Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 20 - Témoignages du 18 juin 2007


OTTAWA, le lundi 18 juin 2007

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été déféré le projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants), se réunit aujourd'hui à 16 h 1 pour l'étude du projet de loi.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants). Nous accueillerons d'abord David Quist, directeur principal, Institut du mariage et de la famille Canada. M. Quist fera une déclaration et il répondra ensuite à nos questions.

Nous sommes pressés par le temps, car la sonnerie se fera entendre à 17 h 45. Nous devons donc abréger les deux séances. Nous ferons preuve de célérité pour ce qui est des questions et réponses.

Dave Quist, directeur exécutif, Institut du mariage et de la famille Canada : Merci madame la présidente et merci aux sénateurs. Au nom de l'Institut du mariage et de la famille Canada, je vous remercie de nous donner la chance de présenter nos observations au sujet du projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel.

L'Institut du mariage et de la famille Canada est un groupe de réflexion basé à Ottawa. Nous veillons à nous tenir au fait des dernières recherches sur des questions de politique sociale qui touchent les familles canadiennes et à les transmettre aux décideurs comme vous. Le greffier a des copies de ma présentation et de plusieurs documents connexes qui seront distribués quand ils auront été traduits.

Comme vous le savez, la fessée administrée aux enfants est un sujet controversé au Canada et partout dans le monde ces dernières années. En 2004, la Cour suprême du Canada a été saisie de la question et elle a préservé ce droit. Cependant, cette question continue de faire jaser dans le domaine public.

Il est impératif à mon avis d'établir la distinction entre la violence à l'égard des enfants et l'exercice de la discipline. Selon Santé Canada :

Il y a violence à l'égard d'un enfant lorsque son père, sa mère ou la personne qui le garde ou lui prodigue des soins le maltraite et le néglige au point qu'il en résulte pour lui des blessures, d'importants dommages émotionnels ou psychologiques ou des risques élevés de dommages. Dans tout cas de violence envers un enfant, il y a abus de confiance et d'autorité de la part de la personne qui s'occupe de l'enfant. La violence peut prendre différentes formes.

De nombreux documents du gouvernement du Canada traitent de la discipline, mais curieusement je n'ai trouvé aucune définition de ce terme sur le site web. Je n'ai pas réussi non plus à trouver une définition de « fessée » sur le site web de l'Association médicale canadienne ni celui de la Société canadienne de pédiatrie.

En 1996, l'Académie américaine de pédiatrie a établi que la fessée ne cause pas de blessures physiques, qu'elle a pour but de modifier le comportement et qu'elle est administrée avec la main ouverte sur les fesses ou les extrémités.

Qu'on me comprenne bien, la violence faite aux enfants est odieuse, condamnable et inacceptable. Cependant, les définitions ont ici une importance qui dépasse les considérations sémantiques. Les mots et les définitions utilisés ont une incidence considérable sur la façon de comparer les sources de données. Dans l'analyse, ce qui est inclus ou exclu des différents ensembles de données peut influencer énormément le résultat.

On considère que la Suède et la Nouvelle-Zélande sont des pays qui ont bénéficié d'une politique d'interdiction de la fessée. Cependant, les données complètes et les dernières recherches n'abondent pas dans le même sens. Selon certains, depuis que la Suède a interdit la fessée en 1979, la violence chez les jeunes est en hausse.

M. Robert Larzelere a analysé certaines des données qui vous ont déjà été présentées sur les effets de l'interdiction des châtiments corporels en Suède et il n'a pas tiré les mêmes conclusions que Mme Joan Durrant. Tous les détails se trouvent dans les documents que j'ai remis au greffier.

Dans une étude évaluée par des pairs publiée l'an dernier dans le New Zealand Medical Journal, Mme Jane Millichamp, psychologue de l'Université d'Otago, a déterminé que le fait d'administrer des fessées aux enfants pour les punir ne déclenche pas à l'âge adulte des comportements agressifs ou antisociaux. Dans le cadre de son étude, Mme Millichamp a suivi et interrogé 1 000 enfants sur une période de 30 ans.

M. Larzelere et M. Brett Kuhn ont quant à eux publié dans Clinical Child and Family Psychology Review une analyse de 26 études pertinentes réalisées dans ce domaine au cours des 50 dernières années. Ils tirent en gros la même conclusion.

Par ailleurs, un sondage effectué au Canada en 2002 par la firme Strategic Council a permis de faire des constatations des plus intéressantes. En 2002, si vous vous souvenez, la Cour d'appel de l'Ontario avait été saisie de cette question et la Cour suprême du Canada allait bientôt en être saisie. On parlait donc beaucoup du dossier à cette époque.

Malgré le débat en cours, 72 p. 100 des Canadiens estimaient que la fessée devait demeurer une option légale pour les parents canadiens. Ces répondants comprennent les 57 p. 100 des parents qui ont déclaré n'avoir jamais donné la fessée à leurs enfants.

La vaste majorité de ces gens sont ceux avec qui nous traitons tous les jours. Ils respectent la loi, donnent à la communauté et à la société et ils aiment leur famille.

Tellement d'éléments ont une incidence négative dans la société — les influences sociales, les facteurs biologiques, la pauvreté, la toxicomanie et ainsi de suite. Aucune preuve empirique ne nous porte à croire que l'abrogation de l'article 43 atténuerait ces influences négatives.

Nous pouvons tous nous mettre d'accord, à mon avis, sur le fait que chaque enfant est à la fois unique et différent. En raison de leur caractère unique, les enfants doivent être disciplinés d'une façon qui leur convient. Généralement, on applique une approche progressive, à savoir des techniques de distraction dans le cas de très jeunes enfants, des explications, des temps de réflexion, la perte de privilèges, des conséquences naturelles et logiques et la fessée. Je crois qu'il est important que nous portions attention aux véritables résultats de la recherche et de la discipline.

Nous devons nous demander si l'État a un rôle à jouer dans l'éducation de nos enfants. Je crois que le rôle de l'État consiste uniquement à limiter les droits et libertés de la société si ces droits et libertés sont préjudiciables pour la société et ses membres. Rien n'indique que l'État doit intervenir dans ce dossier. Le juge McCombs a abordé la question dans le jugement qu'il a rendu en 2000, jugement que la Cour suprême du Canada a confirmé.

Il est sans objet dans ce débat de se demander si « on donnerait la fessée à grand-mère ». Le droit canadien reconnaît déjà que nous traitons nos jeunes différemment. Pendant de nombreuses années, nous avions la Loi sur les jeunes contrevenants et, dernièrement, cette loi a été révisée et rebaptisée la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Nous tenons compte des circonstances particulières dont les mineurs ont besoin pour apprendre et devenir des adultes à part entière dans notre société.

À notre avis, il en va de même pour l'article 43. Les enfants doivent apprendre la morale et l'éthique, ils doivent apprendre à distinguer le bien du mal, ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. La violence n'est pas acceptable. Je suis certain que nous en convenons tous. La fessée dite normative n'est pas un mauvais traitement et c'est un outil d'enseignement et de discipline dont de nombreux parents ont besoin. Le juge McCombs a d'ailleurs précisé dans son jugement que la fessée n'était pas une forme de violence contre les enfants. Chaque enfant est unique et ce n'est pas tout le monde qui utilisera cet outil. Beaucoup de parents n'utiliseront cet outil que rarement.

Dans un jugement de la Cour suprême du Canada, le juge LaForest a déclaré :

Quoique ce droit à la liberté ne soit pas un droit parental équivalent à un droit de propriété sur les enfants, notre société est loin d'avoir répudié le rôle privilégié que les parents jouent dans l'éducation de leurs enfants. Ce rôle se traduit par un champ protégé de prise de décision par les parents, fondé sur la présomption que ce sont eux qui devraient prendre les décisions importantes qui touchent leurs enfants parce qu'ils sont plus à même d'apprécier ce qui est dans leur intérêt et que l'État n'est pas qualifié pour prendre ces décisions lui-même.

La famille est la pierre d'assise de notre société. Si on s'ingère dans la famille et qu'on lui pose des restrictions injustifiées, la société est elle-même victime de ces actes.

Quelle est l'intention du projet de loi? Si on vise à éliminer la violence faite aux enfants et d'autres formes de comportements extrêmes, les sciences sociales ne nous permettent pas de conclure que l'abrogation de l'article 43 nous permettra d'y arriver. Si on vise simplement à éliminer le recours à cette forme de discipline dite normative, encore une fois, les sciences sociales ne peuvent en garantir le succès.

Si on vise à mieux protéger les enfants contre des comportements extrêmes et excessifs et à leur donner les meilleurs soins possibles, au lieu d'abroger l'article 43 du Code criminel, il conviendrait de se tourner vers d'autres options. Je soumets à votre examen les suggestions suivantes.

On pourrait présenter et appuyer des projets de loi qui ont pour but d'aider les parents. On pourrait s'y prendre de différentes façons, notamment en appuyant la réduction du fardeau fiscal des familles grâce à des programmes de partage des revenus entre autres, en appuyant des programmes parentaux à l'échelle nationale, en élargissant les programmes de maternité et de paternité aux nouveaux parents adoptifs, en finançant des programmes de garde d'enfants qui répondent aux besoins de tous les parents, non pas aux besoins d'un groupe donné, en soutenant et en présentant des programmes qui aident les mères et, en particulier, les pères à participer pleinement à la vie de leurs enfants.

Je me permettrai de vous donner quelques statistiques qui cadrent bien avec le thème de la fête des pères. Premièrement, la participation du père dans les activités des enfants est liée à de meilleurs résultats scolaires. Deuxièmement, les adolescents qui reçoivent plus d'attention de leur père sont moins susceptibles d'afficher des comportements antisociaux et délinquants. Troisièmement, les adolescentes qui ont une relation solide avec leur père courent moins de risques d'être dépressives. Quatrièmement, la présence de liens étroits entre les pères et les adolescents protège contre l'influence négative de la consommation de drogue par les pairs. Cinquièmement, les adolescentes qui sont proches de leur père sont plus susceptibles de retarder leurs activités sexuelles. Sixièmement, les adolescentes qui ont profité de la présence de leur père pendant leur enfance ont moins de chance de tomber enceintes. Enfin, les adolescents qui sont près de leur père sont plus susceptibles de vouloir un mariage stable plus tard.

Si vous souhaitez en savoir plus sur les statistiques et les options de programmes relativement à ces points ou à toute question qui concerne la famille, je me ferai un plaisir d'en discuter avec vous dans cette enceinte ou individuellement.

Pour terminer, je suis content que vous soyez prêts à analyser les grandes politiques sociales d'aujourd'hui et à en discuter. Les questions sociales ont des conséquences à long terme sur nos familles et, par extension, sur notre société. L'Institut du mariage et de la famille Canada ne peut donner son appui au projet de loi S-207. Nous croyons cependant qu'il importe de trouver des moyens d'aider et de renforcer les familles dans la société canadienne.

Je vous remercie et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de poursuivre la discussion.

La présidente : Vous êtes évidemment au courant de la décision de la Cour suprême du Canada qui interdit d'infliger des châtiments corporels aux enfants de moins de deux ans.

