Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 5 - Témoignages - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le mercredi 6 septembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit aujourd'hui à 13 h 10 pour en faire l'examen.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) est au fauteuil.
[Traduction]
Le sénateur Oliver : Honorables sénateurs, à l'ordre, s'il vous plaît. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui pour poursuive son étude du projet de loi C-2, prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. Ce projet de loi est mieux connu sous le nom de Loi fédérale sur la responsabilité.
Comme les sénateurs le savent, ainsi que les témoins et le public, soit les gens qui sont ici dans la salle que ceux qui nous regardent à la télévision aux quatre coins du Canada, ce projet de loi est un élément central du nouveau programme du gouvernement, et c'est l'une des mesures législatives les plus importantes qui aient été présentées au Parlement depuis bon nombre d'années. Je sais qu'il fera l'objet, au comité, de l'étude exhaustive, soignée et détaillée qu'il mérite.
Les audiences ont commencé en juin, et cette semaine, le comité se penche sur des éléments plus précis du projet de loi. Les questions que nous étudierons cette semaine sont notamment la responsabilisation, de façon générale, l'éthique et les conflits d'intérêts, et le financement politique. Le comité étudiera également d'autres aspects importants du projet de loi au cours des prochaines semaines.
[Français]
Notre premier témoin cet après-midi est Jean T. Fournier, le conseiller sénatorial en éthique. M. Fournier est la première personne à occuper ce poste, auquel il a été nommé en 2005.
[Traduction]
La mission du conseiller sénatorial en éthique est fixée dans le Code régissant les conflits d'intérêts que le Sénat a approuvé en mai 2005. Il doit notamment offrir les meilleurs conseils et recommandations possibles aux sénateurs quant à l'application des normes les plus élevées et aux obligations qu'ils se sont fixées dans le Code régissant les conflits d'intérêts, rédiger les résumés publics annuels, effectuer les enquêtes et favoriser des communications et des partenariats efficaces. Son travail assure l'intégrité du Sénat en tant qu'élément précieux et fondamental du régime gouvernemental du Canada.
Entré au sein de la fonction publique fédérale en 1968, M. Fournier a une longue carrière derrière lui. Il a occupé des postes supérieurs dans un large éventail de domaines, soit la sécurité publique, les affaires autochtones et du Nord, les relations fédérales-provinciales-territoriales, la réforme de la pension de retraite, les langues officielles, la diversité culturelle ainsi que les relations et le commerce internationaux.
[Français]
Je vous remercie de votre présence. Je vous cède la parole et ensuite nous passerons à une période de questions et de discussions qui seront, je le sais, très utiles pour les membres du comité.
Jean T. Fournier, conseiller sénatorial en éthique, Bureau du conseiller sénatorial en éthique : Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je vais m'en tenir dans mes propos aux aspects du projet de loi C-2, qui ont des incidences sur le Bureau du conseiller sénatorial en éthique et, par conséquent, sur le Sénat dans son ensemble.
Je pense plus précisément à l'article 26 du projet de loi, qui abroge les articles 20.1 à 20.7 de la Loi sur le Parlement du Canada, dispositions qui créent le poste de conseiller sénatorial en éthique; et à l'article 28, qui ajoute les articles 81 à 91 à la même loi. Ensemble, ces nouvelles dispositions combinent les fonctions du commissaire à l'éthique et celles du conseiller sénatorial en éthique pour établir le nouveau poste, le poste de commissaire aux conflits d'intérêts et l'éthique, chargé d'appliquer et d'interpréter trois ensembles de règles, celles s'appliquant aux sénateurs, celles s'appliquant aux députés et celles s'appliquant aux titulaires de charge publique. Dans cette nouvelle structure, les sénateurs seraient toujours assujettis aux règles existantes, c'est-à-dire que le Code régissant le conflit d'intérêts des sénateurs, qui fut adopté le 18 mai 2005 par le Sénat, continuerait de régir la conduite des sénateurs.
[Traduction]
La structure proposée soulève à l'évidence une importante question : serait-il plus efficace et efficient d'avoir un seul commissaire à l'éthique qui applique trois codes sur les conflits d'intérêts que d'avoir deux ou trois commissaires? À mon avis, voilà la question de fond que le comité doit examiner et trancher en définitive avant de faire ses recommandations au Sénat.
Ce n'est certainement rien de nouveau. Les avantages et inconvénients d'un modèle à une personne, à deux personnes ou à trois personnes font l'objet d'une discussion depuis plusieurs années, comme en témoignent le rapport Stanbury-Blenkarn, qui remonte à en 1992, le rapport Milliken-Oliver, de 1997, qui porte le nom du distingué président du comité, et plus récemment, le rapport Milne-Andreychuk, présenté en 2003, qui porte le nom du sénateur Milne.
Hier, vous avez discuté de cette question, entre autres, avec M. Shapiro, le commissaire à l'éthique, et avec M. Wilson, l'ancien commissaire à l'éthique. J'ai alors suivi votre discussion avec intérêt. Je vous donne aujourd'hui ma perception en tant que conseiller sénatorial en éthique.
Le gouvernement précédent avait proposé la création d'un poste unique de commissaire à l'éthique pour les députés, les sénateurs et les titulaires de charge publique. Cette proposition a fait l'objet d'une opposition résolue et généralisée, au Sénat. Le gouvernement a fait marche arrière; le projet de loi C-4, adopté en 2004, créait deux postes, un pour les sénateurs et l'autre pour les députés et les titulaires de charge publique. Deux ans plus tard, le 11 avril de cette année, le dossier a été rouvert à la surprise générale par le dépôt du projet de loi C-2.
Cette série d'événements m'a incité à réexaminer les discussions antérieures du Sénat ainsi que les exposés très intéressants que les témoins avaient faits à l'époque. Pendant les travaux du Sénat, différents points de vue ont été exprimés par des parlementaires, des représentants gouvernementaux, des universitaires et d'autres. Par exemple, les représentants gouvernementaux étaient en général favorables à la nomination d'un seul commissaire pour les sénateurs, les députés et les titulaires de charge publique, invoquant l'efficience administrative et l'uniformité des avis. D'autres, dont l'honorable Herb Gray, adhéraient au modèle des trois commissaires en faisant valoir que les responsabilités des sénateurs, des députés et des titulaires de charge publique sont très différentes et que cette réalité doit se traduire par des mécanismes institutionnels distincts.
Au cours des mêmes débats, plusieurs sénateurs se sont surtout intéressés aux questions constitutionnelles que soulèverait l'existence d'un seul commissaire pour les deux Chambres, à savoir l'indépendance du Sénat vis-à-vis de la Chambre et de l'exécutif et son droit constitutionnel de diriger ses affaires internes sans ingérence extérieure, notamment pour les mesures disciplinaires. Sur le plan constitutionnel, le Sénat, tout comme la Chambre, est un organisme indépendant. Le distingué et réputé Joseph Maingot, ancien légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes, a dit : « Le contrôle à l'égard de ses propres affaires et travaux fait partie des caractéristiques primordiales d'une institution législative indépendante. » Les questions constitutionnelles, et les questions de privilège parlementaire en particulier, ne revêtent pas moins d'importance maintenant; aussi le comité voudra-t-il les examiner avec attention.
Pour ma part, j'aimerais partager avec vous aujourd'hui mon point de vue de praticien basé sur mon expérience personnelle à titre de conseiller sénatorial en éthique et ma connaissance des régimes et des structures déontologiques des provinces et d'autres pays. J'espère que ma contribution sera utile à vos travaux et je me ferai un plaisir, ensuite, de répondre aux questions que vous pourriez avoir.
J'aimerais d'abord souligner l'importance du rôle consultatif du conseiller sénatorial en éthique. La fonction première du conseiller, et de n'importe quel autre commissaire à l'éthique, est de donner dans les meilleurs délais des avis indépendants et judicieux aux sénateurs pour qu'ils puissent bien comprendre leurs obligations en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs et qu'ils les respectent. Je vois bien sûr ce rôle de conseiller comme l'essence de mon travail. Dans ce contexte, le conseiller doit collaborer étroitement avec les sénateurs pour éviter les conflits d'intérêts, et non pour essayer d'y remédier une fois qu'ils ont surgi. C'est une approche proactive et préventive, plutôt que réactive ou punitive. Pour que ce système fonctionne bien, il faut que le conseiller se tienne constamment à la disposition des sénateurs et, en travaillant personnellement avec eux, établisse une relation de confiance qui leur permet de révéler des renseignements personnels et financiers et de demander son avis.
Cet aspect de mes fonctions occupe une grande partie de mon temps, et c'est bien qu'il en soit ainsi. Le rôle d'enquête, que je n'ai pas eu à exercer jusqu'ici, n'occuperait idéalement qu'une petite fraction de mon temps.
[Français]
Au cours de la dernière année, j'ai rencontré la plupart des sénateurs et dans un certain nombre de cas, plus d'une fois à leur demande. Le code est pour moi une occasion de travailler avec les sénateurs, individuellement, à régler leurs affaires privées de façon à éviter les conflits d'intérêts. C'est pourquoi je me suis tenu toute l'année à leur disposition pour les conseiller et les guider.
Quand un sénateur s'interroge sur la conduite à adopter dans une situation donnée, il est encouragé à m'en parler pour recevoir un avis confidentiel sur les règles et la façon dont elles s'appliqueraient à son cas en particulier. Je recommande aussi aux sénateurs une ligne de conduite à suivre pour qu'ils puissent se conformer aux règles.
[Traduction]
À partir de juin 2005 jusqu'au 31 mars 2006, j'ai reçu plus de 300 demandes d'avis ou de conseils de différents sénateurs. À en juger d'après l'expérience des provinces, je m'attends à ce que ce nombre augmente à mesure que les sénateurs apprendront à faire confiance au processus et à solliciter un avis avant d'agir.
En général, j'ai pour politique de répondre à une demande d'avis dans un délai de 24 heures autant que possible, comme c'est l'usage au Bureau du commissaire à l'intégrité de l'Ontario, dont je parlerai tout à l'heure. J'invite les sénateurs à consulter mon rapport annuel pour plus de renseignements sur le travail consultatif de mon bureau.
Avec 1 350 titulaires de charge publique à temps plein et 1 940 titulaires de poste à temps partiel pourvus par le gouverneur en conseil, sans compter les 308 députés, la relation directe que j'ai mentionnée plus tôt peut déjà être difficile à établir pour un seul commissaire à l'éthique. Si on ajoutait les 105 sénateurs, ce serait beaucoup de clients pour un seul commissaire, soit 3 700 en tout. À mon sens, il deviendrait très difficile de nouer des liens directs avec les clients et de leur offrir des avis judicieux dans les meilleurs délais.
Nous savons que les sénateurs, les députés et les titulaires de charge publique jouent des rôles très différents dans le système et doivent donc être soumis à des règles différentes. Le code des sénateurs et celui des députés présentent des similitudes, mais aussi d'importantes différences — dont je serai heureux de discuter ensuite — qui reflètent le rôle bien particulier que joue le Sénat dans le cadre constitutionnel canadien.
Par exemple, les sénateurs peuvent maintenir leurs activités dans leurs communautés et régions et exercer diverses fonctions en dehors de leurs obligations parlementaires. Certaines de ces fonctions peuvent susciter des conflits d'intérêts réels ou apparents.
En vertu du code, on s'attend à ce que les sénateurs règlent ces conflits en se conformant aux normes les plus élevées et en protégeant l'intérêt public. Cela montre bien l'importance du rôle consultatif du conseiller sénatorial en éthique et de la relation étroite qu'il doit entretenir avec les sénateurs.
Il y a un autre point important à retenir, c'est le fait que les deux codes sont encore relativement nouveaux. Ils sont en vigueur depuis seulement deux ans dans le cas de la Chambre des communes et un an dans le cas du Sénat. Tout nouveau régime visant les conflits d'intérêts exige une réflexion approfondie sur l'interprétation et l'explication des règles, surtout au début.
Je ne suis pas convaincu que le système existe depuis assez longtemps pour qu'une seule personne, si compétente soit-elle, ait les connaissances, le temps et l'expérience nécessaires pour bien appliquer les trois codes en accordant à quelque 3 700 parlementaires et titulaires de charge publique toute l'attention qu'ils désirent et qu'ils méritent.
Les sénateurs ne sont pas sans savoir que le projet de loi C-2 donne force de loi aux règles sur les conflits d'intérêts pour les titulaires de charge publique et qu'il accroît les pouvoirs et les fonctions du nouveau commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique, ce qui signifie une hausse considérable de la charge de travail déjà lourde du bureau. Vous avez entendu hier soir l'avis de Bernard Shapiro, l'actuel commissaire à l'éthique, sur cette question.
Sachez qu'en 2005-2006, le commissaire à l'éthique a mené six enquêtes aux termes du code des députés et a reçu, examiné et analysé sept autres demandes qui n'ont pas débouché sur une enquête. De plus, en vertu du code applicable aux titulaires de charge publique, il a reçu, examiné et analysé cinq demandes d'enquête qui n'ont pas donné lieu à des enquêtes officielles. Donc, 18 demandes d'enquête ont été traitées. C'est une partie de la lourde charge de travail dont je parle.
Par ailleurs, le Bureau du commissaire à l'éthique est encore relativement jeune et éprouve des difficultés initiales qui sont inévitables. Son dernier rapport annuel — je vous invite à consulter les pages 11 et 12 — fait état du travail qu'il accomplit afin de résoudre les problèmes de dotation, de fonctionnement et d'organisation et d'améliorer la qualité du milieu de travail pour le personnel.
Je me demande encore une fois si on peut s'attendre à ce qu'une seule personne, dans des conditions aussi exigeantes, trouve le temps de rencontrer individuellement les sénateurs pour leur donner les conseils qu'ils désirent, compte tenu du fait que mon bureau a reçu plus de 300 demandes d'avis et de conseil, comme je l'ai indiqué plus tôt.
L'expérience des provinces nous en apprend beaucoup sur l'importance de la relation directe entre les parlementaires et le commissaire dans l'exercice de son rôle consultatif. Je suis très heureux de voir que vous avez invité Bert Oliver, le commissaire à l'éthique de la Colombie-Britannique, ainsi que Coulter Osborne, son homologue de l'Ontario, et qu'ils viendront témoigner devant votre comité.
Voyons brièvement le cas de trois provinces qui ont des bureaux de commissaire à l'éthique établis depuis longtemps et respectés, à savoir l'Alberta, dont le bureau existe depuis 1991, l'Ontario, qui a un tel bureau depuis 1988, et la Colombie-Britannique, qui a le sien depuis 1990. J'ai un court exposé à présenter à cet égard, et vous pourrez adresser vos questions à Coulter Osborne et à Bert Oliver si vous désirez approfondir ces questions.
En Alberta, le lien direct avec les clients est jugé tellement important que la loi qui crée le bureau du commissaire à l'éthique exige une rencontre annuelle entre le commissaire et chacun des 83 députés. Il s'agit de l'article 13 du Conflicts of Interest Act. Bob Clark, le premier commissaire à l'éthique de la province, qui est à son poste depuis longtemps et qui est très respecté, décrit son rôle comme celui d'un prêtre à 90 p. 100 et d'un policier à 10 p. 100, c'est-à-dire qu'il passe le gros de son temps à rencontrer les députés pour les conseiller sur la façon de se conformer à la loi.
L'Ontario a une exigence semblable. Dans son rapport annuel de 2005-2006, le commissaire à l'intégrité de l'Ontario, l'honorable Coulter Osbourne, souligne l'importance qu'il attache à la relation directe avec les 103 députés, un travail qui l'occupe pleinement.
Il a dit : « L'année dernière, il y a eu 446 demandes de renseignements en vertu de l'article 28 » de la Loi sur l'intégrité des députés. Certaines de ces demandes ont été formulées par écrit et d'autres par téléphone. Quoi qu'il en soit, M. Osborne poursuit ainsi dans son rapport :
Nous essayons de répondre à toutes ces demandes dans un délai de 24 heures. À l'occasion, lorsqu'il faut un supplément d'information, la réponse peut prendre un peu plus de temps. Le nombre de demandes d'avis relevant de l'article 28 est encourageant. Presque toutes les demandes sont présentées avant le fait, ce qui confirme que les députés — et c'est tout à leur honneur — posent des questions avant d'agir ou de prendre une décision. À tout le moins, on évite des problèmes plus graves. Il me semble qu'il y a un lien inversement proportionnel entre le nombre de demandes d'avis faites en vertu de l'article 28 de la loi et le nombre de plaintes pour infraction à la loi : plus les demandes d'avis sont nombreuses, moins il y a de plaintes officielles.
M. Osbourne fait une autre observation dans son rapport annuel qui intéressera les sénateurs :
Mon bureau est petit et ceci me permet de protéger la confidentialité de l'information qui est essentielle à la bonne administration de la Loi sur l'intégrité des députés. Il y a quatre personnes dans mon bureau.
En passant, mon propre bureau a le même nombre d'employés.
Grâce à sa démarche proactive, l'Ontario a réussi au fil des ans à accroître la confiance de la population dans l'intégrité du gouvernement. Ces résultats n'ont pas été obtenus du jour au lendemain.
Je vous rapporte les propos du premier commissaire à l'intégrité de l'Ontario, l'honorable Greg Evans, qui a dit ceci :
Dans les premiers temps de l'existence de mon bureau, il y avait peu de gens qui m'appelaient. Ils ne savaient pas que j'étais là ou s'en souciaient peu. Mais maintenant, nous avons énormément de demandes pour savoir si les députés peuvent faire telle ou telle chose. Une des fonctions du commissaire est d'empêcher les députés de s'attirer des ennuis. Je sais que nous devons représenter la population et la protéger, mais c'est ce qu'on fait quand on empêche un député d'avoir des difficultés en lui donnant un conseil éclairé.
Je fais remarquer par ailleurs que le champ de compétences du commissaire à l'intégrité de l'Ontario se limite aux députés, y compris les ministres. Une administration séparée est en place pour les sous-ministres et les autres nominations par le gouverneur en conseil.
[Français]
La Colombie-Britannique, quant à elle, a aussi adopté une démarche préventive fondée sur une relation étroite et de suivie entre les 75 députés et le commissaire, en l'occurrence, l'honorable Bert Oliver, qui décrit son rôle en ces termes dans son dernier rapport annuel.
Le commissaire consacre la plus grande partie de son temps, et de loin, à des entretiens informels et confidentiels avec des députés pour discuter de leurs problèmes ou pour les aider à repérer — et à prévenir — d'éventuels problèmes qui ne sont pas faciles à discerner à première vue. C'est dans ce rôle consultatif informel et confidentiel que se manifeste la dimension la plus importante du travail du commissaire.
M. Oliver parle aussi de l'importance du lien direct avec ses clients.
J'ai toujours encouragé les députés à se prévaloir des services consultatifs de mon bureau; je suis à leur disposition de chacun d'entre eux pour leur fournir des avis confidentiels, 24 heures par jour et 365 jours par année. L'efficacité de ce rôle consultatif informel et confidentiel dépend en très grande partie du degré de confiance qui peut s'établir entre le commissaire et chaque député.
Une opinion semblable a été formulée, il y a une quinzaine d'années par l'honorable Ted Hughes, le premier commissaire à l'éthique de la province, connu de certains d'entre vous.
Je m'efforce d'encourager les députés à me faire part de leurs préoccupations, même si elles leur semblent insignifiantes. Les contacts se font souvent par téléphone, et comme j'ai établi un lien avec chacun des députés à la suite de l'entretien annuel que je dois avoir avec eux, nos bons rapports facilitent ce genre de démarche. J'espère maintenir ces contacts étroits, surtout dans le cas où le député sent le besoin d'une aide immédiate et aussi pour les situations qui peuvent paraître simples.
[Traduction]
Ian Greene et D.P. Shugarman, professeurs à l'Université York, ont étudié les régimes déontologiques instaurés en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta. Dans leur livre sur la politique, un classique canadien sur les questions d'éthique, ils concluent que l'expérience des provinces relativement aux postes indépendants de commissaire à l'éthique a « réussi de façon remarquable à rehausser le comportement éthique de la classe politique et la confiance de la population dans l'intégrité du gouvernement. » Ils attribuent ces résultats au fait que le commissaire passe la plus grande partie de son temps à rencontrer les élus et à les conseiller sur la marche à suivre pour se conformer aux règles d'éthique et qu'il s'emploie aussi, mais rarement, à enquêter sur de possibles infractions.
Dans la communauté internationale, on appelle parfois cette approche le modèle canadien, modèle dont cherchent à s'inspirer les autres provinces et les territoires, ainsi que d'autres pays.
Puisqu'il est question d'autres pays, il est utile d'examiner ce qui se fait ailleurs, moins pour imiter que pour découvrir les pratiques efficaces utilisées dans des pays qui possèdent des structures déontologiques bien établies.
Nous avons constaté que, dans plusieurs autres systèmes bicaméraux auxquels le Canada se compare souvent pour les questions parlementaires, les régimes déontologiques sont tout à fait distincts pour l'exécutif et le législatif et aussi pour les deux Chambres. C'est le cas par exemple du Royaume-Uni, des États-Unis et de l'Australie. Autrement dit, dans ces trois pays, chaque Chambre gère son propre régime déontologique, y compris son code, tout comme l'exécutif. Il n'y a jamais plus qu'une entité qui relève du même commissaire.
Ces mécanismes institutionnels distincts donnent assez de temps pour établir un rapport direct avec les parlementaires, ce qui est essentiel, selon moi, pour qu'ils soient bien informés sur les conflits d'intérêts et la façon de les éviter.
L'existence de régimes distincts s'explique par les différences de rôles, de responsabilités et de culture entre les entité, par les particularités de leurs règles respectives sur les conflits d'intérêts et par une longue tradition voulant que chaque Chambre gère ses propres affaires internes, y compris les mesures disciplinaires.
Aux États-Unis, les comités de l'éthique de la Chambre et du Sénat ont été établis en vertu de l'article 1 de la Constitution américaine, qui confère à chaque Chambre du Congrès le pouvoir de déterminer ses propres règles de procédure et de punir ou expulser ses membres.
Dans ces pays, il n'y a jamais eu de débat, à ma connaissance, sur l'opportunité de combiner les régimes ou de les modifier, et on semble juger satisfaisantes les structures en place. Dans une perspective internationale, la position et la structure préconisée par le Sénat doivent être considérées comme fondées, puisqu'elles ne sont ni uniques ni égocentriques.
Pour un complément d'information, j'invite les sénateurs à prendre connaissance d'un document intitulé « Mécanismes d'application de l'éthique au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie, » produit le 18 juillet 2006 par Margaret Young, du Service d'information et de recherche de la Bibliothèque du Parlement, qui est à la table avec vous aujourd'hui. C'est un excellent document.
Je renvoie aussi les sénateurs à un bref document d'ordre administratif rédigé par mon personnel, qui met en lumière les principales dispositions du projet de loi C-2 en ce qu'elles touchent le Bureau du conseiller sénatorial en éthique.
Pour terminer, je vous signale n'être au courant d'aucune étude sérieuse sur les avantages et inconvénients, pour le gouvernement fédéral du Canada, de différentes structures administratives. Il y aurait peut-être lieu d'entreprendre une étude de ce genre, je ne sais pas.
Quoi qu'il en soit, sur le plan de l'efficience, je ne crois pas qu'il y ait d'importantes économies d'argent à faire. Vous verrez dans mon rapport annuel que j'ai un petit bureau avec seulement quatre employés.
Malgré tout, nous avons eu une première année fructueuse et atteint tous nos objectifs dans les délais prescrits et avec les budgets établis. J'ai été heureux de constater, en particulier, que tous les sénateurs avaient rempli leur déclaration confidentielle à temps. Tous les sénateurs sont maintenant en conformité avec le Code, et le Registre public du Sénat fut ouvert officiellement le 9 mai dernier.
Cette réalisation n'aurait pas été possible sans l'excellente collaboration que nous avons reçue des sénateurs pendant ce qui a été une période d'apprentissage pour tous les intéressés. Les sénateurs savent déjà que la Revue annuelle de 2006-2007, la prochaine, débutera bientôt.
En ce qui concerne l'uniformité de l'interprétation, comme je l'ai fait remarquer plus tôt, il y a d'importantes différences entre le code du Sénat et celui de la Chambre des communes. Elles doivent exister pour tenir compte des différences historiques et constitutionnelles entre les rôles et responsabilités des parlementaires de chaque Chambre. Mon bureau et celui du commissaire à l'éthique veillons quand même, grâce à des discussions régulières, à interpréter les deux codes uniformément s'il y a lieu, mais nous les interprétons différemment lorsque la situation le justifie.
De plus, nous restons en contact étroit avec nos collègues des provinces, en particulier l'Ontario, dont les règles sur les conflits d'intérêts présentent des similitudes avec le code du Sénat.
Une organisation nationale des différents commissaires à l'éthique, connue sous le nom de réseau canadien en matière de conflits d'intérêts, se réunit chaque année pour discuter de questions d'intérêt commun et faire connaître les pratiques exemplaires, ce qui assure une certaine uniformité à l'échelle du pays. Ces mécanismes informels, avec la souplesse qu'ils comportent, ont toujours été l'un des atouts du fédéralisme canadien. Il y a même une autre organisation, le COGEL, ou conseil des lois gouvernementales sur l'éthique, une organisation canado-américaine, se rencontre annuellement. Elle réunit les commissaires à l'éthique des gouvernements fédéraux, provinciaux et étatiques pour permettre la discussion sur des sujets d'intérêt commun. Il y est question par exemple des cadeaux, des voyages, des marchés gouvernementaux, de la divulgation des biens, des obligations. Ce sont aussi des questions d'intérêt pour nos sénateurs et députés. Ce que je veux faire valoir, c'est que l'interprétation est déjà uniforme chaque fois que cela convient, et qu'il y a des mécanismes en place pour assurer cette uniformité.
