Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 4 - Témoignages - Séance du matin
OTTAWA, le mardi 5 septembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit aujourd'hui à 10 heures pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est avec plaisir que je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ouverte. Nous nous réunissons aujourd'hui pour continuer notre étude du projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation.
Ce projet de loi est mieux connu sous le nom de la loi fédérale sur la responsabilité. Comme les honorables sénateurs, nos témoins et les membres du public qui nous écoutent de cette pièce ou de partout au Canada, par la télévision, le savent, ce projet de loi est l'un des éléments centraux du programme du nouveau gouvernement et l'un des plus importants projets de loi soumis au Parlement depuis quelques années.
Je sais que le comité va consacrer à ce projet de loi l'examen approfondi et minutieux qu'il mérite.
J'aimerais commencer par remercier personnellement tous les sénateurs qui sont ici aujourd'hui et qui ont accepté de siéger pendant de longues séances au cours des prochaines semaines. Je vous remercie de tous les efforts que vous consacrez à ce projet de loi important, qui va profiter à tous les Canadiens.
Notre comité a commencé son étude en juin dernier et a entendu plus d'une dizaine de témoins, qui l'ont informé sur diverses questions abordées dans ce projet de loi. À ce titre, nous avons notamment entendu l'honorable John Baird, président du Conseil du Trésor, et l'honorable Vic Toews, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Cette semaine, le comité va entamer un examen plus ciblé des différents aspects du projet de loi. Parmi les sujets visés, nous allons nous pencher sur la responsabilité en général, l'éthique et les conflits d'intérêts, ainsi que sur le financement politique.
Au cours des prochaines semaines, nous allons poursuivre nos séances sur d'autres aspects importants du projet de loi. Aujourd'hui, nous allons nous concentrer sur la question de la responsabilité. Nous recevons donc M. James Mitchell, partenaire fondateur du cabinet de consultation stratégique Cercle Sussex. M. Mitchell compte de nombreuses années d'expérience dans les domaines de l'analyse et de la résolution de problèmes de politique publique complexes ainsi que des interactions avec les ministres et les hauts fonctionnaires. Après plusieurs années de travail comme professeur, il a commencé sa carrière gouvernementale au ministère des Affaires étrangères en 1978, après quoi il est passé au Bureau du Conseil privé en 1983. Il a ensuite été secrétaire adjoint du Conseil du Trésor de 1989 à 1991, où, entre autres choses, il était responsable du programme gouvernemental sur l'équité en matière d'emploi. De 1991 à 1994, M. Mitchell a occupé le poste de secrétaire adjoint du cabinet sur l'appareil gouvernemental, et à ce titre, était responsable de conseiller les secrétaires successifs du cabinet ainsi que les premiers ministres sur les questions entourant l'organisation du gouvernement, la réforme et le renouvellement de la fonction publique et toute une série d'autres questions liées à la gouvernance et au changement au Canada.
Il a été l'un des principaux conseillers sur la réorganisation du gouvernement fédéral en 1993. M. Mitchell a travaillé comme conseiller politique et organisationnel dans presque tous les domaines de compétence fédérale.
M. Mitchell est accompagné ce matin de M. Henry McCandless, responsable général du Citizens' Circle for Accountability. Il étudie le concept de la responsabilité depuis plus de 15 ans, a écrit divers articles de revues, ainsi qu'un ouvrage assez récent pour les citoyens sur le sujet : A Citizen's Guide to Public Accountability : Changing the Relationship Between Citizens and Authorities.
M. McCandless a occupé un poste de direction au Bureau du vérificateur général du Canada pendant 18 ans, où il a notamment été agent de liaison parlementaire pour les vérificateurs généraux Macdonell et Dye.
[Français]
Le comité tient à vous remercier de votre présence. Sans plus tarder, je vous cède la parole, après quoi nous passerons à la période des questions et aux discussions qui, j'en suis sûr, seront très utiles pour les membres du comité.
[Traduction]
James R. Mitchell, associé, Cercle Sussex, témoignage à titre personnel : J'ai préparé une allocution de deux pages, que j'ai fait parvenir au personnel du comité. Voulez-vous que je réponde tout de suite aux questions ou que je fasse ma déclaration pour le compte rendu?
Le président : J'aimerais que vous fassiez votre déclaration pour le compte rendu, s'il vous plaît.
M. Mitchell : Je vous remercie de m'avoir invité, mesdames et messieurs les sénateurs. La dernière fois où j'ai comparu devant un comité du Sénat à ce propos remonte à un an, et je suis très content d'être invité de nouveau. J'aborderai quelques points seulement dans mes propos liminaires puis j'aurai le plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
Mon premier point concerne, en fait, la modestie. Le projet de loi C-2 est, de toute évidence, très imposant. Il contient cinq parties et apporte des centaines de changements à d'autres lois. Je l'ai lu deux fois attentivement, mais je ne me prétends pas expert sur la plupart des sujets qu'il couvre, comme celui du nouveau Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique, celui du Commissariat au lobbying et celui du Bureau du vérificateur de l'approvisionnement. Sur ces sujets, je n'aurai rien à apprendre au comité.
Par ailleurs, il y a deux éléments du projet de loi sur lesquels je devrai m'abstenir de commenter, à cause de mon travail actuel, soit la nomination du nouveau directeur parlementaire du budget et le secrétariat de la Commission des nominations publiques.
[Traduction]
J'aimerais restreindre mes commentaires, et j'espère que nous pourrons restreindre également les questions d'aujourd'hui, au sujet qui m'intéresse depuis longtemps : l'administrateur des comptes. Les sénateurs savent peut-être que ce sujet a été beaucoup débattu tant par les universitaires que par les praticiens. Il m'apparaît juste de dire que tous les membres de cette communauté attendaient avec intérêt les intentions du gouvernement à l'égard de ce poste dans le projet de loi C-2.
Je tiens à dire haut et fort que le gouvernement a vraiment fait ce qu'il fallait à l'article 259 du projet de loi C-2 (pages 187 et 188), en modifiant la Loi sur l'administration financière pour y définir clairement des attributions de l'administrateur des comptes au sein de notre système de gouvernement britannique.
Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est le principal message que je voulais vous transmettre ce matin dans ma déclaration liminaire.
Les points pertinents de cet article se trouvent dans le projet de loi et sont soumis au Sénat. Il est très bref, donc je vais vous le lire rapidement. Le paragraphe 16.4(1) de la version révisée de la Loi sur l'administration financière, soit la loi modifiée par le projet de loi C-2, se lit comme suit :
Dans le cadre des attributions du ministre compétent — notamment en ce qui concerne la gestion et la direction du ministère — et de son obligation de rendre compte au Parlement, l'administrateur des comptes visé à la partie I de l'annexe VI est comptable devant les comités compétents du Sénat et de la Chambre des communes :
a) des mesures prises pour que les ressources du ministère soient affectées de façon à réaliser les programmes de celui-ci, en conformité avec les règles et méthodes administratives applicables;
b) des mesures prises pour que le ministère soit doté de mécanismes de contrôle interne efficaces;
c) de la signature des comptes qui doivent être tenus pour l'établissement des Comptes publics visés à l'article 64;
d) de l'exercice des autres attributions spécifiques relatives à l'administration du ministère qui lui sont conférées sous le régime d'une loi fédérale.
La loi se poursuit en appliquant les mêmes obligations aux sous-ministres des autres parties de l'annexe VI (c'est-à- dire aux petits organismes connus sous le nom de ministère aux fins de la loi). C'est le principal changement concernant l'administrateur des comptes qu'on trouve dans le projet de loi C-2.
L'autre point que j'aimerais soulever est le suivant : quels sont les devoirs de l'administrateur des comptes?
Le nouveau paragraphe 16.4(3) les définit :
16.4(3) L'administrateur des comptes s'acquitte de son obligation de rendre compte en comparaissant, sur demande, devant le comité compétent du Sénat ou de la Chambre des communes et en répondant aux questions des membres de celui-ci portant sur l'exercice des attributions visées au paragraphe (1) ou (2), selon le cas.
En d'autres mots, le projet de loi précise que l'administrateur des comptes, dans notre système parlementaire britannique, est un sous-ministre répondant aux questions sur l'administration devant un comité du Parlement. C'est déjà le cas aujourd'hui, sauf que le gouvernement a décidé, avec raison, d'inscrire sa pratique de longue date dans la loi.
L'administrateur des comptes ne rend pas de comptes au Parlement, mais bien devant le Parlement. C'est le ministre qui demeure comptable envers le Parlement. Pour préciser davantage les choses, la loi souligne ce point par un titre en marge : « Responsabilité de l'administrateur des comptes dans le cadre des attributions du ministre et de son obligation de rendre compte ».
Voilà un changement important, et encore une fois, un bon changement : on inscrit dans la loi l'obligation faite aux sous-ministres de signer les comptes (et les documents afférents comme les rapports sur les plans et priorités et les rapports de rendement des ministères), obligation qui n'avait été à ce jour qu'une politique. Cette obligation de la loi précise la responsabilité du sous-ministre en matière de gestion financière et lui donne une assise plus solide lorsqu'il discute avec le ministre de ce que l'administration peut et ne peut pas faire.
[Français]
J'estime que le gouvernement rend un grand service au Parlement et à la fonction publique en précisant ce qu'on attend des fonctionnaires qui comparaissent devant les comités parlementaires au nom de leur ministre. Le projet de loi C-2 précise que les fonctionnaires sont tenus de répondre aux questions des comités sur l'administration, mais réservent aux ministres l'autorité et la responsabilité essentielles sur tous les aspects de la gestion de leur ministère. Notre démocratie dépend d'un Parlement capable de réclamer des comptes au détenteur de l'autorité. Le projet de loi C-2 préserve cette relation essentielle.
[Traduction]
C'est là le principal avantage de cette partie du projet de loi C-2 à mon avis, et je serai heureux de répondre à vos questions sur le sujet.
Le président : Merci de cet exposé. Avant de passer aux questions sur votre exposé, j'aimerais entendre les observations de M. McCandless. Lorsque vos deux exposés seront consignés au compte rendu, nous vous poserons des questions.
Henry E. McCandless, responsable général, Citizens' Circle for Accountability : Je remercie infiniment le comité de m'avoir invité. Je ne vais parler que de l'obligation de rendre des comptes au public et de ce que cela signifie pour le gouvernement et le Parlement. Je ne vais pas aborder les articles particuliers du projet de loi C-2. Vous avez reçu mon mémoire, qui vous a été envoyé plus tôt, c'est-à-dire mes notes d'allocution de ce matin, ainsi qu'un énoncé général du Citizens' Circle for Accountability sur la responsabilité. J'ajouterai à mes notes d'allocution que vous avez en ce moment un exemple concret de la nécessité d'inclure des dispositions sur l'obligation de rendre compte dans tous les projets de loi soumis au Sénat.
Je vous ai également fait parvenir un résumé de deux pages sur les éléments essentiels d'une bonne loi sur la responsabilité. Dans mon exposé, vous allez constater que ce n'est plus un grand problème, parce que le projet de loi va probablement être adopté. Cependant, il n'était pas très judicieux de nommer loi fédérale sur la responsabilité un projet de loi qui n'a rien à voir avec la responsabilité en tant que telle. On pourrait remettre la réflexion sur la véritable responsabilité à un peu plus tard.
C'est la raison pour laquelle je vous présente les éléments qui devraient à mon avis figurer dans une bonne loi du gouvernement du Canada sur l'obligation de rendre des comptes au public. J'ai également remis au greffier un exemplaire de l'ouvrage que j'ai publié en 2002 à l'intention des citoyens, comme le président l'a mentionné. Il s'intitule Citizens' Guide to Public Accountability : Changing the Relationship between Citizens and Authorities. Ce livre a été écrit à l'intention des citoyens, mais il comprend quelques chapitres sur la reddition de comptes au Parlement. Il ne comprend qu'une petite remarque sur le Sénat du Canada, mais je vais y revenir plus tard. Je crois maintenant que c'est ce qui peut avoir le plus d'incidence au Parlement.
Après avoir envoyé mon mémoire au greffier, j'ai relu un article que j'ai écrit en 1993 avec David Wright sur l'obligation de rendre des comptes. Nous l'avons publié dans la revue Optimum. Nous l'avons écrit parce que personne ne semblait tenir compte de la définition qui fait autorité concernant l'obligation de rendre des comptes, une définition élaborée par le comité Wilson au milieu des années 1970, comme je l'explique dans mon mémoire. Ce comité a défini « l'obligation de rendre compte » comme « l'obligation de répondre de l'exercice d'une responsabilité qui a été conférée ». Cela signifie de l'expliquer ou d'en faire rapport. Cela ne signifie pas d'accepter une responsabilité ni de l'exercer.
Nous avons proposé la définition de « l'obligation de rendre compte au public » et les normes de base de la reddition de comptes au public. Après dix ans à essayer d'établir une définition utile, exhaustive et, j'ose espérer, inattaquable, j'ai enfin produit la définition que je vous présente dans mon exposé, c'est-à-dire que « l'obligation de rendre compte au public est l'obligation des autorités d'expliquer, publiquement, complètement et avec exactitude, tant avant qu'après le fait, comment elles exercent les responsabilités qui touchent le public « de façon importante ». L'expression « de façon importante » n'est pas vague, je l'ai expliqué dans mon mémoire.
Entre-temps, cependant, je n'ai constaté aucune amélioration dans la façon dont le gouvernement rend des comptes au Parlement, comme ce dernier l'exige. Nous en avons eu quelques exemples pendant les années 1990, comme la fois où tous les députés se sont levés à la Chambre pour refuser d'indemniser les victimes du sang contaminé d'avant 1986 sans expliquer au public pourquoi ils avaient pris cette décision alors que la nécessité de les indemniser semblait évidente. Il y a ensuite eu les affaires de DRHC et des commandites (des défaveurs, en fait), encore une fois parce que le gouvernement exécutif n'a pas été obligé de rendre compte de la qualité des contrôles de gestion au gouvernement, des mécanismes qui auraient pu prévenir les deux bévues.
