécessité de la tenue d'une telle session, et il a joui de l'appui des États membres de l'Union européenne. Suite aux vigoureuses invites publiques du secrétaire général Kofi Annan, les groupes africain et asiatique ont donné leur aval. La session extraordinaire a été tenue en décembre. Il a été décidé par consensus d'envoyer sur place une mission de haut niveau, et cette mission présentera son rapport à la session de mi-mars du Conseil.

Les trois sessions ordinaires que le Conseil a tenues à ce jour avaient quelque chose d'hybride en ce qu'elles portaient sur des éléments de fond ainsi que sur des éléments de procédure. Du côté positif, les rapporteurs spéciaux des droits de l'homme ont été traités de manière beaucoup plus appropriée, des sessions spéciales étant organisées afin d'entendre des exposés importants et d'avoir un dialogue interactif. Il est également prévu qu'à la fin de chaque journée de session les ONG puissent faire des déclarations, ce qui, encore une fois, est un progrès considérable. Les sessions ordinaires ont été l'occasion de mises à jour importantes par le Haut Commissaire aux droits de l'homme et, par conséquent, d'interaction plus grande et plus ciblée entre le Haut Commissaire, son bureau et le Conseil.

Je vais maintenant mentionner trois des défis évidents qui ont, je pense, déjà été soulevés par M. Neve et d'autres intervenants. Il est extrêmement difficile de participer à l'édification d'une institution tout en essayant simultanément de la faire fonctionner comme s'il s'agissait d'un mécanisme pleinement développé. Il est important de se rappeler que ce ne sont pas que les 47 membres du Conseil qui sont engagés : un grand nombre d'États membres des Nations Unies qui sont intéressés sont des observateurs actifs, et l'importante communauté des ONG et des institutions nationales de défense des droits de l'homme y a elle aussi un intérêt crucial. En dépit de l'élection individuelle des membres, comme nous l'avons vu plus tôt, la politique des blocs reste tenace au Conseil.

Enfin, j'aimerais dire quelques mots au sujet des objectifs du Canada. Nous voulons un Conseil fort et crédible qui apporte des améliorations concrètes en matière de respect des droits de l'homme sur le terrain. L'examen international, les surveillants et les visites des rapporteurs spéciaux sont autant d'outils importants.

Le Conseil doit faire davantage preuve d'impartialité et de transparence dans son traitement des pays et son évaluation des violations. Il doit être en mesure de répondre aux menaces urgentes et chroniques aux droits de l'homme. Il se réunit désormais un minimum de dix semaines par an sur trois sessions — pratiquement à longueur d'année —, ce qui soulève des attentes légitimes que le Conseil examine les situations plus diligemment.

En plus d'être actif dans les discussions à Genève, le Canada prend part à des questions de l'heure du Conseil dans les capitales par l'intermédiaire de nos ambassades. Nous établissons des coalitions entre groupes régionaux. Nous appuyons les campagnes électorales de pays ayant un bon dossier en matière de respect des droits de l'homme. Il nous faut l'aide et l'appui de nos principaux partenaires en matière de droits de l'homme : ONG, parlementaires, experts universitaires et corps judiciaire.

L'établissement du nouveau Conseil et de ses institutions et pratiques est tout à fait un travail en cours. Nous, le Canada, sommes déterminés à faire de notre mieux pour que le Conseil des droits de l'homme soit digne de son nom.

Le sénateur Fraser : Merci pour cet exposé fort intéressant. Je vais cibler tout de suite l'examen périodique universel. Vous, et les témoins que nous avons entendus plus tôt aujourd'hui, semblez tous convenir qu'il s'agit là d'une innovation majeure, et en théorie, ce devrait être une merveilleuse innovation. L'idée que personne ne puisse échapper à un examen est grisante. Je me demande comment nous allons faire en sorte que cela fonctionne. Combien l'ONU compte-t-elle de membres à l'heure actuelle?

Robert Sinclair, directeur adjoint, Droits de la personne, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Ses membres sont au nombre de 192.