En outre, comme je l'ai déjà indiqué, d'autres systèmes bicaméraux — le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie — ont adopté un modèle qui attribue à chacune des deux Chambres son propre régime déontologique. L'efficience et l'uniformité ne semblent pas poser problème. En fait, comme dans les provinces et territoires canadiens, où le nombre de clients pour chaque commissaire est gérable, l'existence dans ces pays d'un régime distinct pour chaque Chambre évite au commissaire d'avoir à supporter un fardeau trop lourd. Il en résulte un service efficace et rapide qui protège l'intérêt public et rehausse la confiance de la population dans le gouvernement. C'est l'approche que je privilégie, depuis ma nomination le 1er avril 2005, dans l'exercice de mes responsabilités à l'égard du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs.
Sénateurs, je conclus sur ces paroles avisées d'Arthur Kroeger, l'un des fonctionnaires les plus connus du Canada, avec qui j'ai eu le plaisir de travailler il y a bien des années. Il disait : « Ne faites pas l'erreur de tenter d'arranger quelque chose qui n'est pas considéré comme brisé. Établissez d'abord le problème, examinez les options, évaluez les avantages et calculez les risques. »
Le président : Je vous remercie de cet excellent aperçu global de votre position en tant que conseiller sénatorial en éthique, d'une part, et de votre interprétation du rôle du conseiller sénatorial en éthique par rapport au projet de loi C-2, d'autre part. Vous nous avez donné beaucoup d'information et nous vous en remercions.
Au début de votre mémoire, vous parlez d'une structure proposée et vous dites : « serait-il plus efficace et efficient d'avoir un seul commissaire à l'éthique qui applique trois codes sur les conflits d'intérêts que d'avoir deux ou trois commissaires? » Les codes de conduite de la Chambre des communes et du Sénat changeront-ils avec le projet de loi C-2?
M. Fournier : Non, on ne prévoit pas changer les codes actuels.
Le sénateur Joyal : Je répète l'avertissement que j'ai fait hier. Bien sûr, je suis en quelque sorte en position de conflit d'intérêts, étant président du Comité sénatorial permanent sur les conflits d'intérêts des sénateurs. À ce titre, j'ai la responsabilité de maintenir la relation du Sénat avec le poste occupé par M. Fournier. Je limiterai donc mes questions aux éléments d'information générale.
Monsieur Fournier, vous mentionnez dans votre mémoire, et vous invitez le comité à vous poser des questions à cet égard, que les deux Chambres sont assujetties à des règles différentes. Vous avez expliqué brièvement que ces règles sont fondées en raison des responsabilités différentes des deux types de parlementaires. Quelqu'un de l'extérieur serait tenté de vous répondre que l'intégrité et l'honnêteté devraient être la même chose pour tous et ne pas s'appliquer seulement selon des limites établies. C'est un argument qu'on entend, généralement, quand on essaie d'expliquer pourquoi la méthode employée pour assurer l'intégrité et l'honnêteté dans l'exercice d'une charge gouvernementale ne doit pas être la même pour tous. Que répondriez-vous à cette affirmation?
M. Fournier : L'une des principales raisons qui font que, dans d'autres pays ou États, il y a parfois à l'échelle provinciale deux ou même trois différentes structures, deux ou trois commissaires, c'est précisément que l'on veut tenir compte des différences entre les rôles et responsabilités des titulaires de charge publique. Je pense aux ministres et aux sous-ministres, qui occupent des fonctions de dirigeant et qui ont à prendre des décisions. J'ai occupé de tels postes pendant 30 ans environ. Dans le cas des députés à la Chambre des communes, leur rôle et leurs responsabilités consistent à faire des lois. Ils n'ont pas à prendre des décisions ou à diriger des programmes. Ils ont un rôle et des fonctions d'ordre législatif et doivent veiller à ce que le gouvernement rende des comptes. Les sénateurs ont aussi des fonctions d'ordre législatif. Par contre, ils ne sont pas élus comme les députés, mais nommés. Ils poursuivent leurs activités dans leurs collectivités, siègent à des conseils d'organismes sans but lucratif ou à des conseils d'entreprise, ce que les députés à la Chambre ne peuvent pas faire, du moins pas autant.
Il faut reconnaître que le même système ne convient pas toujours. Je crois que la plupart des gens reconnaîtraient que des règles différentes doivent s'appliquer à un ministre, qu'il faut des règles et des mécanismes de contrôle beaucoup plus stricts pour un ministre, qui exerce quotidiennement un pouvoir exécutif. Un député représente sa circonscription, parle au nom de ses électeurs et a son mot à dire concernant les lois; un sénateur a des rôles et responsabilités qui diffèrent aussi de ceux d'un député, d'un ministre ou d'un sous-ministre. Le même système ne peut pas convenir à tous.
Si l'on accepte cela, on peut toujours dire qu'il est possible d'avoir une seule structure qui s'appliquera à ces institutions qui diffèrent quant à leur rôle, à leurs responsabilités, à leur culture, et j'en passe. Mais on peut aussi choisir l'autre voie, celle que nos amis des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Australie ont choisie, et reconnaître que des rôles et des responsabilités distincts devraient donner lieu à des dispositions institutionnelles distinctes qui conféreraient à chaque institution sa propre identité, un sens de l'appartenance et des règles propres. Cela semble avoir été la tendance générale dans le monde depuis 30 ou 35 ans.
Le sénateur Joyal : Une autre critique qu'on pourrait faire — et nous l'avons entendue — c'est que vous pourriez devenir trop à l'aise avec les parlementaires, que des relations particulières pourraient se développer. Nous avons entendu cette critique. Elle n'était peut-être pas exprimée en termes aussi diplomatiques que ceux que j'emploie ici, mais il semble que plus le commissaire est gardé à l'écart du fonctionnement quotidien du Parlement, mieux il pourra conserver son indépendance. Que répondez-vous à cela?
M. Fournier : La question de l'indépendance est absolument critique. Que ce soit à l'échelle internationale ou provinciale, les commissaires à l'éthique insistent toujours sur l'importance de leur indépendance dans le processus de prise de décision. Bien sûr, en ce qui me concerne, cette indépendance est assurée par la Loi sur le Parlement du Canada, qui établit ma fonction et prévoit la mesure d'indépendance qu'il me faut et que les sénateurs respectent. Il ne m'est jamais arrivé en 15 mois de subir des pressions de quiconque concernant les décisions que j'ai eu à prendre. Les sénateurs comprennent le concept d'indépendance et respectent cette nécessité, et je ne parle pas tellement de mon indépendance personnelle, mais de l'indépendance institutionnelle, de l'indépendance de la fonction.
D'une certaine façon, on pourrait comparer cela à la fonction d'un juge. Pour que sa fonction soit respectée et crédible, il faut non seulement qu'il soit indépendant, mais qu'il soit perçu comme étant indépendant.
Il y aura toujours des gens qui critiqueront le système judiciaire en disant qu'il est politisé, ou qui critiqueront les bureaucrates et les fonctionnaires — je subis cela depuis bien des années — en disant qu'ils sont politisés et qu'ils ont perdu leur indépendance. Les critiques existeront toujours dans une certaine mesure.
De mon point de vue, l'indépendance est assurée grâce à la législation. Ce qui m'importe beaucoup plus et qui est beaucoup plus fondamental, c'est la question de savoir si les sénateurs veulent avoir un conseiller sénatorial en éthique qui est constamment à leur disposition pour leur offrir des conseils judicieux et opportuns. Si c'est une question clé pour les sénateurs, si c'est important pour eux, alors la structure adoptée devrait correspondre aux désirs et aux souhaits des sénateurs. D'après ce que j'ai vu dans les 15 derniers mois, c'est la fonction de conseiller qui est au cœur de l'application fructueuse du code d'éthique.
Le sénateur Joyal : Je sais que nous avons un emploi du temps chargé cet après-midi. Il se peut donc que ma prochaine question soit aussi ma dernière. Elle concerne les conseils qu'on vous demande de fournir aux sénateurs. Vous dites que vous et vos collègues des provinces, vous vous attendez à ce qu'il y ait augmentation des demandes d'avis et d'opinions. Je me suis dit qu'il serait compréhensible que, pendant la première année, vous receviez beaucoup de questions et de demandes d'information, étant donné que le code et le régime étaient nouveaux. Toutefois, j'avais l'impression qu'avec le passage des années, le nombre des demandes d'information soumises par les sénateurs ou par des parlementaires à l'échelle des provinces irait décroissant — qu'en fait, cela soit ramené à simplement un genre de formulaire qu'on remplit et qu'on met à la poste. Vous me surprenez en me disant que la situation est à l'opposé.
Ma deuxième question porte sur les avis que l'on vous demande de fournir. Vous portez le titre de conseiller sénatorial en éthique. Le mot « éthique » figure dans votre titre, mais vous administrez un code qui est le code sur les conflits d'intérêt à l'intention des sénateurs. Ce matin, nous avons entendu un témoin, René Villemure, qui a expliqué clairement pour nous la différence entre « éthique » et « conflit d'intérêts ». Quelle est la part des avis que vous soumettez qui est davantage axée sur l'éthique en général, ce qui est la bonne façon de dire les choses, par rapport à la seule dimension de conflit d'intérêts de vos fonctions? Je ne sais pas si vous voyez la différence ou si vous avez une idée de ce vers quoi je tends.
En fait, le conflit d'intérêts vient après la question de l'éthique. La première chose, c'est de faire les choses de la manière qui convient dans le contexte d'un devoir public qu'une personne accepte du fait même qu'elle est élue ou nommée au Parlement canadien. Pouvez-vous préciser ou expliquer où se situe pour vous la ligne de démarcation entre les deux?
M. Fournier : En réponse à votre première observation relative à l'ampleur du bureau et à sa charge de travail, lorsque je me suis entretenu de cette question avec certains de mes collègues des provinces, y compris avec M. Osborne, qui va comparaître devant votre comité, j'ai été surpris, moi aussi.
L'expérience de l'Ontario remonte maintenant à environ 18 ans. Le Bureau tient des statistiques depuis 10 ans. Les chiffres ont augmenté année après année pas énormément, mais nous observons un accroissement assez marqué sur une période de 10 ans.
Je crois que cette augmentation s'explique en partie par la complexité de notre société, la complexité des enjeux — questions éthiques et financières, l'intérêt croissant de la part des médias et le degré plus élevé de « conscientisation des politiciens ». Je crois que les politiciens, les fonctionnaires et les sénateurs deviennent plus conscients de l'importance de la divulgation et de la prise en compte de ces questions, que les conflits dont il s'agit soient réels ou apparents. Au fur et à mesure que les bureaux en Ontario et dans les autres provinces deviennent mieux connus et que les gens se rendent compte du fait qu'ils peuvent faire confiance à une personne et traiter avec elle de manière confidentielle 24 heures sur 24, 365 jours par année, les gens vont utiliser ce service.
Dans un premier temps, pour beaucoup de gens, c'est un peu comme aller chez le dentiste. Ils préféreraient ne pas y penser et peut-être reporter le rendez-vous à plus tard, mais après un certain temps, ils commencent à comprendre qu'après tout, c'est probablement dans leur meilleur intérêt et que, peut-être, le commissariat à l'éthique n'est pas une si mauvaise institution, alors les gens recourent davantage aux services du Bureau. C'est ce qu'on a vécu en Ontario sur une période de 18 ans.
Quelle sera l'expérience du Sénat? Je n'en suis pas certain. Je ne peux pas extrapoler, mais je ne serais pas surpris de voir, au cours des deux ou trois prochaines années, le volume se maintenir et peut-être augmenter au fur et à mesure que les gens se sentiront davantage à l'aise, et au fur et à mesure que le Bureau accumulera l'expérience de l'administration du code et connaîtra mieux les sénateurs.
Pour ce qui est de la seconde question, je n'ai pas entendu le témoin auquel vous avez fait allusion ce matin, et les distinctions qu'il a établies entre l'éthique et un conflit d'intérêt.
Lorsque les sénateurs viennent me demander des conseils, leur démarche porte parfois sur des questions étroites de conflit d'intérêts, mais, souvent, elle concerne des questions plus larges relevant de l'éthique : des questions de moralité ou des questions de perception. Certes, on peut faire une distinction entre un conflit d'intérêts et l'éthique, mais je pense que pour la plupart des gens, ce sont des questions d'éthique. Le conflit d'intérêts est un sous-ensemble ou un enjeu plus large en matière de moralité : ce qui est juste, ce qui répréhensible, ce qui est bien, ce qui est mal. J'ai tendance à aborder une question dans le contexte de cette perspective plus large lorsque j'ai un entretien avec un sénateur. Dans le cadre de cette conversation, il peut se faire que nous circonscrivions le débat et que nous nous attachions à des questions plus précises, par exemple, les éléments d'actif, les responsabilités ou une position donnée au sein du conseil d'administration d'un organisme à but non lucratif où siège le sénateur, par exemple. Nous abordons le point de savoir s'il y a conflit d'intérêts entre les devoirs publics du sénateur et son intérêt privé. Toutefois, il semble que nous revenions toujours aux questions d'éthique plus larges dont notre société se préoccupe de plus en plus.
Le président : Vous avez confirmé aujourd'hui le nombre potentiel de cas qu'un commissaire peut avoir à traiter. Vous avez également ajouté certains renseignements sur les divers commissaires provinciaux que vous connaissez. Vous avez indiqué qu'il y a 1 350 titulaires de charges publiques à temps plein, 1 940 personnes nommées à temps partiel par le gouverneur en conseil et 308 députés à la Chambre des communes avec lesquels il faut travailler.
Vous avez également évoqué l'importance des rapports personnels avec les parlementaires et les députés, comme le font les commissaires provinciaux. Vous avez écrit dans votre rapport d'aujourd'hui, que pendant l'année dernière, vous avez rencontré la plupart des sénateurs et vous êtes en poste depuis maintenant 17 mois.
Combien de sénateurs n'avez-vous pas rencontrés?
M. Fournier : Je dirais huit ou neuf, et cela tient en grande partie au fait qu'ils n'étaient pas disponibles à ce moment-là, étant donné qu'il y a eu une campagne électorale pendant l'hiver. Ce n'était tout simplement pas pratique pour eux de me rencontrer à cette période-là. J'espère que dans le cadre du prochain examen annuel, je rencontrerai tous les sénateurs.
Le sénateur Zimmer : Monsieur Fournier, merci de votre exposé d'aujourd'hui et de votre rapport détaillé, de même que des services, des conseils et de l'orientation que vous m'avez prodigués pendant ma première année comme sénateur. Cela a été extrêmement utile.
Vous avez parlé du rôle et de la responsabilité dans la culture des conseillers en éthique et des deux chambres distinctes, ainsi que de vos interlocuteurs provinciaux. J'aimerais aller un peu plus loin et plus profondément, au-delà de la fonction, de la charge de travail et de l'indépendance. Croyez-vous que l'intégrité du régime parlementaire serait compromise par le regroupement de ces deux bureaux?
M. Fournier : Il m'est difficile de répondre à cette question. Vous abordez la problématique des rôles et responsabilités constitutionnels de la Chambre et du Sénat, la question du privilège parlementaire, la question de l'autonomie et de l'indépendance des chambres, qui remonte à 1867, à notre Constitution et à plusieurs décisions des tribunaux. L'ancien juge en chef Lamer et d'autres magistrats de la Cour suprême ont rendu des décisions très claires pour de qui est d'affirmer ou de protéger l'indépendance des parlements vis-à-vis du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, et pour ce qui est de la préservation de la relation entre la Chambre et le Sénat.
Je crois qu'il s'agit d'un enjeu fondamental. Plusieurs sénateurs ont plaidé avec éloquence en ce sens ces dernières années. Le sénateur y a été partie prenante et, plus récemment, le sénateur Joyal et le sénateur ont été des défenseurs éloquents du maintien de la tradition de l'indépendance du Sénat. Je pense qu'à la lumière de leurs expériences, d'autres ont choisi des institutions séparées pour la Chambre, des institutions séparées pour le Sénat et des institutions séparées pour le pouvoir exécutif. « À chacun son indépendance, à chacun son jardin. »
Ce faisant, nous préservons l'indépendance, nous reflétons la culture, les traditions et la Constitution, et nous développons aussi un sentiment d'appropriation. Les sénateurs, dans mon bureau, sont en train d'acquérir un sentiment d'appropriation. Cela demande du temps et du travail. Je pense que cela est plus facile à faire avec des institutions séparées qu'avec une seule institution et 4 000 clients. Là, la relation est d'une nature entièrement différente. M. Shapiro a indiqué bien clairement hier soir, lorsqu'il a comparu devant notre comité, que le type de rapports directs dont nous avons bénéficié, le sénateur Zimmer et moi-même, n'est tout simplement pas possible dans sa situation donnée.
Oui, la question de l'intégrité du Sénat en sa qualité d'institution est une question qui se pose et je crois que cet aspect continuera de préoccuper les sénateurs.
Le sénateur : Monsieur Fournier, avez-vous un exemplaire du projet de loi?
M. Fournier : Oui.
Le sénateur Milne : À la page 25, le paragraphe 44 (6) est libellé comme suit :
Dans les cas où le commissaire est d'avis que le parlementaire n'a pas respecté l'obligation de confidentialité prévue au paragraphe (5), il peut soumettre le cas, en toute confidentialité, au président du Sénat ou de la Chambre des communes.
Cela ne me pose pas de problème. Toutefois, le paragraphe (7) poursuit :
(7) Le commissaire remet au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions, même s'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou s'il a mis fin à l'étude en vertu du paragraphe (3).
À votre avis, est-ce une bonne façon de faire? Vous sentiriez-vous à l'aise, monsieur, de faire rapport au premier ministre sur ce qui se passé au Sénat?
En réalité, cela s'inscrit dans le droit fil de ce que mentionnait le sénateur Zimmer, mais l'élément selon lequel le commissaire remettra un rapport au premier ministre est propre à ce projet de loi et cela, à mon avis, fait tomber les barrières entre la Chambre des communes et le Sénat.
M. Fournier : Sénateur Milne, cela semble certainement donner à penser que les rôles et responsabilités deviennent plus flous. Je dis « semble » parce que, et je crois qu'un certain nombre de sénateurs ici présents aujourd'hui le savent, je ne suis pas avocat, je suis un économiste qui a mal tourné. Je suis réticent à me laisser entraîner trop profondément dans l'examen de ces articles.
J'ai suivi le débat qui a eu lieu hier soir. Je crois que le sénateur Austin a soulevé la question importante des rôles, des responsabilités et de l'autonomie de la Chambre et du Sénat. J'encourage le comité à continuer d'étudier cette question. Peut-être que M. Audcent, qui comparaîtra après moi, aura des opinions à vous soumettre sur cette question.
Je vous proposerais également d'approfondir cette question avec des représentants du Conseil privé, qui comparaîtront peut-être à nouveau devant vous. Le conseiller juridique du Conseil privé, James Stringham, a participé à la rédaction de ce projet de loi et il vous présentera peut-être quelques réflexions utiles au sujet des préoccupations que vous avez exprimées. Il s'agit là d'une très bonne question pour le Sénat, en sa qualité de lieu de réflexion posé, question à approfondir afin d'obtenir les éclaircissements dont vous avez besoin.
Le sénateur Day : J'ai trois questions. En premier lieu, sur la question de l'immunité — le fait de ne pas pouvoir être contraint à comparaître devant un tribunal — l'article 50 du projet de loi, au bas de la page 27, dispose ce qui suit :
Le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité n'ont pas qualité pour témoigner ni ne peuvent y être contraints en ce qui concerne les questions venues à leur connaissance dans l'exercice des attributions que la présente loi confère au commissaire.
Vous voyez ce que je veux dire?
M. Fournier : Oui.
Le sénateur Day : Cela est important pour établir la confiance des parlementaires. Toutefois, malheureusement, la loi à laquelle il est renvoyé est la Loi sur les conflits d'intérêts, qui vise uniquement les titulaires de charges publiques. Elle ne s'applique pas aux sénateurs ou à la fonction dont le commissaire s'acquitte en vertu du code du Sénat, et elle n'accorde pas l'immunité relativement aux travaux que le commissaire mène à bien pour les députés à la Chambre des communes aux termes de leur code, qui vont tous deux continuer.
Dans la législation en vigueur, une disposition similaire accorde l'immunité au conseiller sénatorial en éthique, mais cela serait supprimé en vertu de l'actuel projet de loi. Pouvez-vous m'aider à trouver dans le projet de loi tout indice que l'immunité s'appliquerait à vous dans l'accomplissement de vos fonctions pour les sénateurs conformément au code du Sénat?
M. Fournier : Je l'ai cherché aussi, mais il n'y figure pas. Comme vous le faites remarquer à juste titre, l'article 20.6 de la Loi sur le Parlement du Canada, qui confère l'immunité au conseiller sénatorial en éthique, va être abrogé.
Le sénateur Day : Oui.
M. Fournier : Pour que les choses soient claires, ce qui demeure, c'est l'immunité relativement à l'examen judiciaire par la cour fédérale. Cette immunité s'appliquant à la cour fédérale existe dans la législation actuelle et demeure dans le projet de loi déposé. Toutefois, l'immunité particulière à l'égard de délibérations civiles et pénales à laquelle vous avez fait allusion serait abrogée. Peut-être l'a-t-on oubliée ou a-t-on pensé que le privilège parlementaire s'appliquait et, que de ce fait, ce n'était pas nécessaire. Toutefois, si la dernière hypothèse est la bonne, pourquoi a-t-on fait figurer la disposition dans le projet de loi initial?
Le sénateur Day : Il y a un an et demi.
M. Fournier : Il y a un an et demi. C'est une question très importante. Si ce projet de loi devait être adopté dans son libellé actuel et si la question devait être portée devant le tribunal, celui-ci se demanderait certainement pourquoi la disposition relative à l'immunité a été retirée du projet de loi et ce que cela signifie, c'est que le gouvernement a adopté délibérément une décision de politique selon laquelle le conseiller sénatorial en éthique du Sénat ne devrait pas bénéficier de l'immunité à l'égard de délibérations civiles et pénales.
Encore une fois, je vous encourage à discuter de cette question avec M. Audcent, conseiller juridique, et à lui demander son avis à ce sujet. Il s'agit d'une question sérieuse qu'il faut éclaircir. La question devrait être posée à des fonctionnaires du Conseil privé et de la Justice, à savoir pourquoi une modification d'aussi grande importance a été apportée au projet de loi un an et demi après sa première rédaction.
Le sénateur Day : Les pages 45 et 45 du projet de loi donnent la liste des personnes pouvant être nommées au poste de commissaire. Pour être admissible, il faut être un ancien juge, un ancien membre d'un conseil fédéral ou provincial, et cetera; ensuite, le gouverneur en conseil doit avoir la conviction que le candidat potentiel a un intérêt et une expertise particuliers dans les conflits d'intérêts, les arrangements financiers, l'éthique ou — et cela a été ajouté — est un ancien conseiller sénatorial en éthique.
Félicitations, vous êtes maintenant admissible. Toutefois, d'après ce que j'en comprends, à moins que vous n'ayez été membre d'un conseil et possédiez cette expertise donnée, si vous n'avez pas été conseiller sénatorial en éthique, vous ne seriez pas admissible en vertu des nouvelles règles. Est-ce exact?
M. Fournier : C'est ainsi que je comprends les choses, sénateur.
Le sénateur Day : Je suppose qu'il existe de nombreux professeurs et consultants qui possèdent une expertise particulière dans les domaines des conflits d'intérêts, des arrangements financiers, de la réglementation professionnelle ou de la discipline professionnelle ou de l'éthique qui ne sont pas d'anciens juges et qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas devenus membres d'un conseil, d'une commission ou d'un tribunal fédéral. Pourquoi ces personnes devraient-elles être exclues? Pourquoi une personne qui possède l'expertise devrait-elle être exclue parce qu'il ou elle n'a pas été membre d'un conseil fédéral? En quoi cela a-t-il un sens?
M. Fournier : Je suppose que c'est une question d'opinion. Il s'agit d'une question importante. Vous vous êtes entretenu de cela avec Bernard Shapiro et Howard Wilson hier, et vous voudrez peut-être aller plus loin dans la discussion avec Coulter Osborne et Bert Oliver.
Je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire d'avoir des antécédents dans le domaine du droit. Je crois qu'il y a des qualifications qui sont importantes, et d'ailleurs essentielles, pour devenir un bon conseiller en éthique, mais je ne crois pas que le titre d'avocat ou de juge soit une condition préalable.
À la fois dans notre pays et à l'étranger, il y a eu de bons conseillers provinciaux en éthique qui avaient été juges ou avocats auparavant et il y en a eu d'autres tout aussi compétents — je pense à Robert Clark et à Donald Hamilton en Alberta — qui n'étaient pas avocats ni juges.
Je crois que les qualifications nécessaires sont la souplesse, le jugement, un esprit d'indépendance, des aptitudes interpersonnelles et la capacité de traiter des situations complexes. Le candidat devrait posséder une connaissance intime du mode de fonctionnement du gouvernement — le système parlementaire, le Sénat, la Chambre, l'appareil judiciaire et le pouvoir exécutif. Si vous pouvez trouver toutes ces qualifications chez un juge ou un avocat, c'est très bien. Toutefois, si vous limitez votre recherche à une personne possédant une expérience juridique ou judiciaire, je crois que vous courez le risque d'appauvrir le bassin et d'entraver le succès de votre démarche. Il peut très bien arriver que, dans une conjoncture donnée, vous souhaitiez recruter un avocat ou un juge, mais, à d'autres moments, vous pouvez avoir trouvé d'excellents candidats qui ne sont ni avocats ni juges. J'aurais tendance à dire qu'il ne faut pas se limiter.
Je vais d'ailleurs aller plus loin; je me demande s'il y a lieu de définir des qualifications dans une loi. Aucune des provinces ne le fait, à l'exception de la Nouvelle-Écosse. Il convient de laisser la souplesse au Sénat, dans le cas du conseiller sénatorial en éthique, et à la Chambre et au pouvoir exécutif, de trouver et de sélectionner des candidats aptes à relever les défis de ces postes dans une conjoncture donnée.
