Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 19 - Témoignages du 14 mai 2007
OTTAWA, le lundi 14 mai 2007
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 5, en rapport avec la réponse du ministre des Affaires indiennes et du Nord, concernant les recommandations figurant dans le rapport du comité intitulé Un toit précaire : les biens fonciers matrimoniaux situés dans les réserves, déposé au Sénat le 4 novembre 2003.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui l'Association des femmes autochtones du Canada, qui fera le point sur son avis en rapport avec la question des biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves et répondra aux questions que nous voudrons bien lui poser.
Pour le compte rendu, soulignons que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a produit en novembre 2003 un rapport intitulé Un toit précaire : les biens fonciers matrimoniaux situés dans les réserves. C'était un rapport provisoire sur la question et, depuis, le comité permanent a eu droit à deux mises à jour et déclaré qu'il souhaite que des mesures soient prises rapidement pour régler la question. Nous avons invité des ministres à souligner officiellement, pour le compte rendu, les plans d'action qu'ils ont adoptés en la matière. Nous avons appelé à témoigner divers groupes communautaires qui sont touchés par la question. D'après la consigne donnée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord, nous avons maintenant pour mandat de suivre les consultations auxquelles il s'adonne.
Le ministre Prentice a fait de Mme Wendy Grant-John sa représentante ministérielle. Il lui a donné ce titre pour qu'elle mène des consultations au sujet des biens matrimoniaux dans les réserves. Elle lui a remis son rapport, et nous continuons d'assurer le suivi. Nous aimerions maintenant connaître les réactions de l'Association des femmes autochtones du Canada à ce sujet.
Avant de le faire, au sujet du Comité sénatorial permanent, que présidait feu le sénateur Maheu, il y avait une citation au début de son rapport. J'aimerais en faire la lecture pour le compte rendu.
Je crois que l'un des droits fondamentaux dont nous bénéficions, ou dont nous devrions pouvoir bénéficier, est le droit de vivre dans un endroit, une communauté ou une structure que nous appelons le « chez-soi ». Ce chez-soi est l'endroit où nous sommes en sécurité et où nous sommes protégés par notre famille et nos amis. Il s'agit de notre domaine privé, d'un endroit où nous oublions les soucis du monde extérieur et où nous nous retrouvons en famille. C'est également l'endroit, où, en tant que couple, lorsque nous planifions de fonder une famille, nous assurerons la sécurité, la protection et l'amour aux membres de celle-ci. En tant que couple qui vise à établir une structure, et avec les contributions personnelles de l'un et de l'autre, nous faisons de cet endroit un univers intime. Nous ouvrons notre univers intime à la famille et aux amis, les accueillant avec chaleur lorsqu'ils nous rendent visite. Cependant, il ne faut pas se méprendre, cet endroit est bien notre univers intime.
Le dernier paragraphe de la préface se lit comme suit :
Il semblerait que ce ne soit pas le cas des femmes vivant dans les réserves car elles ne détiennent aucun intérêt dans la maison familiale. Aucun choix n'est donné en ce qui concerne la personne qui doit quitter le logement. C'est la femme qui doit partir, et dans la plupart des cas, c'est la femme et ses enfants. Quel choix! Se retrouver itinérante ou vivre un mariage malheureux, peut-être même recevoir des mauvais traitements. Est-ce que les femmes autochtones méritent cela? Non. Est-ce humain de leur faire subir une telle situation? Certainement pas.
C'était la préface du rapport. Pour ceux qui ne l'ont pas lu, le rapport signale que c'est une question qu'il faut régler. Le procédé à employer n'y est pas forcément indiqué. Le rapport donne à entendre qu'il faudrait consulter toutes les parties touchées et laisse voir que c'est un problème persistant qui ne doit pas demeurer sans réponse. Par conséquent, le ministre s'est engagé dans des consultations. Le rapport a été déposé. C'est un rapport qui est très long, très épais.
J'invite maintenant Mme Sherry Lewis, directrice exécutive de l'Association des femmes autochtones du Canada, à faire inscrire au compte rendu toutes les observations qu'elle souhaite formuler en rapport avec les consultations et le dossier des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
Ensuite, nous nous tournons vers Mme Debra Hanuse, directrice, loi et législation, Assemblée des Premières nations. La directrice exécutive de l'Association des femmes autochtones du Canada est accompagnée de Mme Mary Eberts, conseillère juridique, et de Mme Yvonne Boyer, conseillère juridique elle aussi.
Bienvenue à toutes. Les sénateurs pourront poser des questions après que nous aurons entendu les deux déclarations liminaires.
Sherry Lewis, directrice exécutive, Association des femmes autochtones du Canada : Je tiens à remercier le comité sénatorial et ses membres de toute l'ardeur au travail dont ils ont fait preuve, surtout dans le contexte du suivi qu'ils font ici, pour veiller à ce que cette question importante soit réglée de la manière prévue.
Au nom de la présidente et des membres du conseil d'administration de l'Association des femmes autochtones du Canada, l'AFAC, et des femmes qui, partout au Canada, ont apporté une précieuse contribution au programme visant à déceler des solutions au problème des biens immobiliers matrimoniaux, je tiens à vous remercier de nous avoir invitées aujourd'hui.
D'abord, je tiens à souligner à quel point il importe, à l'AFAC, d'être un partenaire égal à l'égard de cette initiative. Nous sommes convaincus que la solution aux problèmes que pose le dossier des biens immobiliers matrimoniaux ne consiste pas uniquement à corriger une lacune législative. Le dossier des biens immobiliers matrimoniaux représente l'exemple le plus flagrant de discrimination envers toutes les femmes — autochtones et autres — attribuable aux lois en la matière qui s'appliquent dans les réserves.
Les huit derniers mois nous ont apporté beaucoup d'enseignements sur la question des biens immobiliers matrimoniaux : les histoires que nous avons entendues vous arrachent le cœur. Des femmes autochtones sur le point d'une rupture, d'un divorce ou d'une autre situation difficile sont contraintes de quitter le foyer conjugal situé dans la réserve, à affronter la pauvreté, le désespoir et le danger.
Ces femmes ne sont pas seules. Il y a des enfants dans cette histoire, et ce sont eux qui subissent le pire d'une crise désespérée sur laquelle ils n'ont aucune emprise. Ce sont les victimes innocentes d'un processus déficient. L'AFAC essaie de faire évoluer la situation d'une manière constructive, détaillée et entièrement inclusive.
Le 20 avril, le ministre des Affaires indiennes et du Nord, Jim Prentice, a annoncé la publication par son ministère d'un rapport de 500 pages sur la question des biens immobiliers matrimoniaux. L'auteur en est sa représentante ministérielle, Wendy Grant-John. À la suite de l'annonce publique, le ministre n'a rien déclaré pour faire voir s'il appuyait, oui ou non, le rapport de Mme Grant-John. Cependant, le travail accompli par la représentante ministérielle a impressionné l'AFAC, qui appuie les conclusions et les recommandations formulées par Mme Grant-John dans son rapport.
L'AFAC appuie le droit inhérent des Premières nations à leurs terres et territoires ainsi que leur droit d'établir des solutions aux problèmes des biens immobiliers matrimoniaux. Les femmes autochtones que nous avons consultées l'ont répété. Elles ont déclaré qu'elles sont originaires de ces communautés et qu'elles souhaitent s'attaquer au problème en question à l'intérieur de leurs communautés. Les femmes qui ont fourni des solutions sont des filles et des petites-filles, des sœurs, des mères et des grands-mères. Elles veulent que cesse le cycle intergénérationnel de violence et de marginalisation. Elles souhaitent qu'il y ait un effort collectif pour faire évoluer leurs communautés, par la création d'un processus global et bien adapté dans le dossier. Plus que jamais, elles souhaitent guérir et faire cause commune pour reconquérir leur manière d'être.
Les recommandations et les conclusions du rapport de la représentante ministérielle doivent être tenues pour un ensemble qui offre toutes les mesures de protection nécessaires aux femmes des Premières nations et à leur famille. Je souhaite apporter des précisions sur des points particuliers.
L'AFAC appuie sans réserve les recommandations que renferme le rapport de la représentante ministérielle. L'AFAC appuie la mise en œuvre de solutions législatives et autres au problème que pose le dossier des biens immobiliers matrimoniaux. Pour être efficaces, les deux types de solutions doivent être mises en œuvre d'une manière complémentaire. Les solutions non législatives s'imposent, car elles permettront aux communautés d'aller de l'avant et de résoudre le problème des biens immobiliers matrimoniaux et d'éliminer les problèmes connexes, par exemple la violence faite aux femmes autochtones.
J'ai dit tout à l'heure que l'AFAC a été un partenaire égal dans l'aventure, mais, récemment, AINC a décidé unilatéralement d'écarter l'AFAC et l'APN, l'Assemblée des Premières nations, en tant que partenaires. L'AFAC a été invitée à assister à des réunions en avril. À ce moment-là, il est devenu évident que AINC faisait des choix et dressait des plans sans que ses partenaires puissent y participer pleinement. À l'AFAC, nous avons essayé de donner des conseils et une rétroaction, mais nous ne savons pas très bien si l'une quelconque de nos idées a été prise en considération. Nous l'affirmons clairement : toute solution dans le dossier doit concorder avec les normes internationales, comme il en est question dans le rapport de la représentante ministérielle.
Si l'AFAC a fait de son mieux pour faire progresser le dossier des biens immobiliers matrimoniaux jusqu'à maintenant, d'autres intérêts au ministère ont fini par primer. Cette manœuvre unilatérale de la part du ministère n'est pas dans l'intérêt des femmes autochtones que nous sommes venues représenter ici et dont bon nombre ont couru personnellement un grand risque en s'affichant et en racontant leurs histoires.
Nous devons nous assurer que le projet de loi rédigé, quel qu'il soit, sert à garantir les intérêts supérieurs des femmes autochtones et de leurs enfants, ainsi qu'à assurer leur protection. Nous devons éviter d'adopter une autre loi déficiente, être conscients des problèmes vécus en rapport avec le projet de loi C-31 et éviter les erreurs qui ont été commises par le passé lorsque des lois ont été mises en œuvre sans que les personnes touchées aient été consultées et appelées à participer à l'exercice de façon convenable.
De même, la mise en œuvre de mesures non législatives de soutien revêt une importance capitale elle aussi, car les lois à elles seules ne permettront pas de régler les problèmes que posent les biens immobiliers matrimoniaux. Il en va de la vie et de la sécurité des femmes des Premières nations et de leur famille.
Debra Hanuse, directrice, Loi et législation, Assemblée des Premières nations : Bonjour. Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez aujourd'hui de m'adresser à vous et de faire part de mon point de vue sur le rapport de la représentante ministérielle et sur les solutions qu'il faut adopter pour régler cette question.
Je m'appelle Debra Hanuse. Je suis directrice par intérim, Loi et législation, plutôt que conseillère juridique, à l'APN. Je comparais aujourd'hui au nom de l'APN et du chef national Phil Fontaine, qui fait part de ses regrets, n'ayant pu assister à la séance aujourd'hui.
L'APN est un organisme national qui regroupe 633 Premières nations situées partout au pays ainsi que des citoyens des Premières nations, indépendamment de leur lieu de résidence, de leur sexe et de quelque autre critère.
Vous nous avez demandé de faire le point sur la situation. Avant de traiter du rapport de la représentante ministérielle, je vais donc exposer la situation sommairement. L'étape 3 du processus mise en œuvre par le ministre devait s'échelonner sur sept jours à la mi-février. À ce moment-là, les parties, malgré les bons efforts faits, n'ont pu s'entendre sur une option qui permettrait de s'attaquer au dossier des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves. Conformément au mandat qui lui a été conféré, la représentante ministérielle a recommandé une option que le gouvernement est appelé à envisager. Le ministre a indiqué clairement qu'il entend déposer un projet de loi sur la question au printemps.
Comme Mme Lewis l'a fait remarquer, il y a eu d'autres réunions, le 19 et le 26 avril. À ce moment-là, les responsables d'AINC nous ont signalé qu'ils en étaient à une étape avancée de la rédaction du projet de loi et que les possibilités de réorientation de notre processus étaient minces, même si nous avions demandé cela tout au long du processus pancanadien mis en œuvre par le ministre. Néanmoins, les responsables d'AINC nous ont invités à participer à l'exercice, mais en nous disant essentiellement que nous aurions peu d'occasions d'apporter une contribution susceptible d'être intégrée à la solution législative qui finirait par naître de l'exercice.
Si nous avons bien saisi, le gouvernement fédéral prépare une mesure législative qui intégrerait vraisemblablement nombre des éléments compris dans les mesures législatives fédérales provisoires recommandées par la représentante ministérielle.
Pour revenir un peu dans le temps, au 9 mars pour être précis, prévoyant que le ministre serait mis devant des recommandations qui ne font pas l'objet d'un consensus, nous voulions nous assurer que M. Prentice connaissait le point de vue de l'APN quant aux options et approches qu'il faudrait retenir. À ce moment-là, nous lui avons présenté un document que nous soumettons aujourd'hui à votre examen. C'est un document intitulé Concilier les compétences des Premières Nations et de la Couronne sur les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves et répondre aux besoins immédiats des familles des Premières nations. Ce document expose de manière détaillée la façon dont l'APN voudrait que la question se règle. Comme tout le monde, nous croyons que c'est une question très importante qui appelle une solution.
Pour bien faire le point, disons que, le 2 mai, après les réunions tenues avec les responsables d'AINC et après avoir appris que le projet de loi en question en était déjà à un stade avancé, le chef national a fait parvenir une lettre au ministre pour souligner que l'APN s'engage toujours à collaborer à l'exercice, mais aussi pour exprimer des préoccupations quant au délai que cela suppose quand vient le temps de solliciter l'avis des Premières nations : ce serait là effectivement une période de deux semaines, de la date des réunions en question au moment où d'autres processus se dérouleraient, et il ne serait plus possible de traiter de ce sujet avec l'APN et l'AFAC. Nous avons aussi signalé au ministre que sa démarche ne correspondait pas à la consultation valable selon nos attentes, susceptible de déboucher sur une solution durable au problème lié aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
Nous souhaitons trouver des solutions viables et durables au problème et non seulement des solutions partielles, sinon des solutions qui ne tiennent pas compte des besoins de tous ceux qui sont touchés par l'incertitude législative entourant la question.
Essentiellement, cela m'amène à parler du rapport de la représentante ministérielle. Dans la première partie de sa recommandation, elle préconise la reconnaissance de la compétence inhérente des Premières nations en matière de biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves et des traditions juridiques des Premières nations. La Cour suprême a établi des consignes à cet égard. Elle a interprété pour nous l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Cet article renferme une promesse de reconnaissance des droits et exige la conciliation des compétences de la Couronne et des Premières nations. La recommandation de la représentante ministérielle concorde parfaitement avec la consigne ainsi donnée par la Cour suprême du Canada. C'est également une notion que l'APN défend avec constance depuis le début du processus.
Bien entendu, l'APN appuie vivement les recommandations de la représentante ministérielle en ce qui concerne la reconnaissance des compétences des Premières nations. Cependant, la Cour suprême du Canada nous offre aussi d'autres consignes importantes au sujet de la question. Elle nous dit que la conciliation passe par des négociations menées de bonne foi. Par conséquent, nous faisons valoir que le processus de conciliation et de reconnaissance ne saurait aboutir là où le gouvernement fédéral impose unilatéralement un projet de loi aux peuples des Premières nations.
Nous avançons qu'il faut un processus de négociation avant que toute mesure législative en la matière soit déposée. Nous attirons votre attention sur l'accord politique conclu par le gouvernement fédéral et l'Assemblée des Premières nations en mai 2005. C'est un accord qui visait précisément à engager les parties à collaborer à la promotion de processus valables de conciliation et de mises en œuvre des droits prévus à l'article 35 de la Constitution. Autrement dit, l'accord politique prévoit un instrument qui vise particulièrement à réaliser la conciliation qu'exige actuellement l'article 35 de la Constitution.
À l'exemple de ce que nous avons fait tout au long du processus, aujourd'hui, nous vous invitons fortement à inciter instamment le ministre à s'attaquer au dossier des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves au moyen du processus de conciliation exposé dans l'accord politique. Dans le document en question, nous parlons aussi de la façon dont l'AFAC pourrait collaborer à l'exercice et sommes ouverts à l'idée de répondre à toute question que vous voudrez bien poser à ce sujet.
Cela m'amène à parler des règles fédérales provisoires recommandées par la représentante ministérielle. Certes, nous apprécions tous l'effort notable déployé par la représentante ministérielle pour en arriver à une solution qui tient compte des intérêts de toutes les parties ayant participé au processus, y compris le gouvernement fédéral, l'AFAC et les Premières nations.