Le sénateur Fraser : Si le but est de faire faire un examen de chacun de ces pays tous les trois ans, j'entrevois de sérieux problèmes pratiques si l'on veut que ce travail soit fait de façon suffisamment approfondie pour être utile. Est- ce que je me trompe? Cela me plairait énormément d'avoir tort.

Mme Dion : Vous avez tout à fait raison d'être sceptique. J'ai mentionné tout à l'heure que le Conseil est occupé à bâtir ses institutions en même temps qu'il s'attaque aux problèmes sérieux de non-respect des droits de l'homme. Il y a un groupe de travail spécial du Conseil qui ne s'occupe que de l'élaboration des modalités en vue de l'examen périodique universel. Tout cela continue de faire l'objet de beaucoup de discussions.

Vous avez mis le doigt sur des éléments critiques des discussions : l'examen devra-t-il se faire aux trois ans, aux quatre ans ou aux cinq ans? Est-ce que chaque pays fera chaque fois l'objet du même genre d'examen détaillé en profondeur? Quel sera le processus? S'agira-t-il d'une discussion informelle d'une heure ou d'un examen sérieux du rendement obtenu? Toutes ces questions sont présentement à l'étude.

Notre délégation à Genève tente d'en arriver à un équilibre efficace, car l'on ne pourra peut-être pas effectuer un examen tous les trois ans. Peut-être que l'intervalle entre examens finira par être de quatre ans ou de cinq ans. L'important pour nous est de veiller à ce que ce nouveau mécanisme, une fois établi, demeure efficace et crédible, et à ce que l'examen des pays, lorsqu'il se fera, soit transparent et exhaustif.

Le sénateur Fraser : Serait-il indiscret de vous demander si cette approche relativement rigoureuse jouit à l'heure actuelle d'un vaste appui?

Mme Dion : Je vais demander à mon collègue de répondre également, car il a en fait été à Genève pour certaines de ces discussions. Je dirais que, de façon générale, l'examen périodique universel jouit à l'heure actuelle d'un assez vaste appui, mais peut-être pas toujours pour les bonnes raisons. Pour l'instant, il bénéficie d'un appui général.

M. Sinclair : Pour me faire l'écho des commentaires de Mme Dion, l'examen périodique universel jouit bel et bien d'un appui général. Il y a un groupe de travail chargé d'examiner l'EPU qui se réunit entre les sessions. Il y a un facilitateur du Maroc. L'ambassadeur du Maroc est celui qui dirige ce groupe et il a produit des documents visant à amener un consensus à l'égard de l'EPU. Ces documents sont disponibles sur l'Extranet du Conseil des droits de l'homme, alors les gens peuvent les consulter.

Nous nous approchons d'une entente sur la régularité de l'examen, et je pense qu'un intervalle de quatre ou cinq ans serait un choix réaliste. À l'autre bout du spectre, certains pays ont dit que les pays moins développés devraient faire l'objet d'un examen moins fréquent. Je pense que nous sommes en train de surmonter cet obstacle et que nous nous dirigeons vers un examen à tous les quatre ou à tous les cinq ans.

Le sénateur Fraser : Il est intéressant d'entendre que cela jouit d'un appui plutôt généralisé, mais, si je comprends bien, nous n'en sommes pas encore au stade où nous pouvons déterminer dans quelle mesure les examens seront rigoureux lorsqu'ils seront entrepris, ni jusqu'où ils iront dans l'évaluation qui sera faite. Ai-je raison là-dessus? J'imagine que la partie difficile de la discussion portera justement là-dessus.

M. Sinclair : Oui.

Le sénateur Dallaire : Le financement du Conseil est-il un financement délibérément distinct? La réponse donnée tout à l'heure était, je pense, incomplète. Le financement relève-t-il du même principe que les engagements généraux que nous avons, ou bien s'agit-il d'un exercice différent?

Mme Dion : Le Conseil est financé à même le budget régulier des Nations Unies. Il passe par le processus habituel de la Cinquième Commission à New York. Ce régime est essentiellement demeuré inchangé.