Voici l'une des raisons pour lesquelles tout cela est arrivé. En 1978, le vérificateur général du Canada, qui était M. MacDonnell à l'époque, s'est retrouvé aux prises avec une loi sur la vérification de l'optimisation des ressources, mais le Parlement n'a pas modifié en même temps la Loi sur l'administration financière pour obliger le gouvernement exécutif à rendre des comptes au public sur la qualité des contrôles de gestion et l'optimisation des ressources dans les activités gouvernementales. J'ai entendu un ancien contrôleur général dire lors d'une conférence qu'il ne pouvait pas comprendre pourquoi on ne l'avait pas fait. Je lui ai répondu qu'il le comprenait parfaitement, que c'était voulu ainsi. Le vérificateur général du Canada s'est donc trouvé à rendre des comptes pour le gouvernement à sa place. Le rôle du vérificateur général aurait pu alors être d'attester l'exactitude et l'exhaustivité des déclarations publiques des personnes responsables. À la place, nous n'avons cumulé qu'une pléiade d'histoires d'horreur.
Que perdons-nous quand le gouvernement n'est pas obligé de rendre des comptes de façon complète et exacte? Pour commencer, nous perdons l'information que les parlementaires et les citoyens devraient avoir pour prendre des décisions éclairées sur le degré de confiance qu'ils peuvent accorder au gouvernement exécutif. Mais surtout, nous nous privons de l'influence autorégulatrice qui s'exerce lorsque les personnes responsables doivent rendre des comptes au public, et cela seulement si l'exactitude et l'exhaustivité de leurs déclarations et de leurs explications publiques sont vérifiées. Il ne peut pas y avoir reddition de comptes au public sur les enjeux importants s'il n'y a personne pour en vérifier l'authenticité.
En ce moment, nous avons besoin d'une définition applicable de « l'obligation de rendre compte », une définition qui serait enchâssée dans la loi et qui préciserait qui a quelles obligations de rendre compte au public pour quelles responsabilités, les normes de base de la reddition de comptes et les normes régissant la vérification de ces déclarations.
Par conséquent, je suggère dans mon mémoire que le Sénat pourrait s'acquitter de la tâche impartiale d'établir les critères de reddition de comptes au public qui devraient faire partie intégrante des projets de loi soumis au Sénat. Le Sénat a le pouvoir inattaquable, et l'indépendance nécessaire pour ce faire, de dire à la Chambre des communes : « Nous n'approuverons pas tel projet de loi que vous nous soumettez s'il ne contient pas une disposition standard déterminant qui doit rendre compte au public de l'exercice de toutes les responsabilités importantes décrites dans le projet de loi. »
Pour illustrer ce que je veux dire, je vous donne l'exemple de la nécessité d'inclure une disposition sur la reddition de comptes au public dans tous les projets de loi. Encore une fois, il d'agit d'une obligation non partisane et en démocratie, les personnes qui détiennent le pouvoir ne peuvent pas refuser de rendre des comptes. Ils peuvent tromper le public, mais ne peuvent pas refuser de rendre des comptes.
Je vous dirais que les Canadiens feraient mieux d'oublier la protection de dénonciateurs qui agissent dans l'intérêt du public si un projet de loi visant à les protéger ne contient pas de disposition obligeant les ministres et sous-ministres responsables à expliquer publiquement à la Chambre chaque année, ou si un comité de la Chambre le leur demande, les normes de rendement des contrôles de gestion qu'ils se sont fixés à leurs différents niveaux pour protéger les dénonciateurs. Ils devraient également déclarer dans quelle mesure ils estiment devoir respecter ces normes de rendement. Le vérificateur général comme les dénonciateurs eux-mêmes peuvent d'ailleurs vérifier publiquement l'exactitude et l'exhaustivité de leurs déclarations.
Cela vous donne une idée de la puissante influence autorégulatrice qu'exerce la reddition de comptes au public.
Nous avons tous vu le projet de loi sur la soi-disant responsabilité que vient d'adopter la Chambre des communes et qui n'a rien à voir avec la responsabilité comme je l'ai décrite. Cependant, si le Sénat ne prend pas d'initiative pour montrer la voie à suivre à la Chambre des communes, je ne parierai pas grand-chose sur la Chambre des communes pour qu'elle produise elle-même une telle disposition de responsabilité.
Je pense que le Sénat doit montrer la voie à suivre à la Chambre des communes, et si les sénateurs décident de se pencher véritablement sur la reddition de comptes, je vais faire tout en mon pouvoir pour vous aider.
Le président : Je vous remercie beaucoup de cette déclaration.
Monsieur Mitchell, j'ai écouté votre exposé et je sais que vous avez parlé du concept de l'administrateur des comptes. Vous avez dit que l'administrateur des comptes ne rendait pas de comptes au Parlement mais bien devant le Parlement. Vous avez fait cette distinction fondamentale et avez souligné que ce projet de loi préservait la disposition importante sur les attributions du ministre et son obligation de rendre compte.
Vous avez poursuivi en disant que l'un des changements importants, toutefois, c'était que l'obligation des sous- ministres de signer les comptes soit inscrite dans la loi. Cela me rappelle l'affaire Sarbanes-Oxley aux États-Unis qui a eu de très graves conséquences sur les entreprises ou à tout le moins sur les hauts dirigeants des entreprises des États- Unis qui ont signé des documents inexacts.
Quelles seront les conséquences de ce projet de loi sur les sous-ministres? Quelles sont les conséquences juridiques de leur signature?
M. Mitchell : Monsieur le sénateur, c'est une bonne question. Je ne suis pas avocat et je ne peux pas vous donner de réponse juridique à votre question. Je peux cependant vous dire qu'à mon avis, si quelqu'un signait des comptes faux ou ne correspondant pas aux comptes réels, ce serait l'une des fautes les plus graves qu'un haut fonctionnaire pourrait commettre. À mon avis, et ce n'est pas un avis juridique, ce serait une faute assez grave pour justifier un congédiement. Ce serait incroyablement grave de faire une erreur ou de tromper délibérément le public. Ce serait extraordinairement grave. Je suis certain que quiconque fait partie de la bureaucratie vous dirait la même chose.
Le gouvernement a choisi la signature de comptes pour inscrire dans la loi l'obligation des fonctionnaires de garantir aux ministres qu'ils sont au courant des faits et que ceux qu'ils présentent au Parlement sont exacts, qu'ils ont été consignés par des fonctionnaires compétents. Le sous-ministre qui signe un document doit le faire avec le plus grand sérieux et je ne peux pas concevoir que quiconque trompe sciemment le Parlement à cet égard. Une erreur en ce sens serait une erreur extrêmement grave.
Le président : J'aimerais céder la parole au sénateur Day, porte-parole de l'opposition sur ce projet de loi.
Le sénateur Day : Merci, monsieur le président. Au nom de mes collègues, j'aimerais vous souhaiter à tous deux la bienvenue ici aujourd'hui. Je vais essayer de répondre à votre demande et de restreindre mes questions au sujet de votre exposé, mais si moi ou mes collègues nous écartons un peu, vous comprendrez que cette séance est destinée à nous permettre d'examiner un projet de loi de plus de 300 articles et de plus de 200 pages. Nous sommes au début de nos séances et nous nous attaquons au concept de la responsabilité en général, c'est donc là où j'aimerais commencer.
Monsieur McCandless, vous avez dit que d'abord et avant tout, nous devrions changer le nom de ce projet de loi. Si ce n'est pas un projet de loi gouvernemental sur la responsabilité, comment l'appelleriez-vous?
M. McCandless : D'abord, je ne pense pas que vous allez en changer le titre. Il a été rendu public en novembre dernier, c'est son nom et il le restera. Si vous vous opposez au projet de loi pour cette raison, il vous sera renvoyé tout de suite, et le public ne s'en souciera pas beaucoup, parce que le public ne comprend pas en quoi consiste la responsabilité. C'est un mot utilisé à toutes les sauces.
Le titre aurait dû être quelque chose comme « Loi sur la conduite du gouvernement fédéral », un nom axé sur la conduite, parce que si je l'ai bien compris en le lisant, il s'agit d'un projet de loi qui prescrit les règles régissant la conduite des personnes, ce qu'elles feront et ne feront pas. Il ne s'agit pas là de reddition de comptes.
La reddition de comptes consiste à expliquer ce qu'on a l'intention de faire et pourquoi on a l'intention de le faire, ses critères de rendement, le résultat qu'on pense avoir atteint et les leçons qu'on en tire et qu'on applique. Ce n'est pas le sens de ce projet de loi, si je le comprends bien.
C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne veux pas aborder toutes les questions en jeu. M. Mitchell a bien raison de se limiter à la Loi sur l'administrateur des comptes, parce qu'il est possible d'analyser cette question. Ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'après, le Parlement pourra faire quelque chose de pertinent pour assurer une reddition de comptes au public adéquate de la part du gouvernement et laisser le titre du projet de loi tel quel.
Comme je l'ai dit, le public ne le rejettera pas ni ne demandera une élection à cause de son titre, puisqu'il ne comprend même pas la différence entre la reddition de comptes et la responsabilité et le blâme ou le fait d'accepter une responsabilité et tout le reste. Je fais seulement valoir mon point de vue parce que je pense que le personnel juridique du Parlement n'aurait pas dû laisser passer ce titre, puisqu'il est évidemment trompeur sur la nature du projet de loi.
Le sénateur Day : Votre réponse à ma question me rappelle une observation que vous avez faite pendant votre exposé. Vous avez dit, si je ne me trompe pas, que le projet de loi avait déjà été adopté. Vous voulez dire qu'il a été adopté par la Chambre des communes.
M. McCandless : Oui, c'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Day : Par contre, il n'a pas encore été adopté par le Parlement. Je voulais le préciser officiellement.
M. McCandless : Il faut faire preuve de sens pratique. Vaut-il la peine d'arrêter un projet de loi parce que son titre est trompeur?
Le sénateur Day : Pourrions-nous commencer par vérifier si chacun d'entre vous a la même définition de l'obligation de rendre compte?
Monsieur McCandless, vous avez parlé de la définition de M. J. R.M. Wilson. Il s'agit d'un partenaire chevronné de Clarkson Gordon, qui est à la retraite et qui a travaillé à ce sujet pendant le mandat du vérificateur général il y a quelques années.
Monsieur Mitchell, acceptez-vous cette définition? Parlons-nous de la même chose pour ce qui est de la définition de l'obligation de rendre compte?
Le sénateur Mitchell : Je préférerais la première définition abrégée de M. McCandless. Je pense qu'elle est plus facile à appliquer. Je n'ai pas assez réfléchi à sa longue définition. Sa première définition abrégée, si ma mémoire est bonne, c'est que l'obligation de rendre compte est l'obligation de répondre de l'exercice d'une responsabilité qui a été conférée. Elle me satisfait. Je préférerais ne pas prendre position sur la définition plus longue qu'il a proposée parce que je n'ai pas eu l'occasion d'y réfléchir. Dans cette mesure, je pense que nous parlons de la même chose.
M. McCandless : Cela me convient. M. Wilson parlait de l'obligation de rendre des comptes au Parlement et les responsabilités conférées s'appliqueraient probablement aux attributions et aux pouvoirs que le Parlement octroie au gouvernement exécutif pour fonctionner. Dans mon livre, je dis qu'il s'agit d'une bonne base pour établir ce que l'obligation de rendre compte au public devrait signifier parce qu'elle souligne que cette obligation est l'obligation de faire rapport, de répondre de quelque chose, de l'expliquer. Il ne s'agit pas d'accepter une responsabilité ni de l'exercer.
La raison pour laquelle je propose une définition élargie, c'est que je travaille pour les citoyens. Si une autorité n'agit pas de façon raisonnable pour faire une chose et qu'il n'y a pas de disposition juridique régissant cette chose, l'autorité doit selon moi tout de même rendre des comptes au public, ne serait-ce que par souci de justice et parce que c'est le gros bon sens.
Par exemple, je pense qu'un ministre qui propose une politique gouvernementale devrait déclarer publiquement, lorsqu'il présente sa politique, qui en tirera avantage et qui devrait en tirer avantage, qui en assumera les coûts et les risques et pour quelle raison, à court et à long termes.
La définition de M. Wilson visait essentiellement le budget des dépenses et les comptes publics. On ne pouvait pas s'attendre à ce que M. Wilson, au milieu des années 1970, dise : « Il faut veiller à la justice sociale et donc obliger le gouvernement à rendre des comptes publiquement lorsqu'il a l'intention de faire quelque chose qui touchera la population de façon significative. » Ma définition est plus générale que celle élaborée par le plus chevronné des comptables agréés au Canada.
Le sénateur Day : Selon vous, la responsabilité est l'obligation de rendre des comptes et de justifier ses actes. Concerne-t-elle aussi les conséquences résultant du non-respect de cette obligation?
M. McCandless : Non. À mon avis, un gouvernement responsable doit expliquer publiquement ce qu'il compte faire et pour quelles raisons. Il doit aussi préciser ses normes de rendement, puis, après coup, rendre publics les résultats et la façon dont il a appliqué les leçons qu'il a tirées. Je ne parle pas des conséquences du non-respect de cette obligation.
Le sénateur Day : Monsieur Mitchell?
M. Mitchell : Je crois que la définition de responsabilité englobe les notions de conséquences et d'autorité. Par exemple, vous ne pouvez pas rendre des comptes à quelqu'un qui n'a aucune autorité sur vous ou qui ne vous a confié aucune responsabilité. Toutefois, je suis d'avis qu'on peut rendre des comptes en expliquant et en justifiant ses actes, comme M. McCandless le disait. C'est ce que les fonctionnaires devraient faire devant le Parlement pour appuyer leurs ministres.
