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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 18 septembre 2006 - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 18 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation se réunit aujourd'hui, à 10 h 6, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, je souhaite déclarer ouverte cette séance du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous nous réunissons aujourd'hui pour continuer notre étude du projet de loi C-2, mieux connu sous le nom de projet de loi fédéral sur la responsabilité, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation.

Comme le savent les honorables sénateurs, nos témoins, les membres du public ici présents et les Canadiens qui nous regardent à la télévision, ce projet de loi est un élément central du programme du nouveau gouvernement et l'une des mesures législatives les plus importantes dont le Parlement a été saisi au cours des dernières années. Je sais que le comité va consacrer à ce projet de loi l'examen approfondi et minutieux qu'il mérite. Depuis le début de nos travaux, en juin, et au début de septembre, le comité a entendu 42 témoins et a siégé presque 35 heures.

Cette semaine, nous allons continuer d'examiner les divers aspects du projet de loi, y compris la responsabilisation, l'éthique et les conflits d'intérêts, le financement politique, la direction du budget parlementaire, ainsi que l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels.

Notre premier témoin d'aujourd'hui va nous aider à analyser les questions entourant l'éthique et les conflits d'intérêts.

[Français]

Il me fait plaisir d'accueillir Denis Saint-Martin, du département des sciences politiques de l'Université de Montréal, où il enseigne dans les domaines de la politique publique et de l'administration.

Il a publié des articles dans diverses revues spécialisées dans ces domaines et a récemment publié un livre intitulé : Building the New Managerialist State : Consultants and Public Management Reform in Comparative Perspective.

Monsieur Saint-Martin, le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et nous passerons ensuite à une période de questions et de discussion qui sera, je l'espère, très utile pour les membres du comité.

Denis Saint-Martin, professeur, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal : Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation qui me donne l'occasion de me prononcer sur cet important projet de loi qui transformera l'administration publique fédérale de la façon la plus radicale que l'on ait connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

J'ai déjà fait parvenir mes notes aux membres du comité. Je vais rapidement reprendre ces propos avec vous.

J'aimerais faire, tout d'abord, deux observations générales, et ensuite, j'aimerais parler de trois points spécifiques concernant le projet de loi C-2.

Lors de leur témoignage, M. Howard Wilson et M. Bernard Shapiro vous ont déjà mentionné que le projet de loi C- 2 représentait une nouvelle approche sur la façon d'aborder les questions d'éthique et de conflits d'intérêts. Ils ont dit que cela représentait une approche réglementaire — c'est-à-dire axée sur les règles plutôt qu'une approche basée sur les grands principes et les valeurs tels qu'abordés dans l'approche précédente — et que cette approche fondée sur les règles sera éventuellement enchâssée dans la loi.

Ils vous ont aussi dit que cette approche, qui était probablement plus exigeante, avait aussi comme côté moins positif d'être plus restrictive, qu'elle avait des forces et des faiblesses, que c'était une approche plus mécanique, rigide et bureaucratique. Ce n'est pas une approche qui peut fournir des lignes directrices à ceux et celles qui ont à interpréter des questions de conflits d'intérêts. Cela ne leur donne pas les grands principes directeurs.

Vous savez comme moi que les questions d'éthique en politique se situent toujours non pas dans les zones blanches ou noires mais toujours dans les zones grises.

Je ne peux donc que réitérer la position de MM. Shapiro et Wilson et vous encourager à inclure dans le projet de loi un préambule où le Parlement définirait les valeurs devant servir de cadre d'interprétation lorsque vient le moment d'appliquer les règles. On pourrait, pour ce faire, s'inspirer du seven principles of public life, que l'on retrouve dans le code d'éthique des députés de Westminster, au Royaume-Uni.

[Traduction]

Pour dire les choses comme elles sont, les règles d'éthique ne renforcent pas la confiance des citoyens envers la politique. Comme on peut le comprendre, le gouvernement a voulu mettre le Code de conduite des titulaires de charge publique dans une loi pour montrer aux Canadiens qu'il accorde la plus haute importance aux questions des conflits d'intérêts, de l'éthique et de l'intégrité. Bien sûr, lorsqu'il sera enchâssé dans une loi, le code sera beaucoup plus fort, crédible et beaucoup plus exigeant. Bref, la barre de l'éthique sera élevée à un niveau encore plus haut qu'auparavant. L'utilisation de l'approche réglementaire en matière d'éthique et de conflits d'intérêts vise à renforcer la confiance des citoyens à l'endroit de leurs institutions politiques, de leur gouvernement.

Nous savons tous que depuis une vingtaine ou une trentaine d'années, il y a un déclin constant de la confiance du public envers les institutions politiques. On adopte des règles d'éthique plus sévères dans l'espoir de redonner confiance aux citoyens. Un lien de cause à effet est ainsi établi entre les règles d'éthique et la confiance des citoyens envers les institutions politiques.

Mon avis est que ce lien n'existe pas en réalité. Le lien entre les règles d'éthique et la confiance des citoyens envers le gouvernement et les institutions politiques est non empirique et n'a aucune base scientifique; il est purement politique. Pendant dix ans, j'ai consulté les recherches en vue de rédiger un livre que j'ai publié il y a quelques mois et qui porte sur les codes d'éthique de cinq pays. J'y montre qu'il n'y a absolument aucun lien entre les règles d'éthique et la confiance du public envers les institutions politiques.

[Français]

Vous savez comme moi que les États-Unis sont le pays où il y a le plus de règles d'éthique. Suite au scandale du Watergate dans les années 70, le gouvernement fédéral américain s'est doté d'une panoplie de règles, de codes, de lois d'éthique, de vérificateur général à l'éthique, et cetera. Mais on sait aussi que les États-Unis sont le pays où la confiance dans les institutions politiques est la plus basse de tous les pays du monde, du moins les pays du G8.

[Traduction]

En fait, la recherche montre plutôt un lien contraire entre les règles d'éthique et la confiance du public. Plus il y a de règles d'éthique, plus il y a de mécanismes dans la bureaucratie pour surveiller l'éthique, plus le cynisme de la population envers la politique est grand. Pourquoi l'approche réglementaire des conflits d'intérêts et de l'éthique ne renforce-t-elle pas la confiance des citoyens? C'est simplement à cause de la politisation du processus de régulation de l'éthique. L'approche réglementaire crée une situation où les règles d'éthique deviennent des armes du combat partisan. Plus il y a de règles d'éthique, plus les politiciens et les partis les utilisent pour attaquer, pour discréditer leurs opposants. Pour salir la réputation de quelqu'un, nul besoin que celui-ci ait vraiment violé les règles. Il suffit de demander au commissaire à l'éthique de faire une enquête. Même si le commissaire juge que la personne en question n'a rien fait de répréhensible, le mal est déjà fait. Il n'y a pas de présomption d'innocence en politique, les sénateurs le savent mieux que moi. La politisation des règles d'éthique a pour effet de discréditer, auprès de l'opinion publique, tout le processus de régulation de l'éthique. Quand l'éthique devient un cheval de bataille de la partisanerie, les citoyens perdent confiance envers la politique. Quand les règles d'éthique sont utilisées comme arme de combat politique, elles perdent leur autorité morale. C'étaient les deux grandes observations que je voulais faire en guise d'introduction.

[Français]

J'aimerais maintenant parler de trois points spécifiques au projet de loi C-2. Le premier point, c'est définir la notion d'intérêt personnel. L'article 4 du projet de loi définit la notion de conflits d'intérêts et dit que :

... un titulaire de charge publique se trouve en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il exerce un pouvoir officiel ou une fonction officielle qui lui fournit la possibilité de favoriser son intérêt personnel [...]

L'article 6 (2) dit qu'il est interdit à tout ministre ou député de participer à un vote ou à un débat touchant une question où il pourrait y avoir un conflit d'intérêts. On peut donc dire que toute la notion de conflit d'intérêts, telle qu'elle est définie dans le projet de loi, tourne autour de l'idée d'intérêt personnel. Mais cette idée d'intérêt personnel n'est définie nulle part.

Est-ce que l'idée d'intérêt personnel inclut par exemple l'intérêt d'un politicien ou d'un député qui veut se faire réélire et gagner les prochaines élections? Est-ce qu'un tel député devrait, par exemple, s'abstenir de voter sur un projet de loi qui créerait une société d'État et donc de centaines d'emplois dans son comté? Parce que cela va affecter son intérêt personnel si l'on crée des centaines d'emplois dans son comté et il risque de gagner les élections plus facilement.

Il me semble que cette notion, du moins dans la version française du projet de loi, cette notion d'intérêt personnel est beaucoup trop vague. Lorsqu'on regarde ce que les autres pays font, on devrait plutôt essayer d'avoir une définition moins subjective et restreindre les questions de conflit d'intérêts aux questions d'intérêt matériel et pécuniaire.

S'agissant du deuxième point que je veux aborder avec vous, c'est que le projet de loi mentionne à plusieurs endroits dorénavant d'appliquer les mêmes règles aux conseillers politiques qui travaillent dans les cabinets ministériels. Eux aussi dorénavant seront soumis aux mêmes règles.

L'article 2 définit un conseiller ministériel comme une personne autre qu'un fonctionnaire qui occupe un poste au cabinet d'un ministre ou d'un ministre d'État et qui fournit des conseils en matière de politiques. On parle aussi de personnel ministériel à plusieurs endroits dans le projet de loi, mais à nulle part on ne parle des conseillers du premier ministre.

Le projet de loi, lorsqu'il veut spécifier les devoirs et les pouvoirs du premier ministre, c'est explicitement défini, alors que pour les conseillers ministériels, je n'ai trouvé nulle part une référence aux conseillers qui travaillent au bureau du premier ministre. À la lumière de ce qu'on a appris lors des audiences de la commission Gomery, je pense que c'est une lacune importante et je vous encourage à y porter une attention particulière.

Le troisième point concerne l'article 85b) qui dit que le commissaire à l'éthique a aussi pour mission de donner des avis confidentiels au premier ministre sur les questions d'éthique. Il me semble qu'il y a là un risque de confusion des genres. Le commissaire à l'éthique, vous le savez plus que moi, est un officier qui relève de la branche législative et non pas de l'exécutif.

On peut toutefois dire que l'article 85b) donne au commissaire, lorsqu'il lui demande de donner des avis confidentiels au premier ministre, un rôle de sous-ministre, donc quelqu'un qui relève de l'exécutif. On lui demande donc d'être à la fois le policier de l'éthique des ministres et, en même temps, d'être le conseiller confidentiel du premier ministre.

Pourtant, le premier ministre a déjà un conseiller à l'éthique, c'est le greffier du Conseil privé. Historiquement, c'est son rôle, c'est à lui qu'appartient cette fonction. Est-ce qu'on demande à la vérificatrice générale de donner des avis confidentiels au premier ministre sur les questions de finances publiques? Non. Lorsqu'elle a des avis à donner, elle le fait publiquement dans ses rapports au Parlement. Je ne vois pas pourquoi on ferait une telle distinction entre un agent du Parlement, le commissaire à l'éthique, et un autre.

À mon avis, cette clause est inutile. Elle risque simplement de créer des problèmes de légitimité pour le bureau du commissaire à l'éthique qui aura un peu un conflit de loyauté, à la fois conseiller confidentiel du premier ministre mais en même temps chien de garde de l'éthique. À mon avis, cela risque de lui créer des problèmes et Dieu sait qu'il en a suffisamment.

[Traduction]

La politique, comme l'environnement, est un bien commun. Il est nécessaire d'y faire attention parce que sans la politique, la démocratie n'est pas possible. La politique est le sang qui fait battre le cœur de la démocratie. Trop souvent, on a tendance à gaspiller la politique, à l'exploiter à des fins stratégiques pour marquer des points contre ses adversaires politiques. On peut dire que l'on va adopter des règles d'éthique plus sévères pour montrer que sa moralité publique est plus grande que celle de ses opposants politiques. Des partis peuvent gagner des élections de cette façon. Mais plus les règles d'éthique sont détaillées, formelles et exigeantes, plus le public semble se désintéresser de la politique.