Le sénateur Dallaire : Cela signifie-t-il que tout travail entrepris sur le terrain dans une zone de conflit est financé à partir de son budget, ou bien dispose-t-il d'un budget spécial à cette fin?

M. Sinclair : Dans le cas de l'une des missions envoyées par suite d'une séance extraordinaire, il a été fait une demande de contribution volontaire, mais cette demande a par la suite été retirée et ils ont trouvé des fonds ailleurs dans le système.

Le sénateur Dallaire : Quel est le lien entre le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies? Mme Arbour fait partie de l'exécutif qui travaille pour le secrétaire général; on fait également appel à elle pour faire des breffages au Conseil de sécurité. Le lien entre les conseils existe-t-il purement par le biais du travail du Secrétariat de l'ONU? Ou bien existe-t-il un autre lien formel?

Mme Dion : Non, il n'existe aucun autre lien formel. Les deux sont des organes permanents du système des Nations Unies. Ils peuvent se renvoyer l'un l'autre des rapports. La relation est formelle dans ce sens-là

Le sénateur Dallaire : Mme Arbour doit-elle rendre compte au secrétaire général, qui, lui, rend compte ultimement au Conseil de sécurité?

Mme Dion : Oui.

Le sénateur Dallaire : Elle a autant de pouvoirs que le Conseil de sécurité veut déléguer au Conseil des droits de l'homme, n'est-ce pas? Ou bien les deux choses sont-elles indépendantes l'une de l'autre?

Mme Dion : Le Haut Commissariat aux droits de l'homme et Mme Arbour, comme vous l'avez très bien expliqué, peuvent comparaître devant le Conseil de sécurité pour lui faire des breffages et suivre les directives de tous les organes des Nations Unies. Cela est en fait en soi tout un progrès, qui n'est venu que depuis l'arrivée du Canada au Conseil de sécurité en 2000. Jusque-là, le Conseil de sécurité n'avait jamais même demandé au Haut Commissaire aux droits de l'homme ou au Haut Commissaire pour les réfugiés de donner des breffages au Conseil. Cela est relativement nouveau et a grandement contribué à la création de liens importants entre organes.

Le sénateur Dallaire : J'aurais pensé que le Conseil de sécurité aurait été un organe de lobbying auprès du Conseil.

Pensez-vous que le travail que vous faites à l'échelle internationale avec Affaires étrangères et Commerce international Canada soit quelque peu miné par la façon dont nous nous occupons de nos propres dossiers de droits de la personne, comme par exemple le dossier des Autochtones et ainsi de suite? Ne pensez-vous pas que votre « six heures » soit un petit peu vulnérable du fait de présenter cette merveilleuse image, alors que quelqu'un pourrait tout simplement vous faire tomber en vous donnant un coup dans les genoux?

Mme Dion : Eh bien, sénateur, en ma qualité de fonctionnaire, je ne suis réellement pas très bien placée pour répondre à cette question. Il faudrait la poser au ministre.

Le sénateur Dallaire : Vous faites bien votre travail en répondant ainsi.

Il me semble que, du fait que vous nous représentiez au sein d'un si grand nombre d'organes, ce soit une question de crédibilité d'une très grande importance.

Votre titre qui fait mention de la sécurité humaine va-t-il bientôt être changé?

Mme Dion : Pas que je sache. Je suis directrice générale de la Direction générale de la sécurité humaine et des droits de l'homme. Les titres ont changé au fur et à mesure de l'évolution de la politique étrangère. Je relève du sous-ministre adjoint responsable des Enjeux mondiaux. Voilà quelle est notre organisation actuelle, d'après ce que j'en sais.

Le sénateur Dallaire : Vos antécédents en tant qu'ambassadeur vous aident à répondre adroitement.

Le sénateur Munson : Parlant d'ambassadeurs, et je ne sais pas si vous pourrez répondre à cette question-ci, mais ou le professeur Akhavan ou l'ancien ambassadeur Paul Heinbecker a dit que ce serait une bonne chose de nommer un ambassadeur à temps plein. Avez-vous des idées ou des opinions là-dessus?

