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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages du 29 juin 2006


OTTAWA, le jeudi 29 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit aujourd'hui, à 10 h 5, pour en étudier la teneur.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous poursuivons l'étude du projet de loi C-2. Le projet de loi, mieux connu sous le nom de Loi fédérale sur la responsabilité, représente un aspect central du programme du nouveau gouvernement et est une mesure législative importante du Parlement.

Je sais que notre comité va lui accorder l'attention qu'il mérite.

[Français]

Nous avons déjà entendu le président du Secrétariat du Conseil du trésor, des hauts fonctionnaires de différents ministères et deux anciens fonctionnaires de renommée. Dans nos réunions futures, nous entendrons d'autres témoins avant de passer à l'examen détaillé du projet de loi, qui nous permettra de décider si nous désirons y apporter des changements que nous recommanderons au Sénat.

[Traduction]

Aujourd'hui, je suis heureux d'accueillir le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l'honorable Vic Toews. Comme les honorables sénateurs le savent, le projet de loi a fait l'objet d'un examen attentif de la part de l'autre endroit. Plus de 70 témoins ont été convoqués, 70 dispositions ont été amendées, une rubrique a été ajoutée et une annexe modifiée; les discussions sur le projet de loi ont duré 61,6 heures et, à l'étape du rapport, 24 autres amendements ont été adoptés. On nous renvoie un projet de loi bien étudié.

M. Toews est député fédéral de la circonscription de Provencher, au Manitoba. Il a été élu à la Chambre des communes pour la première fois en 2000. Auparavant, il a été ministre du Travail de la province et il a exercé les fonctions de procureur général et ministre de la Justice du Manitoba.

Nous souhaitons également la bienvenue aux fonctionnaires qui accompagnent aujourd'hui M. Toews, soit Chantal Proulx, avocate générale principale, Section du droit pénal, Robert Frater, avocat général principal, Section du droit pénal, et Joe Wild, avocat-conseil, Service juridique du portefeuille du Conseil du Trésor.

Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Après votre exposé, les sénateurs vont vous poser des questions. Je vous demanderais que les questions et les réponses soient brèves pour que tous les sénateurs aient la possibilité de s'adresser à vous.

L'honorable Vic Toews, C.P., c.r., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir invité à venir vous rencontrer aujourd'hui.

Je suis heureux de pouvoir discuter avec vous du projet de loi C-2, la Loi fédérale sur la responsabilité. Mes collaborateurs et moi-même, en tant que procureur général du Canada, avons travaillé en étroite collaboration avec nos collègues gouvernementaux à propos du projet de loi. Nous croyons que cette mesure législative va accroître la reddition des comptes, la transparence et la supervision des activités gouvernementales de façon à rétablir la confiance des Canadiens à l'égard de leurs institutions publiques.

Le projet de loi C-2 apporte d'importantes modifications au régime fédéral d'accès à l'information. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information, en 1983, bien des choses ont changé au gouvernement fédéral, au Canada et dans le monde. En conséquence, beaucoup de voix se sont élevées pour réclamer la refonte de la Loi sur l'accès à l'information.

Notre gouvernement croit qu'il doit renforcer la confiance du public et respecter l'intérêt public en encourageant le degré le plus élevé d'ouverture et de transparence. En même temps, nous devons tenir compte de préoccupations légitimes comme le respect de la vie privée, la confidentialité des dossiers commerciaux, la protection de la sécurité nationale et les relations du gouvernement avec ses amis internationaux.

Avant de parler plus précisément des aspects du projet de loi C-2 qui ont trait à la réforme de l'accès à l'information, je pense qu'il faut expliquer dans quel contexte se situe la réforme envisagée par le gouvernement.

Pour que la réforme soit constructive et équilibrée, le gouvernement a agi sur deux fronts. Outre les mesures qui sont proposées dans la Loi fédérale sur la responsabilité dont votre comité est actuellement saisi, le gouvernement a produit un document de travail et ébauché un projet de loi en s'inspirant des réformes proposées l'an dernier par le commissaire à l'information. Le document de travail et le projet de loi ont été remis au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique en avril dernier. La semaine dernière, le 19 juin, j'ai comparu devant ce comité pour exprimer mon point de vue sur cette réforme. J'exhorte le comité à examiner le document de travail déposé le 11 avril et à se pencher non seulement sur les propositions présentées par le commissaire à l'information mais aussi sur certaines des solutions que j'ai exposées dans le document de travail.

J'invite également le comité à examiner avec soin les coûts éventuels de la réforme et à tenir de vastes consultations auprès d'un grand nombre d'intervenants.

Comme je vous l'ai dit, trouver un juste équilibre entre des intérêts publics divergents est difficile dans le cas de la réforme de l'accès à l'information. Il faut agir de façon minutieuse et consciencieuse. C'est pourquoi nous avons prévu une réforme en deux étapes — les mesures que nous avons pu inclure dans le projet de loi C-2 et celles reportées dans le document de discussion, pour lesquelles nous avons besoin de la contribution du comité.

Je vais maintenant examiner le projet de loi C-2. La loi fédérale sur la responsabilité apporte un certain nombre de modifications à la Loi sur l'accès à l'information. Je tiens d'abord à préciser que les mesures sur l'accès à l'information prévues dans le projet de loi C-2 dont vous êtes actuellement saisis sont le résultat du travail de tous les partis représentés à la Chambre des communes. Je veux remercier mes collègues de l'autre endroit de leurs propositions judicieuses à ce sujet, qui sont nombreuses à se retrouver dans le projet de loi.

Le projet de loi C-2 élargit le champ d'application de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur le protection des renseignements personnels pour les étendre à sept hauts fonctionnaires — le vérificateur général, le commissaire à l'information, le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire aux langues officielles, le directeur général des élections, le commissaire à l'intégrité du secteur public et le commissaire au lobbying. Le projet de loi vise également toutes les sociétés d'État mères et leurs filiales à cent pour cent, la Commission canadienne du blé et cinq fondations.

À la suite de cette mesure, le gouvernement s'est montré responsable en ajoutant les exceptions voulues dans la loi pour protéger les renseignements de nature délicate — comme les sources journalistiques de Radio-Canada et l'identité des dénonciateurs et des personnes faisant l'objet de fausses accusations.

Certains amendements proposés et adoptés durant l'étude du projet de loi C-2 par le comité pavent la voie à ce que pourra produire le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique. Ainsi, un nouveau pouvoir de réglementation est proposé dans le projet de loi C-2 pour permettre au gouverneur en conseil de prendre les règlements énonçant les critères qui déterminent si des institutions devraient être visées par la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels.

De même, le projet de loi C-2 oblige les ministres à publier, tous les ans, un rapport sur toutes les dépenses engagées par leur bureau et payées par les fonds publics. Ces deux amendements traitent de questions qui sont actuellement examinées par l'autre comité.

De plus, le projet de loi C-2 oblige les institutions à assister les demandeurs sans égard à leur identité, et il clarifie le délai de dépôt des plaintes devant le commissaire à l'information. Le projet de loi prévoit aussi augmenter le nombre d'enquêteurs auxquels le commissaire à l'information peut faire appel pour effectuer des enquêtes sur des informations liées à la défense ou à la sécurité nationale.

J'ai l'intention de consacrer le reste de mon exposé à la proposition visant à créer le poste de directeur des poursuites pénales. Plus particulièrement, je veux discuter de la notion de l'indépendance du ministère public, qui est à la base même de cette mesure.

Il convient peut-être de citer, pour commencer, un des plus célèbres aphorismes de l'histoire du droit. En effet, en 1924, lord Hewitt, qui était à l'époque juge en chef de l'Angleterre et du pays de Galles, a écrit :

Il est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue.

Comme je l'ai dit, la question que doit examiner le comité est celle de l'indépendance du ministère public. Il faut que les poursuites intentées soient exemptes de toute ingérence ou pression politique partisane. Dans l'arrêt Krieger c. Law Society of Alberta, la Cour suprême du Canada a fait la déclaration suivante:

Dans notre pays, un principe constitutionnel veut que le procureur général agisse indépendamment de toute considération partisane lorsqu'il supervise les décisions d'un procureur du ministère public.

Le projet de loi vise à réunir ces deux principes pour assurer non seulement que les décisions d'un procureur du ministère public sont à l'abri de préoccupations partisanes, mais aussi qu'elles paraissent manifestement et indubitablement l'être.

Nous n'insinuons pas que l'indépendance du ministère public fédéral a été compromise. Les hommes et les femmes du Service fédéral des poursuites ont préservé fidèlement cette indépendance. Nous ne sommes pas ici pour corriger des problèmes qui se sont déjà posés, mais pour prévenir ceux qui pourraient survenir à l'avenir. Cette stratégie semble être plus prudente, et nous voulons assurer à la population canadienne que le Service fédéral des poursuites est indépendant.

Avant d'examiner plus en détail le projet de loi, j'aimerais m'attarder encore un instant sur cette notion d'indépendance professionnelle et d'indépendance du ministère public.

Actuellement, les décisions concernant les poursuites fédérales relèvent en dernière analyse du procureur général du Canada. Je vous rappelle que les procureurs fédéraux intentent actuellement des poursuites à l'égard des infractions en matière de drogues et des autres infractions fédérales. Ils sont aussi responsables des causes liées au crime organisé et à la réglementation, et ils engagent des poursuites pour les infractions au Code criminel commises dans les trois territoires. Dans toutes les causes de compétence fédérale, c'est au procureur général qu'appartient le pouvoir ultime de décider si des poursuites seront intentées, si les poursuites seront suspendues et si les décisions des tribunaux seront portées en appel.

En réalité, la vaste majorité de ces décisions sont prises au nom du procureur général par les procureurs fédéraux. Des lignes directrices et des politiques exhaustives ont été établies, particulièrement depuis quelques années, pour que les procureurs agissent en fonction de principes et non en réponse à des pressions politiques partisanes. À ce sujet, les membres du comité peuvent consulter le Guide du Service fédéral des poursuites, pour lequel il faut féliciter le travail accompli par les hauts fonctionnaires de ce service.

Entre autres, les procureurs ne peuvent pas, en vertu d'une convention constitutionnelle, tenir compte des répercussions politiques d'une décision prise par le ministère public; le procureur général ne peut pas non plus suivre les directives de quiconque à ce sujet, pas même celles de ses collègues du Cabinet.

Je viens de vous parler du Guide du Service fédéral des poursuites. Dans le résumé de la question, il y est indiqué :

À ces fins, le procureur général est un fonctionnaire indépendant exerçant des fonctions comme le ferait un juge.

Nous n'insinuons d'aucune façon que ce principe a été violé. Néanmoins, les procureurs généraux sont des politiciens élus. Ils sont membres de partis politiques. Au gouvernement du Canada, le procureur général est nommé par le premier ministre qui peut le relever de ses fonctions selon son bon plaisir. Les sénateurs et les députés le savent mais, ce qui est encore plus important, la population aussi.

Comme on dit, il faut non seulement que justice soit rendue, mais il faut aussi qu'il y ait apparence de justice. Ceux qui travaillent dans le système peuvent témoigner de son intégrité, mais les gens de l'extérieur pourraient, à l'occasion, douter du système, et c'est pourquoi le gouvernement propose ce changement.

Pour en venir plus précisément au projet de loi C-2, il propose la création du Bureau du directeur des poursuites pénales ou DPP, qui est distinct et indépendant.

Le DPP va intenter toutes les poursuites dont s'occupe le Service fédéral des poursuites. De plus, le DPP sera responsable des poursuites visées par la Loi électorale du Canada et il aura le pouvoir d'intenter des poursuites à l'égard des nouvelles infractions de fraude proposées par le gouvernement en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques. Ces infractions désignent les actes frauduleux commis par des employés de l'administration publique fédérale et des sociétés d'État chargées de la perception, du paiement ou de la gestion des fonds publics au nom de leur employeur.

Ces infractions ont été prévues pour que la mauvaise gestion criminelle de l'argent des contribuables puisse faire l'objet de poursuites par un procureur fédéral. Le DPP jouira de l'indépendance nécessaire pour que ces poursuites puissent être engagées sans faire l'objet d'aucune ingérence politique.

Contrairement au Service fédéral des poursuites, le Bureau du DPP ne fera pas partie du ministère de la Justice. Ce sera plutôt un organisme indépendant qui relèvera du Parlement par l'entremise du procureur général du Canada.

Le gouvernement propose que le directeur soit choisi parmi une liste de candidats qualifiés recommandés par un comité de sélection. Ce comité sera entre autres composé d'un représentant de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et d'un représentant de chacun des partis reconnus à la Chambre des communes. Une fois que le procureur général aura fait son choix parmi les candidats recommandés, il le soumettra à l'approbation d'un comité parlementaire. Le candidat retenu par le comité sera ensuite nommé par le gouverneur en conseil.