C'est pourquoi j'ai déclaré que le gouvernement avait vu juste cette fois-ci. Je dis cela car je m'intéresse à cette question depuis plusieurs années. Je n'ai rien eu à voir dans la rédaction de ce projet de loi, ni de près ni de loin. Lorsque je l'ai lu, j'ai été heureux de constater que le gouvernement avait bien agi. Voilà pourquoi je me prononce en faveur de cette mesure. Je crois qu'on a fait ce qu'il fallait.
C'est ce que je pense parce que de cette façon, nous préservons le lien fondamental qui existe entre les ministres et le Parlement. Le Parlement demande des comptes aux ministres. Nous voulons maintenir l'autorité exercée par les ministres, celle qu'ils exercent sur les fonctionnaires. Il devrait toujours y avoir un parlementaire à qui les députés et les sénateurs peuvent demander des comptes. J'y crois fermement, et c'est pourquoi je suis particulièrement favorable à cette partie du projet de loi.
Le sénateur Day : Cela nous mène à l'article 259, modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques, à la page 187 du projet de loi. Il s'agit de la partie intitulée « Vérification interne et administrateurs des comptes ». Vous en avez déjà parlé; c'est l'article 16.4.
J'aimerais avoir votre avis sur ce que veut dire ceci :
« Dans le cadre des attributions du ministre compétent — notamment en ce qui concerne la gestion et la direction du ministère — et de son obligation de rendre compte au Parlement [...] »
Qu'est-ce que cela signifie au quotidien pour le sous-ministre et le ministre?
M. Mitchell : À mon avis, ces mots visent à indiquer très clairement que c'est le ministre qui est responsable devant le Parlement de tout ce qui est fait au sein de son ministère. En même temps, on veut mettre nettement en évidence que rien dans cette mesure législative ne soustrait les fonctionnaires à l'autorité du ministre.
Le sénateur Day : Le ministre peut-il être redevable au Parlement d'une chose dont son sous-ministre est comptable devant un comité parlementaire?
M. Mitchell : En effet, monsieur. Lorsque la loi dit « comptable devant les comités compétents du Sénat et de la Chambre des communes », si je comprends bien, elle exige que les fonctionnaires comparaissent devant l'un ou l'autre des comités parlementaires pour répondre aux questions des sénateurs ou des députés sur ce qu'ils font dans leur ministère. Il leur incombe de le faire conformément à la loi, au nom de leur ministre, en vertu de l'autorité de ce dernier et de sa responsabilité envers le Parlement. Ils sont dans l'obligation de répondre pleinement de leurs actes en toute honnêteté.
C'est ce que ces articles visent à établir clairement et, à mon avis, c'est utile. Si je puis me permettre, cela ne change pas grand-chose. Je veux que les sénateurs me comprennent bien. Dans cette partie du projet de loi, on précise en vérité ce qui se fait depuis toujours. Je le sais par expérience. Lorsque je comparaissais devant un comité, au nom du ministre, j'étais soumis à un interrogatoire sérieux et souvent rigoureux sur mes actes en qualité de fonctionnaire. Il ne faisait aucun doute que le ministre était le patron, et, en définitive, c'était lui qui devait rendre des comptes au Parlement.
Certains fonctionnaires détiennent des pouvoirs conférés conformément à des lois. Par exemple, le commissaire à l'Agence des services frontaliers du Canada s'est vu attribuer certains pouvoirs en vertu de la Loi sur les douanes. Ce fonctionnaire a donc des pouvoirs que le ministre n'a pas. Nous devons donc gérer ces situations un peu différemment.
Le sénateur Day : C'était ma prochaine question. Y a-t-il des exceptions?
M. Mitchell : Il y a quelques rares exceptions qui ne changent pas le principe fondamental selon lequel, dans notre régime parlementaire, ce sont les ministres qui ont l'autorité et qui sont comptables devant vous, les parlementaires.
M. McCandless : Je ne suis pas tout à fait d'accord. Permettez-moi de vous donner deux exemples.
Tout d'abord, je comprends que les fonctionnaires comparaissent devant les comités pour répondre à des questions et que, dans ce sens, ils rendent des comptes directement au Parlement.
L'exemple qui me vient à l'esprit est la question habile qu'avait posée un ancien vice-président du comité des comptes publics au nouveau sous-ministre de l'ACDI de l'époque, Marcel Massé, si je ne m'abuse. Il a été pris au dépourvu lorsque le vice-président lui a demandé quels étaient, selon lui, ses plus gros problèmes de gestion et ce qu'il faisait pour les régler.
Il s'agissait d'une question très habile puisque pour y répondre, le sous-ministre devait savoir exactement ce qui se passait au sein de son ministère, s'être très bien informé et pouvoir expliquer ses fonctions et ses responsabilités en matière de gestion.
Je crois qu'un sous-ministre, pensons à DRHC, devrait rendre compte au Parlement de la qualité des contrôles de gestion qui relèvent de son pouvoir et de sa compétence. Je considère le ministre comme le responsable ultime de la qualité des contrôles de gestion — pour ceux d'entre vous qui se souviennent de Lord Denning — à titre d'âme dirigeante. Tous les ministres sont redevables de la qualité du travail des sous-ministres quant à l'exercice de la diligence en contrôle de gestion.
Je crois que les sous-ministres devraient rendre des comptes d'une façon ou d'une autre. Je ne parle pas de répondre aux questions d'un comité, mais bien de faire rapport au Parlement de la qualité des contrôles de gestion au sein de leur ministère, dont peut témoigner la vérificatrice générale. Dans ce sens, j'estime que les sous-ministres doivent rendre compte directement au Parlement et ne devraient pas se cacher derrière les ministres.
Le sénateur Day : Monsieur McCandless, votre description d'un administrateur des comptes ou d'un sous-ministre correspond-elle à celle d'un agent comptable au Royaume-Uni et en Irlande?
M. McCandless : J'ai entendu parler du concept d'agent comptable, mais sans plus. Je n'ai rien contre. Il s'agit d'une personne qui assume officiellement certaines responsabilités, mais à mon sens, c'est une question qui n'a rien à voir avec l'obligation du sous-ministre de rendre compte des décisions dont il est logiquement responsable.
Le sénateur Day : Monsieur Mitchell, vous nous avez dit que le ministre peut être responsable devant le Parlement d'une chose dont un administrateur des comptes est aussi redevable devant un comité parlementaire.
M. Mitchell : Tout à fait.
Le sénateur Day : Une exception s'applique aux responsabilités législatives conférées directement à un sous-ministre.
M. Mitchell : Dans quelques cas.
Le sénateur Day : Je sais que certaines responsabilités sont déléguées aux sous-ministres par l'entremise du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique. Celles-ci font-elles partie de la même catégorie d'exception, selon vous?
M. Mitchell : Je dirais que non. Le Parlement peut appeler d'autres personnes à qui il a confié des pouvoirs qui, par la suite, ont été délégués à des fonctionnaires. Par conséquent, si le Parlement n'est pas satisfait de la façon dont ces pouvoirs ont été exercés, il peut demander des comptes aux personnes ayant délégué ces pouvoirs. Il pourrait leur demander pourquoi elles ont confié de tels pouvoirs à un sous-ministre qui, de toute évidence, n'a pas fait du bon travail. Il pourrait remettre en question les mesures prises pour revoir cette délégation des pouvoirs.
Je vais me limiter à quelques exceptions, non pas dans le but de protéger les fonctionnaires, mais plutôt de préserver l'autorité du Parlement sur le gouvernement. C'est mon objectif.
Le sénateur Day : J'aimerais savoir pourquoi vous vous évertuez à légiférer quelque chose que l'on fait depuis des années au Canada, c'est-à-dire convoquer des sous-ministres devant des comités, comme le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Nous les assignons régulièrement à comparaître afin qu'ils répondent à nos questions d'ordre administratif, etc. Toutefois, cela ne va pas aussi loin que le modèle britannique d'agent comptable.
M. Mitchell : Peut-être, mais nous nous en approchons beaucoup. Je crois d'ailleurs que certains sénateurs sont allés au Royaume-Uni et s'y connaissent mieux que moi.
Toutefois, ce projet de loi vient renforcer la notion selon laquelle les ministres sont tenus responsables. Au cours des dernières années, combien de fois avons-nous vu des ministres se présenter devant les comités d'enquête et dire qu'ils n'étaient pas responsables? Sachez que si cette loi avait été en vigueur avant, il n'y aurait pas eu toute cette confusion.
Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Le Parlement ne devrait jamais accepter qu'un ministre dise que cela ne relève pas de sa compétence, mais de celle de ses fonctionnaires.
Le sénateur Day : Par cette loi, cherchez-vous à réaffirmer la responsabilité ministérielle envers le Parlement?
M. Mitchell : Oui, monsieur.
Le sénateur Day : Très bien.
M. McCandless nous a donné un exemple de ce que nous devrions faire relativement à ce que nous appelons la loi sur la conduite du gouvernement fédéral que nous sommes en train d'étudier, c'est-à-dire introduire une disposition concernant la responsabilité. Pour ce qui est des diverses mesures législatives dont nous sommes saisis, vous avez proposé que le Sénat en prenne l'initiative. Croyez-vous que nous devrions aller de l'avant avec le projet de loi C-2? Devrions-nous établir une disposition selon laquelle tous les projets de loi présentés au Parlement devraient avoir un cadre de responsabilisation?
M. McCandless : Cela ferait ressortir le côté trompeur du titre du projet de loi.
Non, il faudrait tout d'abord déterminer ce que signifie pour le Sénat la responsabilité à l'égard du public, puis demander à la Chambre des communes d'introduire une disposition dans chaque projet de loi présenté au Sénat indiquant les personnes qui devront rendre des comptes lorsque d'importantes responsabilités sont en jeu. On ne dit à personne comment faire son travail. C'est tout à fait impartial. Selon moi, il s'agit d'une exigence tout simplement inattaquable.
À mon sens, des amendements tels que l'ajout d'une disposition d'extinction ou autres peuvent être apportés au projet de loi. Cependant, j'espère ne pas voir cette initiative se perdre dans les méandres du projet de loi C-2. J'estime que le Sénat devrait y travailler, puis dévoiler publiquement ses intentions.
En fait, à mon avis, le Sénat a le pouvoir de l'exiger de toute façon. La Chambre des communes peut le renvoyer au Sénat et il serait ensuite adopté. Entre-temps, le Sénat peut dire ce qui se passe, c'est-à-dire expliquer que le gouvernement ne veut pas parler d'obligation de rendre compte dans les projets de loi qui portent sur d'importantes responsabilités, et laisser le gouvernement s'en occuper. Je crois que le Sénat aurait les Canadiens de son côté. Et l'avantage, c'est que ce n'est nullement partisan. La responsabilité est un impératif dans notre société; ce n'est pas une question de politique. Je n'essaierais pas de l'introduire tout de suite dans le projet de loi. Il se passe beaucoup trop de choses. Ce projet de loi semble renfermer une série d'exigences bien distinctes, notamment celle concernant l'administrateur des comptes.
Je suis parfaitement d'accord avec M. Mitchell pour dire que, selon le concept de l'âme dirigeante, les ministres sont ultimement responsables de la qualité du travail de leurs sous-ministres. Toutefois, ce n'est pas vrai qu'un sous-ministre ne devrait pas rendre compte directement au Parlement de la qualité des contrôles de gestion, puisque ceux-ci relèvent entièrement de sa compétence, ce qui n'a pas été fait à DRHC, comme en témoignent certaines discussions parlementaires.
Le sénateur Day : Voyez-vous certains inconvénients à ce que ce soient le premier ministre et le Bureau du Conseil privé qui nomment les sous-ministres et non les ministres?
M. McCandless : Il est possible de remédier au problème, mais ce n'est pas le premier ministre qui signe les chèques; c'est le ministre. Tout comme le dit M. Mitchell, c'est le ministre qui, finalement, est comptable devant le Parlement. Cela n'empêche pas le sous-ministre d'expliquer au Parlement que son rôle est de veiller à la qualité des contrôles de gestion.
M. Mitchell : Sénateur Day, je tiens à préciser que M. McCandless et moi nous entendons sur un point important. Tous deux croyons que c'est une bonne chose que les fonctionnaires comparaissent devant les comités pour expliquer leurs attributions en matière de gestion.
M. McCandless : S'ils sont convoqués.
M. Mitchell : Bien entendu. Là où nos opinions divergent, c'est sur la question de la disposition relative à la responsabilité. Je ne suis pas d'accord pour que l'on insère dans chaque projet de loi une disposition précisant qui rendra les comptes. Il est clair qu'il y a un ministre responsable pour chaque mesure législative et chaque institution gouvernementale. Par conséquent, le ministre est redevable au Parlement.
C'est au comité et au ministre de déterminer qui devra répondre de ses actes dans un cas particulier. Le comité peut convoquer la personne de son choix, tout comme le ministre peut décider de comparaître personnellement ou de faire témoigner en son nom le sous-ministre, le directeur exécutif, le directeur des finances ou quelqu'un d'autre. Ainsi, la personne compétente sera en mesure de répondre aux questions du comité.
Je ne suis pas d'accord avec M. McCandless au sujet de l'insertion d'une disposition dans toutes les mesures législatives. Par contre, il a raison de dire qu'il est important que les fonctionnaires viennent répondre aux questions des sénateurs et des députés sur la gestion.
M. McCandless : Un projet de loi présenté au Parlement peut définir les attributions de personnes autres que les ministres et les fonctionnaires, par exemple, de la Société canadienne du sang ou d'autres organismes. Lorsque c'est le cas, le projet de loi devra indiquer de quoi ces personnes ont la charge et comment elles s'acquitteront de leurs responsabilités.