Cependant, nous craignons que certaines des règles provisoires en question aient pour effet d'empiéter sur les droits protégés par l'article 35 de la Constitution. Du fait du recours que représente la possession exclusive provisoire, la reconnaissance juridique des Premières nations est appréciable. Par exemple, il y a eu reconnaissance du titre ancestral et des terres de réserve; reconnaissance de la compétence des Premières nations en matière de droit de la famille, notamment pour l'adoption et le mariage; et reconnaissance du droit qu'ont les Premières nations de gérer les terres visées par un titre ancestral. De même, les droits associés à l'autonomie politique des Premières nations sous certains aspects ont été reconnus, notamment dans l'arrêt Campbell au sujet d'une affaire qui a eu lieu en Colombie- Britannique. Tous ces facteurs confirment le point de vue selon lequel les Premières nations disposent à l'égard de leurs terres de réserve un titre ancestral et des titres et intérêts issus de traités.
Le titre ancestral renvoie à un droit de possession exclusive. Or, le fait de conférer des droits de possession exclusive — en particulier à ceux qui ne sont pas membres — peut avoir pour effet de porter atteinte au titre autochtone des Premières nations en rapport avec leurs terres de réserve. Par conséquent, le fait d'appliquer ce recours aux non- membres peut constituer une atteinte injustifiée aux droits prévus à l'article 35 de la Constitution.
Certains ont fait valoir que, étant donné que le recours est de nature temporaire, l'atteinte aux droits en question ne serait pas significative. Nous affirmons que cela n'est pas exact. La possession exclusive provisoire peut valoir jusqu'à l'âge de 18 ans, dans la mesure où l'ordonnance touche à un mineur, justement, jusqu'à la majorité. Ce n'est pas qu'une mesure temporaire; souvent, ça peut devenir une mesure prolongée.
Nous voulons également faire remarquer que les couples qui possèdent leur propre maison dans les réserves sont rares. Cela me ramène au merveilleux passage que vous avez cité au début, soit que le droit de vivre dans un endroit, une communauté ou une structure que nous appelons le « chez-soi » est un droit fondamental dont tous devraient pouvoir bénéficier. Nous souhaitons vivement que les Premières nations puissent en bénéficier elles aussi. Triste réalité : 30 p. 100 seulement des membres des Premières nations dans les réserves possèdent leur propre maison, et 70 p. 100 des habitations dans les réserves sont subventionnées. Même si on arrivait à une solution législative de cette nature, cela ne s'appliquerait qu'à un maximum possible de 30 p. 100 de tous les membres des Premières nations dans les réserves.
Il y a encore 70 p. 100 des familles des Premières nations qui ne sont pas propriétaires de leur propre maison. C'est attribuable aux interdictions qui figurent dans la Loi sur les Indiens en ce qui concerne les hypothèques, les saisies et la vente de terres de réserve. Les membres des Premières nations ne peuvent aller contracter à la banque un emprunt pour faire construire leur maison; ils sont donc dépendants du gouvernement fédéral ou de leur bande à cet égard. Voilà qui entrave sensiblement l'accès à la propriété; cela veut dire que, à la recherche de solutions au problème lié aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, nous allons seulement pouvoir agir pour un nombre limité de familles des Premières nations en adoptant des mesures qui ne corrigent en rien les difficultés posées par les logements subventionnés généralement loués auprès des bandes.
La possibilité de porter atteinte aux droits constitutionnels des Premières nations afin d'appliquer une solution à 30 p. 100 des familles des Premières nations dans les réserves ne se justifierait guère.
Nous aimerions maintenant nous attacher aux ordonnances d'indemnisation. La Cour suprême du Canada a déjà tranché : les ordonnances d'indemnisation s'appliquent aux couples des Premières nations dans les réserves. Les règles fédérales provisoires ne serviraient qu'à codifier les recours existants. Il n'y aurait aucune mesure nouvelle de redressement pour les familles des Premières nations.
Le tableau s'assombrit. Encore une fois, étant donné la nature des terres de réserve et les dispositions qui interdisent les hypothèques, la vente et la saisie des terres de réserve, la plupart des couples éprouvent de la difficulté à faire appliquer les ordonnances d'indemnisation, si tant est qu'ils peuvent en profiter. Comme les terres de réserve ne peuvent être hypothéquées, les couples des Premières nations ne peuvent accéder au capital nécessaire pour procéder au rachat de la part d'autrui et respecter l'ordonnance d'indemnisation.
L'article 89 figure parmi les principales dispositions de la Loi sur les Indiens interdisant que les terres puissent être vendues ou saisies. Nous ne recommandons pas aux législateurs d'aller rafistoler cette disposition; s'il fallait le faire, il faudrait d'abord consulter convenablement les Premières nations. La disposition en question, qui ressemble à de nombreux autres passages de la Loi sur les Indiens, est conçue expressément pour protéger les terres de réserve contre une éventuelle cession et de les réserver exclusivement à l'usage et à l'avantage des membres. Toute atteinte à ces mesures de protection aura un impact sensible sur les Premières nations et les communautés des Premières nations. Nous déconseillons vivement aux législateurs de rafistoler ces dispositions. La représentante ministérielle est d'accord sur ce point. Dans son rapport, elle affirme qu'il ne faut pas essayer d'ouvrir le champ à une révision de l'article 89 de la Loi sur les Indiens de quelque façon qu'il puisse permettre la saisie des terres de réserve au profit de non-membres.
La représentante ministérielle recommande encore une approche de prédilection face à l'article 89 de la Loi : reconnaître la compétence des Premières nations quand il s'agit de traiter de cette question, d'exercer leur pouvoir sur les intérêts immobiliers grevés sur leurs terres, y compris les règles touchant la dispense prévue à l'article 69 de la Loi sur les Indiens. Pour des raisons évidentes, l'APN appuie sans réserve la recommandation de la représentante ministérielle, car les chances sont bonnes que cela mine les protections prévues dans la Loi sur les Indiens pour empêcher que les terres de réserve fassent l'objet d'une cession ou qu'elles cessent d'être réservées à l'usage et à l'avantage des membres.
Nous avons également à l'esprit la nécessité de trouver des solutions immédiates au problème qu'éprouvent les membres des Premières nations face à l'incertitude législative à cet égard. Compte tenu de cela, nous avons conçu les options présentées dans le document déposé ici aujourd'hui. Nous vous demandons de vous y reporter. Il n'y a pas de solutions uniques. Nous nous efforçons de trouver le plus grand nombre possible de solutions au problème, pour répondre aux besoins immédiats des familles touchées. C'est que nous voulons éviter qu'il y ait atteinte possible aux titres ou droits ancestraux.
Par conséquent, nous vous demandons d'examiner les recommandations présentées dans le rapport en question et nous vous demandons de conseiller au gouvernement fédéral et au ministre de les examiner de manière sérieuse, particulièrement du fait qu'il pourrait y avoir une grave atteinte aux droits si nous adoptons les règles provisoires, sans oublier les défis que pose l'application des ordonnances d'indemnisation. La codification de tout cela ne donne rien de plus aux gens des communautés.
Cela m'amène à parler du devoir de consulter. Nous savons ce que la Cour suprême du Canada en a dit dans une cause qui a fait date, l'arrêt Haida. Elle nous a fait savoir que, là où l'État a connaissance, concrètement ou par imputation, de l'existence potentielle du droit ou titre ancestral et envisage des mesures susceptibles d'avoir un effet préjudiciable sur celui-ci, il lui incombe de consulter.
Autrement dit, il n'y a pas de marge discrétionnaire possible une fois que l'État établit l'existence d'un droit et qu'il envisage une conduite susceptible d'avoir un effet sur ces droits. L'État doit consulter les Premières nations dans de tels cas.
La représentante ministérielle n'a pas formulé de recommandations particulières à propos de la consultation. Cependant, elle a obtenu des conseils juridiques qu'elle expose et qui sont annexés à son rapport. Il vaut la peine de noter que les conseillers juridiques retenus par la représentante ministérielle ont conclu de même que l'État a le devoir de consulter les Premières nations au sujet du projet de loi, du fait des intérêts collectifs liés aux terres de réserve qui entrent en jeu. Il vaut la peine de le noter aussi : les conseils juridiques de la représentante ministérielle ont fait remarquer que, tout au moins, le devoir de consulter exige de s'entretenir directement avec chacune des Premières nations.
Quoi qu'il en soit des conclusions tirées par les conseillers juridiques de la représentante ministérielle et dans nos divers mémoires à l'intention du gouvernement fédéral sur la question, nous avons appris que le gouvernement fédéral n'entend pas consulter les Premières nations à propos de quelque mesure législative actuellement en voie d'élaboration. Nous vous demandons de nous aider à persuader le gouvernement de revenir sur cette décision et de se conformer à la consigne que nous donne la Cour suprême du Canada, soit de consulter directement les Premières nations à propos des projets de loi ayant la possibilité de toucher sensiblement leurs droits constitutionnels.
Le rapport de la représentante ministérielle comporte trois autres parties. Brièvement, je vais les commenter.
Premièrement, nous voulons commenter les recommandations de la représentante ministérielle au sujet des options fédérales exposées dans le document de consultation du gouvernement fédéral. Deux des trois options proposées par le gouvernement fédéral prévoient l'application des lois provinciales aux terres de réserve. On nous a signalé que ce n'est pas une option qui est activement envisagée en ce moment. Cependant, tant et aussi longtemps que le projet de loi n'est pas déposé, tout peut arriver. Par conséquent, nous voulons être sûrs que vous connaissiez notre point de vue sur la question. Notre point de vue, c'est que nous appuyons la conclusion de la représentante ministérielle, soit que l'application des lois provinciales représenterait une atteinte injustifiable aux droits des Premières nations et poserait un trop grand nombre de problèmes pratiques en ce qui concerne l'harmonisation des lois. L'APN est d'accord avec cette conclusion et déconseille vivement au gouvernement d'adopter toute solution qui entraînerait l'application de lois provinciales.
Nous voulons parler maintenant des recommandations de la représentante ministérielle concernant les ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de toute solution au problème lié aux biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves. La représentante ministérielle a cerné plusieurs secteurs où il faudrait investir des ressources. Il s'agit notamment de ressources à l'intention des Premières nations pour qu'elles puissent se donner leurs propres lois et consulter leurs citoyens. Elle a également parlé de ressources nécessaires pour créer et mettre au point des mécanismes extrajudiciaires de règlement des conflits et garantir l'accès à la justice aux citoyens des Premières nations. L'APN appuie vivement les recommandations de la représentante ministérielle au sujet des ressources nécessaires à la mise en œuvre de solutions au problème lié aux biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves. Nous nous faisons l'écho des sentiments exprimés par l'AFAC, c'est-à-dire que nous pouvons entrevoir les défis liés à la mise en œuvre du projet de loi C-31. Il s'agit de savoir ce qui se produit là où nous omettons de prévoir des ressources adéquates pour la mise en œuvre de mesures législatives de cette nature.
Enfin, nous souhaitons commenter certaines des options non législatives que recommande la représentante ministérielle. Il s'agissait notamment — et j'en ai parlé il y a quelques instants — de recommandations visant à munir les Premières nations des ressources nécessaires pour établir des organismes de règlement des conflits. Si la reconnaissance fait partie du programme d'ensemble, ce sera vraisemblablement par l'application des nombreux mécanismes de règlement des conflits au sein de leurs propres communautés que les Premières nations vont régler cela.
Pour mettre en œuvre la reconnaissance, il serait capital d'inclure dans le programme global des dispositions touchant la mise en œuvre de procédés et de mécanismes de règlement des conflits au sein des communautés des Premières nations.
Autre solution non législative recommandée par la représentante ministérielle : réaliser une évaluation des programmes existants, par exemple la Loi sur la gestion des terres des premières nations et le Programme régional d'administration des terres, le PRAT, qui sont des programmes conçus pour améliorer le système du registre des terres, ainsi que les programmes d'autorité déléguée 53-60. Il s'agissait aussi de déceler toute lacune dans les programmes en question.
Nous avons des précisions sur certains des cas dans notre rapport. Par exemple, pour la Loi sur la gestion des terres des premières nations, la LGTPN, 51 Premières nations souhaitant se joindre à l'exercice élaborent actuellement leurs propres lois, leurs lois en matière foncière et leurs codes de biens immobiliers matrimoniaux par le truchement de la LGTPN. Cependant, les ressources disponibles ne suffisent pas aux 51 Premières nations en question, qui font essentiellement le pied de grue, le temps de pouvoir s'engager dans la démarche et commencer vraiment à faire le travail en question. Si des ressources étaient mises à la disposition des 51 Premières nations qui attendent, il y aurait alors 109 ou 110 Premières nations au Canada qui, par le truchement de la LGTPN, élaboreraient leurs propres codes de biens immobiliers matrimoniaux et leurs propres lois foncières. Or, il existe une solution qui n'entrave pas les droits constitutionnels de quiconque et qui pourrait servir d'instrument à cet égard — si ce n'était du manque de ressources — pour qu'un grand nombre de Premières nations au Canada se penchent sur ce dossier.
Nous aimerions attirer votre attention sur les options non législatives que nous proposons dans le document que nous avons déposé ici aujourd'hui. En plus d'appuyer les options non législatives que recommande la représentante ministérielle, nous aimerions également vous demander de recommander au gouvernement fédéral d'envisager sérieusement les options non législatives que nous avons établies dans notre document.
Étapes à venir : et maintenant, où va-t-on? L'article 25 de la Loi constitutionnelle montre la voie : il ne faut pas porter atteinte aux droits inscrits à l'article 35 pour essayer d'en arriver à un juste équilibre entre les mesures de protection accordées aux particuliers d'après l'article 15 de la Charte et les mesures de protection en matière de droits collectifs inscrits à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Nous craignons que l'importance de protéger les droits collectifs ait quelque peu été perdue pendant le débat et nous souhaitons vous rappeler qu'il importe de faire entrer les droits collectifs dans l'équation.
Nous voulons également faire remarquer — simplement pour résumer la chose et vous donner un petit aperçu — que l'adoption des règles fédérales provisoires ne représente qu'une solution partielle, car les non-membres et les terres distribuées selon la coutume seraient vraisemblablement exclus de toute solution législative aux problèmes des biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves. Les règles fédérales provisoires ne prévoiraient pas de recours pour la majorité des membres des Premières nations vivant dans les réserves, mais qui ne sont pas propriétaires de leur maison. Comme je l'ai dit plus tôt, 70 p. 100 des membres des Premières nations ne sont pas propriétaires de leur maison, et vous verrez cela aussi dans le document.
Quant au processus, la conciliation exige maintenant, d'après l'article 35 de la Constitution, qu'il y ait des négociations menées de bonne foi. Nous avançons que le gouvernement fédéral ne peut procéder unilatéralement à l'élaboration de quelques projets de loi qui traitent de la reconnaissance de la compétence des Premières nations en matière de biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves.
Nous faisons valoir respectueusement qu'il faut beaucoup plus de travail pour garantir la conformité avec les articles 15, 25 et 35 de la Loi constitutionnelle.
Nous vous encourageons vivement à recommander au gouvernement fédéral de revenir à la table avec l'APN et l'AFAC pour que nous puissions trouver ensemble des solutions aux problèmes des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, d'une façon qui concorde avec la consigne de la Cour suprême du Canada. De même, nous vous encourageons à recommander au gouvernement de prévoir un temps suffisant pour que ce travail se fasse; mieux vaut prendre son temps et bien faire le travail, et s'assurer que ce sont des solutions valables qui sont proposées aux gens au bout du compte. À quoi bon construire un palais si les gens pour lesquels vous le construisez n'arrivent pas à ouvrir la porte et à y entrer? L'accès à la justice et l'application de solutions valables pourraient être à l'origine d'un redressement pour la majorité des membres des communautés des Premières nations, par opposition aux mesures qui ne touchent qu'un faible pourcentage, soit les propriétaires de maison.
La Cour suprême du Canada a donné une consigne : il est d'une importance capitale que l'État consulte directement les Premières nations à propos de toute option mise au point.
Pour terminer, nous vous demandons de vous assurer que les droits individuels de nos membres sont protégés, que nos droits collectifs ne sont pas sacrifiés sur l'autel de opportunisme politique et que tous recours finalement adoptés pour traiter des questions relatives aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves représentent des solutions à la fois valables et concrètes du point de vue de nos membres. Cela conclut nos exposés.
La présidente : Merci d'avoir présenté ces deux exposés.
Madame Hanuse, vous avez dit qu'il y a encore du travail à faire. Je me rappelle qu'on ait dit ça il y a une trentaine d'années, à l'époque où je travaillais au tribunal de la famille. Il fallait toujours plus de temps pour travailler aux solutions envisagées, pendant que les gens vivaient une très grande détresse — les enfants et les femmes qui se retrouvaient à mon tribunal.