Pour assurer son indépendance, le DPP est nommé à titre inamovible pour un mandat de sept ans non renouvelable, avec une rémunération et des prestations de retraite garanties. Sa nomination peut toujours faire l'objet d'une révocation motivée par le gouverneur en conseil si elle est appuyée par une résolution de la Chambre des communes. Surtout, le directeur a le pouvoir de prendre la décision finale et exécutoire d'intenter des poursuites ou non, sauf si le procureur général lui ordonne d'agir autrement par écrit dans un avis public. Le procureur général se réserve le pouvoir d'intervenir si les poursuites soulèvent d'importantes questions d'intérêt général. Par ailleurs, le procureur général peut prendre en charge une poursuite s'il avise le directeur par écrit de son intention et cet avis doit être publié dans la Gazette du Canada. Le procureur général conserve ce pouvoir, qu'il ne devrait exercer que rarement, parce qu'il est responsable en dernier ressort devant le Parlement des actes du DPP. Par conséquent, il faut maintenir ce pouvoir pour veiller à ce que les décisions soient prises dans l'intérêt public. Il a été prévu dans l'organisation du Bureau du DPP et, comme je l'ai dit, il ne devrait pas être exercé bien souvent.

Monsieur le président, le gouvernement estime que les dispositions de ce projet de loi établissent un bon équilibre entre l'indépendance et la reddition des comptes dans le cas des poursuites du gouvernement fédéral. Elles garantissent l'indépendance face à l'ingérence et l'influence indues. En même temps, elles garantissent suffisamment la responsabilité du ministère public à l'égard des poursuites intentées.

Voilà qui met fin à mon exposé. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Monsieur le ministre, merci de vos remarques. Nous sommes chanceux de vous recevoir aujourd'hui parce que vous avez été ministre de la Justice dans une province avant de l'être au sein du gouvernement fédéral, de sorte que vous connaissez les poursuites autant sur la scène provinciale que sur la scène fédérale. Hier soir, notre comité a accueilli deux éminents témoins, M. Arthur Kroeger, un ancien sous-ministre, et M. David Zussman, professeur de gestion dans le secteur public. Quand on leur a posé des questions sur le Bureau du directeur des poursuites pénales, ils se sont montrés perplexes et ont exprimé des réserves à son sujet, se demandant pourquoi il était vraiment nécessaire et quels problèmes il devait résoudre. Monsieur Toews, vous avez déclaré qu'il ne s'était encore rien produit indiquant qu'il y avait un problème, alors pourquoi instaurer un tout nouveau mécanisme à ce sujet? Qu'est-ce qui pourrait se produire qui vous incite à créer ce bureau dans cet important projet de loi?

M. Toews : Monsieur le président, il arrive souvent que les lois ne traitent pas seulement des aspects pratiques des poursuites, par exemple, mais qu'elles énoncent clairement des valeurs ou des principes qui doivent être sauvegardés. Je donne souvent l'exemple des crimes haineux dans notre pays. Certains ont soutenu que les lois sur les crimes haineux étaient superflues parce que ces crimes sont visés par d'autres lois. En général, c'est vrai. Pourtant, le Parlement veut énoncer clairement un principe, des valeurs, dans la loi à propos de ces crimes. C'est un peu la même chose dans le cas qui nous occupe parce que nous voulons être absolument sûrs qu'il n'y aura jamais d'ingérence partisane indue. On veut non seulement que cela figure dans les manuels de politiques des ministères mais aussi dans la loi pour que les procureurs sachent qu'ils ont l'appui du Parlement quand ils prennent ces décisions importantes.

Il y a 30 ans que je suis avocat et, depuis, je n'ai entendu parler qu'une seule fois d'un ministre qui s'est ingéré dans une poursuite. Il s'agissait d'un ministre du Travail du Manitoba et c'est arrivé il y a des années. On a crié au scandale quand cela s'est produit. Je crois que le ministre a agi dans les meilleures intentions étant donné qu'il se demandait pourquoi cette poursuite avait été intentée. Pourtant, il y eu une vague de protestations dans les médias. Je ne dis pas que cela arrive régulièrement. En fait, je ne suis au courant que de cet incident, mais un principe fondamental de notre démocratie doit être énoncé clairement dans la loi, à savoir que les poursuites sont engagées de façon indépendante et que la loi protège ceux qui les intentent.

Le président : Monsieur le ministre, merci. Comme vous le savez, je viens de la Nouvelle-Écosse où il y a un bureau indépendant semblable. Chaque année, le procureur indépendant présente un rapport à l'Assemblée législative et non au ministre. Dans le projet de loi C-2, le rapport est soumis d'abord au ministre avant d'être déposé. Estimez-vous que cela pourrait amoindrir l'indépendance du bureau?

M. Toews : Je ne le pense pas. Il reste encore nécessaire que le rapport soit transmis au ministre parce que c'est lui, en fin de compte, qui est responsable du Bureau du DPP. Il n'est pas déraisonnable que le rapport passe par le procureur général. Je peux comprendre pourquoi on ne veut pas que d'autres hauts fonctionnaires aient à rendre compte directement de leurs activités à un ministre. Cependant, dans ce cas particulier, je ne crois pas que cela compromettre l'intégrité de la fonction, parce qu'on s'assure que le ministre sait ce qui se passe dans le service dont il est finalement responsable.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, je tiens à dire aux témoins que nous accueillons que nous respectons leur expertise à propos du projet de loi C-2, particulièrement celle du ministre Toews, non pas parce qu'il a été ministre de la Justice d'une province, mais parce qu'il a connu un certain succès comme ancien procureur de la Couronne. Autant que je sache, il n'a perdu aucune des causes qu'il a défendues, et c'est remarquable. Le bilan de sa voisine de droite est tout aussi remarquable, étant donné qu'elle a engagé de nombreuses poursuites pour le ministère public et n'en a perdu qu'une seule. Cela dit, nous demandons au ministre de répondre à une question fondamentale, que bien des gens se posent.

Le ministre a parlé de l'indépendance du ministère public et il a cité lord Hewitt. Comme l'a expliqué le ministre, le projet de loi C-2 recommande la création du poste de directeur des poursuites pénales et lui confère, entre autres, l'attribution suivante, celle « d'engager et mener les poursuites pour le compte de l'État, sauf celles qui sont prises en charge par le procureur général ». Or, il est contraire au principe de droit établi au Canada par la Cour suprême du Canada, dans bien des causes, d'engager les poursuites. Je vous renvoie à l'arrêt de la Nouvelle-Écosse R. c. Reagan dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré que la séparation entre les fonctions de la police et celles du ministère public constitue un principe bien établi dans notre système de justice pénale, et que ce principe doit être protégé.

La Cour d'appel a parlé d'une ligne de démarcation, pour protéger notre système. Les mots « engager des poursuites » ont été condamnés sévèrement par le juge de première instance, la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada. L'engagement des poursuites a été examiné dans le procès Marshall, dans le rapport Martin et, plus récemment, dans le procès Lamer, dans le cas de trois condamnations injustifiées de meurtre au premier degré à Terre-Neuve. Dans chaque cas, on a conclu qu'il devait y avoir une séparation entre les fonctions conformément aux exigences du droit canadien et à l'article 7 de la Charte des droits et libertés sur la justice fondamentale.

À propos de cette nouvelle fonction, qui semble être inspirée du modèle américain, je demande au ministre ce qu'il pense d'un DPP, établi en vertu du projet de loi par le Parlement du Canada dans un débat ouvert, qui a le dernier mot. Je ne sais pas si le ministre est d'accord avec moi là-dessus.

M. Toews : Je trouve votre question intéressante. Je vais vous corriger sur le fait que je n'ai perdu aucune cause.

Le sénateur Baker : Il doit s'agir d'un jugement non publié, monsieur le ministre.

M. Toews : Des amis à moi ont dû s'occuper des recueils de jurisprudence parce que j'ai perdu beaucoup de causes. Nous apprenons tous de nos défaites comme de nos victoires. Pour ce qui est de ma collègue, Mme Proulx, je n'ai pas de mal à croire qu'elle n'a perdu qu'une cause. Pour ma part, je vous assure que j'en ai perdu beaucoup.

La question que vous soulevez est cependant pertinente. Je ne crois pas que ceux qui ont rédigé le projet de loi veulent établir une sorte de régime d'approbation des mises en accusation par la Couronne, comme il en existe un dans certaines provinces du pays, ce qui d'ailleurs me préoccupe. Ce régime existe en Colombie-Britannique, où les forces policières portent des accusations seulement après les avoir soumises à l'approbation de la Couronne.

Je n'en connais pas l'historique, mais ce régime n'est ni illégal ni incorrect; par ailleurs, il est sûrement contraire à notre pratique générale, selon laquelle ce sont les forces policières qui portent les accusations. L'affaire est ensuite soumise aux procureurs, qui peuvent suspendre les accusations ou ordonner que d'autres accusations soient portées et, dans ce sens, ce sont les procureurs qui enclenchent les accusations.

En général, vous avez tout à fait raison; la démarcation entre les fonctions des policiers et celles de la Couronne est claire dans notre pays. Je constate toutefois une exception dans le cas de l'approbation des mises en accusation.

Nous ne demandons pas que la DPP ait un pouvoir de surveillance et d'enquête comme aux États-Unis. Je crois que le mot a été choisi, mais sûrement pas pour contrevenir aux principes dont vous avez parlé et que j'approuve concernant la séparation entre les fonctions de la police et celles du ministère public.

Le sénateur Baker : Les attributions du DPP sont définies dans le projet de loi. On dit, entre autres :

Le directeur engage et mène, pour le compte de l'État, les poursuites relatives à toute infraction à la Loi électorale du Canada[...]

Comment interprétez-vous le mot « engage » dans ce cas précis, monsieur?

M. Toews : Je ne crois pas que cela contredit ce que je viens de dire. Nous ne disons pas que le DPP fait des enquêtes ou de la surveillance. Ces activités continueraient d'être menées, comme aujourd'hui, par les représentants d'Élections Canada, qui prennent les décisions, portent les accusations et renvoient ensuite le dossier au DPP qui va engager les poursuites.

Vous vous demandez peut-être si les poursuites sont engagées au moment où les accusations sont portées. Certains diraient qu'elles le sont beaucoup plus tôt. Je comprends votre inquiétude. Je veux vous rassurer en vous disant que nous n'accordons au DPP aucun pouvoir qu'il n'a pas déjà pour ce qui est des mises en accusation.

Le sénateur Baker : Monsieur le ministre, je me demande si vous pourriez nous dire précisément si le DPP mènerait des poursuites. On dit, dans chaque cas, qu'il va « engager » des poursuites à l'égard d'infractions qui relèvent de la compétence fédérale ou qui sont prévues par une loi fédérale. J'imagine que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances serait alors visée.

M. Toews : Oui.

Le sénateur Baker : Mme Proulx est une spécialiste réputée et les tribunaux citent souvent ses écrits concernant les définitions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Elle a beaucoup publié sur le sujet, d'après ces jugements.

Je me demande quels changements le projet de loi apporterait, selon elle, pour ce qui est des mises en accusation de personnes ayant violé la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et la production de mandats permettant l'écoute de conversations privées par des agents du Bureau du DPP.

Chantal Proulx, avocate générale principale, Section du droit pénal, ministère de la Justice Canada : Sénateur, quand vous parlez des agents du Bureau du DPP, désignez-vous les procureurs à l'emploi du bureau?

Le sénateur Baker : Oui. Chaque fois que la police obtient un mandat pour écouter des conversations privées, un agent du Solliciteur général doit être présent. J'imagine que, selon le projet de loi, un agent devra produire un document indiquant qu'il a été nommé pour représenter le ministre dans l'exécution du mandat. Dans ce sens, je m'interroge à son sujet. Quels sont les changements que l'adoption du projet de loi va-entraîner? Y aura-t-il des différences par rapport à ce qui se fait maintenant?

Mme Proulx : Monsieur le sénateur, je ne m'attends pas à ce que les pratiques actuelles changent. À ce sujet, je vous renvoie au paragraphe 9(3) du projet de loi qui stipule que les adjoints du directeur ainsi que toute personne visée au paragraphe 7(3), c'est-à-dire les procureurs ou les avocats, peuvent être des mandataires désignés du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile aux termes de l'article 185 du Code criminel. C'est la disposition qui traite de l'écoute électronique.

Le paragraphe 9(3) prévoit que les procureurs peuvent être désignés mandataires dans ce cas de la même façon après l'adoption du projet de loi.

Le sénateur Baker : Il n'y aura aucune différence après l'adoption du projet de loi par rapport à ce qui se fait maintenant pour ce qui est des mises en accusations relativement aux lois fédérales?

Mme Proulx : Il n'y aura aucune différence, dans le sens où les pratiques actuelles et les meilleures pratiques doivent continuer, oui.

La compétence du Bureau du DPP est plus large que celle du Service fédéral des poursuites, parce qu'elle comprend la Loi électorale ainsi que les nouvelles infractions de fraude.