On ne devrait pas s'interroger sur la responsabilité seulement lorsqu'on fait comparaître un témoin devant un comité. Les Canadiens ont le droit de s'attendre à ce qu'un sous-ministre rende des comptes au Parlement sur la qualité des contrôles de gestion au sein de son ministère.
Comme je l'ai déjà dit, on met en place des contrôles de gestion pour s'assurer de faire les choses correctement. Cette responsabilité incombe principalement au sous-ministre. Par contre, il appartient au ministre de veiller à ce que le sous- ministre soit en mesure d'assumer cette responsabilité. Je ne parlerai pas du processus que se disputent le Bureau du Conseil privé, le premier ministre et le ministre. C'est un processus dans lequel il faudrait mettre de l'ordre. Je n'aimerais pas y appliquer des règles de responsabilité.
C'est un ministre qui signe les chèques; ce n'est pas le premier ministre ni le Bureau du Conseil privé. Par conséquent, le ministre est celui qui, au bout du compte, est responsable de ce qui se passe dans son ministère.
Le sénateur Stratton : Monsieur le président, c'est une journée fort intéressante jusqu'à maintenant.
Pour rappeler un peu ce qui s'est passé au cours de la dernière législature, le Comité sénatorial permanent des finances nationales a mené une étude sur cette question. Toutefois, le rapport n'a jamais été déposé. Nous sommes allés à Londres et à Dublin pour voir comment on y avait imposé des contrôles, de façon à ce que des événements comme ceux qui sont survenus sous le gouvernement précédent ne se reproduisent plus.
Dans le fond, c'est trompeur. Je dis cela en pensant notamment au scandale de DRHC, à la Commission Gomery et au dossier concernant le programme de contrôle des armes à feu. Cette dernière question me laisse particulièrement amer puisque certains sous-ministres n'ont cessé de nous répéter au fil des ans que c'était la dernière année que les coûts augmenteraient. C'était après que le ministre nous dise catégoriquement que le coût ne dépasserait pas les 3 millions de dollars. Finalement, le programme s'est révélé un énorme gouffre financier.
Nous pouvons discuter de l'aspect ésotérique de la responsabilité et de ce genre de choses. Toutefois, ce que veulent vraiment savoir les Canadiens, c'est en quoi ce projet de loi peut empêcher des scandales comme celui des commandites, de DRHC et du registre des armes à feu. Ce sont là trois grands problèmes. Cette mesure législative permettra-t-elle de les aborder et de les régler?
M. Mitchell : C'est une question fondamentale. En lisant le projet de loi, j'ai l'impression que le gouvernement veut renforcer la capacité du Parlement de surveiller le gouvernement et de demander des comptes à ses ministres. En tant que simple citoyen, je considère que c'est ce que vise principalement la mesure législative.
Ce projet de loi renferme de nombreuses dispositions visant à rendre le gouvernement plus transparent, à clarifier la responsabilité des ministres et à permettre au Parlement, aux médias et au public de mieux comprendre les procédures internes. À bien des égards, il sera ainsi plus facile pour les parlementaires d'exiger des comptes du gouvernement sur ce qui se fait au sein des ministères, que ce soit par rapport au registre des armes à feu, aux subventions et aux contributions ou aux marchés. C'est là l'objectif visé.
Il y a beaucoup de mécanismes prévus dans le projet de loi. C'est aux sénateurs de décider si tous ces mécanismes facilitent ou compliquent la tâche. Cette mesure renforce cela de façon considérable, et c'est une bonne chose.
M. McCandless : À mon avis, le scandale du registre des armes à feu, par exemple, est attribuable à un manque de contrôle de gestion. Je ne suis pas certain que le projet de loi traite de ce problème, ni même en fasse mention.
Pour moi, si vous êtes responsable de la qualité des contrôles de gestion à votre niveau et que vous en faites publiquement rapport, cela aura un effet positif sur votre diligence.
Lorsque Kenneth Dye était vérificateur général, nous avions un projet visant à rendre le vérificateur général plus responsable. Un des députés a dit : « Si le vérificateur général doit rendre des comptes sur l'efficacité de son bureau, cela aura pour effet de changer la conduite des gens dans ce bureau. C'est génial. » C'est presque une lapalissade.
Je pense que pour qu'il y ait de bons contrôles de gestion au sein du gouvernement, il faut que les personnes responsables rendent compte publiquement de leurs actes et indiquent quelles sont, selon elles, les normes de contrôle applicables. Il faut ensuite que le vérificateur général atteste de la justesse et du caractère exhaustif de cette assertion. À mon avis, c'est ce que devrait faire le vérificateur général.
Le projet de loi peut avoir des dispositions concernant la conduite à adopter, mais il ne dit pas qui va répondre de la qualité des contrôles de gestion gouvernementale pour éviter que d'autres scandales ressemblant à celui des commandites ou d'autres problèmes comme ceux ayant entouré le contrôle des armes à feu ne se reproduisent.
Vous pouvez dire de moi que je me limite à un seul problème, mais il s'agit là d'une question fondamentale comportant plusieurs volets.
Le sénateur Stratton : En fait, le problème lié au registre des armes à feu illustre clairement à quel point le gouvernement n'avait aucun contrôle véritable sur ce qui entourait la gestion du programme. Nous avons eu le sentiment, année après année, qu'il y avait constamment de nouvelles surprises. Par exemple, le système informatique ne fonctionnait pas ou les logiciels devaient être reconfigurés. Étant donné que c'était un programme complètement nouveau, cela a dépassé le cadre de ce que l'on avait l'habitude de faire. On ne savait tout simplement pas comment procéder. C'est l'impression qui m'est restée, au fil des ans, des rencontres que j'ai eues avec les personnes responsables. Celles-ci nous assuraient que les problèmes ne se reproduiraient pas, mais chaque année, cela recommençait. J'en suis arrivé à la conclusion très claire qu'ils ne savaient pas gérer ce qu'ils avaient entre les mains. Ils ne l'auraient pas admis. D'ailleurs, la même personne nous a servi la même ritournelle pendant des années. Je ne parle pas là nécessairement du président du Conseil du Trésor, mais du sous-ministre. Il se trouve que je le connais assez bien et je pensais que c'était un honnête homme. Le problème est de savoir quoi faire en pareil cas. Comment déterminer la responsabilité quand les gens n'exercent pas le contrôle voulu?
Je crois qu'ils nous ont tout simplement induits en erreur dans la mesure où ils pensaient pouvoir contrôler la situation l'année suivante et que le problème ne se reposerait plus, mais il en a été tout autrement. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Voilà le type de responsabilité que nous devons absolument comprendre.
M. McCandless : Quelqu'un est responsable de la qualité des contrôles de gestion; une partie de ces contrôles consiste à être correctement informé pour prendre des décisions éclairées. S'ils ne savaient pas très bien ce qu'ils faisaient et avançaient à tâtons au début, et que la situation a perduré, quelqu'un aurait dû alerter le ministre et lui expliquer que le problème venait du fait que tout cela était nouveau. La question est de savoir jusqu'à quel point cela était nouveau en termes de gestion de projets. Était-il possible d'éviter que la situation ne se reproduise?
On ne peut pas s'attendre à ce que les ministres sachent en quoi consiste une bonne gestion de projets, mais c'est à eux qu'incombe la responsabilité de nommer les personnes capables de contrôler la situation, même si c'est dans un domaine nouveau. C'est une simple question de diligence.
M. Mitchell : Dans un autre ordre d'idées, sénateur, je crois que la façon la plus efficace d'éviter que ce type de problème ne se répète est de renforcer la capacité du Parlement, aussi bien de la Chambre des communes que du Sénat, à tenir les ministres rigoureusement responsables de leurs actes et à interroger soigneusement les fonctionnaires au sujet des différentes dépenses du gouvernement. C'est bien plus important, et probablement beaucoup plus efficace que d'introduire toute une série de dispositions dans la loi sur ce que les fonctionnaires sont censés faire dans un cas ou un autre. Ce qui est essentiel, c'est la relation que vous entretenez avec le ministre ainsi que la capacité des fonctionnaires à répondre devant les comités. Plus les comités du Sénat et de la Chambre seront équipés pour faire leur travail de la manière la plus complète et rigoureuse qui soit, meilleurs seront les résultats.
Le sénateur Stratton : Je suis totalement d'accord avec vous sur le fait que cela doit être l'objectif final. Ce qui me désole, c'est que le comité des finances ait interrogé des fonctionnaires pendant cinq, six ou sept ans sans grands résultats. Les réponses fournies étaient toujours les mêmes. Je ne veux pas dire par là qu'on nous a délibérément induits en erreur. Mais comme le problème se répétait tous les ans, on en est venu à se poser la question. Lorsque la situation a pris d'autres proportions et que le public a commencé à être exaspéré, on s'est demandé si les fonctionnaires induisaient délibérément les gens en erreur. Comment faire la lumière là-dessus après ce que vous venez de dire?
M. Mitchell : Je ne peux pas croire qu'ils vous ont délibérément induits en erreur.
Le sénateur Stratton : Moi non plus, mais c'est la question qu'on se posait à l'époque.
M. Mitchell : Je comprends que vous ayez pu vous impatienter, que vous n'ayez peut-être pas été adéquatement informés et tout ce que vous venez d'expliquer. J'ai énormément de respect pour les comités du Sénat, qui jouent un rôle majeur, ainsi que pour les comités de la Chambre, qui n'en sont pas moins importants. Plus les comités travaillent grâce à des règles établies, des membres compétents, des plans de travail, des ressources et du personnel, plus ils s'efforcent de répondre à ces questions de manière systématique, approfondie, en ne laissant rien au hasard, et plus ils peuvent s'assurer une couverture télévisuelle et journalistique des délibérations, meilleur sera leur travail. Au bout du compte, tout cela sera beaucoup plus efficace pour résoudre les problèmes qui vous préoccupent et tenir le gouvernement responsable de ses actes.
Ceci est mon point de vue, forgé en fonction de ma propre expérience.
Le sénateur Baker : Aujourd'hui, les témoins ont fait référence à plusieurs reprises au travail du juge Gomery qui, bien sûr, s'est penché sur les questions de responsabilité. Il a entendu beaucoup de témoins et fait de nombreuses recommandations.
J'en conclus, monsieur Mitchell, que vous n'avez pas beaucoup réfléchi aux recommandations du juge Gomery en matière de responsabilité ni pensé quoi en faire. Est-ce que je me trompe?
M. Mitchell : Sénateur, je ne partage pas l'avis du juge sur certaines questions de responsabilité.
Le sénateur Baker : Lesquelles, par exemple?
M. Mitchell : Eh bien, j'ai des conceptions différentes de ce que notre système démocratique, inspiré du modèle britannique, nous dicte en matière de responsabilité et d'obligation de rendre compte des ministres et des fonctionnaires que ce que j'ai pu lire dans le rapport du juge Gomery.
Par exemple, le juge a conclu, à un moment donné, qu'il ne savait pas qui était responsable parce que les gens se défilaient. À mon avis, on pouvait voir clairement qui était responsable, même si les personnes concernées se dérobaient.
Je ne partage pas l'opinion du juge Gomery sur un certain nombre d'éléments, et j'aimerais insister aujourd'hui devant le comité sur le fait que je crois fermement dans les vertus de notre système démocratique; je suis intimement convaincu qu'il faut renforcer la responsabilité des ministres face au Parlement et la capacité de ce dernier à demander des comptes aux ministres. C'est là le fond de ma pensée.
Le sénateur Baker : On pourrait penser, à la lumière de vos commentaires, que vous êtes content que le gouvernement n'ait pas accepté les recommandations du juge Gomery en ce qui a trait aux questions de responsabilité.
M. Mitchell : Oui monsieur, je me réjouis de voir que ce n'est pas dans le projet de loi. Je suis satisfait de la décision du gouvernement, mais mon opinion en la matière ne date pas d'hier.
Le sénateur Baker : Monsieur Mitchell, vous avez déclaré une fois que le juge Gomery, dans ses conclusions sur les questions de responsabilité, commettait des erreurs en droit, en fait et en théorie. N'est-ce pas vrai?
M. Mitchell : Effectivement, j'ai dit cela dans un discours.
Le sénateur Baker : Cela vous dérangerait-il de nous donner des précisions? J'ai lu quelques-uns de vos discours. J'ai l'impression que vous maîtrisez bien le droit en ce qui concerne l'obligation de rendre compte des fonctionnaires et des ministres. Vous avez été très dur, dans vos commentaires, envers le juge Gomery, mais vous ne tarissez pas d'éloges à l'égard de ce projet de loi. Aussi bien le rapport du juge Gomery que ce projet de loi portent sur la responsabilité, mais, d'après vos analyses, ils sont très éloignés l'un de l'autre.
M. Mitchell : En fait, sénateur, vous avez mis le doigt sur un élément très important. Dans son rapport, le juge Gomery n'a pas correctement décrit les principes et les caractéristiques de notre régime parlementaire, inspiré de la tradition britannique, en matière de responsabilité des ministres et des fonctionnaires. Dans cette partie du projet de loi, tout cela est fidèlement indiqué. Pour répondre brièvement à votre question sur ce sujet en particulier, sénateur, je vous dirais qu'il y a une différence, et je suis heureux d'appuyer l'initiative du gouvernement car je pense qu'il a vu juste. Le projet de loi stipule clairement que les ministres sont responsables, qu'ils doivent s'acquitter de leurs obligations et qu'ils ont des comptes à rendre au Parlement. Je m'en félicite car je considère que c'est bon pour la démocratie, bon pour le Parlement et bon pour le Canada.
Le sénateur Baker : Monsieur McCandless, êtes-vous d'accord avec M. Mitchell lorsqu'il dit que le juge Gomery s'est trompé?