Les règles d'éthique, quel qu'en soit le nombre, ne rendent pas le gouvernement plus éthique, mais rendent la population plus cynique. En tant que citoyen, je m'inquiète de constater que depuis quelques années, nous essayons d'établir un régime d'éthique fondé sur la méfiance, parce que tous les fonctionnaires semblent suspects. Si une société prend pour acquis que ses hommes et ses femmes politiques sont vénaux, avides et égoïstes, alors il vaut mieux veiller à ce que cette prédiction ne se réalise pas.

Le président : Je vous remercie infiniment de cet excellent résumé. Il donne fort à réfléchir. Vous avez soulevé de nombreuses questions, dont quelques-unes que nous avons déjà examinées. Vous avez fait référence, dans vos observations, à certains témoins qui ont déjà comparu devant nous sur ces questions. Nous allons tenir compte des vôtres. Nous avons reçu un excellent témoignage d'un autre professeur de Montréal, René Villemure, un éthicien qui a lui aussi analysé l'utilisation du mot « éthique » dans ce projet de loi. Il nous a donné de précieux conseils.

Vous avez apporté un livre rouge avec vous. Votre message principal, c'est que les règles d'éthique, quel qu'en soit le nombre, ne rendent pas le gouvernement plus éthique. Vous l'avez dit plusieurs fois pendant votre exposé. Quelles sont vos preuves et sur quelles recherches empiriques vous fondez-vous? Je serais porté à croire qu'il est préférable d'avoir une règle plutôt qu'aucune. Avez-vous fait des recherches empiriques pour rédiger votre livre et ce livre nous montre-t- il que même une règle ne sert à rien?

M. Saint-Martin : Non. Je me suis fié à des recherches effectuées par des collègues des États-Unis, où la question des règles d'éthique, de l'intégrité publique et de la confiance du public quant à la politique est au cœur du débat politique depuis trente ans. Les États-Unis figurent au premier rang mondial au chapitre de l'épaisseur de leurs règles sur l'éthique et les conflits d'intérêts. Il y a des recherches aux États-Unis qui montrent qu'il n'existe pas de lien entre les règles d'éthique et la confiance du public. C'est comme de dire qu'il existe un lien entre la guerre en Irak et le 11 septembre. Nous savons que les hommes et femmes politiques aiment dire qu'il y en a un, et c'est totalement légitime, mais mon rôle de chercheur consiste à aller un peu plus loin et à dire que non, ce lien n'existe pas.

Le président : Avez-vous fait des recherches empiriques au Canada sur le sujet?

M. Saint-Martin : Oui. Mon collègue André Blais de l'Université de Montréal est l'un des experts du Canada sur l'opinion publique. Dans son dernier livre, qu'il a coécrit avec Maureen Mancuso, il l'a prouvé. L'éthique s'est politisée depuis dix ou quinze ans, et les gens ont tendance à croire que les politiciens sont plus malhonnêtes qu'avant. Si l'on examine l'histoire sur plus de cents ans, on voit que dans les faits, la politique s'est améliorée. Le grand paradoxe est le suivant : pourquoi la population croit-elle que les politiciens sont plus malhonnêtes même si nous avons des régimes d'éthique plus rigoureux pour garantir l'honnêteté?

Dans un sondage sur les attitudes du public envers les comportements dans la vie publique, une étude réalisée pour le comité sur les normes de la vie publique au Royaume-Uni, il y a quelques mois, on a posé cette question : « Comment croyez-vous que les normes actuelles des titulaires de charge publique en Grande-Bretagne se comparent à celles d'il y a quelques années? » La majorité des gens pensent qu'elles sont restées les mêmes, tandis que 31 p. 100 estiment qu'elles ont empiré au moins un peu.

Le président : Le comité pourrait-il en avoir une copie?

M. Saint-Martin : Bien sûr; ce document pourrait être utile à vos délibérations.

Le sénateur Day : Nous allons le payer; le témoin n'aura pas à en assumer les coûts.

M. Saint-Martin : On peut le télécharger gratuitement sur Internet.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je suis tenté d'ouvrir la discussion en reprenant la question soulevée par notre président.

Il serait difficile de concevoir, dans le contexte contemporain, qu'il n'y ait pas de règle d'éthique. Je pense que les règles d'éthique sont là pour demeurer. Elles sont devenues une sorte de donnée de la vie politique — et quand je dis « de la vie politique », je parle autant des parlementaires que de l'administration publique.

Le problème, et vous l'avez bien identifié, vient de la politisation du débat éthique, pour reprendre vos termes. Lorsqu'un homme public ou une femme publique fait une allégation sur un effet public, les médias évidemment s'emparent du sujet. Cette nouvelle fait « un scandale » et on la retrouve dans les manchettes. Comme vous dites, une fois que le sujet se retrouve dans les manchettes, le dommage est déjà fait et le niveau de confiance des citoyens est remis en question. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt réfléchir à la façon dont les politiciens abordent les questions d'éthique?

On a pu entendre du côté de la Chambre des communes, l'an dernier, différentes allégations percutantes, à tel point qu'à un moment donné ce n'était plus l'individu qui faisait l'objet d'allégations, ou la personne dont on doutait de l'honnêteté, mais le commissaire à l'éthique lui-même. La roue avait fait un tour complet. Lorsque les politiciens n'aimaient pas la conclusion du commissaire à l'éthique, c'est-à-dire lorsque le tribunal n'avait pas reconnu la culpabilité comme la clameur publique le voulait, on s'en prenait au juge.

Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de revoir notre façon d'aborder la gestion de l'éthique par les parlementaires? Est-ce que ce n'est pas là une partie de la solution au problème qu'a soulevé le président et que vous-même avez élaboré de façon très claire? En d'autres mots, est-ce qu'on ne devrait pas revoir notre façon de mettre en place l'éthique au niveau des parlementaires comme tels?

Nous avons entendu les témoignages de MM. Wilson et Shapiro et tous les deux ont été victimes de ce débat, d'une certaine façon. Ils ont été accusés de le tous les maux et de tous les péchés de la terre parce, aux yeux de certains, ils n'avaient pas donné la conclusion espérée, c'est-à-dire une condamnation et des punitions exemplaires. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt se concentrer sur ce point dans notre réflexion?

M. Saint-Martin : Je suis tout à fait d'accord. C'est surtout au niveau des comportements de nos élus, de nos représentants, que doit se faire la transformation.

En sciences sociales, on parle souvent du « dilemme du prisonnier » et les politiciens se retrouvent un peu pris dans ce jeu.

Un politicien pourrait avouer qu'il y a eu scandale, mais décider de ne pas réagir ni de mettre en place mille et une nouvelles règles, n'étant pas persuadé que de nouvelles règles aideront à obtenir un gouvernement plus intègre. Cette position serait certes assez candide, mais les opposants lui diraient vite leur façon de voir les choses.

C'est en ce sens que l'on parle d'un « dilemme du prisonnier », à savoir qui sera le premier à agir.

Autre exemple, le Québec est la seule province au Canada où il n'y a pas de commissaire à l'éthique indépendant et où l'assemblée n'a pas de code d'éthique enchâssé dans une loi, comme dans les autres provinces et comme on l'a fait ici. Lorsqu'on regarde les sondages, le taux de confiance des citoyens québécois envers le processus politique provincial est plus fort que dans le reste du Canada. Évidemment, on peut interpréter les chiffres comme on l'entend. Toutefois, on devrait juger les règles d'éthique en fonction de ce qu'elles peuvent faire. Elles ne peuvent pas renforcer la confiance des citoyens.

Comme le président l'a indiqué, on ne peut pas ne pas avoir de règles. On a besoin de règles pour se donner des principes directeurs et s'assurer qu'on va tous dans la même direction. Mais à un certain point il peut y avoir surréglementation. Lorsque le gouvernement réglemente le monde des affaires et le secteur privé, on sait qu'à un certain moment il peut y avoir trop de réglementation.

[Traduction]

Nous parlerons ensuite de la nécessité de réglementer l'économie, d'avoir moins de règles et une réglementation intelligente. J'ai hâte que nous ayons une réglementation intelligente pour le secteur public également.

[Français]

J'aimerais porter à votre attention un ouvrage américain intitulé : The Pursuit of Absolute Intergrity. How Corruption Control Makes Government Ineffective. Les auteurs de cet ouvrage observent le cas américain et constatent que lorsqu'on surréglemente les questions de conflits d'intérêts et d'éthique, d'intégrité, cela crée beaucoup de bureaucratie. Les gestionnaires, qui travaillent pour les gouvernements, les officiels, vont donc passer une plus grande partie de leur temps à faire de la paperasse, à s'occuper des règles, plutôt qu'à servir les citoyens et leur donner des services de qualité.

On surréglemente dans le but d'avoir un gouvernement exempt de corruption.

C'est un objectif tout à fait noble, mais les moyens réglementaires qu'on utilise encouragent cette espèce de dysfonction de la bureaucratie. C'est-à-dire, les bureaucrates qui sont plus attentifs aux règles qu'aux grands objectifs qu'ils devraient servir. Donc, on crée de l'aliénation, on fait en sorte que les services rendus aux citoyens sont de moindre qualité. C'est un cercle vicieux.

[Traduction]

C'est une impasse. Quoi que vous fassiez, on vous critiquera.

[Français]

À quel moment, un politicien nous dira-t-il qu'il voudrait qu'on revienne aux valeurs de base et non pas à plus de bureaucratie, plus de commissaires à l'éthique ainsi de suite.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Comme vous l'avez dit dans votre exposé ce matin, une allégation est synonyme de culpabilité en politique.

[Français]

Il suffit simplement de faire une allégation sur une personne pour que, automatiquement, une vaste majorité de l'opinion croit que la personne est présumée coupable. Dans la vie publique ce n'est pas comme dans la vie privée; dans la vie privée on a droit à la présomption d'innocence. Dans la vie publique on n'a pas droit à la présomption d'innocence. Une allégation au départ, un peu comme dans le système français, nous rend immédiatement coupable aux yeux de l'opinion publique.

M. Saint-Martin : Exact.

Le sénateur Joyal : Comment pourrait-on encadrer les allégations que les politiciens peuvent faire les uns sur les autres afin qu'on diminue l'impact du négativisme que vous avez décrit ce matin?

M. Saint-Martin : Il s'agit d'une très bonne question. Je vais répondre de façon oblique. Dans la politisation du processus de réglementation de l'éthique des élus et des hauts fonctionnaires, on sait que la recherche démontre que plus le statut de la personne est élevé, plus le processus est politisé. S'il s'agit d'un simple député d'arrière-ban, qui a fait voyager ses enfants sur ses fonds parlementaires, il est certain qu'il y aura une couverture médiatique mais pas aussi politisée que lorsqu'il s'agit d'un ministre ou du premier ministre. Le caractère négatif de cette politisation est relié au statut des gens sous investigation. Le projet de loi C-2 touchera tous ceux qui seront soumis à ce régime : les titulaires de charge publique, les ministres et les hauts fonctionnaires. Ce projet de loi crée un processus où l'on peut déposer une plainte si on a des raisons relativement bien fondées.

Ce qui m'inquiète c'est que le processus d'initiation d'une enquête devienne l'extension d'un cirque tel celui que l'on voit parfois à la période des questions, que ce soit une autre façon d'aller chercher quelqu'un. Comment fait-on pour limiter cela? À mon avis, il faudrait que le processus demeure secret jusqu'à ce que le commissaire à l'éthique rende sa décision. Il ne faudrait pas que les médias soient au courant ou qu'on en parle à la période des questions. Si un député a des preuves contre un ministre, cela devrait se faire entre ce député et le commissaire à l'éthique et attendre une décision. C'est beaucoup demander, vous me direz, mais il faudrait rendre ce processus le moins public possible, jusqu'à ce que le commissaire rende son verdict.

De la même façon lorsqu'un audit est fait dans un ministère par la vérificatrice générale, on n'en commande pas tous les jours, on attend que la vérificatrice dépose son rapport. Je ne vois aucune raison de traiter cela de façon différente.