M. Quist : Oui.

La présidente : La cour a aussi déclaré que le châtiment corporel n'est d'aucune utilité pour corriger un enfant de moins de deux ans vu les limites cognitives à cet âge. C'est l'argumentation de la Cour suprême du Canada.

Elle a aussi indiqué que le châtiment corporel infligé à un adolescent est préjudiciable en ce sens qu'il risque de déclencher un comportement agressif ou antisocial.

En droit canadien actuellement, on a réduit la portée de l'article 45 du fait qu'on ne peut utiliser aucune forme de châtiment corporel à l'endroit d'enfants de moins de deux ans ou d'adolescents, lesquels ont 13 ans ou plus à mon avis. Nous parlons donc ici des enfants de 2 à 12 ans.

La cour est allée plus loin et affirmé qu'à l'intérieur de ce groupe, c'était encore acceptable. En fait, l'expression « acceptable » vient de moi, car la cour n'a rien précisé. La cour a cependant dit qu'on ne pouvait administrer un châtiment corporel à des enfants de moins de deux ans et de plus de 12 ans. J'en déduis donc qu'on peut utiliser le châtiment corporel pour les enfants âgés de 2 à 12 ans. Le châtiment corporel infligé à l'aide d'un objet, comme une règle ou une ceinture, est préjudiciable physiquement et émotivement. C'est la cour qui a fait cette constatation.

Le châtiment corporel consistant en des gifles ou des coups portés à la tête est préjudiciable. Ces formes de châtiment, pouvons-nous conclure, ne sont pas raisonnables.

La cour ajoute que le consensus social de l'heure — une expression intéressante en elle-même — veut que l'infliction de châtiments corporels par les enseignants soit inacceptable, bien que ces derniers puissent parfois employer la force pour expulser un enfant de la classe ou pour assurer le respect de directives. De plus, elle précise que de nombreux conseils ou commissions scolaires imposent des interdictions aux enseignants.

Vous avez fait la distinction entre l'exercice de la discipline et la violence faite aux enfants alors que la cour parlait de châtiment corporel, vous avez ensuite parlé du caractère acceptable dans une perspective restreinte pour un groupe restreint et ensuite de la nécessité d'établir des restrictions, ce qui est une toute autre question.

Pourquoi avez-vous choisi de parler dans votre analyse de l'exercice de la discipline par rapport à la violence faite aux enfants, plutôt que du châtiment corporel par rapport aux restrictions, à l'éducation ou à autre chose?

M. Quist : Je vous remercie de cette précision. On peut utiliser « l'exercice de la discipline » à la place de « châtiment corporel ». À mon avis, ces deux expressions sont interchangeables dans le contexte de notre discussion. La violence faite aux enfants est clairement inacceptable. Évidemment, la Cour suprême et les cours inférieures ont tranché cette question. Moralement et éthiquement, nous pouvons tous être d'accord sur ce point.

Je souscris à l'analyse de la cour pour ce qui est des enfants âgés de moins de deux ans. Ce n'est pas la meilleure façon de montrer des choses aux nourrissons et aux enfants d'âge préscolaire qui n'ont pas deux ans. Ils apprennent encore et ils rationalisent. Ceux qui ont des enfants ou qui en ont eus, et même les grands-parents dans la salle, savent que donner la fessée à un enfant de un an n'est pas la meilleure façon de changer son comportement. Dans bien des cas, c'est une distraction. S'ils ont dans la tête de prendre quelque chose sur une tablette inférieure, il suffit souvent de les emmener ailleurs dans la pièce où ils pourront jouer en toute sécurité avec des jouets. Ils apprennent dans ce processus. Je n'ai aucune difficulté à comprendre et à accepter les fourchettes d'âge que la cour a établies.

J'ai moi aussi compris que la cour visait les adolescents de 13 ans et plus. Il est évident qu'à partir de 13 ans les enfants deviennent progressivement des adultes. Quand mes enfants avaient 13 ans, ils pensaient probablement qu'ils étaient des adultes, et nous avons probablement pensé la même chose quand nous avions 13 ans. La fessée n'est pas la meilleure façon de composer avec ce groupe d'âge.

La fourchette des 2 à 12 ans, et je dirais même la partie inférieure de cette fourchette, est celle pour qui je préconise l'utilisation de cette forme de discipline dans certains cas, mais pas dans tous.

La présidente : Pour continuer dans la même veine, si vous acceptez le jugement tel quel, comme moi, les constatations de la cour sont claires selon moi, sur quoi vous fondez-vous pour croire que les enfants âgés de 2 à 12 ans réagissent bien à toute forme de discipline qui a la forme d'un châtiment corporel?

M. Quist : Comme je l'ai mentionné, les mesures de discipline doivent être progressives. On ne doit pas en faire usage la première fois qu'un enfant fait quelque chose de mal. Il peut arriver que les enfants ne sachent pas pourquoi ils ont fait quelque chose de mal. Il doit s'agir d'un processus d'apprentissage. Si les enfants savent qu'ils ont fait quelque chose de mal et désobéissent volontairement, le châtiment corporel est un outil que certaines familles souhaitent avoir à leur disposition. Les familles n'utiliseront pas toutes le châtiment corporel pour l'exercice de la discipline. Le châtiment corporel ne convient pas à toutes les situations. Ce n'est probablement pas la meilleure façon de régler toutes les situations.

Si un enfant refuse de manger son souper, on peut le laisser aller se coucher sans manger. Dans un cas où un enfant casse volontairement un vase, une fenêtre ou quelque chose du genre, on peut lui montrer à être responsable en lui demandant de remplacer la chose s'il a un travail à temps partiel. Épargner 10 ou 20 $ pour réparer une frasque laisse une impression durable sur l'enfant. Ces méthodes sont probablement de meilleures formes de discipline.

Le sénateur Munson : Bienvenue au comité. Qu'est-ce que l'Institut du mariage et de la famille Canada? On dit ici que vous effectuez et que vous élaborez des études et ainsi de suite. Avez-vous un budget, qui êtes-vous et combien de familles canadiennes représentez-vous?

M. Quist : L'Institut du mariage et de la famille Canada a été créé il y a un an et demi. Nous sommes relativement nouveaux à Ottawa et sur la scène de la politique sociale au Canada. Nous sommes la division de recherche en matière de politiques d'Objectif famille Canada qui oeuvre au pays depuis un certain nombre d'années. Nous sommes un organisme de charité. L'organisme Objectif famille a depuis longtemps une petite division chargée de la politique à son bureau de Langley ou Vancouver et il a déterminé qu'il souhaitait accroître ces activités de recherche. Nous avons ouvert notre bureau d'Ottawa il y a un an et demi.

Le sénateur Munson : Pensez-vous représenter des centaines de milliers de familles?

M. Quist : Nous n'avons pas procédé à un sondage exhaustif. Nous savons qu'Objectif famille a des milliers de tenants, des électeurs et des gens qui nous ont envoyé des courriels, qui nous ont appelés ou qui nous ont envoyé des lettres d'appui et ainsi de suite. Nous constituons actuellement nos appuis. Il est juste de dire que nous représentons des centaines de milliers de familles.

Le sénateur Munson : Êtes-vous rémunéré pour votre travail?

M. Quist : Oui, tous nos fonds proviennent de donateurs canadiens. Nous n'avons ni demandé ni accepté de subventions provenant de quelque pallier de gouvernement que ce soit.

Le sénateur Munson : Selon vous, qu'est-ce qu'une force raisonnable?

M. Quist : Je n'ai malheureusement pas pu trouver de définition dans une source canadienne. Je dois donc m'en remettre à la définition de l'Académie américaine des pédiatres selon laquelle ce type de force ne doit laisser aucune marque permanente, aucune ecchymose. Comme on l'a mentionné à la question précédente, il est inacceptable de frapper la figure. Dans la plupart des cas, la force appliquée aura la forme d'un coup sur la main ou sur le derrière, ce qui convient parfaitement, d'après les recherches que j'ai lues.

Le sénateur Munson : Vous frappez quelqu'un, vous lui faites mal. Vous touchez un enfant.

M. Quist : Vous touchez un enfant, oui.

Le sénateur Munson : Doit-on comprendre que 100 pays ont tort d'interdire le châtiment corporel? Plus de 100 pays ont interdit le châtiment corporel dans leurs écoles et leurs systèmes pénaux. Seize pays d'Europe ont pris des mesures législatives qui interdisent explicitement toute forme de châtiment corporel à l'endroit des enfants. Votre groupe dit-il que cette interdiction est erronée, qu'on doit avoir le droit de frapper un enfant pour s'assurer qu'il comprend et qu'il respecte ce que nous pensons en tant qu'adultes responsables?

M. Quist : Non, c'est complètement faux.

Le sénateur Munson : On dirait pourtant que c'est le cas.

M. Quist : Il importe de se rappeler que 72 p. 100 des familles canadiennes ont demandé à conserver cette option dans leur boîte d'outils de discipline. Ce n'est pas le seul outil dont elles disposent. J'en ai déjà mentionné quelques-uns dans ma présentation. On est toujours ouvert à la discussion dans le domaine des sciences sociales. La question soulève aussi beaucoup d'émotions. Tout cela est bien beau dans la mesure où nous reconnaissons cela, mais à ce jour les données que j'ai vues ne montrent pas que les avantages d'éliminer cet outil régleront tous les problèmes qu'on prétend.

Le sénateur Munson : Qu'arriverait-il selon vous si le Parlement abrogeait l'article 43? Pensez-vous que ce serait le chaos et que les enfants se battraient entre eux? J'ai du mal à m'y retrouver dans votre analyse. Je ne veux pas perdre mon calme et me fâcher, mais je ne comprends pas. Certains d'entre nous ont grandi dans les années 1950 et ont vu ce qu'était le châtiment corporel. Nous avons vu, par exemple, dans ma province natale du Nouveau-Brunswick, un enseignant donner le martinet à un enfant. Un enfant d'un mauvais quartier recevait le martinet plus fort. Nous avons vu ce genre de choses.

Nous sommes en 2007. Il s'est écoulé beaucoup de temps, mais voici que nous tenons un débat car nous croyons encore qu'il est nécessaire de frapper, de toucher, d'utiliser une force raisonnable à l'endroit d'un enfant pour dire, « Maintenant tu comprends ». J'en suis troublé, car nous avons tellement d'autres outils, à mon avis. J'avoue bien honnêtement que j'ai un parti pris. C'est simple. Il existe d'autres moyens.

M. Quist : Il existe différentes façons.

Le sénateur Munson : Pourquoi défendez-vous autant l'expression « force raisonnable »? Il n'existe pas de telle chose selon moi. Ou bien on frappe un enfant ou bien on ne le frappe pas, peu importe la force avec laquelle on frappe.

M. Quist : Les tribunaux ne seront pas d'accord. Si vous lisez le jugement dans son intégralité, vous verrez que la Cour suprême du Canada a défini le principe. La cour fait une distinction entre un comportement violent et la force appliquée. L'étude de la Nouvelle-Zélande que j'ai mentionnée — et que vous recevrez quand elle aura été traduite — montre clairement que les chercheurs n'ont rien trouvé de négatif au sujet des enfants, presque 1 000 en fait, qui sont maintenant adultes et qui ont fait l'objet d'un suivi ces 30 dernières années. Il existe une foule de façons de discipliner les enfants dans différentes situations. Comme je l'ai déjà dit, la fessée n'est pas toujours la meilleure façon de faire la discipline. C'est une forme de discipline qui peut être utile dans certains cas, selon certains parents. En fait, selon 72 p. 100 des parents canadiens d'après le dernier sondage que j'ai vu.