Le sénateur Baker : Pourrez-vous porter des accusations? Aurez-vous un rôle plus grand que maintenant? Actuellement, comme le ministre l'a fait remarquer, la situation varie d'une province à l'autre, étant donné que les policiers peuvent demander l'avis des procureurs de la Couronne à propos de certains aspects des mises en accusation. Le projet de loi va-t-il accorder aux procureurs du Bureau du DPP plus de pouvoirs que les procureurs en ont actuellement pour ce qui est des mises en accusation?

Mme Proulx : Les services d'enquête et les forces policières agissent indépendamment des procureurs, et cela va continuer.

De plus en plus, et surtout pour les enquêtes d'envergure, les procureurs sont consultés dès le début par la police qui veut avoir leur avis sur différents aspects liés, comme vous l'avez dit, à l'écoute des conversations privées, à la divulgation ainsi qu'au moment et à la façon de porter les accusations.

À bien des endroits au Canada, les procureurs du Service fédéral des poursuites font partie d'équipes, particulièrement dans le cas des produits de la criminalité. Toutes les pratiques en vigueur doivent être maintenues. Le projet de loi n'accorde pas aux procureurs le pouvoir de donner des instructions aux forces policières ou d'approuver les mises en accusation d'une façon qui est différente de celle d'aujourd'hui.

Le sénateur Baker : Je comprends que le témoin hésite à examiner cette question de façon précise. Elle préfère peut- être laisser aux tribunaux le soin d'interpréter le mot « engager » le cas échéant.

Mme Proulx : Monsieur le sénateur, la Couronne engage déjà des poursuites dont la mise en accusation nécessite un consentement au préalable. La plupart du temps, le consentement du procureur général n'est pas nécessaire et les accusations sont portées par la police. Le mandat est envoyé à un procureur qui doit évaluer si les poursuites seront engagées en fonction des critères énoncés dans le guide du Service fédéral des poursuites. Ces critères sont toujours appliqués, et il s'agit de la probabilité raisonnable de condamnation et de l'intérêt public. Ces principes demeurent.

Le sénateur Baker : Autrement dit, vous ne pouvez pas me dire s'il y aura des changements.

Mme Proulx : Il ne devrait pas y en avoir.

Le sénateur Baker : Il ne devrait pas y en avoir.

Mme Proulx : Rien ne va changer.

Le sénateur Cools : C'est à espérer.

Le sénateur Andreychuk : Merci, monsieur le ministre, d'être venu nous rencontrer. Je sais combien il est difficile d'avoir un billet d'avion en provenance et à destination du Manitoba ces jours-ci. Je comprends que c'est une priorité pour vous.

Je veux retourner à Mme Proulx. Vous dites ne prévoir aucun changement pour ce qui est des poursuites. Ce que le tribunal peut faire, c'est évaluer l'intention. Je ne sais pas si c'est vous ou le ministre qui allez répondre. Vous n'aviez pas l'intention de modifier le lien existant entre les procureurs et les forces policières.

Mme Proulx : C'est exact.

Le sénateur Andreychuk : Vous l'avez dit.

Mme Proulx : Oui. Ce n'est pas notre intention.

Le sénateur Andreychuk : Je veux poser quelques questions de nature générale au ministre.

La Charte canadienne des droits et libertés est extrêmement importante pour tous les projets de loi proposés. Avant d'être présentées au Cabinet, les mesures législatives doivent être accompagnées d'un certificat attestant qu'elles sont conformes à la Charte. C'est à vous qu'il incombe de confirmer que le projet de loi respecte la Charte et répond à ses attentes.

Je comprends que le certificat a été présenté. Êtes-vous convaincu que le projet de loi, dans la mesure où vous pouvez l'évaluer, répond aux normes de la Charte canadienne des droits et libertés?

En prenant le pouvoir, est-ce que votre gouvernement a changé la politique en vigueur?

M. Toews : Pour répondre à votre deuxième question, il n'y a eu, autant que je sache, aucun changement de politique. Je serais directement intervenu si on avait changé la politique liée à l'interprétation de l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice qui m'oblige à examiner les projets de loi émanant du gouvernement en vue de vérifier s'ils sont compatibles avec les fins et dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.

Évidemment, dans le cas qui nous occupe, nous avons déposé le certificat. Rien n'indique que j'ai des craintes.

Il faut toujours tenir compte du rôle du ministre de la Justice. Mon opinion sur ces questions n'est pas définitive, et je ne dois pas non plus m'opposer à des mesures légitimes que le gouvernement veut prendre en matière de politique; les gouvernements doivent proposer des mesures législatives qui semblent être constitutionnelles et, autant que je sache, ce projet de loi est constitutionnel.

Nous ne devons pas éviter les questions controversées sous prétexte que quelqu'un va soulever des arguments d'ordre constitutionnel. Je n'ai pas encore rencontré un avocat qui n'est pas prêt à en soulever sur chaque aspect des projets de loi que nous proposons. On ne doit se dire que la constitutionnalité d'une mesure pourrait être contestée, parce que ce sera toujours le cas.

Nous examinons la question de la constitutionnalité. Nous examinons également la politique que nous faisons valoir. Nous demandons ensuite au ministère visé et aux avocats du gouvernement de rassembler les preuves nécessaires pour défendre la mesure. Je suis convaincu que, dans le cas qui nous occupe, nous avons assez de preuves pour garantir les mesures proposées, sur le plan constitutionnel.

Le sénateur Andreychuk : Pour poursuivre là-dessus, c'est sûrement un des aspects évalués par le ministre pour produire le certificat.

J'ai siégé pendant des années à ce comité. Le gouvernement au pouvoir, quel qu'il soit, a le droit, au nom des citoyens, de proposer les orientations et les changements qu'il juge appropriés. Le comité en est conscient. On constate, en examinant un projet de loi, que c'est souvent à l'étape de la rédaction qu'on en relève les lacunes, même à propos de la Charte.

C'est ce que le gouvernement voulait, mais on se rend compte que ce n'est pas ce que le ministre voulait. Le décalage se produit parfois dans l'évaluation de la Charte; ce n'est pas que la garantie doit être absolue, mais il faut que ce qui est voulu se retrouve dans le projet de loi et qu'il soit conforme à la Charte. C'est l'objectif du certificat, d'après moi. Or, il semble parfois y avoir un écart entre le texte de loi et ce que prévoit la Charte.

M. Toews : Dans ce cas, je ne crains pas qu'il y ait d'écart entre les intentions du gouvernement et le texte de loi.

Le sénateur Andreychuk : Je veux revenir au Bureau du DPP, pour discuter de considérations peut-être moins juridiques que pratiques et politiques. On a rapidement critiqué le fait que le bureau était inspiré du modèle américain.

Les notes d'information que nous avons reçues indiquent que la Commission de réforme du droit avait recommandé en 1990, bien longtemps avant notre débat d'aujourd'hui, qu'un poste indépendant soit créé. Elle le proposait entre autres, si je me rappelle bien, pour moderniser le système en fonction des besoins de l'époque, parce qu'il y avait un examen plus minutieux des poursuites et même une meilleure compréhension du public. Il était peut-être possible d'avoir des problèmes sur le plan politique.

L'Angleterre et l'Australie ont des services semblables. Celui de l'Australie existe depuis un certain temps déjà.

Pour établir le poste de directeur des poursuites pénales, vous êtes-vous inspiré du modèle anglais, britannique, provincial ou américain? Je suis sûre que vous les avez tous examinés.

M. Toews : Oui. Nous avons longuement discuté de la nature du Bureau du directeur des poursuites pénales.

Nous avons examiné de près le bureau de la Nouvelle-Écosse. Le bureau de cette province a été créé à la suite de certaines causes et préoccupations. Nous avons aussi étudié attentivement le modèle de la Colombie-Britannique et le modèle anglais.

Comme vous le savez, en Angleterre, le procureur général ne fait pas partie du cabinet. C'est différent ici, parce que le procureur général du Canada fait partie du cabinet, ce qui rend la protection des poursuites encore plus importante. En Grande-Bretagne, étant donné que le procureur général ne fait pas partie du cabinet, l'apparence d'une ingérence politique possible n'est pas aussi grande qu'au Canada. Par conséquent, il était encore plus impérieux au Canada qu'en Grande-Bretagne d'avoir un bureau constitué par une loi.

Le modèle américain ne convient pas à notre situation, étant donné que le régime de ce pays est bien différent du nôtre et que les procureurs généraux du ministère public, par exemple, ne s'occupent pas de droit pénal. Ce sont des procureurs indépendants élus qui engagent les poursuites dans ce cas. Leur système est différent. Nous connaissons le modèle américain, et nous en comprenons les principes mais un examen plus approfondi n'était pas nécessaire en raison des différences sur le plan constitutionnel.

Je peux vous dire que nous avons examiné les modèles de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique et du Québec très attentivement.

Le sénateur Andreychuk : L'interprétation que le sénateur Baker fait du mot « engager » m'intéresse. Je respecte beaucoup sa longue expérience pratique. Je vais en tenir compte. Il a aussi une équipe qui l'aide, je pense.

Le sénateur Joyal : Il travaille seul.

Le sénateur Andreychuk : Non. Il y a d'excellents avocats dans sa famille qui travaillent avec lui, de sorte que je respecte ce qu'il a dit.

J'ai été procureure, avocate de la défense et juge, et j'ai pensé que le mot « engager » qui se trouve dans le projet de loi signifiait entreprendre des poursuites ou une étape.

M. Toews : C'est-à-dire entamer le travail d'information ou porter des accusations.

Le sénateur Andreychuk : Le DPP engagerait les poursuites ou enquêterait de son propre chef. Je comprends que cela s'applique à une étape ou à un processus plutôt qu'au contenu.

M. Toews : Il faut interpréter chacun de ces mots dans le contexte du projet de loi. Je peux comprendre les préoccupations que d'autres ont exprimées au sujet de l'emploi de ce mot dans un autre contexte.

Comme je l'ai déjà dit, nous n'essayons pas d'autoriser un procureur à avoir la main haute sur l'ouverture de l'enquête criminelle proprement dite.

Le sénateur Cools : J'ai une observation à faire à ce sujet. C'est ma première intervention, mais elle fait suite à ce que le sénateur Andreychuk a dit.

J'aimerais dire à mes collègues que le ministre est un être spécial, intègre et bon. Nous sommes honorés de le rencontrer.

M. Toews : Je ne sais pas ce qui va suivre.

Le sénateur Cools : Rien. Il n'y a ni « mais » ni « cependant ».

Je veux poursuivre sur ce que le sénateur Andreychuk a dit à propos du mot « engager » qui apparaît ailleurs dans le projet de loi. Je veux vous le signaler. Il est employé encore une fois dans le même article.

Le sénateur Baker a parlé du paragraphe 3(8). Ce mot revient aussi à l'alinéa 3(3)a). C'est la disposition qui traite du rôle et des attributions du directeur des poursuites pénales, qui dit : « Il exerce, sous l'autorité et pour le compte du procureur général, les attributions suivantes : a) engager et mener les poursuites pour le compte de l'État », sauf celles qui sont prises en charge par le procureur général.

On a pu employer ce mot à tort, mais si quiconque dans un tribunal perçoit dans le réemploi de ce mot une intention précise — et je comprends le sénateur Baker — il est vraiment alarmant de penser qu'un procureur indépendant peut juger bon une journée d'engager des poursuites. Je veux que ce soit clair parce que ce mot est employé à plusieurs reprises dans le projet de loi.

Le président : Monsieur le ministre, voulez-vous répondre à cela?

M. Toews : Je prends note de la remarque. Cependant, le DPP engage des poursuites. Le projet de loi ne dit pas, par exemple, qu'il engage une enquête policière. Le projet de loi doit être interprété dans ce contexte.

La loi québécoise, par exemple, emploie les mots « autoriser des poursuites », ce qui, à mon avis, est plus inquiétant que simplement les engager.

Cela dit, l'approbation de la mise en accusation existe au Québec, où on peut autoriser des poursuites.

Le sénateur Cools : C'est différent, mais nous allons y revenir.

Le sénateur Andreychuk : À ce sujet, le Canada a pris l'initiative de travailler avec d'autres pays sur le plan judiciaire et pour les poursuites pénales. Nous avons consacré beaucoup de temps et de connaissances pour aider les nouvelles démocraties, notamment.

Il me semble que l'indépendance du procureur est utile. Quand je donne des ateliers ailleurs, on me pose des questions sur l'indépendance de nos juges et de nos procureurs ainsi que l'examen et la surveillance que le Parlement exerce.

Il me semble qu'on s'inspire des travaux de la Commission de réforme du droit, qui devait envisager l'avenir. Avez- vous tenu compte de la situation de notre régime sur la scène internationale?

M. Toews : Votre remarque est pertinente. Nous ne faisons pas seulement énoncer l'importance de l'indépendance du ministère public dans notre propre pays, où nous comprenons qu'il s'agit davantage d'un principe de droit que d'un principe légal.

Pour nos activités de développement et d'aide sur le plan international, le projet de loi est un outil important pour les fonctionnaires canadiens qui peuvent dire que ce principe de droit généralement accepté nous semble tellement important que nous l'avons inscrit dans la loi. C'est précisément ce que nous avons fait.