Le sénateur Joyal : La question suivante que je serais tenté d'aborder avec vous a trait à votre premier point, c'est-à- dire l'inclusion de principes généraux dans le projet de loi et en cela vous reprenez les propositions que M. Shapiro a faites. C'est-à-dire que tout ce que le projet de loi fait c'est qu'il porte des défenses, mais ne donne pas des guides directeurs. On dit : «Vous ne ferez pas cela» mais on ne vous dit pas comment, de façon générale, vous devez vous comporter en tant que personne ayant des responsabilités publiques. M. Shapiro a mentionné que la plupart des cas, ce sont des cas de zones grises et pour prendre une décision éclairée il vaut mieux avoir un cadre de principes, un cadre de valeurs.

Vous avez fait référence aux principes en vigueur au Parlement, à Westminster, et nous avions, il y a quelques années, certains sénateurs qui ont eu la responsabilité d'élaborer le code d'éthique des sénateurs, et d'examiner ces principes directeurs.

Selon vous, dans le contexte du projet de loi, quels seraient les principes fondamentaux?

M. Saint-Martin : Il s'agit d'une très bonne question. On apprend toujours des autres. On n'essaie pas de réinviter la roue et il faut être le plus bref possible en cette matière.

[Traduction]

Le système britannique de réglementation en matière d'éthique fonctionne relativement bien. Comme vous le savez, contrairement à nous, les Britanniques n'ont pas de commissaire à l'éthique. Ils ont un haut fonctionnaire parlementaire, qui est le fonctionnaire du comité parlementaire et qui est chargé d'examiner les questions d'éthique. Ce n'est pas une entité indépendante. Il relève d'un comité de parlementaires. Dans ce sens, c'est tout à fait différent du commissaire à l'éthique ici. Or, on aurait du mal à affirmer que les problèmes d'éthique en politique britannique sont pires que ceux en politique canadienne. Je ne crois pas que l'on puisse avancer cet argument.

Les sept principes que les Britanniques utilisent sont les suivants : désintéressement, intégrité, objectivité, responsabilité, ouverture, honnêteté et leadership. Nous devrions nous en inspirer.

[Français]

Le sénateur Joyal : J'aimerais aborder avec vous la dimension ou l'étendue du code d'éthique. Un journal publié à Montréal — pour ne pas le nommer — mentionnait ce matin en première page que l'une des faiblesses, en pratique, du projet de loi, c'est que les parlementaires, les députés, en particulier, n'étaient pas couverts sur le plan du lobbying. C'est-à-dire qu'un député qui prend sa retraite peut immédiatement joindre une firme privée et s'enregistrer comme lobbyiste et faire des représentations auprès du gouvernement alors que les ministres et le personnel des ministres sont assujettis à une période de refroidissement de cinq ans.

Dans votre texte, au bas de la page 2 et au haut de la page 3, vous parlez d'intérêts personnels. J'ai été à même de constater lorsque j'étais député que certains députés développent des spécialités et deviennent des personnes très intéressées par la situation — prenons un exemple au hasard — de l'industrie reliée à la forêt parce qu'ils représentent de comtés ou des régions où cette réalité est importante. Je vois le sénateur Comeau ce qui me fait penser que j'aurais tout aussi bien pu prendre l'exemple des pêches dans les Maritimes.

Ce sont donc des députés qui font très bien leur travail de député, qui deviennent des porte-parole des intérêts de l'industrie de la forêt comme d'autres le font pour la recherche pharmaceutique ou aéronautique ou encore pour l'industrie de l'automobile. On pourrait nommer toutes les catégories du secteur économique.

Il me semble que si l'on veut vraiment être efficace dans cette question de réglementer cette perception du public que les députés ne sont pas là d'abord pour servir leurs intérêts, qu'on devrait inclure les députés. À mon avis, un député qui siège au Parlement pendant quelques années devient aussi habile et aussi informé d'une industrie ou d'une activité économique qu'un adjoint ministériel qui peut avoir un minimum de responsabilité dans le bureau du ministre. Ne devrait-on pas étendre l'exclusion d'activités de lobbying, pour une période déterminée, pour les députés aussi si l'on veut maintenir cette perception que les députés sont d'abord là pour servir l'intérêt public et non pas préparer leur retraite.

Encore une fois, je ne veux pas revenir sur le sujet de l'allégation et de la culpabilité, mais est-ce qu'on ne devrait pas encadrer davantage la capacité d'un député de joindre une firme de lobbyiste après avoir terminé son mandat?

M. Saint-Martin : Je ne peux que vous soutenir dans cette réflexion. Je ne savais pas que les députés n'étaient pas soumis aux règles de la loi sur l'enregistrement des lobbyistes. S'ils ne le sont pas, je pense que c'est une lacune à laquelle les parlementaires devraient porter attention parce qu'il n'y a pas de raison pour qu'un secrétaire parlementaire le soit et pas un simple député.

D'un autre côté, je vous inviterais à la prudence et à ne pas surréglementer. On ne peut pas empêcher quelqu'un de gagner sa vie honnêtement. La question est de savoir si une personne va tirer un gain qu'elle n'aurait pas retiré sans la connaissance qu'elle a acquise durant ses années de services au Parlement. On est dans un domaine très subjectif et très difficile. Un règlement est quelque chose qui, par définition, est universel et doit s'appliquer à la plus large catégorie d'individus possible, alors que présentement on est dans le domaine de la finesse; je pense qu'il faut faire très attention. Mais il n'y a pas de raison logique qui nous amène à faire la distinction entre un type de politicien et un autre.

Le sénateur Joyal : L'autre point de votre mémoire qui m'a frappé, c'est lorsque vous mentionnez que la définition de la notion d'intérêt personnel dans le projet de loi est trop large et qu'on devrait la restreindre aux intérêts matériels et pécuniaires. En pratique, sur quels événements ou sur quelle analyse de faits vous fondez-vous pour conclure qu'on devrait modifier cet objectif de définir la notion d'intérêt personnel plutôt comme une question d'intérêt matériel et pécuniaire?

M. Saint-Martin : Dans ce que j'ai lu du projet de loi, la notion d'intérêt personnel — dans le texte français bien sûr — n'est définie nulle part. À partir de ce concept d'intérêt personnel mal défini, on dit ensuite qu'un élu, un député, titulaire de charge publique doit s'abstenir de participer à des votes ou des débats où il y aurait un conflit entre l'intérêt public et l'intérêt personnel.

Je prends un exemple pas si fictif que cela. Admettons que le gouvernement s'apprête à créer une société d'État dans votre comté et que cela va créer 600 nouveaux emplois dans votre comté. Votre intérêt personnel de vouloir être réélu — on peut dire que c'est un intérêt personnel, celui d'être réélu — va être certainement avantagé par cette décision-là. Est-ce que vous devriez vous abstenir de voter ou de prendre part au débat? Je pense que c'est aller trop loin et presque brimer le droit du public d'avoir un représentant qui va parler en son nom.

L'intérêt à la réélection, défini de cette façon, n'implique pas nécessairement un intérêt pécuniaire ou matériel. C'est juste qu'on aime son travail de parlementaire, on veut être réélu. D'habitude, les politiciens sont dans le domaine de la politique pour gagner; il me semble qu'il n'y a rien de mal là.

C'est dans ce sens que, à mon avis, il faudrait faire la preuve que participer au débat va enrichir le député personnellement, que son compte de banque va être plus gros. Si on peut faire objectivement cette preuve, il y a un problème. Mais l'intérêt personnel ainsi défini m'apparaît une notion trop élastique.

Le sénateur Joyal : Oui, par ailleurs, il y a des bénéfices qui parfois ne sont pas pécuniaires ou matériels mais qui sont néanmoins très importants.

M. Saint-Martin : Aussi.

Le sénateur Joyal : Si vous restreignez l'intérêt à son impact financier, vous laissez aller des bénéfices qui ne seraient pas couverts par des règlements en tant que comportements répréhensibles et qui pourraient créer l'impression que la personne recherche son intérêt personnel. Ne croyez-vous pas qu'en voulant être trop précis, on créé involontairement des situations difficilement justifiables?

M. Saint-Martin : Vous n'avez certainement pas tort et vous prenez une position peut-être plus « idéaliste » que moi; je suis peut-être un peu plus pragmatique sur ces questions. Une des raisons pour laquelle il y a ce cycle, ce processus de politisation de règle d'éthique dont je parlais tantôt, qui fait en sorte qu'elles perdent leur autorité morale et que les citoyens perdent leur confiance envers leurs institutions, c'est justement qu'on est dans un domaine hypersubjectif.

Quand la vérificatrice générale pause un jugement, c'est soutenu par une expertise, par des disciplines scientifiques, de la comptabilité, des analyses financières, des techniques, qui amènent une certaine objectivité; on sait qu'on n'est pas dans une zone grise, on est dans le noir ou dans le blanc.

En matière d'éthique, on n'a pas ce genre d'expertise ou de techniques qui nous amènent à trancher aussi facilement que dans le domaine des finances publiques, par exemple. On est dans un domaine qui est hypersubjectif et, par définition, qui va toujours être politisé. Quand c'est subjectif, vous avez droit à votre opinion, j'ai droit à la mienne et personne ne peut vraiment trancher. Là, on essaie de faire trancher quelque chose qui est difficile à trancher. Si on va avec une notion d'intérêt personnel, qui, vous avez raison, risque de couvrir plus de choses, on va tomber dans une possibilité de politisation encore plus grande parce que c'est une notion plus subjective, tandis que la restreindre à un niveau pécuniaire et matériel, c'est un peu plus mesurable.

Le sénateur Joyal : J'ai une dernière question.

[Traduction]

Le président : Le sénateur Joyal vous a posé des questions sur la définition d'intérêt personnel et vous avez dit qu'il n'y en avait pas, puis vous avez parlé d'un article. Or, on trouve à l'article 2 du projet de loi la définition suivante :

« intérêt personnel » N'est pas visé l'intérêt dans une décision ou une affaire :

a) de portée générale;

b) touchant le titulaire de charge publique faisant partie d'une vaste catégorie de personnes;

c) touchant la rémunération ou les avantages sociaux d'un titulaire de charge publique.

La définition d'intérêt personnel se trouve en fait dans le projet de loi.

Pour ce qui est de la deuxième question du sénateur Joyal, au sujet des allégations, êtes-vous d'accord pour dire qu'un des principes du système de démocratie parlementaire du Canada est qu'il repose sur l'existence de partis politiques, que la nature et l'essence même d'un parti consistent à avoir une politique publique différente de celle des autres partis et qu'une des façons d'acquérir du pouvoir consiste à s'opposer aux autres partis politiques?

Puisque c'est le système que nous avons au Canada, ne diriez-vous pas que tout le concept sera toujours politisé?

M. Saint-Martin : Il le sera, c'est certain, puisque notre système politique est axé sur les affrontements.

Le président : Que conseilleriez-vous au comité de faire pour essayer d'éliminer la politisation des partis politiques, compte tenu que c'est le système que nous avons au Canada?

M. Saint-Martin : Vous avez raison. Si on veut aller au fond des choses, il faut se rendre à la source, et la source se trouve au sein des partis politiques.

Le président : J'ai besoin de votre aide à ce chapitre.

Le sénateur Stratton : Il faut des rapports Gomery chaque année.

Le président : Cela étant dit, je vais céder la parole au sénateur Stratton.

Le sénateur Stratton : Ma question porte sur ce que vous avez dit au début concernant l'absence de définition de ce qui constitue un intérêt personnel. J'aimerais aborder également la notion de conflit d'intérêts dont le sénateur Joyal a parlé.

J'aimerais lire pour le compte rendu le paragraphe 86(3) du projet de loi C-2 qui dit, en parlant des fonctions dont le commissaire s'acquitte et qui sont liées au Sénat et à son code, « il est placé sous l'autorité générale du comité du Sénat que celui-ci constitue ou désigne à cette fin ». Autrement dit, le Sénat a un code. Je vous renvoie aux pages 46 et 47 du projet de loi C-2, plus précisément au paragraphe 86(3) proposé à la Loi sur le Parlement du Canada.

Par ailleurs, on trouve à la page 47 du projet de loi des dispositions semblables qui concernent la Chambre des communes, plus précisément le paragraphe 87(3) proposé à la Loi sur le Parlement du Canada. Même si le projet de loi ne donne pas de définition précise de ce qui constitue un intérêt personnel, ce type d'intérêt est défini dans notre code d'éthique, comme peut le confirmer le sénateur Joyal. Nous avons tous fait partie du comité qui a étudié l'élaboration de ce code. Nous avons eu un long débat sur la notion d'intérêt personnel, qui a été définie assez clairement. Je sais qu'un débat semblable a eu lieu à la Chambre des communes.