Le sénateur Munson : Vous mentionnez la Nouvelle-Zélande; ce pays a adopté une loi dernièrement.

M. Quist : C'est exact.

Le sénateur Munson : Il y a des exemptions. Je voulais me faire une idée de votre philosophie. Je poserai peut-être d'autres questions plus tard.

Le sénateur Carstairs : Vous avez répondu au sénateur Munson que vous étiez la division des recherches d'Objectif famille Canada. Cet organisme distribue différents livres de James Dobson, fondateur et président international d'Objectif famille. J'aimerais savoir ce que vous pensez de certaines citations extraites de ses ouvrages.

Les enfants ont soif de pouvoir et de contrôle. Ils commencent à s'adonner sérieusement à des jeux de pouvoir entre 12 et 15 mois. À environ 15 mois, ils commencent à désobéir volontairement. Les tout-petits, avec leur innocence qui leur est propre, sont cruels, égoïstes, exigeants, rusés et destructeurs.

M. Dobson a aussi dit :

Le châtiment corporel n'est pas une solution de dernier recours. Aucune autre forme de discipline n'est aussi efficace que la fessée. On peut commencer à administrer des fessées légères à un enfant d'environ 15 mois. La douleur a un grand pouvoir de purification.

La fessée doit être donnée avec un objet neutre, une baguette, une palette ou une ceinture, rarement la main, qui sert à donner de l'amour, et si l'enfant pleure pendant plus de cinq minutes après le châtiment corporel, il faut recommencer.

Comment réagissez-vous à ce genre de déclarations?

M. Quist : M. Dobson est un psychologue réputé de l'UCLA. Il a écrit de nombreux livres au fil des ans, je ne sais trop combien, des dizaines et des dizaines, sur différentes questions qui touchent la famille et le mariage. Oui, il a aussi beaucoup écrit au sujet de l'exercice de la discipline chez les enfants.

Je crois qu'il a aussi écrit qu'il ne tient pas personnellement à ce que la fessée soit administrée autrement qu'avec une main. C'est une question de discernement. Au Canada, la Cour suprême a déclaré qu'on devait seulement se servir d'une main ouverte, rien d'autre n'est acceptable. Il nous faudrait donc respecter le jugement de la cours dans ce cas-ci.

Le sénateur Carstairs : Il est intéressant que vous parliez du jugement de la Cour suprême, car je vois différemment ce jugement. La Cour suprême a dû trancher à savoir si l'article 43 violait la Charte. Elle a déclaré que ce n'était pas le cas pour la simple raison que les enfants ne sont pas protégés aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle n'a pas eu d'autre choix que de rendre le jugement qu'elle a rendu. À mon avis, la cour a ensuite complètement changé son fusil d'épaule en tentant de contourner l'article 43, elle a donc établi ce paramètre. Il n'appartient pas à la cour de prendre des lois, cela est du ressort des parlementaires.

Selon tout ce que j'ai lu et tout ce que je lis sur la question depuis environ 40 ans, quand des enfants sont victimes de violence, l'intention au départ n'était pas de leur faire violence. Tout commence par une mesure disciplinaire qui peu à peu se transforme en violence. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Quist : Il existe aux échelles nationale et internationale des droits et des conventions auxquelles le Canada est partie. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant est souvent utilisée dans ce cas. On peut lire dans le préambule de la convention que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l'assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté.

D'autres déclarations sur les droits de la personne indiquent que personne ne doit faire l'objet d'ingérence arbitraire dans leur vie privée, leur résidence ou leur correspondance.

C'est une de ces questions émotionnelles, à savoir s'il est dans l'intérêt de la famille, de l'enfant, des parents ou de l'État de discuter de ces questions. Dans le domaine des sciences sociales, pour chaque sondage qui dit une chose, on trouve un autre sondage qui dit autre chose pour toute question donnée.

Comme je l'ai mentionné plus tôt dans ma présentation, un des problèmes se situe au niveau des définitions et de ce qu'elles englobent ou non. Il est devenu subjectif de la part des différents chercheurs qui comparent les résultats de différents sondages d'inclure ou non les comportements violents et les cas de fessées pour discipline. Nous devons comparer des pommes avec des pommes quand nous examinons ces différentes données.

Le sénateur Carstairs : Vous avez différencié la violence faite aux enfants et l'exercice de la discipline. Je ferai pour ma part la distinction entre la discipline physique à l'endroit des enfants et les autres formes de discipline. Les enfants, comme les adultes, ont besoin de discipline, mais je ne crois pas que les adultes et les enfants ont besoin d'être frappés. Comment selon vous est-ce acceptable qu'à l'article 43, qui s'appliquait aux déficients mentaux, aux prisonniers, aux jeunes aspirants de marine et aux apprentis, nous sommes prêts à protéger tous ces groupes, mais non les enfants?

M. Quist : Pouvez-vous me dire ce que vous entendez par « frapper »?

Le sénateur Carstairs : « Frapper », à mon avis, c'est toucher une autre personne en lui portant un ou plusieurs coups.

M. Quist : Avec quoi?

Le sénateur Carstairs : Avec n'importe quoi.

M. Quist : Pour faire du mal?

Le sénateur Carstairs : Pour n'importe quelle raison.

M. Quist : C'est là une des distinctions que je vois par rapport à la décision de la Cour suprême d'autoriser les parents à discipliner physiquement leurs enfants. Quand la discipline devient de la violence, ce n'est pas acceptable. La violence pure et simple à l'égard des enfants n'est pas acceptable, peu importe la forme qu'elle prend.

Le sénateur Carstairs : Pour conclure, je crois que frapper un enfant c'est lui faire violence.

Le sénateur Hubley : C'est un sujet émotionnel. J'ai tendance à être d'accord avec mes collègues, mais je m'interroge. Si on regarde où nous en sommes aujourd'hui et ce que nous nous fixons comme objectif pour demain, comment pouvons-nous donner aux gens les outils nécessaires pour discipliner les enfants? A-t-on besoin d'un volet éducatif?

J'aimerais aussi obtenir votre opinion sur les enfants qui ont différents troubles, comme le trouble déficitaire de l'attention. Ces enfants sont difficiles à élever. C'est un défi pour les parents et c'est également un problème auquel la société doit s'attaquer efficacement.

Quand nous parlons de discipline, nous devons penser aux enfants vulnérables dans notre société. Je reviens au volet éducatif. Comment, selon vous, pourrions-nous faire connaître les façons acceptables de discipliner les enfants?

M. Quist : Il existe diverses façons. Cela ne relève pas directement du gouvernement du Canada, mais le gouvernement du Canada devrait appuyer les programmes parentaux au pays, qu'il s'agisse ou non de programmes financés qui sont administrés par les provinces ou les municipalités. Il existe différentes façons d'y arriver et je vous donnerai un exemple.

M. Tim Kimmel, conférencier invité d'Objectif famille, a sillonné le Canada ces six derniers mois. Il s'est adressé à plus de 10 000 personnes dans 13 villes; le plus petit rassemblement comptait environ 500 participants et le plus gros, un peu plus de mille. Cette question a amené les participants à se demander : comment trouver la force dans nos familles? Comment élever nos enfants et nos adolescents, que nous soyons nouvellement parents ou parents de longue date ayant plusieurs enfants? M. Kimmel a proposé des idées et des options.

Il est important d'appuyer les parents au moyen de congés de maternité et de paternité, de manière à ce que les mères, les pères ou les deux puissent être à la maison avec leurs enfants, surtout quand ils sont très jeunes. Beaucoup de pays, surtout en Europe, appuient ainsi les parents qui fondent une famille pour qu'ils puissent être avec leurs enfants et les élever dans le milieu nourrissant qu'ils souhaitent généralement leur donner.

Les enfants vulnérables, ceux qui souffrent du trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité et tous les enfants qui ont des besoins spéciaux, ont besoin d'attention particulière. Nous devons donner aux mères et aux pères du répit dans ces situations difficiles.

J'ai eu beaucoup de chance dans ma vie familiale. Bien des gens parlent de normalité, mais je ne sais pas comment on peut définir la normalité. Mes enfants n'ont pas eu à surmonter ces difficultés; ma femme et moi n'avons donc pas eu à nous en soucier. Cependant, je connais des gens qui ont ces problèmes et ils ont besoin de toute l'aide et de toute l'attention qu'ils peuvent obtenir. Les soins de répit sont une option.

Le sénateur Hubley : De nos jours, il faut plus qu'une mère et un père pour élever un enfant. Nous devons commencer avec les droits de l'enfant et nous devons être fermes à cet égard, car il n'y a pas que les mères et les pères, il y a la collectivité, les animateurs de pastorale, le dépanneur du coin et les gens que ces enfants rencontrent dont nous devons tenir compte.

M. Quist : Les gens avec qui les enfants interagissent quotidiennement sont habituellement leur mère, leur père, un parent adoptif, un parent d'accueil ou même un grand-parent. Ce cercle s'élargit. Nous devons commencer quelque part. Appuyer les parents, leur donner les outils nécessaires pour élever leurs enfants et alléger les contraintes de temps et les tensions financières qui pèsent sur eux sont des mesures qui contribueront pour beaucoup à aider les parents.

Le sénateur Dallaire : Nous sommes des protagonistes du changement social. Je viens d'une famille où la violence physique était la norme et j'ai été formé dans un système scolaire où la violence physique était également la norme. Si j'écrivais de la main gauche, les frères me donnaient un coup de règle, car Dieu ne voulait pas que j'écrive de la main gauche. Je devais écrire de la main droite.

Nous avons évolué en fixant les paramètres du changement social. En bout de ligne, nous établissons des normes préconisant le respect de tous les êtres humains.

Ne pensez-vous pas qu'en éliminant l'option in extremis, ce vers quoi l'on tend, on forcerait les gens qui s'occupent des enfants à se tourner vers d'autres options qui nous sortiraient du nivellement vers le bas? Autrement dit, la société dans son ensemble chercherait d'autres options et délaisserait les options physiques. Ne pensez-vous pas que c'est possible? Sinon, pensez-vous, compte tenu de la nature des enfants et de la charge émotive en cause, qu'il faille revenir, dans un contexte évolutionnaire, à l'utilisation de la force physique?

M. Quist : Le changement social se produit lentement. Le 1er juillet l'an dernier, le Canada a réduit la TPS de 1 p. 100. Si j'avais acheté une machine à laver le lendemain, j'aurais immédiatement épargné 30 ou 40 $, quel que soit le montant. Quand nous apportons des changements à la politique sociale, il faut parfois des générations avant de voir les résultats. Il faut parfois des années avant de voir pleinement tous les résultats.

