Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 8 - Témoignages du 20 septembre 2006 - Séance du matin
OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit ce jour à 9 h 5 pour se pencher sur le projet de loi.
Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, avant d'ouvrir officiellement la séance d'aujourd'hui, je donne la parole au sénateur Day, le porte-parole officiel de l'opposition au sujet du projet de loi C-2.
Le sénateur Day : Merci, monsieur le président.
Honorables sénateurs, je souhaite attirer l'attention du comité sur une question importante pour nos délibérations.
Permettez-moi de dire tout d'abord que nous comprenons l'importance de ce projet de loi pour le gouvernement, ce qui explique pourquoi nous nous réunirons pendant près de deux semaines en dehors de notre plage horaire habituelle, et même avant le retour du Sénat.
Le projet de loi C-2 porte sur la question du financement des activités politiques. Pour bien traiter de cette question, il faut en comprendre le contexte et comprendre ce qu'est un don politique annuel, notamment dans le contexte des droits d'inscription à un congrès.
Les sénateurs savent qu'il y a une divergence d'opinion sur la question de savoir si les droits d'inscription à un congrès font ou non partie de la limite actuelle de 5 000 $ prévue dans la Loi électorale du Canada ou de la limite réduite de 1 000 $ envisagée dans le projet de loi C-2. Quand le sénateur Zimmer a interrogé M. Donison, le directeur exécutif du Parti conservateur du Canada, le 7 septembre, ils ont eu l'échange suivant — je cite la transcription :
M. Donison : Je crois que c'était environ 500 $. Il faudrait que je vérifie ce chiffre.
Le sénateur Zimmer : Combien de personnes y ont assisté? En avez-vous une idée?
M. Donison : Je n'ai pas ces chiffres ici, mais je peux certainement vous les faire parvenir.
Le sénateur Zimmer : En avez-vous une petite idée?
M. Donison : Non. Je n'essaierais même pas de deviner. Concernant les délégués qui ont payé, je ne sais pas.
Le président : Monsieur Donison, pourriez-vous obtenir les chiffres et les communiquer au greffier pour qu'ils puissent être distribués à tous les membres du comité?
M. Donison : Je vais trouver ces chiffres, monsieur le sénateur et monsieur le président, et je les remettrai au greffier.
Le président : Je vous en remercie.
Je crois comprendre que le texte ne nous a pas encore été distribué.
Le président : Je viens de demander au greffier si nous avons reçu cette information et il me dit que non. Je lui ai aussi demandé si nous avons reçu les informations que M. MacKinnon, du Parti libéral du Canada, s'était engagé à nous envoyer et il m'a donné la même réponse.
Le sénateur Day : Pourrions-nous demander au greffier de faire le suivi? Tant que nous n'aurons pas reçu toute cette information, nous ne saurons pas si nous devons proposer des modifications à la proposition de ramener la limite de 5 000 $ à 1 000 $.
Permettez-moi de continuer :
Le sénateur Zimmer : Je crois comprendre que...
... le directeur général des élections du Canada a demandé à examiner les livres de votre parti concernant ce congrès. Avez-vous donné suite à cette demande?
M. Donison : Oui.
Hier, M. Kingsley, le directeur général des élections, a comparu devant le comité et a dit qu'il ne voulait pas parler de plaintes particulières devant le comité.
Le président : Il a donné sa raison.
Le sénateur Day : En effet, et nous l'avons acceptée. Toutefois, en quittant la salle de réunion, il a déclaré à la Presse canadienne qu'il n'avait pas reçu les livres que M. Donison dit lui avoir remis.
Je ne dis pas qu'on tente de nous induire en erreur mais simplement qu'il est absolument essentiel pour nous d'avoir cette information. En conséquence, je recommande que nous demandions au greffier de faire le suivi auprès de M. Kingsley et de M. Donison...
Le président : Et de M. MacKinnon.
Le sénateur Day : ... et de M. MacKinnon pour que les deux représentants des partis politiques nous fournissent l'information demandée, et que nous demandions à M. Donison et à M. Kingsley de nous dire exactement ce qu'il en est c'est-à-dire que M. Donison dit s'être exécuté alors que M. Kingsley dit n'avoir rien reçu.
Le président : M. Kingsley n'a pas fait sa remarque devant le comité. Si j'ai bien compris, il a peut-être fait une remarque devant des journalistes — je ne le sais pas. Il me semble que notre comité doit s'en tenir à ses délibérations officielles.
Le sénateur Day : Vous avez raison.
Le président : Les dernières allégations que vous venez de faire ne font pas partie de nos délibérations officielles.
Le sénateur Day : C'est juste, vous avez tout à fait raison. J'ai dit que M. Kingsley avait fait ses remarques à l'extérieur de la salle.