Même si le projet de loi C-2 ne fait pas précisément référence aux intérêts personnels, il renvoie aux codes des deux Chambres à cet égard.

M. Saint-Martin : Vous dites, en fait, que cela importe peu, puisque des règles et des codes existent déjà.

Le sénateur Stratton : Ils existent effectivement, et le projet de loi C-2 fait allusion à ces deux codes, qui définissent précisément ce qui constitue un intérêt personnel.

M. Saint-Martin : Je ne sais pas si c'est une question de langue. Il me semble que la notion d'intérêt personnel, qui correspondrait à « personal interest » en anglais, n'est pas la même que celle d'intérêt privé, ou « private interest ». Il faudrait peut-être poser la question à un linguiste.

Selon l'interprétation que nous en faisons en anglais, un intérêt privé a trait à vos affaires privées : votre compte bancaire, votre maison, votre portefeuille de valeurs mobilières. Par contre, la notion d'intérêt personnel englobe tout. Je ne sais pas si c'est une question de langue. Peut-être bien.

Le sénateur Stratton : Je ne veux pas rouvrir ce débat, puisque le comité a déjà longuement discuté des intérêts privés par opposition aux intérêts personnels.

Deuxièmement, lorsque vous renvoyez à l'alinéa 85b) — des avis donnés à titre confidentiel au premier ministre à l'égard des questions d'éthique — je crois que l'intention ici est de donner un avis au premier ministre pour l'informer d'une situation problématique pouvant toucher un haut fonctionnaire du Parlement, pas nécessairement un député ou un sénateur. Aucun premier ministre ne veut être pris par surprise. Il doit être informé de ce que fait chaque haut fonctionnaire du Parlement s'il y a un conflit.

Selon moi, cette mesure vise davantage à informer qu'à porter un jugement. Je crois que c'est là l'intention, sauf avis contraire. C'est ce que je comprends. Peut-être que cette interprétation peut vous satisfaire, du moins en partie.

Cette disposition ne vise pas à fournir au premier ministre des renseignements confidentiels sur un titulaire de charge publique pour qu'il l'utilise comme épée de Damoclès.

M. Saint-Martin : Ce qui me préoccupe, ce sont les apparences. Je suis d'accord avec vous. Je ne crois pas que le premier ministre ou le bureau du commissaire essaiera d'utiliser cette information dans un but politique. Ce n'est pas du tout ce que je dis.

Ce qui me préoccupe, c'est que tous les regards, ou ceux de l'opposition, seront tournés vers le commissaire. C'est ce que j'appelle un conflit de loyauté. Le premier ministre a déjà pareil conseiller, soit le greffier du Conseil privé. C'était le rôle de Howard Wilson. Il vous dira qu'avant d'être conseiller en éthique auprès de l'ancien premier ministre, ce rôle était joué par le greffier du Conseil privé. C'est ce qu'on trouve aussi au Royaume-Uni, où cette fonction est remplie par le secrétaire du cabinet.

Le sénateur Stratton : Je comprends bien. Mon autre question porte davantage sur le cynisme, question dont nous pourrions débattre interminablement. À mon avis, nous avons reconnu la nécessité des règles d'éthique. Nous avons constaté notamment que, par rapport à l'élaboration des règles d'éthique régissant le Sénat, le système semble être efficace jusqu'à présent, même s'il n'est pas en œuvre depuis longtemps. Nous avons eu un exemple précis à cet égard.

Selon moi, il ne s'agit pas d'imposer davantage de règles. Tout comme vous, je ne crois pas posséder la solution. Si vous n'adoptez aucune mesure alors que la population exige le contraire — et ce fut le cas dans une grande mesure pour cette affaire, les conservateurs ayant précisé dans leur plate-forme électorale qu'ils agiraient à cet égard —, et c'est de là que découle le projet de loi C-2. Que vous soyez d'accord ou non, c'est de cela qu'il s'agit vraiment.

Dans ma jeunesse, on m'a fait comparaître devant un tribunal pour avoir roulé avec une autre personne sur ma bicyclette, et mes parents ont dû alors m'accompagner.

Le sénateur Campbell : Un contrevenant.

Le sénateur Stratton : Je suis un contrevenant pour avoir roulé avec une autre personne sur ma bicyclette. Et ce n'est pas tout. Je n'ai pas eu ma leçon puisque j'ai récidivé. J'apprenais très lentement. C'est la première fois que je parle de cette expérience.

Le sénateur Campbell : Sénateur, il vous faut un avocat.

Le sénateur Stratton : J'ajouterai que ces règles ne sont plus appliquées aujourd'hui. Elles n'existent plus.

Autrement dit, un policier ne mettra jamais en arrestation un enfant qui agirait comme moi. Voilà la différence. Je pense que nous sommes devenus un peu plus laxistes dans l'application de ces règles, notamment sur le plan de l'éthique si l'on peut s'exprimer ainsi. Et partant, ce laxisme a commencé à se refléter dans la société. Je pense que la société essaie maintenant de nous dire que nous avons peut-être fait preuve de trop de laxisme, et il est temps de ramener le maintien de l'ordre public face à ce genre de préoccupation. Je suis un exemple éclatant à cet égard, mais j'ai été puni.

Comme nous le savons tous, il faut un certain degré de respect des principes d'éthique. Nous devons élaborer des lignes de conduite régissant les nouveaux sénateurs et députés, car ils sont des néophytes. Ils ne savent pas nécessairement ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Pourquoi n'existe-t-il pas des normes ou des règles à cet égard?

Je ne veux pas dire par là que l'image projetée par les politiques changera. Je suis d'accord avec vous qu'elle restera la même. Cependant, au moins ces règles existent et peuvent être expliquées aux parlementaires. Par conséquent, si quelqu'un décide d'y contrevenir, il peut faire l'objet de mesures. Pourquoi ne voudrions-nous pas agir en ce sens?

M. Saint-Martin : Savoir à quel moment nous avons suffisamment de règles. C'est encore là ma seule inquiétude. J'ai établi une analogie avec le secteur privé. Par rapport à la réglementation assujettissant les entreprises, il vient un moment où ces dernières signalent que « ça suffit », parce que le rendement et la productivité de l'économie dans son ensemble en souffrent.

Nous pourrions appliquer la même logique au secteur public et au monde politique. Comment pouvons-nous déterminer que nous avons suffisamment de règles d'éthique et que nous n'avons pas franchi le seuil où l'ensemble du système politique devient dysfonctionnel? C'est là ma seule inquiétude. Je ne dis pas que nous avons franchi ce seuil au Canada, mais nous sommes certes sur le point de le faire.

Lorsque nous examinons la réforme qui a été mise en œuvre dans l'administration publique depuis les années 60, depuis la Commission Glasgow, nous constatons que toutes les mesures visaient à décentraliser les responsabilités de gestion au sein de l'administration fédérale, à se doter de gestionnaires plus responsables jouissant d'une plus grande souplesse dans leur milieu de travail et dans l'application des règles, ainsi qu'à offrir aux citoyens des services personnalisés au lieu du modèle de prestation uniforme qui ne rendait justice à personne. Les 40 dernières années ont été le théâtre de mesures favorisant la décentralisation et l'assouplissement de la gestion publique, mais nous faisons actuellement marche arrière. J'ajoute que tout cela est effectivement nécessaire, mais que nous devons bien nous garder de jeter le bébé avec l'eau du bain.

Le sénateur Stratton : Je serais d'accord avec vous. La distinction est très ténue, mais je crois que nous devons aller de l'avant.

Le dernier aspect, c'est que la politique et le gouvernement — en nous servant du terme « démocratie » que nous aimons tous évoquer comme un exemple éclairant — reposent sur le principe du contradictoire. Nous nous affrontons. C'est ce qui retient l'attention des médias. Dans un premier temps, le contradictoire, puis la controverse; il faut pouvoir examiner la question et déterminer quelles sont les conséquences. Le premier ministre Martin a agi ainsi avec le rapport Gomery — ce qui a vraiment permis de jeter le blâme sur les coupables. Tout cela est essentiel.

D'aucuns peuvent dire que, essentiellement, le cynisme s'en nourrit. Lorsqu'on se rend compte d'un problème, la meilleure solution consiste à s'y attaquer d'une façon transparente et sur la place publique. Beaucoup s'inscriraient en faux, notamment un ancien premier ministre que nous connaissons, car agir ainsi finit par porter atteinte à la chose politique et aux partis politiques sans aucune exception.

M. Saint-Martin : Effectivement.

Le sénateur Stratton : C'est une situation sans issue. On vous blâme si vous intervenez, et on vous blâme si vous n'agissez pas. Si un tel problème survenait dans votre travail et était exposé dans les médias, ne souhaiteriez-vous pas pouvoir alors compter sur un ensemble de règles?

M. Saint-Martin : Je peux vous répondre en évoquant les deux solutions adoptées : le projet de loi C-2 qui découle de l'enquête sur les commandites et le second rapport du juge Gomery. Franchement, je ne saurais dire laquelle est la meilleure. Me demandez-vous si les recommandations du rapport Gomery permettront davantage de prévenir un autre scandale des commandites? Je l'ignore. Me demandez-vous si le projet de loi C-2 serait plus efficace à cet égard? Je ne le crois pas. La grande différence tient au fait que la Commission Gomery a formulé 18 recommandations finales, tandis que le projet de loi C-2 établit au moins 100 règles et constitue une réponse beaucoup plus bureaucratique — si je peux m'exprimer ainsi —, c'est-à-dire que la mesure législative essaie d'être beaucoup plus exhaustive.

Naturellement, si j'étais un conseiller du premier ministre, je serais naïf sur le plan politique si je lui conseillais de ne rien dire et de ne pas réagir. Voici où je veux en venir : si l'argument que j'essaie de vous faire valoir était davantage examiné sur la place publique, il faudrait souligner que même un recueil de règles d'éthique volumineux ne nous garantirait pas une éthique plus rigoureuse au sein du gouvernement. Il faudrait le signaler aux citoyens.

Le sénateur Milne : Votre troisième point m'intéresse. Selon vous, le même commissaire ne peut pas simultanément veiller au respect des règles d'éthique par l'appareil exécutif et être un conseiller privé du premier ministre. Recommandez-vous deux commissaires à l'éthique à la Chambre des communes : un pour les députés et le deuxième pour les autres titulaires d'une charge publique?

M. Saint-Martin : Ce serait effectivement à souhaiter. En fait, il en faudrait trois, comme vous le savez, parce que le Sénat a tenu un débat sur cette question il y a quelques années lorsque le gouvernement précédent avait adopté la première loi en matière d'éthique. Je vous inviterais à contester dans une certaine mesure la solution du gouvernement, parce que celui-ci fait valoir implicitement qu'il reconnaît effectivement ces nuances constitutionnelles ténues entre le pouvoir exécutif, le Sénat, les titulaires d'une charge publique et les parlementaires, mais qu'il veut obtenir des économies d'échelle. Les économies d'échelle constituent l'argument implicite de la position du gouvernement. Autrement dit, pourquoi se doter de trois bureaucraties — l'une pour le Sénat, l'autre pour la Chambre des communes et la dernière pour l'appareil exécutif? Nous n'en aurons qu'une seule de taille. Je vous inviterais à contester cette solution. Je ne suis pas sûr qu'il coûterait moins cher d'avoir un seul conseiller en éthique que de se doter de trois conseillers en éthique, l'un pour le premier ministre, l'autre pour le Sénat et le dernier pour la Chambre des communes. On ne me l'a pas encore prouvé.

Le sénateur Milne : Pensez-vous que le projet de loi C-2 serait mieux sans l'alinéa 43a)? Il porte sur les avis au premier ministre, notamment, à sa demande, sur l'application de cette loi qui est proposée à un titulaire de charge publique.

