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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 6 - Témoignages du 8 septembre 2006


OTTAWA, le vendredi 8 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, chargé d'étudier le projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, s'est réuni aujourd'hui à 9 h 05.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je déclare la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ouverte. Je laisse à présent la parole au sénateur Stratton, qui, hier, voulait déposer une motion et vous en parler aujourd'hui.

Le sénateur Stratton: Pardonnez-moi cette digression. Cela ne devrait pendre que quelques minutes. J'aimerais remettre les pendules à l'heure par rapport aux observations que M. MacKinnon a faites hier matin.

Il a cité M. Kingsley, directeur général des élections, de façon assez vague et j'aimerais, si vous me le permettez, lire les paroles exactes de M. Kingsley au comité de la Chambre des communes afin qu'elles apparaissent au procès-verbal.

M. MacKinnon a dit, en gros, que le directeur général des élections s'opposait à ce que le projet de loi entre en vigueur au milieu de l'année. M. MacKinnon a dit:

J'ai entendu l'exposé de M. Donison et je tiens à souligner un élément qui vient contredire l'argument du gouvernement visant à mettre cette loi en vigueur en plein milieu de l'année, contre la volonté du directeur général des élections et de la majorité des partis politiques.

Or, apparemment, M. Kingsley n'aurait jamais dit cela. Ce qu'il a dit, c'est que, traditionnellement, les dispositions qui portent sur les directeurs de scrutin n'entrent en vigueur que six mois après leur adoption. Il a dit:

Le projet de loi C-2 confiera au directeur général des élections, et non plus au gouverneur en conseil, un pouvoir de nommer et de destituer les directeurs de scrutin. Ce changement répond à une recommandation que j'ai souvent réitérée depuis que je suis devenu directeur général des élections. D'après le projet de loi, le transfert devrait entrer en vigueur à une date fixée par le gouverneur en conseil, après la sanction royale.

Comme je serai facilement prêt à mettre en œuvre ce nouveau pouvoir dans les six mois suivant la sanction royale, le comité voudra peut-être accorder le délai habituel d'entrée en vigueur des modifications à la Loi électorale, qui est de six mois après la sanction royale, ou avant, si le directeur général des élections annonce qu'il est prêt, ce que je ferai.

La phrase-clé, ici, est « ce que je ferai ». M. MacKinnon a dit également, au sujet du financement électoral:

Je parle précisément — et cela m'amène à ma première recommandation — de la date d'entrée en vigueur du projet de loi. Nous sommes d'accord avec l'intervention de M. Kingsley au comité de la Chambre des communes; nous approuvons la recommandation du Bloc québécois à l'effet que le projet de loi entre seulement en vigueur le 1er janvier de l'année suivant la sanction royale.

Nous avons un problème. M. MacKinnon sous-entend que la réflexion de M. Kingsley au sujet des directeurs de scrutin s'applique également au financement électoral. Or, M. Kingsley a été très clair: les changements au financement électoral prévus par le projet de loi C-2 n'auront pas d'incidence significative sur son travail; en d'autres mots, ils pourraient entrer en vigueur beaucoup plus tôt, d'après lui.

Ceci étant dit, monsieur le président, j'ai lu ces citations pour le procès-verbal et j'aimerais que le comité comprenne que j'ai corrigé certaines déclarations de M. MacKinnon afin de préciser, en réalité, que les changements au financement électoral ne devraient pas entrer en vigueur six mois après la sanction royale, mais bien immédiatement. Les dispositions relatives aux directeurs de scrutin, cependant, entreraient en vigueur six mois plus tard.

Le sénateur Day: Je crois que notre porte-parole à ce sujet souhaite intervenir et je prendrai la parole après lui.

Le sénateur Zimmer: Je voulais simplement signaler ce que M. MacKinnon a voulu dire, à mon avis, afin que cela figure dans le procès-verbal, c'est-à-dire que les dispositions du projet de loi relatives aux contributions entreraient en vigueur le jour de la sanction royale, ce qui laisse penser qu'Élections Canada n'aura pas besoin d'informer le public de ce changement. Je crois qu'il approuvait également l'intervention du Bloc québécois, lorsqu'il a dit:

Nous pensons que si on exclut les raisons partisanes, dans la tradition de l'application de ce type de mesure, c'est normalement l'année civile qui est l'année de référence.

Je crois que c'est ce qu'il essayait de dire.

Le sénateur Day: Tout ce que je voulais ajouter, c'est que les choses ne sont pas si simples que l'a dit le sénateur Stratton. Je crois que M. MacKinnon parlait de façon générale de toutes les dispositions de la loi sur la responsabilisation qui portent sur les partis politiques, et pas uniquement sur le financement électoral, dans cette citation.

Il commence le paragraphe en disant:

Nous pensons que la Loi sur la responsabilisation, compte tenu de ses incidences sur les partis et le processus politiques, ne permettra pas d'attendre les objectifs prévus.

Il parle de la loi de façon générale, et pas uniquement de l'aspect financier, contrairement à ce que disait le sénateur Stratton.

Le président: S'agissait-il du directeur général des élections ou de M. MacKinnon?

Le sénateur Day: C'était M. MacKinnon.

Le président: Le sénateur Stratton parlait des déclarations du directeur général des élections. Il s'agissait de savoir si celles-ci s'appliquaient à une ou à toutes les dispositions de ces deux, en ce qui concerne leur entrée en vigueur.

Le sénateur Day: Le sénateur Zimmer vient de vous lire la citation du directeur général des élections. Il parlait du processus politique et de l'importance de la communication. Si l'on interprète ses paroles, on peut lire que M. Kingsley veut s'assurer d'avoir le temps d'expliquer l'incidence du projet de loi après son adoption.

Le président: D'une part, je ne savais pas que le sénateur Zimmer citait le directeur général des élections. Si c'est le cas, auriez-vous l'obligeance de me relire cette citation, parce que je croyais que vous citiez M. MacKinnon? Je croyais qu'il s'agissait de M. MacKinnon; je ne savais pas que vous citiez le directeur général des élections, et c'est important, si l'on veut bien comprendre.

Le sénateur Stratton: Pourriez-vous également nous dire d'où viennent ces citations, parce qu'on ne sait pas où était M. Kingsley lorsqu'il a prononcé ces paroles.

Le sénateur Zimmer: Je n'en suis pas sûr.

Le sénateur Day: Cette citation vient de son témoignage à la Chambre des communes.

Le sénateur Zimmer: Monsieur le président, quand je parle « d'interprétation », ce sont en réalité les mots de M. Kingsley qu'il citait. Je n'essaie que de répéter avec ses mots. Je vais répéter la citation de M. Kingsley, selon M. MacKinnon:

Les dispositions du projet de loi relatives aux contributions entreraient en vigueur le jour de la sanction royale, ce qui laisse penser qu'Élections Canada n'aura pas besoin d'informer le public de ces changements.

Ce sont les mots de M. Kingsley, que M. MacKinnon a répétés. Ensuite, il cite d'autres paroles de M. Kingsley prononcées par le Bloc québécois:

Nous pensons que si on exclut les raisons partisanes, dans la tradition de l'application de ce type de mesure, c'est normalement l'année civile qui est l'année de référence.

Le président: Honorables sénateurs, je vous remercie de ces précisions.

Passons à présent à l'ordre du jour. Nous allons continuer à étudier le projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation.

Ce projet de loi est plus communément appelé loi fédérale sur la responsabilisation. Comme les sénateurs, nos témoins et les membres du public qui nous regardent à la télévision partout au Canada le savent, ce projet de loi est un des piliers du programme du nouveau gouvernement, un des projets de loi les plus importants qui aient été déposés au Parlement ces dernières années. Je sais que le comité y accordera la réflexion soignée, exhaustive et détaillée qu'il mérite.

Les séances ont commencé en juin et cette semaine, le comité s'est concentré sur certains aspects précis du projet de loi. Nous avons couvert la reddition de comptes de façon générale, l'éthique, les conflits d'intérêt et le financement politique. Lors des audiences des semaines qui viendront, nous étudierons d'autres aspects importants du projet de loi.

Nous accueillons aujourd'hui deux éminents experts en matière de financement politique.

[Français]

M. Pierre F. Côté a une très longue expérience dans le secteur public au Québec. Il a travaillé au sein de divers ministères et au niveau municipal dans sa province. Il est récipiendaire de plusieurs distinctions d'honneur prestigieuses et il est actif dans sa communauté. Il a été directeur général des élections au Québec de 1978 et 1997, et il a presque 20 ans d'expérience à ce poste. Je sais que ses opinions et expériences seront d'une grande utilité pour le comité.

[Traduction]

Nous accueillons également M. Aaron Freeman. M. Freeman possède une vaste expérience en tant qu'observateur du processus politique et enseigne actuellement le droit à l'Université d'Ottawa. Il a également milité pour Démocratie en surveillance. Il a écrit plusieurs articles dans des publications telles que le The Hill Times et est l'auteur d'un livre intitulé The Law of Government: The Legal Foundations of Canadian Democracy.

[Français]

Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite nous passerons à une période de questions et de discussions qui sera, je sais, très utile, pour les membres du comité. Vous avez maintenant la parole, Monsieur Côté.

Pierre F. Côté, ancien directeur général des élections du Québec, à titre personnel: Merci, monsieur le président. Il y a principalement deux sujets que je désirerais aborder avec vous ce matin à propos du projet de loi C-2. En premier lieu, je veux exprimer mon désaccord sur l'article 43 de ce projet de loi qui abroge l'article 404.1 de la Loi électorale du Canada, lequel permettait aux personnes morales et aux syndicats de contribuer financièrement à un ou à des partis politiques.

J'ai occupé le poste de directeur général des élections du Québec pendant 19 ans, ayant pris ma retraite en 1997. Cela ne m'a pas empêché d'émettre publiquement l'opinion que l'on devrait permettre aux personnes morales, par opposition aux personnes physiques, de contribuer financièrement au processus électoral canadien. Je crois, en effet, qu'il est illusoire de croire que l'interdiction émise par le projet de loi ne sera pas contournée d'une manière ou d'une autre. C'est même inévitable.

Le 25 novembre 1999, lors d'un colloque sur l'éthique et les conflits d'intérêts, sous les auspices du Centre d'étude Noël Mailloux en éthique et psychologie, j'ai déclaré ce qui suit:

Le financement populaire ne suffit plus à combler les besoins des partis politiques.

Le 9 avril 2005, dans le journal La Presse, j'ai de nouveau exprimé cette opinion, qui m'apparaissait encore plus pertinente, étant donné l'expérience acquise en la matière. En effet, le financement populaire ou, si long veut, le porte- à-porte ne suffit plus à rencontrer les coûts de plus en plus élevés des campagnes électorales, en particulier ceux toujours croissants de la publicité télévisée.

Encore aujourd'hui, et malgré les scandales qui ont pu émerger à ce sujet, il est relativement simple de contourner la Loi électorale du Québec. La direction d'une entreprise, d'un bureau d'avocats ou d'une firme d'ingénieurs, par exemple, n'a qu'à demander aux membres de son conseil d'administration ou à ses cadres supérieurs de verser au parti politique qu'elle appuie la contribution maximale qu'un électeur peut faire à même ses propres biens en vertu de la loi québécoise, soit la somme de 3 000 dollars. Elle n'aura pas, par la suite, à rembourser ces dons à tous les individus qui se sont pliés, de gré ou même de force, à sa requête, en imaginant différentes méthodes comptables, comme la création de comptes de défenses fictifs.

C'est évidemment illégal de procéder ainsi. Il s'agit d'un manque d'éthique flagrant. Néanmoins, il demeure très difficile, voire impossible dans plusieurs circonstances, pour le directeur général des élections, d'en faire la preuve et d'obtenir par la suite une condamnation du tribunal. Pour qu'une loi soit efficace, on doit nécessairement pouvoir l'appliquer sans quoi, elle ne veut rien dire. Elle ne peut non plus n'être que l'expression de bonnes intentions. Pourtant le projet de loi C-2, qui s'inspire des dispositions de la Loi électorale du Québec de 1977, semble vouloir répéter les mêmes erreurs. Je ne crois pas qu'il soit souhaitable d'augmenter cette contribution financière de l'État aux partis politiques — déjà passablement élevée — sans risquer d'affecter l'indépendance des partis politiques.

Comment alors procéder pour permettre aux personnes morales et aux syndicats de contribuer financièrement aux partis politiques sans que cela ne soit perçu comme l'achat d'influence ?

La solution, à mon avis, consiste à considérer ces personnes morales et ces syndicats comme des citoyens corporatifs, qui ont intérêt à participer au développement de la démocratie.

À ce titre, j'envisage deux façons de résoudre ce dilemme. La première leur permettrait de verser un montant maximum qui pourrait être, par exemple, un multiple du montant maximal permis aux personnes physiques. Ce montant serait versé dans un fonds en fiducie du directeur général des élections. Celui-ci aurait alors le devoir de distribuer ces sommes aux partis politiques au prorata des votes obtenus par ceux-ci lors de la dernière élection générale.