En premier lieu, je ne suis pas sûr de comprendre en quoi il faut faire la liste des qualifications ou les définir plus étroitement. Deuxièmement, je ne suis pas convaincu qu'il faille les énumérer dans la loi. Ce faisant, à mon avis, on se limite de manière indue.
Le sénateur Day : Le texte ne dit pas « ancien juge ou avocat ». Il dit « ancien juge ». Les avocats sont donc exclus aussi, à moins que, par hasard, ils occupent le poste que vous détenez ou aient été membres d'un tribunal fédéral et avaient une expertise particulière.
D'après ma compréhension de l'interprétation à donner à cette règle, si ce n'était du fait que vous et M. Shapiro, vous occupez les emplois donnés qui sont les vôtres aujourd'hui, aucun de vous deux ne serait admissible parce que vous n'êtes pas d'anciens juges et vous n'êtes pas membres de tribunaux ou commissions fédéraux en détenant une expertise particulière.
M. Fournier : C'est ainsi que je comprends les choses.
Le sénateur Day : Je vous remercie. Avez-vous eu l'occasion de suivre l'exposé du sénateur Fraser sur les règles hier? Elle a alors fait remarquer, à propos des règles applicables à la transition, qu'en réalité vous continuez de perdre tous vos employés. Pouvez-vous jeter un peu de lumière là-dessus? Cette situation me paraît tout à fait intéressante.
Vous continuez d'occuper votre poste et si vous, pour quelque raison que ce soit, vous démissionnez, votre poste peut être pourvu par une autre personne en qualité de conseiller sénatorial en éthique, mais tous vos employés passent au service du nouveau conseiller.
M. Fournier : Je connais bien l'article du projet de la loi auquel vous faites allusion. Je suis aussi déconcerté que le sénateur Fraser et vous-même quant à la façon de l'interpréter. On peut échafauder des hypothèses, mais franchement, c'est loin d'être clair.
Encore une fois, je crois que vous devriez demander aux fonctionnaires du BCP et du ministère de la Justice qui ont rédigé cet article d'expliquer son importance. Il est difficile à la plupart d'entre nous, aussi bien avocats que non-avocats, d'expliquer ou de comprendre. Chose certaine, personne dans non bureau ne comprend parfaitement bien. Nous avons étudié la question, nous avons parlé à plusieurs personnes au sein de l'administration publique, mais cela ne nous a pas donné une opinion claire.
Le sénateur Day : Dans quelle mesure avez-vous été consulté à propos de ce projet de loi avant qu'il ne soit rendu public?
M. Fournier : Absolument pas du tout.
Le sénateur Day : Avez-vous eu l'occasion, par la suite, de débattre de certaines des contradictions?
M. Fournier : Nous avons posé des questions sur divers aspects du projet de loi. Dans certains cas, nous avons obtenu des réponses claires et, dans d'autres cas, non.
Le sénateur Day : Pour être généreux, ce projet de loi a été ficelé assez rapidement et il contient donc beaucoup de contradictions. Malheureusement, de ce fait, notre travail demande beaucoup de temps.
Le président : Le témoin n'a pas eu l'occasion de répondre à cette dernière question théorique.
Le sénateur Day : J'ai vu un hochement positif de la tête.
Le président : Les hochements positifs de la tête ne sont pas consignés. Qu'avez-vous répondu à sa question théorique, monsieur Fournier?
M. Fournier : Je crois que l'honorable sénateur disait que des questions ont surgi parce que le projet de loi a été préparé rapidement.
Je crois que l'on peut dire en toute équité que tout projet de loi gouvernemental auquel j'ai été partie prenante ces 30 dernières années, qu'il ait été préparé rapidement ou non, contenait des questions se prêtant à une interprétation. Il nous a toujours fallu ramener les juristes du ministère de la Justice, ils se grattaient la tête et disaient qu'ils avaient oublié telle ou telle chose.
Il ne faut pas se surprendre de ce que des questions de ce type surgissent. Ce qui compte, c'est que le Sénat continue de jouer le rôle qu'il a joué avec un tel succès au fil des ans pour ce qui est d'attirer l'attention sur les questions qui se posent. Certaines d'entre elles sont mineures, mais d'autres pourraient se révéler très importantes.
Le sénateur Day : Simplement pour achever ma question, le projet de loi a été préparé rapidement et, de plus, sans consultation. J'enchaîne sur votre observation antérieure d'après laquelle on ne vous a pas consulté, pour dire le moins?
M. Fournier : C'est exact.
Le sénateur Day : Et pas de consultations non plus avec votre ministère?
M. Fournier : Oui.
Le sénateur Day : Je vous remercie de cet éclaircissement.
Le sénateur Stratton : J'ai une précision à apporter aux observations faites par M. Fournier au sujet des immunités. J'aimerais faire une correction.
Les immunités et les privilèges sont protégés en vertu de la Constitution, ainsi que par les dispositions suivantes du projet de loi : pages 27 et 28, paragraphes 50(1), 50(2) et 50(3); et, aux pages 46 et 47, par les nouveaux paragraphes qui sont proposés, 86(2) et 86(5) de la Loi sur le Parlement du Canada.
Je crois qu'avant de nous jeter du haut des ponts, nous devrions vérifier nos faits.
Le sénateur Day : Si nous pouvions revenir là-dessus lentement, nous pourrions vérifier ce fait.
Le sénateur Stratton : Pages 27 et 28, paragraphes 50(1), 50(2) et 50(3); et pages 46 et 47, les nouveaux paragraphes 86(2) et 86(5) qui sont proposés de la Loi sur le Parlement du Canada.
Le sénateur Day : Quelles parties des pages 47 et 48?
Le sénateur Stratton : Les nouveaux paragraphes 86(2) et 86(5) qui sont proposés.
Le sénateur Day : Je parle de l'immunité du commissaire, ce qui fait que vous pouvez oublier les pages 46 et 47. Vous avez tout à fait raison, on prévoit l'immunité du commissaire à l'article 50, mais j'ai fait remarquer cet élément lorsque j'ai posé ma question.
Le sénateur Stratton : Je suis arrivé en retard à la réunion. Je crois comprendre que ce sont les dispositions qui assurent la protection du commissaire ou du conseiller.
Le sénateur Day : L'honorable sénateur nous a conseillé de vérifier nos faits. Je pourrais peut-être lui donner l'occasion de lire l'article 50. Cet article ne renvoie qu'aux titulaires de charges publiques et c'est justement pour cela que j'ai posé ma question.
Le sénateur Stratton : Quel était l'objet de votre question?
Le sénateur Day : L'immunité en faveur du conseiller sénatorial en éthique qui figure dans la loi actuelle est supprimée par ce projet de loi. Le seul endroit où je pourrais trouver un privilège — et j'ai demandé au témoin de m'aider sur ce plan —, c'est l'article 50, qui se trouve uniquement dans le projet de loi sur les conflits d'intérêts applicable aux titulaires de charges publiques.
Le sénateur Stratton : Nous recevrons une interprétation de cet élément.
Le sénateur Day : Je vous remercie.
Le président : Monsieur Fournier, le sénateur Day vous a posé une question qui a surgi hier soir d'une question posée par le sénateur Fraser. Le sénateur Day vient de soumettre la même question et il vous a renvoyé à l'article en question.
Vous possédez une expérience approfondie en qualité de haut fonctionnaire s'occupant de la législation gouvernementale et de nouveaux projets de loi du gouvernement, comme vous nous l'avez dit, et vous savez qu'on fait figurer des dispositions de transition dans des textes de loi de temps à l'autre.
Lorsque la nouvelle loi qui est proposée sur les conflits d'intérêts entrera en vigueur, elle créera un nouveau poste de haut fonctionnaire dans le système actuel, et c'est ce dont vous et M. Shapiro et d'autres ont parlé.
Les autres dispositions visant le conseiller sénatorial en éthique, et vous-même, et le commissaire à l'éthique, M. Shapiro, sont nécessaires si d'autres articles de la loi fédérale sur la responsabilité entrent en vigueur avant la loi qui est proposée sur les conflits d'intérêts. Il s'agit d'un article de transition normalisé. Est-ce que vous comprenez cela?
M. Fournier : Oui. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Stratton : J'aimerais obtenir un éclaircissement. Veuillez m'excuser d'être arrivé en retard à la réunion de ce matin; j'assistais à une autre réunion.
À la page 47 du projet de loi, le nouveau paragraphe 86(2) qui est proposé dispose ce qui suit :
Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.
N'est-ce pas là une protection?
Le sénateur Cools : Je ne crois pas que ce soit ce que vous voulez dire.
Le sénateur Day : Ce que je voulais dire, c'est qu'il y a un an et demi, il y avait un article prévoyant qu'on ne pouvait contraindre le conseiller en éthique à témoigner devant un tribunal; cet article a été supprimé et je me demande pourquoi.
Le sénateur : Ce que je veux dire, c'est que la Constitution et le projet de loi disposent bien clairement que le commissaire est protégé.
Le sénateur Day : Oui, la loi précédente concernant le conseiller sénatorial en éthique l'énonçait clairement. Toutefois, dans le présent projet de loi, l'article ne vise pas le Sénat, mais il s'applique aux titulaires de charges publiques et je me demande à quoi tient cette différence.
Le sénateur Stratton : Je comprends bien cela.
Le président : Est-ce que votre prochaine question s'adresse au témoin, M. Fournier?
Le sénateur Day : Le témoin y a déjà répondu.
Le sénateur Stratton : À mon avis, il n'y a pas répondu. Je veux aborder expressément le nouveau paragraphe 86(2) qui est proposé, dans la Loi sur le Parlement du Canada; il est libellé ainsi :
Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.
Est-ce que cela assure une protection à cette personne?
M. Fournier : Je crois que cela fait partie de la question, sénateur. Dans ma réponse au sénateur Day, j'ai renvoyé expressément aux paragraphes 20.6(1), (2) et (3) de l'actuelle Loi sur le Parlement du Canada.
Le sénateur Cools : Voudriez-vous bien lire ces articles, je vous prie?
M. Fournier : Dans la loi actuelle, le paragraphe 20.6(1) dispose :
Le conseiller et les personnes agissant en son nom ou sur son ordre n'ont pas qualité pour témoigner ni ne peuvent y être contraints en ce qui concerne les questions venues à leur connaissance dans l'exercice des pouvoirs et fonctions conférés au conseiller au titre de la présente loi.
Le paragraphe (2) ajoute : « Ils bénéficient de l'immunité en matière civile ou pénale pour les actes [...] » Cet article de l'actuel projet de loi a été supprimé.
Le sénateur Stratton : Si vous me permettez-moi, je souhaiterais terminer ma question.
Le sénateur Day : Vous devriez peut-être le laisser terminer sa réponse.
Le président : Monsieur Fournier, veuillez continuer.
M. Fournier : J'avais particulièrement terminé, monsieur le président; je disais que le paragraphe 20.6(1) de la loi actuelle a été supprimé. Cela me préoccupe. Je propose que le comité demande des éclaircissements.
Le sénateur Stratton : Encore une fois, ma question porte sur le point de savoir si, aux termes du nouveau paragraphe 86(2) de la loi qui est proposé, le conseiller serait protégé. Je vais relire l'article proposé si vous le souhaitez.
M. Fournier : Non, je comprends.
Le sénateur Stratton : À votre avis, seriez-vous ou ne seriez-vous pas protégé si vous deveniez conseiller en éthique?
M. Fournier : L'article que vous venez de citer se trouve dans l'actuelle Loi sur le Parlement du Canada.
Le sénateur Stratton : Je comprends bien cela, mais je vous demande si cet article donné, figurant dans ce projet de loi, vous protégerait.
M. Fournier : Je ne crois pas que le nouveau projet de moi me confère autant de protection que celle dont bénéficie le conseiller sénatorial en éthique dans la loi actuelle. Je crois que les avocats et le comité devraient examiner cette question.
Le sénateur Stratton : Je vous remercie.
Le sénateur Cools : J'essayais de donner un petit coup de main. Nous pourrions peut-être demander à M. Audcent d'éclaircir la différence entre les vieux articles et les nouveaux articles qui sont proposés.
Monsieur Fournier, vous venez de faire allusion au paragraphe 20.6(1) de la loi actuelle; c'est bien cela?
M. Fournier : C'est exact.
Le sénateur Cools : Je n'ai pas le texte de la Loi sur le Parlement du Canada devant moi. Pendant votre lecture, je n'ai pas pu discerner la différence entre cet article et le paragraphe 50(1) du projet de loi. Pour que ce soit bien clair, vous pourriez peut-être le relire. S'il y a une erreur, je crois que nous pourrions éclaircir cela dès maintenant. Pourriez-vous lire à nouveau cet article, tiré de la Loi sur le Parlement du Canada? Je le compare au paragraphe 50(1) du projet de loi, qui se trouve à la page 27.
M. Fournier : Le paragraphe 20.6(1) de la Loi sur le Parlement du Canada dispose :
Le conseiller et les personnes agissant en son nom ou sur son ordre n'ont pas qualité pour témoigner ni ne peuvent y être contraints en ce qui concerne les questions venues à leur connaissance dans l'exercice des pouvoirs et fonctions conférés au conseiller au titre de la présente loi.
Le sénateur : C'est bien ça.
M. Fournier : Le texte se poursuit ainsi :
Ils bénéficient de l'immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis, les rapports ou comptes rendus établis et les paroles prononcées de bonne foi dans l'exercice effectif ou censé tel des pouvoirs et fonctions conférés au conseiller au titre de la présente loi.
Le sénateur Cools : C'est juste. Ces termes sont identiques à ceux que l'on retrouve à la page 27 du projet de loi sur la responsabilité.
M. Fournier : Ces dispositions s'appliquent aux titulaires de charges publiques. En ce qui concerne le Sénat, je crois comprendre que la protection a été retirée.
Le sénateur Cools : Les paragraphes 50(1) et 50(2), qui sont identiques aux dispositions de la Loi sur le Parlement du Canada que vous venez de nous lire, ne s'appliquent qu'aux titulaires de charges publiques.
M. Fournier : C'est exact. C'est ce que je crois comprendre sénateur.
Le sénateur Cools : C'est ce que vous croyez comprendre. Nous clarifierons les choses d'ici la fin de la journée. Il est très important que tout cela soit bien clair.
M. Fournier : J'en serais très heureux.
Le sénateur Cools : Je vois que M. Audcent est ici. J'aimerais lui demander d'en prendre bonne note.
M. Fournier : Pour qu'il n'y ait aucune confusion, je répète que je crois comprendre que l'article que vous venez de lire ne s'applique qu'aux titulaires de charges publiques. Si tel n'est pas le cas, je serai très heureux de l'apprendre.
Le sénateur Cools : Je peux vous assurer, monsieur Fournier, que nous clarifierons ce point sous peu.
M. Fournier : Je suivrai les discussions avec intérêt.
Le sénateur Cools : Je tenais à ce qu'il soit consigné au compte rendu que la formulation des paragraphes 50(1) et 50(2) correspond aux articles pertinents de la Loi sur le Parlement du Canada. Nous nous pencherons sur cette question.
Ce qui m'intéresse, c'est la position constitutionnelle ou le lien constitutionnel qui devrait exister entre l'ordre judiciaire et les Chambres du Parlement. Ma question n'est pas simple. Le projet de loi sur la responsabilité définit les compétences que doivent avoir les candidats au poste de commissaire aux conflits d'intérêts et de conseiller en éthique. Il est intéressant de constater qu'on ne retrouve pas les termes « avocat » ou « formation juridique » dans cet article. Bon nombre de personnes ont une formation juridique approfondie, sans porter le titre d'avocat. Personnellement, je me sens très à l'aise de discuter de plusieurs sujets avec des avocats. J'ajouterais à ce sujet que ce n'est que récemment que seul un avocat, selon la définition actuelle du terme « avocat », peut être nommé juge. Il n'y a pas si longtemps encore, il était fréquent que des gens qui n'étaient pas avocats soient nommés juges.
Dans une telle optique, il aurait été bon de mentionner la formation juridique. Toutefois, ce qui me préoccupe, c'est la question de la relation constitutionnelle. Le droit du parlement est très vague en ce qui a trait aux juges. Le nouvel article 81, qui doit être incorporé à la Loi sur le Parlement du Canada et qui se trouve aux pages 44 et 45 du projet de loi, précise qu'un candidat au poste de commissaire à l'éthique doit être un ancien juge d'une cour supérieure du Canada. Le texte ne parle pas simplement d'un « ancien juge », mais bien d'une catégorie particulière de juge, soit un juge nommé en vertu de l'article 96.
En termes constitutionnels, il s'agit donc d'un juge d'une cour supérieure. Toutefois, le point que je veux faire valoir, c'est que la Constitution du Canada, avec tout ce qu'elle comporte, ne peut permettre la nomination d'un juge nommé en vertu de l'article 96, qu'il soit à la retraite ou non, à un poste qui lui accorderait un pouvoir de supervision sur les députés, puisque cela est irréconciliable dans le cadre du droit du parlement.
En fait, la Constitution du Canada prévoit tout à fait le contraire. Elle place le Parlement du Canada dans une position de supervision à l'égard des juges nommés par le gouvernement fédéral. Pensons par exemple à l'article 99 de l'ancien Acte de l'Amérique du Nord britannique, ou Loi constitutionnelle de 1982, qui confère au Parlement du Canada, ou plutôt aux Chambres, le pouvoir de destituer un juge nommé en vertu de l'article 96...
Le président : Monsieur Fournier, auriez-vous un commentaire à formuler à ce sujet?
Le sénateur Cools : Je n'ai pas terminé.
Le président : Je suis désolé.
M. Fournier : Monsieur le président, sénateur Cools, je n'ai vraiment rien à ajouter à ce sujet. Je remercie madame le sénateur Cools des précisions qu'elle a apportées, mais je ne vois vraiment pas ce que je pourrais ajouter à cette discussion.
Le sénateur Cools : Monsieur le président. Je tiens à préciser que je n'aime pas du tout que l'on m'interrompe au beau milieu d'une phrase. Vous le faites souvent et je n'aime pas cela du tout.
Je voulais également préciser que le Parlement du Canada et l'Acte de l'Amérique du Nord britannique tiennent compte d'un aspect historique et national particulier du rôle des juges au Canada. Ce n'est pas un sujet très populaire.
Par exemple, au cours de la période ayant précédé l'adoption de l'Acte d'union de 1840, qui a réuni le Haut-Canada et le Bas-Canada, les juges canadiens ne jouissaient pas du même statut constitutionnel que les juges anglais. Cela causait de grandes préoccupations. C'est Lord Durham qui a recommandé, dans le rapport qui portait son nom, que les juges du Canada jouissent du même statut constitutionnel que ceux du Royaume-Uni.
L'Acte de l'Amérique du Nord britannique et la loi constitutionnelle en tiennent compte dans leurs articles portant sur les pouvoirs judiciaires. Ces documents accordent un rôle particulier au Parlement du Canada et prévoient une relation constitutionnelle particulière. C'est comme si les rédacteurs de ce projet de loi n'avaient aucune connaissance des liens constitutionnels prévus dans la Constitution du Canada entre les juges et les Chambres du Parlement. Ils parlent d'« anciens juges », mais oublient que les juges, comme les sénateurs, étaient nommés à vie.
Il ne faut pas oublier non plus qu'une fois soi-disant à la retraite, les titulaires de ces charges continuent de jouir des avantages de ces postes en ce qui a trait aux titres. Tout comme les sénateurs, ils conservent le titre de « honorable ».
Le texte de ce projet de loi n'est pas conforme à la Constitution du Canada.
Je reconnais, monsieur Fournier, qu'une bonne partie des dispositions contenues dans notre Constitution semble avoir échappé aux rédacteurs de ce projet de loi. Toutefois, je vous dirais qu'une bonne partie des problèmes que soulève cette mesure législative, qui sème beaucoup de confusion et entraîne d'énormes frais juridiques, s'explique tout simplement par le fait que les rédacteurs des projets de loi ne tiennent très souvent pas compte des exigences constitutionnelles en matière de rédaction.
Je tenais à préciser ce point. Je suis déçue que les titres et qualités soient définis ainsi.
Le président : Monsieur Fournier, avez-vous quelque chose à ajouter?
Le sénateur Stratton : J'aimerais faire un dernier commentaire si vous me le permettez.
J'ai beaucoup de mal à comprendre, monsieur Fournier — et je tiens à relire encore une fois le paragraphe 86(2) du projet de loi, peut-être un peu comme un chien qui ne veut pas lâcher son os. Ce paragraphe précise que :
Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat [...]
Et ensuite, il y a cette phrase que je trouve très importante :
[et] possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.
Donc, si cela ne vous semble pas suffisant et que vous voulez obtenir une protection supplémentaire, vous demandez en fait une protection plus grande que celle dont jouissent les sénateurs. La dernière partie de la phrase précise très clairement que vous jouissez de tous les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs. Pourquoi cela ne vous semble-t-il pas suffisant?
M. Fournier : Comme je l'ai déjà dit, je ne veux pas insister sur ce point qui, à mon avis, devrait être soumis au conseiller juridique. Je suis certain que M. Audcent sera mieux en mesure que moi de vous donner des précisions à cet égard.
Puisque la question de l'immunité a été très présente dans les discussions des sénateurs au cours des trois ou quatre dernières années, je voulais attirer l'attention du comité sur le fait que certains articles de la loi actuelle portant sur l'immunité accordée au conseiller sénatorial en éthique semblent avoir été radiés du projet de loi. Il se pourrait bien, comme l'affirme le sénateur Stratton, que la disposition qu'il vient de lire soit suffisante. Toutefois, je crois qu'il est de ma responsabilité, à titre de conseiller sénatorial en éthique, d'attirer votre attention sur le fait qu'il y a une partie importante de la mesure législative actuelle portant sur ce poste qui ne me semble pas être prise en compte dans le projet de loi.
Le sénateur Cools : Je crois que lorsque notre juriste, M. Audcent, viendra nous donner des précisions à cet égard, il serait bon d'accorder une minute ou deux à M. Fournier, au cas où il n'aurait pas bien saisi un élément ou ferait erreur.
Le président : Je ne connais pas le programme de M. Fournier. Il est ici depuis plusieurs heures. Je ne sais pas s'il peut rester.
Le sénateur Cools : Je m'adressais au comité. Je dis simplement que nous devrions lui accorder le privilège d'intervenir. À lui de décider s'il veut le faire.
[Français]
Le sénateur Prud'homme : Je m'intéresse particulièrement à ce projet de loi et à M. Fournier, qui jusqu'à maintenant a bien servi les intérêts du public canadien et a bien accompli sa tâche. Ma question a été posée en mon absence qui était motivée puisque je siégeais à un autre comité.
C'est assez étrange que cette question vous soit posée parce que souvent on voit les extravagances de ces créations multiples. Je vous remercie d'abord de vos services jusqu'à maintenant et souhaite que vous puissiez continuer à servir le public canadien.
Concernant votre budget, est-ce juste de dire qu'il a été de beaucoup moins qu'un million de dollars, somme qui aurait englobé toutes vos dépenses. D'abord, ça coûte plus cher lorsqu'on met sur pied un nouveau commissariat car il y a les dépenses initiales. Ces dépenses initiales étant incluses, est-ce possible d'avoir, aux fins du procès-verbal, une évaluation du budget que vous avez eu à établir et combien l'État a dû dépenser pour la première année, prenant pour acquis que l'établissement de votre position demandait des frais supplémentaires?
M. Fournier : De mémoire, le budget est de l'ordre de 730 000 $, somme à laquelle viennent s'ajouter certaines dépenses reliées aux bénéfices des employés, comme par exemple les régimes de retraite et vous trouverez la ventilation du budget dans le dernier rapport annuel.
Le sénateur Prud'homme : Mais je voudrais que ce soit inscrit au procès-verbal. Approximativement, est-ce moins de 800 000 $ ou plus qu'un million de dollars?
M. Fournier : Oui, c'est de l'ordre de 770 000 $.
Le sénateur Prud'homme : J'avais donc bien compris votre rapport. Ma prochaine question a déjà été posée, mais je vais vous la reposer d'une autre manière. Je suis de l'opinion que n'avoir qu'un seul commissaire ne servirait pas l'intérêt public. Ce qui nous intéresse est d'être au service de la population.
Après avoir lu ce projet de loi qui fait référence à beaucoup d'autres projets de loi et qui est énorme, je me demande si de n'avoir qu'un seul commissaire sert mieux les intérêts de la population canadienne. Nous faut-il plutôt poursuivre d'une manière plus moderne le système actuel en ayant un commissaire comme nous avons en votre personne et avoir un autre commissaire pour s'occuper des ministres et des secrétaires parlementaires.
Les gens doivent comprendre que toutes les nominations du gouvernement en conseil se chiffrent à plus de 3 000 personnes et que ces gens ne sont pas nommés à vie, comme au Sénat jusqu'à 75 ans ou, bientôt, pour un terme de huit ans. Je suis un partisan de la formule de huit ans.
Sommes-nous mieux servis dans le système actuel? Le problème ne viendrait-il pas du manque de communication avec la population? Que veut dire exactement un tel projet de loi? Le nouveau commissaire devra-t-il administrer 3 000 personnes — donc 3 000 nominations en perpétuel changement — ainsi que les ministres et les sénateurs.
M. Fournier : Votre question est importante et elle va au cœur même, je crois, des travaux et des discussions de ce comité, à savoir si le régime d'éthique au niveau fédéral devrait être régi par un commissaire ou deux ou trois.
Il y a des avantages et des inconvénients, il n'y a aucun doute. Je pense que c'est la tâche et le devoir de ce comité de considérer les avantages et les inconvénients des différents modèles et, éventuellement, de faire des recommandations au Sénat.
Pour ma part, dans la présentation que j'ai faite plut tôt en votre absence, j'ai fait part de l'expérience provinciale et de l'expérience internationale qui semblent suggérer qu'il y a des avantages à décentraliser la gouvernance, à avoir un commissaire pour le Sénat, un commissaire pour une chambre, un commissaire pour l'exécutif. Mais c'est un modèle. Il peut y en avoir d'autres, mais disons qu'à l'heure actuelle cela semble être le modèle privilégié et celui qui fonctionne depuis 20 ou 30 ans au Canada et dans différents pays.