M. Saint-Martin : À la lumière de ce qui est arrivé quand M. Howard Wilson était conseiller politique auprès du premier ministre qui a précédé le dernier — vous savez que M. Wilson a connu des difficultés; il a été qualifié de béni- oui-oui et a essuyé toutes sortes d'insultes — cet article fait encore courir un risque de confusion, de créer la possibilité que le premier ministre soit tenté de dire qu'il n'a pas renvoyé tel ministre parce qu'un entretien avec le commissaire à l'éthique l'avait porté à conclure que ce qu'il avait fait n'était pas sujet à sanction. Alors, l'opposition pourrait protester et politiser le travail du commissaire.

Par conséquent, oui, si nous vivions dans un monde idéal, cet article devrait être supprimé parce que c'est une charge qui comporte d'énormes défis pour ce qui est d'établir sa crédibilité et sa légitimité. Encore une fois, ce n'est pas le vérificateur général et l'éthique est toujours une question très subjective de la zone grise; quand une décision est prise, il y a toujours quelqu'un pour n'être pas d'accord et même être mécontent.

Le sénateur Milne : Professeur, à ce que je sache, tous les sénateurs sont maintenant classifiés légalement comme étant des titulaires de charge publique. Ce n'est pas ce que nous devrions réellement être, mais c'est ainsi que nous avons été classifiés et cela n'a pas été contesté — dans le Code criminel, oui —, alors nous en sommes là.

Y a-t-il quoi que ce soit, quelque part dans ce projet de loi, qui selon vous empêcherait le premier ministre, si l'alinéa 43a) restait dans le projet de loi, de demander conseil à titre confidentiel au sujet d'un sénateur, quel qu'il soit?

Notre conseiller juridique nous a dit l'autre jour qu'il supposait que ce n'était que pour les ministres du cabinet au sein du Sénat, mais je ne vois rien dans ce projet de loi qui empêcherait un futur premier ministre de demander conseil au sujet de n'importe quel autre sénateur.

M. Saint-Martin : Dans la mesure où, comme vous le dites, votre position est définie comme étant celle de titulaire de charge publique, alors ma réponse serait oui. Vous pourriez être visés par de tels conseils confidentiels.

Le sénateur Milne : C'est une bonne raison de l'éliminer.

Le sénateur Stratton : Professeur, l'élément qui fait que nous sommes définis comme étant des titulaires de charge publique — corrigez-moi si je me trompe — a été discuté devant un tribunal. Ce n'est pas dans la loi, défini dans la loi, mais il en a été question lors d'un procès. Le fait n'a pas encore été contesté, alors il y a une nuance à faire.

Comme nous le disions tout à l'heure, quand j'ai parlé du titulaire de charge publique, si un titulaire de charge publique, c'est-à-dire quelqu'un qui est désigné comme titulaire d'une charge publique, pas nécessairement un ministre du Cabinet, mais nommé à un poste de cadre supérieur, connaît un problème perçu comme étant lié à l'éthique, le ministre en est saisi à titre confidentiel. C'est ce dont il s'agit ici. C'est l'élément fondamental sur lequel nous voulons nous concentrer.

Si le premier ministre demandait et obtenait des renseignements sur le comportement éthique d'un sénateur quelconque, cela constituerait une sérieuse et grave remise en question de cette Chambre, sur ce plan. Croyez-moi, il y aurait un tollé de protestations et l'affaire serait portée devant les tribunaux par le Sénat du Canada, ou des membres particuliers de cette Chambre. Je ne pense pas qu'il s'agisse le moins du monde de cela. Il n'est pas non plus question que le premier ministre demande des renseignements sur un député particulier, un simple député, pour les mêmes raisons.

M. Saint-Martin : Absolument, oui.

Le sénateur Stratton : Il est toujours possible d'aller aux extrêmes avec les définitions, mais il faut aussi reconnaître l'intention de fond. Est-ce que vous y répondriez?

M. Saint-Martin : Vous avez raison de lire cela dans le projet de loi. Quand il stipule que le commissaire a le pouvoir de fournir un avis confidentiel, il ne s'agit pas de renseignements confidentiels au sujet du comportement réel ou présumé d'un membre du cabinet du premier ministre. C'est plus une question de méthode pour composer avec cela. Je ne pense pas que le commissaire soit un informateur ou un espion du ministre, pas du tout.

Le sénateur Stratton : Je lis dans le projet de loi C-2, sous la définition de « titulaire de charge publique » qu'un sénateur n'est pas titulaire de charge publique à moins d'être ministre.

Le sénateur Day : Est-ce que vous parlez de la définition de titulaire de charge publique, à l'alinéa 2(1)d)(ii)?

Le sénateur Stratton : Oui.

Le sénateur Day : Il est question des « cadres et du personnel du Sénat », pas des sénateurs. Qui sont les cadres du Sénat?

Le sénateur Stratton : Le greffier du Sénat, par exemple.

Le sénateur Day : Il n'est pas question de sénateurs.

Le sénateur Stratton : C'est vrai.

Le sénateur Day : C'est ce qui est exclu.

Le président : Les sénateurs sont expressément exclus sous cette définition.

Le sénateur Day : Non. On lit que l'expression titulaire de charge publique signifie une personne désignée par le gouverneur en conseil, autre que les cadres du Sénat. C'est un double négatif. Ainsi, cela inclurait ceux qui ne sont pas exclus.

M. Saint-Martin : Parce que vous êtes désigné par le gouverneur en conseil.

Le président : Non, nous ne le sommes pas.

Le sénateur Stratton : Le projet de loi stipule spécifiquement que le titulaire de charge publique est un ministre, ministre d'État ou secrétaire parlementaire. Il n'est pas question de sénateurs ni de députés.

Le sénateur Campbell : Si nous avons été déclarés par les tribunaux comme étant des titulaires de charge publique, cela fait planer le doute sur le contenu du projet de loi jusqu'au moment où la question sera portée devant les tribunaux et la définition invalidée. Je dis seulement que nous avons été déclarés comme étant des titulaires de charge publique par les tribunaux, ce qui embrouille tout.

Le sénateur Stratton : Je ne pense pas que cela embrouille quoi que ce soit ici, mais je ne suis pas avocat.

Le sénateur Campbell : Moi non plus.

Le sénateur Stratton : Comme le disait le sénateur Oliver, le Parlement semble avoir le pouvoir suprême en matière de loi.

Le sénateur Day : Malheureusement, le Parlement n'a rien dit en ce qui concerne les sénateurs.

Le sénateur Campbell : Malheureusement, il y a eu une décision judiciaire qui décrète que c'est ce que c'est. Si nous voulons nous y opposer, je suppose que nous pouvons essayer.

Je ne cherche pas à lancer un débat. Je ne suis pas avocat. Il y a une décision judiciaire ici. Elle n'a pas encore été contestée, ce qui fait que toute cette clause est embrouillée.

Le sénateur Stratton : Essayons de ne pas trop couper les cheveux en quatre. D'après la définition de titulaire de charge publique, comme le signalait le sénateur Comeau, il s'agit d'un « titulaire de charge nommé par le gouverneur en conseil ». Cela nous exclut.

Le sénateur Campbell : Je l'ai dit, je ne suis pas avocat. Tout ce que je dis, c'est que si les tribunaux nous ont déclarés comme étant des titulaires de charge publique, à un moment donné, il nous faudra harmoniser la loi avec la décision du tribunal.

Le sénateur Stratton : À mon avis, c'est là.

Le président : Sénateur Campbell, vous avez soulevé là une bonne question. Nous pouvons la poser au ministre de la Justice quand il reviendra devant le comité. Je pense qu'il dira que ce n'est qu'aux fins d'articles particuliers du Code criminel et non pas d'autres lois.

Le sénateur Stratton : À mon avis, cette mesure embrouille la décision du tribunal.

Le sénateur Day : À mon avis, s'il y a la moindre question sur ce que sont ou ne sont pas les sénateurs, cette loi qui est proposée pourrait facilement infirmer n'importe quelle décision d'un tribunal.

Le sénateur Stratton : J'ajouterais les députés de la Chambre des communes aussi.

Le sénateur Day : Ils ont leurs propres modifications.

[Français]

Le sénateur Comeau : J'aimerais revenir sur la question des investigations.

Vous avez exprimé des inquiétudes à ce sujet, à savoir que le simple fait de commencer une investigation sur une personne crée déjà un doute quant à sa probité. Le projet de loi améliore-t-il la précédente méthode d'investigation utilisée par la Chambre des communes et le Sénat?

M. Saint-Martin : Je ne peux pas être précis à 100 p. 100, mais la procédure proposée dans le projet de loi C-2 va un peu plus loin que celle qui existe déjà depuis deux ans à peu près, en ce sens que le public peut aussi intervenir mais via un parlementaire. Moi, en tant que citoyen, si je sais que tel politicien s'est mal conduit, je peux en informer mon parlementaire. On ouvre la porte un peu plus large ici.

Le sénateur Comeau : Je comprends cela. Par contre, il n'y a pas de changement quant à l'officier d'éthique, peu importe la personne nommée. Il a le droit et même probablement la responsabilité de voir à ce qu'une investigation soit faite de façon confidentielle, n'est-ce pas?

M. Saint-Martin : Vous avez tout à fait raison, parce que c'est lui en première instance qui juge du caractère fondé de l'allégation. Si la plainte est frivole, il n'y donne alors pas suite.

Le sénateur Comeau : Nous avons eu, l'année dernière, un exemple d'investigation faite auprès d'un député. Le commissaire à l'éthique de la Chambre des communes avait même émis un communiqué de presse indiquant qu'il était en train de faire l'investigation. Il n'était pas nécessairement question du projet de loi comme tel, mais c'était une question d'expérience ou même de jugement du commissaire à l'éthique. Je cite le cas de Deepak Obhrai. Le commissaire à l'éthique, qui a témoigné à ce comité la semaine dernière, a même été sanctionné par un des comités, qui a dit — et je vais vulgariser — qu'il ne savait pas comment faire sa job.

J'ai une deuxième question. Vous avez exprimé des préoccupations en ce qui concerne les intérêts personnels et publics. Vous aimeriez voir une définition claire à ce sujet. Cependant, le fait d'avoir une définition claire dans le projet de loi exclut la possibilité d'avoir une définition dans les codes d'éthique.

Le projet de loi contient moins d'informations ou moins de définitions afin que ce genre de règles ne soit pas trop défini dans le projet de loi. Après que les règles se retrouvent dans le projet de loi, elles deviennent ancrées dans la loi. Ne seriez-vous pas d'accord avec moi pour que la définition soit exclue du projet de loi?

M. Saint-Martin : Pour revenir à votre première question sur le processus d'investigation, en fait, c'est une décision du parlementaire de l'opposition. On parle du processus d'investigation pour les titulaires de charge publique, donc des gens associés au gouvernement; ce sera souvent un député de l'opposition qui devra porter un jugement. Est-ce que j'utilise cette information dans une conférence de presse à la période de questions pour faire un gros brouhaha ou est-ce je me tiens tranquille, je garde le silence, mais je passe l'information au commissaire pour qu'il puisse faire, de façon neutre, une pré-enquête.

Si le système permet ces deux choses en même temps, c'est le « free for all » à mon avis. Si je demande au commissaire à l'éthique, parce que j'ai obtenu de l'information, de mener une enquête sur monsieur untel et qu'à la période de questions, on martèle monsieur untel, on vient de politiser la pré-enquête confidentielle que le commissaire devait faire.

Le sénateur Comeau : Je vais peser mes mots pour être plus précis. Ne serait-il pas un peu naïf de prétendre que si un député est prêt à faire cela avec ce projet de loi, il ne soit pas prêt à le faire sans le projet de loi? Il va le faire parce qu'il a la protection du privilège parlementaire. Alors le projet de loi ne va pas l'empêcher. On a un système adverse et de confiance envers le gouvernement et le but du parlementaire parfois est de démontrer que le système permet et même encourage cette façon de faire. Je ne suis pas toujours entièrement d'accord. Alors vous êtes un peu naïf en disant que si on n'adopte pas ce projet de loi, cela va changer quelque chose, aucunement. Avec le système tel qu'il est là, le député peut voir le conseiller en éthique et dire : voilà l'information que j'ai, vous pouvez fouiller un peu plus loin. S'il se décide que l'information soit rendue publique ou non, ce n'est pas le projet de loi qui va l'empêcher ou l'encourager. Cela n'a rien à voir. Vous êtes un peu naïf si vous pensez que ceci va changer d'une manière ou d'une autre la nature adverse du Parlement du Canada.