Je vais revenir sur l'exemple de la littérature haineuse. Nous n'acceptons pas la propagande ou la littérature haineuse chez-nous. Nous savons que nous aurions pu engager des poursuites dans bien des cas aux termes de différentes lois. Le projet de loi indique, non seulement à la population canadienne mais aussi à la communauté internationale, que nous condamnons ce comportement, et il nous permet d'agir en conséquence.

Votre remarque est pertinente. Je dois vous dire franchement que je n'y avais pas pensé. Si je l'ai fait, c'est par hasard. Je vous remercie d'avoir attiré mon attention là-dessus.

Le sénateur Joyal : Vous avez dit dans votre déclaration que l'objectif du projet de loi C-2 est d'assurer la reddition des comptes et de rétablir la confiance dans l'ensemble du régime. En tant que ministre de la Justice, vous proposez dans le projet de loi d'importantes mesures, et celle dont nous discutons sur les poursuites ce matin est fondamentale.

Vous avez répété vouloir envoyer un message clair aux Canadiens. Je souscris tout à fait à ce principe. Cependant, je me demande si certaines initiatives gouvernementales ne vont pas, dans la pratique, à l'encontre de ce message.

Le premier juge dont vous avez recommandé la nomination au Canada est Richard Bell de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. C'est un avocat de renom qui a aussi été un organisateur conservateur bien connu lors des deux dernières élections au Nouveau-Brunswick. Il a appuyé la mesure de M. Harper quand ce dernier cherchait à devenir chef du Parti conservateur en 2002. Par conséquent, vous avez tout de suite choisi un candidat dont les réalisations politiques sont si bien connues que les citoyens savent que ce juge a des allégeances politiques même si on essaie d'assurer l'indépendance du ministère public. Vous avez critiqué le gouvernement libéral d'avoir fait la même chose quand vous étiez dans l'opposition et la première mesure que vous prenez est de proposer un nom.

Pour ce qui est du projet de loi C-2, ne devrions-nous pas proposer un processus de nomination pour rétablir la confiance des citoyens? Le candidat qui se trouve à avoir d'importants antécédents politiques devrait être au-dessus de tout soupçon pour ses pairs.

M. Toews : Voilà une belle occasion de discuter de cette nomination. En fait, j'ai fait deux nominations. J'ai aussi nommé la juge Louise Charbonneau des Territoires du Nord-Ouest. Il n'a été question de cette nomination dans aucun des journaux qui ont critiqué la nomination du juge Bell.

Les noms de M. Bell et de Mme Charbonneau figuraient sur une liste qui n'a pas été établie par le gouvernement conservateur. En fait, la liste a été dressée par l'ancien gouvernement en vertu du régime de nomination.

Je n'ai proposé aucun nom. J'ai simplement consulté la liste qui avait été proposée par l'ancien gouvernement, et les noms de ces deux personnes étaient recommandés ou hautement recommandés. Je ne fais pas de différence entre recommandé et hautement recommandé; je considère que les candidats sont en mesure d'être juges. Il est simplement erroné de dire que le gouvernement conservateur a nommé quelqu'un pour des raisons politiques.

Cependant, les apparences, comme vous dites, peuvent être différentes. Dans le cas du juge Bell, je ne connaissais pas du tout ses liens avec le parti. Cela peut vous paraître étrange. C'est ainsi. J'en ai eu vent plus tard au cours du processus.

Je tiens à souligner que les noms figuraient sur une liste qui a été établie par l'ancien gouvernement libéral.

Le sénateur Joyal : Je ne doute pas de votre honnêteté, monsieur le ministre. Je veux simplement rappeler le principe de lord Hewitt que vous avez-vous-même énoncé et que beaucoup de membres du comité citent au cours de nos débats, à savoir qu'il est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais que justice paraisse être rendue.

M. Toews : C'est pourquoi nous avons agi de façon particulière dans le cas de la Cour suprême du Canada. Nous avons pris une décision historique afin de rendre le processus de nomination du juge Rothstein public. Comme le premier ministre l'a indiqué, ce n'était pas nécessairement la dernière amélioration apportée au mode de nomination.

Le sénateur Joyal : Je comprends. Cependant, comme je l'ai dit, la personne dont le nom a été proposé au cabinet, et j'ai été membre d'anciens cabinets, était un organisateur associé au premier ministre. Quand le premier ministre signe le décret, il ne peut pas connaître la personne. Pour moi, cela témoigne des valeurs que nous défendons.

Si le gouvernement veut rétablir la confiance du public, il doit indiquer les valeurs qu'il défend.

M. Toews : Sénateur Joyal, voulez-vous dire que les conservateurs ne doivent jamais nommer de conservateurs, mais seulement des libéraux et des néo-démocrates? Voulez-vous dire que les libéraux doivent nommer seulement des conservateurs et des néo-démocrates?

Le sénateur Joyal : Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je dis que, durant la dernière campagne électorale, le premier ministre a indiqué clairement qu'il y avait trop de juges libéraux au Canada. Je ne sais pas si le premier ministre veut « équilibrer le système » en nommant des partisans conservateurs bien connus.

M. Toews : Je peux vous assurer que ce n'est pas le premier ministre qui a pris l'initiative de nommer cette personne.

Le sénateur Joyal : Je vous crois. Comme je dis, c'est l'apparence de justice qui m'intéresse et le rétablissement de la confiance du public.

M. Toews : Monsieur le sénateur, je ne crois pas qu'il s'agit d'empêcher la nomination de membres de la classe politique. Nous empêchons la nomination de personnes incompétentes.

Étant donné que c'est le précédent gouvernement qui a établi la liste des personnes dont la nomination était recommandée, la population du Canada sait que c'est ainsi que les choses fonctionnent. Je peux consulter la liste et nommer quelqu'un indépendamment de son allégeance politique.

On s'est demandé si les gens étaient inscrits sur la liste en raison de leur allégeance politique. Évidemment, dans le cas dont vous parlez, indépendamment des liens que cette personne entretenait avec le Parti conservateur, son nom ne figurait pas sur la liste en raison de son allégeance politique. Je peux seulement présumer qu'il figurait sur la liste en raison de ses qualités à devenir juge. Par conséquent, je me suis senti libre de proposer sa candidature.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Combien de noms étaient sur cette liste qu'on vous a soumis pour combler le poste qui a été accordé à M. Bell?

[Traduction]

M. Toews : On doit nommer deux juges du Nouveau-Brunswick. Nous en avons nommé un. Je ne pourrais pas vous dire le nombre exact. Il n'y avait pas des dizaines de personnes.

Le sénateur Robichaud : Pouvait-il y en avoir dix?

M. Toews : Je ne pense pas qu'il y en avait plus de dix. J'allais dire quatre pour une raison ou une autre. J'ai examiné tellement de listes dernièrement. Il y en avait peut-être dix comme vous dites.

Le sénateur Joyal : Monsieur Toews, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que certaines initiatives témoignent des valeurs que nous défendons en tant que société. Elles sont importantes pour déterminer le genre de société dans laquelle nous vivons.

En fait, il y a eu une discussion importante au Sénat quand les articles 318 et 319 du Code criminel ont été modifiés. Ces articles traitent de la propagande haineuse. Beaucoup de mes collègues ici présents vont se rappeler des discussions vives et passionnées sur le sujet au Sénat.

L'article 318 a été modifié il y a deux ans pour inclure l'orientation sexuelle. Quant à l'article 319, il a été modifié pour inclure la défense des croyances religieuses. N'avez-vous pas voté contre ce projet de loi quand la Chambre des communes l'a étudié?

M. Toews : Oui. J'approuve tout à fait les catégories établies par les Nations Unies à la suite des expériences horribles vécues pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ajouter d'autres catégories à celles recommandées par les Nations Unies est une autre question.

En principe, j'appuie nos lois sur les crimes haineux. Les préoccupations soulevées dans la décision Keegstra par l'actuelle juge en chef du Canada à propos de la constitutionnalité des dispositions me fait craindre énormément que le fait de limiter encore davantage la liberté d'expression dans notre pays puisse compromettre la constitutionnalité des articles 318 et 319.

L'article 319 est un pas dans la bonne direction pour rétablir l'équilibre, mais je ne crois pas qu'il va assez loin pour ce qui est de la protection des libertés religieuses dans notre pays. Je reste inquiet à ce sujet. Je ne pense pas que nous devrions ajouter d'autres catégories à celles déjà prévues.

Oui, j'ai voté contre ce projet de loi pour un certain nombre de bonnes raisons d'ordre constitutionnel et juridique.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous prêt, en tant que procureur général, à aller devant les tribunaux pour vérifier si l'article 319 est conforme à la Charte?

M. Toews : J'ai le sentiment qu'on le fera tôt ou tard. Mon expérience m'a enseigné à faire preuve de précaution dans le cas des renvois. Par exemple, la question du mariage des conjoints de même sexe n'aurait pas dû faire l'objet d'un renvoi, à mon avis. Il aurait fallu qu'elle passe de la Cour d'appel de l'Ontario à la Cour suprême pour que les faits voulus soient présentés à la Cour suprême du Canada. Il faut être prudent avec les renvois.

Cela dit, je suis intervenu dans le renvoi de l'alinéa 193.1(1)c) du Code criminel sur les lois sur le racolage, à propos desquelles il y a eu sept ou huit poursuites entamées au Manitoba, dont une s'est terminée par un acquittement. Le gouvernement a voulu examiner le problème dans son ensemble avant de renvoyer la question à la Cour suprême.

Je ne trouve pas que cette affaire justifie un renvoi, mais on peut me persuader du contraire. La Cour suprême peut entendre certaines causes qui pourraient nous éclairer à ce sujet.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, si on voulait faire valoir devant la Cour que l'article 319 porte atteinte à la liberté d'expression, en tant que procureur général, vous pourriez intervenir à l'appui de la contestation, étant donné qu'elle est fondée sur la Charte?

M. Toews : C'est une question à considérer. C'est ainsi que je comprends le rôle du procureur général et c'est la raison pour laquelle j'ai beaucoup critiqué l'ancien gouvernement de ne pas avoir interjeté appel de la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario devant la Cour suprême du Canada. Je crois qu'il ne l'a pas fait pour des raisons politiques, que cela l'arrangeait, sur le plan politique, de ne pas porter l'affaire devant la Cour suprême du Canada.

À mon avis, il a eu tort. Le procureur général aurait dû porter cette affaire en appel devant la Cour suprême du Canada pour que la chose soit beaucoup plus claire sur le plan légal. Il y a encore beaucoup de controverse et d'émotivité qui entoure cette question.

Le sénateur Joyal : Ne devriez-vous pas alors renvoyer la Loi sur le mariage civil à la Cour suprême pour lui demander de déterminer si la loi respecte la Constitution?

M. Toews : Je crois comprendre que la Cour suprême a déjà déclaré qu'elle était conforme à la Constitution. Il faut se demander s'il y a d'autres solutions de rechange, et un renvoi ne permettrait pas de le savoir.

Je préfère que la question se règle par la voie politique, à la Chambre des communes et au Sénat, ou à la suite d'une contestation faite par un citoyen ou un organisme privé.

Le président : Merci, monsieur le ministre.

M. Toews : Je voudrais faire une correction. On me dit qu'il y avait 35 ou 37 noms sur la liste des candidats recommandés en provenance du Nouveau-Brunswick.

Le président : C'était en réponse à la question du sénateur Robichaud?

M. Toews : Oui. Je m'excuse. Je ne m'en rappelais plus.

Le sénateur Robichaud : Je me trompais moi aussi, puisque j'ai parlé de 10 candidats.

M. Toews : J'aurais pensé qu'il y en avait eu plus et que des noms avaient été éliminés en cours de route. En fait, je ne connais pas le processus.

Le sénateur Stratton : Vous avez expliqué en partie les différences entre le Bureau du DPP et le Service fédéral des poursuites. J'aimerais donner un exemple que les Canadiens connaissent bien. Que ferait ou pourrait faire le Bureau du directeur des poursuites pénales dans une situation comme celle du récent scandale des commandites?

M. Toews : J'hésite à associer ce poste à des poursuites en cours. Je crois simplement que le moment est venu de donner suite à ce dossier. D'autres provinces l'ont fait. Ce poste aurait dû être créé depuis longtemps.

Je ne veux pas l'associer à d'autres poursuites parce qu'il faut se rappeler que la plupart sinon toutes les poursuites dans cette affaire sont engagées par des procureurs provinciaux et non fédéraux.

L'objectif est simplement de rétablir la confiance dans le système de justice et nous faisons notre part pour soustraire les poursuites à toute politique partisane. Si je comprends votre question, vous voulez savoir ce que le directeur ferait, par exemple, dans des situations qui se sont déjà produites?

Le sénateur Straton : Par exemple.

M. Toews : Comme j'ai indiqué que c'était les procureurs provinciaux qui engageaient la plupart de ces poursuites, les procureurs fédéraux ne vont pas se prononcer après coup sur les poursuites de compétence provinciale.