D'une part, il s'agit d'un problème très complexe; il faudrait attendre que le travail avance. D'autre part, la détermination des règles entre dans le champ d'action des Premières nations. Vous voulez que le ministre vous consulte davantage avant que toute loi soit mise en place. Cependant, le travail a été fait au sein de la direction des Premières nations et il y a encore du travail à faire. Dans le dossier, à votre avis, combien de temps faut-il encore aux leaders des Premières nations? Toutes les questions ont été cernées. Si j'accepte votre argument, soit que ce serait les dirigeants des réserves qui détermineraient en partie les règles touchant les biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves... combien de temps de plus vous faut-il?
Mme Hanuse : Les Premières nations n'ont absolument pas intérêt à retarder le règlement de cette question. Il s'agit simplement que les leaders des Premières nations trouvent une solution. De concert, nous devons trouver des solutions en vue de préparer un cadre, pour qu'il y ait certitude du point de vue de toutes le parties en cause. Il faut harmoniser les règles et ainsi de suite.
Combien de temps faudrait-il? Nous avons eu sept jours pour dégager un consensus dans le contexte du processus d'établissement d'un consensus.
La présidente : Ce n'est pas la question que j'ai posée. Je mets de côté les consultations. De votre point de vue, un délai de sept jours n'était pas suffisant. En ne parlant pas de mesures particulières et en présumant que le ministre ne change rien, vous dites qu'il appartient aux dirigeants des réserves des Premières nations de régler une question qui perdure depuis des décennies. Vous avez cerné correctement les questions en jeu — je veux lire encore; je suis en train de lire très rapidement.
Combien de temps vous faut-il pour consulter vos propres réserves et arriver à une solution qui est la vôtre? C'est de cette consultation que je parle. Je comprends l'autre. Cela me frustre, car j'entends dire que 70 p. 100 des logements sont subventionnés et que seulement 30 p. 100 des gens des Premières nations sont propriétaires — c'est le même genre de réplique que ce que les gens entendaient durant les années 1920, à l'époque du Homestead Act. Cependant, je dois dire que je n'ai pas connu cette époque. Les gens étaient nombreux à ne pas posséder de terre; ils louaient. C'est le même genre de réplique qu'on entendait : ne prévoyons pas de les protéger dans le Homestead Act, sinon il y aura toutes sortes de personnes qui seront laissées pour compte, et néanmoins nous sommes allés de l'avant; les femmes ont tenu à avoir de la protection. Ce n'est pas seulement une protection qu'il faut; c'est peut-être tout un éventail de solutions, pas seulement ce qui touche les biens matrimoniaux. Certaines vivent dans les réserves, d'autres ailleurs. Ce sera une démarche de longue durée. Cependant, pour régler cette question particulière, combien de temps vous faudrait-il encore? Soit dit en passant, je n'essaie pas de vous faire la vie dure : nous nous sommes assis ici pendant longtemps avec un ministre et puis un autre, pour leur demander combien de temps il leur faut encore pour consulter. Ils ont mis en place une démarche, et nous allons chercher à savoir s'il leur faut plus de temps pour mener les consultations.
Je veux savoir une chose : si le gouvernement fédéral ne faisait rien et que, selon vous, l'obligation morale et juridique appartient à la direction, combien de temps faudrait-il encore pour trouver une solution à la question des biens matrimoniaux — pas aux questions connexes. Soyons équitables : certaines personnes ont déjà trouvé une solution.
Mme Hanuse : Avant de répondre à votre question, j'aimerais parler un peu du contexte. Durant les discussions que le ministre a organisées à l'échelle nationale, il n'y a pas eu de désaccord profond quant à l'idée que les Premières nations assument la compétence à cet égard. On a reconnu qu'il faudra peut-être un certain temps pour que se réalise le travail de réglementation au sein des communautés des Premières nations avec le concours de tous les membres des communautés des Premières nations, hommes et femmes y compris. On a aussi reconnu qu'il fallait agir dans l'intervalle, pour prévoir un recours immédiat, et c'est la raison pour laquelle de nombreuses solutions non législatives se trouvent dans le document que nous avons déposé.
Dans le cas des femmes touchées par le Homestead Act, il n'y avait pas la question des droits collectifs à prendre en considération. C'était bien avant 1982 et l'inscription des droits collectifs dans la Constitution. Nous parlons non seulement de droits individuels, mais aussi de droits collectifs. Si l'article 35 de la Constitution a un sens, on ne saurait en faire fi en élaborant les solutions.
Le contexte est légèrement différent. Combien de temps faut-il? Dans les communautés — je parle ici des cas où les gens ont préparé leurs propres lois —, il faut compter jusqu'à deux ans pour que s'édifie une réglementation avec laquelle les gens sont à l'aise et qui débouche sur des solutions viables et durables pour les communautés. Cependant, dans notre document, nous proposons de nombreuses solutions provisoires. Par exemple, si les membres des Premières nations ne peuvent accéder au capital nécessaire pour qu'il y ait un partage équitable des biens matrimoniaux en cas de rupture, voilà que le fonds d'indemnisation des conjoints constitue une solution pratique. Il pourrait y avoir un projet de loi à ce sujet. Cela permettrait aux couples d'accéder à une aide immédiate. Ce serait sous forme de prêt, qui ne deviendrait pas un fardeau pour le contribuable, car les sommes seraient entièrement remboursables à l'État. Les couples des Premières nations ayant alors accès à du capital, un conjoint pourrait racheter la part de l'autre. Ce serait une façon équitable et immédiate de régler un grand nombre des problèmes liés aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
Nous ne disons pas : continuez à travailler là-dessus sans fournir d'aide immédiate. Plutôt, étant donné les divers droits qui entrent en jeu, nous disons qu'il faut trouver un juste équilibre entre, d'une part, les droits prévus aux articles 15 et 35, et, d'autre part, la consigne claire qui se trouve à l'article 25 de la Charte, soit que celle-ci ne porte pas atteinte aux droits dont nous jouissons collectivement, sans oublier les responsabilités. Compte tenu de ces responsabilités, nous ne pouvons avancer à fond de train et adopter une solution unilatérale qui ne tient pas bien compte de tous les intérêts divergents qui entrent en jeu. Tout ce que nous disons, c'est qu'il faut refaire nos devoirs — et les gens témoigneront de l'ardeur au travail et du degré d'engagement dont nous avons tous fait preuve tout au long de l'exercice —, c'est qu'un délai de sept jours est insuffisant. Par contre, en ayant 14 ou 21 jours pour agir, qui sait quel miracle nous allons pouvoir faire, à la recherche d'une solution globale. À l'APN et à l'AFAC, nous avons la volonté de revenir à la table de négociations pour trouver une solution qui soit viable et durable, et qui répond à l'ensemble des intérêts et des besoins qui entrent en jeu.
La présidente : Madame Eberts, voulez-vous traiter de cette question : combien de temps il faudrait encore?
Mary Eberts, conseillère juridique, Association des femmes autochtones du Canada : J'aimerais traiter de quelques sujets. Il importe de dire que nous ne savons pas si le projet de loi que prépare le gouvernement fédéral sans nous consulter s'appliquera aux 70 p. 100 de membres qui ne sont pas propriétaires fonciers. Théoriquement, il est possible qu'une telle loi s'applique aux intérêts à bail, mais nous n'en sommes pas sûrs : nous avons été écartés de la table. De même, nous ne savons pas si le projet de loi fédéral s'appliquera aux terres distribuées selon la coutume. À l'étape de l'établissement du consensus, les avis étaient partagés. La position du gouvernement fédéral demeurait équivoque. Il est si malheureux que nous ayons été exclus de cette table de négociations, car il y a des questions que le gouvernement fédéral se charge maintenant de déterminer à lui seul, sans consulter les gens qui connaissent vraiment la situation sur le terrain, d'une réserve à l'autre.
Pour ce qui est du moment choisi, je dirai deux choses : premièrement, le précédent a été établi dans la Loi sur la gestion des terres des premières nations, qui a imposé aux Premières nations un délai de un an pour la préparation des codes fonciers, et très peu d'entre elles ont pu y arriver dans le délai imparti. Avant que la représentante ministérielle ne présente son rapport, d'après l'expérience vécue, il fallait jusqu'à trois ans pour qu'une Première nation mette au point son propre code. Quand il est question du droit des biens immobiliers en dehors des réserves, il faut se rappeler qu'il y a déjà en place un régime juridique et un registre des terres. Il s'agit seulement de jouer un peu avec les réglages, mais l'ensemble est déjà en place. Pour ce qui est des biens dans les réserves, le registre des terres qui relève d'AINC est imparfait, plein d'anomalies historiques, et de nombreuses communautés en sont exclues au départ, de sorte qu'il est difficile de mettre au point les codes dans le contexte.
Dans son rapport, la représentante ministérielle a affirmé que l'adoption de lois fédérales provisoires permettrait de répondre aux préoccupations des femmes. Mme Lewis a signalé au comité que l'AFAC appuie les recommandations de la représentante ministérielle. Nous sommes d'accord nous aussi sur un point dont il est question dans le rapport : le gouvernement du Canada semble faire cavalier seul dans le dossier; selon elle, il faut donner des moyens aux Premières nations pour qu'elles puissent établir leurs propres codes fonciers et leurs propres mécanismes de règlement des conflits. Si la loi fédérale envisagée est conçue comme une solution provisoire au problème, sans que les ressources ne soient mises à la disposition des communautés des Premières nations pour qu'elles puissent mieux prendre en charge la tâche importante que constitue l'établissement des codes en question, la solution provisoire devient une solution permanente, et personne ne veut de cela.
Deuxièmement, il a été recommandé dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones que le gouvernement reconnaisse la compétence des Premières nations dans le domaine de la famille. Pareillement, il était recommandé vivement que les femmes participent pleinement à la mise au point des lois à l'échelle des Premières nations. Nous croyons que cela est prévu à l'article 28 de la Charte, qui s'applique à l'article 25 de la Charte — l'article qui protège les droits historiques — tout comme le paragraphe 35(4) s'applique au paragraphe 35(1). Disposer des moyens en question revêt une importance critique non seulement au sein des Premières nations dans leur ensemble, mais aussi dans les organismes comme l'Association des femmes autochtones du Canada et ses sections locales, pour que les femmes puissent participer pleinement à l'élaboration des codes en question.
Nous sommes d'accord pour dire qu'il faudra beaucoup de temps. Dans l'intervalle, nous sommes en faveur de la recommandation de la représentante ministérielle, soit qu'une loi fédérale consensuelle soit adoptée. Or, nous n'en sommes pas là.
La présidente : J'inviterais les témoins à nous écrire après les audiences pour ajouter des éléments d'information aux réponses qu'ils donnent ici, en cas de besoin.
Le sénateur Fraser : Je dois me confondre en excuses : je suis en retard. Je n'y pouvais rien; je ne souhaitais pas ne pas y être à l'heure.
Comme la présidente l'a dit, cela est inscrit au programme depuis 30 à 35 ans, sinon plus. Certes, ça fait environ 30 ans, depuis que j'ai reçu mon premier appel de la part de Mary Two-Axe Early et voilà que nous y sommes à nouveau. Quand la question est mise à l'ordre du jour, tout le monde est plein de bonne volonté, mais nous n'arrivons tout simplement pas à dépasser ce stade.
Je ferai deux déclarations que j'aimerais que vous commentiez. Premièrement, comme on le voit souvent, le mieux est l'ennemi du bien. Si nous attendons la solution parfaite au problème du régime des biens matrimoniaux, les comités se réuniront encore ici dans 100 ans pour dire : « Attendez, il faut consulter encore; ce n'est pas encore parfait. »
Deuxièmement, à propos du projet de loi qu'élabore actuellement le ministre, je n'ai pas la moindre idée de ce qui se trame : je ne suis pas dans le secret des dieux. Une chose m'est venue à l'esprit : quoi qu'il propose, cela aura peut-être l'avantage non seulement d'obliger les gens à faire preuve de bonne volonté, mais aussi de motiver les Premières nations à en faire une tâche prioritaire, pour que nous en arrivions à des résultats heureux. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez dans les deux cas?
Mme Eberts : L'Association des femmes autochtones du Canada connaît très bien la longue pause dont vous avez parlé. Cela fait des décennies que nous essayons de faire inscrire cette question à l'ordre du jour du gouvernement, et ce n'est qu'à la suite d'une action en justice que les autorités fédérales semblent avoir commencé à s'intéresser à l'adoption d'une politique.
La solution recommandée par la représentante ministérielle nous paraît raisonnable dans la mesure où les deux éléments prévus sont adoptés. Le premier consiste en une loi fédérale provisoire, et il faut vraiment y croire pour croire que celle-ci sera adéquate. En présumant qu'elle le serait, le deuxième élément, c'est le renforcement de la capacité. S'il n'y a pas renforcement de la capacité, à la place d'une démarche communautaire visant à établir des codes fonciers, il y aura deux ou plusieurs Premières nations qui, encore une fois, porteront l'affaire devant les tribunaux. La bande de Sawridge conteste le projet de loi C-31 devant les tribunaux depuis que celui-ci a été adopté en 1995. Je représente l'AFAC au procès en question, qui n'est pas terminé.
Sans renforcement de la capacité locale, la solution provisoire ne servira pas la fin que vous avez décrite, soit de mettre le projet en branle à l'échelle communautaire. Je crois que c'était le souhait exprimé par la représentante ministérielle dans son rapport : une approche en deux volets.
Mme Hanuse : J'ai quelques observations à formuler sur les points qui ont été soulevés. Nous ne sommes pas à la recherche d'une solution parfaite; nous sommes à la recherche d'une solution viable et durable, une solution qui ne s'adresse pas qu'à un petit segment des Premières nations, mais qui répond aux besoins de tous les membres des Premières nations qui, pour défendre leurs intérêts doivent pouvoir s'en remettre aux tribunaux ou à une autre source.
Quant à savoir si la question traîne depuis longtemps, oui, cela fait bon nombre d'années. Cependant, ce n'est que depuis très peu de temps que les Premières nations ont les moyens de participer au débat. Nous sommes très reconnaissants au ministre, car il a eu le courage de concevoir une démarche de cette nature, d'y affecter les ressources nécessaires et de nous donner l'occasion d'engager un dialogue direct avec nos citoyens, pour obtenir leurs points de vue. C'est du jamais vu dans un dossier du genre, dans l'histoire du Canada. Le ministre doit être félicité, mais il ne nous a pas donné assez de temps pour faire le travail en question.
Nous avons déployé des efforts considérables pour trouver les solutions voulues. Nous sommes très près du but. Nous ne demandons pas encore 20 ans, d'aucune façon. Nous demandons d'avoir assez de temps pour revenir à la table et nous assurer que les intérêts s'équilibrent bien. Nous avons d'importants intérêts collectifs qui n'ont pas été entièrement pris en considération dans le débat. Donnez-nous un peu de temps pour que nous revenions là-dessus, que nous trouvions les solutions viables, si bien que nous ne nous retrouverons pas encore devant un tribunal parce que quelqu'un est déçu du résultat. Nous ne cherchons pas à retarder la démarche. Nous cherchons des solutions concrètes et valables.
Le sénateur Poy : Ma question s'adresse d'abord et avant tout à Mme Hanuse. Vous avez dit qu'il y a 30 p. 100 des gens qui possèdent leur maison dans les réserves et 70 p. 100 qui n'en sont pas propriétaires. En cas de séparation ou de divorce, est-il possible de vendre une maison? Les gens sont-ils propriétaires aussi du terrain sur lequel la maison est construite?
Mme Hanuse : C'est assez confus. Ce n'est pas aussi net qu'on pourrait le croire. Il faut réfléchir de manière distincte aux terres qui se trouvent dans une réserve. Il y a les terres elles-mêmes et il y a la maison ou l'amélioration du terrain. Soixante-dix pour cent des gens ne sont pas propriétaires de la maison. Cinquante pour cent des terres dans les réserves ont été distribuées selon la coutume, et 50 p. 100 font l'objet d'un certificat de possession. Plusieurs combinaisons sont possibles : la personne est propriétaire du terrain sur lequel la maison est construite, mais pas de la maison elle-même; il y a un intérêt qui n'est pas reconnu dans le registre des terres indiennes, suivant la distribution selon la coutume, et elle peut avoir un intérêt à titre de propriétaire dans la maison familiale qui se trouve dans la réserve. Toutes sortes de variations sont possibles.
Le sénateur Poy : Dans un tel cas, comment partager les biens en cas de séparation? J'essaie de trouver une façon de faire. Si on n'est pas propriétaire, on ne peut pas vendre.
Vous venez de dire que, si les membres des Premières nations pouvaient contracter un emprunt à la banque, ils pourraient racheter la part du conjoint. Pourquoi une banque prêterait-elle de l'argent à quelqu'un qui n'a pas un excellent emploi ou de très bons actifs? Comment les gens font-ils pour obtenir ces prêts?
Mme Hanuse : C'est exactement pour cela qu'il faut un fonds d'indemnisation des conjoints. Les membres des Premières nations ne peuvent faire valoir à la banque quelques biens immobiliers qu'ils posséderaient dans la réserve. Ils doivent se tourner vers les garanties ministérielles, la SCHL ou leur bande.