Mme Dion : Cette question me place dans une position intéressante; M. Heinbecker était autrefois mon patron. Je pourrais dire qu'il n'y a eu aucune tradition à Affaires étrangères et Commerce international Canada d'avoir un ambassadeur qui se consacre exclusivement aux droits de la personne. Bien sûr, il y a souvent eu un chef de délégation de niveau ambassadorial ou politique auprès de l'ancienne Commission des droits de l'homme.

Le modèle en matière d'ambassadeur aux droits de la personne varie d'un pays à l'autre, et dépend du gouvernement et des structures tant politiques que bureaucratiques. Par exemple, nos collègues norvégiens, qui ont tendance à être animés par les mêmes idées que nous autres Canadiens, ont, à un moment donné, eu un ambassadeur aux droits de l'homme, mais ils ont par la suite aboli le poste. Le gouvernement hollandais a présentement un ambassadeur aux droits de l'homme, mais il a également quelqu'un au sein de son ministère des Affaires étrangères qui occupe un poste équivalent au mien. C'est une décision qui doit être prise par le gouvernement du jour, par les ministres du Cabinet, mais les deux modèles ont à mon sens chacun leur mérite.

Le sénateur Munson : Pour ce qui est de la fréquence des rencontres du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, vous avez parlé des quatre sessions extraordinaires. J'aimerais savoir comment cela fonctionne. Comment mettez-vous vos questions sur la table? Comment vous débrouillez-vous pour vous frayer un chemin jusqu'à la ligne de front pour obtenir qu'on s'occupe des dossiers qui vous intéressent? Je suis convaincu qu'il y a d'autres pays qui ont des dossiers importants comme Israël et le Darfour.

Mme Dion : En vertu des règles actuelles du Conseil, le tiers de ses membres doit demander la tenue d'une session extraordinaire. L'actuelle configuration est de 16 membres. J'ai mentionné plus tôt, et je pense que d'autres intervenants l'ont fait aussi, que le Groupe des pays d'Europe occidentale et autres États a perdu cette capacité de faire passer des votes du genre lorsqu'on nous a ramené de dix à sept sièges au Conseil et que le nombre des sièges pour les groupes d'Asie et d'Afrique a été augmenté.

Par exemple, lorsque nous avons réclamé la session extraordinaire sur le Darfour en décembre, il nous a fallu obtenir non seulement l'appui du restant du Groupe des pays d'Europe occidentale et autres États, principalement les pays membres de l'Union européenne, mais également un soutien important de la part des groupes d'Afrique et d'Asie. Les groupes d'Afrique et d'Asie sont deux entités distinctes de plein droit, mais ils sont également membres du G77, ou mouvement non aligné, qui regroupe tous les pays en développement, y compris les pays d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient.

Il est important à ce stade, surtout pour le Canada, de tendre la main pour former des alliances transrégionales. À moins de faire cela avec les Asiatiques modérés, les Africains modérés, les modérés du Moyen-Orient et les modérés d'Amérique latine, nous ne pourrons jamais obtenir l'approbation du Conseil, que ce soit par voie de vote ou de consensus, pour l'une quelconque de nos initiatives, y compris la tenue de sessions extraordinaires.

Mon collègue voudra peut-être faire quelques brefs commentaires. Tout le mécanisme des sessions extraordinaires est lui aussi en train d'être examiné et élaboré, et il se pourrait fort bien qu'au fur et à mesure de l'édification du Conseil des droits de l'homme en tant qu'institution nous puissions introduire certaines modifications dans la façon dont sont convoquées les sessions extraordinaires, peut-être les critères justifiant leur convocation, de façon à ce que ces sessions extraordinaires soient un outil plus souple.