Nous avons deux possibilités. Nous pouvons demander à M. Kingsley de revenir devant le comité ou nous pouvons lui demander de préciser sa remarque par écrit.
En proposant qu'il précise sa remarque par écrit, j'essaie simplement de gagner du temps mais, si vous préférez vous en tenir à la procédure officielle, je peux présenter une motion pour le faire revenir.
Le président : Je ne demande pas de procédure officielle. Nous pouvons faire les deux. Demandons d'abord au directeur général des élections de nous donner des précisions par écrit.
Le sénateur Day : Merci.
Le président : Si les précisions qu'il nous enverra par écrit ne nous ou vous donnent pas satisfaction, nous pourrons toujours le convoquer à nouveau.
Le sénateur Day : C'est une très bonne solution. Je ne prétends pas que quiconque a délibérément tenté de nous tromper mais, comme M. Kingsley était en dehors de la salle quand il s'est exprimé sur ces questions, nous devons absolument vérifier ce qu'il en est.
Le président : Je ne sais pas ce qu'il a dit mais je comprends votre intervention.
Sénateur Stratton, voulez-vous ajouter quelque chose?
Le sénateur Stratton : Si le débat porte sur les dépenses de congrès, qui sont le poison de notre existence, qu'en est-il des choses fournies gratuitement? Si vous voulez parler des brochures et des choses de ce genre, j'aimerais savoir ce que pense M. Kingsley des choses que les gens peuvent emporter gratuitement.
Le sénateur Day : Si nous voulons régler ces questions, nous devrons peut-être demander à M. Kingsley de revenir.
Le sénateur Stratton : Laissons-le d'abord répondre par écrit — demandons-lui une liste de ces choses gratuites — comme ça, nous saurons au moins de quoi il s'agit.
Le sénateur Day : Je suis tout à fait prêt à accepter la procédure que j'ai recommandée pour obtenir des précisions mais le problème qui se pose maintenant est que M. Donison dit s'être exécuté alors que M. Kingsley dit que...
Le sénateur Stratton : N'oublions pas que nous parlons ici des deux partis. Ni les libéraux ni les conservateurs n'ont fait ce qui était demandé. Ces questions concernent les deux partis.
Le sénateur Day : Puis-je conclure?
Le président : Je vous en prie.
Le sénateur Day : Merci. Le problème vient de la dichotomie apparente concernant la preuve que vous avez reçue de M. Donison, qui dit avoir répondu à la demande. Nous attendons cette décision pour savoir quoi faire au sujet de cet amendement.
Le président : C'est clair. Vous l'avez dit hier.
Le sénateur Day : Si nous n'obtenons pas la décision parce que M. Donison ne s'est pas exécuté alors qu'il dit le contraire, nous devrons vérifier.
Le président : Pour le moment, la preuve obtenue par le comité est incomplète. Je pense que nous sommes d'accord pour demander au greffier d'inviter le directeur général des élections à répondre aux questions par écrit. Comme je l'ai déjà dit, si votre parti ou le nôtre n'est pas satisfait des réponses obtenues par écrit, nous aurons toujours le droit de convoquer à nouveau M. Kingsley.
Le sénateur Day : Monsieur le président, votre solution est idéale. Ma seule remarque complémentaire est que cette information est cruciale pour la poursuite de nos délibérations.
Le président : J'entends bien.
Le sénateur Day : Il est donc essentiel que nous obtenions cette information le plus rapidement possible.
Le président : C'est clair.
Le sénateur Day : Merci.
Le président : Honorables sénateurs, je vais maintenant ouvrir la séance officielle consacrée à l'examen du projet de loi C-2 prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. C'est ce qu'on appelle couramment la loi sur l'imputabilité.
Comme le savent les sénateurs, les témoins et les membres du public qui suivent nos débats à la télévision, ce projet de loi est une pièce maîtresse du programme du nouveau gouvernement, et c'est aussi l'un des projets de loi les plus importants de ces dernières années. Le comité va consacrer à ce texte l'étude exhaustive, attentive et détaillée qu'il mérite. Cette semaine, nous avons commencé notre examen de divers aspects du projet de loi comme la responsabilisation, l'éthique, les conflits d'intérêts, le financement des activités politiques et, comme vous venez d'entendre le sénateur Day le dire, le bureau du budget parlementaire, l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels.
Ce matin, j'ai le grand plaisir d'accueillir des représentants du Commissariat à l'information du Canada. Le Commissariat à l'information est l'organisme qui est chargé de faire enquête quand une personne affirme que ses droits n'ont pas été respectés en ce qui concerne la Loi sur l'accès à l'information, c'est-à-dire la loi du Canada sur la liberté de l'information.