Je pense que le procureur va constituer un groupe de travail pour examiner les meilleures pratiques pour les poursuites dans les situations de ce genre, qu'il va discuter avec les procureurs fédéraux et provinciaux pour déterminer les meilleures pratiques en pareil cas.

Nous n'allons pas empiéter sur les compétences provinciales, mais nous devons coordonner, dans l'ensemble du pays, nos efforts pour les poursuites de cette nature, c'est-à-dire établir certains principes et certaines lignes directrices pour assurer une certaine uniformité dans une fédération comme le Canada.

Le sénateur Straton : Merci. J'ai une dernière question.

Nous avons des titulaires de charge publique. Quel message le directeur des poursuites pénales va envoyer à ces titulaires, sans égard aux causes devant les tribunaux, pour leur indiquer que la loi va être appliquée avec rigueur? Comment faire savoir aux titulaires de charge publique que ce poste de directeur aura une grande incidence sur la façon dont ils se conduisent?

M. Toews : Votre question est pertinente, sénateur. La création de ce poste indique non seulement à la population canadienne que les poursuites ne sont pas partisanes, mais plus précisément aux fonctionnaires qu'ils doivent fournir un meilleur rendement.

Comme la plupart de ces titulaires sont bien informés, ils vont savoir que ce service existe précisément pour s'attaquer aux problèmes de cette nature, afin que cette question ne se fonde pas dans la masse informe des poursuites intentées, mais soit plutôt considérée comme une préoccupation toute particulière du gouvernement parce que nous voulons rétablir la confiance de la population dans l'ensemble des institutions publiques.

Tout comme nous avons voulu envoyer un message clair, dans le cas des crimes haineux, pour indiquer qu'on ne met pas de croix gammée sur les synagogues, parce que cet acte n'est pas simplement un méfait au sens de la loi; c'est beaucoup plus sérieux, nous voulons une loi qui traite clairement de cette question en particulier.

Je crois que ce projet de loi sera tout aussi profitable pour les fonctionnaires qui doivent fournir un rendement supérieur, selon moi, à la population en général parce qu'ils occupent des postes de confiance.

Le sénateur Zimmer : J'aimerais remercier le ministre des efforts qu'il a faits pour venir nous rencontrer aujourd'hui. Même si le sénateur Baker a fait état de vos succès juridiques, que d'autres sénateurs ont chanté vos louanges et que nous sommes des collègues du Manitoba, je vais essayer de rester objectif.

Je vais poursuivre la discussion amorcée par le sénateur Joyal sur la nomination de ce directeur. Il y a d'autres aspects à cette nomination, monsieur le ministre. Quel devrait être la durée de son mandat? Quelles devraient être ses attributions? Et surtout, dans quelles circonstances et comment le DPP pourrait être révoqué de son poste? Commençons par le début : Quel devrait être la durée de son mandat?

M. Toews : On propose qu'il soit nommé pour sept ans et que son mandat ne puisse pas être renouvelé. Est-ce suffisant? J'ai entendu que des sénateurs voulaient proposer un mandat de huit ans renouvelable.

Le sénateur Zimmer : Après son élection, pas sa nomination.

M. Toews : Il y a toutes sortes d'autres questions. Son mandat devrait-il être plus long, par exemple? Devrait-il être de 10 ou 15 ans? Il y a toujours un compromis à faire là-dessus. Bien des facteurs entrent en ligne de compte, et l'un que vous n'avez peut-être pas pris en considération, sénateur, est le fait que le directeur des poursuites pénales va maintenant nommer tous les avocats qui vont le représenter dans des causes criminelles. C'est actuellement moi qui nomme tous ces procureurs. Je ne le dis pas dans un sens péjoratif, mais cette fonction partisane sera confiée à quelqu'un d'autre. Nous ne voulons pas créer un système de favoritisme au sein de la bureaucratie.

Le sénateur Cools : Vous n'avez pas besoin de le créer; il est déjà en place.

M. Toews : Il est bon d'avoir un mandat de sept ans pour pouvoir apporter du sang neuf et cela permet d'éviter des problèmes qui ne pourraient l'être autrement.

Pour revenir sur ce que disait le sénateur à propos de la nomination à la magistrature, le problème avec la nomination des mandataires qui relèvent du ministre, c'est qu'aucun critère n'a été établi, alors que les juges que nous sélectionnons à partir d'une liste ont au moins été retenus par un organisme indépendant quelconque.

Le sénateur Zimmer : Pouvez-vous nous donner un aperçu des qualités que vous recherchez?

M. Toews : Je pourrais nommer quelques personnes, car j'en connais qui possèdent ces qualités. Évidemment, j'aimerais quelqu'un qui a une vaste expérience des poursuites devant les tribunaux et de solides compétences dans ce domaine. Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi les compétences administratives. Les avocats peuvent parfois être d'excellents procureurs mais de très mauvais administrateurs, paraît-il. Les qualités qui font un bon procureur ne font pas nécessairement un bon administrateur. Je ne vise personne. La personne en question doit savoir bien gérer, car je peux vous assurer que ce n'est pas une mince affaire que de traiter avec des milliers d'avocats. Dans mon rôle limité auprès de ministères responsables, je sais à quel point c'est difficile quand chaque avocat a sa façon de voir une question particulière. Des qualités aux plans administratif et humain sont absolument essentielles.

L'autre qualité sur laquelle il faut insister, c'est la capacité d'élaborer des politiques. Je pense qu'il y aura un important élément politique à ce rôle. Le directeur des poursuites pénales devra être en mesure de recommander des changements aux politiques au procureur général. Voilà les qualités que je rechercherais chez un DPP, et que j'encourage le Sénat et la Chambre des communes à rechercher. Il y en a peut-être d'autres, mais je recommande particulièrement celles-là.

Le sénateur Zimmer : Mais surtout, dans quelles circonstances et par quels moyens la personne serait-elle destituée?

M. Toews : L'expression « motifs valables » est un principe de common law reconnu. On doit avoir de bonnes raisons. On applique ce principe dans bon nombre de contextes lorsque des gens ne peuvent être relevés de leurs fonctions que pour des motifs valables. Je ne voudrais pas en limiter la définition, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a infraction à la loi pénale, par exemple. La personne pourrait prendre des habitudes de travail qui nuisent au bon fonctionnement du bureau. Ce peut être très vaste.

Le sénateur Hays : D'après ce que j'ai entendu et lu, je comprends que le poste de directeur des poursuites pénales n'est pas conçu pour réformer une situation que l'on connaît déjà, mais bien pour renforcer la perception que justice est, et surtout, paraît être rendue. On crée un nouveau poste, on le réorganise et on alourdit l'appareil bureaucratique. Le dicton qui me vient à l'esprit n'est pas tiré de mon expérience d'avocat, mais plutôt de mon expérience en machinerie agricole, et c'est que « le mieux est l'ennemi du bien ».

On a porté à mon attention un document très intéressant de Bruce MacFarlane, qui était sous-ministre de la Justice au Manitoba lorsque vous étiez procureur général. Ce document est intitulé Sunlight and Disinfectants : Prosecutorial Accountability and Independence through Public Transparency et je vais citer une traduction libre de sa conclusion :

[...]comme je l'ai mentionné[...] la structure elle-même pourrait finir par catalyser le malaise public et politique. Au lieu de se concentrer sur les valeurs positives telles que l'indépendance, la reddition de comptes et la confiance du public, la seule existence de la structure pourrait, à tort ou à raison, avoir l'effet tout à fait contraire et susciter la méfiance de la population et la perception que la structure n'a de comptes à rendre à personne.

Pourriez-vous nous expliquer les processus qui ont donné lieu à cette initiative dans ce contexte?

M. Toews : Je vous remercie, sénateur, pour ces questions pertinentes. Si nous fondions nos vies sur le principe « le mieux est l'ennemi du bien », la plupart d'entre nous conduiraient encore le modèle T de Ford. Ce modèle n'avait aucun problème.

Le sénateur Hays : C'était une excellente voiture.

M. Toews : Ce que je veux dire, c'est qu'il y a toujours moyen de faire mieux. C'est vraiment le message que j'essaie de transmettre à mon personnel et au public. Comme le disait un sénateur, cela fait partie d'un processus d'évolution. Nous l'avons vu en Nouvelle-Écosse, en Colombie-Britannique et au Québec. Nous renforçons l'indépendance en matière de poursuite en adhérant à ces principes. Soit dit en passant, le juge Hugues a soulevé la question de la relation entre la GRC et le gouvernement, dans son rapport d'enquête sur le sommet de l'APEC. Selon lui, nous avons d'excellents principes de common law qui protègent la GRC et lui permettent de rendre des décisions en toute indépendance, mais qu'est-ce qui nous empêche de les confirmer par des dispositions législatives? C'est ce que recommande le juge Hugues. Nous n'avons encore rien fait en ce sens, mais nous devrions y réfléchir. C'est quelque chose que je préconise personnellement, mais cela ne relève pas de mes compétences. Cette question s'insère dans une démarche de renforcement de ces principes qui nous tiennent à cœur, au sein de nos systèmes juridique, politique et judicaire.

J'ai du respect pour Bruce MacFarlane; j'ai travaillé avec lui et je le vois encore de temps à autre.

Si vous créez une institution qui n'est pas suffisamment flexible, vous risquez qu'elle devienne aussi fossilisée que les autres qui ne sont pas assez réceptives.

Le président : Je vous trouve critique.

M. Toews : Je ne pensais à aucune institution en particulier. Je devrai apprendre à être plus sensible en matière de politique. Nous nous sommes efforcés d'inclure dans la mesure législative bon nombre de mesures de protection et de dérogations, notamment un mandat de sept ans pour ne pas ouvrir la porte au népotisme bureaucratique. Le procureur général du Canada peut également donner une directive précise au directeur, selon la politique établie, en autant qu'elle soit écrite et publiée. Je crois que cela s'est fait en Colombie-Britannique, par exemple, lorsque le procureur général a publié une directive à l'intention du directeur des poursuites pénales. C'est une procédure transparente et claire. Nous avons conservé le pouvoir d'intervenir dans les poursuites et d'assumer leur conduite.

Nous voulons le meilleur des deux mondes dans la loi, c'est-à-dire à la fois la protection législative institutionnalisée de l'indépendance des procureurs et le droit du procureur général d'intervenir, dans certaines circonstances, bien que cette intervention doive être très publique.

Le sénateur Hays : M. McFarlane a soulevé un bon élément. En essayant d'améliorer les choses, particulièrement dans un monde de politisation accrue, que ce soit les nominations à la magistrature ou la création du poste de directeur des poursuites pénales ou d'autres questions de responsabilité qui n'y sont pas nécessairement liées, on pourrait inciter à la politisation, et c'est ce qui s'est produit, dans une certaine mesure, avec la loi sur la responsabilité.

Vous pourriez peut-être nous en dire plus long sur cet aspect, mais je pense que cela devrait aider les décideurs publics à trouver des solutions concrètes aux véritables problèmes.

M. Toews : Il est vrai, sénateur, que nous ne devrions pas agir trop hâtivement dans certains dossiers, mais je ne crois pas que ce soit le cas avec celui-ci. Selon le rapport de la Commission de réforme du droit du Canada et les initiatives qu'ont prises les autres provinces, c'est quelque chose qui aurait pu être fait il y a cinq ou dix ans. En fait, nous tirons parti des erreurs des autres gouvernements. Cependant, si l'on regarde leur expérience, il n'y a aucun problème que je qualifierais d'inquiétant. En général, ils ont fait des progrès. Nous devrions donc en profiter et ne pas attendre qu'une crise survienne.

Le sénateur Cools : Je crois que ces dispositions se veulent très utiles, mais il faut faire attention à ne pas nous montrer un peu naïfs et je vais vous expliquer pourquoi. Vous parlez de l'état de notre système national de justice. Je crois fermement que l'administration de la justice au Canada relève du Parlement. Malheureusement, lorsque nous disons « politique », nous le faisons dans un esprit partisan.

La politisation de la justice, notamment chez les policiers et les procureurs, est l'un des plus gros problèmes auquel le pays ait fait face en bien des années. Par exemple, lorsque les procureurs sont fanatiques d'une idéologie politique, il peut y avoir des vagues de poursuites. Pendant dix ans, notre pays a connu une période où les hommes accusés d'agressions sexuelles étaient pratiquement condamnés sans procès, à cause des fanatiques qui voyaient ainsi les choses. L'époque où un ministre de la Justice pouvait demander à un juge d'acquitter un ami est révolue. Là n'est pas le problème. Les problèmes se situent à l'intérieur des systèmes, et c'est pourquoi notre pays a commis autant d'erreurs judiciaires depuis de nombreuses années.

J'ai mené une étude, à laquelle je n'ai pu intéresser aucun ministre de la Justice, sur les fausses accusations portées contre les hommes en instance de divorce. J'ai été ébahie de constater le peu de cas qu'en faisaient les ministres de l'époque. Un juge a décrit cela comme une arme de prédilection à une certaine époque. Je parle bien sûr du phénomène des femmes qui accusent faussement leur conjoint, lors d'un procès au civil, d'abuser de leurs enfants pour en obtenir la garde exclusive. Je me suis beaucoup intéressée à ce dossier.