Si un couple dans une réserve se sépare ou divorce et que l'un des deux doit vendre la maison pour acheter la part de l'autre, la banque et la bande sont les deux choix possibles. Il y a une pénurie chronique d'habitations dans les réserves. Il est peu probable que la bande dispose de fonds supplémentaires pour aider les couples à régler les questions liées aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves, ce qui représente un obstacle très concret à l'application des ordonnances d'indemnisation.
Le sénateur Poy : Que proposez-vous? Le gouvernement devrait-il intervenir dans un tel cas? Je ne connais pas la solution.
Mme Hanuse : Provisoirement, la solution consisterait à établir un fonds d'indemnisation et à le garder en place tant et aussi longtemps que les Premières nations n'ont pas adopté leurs propres règles. Une fois que les Premières nations auront adopté leurs propres règles, il y aura des solutions en ce qui concerne l'application des ordonnances d'indemnisation.
Provisoirement — pendant deux ou trois ans, disons, si c'est le temps qu'il faut pour préparer ces lois —, le fonds d'indemnisation en question serait accessible. Une somme d'argent fixe pourrait y être injectée au besoin. Ce ne serait pas affecté à chacune des Premières nations. Il s'agirait de savoir s'il y a un intérêt sur les biens matrimoniaux au sein d'une communauté des Premières nations ou encore s'il y a un couple qui a besoin de fonds pour régler une question liée aux biens immobiliers matrimoniaux.
Bien entendu, si le couple ne possédait pas la maison, il n'y a rien à partager, auquel cas les politiques des Premières nations en matière de logement permettraient de régler adéquatement la question, provisoirement.
Le sénateur Poy : Jusqu'à quel point êtes-vous appuyé par les hommes dans les réserves, proportionnellement? Les hommes seraient-ils d'accord avec la solution?
Mme Hanuse : Nous n'avons pas les moyens voulus pour quantifier les appuis de cette façon. Je crois que notre position est semblable à la vôtre. Voilà à quoi tient en partie le défi depuis le début : il n'y a pas eu de quantification, nous n'avons pas idée de l'ampleur de la chose. Nous tirons des conclusions générales dans les divers rapports produits sur la question, sans aller sur le terrain pour avoir une idée de l'ampleur du problème.
Il n'y a pas que les femmes des Premières nations qui sont touchées; les hommes des Premières nations sont touchés aussi. Nombre d'entre eux ont dû quitter leur communauté faute de pouvoir s'y loger et de régler dans la réserve des questions liées aux biens immobiliers matrimoniaux. Il s'agit de renforcer les familles des Premières nations. Que ce soit un parent ou l'autre qui est contraint de quitter la communauté ou encore les enfants qui doivent s'en aller et être privés de la possibilité d'apprendre leur culture et leur langue, nous devons régler la question.
Je ne veux pas me lancer dans de savantes analyses pour essayer de voir s'il s'agit, oui ou non, d'un cas de discrimination sexuelle. La question touche les hommes; ils sont très, très nombreux à avoir intérêt à régler la question tout autant que les femmes des Premières nations.
Le sénateur Nancy Ruth : J'adresse mes questions à l'AFAC. Au début de votre discours, vous avez parlé des normes internationales employées pour jauger les mesures que vous voudriez voir adopter, quoi qu'elles puissent être. Pouvez- vous m'en parler?
Deuxièmement, l'APN a demandé que l'on adopte des solutions non législatives. Si cela se faisait sans ajout du point de vue du renforcement de la capacité, est-ce que cela vous serait acceptable provisoirement? Sinon, pourquoi pas?
Mme Eberts : Je vais parler d'abord des questions internationales. Il y a un certain temps, le Comité des droits de l'homme de l'ONU a rendu une décision touchant un de vos membres, le sénateur Lovelace Nicholas, en rapport avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui dit qu'il est interdit de priver une personne dans sa situation — elle avait perdu son statut du fait de s'être mariée et elle souhaitait réintégrer la communauté — du droit de revenir dans la réserve puisqu'elle avait, d'après cette convention, le droit de s'associer avec les membres de sa communauté. C'était le fondement de la décision; cela demeure un droit à la fois important et viable qui est encore affirmé aujourd'hui.
Autre convention pertinente : la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et également la Convention relative aux droits de l'enfant. Il y a toute une série de pactes et de conventions qui s'appliquent. Jauger les lois et autres mesures adoptées par les Premières nations en comparaison avec les normes internationales a ceci d'avantageux que les Premières nations, en tant qu'entités politiquement autonomes ou souveraines, seraient assujetties aux conventions internationales, qu'elles soient assujetties à la Charte ou non. L'AFAC affirme aussi que la Charte s'appliquerait à ces activités. Les droits de l'enfant, les droits de la communauté, les droits culturels et les droits des femmes à l'égalité représentent trois garanties très importantes en droit international.
Quant aux mesures non législatives, nous croyons qu'une solution législative provisoire représente un fondement important des mesures non législatives. Par exemple, une des mesures non législatives que l'APN propose dans son document, c'est le droit pour un couple de conclure une convention de séparation ou un contrat de mariage. Si un tel contrat ne repose sur aucun fondement juridique, il est vide de sens.
En droit familial provincial, il existe à cet égard un cadre spécial qui prévoit l'application de telles ententes dans un contexte juridique. Par conséquent, nous croyons que même certaines des options non législatives que l'APN propose auraient intérêt à reposer sur un quelconque fondement législatif minimal, provisoirement.
Certaines options non législatives se situent tout à fait en dehors du cadre législatif. L'Association des femmes autochtones du Canada en a conçu toute une série — à court, à moyen et à long termes. Il s'agit, par exemple, de prévoir un renforcement de la capacité qu'ont les femmes d'accéder à leurs droits, de renforcement de la capacité qu'ont les femmes de prendre part à l'élaboration des codes et l'adoption de mesures très importantes d'accès à la justice. Il n'y a pas d'aide juridique en matière de droit civil qui s'applique aux femmes autochtones dans la plupart des endroits. De toute manière, dans bon nombre de réserves en régions éloignées, le nombre d'avocats est insuffisant. Il y a peut-être un avocat au village, mais il représente peut-être le mari, sinon il n'œuvre pas en droit familial. Ce sont là des questions capitales.
Il importe aussi d'offrir des services adéquats aux femmes et aux enfants qui ont été la cible d'actes de violence à l'intérieur de la famille. Durant les consultations, les femmes ont constamment attiré notre attention sur le péril auquel elles font face dans bon nombre de ces situations. Étant donné qu'il n'y a pas de refuges pour femmes violentées, que les interventions policières sont inadéquates et qu'il existe d'autres facteurs qui viennent compliquer la situation, les femmes ont vraiment besoin d'être protégées contre la violence, pour que les droits en question puissent être exercés.
Le sénateur Jaffer : Je donnerai suite à ce que disait la présidente au sujet des délais. Nous nous trouvons dans une situation difficile. Notre rapport initial est sorti en novembre 2003. Nous essayons de convaincre le ministre de la nécessité d'agir rapidement. Je respecte grandement ce que vous dites quand vous dites qu'il faut un processus. Cependant, nous ne devons pas nous contenter de faire pression sur le ministre. Nous devons agir pour régler ce dossier qui est à l'étude au comité depuis longtemps.
Il y a quelque chose qui m'étonne; vous pourriez peut-être m'éclairer. Vous parlez de conciliation et de règlement extrajudiciaire des conflits. Je sais ce que c'est, mais pourquoi utilisez-vous les deux termes?
Mme Hanuse : Merci de poser la question. Le terme conciliation est très juridique et il comporte une définition très précise. Dans notre document à nous, il est question de la façon dont la Cour suprême du Canada qualifie la notion. Il s'agit d'un processus juridique entièrement différent. C'est un processus plus ou moins juridique et constitutionnel qui fait appel aux Premières nations et à l'État, là où le règlement extrajudiciaire des conflits est un processus qui fait appel aux membres d'une communauté, qui se réunissent et recourent à un médiateur ou à une autre personne pour essayer de régler un différend. C'est très personnel, par rapport à l'autre processus, qui est plus global et qui présente un caractère politico-juridique.
Le sénateur Jaffer : Je comprends cela. Mon défi, c'est que je comprends que la conciliation est une question communautaire plus qu'un droit collectif à régler. C'est bien cela?
Mme Hanuse : Non. C'est un processus qui fait intervenir l'État fédéral et les Premières nations. C'est un processus qui a un caractère très juridique et fait intervenir la souveraineté préexistante des Premières nations et la souveraineté de la Couronne et ainsi de suite.
Le sénateur Jaffer : Avez-vous bien dit que le ministre a fourni les ressources nécessaires et qu'une consultation a lieu en ce moment?
Mme Hanuse : Le ministre a mis les ressources à la disposition de l'APN et de l'AFAC. Au moyen des ressources en question, nous sommes parvenus à réaliser nos propres recherches, ce que nous n'avions pas pu faire auparavant à cette échelle, puis nous avons proposé les options dégagées aux membres de nos communautés. Il est très coûteux de réunir les gens dans toutes les régions du pays pour solliciter l'avis des Premières nations. C'est une occasion que nous n'avions jamais eue auparavant; le rassemblement a permis d'apporter un éclairage extraordinaire au débat. Jusqu'à ce moment-là, les Premières nations n'avaient pas été sollicitées activement.
Néanmoins, c'est une question qu'il faudra plusieurs années pour résoudre. Les Premières nations ont déployé divers efforts tout au long de la période pour essayer de régler la question au sein des communautés. Une Première nation en particulier a établi il y a un certain nombre d'années un règlement local qu'elle a proposé au ministre, mais il est clair que cela n'entre pas dans le champ d'action de l'article 81 de la Loi sur les Indiens, qui prévoit la possibilité de prendre des règlements administratifs.
Il existe d'autres exemples de Premières nations qui s'attaquent à la question au sein de leurs communautés. Pendant les discussions que nous avons eues avec eux, les gens nous ont dit comment ils s'y prennent actuellement pour aborder le dossier chez eux, c'est-à-dire par l'entremise des aînés et des conseils de bande, et la façon dont de nombreuses familles viennent en aide aux couples dans les réserves. Les Premières nations et les communautés des Premières nations ont trouvé des façons de s'attaquer à la question. Nous ne sommes pas assis à ne rien faire depuis 20 ans. C'est une question importante.
Il est nécessaire de répondre aux besoins immédiats des Premières nations, mais je ne crois pas que l'appel soit entendu. Il y a des droits collectifs et des droits individuels à prendre en considération, et ni les uns ni les autres ne sont prépondérants. Il faut leur accorder une attention égale. Les rédacteurs de la Constitution sont allés encore plus loin. Ils ont affirmé que la Charte ne peut porter atteinte aux droits collectifs ni compromettre les droits garantis à l'article 15 de la Constitution.
Nous ne demandons pas de traitement de faveur. Nous demandons le respect du principe de la primauté du droit et de la Constitution du Canada, et, dans un cas comme dans l'autre, il est dit que les deux éléments ont une importance égale et méritent une attention égale.
Le sénateur Dyck : Vous parliez de droits individuels et de droits collectifs. Quant à moi, je me soucie du sort de certaines femmes qui peuvent estimer ne pas avoir été traitées équitablement quant au partage des biens à la dissolution d'un mariage ou qui ont à affronter des conseils de bande ou des chefs de bande qui n'ont pas à cœur l'intérêt supérieur des femmes.
Croyez-vous que, dans le cadre de cette consultation, des femmes en particulier, et qui ont peut-être subi les contrecoups de l'affaire, pourront vraiment se faire entendre au point où les solutions proposées tiendront compte de leurs préoccupations, plutôt que de s'inscrire dans des schémas politiques et juridiques plus larges? Leur point de vue a- t-il été intégré aux mécanismes proposés comme solution au problème? Croyez-vous que les femmes en question pourront prendre la parole sans craindre d'en subir les répercussions à l'échelle locale? Sinon, est-ce qu'on continuera de prendre des décisions qui ont sur elles un effet néfaste? Il faut du courage pour prendre la parole. Dans l'exposé de l'AFAC, vous avez affirmé que les femmes ont personnellement couru un risque en racontant leur histoire.
Mme Lewis : À l'Association des femmes autochtones du Canada, nous avons adopté une approche communautaire au sens où nous nous sommes rendues dans les communautés et nous avons parlé avec les femmes. Nous avons demandé à des organismes communautaires de nous aider à identifier les femmes directement touchées par le dossier des biens matrimoniaux. Nous avons eu droit à de nombreuses histoires où les femmes appelées à comparaître au tribunal n'y sont jamais allées pour toutes sortes de raisons. Certaines avaient été victimes de violence. D'autres, de grandes pressions. Plusieurs d'entre elles ont parlé des préoccupations et des peurs que suscitait chez elle l'idée de participer à un tel exercice. De ce fait, nous avons recouru à de multiples moyens pour que les femmes puissent justement participer. Nous avons organisé des consultations publiques et des consultations sur invitation, et nous avons aménagé un accès Internet et procédé à des interviews téléphoniques. Nous avons usé d'une panoplie de moyens pour que les femmes puissent participer à l'exercice et exprimer les problèmes très concrets qu'elles éprouvent du point de vue de la sécurité.
De fait, l'Association des femmes autochtones du Canada est devenue elle-même une cible à l'époque. La police a dû enquêter sur les menaces transmises par courriel à notre présidente. En décembre, quelqu'un a tiré un coup de feu et fracassé la fenêtre du côté de la présidente. La police a fait enquête là-dessus aussi. Il y a eu des problèmes de sécurité non seulement pour les femmes dont il est question, mais aussi pour notre organisme et les membres de notre personnel.
Mme Hanuse : Les Premières nations savent très bien qu'il faut des freins et des contrepoids. À cet égard, elles proposent que les règles à adopter aient pour fondement la communauté elle-même et non pas les dirigeants des conseils de bande, qui arrivent et dictent aux membres leurs règles en matière de droits immobiliers matrimoniaux. Il faut que cela prenne naissance dans la communauté, que tous les membres de la communauté puissent se manifester et faire valoir leurs points de vue.
À tout instant, dans n'importe quelle société, on pourra toujours trouver des exemples extrêmes d'oppression. À mon avis, cela ne justifie pas le fait de démoniser tous les hommes des Premières nations, d'en faire des incarnations du mal qui essaient d'empêcher les femmes de se faire entendre ou de caricaturer ainsi la situation. Il y a des gens responsables qui essaient de trouver des solutions aux problèmes et il y a des extrémistes contre qui il faudra toujours utiliser des freins et contrepoids. Nous vous demandons d'avoir cela à l'esprit quand il s'agit d'étudier des solutions possibles aux problèmes.
Le sénateur Dyck : C'est un problème pour l'homme ou la femme particulier dont il est question; par conséquent, il faut revenir à la question du temps. Ces gens-là souffrent en ce moment même et souffrent depuis un certain temps déjà. Bien entendu, ils préféreraient une solution qui serait appliquée aujourd'hui plutôt que demain. Croyez-vous qu'il y a une façon quelconque de trouver plus rapidement des solutions? Y a-t-il un élément du processus politique qui permettrait de faire avancer les choses plutôt que de les retarder?
Mme Eberts : À de nombreux égards, la dichotomie qui existe entre, d'une part, les droits individuels et le bien-être, et, d'autre part, les droits collectifs et le bien-être, renvoie à une conception qu'il nous faudrait examiner attentivement. Lorsqu'une communauté perd ses femmes ou ses enfants parce qu'il n'y a plus d'endroits où il les loger à la suite d'une séparation, elle s'affaiblit. Il est dans l'intérêt de la communauté entière que la femme puisse y rester et y élever ses enfants, et faire sa part pour préserver la culture, faire perdurer la culture. Ces femmes ont beaucoup de choses à donner du point de vue des décisions prises localement. Si elles s'en vont, c'est la communauté entière qui s'en trouve plus mal.
Les femmes qui ont pris part aux consultations de l'AFAC étaient très favorables aux droits collectifs, mais elles veulent des droits communautaires pour les communautés où elles habitent toujours; c'est capital. Un élément sous- jacent de tout le problème entourant le projet de loi C-31, c'est la volonté du législateur de laisser les communautés mettre au point leur propre code d'appartenance. Les communautés qui l'avaient fait étaient justement celles d'où un grand nombre de femmes avaient déjà été exclues. En regardant les intérêts des communautés, il faut définir le terme « communauté » de manière suffisamment vaste pour inclure les femmes qui veulent y habiter et y apporter une contribution.
La jurisprudence commence tout juste à se former en rapport avec l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Les tribunaux commencent à affirmer que les droits des nations autochtones, en application du paragraphe 35(1) de la Constitution, dans la mesure où Ils n'incluent pas encore les femmes, sont appelés à le faire du fait du paragraphe 35(4) de la Constitution. La même dynamique s'applique aux articles 25 et 28 de la Constitution.