Ma prochaine question concerne le fait que l'officier en éthique devienne un conseiller du premier ministre. Dans votre présentation, vous dites que le projet de loi C-2 ne couvre pas le premier ministre parce qu'il n'est pas nommé spécifiquement.

M. Saint-Martin : Les conseillers du premier ministre.

Le sénateur Comeau : Vous dites que le premier ministre n'est pas un ministre.

M. Saint-Martin : Absolument, le premier ministre n'est pas titulaire d'aucun ministère. Un ministre est toujours défini selon qu'il a un ministère ou non, le premier ministre n'en a pas. À mon avis, je ne suis pas un expert en droit constitutionnel, la seule question est de savoir pourquoi on définit des conseillers ministériels comme des gens qui conseillent un ministre ou un ministre d'État et pourquoi on ne parle pas des conseillers du premier ministre. Il me semble, je ne sais pas si c'est un oubli, qu'il y ait quelque chose là.

Le sénateur Comeau : On va certainement étudier cette question. Si le fait que le premier ministre n'est pas un ministre, on va s'assurer que c'est un ministre, bien sûr.

Vous dites dans votre présentation que, j'ai écrit les mots en anglais ici :

[Traduction]

Les règles d'éthique ne renforcent pas la confiance des citoyens.

[Français]

Est-ce que nous devrions considérer cela pour ne pas avoir de règle?

M. Saint-Martin : Non, au contraire, la seule chose à laquelle je vous invite à réfléchir, c'est que trop souvent, dans le débat politique, pour les raisons que vous avez citées, dans ce régime adverse où on doit démontrer que l'autre n'est pas bon et que l'on est meilleur, on dit toujours que nous devons adopter des règles d'éthiques plus sévères parce que je dois faire augmenter la confiance du public envers les institutions.

La confiance du public dans les institutions s'est érodée depuis 30 ans et les causes de cela, ce n'est pas un scandale ou un autre, ce sont des causes sociologiques. Les gens ont perdu toute déférence envers les autorités, on a des valeurs différentes. Les gens sont plus éduqués, plus informés et plus critiques. Souvent, je dis à mes étudiants que cette idée du déclin de la confiance des citoyens envers le processus politique est une mauvaise chose. On devrait peut-être y réfléchir. Si on a des citoyens plus informés, plus critiques, c'est meilleur pour la démocratie. Je vous invite à réfléchir sur le fait que l'un ne cause pas l'autre. Même si on a des codes d'éthique plus sévères, cela ne va pas redonner plus de confiance aux citoyens envers le système. Les causes de ce déclin sont sociologiques, et il n'y a pas de rapport entre les deux.

[Traduction]

Le sénateur Day : Monsieur Saint-Martin, le sénateur Stratton parlait d'intention de fond. Est-ce que ce n'est pas le problème quand on transforme un code rempli de grands principes en règles dictées par une loi, que tout cela devient un exercice juridique d'interprétation plutôt que d'offrir la possibilité d'appliquer les grands principes dont vous avez parlé tout à l'heure?

M. Saint-Martin : Certainement, parce que quand on traduit des valeurs et des principes en règle et en loi, on crée une approche moins flexible. Le projet de loi ne parle que de ne pas faire ceci et de ne pas faire cela. Un préambule avec une série de valeurs parlerait de faire ceci et de faire cela, tandis que les règles traitent de ne pas faire ceci et de ne pas faire cela. Tout cela est très négatif.

Le message perçu à travers le projet de loi, c'est que l'on ne peut pas faire confiance à ces personnes car tout ce que nous voyons c'est qu'elles ne devraient pas faire ceci et ne pas faire cela. Une approche plus axée sur les valeurs concernant les questions de conflit d'intérêts et d'éthique est différente. Elle offre plus de flexibilité, mais bien sûr, politiquement elle n'est pas aussi efficace qu'une approche fondée sur les règles. Elle montre au corps électoral que cette question vous tient à cœur car vous en faites une loi qui n'est pas axée sur un code sans valeur ou fondement législatifs.

Le sénateur Day : Pourtant, vous dites que lorsque vous la mettez sous forme législative et que vous n'utilisez pas une approche plus flexible et fondée sur les règles, elle ne renforce pas la confiance des citoyens envers le processus.

M. Saint-Martin : Non, elle ne la renforce pas. C'est un cercle vicieux. C'est la raison pour laquelle je dis que vous avez toujours tort quoi que vous fassiez. C'est très frustrant car la barre de l'éthique ne cesse de monter et personne ne propose que nous devrions peut-être s'arrêter.

Le sénateur Day : J'examinais les 18 recommandations du juge Gomery et je n'ai pas pu rapidement trouver la page où il recommande de passer d'un processus axé sur les valeurs à un processus fondé sur la législation.

M. Saint-Martin : Il ne le recommande pas. Ce n'est pas ce que je voulais dire. J'ai simplement dit que Gomery avait seulement 18 recommandations, c'est donc beaucoup plus économique, si je peux utiliser ce mot, concernant ce qui devrait être fait pour corriger le système alors que le projet de loi C-2 et l'autre approche sont un peu plus solides.

Le sénateur Day : Si une personne suivait ce débat à la maison sur la CPAC, elle pourrait croire que tout ce dont nous avons parlé ce matin est en réaction à une recommandation de Gomery, or ce n'est pas le cas.

M. Saint-Martin : Ce n'est pas du tout parce que les deux divergent totalement; au sujet des recommandations concernant ce qui doit être corrigé, les deux approches sont totalement différentes. Pour Gomery, le problème se situait dans le contrôle rigoureux de l'exécutif politique sur la mécanique bureaucratique. Sa recommandation visait à rendre la fonction publique un peu plus difficile à contrôler politiquement par le cabinet et par le premier ministre. Elle visait à créer une fonction publique plus indépendante, alors que cette approche du gouvernement veut renforcer l'indépendance de la branche législative au niveau de sa capacité à contrôler l'exécutif en renforçant la vérificatrice générale, le commissaire à l'éthique, une Commission des nominations publiques et ainsi de suite.

Le sénateur Day : Le juge Gomery a dit, entre autres, que les comités parlementaires devraient être renforcés.

M. Saint-Martin : Absolument.

Le sénateur Day : Selon vous, y a-t-il quelque chose dans nos discussions de ce matin qui aiderait les comités parlementaires à mieux être en mesure de tenir le gouvernement responsable?

M. Saint-Martin : C'est un autre sujet, mais je répondrai rapidement en disant non.

Le sénateur Day : C'est la réponse que j'attendais.

M. Saint-Martin : C'est une question qui a déjà été débattue par vos collègues à la Chambre basse. Au Canada, nous renforçons les mandataires indépendants du Parlement — comme la vérificatrice générale et tous les autres, le commissaire à l'information et ainsi de suite — mais cela ne veut pas dire renforcer les pouvoirs des députés pour faire leur travail au sein des comités parlementaires.

On leur accorde plus de ressources parce qu'ils peuvent utiliser le rapport de la vérificatrice générale et y donner suite, mais ce n'est pas la même chose. Nous devons faire la distinction. Parler de la capacité des comités parlementaires à disposer de plus de moyens, de plus de ressources pour assurer leurs fonctions reliées à demander des comptes est une chose, mais renforcer les pouvoirs de toute la bureaucratie liée au Parlement en est une autre.

Le sénateur Day : Pourtant, à la page 25 du projet de loi, le paragraphe 44 prévoit que le parlementaire qui reçoit les renseignements visés au paragraphe 44(4) ne peut les communiquer à quiconque pendant qu'il décide s'ils devront être communiqués au commissaire en vertu de ce paragraphe. Il ne peut les communiquer à quiconque avant d'avoir remis le rapport prévu au présent article.

M. Saint-Martin : Au paragraphe (5)?

Le sénateur Day : Nous sommes à la page 25, paragraphe 44 (5).

Le sénateur Stratton : Il me semble que nous avons déjà fait cela.

Le sénateur Day : Oui.

M. Saint-Martin : C'est exactement ce que j'ai dit au sénateur Comeau tout à l'heure.

Le sénateur Day : J'avais compris.

M. Saint-Martin : Il a dit que j'étais naïf de penser qu'il en soit autrement.

Le président : Je veux entendre la réponse du témoin. Pouvez-vous répéter? Je veux entendre ce que vous avez dit.

M. Saint-Martin : D'accord. Si un parlementaire dispose de renseignements confidentiels concernant une inconduite présumée de la part d'un autre parlementaire, il devra décider soit de divulguer ces renseignements au public dans une conférence de presse ou à la période des questions pour marquer des points politiques contre ses adversaires politiques soit de n'en parler qu'au commissaire à l'éthique puis attendre le rapport du commissaire.

Si un parlementaire fournit au commissaire des renseignements sur une inconduite présumée puis que deux heures après il en parle à la période des questions à la Chambre et qu'il déclare qu'il sait qu'un ministre a enfreint les règles, l'enquête ou la préenquête du commissaire est automatiquement politisée. Je pense que c'est tout à fait inefficace.

Je crois que si une personne décide de fournir de tels renseignements au commissaire, elle ne devrait pas en parler. Cependant, je reconnais qu'il est naïf de ma part de le croire.

Le sénateur Day : Les diverses interventions ont peut-être fait perdre le sens de ma question. Je la pose de nouveau : est-ce que cette proposition de loi aide les parlementaires à tenir le gouvernement — et donc les ministres — responsables? Je suggère que cet article proposé, qui est en fait un bâillon si vous êtes d'accord avec le commissaire à l'éthique, empêche le parlementaire de faire ce qu'il devrait faire.

M. Saint-Martin : Vous soulevez une question de privilège et je crois que c'est légitime, oui. Quand vous décidez de fournir des renseignements confidentiels au commissaire afin qu'il puisse lancer son enquête, si l'on vous demande de vous taire, cela porte certainement atteinte au privilège d'un parlementaire qui a le droit de dire ce qu'il croit devrait être dit au Parlement.

Le sénateur Day : Permettez-moi d'aller plus loin que cela.

M. Saint-Martin : C'est un problème.

Le sénateur Day : Cela empiète sur votre responsabilité de tenir le gouvernement responsable.

M. Saint-Martin : Si je comprends votre logique, le paragraphe dont nous parlons n'est peut-être pas vraiment nécessaire, car si vous avez ces renseignements, vous commencerez par les rendre publics.

Le sénateur Day : Ou désirables.

M. Saint-Martin : Il est vrai qu'il y a un grand risque de politisation du travail du commissaire à l'éthique, absolument.

Le président : Avant que vous ne passiez à votre point suivant, le sénateur Stratton a une question complémentaire sur ce point.

Le sénateur Stratton : Ma question à ce sujet prend l'exemple d'une affaire judiciaire. Si une personne est traduite en justice pour une affaire liée au gouvernement, le ministre responsable ne peut pas en parler. La loi le lui interdit. Il ne doit pas en parler, sinon il s'expose à de graves problèmes. Donc pour faire un parallèle, dès que le commissaire ouvre son enquête, la personne qui dépose plainte ne doit pas en parler. C'est tout à fait logique.

Si la personne décide d'aller chez le commissaire, il faut qu'elle respecte certaines règles. Les règles prévoient clairement que si elle fournit des renseignements au commissaire, elle ne peut pas aussi en parler publiquement. Comment serait-il possible de faire les deux choses à la fois? Le fait est qu'il faut suivre la règle du jeu. Si vous entrez dans le jeu, il faut en suivre la règle.

M. Saint-Martin : L'idéal serait ce que vous venez de décrire, absolument, mais vous savez mieux que moi que la politique se fait dans les coulisses. L'un de vos assistants peut divulguer les renseignements. Et ce ne sera pas vous. Il faut, en fait, qu'il décide s'il est plus avantageux de divulguer au public les renseignements que d'entendre les gens dire qu'il n'aurait pas dû les divulguer vu qu'il ne respecte pas le cours normal de la loi prévu par le projet de loi?