Pour revenir sur notre sujet, je vous admire et je vous félicite pour le message que vous vous efforcez de transmettre. L'une des choses qui me préoccupent, c'est que ce nouveau poste soit enchâssé dans sa propre loi. Cela m'inquiète car je sais que les systèmes commencent à dériver. Dans deux ou trois ans, il y aura un autre amendement et, sans qu'on s'en rende compte, la loi aura pris une toute autre forme calquée sur la vision de quelqu'un, et on ne saura peut-être même pas qui.

Il existe au pays un mouvement de gens, que je pourrais appeler des légalistes, qui veulent pousser le procureur général hors du Cabinet et de la Chambre. Quelques années après la Confédération, sir John A. MacDonald, auteur de la Loi sur le ministère de la justice, a assumé de lui-même les fonctions de procureur général et de ministre de la Justice en même temps que celles de premier ministre, car il comprenait les difficultés inhérentes à ces situations. Comme vous le savez, ces deux postes ne sont en fait qu'un seul au Canada. Les Britanniques n'ont pas de ministre de la Justice. Lorsqu'on a créé le ministère de la Justice et le procureur général d'office, le ministre de la Justice, le Canada, pensait- on, était à l'avant-garde du Royaume-Uni, qui préconisait un ministère de la Justice distinct pour s'occuper du lourd fardeau des formalités administratives.

Il y a deux ans, le gouvernement a aboli le poste de deuxième conseiller juridique de l'État, le Solliciteur général. Le ministre de la Justice est le premier conseiller juridique de l'État et le Solliciteur général le deuxième. Je m'étais opposée à cette révocation à ce moment-là, mais elle s'est quand même faite. Je vois là tout le processus. Ceci est, à mon avis, un premier pas pour pousser le procureur général et les poursuites hors du Cabinet et de la Chambre des communes. Cette tendance est amorcée depuis un bon moment. Pour prouver ce que je dis, nous n'avons qu'à examiner les articles du projet de loi qui traitent de la révocation, du mandat et de la durée, ainsi que de la destitution de ce nouveau DPP.

Si je lis l'article 5, je comprends que ce poste est inamovible. Si vous prenez la page 106 de ce projet de loi, le paragraphe 5(1) énonce diverses procédures de révocation. On parle d'une nomination à titre inamovible et d'un mandat de sept ans. Il est donc question de nomination à titre amovible. On parle de révocation motivée, mais on ne dit pas que c'est sur adresse. Il est question de résolution de la Chambre des communes seulement, sans tenir compte du Sénat. Ces méthodes sont très différentes : la nomination à titre amovible ou inamovible. Monsieur le ministre, si vous interprétez cet article, votre personnel ne vous dira pas que cette personne est inamovible. Le paragraphe suivant stipule :

5(2) À l'expiration de son mandat, le directeur demeure en fonction jusqu'à ce qu'il soit remplacé.

Un ministre peut simplement ne pas procéder à une nomination pendant de nombreuses années. Nous avons été privés d'un bibliothécaire en chef pendant des années. Monsieur le ministre, je vous invite à creuser un peu quelques- unes de ces questions. La révocation sur adresse est un phénomène particulier difficile à comprendre. Quand il y a motion visant à destituer un titulaire de charge sur adresse d'un ministre, une fois que la loi l'exige, si l'on n'adopte pas la motion, le ministre est forcé de démissionner. Si aucun juge n'a été révoqué sur adresse au cours des 140 dernières années, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas eu de mauvais juges, mais bien que la situation présente un danger politique. Comme vous le savez, dans l'histoire britannique, le dernier juge à avoir été révoqué sur adresse était sir Jonah Barringlton. C'est pourquoi je veux que nous portions plus d'attention au libellé de ces projets de loi. Vous vous souvenez peut-être de la controverse, il y a de nombreuses années, entourant la destitution du juge Landreville. Un avis de motion visant à le révoquer avait été déposé au Sénat. Le gouvernement d'alors que je devrai vérifier savait très bien qu'il était à risque si l'adresse émanait d'un ministre. Lorsqu'un ministre dépose une motion à la Chambre et qu'une loi ou, dans le cas des juges, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, exige une révocation sur adresse, le rejet de la motion entraînerait la chute de ce ministre et même du gouvernement. C'est une question extrêmement difficile, parce qu'elle laisse entendre que des mauvais conseils ont été donnés à la Chambre et à Sa Majesté sur l'application d'un privilège. C'est pourquoi le gouvernement Diefenbaker s'est heurté à des difficultés dans l'affaire Coyne, il y a de nombreuses années. Je me souviens qu'il avait tenté de redresser la situation au moyen d'un projet de loi. Je continue d'inciter certains d'entre nous à étudier ces questions constitutionnelles fondamentales.

Monsieur le ministre, cet article regroupe toutes les formes possibles de mandat.

Le président : Sénateur Cools, pourrions-nous demander au ministre de répondre?

Le sénateur Cools : Il pourrait ne pas être prêt. Je lui demandais simplement d'y réfléchir.

M. Toews : J'en suis conscient, sénateur Cools. Ce n'était pas le choix de notre gouvernement. Il s'agit d'un amendement du Bloc.

Le sénateur Cools : Nous devrions l'examiner.

M. Toews : Sachez que c'est le fruit d'une discussion entre les députés de la Chambre des communes. Ce n'était pas notre premier choix et je suis au fait des préoccupations que vous avez soulevées.

Le président : Monsieur le ministre, pour les gens qui n'ont pas la mesure législative devant eux, pourriez-vous expliquer l'amendement du Bloc ainsi que le changement apporté afin que nous puissions mieux saisir l'article en question?

Joe Wild, avocat-conseil, Services juridiques, portefeuille du Conseil du Trésor, ministère de la Justice Canada : Je serais heureux de le faire. Dans l'amendement du Bloc, nous nous reportons au paragraphe 4(5).

Le sénateur Cools : Non, c'est le paragraphe 5(2).

M. Wild : Si vous prenez la partie qui débute par « appuyée par une résolution de la Chambre des communes à cet effet », il s'agit d'un amendement déposé à la Chambre. Le gouverneur en conseil pouvait ainsi procéder à une révocation motivée. On a présenté à la Chambre un concept visant à obtenir un appui par une résolution de la Chambre des communes, ce qui signifie, à toutes fins pratiques, que le DPP peut faire l'objet d'une révocation motivée; cependant, pour ce faire, on doit d'abord obtenir une résolution de la Chambre.

Le président : Le sénateur Cools a soulevé une question intéressante à propos du paragraphe 5(2) qui stipule que « [...] le directeur demeure en fonction jusqu'à ce qu'il soit remplacé ». Elle a fait ressortir l'un des problèmes. Monsieur le ministre, j'aimerais vous entendre à ce sujet.

M. Wild : Si vous me le permettez, j'aimerais en parler. En fait, c'est une disposition courante dans bien des lois qui définissent un régime de nomination, qui permet d'accorder un mandat d'une durée déterminée. Pour diverses raisons, le gouvernement peut ne pas être en mesure d'affecter une personne à ce poste le jour suivant l'expiration du mandat. Il s'agit tout simplement d'une disposition qui autorise le directeur à demeurer en poste jusqu'à ce que son successeur soit désigné et puisse le remplacer.

Le président : Le comité législatif de la Chambre des communes chargé d'étudier le projet de loi C-2 a supprimé une fonction du directeur des poursuites pénales, soit celle de « mener, pour le compte de l'État, relativement aux poursuites, les recours et les autres procédures dans lesquels l'État a qualité d'intimé ».

Ne serait-il pas préférable de la réinstaurer? Pourquoi l'a-t-on retirée?

M. Toews : En effet, on a supprimé l'alinéa 3(3)b) après avoir étudié la définition de « poursuite » que contient la loi ainsi que les autres pouvoirs, obligations et fonctions prévues à l'article 3. On a conclu que les procédures dans lesquelles l'État avait qualité d'intimé étaient décrites à l'alinéa 3(3)a) et que la définition de « poursuite » englobait les procédures liées à toute infraction dont la poursuite et les recours connexes.

Le président : Vous avez donc trouvé que c'était redondant et inutile?

M. Toews : Tout à fait.

Le président : Si le procureur général peut donner des directives relativement à l'introduction ou à la conduite des poursuites en général, comment peut-on assurer l'indépendance du directeur des poursuites pénales? Si le procureur général a le pouvoir de donner des directives au procureur spécial, le directeur est-il à l'abri des influences politiques?

M. Toews : Le directeur des poursuites pénales et le procureur général sont guidés par les mêmes principes de common law en matière de poursuites. Cela ne change pas. Par exemple, dans le cas de poursuites pour crimes haineux, quand le directeur estime qu'il est préférable de demeurer en Cour d'appel alors qu'il y a un élément d'intérêt public. Le procureur général est d'avis que l'affaire doit être portée devant la Cour suprême du Canada. La décision revient au procureur général, à condition qu'elle soit rendue publique. Je crois que la directive doit aussi être publiée dans la Gazette du Canada. Ainsi, on maintient la fonction essentielle de protection de l'intérêt public qu'assume le procureur général, intérêt dont le directeur des poursuites pénales ne tient pas nécessairement compte dans une affaire particulière.

Le sénateur Baker : J'aimerais poser une question concernant le projet de loi sur les conflits d'intérêts. La Chambre des communes a supprimé un article selon lequel tout parlementaire devait affirmer solennellement avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction avait été commise. Si vous souhaitez déposer une plainte, vous devez normalement prêter serment d'une façon ou d'une autre. La Chambre des communes l'a retiré du projet de loi. Si l'on regarde ce qui suit, le commissaire a le pouvoir d'assigner devant lui des témoins et de leur enjoindre de témoigner il y a un article qui stipule que ce témoignage ne peut être utilisé dans des poursuites ultérieures contre la personne. Par contre, comme vous le savez, on peut s'en servir pour juger de sa crédibilité. Aux termes de la loi, le commissaire bénéficie de l'immunité en matière civile ou pénale pour les actes et les paroles qui lui sont attribuables. Enfin, la décision du commissaire est définitive et ne peut être attaquée que conformément à la Loi sur les Cours fédérales, c'est- à-dire par un ministre.

Autrement dit, on ne peut mettre en doute votre décision que si elle est manifestement déraisonnable, c'est-à-dire injuste sur le plan de la procédure. La barre est haute.

À votre avis, ne serait-il pas préférable de remettre en place l'article selon lequel une personne doit affirmer solennellement avoir des motifs raisonnables? Je ne sais pas si vous voulez en parler, puisque la Chambre des communes l'a supprimé. Cependant, dans toute autre profession que ce soit chez les médecins, les avocats ou les infirmières , on a habituellement, dans les procédures disciplinaires, la possibilité de faire appel à une instance supérieure de la province dans laquelle l'ordre professionnel a mené la procédure ou l'examen.

Ce n'est pas le cas ici. En fait, il est interdit d'interjeter appel de la décision du commissaire. Le commissaire tout- puissant prend une décision qui pourrait ruiner la réputation de quelqu'un. On peut utiliser le témoignage d'une personne contre elle-même dans une poursuite ultérieure afin d'établir sa crédibilité, mais pas pour porter des accusations. Les décisions du commissaire ne peuvent être attaquées devant les tribunaux; elles sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

Faudrait-il une modification pour nous réserver la possibilité de porter en appel la décision du commissaire devant un tribunal supérieur?

M. Wild : Si j'ai bien compris, la question concerne la Loi sur les conflits d'intérêts, n'est-ce pas?

Le président : Tout-à-fait, la LCI, comme vous l'appelez.

M. Wild : Il y est question du rôle de la Loi sur les conflits d'intérêts, du mandat du commissaire à l'éthique et de la nécessité d'avoir une attestation d'un député. Ce dont il s'agit, c'est que lorsqu'un membre du public souhaitait déposer une plainte auprès du commissaire, il devait le faire par l'intermédiaire d'un député. Avant que le comité ne modifie le projet de loi, le député était tenu d'attester le caractère raisonnable de la plainte.

Cette exigence n'existe plus, alors les députés peuvent désormais décider, pour quelque raison que ce soit, de transmettre ou non l'information au commissaire, lequel l'examinera et décidera s'il convient ou non de faire enquête.

Je vais vous expliquer le concept qui sous-tend ce projet de loi. Le commissaire étudie des dossiers et doit déterminer si un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts. En général, le commissaire établit si cette personne a passé outre aux exigences prévues par le projet de loi sur les conflits d'intérêts, par exemple à l'obligation de se récuser concernant un débat ou un vote sur une question qui la place en situation de conflit d'intérêts.

Quand une personne omet de présenter ses rapports au commissaire, le projet de loi prévoit des sanctions administratives pécuniaires pouvant se chiffrer à 500 $. En ce qui concerne les dispositions de fond de la loi, le commissaire ne peut infliger aucune sanction autre que celle qu'on appelle la sanction de l'humiliation, c'est-à-dire publier un rapport sur l'infraction commise par le titulaire de charge publique. Ainsi, si le titulaire de charge publique commet une infraction après son mandat soit après avoir quitté la fonction publique le commissaire pourrait aussi interdire aux autres titulaires de charge publique d'entrer en contact avec lui.