L'autre façon leur laisserait librement le choix de contribuer à la caisse des partis politiques de leur choix, jusqu'à concurrence d'un montant maximum autorisé.

Mais dans l'un et l'autre cas, ces contributions seraient rendues publiques. De cette façon, toute pression qu'on voudrait exercer sur ces personnes morales pour qu'elles contribuent davantage en sous-main serait écartée. Elles pourront alors dire: «Non merci, j'ai déjà donné.».

En deuxième lieu, j'aimerais soumettre à votre réflexion un article de la Loi électorale du Canada qui est passé sous silence dans le projet de loi C-2. Il s'agit de l'article 24 qui porte sur la nomination des directeurs et directrices du scrutin pour chaque circonscription électorale. Un projet de loi comme le projet de loi C-2, qui affirme vouloir restaurer une certaine transparence dans le système électoral canadien, devrait mettre un terme à cet exercice hautement partisan qui est susceptible d'entacher la crédibilité, voire l'objectivité des administrateurs locaux des élections.

En cela, le projet de loi devrait suivre l'exemple du Québec et procéder par voie de concours public plutôt que par une décision du conseil des ministres. La loi devrait ainsi prévoir des dispositions mandatant un jury choisi par le directeur général des élections d'évaluer, entre autres, le bon jugement des candidats qui ont obtenu les meilleures notes à un examen écrit. La personne que ce jury choisira pour le poste dans chacune des 308 circonscriptions électorales du Canada devrait alors être nommée d'office pour un mandat de dix ans afin de lui assurer l'indépendance dont elle a tant besoin pour exercer ses fonctions.

[Traduction]

Le président: Monsieur Freeman, vous avez la parole.

Aaron Freeman, professeur, Université d'Ottawa, Faculté de droit, à titre personnel: Honorables sénateurs, on m'a demandé d'axer mes observations sur les dispositions du projet de loi C-2 qui portent sur le financement électoral, ce que je suis heureux de faire. Je connais aussi assez bien d'autres partis du projet de loi ainsi que les aspects importants qui n'y apparaissent pas mais qui, selon moi, sont nécessaires.

En ce qui concerne le financement électoral, on retrouve plusieurs éléments importants dans le projet de loi C-2. D'abord, on limite les contributions des particuliers à 1 000 $ plutôt que 5 000 $. Les particuliers pourront donner 1 000 $ par an à un parti enregistré ainsi qu'une somme supplémentaire de 1 000 $ aux associations de circonscriptions, aux candidats à l'investiture et aux candidats aux élections. Ils pourront également donner 1 000 $ aux candidats à la chefferie d'un parti.

Deuxièmement, les candidats à la chefferie et à l'investiture ne pourront autofinancer leur campagne qu'à hauteur de 2 000 $, le chiffre actuel étant de 10 000 $.

Troisièmement, on interdit les contributions des entreprises, des syndicats et autres associations, alors qu'actuellement, elles peuvent faire des contributions de 1 000 $ maximum aux candidats et aux associations de circonscriptions.

Quatrièmement, l'échappatoire de longue date permise par les fonds en fiducie sera grandement corrigée. Le système actuel permet des contributions secrètes et illimitées pour toute une série d'activités qui peuvent profiter aux candidats.

Cinquièmement, plutôt que d'être nommés par les gouverneurs en conseil, les directeurs de scrutin seront choisis par un processus indépendant établi par le directeur général des élections. Je tiens à signaler que le directeur général des élections, tous les partis d'opposition lors de la dernière législature et presque tous les observateurs indépendants recommandent cette solution depuis longtemps. Il y a très peu de démocratie avancée qui permettent au gouvernement du jour de nommer les responsables des élections.

Le projet de loi C-2 comporte d'autres dispositions, dont une interdiction des contributions en argent comptant de plus de 20 $, l'application des règles régissant les cadeaux aux candidats et des limites supplémentaires pour les poursuites dans le cas d'infractions à la Loi électorale.

Je centrerai le reste de mes observations sur les trois premières dispositions mentionnées plus tôt, celles qui portent sur les limites des contributions. Nous avons déjà observé l'incidence démocratique d'une réduction des contributions politiques. Avant la réforme de 2003, il n'existait aucune limite sur les sommes que l'on pouvait donner aux partis et aux candidats. À cette époque, selon le directeur général des élections, 45 p. 100 des recettes des partis venaient de seulement 3 p. 100 de donateurs.

Lorsqu'un petit nombre de riches donateurs contribuent au processus politique, les partis et les candidats dépendent dangereusement de ces personnes, qui contrôlent pratiquement le processus électoral. D'après une étude que j'ai menée en 2002, des cinq principaux agents contractuels du gouvernement, les deux tiers étaient des grands donateurs au parti au pouvoir et le ratio des contributions à ce parti par opposition à tous les autres partis combinés était de six pour un. Pour ce qui est des circonscriptions locales, ce ratio était de trente pour un. On observe des schémas semblables dans les secteurs règlementés, comme les banques et les communications et les études montrent également une corrélation importante entre les donateurs et les entreprises qui font du lobbying à Ottawa.

Tout cela ne prouve pas directement que le processus politique est corrompu, mais cela montre que lorsque les grands donateurs font des contributions, ce n'est pas uniquement par devoir civique, mais parce qu'ils attendent quelque chose en retour. Nous pouvons au moins dire que les dons achètent un accès. À preuve, la plupart des hommes politiques admettent que retourner les appels des grands partisans est une priorité. C'est surtout un problème pour les ministres, qui exercent un pouvoir exécutif sur notre système gouvernemental.

Réduire la limite des contributions à 1 000 $ libère les députés de l'obligation d'accorder à leurs donateurs un traitement préférentiel. Nous sommes bien loin des sommes à six chiffres encore permises il y a seulement trois ans que l'on donnait aux partis politiques. Pensez qu'aujourd'hui, moins d'un pour cent des Canadiens donnent aux partis politiques. Les partis ont largement la possibilité de multiplier leurs efforts en matière de financement, ce qui, à mon avis, sera plus efficace, car ils pourront gagner la confiance de tous les Canadiens.

Je vais parler à présent de deux choses qui pourraient être améliorées dans le projet de loi C-2. D'abord, il faudrait augmenter le temps d'antenne gratuit accordé aux partis. Le coût d'une campagne électorale a augmenté depuis les trente dernières années et l'élément le plus onéreux est de loin la publicité télévisée. En réduisant les limites des contributions, les partis politiques devront apprendre à déployer plus d'efforts avec moins de ressources, mais nous pouvons mettre en place des mesures pour les aider. Le temps d'antenne gratuit actuellement accordé aux partis pourrait augmenter. Il s'agirait de leur fournir des minutes supplémentaires et d'assujettir davantage de chaînes de télévision au régime.

Comme je l'ai dit, la dépense électorale la plus importante, c'est la publicité télévisée. Si l'on exige des télédiffuseurs d'accorder aux partis du temps d'antenne pour diffuser leurs messages électoraux, nous pouvons grandement réduire les dépenses électorales des partis. Deuxièmement, il faudrait réduire les délais de divulgation. Le projet de loi C-2 ne permet pas de régler le problème des délais entre le moment où la contribution est accordée et le moment où elle est divulguée. Les réformes de 2003 ont permis de réduire quelque peu ces délais mais les partis et les candidats ne sont toujours pas tenus de divulguer leurs dons avant le vote. Avec des logiciels informatiques normalisés qui pourraient être fournis par le directeur général des élections, on pourrait charger les données automatiquement sur le site Web d'Élections Canada, ce qui permettrait de divulguer les dons bien avant le vote. Si l'on interdit les contributions pendant la dernière semaine de la campagne, les partis et candidats auraient le temps nécessaire pour fournir cette information à Élections Canada, qui pourrait la charger sur son site Web dans les deux jours précédents le scrutin.

Je sais que cette séance porte uniquement sur le financement électoral, mais certaines des plus importantes faiblesses du projet de loi C-2 résident dans les omissions. Parmi ces lacunes, il y a l'accès à l'information. Dans le domaine de la réforme démocratique au Canada, tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut une réforme de l'accès à l'information. J'exhorte le comité d'examiner avec soin les recommandations de la Commission Gomery, ainsi que celles des universitaires comme Alasdair Roberts, et d'étudier les rapports des 20 dernières années du commissaire à l'information du Canada.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, j'espère que ces réflexions vous ont été utiles. Je serais heureux de répondre à vos questions ou de vous aider de quelque façon que ce soit.

Le président: Merci messieurs de vos deux excellentes présentations. Vos remarques finales portaient sur l'accès à l'information. Vous ne le savez peut-être pas, mais lorsque ce comité se réunira la prochaine fois, il accordera beaucoup de temps à cette question, ainsi qu'au lobbying, à la dénonciation, et cetera Nous commençons à peine nos audiences et il nous reste beaucoup de travail. Aujourd'hui, nous parlons plutôt des questions qui concernent vos trois premiers points et la présentation de M. Côté. Merci de nous avoir fait part de vos préoccupations.

Le sénateur Zimmer: Merci de votre comparution, de votre récit et de la sagesse dont vous faites preuve.

Pour les dons des sociétés, la limite est actuellement de 1 000 $. Vous prenez le parti inverse et vous recommandez de fixer la limite à 15 000 $. Comment en êtes-vous arrivé à ce chiffre? On a suggéré de la laisser à 5 000 $, mais vous allez bien au-delà en proposant 15 000 $. Qu'est-ce qui vous a amené à cette recommandation?

[Français]

M. Côté: Ce qui est permis actuellement, c'est 1 000 $ pour une personne physique. Mais pour une personne morale, une entreprise, un bureau d'avocats ou d'ingénieurs, il s'agirait, à mon avis, d'avoir un multiple de ce 1 000 $ qui pourrait être de 5 000 $, 10 000 $ ou 15 000 $ comme maximum que pourrait verser une entreprise.

[Traduction]

Le sénateur Zimmer: Vous avez évoqué plusieurs formes d'augmentation, notamment un fonds de fiducie et des dons directs. Une partie de vos explications m'a échappé. Sur la deuxième méthode, pouvez-vous préciser comment on va faire augmenter les fonds et quelle formule vous utilisez pour les dons directs?

[Français]

M. Côté: Si c'est déposé dans un compte en fiducie du directeur général des élections, la fiducie présente l'avantage pour une entreprise de contribuer à tous les partis politiques indifféremment, parce que le résultat de ces sommes serait réparti au prorata des votes à chacun des partis politiques.

Si on n'est pas d'accord avec cette première solution, l'autre façon serait de permettre à une personne morale, un syndicat, de contribuer directement à un parti politique, mais là encore jusqu'à un maximum bien déterminé.

Dans l'un ou l'autre de ces cas, ce qui est important, c'est que ces contributions seraient obligatoirement rendues publiques. On éviterait ainsi, de façon indirecte, d'aller chercher plus d'argent de la part des entreprises. Ce qui est malheureux au Québec, c'est que les entreprises, les personnes morales contournent assez facilement la loi. Comme je l'ai déjà mentionné, si on prend, au sein d'un conseil d'administration, par exemple, dix membres, on leur dit de verser chacun 3 000 $ à même leurs propres biens, mais sans être capable de le prouver. Cela s'est déjà vu, des remboursements faits par l'entreprise à ses donateurs.

[Traduction]

M. Freeman: Vous m'excuserez d'accaparer le temps qui vous est accordé sur cette question, sénateur Zimmer.

Il faudrait étudier plusieurs questions concernant les dons des sociétés, des syndicats et autres organismes. Les sociétés sont des entités juridiques, mais ce ne sont pas des êtres humains. Il en va de même des autres organismes. Deux éléments importants en découlent: tout d'abord, dans la plupart des cas, les sociétés dépensent l'argent des autres. En l'occurrence, elles dépensent l'argent de leurs actionnaires, généralement sans leur permission. Dans le cas des syndicats, ils partagent l'argent de leurs adhérents. C'est ce qu'on voit dans le cas des syndicats qui font des dons au Nouveau Parti démocratique, alors que leurs adhérents ont tendance à voter pour d'autres partis, et on observe la même chose pour d'autres organismes.

Le deuxième élément, c'est que, comme il ne s'agit pas d'êtres humains, ces organismes n'ont pas le droit de vote et ne sauraient l'avoir. Il en résulte, non pas juridiquement mais sur le plan des principes, qu'elles ne devraient pas avoir le droit d'intervenir par d'autres moyens dans le processus démocratique.

Je comprends le motif pratique qui amène certaines personnes à demander que les sociétés et les syndicats soient autorisés à faire des dons, mais je ne suis pas convaincu que ces considérations pratiques apportent une réponse au problème fondamental. Je pense que les formules appliquées au Québec et au Manitoba donnent lieu à certains abus, mais je ne suis pas convaincu que ces abus soient d'une ampleur telle qu'ils aient un effet marqué de corruption sur le processus politique.

Si la limite des dons est placée suffisamment bas, je ne pense pas que ce danger existe. Encore une fois, d'un point de vue pratique et d'un point de vue d'affaire, il n'y a pas lieu de se donner tout ce mal. Une fois les dispositions anti- évitement en vigueur, il ne devrait pas y avoir d'abus importants. Au cours des 25 dernières années au Québec, je n'ai pas constaté d'abus d'une ampleur telle qu'il faille s'en préoccuper.