M. McCandless : Le problème, avec tout le respect que je dois aux avocats ici présents, c'est que dans l'affaire du sang contaminé, le juge Krever n'a pas établi de responsabilité; le juge Curran ne l'a pas fait non plus dans l'affaire Westray; et le juge Gomery n'a aucune expérience en matière de contrôle de gestion ou de responsabilité et a suivi les conseils des universitaires en la matière. Si vous essayez de faire cadrer la notion d'obligation de rendre compte avec la responsabilité ministérielle et le processus parlementaire — dont une partie relève du rituel —, vous vous exposez à ce genre de problèmes. Toutefois, si vous élaborez un concept de responsabilité qui convient à la population et qui correspond à l'idée que se font les gens de la responsabilité ministérielle, il est probable que vous trouverez inadéquates les notions existantes en matière de responsabilité, tout comme les choses que se plaisent à écrire les universitaires depuis toujours.
Le juge Gomery aurait dû avoir, au sein de sa commission, des gens qui connaissaient les contrôles de gestion et auraient été capables d'appliquer un concept utile de responsabilité publique, qui, pour lui, n'existait pas. J'ai envoyé mon livre et mes déclarations à la commission; celle-ci n'en a pas tenu compte, mais c'est peut-être en raison des antécédents du juge Gomery. Sur la question de savoir qui est responsable, qu'a soulevée M. Mitchell, le juge Gomery n'avait pas une connaissance adéquate de la responsabilité publique. Par conséquent, les déclarations concernant cette obligation de rendre compte dans son rapport n'étaient peut-être pas aussi rigoureuses qu'elles auraient dû l'être et ne correspondaient pas non plus à l'idée que pouvaient s'en faire les Canadiens. Les questions dont vous avez discuté ne sont pas si pertinentes que cela pour mes concitoyens de Victoria, en Colombie-Britannique.
Le sénateur Baker : Monsieur McCandless, vous avez utilisé le terme de « fraude » lorsque vous avez parlé du projet de loi du gouvernement sur la responsabilité et laissé entendre que le gouvernement était peut-être coupable d'appeler frauduleusement cette mesure législative « Loi sur la responsabilité ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus?
M. McCandless : Ce qu'a retenu le gouvernement, c'est la définition faisant autorité de « responsabilité » comme étant l'obligation de répondre de ses actes, c'est-à-dire de faire rapport ou de rendre des comptes. Il n'y a rien dans le projet de loi qui parle de rendre des comptes. Il n'y a aucune définition de « responsabilité » dans le projet de loi appelé « Loi sur la responsabilité ». Le gouvernement a détourné le terme populaire « responsabilité » et dit qu'il y aurait une loi là-dessus. Il est vrai que tout ce qu'il y a dans ce projet de loi porte sur la responsabilité, mais le projet de loi ne concerne pas les obligations en matière de reddition de comptes. C'est pourquoi je considère qu'il est frauduleux. Je ne peux pas croire que les gens qui ont élaboré ce projet de loi, autant au sein du cabinet de M. Harper que dans les bureaux des rédacteurs, ignoraient ce qui signifie exactement « responsabilité ».
Le sénateur Baker : Monsieur le président, je dois dire que les deux témoins ont été extrêmement francs dans leurs déclarations, que ce soit en public ou devant les comités, et nous l'apprécions grandement.
Le sénateur Milne : Monsieur Mitchell, vous avez dit clairement que ce projet de loi définissait adéquatement les attributions du vérificateur général et que tout était conforme.
Ma question porte sur la création proposée d'un poste de directeur des poursuites criminelles. Lorsque vous étiez au Conseil du Trésor et au Conseil privé, une telle proposition avait-elle déjà fait l'objet d'un examen? Vous rappelez-vous qu'on ait évoqué la nécessité de réorganiser ce secteur du ministère de la Justice? Il me semble que le poste de directeur des poursuites criminelles que l'on se propose de créer pourrait devenir en quelque sorte une « chambre étoilée » au Canada semblable à celle qu'on retrouve aux États-Unis.
M. Mitchell : Sénateur Milne, je n'ai pas la prétention d'être un expert en ce qui concerne cette partie du projet de loi. Toutefois, je ne me rappelle pas qu'il y ait eu de proposition officielle consistant à créer un poste de directeur des poursuites criminelles à l'époque où je faisais partie du gouvernement. Néanmoins, on n'a jamais écarté l'idée de réfléchir à la question étant donné que d'autres pays et d'autres sphères de compétences y avaient déjà songé. Le Royaume-Uni a un directeur des poursuites criminelles et je crois que la Nouvelle-Écosse en a un aussi. Un certain nombre d'assemblées parlementaires ont séparé cet élément de la fonction de procureur général du rôle politique du ministre de la Justice.
Je ne vois rien, dans ce projet de loi, me laissant croire que cela pourrait avoir des conséquences négatives. J'y vois un effort pur et simple destiné à créer quelque chose qui ressemble à ce qui se fait ailleurs, dans des pays ou des sphères de compétences ayant adopté le système de Westminster, comme au Royaume-Uni ou en Nouvelle-Écosse. Ce ne sera pas facile de séparer les différents éléments du ministère de la Justice qui sont concernés, mais je suis certain que les fonctionnaires et le ministre réfléchissent à la question. Les sénateurs devraient leur demander comment ils entendent procéder.
Le sénateur Milne : Prévoyez-vous, en effet, que cela risque de compliquer la tâche de surveillance du Parlement en ce qui concerne ces aspects de la responsabilité du ministre de la Justice?
M. Mitchell : Non, sénateur, je ne crois pas que ce soit le but du projet de loi. Je ne suis pas avocat, mais je vois simplement cela comme le reflet de la décision du Canada de faire comme les autres — c'est-à-dire d'avoir une fonction fédérale clairement autonome en matière de poursuites qui, au bout du compte, relèvera de la compétence ministérielle, mais d'une manière qui sera transparente dans la loi. Je trouve que c'est une bonne chose. Je ne vois aucune raison de penser autrement et c'est tout ce que j'ai à dire là-dessus.
Le sénateur Milne : Monsieur McCandless, je vous pose la même question.
M. McCandless : Je vais devoir céder la parole à quelqu'un d'autre car je n'ai pas étudié cette partie du projet de loi. Comme je l'ai dit, je me suis attaqué à un seul problème en ce qui concerne le projet de loi C-2.
Le sénateur Milne : Monsieur McCandless, vous avez indiqué devant le comité, à l'autre endroit, que vous voudriez qu'on ajoute un article aux dispositions relatives aux dénonciations dans le projet de loi C-2 pour s'assurer que les ministres et les sous-ministres feront rapport annuellement au Parlement. Bien sûr, ceci est l'objet de votre intervention aujourd'hui.
Pensez-vous que ces rapports doivent être déposés par écrit ou que les ministres et les sous-ministres doivent simplement comparaître devant les comités parlementaires une fois par an pour répondre de l'application des politiques internes dans leur ministère? Que pensez-vous de l'établissement d'une convention en vertu de laquelle un comité parlementaire pourrait revoir chaque année les politiques d'un ensemble de ministères et faire rapport à la Chambre au sujet des procédures utilisées? Comment pourrait-on créer ce type de comité et de système de reddition des comptes? Je pense qu'un tel comité et le mandat dont il serait investi perturberait la Chambre dans l'ensemble de ses travaux.
M. McCandless : Sénateur, à propos de votre question concernant les rapports de l'exécutif gouvernemental, notamment en matière de dénonciation, voulez-vous dire que le ministre et le sous-ministre doivent chacun faire une déclaration annuelle sur la qualité des contrôles de gestion en matière de protection des dénonciateurs?
Le sénateur Milne : Y aurait-il un comité qui se pencherait spécialement sur ces questions?
M. McCandless : Non, mais il pourrait y avoir une partie consacrée à cette question dans chacun des rapports ministériels annuels ou quelque chose du genre.
Rien ne devrait jamais empêcher un comité qui en a l'intention d'interroger les ministres et les sous-ministres sur leurs actions. Toutefois, dans le cas des dénonciateurs, si le sous-ministre et le ministre doivent produire un document une fois par an, et faire rapport devant le Parlement au sujet de leurs résultats concrets en matière de protection des dénonciateurs, je pense que vous devriez confier ceci au vérificateur général pour qu'il puisse effectivement vérifier la véracité des déclarations. Ensuite, il faudrait que les dénonciateurs aient leur mot à dire et, éventuellement, puissent contester les déclarations. À ce moment-là, il y aurait un débat à la Chambre des communes ou même ici.
Le fait est que si le ministre et le sous-ministre doivent faire une déclaration publique sur le degré de diligence dont ils font preuve dans la protection des dénonciateurs, cette même diligence doit faire l'objet d'une autoréglementation. Vous pouvez vous battre au Parlement ou même devant les comités sénatoriaux pour démontrer dans quelle mesure vous jugez que la protection est adéquate comparativement à ce qu'elle est censée être, mais il s'agit d'énoncer publiquement, par écrit, la norme que vous croyez atteindre et qui améliore la conduite des personnes responsables.
Le sénateur Joyal : Monsieur Mitchell, j'aimerais revenir à l'une des réponses que vous avez données au sénateur Stratton. Vous avez dit que pour assurer la reddition de comptes de l'administration, il faut avant tout renforcer la capacité du Parlement; vous dites que c'est beaucoup plus important que tout ce que peut prescrire une loi ou un règlement.
Je ne suis pas en désaccord avec vous à ce sujet, en particulier lorsque je lis les notes d'un exposé que vous avez présenté en septembre 2004 devant les nouveaux députés. Vous avez dit, en parlant des députés :
la plupart diront qu'ils [les comités] ne sont pas le meilleur endroit où s'informer des politiques et des programmes gouvernementaux;
la plupart diront que les comités n'ont pas réussi à amener les ministres à assumer la responsabilité de ce qu'ils avaient fait de l'argent que la Chambre leur avait confié;
la plupart diront que les comités ont au mieux permis une mesure passable de recommander des changements à la politique gouvernementale et aux lois;
et beaucoup aimeraient que l'on augmente le personnel professionnel des comités de la Chambre.
Selon vos commentaires de ce matin et votre évaluation générale du Parlement, le moindre que l'on puisse conclure, c'est que le Parlement doit être renforcé. Je suis tout à fait d'accord avec vous à cet égard.
En outre, pour revenir aux recommandations du juge Gomery, au moins cinq d'entre elles portent précisément sur le renforcement de la capacité du gouvernement — il s'agit des recommandations un, trois, quatre, sept et huit. Parmi les 16 recommandations formulées, cinq portent sur le renforcement de la capacité du Parlement. Toutefois, dans le projet de loi C-2, on semble faire les choses à moitié. On trouve de nombreux règlements, de nombreuses modifications administratives aux pratiques en place ou, comme vous le dites, une codification des pratiques, mais où parle-t-on du Parlement dans ce projet de loi? Le gouvernement n'a énoncé aucun objectif montrant que la capacité du Parlement serait renforcée comme vous le proposez, à juste titre, et comme l'a recommandé aussi le juge Gomery.
Si nous adoptons ce projet de loi dans sa version actuelle et le mettons en oeuvre dans le contexte où fonctionne présentement le Parlement, allons-nous vraiment toucher le cœur du problème que nous voulons régler?
M. Mitchell : Premièrement, je vous remercie de souligner que le rapport Gomery comporte de nombreuses recommandations auxquelles je souscris entièrement.
Deuxièmement, c'est avec modestie que je comparais devant un comité du Parlement et que je propose à des sénateurs ou à des parlementaires des façons dont ils devraient mener leurs activités. Les remarques que j'ai faites en 2004, et que vous venez de citer, traduisaient la façon dont je percevais le fonctionnement des comités. Essentiellement, je disais aux parlementaires d'alors que les comités ne fonctionnent pas aussi bien qu'ils le devraient — et c'est ce que je crois.
Lorsque je comparaissais devant les comités parlementaires à titre de fonctionnaire, je déplorais souvent que ces comités n'abordent pas vraiment les questions qu'ils auraient dû examiner. Je connais de nombreux fonctionnaires qui ont vécu la même expérience. Presque tous les fonctionnaires seraient ravis que les comités de la Chambre et du Sénat soient mieux en mesure et mieux équipés pour vraiment s'attaquer aux enjeux qui ont de l'importance pour le Parlement et les Canadiens — et, pour dire bien franchement, pour le ministère visé.
Vous avez absolument raison, monsieur le sénateur, de dire que ce projet de loi ne règle pas les problèmes dont vous avez parlé. Je ne sais pas s'il le pourrait puisque, dans un certain sens, il revient au Parlement de déterminer comment il doit mener ses affaires. C'est au Sénat de décider comment il doit fonctionner; c'est à la Chambre des communes d'en faire autant.
Au bout du compte, le gouvernement contrôle les ressources qu'il accorde aux comités pour faire leur travail, et il y a donc certains domaines évidents dans lesquels le gouvernement peut montrer qu'il appuie ou non un rôle accru pour les comités. Vous savez, monsieur le sénateur, comment cet appui a fluctué au cours de votre carrière; les comités se sont parfois vus attribuer un budget plus important et des mandats élargis, alors que le contraire s'est produit d'autres années.
Je ne suis pas certain que je serais personnellement en faveur d'une imposante législation qui dicterait au Sénat ou à la Chambre la façon de mener ses activités. J'encouragerais plutôt le gouvernement, le Sénat et la Chambre des communes à saisir l'occasion pour faire les choses autrement et mieux, si je peux me permettre de dire cela.
Par exemple, je crois que les règles des comités, en particulier ceux de la Chambre, pourraient favoriser une interrogation plus approfondie des témoins. Si les comités avaient une approche mieux ciblée et plus réfléchie pour l'interrogation des témoins, ils pourraient approfondir les sujets beaucoup plus qu'ils ne le font présentement.