Le projet de loi ne prévoit aucune sanction pénale en cas de violation de la présente loi. En fait, il précise que les contraventions sont soustraites à l'application de l'article 126 du Code criminel. Ce qui justifie principalement ces sanctions est le fait que ces cas se rapportent à la discipline et à l'emploi. Autrement dit, un commissaire établit une conclusion, par exemple sur un ministre ayant enfreint la loi à l'étude qui est proposée, et il la remet au premier ministre, qui doit rendre des comptes à la Chambre des communes et au Parlement des mesures qu'il a prises pour régler le problème.

C'est l'objectif du projet de loi. C'est par ces moyens, plutôt que par des décisions entraînant des sanctions, que le commissaire imposerait — ce qui nécessiterait des règles de justice naturelle — l'équité procédurale et divers mécanismes d'appel.

Le sénateur Baker : Des réputations pourraient être anéanties.

M. Toews : Toutes mes excuses; je dois vous quitter. Néanmoins, comme vous pouvez le constater, mes collaborateurs, ici, se tirent très bien d'affaire. Il va sans dire que j'assume leurs réponses.

Le président : Avant que vous ne partiez, j'aimerais, au nom du comité, vous remercier de votre présence ici aujourd'hui. Nous savons que vous avez remanié votre horaire et que vous êtes arrivé aux petites heures du matin. Nous savons également que vous avez dû annuler des rendez-vous importants, et que vous devez maintenant retourner dans l'Ouest pour les reprendre.

M. Toews : J'apprécie votre invitation. Cela a peut-être été incommode, mais j'estime que ma présence était très importante et je remercie le comité de m'avoir invité.

Le président : J'inviterais Robert Frater et Ann Chaplin à venir rejoindre leurs collègues.

Le sénateur Joyal : J'invoque le Règlement. Dans notre comité, il est d'usage qu'on s'adresse aux témoins en les appelant par leur nom de famille, et non par leur prénom. Le comité est régi par les mêmes règles de décorum que celles qui sont en vigueur au Sénat. J'apprécierais qu'on invite les témoins en les appelant par leur nom de famille plutôt que par leur prénom.

Le président : N'ai-je pas dit Robert Frater et Anne Chaplin?

Le sénateur Joyal : Vous avez mentionné les deux premiers témoins en disant leur nom en entier, mais ensuite, vous vous êtes adressé à M. Wild en l'appelant Joe.

Le président : Je vous présente mes excuses, sénateur Joyal, et je prie le comité de m'excuser si j'ai commis cette erreur.

Le sénateur Baker : Un sénateur, un député de la Chambre des communes, un membre du Cabinet ou un titulaire de charge publique pourrait être totalement discrédité aux yeux du public sans disposer d'aucun recours ni d'aucune procédure d'appel, ni d'une chance de laver sa réputation ou d'annuler la décision relative à une amende qui lui aurait été imposée pour des méfaits allégués. Monsieur Wild, en temps normal, on peut interjeter appel. Mais dans cette loi, une disposition l'interdit.

Je souligne que Mme Chaplin est une experte en la matière. De plus, M. Frater a participé à l'affaire R. c. Regan, en Nouvelle-Écosse, où nous avons parlé de la ligne de démarcation entre la police et la poursuite, ainsi que de l'importance de maintenir cette distinction pour l'usage du mot « intenter ». Sans doute M. Frater est-il un expert en matière d'utilisation de l'expression « intenter des poursuites ». La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a été saisie d'un cas qui portait entièrement sur le sujet, et dans le cadre duquel les autres parties voulaient contre-interroger M. Frater. Toute l'affaire tournait autour de l'usage de ce terme, comme on peut le voir dans le cas R. c. Regan entendu par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse. Pourquoi ne pas inclure dans le projet de loi un dispositif permettant de faire appel à une instance supérieure, comme c'est le cas, je crois, dans toutes les autres mesures législatives régissant les cas d'allégation d'inconduite professionnelle? Monsieur Frater, pourquoi l'expression « intenter des poursuites » figure-t- elle dans ce projet de loi?

Robert Frater, avocat général principal, Section du droit pénal, ministère de la Justice Canada : À titre de clarification, sachez que dans l'affaire Regan, j'ai agi à titre de conseiller du procureur général tant à la Cour d'appel de la Nouvelle- Écosse qu'à la Cour suprême du Canada. Nous avons examiné ce dossier pour discuter avec la Cour de la ligne de démarcation entre la police et la poursuite, et de la façon dont la relation entre les deux a évolué avec le temps. Nous sommes préoccupés par le fait que le juge de première instance a laissé entendre que les deux rôles étaient complètement distincts. Dans les faits, ce n'est pas le cas, parce que les procureurs collaborent avec la police avant que des accusations soient portées. Par exemple, si l'on veut effectuer des écoutes électroniques dans ce pays, comme vous l'avez fait remarquer, sénateur, un mandataire du procureur général doit être présent au moment de la demande. Mme Proulx a fait valoir que dans de nombreuses situations, on ne peut intenter des poursuites sans le consentement du procureur général, comme dans le cas de crimes de guerre, de génocides, de crimes haineux, etc. Le consentement du procureur général est requis pour de nombreux types de crimes. En ce sens, pour certaines infractions, des poursuites sont engagées en vertu de la loi par le procureur général. Toutefois, le projet de loi C-2 ne préconise pas un style de poursuite à l'américaine, selon lequel les DPP disposeraient de leur propre équipe pour préparer l'enquête, après quoi on engagerait des poursuites. Les choses seraient exactement les mêmes qu'en ce moment, c'est-à-dire que la police ou un autre organisme d'enquête ferait le travail, se présenterait devant le procureur général, puis ferait étudier les accusations par la Couronne, selon la compétence visée, avant de les déposer. Le projet de loi ne vise pas à indiquer un quelconque changement à cet égard.

Le sénateur Baker : Y a-t-il une objection à ce qu'on supprime le mot « intenter » chaque fois qu'il est cité au sens large, ou estimez-vous que cela pose problème? Voulez-vous répondre à cette question?

M. Frater : Je dis que cela reflète la réalité dans certaines situations où, en vertu du nouveau système proposé, des poursuites ne pourraient être intentées sans le consentement du DPP. C'est une description précise de ce qui arrivera dans certains cas avec le système qui est proposé.

Le sénateur Baker : Monsieur Frater, il y a eu l'enquête sur l'affaire Marshall, le rapport Martin, puis il y a maintenant le rapport Lamer, qui traite précisément de cette question et dans lequel on affirme qu'il ne devrait pas y avoir un brouillage de la ligne de démarcation dans la mesure où le procureur de la Couronne participe à l'enquête relative à une infraction particulière en intentant concrètement des poursuites. Oui, ils existent pour fins de consultation, comme c'est le cas dans plusieurs provinces, mais la ligne de démarcation ne doit pas être brouillée lorsqu'il est question de l'introduction de l'acte d'accusation et de l'enquête qui est menée.

Mais vous en êtes sans doute conscient. De façon générale, je comprends vos propos, parce qu'ils étaient essentiellement contenus dans votre affidavit dans l'affaire Regan. Vous reconnaissez certainement qu'on ne peut confondre ces deux fonctions.

M. Frater : Je ne crois pas que ce soit l'objectif du projet de loi que de confondre ces fonctions. Le projet de loi ne contient rien que l'on doive percevoir comme ayant des répercussions sur l'indépendance de la police ou d'autres organismes d'enquête. Il tient compte du fait que certaines poursuites ne peuvent être intentées sans passer par le procureur.

Le sénateur Baker : Je ne voudrais pas m'éterniser sur le sujet, mais dans le cas Regan, auquel M. Frater a participé, on a utilisé l'expression « intenter des poursuites ». L'affaire portait sur le rôle du procureur dans l'engagement de poursuites, et vous en étiez le sujet principal. Il s'agissait de savoir pourquoi vous ne deviez pas être contre-interrogé. Le mot « intenter » figure-t-il dans le projet de loi pour une raison particulière?

M. Frater : Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, j'ai de la difficulté à comprendre, parce que je n'ai fait aucune déclaration sous serment dans cette affaire. Ma conduite n'était aucunement mise en cause.

Le sénateur Baker : Permettez-moi de vous interrompre.

M. Frater : Parlons-nous toujours de l'affaire Regan?

Le sénateur Baker : Il est question de la décision rendue par le juge en chambre J.A Cromwell, de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, dans le cas R. v. Regan. Je vous en lis un passage librement traduit :

[...] l'intimé soutient que l'on doit permettre à l'intimé de contre-interroger le souscripteur d'affidavit concernant la déclaration sous serment présentée à l'appui de la demande;

Étiez-vous le souscripteur d'affidavit au nom du procureur général du Canada, ou saviez-vous que cette procédure avait eu lieu?

M. Frater : Je suis désolé, mais ce dont vous parlez figure sur notre demande initiale d'intervention dans le cadre du procès à la Cour d'appel. L'avocat de M. Regan s'est objecté à ce que le procureur général tente d'intervenir dans l'affaire et cherche à mener un contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit.

Le juge Cromwell a rejeté cette objection et nous a permis de nous en mêler parce que nous voulions formuler des observations générales à propos de la distinction entre la poursuite et l'enquêteur. Ce n'était pas une décision portant sur des principes généraux, ou sur la question de savoir s'il y avait lieu d'intenter des poursuites; il s'agissait de déterminer si nous pouvions être utiles à la cour. Le juge Cromwell a décidé que oui.

Le sénateur Joyal : Monsieur le président, avant de parler aux témoins, j'aimerais, par votre entremise, adresser une demande à notre attaché de recherche de la Bibliothèque. Au cours de l'étude, ce matin, nous avons remarqué que certains articles du projet de loi faisaient référence à la Chambre, sans toutefois tenir compte du rôle similaire que joue le Sénat.

J'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 121(5), à la page 106 du projet de loi. Les représentants ont mentionné que dans ce cas particulier, l'ajout au projet de loi était une initiative du Bloc québécois. Je ne suis pas étonné qu'une motion proposée par le Bloc québécois fasse abstraction du Sénat.

On a également omis le Sénat dans d'autres articles du projet de loi, notamment ceux concernant la Commission des nominations publiques et la nomination des membres et qui figurent à la page 176. Dans le haut et dans le bas de la page, nulle mention du Sénat.

Je demande simplement à l'attaché de recherche de la Bibliothèque de nous épargner la tâche de relire le projet de loi et, dans cette optique, de nous revenir avec un tableau d'analyse en vertu duquel le Sénat réintégrerait ses devoirs constitutionnels, en toute égalité avec la Chambre des communes et sur la base de la Constitution du Canada.

Au cours de ces neuf dernières années que j'ai passées au Parlement, je crois que nous avons rétabli huit ou neuf fois le statut du Sénat. Parfois, l'omission est due aux rédacteurs, et d'autres fois, aux amendements apportés par la Chambre, mais je crois que notre comité devrait se pencher plus tard sur ce problème.

Le président : Je suis d'accord, sénateur Joyal. Voulez-vous qu'on demande aux témoins s'ils savent quelque chose à ce sujet? J'aimerais poser la question.

Êtes-vous en mesure de nous dire pourquoi le Sénat, l'une des trois entités du Parlement, a été exclu de nombreux articles du projet de loi C-2?

M. Wild : Je ne suis pas certain qu'ils soient si nombreux. Certes, il y a les deux articles qu'a évoqués le sénateur. En ce qui a trait au premier, qui porte sur le DPP, comme je l'ai dit, ce libellé vient d'un amendement qui a été proposé par un parti de l'opposition en comité, et qui reflète cet esprit. Ce n'est certainement pas un amendement ou un libellé émanant du parti au pouvoir. L'autre article auquel le sénateur a fait allusion, et qui porte sur la Commission des nominations publiques, est également visé par les amendements que proposent les partis de l'opposition. Quoi qu'il en soit, dans le cas qui nous occupe, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il s'agit d'un oubli délibéré. Peut-être a-t-on décidé intentionnellement d'exclure le Sénat, compte tenu du rôle particulier que joue la Commission des nominations publiques dans l'organe exécutif du gouvernement et, franchement, peut-être cela traduit-il le fait qu'on a déterminé que la Chambre était l'entité appropriée pour participer à ce type de nomination.

Quant à savoir si c'est une pratique courante, je ne peux me prononcer là-dessus. En ce qui concerne ces deux articles, voilà tout ce que j'en sais.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur certains aspects du projet de loi, notamment sur la nature rétroactive de certains articles. Qui, au ministère de la Justice, a prêté attention à la possibilité qu'au moins deux articles du projet de loi pouvaient avoir des effets rétroactifs, d'après ce que je peux en juger? Sur la base de quel argument avez-vous pu soutenir que le principe de justice fondamentale devait céder la place au principe stipulé dans l'article 1 de la Charte, à savoir ce qui est raisonnable et acceptable dans une société démocratique?