Le président: En toute équité, il faut donner à M. Côté l'occasion de vous répondre, car il a évoqué la notion très intéressante de citoyenneté sociale pour les syndicats. Monsieur Côté, j'aimerais entendre votre réponse au professeur Freeman.

[Français]

M. Côté: Il faut bien distinguer deux choses: les contributions d'une personne physique et celles d'une personne morale, ou d'une entreprise, ou d'un syndicat. En droit, si je ne me trompe pas, au moins au Québec, quand on parle de personnes morales, c'est opposé à une personne physique, et c'est une entreprise, un bureau d'avocats ou d'ingénieurs, ou tout ce qui n'est pas une personne physique et qui agit comme groupe ou organisation. Évidemment, la difficulté vient du fait que les contributions venant des personnes physiques, des individus, ne suffisent plus à rencontrer les exigences des coûts croissants des campagnes électorales, en particulier des coûts qui vont toujours en augmentant, des annonces à la télévision, par exemple, ou l'implication de la télévision. L'implication, comme il a été suggéré, que la télévision d'État accorde plus de temps d'antenne n'empêchera pas les partis politiques d'avoir recours, dans différents coins du pays, à des télévisions privées de diffuser des messages publicitaires. Or, ces messages ne font qu'augmenter constamment. C'est la principale raison pour laquelle, au Québec, on a essayé de contourner la loi de la façon que j'ai mentionnée.

Évidemment, ce n'est ni éthique ni légal de procéder comme cela, mais il faut être pratique et voir que c'est de cette façon que cela se produit. Il faut essayer de trouver des solutions, d'où mes suggestions.

[Traduction]

Le sénateur Zimmer: Si vous me permettez de continuer, vous abordez un argument que j'allais soulever dans ma deuxième question, et qui nous ramène aux propos de M. Côté. C'est la première fois que j'entends l'argument formulé de cette façon, à savoir qu'il s'agit de ce qu'on appelle des « citoyens corporatifs ». Ce sont des citoyens. Pour répondre à vos propos, monsieur Freeman, je vous signale que de nombreuses sociétés canadiennes m'ont écrit et m'ont fait parvenir des courriels où elles disaient: « Nous votons. Nous votons par l'entremise d'une contribution démocratique au processus démocratique de ce pays en notre qualité de « citoyen corporatif ». Si nous sommes privés de cette possibilité, nous ne pourrons plus exprimer notre droit démocratique. » Il peut y avoir ici, à Ottawa, un gouvernement dont les sociétés apprécient les idées sur la responsabilité fiscale ou sur un autre sujet. Il ne faut pas les priver du droit démocratique de faire une contribution au gouvernement qu'elles souhaitent voir gérer le pays.

Vous avez beau être assis côte à côte, il y a tout un fossé à franchir pour passer de 1 000 $ à 15 000 $.

À partir de là, pouvez-vous préciser les raisons qui vous amènent à demander l'élimination du don de 1 000 $ pour les sociétés?

M. Freeman: En introduction à ma réponse, je dirais que j'ai le plus grand respect pour M. Côté et je suppose que nous sommes d'accord sur bien des sujets concernant le financement du processus électoral.

Mais nous sommes en désaccord sur ce point, et on peut sans doute spéculer sur l'origine de ce désaccord. Je pense qu'il faut faire une distinction entre un vote et l'exercice d'une influence.

Dans le processus démocratique, il existe certains droits inaliénables, et c'est notamment le cas du droit de vote. C'est un droit qui n'est reconnu qu'aux êtres humains, tant sur le plan juridique que sur celui des principes. Dans la définition d'une société commerciale ou de toute autre forme d'entité constituée ou d'association, on ne retrouve pas les éléments d'expression et de participation au processus démocratique que comporte le droit de vote. Il serait inapproprié de conférer un droit fondamental de la personne à une entité qui ne présente pas les caractéristiques afférentes à ce droit.

Pourquoi a-t-on proposé un montant de 1 000 $? Il ne fait aucun doute que les montants de 1 000 $ et de 15 000 $ applicables à des dons individuels sont arbitraires. J'estime que la limite doit être placée suffisamment bas pour être à la portée de tout Canadien au revenu moyen. Pourtant, le montant de 1 000 $ est déjà supérieur à cette limite, mais il faut rester pratique. Je pense également que la limite doit être placée suffisamment bas pour exercer un effet dissuasif à l'égard des abus dont il a été question ici et qu'a dénoncés M. Côté.

Je pense qu'il faut accepter qu'il y aura toujours un certain degré d'abus, même s'il y a divergence entre nous sur ce point. L'essentiel pour moi est de savoir si ce degré d'abus est tel qu'on doive craindre qu'il parvienne à corrompre la démocratie canadienne.

Si ce niveau est suffisamment faible, les sociétés n'éprouveront plus le besoin de dissimuler les dons qu'elles font par l'intermédiaire de leurs employés ou de leurs dirigeants. Le phénomène existe sans doute dans une modeste mesure, mais je ne suis pas convaincu qu'il soit de grande ampleur.

Le sénateur Zimmer: Monsieur Freeman, vous avez fait un commentaire sur une société, où il était question d'influence perçue. Un électeur peut lui aussi exercer une influence. Il peut utiliser le même argument et dire: « J'ai voté pour vous ». La plupart du temps, ce n'est pas cette idée qui vient à l'esprit. Quand on entend parler d'« influence », on pense à l'influence des sociétés. Pourtant, les électeurs peuvent avancer le même argument et dire: « J'ai voté pour votre gouvernement; maintenant, voici ce que je veux ».

N'oublions pas que cet argument peut donc s'appliquer dans les deux sens.

Le sénateur Stratton: Voilà un débat intéressant où deux opinions se confrontent.

Sur cet aspect du financement des élections, M. Freeman a bien raison de dire que la démocratisation du financement des élections est au cœur même de ce projet de loi. Voilà ce qu'il faut garder à l'esprit au cours du débat sur l'ensemble du sujet. C'est fondamental.

Il y a aussi la question des sociétés. Elles vont perdre leur droit de voter par l'intermédiaire d'une contribution. Moi, je ne suis pas d'accord.

J'ai siégé en tant que partenaire dans différents conseils d'administration. On décidait qu'un tel allait faire une contribution au Nouveau Parti démocratique, un tel au Parti libéral et un tel au Parti conservateur. On avait constamment ce genre de discussions. Et rien n'a changé, sinon la limite. Par exemple, nous pourrions être un conseil d'administration qui discute des prochaines élections. L'un des membres du conseil dit: « Je ne sais pas que ce que vous en pensez, mais je vais faire une contribution à tel parti ». Certains membres du conseil pourront dire alors: « Nous allons décider collectivement de faire une contribution individuelle à tel parti ». Et c'est ce qu'ils font, à raison de 3 000 $ chacun. Vous limitez cette possibilité. Le conseil d'administration ou l'entreprise va toujours exercer un droit, par l'intermédiaire de contributions individuelles.

Je suis convaincu qu'il n'y a pas eu de changement fondamental à cet égard. On a simplement fixé la limite, et c'est ce qu'il fallait faire. Ne l'oublions pas. Voilà les conséquences de ce changement. Par conséquent, je ne vois pas quel problème cela peut causer aux conseils d'administration ou aux sociétés, qui ont la possibilité de faire des contributions.

En ce qui concerne le contournement de la Loi électorale lorsque des employés sont contraints de faire des contributions, le phénomène peut être plus ou moins occulté, mais il devra inévitablement apparaître au grand jour. Quelqu'un va dire: « Savez-vous ce qu'on vient de me faire? » Cette personne pourra s'adresser aux médias pour dénoncer le conseil d'administration ou le patron, et vous savez ce qui arrivera ensuite.

C'est inévitable. L'influence que peut exercer un patron sur un employé est limitée, car ce dernier pourra toujours s'en plaindre, et il aura raison de le faire.

Je n'accepte pas vraiment cet argument. Comme l'a dit M. Freeman, si cette forme d'influence existe, elle sera minime, car les contributions sont modestes. Par conséquent, elles auront moins d'effet.

Les coûts d'une campagne électorale augmentent sans cesse, en particulier les coûts des médias, mais n'oublions pas que chaque parti reçoit 1,79 $ par voix obtenue. Nous avons tendance à oublier cette contribution importante accordée aux partis politiques pour mettre l'accent sur les dons des sociétés, sur les gros donateurs et sur l'augmentation des coûts des campagnes électorales. Il est essentiel de placer tout cela en perspective. Il s'agit fondamentalement de la démocratisation du processus.

J'aimerais avoir la réponse de M. Côté puis les commentaires de M. Freeman.

[Français]

M. Côté: Non, sauf répéter ce que j'ai dit, c'est en effet une question de principe, dans le fond. Est-ce qu'on doit permettre ou non à une personne morale — appelons-la comme cela — à une organisation, de contribuer? La loi dit qu'on ne doit pas le permettre. Cependant pour ce qui est de l'expérience que l'on a au Québec concernant les contributions, dont on a parlé tout à l'heure, venant d'un bureau d'avocats, d'ingénieurs ou de membres d'un conseil d'administration, on a un certain nombre de témoignages, mais pas suffisamment probant pour pouvoir entamer des poursuites selon lesquels cet argent versé aux partis politiques vient de leurs propres fonds. Il est très difficile de démontrer qu'il y a remboursement de ce montant versé.

C'est ce qui se produit dans la pratique. Je l'ai constaté lors des nombreux témoignages que j'ai entendus pendant les dernières années où j'étais en poste. J'ai remarqué que la grande difficulté face à cette situation est d'établir la preuve. Cela prendrait une armée de fonctionnaires pour vérifier la comptabilité de toutes les entreprises. C'est pratiquement impossible.

Face aux principes et à la réalité des choses, permettons à ces entreprises de contribuer, mais en les encadrant de façon très stricte, et avant tout, que ces contributions soient rendues publiques. À ce moment-là, une entreprise qui va contribuer va y penser deux fois. Par exemple, si elle contribue à tel parti politique plutôt qu'à tel autre, cela va apparaître dans les rapports de financement comme étant une contribution accordée à tel parti politique. C'est l'inconvénient de la deuxième solution que je propose. La première, c'est de verser à tout le monde. Il n'y a pas de parti politique visé directement.

Je sais que ce que je préconise est vraiment contre un principe qui est très important. Cependant, un projet de loi ne peut pas simplement faire un énoncé de principes, il faut que ce soit applicable. On s'aperçoit qu'il est difficile de trouver les contrevenants.

[Traduction]

M. Freeman: J'aime assez l'idée d'un fonds commun auquel contribueraient les sociétés et les autres organismes, et dont le contenu serait réparti selon une formule démocratique quelconque entre les partis politiques.

Le président: Le directeur général des élections pourrait peut-être s'en charger.

M. Freeman: Oui, on pourrait le confier au directeur général des élections, ou envisager un autre mécanisme. La formule du directeur général des élections me semble intéressante.

Cependant, je ne pense pas que la plupart des sociétés, des syndicats et autres organismes soient prêts à contribuer à ce fonds. Si les gens font un don, c'est le plus souvent parce qu'ils ont été sollicités par un parti ou un candidat. La plupart des personnes ici présentes connaissent bien cette dynamique.

Afin d'illustrer certains scénarios, prenons le premier exemple de l'ancien système qui prévalait avant les réformes de 2003. Aucune limite n'avait été fixée. Dans certains cas, plusieurs filiales de sociétés donnaient des montants à six chiffres à des partis politiques. On avait une situation qui serait inconcevable dans le cadre du système actuel, même en dehors de ce que propose la loi fédérale sur la responsabilité. Dans certains cas, il pouvait y avoir deux cents ou trois cents employés qui donnaient 1 000 $ chacun, ce qui a permis d'atteindre les montants constatés en 2003 et 2003. Voilà pour le premier scénario.

Dans le deuxième scénario, on a une limite de 1 000 $; supposons maintenant qu'il existe un certain degré d'abus. Supposons que nous formons le conseil d'administration décrit par le sénateur Stratton, et 8 ou 10 d'entre nous décidons de faire un don. Si nous partageons l'information concernant les modalités du don, il n'y a pas de problème. Nous allons donner chacun 1 000 $, ou 5 000 $, et il n'y aura pas de problème. Ce sont des dons individuels qui ne posent pas de problème.

Mais en fait, si nous faisons un don au nom de l'entreprise et que celle-ci nous rembourse, c'est là qu'on se heurte à une difficulté aux termes de la loi. Et c'est ce qui nous préoccupe. Reste à savoir si cette difficulté va se produire. Évidemment, à moins d'engager une armée de fonctionnaires, on ne parviendra pas à appréhender tous les auteurs d'infractions. De quel montant est-il question ici? S'il s'agit d'une dizaine ou d'une vingtaine d'employés, le montant sera de l'ordre de 10 000 $ ou 20 000 $. C'est un montant important, et je ne veux pas exagérer, mais en l'occurrence, la limite est de 1 000 $. En revanche, si elle est de 15 000 $, on atteint un total de 300 000 $; ce n'est pas négligeable. Voilà le genre de situation qui prévalait avant les réformes. Cela nous ramène à la situation d'avant les deux derniers cycles de réforme.