Cela étant dit, ce n'est pas parce que les autres font quelque chose que nous devons faire la même chose. Mais c'est toujours utile, je pense, lorsqu'on songe à changer les structures en place, de savoir comment cela fonctionne ailleurs. Il y a effectivement différents modèles sur lesquels le comité devrait s'interroger.
[Traduction]
Le président : Monsieur Fournier, au nom du comité, je tiens à vous remercier de votre patience et de l'excellence du résumé que vous nous avez présenté sur vos responsabilités et sur le projet de loi. Ce fut très utile.
Le sénateur Joyal : Je fais appel au Règlement parce que je crois que cela s'impose. Hier, au cours d'une discussion avec les membres de notre comité au sujet du calendrier de nos travaux, et en particulier en ce qui a trait à la semaine prochaine, j'ai mentionné tout particulièrement votre nom, ce que je n'aurais pas dû faire. Je crois que les discussions qui ont cours au sein du comité directeur devraient s'y limiter. Je n'aurais pas dû dire quoi que ce soit qui pourrait soulever des doutes quant à votre engagement à l'égard de ce comité et à l'impartialité dont vous faites preuve à titre de président et de très honorable sénateur. Je tiens donc à m'excuser pour toute parole qui aurait pu offenser les valeurs des membres de ce comité. L'éthique est, à mon avis, une valeur des plus importantes. Je crois que ce sont des valeurs que vous respectez et je vous transmets donc mes excuses les plus sincères.
Le président : Je vous remercie beaucoup. Je vous sais gré de vos bonnes paroles.
Les témoins que nous entendrons maintenant sont bien connus de nos membres. Mark Audcent est légiste et conseiller parlementaire au Sénat du Canada depuis 1996. Il a la responsabilité de dispenser des services juridiques au Sénat et aux sénateurs. Le bureau qu'il dirige donne des avis constitutionnels et juridiques au Sénat et aux sénateurs et conseille ces derniers pour les aider à exécuter leurs fonctions parlementaires. La contribution du conseiller parlementaire au processus législatif s'exerce principalement par la rédaction de projets de loi et d'amendements aux projets de loi à l'intention du Sénat. Le Bureau du légiste fournit également des services corporatifs de nature juridique à l'Administration du Sénat. En sa qualité de haut fonctionnaire du Sénat, le légiste et conseiller parlementaire s'acquitte de diverses tâches protocolaires. M. Audcent a accumulé une grande expérience depuis la fin de ses études en droit à l'Université d'Ottawa. Reçu au barreau de l'Alberta en 1976, il continue d'exercer le droit en tant que membre du barreau de l'Alberta. Me Audcent est membre actif de l'Association des conseillers parlementaires au Canada et il siège au Comité de planification de l'Institut canadien d'administration de la justice. Il est accompagné aujourd'hui de M. Michel Patrice qui est conseiller parlementaire à son bureau.
[Français]
Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole. Ensuite, nous passerons à une période de questions qui sera très utile pour le comité.
Mark Audcent, légiste et conseiller parlementaire, Sénat du Canada : C'est avec grand plaisir que je comparais devant vous aujourd'hui afin de partager mes réflexions sur le projet de loi C-2. Comme le président vous l'a signalé, je suis accompagné de mon adjoint, Me Michel Patrice, que vous connaissez bien en tant que conseiller parlementaire.
[Traduction]
Je vous ai remis une copie de ma présentation écrite qui compte environ 15 pages. L'introduction que je vous présenterai aujourd'hui, qui durera environ 15 minutes, est tirée de cette présentation.
Le projet de loi C-2 est si vaste que dans bien des aspects je ne possède aucune expérience ou connaissance particulière. Je possède cependant des connaissances sur les conflits d'intérêts et l'éthique dans le contexte sénatorial, sur les privilèges, les immunités et les pouvoirs du Sénat et des sénateurs, et sur la rédaction législative.
Je vous parlerai du projet de loi sous divers points de vue, soit ceux de la constitutionnalité, des répercussions de la structure administrative proposée sur le régime d'éthique du Sénat et des répercussions du projet de loi sur les conflits d'intérêts sur le privilège parlementaire et je soulèverai diverses questions de politique, de rédaction et d'interprétation.
Je vais commencer par la question de la constitutionnalité. Je crois que la question des conflits d'intérêts et de l'éthique au Sénat fait bel et bien partie du pouvoir législatif fédéral. Je crois aussi que les parties du projet de loi qui touchent à ces questions sont constitutionnelles en ce sens qu'elles sont visées par les pouvoirs du Parlement du Canada de les adopter.
Pour ce qui est du respect de la Déclaration canadienne des droits et de la Charte canadienne des droits et libertés, le gouvernement a déposé l'habituel certificat d'examen et n'a signalé aucune incompatibilité.
En ce qui a trait aux privilèges, immunités et pouvoirs des Chambres et de leurs membres, qui revêtent un caractère constitutionnel et concernent mes fonctions, le Parlement a le pouvoir d'y déroger par une loi ordinaire.
Je vous parlerai quand même des répercussions du projet de loi sur les privilèges, immunités et pouvoirs des Chambres et de leurs membres au cours de ma présentation.
[Français]
Voyons maintenant la structure administrative proposée pour les conflits d'intérêts et l'éthique au Sénat ainsi que ses répercussions. Le projet de loi C-2 abolirait le poste de conseiller sénatorial en éthique et en transférerait les responsabilités à un nouveau commissaire des conflits d'intérêts et de l'éthique qui aurait aussi la responsabilité des régimes d'éthique de la Chambre des communes et du gouvernement exécutif. Les questions d'éthique et de confiance du public dans les institutions gouvernementales préoccupent les Canadiens. Dans son rapport annuel de 2005-2006, le conseiller sénatorial en éthique signale ce qui suit :
Nous sommes témoins au Canada d'une méfiance grandissante envers nos institutions politiques parlementaires et gouvernementales. Jamais auparavant l'éthique et la gouvernance n'ont autant occupé l'avant-scène dans notre pays. Les Canadiens veulent des changements et des améliorations et, heureusement, les choses commencent à bouger. Il est essentiel de répondre à cet appel au changement, car il est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie que les citoyens d'un pays aient confiance en leurs institutions gouvernementales et les respectent.
Dans le même rapport, le conseiller sénatorial cite le premier ministre Harper :
De tous les aspects d'un gouvernement responsable, aucun n'est plus important que celui d'avoir la confiance des citoyens.
[Traduction]
Passons maintenant à la question principale dont le gouvernement et la Chambre des communes vous ont saisis : devrait-il y avoir un conseiller en éthique commun dans le secteur public fédéral ou le Sénat devrait-il continuer d'avoir son propre conseiller en éthique?
La réponse à cette question peut varier, semble-t-il, selon le moment où on la pose et l'optique de la personne à qui on la pose. Le gouvernement, pour sa part, a conclu qu'il serait dans le meilleur intérêt de la population qu'il n'y ait qu'un seul conseiller en éthique.
En ma qualité de légiste et de conseiller parlementaire, et aussi de fonctionnaire du Sénat, j'ai le devoir de vous conseiller et de vous aider à préserver votre autonomie et votre indépendance, ainsi que les privilèges, immunités et pouvoirs parlementaires chèrement acquis sur lesquels elles reposent. Dans cette optique, je préfère que le Sénat ait son propre conseiller en éthique.
Dans l'intérêt du public, vous, les sénateurs, avez en même temps le devoir de favoriser la confiance du public dans le gouvernement et le Sénat et celui de préserver l'autonomie et l'indépendance du Sénat. C'est dans ce contexte plus vaste que vous devez choisir.
Le 30 avril 2003, madame le sénateur Milne a bien exprimé le point de vue des partisans du changement en expliquant au Sénat la première des recommandations de son comité, à savoir que « le Sénat, la Chambre des communes et le gouvernement doivent chacun avoir leur propre officier d'éthique ».
Parlant au nom de son comité, elle avait déclaré ce qui suit :
Un des éléments clés qui a sous-tendu le travail de votre comité, c'est l'importance de reconnaître que, conformément à la Constitution, le Sénat est une institution parlementaire indépendante ayant son propre objet et sa propre culture. Le seul fait que les sénateurs soient nommés plutôt qu'élus exige que les règles d'éthique soient établies en conséquence. Votre comité est absolument persuadé qu'un commissaire à l'éthique dont les responsabilités et les loyautés seraient divisées ne pourrait pas servir correctement cette institution. Le seul moyen de s'assurer que le système d'éthique reflète vraiment la réalité du Sénat est d'avoir notre propre commissaire à l'éthique.
Voici quelques questions générales que je me pose au sujet de cette proposition. Quelles sont exactement les particularités d'un régime à un seul conseiller en éthique pour le secteur fédéral qui amélioreraient la reddition de compte et augmenteraient la confiance du public dans l'intégrité du gouvernement? Le Sénat et les sénateurs seront-ils mieux servis par le nouveau régime? Un seul conseiller peut-il gérer trois codes et régimes distincts, établis pour trois institutions séparées qui entretiennent entre elles des rapports étroits mais qui parfois sont en désaccord?
Maintenant que j'ai posé toutes ces questions, je vais maintenant commenter certains points techniques concernant le régime proposé.
Commençons par le mécanisme de nomination. L'article 28, à la page 44 du projet de loi, vise à établir un nouveau paragraphe 81(1) dans la Loi sur le Parlement du Canada, en remplacement de l'article 20.1. Qu'on le veuille ou non, ce mécanisme entraîne pour chaque Chambre une certaine perte de contrôle juridique sur ses affaires internes et il oblige chacune à coordonner avec l'autre le choix du commissaire à l'éthique.
En outre, même si la formulation du paragraphe 81(1) proposé semble correspondre à celle de l'article 20.1 existant, avec quelques modifications nécessaires, le fond n'est peut-être pas identique dans le nouveau contexte proposé.
Je me demande, par exemple, si la disposition proposée pourrait permettre à un chef national siégeant à la Chambre des communes de prétendre parler au nom des sénateurs de son parti.
Je passe maintenant de la disposition qui porte sur la nomination à celle qui porte sur la révocation. Le paragraphe 82(1) permet une révocation du commissaire, motivée par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes. L'exigence selon laquelle chaque Chambre doit obtenir le consentement de l'autre avant de procéder à la révocation de son conseiller en éthique découle logiquement du fait que ce mandataire est au service des deux Chambres. Toutefois, cette disposition fait perdre à chacune des Chambres un certain contrôle sur ses affaires internes.
La disposition portant sur la révocation soulève à mon avis des questions au niveau des mesures d'exécution. Une Chambre devra-t-elle automatiquement approuver les demandes de révocation présentées par l'autre? Dans la négative, comment une Chambre pourra-t-elle répondre aux besoins de l'autre dans le cas d'une conduite inappropriée du commissaire ou du conseiller en éthique? La décision prise pourrait-elle être revue par un tribunal? La situation serait-elle la même, que l'inconduite soit reliée aux affaires d'une des deux Chambres ou à celles de l'exécutif?
La question s'est déjà posée par le passé lorsque nous nous sommes demandé si le conseiller en éthique devait avoir une formation juridique. J'ai souligné dans mon exposé que pour être vraiment éthique, toute mesure que le conseiller en éthique recommande à un sénateur doit d'abord être légale. Comment pouvons-nous nous assurer de la légalité de la question?
Puis, on peut se demander comment le nouveau commissaire dirigera son bureau. Le problème dans le cas d'un nouveau poste, c'est qu'on ne peut compter sur un ancien titulaire pour nous expliquer le fonctionnement de ce bureau.
L'article 90 des amendements devant être apportés à la Loi sur le Parlement du Canada, que l'on trouve à la page 48 du projet de loi, permet au commissaire de déléguer ses pouvoirs et ses fonctions, à l'exception du pouvoir de déléguer. Ce pouvoir de déléguer semble comprendre le pouvoir de déléguer les tâches et les fonctions qui lui sont confiées par le Sénat. Toutefois, si cette délégation a pour effet de priver le Sénat et les sénateurs du jugement personnel du commissaire sur une question, les sénateurs ne seront peut-être pas d'accord avec cette délégation.
Les deux Chambres devraient-elles avoir le pouvoir de restreindre les pouvoirs de délégation accordés au commissaire en ce qui a trait à ses propres affaires? Le pouvoir de délégation soulève aussi la question de la structure administrative du bureau du commissaire. L'importance même du mandat du commissaire laisse croire que ce dernier pourrait vouloir s'adjoindre des assistants qui pourraient par exemple être chargés de l'administration de chacune des principales fonctions qui lui incombent, soit le code régissant les conflits d'intérêts pour les sénateurs, le code pour la Chambre des communes et le Code régissant les conflits d'intérêts pour les titulaires de charge publique. Le commissaire adjoint qui serait affecté aux affaires du Sénat pourrait même être appelé conseiller sénatorial en matière de conflits d'intérêts et de questions d'éthique, conseiller sénatorial en matière de conflits d'intérêts ou conseiller sénatorial en éthique.
Si la nomination d'un commissaire-adjoint qui serait chargé des affaires du Sénat vous semble possible ou probable, il convient de se demander si les sénateurs voudront être assurés d'avoir un rôle à jouer au niveau du choix, de la nomination et de la révocation motivée de cette personne?
[Français]
Enfin, ce projet de loi touche le Sénat en privant celui-ci pour toujours de la possibilité de se soustraire au nouveau régime sans le consentement de la Chambre des communes et partant du gouvernement. Si le projet de loi est adopté, il incombera dorénavant à ceux qui souhaitent modifier le nouveau régime de faire valoir le bien-fondé de leur proposition de changement. Les sénateurs souhaiteront peut-être envisager un mécanisme quelconque, soit transitoire ou permanent, qui permettrait au Sénat de se soustraire à une disposition qui se révèle insatisfaisante après un préavis raisonnable mais sans le consentement de la Chambre des communes ni du gouvernement.
[Traduction]
Je parlerai maintenant de la loi proposée sur les conflits d'intérêts et de ses répercussions. Cette loi proposée est la codification de ce que l'on a connu jusqu'à maintenant comme étant le Code du premier ministre sur les conflits d'intérêts et l'après mandat. Elle se trouve à la Partie 1 de la loi, aux pages 1 à 33.
Je vous invite à lire le paragraphe 64(2) de la loi proposée, à la page 32 du projet de loi. On peut y lire ce qui suit :
Sous réserve du paragraphe 6(2) et des articles 21 et 30, la présente loi n'a pas pour effet d'abroger les droits, immunités et attributions visés à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada ou d'y déroger.
Il est clair que le paragraphe 64(2) reconnaît que le paragraphe 6(2) et les articles 21 et 30 de la loi proposée visent à abroger les droits, immunités et attributions des Chambres et des parlementaires. Cette disposition vous force donc à vous demander si c'est vraiment là ce que vous désirez. Vous devez plus précisément vous demander si vous êtes prêts à prendre le risque de devoir vous soumettre aux procédures de la Chambre à l'égard du contrôle judiciaire?
Quels sont ces droits, immunités et attributions des Chambres qui sont en jeu? J'ai un jour entendu l'ancien Président de l'autre endroit, Gilbert Parent, décrire les privilèges parlementaires comme étant le droit des députés d'assister aux débats, de prendre la parole et de voter. J'ajouterais que l'institution, de son côté, a le droit correspondant de bénéficier de la présence, de l'opinion et du vote des parlementaires. J'ajouterais également que, compte tenu des dispositions prévues à l'article 9 de la Déclaration des droits de 1689, les Chambres ont le droit de soustraire les délibérations du Parlement au contrôle judiciaire.
L'article 21, qui porte sur les fonctionnaires qui sont titulaires de charge publique, soulève également certaines préoccupations. Puisque le paragraphe 64(2) prévoit que l'article 21 constitue une dérogation à l'égard des droits, immunités et attributions du Sénat, l'article 21 deviendra-t-il une excuse légitime pour les hauts fonctionnaires titulaires de charge publique leur permettant de justifier un refus de témoigner devant un comité sénatorial dans un cas où un détenteur de charge publique serait en conflit d'intérêts?
Pour conclure, j'invite les sénateurs à se demander si les termes « Sous réserve du paragraphe 6(2) et des articles 21 et 30 » du paragraphe 24(2) de la loi proposée sur les conflits d'intérêts, que l'on trouve à la page 32 du projet de loi, pourraient exiger l'ajout d'une disposition qui aurait pour effet d'interdire un contrôle judiciaire.
Je passerai maintenant au paragraphe 44(5) de la loi sur les conflits d'intérêts proposée, qui se trouve à la page 25 du projet de loi, et qui porte sur la façon de traiter des renseignements transmis par un membre du public. Cette disposition semble primer sur le droit des sénateurs à la liberté de parole, empêchant un sénateur de prendre la parole au Sénat dans les circonstances en cause. J'ai posé certaines questions dans ma présentation écrite sur la façon dont cette disposition serait appliquée. J'attire également l'attention sur le paragraphe 44(6) qui complète le paragraphe 44(5) et qui prévoit que le commissaire doit faire rapport au Président...
Le sénateur Cools : Monsieur Audcent, vous serait-il possible de parler un peu plus lentement parce que nous avons besoin d'un peu de temps pour trouver les articles auxquels vous renvoyez.
M. Audcent : Je m'excuse, j'ai presque terminé — et qui prévoit que le commissaire peut faire rapport au Président dans les cas où il est d'avis qu'un sénateur n'a pas respecté l'obligation de confidentialité prévue. C'est au paragraphe 44(6). Je m'interroge sur le rôle du Président à cet égard et sur la nécessité que le Sénat prépare des directives à ce chapitre.
Enfin, honorables sénateurs, ma présentation écrite soulève plusieurs questions diverses en rapport avec la politique, la formulation et l'interprétation du projet de loi C-2.
Pour ce qui est de la politique, dans certains cas, les sénateurs voudront peut-être revoir le rôle assigné ou non au Sénat et aux sénateurs. Je pense par exemple au choix du Directeur parlementaire du budget, au choix, à la nomination et à la révocation du Directeur des poursuites publiques ou encore au choix des membres qui siègeront à la Commission des nominations publiques.
Du côté technique, il y a plusieurs parties du projet de loi qui devront être révisées, certaines dispositions devront être éclaircies et une question de protocole devra faire l'objet d'une étude.
Cela met un terme à mon introduction. Je serai heureux de répondre maintenant à vos questions.
Le président : Je vous remercie de votre exposé si complet. Votre rapport compte 15 pages et je sais que vous nous en avez seulement présenté les grandes lignes. Nous devrons donc en prendre connaissance plus tard. Je vous remercie de l'exposé que vous nous en avez présenté. J'accorderai tout d'abord la parole au sénateur Joyal.
Le sénateur Joyal : Lorsque le projet de loi a été étudié à l'autre endroit, le légiste de la Chambre des communes a déposé un rapport qui portait tout particulièrement sur la question du vote secret au Parlement et qui a donné lieu à des modifications à l'autre endroit. Le rapport a également soulevé certaines préoccupations relativement aux privilèges parlementaires, et reconnu très justement d'ailleurs, comme vous l'avez fait vous-même, que le Parlement peut abolir les privilèges accordés ou prendre des dispositions en vue de les restreindre.
Le légiste de la Chambre des communes a attiré l'attention de l'autre endroit sur certaines des implications du projet de loi en ce qui a trait aux privilèges de la Chambre des communes. Comme vous le savez, conformément à l'article 18 de la Constitution, le Sénat jouit des mêmes privilèges et immunités accordés à l'autre endroit.
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des recommandations qui ont été faites à l'autre endroit à ce sujet et nous expliquer pourquoi, à votre avis, aucune mesure n'a été prise à l'autre endroit en ce qui a trait aux recommandations qui ont été faites?
M. Audcent : Honorables sénateurs, j'ai lu l'exposé écrit préparé par le légiste de la Chambre des communes à l'intention de l'autre endroit. J'ai également pris connaissance du témoignage qu'il a fait devant ce comité et c'est donc sur ces connaissances que je base mes commentaires.
On s'est demandé si le légiste avait dit que le projet de loi était inconstitutionnel. Je crois qu'il est juste de dire d'entrée de jeu qu'il est important de comprendre que, malheureusement, les termes « constitutionnel » et « inconstitutionnel » sont un peu trop chargés de sens.
Dans un sens, le terme « constitutionnel » peut signifier intra vires ou ultra vires — c'est-à-dire dans les limites des pouvoirs du Parlement. Dans un autre sens toutefois, il peut s'appliquer au synchronisme de nos valeurs constitutionnelles — en ce qui a trait, par exemple, au respect de la division des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif.
Cette distinction me semble importante et c'est la raison pour laquelle j'en ai traité dès le début de mon exposé. Je tenais à préciser qu'à mon avis, le Parlement a les pouvoirs nécessaires pour adopter les parties du projet de loi portant sur le nouveau programme d'éthique que j'ai examinées et sur lesquelles j'ai fait rapport.
C'est très bien, mais il faut ensuite se demander si ces pouvoirs l'emportent sur les privilèges, les immunités et les pouvoirs accordés? Je crois avoir indiqué, dans le rapport que j'ai préparé à votre intention en ce qui a trait au régime proposé, qu'en confiant tous les pouvoirs à une seule personne, vous vous exposez à perdre une partie du contrôle sur la nomination et la destitution de cette personne. Vous perdez une certaine partie du contrôle que vous exercez sur vos affaires internes ce qui représente donc, à cet égard, une certaine dérogation par rapport à vos principes.
En ce qui a trait au projet de loi portant sur les conflits d'intérêts, j'ai également souligné dans mon analyse que trois dispositions semblent déroger expressément des privilèges, immunités et pouvoirs des Chambres. Je présente une analyse de ces trois dispositions dans mon exposé.
Si vous dites à un ministre qu'il ne peut pas voter et que ce ministre siège au Sénat, vous dites en fait à un sénateur qu'il a perdu son droit de vote, et du même coup, vous dites à la Chambre qu'elle a perdu le bénéfice du vote de ce membre. Il y a bien sûr des dérogations, mais le Parlement a-t-il le pouvoir de faire une telle chose? Oui, il l'a.
Le sénateur Joyal : Dans le contexte des améliorations que nous cherchons à apporter au système actuel d'éthique en application dans chacune des Chambres, existe-t-il des arguments qui pourraient permettre de croire que cette proposition améliorera le rendement des sénateurs?
M. Audcent : Il a été difficile de justifier la proposition de fusionner les deux bureaux de l'éthique en un seul. Si vous parlez de justifications à un niveau d'efficacité, et plus précisément d'efficacité économique, vous pouvez tirer vos propres conclusions en vous basant sur les exposés qui ont été présentés par MM. Shapiro, Wilson et Fournier à ce sujet.
Si vous vous demandez plutôt si la fusion de ces deux bureaux permettra une plus grande efficacité du point de vue de l'administration des programmes d'éthique pour les sénateurs, je crois que vous avez entendu le témoignage de M. Fournier et des deux autres intervenants qui ont souligné que les contacts personnels seront moins fréquents. Toutefois, même s'il y aura sans doute moins de contacts avec le nouveau commissaire, ce dernier aura des adjoints pour le seconder. Les sénateurs pourraient donc sûrement communiquer avec les commissaires adjoints. Quelqu'un devrait pouvoir vous rencontrer.
Le sénateur Day : Pas nécessairement.
Le sénateur Cools : Ce sont des fonctionnaires de l'État. Ils pourraient ne pas être tenus de nous parler. Plusieurs ministres ne le font pas.
Le sénateur Joyal : Hier soir, lorsque nous avons posé des questions aux témoins qui ont comparu devant nous, M. Bernard Shapiro ainsi que l'ancien commissaire Howard Wilson, le sénateur Austin a soulevé une question que nous avons reprise aujourd'hui relativement à l'article 43 de la Loi. Je vais lire cet article pour ceux qui ne l'auraient pas en main.
En plus d'appliquer la présente loi relativement à ses fonctions, le commissaire donne, à titre confidentiel :
des avis au premier ministre, notamment, à sa demande, sur l'application de la présente loi à un titulaire de charge publique;
des avis au titulaire de charge publique sur les obligations de la présente loi qui lui incombent.
Vous avez par la suite le paragraphe 44(7) qui précise que le commissaire doit remettre un rapport au premier ministre.
Comment interpréteriez-vous cet article dans l'optique des privilèges et immunités des sénateurs, alors qu'il semble à première vue qu'un premier ministre pourrait vouloir obtenir l'opinion du commissaire à propos d'un sénateur, ou demander des renseignements sur lui. Considérez-vous cela comme une intrusion à l'égard de l'immunité du Sénat en tant qu'institution indépendante de l'autre endroit et du pouvoir exécutif?
M. Audcent : Je parlerai d'abord de l'article 43 du projet de loi, que le sénateur Joyal a mentionné en premier lieu. Cet article précise que le commissaire, « en plus d'appliquer la présente loi relativement à ses fonctions... » — dans ce contexte, les termes « la présente loi » renvoient à la Loi sur les conflits d'intérêts à laquelle sont assujettis les titulaires de charge publique — « doit donner des avis au premier ministre, notamment, à sa demande, sur l'application de la présente loi à un titulaire de charge publique. »
D'après ce que je comprends, le terme ``titulaire de charge publique » correspond aux employés de la fonction publique. Il s'applique aux ministres et aux secrétaires parlementaires, mais pas aux sénateurs. C'est ainsi que je comprends l'interprétation de ce terme.
Cet article prévoit ensuite que le commissaire doit « donner des avis au titulaire de charge publique sur les obligations de la présente loi qui lui incombent. » Je comprends donc que le commissaire peut être appelé à donner des avis à des ministres.
Cette partie de l'article 43 renvoie clairement à des personnes remplissant des fonctions exécutives. Je ne crois pas qu'on ait voulu parler de personnes qui remplissent des fonctions parlementaires. C'est plutôt restreint. Cette disposition peut s'appliquer à certains parlementaires, mais elle s'applique à eux parce qu'ils ont accepté de remplir des fonctions exécutives et seulement alors qu'ils remplissent ces fonctions exécutives. C'est ainsi que je comprends le premier point portant sur l'article 43.