M. Wild : Il peut être utile d'examiner ces articles dont parle le sénateur. Au sens large, il n'y a aucune application rétroactive en vertu du projet de loi C-2. Mais celui-ci prévoit néanmoins une application rétrospective. Il y a une distinction à faire entre les deux, même si ce n'est pas toujours évident.

Le terme « rétrospectif » se rapporte à l'entrée en vigueur d'une loi, et s'applique à un groupe déterminé. Il ne s'agit pas de rétroactivité, puisque l'activité menée par le groupe avant l'entrée en vigueur de la loi ne devient pas soudainement illégale et peut maintenant faire l'objet de poursuites ou de sanctions. Toutefois, après l'entrée en vigueur de la loi, la poursuite de cette activité devient illégale ou sujette à des sanctions, selon ce qui est prévu dans la loi. C'est ce que nous appelons la rétrospectivité. Cette application n'est pas rétroactive. Elle ne soulève pas de questions relatives à la Charte étant donné son caractère rétrospectif.

Si le sénateur le souhaite, je serai heureux de parcourir dans le détail les dispositions du projet de loi pour lesquelles on estime qu'il y a une application rétroactive.

Le sénateur Joyal : Si vous privez une personne d'un avantage après coup, alors qu'elle ignorait qu'en prenant part à un certain type d'activité, on lui retirerait plus tard cet avantage, vous portez atteinte à ses droits.

Vous connaissez bien les exemples. D'autres personnes ont collaboré avec l'équipe de transition du Cabinet du premier ministre — nous en avons parlé en passant, hier, avec les autres témoins — ou avec le parti ayant lancé l'initiative au moment où le projet de loi n'était même pas déposé. Après cela, le projet de loi aura un impact au moment de son adoption, ce qui pourrait empiéter sur les droits d'un organisme que je ne nommerai pas.

À mes yeux, il y a quelque chose là-dedans qui nuit à l'équité. Nous pourrions vouloir comparer dans le menu détail les interprétations respectives de « rétroactif » et de « rétrospectif », mais le premier venu qui y jettera un coup d'œil dira que ce n'est pas équitable. Les règles du jeu peuvent changer, ce à quoi je suis totalement favorable, mais elles ne devraient pas s'appliquer à une situation où une personne a pris part à une activité en toute bonne foi. C'est pourquoi je crois qu'à cet égard, le projet de loi contrevient au principe d'équité. Au Sénat, particulièrement, nous sommes sensibles aux questions de neutralité. D'un côté, cela s'applique au Parti conservateur, et de l'autre, au Parti libéral. Nous devons assurer un équilibre. C'est un élément important pour le ministère de la Justice. En rédigeant un projet de loi, vous devez être conscients des conséquences de son entrée en vigueur et respecter les éléments fondamentaux de la common law. Comme vous le savez, l'équité est un principe de la common law, qui elle-même fait partie des lois du Canada. C'est un élément important, dont on a fait abstraction dans ce projet de loi.

M. Wild : En ce qui concerne l'équipe de transition, le projet de loi est conçu — on en revient aux termes que je viens d'utiliser — de manière à ce qu'il y ait une application rétrospective pour cette équipe. Une fois le projet de loi entré vigueur, si le premier ministre identifie des membres d'une équipe de transition, l'interdiction frappant les activités de lobbying s'enclenche. Cela n'a aucune incidence sur l'activité à laquelle les membres de l'équipe de transition se sont livrés entre le moment de la dissolution de cette équipe, vers l'assermentation du premier ministre, et le moment de l'entrée en vigueur du projet de loi C-2. Durant cette période, les activités qu'on a pu mener ne posent pas de problème, et le projet de loi ne s'y applique pas. Cependant, à l'entrée en vigueur de celui-ci, si le premier ministre identifie les membres de l'équipe de transition et que l'interdiction s'applique, elle s'applique, et l'activité à laquelle ils pourraient se livrer la journée de l'entrée en vigueur de l'interdiction serait par le fait même une activité interdite. J'ajouterais que maintenant, ils peuvent également faire appel au commissaire au lobbying pour demander d'être exemptés de cette interdiction.

En ce qui a trait au financement des élections, il s'agit d'une application rétrospective. Toute personne qui a versé, avant l'entrée en vigueur de la loi, la contribution maximale autorisée par les règles actuelles n'est pas tenue de rembourser ces fonds. Aucune sanction pénale n'est associée à de telles contributions. Du point de vue du ministère de la Justice, ces dispositions sont légales. Leur application n'est pas rétroactive; donc, elles ne soulèvent pas de préoccupations relatives à la Charte à cet égard. La rétrospectivité est permise, et le projet de loi en tient compte.

Le sénateur Joyal : Je passe maintenant à un autre aspect du projet de loi, qui aurait dû préoccuper le ministère de la Justice. La première mouture du projet de loi contenait des dispositions relatives à un scrutin secret pour nommer les hauts fonctionnaires du Parlement. Je me demande qui, au ministère, a étudié l'impact de cette proposition par rapport à l'article 49 de la Constitution, lequel prévoit que tout vote tenu au Parlement doit être effectué à voix haute, c'est-à- dire en divulguant publiquement le choix des parlementaires, qu'ils soient sénateurs ou députés. Quelle incidence la Constitution du Canada a-t-elle eu lorsque vous avez rédigé un projet de loi visant cet aspect si essentiel, reconnu dans tous les parlements du monde, qui consiste à se lever pour voter? C'est l'un des principes fondamentaux. Vous devez défendre votre choix. Le fait de tenir un vote secret pour nommer ces personnes présuppose que les parlementaires ne sont pas si libres de choisir, et cela a des répercussions sur leur statut. Qui, au ministère, a étudié l'impact de cette proposition en regard de l'article 49 de la Constitution? Comment en êtes-vous venus à la conclusion que ce mode de pensée était conforme à cette dernière?

Le président : Je ne pense pas que les témoins devraient être tenus de donner des noms.

Le sénateur Joyal : Je ne veux pas de noms.

Le président : Le témoin peut donner une réponse générale dans les quelques minutes qui restent. Allez-y, je vous prie.

M. Wild : Bien entendu, selon une autre tradition de longue date, le ministère de la Justice ne révèle pas aux comités de la Chambre ou du Sénat les avis juridiques qu'il a fournis au gouvernement. De manière générale, en ce qui concerne la question du scrutin secret, il y a des divergences d'opinion. Robert Marleau, par exemple, qui a comparu devant le comité de la Chambre, a passé sous silence l'aspect inconstitutionnel d'un scrutin secret et a simplement fait remarquer qu'il serait sans doute préférable, pour tenir un tel vote, de recourir au règlement plutôt qu'à une loi. Quant à la reconnaissance de l'élection du Président, c'est tout autre chose.

Le sénateur Joyal : Cela n'est pas prévu dans la Constitution.

M. Wild : Ce que j'essaie de dire, c'est que, en toute déférence pour l'opinion de l'adjoint judiciaire, les avis sont partagés quant à savoir si chaque vote doit être tenu oralement, et si les institutions du Parlement sont maîtres de leurs procédures de façon à pouvoir adopter des mesures au moyen d'un scrutin secret, ou d'un vote écrit, si vous voulez, plutôt que de s'en tenir au vote oral pour toutes les questions. Selon les arguments de monsieur Marleau, c'est un élément qu'il vaut peut-être mieux régler par l'entremise du règlement qu'au moyen d'une loi. En fin de compte, le gouvernement s'est rangé à cet avis lorsque le comité de la Chambre a supprimé les références au scrutin secret, et il a appuyé ces amendements.

Le sénateur Joyal : Monsieur le président, je vais conclure avec une dernière question. Je sais qu'il est tard, et j'apprécie la disponibilité des témoins.

De façon générale, je fais référence ici à l'article qui traite des parties du projet de loi concernant les poursuites pénales. Je ne peux m'empêcher de vous demander, après lecture de ces articles, quelle est la différence entre ce qui est prévu dans le projet de loi en tant que modèle de poursuite pénale et le modèle adopté par les Américains, qui était incarné par Kenneth Starr. En quoi ces deux modèles sont-ils semblables ou différents?

Mme Proulx : Pour ce qui est de la référence à Kenneth Starr, aux États-Unis, un poste de procureur spécial a été créé en vertu d'une loi. Kenneth Starr occupait en fait ce poste, lequel, si je ne m'abuse, remonte au scandale du Watergate.

Le gouvernement au pouvoir confie au procureur spécial un mandat précis relativement à une question ou une affaire particulière, et lui confère des pouvoirs élargis pour ce qui est de sa capacité d'enquêter. En fait, le procureur spécial contrôle et dirige les enquêtes liées à son mandat. C'est très différent de ce qui est prévu avec le DPP. En fait, la loi relative au DPP consacrera les pratiques existantes par lesquelles la police mène ses enquêtes de façon indépendante, souvent en consultation avec le DPP.

Le sénateur Joyal : L'article 15 ne modifie-t-il pas cette disposition?

Mme Proulx : Faites-vous allusion à l'article 15 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales?

Le sénateur Joyal : Oui, à la page 109.

Mme Proulx : Non, il ne la modifie pas. Dans des circonstances exceptionnelles, l'article 15 de la loi sur le DPP peut permettre au procureur général de prendre en charge une poursuite ayant été jusque-là dirigée par le DPP. Autrement dit, le DPP aura la conduite d'une affaire et, après avoir consulté de ce dernier, le procureur général pourra émettre un avis d'intention, qui devra être publié dans la Gazette du Canada, pour ensuite prendre en charge l'affaire. Il est prévu qu'on utilisera ce pouvoir avec parcimonie.

Le sénateur Joyal : Le pouvoir existe encore. Autrement dit, nous pourrions rétablir dans ses fonctions l'accusateur public sur la base d'un avis remis au ministre par le directeur des poursuites pénales, et qui indique que le procureur général prend la relève et nomme un autre procureur pour s'occuper de l'affaire.

Mme Proulx : Dans le cas d'une affaire particulière, le procureur général a effectivement la capacité, dans de rares circonstances, de prendre les rennes. Une fois cela fait, le procureur général peut nommer soit un avocat interne, soit un mandataire pour diriger l'affaire.

Le sénateur Joyal : Ce qui m'a surpris et m'a fait réfléchir, c'est qu'il n'y a rien dans l'article 15 qui précise les circonstances dans lesquelles le procureur général peut prendre une telle décision.

Je vais vous lire l'article en question :

15(1) Le procureur général peut prendre en charge une poursuite s'il a, au préalable, consulté le directeur à ce sujet; le cas échéant, il l'avise de son intention...

— ce qui ne signifie pas qu'on est tenu de préciser pour quels motifs —

[...]et publie sans tarder l'avis dans la Gazette du Canada.

C'est l'avis d'intention qui est publié dans la Gazette du Canada, et non les raisons pour lesquelles le procureur général prend cette initiative.

Mme Proulx : C'est exact. C'est l'avis d'intention qui est publié dans la Gazette du Canada, et je voudrais ajouter, pour conclure, que le procureur général doit rendre des comptes au Parlement. S'il décide de prendre en charge une affaire, il en est tenu responsable.

Le sénateur Joyal : Je ne voudrais pas être cynique, mais c'est conditionnel à ce qu'il n'y ait pas de scrutin secret.

Le sénateur Baker : Je ne voudrais pas que les membres du comité, ou quiconque assiste à la séance, croient que j'essayais de mettre M. Frater ou Mme Proulx sur la sellette ou de remettre en question leur intégrité. Ils ont à leur actif de longues carrières distinguées dans le domaine de la jurisprudence, et je les félicite pour l'excellent travail qu'ils ont accompli au fil des ans. Certaines des affaires qu'ils ont menées remontent à l'époque où ils étaient étudiants en droit, comme on le rapporte dans Quicklaw. Je ne vous dirai pas combien de temps cela fait, monsieur le président.

Le sénateur Andreychuk : Pour reprendre un élément important, nous disions qu'il y a un changement qui touche les procureurs généraux, peut-être en ce qui a trait aux déclarations. Quoi qu'il en soit, les procureurs généraux des provinces ont déjà le droit d'affecter ou de réaffecter les procureurs à une affaire. Quel est le changement particulier que nous permettrions qui ne fait pas déjà partie du corps de notre loi sur les poursuites pénales?

Mme Proulx : Vous avez raison, sénateur, de dire qu'en ce moment, les procureurs généraux peuvent faire passer des affaires d'un procureur à un autre, et parfois, d'un mandataire à un avocat interne, et vice versa.

Le sénateur Andreychuk : Et les assigner par contrat?

Mme Proulx : C'est exact.

Le président : Merci beaucoup. Au nom du comité, j'aimerais remercier encore une fois le ministre et les représentants du ministère ici présents. Vous avez été d'une grande aide pour notre comité. Nous apprécions tout ce que vous avez fait. Honorables sénateurs, la séance est maintenant levée. Merci.

La séance est levée.


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