Il faut voir la réalité en face et tenir compte des conséquences vraisemblables de la limite que l'on fixe.

[Français]

Le sénateur Joyal: Monsieur Côté, dans votre présentation, sur la base de votre expérience de plus de 20 ans sur l'application de la Loi régissant le financement des partis politiques au Québec, vous en avez tiré des conclusions. Le juge à la retraite, Jean Moisan, qui a enquêté le printemps dernier sur des allégations semblables à celles dont nous parlons ce matin, c'est-à-dire la participation des entreprises au financement des partis politiques, est arrivé à des conclusions semblables aux vôtres. Est-ce que vous pourriez indiquer, pour le bénéfice des membres du comité, quelles sont les conclusions du rapport du juge Moisan, déposé au mois de juin, qui semblent corroborer votre propre enseignement de la pratique de la Loi régissant le financement des partis politiques au Québec pendant 20 ans?

M. Côté: Je dois dire que le juge Moisan est arrivé à ces conclusions après m'avoir rencontré et où je lui ai fait part de mon point de vue. Il a tout simplement dit qu'il était d'accord. En somme, il reprend fondamentalement ce que je propose et surtout, il fait le constat de la situation selon laquelle on contourne, assez joyeusement et assez facilement, la Loi électorale et la Loi régissant le financement des partis politiques au Québec. Ce qui est un peu décourageant dans cette situation, c'est que cela semble vouloir aller en augmentant plutôt qu'en diminuant. Alors quoi faire? Quelle solution trouver? Ce n'est pas facile.

Le sénateur Joyal: Comme vous le savez, le précédent projet de loi, qui amendait la Loi électorale au niveau du financement, le projet de loi C-24, est très récent. En fait, il a été mis en application seulement lors de la dernière campagne électorale. Je vous rappelle l'essentiel de ce projet de loi qui limitait les contributions des individus à 5 000 $ sur le plan fédéral et à 1 000 $ pour les entreprises.

Compte tenu que ce projet de loi ne nous a pas livré tous les enseignements pratiques qu'on pourrait en déduire, est- ce qu'il ne vaudrait pas mieux se limiter à ces réformes et attendre quelques années afin de voir, en pratique, comment il est appliqué et s'il atteint les objectifs pour lesquels il a été mis en application? Par la suite, on pourrait le rajuster s'il y a lieu. Il me semble qu'on accumule actuellement toutes sortes de réformes du financement des partis politiques sans se fonder sur une évaluation pratique de ce que les changements, encore très récents, peuvent produire ou viser à atteindre.

M. Côté: Quand on a modifié la Loi électorale fédérale sous le gouvernement de M. Chrétien, c'était en somme pour copier la loi provinciale et, généralement, reprendre les mêmes dispositions.

Je vous fais part des difficultés qu'on rencontre. La Loi régissant le financement des partis politiques au Québec existe depuis une trentaine d'années au moins. Il me semble qu'il serait dommage qu'au Canada, on répète les mêmes expériences malheureuses. Il y a une mauvaise application de la loi au Québec. Il faudrait savoir si cela est susceptible de se produire dans d'autres provinces. On pourrait l'étendre à tout le Canada. Comme vous dites, ce serait peut-être mieux qu'on en fasse l'expérience et qu'on voit, avec les années, quelle sorte de correctif il faudrait apporter.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Monsieur Freeman, vous avez étudié de très près le financement du processus électoral. Pouvez- vous nous indiquer les autres pays du monde occidental — pour cerner quelque peu les perspectives — qui appliquent des formules semblables à celles que nous envisageons actuellement? Y a-t-il des pays démocratiques qui imposent des limites aussi strictes que celle que nous envisageons?

M. Freeman: Est-ce que vous faites spécifiquement référence aux limites en matière de dons, à l'exclusion de tout autre élément du financement du système électoral?

Le sénateur Joyal: Oui.

M. Freeman: Le pays dont la formule est la plus proche de la nôtre sur la question des limites, et certains en seront peut-être surpris, c'est les États-Unis. On y applique des limites très strictes comparables aux nôtres quant aux dons des particuliers et des sociétés.

Le sénateur Joyal: Pouvez-vous nous indiquer les montants en cause?

M. Freeman: Je risque de me tromper. Je crois qu'ils figurent dans notre document, mais c'est bien ce que je redoute le plus: que quelqu'un me pose une question dont la réponse figure dans notre document, alors que je ne m'en souviens plus de mémoire.

Selon le donateur et le bénéficiaire du don, les montants s'échelonnent de 1 000 $US à 5 000 $US.

Le sénateur Joyal: Pour contourner la limite, il y a ce qu'on appelle l'argent mou, lorsqu'un organisme bénévole verse de l'argent par l'intermédiaire des candidats, ce qui a été dénoncé par de nombreuses études.

Je regarde mon ami le sénateur Segal, qui a sans doute pris connaissance de toute cette documentation. Je pense en particulier à ce que j'ai lu l'été dernier sur un système parallèle de financement par de l'argent mou, qui bat totalement en brèche les objectifs mêmes de la loi.

M. Freeman: L'argent mou a été interdit aux États-Unis il y a deux ans, lors du dernier cycle de réforme fédérale. Il existe des échappatoires semblables au niveau des États pour verser de l'argent dans le cadre du processus politique. Il y a aussi les comités d'actions politiques, dont nous avons tous entendu parler. Ils ne sont pas illégaux aux États-Unis. Ils sont même prévus dans la loi, et c'est ce qui permet la mise en commun des dons. C'est principalement pour cela que les élections américaines se chiffrent aujourd'hui en milliards de dollars.

D'ailleurs, certains de ces mécanismes sont légaux au Canada. Nous avons la chance d'avoir échappé aux stratégies et aux tactiques déployées aux États-Unis par certains partis et certains candidats, mais ne soyons pas plus royalistes que le roi.

Le sénateur Joyal: Vous dites que les limites sont de 5 000 $ et de 1 000 $, ce qui ressemble aux limites fixées par le projet de loi C-24, et ce qui corrobore les propos de M. Côté, à savoir que lorsque les limites sont trop strictes, on voit apparaître en réaction des formes détournées de financement des partis. Les Américains ont fait preuve d'une grande imagination pour trouver toutes sortes de formules permettant de contourner les objectifs de la loi.

Je ne veux pas dire que la loi n'ait pas lieu d'exister. Je dis simplement qu'elle doit rester réaliste quant à ses objectifs. Les bienfaits de la loi sont limités si tout le monde n'est pas prêt à reconnaître qu'elle doit tenir compte de la réalité. Un système qui fixe des limites et qui propose une formule raisonnable de financement des sociétés, comme celui du projet de loi C-24, m'amène à considérer que l'équilibre est maintenu. Un excès de vertu provoque nécessairement des réactions. On peut conclure, comme le fait M. Côté, que le financement parallèle existe mais qu'il n'y a pas à intervenir ou qu'il ne faut intervenir qu'en cas de gros scandale, auquel cas on entretient le cynisme des électeurs, comme l'a dit le sénateur Stratton; ou on peut recruter une armée de fonctionnaires qui vont analyser tous les dons et vérifier si le candidat siège au conseil d'administration d'une grosse société, s'il n'utilise que son argent, et qui vont contrôler tous les dons faits par des personnes influentes. Il suffit de prendre le Who's Who canadien et de vérifier d'où vient l'argent.

Nous n'atteignons pas les objectifs avec ces solutions. Nous créons même le pire de deux maux.

[Français]

C'est une question de dosage. La Loi sur le financement des partis politiques du Québec a été adoptée dans un contexte semblable à celui-ci. On se souviendra qu'à l'époque il y avait eu des critiques, des scandales et des accusations. La loi allait très loin en éliminant complètement les donations en provenance des organismes ou des corporations. Conséquemment, c'est à travers la pratique qu'on peut en arriver à un équilibre. L'expérience d'autres pays corrobore ce que M. Côté vient de dire.

On devrait avoir un régime qui tienne compte de ce qu'est la réalité politique, ce qui ne veut pas dire qu'on ne doive pas appliquer la loi telle qu'elle existe actuellement dans le contexte du projet de loi C-24. On devrait tirer des leçons du projet de loi C-24 avant d'aller au delà, parce qu'on risque de provoquer une situation pire que celle qu'on a présentement.

[Traduction]

M. Freeman: En ce qui a trait au financement électoral, ce qui se passe aux États-Unis est à faire frémir. En ce sens, il est plus agréable de travailler sur ce genre de choses au Canada plutôt que là-bas. Cela étant dit, il est impossible d'établir des comparaisons avec le système américain et d'en tirer des conclusions, et ce, pour diverses raisons. D'abord, les montants en question aux États-Unis sont dans un ordre de grandeur inconnu au Canada. Les enjeux ne sont pas aussi élevés. Mais ce qui est plus important, c'est que depuis 1974, nous avons réussi à bien contenir les coûts en imposant des limites de dépenses, tant au niveau du parti que du candidat, et même, grâce aux dernières réformes, au niveau de la course à la candidature. À mon avis, tout cela a considérablement réduit la nécessité de recueillir des sommes aussi énormes que chez nos voisins du Sud.

C'est probablement le facteur le plus déterminant, mais il faut aussi garder à l'esprit qu'il y a des différences juridiques bien précises. Ainsi, je n'ai pas mentionné le fait qu'aux États-Unis, les limites ne s'appliquent pas aux donateurs. Ou plutôt, oui, mais elle s'applique aussi au donataire, ce qui signifie qu'on peut faire des dons à plusieurs candidats. C'est ainsi que les montants augmentent. La plupart des sommes versées dans le système américain sont légales. Ça n'est pas parce que les donateurs dépassent les limites autorisées que les montants sont élevés. Depuis qu'on a mis fin aux échappatoires qui permettaient le recours à l'argent mou, même ce qui est recueilli grâce aux échappatoires au niveau des états ne se compare pas aux montants tout à fait légaux qui circulent dans le système. Chez nous, en imposant des limites à celui ou à celle qui effectue le don, ce qui est beaucoup plus approprié, nous avons vraiment réduit les coûts de la participation aux activités de candidatures et électorales.

Toutefois, briguer les suffrages coûte quand même cher au Canada, surtout pour un parti. Ainsi que je le disais plus tôt, c'est surtout la publicité radiophonique et télévisée qui est la plus coûteuse. Par conséquent, si l'on veut ramener de tels coûts à des niveaux plus modestes, il faut donner beaucoup plus de temps d'antenne gratuit aux partis. Cela diminuera encore davantage les coûts et justifiera qu'on resserre encore plus les dépenses des partis et cela viendrait en aide aux partis pendant la période de transition.

En 2003, les partis se sont plaints vigoureusement des réformes contenues dans le projet de loi C-24, réforme que vous avez d'ailleurs mentionnée, et aussi du fait que ces nouvelles dispositions entraîneraient pour eux un manque à gagner. Depuis lors, et en dépit des amendements, tous les partis sont en bien meilleur posture, grâce aux dispositions relatives au financement public, lesquelles couvrent la subvention annuelle mentionnée par le sénateur Stratton, ainsi que le remboursement des dépenses et le crédit d'impôt qui s'appliquent aux dons et aux dépenses politiques.

Le sénateur Joyal: Monsieur le président, est-ce que M. Côté pourrait réagir à cela?

[Français]

M. Côté: À moins que cela ait été modifié il y a quelques années, il faut se rappeler que les États-Unis ont un système absolument incroyable. C'est le système des PACS (Political action committees). C'est une façon indirecte de contribuer tout à fait incroyable. Cela dépasse l'entendement. Quant aux « soft money » dont il a été question, il faut savoir que c'est la réponse aux limites imposées aux campagnes à la présidence des États-Unis. Le truc est très simple. Au lieu de donner à un candidat, on donne à un parti politique aux États-Unis. Il y a toujours 1 000 façons de contourner les lois et c'est fort regrettable.

Il faut quand même reconnaître qu'une campagne électorale coûte cher. Même s'il y a des contributions substantielles de l'État pour aider les partis politiques, cela coûte cher. On se dit que c'est assez. On atteint le maximum de ce qu'on peut recueillir pour faire face à une campagne électorale à la grandeur du pays. La demande, le besoin sera là de la part des partis politiques. On a besoin de plus d'argent pour mener à terme notre campagne électorale. La vertu suggère qu'on procède par le porte à porte. C'est bon comme principe de base et cela a été la façon de procéder au Québec, mais il faut se rendre à l'évidence que la situation est devenue différente maintenant.

Le sénateur Segal: Ma question s'adresse à monsieur Côté et à trait à la transparence.

[Traduction]

Quelqu'un qui fait partie d'une société en nom collectif et qui achète ou vend des actions doit déclarer cela rapidement. Il ou elle n'a pas un mois et demi ou six mois pour le faire, il faut qu'il le fasse rapidement.