Le sénateur Milne : Dites-vous alors que, dans ce cas, cette partie du projet de loi peut décourager activement un parlementaire de prévenir le commissaire de quelque chose dont il a eu connaissance parce qu'alors, il limiterait sa propre liberté de parole, qui est une question de privilège parlementaire, qui est une question de responsabilité à l'égard du public?

M. Saint-Martin : « Décourager » est un mot un peu fort. En vérité, je l'ignore, parce qu'il s'agit fondamentalement d'un jugement politique. Si vous pensez avoir attrapé un gros poisson — vous avez quelque chose de solide au sujet de ce ministre qui pourra le faire mal paraître — respecter le processus d'enquête du commissaire à l'éthique est négligeable comparativement aux retombées très importantes qu'il pourrait y avoir si vous pouviez salir un ministre, n'est-ce pas? C'est une question de jugement politique. Cependant, est-ce que cela découragera quelqu'un de le faire? Je ne peux pas vraiment le dire.

Le président : Je pense que vous avez une copie du projet de loi devant vous.

M. Saint-Martin : Oui.

Le président : Le paragraphe 44 (4) traite des renseignements provenant du public, mais non des autres parlementaires. Provenant du public seulement. J'espère simplement que vous avez vu cette distinction.

M. Saint-Martin : Oui.

Le président : La deuxième chose, que vous ne savez probablement pas, c'est que l'article 10 du code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs prévoit qu'une fois qu'une demande d'enquête a été présentée ou que l'autorisation de faire enquête a été donnée, les sénateurs devraient respecter le processus établi par le code. Alors, il y a d'autres façons d'assurer un contrôle qui sont enchâssées dans le code lui-même.

Le sénateur Day : Le code des sénateurs s'applique aux sénateurs, tandis que ceci s'applique aux titulaires de charge publique et au fait d'amener le gouvernement à rendre des comptes. Ce qui m'intéresse, c'est d'essayer de trouver comment cette législation aide les parlementaires à remplir leur fonction consistant à amener le gouvernement à rendre des comptes. C'est ce que j'essais de comprendre.

Ce paragraphe illustre, pour la deuxième fois ce matin, comment nous pouvons nous embourber dans la sémantique, en ce qui concerne les articles et les paragraphes, et leur sens. Ce ne sera jamais parfait, mais si nous pouvions, grâce à nos discussions, l'améliorer même légèrement, alors nous aurions atteint notre but.

Mais je veux souligner le paragraphe (5) :

Le parlementaire qui reçoit les renseignements visés au paragraphe (4) —

C'est-à-dire, des renseignements provenant du public qu'un certain ministre du Cabinet peut avoir fait quelque chose de répréhensible.

— ne peut les communiquer à quiconque pendant qu'il décide s'ils devront être communiqués au commissaire en vertu de ce paragraphe.

« Pendant qu'il décide », comme le dit le paragraphe. Alors, le parallèle avec une procédure en justice ne s'applique pas vraiment. Cela signifie que dès que vous entendez quelque chose, si vous êtes en instance de décider — et qui sait si vous êtes en train de décider ou non d'informer le commissaire ou de soulever la question à la période de questions. Néanmoins, le libellé est assez draconien. « Pendant qu'il décide », il ne peut parler à personne.

Le sénateur Joyal : Je me demande, monsieur le président, si nous ne devrions pas demander à notre conseiller législatif, M. Audcent, de faire rapport sur les répercussions en lien avec le privilège parlementaire. Comme vous le savez, le privilège parlementaire fondamental est la liberté de parole. C'est l'essence de la Déclaration des droits. À cause de cette disposition, un parlementaire perdrait temporairement sa liberté de parole; il y a des conséquences. Ne serait-il pas utile d'obtenir un avis de notre conseiller juridique sur les conséquences de l'article proposé?

Le président : Sénateur Joyal, c'est possible. Un certain nombre de représentants du gouvernement de haut niveau comparaîtront devant le comité plus tard et ils auront entendu votre question et il se pourrait très bien qu'ils soient en mesure de répondre à la question du privilège parlementaire pour les sénateurs, qui est soulevée par cette disposition.

Le sénateur Joyal : Je vais poser la question parce que je pense que c'est une question très valable.

Le président : C'est une question valable.

Le sénateur Day : J'ai une question concernant les principes de Westminster. Concernant ces sept principes dont vous avez parlé au sujet des députés, avez-vous eu l'occasion de les comparer aux principes qui figuraient dans le code avant que le gouvernement décide d'en faire une loi? Si nous étions en mesure de convaincre le gouvernement d'incorporer les principes qui figuraient antérieurement dans le code, est-ce que cela répondrait aux sept principes dont vous avez parlé, ou faudrait-il en faire davantage?

M. Saint-Martin : Si vous pouviez inscrire ces principes dans une forme quelconque de préambule qui pourrait être utilisé par le commissaire à l'éthique et son personnel comme une sorte de cadre général dans lequel utiliser toutes les règles détaillées dans le code, ce serait un très bon début. Ma réponse est oui.

Puis-je poser une question au sujet de l'article 44, concernant les renseignements provenant du public? Monsieur le président, vous avez soulevé une question très importante en ce sens que cela suppose que lorsqu'un parlementaire reçoit des renseignements provenant du public, il doit garder le silence jusqu'à ce qu'il décide s'il va communiquer l'affaire au commissaire.

Ma question est la suivante : Quand ou dans quelles circonstances considérerait-on que les renseignements ne proviennent pas du public? Si quelqu'un dans votre circonscription possède des renseignements et qu'il communique avec votre personnel, ne s'agit-il pas du public? Ma question à la suivante : quel serait le cas contraire? À quel moment un député aurait-il de l'information qui, dès le départ, d'une façon quelconque, ne proviendrait pas du public? S'il n'y a pas de bonne réponse à cette question, alors la question de la confidentialité et du privilège parlementaire devient encore plus importante à envisager.

Le président : Vous agissez comme un bon professeur en soulevant des questions difficiles devant le comité.

Le sénateur Stratton : J'ai de la difficulté à accepter l'idée d'enchâsser un ensemble de principes au début de la loi proposée, parce que, comme je l'ai dit auparavant, c'est redondant. Le Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs comporte un ensemble de principes au paragraphe 2(1). Le code parle précisément d'un ensemble de principes adoptés à la suite de notre longue étude de l'éthique au Sénat. Si ces principes sont enchâssés dans le texte législatif proposé, ainsi que dans le présent code et dans celui de la Chambre des communes, est-ce que cela ne serait pas redondant? Les principes figurent dans le code et le texte législatif proposé renvoie au code.

M. Saint-Martin : Si vous me dites que le code et le projet de loi proposé qui est devant nous ont la même valeur législative, alors, oui, ce serait redondant.

Le sénateur Joyal : Je ne veux pas soulever un débat, mais il y a une distinction entre le code de la Chambre des communes, le code du Sénat et le code des titulaires de charge publique. La différence, c'est que le code s'appliquant aux titulaires de charge publique se retrouve dans la loi. C'est pourquoi la question des principes est posée; le code régissant les titulaires de charge publique sera la loi, alors que dans le cas des sénateurs et des députés, évidemment, les principes sont affirmés dans leur propre code.

En d'autres mots, si le code du Sénat et le code de la Chambre des communes figuraient dans la loi, il n'y aurait probablement qu'un seul ensemble de principes. Cependant, étant donné que ce code, prévu dans le projet de loi, ne contient pas de principes, la question de savoir s'il est approprié d'inscrire des principes est soulevée dans le cas des titulaires de charge publique, qui ne sont ni des sénateurs ni des députés.

Le président : Le projet de loi C-2 ne supprime pas le code existant du Sénat; il le laisse intact.

Le sénateur Day : Ce code s'applique uniquement aux sénateurs. Il y a deux autres groupes. La Chambre des communes possède son propre code; les principes du Sénat ne s'appliquent pas à la Chambre des communes. Ensuite, il y a celui qui est en train d'être incorporé dans la loi, comme mon ami vient tout juste de le dire. On a laissé tomber les principes lorsqu'on en a fait une loi et c'est de cela dont nous parlons : Devrait-il y avoir certains principes en lien avec cela pour nous aider à l'interpréter?

Des témoins nous ont parlé de la possibilité d'avoir trois commissaires, un pour les titulaires de charge publique, un pour les députés et un autre pour les sénateurs. D'autres nous ont dit que deux seraient suffisants, c'est-à-dire un pour la Chambre des communes et les titulaires de charge publique, comme c'est le cas en ce moment, et un autre pour le Sénat.

Supposons que nous devions avoir des commissaires et qu'il y ait un fondement législatif à cela, avez-vous songé à la meilleure façon d'établir le régime, compte tenu des trois différents groupes?

M. Saint-Martin : Être petit a ses vertus. Je veux dire par là — et je crois avoir fait valoir cet argument auprès du sénateur Milne — que lorsque le gouvernement dit que nous n'aurons qu'un seul commissaire à l'éthique pour les sénateurs, les députés et les titulaires de charge publique — il préconise implicitement les économies d'échelle. Pourquoi avoir trois organisations faisant pratiquement la même chose? Cela coûterait plus cher. Il serait donc préférable d'avoir un seul commissaire qui ferait tout.

D'après sa position, le gouvernement laisse entendre qu'il veut réaliser des économies d'échelle. Je ne suis pas si convaincu que ce soit une bonne chose. C'est pourquoi je dis qu'être petit a ses vertus. Tant qu'à y être, pourquoi ne pas avoir un conseiller pour le Sénat et un autre pour le premier ministre en ce qui a trait aux titulaires de charge publique, puis un autre encore pour la Chambre. Bien entendu, d'un point de vue politique, cela n'est pas aussi profitable que d'avoir un seul conseiller, qui jouit d'une visibilité semblable à celle du vérificateur général. Notre puissante bureaucratie est très visible et, politiquement parlant, beaucoup plus intéressante que trois organisations bien plus discrètes dans leur fonction.

Les sénateurs et ceux qui occupent des charges comparables doivent avoir la confiance d'une personne fiable qui est proche de leur réalité, comprend leur univers et est capable de leur donner des conseils judicieux. Le fait d'avoir un petit bureau pour chacun des trois groupes ne serait pas plus coûteux, à mon avis, et pourrait être mieux adapté aux besoins de tous.

Le sénateur Stratton : Je ne parlerai pas du rôle des trois conseillers en éthique parce que je considère que les Canadiens se feront une opinion avec laquelle nous composerons plus tard.

Je vais revenir à la question des principes du projet de loi concernant les titulaires de charge publique. On n'a pas défini les principes du code d'éthique des sénateurs ou des députés parce qu'il en existe déjà. D'après ce qu'on m'a dit, on a l'intention d'appliquer des principes semblables aux titulaires de charge publique. C'est prévu dans le plan d'action du projet de loi fédéral sur la responsabilité. Bien que cela n'existe pas encore, on a l'intention de le mettre en œuvre. Plutôt que de reprendre dans le projet de loi la définition des codes du Sénat et de la Chambre des communes, on en élaborera une nouvelle pour les titulaires de charge publique.

M. Saint-Martin : Cet ajout sera certes apprécié.

Le sénateur Day : Honorable sénateur, voulez-vous dire que le gouvernement présentera un amendement à cet effet?

Le sénateur Stratton : J'ai dit « un plan d'action ».

Le sénateur Day : Les articles 86 et 87 proposés en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada s'appliquent précisément aux règles auxquelles sont assujettis les commissaires de la Chambre des communes et du Sénat, mais je ne vois rien concernant les titulaires de charge publique.

Le sénateur Stratton : Je dis simplement que le gouvernement compte bien mettre en œuvre son plan d'action. Comme vous le savez, chaque loi est assortie d'un règlement. C'est dans cette partie du plan que le gouvernement établira ces principes.

Le sénateur Day : Chose certaine, on ne peut mettre dans un règlement un ensemble de principes visant à interpréter des dispositions législatives. Ces principes sont dans la loi ou ils n'existent pas.

Le sénateur Stratton : Je pense que c'est ce que nous avons fait dans notre code.

Le sénateur Day : C'est ce que prévoient les articles 86 et 87 proposés, mais ceux-ci ne s'appliquent qu'aux sénateurs et aux députés, et non aux titulaires de charge publique.