Le paragraphe 44(7) prévoit que :
Le commissaire remet au premier ministre un rapport énonçant les faits, son analyse de la question et ses conclusions, même s'il juge la demande futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou s'il a mis fin à l'étude en vertu du paragraphe (3). »
Je crois que nous parlons ici des faits qui renvoient à la demande dont il est question à l'article 44. La formulation du paragraphe 44(7) pourrait être améliorée de façon à satisfaire les sénateurs, mais je crois qu'on peut en toute bonne foi considérer qu'il s'agit ici de fournir des renseignements au premier ministre à l'égard de plaintes portant sur des ministres.
Le sénateur Joyal : Quel lien établissez-vous avec le paragraphe (5) du même article?
M. Audcent : J'ai parlé des paragraphes (4) et (5) de l'article 44 dans mon exposé écrit. Je crois que la formulation de ces paragraphes laisse à désirer et qu'ils doivent être révisés.
Le paragraphe 44(4) prévoit que le commissaire peut tenir compte de tout renseignement provenant du public qui serait porté à son attention par un sénateur ou par un député.
Nous passons ensuite au paragraphe (5) qui précise que le sénateur qui reçoit les renseignements ne peut les communiquer à quiconque. Je considère que cela pourrait entraîner certains problèmes au niveau des faits. Cet article impose à un parlementaire une exigence de confidentialité qui ne s'applique pas aux autres Canadiens. Les Canadiens peuvent communiquer avec la Presse, mais les parlementaires ne le peuvent pas. Cela ne me semble pas très logique.
Si le parlementaire communique les renseignements au commissaire, il ne peut les communiquer à quiconque avant d'avoir remis le rapport prévu au présent article.
Il s'agit là d'une restriction aux privilèges d'un parlementaire puisqu'on dit tout simplement qu'on ne peut soulever une question dans les Chambres. Je ne suis pas vraiment d'accord avec cela. Cet article vise à assurer la confidentialité des renseignements.
Le sénateur Joyal : Je comprends ce que vous nous dites, mais il m'a semblé que cet article pouvait avoir des répercussions sur l'exercice des privilèges parlementaires, dont l'un des principaux est la liberté de parole.
M. Audcent : Tout à fait.
Le sénateur Joyal : La liberté de parole est l'élément clé de la Charte canadienne des droits.
M. Audcent : Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Le sénateur Joyal : Il s'agit d'un élément très important. Comme vous l'avez souligné, avec l'adoption de ce projet de loi, un parlementaire, qu'il siège à la Chambre des communes ou au Sénat, n'aurait pas les mêmes droits de parler d'un sujet qu'un Canadien ordinaire, ce qui est contraire à ce qui se produit habituellement.
M. Audcent : Je suis d'accord avec votre analyse. J'ai également soulevé la question dans ma présentation écrite, mais je l'ai présentée un peu différemment.
Le sénateur Joyal : En ce qui a trait à la possibilité de soumettre l'affaire au Président du Sénat ou de la Chambre des communes, énoncée dans le paragraphe suivant, cela m'inquiète un peu franchement, parce que, pour autant que je me souvienne, lorsque nous avons discuté du Code, nous ne voulions pas que le Président soit impliqué dans l'application du Code.
Le Président dirige les débats et autres délibérations de la Chambre, mais dans la mesure du possible, il n'est pas mêlé aux questions liées aux comportements éthiques des sénateurs ou des parlementaires de l'autre endroit. Cet article va à l'encontre de ce principe puisque je ne vois vraiment pas comment cela pourrait se faire. Une fois que le commissaire a fait savoir au Président qu'un sénateur a enfreint le principe de la confidentialité, le Président doit prendre des mesures. Il ne peut pas se contenter de remercier le commissaire et laisser la plainte sur le bureau. Il doit donner suite à cette plainte puisqu'il y a eu manquement à une obligation statutaire. Je trouve très étonnant que le Président soit mêlé à une mesure que je considère relever d'une obligation statutaire. Cela n'a rien à voir avec le code. Il s'agit d'une obligation statutaire qui incombera désormais aux parlementaires. Comme vous l'avez souligné dans votre présentation, une fois adopté, il sera semblable à toutes les autres lois. Tous les parlementaires devront le respecter.
M. Audcent : Je suis d'accord. Cet article pose problème. Là encore, j'ai envisagé la question un peu différemment, mais j'ai reconnu le même problème. J'ai posé la question suivante : si nous imposons cette obligation au Président, devons-nous également adopter certaines règles internes pour dire au Président ce qu'il doit faire et quelles sont ses obligations? Le Président voudra sûrement qu'on lui dise ce qu'il doit faire. Il ne faut pas oublier que le Président du Sénat ne se trouve pas dans la même position que le Président de la Chambre. Il ne jouit pas nécessairement de la confiance des sénateurs. Il peut en jouir, et je ne veux pas laisser entendre que ce n'est pas le cas, mais en vertu de la loi, le Président du Sénat est nommé par le gouvernement. Il n'est pas élu par ses pairs.
Le sénateur Joyal : J'ai été tenté de faire intervenir le Président dans le débat parce que je sais qu'il a des opinions bien arrêtées sur la question, des opinions que je partage, en partie.
Je n'arrive pas à comprendre que l'on ne modifie pas cet article et que l'on ne définisse pas plus précisément les mesures que le Président devrait prendre lorsqu'un parlementaire de l'une ou l'autre des deux Chambres du Parlement a enfreint une obligation statutaire.
Connaissez-vous d'autres cas ou mesures législatives dans lesquels la violation ou le non-respect d'une obligation statutaire serait rapporté au Président de l'une ou de l'autre des Chambres du Parlement?
M. Audcent : Il n'y a rien qui me vient à l'esprit comme ça. Toutefois, le principe de droit qui me semble important ici, c'est que le commissaire est sensé être indépendant. Dès que nous utilisons le terme « indépendant », nous sortons des limites de l'institution, même si nous disons que le commissaire remplit ses fonctions au sein de l'institution de la Chambre. Le rôle du Président est donc généralement de parler au nom de la Chambre. Le Président est celui qui est chargé de recevoir et d'envoyer tous les messages. Lorsque j'ai lu cet article, j'ai cru que le rédacteur avait peut-être cela à l'esprit.
Le président : Sénateur Joyal, il y a deux sénateurs qui désirent poser des questions complémentaires à ce sujet et vous pourrez ensuite poursuivre.
Le sénateur Cools : Tout d'abord, j'aimerais remercier MM. Audcent et Patrice pour l'exposé qu'ils nous ont présenté.
Cette disposition me préoccupe également. En plus de la question que le sénateur Joyal a soulevée en ce qui a trait au Président, question d'ailleurs très importante, j'aimerais également attirer votre attention sur le paragraphe 44(6) du projet de loi qui prévoit que :
... [le commissaire] peut soumettre le cas, en toute confidentialité, au président du Sénat ou de la Chambre des communes.
J'aimerais dire à M. Audcent et à ses collègues qu'une telle formulation démontre bien que les personnes qui ont rédigé cette mesure législative ne comprennent pas le fonctionnement du Parlement et de ses deux Chambres parce que le terme « refer » utilisé en anglais correspond à un ordre de renvoi, un ordre du Sénat. J'aimerais bien savoir comment le commissaire pourrait prétendre obtenir un ordre de renvoi pour soumettre la question au Président et le faire en toute confidentialité. Cela doit être modifié parce que dans le vocabulaire parlementaire, ce terme a une signification très précise.
M. Audcent : En français, on qualifie de « faux-amis » deux termes qui se ressemblent mais qui ne signifient pas la même chose. Dans le cas présent, je ne crois pas que le terme anglais « refer » ait été utilisé dans le sens d'un ordre de renvoi. Du côté français, on peut lire « il peut soumettre ». Je prends bonne note du point soulevé par madame le sénateur. Puisque le terme « refer » est très près de l'expression « order of reference », ou ordre de renvoi, nous pourrions peut-être tenter de trouver un autre mot en anglais. C'est une langue riche.
Le sénateur Cools : Je crois que le rédacteur voulait plutôt dire « informer ».
M. Audcent : C'est dans ce sens.
Le sénateur Cools : Nous devons apporter des précisions. Nous avons maintenant de plus en plus souvent, plusieurs fois par année, des projets de loi qui exigent qu'un rapport ou autre document soit renvoyé aux comités. Nous devons clarifier la question. C'est un petit point, mais des précisions s'imposent.
Le sénateur Milne : Le sénateur Joyal a soulevé les points dont je voulais parler. Je voudrais souligner également que les paragraphes 44(6) et 44(7) semblent inviter le premier ministre, le gouvernement, à venir siéger au Sénat, ce qui fait totalement disparaître la séparation entre la Chambre et le Sénat.
Le rapport doit être remis, même si le Commissaire juge la demande futile, vexatoire [...]
Le deuxième point qui me préoccupe est l'utilisation du terme « remis » dans la version française au paragraphe (5), comme l'a mentionné le sénateur Fraser hier soir.
M. Audcent : En ce qui a trait à la première question qui porte sur le paragraphe 44(7) du projet de loi, à savoir s'il ouvre la porte du Sénat au premier ministre, je dirais qu'à l'heure actuelle, deux ministres siègent au Sénat. Ça s'arrête à peu près là. Le premier ministre peut diriger le cabinet tout comme le Sénat peut diriger les sénateurs. Nous savons déjà que, compte tenu de la structure du système global, les personnes qui acceptent de faire partie du Cabinet acceptent également d'être soumises à deux régimes distincts, c'est-à-dire aux règles du Sénat à titre de sénateur et à celles du Cabinet à titre de ministre. Cela donne-t-il au premier ministre la possibilité d'intervenir au Sénat? Oui, mais seulement si un sénateur accepte une nomination à un poste de ministre. On pourrait reformuler cette partie, mais c'est là une toute autre question.
Le sénateur Milne : Et la version française du paragraphe 44(5)?
M. Audcent : Je ne me suis pas penché sur cette question et je ne peux réagir assez rapidement à cet égard pour vous donner une réponse satisfaisante. Je devrai donc vous revenir là-dessus.
Le sénateur Milne : Je vais laisser le sénateur Joyal s'occuper de cette question.
Le sénateur Stratton : J'aimerais parler du paragraphe 44(6). Je crois comprendre que ce paragraphe a été modifié à la Chambre des communes, sur les conseils du légiste de la Chambre. Cette modification a été apportée délibérément pour protéger l'indépendance du Sénat. C'est ce que j'ai cru comprendre.
Le sénateur Day : C'était pour protéger l'indépendance du Sénat?
Une voix : Pouvez-vous me répéter ça?
Le sénateur Stratton : Le paragraphe 44(6), qui permet au commissaire de soumettre le cas au président du Sénat ou de la Chambre des communes lorsque l'obligation de confidentialité n'a pas été respectée, a été amendé par la Chambre des communes selon l'avis donné par son légiste.
Le président : Monsieur Audcent, êtes-vous au courant de cette question? Pouvez-vous nous en parler?
M. Audcent : Je ne suis pas en mesure de vous en parler.
Le président : Monsieur Patrice?
Michel Patrice, conseiller parlementaire, Sénat du Canada : Je ne suis pas en mesure de vous en parler.
Le sénateur Cools : Nous devrions remercier la Chambre de s'être montrée bienveillante à l'égard du Sénat pour la première fois de son histoire.
Le sénateur Joyal : Si le paragraphe 44(6) de la Loi sur les conflits d'intérêts, que l'on se propose d'édicter, demeure tel quel, ne devrions-nous pas examiner le paragraphe 86(3) dans les modifications proposées à la Loi sur le Parlement du Canada, qui dit ceci à propos du commissaire :
Il est placé sous l'autorité générale du comité du Sénat que celui-ci constitue ou désigne à cette fin.
Ce paragraphe se trouve à la page 47 du projet de loi.
Si un sénateur doit être sanctionné pour avoir manqué à une des obligations que lui impose la loi, ce n'est pas au Président qu'il incombe d'agir, selon les règles enchâssées dans le code. C'est le Sénat qui détient l'autorité de sanctionner un sénateur, et non le Président. Lorsque nous avons discuté de ce point, il était clair que la philosophie du code consistait à tenir autant que possible le Président à l'écart de ces questions. Nous avons même ajouté un article au code à cette fin. Je pense qu'on ouvre une boîte de Pandore en mélangeant les deux rôles du Président et en l'impliquant dans le processus disciplinaire.
Le sénateur Cools : Ce n'est pas bon.
Le sénateur Joyal : Si le commissaire est d'avis qu'un sénateur a manqué aux responsabilités qui lui incombent en vertu d'une loi, ne devrait-il pas soumettre le cas à un comité sénatorial? Cette approche semble beaucoup plus conforme à la logique que nous suivons quand il est question de discipline et elle permet de protéger le statut du Président, comme d'autres sénateurs l'ont mentionné. Je crois qu'il est dangereux d'envisager d'impliquer le Président dans l'évaluation de la conduite d'un sénateur et dans l'imposition d'une sanction.
M. Audcent : Honorables sénateurs, je reviens à mon interprétation de l'article. Je pense que l'intention du législateur, dans cette loi et cet article, est de considérer le Président du Sénat comme l'interlocuteur auquel doivent s'adresser les gens de l'extérieur dans leurs relations avec le Sénat. Nous ne discutons pas de nos affaires internes directement avec des gens de l'extérieur. C'est dans ce sens que le cas serait soumis au président.
Je présente cet argument dans le document qui accompagne mon témoignage. Avant d'adopter cette disposition, le Sénat pourrait étudier les mécanismes internes dont il devrait se doter pour lui donner suite. Par exemple, vous pourriez indiquer, dans le Règlement du Sénat, au sujet du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs, qu'aussitôt que le commissaire soumet un cas au président conformément au paragraphe 44(6), le président doit le renvoyer au comité de la régie interne. Le Sénat a le pouvoir de définir ce mécanisme, qui n'est pas contenu dans une loi. Voilà mon interprétation. Bien entendu, le Parlement pourrait indiquer la marche à suivre au Sénat, mais est-ce vraiment nécessaire? Ne devrait-il pas suffire d'indiquer simplement dans la loi que le cas sera soumis au Président du Sénat, de manière à ce que le Sénat puisse décider lui-même de la marche à suivre par la suite?
Le sénateur Joyal : Vous mentionnez le comité de la régie interne, mais je pense que ce comité n'existe plus.
En ce qui concerne les privilèges des parlementaires, nous avons débattu de la capacité d'un sénateur ou d'un député de ne pas voter, de ne pas prendre la parole et de s'abstenir. Je pense que vous vous souvenez peut-être du débat qui a eu lieu ici même à ce sujet. Combien de sénateurs autour de la table actuelle ont participé à ce débat? Je ne voudrais pas répéter les arguments d'alors, mais il s'agit d'une question importante, qui concerne essentiellement la fonction et le rôle premier d'un parlementaire, particulièrement au Sénat, c'est-à-dire de donner son opinion et son consentement. C'est notre devoir constitutionnel. Nous sommes ici pour donner notre opinion et parler librement, pour débattre et pour donner ou refuser notre consentement. Nous pouvons dire « oui », « non » ou « mais ». Priver un sénateur de la possibilité de s'acquitter du devoir constitutionnel qui lui a été confié par sa nomination au Sénat ou encore le priver des privilèges et de l'immunité qui se rattachent à sa fonction constitue un accroc sérieux à l'ordre constitutionnel.
Puisqu'on doit respecter autant que possible la définition constitutionnelle du devoir du sénateur, est-il opportun de l'obliger non seulement à ne pas prendre la parole, mais également à ne pas voter? Pourquoi devrait-on priver le sénateur de sa responsabilité d'agir en pareil cas? Je crois fermement que, lorsqu'un sénateur prend la parole pour déclarer qu'il se trouve en conflit d'intérêts, il signale aux autres sénateurs les raisons pour lesquelles il ne participera pas au débat. Sa déclaration est consignée dans les Journaux du Sénat. Nous disposons actuellement d'une procédure dont vous vous rappelez sans doute bien, monsieur le président. Le greffier doit consigner cette déclaration dans les Journaux du Sénat, de manière à ce que tous puissent savoir que le sénateur s'est abstenu sans toutefois négliger son devoir constitutionnel. Mais, dans cette disposition, on fait fi de tout cela. Il s'agit d'une grave décision à prendre. Comment évaluez-vous cet aspect de la proposition?
M. Audcent : Je pourrais peut-être commencer par les paroles du Président Parent dont j'ai parlé et sur lesquelles je voudrais insister. Il a bien exprimé la question, et c'est une bonne façon de l'envisager. Les privilèges parlementaires sont constitués du droit d'un parlementaire d'assister aux débats, de son droit d'y prendre la parole et de son droit de voter. En contrepartie, la Chambre a le droit d'exiger la présence du parlementaire, droit que nous avons intégré expressément à nos règles récemment. Elle a aussi le droit d'obtenir son opinion et son vote. Voilà les privilèges parlementaires fondamentaux.
Nous discutons des dispositions de la Loi sur les conflits d'intérêts, que l'on se propose d'adopter. Certaines de ces dispositions ne s'appliquent pas aux sénateurs, mais elles s'appliquent aux membres du pouvoir exécutif. Or, certains sénateurs sont membres du pouvoir exécutif, et nous en sommes heureux. Nous sommes heureux que le leader du gouvernement au Sénat soit ministre au sein du Cabinet. Je présume qu'il y a un large consensus à cet égard. En étant membres du pouvoir exécutif, ces personnes sont soumises à un régime différent, qui est celui du premier ministre. Celui-ci a son propre code à l'heure actuelle. Il veut que ce code ait dorénavant force de loi et qu'on en fasse un code officiel. Il vous dit qu'il ne veut pas que ses ministres puissent prendre la parole ou voter et il vous demande d'adopter cette disposition avec ce projet de loi. Vous vous demandez s'il s'agit d'une dérogation aux privilèges parlementaires. Je vous réponds par l'affirmative. La loi parle explicitement des trois exceptions dont vous discutez. Elle admet qu'il y a dérogation par rapport aux privilèges parlementaires. Vous devez maintenant décider si tel devrait être effectivement le cas.
Habituellement, un seul sénateur est membre du Cabinet. Actuellement, il y en a deux. À la Chambre des communes, il y aura 30 ministres qui seront à risque. Le risque est beaucoup plus grand à la Chambre des communes qu'au Sénat, même s'il y a tout de même un risque au Sénat. C'est une question de principe. Êtes-vous prêts à accepter une dérogation pour retirer à un sénateur son droit de parole et son droit de vote? Le sénateur Joyal dit que c'est une question sérieuse. Je suis d'accord avec lui et je pense qu'on doit répondre à cette question. Le premier ministre a indiqué qu'il ne voulait pas qu'une personne faisant partie de ses ministres puisse prendre la parole ou puisse voter.
Le sénateur Cools : Puis-je poser une question supplémentaire?
Vous venez d'expliquer les souhaits du premier ministre, qui ne veut pas que son parlementaire ou son ministre puisse prendre la parole ou voter. À quel point une personne cesse-t-elle d'être un parlementaire et commence-t-elle à être un ministre? Les privilèges du Parlement ne s'appliquent pas aux ministres; ils s'appliquent aux parlementaires. Selon moi, le premier ministre a le pouvoir de dicter à la personne sa conduite en tant que ministre, mais pas en tant que parlementaire. Cette distinction est-elle respectée?
Voilà une bien triste chose d'une certaine façon. Il est malheureux qu'on ne fasse plus cette distinction. Si vous vous souvenez, c'est ainsi que Mackenzie King a battu Arthur Meighen. Jusqu'à cette époque, les députés qui étaient nommés ministres devaient démissionner en tant que députés et se présenter de nouveau devant l'électorat de leur circonscription. Il y a eu un moment en cours de route où les compagnons d'Arthur Meighen ne pouvaient pas être ministres et députés en même temps. Il s'agissait d'une question cruciale, et Mackenzie King a gagné. Certains domaines reçoivent très peu d'attention. Cependant, selon moi, il y a une différence énorme entre les deux fonctions de cette personne. Par exemple, la déclaration des droits s'applique à la personne en tant que parlementaire, mais pas en tant que ministre. Ce sont d'autres privilèges qui s'appliquent à la fonction de ministre. Malheureusement, personne ne réfléchit à ces distinctions, mais elles ont une énorme importance. Pourriez-vous nous en parler, je vous prie?
M. Audcent : Honorables sénateurs, j'aimerais commencer par terminer ma réponse au sénateur Joyal, simplement parce qu'il y a un lien avec la dernière question et parce qu'il y a quelque chose que j'ai oublié de dire. Le Sénat a lui-même balisé le droit de vote des sénateurs. Donc, ces balises peuvent certainement être modifiées, puisqu'il y a un précédent. Ce qui est demandé présentement a déjà été demandé aux sénateurs par le Sénat lui-même.
Voyons ce que dit la Loi sur les conflits d'intérêts prévue par le projet de loi :
Il est interdit à tout ministre, ministre d'État ou secrétaire parlementaire de participer, en tant que membre du Sénat ou de la Chambre des communes, à un débat ou à un vote sur une question à l'égard de laquelle il pourrait se trouver dans une situation de conflit d'intérêts.
Qui parle? C'est le Parlement qui parle. C'est le Sénat qui dira que le parlementaire ne doit pas voter, une fois le projet de loi adopté, le cas échéant. C'est la Chambre des communes qui dira que le parlementaire ne doit pas voter. Ce sera la volonté des deux chambres. Le gouvernement vous demande d'adopter cette disposition. Est-ce une disposition importante? Bien sûr. Devez-vous y réfléchir sérieusement? Bien sûr.
Le sénateur Cools : Nous y réfléchissons sérieusement.
Le sénateur Day : J'ai une seule question, et elle porte sur le début de votre exposé. Il me semble que vous avez dit qu'il devrait y avoir des amendements, et vous avez parlé d'un protocole. Je n'ai pas bien compris ce dont vous parliez exactement. Je suis désolé. Pourriez-vous m'aider à comprendre. Je vous en serais reconnaissant.
M. Audcent : Honorables sénateurs, mon exposé comprend quatre parties : la constitutionnalité; les répercussions sur le régime d'éthique du Sénat; les problèmes découlant de la Loi sur les conflits d'intérêts, qui est contenue dans le projet de loi; diverses questions de politique, de rédaction et d'interprétation.
La question du sénateur Day porte sur une disposition dont j'ai parlé parce que j'y ai trouvé ce que je considère comme un problème de protocole. Il s'agit de l'article 67 du projet de loi, qui se trouve à la page 66 et qui modifie la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes. La définition d'un ministère contenue à l'article 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques comprend, à l'alinéa c), « le personnel du Sénat, celui de la Chambre des communes, celui de la bibliothèque du Parlement, celui du bureau du conseiller sénatorial en éthique et celui du commissariat à l'éthique ». Cette définition serait modifiée par l'article 7 du projet de loi, qui se trouve à la page 36. Le sous-alinéa b)(i) de la définition nouvelle d'un titulaire d'une charge publique de haut rang semble inclure le greffier du Sénat et le greffier du Parlement. La loi comprend déjà la définition d'un titulaire de charge publique, et cette définition comprend les sénateurs.
En fait de protocole, je trouve qu'il n'est pas approprié de dire que le greffier fait partie des titulaires d'une charge publique de haut rang alors que, dans la même loi, les sénateurs sont considérés comme de simples titulaires de charge publique. La hiérarchie introduite par ce vocabulaire ne correspond pas à la culture du Sénat.
La même observation s'applique aux sous-ministres, aux sous-ministres adjoints et aux sous-ministres délégués, que la loi désignera comme des titulaires d'une charge publique de haut rang, alors que les sénateurs, eux, seront considérés comme des titulaires d'une charge publique.
Le sénateur Day : Je vous remercie de porter ce problème à notre attention. Nous allons devoir y réfléchir.
Vous nous avez donné une vue d'ensemble très complète. Vous avez mis l'accent sur le domaine que nous étudions à l'heure actuelle parce que, comme vous l'avez indiqué, le projet de loi est si vaste. Nous allons examiner également d'autres domaines, comme la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, les conflits d'intérêts, l'accès à l'information et le financement des partis politiques.
Avez-vous eu l'occasion d'examiner d'autres aspects du projet de loi? Auriez-vous des observations à nous communiquer sur d'autres articles lorsque nous les étudierons?
Le président : Sénateur Day, je ne pense pas que le témoin soit venu ici aujourd'hui pour cette raison.
Le sénateur Day : Je suis d'accord avec vous.
Le président : Il est possible qu'il ait d'autres observations à faire plus tard, mais il serait de mise de lui permettre auparavant de bien rassembler ses idées sur les articles dont il sera encore question, notamment ceux qui portent sur les lobbyistes, les dénonciateurs. Il pourra revenir nous en parler. Je ne pense pas qu'il serait juste de lui demander de nous livrer ses idées là-dessus immédiatement.
Le sénateur Day : Je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai peut-être mal posé ma question.
Voici ce que je voulais dire : aurait-il des idées, des observations ou des conseils à nous donner concernant d'autres articles du projet de loi si nous l'invitions à revenir une autre fois? Préférez-vous vous en tenir à ce dont vous venez de nous parler et ne plus rien ajouter, même plus tard?
M. Audcent : Honorables sénateurs, comment pourrais-je refuser une autre occasion de revenir passer du temps en votre compagnie?
Le sénateur Campbell : Voilà la bonne réponse.
M. Audcent : Honorables sénateurs, la quatrième partie de mon exposé, qui porte sur divers sujets, dépasse le domaine de la loi sur les conflits d'intérêts qui est proposée. Il y a de la matière dans cet exposé qui concerne d'autres parties du projet de loi, dont je n'ai pu m'empêcher de parler.
Je pense vous avoir parlé du domaine dans lequel je m'y connais particulièrement, c'est-à-dire de l'éthique au Sénat et de ses implications sur le plan constitutionnel. Pour l'instant, je pense que vous avez entre les mains tout ce que j'avais à vous communiquer.