[Français]

Si nous avions un système de transparence plus ouvert où un don fait ou un don reçu est déclaré ouvertement ou sur le site du directeur des élections dans une période de 48 heures, cela pourrait-il diminuer le problème dont vous avez parlé quant à ceux qui donnent en apparence leur propre argent mais qui sont versés d'une autre façon. Si, dans une période de 48 heures ont constate que tous les membres d'un conseil d'administration a fait un don, cela va leur indiquer quelque chose. Cette information aura une certaine valeur pour les électeurs avant qu'ils votent. À votre avis, est-ce que cela peut nous aider un peu dans ce domaine de travail?

M. Côté: Possiblement, mais cela aurait peut-être comme conséquence que les personnes qui voudraient agir de cette façon au nom d'une entreprise hésiteraient à le faire. Ce qui serait rendu public, se serait leur don pendant la période électorale. Cela peut représenter un inconvénient pour la campagne électorale.

Le sénateur Segal: Votre réponse m'indique que le problème n'est pas la donation elle-même mais le fait que ce soit caché pour une période de temps importante, la campagne électorale, laquelle période où tous les électeurs devraient savoir pourquoi quelqu'un a appuyé tel ou tel parti et pourquoi. Si on change la loi pour avoir une ouverture plus claire, cela va-t-il diminuer les donations? Le problème est la transparence?

M. Côté: La transparence, on ne peut l'avoir de façon automatique. Aussitôt le don fait par un individu ou une entreprise, je vois cela difficilement. Par exemple, si une campagne électorale dure 30 jours et que les plus gros dons sont faits le 29e jour, ils seront publiés 48 heures après. Cela va donner quoi ? Je ne pense pas que cela soit une bonne solution. Il y a aussi un problème de contrôle sur les dépenses qu'exerce le directeur général des élections sur les contributions reçues avant que ce soit rendu public, avant que ce soit publié. Je ne pense pas qu'on puisse procéder automatiquement à rendre cela public.

[Traduction]

Le sénateur Segal: Monsieur Freeman, j'aimerais vous interroger au sujet des prêts. Si l'on veut éviter des considérations partisanes trop immédiates, parlons plutôt des difficultés qu'a connues le Labour Party du Royaume- Uni lorsqu'on a exigé qu'il communique des renseignements sur les dons privés qu'il avait recueillis. Je crois que l'autre parti a probablement été visé aussi, mais quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas de dons provenant de banques mais bien de particuliers. Or, pendant très, très longtemps, les partis n'étaient pas tenus de divulguer ce genre de choses, ce qui signifie que l'électeur britannique ne savait pas vraiment d'où venaient les fonds du parti.

Je sais que vous avez vos propres idées sur les carences de la loi en ce qui a trait à la transparence. En avez-vous au sujet des prêts? Pouvez-vous conseiller notre comité sur ce qu'il faut faire à propos des prêts afin de renforcer le projet de loi dont nous sommes saisis? Que recommandez-vous?

M. Freeman: D'abord, j'aimerais rappeler que lors de l'étude du projet de loi C-24 en comité, on a proposé et adopté un amendement obligeant le candidat à révéler les conditions d'accord de son prêt. À mes yeux, c'est quelque chose d'important. Nous connaissons maintenant les conditions encadrant ce genre de choses, et si le taux du prêt accordé est plus avantageux que la juste valeur marchande, nous le saurons.

La question des prêts est importante. Des prêts tout à fait énormes peuvent être consentis à un candidat ou à un parti, et en principe, l'emprunt doit être remboursé après le vote, dans des délais prescrits; c'est problématique. Toutefois, que se passe-t-il si l'échéance n'est pas respectée? C'est probablement le problème que vous évoquiez. La seule façon d'éviter cela est d'imposer des limites aux prêts. Il s'agit d'une échappatoire, et par conséquent, les partis devraient envisager cela.

Le sénateur Segal: J'ai une question de plus pour nos deux éminents invités. Elles portent sur la bureaucratisation de nos partis politiques et du processus politique. J'ai foi dans le système des partis politiques, et je suis sûr que les autres assis à cette table partagent le même sentiment. Je ne pense pas que mon parti ait toujours raison. Toutefois, même lorsqu'il a tort, c'est d'habitude pour de bonnes raisons.

Cela étant dit, et tout en reconnaissant que nous tous ici présents à cette table cherchons une plus grande intégrité du processus, l'ouverture, la franchise et un public mieux renseigné, je crains qu'à cause de nos propositions, les partis politiques ne soient davantage redevables des fonds publics que des petits dons privés.

Prenons l'exemple du Parti Vert; grâce à la réforme de M. Chrétien — qui est d'ailleurs tout à son honneur, je le dis avec respect — il a pu obtenir des subventions en proportion des suffrages qu'il a reçus. Par conséquent, après ce changement, les gens qui votent pour le Parti Vert peuvent le faire en sachant que, même en ne remportant pas un siège, ils appuient cette nouvelle répartition des fonds publics, et que, grâce à leurs votes, ils vont obtenir 1,75 $ ou 1,79 $ par année pour leur parti.

Si nous regardons ce qui se fait de mieux dans le genre, probablement le système allemand, où des sociétés doivent payer une espèce de taxe, et où les partis sont directement financés par l'État, sur une longue période, on peut observer que les partis ont constamment reçu des fonds versés en toute bonne foi et jamais de manière étriquée, limitée ou injuste. Maintenant, les partis doivent se conformer à certaines conditions pour obtenir le financement de l'État. À terme, c'est certainement approprié.

À titre d'exemple des conséquences de cela toutefois, il se pourrait qu'on invoque la Charte des droits et libertés pour demander s'il y a lieu de soutenir financièrement un parti politique qui ne s'est pas doté d'un programme d'action positive venant en aide aux femmes, aux gens de couleur et à d'autres encore afin que ces derniers participent à la vie politique sur un pied d'égalité. Il s'agit ici de fonds publics, au même titre que les crédits parlementaires adoptés au moyen d'un vote puis versés à un ministère. Par conséquent, estimez-vous qu'à cause de cela, nous risquons de voir nos partis politiques devenir des filiales en propriété exclusive du directeur général des élections? L'un des miracles de notre démocratie, c'est qu'un parti politique peut naître dans 3 000 sous-sols de citoyens qui désapprouvent tout ce que font le gouvernement en place et les autres partis élus, qui, entre parenthèses, fixent les règles, Si ces gens veulent s'organiser pour réformer le système, ce que notre démocratie est censée favoriser, ne craignez-vous pas que nous soyons, en toute bonne foi, en train d'élaborer un régime qui empêchera les nouvelles organisations pas encore représentées officiellement de se lancer dans ce genre de projet et de défendre leurs convictions? Pour ma part, cela me préoccupe, et j'aimerais donc entendre votre avis plus éclairé sur le sujet.

M. Freeman: Il existe à l'heure actuelle des contestations en vertu de la Charte concernant le système actuel. L'affaire Longley conteste le système qui exclut les partis qui reçoivent moins de 2 p. 100 des votes à l'échelle nationale ou 5 p. 100 des voix dans les circonscriptions où ils ont des candidats. Ce cas est actuellement devant les tribunaux.

Oui, je considère effectivement que les subventions de l'État sont trop élevées. Cependant, je ne prévois pas que l'État exercera un contrôle sur les partis politiques. L'exemple que vous donnez du Parti Vert est important. Soixante p. 100 des recettes du parti proviennent à l'heure actuelle des fonds publics, mais je n'ai pas calculé les chiffres pour chaque parti individuellement. Cependant, je soupçonne fortement que pas plus de la moitié des recettes des partis proviennent de dons. La subvention annuelle calculée selon la proportion des voix recueillies par les partis lors d'élections précédentes représente une énorme proportion des recettes des partis. Elle est de très loin supérieure au remboursement des dépenses et au crédit d'impôt accordé aux donateurs. À mon avis, elle est trop élevée et est répartie selon une formule qui, à mon avis, n'est pas aussi démocratique qu'elle pourrait l'être. Il existe d'autres modèles internationaux dont nous pourrions nous inspirer.

Le sénateur Segal: J'aimerais entendre la réponse de M. Côté à cette dernière question également.

Vous avez exprimé de façon assez éloquente dans votre présentation votre préoccupation concernant les sociétés qui font des dons sans la permission de leurs actionnaires et des syndicats qui ont versé des dons dans le cadre du régime précédent sans la permission de leurs membres. Êtes-vous préoccupé par le fait que des gouvernements décident, selon une formule rationnelle approuvée par les participants et les partis bénéficiaires, de faire des dons à des partis politiques sans l'approbation formelle de la population du Canada à qui cet argent appartient?

M. Freeman: Vous avez dit très rapidement « selon une formule ». Je ne suis pas un ardent partisan du système de subvention publique, mais je le défendrai jusqu'à un certain point. La formule permet de s'assurer que la distribution de ces fonds se fait de façon relativement démocratique. Oui, les fonds publics, les fonds gouvernementaux, sont versés à certains partis avec lesquels je ne suis peut-être pas d'accord en tant qu'électeur, mais essentiellement mon vote pour un parti en particulier fait en sorte que ce parti reçoive une subvention annuelle équivalente à mon vote. Cette subvention a commencé à 1,75 $. Par conséquent, je crois que l'argument selon lequel l'argent du gouvernement est versé à des partis avec lesquels les électeurs ne sont peut-être pas d'accord est un peu de la poudre aux yeux.

[Français]

M. Côté: Dans notre système démocratique, il faut absolument préserver l'indépendance des partis politiques. Je me base sur l'expérience du Québec. La contribution de l'État, selon la formule que l'on vient de mentionner en ajoutant les remises d'impôt sur le revenu, a frisé durant certaines périodes un pourcentage de 60 p. 100.

Si la solution est de demander à l'État de contribuer davantage au financement des partis politiques, l'État aura la même réaction qu'il a normalement. Puisqu'il donne de l'argent, il voudra voir de quelle façon ces sommes sont administrées et ils vont mettre leur nez dans les partis politiques. Il faut éviter cela à tout prix, parce que ce serait la mort de notre système démocratique tel qu'on le connaît. Il faut que les partis politiques préservent leur indépendance.

C'est pour cette raison que l'équilibre entre ce que donne l'État et ce qui vient des contributions privées ou autres doit être juste, sinon nous allons basculer vers un autre problème.

[Traduction]

Le président: Professeur Freeman, en réponse à une question du sénateur Segal à propos des prêts, vous avez dit que nous devrons probablement adopter un mécanisme qui limite les prêts. Parliez-vous du montant ou du nombre de prêts?

M. Freeman: Je crois dans une certaine mesure que les prêts devront être considérés comme une contribution. Je ne crois pas que nous pourrons l'éviter. En concevant la limite et la loi, il faudra accepter la possibilité que ces prêts ne soient pas remboursés et qu'on n'ait pas l'intention de les rembourser. Récemment, au Canada, un énorme prêt qui avait été consenti à l'un des petits partis a tout simplement été radié par le donateur. C'est le genre de situation dont nous devons être conscients et contre laquelle nous devons nous prémunir dans le cadre du système.

Le sénateur Milne: J'ai toujours su que le sénateur Segal était un conservateur pur et dur, mais j'ignorais qu'il avait des tendances libérales.

Le sénateur Segal: Il existe une énorme distinction entre les deux dont nous pourrons discuter plus tard.

Le sénateur Day: Je me demande si nous pourrions avoir un éclaircissement sur ce dernier point, ce qui pourrait nous faire gagner du temps.

Si un prêt est visé par une limite de 1 000 $ par année, vous êtes en train d'éliminer les prêts.

M. Freeman: C'est exact, si le prêt provient d'une société. Je pense qu'il faudra des dispositions spéciales portant sur les prêts. Je me suis mal exprimé peut-être lorsque j'ai dit qu'ils doivent être considérés comme des contributions. Je ne voulais pas dire que légalement dans la loi il faudrait les considérer comme des contributions, ce qui essentiellement les éliminerait s'ils provenaient de sociétés. Cependant, lorsque l'on envisage des prêts, il faut les envisager comme des contributions pour ce qui est de les réglementer, parce qu'essentiellement à l'heure actuelle ils ne sont pas réglementés.

Le sénateur Day: Cet éclaircissement est utile.

[Français]

Le sénateur Chaput: Ma question concerne la réduction des contributions des particuliers, telle que déterminée dans le projet de loi que nous étudions à ce comité.

Je crois qu'il faut non seulement préserver la transparence et l'intégrité de notre système démocratique, mais qu'il faut encore et toujours travailler afin qu'il y ait davantage de transparence.

On nous dit que le Canada, avec ce projet de loi, s'éloigne des normes établies dans les principales démocraties du monde. Le fait d'imposer des réductions aussi radicales va-t-il, selon vous, contribuer à augmenter la transparence et l'intégrité de nos partis politiques?

Ne faudrait-il pas plutôt travailler à l'amélioration du processus de contrôle et de vérification afin d'en assurer le respect?

M. Côté: La question de la transparence du financement est évidemment fondamentale. Je vais même aller un peu plus loin. La suggestion d'augmenter le nombre de fonctionnaires, le nombre de contrôleurs et le nombre de vérificateurs m'apparaît être une solution irréalisable.