M. Sinclair : Comme l'a mentionné Mme Dion, nous avons fait du travail sur les meilleures pratiques en matière de convocation et de déroulement de sessions extraordinaires. Notre « non-rapport » là-dessus met l'accent sur la transparence et le préavis, pour éviter que ces sessions extraordinaires ne soient convoquées à tout bout de champ, sans préavis ni travail préparatoire, et pour qu'elles puissent avoir des résultats productifs.

La présidente : Pour reprendre le point soulevé par le sénateur Munson, d'après mon souvenir, l'ancienne Commission des droits de l'homme avait pris longtemps pour trouver sa voie; au fond, les droits de l'homme ne figuraient pas au programme des Nations Unies tel que nous le connaissons aujourd'hui. En tout cas, le Conseil de sécurité et les autres organes n'allaient pas s'en occuper. La Commission était presque la soupape de sécurité qui permettait de discuter ouvertement de la question et de confronter les autres au sujet de leur dossier en matière de respect des droits de la personne. Puis cela est devenu plus politisé lorsque les autres acteurs ont découvert le moyen d'utiliser la Commission pour s'exempter eux-mêmes. À l'époque où j'étais représentante permanente, certains pays se désintéressaient totalement de ce que nous avions à dire, mais il y avait une sensibilité croissante au fait que cela comptait. Ils ont commencé à se réunir en caucus et à chercher d'autres pays aux vues similaires, qui n'étaient pas similaires aux nôtres, car ils ne voulaient pas s'occuper de droits de l'homme.

Le nouveau Conseil en est-il arrivé à un stade où chacun est en train d'essayer de comprendre quoi faire avec ce nouveau mécanisme? Il nous faut être bien certains que nous allons véritablement nous occuper de droits de la personne, et non pas d'évitement de droits de la personne. Le Canada a-t-il été loquace là-dessus?

Mme Dion : C'est en fait là un très bon résumé de là où nous en étions et de là où nous en sommes. Oui, nous avons été très loquaces, non seulement lors des sessions où l'on a traité de l'organisation et des arrangements institutionnels du Conseil, mais également lors des rencontres de niveau élevé et dans les discussions de couloir. Encore une fois, plusieurs commentaires ont été faits au sujet de la tendance d'essayer de travailler en bloc, en dépit du fait que les membres individuels du Conseil soient élus. Nous travaillons très fort pour démanteler cela, car tant que nous n'aurons pas collectivement rompu avec cette mentalité au Conseil, les joueurs au dossier moins que mirobolant tenteront de pratiquer l'évitement des droits de la personne au lieu de s'attaquer aux problèmes des droits de l'homme.

La présidente : Sans aller dans le détail, il y avait toujours un conflit Est-Ouest — droits individuels, politiques et civils versus un bloc communiste. Nous voyons maintenant émerger différents blocs.

Mme Dion : Oui, tout à fait. J'hésite à dire que c'est une dynamique Nord-Sud, car ce n'est pas toujours le cas, mais dans cette transition de l'établissement de normes vers l'interprétation, ce que vise le Canada, comme le professeur Riddell-Dixon et d'autres l'ont dit, nous avons fait un travail crédible en matière de normes et d'établissement de normes, mais plus encore peut être fait. Nous avons cette masse de droit international en matière de droits de la personne, mais nous ne faisons pas un assez bon travail de mise en œuvre, de façon à changer les choses pour les gens sur le terrain. Grâce à la création de ce nouveau Conseil, nous essayons de veiller à ce qu'il y ait une attention plus concentrée et plus aiguisée côté mise en œuvre. Dans le cadre de ce processus, il y a beaucoup de gens qui poussent — pas contre nous, mais avec nous —, et c'est surtout le cas de pays en développement qui insistent pour qu'on accorde autant de temps et d'attention aux droits économiques, sociaux et culturels qu'aux droits civils et politiques. Nous commençons à beaucoup voir cette dynamique à l'œuvre également. Elle est peut-être davantage axée sur les dossiers, par opposition à l'ancienne dynamique de la guerre froide.