En sa qualité d'ombudsman indépendant nommé par le Parlement, le commissaire à l'information possède des pouvoirs d'enquête exhaustifs. Il assure aussi les services de médiation entre les plaignants et les organismes gouvernementaux. J'ai donc le plaisir d'accueillir aujourd'hui quatre de ses membres, M. Alan Leadbeater, sous- commissaire à l'information, Daniel Brunet, directeur des services juridiques, Nadine Gendron, avocate, et J.G.D. Dupuis, directeur général des enquêtes et de l'examen.
[Français]
Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite, nous passerons à une période de questions et de discussion qui sera, j'en suis sûr, très utile pour les membres du comité.
[Traduction]
Alan Leadbeater, sous-commissaire à l'information, Commissariat à l'information du Canada : Merci, monsieur le président. Je vous remercie de votre invitation. Je vous remercie aussi d'avoir accepté que je remplace le commissaire à l'information qui assiste en ce moment aux noces de son fils, au Japon, et qui a jugé préférable pour lui de subir l'ire du comité plutôt que celle de son épouse.
Je vous ai remis un exemplaire de la déclaration que le commissaire Reid aurait prononcée s'il avait été présent. Je ne vais pas la lire car je sais qu'elle fera partie du procès-verbal de la séance. Je me contenterai plutôt de faire quelques remarques pour établir le contexte de nos préoccupations au sujet de ce projet de loi.
Je crois pouvoir dire que le commissaire à l'information du Canada — j'hésite à utiliser des adjectifs — est profondément préoccupé par le fait que certaines dispositions du projet de loi C-2 autoriseront de nouvelles zones de secret assez vastes qui auront pour effet de réduire la transparence et la responsabilité du gouvernement. Cette question nous semble assez préoccupante pour avoir déposé en avril devant la Chambre et le Sénat un rapport spécial exposant nos réserves en détail, et des exemplaires vous en ont été remis.
Ce rapport contient des adjectifs particulièrement forts — par exemple, au sujet des propositions concernant l'accès à l'information, qui sont qualifiées de « rétrogrades et dangereuses ». Ces adjectifs n'ont pas été choisis par hasard. Ils ont été jugés nécessaires pour alerter le parlement sur le fait que le projet de loi C-2 réduirait la quantité d'informations mises à la disposition du public, affaiblirait le rôle de surveillance du commissaire à l'information et donnerait au gouvernement plus de possibilités de dissimuler des actes fautifs et de se protéger contre l'opprobre du public.
De plus, l'inquiétude reflétée dans le rapport spécial du commissaire à l'information a pour but de rappeler au Parlement que le juge Gomery préconisait une plus grande transparence au sein du gouvernement afin de le rendre plus responsable.
Par exemple, dans son deuxième rapport, le juge Gomery dit ceci — je cite :
La Commission est favorable à une approche différente, en vertu de laquelle la règle générale serait que les dossiers doivent être divulgués — à moins que leur divulgation ne cause un préjudice à un intérêt important (c'est- à-dire qu'on appliquerait un « critère de préjudice »).
On trouve dans le projet de loi C-2 dix nouvelles justifications du secret et il n'y en a que 13 dans la loi actuelle. Sept de ces nouvelles justifications imposent le secret à perpétuité, aucune n'est assortie d'un critère de préjudice et huit sont obligatoires et ne donnent aucune possibilité de divulguer, dans n'importe quelle circonstance.
L'approche du projet de loi C-2 va à l'encontre du bon sens — aucun secret gouvernemental ne peut légitimement être protégé à perpétuité. Elle va à l'encontre de toutes les propositions sérieuses de réforme qui ont été formulées depuis l'examen parlementaire de cette loi en 1986. De plus, elle va à l'encontre du programme électoral du Parti conservateur qui contenait la déclaration suivante — et je cite :
Un gouvernement conservateur...
garantira que toutes les exemptions à la communication de renseignements gouvernementaux ne soient justifiées que par le préjudice qui pourrait en résulter et non pas par des règles d'exemption générale.
Pour illustrer l'effet préjudiciable de ce projet de loi sur la responsabilisation, j'attire votre attention sur les dispositions qui imposent une règle de secret général pour tous les dossiers concernant des actes répréhensibles du gouvernement. Vous trouverez à l'onglet 6 de notre document toutes les dispositions pertinentes concernant l'accès à l'information, et je fais référence ici à l'article 221.
Le sénateur Day : À l'onglet 6?