Le sénateur Stratton : Donnons alors au gouvernement la chance de présenter son plan d'action.

Le sénateur Day : S'agira-t-il d'un amendement au projet de loi?

Le sénateur Stratton : Nous verrons le moment venu. Je m'attends à ce que le plan d'action soit présenté après l'adoption du projet de loi.

Le sénateur Day : Monsieur le président, on nous a dit que des changements seront apportés au projet de loi; toutefois, ils ne se concrétiseront que lorsque nous aurons adopté, de bonne foi, cette mesure législative. Il faudrait faire les choses autrement.

Le sénateur Stratton : Sauf le respect que je vous dois, c'est toujours ce que nous faisons avec les règlements. Qu'arrive-t-il à un projet de loi une fois qu'il est adopté et assorti d'un règlement? À quel comité est-il confié?

Le sénateur Day : Un règlement ne peut pas changer une loi, mais il peut toutefois l'améliorer. Les articles 86 et 87 proposés en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada prévoient précisément des codes pour la Chambre des communes et le Sénat. Il n'y a cependant aucune disposition à l'égard des titulaires de charge publique.

Le sénateur Stratton : Lorsque des dispositions décrivant un ensemble de principes sont proposées, elles sont aussitôt soumises à l'étude du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation.

Le sénateur Day : Je comprends. Monsieur le président, après avoir écouté le sénateur Stratton, j'estime qu'un conseiller juridique devrait se pencher sur la question avant qu'on nous demande de nous prononcer sur le projet de loi C-2.

Le président : Comme vous le savez, sénateur Day, au moins deux ministres du Cabinet comparaîtront de nouveau devant nous, notamment le président du Conseil du Trésor et le ministre de la Justice. Nous veillerons à bien leur transmettre vos préoccupations à l'avance, de façon à ce qu'ils soient prêts à en discuter au moment de leur comparution.

Le sénateur Day : Je vous en remercie.

Le président : Monsieur Saint-Martin, à la suite de votre déclaration liminaire, je vous ai posé une question à propos de votre principal argument. Vous avez dit que les règles d'éthique, peu importe leur nombre, ne rendent pas un gouvernement plus éthique, mais les gens plus cyniques.

C'est ce que vous affirmez dans la majeure partie de votre document. Ma question est la suivante : est-il préférable de laisser les allégations et les rumeurs aller bon train sans qu'il n'y ait aucune règle ni méthode pour les faire cesser ou d'avoir en place un régime qui permettra de régler les dossiers objectivement? Là où je veux en venir, c'est que l'éthique est toujours un enjeu politique qui ne découle d'aucune règle. Vous avez répondu aux sénateurs Joyal et Stratton que vous reconnaissiez qu'il était bon d'avoir certaines règles, mais que la vraie question était de savoir où s'arrêter. J'aimerais que vous aidiez le comité à définir ces limites.

M. Saint-Martin : Cela demande une grande sagesse et je ne suis pas certain de l'avoir.

J'ai été un peu provocateur dans mes observations parce que je sais que le comité entendra très souvent des gens lui dire que le gouvernement a besoin de plus de règles pour renforcer la confiance du public envers le processus politique. J'ai joué l'avocat du diable en me fondant sur des recherches empiriques. Les règles d'éthique pourraient aller à l'encontre du but recherché si elles deviennent politisées et servent d'armes dans un combat partisan. Nous disposons d'un bon code d'éthique sur le papier, mais aussitôt qu'il prend un caractère politique, les règles perdent leur autorité morale. Voilà le problème.

Le président : Avez-vous des recommandations à nous faire? Devant le dilemme que vous nous avez soigneusement expliqué, que nous conseillez-vous?

M. Saint-Martin : Admettons que les sénateurs aient un commissaire à l'éthique indépendant. Le message que l'on veut faire passer au public, c'est à quel point la création d'un tel poste est importante pour assurer le respect de l'éthique au sein du gouvernement. Toutefois, lorsque le travail du commissaire devient politisé et que les gens le critiquent, on se rend compte que l'indépendance objective du poste est toute relative. Voilà ce qui rend les gens cyniques.

Pourquoi ne pas faire comme les Britanniques? Eux n'ont jamais affirmé que leur commissaire à l'éthique était indépendant; ils disent plutôt qu'il est au service du comité parlementaire et ne peut exercer son libre arbitre. Si les conclusions du commissaire sont utilisées à des fins politiques, à tout le moins, on n'enverra pas aux Canadiens un message contradictoire à propos d'un système indépendant et objectif qui se prête à des jeux politiques. Les messages ambivalents rendent le public cynique.

Le président : Merci d'avoir répondu à ma question.

[Français]

Monsieur Saint-Martin, vous avez dit que le déclin de la confiance du public à l'égard du processus politique est plutôt d'ordre sociologique qu'éthique. Pouvez-vous élaborer davantage?

Vous avez mentionné quelques éléments, mais vous l'avez fait de façon plutôt rapide. Je pense que c'est important pour nous de bien comprendre cet élément parce qu'il y a beaucoup d'emphase mise sur le fait que lorsqu'on aura adopté ce projet de loi, tout sera réglé, qu'il n'y aura plus aucun problème. Mais en pratique, lorsque vous dites que les causes du déclin de la confiance du public sont d'un autre ordre, pouvez-vous élaborer sur le type d'ordre dont vous parlez?

L'argument le plus important à prendre en considération, si l'on veut utiliser des indicateurs pour mesurer l'efficacité des systèmes de contrôle de régulation de surveillance de l'éthique, est celui voulant qu'on ne devrait pas utiliser les indicateurs que l'on utilise en ce moment reliés à la confiance du public. L'un ne mesure pas l'autre parce que les deux ne sont pas reliés. On devrait les juger selon leurs propres termes, leur propre mérite mais pas en fonction de leur capacité à venir solidifier la confiance du public envers les institutions politiques. Le déclin est relié à des causes sociologiques. On parle du déclin de la déférence envers l'autorité, le fait que la religion a perdu de son influence sur la société catholique et protestante, la montée des nouvelles valeurs que ce soit le féminisme, l'environnementalisme, le pacifisme. Tout ce que l'on appelle les valeurs post-matérialistes. Les gens veulent autre chose de la vie publique et de la vie politique. Tout cela fait en sorte qu'il y a une croissance extraordinaire dans les taux d'éducation de la population, l'enrichissement général des classes moyennes depuis la Seconde Guerre mondiale. Voilà un certain nombre de causes que l'on peut appeler sociologiques qui expliquent dans la recherche pourquoi les gens font moins confiance aveuglément qu'ils le faisaient il y a 70 ans. Donc, on peut avoir plein de règles d'éthiques, mais cela ne changera pas ce phénomène. Continuer à dire qu'il y a un lien, à mon avis, ce n'est pas productif ni pour les politiciens, la classe politique, d'une part, ni pour la confiance du public envers ces institutions, parce que les deux ne sont pas liés. Donc si l'on veut mettre des règles d'éthique plus sévères, qu'on le fasse, mais qu'on ne juge pas l'efficacité de ces règles selon qu'elles vont venir gonfler la confiance ou non. Cela n'a pas de rapport.

Le sénateur Joyal : Pour paraphraser Pierre Viens, est-ce que le plus mauvais moment pour adopter des règles d'éthique ne serait-il pas le moment où nous nous retrouvons présentement?

M. Saint-Martin : Oui, c'est toujours comme cela. Il y a un scandale et on adopte des règles plus dures et chaque fois que l'on adopte des règles plus sévères, il ne faut pas oublier que ces règles viennent couvrir une partie de l'activité politique toujours plus grande, en ce sens que le filet a toujours plus de maillons. Le fait qu'on attrape plus de poissons avec un plus grand filet, ce n'est que logique. Comme je le disais tantôt, maintenant qu'on a plus de règles, il suffit que quelqu'un ait déclenché une enquête, basée sur des allégations sur quelqu'un, parce que la règle le permet même si cette personne, au bout de trois semaines, est jugée n'avoir rien commis d'incorrect au bout de trois semaines, il est trop tard parce que la règle l'avait déjà permis. Dans ce sens, c'est la règle qui cause le cynisme.

[Traduction]

Le sénateur Zimmer : Merci de votre présentation; elle a été très enrichissante. Plusieurs sénateurs ont soulevé la question, et le sénateur Joyal y a fait allusion également; mais j'aimerais pousser la discussion un peu plus loin. En droit, un individu est innocent jusqu'à preuve du contraire. En politique, c'est souvent l'inverse : une personne est coupable jusqu'à ce qu'on prouve son innocence. Le problème, c'est que souvent, même une fois la personne blanchie, le public et les médias la considèrent toujours coupable.

Nous sommes dans un système accusatoire. Je conviens que nous avons besoin de règles aussi simples que possible. Mais il faut tenir compte des médias et du public ainsi que de l'interprétation qu'ils font de ces règles. Nous devons nous occuper d'un autre élément. Ce matin, le sénateur Stratton a admis avoir été condamné à deux reprises.

Le sénateur Stratton : Sénateur Zimmer, voudriez-vous préciser que cette condamnation vient du fait que nous étions deux sur une bicyclette?

Le sénateur Zimmer : Quand nous rédigerons cette loi, nous devrons nous ajuster aux réalités. Par exemple, de nos jours, les adultes conduisent un peu n'importe comment, à la limite de l'infraction, et ne respectent pas les panneaux de signalisation pour cyclistes. Aujourd'hui, personne ne s'en soucie. Nous devons agir pour faire changer l'attitude du public et des médias.

Pour ajouter aux propos du sénateur Joyal, où traceriez-vous la ligne de démarcation, ou que recommanderiez-vous dans le cadre de l'élaboration de cette loi? Comment faire pour rendre le public et les médias moins cyniques qu'ils ne le sont aujourd'hui? Au-delà de ces considérations, avez-vous des suggestions pour tenter de régler ce problème?

M. Saint-Martin : Si je détenais une réponse simple, je serais certainement un homme riche; je vendrais mes idées partout dans le monde. Là est toute la question. Peut-être est-il préférable de dire en toute franchise : « nous adoptons ce projet de loi, mais nous ne sommes pas certains qu'il n'y aura pas d'autres scandales des commandites ». Nous avons à ce point haussé la barre que les attentes du public à l'égard du projet de loi seront toujours déçues. Sur le plan du discours politique, peut-être pourrions-nous adopter une approche plus modeste en déclarant que cette mesure est nécessaire, mais que nous ne pouvons garantir qu'à l'avenir, le gouvernement sera toujours totalement irréprochable. Je ne m'attends pas à ce que le premier ministre tienne de tels propos — ce serait naïf — mais dans un monde idéal, il le ferait, et les autres politiciens se rallieraient derrière lui. Je ne critique pas le gouvernement actuel; c'est la même chose pour les autres gouvernements, notamment en France et au Royaume-Uni. Toutefois, lorsque l'enjeu principal d'une campagne électorale ou d'une lutte politique consiste à prouver qu'on est plus blanc que l'adversaire, le public décroche. Il veut qu'on lui parle des mesures qu'on prendra en ce qui concerne l'environnement, la pauvreté et la productivité économique. Le public veut de réelles positions de principe. Or, en politique, on perd un temps précieux à se lancer des accusations qui ne sont même pas fondées. Cela n'aide pas les gens à se remettre à participer au processus politique.

Le sénateur Zimmer : Professeur, seriez-vous d'accord pour dire que parfois, animés de bonnes intentions, nous avons fixé la barre tellement haut que nous ne pourrons jamais l'atteindre?

M. Saint-Martin : Absolument. C'est la loi des conséquences imprévues. Vous voulez apporter une amélioration qui, cinq ans plus tard, aura un effet inattendu. C'est pourquoi nous devons rester modestes; parce que les gens ont des attentes très élevées vis-à-vis du gouvernement. Nous devons leur rappeler que le gouvernement est fait d'individus comme eux, et qu'il ne peut réussir à tout coup.

Le sénateur Zimmer : Merci, professeur.

Le président : Monsieur Saint-Martin, merci beaucoup. C'était une séance extraordinaire, et j'ai apprécié la franchise de vos réponses aux différentes questions des sénateurs.

Honorables sénateurs, voilà qui met fin à notre réunion pour ce matin.

La séance est levée.


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