Les droits ne sont pas statiques. Ils peuvent évoluer. Permettre que les droits dans les communautés évoluent de manière à inclure les femmes qui, autrement, seraient exclues revêt une grande importance aux yeux de l'AFAC. Les femmes tiennent au bien-être de la communauté, mais elles veulent assurer ce bien-être en y étant, plutôt qu'en en étant exclues.
Mme Hanuse : Cela dépend de l'objectif final que nous nous donnons. Pour une grande part, le dossier des biens immobiliers matrimoniaux — et le droit de la famille en traite — revient à aider des couples, au moment de la dissolution d'un mariage, à partager les contributions respectives des conjoints. Si c'est là le but, c'est tout à fait différent de l'idée de se soucier des femmes et des hommes qui ont peut-être été contraints de quitter leur communauté en raison d'une incertitude législative concernant les biens immobiliers matrimoniaux. Si notre but consiste d'abord et avant tout à aménager un refuge aux femmes et aux enfants des Premières nations, cela détermine le genre de solutions que nous allons vouloir adopter, en fonction de ce besoin immédiat. Dans un tel cas, un fonds d'indemnisation du conjoint représente une solution immédiate qui répond au besoin. C'est que les femmes peuvent ainsi trouver à se loger. Cela dépend du but fixé et de ce que nous essayons de réaliser.
Mme Lewis : Je n'ai pas de formation juridique, si bien que j'ai eu beaucoup de difficultés à saisir les tenants et les aboutissants de ce dossier. J'ai travaillé moi-même dans les refuges, auprès des femmes ayant fui la réserve parce qu'elles n'y étaient pas protégées. Pendant longtemps, je n'ai pas compris. Les autres Canadiens n'ont-ils pas des droits collectifs? N'ont-ils pas des droits individuels? Qu'est-ce que toute cette histoire? Bon nombre de nos membres parmi ceux qui ont une formation juridique l'ont dit : c'est ce qui se produit, bien sûr. Je leur ai donc demandé pourquoi c'est avec tant de peine que cela se fait au sein des communautés des Premières nations. On m'a dit très clairement que le Canada ne possède pas d'expertise en conciliation des droits collectifs et individuels, que cela est monnaie courante à l'échelle internationale, où les États membres de l'ONU se réunissent pour parler de leurs droits collectifs et de la manière dont ils favorisent les droits individuels de leurs membres. Il existe de nombreux exemples à suivre pour la conciliation des deux. Nous pouvons tirer des leçons de ce qui s'est fait dans d'autres pays, où les femmes continuent de se battre, et nous pouvons trouver des exemples intéressants pour mettre nos bêtes juridiques sur la bonne piste. Ainsi, nous pourrons discuter de droits collectifs et de droits individuels.
Le sénateur Nancy Ruth : L'APN compte des femmes chefs qui se sont manifestées et ont présenté un rapport. Est-ce que c'était une façon pour l'APN de se soucier de la violence faite aux femmes?
Mme Hanuse : Cela ne fait aucun doute, nous nous soucions de la violence faite aux femmes.
Le sénateur Nancy Ruth : Je parlais de ce geste-là en particulier : que les femmes chefs de bande soient appelées à se prononcer sur la question.
Mme Hanuse : Les femmes chefs de Premières nations voulaient se faire entendre. Elles pensaient qu'il n'était pas approprié qu'on voie cette question comme touchant les femmes seulement, et elles voulaient s'assurer que le débat porte aussi sur les droits collectifs.
À la page 9, le rapport montre qu'il n'y a des chiffres que sur les gens divorcés ou séparés et qu'il n'y en a pas sur les conjoints de fait. Statistique Canada dispose de données sur les gens qui vivent à l'extérieur des réserves pour la période qui va de 1996 à 2001. C'est en grande partie la donnée manquante de l'équation; quelle est l'ampleur du problème auquel nous sommes confrontés?
Les statistiques de 2001 montrent qu'environ 9,3 p. 100 de l'ensemble des citoyens qui vivent à l'extérieur des réserves sont des femmes autochtones séparées ou divorcées — ce qui constitue une manière de quantifier le problème — et que 4,8 p. 100 des gens qui vivent à l'extérieur des réserves et qui sont séparés ou divorcés sont des hommes.
Des citoyens autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves, 14,1 p. 100, au total, sont séparés ou divorcés. Cela permet de penser que s'ils ont dû quitter leur maison parce qu'ils ne pouvaient plus y vivre, alors 14,1 p. 100 des gens en 2001 ne vivaient plus dans une réserve peut-être à cause d'un problème lié aux biens immobiliers matrimoniaux.
Le sénateur Fraser : Nous ne savons pas quelle proportion de ces gens ont dû quitter la réserve où ils vivaient.
Mme Hanuse : Non, mais il s'agissait au maximum de 14,1 p. 100 des gens. On peut présumer que des 85 p. 100 qui restent, parmi les gens qui vivent à l'extérieur des réserves, ne vivent pas dans une réserve pour une raison autre qu'un problème lié aux biens immobiliers matrimoniaux — le manque chronique de logements, l'emploi, l'éducation, entre autres choses.
Mme Lewis : Il convient de signaler également que de nombreuses femmes ont dit, dans le cadre de nos débats : « Ne puis-je pas avoir les mêmes droits que toutes les autres femmes du Canada? Quel est le problème? »
La présidente : Je veux remercier tous les témoins. Cette fois-ci, la discussion a porté sur des éléments plus précis, ce qui est extrêmement utile dans le cadre de l'étude que nous poursuivons au sujet des biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves. Ce sont des femmes autochtones qui sont aux prises avec ce problème qui l'ont porté à notre attention. Après un débat général, le ministre a procédé à des consultations auprès des gens concernés, qui, de façon générale, ont réagi de façon positive en formulant des suggestions sur la marche à suivre.
Vous, les participants, avez en retour entendu les sénateurs dire qu'ils sont impatients de régler cette question. Ce n'est pas une observation formulée à l'intention d'une organisation ou d'un groupe en particulier; il s'agit de vous rappeler que c'est une question qui devrait être prioritaire pour nous tous. Là-dessus, merci d'être venus et d'avoir présenté vos exposés.
Notre prochain témoin est Mme Wendy Grant-John, la représentante ministérielle nommée par le ministre Prentice. Elle est ici pour parler de son rapport, qui s'intitule Rapport de la représentante ministérielle sur les questions liées aux biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves.
Je n'ai pas lu tout le rapport, qui est très volumineux. L'accent y est mis avec raison sur la situation difficile des gens concernés, situation dont nous essayons de nous occuper et que les collectivités doivent corriger, avec l'aide du ministre. Nous vous remercions du travail que vous avez effectué. Selon les commentaires que nous avons entendus, vous avez traité la question avec sérieux et respecté les délais incroyables, vu la façon dont ce genre de processus se déroule, en vous adressant à beaucoup de collectivités de façon à inclure tout le monde. Je veux vous féliciter pour votre rapport, et je vous demanderais de nous en parler, ainsi que de la suite des choses, si je puis dire.
Madame Wendy Grant-John, bienvenue. Vous pourriez peut-être nous présenter Mme Cornet.
Wendy Grant-John, ancienne représentante ministérielle auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, à titre personnel : Wendy Cornet m'accompagne. Elle a d'abord travaillé à contrat auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord sur les questions relatives aux femmes, lorsque le ministère rédigeait la première demande visant la tenue de consultations. Elle avait beaucoup d'expérience, alors j'ai été très chanceuse de l'avoir — je me la suis accaparée. J'ai lu un rapport qu'elle avait produit pendant que je voyageais d'un bout à l'autre du pays pour rencontrer le ministre, et j'ai été impressionnée par la profondeur de ce rapport et par sa façon de présenter les choses. J'ai demandé qu'elle fasse partie de mon équipe, ce qu'on m'a gentiment accordé. Elle m'a accompagnée dans le plus d'endroits possible, un peu partout au pays. Nous avons travaillé avec empressement pendant les quatre dernières semaines, malgré l'absence de consensus quant à la rédaction de l'ébauche du rapport final.
Ce que vous avez dit et entendu dire sur le rapport me fait plaisir, mais je n'aurais pu rédiger ce rapport sans l'équipe qu'AINC m'a fournie pour la réalisation de mon mandat. Je veux remercier Mme Cornet et l'équipe qui m'entourait.
Je suis heureuse de parler de mon rapport sur les biens immobiliers matrimoniaux situés dans des réserves. J'ai présenté ce rapport au ministre des Affaires indiennes et du Nord en mars dernier. J'apprécie par ailleurs l'intérêt que le comité continue de porter à la question, et je trouve louable votre engagement à trouver une solution adéquate.
Avant d'aborder le fond de mon rapport, je vais dire quelques mots sur le processus dont il est l'aboutissement.
En juin dernier, le ministre Prentice m'a nommée représentante ministérielle pour que je puisse faciliter les discussions entre Affaires indiennes et du Nord Canada, l'Assemblée des Premières nations et l'Association des femmes autochtones du Canada, au sujet des biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves. Chacune de ces organisations a élaboré son propre processus de discussion et de dialogue. Certaines d'entre elles ont décrit ce processus comme étant des consultations, et l'une d'entre elles, l'Assemblée des Premières nations, ne l'a pas fait — pour des raisons que je mentionne dans mon rapport et que l'Assemblée mentionne aussi dans les siens.
Après six mois de discussions et de consultations, du mois de septembre 2006 au mois de février 2007, les trois parties ont lancé un processus dont j'ai facilité moi-même le déroulement, afin d'obtenir un consensus sur une option législative et des options non législatives viables. Les discussions ont été productives et constructives, mais on n'a pas pu en arriver à un consensus quant à l'option législative avant la fin prévue du processus.
Selon mon mandat, je devais, en l'absence de consensus à la date prévue de la fin des discussions qui visaient l'obtention d'un consensus, recommander au ministre une option législative viable — et je devais aussi formuler toute autre recommandation pertinente, par exemple les mesures de soutien au programme nécessaires et les exigences de mise en œuvre.
Les recommandations que j'ai formulées à l'intention du ministre sur le cadre législatif peuvent se résumer ainsi : il ne devrait pas y avoir intégration des lois provinciales et territoriales à la loi fédérale. La diversité et le caractère unique des intérêts liés aux biens immobiliers situés dans des réserves, par rapport aux intérêts liés aux biens situés à l'extérieur des réserves, a pour effet que ce n'est pas une option facile à mettre en œuvre. En outre, non seulement les Premières nations et les organisations de Premières nations s'opposent en bloc à cette option, mais les deux avis juridiques indépendants que j'ai demandés concluent que cette option n'est pas adaptée au contexte juridique et social propre aux réserves. En outre, plusieurs représentants des provinces consultées ont dit qu'ils pensaient que l'option n'était pas facilement réalisable et qu'ils n'étaient pas en mesure de la mettre en œuvre à ce moment-là.
La loi fédérale devrait reconnaître immédiatement la compétence inhérente des Premières nations sur les biens immobiliers matrimoniaux, notamment le fait qu'elles ont la compétence voulue pour mettre en place des mécanismes de résolution des conflits.
La loi fédérale doit continuer d'offrir une protection aux Premières nations, par l'intermédiaire, par exemple, d'ordonnances de possession exclusives ou d'indemnisations, jusqu'à ce que chacune des Premières nations dispose de sa propre loi en matière de biens immobiliers matrimoniaux.
À l'échelon fédéral, il conviendrait de maintenir le minimum d'activités législatives nécessaires pour régler les questions pressantes en matière de droits de la personne. Cela signifie qu'il faudrait laisser aux Premières nations le soin de prendre les décisions stratégiques liées au dédommagement, notamment en matière de partage et de vente des biens.
La législation fédérale devrait offrir aux tribunaux la marge de manœuvre nécessaire pour qu'ils puissent élaborer les mesures de réparation convenables pour les Premières nations, à la lumière des renseignements obtenus de celles-ci au sujet de leurs traditions, lois, pratiques et politiques. De la même façon, toute modification apportée au fonctionnement de l'article 89 de la Loi sur les Indiens en ce qui concerne l'application d'une ordonnance juridique par un époux non autochtone n'appartenant pas à une bande devrait être laissée à la discrétion des gouvernements des Premières nations.
Il faut définir les objectifs stratégiques plus généraux pour garantir l'application du droit inhérent des Premières nations à l'autonomie gouvernementale, vu le nombre élevé d'importantes questions stratégiques incidentes, notamment en ce qui concerne les testaments et les successions, le régime foncier et l'accès à la justice.
Il faut définir un cadre législatif afin de promouvoir l'harmonisation et la conciliation des pouvoirs d'autonomie gouvernementale que confèrent aux Premières nations l'article 35 de la Constitution et des pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux — par exemple, la loi visant l'harmonisation du droit autochtone proposée par John Borrows dans le cadre de mon rapport.
Les lois fédérales et autochtones devraient répondre aux besoins et protéger les droits des couples qui vivent dans des maisons situées sur différents types de terres de réserve, notamment les terres faisant l'objet d'attributions coutumières, et elles devraient viser les conjoins de fait comme les couples mariés et les couples mariés dans la tradition autochtone.
Les ordonnances d'indemnisation fondées sur la valeur de la maison elle-même, indépendamment du fait qu'elle se trouve sur une terre de réserve, devraient être une possibilité offerte aux Premières nations qui n'ont pas adhéré au système de certificat de possession mis en place par la Loi sur les Indiens.
Je vais vous faire part de quelques réflexions au sujet de la perception qu'ont les collectivités de Premières nations de la question des biens immobiliers matrimoniaux. Mon point de vue se fonde sur le processus de consultation dans l'ensemble, ainsi que sur de nombreuses conversations que j'ai eues avec des dirigeants de Premières nations et des membres des collectivités de l'ensemble du pays. Premièrement, les collectivités de Premières nations et les dirigeants des Premières nations ont véritablement à cœur de faire quelque chose au sujet des questions liées aux biens immobiliers matrimoniaux et de répondre aux besoins des femmes et des enfants. Le fait que les Premières nations envisagent de temps à autre une manière de le faire qui est différente de celle qu'envisage le gouvernement fédéral ne veut pas dire qu'elles soient opposées à l'objectif final, qui est la protection des droits des époux en matière de biens immobiliers matrimoniaux. Les dirigeants des Premières nations veulent non seulement régler la question des biens immobiliers matrimoniaux, ils veulent le faire bien.
Je dis dans mon rapport que je pense que d'autres sujets de conflits vont survenir au fur et à mesure que l'initiative fédérale d'élaboration d'une loi va devenir de plus en plus détaillée. À mon avis, le gouvernement et les parlementaires doivent continuer d'écouter les Premières nations et de tenir compte de leurs points de vue pendant tout le déroulement du processus législatif, et c'est ce que je leur recommande de faire. Il faut vraiment que le gouvernement écoute les Premières nations, en ce qui concerne non seulement les grandes orientations stratégiques, mais aussi les détails de toute initiative législative proposée, plutôt que de se contenter d'avancer et de faire ce qu'il croit être ce qu'il y a de mieux à faire, que les Premières nations pensent ou non que c'est ce qu'il y a de mieux pour elles. En outre, la Cour suprême du Canada a rendu des décisions dans lesquelles elle souligne ce qu'il faut faire pour en arriver à la conciliation promise à l'article 35 de la Constitution.
À mon avis, la gestion des questions liées aux consultations et les obligations constitutionnelles de la Couronne exigent de toute urgence une politique fédérale sur le sujet. Les conséquences pratiques de l'obligation de consulter la Couronne dans le cadre du processus d'élaboration des lois a fait l'objet de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Adams et qui a été citée à de nombreuses reprises depuis :
Compte tenu des obligations uniques de fiduciaire qu'a la Couronne envers les peuples autochtones, le Parlement ne peut pas se contenter d'établir un régime administratif fondé sur l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire non structuré et qui, en l'absence d'indications explicites, risque de porter atteinte aux droits ancestraux dans un nombre considérable de cas. Si une loi confère un pouvoir discrétionnaire administratif susceptible d'entraîner d'importantes conséquences pour l'exercice d'un droit ancestral, cette loi ou son règlement d'application doit énoncer des critères précis, balisant l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accueillir ou de refuser les demandes et tenant compte de l'existence des droits ancestraux. En l'absence de telles indications précises, la loi ne donne pas aux représentants de l'État des directives suffisantes pour leur permettre de s'acquitter de leurs obligations de fiduciaire, et, suivant le critère établi dans Sparrow, on jugera que la loi porte atteinte aux droits ancestraux.
Je veux aussi mentionner la nécessité pour le gouvernement fédéral de traiter la conformité avec l'article 35 de la Constitution en faisant preuve du même sérieux et du même engagement que la conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés pour ce qui est de l'élaboration des lois — et c'est quelque chose que j'aimerais souligner.
Le gouvernement doit accorder la même attention à l'article 35 de la Constitution que lorsqu'il élabore des lois comme la Charte des droits et libertés et qu'il fait passer tout projet de loi par le système judiciaire.