Nous pouvons profiter de l'expérience de nombreux pays qui se sont engagés dans cette voie. Dans le cas de la Suède, les chiffres ne disent pas tout ce que certains ont présenté jusqu'ici. En fait, les statistiques de 1979 à nos jours pointent vers une hausse de la violence entre les jeunes. Nous devons comprendre pourquoi. Est-ce lié à l'interdiction de la fessée en 1979? Est-ce un élément du problème ou y a-t-il autre chose? En tout respect pour le sénateur Munson, je ne sais pas et je ne crois pas que personne d'entre nous ne le sait. Par conséquent, je crois que nous ne devrions pas nous précipiter trop rapidement dans une direction ou l'autre avant de mieux comprendre ce problème.

Le sénateur Dallaire : Croyez-vous que le gouvernement doit être proactif et qu'il doit promouvoir le changement dans la société, au lieu d'être régressif et conservateur et d'empêcher la société de passer à un plus haut niveau de respect humain et d'interaction humaine?

M. Quist : Je crois que le gouvernement est responsable sur différents plans, notamment celui des valeurs de la société. Selon le dernier sondage que j'ai vu, 72 p. 100 des Canadiens souhaitent encore que la fessée soit au nombre des options dont les familles disposent, même s'ils sont beaucoup moins nombreux à utiliser la fessée comme mesure de discipline au sein de leur famille. Ils ne veulent toutefois pas perdre ce droit à ce moment-ci.

Le sénateur Dallaire : Je terminerai en disant que 87 p. 100 des Canadiens ne voulaient pas que les femmes aillent au combat. Cependant, les femmes vont maintenant se battre, elles meurent et elles assument pleinement leur responsabilité de citoyennes. La société s'adapte à cette décision du gouvernement. Par conséquent, je soutiens qu'il nous incombe de faire changer les choses de façon responsable et de ne pas attendre nécessairement que la société change.

M. Quist : Je tente de vous transmettre de l'information pour votre débat. Je ne vote pas, mais vous si. Il s'agit d'un autre volet du débat dont vous devez être conscients dans vos discussions.

Le sénateur Dawson : Pensez-vous vraiment que vous avez bénéficié d'une réduction de TPS de 1 p. 100 le lendemain de l'entrée en vigueur de cette mesure? Si c'est le cas, vous devez croire au Père Noël. Toutefois, la réalité, comme vous l'avez mentionné — et je ne veux pas être trop partisan — c'est que la TPS a été réduite de 1 p. 100 et j'en ai profité aujourd'hui. Premièrement, ce n'est pas ainsi que fonctionne l'économie et ce n'est pas ainsi que fonctionnent la vraie politique ou les gouvernements.

Au début des années 1970, j'ai été conseiller scolaire au sein de la commission des écoles catholiques du Québec. J'ai ensuite assumé la présidence de la commission scolaire. Mon prédécesseur avait été nommé conjointement par l'église et par le gouvernement du premier ministre Maurice Duplessis. Je peux très bien imaginer les coups que mon collègue, le sénateur Dallaire, a reçus, car j'en ai moi même reçus. J'écrivais mal de la main gauche et j'écris maintenant encore plus mal de la main droite, parce que la commission scolaire catholique du Québec a permis qu'on me donne des coups sur la main gauche à volonté. Les choses ont évolué. Je conviens qu'il faut du temps pour progresser, ça ne se fait pas du jour au lendemain, croyez-moi. Nous ne bénéficions pas d'une réduction le lendemain.

Ce débat contribue au progrès, car les gens réalisent que toutes les formes de violence sont mauvaises, peu importe comment on les autorise. Bien sûr, nous espérons que les gens feront preuve de modération, mais s'ils ont la permission ils ne sauront pas nécessairement où s'arrêter. Voilà où se situe notre responsabilité dans ce débat.

Pensez-vous vraiment que si nous laissons les choses ainsi, les gens feront preuve de retenue, malgré la violence que nous avons vue? Pour se défendre, ils disent : « J'ai le droit d'agir ainsi, il existe un article qui m'y autorise. » Si nous abrogeons cet article, j'espère que les gens hésiteront à recourir à la violence sous n'importe quelle de ses formes.

M. Quist : Nous revenons aux définitions, n'est-ce pas? Mon exemple du 1 p. 100 n'était peut-être pas le meilleur. Je voulais montrer que la plupart des politiques économiques se font sentir beaucoup plus rapidement que les changements sociaux. Les deux prennent du temps. Il faut toutefois beaucoup plus de temps pour voir les résultats, positifs ou négatifs, des politiques sociales.

Si je comprends bien ce que la Cour suprême a dit, en me basant sur ce que d'autres ont déclaré à la cour, et je ne suis pas un avocat, il me semble qu'on a déjà restreint la violence. L'article 43 porte sur l'exercice de la discipline des enfants et définit ce qui est acceptable ou non.

La présidente : Monsieur Quist, le temps prévu est maintenant écoulé. Je vous remercie d'être venu et, comme vous l'avez si bien dit, nous devons entendre les différents points de vue des Canadiens. Je vous suis reconnaissante de votre apport raisonné à notre débat visant à déterminer ce qui serait dans le meilleur intérêt des enfants, des parents et des Canadiens.

Les prochains témoins représentent le ministère de la Justice. Comme vous le savez, nous étudions un projet de loi d'initiative parlementaire. Le ministère est donc ici pour répondre à vos questions et pour donner son point de vue. Il ne s'agit pas de la position du gouvernement, c'est une analyse du ministère de la Justice de la situation actuelle ou des interprétations juridiques.

Nous accueillons Elissa Lieff, avocate générale principale, Section de la famille, des enfants et adolescents, ainsi que Gillian Blackell, avocate-conseil, Unité de la politique du droit de l'enfant et de la violence familiale.

Je crois comprendre que nous entendrons une brève déclaration et nous passerons ensuite aux questions.

[Français]

Gillian Blackell, avocate-conseil, ministère de la Justice Canada : Merci de votre invitation à venir témoigner au sujet des conséquences juridiques du projet de loi S-207. J'espère ainsi pouvoir aider les membres du comité dans leur étude du projet de loi, qui prévoit l'abrogation d'un moyen de défense prévu au Code criminel.

J'aimerais profiter de l'occasion pour féliciter le comité pour la publication du rapport Les enfants, des citoyens sans voix. Je comprends que dans le cadre de la préparation du rapport, vous avez entendu plusieurs témoins, qui ont apporté leurs diverses perspectives sur cet important sujet.

[Traduction]

Beaucoup de personnes et d'organisations dévouées ont témoigné devant le comité, tant en ce qui concerne le rapport du comité que le projet de loi S-207 et le projet de loi S-21 qui l'a précédé. Je vous ferai une évaluation juridique technique de l'article 43 du Code criminel aux fins de votre étude du projet de loi S-207. Cette évaluation pourrait venir ébranler quelques déclarations que certains témoins ont faites. Nous ne voulons pas là critiquer de quelque façon que ce soit les motifs ou les objectifs ultimes des témoins, mais bien nous assurer que le comité comprenne la position du ministère de la Justice pour ce qui est des implications juridiques possibles du projet de loi S- 207.

[Français]

Ma collègue, Carole Morency, s'est déjà adressée à vous, le 16 juin 2005, relativement au projet de loi S-21, déposé lors de la précédente législature.

Lors de son témoignage, elle s'est référée à de nombreuses initiatives entreprises par le ministère de la Justice. En conclusion de ma présentation, j'aimerais vous informer du développement de ces diverses initiatives.

[Traduction]

Au risque de répéter ce que vous avez déjà entendu, je vous propose, si vous le voulez bien, de vous parler brièvement de l'infraction de voies de fait en droit pénal canadien, du but et de la portée de l'article 43, de la décision de principe que la Cour suprême a rendue sur cet article, des mesures de protection que prévoient les lois provinciales et territoriales en matière de protection de l'enfance et des conséquences potentielles de l'abrogation de l'article 43.

Pour évaluer le but et la portée de l'article 43, il important, dans un premier temps, d'examiner la nature et la portée des voies de fait en droit canadien. Le Code criminel définit les voies de fait comme l'emploi de la force, d'une manière intentionnelle, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement. On peut considérer qu'il y a voie de fait même en l'absence de contact physique entre la victime et l'accusé. Lancer un objet à une autre personne peut constituer une voie de fait si l'autre n'avait pas donné son consentement. Cela peut s'appliquer à tous les objets qu'on ne considère pas dangereux normalement, un oreiller ou un animal en peluche par exemple. De plus, verser un verre d'eau sur quelqu'un, sans son consentement, peut être considéré comme une voie de fait.

Tenter d'employer la force, qu'il y ait contact ou non, peut aussi constituer une voie de fait aux termes de la définition établie à l'article 265 du Code criminel. De plus, menacer par un acte ou un geste d'employer la force contre une autre personne, donc l'amener à croire qu'on lui fera du mal, peut aussi constituer une voie de fait.

Les voies de fait sont définies de manière très large et, par conséquent, tombent dans différentes catégories qui vont de relativement mineures à graves. Elles sont réparties en trois catégories : les voies de fait simples, qui peuvent comprendre un contact non souhaité, une tape sur l'épaule par exemple; l'agression armée ou infliction de lésions corporelles, qui se distingue des voies de fait mineures par la présence de blessures; les voies de fait graves, lesquelles peuvent causer des blessures et des mutilations.

En ce qui concerne les éléments des voies de fait, comme dans le cas de toutes les infractions criminelles, les éléments de base sont l'acte interdit ou l'omission, c'est-à-dire l'actus reus, et l'élément de faute, le mens rea. J'ai déjà décrit brièvement la série d'actes qui peuvent être considérés comme des voies de fait. En ce qui concerne le mens rea, l'accusé doit avoir l'intention d'employer la force. Par conséquent, on ne peut dire qu'il y a eu voie de fait quand une personne a été touchée accidentellement, quand une personne se bute accidentellement contre une autre, par exemple, ou qu'une personne surprise réagit par réflexe.

Un autre élément des voies de fait est l'absence de consentement de la part du plaignant. Le consentement doit être libre et informé. Il est possible dans certaines circonstances d'obtenir le consentement relativement à une voie de fait, par exemple dans le cas d'un combat consensuel ou du consentement à un certain degré de contact physique dans les sports d'équipe.

Je profite de l'occasion pour réagir brièvement à un commentaire qu'un témoin a fait la semaine dernière selon lequel le consentement de l'enfant était implicite quand on employait une force pour assurer sa sécurité. Quand un parent secoue gentiment un enfant pour le réveiller le matin, le parent n'a aucune raison de croire que l'enfant ne consent pas à ce contact et, à ce moment-là, le consentement peut être implicite. Cependant, quand l'enfant repousse le parent et déclare « Laisse-moi tranquille » tout autre contact serait une voie de fait.

Enfin, en ce qui concerne la force devant être employée pour qu'on parle d'une voie de fait, la jurisprudence nous apprend qu'il peut y avoir voie de fait en cas de contact non consensuel, même si l'accusé n'applique aucune force ou n'exerce aucun pouvoir lorsqu'il touche le plaignant. Il importe de garder cela à l'esprit, car pour avoir une voie de fait, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un préjudice concret.