Je suis toujours à la disposition de tout sénateur souhaitant me poser une question à propos d'un article donné du projet du projet de loi. Ma tâche sera d'autant plus facile qu'on me posera des questions précises, ce qui me permettra de donner une réponse bien circonscrite.
Le sénateur Day : Je comprends. Nous savons que nous pouvons toujours faire appel à vous, et nous sommes heureux de votre présence, à vous et à M. Patrice, qui êtes prêts à nous aider lorsque nous en avons besoin. S'il y avait plus tard d'autres problèmes dont vous voudriez nous faire part, nous vous donnerions la possibilité de le faire à un autre moment.
Le sénateur Milne : Monsieur Audcent, j'aimerais vous poser la question que je vous ai posée auparavant. Vous pourriez peut-être communiquer par écrit au comité votre avis sur la traduction française du paragraphe 44(5), pour nous dire si elle est conforme à la version anglaise.
M. Audcent : Je communiquerai avec vous là-dessus, sénateur.
Le sénateur Cools : Monsieur Audcent et monsieur Patrice, êtes-vous prêt à nous donner votre point de vue sur la question posée par le sénateur Stratton à M. Fournier et sur la réponse de M. Fournier? Si vous n'êtes pas prêts maintenant, nous serions heureux de vous revoir une autre fois. Veuillez passer à la partie 4 du projet de loi fédérale sur la responsabilité, qui se trouve à la page 27 et qui s'intitule Administration et application, Mission et pouvoirs du commissaire. J'aimerais discuter des articles 50.1 et 50.2 qui sont proposés.
M. Audcent : Honorables sénateurs, je dois admettre que ce problème en particulier m'a échappé, mais vous avez pu tenir une discussion en profondeur avec le témoin précédent, et je peux vous éclairer un peu sur la question telle que je la vois. J'aimerais commencer avec la Loi sur le Parlement du Canada, dans sa version actuelle, parce que c'est votre point de départ.
Voici ce que dit actuellement le paragraphe 20.5(2) de la Loi sur le parlement du Canada à propos du conseiller sénatorial en éthique :
Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.
Il y a cette disposition, puis il y a aussi le paragraphe 20.6(1) :
Le conseiller et les personnes agissant en son nom ou sur son ordre n'ont pas qualité pour témoigner ni ne peuvent y être contraints en ce qui concerne les questions venues à leur connaissance dans l'exercice des pouvoirs et fonctions conférés au conseiller au titre de la présente loi.
Le paragraphe suivant, qui est complémentaire, dit ce qui suit :
Ils bénéficient de l'immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis, les rapports ou comptes rendus établis et les paroles prononcées de bonne foi dans l'exercice effectif ou censé tel des pouvoirs et fonctions conférés au conseiller au titre de la présente loi.
Dans la loi actuelle, qui constitue le point de départ, se trouvent ces deux dispositions concernant le conseiller. Vous vous demandez peut-être pourquoi, et j'ai deux réponses à vous fournir. La première est que je ne suis pas certain qu'on puisse avoir les privilèges et les immunités du Sénat entre deux législatures. Un tribunal pourrait, en interprétant cette loi, juger que le conseiller sénatorial en éthique continue, entre deux législatures, d'avoir les privilèges, les immunités et les pouvoirs qui caractérisent le Sénat, mais qu'étant donné que les sénateurs et le Sénat n'ont pas les mêmes privilèges, immunités et pouvoirs entre deux législatures, il semble y avoir une interruption de la protection. Deuxièmement, les privilèges du Parlement n'ont jamais pu être invoqués comme défense en droit criminel. Ils ne peuvent pas servir en droit criminel. Alors, il y a le paragraphe 20.6(2), qui dit que le conseiller sénatorial en éthique ne peut faire l'objet d'une procédure criminelle.
Comme le sénateur Stratton avait tout à fait raison de le souligner, le paragraphe 20.5(2) prévoit la protection fondamentale accordée aux gens qui travaillent au Sénat, y compris les privilèges, immunités et pouvoirs qui s'y rattachent. De plus, l'article 20.6 prévoit une protection additionnelle, qui s'applique entre les législatures et contre les procédures criminelles. Voilà comment je vois la loi actuelle.
La Loi sur les conflits d'intérêts, elle, n'a rien à voir avec le Parlement. Elle concerne les titulaires de charge publique qui œuvrent au sein de l'administration publique. Ils sont protégés par la disposition dont je viens de parler, et le nouveau commissaire à l'éthique bénéficierait de cette protection.
En ce qui concerne le Parlement, il n'y a que les privilèges et les immunités du Sénat. Pour une raison ou une autre, on ne retrouve pas la disposition juridique prévoyant une protection contre les procédures criminelles entre deux législatures.
Je suis certain que le gouvernement a de bonnes raisons pour justifier ce choix, mais à ce stade-ci, je dois admettre que je ne connais pas ces raisons. Je vous ai donné toutes les explications que je pouvais à propos de ce problème.
Le sénateur Cools : L'observation de M. Fournier est juste.
M. Audcent : Il a raison lorsqu'il dit qu'il y a moins de protection.
Le sénateur Cools : Il manque quelque chose.
Le sénateur Milne : Permettez-moi de donner un exemple. Supposons que mon mari et moi, qui allons fêter dans deux jours notre 50e anniversaire de mariage, décidons de divorcer entre deux législatures. Le conseiller sénatorial à l'éthique pourrait-il alors être obligé par mon mari, Ross, de lui communiquer l'information financière à mon sujet puisque cette information n'est pas protégée entre deux législatures? Il me semble que la protection nécessaire a été prévue dans le code d'éthique du Sénat justement pour protéger les sénateurs.
M. Audcent : Mon petit doigt me dit que la réponse à cette question est négative, mais je dois trouver la raison. Sénateur, plutôt que de retarder les travaux du comité, permettez-moi de vous revenir à ce sujet également. J'espère que la situation ne se produira pas dans les 48 prochaines heures.
Le sénateur Oliver : Regardez à la page 48 l'article 89.1 que l'on se propose d'intégrer à la Loi sur le Parlement du Canada, au sujet de l'utilisation des renseignements personnels.
M. Audcent : Merci, sénateur. Cette situation serait un bon cas d'application de cet article.
Le sénateur Cools : Puisque nous nous rendons compte que M. Fournier avait raison sur ce point, nous pourrions peut-être lui demander de revenir témoigner pendant quelques minutes pour développer davantage ce qu'il avait commencé à nous dire. Il n'a pas pu terminer son témoignage. En toute justice, je pense que nous devrions lui demander de poursuivre pendant quelques minutes.
Le sénateur Joyal : Monsieur Audcent, hier soir, M. Shapiro est venu témoigner, et il nous a alors parlé de la nécessité de préciser le statut des parlementaires à titre de titulaires de charge publique. Il y a un renvoi aux articles 119 et 121 du Code criminel.
M. Wilson, qui témoignait en même temps, a parlé de la décision de la Cour suprême, en juillet dernier, dans l'affaire R c. Boulanger. Un agent de police avait fait appel devant la Cour suprême relativement à son statut de titulaire de charge publique et à un conflit d'intérêts. On l'accusait d'avoir manqué à son devoir et de s'être probablement servi de sa charge pour fournir un avantage à quelqu'un. M. Wilson conclut, à la lumière de ce jugement, que la Cour suprême a précisé la définition et qu'elle considère que les parlementaires sont soumis à un code d'éthique et au Code régissant les conflits d'intérêts.
Il serait utile pour l'ensemble du comité que vous nous donniez votre interprétation de cette décision, puisque, comme vous le savez, elle a été signalée par deux témoins hier soir. Elle a des répercussions sur la question des conflits d'intérêts et de la limitation des responsabilités acceptées par les parlementaires lorsqu'ils sont élus ou nommés.
Voudriez-vous examiner cette décision et nous revenir avec une interprétation?
M. Audcent : J'aimerais bien, honorables sénateurs. Vous venez de me fournir une autre occasion de vous expliquer mes inquiétudes à propos de l'extension, par les tribunaux, du sens du mot « fonctionnaire », tel qu'employé dans le Code criminel, qui engloberait désormais les parlementaires. Cette interprétation me semble éminemment inexacte. En français, on ne peut pas dire que vous êtes des « fonctionnaires ». J'espère qu'un jour, les parlementaires choisiront de corriger cette interprétation. Je n'ai pas encore étudié les répercussions de l'arrêt Boulanger sur cette question, mais je serais enchanté de le faire.
Le sénateur Cools : Nous devrions peut-être corriger cela.
Le président : J'aimerais vous remercier d'être venus aujourd'hui, messieurs Audcent et Patrice. Comme d'habitude, vos témoignages ont été utiles, compte tenu de l'information et des explications que vous nous avez fournies.
Nous avons le plaisir d'accueillir maintenant nos prochains témoins, l'honorable Coulter Osborne, commissaire à l'intégrité de l'Ontario, ainsi que l'honorable H.A.D. Oliver, commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique.
En Ontario, la commission conseille les députés provinciaux en ce qui a trait à l'application dans leurs activités courantes de la Loi de 1994 sur l'intégrité des députés. En outre, il examine les renseignements financiers personnels divulgués chaque année par les députés conformément à la loi. Il a le pouvoir de faire enquête pour donner suite à une plainte reçue par un député provincial au sujet des activités d'un autre député. Il participe à la détermination de la rémunération des députés provinciaux et examine les frais de déplacement et d'hospitalité des ministres, des adjoints parlementaires, du chef de l'opposition et du personnel de ces élus.
M. Osborne est commissaire depuis 2001. Auparavant, il pratiquait le droit et avait été nommé juge de la Cour suprême de l'Ontario en 1978. Au cours de son mandat de juge de la Cour suprême de l'Ontario, il a été nommé en 1987 commissaire de l'enquête sur les dédommagements versés lors des accidents d'automobile en Ontario. Puis, il a été nommé juge à la Cour d'appel en 1990 et juge en chef adjoint de l'Ontario en 1999. Je souligne par ailleurs qu'il faisait partie de l'équipe canadienne de basketball aux Jeux olympiques de Melbourne, en 1956.
En Colombie-Britannique, le commissaire aux conflits d'intérêts joue trois rôles à la fois distincts et reliés. Premièrement, il agit comme conseiller des députés provinciaux, pour que ceux-ci connaissent leurs obligations et pour déterminer s'ils agissent de manière à s'acquitter correctement de ces obligations. Deuxièmement, il rencontre chaque député au moins une fois par année pour examiner les intérêts déclarés par le député ainsi que les obligations générales que prévoit la loi à l'égard de ce dernier. Enfin, le commissaire enquête sur les infractions présumées à la loi sur les conflits d'intérêts des députés ou à l'article 25 de la loi constitutionnelle.
M. Oliver a été nommé commissaire aux conflits d'intérêts en 1997. C'est un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale. Il est membre du barreau de la Colombie-Britannique et de l'Alberta. Au cours de ses années de pratique, les causes qu'il a plaidées dans des procès et devant les tribunaux d'appel lui ont permis d'acquérir une solide réputation en tant qu'avocat. Il a occupé de nombreux postes bien en vue au cours de sa longue carrière, y compris ceux de membre de l'institut agréé des arbitres, de membre du conseil national de l'Association du Barreau canadien et de gouverneur de l'association des avocats plaidants d'Amérique. Avant d'être nommé commissaire aux conflits d'intérêts, il a été juge à la cour de comté de Vancouver, puis juge à la Cour suprême de la Colombie-Britannique.
L'honorable Coulter A.A. Osborne, c.r., commissaire à l'intégrité, Bureau du Commissaire à l'intégrité de l'Ontario : Je n'avais pas prévu faire un exposé dans les formes. Je peux vous donner un aperçu des rouages de mon travail.
Le président : Ce serait très utile.
M. Osborne : Comme vous le savez, les obligations des députés provinciaux de l'Ontario sont précisées dans la Loi de 1994 sur l'intégrité des députés. Avant 1994, c'est-à-dire de 1988 à 1994, je crois, les obligations des députés en ce qui a trait aux conflits d'intérêts se présentaient sous forme de lignes directrices. J'ai toujours considéré qu'il était important que, pour que la loi fonctionne bien, elle soit élaborée par les députés eux-mêmes. Elle ne leur a pas été imposée.
Des représentants de chacun des trois partis se sont réunis et ont façonné la loi article par article sur une période d'environ 18 mois, selon ce qu'on m'a dit. À mesure que les discussions se poursuivaient et que l'on s'entendait ou que l'on ne s'entendait pas sur les articles de la loi, les représentants retournaient consulter leur caucus. Au bout du compte, on a fini par produire une loi certes imparfaite, mais qui vaut mieux que rien du tout et que l'on appelle la Loi sur l'intégrité des députés.
Étant donné que la loi a été conçue par les députés eux-mêmes, on a pu facilement éliminer les problèmes d'attitude. Les députés acceptent la loi. Ils acceptent ses légers défauts et ils semblent bien disposés à en respecter les dispositions, même si, dans certains cas, elles sont plutôt lourdes à appliquer. Par exemple, les députés sont obligés de déclarer l'actif, le revenu et le passif de leur conjoint. Après avoir fait sa déclaration confidentielle tous les ans en septembre, chaque député doit me rencontrer pour en discuter. Parfois, notre discussion dévie, et nous parlons du deuxième match de la Série mondiale ou de ce qui se passe dans la circonscription. L'obligation de rencontrer les députés a l'avantage de leur permettre de me connaître et de me permettre de les connaître. Il arrive aussi que nous nous voyions à d'autres occasions au cours de l'année.
Tout cela est pour le mieux, mais ce n'était pas mon avis au début. J'ai commencé en septembre, et comme je ne connaissais pratiquement rien à propos du fonctionnement du commissariat, l'une de mes premières tâches a été de rencontrer chaque député. Il faut s'activer pour réussir à prendre 103 rendez-vous, mais à la fin de la session, il y a cinq ans, j'étais plus content de ma relation avec les députés et j'avais apprivoisé mes nouvelles fonctions ainsi que les rouages de la loi.
En Ontario, comme vous l'avez souligné, en vertu de l'article 28 de la loi, les députés peuvent demander un avis ou des recommandations au commissaire à l'intégrité. En outre, la loi leur permet de déposer ce que l'on appelle communément une plainte au sujet de la conduite prétendument contraire à la loi d'un autre député.
La loi ne permet pas au public de porter plainte. Lorsqu'il arrive parfois qu'un simple citoyen veuille se plaindre, nous l'informons des dispositions de la loi et nous lui conseillons d'aller voir un autre député, appartenant évidemment à un autre parti politique, pour l'informer de sa plainte et voir s'il y a moyen de faire quelque chose. Je ne suis pas certain des statistiques à ce sujet, mais je ne crois pas avoir reçu beaucoup de plaintes venant du public.
Au cours de l'année, je reçois environ 500 demandes d'avis ou de recommandations de la part des députés. Ces demandes sont confidentielles, à moins que le député ne divulgue lui-même l'avis qui lui est fourni, ce qui arrive assez souvent lorsque la probité du député est mise en cause.
Le président : Peut-on être contraint de divulguer l'avis fourni?
M. Osborne : Non. Les avis sont entièrement confidentiels. La loi sur l'accès à l'information ne permet pas de les obtenir. On craignait auparavant que quelqu'un puisse contraindre un ministre à communiquer un avis lui ayant été fourni, bien que ce ne fût pas possible de me contraindre à le communiquer. Cependant, on nous a confirmé récemment qu'aucun avis ne pourrait être communiqué en réponse à une demande faite en vertu de la loi sur l'accès à l'information.
On peut dire que je relève du président de l'assemblée législative. Même si la loi ne mentionne pas le président, c'est par lui que je passe pour rendre des comptes à l'assemblée législative.
Récemment, j'ai fait le bilan des dispositions de la loi qui mériterait d'être modifiées. Il s'agit d'une liste plutôt longue, et certaines modifications seraient plus importantes que d'autres, comme on peut s'y attendre. Je me suis dit que la meilleure manière de procéder serait de demander à chacun des partis de déléguer un représentant à une réunion pour discuter des modifications, un peu comme les partis avaient au départ conçu ensemble la Loi sur l'intégrité des députés. Cette discussion est aujourd'hui terminée, et j'attends présentement qu'on me transmette les résultats de la réunion des trois partis pour savoir comment ils vont procéder aux modifications.
Par exemple, l'une des modifications que j'ai proposées concerne la définition du mot « député » dans la loi. C'est une définition importante. Elle doit être étoffée. Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles un membre du conseil exécutif n'est pas député. C'est arrivé lorsque M. Eves est devenu premier ministre de l'Ontario, sans être député. Il a fallu attendre une élection partielle pour qu'il fasse son entrée à l'assemblée législative. Pour parer à ce genre d'éventualité, des modifications doivent être apportées à la loi, et je prévois que ce sera fait cet automne, sinon au printemps prochain.
Il est important de souligner que mon commissariat est avantagé par sa petite taille. Je n'ai pas les chiffres exacts sur son budget parce que celui-ci est amalgamé au budget de l'enregistrement des lobbyistes. Toutefois, je sais que la somme consacrée au commissariat est inférieure à 1 million de dollars. Je crois qu'elle est de 700 000 $. J'ai une adjointe de direction principale qui travaille au commissariat depuis l'époque ou Greg Evans occupait le poste de commissaire. Elle y est encore et, comme je l'ai dit dans le rapport annuel, elle est aussi indispensable qu'une personne peut l'être. Il y a une femme qui vérifie les dépenses des personnes visées par la Loi sur l'examen des dépenses des ministres et des chefs d'un parti de l'opposition et l'obligation de rendre compte. Il y a aussi une autre femme qui répond au téléphone et une personne qui s'occupe à temps partiel des questions techniques et informatiques. C'est tout.
Le président : Combien d'heures par semaine travaillez-vous?
M. Oliver : Ça dépend. J'ai été engagé pour occuper un poste à temps plein, et je suis au travail tous les jours. Au besoin, je peux être joint au moyen de mon BlackBerry ou de mon téléphone. La quantité de travail à accomplir ne se répartit pas également. Je n'ai aucune prise là-dessus. Hier, par exemple, il était question du conflit d'intérêts que l'on voudrait invoquer pour interdire aux députés qui sont avocats de faire partie d'un comité examinant la réglementation sur les techniciens juridiques, qui relèvera du barreau. Sont-ils inadmissibles à siéger au sein de ce comité du fait de leur appartenance au barreau? En réalité, comme la plupart des membres du comité sont des avocats, c'est l'avenir du comité lui-même qui a été remis en question.
Les députés se disent satisfaits du fonctionnement du Bureau. Comme je l'ai déjà dit, 98 p. 100 des requêtes sont traitées dans les 24 heures. Il arrive à l'occasion qu'une demande d'avis exige une étude plus approfondie des faits mais, pour la grande majorité d'entre elles, les demandes sont traitées en 24 heures.
Les plaintes sont assez peu nombreuses. La dernière fois que j'ai pris la parole devant un comité du Sénat — certains s'en souviendront — j'ai peut-être donné une vision passablement apocalyptique du nombre de plaintes. Il s'agissait d'une période préélectorale et mon bureau recevait des plaintes chaque semaine. La situation a beaucoup changé. Le nombre de demandes d'avis a augmenté considérablement; le nombre de plaintes concernant des violations de la loi a diminué. J'en traite une en ce moment et, au cours de la présente année civile, il y en a eu une autre qui a donné lieu à une recommandation de réprimande. Cette question a été réglée par l'assemblée législative elle-même en temps opportun après le dépôt du rapport qui la concernait.
Voilà donc, très succinctement, comment fonctionnent les choses en Ontario. Je ne vous dirai pas qu'une transposition dans votre contexte est possible; je m'occupe de 103 députés seulement. Cela suffit. Je suis leur seul interlocuteur. Nous nous connaissons. Il est certainement avantageux que mon indépendance soit respectée par tous ceux qui sont concernés.
L'honorable H.A.D. Oliver, c.r., commissaire aux conflits d'intérêts, Bureau du commissaire aux conflits d'intérêts de la Colombie-Britannique : Vous m'excuserez tout d'abord de ne pas avoir déposé un savant traité. J'ai reçu votre invitation de comparaître alors que j'étais à Saint-Pétersbourg récemment et j'étais trop occupé à l'Hermitage pour porter attention à votre invitation.
Cependant, me voici de retour, plein d'ardeur et plus frais et dispos que jamais. Je ne puis que vous offrir le fruit de 10 années passées à ce travail. Auparavant, j'avais eu une certaine expérience du domaine à titre de président du comité de discipline des conseillers de notre barreau et comme membre de longue date du Conseil de la magistrature provinciale, où nous traitions d'allégations de comportements contestables de la part de membres du corps judiciaire de la province. Je m'empresse d'ajouter que de tels cas étaient très peu fréquents.
Que faisons-nous donc au juste en Colombie-Britannique? Les députés me remettent des documents déclaratoires confidentiels à leur sujet et au sujet de leur épouse et leurs enfants vivant à domicile. Il s'agit d'un document d'une quarantaine de pages, de couleurs diverses pour éviter la confusion, qui subsiste néanmoins. Les divulgations qu'effectuent les députés au sujet d'eux-mêmes et de leur famille et aussi concernant toute société privée ou toute société sur laquelle ils exercent un contrôle quelconque se font en toute confidentialité.
Je tiens par la suite au moins une fois par année une entrevue avec chacun d'entre eux ainsi qu'avec leur conjointe, si possible. Il y a peu de temps, un député nouvellement élu dans une élection complémentaire m'a rencontré à domicile puisque la chose était pratique. J'habite Vancouver et il était député d'une circonscription de Vancouver. Je lui ai dit que je souhaitais rencontrer sa conjointe. Elle travaillait à proximité et elle s'est présentée passablement indignée d'être soumise à une entrevue. « Ce n'est pas moi le député, » m'a-t-elle dit. Je lui ai répondu que je l'avais convoquée pour deux raisons : tout d'abord parce que la loi l'exigeait et, deuxièmement, pour qu'elle m'aide à déterminer si elle constituait un élément d'actif ou de passif au dossier. Nous sommes bons amis depuis ce moment-là. Et, en quoi consiste mon travail à part cela?
Les députés me transmettent des demandes d'avis officiels. Elles doivent être présentées par écrit et il en résulte un avis officiel. Dans neuf cas sur dix, je rédige moi-même ces avis. S'il s'agit d'une question d'une grande complexité ou si je suis débordé et donc incapable de traiter la question dans le délai raisonnable, je retiens les services de conseillers juridiques externes qui, à un coût énorme, arrivent à produire des avis passablement moins valables que ceux que j'aurais moi-même formulés.
Je dispose de ressources très restreintes. Mon personnel totalise 1,6 ETP, à savoir deux dames qui se partagent un poste d'adjointe administrative et une autre qui agit comme agent de recherche, trois jours par semaine. En théorie, je travaille à mi-temps. Ma semaine de travail peut totaliser entre 20 heures et 80 heures; cela varie énormément. Je suis toujours disponible.
Le président : Pour l'examen des états financiers, disposez-vous d'une personne ayant des compétences en finance ou en comptabilité?
M. Oliver : Non. Mon agent de recherche a certaines compétences en finance. Pour les cas complexes, je fais intervenir un comptable agréé à titre d'expert-conseil. Cependant, la plupart des gens qui se lancent en politique en Colombie-Britannique ne sont pas très fortunés; bien que je sois une exception à la règle.
Le sénateur Campbell : Je vous remercie, Votre Seigneurie.
M. Osborne : Nous nous tirons d'affaires. Après l'entrevue, nous rédigeons un document déclaratoire public de trois pages environ. Il s'agit en quelque sorte d'une version expurgée du document déclaratoire confidentiel, dont je soustrais les éléments qui ne me semblent pas pertinents pour le public et auquel j'ajoute des éléments qu'un député aurait pu oublier de divulguer par inadvertance avant notre entrevue.
Durant l'entrevue, en effet, il se peut que je pose au député une question qui laisse entendre que sa divulgation n'est pas nécessairement ma seule source d'information. Cela a parfois pour effet d'aiguillonner la mémoire du député. Il résulte de ce processus un document déclaratoire public que l'on peut consulter au bureau du greffier et dont des exemplaires sont disponibles à prix raisonnable.
Il a été question d'avis officiels. Les députés peuvent également demander un avis concernant la conduite de tout autre député. De tels avis donnent lieu à un rapport au Président et il s'agit d'un document public. L'avis officiel destiné au député lui-même n'est pas un document public sauf si le député souhaite qu'il le soit. Je formule également sur demande des avis au Cabinet ou la Chambre, où sur demande spéciale du lieutenant-gouverneur.
Le public peut m'adresser directement ses plaintes. Il n'existe chez nous aucun mécanisme de triage selon lequel des députés pourraient déterminer si une plainte, pouvant concerner un député de leur propre parti, est d'une importance suffisante pour que le commissaire aux conflits d'intérêts en soit saisi. Nous les libérons de cette responsabilité en faisant en sorte que les gens puissent s'adresser à moi directement. Il en résulte un arrivage assez constant de plaintes. Bon nombre d'entre elles sont fondées, de toute évidence, sur l'incapacité du plaignant de comprendre la nature du texte législatif dont la plainte est censée relever. Par exemple, quelqu'un peut se plaindre du fait que son neveu s'est vu refuser la permanence comme enseignant à tel ou tel collège, cette dernière ayant plutôt été attribuée à telle autre personne, le cousin du doyen. On me demande de faire enquête à ce sujet. Cela étant dit, je me rends disponible à tous les plaignants. Tous les citoyens qui m'écrivent, me téléphonent ou viennent me rencontrer ont droit à un entretien. Il arrive beaucoup trop souvent, selon moi, que les gens sont ignorés par les détenteurs de charge publique. Pour ma part, je ne souhaite pas que la fonction que j'occupe vienne ajouter à ce problème. Je souhaite plutôt faire partie de la solution, et je rencontre donc tous ces gens, même si leur plainte peut sembler farfelue au départ.