En outre, la gestion des travaux, des calendriers et des agendas des comités pourrait être améliorée. Les sénateurs et les députés devraient savoir où ils concentreront leurs efforts et leur temps dans une session donnée, si bien qu'un comité en particulier pourrait représenter une importante partie du travail d'un député ou d'un sénateur et qu'il aurait les ressources voulues et l'appui nécessaire de la Bibliothèque du Parlement ou de votre propre personnel. Les comités pourraient alors aller loin, sénateur, et ce serait une bonne chose. Vous auriez une meilleure couverture médiatique; vous attireriez davantage l'attention publique. Les journaux suivraient de beaucoup plus près les délibérations des comités, bien que je remarque qu'ils le font de plus en plus. Bien des choses pourraient être faites, mais ce n'est pas tant une question de législation que la façon dont les deux Chambres décident de mener leurs propres travaux.
Je préconiserais de suivre davantage cette direction. Toutefois, je me garde de dire au Sénat comment mener ses travaux. Je ne suis pas ici dans ce but.
Le sénateur Joyal : Monsieur Mitchell, on aurait dû joindre au projet de loi un énoncé d'objectifs que le Parlement aurait eu à examiner. Il aurait dû attribuer un mandat au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, pour que les deux Chambres réexaminent leur pratique et formulent des recommandations sur la façon dont elles traiteraient tous les rapports qui s'accumuleraient maintenant sur les bureaux des députés et des sénateurs et que leur soumettraient l'administrateur des comptes, le directeur des poursuites pénales, le directeur des lobbyistes et tous les autres responsables de l'administration publique.
Comment tout cela serait assimilé au Parlement? De façon générale, l'intention du projet de loi est bonne. Toutefois, concernant sa mise en œuvre au sein du Parlement, rien ne dit que le Parlement doit revoir la façon dont il traite des rapports du comité des finances ou du comité des comptes publics ou la façon dont les comités abordent leurs travaux. Un important élément est ajouté au projet de loi pour combler cette lacune.
En outre, il y a la question des ressources, comme vous l'avez mentionné. Le gouvernement peut tenir le comité en échec, s'il le souhaite, en maintenant le niveau actuel des ressources et en accumulant encore plus de travail sans fournir les ressources nécessaires. Nous avons de bonnes intentions, mais nous n'avons pas les moyens pratiques de traiter efficacement des recommandations formulées dans le rapport. Ce sont là les deux aspects que nous devrions considérer si nous voulons atteindre l'objectif du projet de loi.
M. Mitchell : En gros, je suis d'accord avec vous. Je crois néanmoins que le Sénat et la Chambre des communes peuvent faire avancer les choses par leur travail. Ce que l'on perçoit comme étant nécessaire peut changer, selon ce que le Sénat et ses comités ou la Chambre et ses comités peuvent faire. Plus ces entités deviennent efficaces, plus la population s'attend et comprend que les comités jouent un rôle important et plus il devient difficile de leur refuser des ressources et de contrôler leur mandat.
À mon avis, plus vous ferez le genre de choses dont vous parlez, monsieur le sénateur, plus vous changerez les balises et plus les attentes de la population à l'égard du comité et du Sénat seront élevées.
M. McCandless : Dans mon livre, j'ai consacré plusieurs pages à la qualité des interrogations faites par les comités de la Chambre des communes, peut-être parce que j'ai été, à une certaine époque, agent de liaison parlementaire au comité des comptes publics.
Nous ne pouvons nous attendre à ce que tous les membres du public posent la question astucieuse que Louis Desmarais a posée, à savoir : quels sont vos principaux problèmes de gestion et que faites-vous pour les régler? Venant d'une importante entreprise, il a peut-être été en mesure de poser les bonnes questions d'après les réponses qu'il a reçues. Je suis d'accord pour dire que les députés et les sénateurs pourraient s'entraîner à demander des comptes de façon plus efficace. En fait, il y a dix jours, notre nouvelle députée à Victoria m'a convoqué à son bureau. Je lui ai donné un exemplaire de mon livre alors qu'elle se dirigeait vers le Parlement. Elle m'a dit qu'elle voulait apprendre à demander des comptes. Nous verrons ce qui va se passer.
Ce n'est pas si difficile. Il ne faut pas tant de ressources. Il vous faut les bonnes personnes. Je ne sais pas trop comment se déroulent les séances d'orientation à l'intention des nouveaux députés, mais je doute qu'on y offre une formation sur la manière d'exiger correctement des comptes à titre de député, que ce soit du parti ministériel ou de l'opposition.
Je ne parle pas du calendrier et de ce genre de choses, mais je crois que les parlementaires peuvent mieux se former à poser les bonnes questions à l'exécutif. Ce n'est pas sorcier.
Le sénateur Fox : Vous pouvez peut-être rafraîchir ma mémoire. Je me souviens d'avoir lu dans les diverses lois que le ministre s'occupe du ministère, et si je me souviens bien, que le sous-ministre s'occupe de la gestion et la direction. Est-ce bien cela? Quels étaient les mots exacts?
M. Mitchell : Les lois précisent habituellement que le ministre assure la direction du ministère. Presque toutes les lois constituant les ministères disent cela, mais il y a des avocats dans la salle qui pourraient nous corriger sur ce point.
Le sénateur Fox : Le rôle du sous-ministre est-il défini également dans les lois?
M. Mitchell : Excusez-moi, monsieur le sénateur; je ne me souviens pas d'un texte législatif type. Encore une fois, le personnel pourrait nous aider à cet égard.
Il est clair que, sous l'autorité du ministre, le sous-ministre est responsable de la gestion du ministère.
Le sénateur Fox : Votre explication au sujet de la responsabilité des administrateurs des comptes, dans le cadre de la responsabilité ministérielle, m'intéresse. Vous semblez faire une distinction entre l'administrateur des comptes et le sous-ministre, pour ce qui est de la gestion globale du ministère. Il semble avoir des responsabilités et des obligations de rendre compte distinctes.
À l'heure actuelle, même sans cette loi, je présume qu'un comité parlementaire peut convoquer un sous-ministre et lui poser toutes les questions relevant de l'administrateur des comptes. Où se situe ce dernier dans toute cette structure? N'est-ce pas contraire au principe voulant que le sous-ministre soit responsable de la gestion du ministère?
M. Mitchell : En fait, il est clair dans la loi que le sous-ministre est l'administrateur des comptes; l'administrateur des comptes est donc le sous-ministre.
La loi précise que les sous-ministres sont les administrateurs des comptes. En cette qualité, ils doivent comparaître devant les comités parlementaires et répondre aux questions concernant la gestion des ministères et l'argent qui leur a été confié.
Cet article de la loi a le mérite de préciser clairement que les sous-ministres doivent faire cela, mais dans le cadre du pouvoir ministériel et de la responsabilité devant le Parlement. Voilà une bonne chose. Cet article est clair et simple. Ce n'est peut-être rien de nouveau pour les parlementaires d'expérience, mais c'est bien de le préciser dans une loi.
Le sénateur Fox : C'est une bonne chose à insérer dans une loi, mais ce n'est pas nécessairement révolutionnaire. Tout cela est déjà prévu dans le système de responsabilité britannique, décrit précédemment.
M. Mitchell : Oui. C'est là son grand mérite, à mon avis.
Le sénateur Fox : Comment cela se passera-t-il, en pratique? Le sous-ministre, à titre d'administrateur des comptes, comparaîtra devant le Parlement. Voilà, pour les membres du comité, une indication du type de questions qu'ils devraient poser aux sous-ministres.
À votre avis, le sous-ministre a-t-il ici l'obligation de divulguer des renseignements? Il peut décider de la façon de présenter les choses, que ce soit dans une allocution ou un exposé devant un comité parlementaire. Autrement dit, est-il obligé de dévoiler autre chose que les grandes lignes de son orientation et d'admettre qu'il emprunte une autre direction? Certains ministères ont une multitude de programmes. Par exemple, l'ancien Secrétariat d'État devait bien avoir 200 programmes. Le sous-ministre devra-t-il parler de tous les programmes du ministère ou donner simplement un aperçu général? A-t-il l'obligation de présenter un rapport?
M. Mitchell : Je ne vois rien dans la loi ici qui oblige à faire état des problèmes. Je serais surpris si l'administrateur des comptes le faisait.
Par contre, il est certainement obligé de répondre aux questions sur ce qui se fait au sein du ministère. Cette obligation revient précisément au sous-ministre à titre d'administrateur des comptes. Concrètement, ce projet de loi, s'il est adopté, fera en sorte que les sous-ministres comparaîtront en plus grand nombre devant les comités. À l'heure actuelle, vous les voyez parfois, mais pas toujours. Leur présence est plus fréquente, et ils peuvent être accompagnés d'un directeur des finances ou du dirigeant de la direction générale.
L'obligation des sous-ministres de rendre des comptes devant les comités parlementaires devient plus précise. Voilà une bonne chose. Cela ne veut pas dire qu'ils sont obligés de comparaître devant le Parlement et de dire : « Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons eu un problème dans ce domaine, sur lequel je vais maintenant attirer votre attention. Le ministre n'en sait rien, mais vous le savez maintenant. » Je ne crois pas que pareille chose va se produire. Il n'y aurait aucune obligation ni devoir de divulguer des avis aux ministres ou des options envisagées, par exemple. Ce serait la même chose que maintenant.
Toutefois, vous auriez l'occasion de convoquer ces fonctionnaires pour qu'ils répondent à des questions de fond, et non seulement à des questions générales, et de les mettre sur la sellette pendant quatre jours, si vous le souhaitez. C'est là où le comité doit bien définir son ordre du jour et concerter ses efforts. On revient ici au point soulevé par le sénateur Joyal.
Le sénateur Fox : C'est extrêmement important si nous voulons avoir un arbre vivant. Monsieur Mitchell, à l'article 16.5, on dit que si le ministre compétent et l'administrateur des comptes — j'imagine qu'il s'agit du sous-ministre— ne s'entendent pas sur l'application d'une politique, « [...] l'administrateur des comptes demande l'avis écrit du secrétaire du Conseil du Trésor sur la question. » N'est-ce pas là un truc bureaucratique? Ne devrait-il pas demander l'avis du président du Conseil du Trésor?
M. Mitchell : C'est le secrétaire qui doit être consulté, puisqu'un sous-ministre doit écrire à un autre sous-ministre.
L'article 16.5 proposé à la Loi sur la gestion des finances publiques intègre dans la loi ce qui se fait déjà aujourd'hui : si un sous-ministre a des réserves à l'égard de ce que le ministre souhaite faire, ou si le ministre entend faire quelque chose que le sous-ministre considère comme étant non souhaitable ou contraire à la Loi sur la gestion des finances publiques, le sous-ministre dira alors : « Monsieur le ministre, je dois obtenir l'avis du Conseil du Trésor à ce sujet, parce que je crois que nous avons une divergence d'opinions et je vais demander l'avis de mon collègue, le secrétaire du Conseil du Trésor. » Lorsque ce dernier reçoit pareille lettre, c'est toute une affaire.
Le sénateur Milne : Sauve qui peut!
M. Mitchell : Je ne crois pas qu'on se sauve. Le secrétaire s'adressera ensuite à son ministre, le président du Conseil du Trésor, ou peut-être au Conseil du Trésor dans son ensemble, et obtiendra une décision sur la question.
Ce qui faut retenir ici, c'est que la décision est finalement prise par les ministres. Au bout du compte, si ce qui se fait n'est pas approprié ou si le Parlement le désapprouve, vous pouvez appeler le président du Conseil du Trésor et lui dire : « Que s'est-il passé? Vous avez pris cette décision. Pourquoi? »
Le sénateur Fox : Le ministre ne peut-il pas écrire au président du Conseil du Trésor?
M. Mitchell : Le ministre écrit au président. Il pourrait toujours le faire.
Le sénateur Fox : Ce désaccord entre le ministre et le sous-ministre est réglé par une voie bureaucratique, au lieu que le ministre écrive au président du Conseil du Trésor.
M. Mitchell : C'est juste. On sent ici ma déformation. Je voyais la chose du point de vue du fonctionnaire.
Évidemment, un ministre peut toujours écrire à son collègue, le président du Conseil du Trésor, et il peut envisager de le faire. Habituellement, le ministre serait conseillé par le sous-ministre sur ces questions. Le ministre voudrait faire ou ne pas faire telle ou telle chose, et le sous-ministre lui dirait : « Voici mon avis : j'ai vérifié auprès du Conseil du Trésor. On me dit que nous ne pouvons faire que ceci », ou encore « Vous ne pouvez pas faire cela. »
Si vous êtes dans une impasse, alors l'auteur de cet avis, le sous-ministre, s'adresserait à nouveau à l'autorité compétente, soit le Conseil du Trésor, et obtiendrait une décision sur la question. C'est là l'intention de l'article 16.5 proposé.
Le sénateur Fox : Monsieur McCandless, j'essaie de comprendre l'allocution que vous avez prononcée devant le comité ce matin. Nous parlons essentiellement du contrôle de l'exécutif par le Parlement. Dans un des paragraphes, vous faites allusion à la responsabilité des membres du parti ministériel et à leur refus de rendre compte publiquement du fait qu'ils ont voté contre le versement d'une indemnité aux victimes du sang contaminé d'avant 1986. Quel est le lien avec ce qui nous occupe ici? On pourrait présumer qu'ils sont responsables devant la population du Canada.
M. McCandless : Parlez-vous de la responsabilité des membres du parti ministériel dans ce cas-ci?
Le sénateur Fox : Oui.