Je reviens maintenant à l'article 43 du Code criminel. Cet article vise à protéger une catégorie limitée de personnes contre toute responsabilité criminelle, à savoir les personnes responsables de veiller aux besoins des enfants, de les protéger et de les éduquer. Cet article se fonde sur la prémisse que les parents sont responsables d'élever leurs enfants et, ce faisant, ils sont tenus de les orienter, de les superviser et de les éduquer. Ils sont responsables en bout de ligne d'enseigner à leurs enfants le contrôle de soi et la capacité de différencier le bien du mal.

Ce principe existe aussi en matière de responsabilité civile. Un parent peut être responsable du fait d'autrui aux termes du droit de la responsabilité délictuelle pour les actions d'un enfant mineur dont il a la garde, si cet enfant endommage la propriété d'autrui, par exemple. Le parent peut devoir porter cette responsabilité s'il n'exerce pas une supervision et un contrôle raisonnables à l'endroit de son enfant qui a intentionnellement causé des dommages à un tiers.

Les parents appliquent régulièrement une force non consensuelle dans l'éducation de leurs enfants, que ce soit pour mettre au lit un enfant qui rechigne, lui mettre des bottes d'hiver alors qu'il aurait voulu porter des sandales dans la neige — je parle d'expérience. L'article 43 protège donc les parents contre toute responsabilité criminelle lorsqu'ils emploient une force raisonnable pour retenir ou contrôler leurs enfants ou pour exprimer leur désaccord à l'endroit d'un comportement précis.

L'article 43, comme moyen de défense, ne s'applique que lorsque les éléments suivants ont été respectés. Premièrement, il s'applique seulement aux parents, aux personnes qui agissent en leur nom et aux enseignants. Deuxièmement, il s'applique seulement aux actes commis pour corriger, discipliner ou guider. Troisièmement, l'enfant ou l'élève qu'on corrige doit être sous la garde du parent ou de l'enseignant. Enfin, la force doit être raisonnable dans les circonstances. Le dernier critère est critique, et la Cour suprême du Canada a fourni des lignes directrices claires quant à sa signification. En gros, le parent est responsable de montrer à son enfant l'autodiscipline.

Les opinions divergent, comme vous le savez, à savoir si la discipline physique légère ou la fessée est un moyen indiqué ou efficace pour enseigner l'autodiscipline aux enfants. Ce n'est pas la question que je souhaite aborder aujourd'hui. Des douzaines de volumes de témoignages d'experts ont été fourni à ce sujet par la Cour supérieure de justice de l'Ontario relativement à l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Le procureur général du Canada. Comme le juge McCombs l'a signalé, les experts s'entendent pour dire que tous les cas de discipline physique exercée par un parent n'ont pas à être criminalisés. Plusieurs sont d'avis que l'objectif désirable qu'est le changement des attitudes sociétales concernant la discipline des enfants serait mieux servi par des mesures éducatives que par l'utilisation de sanctions criminelles pour condamner les punitions physiques non abusives. Les experts conviennent qu'étendre la portée du droit pénal de cette façon aurait un impact sur les familles et minerait les efforts déployés par les parents et les enseignants pour s'occuper pleinement des enfants.

La Cour suprême du Canada a avalisé cette analyse lorsqu'elle a confirmé la constitutionalité de l'article 43 en déclarant qu'il représente un équilibre raisonnable entre la Charte, les intérêts des enfants, les parents et la société canadienne. Contrairement à ce que certains déclarent, la Cour suprême du Canada a défini ce qui est raisonnable aux fins de l'article 43. Elle a clairement indiqué que le critère est objectif et que l'article 43 ne s'applique qu'à une force corrective mineure de nature transitoire ou insignifiante. La question doit être examinée dans le contexte et à la lumière de toutes les circonstances de l'affaire, mais la cour a indiqué que la gravité de l'affaire immédiate n'est pas pertinente.

La Cour suprême du Canada, comme vous le savez très bien, a aussi soutenu que les enseignants ne pouvaient invoquer cette défense, sauf pour l'utilisation d'une force raisonnable pour retenir ou expulser un enfant de la salle de classe. Je signale ici qu'en indiquant que les enseignants peuvent seulement bénéficier de la protection accordée par l'article 43 que dans les cas où ils exercent une force raisonnable pour retenir un enfant ou maintenir l'ordre dans la salle de classe, non pour imposer des punitions, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont, en quelque sorte, défini deux sphères de protection que l'article 43 offre aux parents en particulier, une pour ce qui est de la retenue et du contrôle pour assurer le respect des obligations quotidiennes et l'autre pour exprimer son désaccord par rapport au comportement de l'enfant.

De plus, la Cour suprême du Canada a présenté des lignes directrices utiles et équilibrées qui définissent la sphère limitée de protection qu'offre l'article 43 aux parents. À mon humble avis, ces lignes directrices sont beaucoup plus précises que les moyens de défense de common law qui selon certains témoins peuvent combler l'écart après l'abrogation possible de l'article 43. Je parlerai de ces défenses dans un instant.

Il suffit de dire au sujet des lignes directrices dont la présidence a parlé avec le témoin précédent que toute force corrective qui excède les limites établies par la Cour suprême est considérée non raisonnable et la protection de l'article 43 ne peut alors s'appliquer. Par ailleurs, toute mesure de correction faisant en sorte que l'enfant a besoin de protection fera l'objet d'une intervention de l'État.

Mon quatrième point porte sur la protection des enfants dans les provinces et territoires, parce qu'en plus de la protection qu'offre le droit pénal, les provinces et les territoires ont des lois sur la protection de l'enfance qui permettent à l'État d'intervenir pour protéger les enfants contre la violence et la négligence.

Pour justifier l'abrogation de l'article 43, certains ont invoqué la distinction entre la portée des sanctions pénales pour protéger les enfants contre les voies de fait et les recours civils disponibles aux termes des mesures législatives de protection de l'enfance.

On allègue qu'en ne criminalisant pas l'utilisation d'une force corrective mineure, transitoire et insignifiante, le Code criminel est incompatible avec les lois sur la protection de l'enfance et envoie le mauvais message aux parents.

Outre le fait que la protection de l'enfance est de compétence provinciale et le droit pénal relève du gouvernement fédéral, un certain nombre de distinctions entre ces deux sphères méritent d'être signalées. Tout d'abord, l'étendue de la protection aux termes de la législation sur la protection de l'enfance diffère des activités sanctionnées aux termes du Code criminel. Par exemple, les autorités chargées du bien-être des enfants peuvent intervenir dans les cas où il y a risque de torts physiques ou dans les cas de torts émotionnels et de négligence. Dans la majeure partie des cas, les infractions criminelles contre la personne sont limitées à des actes ou des omissions qui causent des torts physiques réels ou constituent des menaces.

Deuxièmement, la législation sur la protection de l'enfance est centrée sur les meilleurs intérêts des enfants, il s'agit de la considération première. Le droit criminel, quant à lui, vise à protéger le grand public.

Troisièmement, les conséquences du non-respect de la législation de la protection de l'enfance diffèrent des conséquences des violations du droit criminel. La législation de la protection de l'enfance prévoit un vaste éventail de recours qui visent à protéger les enfants, notamment les ordonnances de protection, les placements et le counseling et les services d'éducation des parents pour bien guider ces derniers.

Le droit criminel, par contre, est l'expression de la désapprobation de la société et il comporte des sanctions punitives, y compris des peines d'emprisonnement et un stigma social négatif. Un dossier criminel peut avoir une incidence dévastatrice sur une personne. Le droit criminel est l'outil le plus percutant et le plus sévère dont nous disposons.

La norme de preuve applicable à la législation sur la protection de l'enfance est la norme civile, à savoir la prépondérance des probabilités, tandis que la norme applicable au contexte pénal est fondée sur le doute raisonnable. Par conséquent, l'État peut intervenir à un seuil moins élevé dans les cas de protection des enfants, quand il y a plus de 50 p. 100 des chances qu'un enfant ait besoin de protection, que s'il intervient aux termes du Code criminel.

J'insiste sur ces différences pour signaler qu'il n'est ni nécessaire ni souhaitable que nous cherchions à appliquer les mêmes normes dans le domaine du droit criminel et dans le domaine de la protection de l'enfance. Un responsable de la protection de l'enfance peut intervenir en appliquant un seuil moins élevé dans le cas d'actes ou d'omissions qui ne constituent pas nécessairement une infraction criminelle.

Je soulève aussi la question de la législation de protection de l'enfance, car en examinant le témoignage du sénateur Hervieux-Payette, j'ai l'impression que le projet de loi S-207 n'a pas pour but d'accroître la responsabilité criminelle des parents, mais d'améliorer l'éducation des parents et les interventions en matière de protection de l'enfance. Ces objectifs sont très louables. Cependant, l'éducation parentale relève principalement des provinces et des territoires, et la législation sur la protection de l'enfance, quant à elle, est entièrement couverte dans les attributions provinciales- territoriales aux termes de la Constitution.

Modifier le Code criminel à des fins d'éducation publique n'est pas sans risque. Éliminer les moyens de défense prévus par la loi implique l'élimination de droits dans un contexte pénal. Cela ne doit pas être pris à la légère. Les conséquences négatives potentielles sur les Canadiens doivent être évaluées pleinement, surtout étant donné que les sanctions et le stigma social négatif associé aux poursuites criminelles représentent un fardeau important pour l'accusé.

J'arrive donc au cinquième point : l'impact potentiel de l'abrogation de l'article 43. Personne ne peut prévoir l'impact précis de l'abrogation de la défense prévue à l'article 43. Nous ne savons pas, par exemple, combien de parents ou d'enseignants pourraient être accusés de voies de fait en l'absence de cet article. Nous ne savons pas non plus combien d'entre eux pourraient être trouvés coupables d'un comportement qui se trouve exclu actuellement en vertu de cet article.

Nous savons, cependant, que si l'article 43 était simplement abrogé, toute force non consensuelle employée par un parent ou un enseignant à l'endroit d'un enfant ou d'un élève pourrait constituer une voie de fait, étant donné la définition très large aux termes du Code criminel. Il n'y aurait plus de défense prévue par la loi dans le cas d'accusations criminelles portées quand la force corrective employée est mineure, transitoire ou insignifiante. Les parents qui assoient un enfant récalcitrant dans un siège d'automobile ou qui conduise un enfant à sa chambre pour réfléchir appliquent une force non consensuelle et pourraient être reconnus coupables d'une voie de fait simple.

Si le projet de loi S-207 est adopté, il pourrait nuire aux parents responsables et bien intentionnés qui s'efforcent d'élever leurs enfants d'une façon responsable et aimante. Il pourrait imposer un fardeau additionnel aux policiers qui auraient à porter des accusations dans plus de cas, particulièrement en l'absence des lignes directrices fournies par la Cour suprême du Canada.

Le droit pénal et les lois provinciales et territoriales sur la protection de l'enfance protègent déjà les enfants contre la violence et l'abrogation de l'article 43 pourrait simplement exposer les parents à assumer une responsabilité criminelle.

Ce qui importe de se demander quand on examine l'article 43 du Code criminel, ce n'est pas si nous croyons dans l'efficacité de la discipline physique légère, mais bien si nous devrions appliquer le droit criminel, notre outil le plus puissant, dans toute sa force contre les parents qui tentent d'élever leurs enfants pour en faire des membres responsables de notre société.