Mais en diminuant considérablement, comme on le fait dans le projet de loi, le maximum des contributions, ne se placera-t-on pas dans la situation où on va se dire qu'il faudra bien trouver l'argent quelque part? On en a besoin, il va falloir en trouver.

Une des réflexions que je me suis toujours fait vis-à-vis des questions de financement des partis politiques, c'est qu'on a beau avoir les plus belles dispositions, la formulation la plus claire, la plus transparente possible, il y a toujours quelque avocat brillant qui va trouver une façon de la contourner ; mais surtout quelques politiciens. Car les politiciens en campagne électorale, il faut être réaliste, ont besoin d'argent pour faire leur campagne. Si on les met dans une situation disant qu'on n'a pas le droit d'avoir une contribution de plus de 1000 $, si on a besoin de 3000 $, quelle sera la solution? On dira « débrouillez-vous, trouvez la différence, organisez-vous pour contourner la loi ».

C'est une grande crainte, je pense. Il faut qu'une loi puisse être observée. Une loi qui n'est qu'un énoncé de principes de philosophie ou de lignes de conduite, cela ne sert à rien d'avoir une telle loi, sauf à se vanter d'avoir adopté une loi exceptionnelle, extraordinaire, qu'on ne retrouve nulle part dans le monde, mais que l'on n'a pas le moyen d'appliquer.

[Traduction]

M. Freeman: Je considère que la transparence est fondamentale. C'est d'une extrême importance. Pour cette raison, il est très important que les dons préalablement au vote soient divulgués par un mécanisme de déclaration selon lequel les contributions ne seraient pas admissibles pendant la dernière semaine de la campagne. Cela donnerait aux partis et aux candidats le temps, disons quatre jours, de remettre leurs listes de dons pour le site Web d'Élections Canada, ce qui serait très simple s'ils tenaient simplement, grâce aux logiciels fournis par le directeur général des élections, des listes de limite des dons, qui sont déjà à jour. Nous pourrions alors disposer de cette information deux jours avant la tenue du scrutin.

La transparence seule ne permet pas de régler l'autre problème fondamental qui se pose dans ce contexte, à savoir l'influence et l'influence perçue des dons politiques. Avant les réformes prévues par le projet de loi C-24 en 2003, des dons atteignant les six chiffres étaient versés aux partis politiques. Les candidats recevaient d'énormes dons. Je ne dirais pas qu'il s'agissait d'une situation démocratique même si nous connaissions l'identité des donateurs. Lorsque l'on prépare une loi électorale, il est très important de tenir compte de ces deux objectifs démocratiques.

Il ne fait aucun doute que les partis devront s'adapter aux nouvelles limites et devront adapter leurs efforts de collecte de fonds en fonction des nouvelles limites. Nous pouvons les aider dans ces efforts en leur fournissant davantage de temps d'antenne gratuit. Cela influe directement sur le résultat net des partis puisqu'ils n'ont pas à consacrer autant d'argent à leurs plus grands postes de dépenses, à savoir la publicité radiophonique et télévisée. En passant, la publicité radiophonique et télévisée est également répartie selon une formule beaucoup plus démocratique que les dons politiques ont tendance à être répartis parmi les partis. Il s'agit d'un avantage supplémentaire.

[Français]

Le sénateur Chaput: Si c'est le cas, selon certaines recherches, on nous dit qu'il est inutile de limiter les contributions pendant une élection si on n'impose pas aussi une limite aux dépenses. Que pensez-vous du fait d'avoir une proposition pour réduire les dépenses électorales? Si on limite les revenus, est-ce qu'on ne devrait pas aussi limiter les dépenses?

M. Côté: Dans la loi québécoise, il y a une limite aux dépenses électorales pendant une campagne électorale. Je n'ai pas fouillé le projet de loi C-2, mais il me semble qu'il y a une limite également aux dépenses qu'on peut faire pendant une campagne.

Le sénateur Chaput: Mais ce n'est pas ajusté. Si on limite les revenus, on n'ajuste pas la limite que l'on a pour les dépenses, n'est-ce pas? Si on change la loi pour limiter ma contribution, la personne peut quand même dépenser le même montant d'argent, n'est-ce pas?

M. Côté: Oui.

[Traduction]

M. Freeman: Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la question. D'après ce que je crois savoir, il existe à l'heure actuelle des limites pour les dépenses des partis, des candidats, les mises en candidature. Il n'y a qu'un seul cas où des limites ne sont pas imposées, c'est-à-dire dans le cas des candidats à la direction et il faudrait absolument que des limites soient imposées.

[Français]

Le sénateur Chaput: Mais présentement, nous parlons de limiter les revenus, les contributions, mais de ne pas diminuer les dépenses. On ne traite pas la question de diminuer les dépenses, dans le projet de loi.

M. Freeman: De diminuer la limite?

Le sénateur Chaput: Oui, les limites aux dépenses.

[Traduction]

M. Freeman: Êtes-vous en train de proposer que nous réduisions les limites de dépenses des candidats des partis?

Le sénateur Chaput: Que pensez-vous d'une telle mesure?

M. Freeman: Adopter une telle mesure tout en réduisant la limite des dons s'avérerait probablement difficile pour les candidats et les partis. Le projet de loi C-24 a réglé le problème en augmentant considérablement les subventions publiques au point où elles surcompensaient pour les limites de dons, ce qui a amélioré la situation financière des partis. Il existe d'autres moyens de le faire. Pour les partis, la meilleure façon de le faire consiste à obtenir davantage de temps d'antenne gratuit.

Le sénateur Milne: Monsieur Côté, les observations que vous avez faites aujourd'hui à propos de dons de société ont déjà été formulées hier par les petits partis qui ont comparu devant nous toute la journée, et elles s'étendaient aux dons individuels. Avez-vous réfléchi aux difficultés, évoquées par chacun d'entre eux hier, que cette limite de 1 000 $ impose aux petits partis qui ne satisfont pas au critère du 2 p. 100 leur permettant de recevoir une subvention du gouvernement?

[Français]

M. Côté: Ce sera toujours le problème des petits partis ou des partis émergents. Pour un parti politique qui se crée, cela lui prend un bon nombre d'années avant de pouvoir s'imposer face à l'électorat, mais également pour être en mesure de recueillir des subventions pour l'aider dans la campagne. Il est certain que le système actuel favorise davantage les partis existants depuis longtemps, les partis solidement établis, mais cela va être toujours difficile et long pour un nouveau parti de pouvoir avoir sa place sur l'échiquier politique.

[Traduction]

Le sénateur Milne: Cela se rattache à la publicité faite par des tiers en période électorale. Certains des petits partis étaient au départ des tiers mais ont décidé de devenir des partis politiques à cause des problèmes posés par la publicité par des tiers. Que pensez-vous de ces restrictions concernant la publicité par des tiers?

[Français]

M. Côté: Dans le projet de loi, voulez-vous dire? Vous parlez des restrictions dans le projet de loi? Je comprends mal votre question.

[Traduction]

Le sénateur Milne: Je parle des restrictions concernant la publicité par des tiers en période électorale. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, monsieur.

Le président: M. Freeman est prêt à répondre, n'est-ce pas, monsieur Freeman?

M. Freeman: Je suis heureux de répondre à la question. J'étais un intervenant dans l'arrêt Harper au nom de Démocratie en surveillance. Démocratie en surveillance était un intervenant dans l'affaire Harper. Je tiens à mentionner que je n'appartiens plus à Démocratie en surveillance depuis des années. Je prends la parole ici en mon propre nom.

La question des dépenses par des tiers n'est pas couverte par le projet de loi, mais plutôt par la Loi électorale. Pendant longtemps au Canada, elle a fait l'objet de beaucoup de litiges.

Je ne connais aucun petit parti politique qui l'est devenu à cause des dispositions sur les tiers, mais je ne suis pas expert en la matière. Il y en a environ une douzaine.

Le sénateur Milne: Hier, un groupe nous a dit qu'il avait formé un parti politique justement à cause de cela.

M. Freeman: C'est possible étant donné les dispositions législatives visant les tiers et les subventions publiques, ce qui les incite davantage à former des partis politiques.

À mon avis, il est essentiel d'imposer des limites sur les dépenses des tiers, et ce, pour plusieurs raisons. J'encouragerais le comité à examiner la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Harper. À la base, c'est une question d'équité. Il doit y avoir un équilibre entre le droit à la libre expression, le droit d'une personne de s'exprimer dans une élection, et le droit d'exprimer un point de vue et de pouvoir bien faire passer son message. En revanche, il y a une question d'équité électorale, qui comporte plusieurs aspects. Par exemple, on peut rencontrer une situation, courante aux États-Unis, où plusieurs tiers diffusaient des publicités négatives à l'endroit de certains partis ou candidats, ou d'un candidat en particulier. Ce candidat n'a pas la possibilité de répliquer à ces attaques. Si un candidat a un budget publicitaire, il est minuscule. La limite de dépenses de la plupart des candidats tourne autour de 75 000 $ ou 80 000 $, dont la majeure partie est affectée à d'autres postes de dépenses.

Il pourrait facilement y avoir une situation où les partis et candidats tenteraient de contourner les règles sur les limites des dépenses en faisant passer leur message par le biais de tiers s'il n'y a aucune limite sur les dépenses de ceux- ci.

Le sénateur Milne: Monsieur Freeman, j'aime votre suggestion voulant que les partis politiques devraient bénéficier de davantage de temps d'antenne gratuit, car c'est une dépense importante pendant la période électorale. Vous disiez également que le projet de loi ne protège pas assez l'accès à l'information. C'est une question dont nous allons discuter plus tard au cours de nos travaux.

Par contre, votre idée selon laquelle les candidats n'auraient plus le droit de recevoir des dons — si j'ai bien compris — dans la semaine précédant les élections est intéressante mais impraticable. Vous dites que cela donnerait amplement de temps aux partis de soumettre leurs dossiers à Élections Canada. Je dois vous poser la question suivante, monsieur: avez-vous déjà participé à une campagne électorale? Avez-vous déjà dirigé une campagne? Savez-vous comment ça se passe pendant la semaine précédant les élections, qu'elles soient provinciales ou fédérales?

M. Freeman: Oui, j'en ai une idée approximative. Je crois que cela changerait certes la façon dont l'agent du parti tient sa comptabilité. Celui-ci devrait tenir à jour une liste des dons faits à un candidat; et cela devrait être fait sur un logiciel et ne pas être plus compliqué que de cliquer sur « envoyer » pour transmettre la liste à Élections Canada.

C'est une tâche supplémentaire. Je sais que la semaine précédant les élections n'est pas le meilleur moment pour le faire, mais — fait intéressant — ça se fait aux États-Unis et aussi pour les courses à la direction.

Il n'y a pas de course plus intense et frénétique qu'une course à la direction. Au Canada, en vertu du projet de loi C- 24, il faut soumettre la liste des dons chaque semaine pendant une course à la direction. Cela ne se fait pas pendant la dernière semaine d'une campagne électorale, mais bien une semaine avant le vote. Cela se fait déjà dans les courses à la direction. Je ne vois pas pourquoi les partis politiques ne peuvent pas le faire, étant donné leurs ressources. Pour ce qui est des candidats, il faudrait que le processus soit très facile car ce sont des bénévoles qui font le travail et qui assument d'ailleurs plusieurs autres fonctions.

Le sénateur Milne: Pendant la semaine qui précède les élections, il est impossible d'accomplir cette tâche faute de temps; les travailleurs s'occupent de transporter le plus grand nombre de personnes aux bureaux de scrutin. Il est très difficile de faire même cela aujourd'hui, car il est difficile de trouver des agents des bulletins de vote spéciaux puisqu'ils sont tous tellement occupés.

Avez-vous déjà travaillé à la levée de fonds pour un parti politique reconnu au niveau provincial ou fédéral?

M. Freeman: Non.

Le sénateur Milne: Avez-vous déjà agi à titre de représentant officiel d'un parti?

M. Freeman: Non.

Le sénateur Milne: C'est le représentant officiel qui est ultimement responsable. S'il ne fait pas son travail, il est passible d'une peine d'emprisonnement.

M. Freeman: D'abord, nous parlons d'une semaine environ avant le vote; nous ne parlons pas du jour des élections qui, je crois comprendre, est une période encore très intense.

Le sénateur Milne: C'est la semaine qui précède le vote qui est intense.

M. Freeman: La semaine avant le vote, un travailleur n'aurait qu'à cliquer sur « envoyer » dans le logiciel pour transmettre la liste à Élections Canada, qui s'occuperait de l'afficher sur le site Web.

Le sénateur Milne: Dans votre esprit, monsieur, cela se résume simplement à cliquer sur « envoyer », mais il faut d'abord entrer les données dans l'ordinateur.

M. Freeman: Oui, c'est vrai.

Le sénateur Cools: Ce n'est pas aussi simple.

Le sénateur Milne: Monsieur, à mon avis, votre suggestion est tout à fait utopique. C'est une belle suggestion, mais complètement impraticable. Par contre, j'aime vos autres idées.