M. McCandless : Oui, évidemment. Je dis qu'aucun processus n'était en place pour obliger les membres du parti ministériel qui ont voté contre l'indemnisation à expliquer leur décision à la population canadienne. Si les députés s'étaient renseignés, ils auraient découvert que la cause du sang contaminé aurait pu être arrêtée avant 1986. C'était là la grande question. Lorsque je dis que la preuve leur sautait aux yeux, c'eut été vrai s'ils s'étaient informés. Or, à mon avis, ils se sont sagement levés pour voter contre cette mesure parce qu'ils ont appris qu'on n'allait pas indemniser ces personnes.
Le sénateur Fox : Je ne vois pas le lien avec notre discussion. Ce ne sont pas des membres de l'exécutif ou du gouvernement. Ce sont des députés individuels qui se sont levés et qui ont voté à la Chambre des communes.
M. McCandless : Je n'exclus pas la proposition voulant que l'ensemble des députés devront rendre des comptes à la population canadienne concernant les décisions qu'ils prennent. Dans ce cas-ci, tous les membres de l'opposition ont voté contre cette mesure. C'était simplement les membres du parti ministériel avec une majorité qui ont voté contre l'indemnisation de ces personnes. Jamais dans l'histoire un tel regroupement de personnes ne l'avait encore fait, mais cela ne veut pas dire que ces députés n'auraient pas dû, collectivement, rendre des comptes aux Canadiens et expliquer leur décision. Personne ne leur a demandé des comptes.
Le sénateur Fox : Comment faire cela? On le fait habituellement lors d'une élection générale. Devrait-il y avoir un autre moyen?
M. McCandless : Je ne crois pas qu'on profite des élections pour demander des comptes. Elles servent à jouer avec les cordes sensibles de chacun pour qu'on vote d'une certaine façon, comme Keith Davey le faisait.
Je propose quelque chose qui ne se fait pas encore. Je travaille avec le mot « devrait », et non ce qui se fait. Je ne pourrais pas proposer un mécanisme qui obligerait une majorité ministérielle à répondre collectivement devant la population canadienne. Nous ne sommes pas rendus là, mais nous y serons peut-être dans 20 ans.
Le sénateur Campbell : Ce qu'il faut retenir, c'est que nous avons besoin d'une loi disant que la responsabilité revient au ministre. Est-ce exact?
Pour l'instant, nous avons un mécanisme d'autoréglementation qui est établi par le système britannique et ce genre de chose. Nous devons avoir quelque chose disant « la responsabilité s'arrête ici ».
M. Mitchell : Je suppose que nous en avons besoin. Je le dis à regret. Il y a dix ans, j'aurais dit que ce n'était pas nécessaire, que notre système était assez clair, que les ministres étaient responsables et qu'il n'y avait nul besoin de le préciser dans une loi. S'il faut le faire à cause des incertitudes des dernières années, alors faisons-le. Pourvu que nous disions les choses correctement, je suppose que cela ne peut causer de tort.
Le sénateur Campbell : Je crois que le sénateur Stratton parlait de contrôle, et je suis d'accord avec lui. Si quelque chose échappe au contrôle, nous nous attendons à ce que le ministre se fasse hara-kiri. Est-ce exact?
M. Mitchell : Vous vous attendriez à ce que le ministre s'occupe du problème et réponde à vos questions, que ce soit devant le Sénat, devant un comité, ou peu importe. Vous vous attendriez à ce que des mesures soient prises à la suite des questions que vous auriez posées. Vous vous attendriez à ce que la question attire l'attention publique et politique.
Que les ministres doivent se faire hara-kiri, c'est là un jugement politique et, comme vous le savez aussi bien que moi, cela ne se produit pas souvent. Je ne crois pas que ce soit nécessaire chaque fois que quelque chose tourne mal. Ce qui importe, c'est de savoir que quelqu'un prend votre question au sérieux et s'attaque au problème.
Le sénateur Campbell : M. McCandless a demandé qu'une séance sur la responsabilité soit offerte aux nouveaux députés. En fait, ces séances ont déjà lieu. Vous en avez donné une en 2004, et elle était très bien, à mon avis. Voici l'essentiel de vos propos, et je vous cite :
Bref, votre travail est de veiller à ce que les deniers publics soient dépensés avec efficience et efficacité, conformément aux règles établies par le Parlement dans ses lois ou par le gouvernement dans ses règles et ses politiques.
Il me semble que l'une des grandes lacunes que nous avons ici et que vous avez relevée, tout comme M. McCandless, peut s'énoncer de la façon suivante : si les députés et les sénateurs commençaient à faire leur travail correctement, à poser les bonnes questions et à s'informer sur les enjeux, nous n'aurions pas à nous soucier de ce projet de loi sur la responsabilité.
M. Mitchell : Je ne voudrais pas qu'on lise à la une...
Le sénateur Campbell : J'ai lu tout ce que vous avez écrit et je suis d'accord avec vous. Je dois vous dire d'où je viens. Je suis un ancien maire de Vancouver. Lorsqu'une personne faisait quelque chose de travers à la Ville de Vancouver, nous ne la punissions pas; nous adoptions un nouveau règlement pour éviter que la chose ne se reproduise. La mesure adoptée avait une incidence sur un autre règlement, puis sur un autre et c'était le fouillis. Nous devons peut-être commencer à assumer une partie de la responsabilité, tout comme les députés, et nous devons peut-être être formés dans ce domaine, comme le dit M. McCandless.
M. Mitchell : Je ne suis pas certain que ce soit une question de formation. Je ne crois pas que les sénateurs aient beaucoup à apprendre. Selon moi, il s'agit de s'équiper. Je crois que les comités du Sénat et de la Chambre doivent être dotés des règles, des ressources et du personnel qui leur permettent de faire leur travail.
Je suis d'accord avec vous pour dire que s'ils étaient dûment équipés et si les règles leur permettaient de faire leur travail comme ils le souhaitent, beaucoup de choses ici ne seraient pas nécessaires.
Le sénateur Campbell : Je crois qu'une partie du contenu du projet de loi peut faire l'unanimité ici, mais j'ai des réserves à l'égard de certains éléments. Vous en avez parlé lorsque vous vous êtes adressés aux députés.
Les députés et, par extension, les sénateurs aimeraient qu'il y ait davantage d'employés professionnels pour appuyer les comités parlementaires. Je ne dis pas que les gens que nous avons ne font pas un excellent travail, comme le personnel de la Bibliothèque du Parlement, mais ils ne sont pas assez nombreux. Voilà un problème que ce projet de loi ne règle pas. Rien dans ce projet de loi ne dit que si vous voulez savoir ce qui se passe, il existe une foule de ressources. Si vous n'utilisez pas ces ressources, vous manquez à votre devoir. Voilà un aspect que le projet de loi n'aborde pas, à mon avis.
Le point suivant que j'aimerais soulever est un aspect que notre comité devra aborder. Je vous cite.
Premièrement — et beaucoup de commentateurs (dont le professeur Franks) l'ont souligné —, les règles de procédure qui limitent le temps dont disposent les membres pour poser des questions font qu'il leur est quasi impossible d'interroger les témoins à fond, d'approfondir les sujets soulevés lors des questions précédentes et d'expliquer leurs préoccupations à fond.
Cette question est de la plus haute importance, à mon avis. Je vais vous donner un exemple.
Monsieur McCandless, vous avez comparu devant le comité de la Chambre chargé de l'étude du projet de loi C-2. Combien de temps aviez-vous?
M. McCandless : J'avais cinq minutes pour faire ma déclaration préliminaire, puis je devais répondre aux questions. Chaque témoin avait cinq minutes. Il y a une énorme différence entre cinq et sept minutes.
Le sénateur Campbell : Je ne peux même pas prononcer mon nom en cinq minutes. C'est de cela que je parle. C'est comme si on menait une enquête et qu'on avait tous ces gens qui ont des renseignements, comme vous en avez, et qu'on leur disait : « Désolés. Vous n'avez que cinq minutes », alors que leurs connaissances sont si approfondies qu'ils ne peuvent pas se limiter.
J'ai vécu cette expérience à la Chambre des communes. On disait : « Êtes-vous prêts à conclure? Êtes-vous prêts à conclure? »
J'aimerais me réserver le droit de convoquer à nouveau les témoins à une date ultérieure parce que j'ai beaucoup d'autres questions.
Encore une fois, vous êtes un excellent orateur, monsieur Mitchell.
M. Mitchell : C'est très gentil.
Le sénateur Campbell : Vous avez prononcé un discours au Collège militaire royal du Canada, que j'ai trouvé fascinant et qui était intitulé « Speaking Up ». C'est un excellent document.
Vous décrivez le système britannique. Concernant la répartition des compétences, vous dites que la simple répartition des rôles :
est devenue nébuleuse au cours des dernières années à cause de la création d'un nombre croissant de postes de hauts fonctionnaires parlementaires ayant des fonctions précises dans le domaine de la protection des droits et des enquêtes sur les malversations.
Vous dressez ensuite la liste de ces fonctionnaires, parmi lesquels se trouve le vérificateur général.
Dans le projet de loi C-2 — et qu'on me corrige si je me trompe — au moins six nouveaux postes de hauts fonctionnaires sont créés.
Vous terminez en disant, au sujet des sénateurs et des députés que :
cette tendance à créer des postes de hauts fonctionnaires indépendants pour protéger les droits et enquêter sur les malversations a sapé le rôle traditionnel et fondamental du Parlement. Au lieu de s'en remettre au Parlement, les Canadiens se tournent maintenant vers ces titulaires de charge indépendants pour protéger leurs droits face aux malversations faites au sein du gouvernement et par le gouvernement.
Vous demandez, pourquoi est-ce ainsi? Et vous répondez, parce que les Canadiens ont perdu confiance dans les politiciens et que la période de questions est devenue un véritable cirque. Ce sont mes paroles, pas les vôtres.
Dans ce contexte, je me demande quel effet aurait la création de six autres postes d'ombudsman, comme vous les appelez.
M. Mitchell : Sénateur, à la lumière des déclarations que j'ai faites précédemment, vous comprendrez, je crois, que je suis plus en faveur du renforcement du Parlement que de la création de nouveaux postes de hauts fonctionnaires. J'imagine que nous devrons attendre pour voir ce qui va se passer.
Il est clair que le gouvernement s'est fait une priorité de s'occuper des questions visées par ce projet de loi. Il s'est empressé de déposer un projet de loi substantiel. On crée ici un grand nombre de postes de titulaire de charge publique, ce qui va compliquer la vie des gens qui travaillent au sein du gouvernement et celle des parlementaires, du moins au cours des premières années. Pour dire franchement, nous devrons attendre pour voir comment tout cela va fonctionner. Je ne suis pas le premier ministre, ni le président du Conseil du Trésor. Il s'agit d'un projet de loi du gouvernement. Que Dieu leur vienne en aide. Ce que je ferais, ce serait de renforcer le rôle fondamental du Parlement.
Le sénateur Campbell : N'abandonnons-nous pas cette responsabilité en instaurant simplement six nouveaux postes de hauts fonctionnaires?
M. Mitchell : Je ne crois pas que le Sénat ou la Chambre des communes abandonne des responsabilités. Vous créez tout simplement un univers plus complexe dans lequel vous allez travailler. Je ne crois pas que cette mesure affaiblit le Parlement. Je veux être clair à ce sujet. Je crois toutefois qu'elle va compliquer votre vie.
Le sénateur Campbell : Merci, monsieur le président. Ce sont là mes questions. J'aimerais me réserver le droit de convoquer à nouveau les témoins.
M. McCandless : Puis-je faire un commentaire? Selon l'expérience que j'ai acquise au fil des ans au bureau de vérification, les parlementaires ont eu tendance à transférer la responsabilité au vérificateur général. Ce dernier facilite la relation de responsabilité entre l'exécutif et le Parlement, mais reste en dehors de cette relation. En conséquence, seule la Chambre des communes, appuyée par le Sénat, peut exiger des comptes au gouvernement.
Même si les députés ont eu tendance au fil des années à se décharger de leurs responsabilités, ils touchent quand même leur salaire et leur pension, alors que le vérificateur général fait leur travail. Pourquoi serait-ce différent avec l'ajout de six autres fonctionnaires? Je partage votre préoccupation. Cela concorde aussi exactement avec ce que dit M. Mitchell. Si nous pouvons faire en sorte que les parlementaires deviennent plus efficaces à exiger des comptes, comme une équipe de basketball bien entraînée, si vous me permettez l'exemple, alors ils auront l'habitude de le faire avec plus de succès. Vous pourriez alors avoir quand même ces six nouveaux fonctionnaires, mais cela n'autoriserait pas les députés à se décharger de leurs responsabilités dans leur domaine de compétences. S'il y a un nombre suffisant d'autres fonctionnaires, vous pourriez dire théoriquement que les députés n'ont rien à faire pour justifier leur salaire. Ils doivent surmonter cette tendance, et seuls les parlementaires peuvent faire cela.
Le sénateur Zimmer : Comme le sénateur Campbell et d'autres l'ont dit, vous nous avez renseignés et éclairés.
Monsieur Mitchell, dans votre rapport du 2 mars 2006, à la page 10, vous dites que le juge Gomery se trompe au sujet des concepts de pouvoir et de responsabilité au sein du gouvernement britannique. Vous dites qu'il fait erreur, mais vous ajoutez que même si les gens hésitent à accepter leurs responsabilités, cela ne veut pas dire qu'ils ne seront pas responsables. Si, selon toute apparence, ils hésitent à accepter leurs responsabilités, cela ne voudrait-il pas dire qu'ils ne sont pas responsables à ce moment-là, et même s'ils semblent être responsables, si dans leur tête ils hésitent à accepter ces responsabilités, n'y a-t-il pas un problème?