On dit souvent que les parents qui font face à des accusations criminelles auront recours à la défense de nécessité et de minimis. L'application de ces deux moyens de défense de common law comme solution de rechange à l'article 43 a été rejetée par la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans le jugement de la Canadian Foundation.

La Cour suprême du Canada, dans les jugements Perka et Latimer, a aussi reconnu que la défense de nécessité ne s'applique qu'en cas de risque imminent, lorsque la mesure est prise pour échapper à un danger direct et immédiat. De plus l'acte doit être inévitable et il ne doit exister aucune solution de rechange raisonnable qui ne soit pas entachée d'illégalité, par exemple, quand un enfant risque de poser la main sur une cuisinière brûlante ou de traverser une rue passante en courant.

La défense de nécessité ne pourrait donc pas s'appliquer dans le cas d'un parent qui place un enfant qui hurle dans un siège d'auto quand le parent est trop pressé pour attendre que l'enfant consente à s'asseoir dans le siège.

La défense fondée sur le principe de minimis protège toute personne d'être condamnée lorsque les circonstances de l'accusation qui pèse contre elle sont si insignifiantes que le droit ne devrait pas en tenir compte. La défense de minimis n'existe tout simplement pas dans aucun degré de stabilité en common law dans le contexte pénal. Bien que les tribunaux l'acceptent, cette défense semble s'appliquer uniquement dans des affaires mineures extrêmement banales et elle ne couvrirait pas une grande partie de ce que l'article 43 vise à protéger.

Compter sur la défense de minimis pourrait brouiller davantage la loi en ce qui concerne la discipline des enfants, car les éléments de défense, quand ils sont acceptés, demeurent incertains en droit pénal canadien.

En juin 2005, ma collègue, Carole Morency, a signalé que nous surveillions la jurisprudence à cet égard. À ce jour, nous avons relevé 34 cas depuis le jugement de la Cour suprême du Canada en janvier 2004. Dans 10 des 34 causes, il y a eu un verdict de non-culpabilité pour toutes les accusations portées. Cinq de ces cas mettaient en cause des parents, quatre autres des enseignants et le dernier concernait une personne qui prenait la place d'un parent. L'article 43 a été invoqué dans ces 34 causes, mais la crédibilité et la preuve ont aussi joué un rôle dans plusieurs des verdicts de non- culpabilité.

Je fournirai à la présidence la liste complète de ces 34 causes.

Ma collègue a aussi soulevé la question de l'éducation juridique de la population et le ministère de la Justice a financé ou appuyé concrètement de nombreux projets d'éducation juridique au fil des ans. Vous en connaissez déjà peut-être certains. J'en porterai quelques-uns à votre attention.

Pourquoi faut-il éviter de donner la fessée? est une brochure produite par le ministère de la Justice et Santé Canada. On y trouve des conseils utiles sur des méthodes de discipline non physique efficaces à appliquer aux enfants ainsi que des renseignements sur des questions de comportement et le développement des enfants d'âge préscolaire. Cette brochure a d'abord été distribuée aux facilitateurs et aux coordonnateurs du programme Y'a personne de parfait. On peut maintenant se la procurer sur demande auprès du Centre national d'information sur la violence dans la famille. On a aussi distribué cette brochure à l'échelle du pays par l'entremise des conseillers régionaux de Santé Canada et des 102 centres de la petite enfance de l'Ontario.

Le CHEO et la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada ont été les premiers organismes qui ont été avisés de l'existence de cette brochure.

Actuellement, cette brochure est surtout distribuée par l'entremise du Centre national d'information sur la violence dans la famille et ce dernier en a fait la promotion de différentes façons, dans des conférences et au moyen de courriels.

Plus de 50 p. 100 des clients du centre sont des fournisseurs de services sociaux et de santé qui, à leur tour, distribuent souvent à leurs clients le matériel qu'ils obtiennent gratuitement. On peut supposer sans risque de se tromper que ce matériel est remis en grande partie à de nouveaux parents par l'entremise des fournisseurs de services au niveau provincial.

Justice Canada a aussi inauguré un site Web pour informer les enfants et les jeunes au sujet de la violence familiale. Il s'agit d'un site interactif conçu pour les enfants de 10 à 12 ans et un site parallèle s'adresse aux enfants de 13 à 15 ans. Nous produisons des cartes postales promotionnelles à des fins de distribution. Je fournirai également ces cartes au comité.

J'ai parlé un peu plus tôt de Y'a personne de parfait, un programme d'éducation et de soutien à l'intention des parents qui ont des enfants de moins de 5 ans, qui sont chefs de famille monoparentale, jeunes, isolés socialement ou géographiquement, qui sont peu scolarisés ou ont un faible revenu.

Justice Canada a financé la brochure « Les sentiments » qui constitue un guide pour permettre aux parents de trouver des moyens différents de faire face aux réactions émotionnelles de leurs enfants dans différentes situations de leur vie quotidienne. Je remettrai également cette brochure au greffier. J'ai avec moi des copies des versions française et anglaise.

Par l'entremise du Fonds du droit de la famille axé sur l'enfant, Justice Canada finance de nombreux programmes parentaux dans les provinces et les territoires. Un programme a été financé dernièrement par le biais du Service public d'éducation et d'information juridiques du Nouveau-Brunswick. Ce service a inauguré un nouveau programme à l'intention des jeunes parents. Le document contient des renseignements sur la discipline ainsi que de l'information pour les jeunes parents. Il a été utilisé dans des ateliers à l'échelle de la province aussi.

Le Service public d'éducation et d'information juridiques du Nouveau-Brunswick a aussi produit une brochure sur la fessée et la discipline des enfants. Cette brochure résume en langage relativement clair sa contestation de la décision de la Cour suprême du Canada sur l'article 43. On peut se procurer ce document sur le site web de l'Initiative de lutte contre la violence familiale de Justice Canada, en utilisant le lien pertinent.

Vous pouvez vous procurer d'autres ressources auprès du Centre national d'intervention sur la violence dans la famille. J'ai apporté des exemplaires de ces documents ainsi qu'un catalogue des publications pour la présidente du comité. Je ne parcourrai pas toute la liste aujourd'hui, faute de temps.

Pour conclure, nous comprenons que la question de la correction des enfants peut être controversée. Cependant, il est possible dans une société démocratique d'avoir un éventail de points de vue et d'approches en matière d'éducation des enfants, dans la mesure où les enfants sont protégés contre la violence et la négligence. Le cadre juridique actuel fournit une telle protection aux enfants et, parallèlement, il ne mine pas excessivement les parents dans leur rôle important qu'est l'éducation des enfants. Merci de nous avoir donné la chance de parler avec vous aujourd'hui de ce dossier important. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : J'ai une question et je me réserve ensuite le droit de revenir à la charge sur des points juridiques. Je suis contente que le sénateur Jaffer soit ici pour m'aider avec les aspects légaux.

Nous avons déclaré dans un rapport que le châtiment corporel allait à l'encontre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. C'est à la fois notre postulat et notre conclusion qui ont entraîné la recommandation d'abroger l'article 43. Nous avons essentiellement demandé au ministère de la Justice d'examiner la question des moyens de défense. Après tous les témoignages que j'ai entendus, je vous pose la question suivante. Si on conserve l'article 43, mais qu'on remplace « pour corriger » par « pour retenir raisonnablement », éliminerions-nous la capacité, malgré le jugement de la Cour suprême, d'infliger un châtiment corporel tout en conservant la notion que les parents et les responsables doivent pouvoir utiliser des moyens de retenue raisonnables sans employer plus de force que nécessaire? Ce serait un moyen de défense clair en faveur de la retenue qui abolirait le châtiment corporel. Interprétez- vous différemment l'expression « pour corriger »? Avez-vous envisagé cette possibilité ou est-ce que cela vous prend par surprise?

Mme Blackell : Cela mérite qu'on s'y arrête.

Malheureusement, comme le sénateur le sait probablement, je donne des avis juridiques au ministre de la Justice. Je ne peux donc pas donner d'avis juridique concernant cette proposition.

La présidente : Je comprends. Vous basez-vous totalement sur l'expression « corriger » qui figure à l'article 43, comme la Cour suprême l'a indiqué dans l'affaire Canadian Foundation for Children, Youth and Law c. Le procureur général du Canada?

Mme Blackell : Je ne suis pas certaine de comprendre la question.

La présidente : On a laissé entendre qu'une « correction » était plus qu'un châtiment corporel. Est-ce exact? Pensez- vous plutôt qu'à l'article 43, « châtiment corporel » et « correction » ont la même valeur?

Mme Blackell : La Cour suprême a identifié une application précise de l'article 43 pour les enseignants. Ce faisant, elle a dit que les enseignants pouvaient invoquer l'article 43 seulement pour retenir ou maintenir l'ordre dans la salle de classe, mais non pour infliger un châtiment corporel.

La présidente : C'est là où je veux en venir. L'article 43 vise-t-il uniquement le châtiment corporel ou sa portée dépasse-t-elle le châtiment corporel pour comprendre des concepts comme la retenue?

Elissa Lieff, avocate générale principale, ministère de la Justice : Je ne sais trop si notre position nous permet de fournir une interprétation, madame le sénateur. Nous comprenons ce que vous dites. Nous sommes dans une position où nous nous guidons sur les principes établis par la Cour suprême du Canada pour interpréter l'article. Je comprends votre question et je dirais que c'est quelque chose à envisager, mais je ne sais pas si nous pouvons vous donner une réponse directe.

Le sénateur Munson : Je crois rêver. Vous êtes ici pour défendre l'article 43, mais vous produisez toutes ces publications qui expliquent pourquoi la fessée est inefficace. Selon l'Agence de santé publique du Canada, nous ne devrions jamais donner la fessée car ça ne fonctionne tout simplement pas — ni pour l'enfant ni pour le parent. L'Agence poursuit en décrivant ce que nous devrions faire dans un programme d'éducation.

Je ne comprends pas. Vous êtes ici et vous défendez ce que vous devez défendre parce que vous représentez votre ministère et que la Cour suprême s'est prononcée. Cependant, le gouvernement du Canada publie ces documents qui disent aux gens de ne pas le faire, car ça ne marche pas.

Vous avez dit que le Code criminel avait pour but de protéger le public, pas les enfants. Pourquoi le public doit-il être protégé? Pourquoi les parents ont-ils besoin de la protection de l'article 43? Il les protège contre quoi? La common law prévoit des moyens de défense en cas d'infractions frivoles ou minimes. Je trouve malheureux que nous ayons ce débat.

Mme Lieff : Si je me souviens de vos observations dans l'ordre, monsieur le sénateur, je dirai premièrement que nous sommes ici pour donner une interprétation juridique, il ne nous appartient pas dans ces circonstances de défendre ou de ne pas défendre quoi que ce soit. Nous sommes ici pour donner au comité une interprétation de l'article 43 à la lumière du jugement de la Cour suprême du Canada.