Dans certains cas, je leur explique pourquoi leur plainte n'est pas fondée; dans d'autres, je les renvoie à l'ombudsman, au vérificateur général, à l'aide juridique ou à un autre service. Je constate que tous ceux qui m'approchent repartent passablement satisfaits.
Je mène des enquêtes et je fais des recherches mais cela arrive assez rarement étant donné que je passe le plus clair de mon temps dans des entretiens confidentiels avec les députés au cours desquels je leur fournis des conseils de façon tout à fait officieuse et confidentielle. Il convient de distinguer de tels conseils des avis officiels que je rédige à leur intention.
Il arrive qu'un député me demande un avis officiel. Je l'invite alors à me rencontrer et nous passons une demi-heure ensemble. À la fin de l'entretien, je lui demande s'il souhaite toujours avoir un avis officiel. Il me répond par la négative. Je me demande bien pourquoi. Au cours de ces entretiens, en règle générale, je ne réponds pas aux gens par un « oui » ou par un « non ». Dans la grande majorité des cas, je m'efforce de proposer une nouvelle approche au problème. Après avoir dit à mon interlocuteur que je comprends bien la situation qu'il m'expose, je l'invite, par exemple, à envisager la question comme s'il était journaliste d'enquête pour The Province, ou comme s'il siégeait de l'autre côté de la Chambre, et je lui demande alors si, par rapport à cette question, une telle question survenait, il resterait silencieux ou interviendrait à la période des questions, tout en n'oubliant pas qu'il s'agit bien d'une période de questions et non pas d'une période de réponses.
J'ai pu constater que c'était dans le rôle de conseiller à de confident que je m'acquittais le plus efficacement de ma tâche. Une telle approche est devenue la norme chez nous de sorte que plus grand est le nombre d'entretiens confidentiels, plus petit est le nombre des plaintes.
Que pourrais-je ajouter encore? J'ai informé quelques députés de ma comparution ici. Ils semblaient avoir l'impression que j'avais participé à la rédaction du rapport Oliver-Milliken. Je me suis empressé de leur dire le contraire en soulignant que les auteurs de ce rapport étaient d'une envergure supérieure à la mienne.
Il a été largement question de codes de conduite. Pour ma part, je n'y crois guère. J'appuie l'idée d'une expérience judiciaire comme qualification au poste, sans que ce ne soit nécessairement pour autant inscrit dans une loi comme exigence, étant donné qu'elle est souhaitable sur le simple plan du sens commun.
Le président : Que doit-on entendre par « qualification »?
M. Oliver : Permettez-moi de vous dire tout d'abord que le préfixe « quasi » ne signifie rien à mon sens, sinon ce que la personne qui l'utilise veut bien laisser entendre. Pour moi, l'important est d'avoir siégé à toute instance d'un tribunal. Il pourrait s'agir d'un tribunal provincial, ou même de la Cour fédérale.
Le sénateur Oliver : En quoi cela enrichit-il le travail que vous faites, l'un et l'autre?
M. Oliver : Cela procure la capacité de penser comme un juge, par opposition au fait de penser comme un avocat. Certains d'entre vous se souviendront peut-être du professeur Kingsfield, de la série télévisée, qui s'efforçait d'expliquer la différence entre ces deux façons de penser. Penser comme un juge, selon moi, c'est être capable de faire abstraction de certaines allégations de fait que j'ai jugées inadmissibles pour diverses raisons. J'estime qu'une personne sans expérience comme juge pourrait avoir certaines difficultés à exécuter cette gymnastique mentale que nous avons tous appris à maîtriser.
Je ne crois pas non plus qu'une telle nomination doit être envisagée comme une étape de carrière. Et je le dis dans l'optique de cette indépendance si essentielle à l'efficacité d'un commissaire aux conflits d'intérêts. Le titulaire du poste ne doit pas être en mesure d'envisager que, s'il fait bien son travail, il pourra s'attendre à exercer de hautes fonctions dans l'appareil judiciaire ou même à être nommé au Sénat. J'estime de toute manière que ceux qui sont nommés juges sont des gens trop vieux pour aspirer au Sénat. Il devrait s'agir du point culminant d'une carrière. Aucune largesse possible du gouvernement en exercice ne devrait pouvoir influencer, même subconsciemment, le titulaire de cette charge. Cet aspect me tient à cœur.
Pour ce qui est de la distinction que je fais entre l'optique du juge et de celle de l'avocat, je dois dire que l'une des choses qui m'horripile dans la vie est de rencontrer des gens, pas nécessairement des avocats, mais souvent des gens qui ont une formation juridique qui, dès le dépôt d'une plainte, s'efforcent de m'expliquer pourquoi, sur le plan technique, elle ne relève pas du tout du texte législatif.
J'ai passé pratiquement un demi-siècle à tenter de faire la part des choses entre ce qui est légal et ce qui est illégal et je suis tout à fait ravi d'être pour une fois dans la situation où je puis décider de ce qui est bien et de ce qui est mal. Voilà où je tire la ligne entre le fait de penser comme un juge et celui de penser comme un avocat.
Vous avez tenu des discussions et vous avez accueilli des témoignages en vue de déterminer s'il devait y avoir un responsable des conflits d'intérêts pour le Sénat ou si le même fonctionnaire pouvait englober les deux chambres, ce qui correspondrait, d'après mes calculs, à environ 3 670 détenteurs de charges publiques. Mon prédécesseur, Ted Hughes, que bon nombre d'entre vous connaissent a proposé à trois reprises dans son rapport annuel à la Chambre, à Victoria, qu'on envisage d'intégrer à la responsabilité du commissaire les sous-ministres, les hauts fonctionnaires, les présidents de sociétés d'État et les agents publics élus. La Chambre a décidé de ne pas donner suite à cette proposition. Au moment d'accepter le poste, j'ai été averti que la Chambre risquait de changer d'avis. « Advienne que pourra », me suis-je dit, mais cela ne s'est pas produit. Depuis ce moment-là, j'ai vu défiler régulièrement dans mon bureau des sous-ministres, des dirigeants de sociétés d'État, des chefs de police, et des maires de villes autres que Vancouver, qui souhaitaient avoir avec moi un entretien officieux. Lorsque le temps me l'autorise, je les reçois en leur précisant que je ne suis pas en mesure de leur donner des conseils, mais plutôt de les inviter à voir leur problème sous un autre angle. Nous pouvons envisager la chose ensemble mais c'est à eux de décider quoi faire par la suite. Je les avertis de ne surtout pas dire que c'est H.A.D. Oliver qui leur a conseillé d'agir de telle ou telle manière.
La seule exception à la règle, je l'ai faite dans le cas d'un chef de police qui, à la suite d'une divulgation publique de la part d'un maire ou d'un candidat au sujet de la possibilité d'un acte criminel, souhaitait savoir ce qu'il pouvait faire, compte tenu du fait qu'il avait de très bonnes chances de devenir le président de sa commission de police. Après lui avoir dit qu'il serait vraisemblablement en conflit d'intérêts, je lui ai recommandé de confier toute la question à la GRC. C'est ce qui s'est d'ailleurs passé. Je ne sais pas si cette décision a eu l'heur de plaire mais, à tout événement, je ne suis pas du genre à prendre des décisions pour plaire à la galerie.
Je me demande si je voudrais m'occuper de quelque milliers de personnes. Je suis convaincu que je ne pourrais leur accorder la même attention qu'il m'est possible de le faire dans mon travail actuel. Mon collègue distingué, l'ancien commissaire à l'éthique de l'Alberta, a déclaré très justement que ce genre de travail est celui d'un prêtre à 90 p. 100 et d'un agent de police à 10 p. 100. Voilà qui est exact, selon moi. À l'heure actuelle, semble-t-il, on cherche plutôt à savoir s'il faut parler d'un prêtre ou d'un archevêque. J'estime que nos maîtres politiques tombent dans deux catégories à cet égard : les Presbytériens et les Épiscopaliens.
Je ne vois pas comment on peut arriver à faire ce travail de façon efficace en s'occupant de milliers de personnes de plus. Je comprends bien les arguments voulant que le régime d'éthique soit chapeauté par une direction d'ensemble. Je serais très réticent à occuper un tel poste si j'étais tenu de donner des conseils aux parlementaires de cette Chambre ou à ceux de l'autre endroit. C'est avec une grande réticence que j'accepterais d'entreprendre une fonction à tel point différente de celle que j'estime exercer avec efficacité pour la Colombie-Britannique.
Merci, monsieur le président.
Le président : Monsieur Osborne et monsieur Oliver, vous vous êtes tous deux distingués dans vos carrières respectives comme avocats et comme juges. Monsieur Osborne, quels sont selon vous les qualifications nécessaires et dans quelles mesures votre expérience comme avocat et comme juge vous a-t-elle été utile dans votre carrière? Estimez-vous que des antécédents dans le domaine judiciaire sont nécessaires pour le travail que vous faites, l'un et l'autre?
M. Osborne : Je crois que mon expérience comme avocat et comme juge a été utile. La courbe d'apprentissage est moins raide. J'en suis à peu près certain. Cependant, pour ce qui est de la question des qualifications, j'ai certaines réserves. Tout d'abord, la question qui me vient à l'esprit est de savoir si ces qualifications, dont il est question dans le projet de loi à l'étude, doivent être inscrites dans un texte de loi. Également, nous devons nous demander si ces qualifications sont les bonnes. Si, dans un cas ou dans l'autre, on répond par la négative, alors l'énoncé des qualifications ne devrait pas y figurer.
À mon avis, même si un juge ou un avocat à la retraite risque de s'y retrouver plus facilement au départ, il me semble disproportionné de laisser entendre que personne d'autre n'est qualifié. C'est un aspect qui m'inquiète. Un bon exemple me vient à l'esprit. C'est celui dont a parlé M. Oliver, celui du commissaire aux conflits d'intérêt de l'Alberta, aujourd'hui retraité. Il était très respecté par ses pairs, ses collègues — dont je suis — et par les députés de l'Assemblée législative de l'Alberta. Il était lui-même un ancien député de l'Assemblée législative. Or, il n'était ni avocat, ni juge à la retraite et il me semble que personne ne pourrait dire, en toute équité, qu'il ne s'est pas bien acquitté de ses responsabilités d'une façon juste et compétente au cours de la longue période durant laquelle il a été commissaire en Alberta. J'hésite à inscrire de telles exigences dans un texte législatif. Il se peut fort bien que l'expérience du domaine judiciaire, ou quasi-judiciaire — une nuance dont je ne saisis d'ailleurs pas le sens — soit considérée comme un atout intéressant au moment de choisir un commissaire. Cependant, les termes employés dans le texte de loi m'incitent à certaines réserves.
Le président : Merci beaucoup. Cette réponse est très appréciée.
Le sénateur Baker : Tout d'abord, nous sommes privilégiés que vous comparaissiez tous les deux devant le comité. Vous êtes des juristes réputés dont la carrière est remarquable et ont peux facilement prendre connaissance des affaires dont vous avez traitées en consultant Quicklaw.
Je suis d'accord avec M. Oliver au sujet du terme « quasi judiciaire ». Le premier ministre a utilisé le mot « judiciaire » au moment d'annoncer l'initiative. Ensuite, on a utilisé le terme « quasi judiciaire ». Bon nombre d'entre nous ont alors réfléchi au fait que les ministres du cabinet ont une fonction quasi judiciaire, selon ce qui a été défini dans la loi. Cela voudrait dire qu'un ministre serait admissible selon la définition de ce qui est quasi judiciaire. Il s'agit certainement d'un aspect que le premier ministre n'avait pas l'intention d'introduire dans la mesure législative. Je crois que M. Oliver a raison de dire qu'il faut être capable de gymnastique mentale. L'image est très appropriée.
Monsieur Osborne, vous avez parlé d'un changement définitionnel qui s'impose, d'après vous, dans le texte de loi qui vous régit, et cela a trait à la définition de « député ». Je me demande si c'est parce qu'un député de votre assemblée législative pourrait loger une plainte à l'endroit d'un autre député de l'assemblée et que, par la suite, cette plainte ou, si j'ai bien compris, un document la concernant, serait déposé devant l'assemblée. Cependant, une plainte provenant du conseil exécutif vous serait acheminée directement, ferait l'objet d'une enquête de votre part et d'une réponse qui serait donnée au conseil exécutif sans que l'assemblée n'en soit informée. Lorsque j'ai lu la loi qui vous concerne, c'est l'aspect de la définition du « député » qui m'a sauté aux yeux. Or, il n'y a justement pas de définition, me semble-t-il. Est-ce de cela que vous vouliez parler?
M. Osborne : Sénateur, la Loi sur l'intégrité des députés contient une disposition qui permet que le conseil exécutif soit à l'origine d'une plainte. Cela ne s'est jamais passé. Par la liste de modifications que j'ai proposées, je souhaitais notamment faire préciser si une telle plainte serait confidentielle, soit au départ, soit pour ce qui est du rapport donnant suite à la plainte.
L'intérêt pour la définition du « député » a été suscité en réalité du fait que M. Eaves, alors premier ministre de l'Ontario, n'était pas député, et cela m'a semblé être un cas à valeur exemplaire. Il y avait également lieu de s'interroger sur le cheminement d'une plainte logée contre un « député » qui démissionne ou d'une plainte à l'encontre d'un député qui serait défait aux prochaines élections, deux situations qui se sont produites. J'ai donc demandé aux députés de se pencher sur ce genre de questions.
Le sénateur Baker : Vos deux textes législatifs, que ce soit celui de la Colombie-Britannique ou de l'Ontario, contiennent la même disposition concernant une demande émanant du conseil exécutif. La demande vous est acheminée et par la suite elle retourne, si j'ai bien compris, au secrétaire, à savoir le greffier du conseil exécutif. Cette disposition ne figure pas dans notre mesure législative. Autrement dit, si, durant une séance, le Cabinet aboutit à la conclusion que le commissaire devrait faire enquête au sujet de l'un de ses membres, la question est renvoyée au commissaire. Elle n'est pas rendue publique. Elle n'est pas présentée à l'assemblée législative. Elle revient au greffier du conseil exécutif. Je ne vois pas, dans les lois qui vous concernent, ce qui advient par la suite. Quelle disposition fait en sorte que vous soyez tenu de faire rapport à ce sujet? Votre loi ne vous impose pas de publier un rapport concernant ces demandes et leur contenu.
Serait-il valable, selon vous, d'ajouter une telle disposition à la loi que nous étudions et pourquoi serait-ce le cas, ou bien un tel ajout serait-il à proscrire?
M. Osborne : Qu'il s'agisse d'une plainte ou d'une demande d'avis de la part du conseil exécutif, les deux types de demandes étant, selon moi, équivalents aux fins de l'analyse, je crois que le fait de donner au conseil exécutif l'occasion de poser certaines questions en vue d'obtenir des réponses peut être utile, mais je m'empresse d'ajouter, une fois de plus, que l'on ne s'est jamais prévalu de cette possibilité. La chose ne s'est jamais produite, en Ontario tout au moins. Pour les cas où le conseil exécutif souhaiterait se plaindre de la conduite d'un député, je crois qu'il faut apporter des précisions à la loi de l'Ontario. Je suis d'accord avec votre commentaire au sujet du cheminement de la demande. Dois-je faire enquête? Quels seraient les pouvoirs que j'exercerais à cet égard et, ce qui importe le plus, qu'advient-il du rapport qui résulte de la plainte? La loi n'apporte pas de réponses claires à ces questions.
Le sénateur Baker : Avant que M. Oliver ne réponde à la même question, nous pouvons constater que la loi de la Colombie-Britannique diffère à un égard de celle de l'Ontario et du projet de loi C-2 pour ce qui est de votre enquête. Dans le cas de cette dernière mesure et de la loi de l'Ontario, il est précisé que s'il survient une situation que vous soupçonnez, pour des motifs raisonnables, de violer une loi du Parlement, alors le dossier, dans le cas de l'Ontario, serait remis entre les mains de la police. Il y est tout d'abord question de « l'autorité compétente », et puis, au prochain paragraphe, on peut lire : « lorsque l'enquête policière a lieu ».
Dans notre projet de loi, il est tout simplement question de « l'autorité compétente » mais, plus loin, on la définit comme étant le nouveau directeur des poursuites pénales et c'est le Parlement qui détermine qui occupera cette charge. Je suppose que le dossier n'est pas transmis à la police.
Pourquoi cette disposition fait-elle défaut dans le texte de loi de la Colombie-Britannique? Est-ce parce que, comme vous l'avez déjà dit, en Colombie-Britannique, vous n'avez pas à traiter de cas où des députés participent à des activités criminelles?
M. Oliver : J'allais justement le dire. Il faut garder à l'esprit que, en Colombie-Britannique, il y avait des directives ministérielles mais il n'existait aucune loi. Et puis M. Vanderzalm, dont vous vous souvenez peut-être, s'est mis un soir dans une malheureuse situation en ayant en sa possession dans un stationnement une grande quantité de petites coupures qu'il transportait dans un sac de papier brun.
Ted Hughes, mon distingué prédécesseur, a été nommé à la présidence d'une commission d'enquête. Je crois qu'il lui a fallu deux jours environ pour en arriver à la conclusion qu'une loi était nécessaire. Il n'a fallu que quelques brèves semaines pour la rédiger et elle continue d'être en vigueur.
Je comprends qu'on pourrait aboutir à une mesure législative plus rigoureuse après 32 ans d'expérience et je dois m'excuser au nom de la Colombie-Britannique si une loi adoptée à la hâte n'est pas à la hauteur de vos critères.
Le sénateur Campbell : Il est avocat.
Le sénateur Baker : Aux termes de la loi à l'étude, la question sera renvoyée au Bureau du directeur des poursuites pénales, lequel aura été choisi par un comité du Parlement. Le Bureau sera composé de procureurs de la Couronne qui, à l'heure actuelle, intentent des poursuites concernant des lois fédérales comme la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dont M. Oliver a vraisemblablement une très bonne connaissance. Et loin de moi l'idée de vouloir insinuer quoi que ce soit par là. Excusez-moi, monsieur le président. Selon sa longue feuille de route qui remonte aux années 80, M. Oliver a la réputation d'avoir élaboré des stratégies de défense très efficaces dont on s'inspire aujourd'hui, concernant cette loi. M. Osborne a fait appel à certaines de ces moyens de défense au moment où il siégeait à la Cour d'appel de l'Ontario.
J'aimerais maintenant avoir vos deux opinions. Je sais que vous n'êtes peut-être pas préparés à répondre et que vous ne vous attendiez pas nécessairement à devoir le faire, mais la loi à l'étude comporte un changement de grande importance. On y prévoit qu'un commissaire renverra la question au directeur des poursuites pénales. Si ce dernier détermine qu'il convient de porter une accusation, une telle accusation sera portée. Autrement dit, le directeur des poursuites pénales, selon la loi, aura le pouvoir d'engager aussi bien que de mener des poursuites. Que pensez-vous du terme « engager » pour ce qui est d'un pouvoir que confère la mesure à l'étude au directeur des poursuites pénales?
M. Oliver : J'ai tenté durant un demi-siècle de persuader l'un après l'autre les procureurs généraux qui ont été en fonction en Colombie-Britannique de créer un bureau des poursuites pénales pour la province mais, semble-t-il, je prêchais dans le désert. Je dois dire que je comprends difficilement l'urgence soudaine de doter le palier fédéral d'un directeur des poursuites pénales, dont la juridiction, après tout, se limitera à ce que je continue d'appeler la Loi sur les stupéfiants et la Loi de l'impôt sur le revenu. La chose est peut-être nécessaire, ou elle ne l'est peut-être pas. Sur le plan provincial, j'ai toujours estimé qu'il était très nécessaire de dépolitiser le système. Pour ce qui est de la sagesse de cette initiative dans l'optique de la législation visant les conflits d'intérêts, je laisse le soin d'en traiter à mon collègue dont l'érudition surpasse nettement que la mienne.
M. Osborne : Les termes employés dans la Loi sur l'intégrité des députés de l'Ontario sont plutôt faibles. Selon l'exigence critique qui en ressort, je dois plutôt mener une enquête qu'en amorcer une. Si je détermine, en étudiant plus à fond une question, qu'il y a peut-être eu comportement criminel, il est prévu dans la loi que je suis tenu d'en faire rapport aux responsables intéressés, quels qu'ils soient.
Le sénateur Baker : Oui, mais au prochain article, il est question d'« enquête policière ».
M. Osborne : Vous avez tout à fait raison. Voici ce qui suit :
[...] le commissaire [...] renvoie immédiatement l'affaire aux responsables intéressés et suspend son enquête jusqu'à ce que l'enquête policière [...] ait fait l'objet d'une décision définitive. Il fait également rapport de la suspension au président.
Je crois qu'il s'agit peut-être du seul passage de la loi où il est question du président.
Le sénateur Baker : Il n'y a aucune autre façon pour vous de faire parvenir l'information à l'assemblée, sinon par le truchement du président.
J'ai bien compris que vous nous dites que le président ne figure pas dans votre loi. Cependant, votre loi prévoit que l'affaire doit être présentée à l'assemblée. Je suppose qu'il n'y a pas d'autre manière de le faire que par le truchement du président.
M. Osborne : C'est exact.
M. Oliver : Dans la même veine, une question du genre s'est posée au cours de l'une des rares enquêtes d'envergure que j'ai eu à mener, alors que la GRC avait lancé une enquête parallèle. Aucune disposition de notre loi ne prévoit la suspension de l'enquête du commissaire. Ayant en tête la procédure criminelle, à savoir l'enquête préliminaire, le procès, certaines tentatives d'y mettre un terme, l'appel, un nouveau procès, j'ai adopté la position selon laquelle il peut se passer des années avant qu'une telle question ne fasse l'objet d'une décision devant les tribunaux criminels.
Les gens d'une province ou du Canada doivent-ils être obligés d'attendre durant des années en étant gouvernés par un criminel éventuel pendant que l'affaire suit lentement son cours comme c'est l'habitude dans notre système de justice pénale? Voilà un problème que j'ai constaté dans toutes les juridictions qui exigent la suspension de l'enquête du commissaire en cas d'enquête criminelle.
Sans avoir de solution précise à proposer, j'estime qu'il ne convient pas d'adopter comme règle que l'enquête du commissaire soit suspendue complètement dans de telles circonstances. Je vois certaines situations où, dans l'optique de l'intérêt public, l'enquête du commissaire a plus d'importance que la culpabilité ou l'innocence d'un législateur.
Le sénateur Baker : Il est certain qu'il ne devrait pas y avoir d'enquête parallèle ou une enquête policière simultanée. Votre province est la seule, à ma connaissance, où la loi ne comporte pas cette exigence. Elle existe dans la vôtre, l'Ontario, monsieur Osborne.
M. Oliver : Elle existe dans la plupart des provinces.
Le sénateur Baker : En effet. Cependant, vous préconisez le contraire.
Selon le projet de loi à l'étude, le commissaire a cinq ans pour engager des procédures après avoir été mis au courant des faits. La disposition est-elle opportune selon vous? Votre loi vous accorde-t-elle cinq ans pour envisager d'amorcer ou non une enquête?
M. Oliver : Je n'ai aucun délai du tout. Par contre, le fait de tergiverser indéfiniment ne rend service à personne. On doit donc agir en conséquence. Je dis tout simplement qu'il ne devrait y avoir aucune règle inflexible.
Le sénateur Baker : M. Osborne pourrait-il commenter l'exigence de la loi à l'étude selon laquelle des procédures peuvent être engagées cinq ans après la date où le commissaire a eu connaissance des faits? Je ne critique pas le libellé, qui est d'ailleurs celui de la Loi sur l'environnement et de la Loi sur les pêches. Cependant, dans ces lois, le délai est de 18 mois ou de deux ans. Dans le cas qui nous occupe, on prévoit que le commissaire peut amorcer une enquête cinq ans après avoir été mis au courant d'une plainte. En tout état de cause, il ne peut s'agir de plus de dix ans après l'événement.
Qu'en pensez-vous, compte tenu du fait que l'objet de votre enquête serait comparable à une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité aux termes du Code criminel, à laquelle s'applique une limitation de six mois?
M. Osborne : Je n'étais pas au courant de cette période de quasi-limitation. Il me serait nécessaire de comprendre le contexte. Je ne sais pas quel serait l'objet de telles exigences.
Cela revient à la question à savoir si le commissaire devrait avoir le pouvoir de déposer une plainte. Je n'ai pas un tel pouvoir. Je réagis à la plainte. Cet aspect débouche sur toute une série d'interrogations concernant le fait que la même personne soit l'enquêteur, le poursuivant, et l'arbitre des faits. C'est là une autre question.
Je n'ai jamais tenté d'avoir la compétence de déposer une plainte. Mon opinion diffère légèrement de celle de mon collègue, même si la chose est rare, pour ce qui est des enquêtes policières. Selon l'article 32 de notre loi, si je constate qu'il y a enquête policière, je dois suspendre mon enquête. Je suis d'accord sur cet aspect et j'ai même proposé qu'il faudrait élargir la portée de cet article et non pas le limiter à la police. J'ai pris comme exemple le cas d'une enquête en cours de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, ou de celle de toute agence ou commission frontalière ayant compétence dans un domaine donné. Il me semblerait fort inopportun de patauger dans les mêmes plates-bandes.
Le sénateur Baker : Du fait que les témoignages que vous recevez sont des témoignages forcés qui ne peuvent servir dans des procédures ultérieures.
M. Osborne : C'est exact. Si je rédige des rapports concernant la conduite d'un député qui pourraient avoir des implications d'ordre criminel ou autre, ayant trait par exemple à la Loi sur les valeurs mobilières, alors le droit à un procès équitable est en cause.
Le sénateur Baker : Vous ne nous avez pas dit si vous estimez qu'il convient, selon ce que prévoit le projet de loi à l'étude, que le commissaire ait cinq ans pour engager une procédure.