Cela pourrait se traduire par l'établissement d'un mécanisme officiel visant à garantir que, avant qu'un projet de loi soit présenté devant le Parlement, le ministère de la Justice du Canada certifie qu'une analyse a été réalisée pour garantir aux députés et aux Canadiens que ce projet de loi respecte les prescriptions de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Je ne comprends pas pourquoi cela n'a pas déjà été fait. Je ne comprends pas pourquoi cet article est moins important que les autres articles de la Constitution qui doivent passer par le processus en question. Ça me dépasse.
Mon rapport montre encore une fois à quel point il s'agit d'une question complexe, et il explique pourquoi. Premièrement, la question des biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves s'inscrit dans un contexte juridique et social sans pareil à l'extérieur des réserves. À cet égard, il convient de signaler que les spécialistes de ce contexte social et juridique se trouvent chez les collectivités des Premières nations, et non auprès d'Affaires indiennes et du Nord Canada ou du ministère de la Justice du Canada. Deuxièmement, la question des biens immobiliers matrimoniaux est liée à de nombreux autres domaines qui relèvent des gouvernements provinciaux et territoriaux et dans lesquels les Premières nations cherchent encore à faire reconnaître leur autorité.
Il faut adopter des objectifs stratégiques qui permettent l'application des pouvoirs étendus que confère le droit inhérent des Premières nations à l'autonomie gouvernementale pour mettre en place un régime légal complet en matière de droits liés aux biens immobiliers matrimoniaux qui soit équivalent aux régimes à l'extérieur des réserves aux chapitres de la protection offerte par ce régime et de sa cohérence.
J'ai voyagé partout au pays, participé au plus grand nombre de réunions possible et essayé d'organiser des réunions avec des gens issus de différents milieux, appartenant à différents partis politiques ou à différentes organisations ou structures, sans exception, que ce soit l'AFAC, l'APN ou à l'occasion des réunions d'autres organisations, et j'ai constamment entendu dire : « Nous devons en revenir à un gouvernement qui reflète nos formes traditionnelles de gouvernement. » Dans ces formes traditionnelles de gouvernement, les femmes occupaient une place à part entière. Il faut que nous comprenions que la marginalisation des femmes et, ensuite, de leurs enfants, vient non pas de ce que nos gouvernements souhaitaient voir se produire, mais bien, en réalité, de la Loi sur les Indiens. D'après les travaux de recherche — dont je fais état dans mon rapport — dès le début, en 1872, les chefs présentaient des exposés aux législateurs afin de s'assurer que leurs femmes ne soient pas marginalisées et qu'elles puissent demeurer auprès de leur collectivité si c'était leur souhait.
En 1946-1947, lorsqu'on a modifié la Loi sur les Indiens, les chefs masculins d'organisations ont dit, dans le cadre d'exposés : « Ne marginalisez pas nos femmes; nous avons besoin d'elles ici. »
Nous examinons le projet de loi C-31 et ce qui s'est passé dans ce dossier, et les gens en ont parlé. J'étais chef de ma collectivité lorsque le projet de C-31 a été adopté. Il y a beaucoup de problèmes, dont le moindre n'est pas celui des ressources. C'est une partie importante de la question. Il y a une partie encore plus importante que nous semblons escamoter, et c'est la mise en place de codes d'appartenance dans le cadre de la Loi sur les Indiens, fondée sur l'interprétation de l'affaire Corbiere et du projet de loi C-3 par le ministère. Les femmes n'obtiennent toujours pas la même protection pour leurs enfants et leurs petits-enfants que les hommes, pas parce que les collectivités veulent qu'il en soit ainsi. Je sais que, dans ma collectivité, nous avons présenté encore et encore nos listes au ministère, listes établies en fonction de l'identité de telle ou telle personne selon nous, et le ministère dit que, en fonction de son interprétation, ces personnes ne peuvent être enregistrées.
Je vous en parle à titre d'exemple, parce que si nous passons par ce processus d'adoption d'une loi sans engagement ultérieur — j'appuie ce que le groupe précédent a dit — il faut faire participer les organisations qui comprennent les questions à la rédaction législative, sans quoi nous nous trouverons dans la même situation qu'au moment de l'adoption du projet de loi C-31. Nous ne protégeons pas plus qu'auparavant les intérêts des femmes, des enfants ou des hommes. J'ai un fils, et, après la fin de sa relation, il ne lui restait plus que ses vêtements. Nous ne réglons toujours pas le problème fondamental sous-jacent, c'est-à-dire faire en sorte que ce que les collectivités demandent fasse l'objet d'une interprétation dans le cadre de la loi en question.
C'est la raison pour laquelle il y a la méfiance et que les gens disent qu'ils ne savent pas s'ils veulent participer aux consultations. Pour cette question précise, la méfiance existe depuis 1872.
Une chose qui a bien fonctionné, c'est la Loi sur la gestion des terres des Premières nations ou LGTPN. On a fait participer les chefs et les collectivités dès le début du processus. En ce moment, les collectivités font la file pour participer au processus relatif à la LGTPN. Savez-vous ce que la LGTPN exige? Elle exige que, avant d'adopter une loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, on consulte les collectivités.
Si le gouvernement exige des bandes visées par la LGTPN de consulter leurs collectivités quant à la forme que devrait prendre le code relatif aux biens immobiliers matrimoniaux, pourquoi ne serait-il pas naturel que le gouvernement fournisse aux collectivités les ressources et une plus grande capacité de le faire dans le cadre de la loi en question? Le gouvernement l'exige d'une part, mais pas de l'autre. À mes yeux, cela n'a pas de sens. Nous ne savons pas ce qui se passe, parce qu'aucun d'entre nous n'a participé au débat depuis la présentation du rapport.
Je voulais soulever ces points parce qu'il existe une possibilité réelle de faire de cela un succès, mais, en ce qui concerne la contrainte temporelle — j'admets la pertinence de ce qu'on a dit au sujet des 30 années et tous les autres commentaires qui demeurent — j'entends le groupe dire ici que, si nous devons régler cette question pour de bon et nous assurer que ce qui s'est produit au moment de l'adoption du projet de loi C-31 ne se produira plus jamais, il faut mobiliser et faire participer ce groupe à la rédaction de la loi.
Lorsque nous avons lancé le processus, quelqu'un a dit que les gens en question participeraient. On a organisé deux réunions à AINC, auxquelles ont participé les représentants de l'organisation, qui disaient : « Oui, vous allez participer à la rédaction du projet de loi jusqu'au bout, jusqu'au moment où il sera présenté au Cabinet. » Ça ne s'est pas produit. Si cela ne se produit pas, l'opposition va être forte, et à bon droit, vu l'histoire que je viens de vous raconter.
Je serai heureuse de répondre à toutes vos questions.
La présidente : Merci d'avoir remis votre rapport en contexte.
Le sénateur Fraser : Je suis moi aussi très impressionnée par le fait que vous avez été en mesure de rédiger ce rapport si rapidement et dans les délais.
Si le gouvernement disait aujourd'hui que vous avez raison et que les consultations vont commencer demain matin, combien de temps faudrait-il?
Mme Grant-John : Vous avez peut-être mal compris ce que j'ai dit, c'est-à-dire qu'il faut faire participer les collectivités à la rédaction législative en soi. Ce qui s'est produit, dans le cas de la LGTPN, c'est que le gouvernement a élaboré le projet de loi, et la collectivité a eu l'occasion de le passer en revue. Il est possible de présenter le projet de loi, et je crois qu'on a accordé un délai de deux ans pour l'adoption de la LGTPN.
Le sénateur Fraser : Je comprends.
Mme Grant-John : Je disais que si cela a fonctionné dans ce cas-là, et si on s'inquiète de ce que le projet de loi n'est pas présenté immédiatement, alors il faut le présenter et offrir aux Premières nations la même chose que ce qu'exige la LGTPN.
Le sénateur Fraser : Je me fais un peu l'avocat du diable. Je sais que certaines bandes et certaines Premières nations ont fait du bon travail, mais celles-ci sont relativement peu nombreuses. Compte tenu du fait qu'il n'a pas été possible d'obtenir un consensus sur la question et du fait qu'il s'agit non pas de lois visant une seule Première nation, mais de lois nationales, même si elles comportent toutes sortes d'options — et, même si je ne dirais pas de « porte de sortie », vous savez ce que je veux dire — pouvons-nous réellement nous attendre à obtenir un consensus sur une ébauche de projet de loi dans un avenir proche? Combien de temps faudra-t-il?
Mme Grant-John : J'ai formulé une suggestion dans mon rapport, et je sais qu'il s'agit d'un long rapport.
Le sénateur Fraser : J'ai bien essayé de le lire.
Mme Grant-John : Ma partie fait 86 pages. Le reste, ce sont des pièces jointes fournies par les différentes organisations. J'ai dit que AINC dispose d'une structure à l'heure actuelle, et que le ministère est en mesure d'établir des liens avec les collectivités des Premières nations rapidement. Ainsi, s'ils faisaient les choses de cette façon, c'est quelque chose qui pourrait être accompli — en effectuant des pressions sur quelqu'un — en moins d'un an. Cette option existe. Lorsque je parlais de la LGTPN, je parlais de la collectivité individuelle.
Le sénateur Fraser : Je comprends le processus. De toute évidence, tout le monde souhaiterait qu'on passe d'ici à là. La question est la suivante : comment le faire sans que cela doive attendre encore trois générations?
Mme Grant-John : La critique des organisations est une chose dont il faudrait réellement tenir compte lorsque nous examinons la question des échéances, parce que nous n'avons eu que peu de temps pour nous asseoir et en arriver à un consensus. Les gens disaient : commençons à rédiger le projet de loi.
Je ne veux pas parler au nom des organisations; cependant, ce serait une preuve de bonne foi que de permettre à tout le moins aux organisations de participer à la rédaction. Cela les soulagerait des pressions qu'ils subissent du fait de ne pas comprendre ce qui va se passer. Cela pourrait ensuite calmer le jeu si l'argent nécessaire au renforcement des capacités était là, et peut-être ensuite la question des mesures provisoires du gouvernement fédéral ne serait-elle plus un fardeau pour personne. Ainsi, le gouvernement fédéral pourrait adopter ces mesures provisoires s'il y avait un engagement — et je ne parle pas en leur nom du tout — ensuite, à tout le moins, la méfiance et la pression disparaîtraient, à mon avis. Je pense que c'est de cela que Mme Eberts parlait, qu'il faut faire en sorte que cela se produise. Offrir aux collectivités la possibilité d'élaborer leurs propres codes équivaudrait à envoyer un message clair, de façon que ce ne soit pas quelque chose qui reste en plan pendant 30 ans encore, les mesures provisoires du gouvernement fédéral faisant office de loi.
La présidente : Plus je vous écoute, plus je suis déroutée.
Défendez-vous l'idée selon laquelle les dirigeants des différentes organisations et les fonctionnaires du ministère devraient se réunir pour élaborer le projet de loi? Voilà un processus de consultation. Il s'agit de consulter les organisations. Ensuite, vous adopteriez par voie législative les mesures provisoires du gouvernement fédéral, qui formeraient ainsi une espèce de loi cadre qui permettrait aux collectivités de participer au processus; est-ce de cela que nous parlons?
Mme Grant-John : Je suis désolée si mes propos vous déroutent. Ce que je dis, c'est qu'il faut que soit respecté l'engagement de faire participer immédiatement les organisations à la rédaction du projet de loi avec AINC et le ministère de la Justice. Elles n'ont pas été en mesure d'y participer. On leur a accordé trois jours et demi, ce qui n'est rien. Je sais qu'on travaille à la rédaction 12 heures par jour. Il faut faire en sorte que cela se produise.
Deux choses pourraient alors se produire. La première, c'est qu'il faudrait quelques mois pour que le projet de loi passe par le processus relatif au Parlement. Il serait ensuite possible, comme je le dis dans mon rapport, de présenter le projet de loi aux différents bureaux régionaux qui pourraient communiquer les renseignements aux collectivités. Il va y avoir des amendements, de toute façon. C'est l'une des suggestions que je formule dans le rapport.
L'autre chose, c'est de déterminer dès maintenant la somme qui sera consacrée au renforcement des capacités, de façon que les gens sachent de quelles ressources ils disposeront pour élaborer leurs propres codes. Je recommande la reconnaissance de la compétence inhérente avant toute chose. L'attribution des ressources se fera ensuite naturellement.
Ainsi, il faut reconnaître la compétence inhérente; reconnaître la nature des ressources dont doit s'assortir cette compétence inhérente pour aider les Premières nations à élaborer leurs propres codes; respecter ce groupe qui attend de prendre part à l'élaboration du projet de loi; prendre le projet de loi, et, pendant qu'on en discute ici, offrir le même respect aux collectivités en le faisant circuler dans les régions par l'intermédiaire de AINC; établir des liens d'une façon ou d'une autre, de sorte que la rétroaction soit possible.
La présidente : Je pense que je comprends le processus. Je voulais que vous nous expliquiez les différentes étapes pour que nous puissions bien comprendre.
Par rapport au Parlement et aux collectivités, si les organisations et AINC ne sont pas d'accord en ce qui concerne la rédaction, que se passera-t-il, dans le cadre de ce que vous proposez?
Mme Grant-John : Je pense que nous devons mettre quelque chose en place en attendant que les Premières nations élaborent leurs propres codes. Au bout du compte, le gouvernement devra prendre la décision de continuer si on n'arrive plus à obtenir un consensus.
La présidente : Je veux que tout soit clair. Suggérez-vous que, si le groupe se réunit pour la rédaction et n'arrive pas à se mettre d'accord sur le modèle, le gouvernement aille de l'avant de toute façon, s'il le fait dans ce que vous jugez être des délais raisonnables?
Mme Grant-John : Oui.
Le sénateur Fraser : Pouvez-vous nous donner une brève description de ce qui devrait figurer dans le texte législatif provisoire du gouvernement fédéral selon vous? J'ai bien lu la partie de votre rapport qui porte là-dessus, mais je dois avouer que j'ai eu de la difficulté à m'y retrouver. C'est attribuable à mon ignorance; cependant, si vous pouviez m'aider, j'apprécierais.
Mme Grant-John : Je vais me servir de la figure, alors vous pouvez peut-être vous aussi ouvrir le rapport à la page où elle se trouve. C'est à la page 67.
La présidente : La figure en question se trouve à la page 67, et elle s'intitule Matrimonial Real Property on Reserves Concurrent Jurisdiction Model (Federal and First Nation).
Mme Grant-John : Comme Mme Lewis vous l'a dit plus tôt, je ne suis pas avocate. Je comprends en gros de quoi il s'agit, mais Mme Cornet va vous expliquer les tenants et les aboutissants, sur le plan juridique, de la question.
Wendy Cornet, à titre personnel : À la page 67 du rapport de Mme Grant-John, figure un diagramme qui résume les éléments fondamentaux de sa recommandation. Le diagramme comporte deux parties. L'une d'entre elles présente les règles provisoires du gouvernement fédéral qui seraient en vigueur jusqu'à ce que la compétence des Premières nations soit reconnue et que la première partie du texte législatif reconnaisse de façon explicite la compétence des Premières nations sur les biens immobiliers matrimoniaux, ou qui demeureraient en vigueur si cela ne se produisait pas. En ce sens, il s'agit d'une compétence concurrente. Évidemment, la question relève du gouvernement fédéral, et le texte législatif préciserait explicitement que les Premières nations ont aussi compétence sur la question.
Le sénateur Fraser : Pensez-vous que tous ces éléments devraient effectivement figurer dans le texte législatif provisoire?
Mme Grant-John : Oui.
Le sénateur Fraser : Permettez-moi d'être pragmatique. En ce qui concerne les contrats de mariage, préciseriez-vous ce qui devrait figurer dans les contrats de mariage, ou vous contenteriez-vous de dire qu'ils devraient exister? Je viens du Québec; j'aime les contrats de mariage, mais il s'agit d'un domaine complexe. On pourrait écrire des livres et des livres de textes de loi sur cette seule question.
Mme Cornet : La partie principale du rapport dit clairement que cela fonctionnerait de la même façon que les lois provinciales à l'heure actuelle. Les provinces s'occupent d'appliquer leurs lois.
Le sénateur Fraser : Est-ce que la loi provisoire parlerait simplement de l'existence d'un contrat de mariage, c'est-à- dire qu'elle n'en imposerait pas la forme?
Mme Cornet : Oui.
Le sénateur Fraser : Ce sont des questions que les gens prennent très au sérieux au Québec.
Mme Cornet : Rien n'empêche actuellement les couples de conclure des contrats matrimoniaux dans les réserves, comme Mme Hanuse l'a souligné. Cependant, il manque une loi pour faire appliquer les dispositions de ces contrats, qu'il s'agisse d'une loi des Premières nations ou d'une loi fédérale.