C'était votre premier point. En ce qui concerne les publications des différents ministères, dont Justice Canada, nous estimons qu'il est important de sensibiliser la population et c'est la voie à suivre dans le meilleur des mondes. Nous appuyons cela. Nous participons à ces travaux avec nos collègues des autres ministères à l'échelle du pays dans nos liens avec les autres ministères. Comme vous le savez, nous sommes le ministère de la Justice, alors nous tentons de diffuser cette information à l'aide de nos réseaux. Nous n'avons pas de contacts directs avec ceux qui fournissent des services sociaux ou qui s'occupent d'éducation. De façon générale, je dirais que l'éducation est la meilleure voie à suivre.

Ce qui nous préoccupe, et c'est peut-être là-dessus que notre avis diffère de celui de certains des témoins que nous avons entendus, c'est que je ne suis pas sûre que nous interprétions de la même manière certaines des défenses possibles. Quand nous disons que le droit criminel vise le bien public, nous disons surtout que le droit criminel est un outil catégorique.

Notre opinion des formes de défense et de la façon dont elles peuvent être invoquées peut différer de celle des témoins que vous avez entendus. Je sais que les points de vue diffèrent aussi relativement à l'article 43. Il est préférable d'avoir une disposition du Code criminel sur laquelle se fonder pour traiter ces situations plutôt que de présumer — comme bien des témoins l'ont peut-être fait — que d'autres responsables de ce genre de situations, agissant à divers titres au sein du système de justice pénale, pourraient n'avoir d'autre choix que d'invoquer les voies de fait simples pour traiter une affaire quelconque. Il existerait un instrument catégorique, l'article 43, qui donnerait à ces gens une autre voie pour traiter la situation.

Le sénateur Carstairs : Vous avez dit que le Code criminel était un outil catégorique. On peut se demander s'il est nécessaire d'être aussi catégorique pour offrir aux parents une protection contre des accusations criminelles.

Laissez-moi vous donner un exemple. Vous avez dit que le fait de secouer un enfant pour le réveiller peut donner lieu à une accusation de voie de fait. Pourtant, il arrive souvent qu'une infirmière doive immobiliser un enfant de force pour lui donner une injection. Je n'ai jamais entendu dire que, au Canada, on ait porté des accusations contre une infirmière pour une telle raison. Dans le domaine des services aux enfants et aux familles, il arrive quotidiennement que des gens doivent immobiliser de force des enfants pour les protéger. Si la force est abusive, par exemple dans un cas dont j'ai entendu parler où un enfant avait été maintenu vigoureusement au sol et où l'on avait abusé de l'usage de la force, des accusations avaient été portées. Aucune accusation n'est jamais portée si une force raisonnable est employée pour immobiliser un enfant.

Qu'est-ce qui amène le ministère de la Justice à penser qu'il y aura des milliers de poursuites contre des parents qui auront utilisé la force pour — et je reprends un exemple que vous avez donné — parvenir à installer un enfant dans un siège d'auto alors qu'il refuse de s'y asseoir?

Mme Blackell : Avec tout le respect que je vous dois, nous ne prévoyons pas des milliers de cas. J'espère que cela ne se produirait pas. Nous ne savons pas quel serait le résultat. C'est la déclaration la plus précise que je puisse faire. Actuellement, il existe, en vertu de la loi, une défense qui s'applique dans certaines circonstances où l'on a fait un usage raisonnable de la force. Si l'on supprimait cette défense, il pourrait y avoir des situations où des parents ou des enseignants, qui auraient normalement été protégés contre des sanctions criminelles, ne seraient plus à l'abri de sanctions. C'est le point de vue que nous défendons.

Le sénateur Carstairs : Croyez-vous qu'il serait raisonnable que les services policiers de notre pays accusent des parents pour des infractions du genre que vous avez données en exemple, comme insister pour qu'une petite fille mette ses bottes plutôt que ses sandales pour aller jouer dans la neige?

Mme Blackell : Ce seraient des cas particuliers. Si la police devait répondre à un appel fait par des témoins qui dénoncent des voies de fait, comme le cas d'un enfant qu'on a touché sans son consentement alors que l'enfant l'avait clairement fait savoir, et s'il n'y avait aucune défense précise en vertu de la loi, certains policiers pourraient se sentir contraints de porter des accusations. Ensuite tout se fait à la discrétion des différents intervenants. C'est risqué.

La Cour suprême nous a donné des lignes directrices précises. Si l'on abrogeait carrément l'article 43, on supprimerait aussi ces lignes directrices.

[Français]

Le législateur ne parle pas pour rien dire; lorsqu'un amendement considérable est apporté, comme celui d'enlever le droit à une défense statutaire, c'est un signe qu'il y a quelque chose de changé et que, au fond, certains droits ont peut- être été enlevés aux accusés.

[Traduction]

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je n'ai entendu personne parler de violence verbale. Considérez-vous cela comme une forme de voie de fait? Cela cause un autre genre d'ecchymoses.

Mme Blackell : C'est l'une des raisons qui m'ont amenée à soulever la comparaison entre le droit criminel et la protection de la jeunesse. C'est beaucoup plus facile de réagir contre le tort causé par la violence verbale en vertu des mesures de protection de la jeunesse, compte tenu du concept de préjudice émotif. Certaines formes de violence verbale sont considérées comme criminelles, mais il faut la plupart du temps que des menaces aient été proférées pour qu'il y ait préjudice. Il faut soit des menaces, soit du harcèlement criminel.

En général, la barre est haute pour qu'on puisse faire reconnaître une action comme étant criminelle. Cette action doit avoir été accomplie de façon très marquée. Il faut tenir compte de la liberté d'expression en vertu de la Charte quand on cherche à criminaliser quelque chose qu'une personne aurait dit. Comme nous le savons, la question de la propagande haineuse a posé un problème.

Avant que nous puissions parler de crime, il faut que les conséquences de ce qui a été dit soient reconnues comme très graves.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Qu'en est-il, par exemple, si quelqu'un dit à un enfant autochtone qu'il n'est bon à rien, qu'il n'est qu'un sauvage? Cette remarque blessera l'enfant pour le reste de ses jours.

Mme Blackell : Absolument, ce serait injurieux et choquant. Si cela se produisait dans le contexte familial, ce serait un élément sur un continuum de violence et de mauvais traitements. Ce serait certainement une forme de violence. Est- ce un motif suffisant pour intenter des poursuites pénales contre cette personne? Il s'agit là d'un choix de société, et nous devons définir cela ensemble.

Le sénateur Dallaire : J'ai participé à une conférence sur les droits de la personne avec un journaliste bien connu, David Frum. Son gros argument était que les droits de l'enfant ne devraient pas exister, parce que cela signifie que les enfants peuvent poursuivre leurs parents.

Par ailleurs, nous avons le Code criminel. Si une personne est accusée d'un crime — de certains des comportements que vous avez décrits — et qu'elle n'est pas trouvée coupable, y a-t-il quoi que ce soit qui demeure à son dossier? Si cette personne a été poursuivie et n'est pas trouvée coupable, y a-t-il quelque chose d'inscrit à son dossier criminel?

Mme Lieff : Je ne crois pas que cela demeure à leur dossier de façon indéterminée s'ils sont accusés. C'est peut-être le cas. Le sénateur Jaffer le saurait mieux que moi.

Le sénateur Dallaire : Cela demeure à moins qu'ils demandent un pardon, bien qu'ils ne devraient pas avoir besoin de le faire s'ils ne sont pas trouvés coupables. Si nous abrogeons cet article, il se pourrait que des gens soient accusés sans motif valable et, même s'ils ne sont pas trouvés coupables, il se pourrait qu'ils ne puissent plus prendre l'avion parce qu'ils ont commis un acte criminel. C'est l'autre extrême, n'est-ce pas? N'est-ce pas un risque à envisager?

Mme Blackell : On garde des données sur les accusations, mais je doute qu'on puisse faire le lien avec la personne dans un contexte de cueillette des données.

Le sénateur Dallaire : Je n'aurais pas de dossier criminel?

Mme Blackell : Un dossier criminel peut nuire quand quelqu'un veut prendre l'avion.

Le sénateur Dallaire : C'est ce que je dis.

Mme Lieff : Pour avoir un dossier criminel, il faut qu'une personne soit trouvée coupable.

Le sénateur Dallaire : Que se passe-t-il si elle n'est pas trouvée coupable?

Mme Lieff : On garde des dossiers sur les accusations portées au Canada. Comme je le disais, je peux me tromper au sujet du nombre d'accusations portées.

Je pense qu'il est également possible de savoir qu'une accusation a été portée. Cela pourrait se trouver dans les données conservées, mais tout dépend de la juridiction. S'il s'agit d'une famille qui a été suivie pour différents problèmes, les organismes de protection de la jeunesse garderaient le dossier.

Le sénateur Dallaire : Cela ne me rassure pas tellement. Si nous abrogeons cet article et qu'on abuse des possibilités de poursuites, des gens innocents pourraient être tenus responsables et en souffrir le reste de leur vie. C'est le risque que l'on court en abrogeant cet article.

D'un autre côté, ne croyez-vous pas que, avec cette disposition, il y a davantage de risques que les mauvais traitements se produisent? Autrement dit, que des adultes l'invoquent pour repousser la limite de ce que l'on considère comme un traitement normal? Si cette disposition n'existait pas, il y aurait un moyen d'empêcher les gens de se rendre coupables de mauvais traitements. Tout geste — certains aussi ridicules que certains exemples que vous avez donnés — pourrait être interprété comme une forme de mauvais traitement. Quand je réveille mon fils, par exemple, je ne suis pas nécessairement tendre — j'y reviendrai.

Ne croyez-vous pas qu'en gardant cette disposition de défense légale on donne aux parents la possibilité de maltraiter leurs enfants en poussant l'interprétation à la limite? J'adopte une attitude machiavélienne.

Mme Lieff : Oui, je comprends. Nous n'avons pas de recherches qui permettent de répondre à cette question, dans un sens ou dans l'autre. Si j'y répondais, ce serait une opinion personnelle, et je ne suis pas une spécialiste des sciences sociales. Nous n'avons pas de statistiques là-dessus. Personnellement, je ne crois pas que beaucoup de gens soient bien au fait de ce qui se trouve exactement dans le Code criminel. Les entreprises de sensibilisation portent davantage sur les façons de discipliner les enfants autrement que par la force physique. Franchement, en tant que mère de deux grands enfants, je me rappelle de l'époque où ils étaient petits. Nous avons tous été exposés au comportement des enfants d'une manière ou d'une autre. Les enfants apprennent, à l'école, ce qui est approprié ou non. Une fois, j'ai pris ma fille par la main pour lui faire monter l'escalier, et elle m'a dit qu'elle appellerait la DPJ. Ce n'est pas moi qui lui ai appris cela.

Le sénateur Dallaire : Cette possibilité existe, mais je crois que le risque de violence existe quand même. Cela devient alors une question de légitime défense et de protection des plus vulnérables.

Vous avez raison au sujet de l'article 265, concernant les voies de fait simples. Cependant, votre interprétation est irrationnelle, parce que, d'après ce que vous dites, il n'y a pas de limite à ce qu'on pourrait définir comme des voies de fait. Si les tribunaux sont saisis de situations aussi simplistes que celles que vous avez mentionnées, c'est l'article 265 qui constitue une erreur, et aussi le fait qu'on n'aurait plus l'article 43 pour nous protéger contre l'article 265, n'est-ce pas?