M. Osborne : Un délai de cet ordre me laisse perplexe, mais il doit bien y avoir une raison que j'ignore.
M. Oliver : Je crois pouvoir deviner la raison. Supposons qu'une situation ayant des répercussions politiques où le gouvernement en exercice actuel ne collabore pas à l'enquête. Dans cinq ans, le gouvernement ne sera vraisemblablement le même. Serait-ce là une raison possible? Je l'ignore. Lorsque je parle du gouvernement en exercice, je ne vise aucun gouvernement en particulier. Je vais m'en tenir à cela. Je ne vote pas du tout aux élections.
Le président : Je vous remercie beaucoup de ces propos.
M. Osborne : Voilà l'une des raisons pour lesquelles on a discuté de la modification de la loi. Certains députés se sont inquiétés de la possibilité pour le conseil exécutif de lancer une enquête. On craignait que, après des élections, le conseil exécutif puisse lancer une enquête concernant la conduite du Cabinet d'un gouvernement précédent. On pourra en savoir davantage à ce sujet à mesure que l'on discute des questions pertinentes.
Le sénateur Campbell : Nos interlocuteurs sont des personnes d'envergure. Je suis convaincu que M. Oliver a effectivement voté pour moi comme maire de Vancouver. Permettez-moi de dire en toute franchise que, si vous vous pensez vieux, j'ai pour ma part obtenu deux brefs d'élection et d'assistance aux termes de la Loi sur les aliments et drogues et de la Loi sur les stupéfiants. Je connais M. Oliver depuis 35 ans. Je me souviens même de notre première rencontre. Lorsque j'ai eu à croiser le fer avec M. Oliver, il m'est souvent arrivé de ne pas gagner ma cause.
La Colombie-Britannique est plus avancée que toute autre province du Canada. J'ai pu constater l'étonnement de certains lorsqu'il a été question de ce document de 40 pages que doivent remplir les personnes qui ont des comptes à rendre à M. Oliver. Voilà qui, selon moi, reflète l'une des caractéristiques de la Colombie-Britannique. Nous favorisons dès le départ la franchise et la droiture, ce qui donne de bons résultats par la suite. C'est l'une des raisons pour lesquelles M. Oliver, comme il l'a dit, dispose d'une grande quantité d'informations diverses sur chaque personne. À cause du respect dont il jouit, les intéressés lui confient ces renseignements. Et nous, au Sénat, combien de pages remplissons-nous? Trois peut-être. Quelle information fournissons-nous au juste? Dans le cas de la Colombie-Britannique, le document est fort complet.
De quel budget disposez-vous, monsieur Oliver?
M. Oliver : Je pense qu'il s'élève à environ 350 000 $. Tous les ans, je m'efforce de fonctionner avec environ 40 000 $ ou 50 000 $ de moins que ce que prévoit le budget parce que je pense que cela donne un bon exemple aux autres dans la fonction publique. Au moment de ma comparution l'an dernier devant notre comité responsable des budgets, j'ai été le seul à ne pas demander d'augmentation. J'ai dit que je songeais à demander une réduction de notre budget, ce qui m'a valu un certain nombre d'appels de personnes furieuses.
Nous fonctionnons vraiment avec un très petit budget et nos bureaux sont situés dans les anciennes écuries de la garde du lieutenant-gouverneur, derrière l'assemblée législative. C'est un endroit modeste, comme le sont habituellement les écuries.
Le sénateur Campbell : Il n'y manque toutefois pas de bon whiskey.
M. Oliver : C'est vrai.
Nous fonctionnons avec très peu d'argent, et c'est une bonne chose à mon avis. Je ne suis pas un fonctionnaire au sens où on l'entend habituellement. Je suis un contribuable depuis bien plus longtemps que je ne suis commissaire aux conflits d'intérêts, et je ne peux en faire abstraction.
Le sénateur Campbell : Un coroner en chef serait-il considéré comme un officier de justice? N'allez pas croire que je veux poser ma candidature pour cet emploi.
M. Oliver : Il y a bien des joueurs issus du milieu judiciaire. Cependant, je ne pense pas que cela soit intentionnel. Je ne sais pas ce qu'on entend par « quasi judiciaire ». Cette expression peut avoir le sens que veut bien lui donner la personne qui l'emploie. Je pense qu'un coroner serait au moins aussi compétent que tout autre officier quasi judiciaire.
Le sénateur Milne : Monsieur Osborne, quel plaisir de vous revoir. J'ai relu votre témoignage devant le comité du Règlement en juin 2003. Vous avez souligné que le système de l'Ontario repose entièrement sur un cadre législatif. C'est un système fondé sur des règles plutôt que sur des valeurs.
M. Osborne : Oui. Il repose sur un cadre législatif et, dans une certaine mesure, c'est un système fondé sur des règles. La loi interdit certaines choses. Comme je l'ai expliqué en juin 2003, et cela en a étonné certains, il y a dans la loi ontarienne une disposition très importante sur la convention parlementaire. Si quelqu'un enfreint les dispositions de la loi ou la convention parlementaire, il est dans le pétrin. Il s'ensuit un système davantage fondé sur les valeurs qu'un système de type américain purement fondé sur des règles.
Le sénateur Milne : Monsieur Oliver, vous pourriez peut-être m'en dire un peu plus sur le système en place en Colombie-Britannique. J'imagine qu'il repose aussi sur un cadre législatif, bien qu'il semble aller au-delà de cela.
M. Oliver : La seule chose qui est interdite, c'est d'agir si l'on est en conflit d'intérêts ou s'il y a apparence de conflit d'intérêts, ce qui est clairement défini. Il faut que le conflit d'intérêts soit apparent pour une personne raisonnable et bien informée. Autrement dit, il est inutile de faire valoir qu'on a lu dans tel journal telle ou telle chose. Ce n'est pas ce que je considère être bien informé. Tout dépend du journal.
Qui plus est, nous interdisons aux gens d'agir en exerçant une influence indue et de faire d'autres choses du genre. Certaines dispositions interdisent les cadeaux et avantages; cela se résume à cela. Nous n'avons pas de code de conduite. Il arrive que quelqu'un vienne nous voir, nous dise, par exemple, qu'on lui a offert des billets de saison pour assister à des matches de hockey, un fauteuil dans la loge des directeurs, une croisière, gracieuseté de telle ou telle entreprise, et qu'il nous demande notre avis. Il se peut que je dise alors à la personne que, à mon avis, elle est en conflit d'intérêts, ou qu'il y a apparence de conflit d'intérêts, ou qu'il y a peut-être absence de conflit d'intérêts ou d'apparence de conflit d'intérêts, mais qu'il serait peut-être bon qu'elle réponde à une autre question que je ne peux lui poser. La personne me demande alors de quelle question il s'agit. Et je lui réponds ceci : « Politiquement, est-ce sage d'agir ainsi? » La personne me dit alors : « Ah, si vous voyez la situation sous cet angle... » Ce à quoi je réponds : « Je ne peux pas faire cela, mais j'ai pensé que vous voudriez peut-être la voir sous cet angle. » Finalement, la personne refuse le cadeau.
À mon sens, cela semble fonctionner beaucoup mieux qu'un code de conduite compliqué qu'il faut constamment modifier pour en éliminer les failles au fur et à mesure que des membres futés du barreau les découvrent. Je dis que, à mon avis, mon rôle consiste à distinguer le bien du mal. Dans ma vie professionnelle, j'ai passé trop de temps à persuader des gens que noir c'était blanc ou que blanc c'était noir, selon ce pour quoi on me payait. C'est une nouvelle expérience pour moi.
Le sénateur Milne : Vous nous dites fonctionner avec un système qui repose sur un cadre législatif et auquel vous avez ajouté un système fondé sur les valeurs.
M. Oliver : Je pense que c'est exact. Depuis 10 ans, j'ai pu compter sur l'entière collaboration de tous les députés et des chefs des deux partis. Il n'y a que deux partis dans notre province; contrairement à certaines provinces riches, nous ne pouvons nous permettre d'en avoir plus. Sans leur collaboration, je n'arriverais à rien. Le système fonctionne bien parce que les députés font en sorte qu'il fonctionne bien. S'il y a une bande d'escrocs à l'assemblée législative dont vous vous occupez, aucune loi sur les conflits d'intérêts ne réussira à les dissuader, sauf, bien entendu, ce qui suit, et, à cet égard, le projet de loi dont vous êtes saisis me semble plutôt être un colosse aux pieds d'argile. La loi m'autorise, après avoir mené une enquête, à recommander à l'assemblée législative une sanction pouvant prendre la forme d'une réprimande, d'une amende allant jusqu'à 5 000 $ montant que j'essaie de faire augmenter — d'une suspension ou d'une déclaration selon laquelle le siège du député devient vacant. L'assemblée législative peut accepter ou rejeter mon rapport. Elle ne peut toutefois pas en altérer la teneur. Autrement dit, un gouvernement dont la majorité ne tient qu'à un siège ne pourrait pas dire ceci : « Le commissaire a recommandé une suspension de 60 jours, ce qui provoquera la chute du gouvernement. Imposons plutôt une amende. » Ce ne serait pas possible.
Il s'agit d'une arme puissante. Elle n'a jamais servi. De temps à autre, je la sors de son étui, je la graisse et je la range, mais elle reste bien en vue dans le coin. À mon avis, il est souhaitable qu'un commissaire aux conflits d'intérêts dispose de ce genre de pouvoir, qui ressemble à l'épée suspendue au-dessus de la tête du juge du tribunal d'Old Bailey, à Londres, comme ont pu le voir ceux qui ont visité le tribunal pénal central.
Le sénateur Milne : Cela m'amène à poser ma dernière question. Comment réagiriez-vous si l'on modifiait les règles auxquelles vous êtes assujetti pour vous obliger à communiquer vos conclusions au premier ministre de la province plutôt qu'à l'assemblée législative?
M. Osborne : Cela minerait toute l'idée d'indépendance. J'ai été nommé à la suite d'un vote à l'assemblée législative et je crois savoir — même si je ne sais pas précisément comment cela s'est passé — que les trois leaders à l'assemblée législative se sont réunis, qu'ils ont retenu mon nom et qu'ils ont ensuite pris les dispositions nécessaires.
Je n'ai fait qu'une concession envers le cabinet du premier ministre. À l'époque de mon prédécesseur, les entrevues avaient toutes lieu dans son bureau, sauf celle avec le premier ministre. Il allait rencontrer le premier ministre dans son bureau, où se déroulait l'entrevue exigée par la loi. J'ai assoupli cela; comme j'estimais que le premier ministre ne devait pas bénéficier d'un traitement distinct, je vais rencontrer dans leur bureau le premier ministre ainsi que les leaders des deux autres partis. Tout est uniforme à cet égard.
Je pense que l'indépendance du titulaire de cette charge est essentielle à son bon fonctionnement. Si l'on mêlait à l'équation le premier ministre ou un autre membre du pouvoir exécutif, il y aurait un problème.
M. Oliver : Si je devais faire rapport au premier ministre de la province plutôt qu'au Président de l'assemblée législative, si c'est bien là votre question, je pense que vous me verriez poser ma candidature pour un autre emploi de nature administrative. Évidemment, je remettrais ma démission le jour même.
Pour mes entrevues et le reste, j'invite le premier ministre, tous les ministres du Cabinet et le chef de l'opposition. Tout le monde vient me voir, y compris d'anciens ministres. Nous ne sommes pas particulièrement pointilleux sur ces questions. Je rencontre certaines personnes chez elles; d'autres, dans leur bureau de circonscription. Lorsque l'assemblée législative ne siège pas, il m'arrive de me rendre à Penticton ou ailleurs, et les députés de la région viennent me rencontrer là. L'indépendance est absolument capitale. Sans elle, cette charge serait tout simplement une imposture.
Le sénateur Stratton : Sauf le respect que je vous dois, sénateur Milne, j'aimerais mentionner le paragraphe 44(7) du projet de loi sur les conflits d'intérêts, qui traite des titulaires de charges publiques et de personne d'autre.
Le sénateur Milne : Oui, à la page 25.
Le sénateur Stratton : Oui, c'est exact; la disposition renvoie à l'alinéa 43a).
Le président : Nous allons apporter un exemplaire du projet de loi aux deux témoins afin qu'ils puissent l'examiner.
Le sénateur Stratton : Cela renvoie à l'alinéa 43a).
Le président : C'est à la page 24.
Le sénateur Stratton : La disposition prévoit que le commissaire donne, à titre confidentiel
des avis au premier ministre, notamment à sa demande, sur l'application de la présente loi à un titulaire de charge publique;
Le sénateur Milne : C'est aussi un aspect que j'ai soulevé précédemment dans une question, sénateur Stratton.
Le sénateur Stratton : Ce n'est pas comme s'il allait obtenir de l'information.
Le président : L'un ou l'autre témoin peut-il dire comment il interprète cette disposition?
M. Osborne : Il est ici question d'un titulaire de charge publique et d'une demande d'examen concernant une allégation de contravention. Je ne connais pas cette disposition. Arrive-t-il autre chose au rapport?
Le sénateur Milne : Une fois qu'il est communiqué au premier ministre provincial ou fédéral?
M. Osborne : Oui.
Le sénateur Milne : Je suppose que son sort est entre ses mains.
M. Osborne : Ne serait-il pas préférable que le rapport soit remis au Président et qu'il soit rendu public, à moins que des questions de sécurité nationale ou autre n'entrent en jeu?
Le sénateur Milne : Il en est question dans une autre partie de l'article 44 du projet de loi.
Le président : Le paragraphe 44(8) est ainsi libellé : « En même temps qu'il remet le rapport, le commissaire [...] le rend accessible au public. » Cela figure à la page 25.
Le sénateur Baker : Monsieur le président, les témoins souhaiteraient peut-être répondre par écrit; j'estime qu'il est un peu injuste de leur demander leurs observations maintenant.
Le président : C'est effectivement un peu injuste. Si vous voulez soumettre ultérieurement vos observations par écrit, c'est très bien. Sinon, ça va aussi.
M. Osborne : J'aimerais examiner le contexte. Pour l'instant, je ne comprends pas la raison d'être de cette disposition.
Le sénateur Baker : Exactement. Vous devez prendre connaissance de toute la disposition.
Le sénateur Day : Nous avons encore de la difficulté avec l'ensemble du projet de loi, alors nous pouvons comprendre que vous ayez été un peu désarçonné par une disposition.
Quand on examine ces dispositions dans la première partie, il faut garder à l'esprit qu'elles ne visent pas l'ensemble du projet de loi, mais simplement une loi qui est créée dans cette mesure législative. C'est comme s'il s'agit d'une pièce dans une pièce. Un grand nombre de ces dispositions ne visent que les titulaires de charges publiques.
Ce que le premier ministre et le pouvoir exécutif aimeraient en l'occurrence, c'est avoir un ensemble de règles prévues dans le projet de loi sur les conflits d'intérêts, à l'intention des titulaires de charges publiques. C'est cela qui est visé dans la première partie. Il est ensuite question d'un code non prévu dans la loi à l'intention des députés, et d'un autre code distinct pour les sénateurs.
Dans chacune de vos provinces, existe-t-il des règles distinctes pour le pouvoir exécutif et pour les députés de l'assemblée législative?
M. Osborne : Non, il n'y a pas de règles distinctes en Ontario, ni en Colombie-Britannique, j'en suis certain. Il existe un ensemble de règles. Certaines dispositions de la Loi sur l'intégrité des députés s'appliquent expressément aux membres du conseil exécutif; aussi, de ce point de vue, il s'agit de règles distinctes. Si les exigences visent particulièrement les membres du conseil exécutif, c'est précisé très clairement, mais il n'y a pas de code, de projet de loi, de ligne directrice ou d'autre chose du genre qui soit distinct.
M. Oliver : Nous avons, je crois, certaines lignes directrices ministérielles, mais ce sont des questions qui relèvent de la discipline interne et qui ne me concernent pas. Elles ne traitent pas des conflits d'intérêts.
Le sénateur Day : Vous avez parlé de conflits d'intérêts, d'apparence de conflit d'intérêts et des règles non écrites que vous appliquez. Abstraction faite de cela, les autres règles sont-elles dans un cadre législatif ou sous une forme législative? Peut-on les modifier autrement que par l'entremise d'une loi?
M. Oliver : Les conflits d'intérêts et l'apparence de conflit d'intérêts sont définis dans la loi. Si on veut modifier leur définition, il faut modifier la loi. Étant donné que cette définition est utilisée d'une façon assez générale dans notre pays, je pense que sa modification serait probablement considérée comme peu souhaitable. Ce qui serait souhaitable à mon avis, c'est que les autres secteurs de compétence qui ne l'ont pas déjà fait adoptent des règles sur l'apparence de conflit d'intérêts. C'est toutefois une question politique qui n'est pas de mon ressort.
Le sénateur Day : Y a-t-il, en Colombie-Britannique, des règles générales qui s'inscrivent dans un ensemble de règles primordiales et en fonction desquelles vous interprétez les conflits d'intérêts ou l'apparence de conflit d'intérêts?
M. Oliver : C'est comme les règles sur l'équité — la mesure du pied du chancelier. Que dire des règles concernant le bon sens? Nous avons tous tendance à les oublier. À mon avis, quelqu'un qui opte pour la vie publique ne devrait pas faire abstraction de cela.
Le sénateur Day : Que dire de l'Ontario?
M. Osborne : Non. Nous publions dans notre rapport annuel des exemples de questions qui ont été soulevées au sujet de députés. Il s'agit de questions anonymes, et les réponses à ces questions visent à sensibiliser davantage les députés et leur personnel aux écueils auxquels ils pourraient se heurter. Il n'existe aucun ensemble de règles écrites ou non écrites.
Le sénateur Day : Depuis deux jours, il y a au moins deux témoins qui ont souligné que la valeur des règles écrites n'a d'égal que celle des avocats qui réussissent à les contourner. Les témoins ont dit qu'il est important d'avoir un ensemble de principes généraux qui aideront à interpréter les règles. On trouve cela dans les codes qui s'appliquent ici au Sénat et dans l'autre code qui s'applique à la Chambre des communes. Cependant, ces principes généraux ne sont pas intégrés dans le code du premier ministre qui a changé de forme, qui est maintenant prévu dans la loi et qui peut facilement être modifié par le premier ministre. Ce que j'essaie de savoir, c'est s'il est illogique d'établir des principes généraux quand on commence à adopter un ensemble de règles prévues dans la loi plutôt que dans un code.
M. Oliver : Il y a deux façons de traiter les principes généraux. On peut le faire au moyen d'une disposition législative qui confère un pouvoir peut-être démesuré à la personne chargée d'administrer la loi. On peut aussi inclure, au début de la loi, ce que j'appelle une déclaration d'intention inattaquable, qui ne fait pas partie de la loi proprement dite, et qui énonce l'objectif de la loi. Je pense que c'est une bonne chose.
À mon avis, la population et les nouveaux députés comprennent cela, et si un différend survient ultérieurement quant à l'intention de l'assemblée législative ou du Parlement au moment d'adopter tel ou tel article, on peut alors se tourner vers la déclaration d'intention et y trouver la réponse.
Le sénateur Day : Permettez-moi de parler un peu de l'indépendance et de revenir sur cette question, parce que j'estime que c'est extrêmement important. J'ai relevé votre remarque selon laquelle vous devez absolument jouir d'une indépendance dans l'exercice de vos fonctions, faute de quoi tout cela ne serait qu'une imposture. Vous avez ensuite dit que vous avez comparu — et c'est à vous que je m'adresse, monsieur Oliver — devant le comité responsable des budgets. Devez-vous comparaître devant des personnes au sujet desquelles vous devez parfois enquêter et que vous devez certainement conseiller, et leur demander de l'argent?
M. Oliver : Oh, oui. C'est leur argent que je dépense.
Le sénateur Day : Ne trouvez-vous pas que cela vous place dans une situation délicate?
M. Oliver : Non. On ne m'a jamais refusé ce que je demandais. On ne m'a jamais laissé entendre que mes demandes étaient déraisonnables. Je dépense l'argent des contribuables comme si c'était le mien, ce qu'il est dans une large mesure à en juger par mes déclarations de revenus. Je ne vois là absolument aucun problème.
Le sénateur Day : Les membres de ce comité vous disent simplement ce que vous voulez entendre, c'est-à-dire de continuer à prendre ces bonnes décisions.
M. Oliver : Écoutez, je leur dis que le budget que nous demandons part du principe que nous n'aurons pas d'enquête importante à mener pendant l'année à venir et que, si tous se comportent comme il se doit, nous n'aurons probablement aucune enquête à mener. Pour mener une vaste enquête, il faut compter, d'entrée de jeu, environ 250 000 $. Si quelqu'un a l'intention de mal se conduire, ils ont alors intérêt à m'accorder plus d'argent. C'est aussi simple que cela.
Ils m'ont toujours très bien traité. Les années difficiles, mon budget est resté intact, alors que d'autres ont vu le leur réduit. Les bonnes années, je n'ai pas demandé d'augmentation budgétaire.
Le sénateur Day : Qu'en est-il, monsieur Osborne, de l'indépendance de vos fonctions?
M. Osborne : Notre budget relève de la Commission de régie interne de l'Ontario. Tous les ans, nous présentons un budget que la commission étudie et sur lequel elle se prononce. On ne m'a jamais demandé de comparaître devant la commission pour justifier ce budget. Je partage l'avis de M. Oliver. Nous dépensons l'argent des contribuables, nous avons des comptes à rendre à quelqu'un et je n'ai rien contre cette structure. Je ne pense pas que cela mine mon indépendance de manière significative, compte tenu de toute la situation. Comme je l'ai dit, je n'ai jamais éprouvé de difficulté sur le plan budgétaire.
Le président : La Commission de régie interne est-elle composée des mêmes députés auxquels vous donnez des conseils et des instructions?
M. Osborne : Oui, de certains d'entre eux.
Le sénateur Baker : La commission compte-t-elle des députés de l'opposition et du parti ministériel?
M. Osborne : Oui.
Le sénateur Zimmer : Messieurs, je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui, de votre sagesse, de vos conseils et de votre ton léger.
Hier, nous avons accueilli deux éminents professeurs et je leur ai dit que j'étais nerveux à l'idée de côtoyer des personnes ayant autant d'années d'expérience universitaire. Aujourd'hui, nous accueillons deux honorables juges, et je suis encore une fois nerveux de côtoyer des spécialistes aussi éminents dans un autre secteur.
Les sénateurs Baker et Day m'ont inspiré une question. Elle est dans une optique un peu différente, mais elle concerne les dons à des partis politiques et les soumissions visant des édifices gouvernementaux. Elle concerne le secteur privé et les partenariats privés-publics; prenons le cas d'une société qui fait un don important au parti au pouvoir, qui fait à l'égard d'un édifice une soumission qui est ensuite retenue, de manière parfaitement honnête, et qui voit un concurrent porter plainte et dénoncer le fait que le contrat a été adjugé à cette société, même s'il l'a été en toute honnêteté.
Avez-vous déjà été confrontés à pareille situation et, le cas échéant, comment avez-vous réglé le problème?
M. Oliver : J'ai été confronté à une situation où un député qui était candidat dans la course à la direction d'un parti de l'opposition a reçu un don en espèces d'un syndicat. Après sa défaite à la course à la direction de son parti, il est devenu transfuge, s'est joint au parti ministériel et s'est vu confier un ministère directement lié au syndicat. On m'a soumis ce cas, mais je ne vous dirai pas la teneur de ma réponse.
Le sénateur Zimmer : Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.
Le sénateur Cools : Je n'ai pas de question à poser, mais je tenais à vous dire quelque chose. Je voulais simplement vous remercier d'avoir comparu devant notre comité et d'avoir partagé avec nous vos réflexions et votre expérience. Je tenais à vous exprimer ma gratitude, car je doute beaucoup de l'efficacité de ces mécanismes et procédures qui créent souvent une lourde bureaucratie ou qui sont susceptibles de créer une bureaucratie dans laquelle les parlementaires pourront se perdre.
J'ai trouvé très encourageant ce que vous nous avez dit tous les deux. Je tenais aussi à vous remercier, monsieur Oliver, de votre humanité et des quelque 50 années que vous avez mis à notre service, ainsi que de votre expérience, de votre sagesse et de votre sagacité que vous avez bien voulu partager avec nous. J'ai retenu et compris ce que vous avez voulu dire lorsque vous avez expliqué avoir passé beaucoup de temps à déterminer ce qui était légal et illégal et vous trouver maintenant dans la situation beaucoup plus agréable de devoir vous pencher sur ce qui est bien et mal.
Quant à vous, monsieur Osborne, je tiens vraiment à vous remercier, car j'ai bien senti tout le dévouement dont vous faites preuve dans votre travail. Tout ce que je puis dire c'est que, si ces mécanismes sont mis en place et que nous avons la chance de désigner des personnes comme vous pour s'en occuper, nous serons tous très heureux. Je vous remercie tous les deux de votre dévouement envers la fonction publique et vos députés. Il s'agit d'une approche très équilibrée.
M. Fournier, le conseiller sénatorial en éthique pour qui j'éprouve un immense respect, a dit quelque chose de très profond plus tôt aujourd'hui. Il a parlé de l'importance de la confiance dans les rapports entre les responsables de l'éthique, le personnel, les commissaires, quel que soit le mot employé pour les désigner, et chaque parlementaire. On demande aux parlementaires de dévoiler des détails très intimes de leur vie, ce qui n'est probablement pas très facile. La confiance devient donc une dimension, un aspect très important de cette relation.
Je voulais simplement vous remercier pour tout cela. Je ne vous connais pas beaucoup tous les deux, mais je vais certainement essayer d'en savoir davantage. C'est ce que je tenais à vous dire. J'ai une foule de questions à poser, mais cela peut attendre. Comme je trouve cet éclairage très fatiguant pour les yeux, je me suis assise en arrière, de l'autre côté, et je peux vous dire que ce fut une expérience très agréable que de vous écouter tous les deux. Votre témoignage nous a tous ravis.
Le président : Messieurs Osborne et Oliver, au nom de tout le comité, j'abonde dans le même sens que le sénateur Cools et je vous remercie infiniment d'être venus nous rencontrer. Nous l'avons tous grandement apprécié.
La séance est levée.