Le sénateur Cools: J'aimerais remercier les témoins de leur comparution. J'aimerais également remercier M. Côté pour sa riche expérience dont nous bénéficions.

J'ai plus de questions pour M. Freeman que pour M. Côté. Les partis politiques et les élections, de par leur nature, dépendent surtout du travail des bénévoles. Je m'inquiète du fait que lorsque des gens comme vous, comme M. Freeman ou comme certains fonctionnaires, parlent de réforme, ce qu'ils font en réalité est de tellement compliquer le processus à chaque étape, qu'une bonne partie des bénévoles n'y comprennent rien. Cela me préoccupe car ce que vous décrivez comme étant des réformes méritoires n'auront pour effet que de décourager le Canadien moyen de participer au processus politique. Il est révolu le temps où la plupart des candidats ne comptaient que sur des bénévoles pour interpréter ces millions de règles et de procédures. Aujourd'hui, les campagnes sont obligées d'embaucher des experts et des professionnels en la matière simplement pour s'assurer de l'exactitude de l'interprétation des lois.

Je me préoccupe du fait qu'une des conséquences de toutes ces activités, qui sont imaginées par des individus, aura exactement l'effet désiré contraire. En réalité, on découragera le Canadien moyen de participer au processus politique.

On me dit qu'aux États-Unis d'Amérique, par exemple, beaucoup de candidats n'arrivent pas à trouver des bénévoles et qu'ils doivent en conséquence payer des gens. Vous pouvez réagir à ce que je dis là — en fait, votre opinion m'intéresse — mais je veux d'abord vous poser quelques questions au sujet de vos propos.

Vous utilisez une expression américaine quand vous dites « droits inaliénables ». C'est un concept américain. Ces mots n'apparaissent nulle part dans nos documents constitutionnels. Vous avez parlé du droit de vote. Vous avez dit qu'une société n'est pas un être humain qui a le droit de voter, mais les sociétés sont des personnes morales. Il existe un autre droit inaliénable, pour reprendre votre expression, celui du droit d'association. Les êtres humains peuvent former des associations et s'incorporer en personne morale. Lorsque vous rejetez l'idée de donner un meilleur traitement en droit aux sociétés, je dirais que vous le faites pour les mauvaises raisons. Une société est la représentation concrète du droit d'association des sujets du royaume, pour ainsi dire.

J'en arrive à ma question. Je ne suis pas d'accord avec ce que vous avez dit au sujet des personnes morales, mais vous pourrez y revenir.

Voici ma vraie question: comme beaucoup, vous invoquez des arguments moraux pour justifier le « nettoyage » du processus électoral. Soit dit en passant, rien ne prouve que le processus électoral canadien soit largement corrompu. Cependant, lorsque vous parlez de « nettoyage », quand je ne sais pas qui a décidé de limiter ces contributions à cette somme, pouvez-vous me dire quel est le motif constitutionnel sur lequel se fonde le gouvernement? Qu'est-ce qui justifie, par exemple, la limite de 1 000 $ ou 5 000 $ pour les contributions des particuliers, alors qu'il existe un autre droit inaliénable qui s'appelle le droit de disposer de nos biens comme bon nous semble?

Si, par hasard, je vous aime bien, je peux vous offrir un repas ou un cadeau. Et je ne parle pas des limites qui s'appliquent aux cadeaux que reçoivent les députés ou quoi que ce soit de ce genre; je parle de la violation des droits des personnes à dépenser leur argent comme bon leur semble pour des causes qui leur tiennent à cœur.

Nous avons beaucoup parlé de la justification morale de tout cela, mais très peu de la base constitutionnelle sur laquelle se fondent les gouvernements. Aucune des recommandations que j'ai entendues ne porte sur les limites à imposer au gouvernement. Elles portent toutes sur les limites sur les droits des personnes — ces mêmes droits inaliénables qui vous tiennent tellement à cœur.

Je ne me suis pas beaucoup intéressée à certaines de ces questions, mais ce qui m'inquiète dans votre exposé, monsieur Freeman, c'est que vous ne parlez jamais de limiter le pouvoir des gouvernements ni de limiter l'intrusion permanente, persistante et incessante des gouvernements dans chaque aspect de nos vies.

Par exemple, beaucoup de personnes contestent le fait que le Bloc québécois soit subventionné par des fonds publics. Vous devez reconnaître que ces dispositions favorisent les grands partis. Quel est votre fondement constitutionnel? Vous parlez de démocratie et de démocratisation. Soit dit en passant, je ne savais pas que vous aviez travaillé avec Démocratie en surveillance. Il n'y a rien de démocratique dans la violation persistante et permanente des droits de la personne. Avez-vous quelque chose à répondre à cela, s'il vous plaît? Je sais que j'en ai dit beaucoup.

M. Freeman: Je ne sais pas si je pourrai répondre à chacun de vos arguments, mais j'ai plusieurs observations.

Le sénateur Cools: Pas de problème.

M. Freeman: Au sujet de votre dernier argument, je ne pense pas pouvoir appuyer cette mesure. Bien sûr, pour aider les candidats à l'échelle locale à se soumettre aux dispositions relatives à la divulgation, le comité pourrait envisager de leur permettre d'embaucher une personne ayant de l'expérience en gestion et en divulgation des contributions d'Élections Canada.

Le président: Est-ce que cette personne est appelée agent officiel?

M. Freeman: Ce serait sans doute l'agent officiel du candidat. C'est la personne qui, en vertu de la loi, a l'obligation de s'acquitter de ces tâches.

Au sujet du fardeau des candidats et des partis, je voudrais féliciter le directeur général des élections, M. Kingsley, qui a fait un travail extraordinaire pendant de nombreuses années. Son agence a permis à tous et à toutes de comprendre la Loi électorale du Canada. Les manuels et l'aide personnalisée fournis par Élections Canada sont incroyablement utiles aux candidats et leur permet de se conformer à la loi beaucoup plus facilement. Si l'on change le régime de divulgation, M. Kingsley pourrait faire encore bien d'autres choses pour les aider, et je suis sûr qu'il serait prêt à le faire.

C'est vrai que la Loi électorale du Canada est devenue beaucoup plus compliquée avec le temps, depuis la première réforme en 1974 du régime de financement électoral. Évidemment, nous avons limité la liberté des personnes. Nous avons limité la capacité des partis et des candidats à dépenser l'argent comme bon leur semble. Plus récemment, nous avons limité les contributions à ces partis et candidats.

Notre système électoral doit être ouvert et transparent, c'est pourquoi les électeurs et les candidats ont toutes sortes d'obligations. Le public doit payer le prix d'un tel système. Pourtant, je ne voudrais pas que l'on élimine ces dispositions. Ce sont toutes des restrictions qui visent à rendre le système plus efficace, plus juste et plus transparent.

Vous avez dit que j'ai utilisé un terme américain. En réalité, ça n'est pas ce dont je m'inspirais; je m'inspirais de la terminologie de la Déclaration universelle des droits de la personne des Nations Unies et d'autres dispositions internationales qui stipulent que nos droits inaliénables sont universels, comme le droit de vote. Vous avez raison; la liberté d'expression et la liberté d'association sont également des droits de la personne inaliénables.

Le sénateur Cools: Ainsi que le droit de disposer de vos propres biens.

M. Freeman: C'est un peu plus délicat. Ce droit ne fait pas partie de la Charte et est d'ailleurs plutôt controversé.

Le sénateur Cools: Ça ne veut pas dire que ce n'est pas un droit.

M. Freeman: Cela étant dit, lorsque l'on parle de droits constitutionnels, il faut établir un équilibre. Je pense précisément à l'article 1 de la Constitution. Par exemple, il ne fait aucun doute que dans l'affaire Harper, on a déterminé que les limites des dépenses des tiers représentaient une violation de la liberté d'expression. Cependant, le tribunal a équilibré cette décision avec d'autres droits, comme la justice électorale et le droit de vote.

Ce droit de vote comprend le droit à un vote éclairé et le droit d'entendre tous les points de vue. Si vous assistez à un débat entre deux personnes et que l'une d'elles a un porte-voix alors que l'autre a une laryngite, l'une d'elles sera beaucoup plus efficace que l'autre.

L'argent joue le même rôle pendant une élection. Il vous permet de parler plus fort. Nous pouvons parler en détail des limites aux dépenses des tiers, mais l'objectif était d'avoir un système plus efficace en s'assurant que l'argent ne détermine pas les enjeux d'une élection et les voix les plus fortes.

Je pense que j'ai pris beaucoup de temps.

Le président: Monsieur Côté, souhaitez-vous répondre aux deux questions?

M. Côté: Non.

Le sénateur Cools: Je ne remets pas en question ces articles, mais voici les deux questions fondamentales: Quelle corruption ces mesures tentent-elles d'éviter ou de corriger — parce qu'elle n'existe pas; d'autre part, quelles limites impose-t-on au gouvernement? La Loi électorale du Canada, aujourd'hui, fait trois pouces d'épaisseur, n'est-ce pas? Combien comporte-t-elle d'articles?

M. Freeman: Il doit y en avoir près de 500; je ne sais pas.

Le sénateur Cools: Où s'arrête-t-on? Combien nous faudra-t-il d'autres lois, d'autres articles? Il y a très peu de gens dans les communautés qui comprennent la Loi électorale du Canada dans son intégrité. À part pour les avocats, pour qui faisons-nous tout cela? Le projet de loi C-2 ne porte pas uniquement sur les élections et il est ingérable. Il fait plus de 200 pages.

J'essaye de trouver un équilibre. J'entends les gens dire qu'on devrait laisser le gouvernement grandir davantage. Les Canadiens moyens ne sont que des rouages du gouvernement. Quand M. Trudeau a créé la Loi électorale du Canada, il ne s'attendait pas à ce qu'elle continue de grandir. En outre, un des comptables qui y a travaillé essayait d'établir un équilibre entre la notion de contributions caritatives et de contributions politiques, mais tout cela a disparu. Beaucoup des recommandations du projet de loi C-2 semblent venir de votre camp. J'ai participé à des campagnes et c'était une expérience très difficile. Les torts que l'on essaie de corriger avec ces projets de loi n'existent pas. Ces maux n'existent pas.

Le président: Monsieur Freeman, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Freeman: Non.

Le sénateur Cools: Pourquoi faisons-nous tout cela? Voilà une de mes préoccupations philosophiques. Les avocats se lèvent le matin, ils prennent une bouteille de papier instantané, de l'encre instantanée, et du droit instantané, et nous pondent des projets de loi de 300 pages. Ma foi, je reçois un tas d'appels et le Canadien moyen n'arrive pas à comprendre et à interpréter la plupart de ces documents et de nos jours, ils n'ont pas les moyens de se payer des avocats pour le faire.

J'ai rencontré une citoyenne ordinaire l'autre jour qui m'a dit que son fils était en difficulté. Il gagne 15 $ l'heure et son avocat demande 250 $ l'heure. Démocratie en surveillance devrait se pencher sur la question parce que la plupart des Canadiens n'ont pas les moyens de se payer un avocat. Encore de la matière à réflexion. Je m'éloigne de la question. Ce qu'il faut retenir c'est qu'il nous incombe d'examiner le fondement constitutionnel pour la production de bon nombre de ces documents.

Le président: Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions.

Le sénateur Zimmer: Monsieur Freeman, j'aimerais vos commentaires sur la déclaration suivante au sujet des États- Unis et des dépenses électorales. Dans un article publié le 21 décembre 2005 dans le Globe and Mail, vous avez dit qu'aux États-Unis le niveau de dépenses dépassait 2 milliards de dollars. Vous avez fait la comparaison avec les dépenses électorales au Canada, mais il n'y avait presque aucun rapport entre les deux. En faisant un rapide calcul, je crois que si on tient compte des 18 millions de dollars que dépensent les grands partis — et je conviens qu'il y en a au moins deux qui ne seraient pas à ce niveau-là — et si on ajoute les petits partis ainsi que, comme vous dites, à peu près 60 000 $ par candidat fois 308, ça nous donne 100 millions de dollars. Cependant, la population américaine est 10 fois plus grande que la nôtre. Aux États-Unis on dépense 2 milliards de dollars et chez nous, toute proportion gardée, le montant serait de 1 milliard de dollars. On a l'impression qu'ils nous dépassent, mais lorsqu'on fait le calcul on constate qu'ils dépensent deux fois plus que nous. Qu'en pensez-vous?

M. Freeman: Oui. J'hésite à faire ce genre de calcul pour comparer le Canada et les États-Unis parce que les deux systèmes sont totalement différents. Abstraction faite du taux de change, je crois que vos calculs dépassent les limites et ne représentent pas les montants réels qui sont dépensés. Les dépenses pour la plupart des candidats sont en deçà de la limite et ce sont ces dépenses-là qui représentent la partie la plus importante de votre total, et cela n'a rien à voir avec vos connaissances mathématiques.