La présidente : Un dilemme que vivait la Commission autrefois était le fait des ONG, qui ne cessaient de se multiplier. Elles ont obtenu le droit d'intervenir auprès de la Commission, et ce même droit sera reconnu au Conseil. Il était intéressant de suivre les dialogues entre les pays, après quoi intervenaient les ONG et les observateurs, qui parlaient en dernier. La salle se vidait, pour parler franchement. Comment cela se passe-t-il à l'heure actuelle? Prend-on plus au sérieux les ONG? A-t-on mis en place des processus qui leur accordent davantage de poids et davantage voix au chapitre?

Mme Dion : Je me ferais l'écho des commentaires de Mme Riddell-Dixon au sujet de la mesure dans laquelle les ONG sont devenues beaucoup plus organisées et sophistiquées. Un progrès important qu'a marqué le Conseil a été de bien mieux intégrer la participation des ONG. Par exemple, elles prennent la parole au cours de chaque session. Lorsque les rapporteurs spéciaux présentent leurs rapports, il est prévu que les ONG puissent intervenir. Cela ne se voit plus que tous les porte-parole d'ONG soient relégués à la case horaire la moins désirable, en fin de programme, entre 18 heures et minuit, lorsque la salle est vide. Ils ont maintenant la possibilité d'être des participants beaucoup plus crédibles et réguliers dans les discussions.

Le sénateur Nancy Ruth : Qui paie pour que les ONG se rendent là-bas, et comment choisit-on ceux qui auront un temps de parole?

La présidente : Le processus d'accréditation est un processus onusien, et cela n'a pas changé en ce qui concerne le Conseil.

Mme Dion : Il n'a pas changé. Le processus est le même.

La présidente : Comment choisit-on les personnes qui se verront accorder un temps de parole?

M. Sinclair : D'après ce que je comprends, les gens s'inscrivent eux-mêmes sur une liste. En gros, ils s'inscrivent.

Le sénateur Dallaire : Le Canada a assumé un rôle dynamique de leader avec la Cour pénale internationale et a vraiment poussé fort. On a constaté ce qui semblait être une prise de position politique délibérée d'Affaires étrangères et Commerce international Canada d'aller là-bas, de taper sur les gens, de les rallier à la cause et de foncer.

Mon lexique n'est pas encore particulièrement parlementaire, mais j'y travaille. Je regrette, mais j'aime les verbes d'action.

Avec ce nouveau Conseil, connaissant les menaces à l'avancement des droits de l'homme, l'existence des blocs et ainsi de suite, le Canada a-t-il assumé une position solide et dynamique du même genre pour faire bouger les choses sur ce plan-là? Je vais parler très franchement, si vous permettez. Le gouvernement a-t-il en vérité dit, pour venir en aide à une Canadienne qui essaie de faire tourner l'affaire et qui crie au secours, que nous allons appuyer le système et y investir beaucoup de ressources? Sommes-nous en train de faire cela pour appuyer cet effort?

Mme Dion : Je dirais que oui. Dès que le Conseil a été créé, nous nous sommes portés candidats pour y siéger. C'est un plus petit groupe. Par exemple, ne siègent pas au Conseil les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont en vérité nos électeurs, en quelque sorte. Il nous faut parler franchement et être dynamiques, et je pense que c'est le cas. Nous poussons fort à Genève et dans les capitales. Nous avons doublé notre financement du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme au cours des trois dernières années.

M. Sinclair : Depuis 2005, nous sommes les premiers à avoir doublé notre financement

Mme Dion : Nous sommes les premiers à doubler notre financement. Nous sommes passés du deuxième au cinquième rang pour ce qui est de notre contribution financière, et nous avons pris un engagement à long terme en vue de maintenir cela. Je dirais que nous jouons certainement un rôle de premier plan.

M. Sinclair : Nous avons également établi des discussions bilatérales avec le Haut Commissariat aux droits de l'homme, discussions qui sont très utiles, et je dirais que le fait que nous ayons augmenté les ressources que nous contribuons nous confère davantage de crédibilité à l'intérieur du système.