Le sénateur Fraser : Essentiellement, donc, les ordonnances d'exclusion relèveraient de l'application de la loi, mais l'interdiction de vendre la maison matrimoniale sans consentement du conjoint dans le cadre du mariage serait une chose nouvelle. Ai-je raison? S'agirait-il vraiment d'une nouvelle position?
Mme Cornet : Toutes les mesures seraient nouvelles dans le contexte des réserves, exception faite des ordonnances d'indemnisation de type Derrickson, qui sont possibles, dans les faits, là où les lois provinciales le prévoient, et qui sont une combinaison de la common law et du droit législatif. Le reste serait nouveau à un égard ou un autre.
Le sénateur Fraser : Je vais essayer de bien saisir tout cela. Les témoins que nous avons reçus avant ont parlé, entre autres choses, d'un fonds d'indemnisation. L'APN, en particulier, a parlé d'un fonds d'indemnisation dans l'attente de l'établissement de nouveaux régimes, pour permettre aux conjoints qui sont victimes de l'échec de leur mariage d'être indemnisés d'une manière ou d'une autre.
Je présume, sans avoir posé la question, que cela signifierait que le conjoint qui quitte la maison matrimoniale recevrait la moitié de la valeur de celle-ci dans le cas où c'est l'autre conjoint qui est propriétaire.
Avez-vous effectué un quelconque travail là-dessus? Surtout, avez-vous une idée du genre de somme dont il serait question? Qu'obtiendraient les conjoints grâce à cette mesure, dans les faits? Combien cela coûterait-il au gouvernement fédéral, au total, pour une année?
Mme Grant-John : Il y a une collectivité qui fait ce genre de chose à l'heure actuelle — dont le nom m'échappe — et que nous avons donnée en exemple. Elle a un fonds d'emprunt qu'elle met à la disposition de ses membres dont le mariage a échoué.
J'ai parlé avec les représentants de cette collectivité. En réalité, leur fonds d'emprunt a atteint sa limite. Si l'on tenait compte de cela, le gouvernement devrait discuter avec les collectivités qui ont déjà eu recours à un fonds d'indemnisation et essayer de comprendre comment les choses fonctionnent. Le problème de ce genre de fonds, à l'heure actuelle, c'est que les gens n'arrivent pas à rembourser suffisamment d'argent provenant du fonds pour qu'il puisse continuer de fonctionner. Il faudrait envisager d'allouer des ressources importantes au fonds pour qu'il puisse être fonctionnel.
Le sénateur Fraser : Il s'agit de grosses sommes d'argent. Ce n'est pas seulement 15 000 $ par-ci, 8 000 $ par là; nous parlons de montants importants.
Mme Grant-John : Il y a toutes sortes de modes de propriétés. Mme Hanuse a parlé des unités de logement social, dont mes travaux de recherche ont montré qu'elles comptent pour 60 p. 100 des logements de la collectivité, mais il y a, en réalité, différents niveaux de propriété même pour ces logements sociaux. Dans ma collectivité, les gens qui vivent dans des logements sociaux paient un loyer jusqu'à ce qu'ils obtiennent un certificat de possession et règlent l'hypothèque. C'et une forme de propriété. On ne peut pas simplement dire qu'il ne s'agit que de logements sociaux et que ceux-ci ne peuvent être visés par une ordonnance d'indemnisation.
C'est la raison pour laquelle il est si important d'assurer une présence des collectivités devant les tribunaux. Une de mes recommandations, c'est qu'il y ait un intervenant désintéressé pendant la mise en place des règles fédérales provisoires, de façon qu'on puisse comprendre comment la collectivité fonctionne, que ce soit au chapitre des attributions coutumières, des certificats de possession, des maisons qui appartiennent aux bandes ou d'une quelconque autre forme de propriété. Il y a 15 types de logement social différents.
D'ici à ce que les collectivités se dotent de leur propre code, il faudrait qu'il y ait un intervenant désintéressé. Les Premières nations du Yukon ont actuellement recours à un intervenant désintéressé, pendant qu'elles élaborent leur propre système judiciaire, et ça fonctionne très bien. On est ainsi en mesure de comprendre les différents types de propriété et de prendre une décision en collaboration avec la collectivité de Premières nations, ce qui nous amène à parler de la question des droits collectifs.
L'attribution des logements et des terres est fonction de la propriété collective dans le cadre de la Loi sur les Indiens. S'il y a un intervenant désintéressé, cette personne peut représenter la collectivité, et le particulier peut continuer de faire valoir ses propres droits. Je suis d'accord pour dire qu'il faut trouver un équilibre entre les deux.
J'ai vécu au sein d'une société collective toute ma vie, et tout ce qu'on m'a appris, c'est que les droits individuels n'ont jamais préséance sur les droits collectifs; en fait, les premiers protègent les derniers, et l'application des droits collectifs n'a jamais d'incidence négative sur les droits individuels. C'est ainsi qu'on nous a élevés. C'est l'idée que nous nous faisons des droits individuels et collectifs.
Il faut que les organismes dirigeants recommencent à tenir compte de cette idée. Ils ont besoin de temps pour faire en sorte que cela se produise. Je sais que vous ne voulez pas entendre parler d'échéance, mais il devrait y avoir un examen de la situation dans les trois ans. Si le processus fait l'objet d'un examen, et qu'on y intègre des freins et des contrepoids, je pense qu'il peut fonctionner.
Le sénateur Jaffer : J'ai de la difficulté à comprendre l'idée d'indemnisations provisoires. Je présume que, à l'heure actuelle, l'argent vient du gouvernement fédéral. Est-ce exact?
Mme Grant-John : Pas à l'heure actuelle, non.
Mme Cornet : Non. L'argent pourrait venir des particuliers. Il y aura des situations où la possibilité s'offrira de vendre la maison pour appliquer une ordonnance d'indemnisation. On a formulé la recommandation selon laquelle, en raison des différentes difficultés, comme celles d'obtenir un prêt d'une banque et le problème que posent les différents modes de propriété et d'occupation des maisons dans les réserves, pour que les ordonnances d'indemnisation puissent être appliquées, il pourrait être pratique de disposer d'un mécanisme comme un fonds d'emprunt pour indemnisation. Ce fonds constituerait une autre façon de contribuer à l'application des ordonnances, mais ce ne serait pas nécessairement le seul moyen d'appliquer une ordonnance d'indemnisation.
Le sénateur Jaffer : Est-ce qu'il y aurait des prêts jusqu'à ce que la question soit réglée?
Mme Cornet : Non. Une fois que les règles fédérales provisoires sont adoptées, les prêts seront en place jusqu'à l'adoption d'une loi par les Premières nations. Pendant la période où la loi fédérale sera en vigueur, les conjoints pourront présenter une demande d'ordonnance d'indemnisation, obtenir l'ordonnance d'un tribunal et prendre les mesures pour la faire appliquer, tout comme les gens le font à l'extérieur des réserves.
Les recommandations de Mme Grant-John portaient sur la question de la résolution des conflits. Nous affirmons que les couples qui vivent dans les réserves pourraient prendre les mesures pour faire appliquer une ordonnance d'indemnisation de la même manière que les couples qui vivent à l'extérieur des réserves, comme d'autres témoins l'ont fait remarquer, mais les Premières nations n'ont pas toujours le même accès aux tribunaux, sur le plan géographique, que les citoyens ordinaires. Pour cette raison, Mme Grant-John a formulé une recommandation concernant l'adoption de mécanismes de résolution des conflits à l'échelle locale.
De façon générale, les ordonnances d'indemnisation fonctionneraient de la même manière dans les réserves qu'à l'extérieur de celles-ci. Il s'agirait d'une ordonnance d'un tribunal, et on s'attendrait à ce que le particulier visé par celle-ci la respecte.
Le sénateur Jaffer : Je comprends mal. Je m'aventure probablement là où je ne devrais pas le faire, mais je vais insister un peu.
Le problème et la raison qui font que nous sommes ici aujourd'hui, c'est que les maisons ne sont pas au nom des particuliers. Est-ce exact?
Mme Cornet : Je ne suis pas d'accord avec les chiffres avancés par l'Assemblée des Premières nations. Mme Hanuse a parlé de 70 p. 100 de logement social. Dans ma collectivité, cependant, nous constatons que ces gens paient bel et bien leur maison. Il ne s'agit pas d'unités de logement social au sens où le gouvernement les subventionne. Il y a une sorte d'entente avec la collectivité.
De plus, il y a des collectivités où le logement social est entièrement subventionné par la bande, ce qui fait qu'il n'y a aucune réclamation ou aucune forme de propriété. Il y a suffisamment d'exemples différents pour dérouter qui que ce soit. Lorsque nous essayons d'aborder la question de la propriété des terres, nous sommes encore plus déroutés, et c'est la raison pour laquelle nous en sommes revenus à l'idée que la meilleure solution est celle qui vient de la collectivité, parce que les membres de la collectivité savent comment ils ont organisé leur gouvernement, ainsi que l'attribution des terres et des logements.
Si on adopte une loi provisoire, il faudra l'examiner dans trois ans pour voir comment les choses se passent. Si on ne le fait pas, le problème aura empiré dans les collectivités.
Le sénateur Jaffer : Dans notre province, vous êtes considéré comme une personne sage. C'est assurément le cas, et vous m'avez certainement déroutée. Votre tableau parle de l'interdiction de vendre la maison matrimoniale, des règles fédérales provisoires, et puis il y a une colonne dont le titre indique que la compétence des Premières nations est encore d'une importance capitale. Pouvez-vous m'expliquer cela?
Mme Grant-John : J'ai dit au début qu'il faut reconnaître la compétence des Premières nations comme la chose la plus importante. Cela devrait être le point de mire de toute proposition. Les règles fédérales provisoires et la compétence des Premières nations sont concurrentes, jusqu'à ce que les Premières nations établissent leur code. Est-ce que mon explication est bonne?
Mme Cornet : C'est un modèle semblable à celui qui existe dans le cadre de nombreuses ententes d'autonomie gouvernementale, selon lequel la compétence des Premières nations est reconnue dans de nombreux domaines, mais ne peut pas encore être exercée.
Dans certains domaines, par exemple le droit de la famille, c'est une disposition courante des ententes d'autonomie gouvernementale qu'une loi provinciale, par exemple, continue de s'appliquer à une collectivité des Premières nations jusqu'à ce que le pouvoir inhérent nouvellement reconnu soit exercé dans les faits et remplace la loi provinciale.
En ce qui concerne le tableau, si l'on songe à trois situations générales, le premier mécanisme de dédommagement qui y figure, l'interdiction de vendre la maison matrimoniale, est une protection offerte aux gens mariés, peu importe s'ils sont en train de se séparer ou envisagent de le faire. Malgré les différents modes de propriété des terres et des maisons propres aux réserves, les maisons, ou encore les maisons et peut-être le droit d'occuper le terrain où elle est bâtie, sont vendus. De l'argent change de mains. Il arrive souvent que la question sous-jacente, par rapport au capital, c'est de savoir qui tirera parti des avantages financiers. Lorsqu'une maison matrimoniale a une valeur monétaire, et seulement dans le cas où la maison a une valeur monétaire au sein de la collectivité, est-ce que l'une des deux personnes seulement peut en profiter, ou est-ce qu'il y a partage? C'est une question fondamentale.
Il ne s'agit pas de mesures faciles à prendre de façon provisoire, compte tenu de la diversité et de la complexité des situations, mais la recommandation de Mme Grant-John est un point de départ.
La présidente : Lorsqu'un mariage échoue, il y a des émotions en jeu; il peut y avoir de la violence et des traumatismes, et il y a toujours de l'incertitude. Toutes les questions d'ordre pratique se posent dans le bureau de l'avocat : que se passera-t-il maintenant? Est-ce que je serai pauvre? Puis-je continuer de vivre dans ma maison? Est-ce que j'aurai un toit? Qu'est-ce qui va arriver à mes enfants? Pourront-ils continuer d'aller à l'école?
Souhaitez-vous qu'on adopte des règles fédérales provisoires en raison du fait que, dans la société en général, les règles ne sont pas claires et n'ont pas été conciliées? Si nous adoptons des règles fédérales provisoires, alors les gens les plus vulnérables disposeront à tout le moins d'un guide pour comprendre ce qui va leur arriver. Cependant, le pouvoir discrétionnaire va continuer d'appartenir aux Premières nations. Si ces règles ne sont pas adaptées à leurs coutumes, à leurs collectivités, à leurs pratiques et à leurs souhaits, alors elles utiliseront leur compétence pour définir les choses comme elles le souhaitent. À partir de ce point, toutes les personnes qui vivent dans les réserves connaîtront les règles, puisqu'elles y auront contribué ou parce qu'on les aura rendues publiques. L'objectif est de dissiper l'incertitude au moment où la famille se trouve le plus vulnérable, lorsqu'il y a une crise et que le mariage ou la relation se défait.
Mme Grant-John : Vous avez tout à fait raison. L'une des idées les plus importantes, c'est que, dans ce contexte, l'importance capitale de la gouvernance assurée par les Premières nations est l'aspect dont il faut tenir compte en tout temps. Je le souligne encore une fois, parce que je ne veux pas faire tout ça et que, dans dix ans, les gens viennent me voir et me disent : « Vous vous rappelez la question sur laquelle vous avez travaillé? C'est pire que le projet de loi C-31, parce que le gouvernement ne nous a pas offert d'argent pour l'établissement d'une capacité. Nous ne sommes pas en mesure d'investir au chapitre des biens immobiliers matrimoniaux. Tout ce qui, selon vous, devait être provisoire, fait maintenant partie intégrante de notre collectivité à jamais, et c'est de votre faute. » C'est ce qui va se produire.
La présidente : Je comprends la condition que vous y mettez. Cependant, j'essaie de comprendre les règles fédérales provisoires, ce dont le sénateur Jaffer a parlé. Ces règles sont fondées sur ce que vous avez appris, en faisant de votre mieux, en discutant avec l'ensemble des collectivités. Il y aura peut-être des règles fédérales faisant consensus et fondées sur l'ensemble des pratiques du passé, mais qui permettront aux Premières nations de les adapter et de les faire leurs. Ce serait la prochaine étape : la compétence des Premières nations.
Mme Grant-John : Oui.
La présidente : Voilà qui met en place quelque chose de souple. Les gens pourront ainsi dire : « Nous n'aimons pas telle ou telle chose. Nous voulons un peu plus de ceci et un peu moins de cela. Voilà ce qui reflète des valeurs de notre collectivité. » Les gens passeraient ensuite à l'étape de l'exercice de la compétence des Premières nations.
Mme Grant-John : Je pense que c'est moi qui suis perdue maintenant.
La présidente : Si nous acceptons ce que vous dites, c'est-à-dire que le gouvernement proposerait une loi, compte tenu de consultations adéquates, les règles fédérales provisoires de la page 67 s'appliqueraient pour accorder suffisamment de temps à chacune des Premières nations pour lui permettre d'élaborer ses propres règles. Est-ce exact?
Mme Grant-John : Oui.
La présidente : Même les règles fédérales provisoires tiendraient déjà compte, c'est à espérer, des particularités de chacune des Premières nations.
Mme Grant-John : Les règles fédérales provisoires?
La présidente : Oui.
Mme Grant-John : Je ne sais pas. Tout ce que j'ai, à l'heure actuelle, c'est cela.
La présidente : Je sais. Cependant, quelle était votre intention en ce qui concerne les règles fédérales provisoires?
Mme Grant-John : Mon intention était de faire reconnaître la compétence concurrente, de façon que les collectivités puissent chacune la définir sans aucune espèce de restriction, outre celle dont nous avons déjà parlé. Une fois que nous aurons reconnu que l'article 35 de la Constitution est neutre par rapport au sexe, alors tout le reste doit tomber en place si nous voulons exercer l'autonomie gouvernementale. À mon avis, la compétence des Premières nations sur la question relève de l'autonomie gouvernementale.
Je n'établis pas le même lien que vous entre ces choses. Je comprends qu'il faut mettre en place les règles fédérales provisoires dès maintenant, et que cela reflète les systèmes de gouvernement qui existent à l'heure actuelle.
Ce ne sont que des paroles. Pour ce qui est de la loi qu'adopteraient les Premières nations, elle ne serait en rien — dans certaines collectivités — liée à ce modèle. Les Premières nations ont une façon tout à fait différente de définir les biens immobiliers matrimoniaux, qui est différente de la formulation que nous employons ici, mais qui offrirait la même protection, en fonction de leurs systèmes traditionnels de gouvernement.
La présidente : Je pense que nous sommes sur la même longueur d'onde. Je présume que les Premières nations ne sont pas prêtes à adopter leurs règles, parce qu'elles ne les ont pas mises en place; elles n'ont pas procédé aux consultations ni défini leurs règles. Mais dites-vous qu'elles l'ont toutes fait? Je croyais que ce n'était pas le cas. Si c'est le cas, elles s'appuieraient davantage sur les structures fédérales provisoires et procéderaient ensuite aux ajouts propres aux Premières nations.