L'essentiel c'est qu'il est difficile de comparer les deux systèmes. Il y a un plus grand nombre de joueurs aux États- Unis, les enjeux sont tout à fait différents et ce qui est encore plus important, le régime réglementaire n'est pas le même. Au Canada, nous avons tendance à limiter les dépenses, ce qu'on ne fait pas aux États-Unis, à l'exception du cas de certains candidats à la présidence. Il y a des fonds de contrepartie pour les candidats à la présidence. Afin de recevoir des fonds de contrepartie, les candidats doivent respecter des limites de dépenses; c'est la raison pour laquelle certains candidats décident de s'en passer. Dans bien des cas, leurs campagnes sont autofinancées et autogérées. C'est la raison pour laquelle il est difficile de comparer les deux systèmes. De plus, il y a des élections plus souvent aux États-Unis à cause des élections de mi-mandat du Congrès.

Le sénateur Zimmer: Parfois les chiffres nous apparaissent accablants et donnent une mauvaise impression. Je comprends votre point de vue, mais les montants ne sont pas, pour autant, aussi différents que cela puisse paraître.

Pour faire écho à la question du sénateur Joyal, en politique, comme en droit, les précédents peuvent servir de guide. Hier, les témoins nous ont parlé de certains plafonds de contribution qui s'appliquent au Canada ainsi qu'à l'étranger. Leurs témoignages nous offrent un contexte et nous servent de guide. M. MacKinnon, en témoignant auprès du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, a dit:

... démocraties occidentales et pays du G8... Australie... aucun plafond de contribution... Nouvelle-Zélande... aucun plafond... la Suède aucun plafond. Le Royaume-Uni n'a pas de plafond. Et je m'exprime en dollars canadiens pour tous ces exemples. Au Japon, il s'agit de 145 150 $; Espagne, 60 500 $; Italie, 14 600 $; Irlande, 8 900 $; et l'avant-dernier — le moins élevé après le Canada — est la France à 6 500 $.

Au Canada, la limite en Alberta est de 15 000 $, et de 30 000 $ lors d'une année électorale. Il n'y a pas de limite en Colombie-Britannique. Les limites dans les autres provinces sont les suivantes: 14 000 $ en Ontario, 3 000 $ au Québec, et 6 000 $ au Nouveau-Brunswick, pour les entreprises et les individus, suite à la loi adoptée par Richard Hatfield en 1982.

Les limites établies dans la majorité de ces pays permettent aussi aux entreprises, aux personnes morales, aux associations et aux syndicats de faire des contributions aux partis politiques.

Je voulais mettre cela en perspective de nouveau en faisant le lien avec ce qui se fait dans d'autres pays du monde et au Canada. Cela pourrait nous donner une meilleure idée de ce que nous pourrions faire avec le projet de loi C-2. Qu'en pensez-vous?

M. Freeman: C'est toujours instructif d'examiner la situation dans d'autres administrations, en se rappelant que les autres administrations ont des pratiques très variées. Pour chaque pays que vous avez cité, je pourrais vous revenir avec un exemple, celui de la France, des États-Unis et de la moitié des provinces canadiennes qui limitent les dons. On pourrait regarder le régime au Mexique — un régime où chaque parti reçoit un financement de l'État, le ratio étant de 70 p. 100 à 30 p. 100. C'est-à-dire que 70 p. 100 du financement de l'État est distribué selon le pourcentage des suffrages exprimés et 30 p. 100 est distribué également entre tous les partis politiques enregistrés.

Il y a presque autant de régimes que de démocraties bien établis dans le monde. Nous pouvons certainement nous inspirer des régimes dans d'autres pays, mais nous devons également examiner la situation au Canada, y compris les domaines où nous sommes confrontés à des contraintes et où d'autres ne le sont pas, et vice versa. La comparaison évidente entre le Canada et les États-Unis se fait au niveau de nos limites de dépenses. Les Américains ont essayé de limiter les leurs, mais l'initiative a été rejetée par la Cour suprême du pays. Nous n'avons pas ces restrictions au Canada, parce que les tribunaux s'efforcent de maintenir un équilibre entre la liberté d'association et la liberté d'expression, ainsi que la capacité de dépenser beaucoup d'argent pour les causes auxquelles les gens croient. Le contrepoids, c'est le droit à l'équité électorale. Nous n'avons pas les mêmes contraintes de par la loi que les Américains, et c'est une bonne chose.

Le sénateur Zimmer: Monsieur Côté, avez-vous des commentaires?

[Français]

M. Côté: Non, sénateur.

[Traduction]

Le sénateur Stratton: La province du Manitoba a imposé des limites très strictes sur les contributions par les personnes morales, entre autres, et les individus. Le Parti progressiste-conservateur du Manitoba a encaissé tout un coup, parce qu'il dépendait dans une large mesure des contributions. Cependant, depuis ce changement, le parti a rajusté le tir; il a modifié ses méthodes de financement et n'a plus de dettes. Ce n'est qu'un petit exemple de ce qui se passe au Canada avec les limites. Je crois que la même chose se produira avec ce projet de loi, en raison des limites sur les contributions des individus et de l'interdiction de celle des syndicats et des entreprises. Cette situation aura le même effet sur les partis politiques.

Monsieur Freeman, je ne connais pas parfaitement la situation au Manitoba. Je sais que des limites existent. D'autres provinces ont-elles vécu la même chose?

M. Freeman: Vous voudriez peut-être poser cette question à M. Côté, car le régime du Manitoba ressemble à celui du Québec. Il existe une limite de 3 000 $ sur les contributions des individus et on interdit les contributions des entreprises.

Par contre, le Manitoba n'a pas de régime de financement de l'État comme celui qui existe au niveau fédéral. L'exemple que vous avez cité du Parti conservateur qui s'était ajusté au nouveau régime — et c'est logique de penser que les partis vont s'y ajuster — est d'autant plus intéressant parce que la province l'a fait sans les dispositions sur le financement de l'État qui existent au niveau fédéral.

Le sénateur Joyal: Monsieur Freeman, merci d'avoir mentionné le fait qu'aux États-Unis le financement de contrepartie de l'État est fait de façon volontaire. Si un candidat décide de se soumettre au contrôle, il reçoit une contribution de l'État. Cependant, la plupart des candidats ne le font pas; ils empruntent la voie du marché libre et ouvert. Lors des dernières élections présidentielles et pour celles qui s'en viennent, les candidats ont dit qu'ils ne s'étaient pas soumis au régime auparavant et qu'ils ne le feraient pas cette fois-ci non plus. Je n'aurais donc pas tendance à considérer le régime américain comme un modèle.

Je crois que ce que vous voulez dire au sujet des services de radiodiffusion est que vous croyez que, puisque le projet de loi ne propose aucune modification à la Loi sur la radiodiffusion, et vu les coûts qui ne cessent d'augmenter, si on réduit les niveaux de contribution pendant une période électorale, les candidats, ainsi que les partis, se verront obligés de chercher des mécanismes de compensation pour pallier le manque d'accès aux services de radiodiffusion publique. Est-ce bien votre point de vue?

M. Freeman: Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par « mécanismes de compensation ».

Le sénateur Joyal: C'est ce que M. Côté a dit. Avec des contributions moins élevées, les gens, qui ont besoin d'argent, iront le trouver ailleurs, afin de compenser, si vous voulez, pour amasser assez d'argent pour défrayer les coûts croissants d'une campagne électorale. C'est ce que je veux dire par « compensation ».

M. Freeman: Si vous voulez dire que les partis et les candidats essaieront de contourner la loi et les règlements, je ne crois pas que cela soit nécessaire. Les subventions actuelles sont très généreuses. Il ne faut pas oublier qu'il y a des gens qui font des dons par l'entremise d'une organisation ou d'une entreprise et qui seraient disposés à faire des dons en tant que particuliers.

Il y a à la fois le parti et le candidat. Au niveau du parti, si on ne s'adapte pas à la nouvelle loi et si on maintient les stratégies de financement actuelles, il y aura probablement une baisse de revenus. C'est très simple: le parti reçoit un nombre important de dons qui dépassent 1 000 $, sans compter les dons qui proviennent de sociétés et de syndicats.

Même s'il est plus difficile pour un candidat de recueillir des dons, les répercussions ne seront pas aussi sévères. Peu de candidats, surtout à l'extérieur de la région de Toronto, reçoivent un grand nombre de dons importants. Ils en recevront quelques-uns. Certains seront — et nous hésitons à le dire — répartis pour en faire plusieurs dons. Dans une certaine mesure, c'est inévitable, lorsqu'un membre d'un couple fait une contribution. L'époux ainsi que l'épouse pourraient faire un don.

Si on tient à respecter la loi, il faut trouver le moyen d'en faire plus avec moins ou bien il faut changer ses stratégies de financement, en l'absence de ce que vous avez qualifié de subventions, telle une augmentation au niveau des dispositions pour le temps d'antenne gratuit, des choses qui n'ont aucune incidence sur les deniers publics. Ce sont des ondes publiques pour lesquelles nous accordons des licences aux radiodiffuseurs, donc il faudrait que la licence soit assortie d'une exigence particulière.

[Français]

Le sénateur Joyal: Monsieur Côté, si je comprends bien la Loi électorale du Québec, en période électorale, les dépenses des représentants des partis qui sont membres du bureau de scrutin, le jour du vote, sont assumées par la loi provinciale. Est-ce exact?

M. Côté: Le jour du scrutin, oui.

Le sénateur Joyal: Évidemment, l'une des grandes dépenses électorales pour un candidat, c'est le paiement des représentants au bureau de scrutin. Est-ce qu'on ne devrait pas considérer qu'en réduisant les contributions à 1 000 $ et en ne les indexant pas — comme la loi ne le prévoit pas non plus, en pratique —, on ne devrait pas compenser une partie des frais de campagne des candidats, de telle manière à ce qu'il y ait moins de pression sur les candidats pour aller chercher d'autres sources de financement ailleurs dans le système?

Au Québec, quel a été l'effet que les frais des représentants des partis soient assumés par le budget du directeur général des élections?

M. Côté: Je dirais que cela a pratiquement toujours été comme cela. Il y a une période où il y a eu une contestation, où les représentants ne pouvaient plus être rémunérés. On a modifié la loi en changeant la désignation, mais c'est le même processus. Ce sont les représentants des partis politiques à la table qui sont rémunérés. C'est la situation au Québec et si je comprends bien, c'est celle que vous aimeriez avoir aussi au fédéral.

Le sénateur Joyal: Il me semble que si on réduit les contributions à 1 000 $, on réduit évidemment la possibilité d'aller chercher un peu plus d'argent et il faut nécessairement multiplier le nombre de contributions. Compte tenu du besoin d'aller chercher un montant qui correspond globalement aux dépenses permises, est-ce qu'on n'aurait pas intérêt à réduire certaines dépenses actuelles, qui sont assumées par les candidats, de sorte que les fonds disponibles puissent payer les frais de publicité ou de diffusion qui, comme vous l'avez mentionné, augmentent considérablement d'année en année, alors que les capacités d'aller chercher les fonds et les limites au budget sont un frein, en pratique, à la possibilité de pouvoir faire face à ces augmentations?

M. Côté: Vous avez tout à fait raison, ce serait une façon d'atténuer l'effet de diminution des contributions. Une espèce de mythe — je ne sais pas si c'est seulement au Québec — veut qu'obtenir des contributions des individus est facile et répond à tous les besoins.

Ce n'est pas facile et cela ne répond pas aux besoins. Il s'agit d'un travail ardu, considérable de la part de tous les partis politique et de tous les candidats. Cela fait partie de notre système et ce n'est pas mauvais, mais par contre, il y a des limites au travail des bénévoles. On fait souvent appelle aux bénévoles mais ce n'est pas suffisant, par exemple, lors d'une campagne de souscription pour la réélection d'un candidat. C'est une chose dont on ne devrait pas se passer à l'avenir, mais il y a des limites à ce qui peut être obtenu bénévolement.

Si on réduit les limites des contributions, il y aura une diminution normale des revenus globaux soit des partis politiques soit des candidats.

Il y a un autre élément important lorsque vous parlez des représentants. Le jour du vote, deux officiers sont importants: le scrutateur puis le greffier. Cependant, les représentants des candidats des partis politiques jouent un rôle essentiel de surveillance et de contrôle de sorte qu'on ne peut pas se retrouver dans des situations que l'on pouvait rencontrer il y a plusieurs années.

Les représentants, règle générale, font leur travail consciencieusement en respectant les directives du directeur général des élections. Leur rôle est essentiel au processus. Il faut bien encadrer ce rôle, et l'État devrait verser une contribution à ces représentants le jour du vote.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, vous n'avez plus de questions pour ces deux témoins.

Monsieur Freeman et monsieur Côté, au nom du comité, je tiens à vous remercier pour votre participation et pour nous avoir fait part du fruit de vos connaissances et de vos années d'expérience dans ces domaines particuliers. Votre témoignage nous a été des plus utiles et nous vous en sommes très reconnaissants.

Honorables sénateurs, nous avons terminé nos délibérations pour cette semaine. Puisqu'il n'y aura pas de réunion la semaine prochaine, le comité s'ajourne maintenant jusqu'au lundi 18 septembre, à 9 heures.

La séance est levée.


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