Mme Blackell : Mon but était de démontrer la portée de nos dispositions sur les voies de fait. Elles sont très générales et de grande portée. Entre deux adultes, si une personne dit à l'autre « ne me touche pas », et que l'autre continue à lui toucher, cela devient clairement une voie de fait même si la force n'est pas employée. Cela se trouve dans la jurisprudence.

C'est plus compliqué quand des enfants sont en cause, parce qu'il faut traiter quotidiennement avec eux. Il y a beaucoup de zones grises. C'est ce qui cause la difficulté parce que, en réalité, la vie des gens est pleine de zones grises, et la loi doit trancher à un certain point. L'article 43 offre une certaine protection contre les scénarios peu subtils, advenant des accusations de voies de fait. Ce ne sera peut-être pas l'enfant qui dira qu'il est victime de voie de fait, mais un témoin pourrait le dire, parce que l'enfant crie alors qu'un adulte le prend dans ses bras. Si ce même adulte prend dans ses bras un autre adulte en train de crier, c'est un cas de voie de fait.

Le sénateur Dallaire : Encore une fois, si nous abrogeons l'article, il y a suffisamment de précédents. Certaines personnes pourraient en effet être ainsi accusées, mais la jurisprudence établit les limites, dans les cas où des enfants sont en cause plutôt que des adultes. Cela ne suffirait-il pas?

Mme Lieff : Nous bénéficions effectivement de certaines décisions qui ont été rendues à l'égard de l'article 43. Le problème, quant à l'élaboration de la jurisprudence, c'est que nous avons actuellement, si l'on examine les décisions rendues, des lignes directrices qui ont été fournies par la Cour suprême du Canada et qui s'appliquent à l'échelle du Canada. Qu'on soit d'accord ou non, nous avons des normes nationales quant à l'interprétation du Code criminel. Il faudrait un certain temps, en ce qui a trait à la législation sur les voies de fait, pour en arriver à une interprétation généralisée de la façon de traiter ce changement — à moins qu'on entreprenne un projet spécial d'établissement de normes nationales, ou d'un protocole ou de quelque chose du genre.

Le sénateur Dallaire : Nous pourrions le faire. Il faudrait peut-être 10 ou 15 ans, mais c'est possible.

Mme Lieff : Cela engagerait la participation de beaucoup de différents ministères et organismes des gouvernements fédéral et provinciaux. Je suis sûre que vous le savez.

Le sénateur Dallaire : Ce serait merveilleux de travailler ensemble pour régler un problème.

Le sénateur Jaffer : Je veux plus de précisions sur ce que vous avez dit. Vous avez dit qu'il y avait 34 cas. Si j'ai bien compris, 10 d'entre eux n'ont pas abouti à un verdict de culpabilité?

Mme Blackell : En effet, dix des accusés ont été blanchis sur tous les chefs d'accusation.

Le sénateur Jaffer : Cela signifie que 24 accusés sur 34 ont été trouvés coupables.

Mme Blackell : Il y a eu différents degrés de culpabilité selon les verdicts, mais il y a effectivement eu verdict de culpabilité dans les autres cas.

Le sénateur Jaffer : Savez-vous combien des accusés étaient des parents?

Mme Blackell : Dans l'ensemble des cas?

Le sénateur Jaffer : Des 24 cas. Vous pourrez nous fournir ce chiffre plus tard.

La présidente : Je crois que vous nous l'avez dit pour les 10 personnes qui ont été acquittées, mais pas pour les autres.

Le sénateur Jaffer : Vous pourrez le faire savoir à la présidence plus tard.

Mme Blackell : Oui, nous pourrons faire cela pour vous.

Le sénateur Jaffer : Vous avez mentionné le fait de mener un enfant par la main comme exemple de moyen léger de discipline qui serait protégé en vertu de l'article 43. Je ne crois pas que ce soit le contexte normal où l'article 43 serait utile pour protéger un parent contre un prétendu acte de violence. Un extrême serait de prendre un enfant par la main pour le battre. Ce serait utile que vous nous donniez un exemple de cas où cet article permettrait de protéger un parent.

Mme Blackell : Laissez-moi en trouver un ici. C'est un jugement de 2005, R. c. D. (S.), qui a été rendu au Québec. Il s'agit d'un professeur d'éducation physique. L'un des élèves affirmait qu'il avait oublié ses chaussures de sport. L'accusé l'a pris par le bras avec les deux mains et l'a poussé vers la porte. L'autre élève affirmait que l'enseignant l'avait pris par les épaules.

Les éléments d'accusation étaient que l'enseignant avait empoigné et poussé l'élève, mais les témoignages différaient. C'était donc une question de crédibilité. L'accusé a été déclaré non coupable sur les deux chefs d'accusation.

Le sénateur Jaffer : Je me rends bien compte que je vous mets sur la sellette. Ce n'est pas mon intention, mais pourriez-vous fournir à la présidence un exemple où un parent est en cause? Je parle en mon nom personnel. Je pense que, dans le cas d'un enseignant ou d'une tierce personne, les gens connaissent les limites. C'est dans le cas des parents que nous avons besoin d'exemples. Je ne dis pas que les parents ne connaissent pas les limites, mais ma collègue a parlé d'immobiliser un enfant. Si vous pouviez nous donner des exemples de différence entre le fait d'immobiliser de force un enfant et le fait d'avoir recours à des punitions corporelles, dans le contexte de l'article 43, ce serait utile.

Mme Blackell : Nous pourrons fournir cette information à la présidence.

Le sénateur Jaffer : Fournissez-nous des exemples d'affaires où des parents étaient mis en cause. Non pas des affaires où les parents avaient pris un enfant par la main, mais un cas intermédiaire.

Mme Blackell : Disons pour être bien clairs qu'il s'agit là d'affaires qui nous ont été signalées. Nous n'avons donc pas un tableau complet de la situation au pays. Ce sont les affaires qui nous ont été signalées.

La présidente : Ayant siégé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je sais que l'un des problèmes est que nous avons toujours de la difficulté à obtenir des chiffres des tribunaux concernant les arrêts publiés et non publiés. À l'échelle provinciale, où nous cherchons de l'information dans toutes les villes où il y a un tribunal, ces affaires n'ont pas encore été documentées.

La situation était la même il y a 30 ans. Des statistiques sont compilées, mais pas du genre qui nous aiderait à savoir de quel type d'affaires il est question. On peut savoir que l'article 265 a été invoqué, mais pas s'il s'agit d'un parent, d'un enfant, d'un enseignant ou d'une bataille dans un bar. C'est un problème.

Je pense que nous avions soulevé ce problème il y a un certain temps au Comité des affaires juridiques. Je suppose que nous avons toujours de la difficulté à recueillir de l'information sur toutes les affaires qui sont entendues dans tous les tribunaux.

Mme Lieff : Au ministère de la Justice, nous n'avons pas de moyens de faire ce genre de travail. C'est le Centre canadien de la statistique juridique qui effectue ce travail, et nous n'avons pas le pouvoir de lui commander un certain type de tâche.

Des décisions sont prises dans certains domaines. Comme vous l'avez dit plus tôt, quand vous avez parlé des accusations, on peut savoir qu'un certain nombre d'accusations pour voies de fait ont été portées au cours de la dernière année, mais on saura seulement le nombre. Vous saurez peut-être le détail par province et peut-être aussi s'il s'agissait d'hommes ou de femmes, mais ce serait difficile même pour ce centre de réunir l'information de cette manière. On s'en tient plutôt aux grandes catégories, et ce genre d'information n'est pas à notre disposition non plus. C'est pourquoi nous faisons un examen des décisions. Nous essayons de nous tenir à jour sur l'évolution de la jurisprudence.

La présidente : Vous avez mentionné les services sociaux. Au fil des ans, j'ai souvent été préoccupé du fait que les travailleurs en service social individualisé étaient dans une situation difficile. Ils doivent prouver qu'ils ont eu raison de faire ce qu'ils ont fait pour protéger un enfant. Ils invoquent souvent le Code criminel parce que c'est plus simple de prouver des allégations contre un parent que de tenter d'invoquer les lois destinées à la protection de la jeunesse, qui font appel à des notions comme le bien-être émotif et physique, la diligence appropriée et tous ces termes que nous employons depuis quelques décennies. S'il y a une forme de voie de fait dans une affaire, c'est plus facile d'utiliser cet élément.

J'ai constaté que les familles les plus vulnérables se trouvent parfois devant un tribunal pénal, ou tout autre tribunal, parce qu'elles sont plus exposées à tout cela si elles sont suivies par les services sociaux. Avez-vous tenu compte de ce genre de facteurs dans vos travaux? Je suppose que vous n'avez pas d'études là-dessus non plus.

Mme Blackell : Je ne sais trop comment nous pourrions savoir combien de familles se retrouvent dans le réseau de justice criminelle alors que leur cas relèverait peut-être davantage des services de protection de la jeunesse. Jusqu'à un certain point, c'est vraiment une question de jugement.

Dans la plupart des cas, il conviendrait davantage d'avoir recours à un système fondé sur les intérêts de l'enfant qui pourrait fournir une solution propre à chaque famille. Le cas d'un enfant ne peut pas être étudié individuellement. Les enfants vivent dans une famille, et la plupart du temps ils veulent demeurer dans leur famille.

Pour tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, il faudrait essayer de tenir compte du contexte plus large et penser que cet enfant a besoin d'une famille qui l'appuie et qui l'aime. Si la famille ne répond pas à ces besoins, il faut lui donner les outils qui lui permettront de s'améliorer en ce sens. Ce n'est généralement pas ce que fait le système de justice criminelle. Son objectif est tout autre et les services...

La présidente : Quand nous avons examiné le domaine des mauvais traitements à l'égard des enfants, de l'exploitation sexuelle, nous avons constaté qu'on avait fait beaucoup de sensibilisation. Nous savons aussi que, entre autres conséquences non intentionnelles, il est arrivé que des allégations donnent lieu à des poursuites en raison d'un excès de zèle ou d'un désir de croire.

Je pense à l'histoire horrible, en Saskatchewan, où des travailleurs en garderie étaient impliqués. On a maintenant prouvé que les allégations n'étaient pas fondées. Il y a une interaction entre les deux systèmes. Nous tentons d'aider un enfant, mais cela peut avoir des conséquences inattendues.

Vous dites que vous nous fournissez des exemples concrets, mais il n'existe aucun système permettant de savoir combien de ces 34 affaires mettent en jeu des personnes ayant un lien avec les services sociaux.

Mme Blackell : On trouve certaines données dans l'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants, un rapport publié en 2003. Je vous en laisse un exemplaire dans les deux langues. Cette étude se concentre sur les affaires signalées. Elle fait une analyse comparative des deux systèmes. Cela peut donc nous donner une idée.

Cependant, juger de la pertinence d'une décision dans un cas particulier, c'est remettre en cause la décision rendue par les autorités compétentes.

La présidente : Les autorités compétentes viennent de rendre une décision. Le timbre se fait entendre, et nous devons donc ajourner maintenant. Je vous remercie d'être venus et de nous avoir fait part de vos avis de spécialiste.

Sénateurs, nous avons une réunion prévue demain pour l'étude article par article.

La séance est levée.


Haut de page