M. Mitchell : Très brièvement, monsieur le sénateur, lorsque j'ai dit ce que j'ai dit il y a huit mois, j'essayais de faire valoir que le fait de ne pas accepter sa responsabilité ne veut pas dire que le ministre en question n'est pas moins responsable. C'est la façon polie que j'ai trouvée de le dire, et je ne voulais pas me mêler de politique à cette occasion, et je ne veux pas le faire maintenant. Toutefois, c'est le point que je voulais soulever. Les gens peuvent se méprendre sur leurs responsabilités, ils peuvent hésiter à les assumer, ils peuvent décider de s'esquiver en niant leurs responsabilités, mais je crois que c'est le devoir des parlementaires et des juges de savoir qui est responsable et de le dire. Voilà ce que je pense tout simplement, mais je préférerais ne pas en dire davantage dans un forum comme celui-ci.
Le sénateur Cools : Je désire remercier les témoins d'avoir comparu devant nous. J'ai déjà eu le plaisir d'entendre ces témoins à d'autres occasions, alors je suis bien au courant.
Vous avez dit des choses intéressantes et il est facile d'être d'accord avec une bonne partie de ce que vous avez dit, mais je suis toujours surprise du fait que, au bout du compte, après toutes les suggestions, les dialogues et les débats, nous revenons au point de départ, c'est-à-dire que le réel problème dans notre communauté est la faiblesse constitutionnelle du Parlement. Le professeur Aucoin, dont vous connaissez sûrement les travaux, a dit au sujet du projet de loi, dans une allocution prononcée le 11 mai 2006, que l'on serait presque porté à dire que les députés ont « donné en sous-traitance » le devoir du Parlement de tenir les ministres et hauts fonctionnaires responsables auprès de leurs agents parlementaires.
Ce qui me fascine avec les penseurs et les universitaires, c'est que nous en revenons toujours à la même chose : le Parlement est à son niveau le plus faible depuis sa création, soit il y a environ mille ans. Étant donné que nous en revenons toujours à cette même constatation, je me demande souvent pourquoi nous ne commençons pas par essayer de régler cela et pourquoi nos réformes ne visent-elles pas à corriger cette faiblesse.
Par exemple, messieurs, il y a quelques minutes, vous avez convenu que bien peu de ministres démissionnent. Je pense que cela ne s'est pas produit depuis 20 ans. Je veux dire, il y eu le débat sur les armes à feu, l'affaire des ressources humaines et le scandale des commandites, et pas un seul ministre n'a démissionné pour avoir mal dirigé son ministère; pas un seul. Des ministres ont démissionné pour des questions personnelles, mais pas pour avoir mal dirigé un ministère.
Cela étant dit, vous avez dit que les sénateurs et les députés devaient poser les bonnes questions et faire un bon travail. Eh bien, messieurs, je peux vous dire, selon mon expérience, que bon nombre d'entre nous faisons un bon travail. Je sais que je pose beaucoup de questions. Le problème, ce n'est pas de poser les bonnes questions, c'est d'arriver à ce qu'un ministre y réponde.
Ayant dit cela, je trouve que ce problème touche aussi Westminster. Il n'existe pas seulement au Canada. Si vous comparez les ressources que j'ai dans mon petit bureau à celles du ministre de la Justice, avec ses 3 500 avocats qui y travaillent actuellement, il y a un écart énorme. En effet, le gouvernement a délibérément appauvri les députés et les sénateurs et compte tenu de ce que j'appellerais l'agrandissement extravagant du pouvoir que les premiers ministres ont sur les députés et les chambres, je me demande ceci : croyez-vous que dans un jour prochain, un premier ministre moderne, un cabinet moderne, permettra à ses propres députés et aux sénateurs de le tenir responsable?
M. Mitchell : Je peux vous répondre rapidement, madame le sénateur, sans nécessairement accepter toutes les prémices de votre question, n'est-ce pas?
Le sénateur Cools : Oui.
M. Mitchell : Je voudrais mentionner seulement un point. Je voudrais citer en exemple la démission de John Fraser dans l'histoire du thon avarié. C'est un exemple d'un ministre qui a démissionné pour avoir mal dirigé son ministère.
Le sénateur Cools : C'est exact.
M. Mitchell : C'était une question qui était particulièrement chaude en 1986, je crois.
Le sénateur Cools : Alors cela fait plus de 20 ans.
M. Mitchell : Je ne disais pas ça pour vous reprendre, madame le sénateur. Je voulais dire que ce cas nous rappelle que lorsqu'il s'agit de mal diriger un ministère, lorsqu'il y a des troubles politiques, lorsque les politiciens portent attention à la mauvaise gestion, et bien, un ministre peut démissionner si la question est jugée suffisamment importante.
Le sénateur Cools : Je voulais dire que cela ne s'est pas produit récemment.
M. Mitchell : Absolument.
Le sénateur Cools : On voyait cela beaucoup plus souvent avant. Cependant, cela ne s'est pas produit au cours des 13 dernières années. C'est cela, la vraie question. En fait, je crois que nous avons besoin d'un débat pour vérifier si nous fonctionnons toujours d'une manière constitutionnelle dans le cadre de la notion de la responsabilité ministérielle.
M. Mitchell : Vous m'avez demandé de me tourner vers l'avenir, alors je vais le faire afin de répondre à votre question.
Le sénateur Cools : Pensez à l'avenir et dites-moi si vous croyez que bientôt, il y aura un nouveau jour, un jour plus ensoleillé.
M. Mitchell : Je vois que les choses iront mieux bientôt en raison de la nature du monde dans lequel nous vivons. Nous vivons dans une ère de l'information, où les audiences des comités sénatoriaux sont régulièrement télévisées et de plus en plus de personnes les regardent. Pourquoi les regarde-t-on? Pourquoi des personnes regardent-elles ces séances? Ce n'est pas seulement parce qu'elles font de l'insomnie, mais plutôt parce qu'elles sont fascinées par la dynamique humaine qui se joue lors d'une séance d'un comité parlementaire. Elles regardent la période des questions et regardent les audiences de comités traiter de sujets étranges. Vous pouvez vous attendre à ce que cela se produira de plus en plus. La dynamique humaine du gouvernement parlementaire me porte à croire avec optimisme que le Parlement gagnera en force et sera considéré par les Canadiens comme étant plus important.
Le sénateur Cools : Si la préoccupation est la reddition de comptes, pourquoi ne commençons-nous pas par cela, et pourquoi ne renforçons-nous pas le rôle du Parlement dans tout ce processus?
M. Mitchell : C'est une question qui s'adresse davantage à un ministre qu'à moi, madame le sénateur.
Le sénateur Cools : Vous pensez tous cela. Vous dites tous que le Parlement est dans un état de faiblesse. On peut lire tous les témoignages, et tout le monde fait cette constatation; cependant, les recommandations finales ne portent pas sur la faiblesse du Parlement. On recommande toujours de créer d'autres commissions, un autre agent ou autre chose. Cela n'arrivera pas à renforcer le Parlement. En fait, je crois que la création de telles commissions affaiblit le Parlement.
Vous avez parlé du vérificateur général. Quel est le budget du vérificateur général? Il est plus important que celui du Sénat. Cela signifie que le vérificateur général ne peut être au service du Parlement. Avez-vous déjà vu un servant qui a un budget plus grand que celui de son maître? Je ne dis pas cela pour parler contre le vérificateur général. Le vérificateur général a un rôle réel et très important à jouer, je ne remets pas cela en question.
Mais voici ma question : Quand avons-nous l'intention de nous pencher sur les vrais problèmes?
M. Mitchell : Il est certain que je connais un bon nombre de parlementaires expérimentés qui savent comment utiliser les outils comme le vérificateur général pour servir leurs objectifs parlementaires, et je crois que c'est ce qu'ils doivent faire. Écoutez ce que je dis. Je suis le premier à dire que le Parlement doit être renforcé afin de jouer son rôle de manière efficace.
Le sénateur Cools : Nous sommes confrontés au fait que nous avons besoin de plus de freins constitutionnels à l'augmentation du pouvoir du premier ministre, du Bureau du Conseil privé et du cabinet du premier ministre. Je peux affirmer cela. Je me suis penchée sur ce sujet pendant un bon bout de temps.
Le président : Au nom du comité, je désire remercier les témoins pour les excellents exposés qu'ils ont faits et les réponses à nos questions. Cela a été très utile pour nous alors que nous reprenons nos audiences sur ce document juridique important, le projet de loi C-2.
Aujourd'hui, les témoins ont surtout parlé de la reddition de comptes et du bureau chargé de la reddition de comptes. C'est un bon départ pour les autres témoins que nous entendrons cette semaine.
Le sénateur Milne : Monsieur le président, je n'ai pas eu l'occasion de parler de cela au début de la séance. Le comité avait comme coutume informelle de ne pas mettre une question aux voix, lorsque nous avions une liste, avant que tous les témoins aient été entendus. Étant donné que nous avons un nouveau président maintenant, je voudrais proposer:
Qu'il n'y ait pas de vote sur le projet de loi tant que tous les témoins n'ont pas été entendus.
Le président : Que veut-on dire par « tous les témoins »?
Le sénateur Milne : Les témoins que le comité permanent a convenu d'entendre au cours des prochaines semaines.
Le président : Je n'ai pas d'avis à cet effet, madame le sénateur. Je suis nouveau à ce comité et je suis pris un peu par surprise. Je ne suis pas au courant de cette procédure. Cependant, si vous présentez une motion, eh bien, allez-y.
Le sénateur Milne : Je viens de proposer de ne pas tenir de vote sur ce projet de loi tant que les témoins qui doivent comparaître n'ont pas été tous entendus. Cela permettra aux deux côtés de la Chambre de relaxer un peu pendant les séances.
Le sénateur Cools : Pouvons-nous débattre de cette motion?
Le président : Certainement.
Le sénateur Cools : Vous dites qu'il ne devrait pas y avoir de vote, sénateur Milne.
Le sénateur Milne : Sur le projet de loi.
Le sénateur Cools : Sur le projet de loi et sur la possibilité de faire rapport au Sénat du projet de loi?
Le sénateur Milne : Oui.
Le sénateur Cools : Mais pas sur les autres sujets?
Le sénateur Milne : Non.
Le sénateur Cools : C'est bien.
Le sénateur Day : Je ne fais pas partie de ce comité en temps normal.
Le président : Moi non plus.
Le sénateur Day : Si ce comité a comme tradition de faire cela et si c'est uniquement au sujet du projet de loi, alors il est important que le comité maintienne sa capacité de traiter toutes les questions de procédure et ne s'empêche pas de voter sur ces sujets.
Le président : Pourquoi faut-il une motion en bonne et due forme? Je n'ai jamais entendu parler d'un autre comité sénatorial qui ait adopté une motion comme cela, et je suis ici depuis 16 ans.
Le sénateur Day : Donc depuis 11 ans de plus que moi.
Le sénateur Cools : Vous avez passé beaucoup d'années à présider les séances de comité.
Le sénateur Day : Je laisse cela entre les mains du comité.
Le président : Honorables sénateurs, nous avons une motion.
Le sénateur Joyal : Monsieur le président, lorsque nous examinons un projet de loi, il existe une pratique — vous pouvez peut-être revoir cela avec le greffier — qui consiste à ne pas tenir de vote sur le projet de loi ni sur les clauses de ce projet de loi tant que le comité n'a pas terminé ses audiences. Cela n'empêche pas le comité de voter sur d'autres questions, sur d'autres aspects de ses travaux, comme l'a mentionné le sénateur Day, notamment les questions de procédure. Cependant, le sénateur Milne a été présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles depuis quatre ou cinq ans, et le sénateur Cools a siégé au comité pendant de nombreuses années, tout comme moi. C'est ainsi que le comité fonctionne.
Le président : Aviez-vous adopté une motion en bonne et due forme?
Le sénateur Joyal : Nous avons toujours fait cela au début de nos audiences.
Le président : Je vais examiner la motion.
Le sénateur Day : Monsieur le président, pourquoi ne pas mettre cette motion de côté jusqu'à ce que nous revenions, à 13 heures? Cela vous permettra ainsi de parler au greffier à ce sujet. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de traiter cela immédiatement. Puisque le président dit qu'il est quelque peu pris par surprise et puisqu'il n'y avait pas de préavis, je serais heureux de proposer de mettre la motion de côté jusqu'à ce que nous revenions cet après-midi.
Le président : Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Day : Je voudrais parler d'une autre question de procédure, monsieur le président. Comme vous le savez, j'ai siégé au comité permanent alors que le sénateur Milne n'était pas présente. Le sénateur Milne est revenue. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'adopter une autre motion. Cependant, le sénateur Milne est ici, alors je vais me retirer du comité permanent. Les sénateurs Joyal, Milne et Oliver sont les trois membres du comité permanent, je demeure le porte-parole.
Le sénateur Joyal : Monsieur le président, étant donné que le sénateur Milne est vice-présidente du comité, elle peut être membre du comité permanent. C'est une pratique normale. Puisque le sénateur Day est le porte-parole du parti en ce qui a trait au projet de loi, je suggère de me retirer moi-même du comité permanent et je suggère que le sénateur Day occupe la présidence du comité permanent pendant que le comité traitera de ce projet de loi. Je pense que ce serait adéquat.
Le sénateur Day : Monsieur le président, nous n'avons pas eu la chance de discuter de cela. Je suis prêt à servir le comité, si c'est ce que le comité désire, mais il me ferait aussi plaisir de demeurer le porte-parole du parti et de permettre au sénateur Joyal de continuer.
Le président : Faut-il faire cela en public? Pouvons-nous parler de cela en privé?
Le sénateur Cools : Il faut une motion du comité.
Le sénateur Day : Le seul problème que j'ai avec cela, c'est que j'ai été nommé par une motion, puis le sénateur Milne est de retour.
Le président : Pouvons-nous discuter de cela tout d'abord?
Le sénateur Day : Pouvons-nous discuter de cette question cet après-midi?
Le président : Nos travaux reprendront à 13 heures, et nous entendrons alors M. Peter Aucoin et M. Ned Franks.
La séance est levée.