En d'autres termes, les règles fédérales provisoires sont en quelque sorte l'embryon, les petites règles, à partir desquelles les Premières nations font construire quelque chose de plus important? Ou dites-vous plutôt qu'elles sont concurrentes?
Mme Grant-John : Elles sont concurrentes à l'heure actuelle, et il en sera ainsi jusqu'à ce que les collectivités adoptent leurs propres règles. À mon avis, elles n'ont pas à être liées à ce qui se dit ici. Pour autant qu'il ait des protections offertes en vertu des droits de la personne et de tout le reste, elles peuvent proposer quelque chose d'entièrement différent.
J'ai écouté ce que les gens du Yukon ont dit au sujet de la mise en place de leur système judiciaire. Ils sont une structure de clan, et ils ne parleraient pas d'ordonnances d'exclusion ou d'interdiction de vente, parce que, dans le cadre de leur système de clan, cela ne fait pas partie de la manière dont ils se gouvernent.
À mon avis, tout cela pourrait disparaître, et nous serions toujours protégés par l'autorité des Premières nations, et probablement même davantage. Dans ma collectivité, ce sont les femmes qui étaient traditionnellement propriétaires des maisons, et personne ne posait de questions. Si c'était encore le cas, nous n'aurions pas à adopter toutes ces règles, parce qu'aussitôt qu'un mariage était fini, l'homme était parti. C'était aussi simple que ça. Nous avons commencé à ne plus nous y retrouver lorsque vous êtes arrivé et avez commencé à introduire toutes sortes de nouvelles choses.
Nous parlons de revenir à nos formes traditionnelles de gouvernement. Si nous étions en mesure de le faire, vous pourriez voir des formes de gouvernement uniques qui soient si respectueuses des femmes que vous souhaiteriez vous joindre à ma collectivité. Je ne blague pas. Cependant, nous devons pouvoir avoir la possibilité de le faire.
Une fois que nous aurons élaboré le modèle ici, il n'aura peut-être plus rien à voir avec ce qu'il était au début, mais les mécanismes de protection seront encore plus puissants. C'est la garantie que j'offre à mes petits-enfants pour leur avenir. Est-ce que ça répond à votre question?
La présidente : En cette heure tardive, je vais y penser. Mon idée c'est — je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites — que je ne sais tout simplement pas quel est l'élément déclencheur dans la loi. Disons que, demain, nous adoptons une loi conforme à votre modèle. Disons que je me trouve dans une réserve des Premières nations et que je veux savoir par où commencer.
Si le gouvernement fédéral a adopté la loi, dans quelle situation est-ce que je me trouve? Est-ce que c'est automatiquement la situation provisoire, ou est-ce que je relève de la compétence des Premières nations? Je suis peut- être la seule personne à faire face à ce problème.
Le sénateur Nancy Ruth : Si vous n'avez pas accès à la justice, cela n'a aucune importance.
Mme Cornet : Outre le fait de reconnaître la compétence des Premières nations et le fait qu'elles seront libres de l'affirmer à n'importe quel moment, lorsqu'elles le souhaiteront, ou encore, si elles l'ont déjà affirmé et que la loi est en vigueur, les règles fédérales serviraient de lois fédérales, et les conjoints qui vivent dans les réserves auraient recours aux mécanismes de réparation qui existent, et non à ceux qui n'existent pas. C'est seulement dans le cas où une Première nation donnée affirmerait sa compétence que ces règles fédérales disparaîtraient.
La présidente : C'est ce que je disais. Nous adoptons une loi; les règles provisoires s'appliquent jusqu'à ce qu'une Première nation fasse quelque chose. C'est ce que j'essayais de dire.
Mme Cornet : C'est exact.
Mme Grant-John : Voilà la chose la plus importante; j'ai compris ce que vous disiez. L'élément déclencheur, c'est la capacité pour les collectivités d'élaborer leurs codes, comme les témoins qui étaient ici plus tôt l'ont dit. Une fois que les codes seront en place, le modèle provisoire disparaîtra. L'élément déclencheur, c'est le fait de leur fournir l'argent nécessaire pour qu'elles élaborent leurs codes. C'est la même exigence que dans le cadre de la LGTPN.
La présidente : Je me demandais quel était l'élément déclencheur dans la loi. L'élément déclencheur, c'est le fait que si la compétence des Premières nations n'est pas exercée, elles commencent dans le cadre des règles provisoires puis font évoluer les choses. Elles ne peuvent progresser et élaborer leurs propres codes si elles ne disposent pas des systèmes de soutien. Je comprends tout à fait cela.
Mme Cornet : Ce que nous présumons, c'est que le législateur rédigerait les dispositions de transition appropriées qui préciseraient clairement le moment où une collectivité donnée passera de l'application des règles provisoires dans le cadre de la loi fédérale à sa propre loi. Nous avons besoin de quelque chose qui indique clairement aux gens quel régime s'applique à eux. Le rapport ne donne pas ce genre de détail sur la rédaction législative.
La présidente : Du point de vue philosophique, voilà où vous en êtes : adopter les règles provisoires, s'assurer que les collectivités disposent des ressources financières leur permettant de poursuivre le dialogue nécessaire à l'élaboration de leurs propres règles, puis elles pourront déclencher le processus lorsqu'elles sont prêtes à exercer pleinement leur compétence en fonction de leurs propres coutumes. C'est à ça que je voulais en venir.
Le sénateur Nancy Ruth : J'ai entendu le ministre Prentice dire à deux reprises — je ne le cite pas, c'est mon interprétation — que si vous n'arriviez pas à organiser les choses, alors son ministère le ferait. Ni dans un cas ni dans l'autre l'ai-je entendu parler du fait que l'APN, l'AFAC, vous ou qui que ce soit d'autre serait inclus ou exclu; c'est quelque chose que je n'ai tout simplement pas entendu. Je suis curieuse de savoir comment vous analysez le fait que le ministère n'ait pas choisi de faire participer les différents groupes à la rédaction législative.
Par ailleurs, vous avez parlé de sommes d'argent et de ressources importantes pour assurer le renforcement des capacités. Qu'est-ce que cela veut dire?
Le sénateur Dyck : Combien d'argent?
Mme Grant-John : En ce qui concerne la rédaction législative, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Lorsque j'ai présenté mon rapport, je n'ai rien entendu de qui que ce soit. En fait, j'ai téléphoné la semaine dernière pour vous demander ce qui se passait. Je n'avais aucune idée.
On m'avait dit, au début du processus, que s'il n'y avait pas consensus, on me fournirait l'aide des meilleurs rédacteurs. Cela ne s'est pas produit. Il y a eu deux réunions au cours desquelles le sous-ministre adjoint a dit très clairement qu'il ferait les choses différemment et qu'il ferait participer l'APN et l'AFAC à la rédaction. Ces associations devaient participer au processus jusqu'au dépôt du projet de loi.
J'ai passé un coup de fil, et j'ai découvert qu'on avait défini des délais tellement serrés que les personnes responsables du processus n'auraient finalement que trois demi-journées, et qu'elles pensaient que ce n'était pas suffisant et qu'elles se retrouvaient dans une situation très difficile.
J'ai rapproché quelques faits. J'ai découvert qu'ils rédigeaient pendant 12 heures par jour. Je pensais que l'une des conditions était que les groupes — et on avait été très clair à ce sujet — devaient participer au processus, et qu'il y avait un engagement de la part d'AINC en ce sens. Puis on n'en a plus parlé. Je ne peux pas vous dire pourquoi. Je ne le sais pas.
En ce qui concerne une capacité importante, je n'en parle pas dans le rapport. Cependant, j'ai bien passé du temps à parler avec le chef Robert Louie, qui se trouve du côté des bandes visées par la LGTPN, de ce qu'il en coûte pour mettre en place un code relatif aux biens immobiliers matrimoniaux. Il m'a dit que cela coûte environ 80 000 $. Le montant est élevé parce que la loi exige qu'on procède à un maximum de consultations auprès des collectivités, et c'est ça qui entraîne des coûts, autant que la rédaction en soi.
Il serait avantageux de demander à quelqu'un comme Robert Louie, qui a travaillé là-dessus, de collaborer avec le ministère. Il y a beaucoup de travail à faire, en fait, en ce qui concerne les terres et les fiducies à l'heure actuelle, parce que l'un des problèmes, c'est l'enregistrement des terres et la capacité, à ce moment-ci, de financer les différents programmes.
Le ministère subit des pressions. Il a l'obligation fiduciaire de défendre les intérêts fondamentaux liés aux terres. La Loi sur les Indiens a été mise en place pour que l'on puisse s'assurer de faire valoir les intérêts collectifs liés aux terres; c'est la raison pour laquelle nous avons AINC. C'est aussi simple que cela. C'est comme ça que les choses ont commencé. Lorsque nous examinons la situation du ministère chargé des terres à l'heure actuelle, ça n'a plus aucun rapport avec ça.
Au cours de notre enquête, nous avons constaté le nombre de façons différentes qui existent d'enregistrer une terre, et le ministère ne les connaît même pas lui-même. Les gens du ministère ont commencé à enregistrer les attributions coutumières, puis ils ont arrêté; c'est un vrai fouillis. Le ministère a beaucoup de travail à faire dans ce dossier.
C'est probablement le bon temps, au moment où il faut réarranger les choses — en ce qui concerne des programmes comme le PATR, le Programme 53/60 — Pouvoirs délégués, ainsi que la LGTPN — d'évaluer ce que ce serait si on utilisait les terres et les fiducies pour obtenir les ressources nécessaires pour l'élaboration des codes liés aux biens immobiliers matrimoniaux. Il y a déjà de nombreuses collectivités qui l'ont fait. Nous avons déjà un exemple réel de ce que le coût peut être. Il a estimé que le coût était d'environ 80 000 $ par collectivité. Il ne faut pas oublier que Westbank est une très grande collectivité, avec de nombreuses zones emménagées et des terres riches; c'est directement à Kelowna, et ce sont toutes des terres qui font l'objet de certificats de possession. L'estimation que fait Robert Louie est probablement très élevée.
Cependant, si nous disposons d'un modèle de ce qu'il faut faire, les coûts pourraient diminuer de nouveau. Il faut que nous prenions le temps d'examiner cela; je n'ai pas pu passer suffisamment de temps avec Robert Louie pour parler en détail du coût réel.
Le sénateur Nancy Ruth : En ce qui concerne la rédaction législative pendant les trois demi-journées dont vous allez peut-être disposer, la capacité de l'AFAC et de l'APN est-elle suffisante pour exercer la diligence raisonnable, compte tenu du fait qu'on ne disposera que de ces trois demi-journées?
Mme Grant-John : Permettez-moi de dire là-dessus que je sais que trois demi-journées, c'est inacceptable aux yeux d'au moins une des organisations.
Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce que cela signifie qu'elle ne va pas participer à la rédaction?
Mme Grant-John : Je pense que Mme Hanuse l'a dit ici. Je pense que l'organisation concernée ne va pas participer; il ne s'agit que de trois demi-journées. C'est très irrespectueux.
En ce qui concerne l'AFAC et sa capacité, je ne sais pas. Je sais que l'association dispose des gens qui sont en mesure de le faire, mais la question de savoir si elle dispose ou non des ressources est une tout autre question.
Le sénateur Fraser : Dans ma naïveté, j'avais présumé — mais je me rends compte à présent que j'avais tort — que votre rapport formulait l'hypothèse selon laquelle les lois des Premières nations en matière de biens matrimoniaux, devraient, au bout du compte, forcément porter, quoique de différentes manières, sur tous les éléments des règles fédérales provisoires, l'interdiction de vente de la maison matrimoniale, et cetera.
Je présumais que, peu importe la manière dont chacune des Premières nations choisirait de régler ces questions, elles devraient, à tout le moins, les régler dans le cadre de leurs codes. J'ai ensuite compris, d'après ce que vous avez dit, que ce n'est pas nécessairement le cas; ce n'est pas nécessairement quelque chose que vous envisagiez. À ce moment-là, la note de bas de page qui allait avec le passage sur la protection des droits de la personne qui venait ensuite devenait beaucoup plus important. Vous recommandez en fait que l'exemption actuelle de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas. De quels appuis disposez-vous dans les collectivités à cet égard?
Mme Grant-John : Je n'ai pas entendu beaucoup de débats au sujet de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'article 67 existait avant que la Constitution ne protège de façon égale les droits des hommes et des femmes. C'est ce qui s'est produit. Les gens savent que l'article 35 de la Constitution protège également les hommes et les femmes. Je présume que c'est une chose évidente. J'éprouve un véritable respect pour les femmes qui ont souffert de cela. J'ai aussi une réelle compassion pour les collectivités qui ont lutté pour rétablir leur gouvernement traditionnel de façon à pouvoir les accueillir de nouveau comme elles le souhaitent. C'est la raison pour laquelle j'ai dit ce que j'ai dit là-dessus.
Je crois fermement que, une fois que ces gouvernements traditionnels seront en place, nous verrons tous les aspects en question intégrés à leur loi sans qu'ils soient décrits précisément de la même façon. Ces aspects seront toujours là, mais exprimés d'une manière différente et plus forte.
Je vais être très directe, peut-être même impolie. Vous pouvez arriver ici avec l'expérience de la structure juridique et politique dans laquelle vous avez grandi. Il peut être difficile de comprendre ce dont nous parlons lorsque nous parlons de nos « gouvernements » et de notre façon de fonctionner; je respecte cela. Cependant, il est temps pour nous de commencer à nous éloigner de cela. Les travaux des chercheurs montrent que cela est possible si nous cessons de juger ce que nous faisons en fonction de votre vision de ce que nous devrions faire.
Le sénateur Fraser : Permettez-moi de préciser ce que j'ai dit plus tôt. Si on les exhortait à le faire, la vaste majorité des Premières nations élaboreraient de bons codes, tout à fait adaptés à leur situation unique.
Cependant, nous, qui sommes ici, avons l'obligation d'envisager les problèmes qui se posent lorsque les choses tournent mal. Ce n'est pas seulement chez les Premières nations qu'il arrive parfois que le gouvernement déraille et adopte — souvent avec l'appui de la collectivité — une mauvaise loi. C'est quelque chose qui arrive. C'est quelque chose qui arrive dans toutes les sociétés humaines qu'il m'a été donné d'observer. Je ne crois pas que cela ne se produirait jamais chez aucune des 600 Premières nations. C'est pour cela que j'ai dit ce que j'ai dit au sujet de la protection des droits de la personne, et non parce que nous devons être condescendants face aux Premières nations.
Mme Grant-John : Le paragraphe 35(4) de la Constitution est là pour ça. Personne n'y échappe. Les questions de droit liées au paragraphe 35(4) sont toujours très importantes pour nous. Nous sommes une société matrilinéaire, abstraction faite de certaines collectivités des Prairies. Cependant, le paragraphe 35(4) protège tous les droits en question. Je reconnais bel et bien l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je l'ai fait parce que je voulais que les gens sachent que nous ne l'avions pas simplement mis de côté. Voilà ce que je pense, personnellement.
La présidente : Merci d'être restée plus longtemps et d'avoir contribué au débat. L'idée, ce n'est pas de comprendre les Premières nations; c'est plutôt, comme le sénateur Fraser l'a dit, que nous voulons nous assurer d'effectuer la transition entre ce qui se produit à l'heure actuelle et, de façon légitime, la remise des pouvoirs aux Premières nations sans créer un nouveau problème. Des deux côtés, nous devrions travailler en fonction de nos responsabilités respectives à trouver une meilleure solution. Par conséquent, la transition est importante. Nous ne voulons pas que cela s'ajoute au problème. Il s'agit non pas de dire que les Premières nations ne sont pas importantes ou que se sont les règles provisoires qui ne le sont pas, mais bien qu'il est important de comprendre les règles provisoires. Nous savons ce qui existe à l'heure actuelle, ce qui ne nous plaît pas là-dedans et qui est désavantagé. Les beaux principes doivent se traduire en des choses concrètes. Les problèmes surgissent dans les détails, disons-nous souvent ici. Nous voulons nous assurer que les principes que vous avez énoncés soient suffisamment bien compris, tout comme le processus et la manière dont ils se traduiront en véritables solutions pratiques.
Le fait que vous ayez présenté cette question non seulement dans votre rapport, mais aussi votre présence ici aujourd'hui, nous a été très utile. Il y a un engagement réel à trouver des solutions plus adéquates que celles qui existent à l'heure actuelle pour les Premières nations, les Canadiens, ainsi que toutes les personnes désavantagées dans une société ou une autre. C'est le maillon faible, la personne dont le mariage ne fonctionne plus. C'est quelque chose qui nous préoccupe, nous qui venons de terminer une énorme étude sur la Convention relative aux droits de l'enfant. Il faut que la société tienne compte des enfants et de leur famille. Nous vous assurons que nous n'avons pas abandonné la lutte. Nous allons continuer d'examiner soigneusement ce que font tous les gouvernements à cet égard.
Le comité suspend ses travaux.