Le sénateur Fraser : Dans votre déclaration, madame Dion, lorsque vous avez parlé des sessions extraordinaires, vous avez dit que les discussions étaient caractérisées par un manque de transparence, un retour à une dynamique de blocs et au refus de respecter ne serait-ce que l'exigence de consultation minimale relativement au texte des résolutions. Existe-t-il en fait des dispositions relatives à la consultation? En d'autres termes, ceux qui ont refusé de consulter ont-ils enfreint une règle ou bien était-ce tout simplement une question de manque de courtoisie et de manipulation? Vous pouvez répondre de façon diplomatique, mais ont-ils vraiment enfreint une règle?

Mme Dion : Je vais demander à mon collègue de m'aider, mais avant de lui renvoyer la balle je dirais qu'une partie du problème ici est que, du fait que le Conseil en soit encore aux premiers stades de son édification, bien qu'il soit censé jouer en respectant les règles standard de l'Assemblée générale des Nations Unies, les règles ne ressortent pas toujours très clairement en vérité. Lorsque nous avons parlé de dispositions minimales, nous estimions que c'était un manque flagrant de respect de la transparence et des règles, car ils nous ont tout simplement balancé le texte et ont tout de suite demandé le vote.

Pour être juste envers tous les intéressés, il y a un débat considérable sur ce que devraient être les règles.

M. Sinclair : La règle de base à laquelle tout le monde se raccroche est la règle des 24 heures, qui veut que vous donniez un préavis d'au moins 24 heures. En dehors de cela, il y a certaines attentes ou conventions en matière de décorum, en vue d'offrir aux gens ou aux délégations la possibilité d'intervenir dans le processus. En ce qui concerne, certainement, le Canada, cela fait partie de notre approche pour ce qui est du Conseil et des sessions extraordinaires; en d'autres termes, il faut prévoir du temps pour bâtir le consensus qui débouchera sur un résultat efficace et équilibré. Cela n'a clairement pas été fait dans le cas qui nous occupe.

Le sénateur Fraser : Ont-ils donné un préavis de 24 heures ou bien ont-ils plutôt dit : « Voici un document et que tous ceux qui sont en faveur disent oui »?

M. Sinclair : Je ne sais plus si cela a été fait dans les 24 heures.

La présidente : Madame Dion, monsieur Sinclair, merci à tous les deux d'avoir participé à ce débat sur ce vers quoi devrait tendre notre politique étrangère. Nous apprécions votre professionnalisme et nous continuerons de discuter, et peut-être que nous en discuterons plus tard avec le ministre. Merci d'être venus ce soir.

Je vais clore cette partie de la réunion du comité pour que nous traitions maintenant d'une question administrative. Le comité va se rendre à Genève et nous avions proposé un budget, qui a été approuvé par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Il appert que les coûts seront légèrement supérieurs, en ce qui concerne la Commission, pour ce qui est des frais divers habituels. D'autre part, tous les sénateurs vont être du voyage. Cela nécessitera peut-être un budget supplémentaire, dont le comité directeur ne pense pas qu'il sera très important, mais le budget initial sera dépassé. Je demande donc aux membres du comité si vous êtes prêts à habiliter le comité directeur à adopter, au besoin, un budget supplémentaire pour le voyage à Genève. Ce montant sera alors publié dans le procès- verbal de cette réunion une fois que nous aurons le chiffre exact.

Le sénateur Nancy Ruth : Était-ce 5 000 $? Donnez-nous une approximation.

La présidente : Entre 5 000 $ et 10 000 $. C'est une ville où tout coûte cher et davantage de sénateurs seront de la partie. Y a-t-il un consensus en faveur de cette motion?

Le sénateur Fraser : D'accord.

Le sénateur Munson : J'en fais la proposition. Je siège cependant au comité directeur.

Le sénateur Nancy Ruth : J'en fais la proposition.

La présidente : Le sénateur Nancy Ruth a proposé l'adoption de la motion. Nous vous reviendrons là-dessus.

Je rappelle aux sénateurs qu'il leur faut communiquer avec la greffière pour finaliser leurs arrangements de voyage.

La séance est levée.


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