M. Leadbeater : Veuillez m'excuser, c'est à l'onglet 7, article 221, page 171 du projet de loi. Cet article modifierait la Loi sur l'accès à l'information en imposant le secret à tous les documents susceptibles de révéler des actes répréhensibles. Vous voyez à la page 172, à 16.5 :
Le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser de communiquer les documents qui contiennent des renseignements créés en vue de faire une divulgation au titre de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles ou dans le cadre d'une enquête menée sur une divulgation en vertu de cette loi.
Le propre agent à l'intégrité du gouvernement, le principal et plus grand syndicat de la fonction publique, l'AFPC, et des dénonciateurs comme Allan Cutler affirment qu'il s'agit là d'une règle de secret excessive. Le secret n'encouragera pas les dénonciateurs à agir, il garantira plutôt que les actes répréhensibles resteront à jamais dissimulés. Il ne s'agit pas là d'une exemption temporaire ni d'une exemption fondée sur le critère de préjudice. Vous vous souviendrez — je vous renvoie à l'onglet 6 à ce sujet — qu'il y avait dans la première version du projet de loi C-11, la Loi concernant la dénonciation d'actes répréhensibles, une proposition de modification de la Loi sur l'accès à l'information visant à protéger pendant 20 ans les documents concernant des actes répréhensibles. Vous trouverez cela dans la colonne de droite. Lors de l'examen du projet de loi en comité, cette règle a été jugée excessive et elle a finalement été modifiée pour que ces documents soient protégés pendant cinq ans, ce qui figure dans la version actuelle du projet de loi.
L'article 221 du projet de loi dont vous êtes maintenant saisis assurerait le secret à perpétuité. Il exigerait que l'article 55 de la LAI soit modifié pour qu'on y ajoute le nouvel article 16.4 proposé — concernant la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs acteur d'actes répréhensibles — afin de garantir à perpétuité le secret des informations concernant des allégations d'actes répréhensibles.
Le juge Gomery estimait même que la règle actuelle de cinq ans du projet de loi était excessive et il avait formulé la remarque suivante :
Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si elle...
il parle ici de la règle de cinq ans,
... aurait changé la manière dont Allan Cutler a été traité.
La Commission pense que l'on pourrait améliorer sensiblement les dispositions de la nouvelle loi en prenant les mesures suivantes :
abroger les modifications corrélatives à la Loi sur l'accès à l'information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels car elles ne sont pas justifiées.
Le juge Gomery pensait qu'une règle générale de cinq ans n'était pas justifiée.
Dans le projet de loi C-2, la règle générale de secret obligatoire des documents concernant des actes répréhensibles du gouvernement est une règle de perpétuité. Si une règle de cinq ans n'était pas justifiée, une règle de perpétuité serait absolument contraire à l'intérêt public.
Une autre augmentation troublante du secret dans le projet de loi C-2 concerne les ébauches de rapports de vérification et les documents de travail correspondants. Ces documents seraient assujettis à une règle de secret de 15 ans alors qu'ils sont actuellement assujettis au critère de préjudice.
On trouve en outre dans le projet de loi C-2 une règle de secret perpétuel obligatoire pour les rapports de vérification interne, les ébauches de rapports et les documents de travail du vérificateur général. Si cette mesure est adoptée, aucun historien ne pourra jamais avoir accès aux documents du vérificateur général montrant par exemple comment a été faite de la vérification du programme de commandites ou n'importe quelle autre vérification.
Pourquoi les actes des vérificateurs généraux devraient-ils être systématiquement soustraits au regard du public? Les dispositions de ce projet de loi interdisant la divulgation des ébauches de rapports de vérification et des documents de travail de tous les organismes gouvernementaux empêcheront les personnes ne faisant pas partie du gouvernement — groupe dans lequel j'inclus les journalistes, les députés d'opposition, les sénateurs et les citoyens — d'évaluer la qualité du travail de vérification et de suivre la piste de responsabilisation en cas d'actes répréhensibles ou de mauvaise gestion gouvernementale.
N'oublions pas que l'enquête de la vérificatrice générale concernant le programme de commandites a été déclenchée après que des journalistes et des députés de l'opposition eurent obtenu accès au rapport de vérification, aux ébauches de rapport de vérification et aux documents de travail pertinents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. C'est sur la base de ce qui a été révélé dans ce contexte que la vérificatrice générale a décidé de mener une enquête indépendante, et chacun sait où cela a mené.
Vous vous souviendrez peut-être aussi que l'on s'était beaucoup interrogé, durant l'enquête Gomery, sur le fait qu'une ébauche de rapport de vérification critiquant le programme avait été atténuée dans sa version finale. Les ébauches et documents de travail sont donc essentiels pour établir la chaîne d'imputabilité.
N'oublions pas par ailleurs que le juge Gomery n'avait pas accepté l'argument de la communauté des vérificateurs selon lequel, pour être de bonne qualité, les ébauches et les documents de travail des vérificateurs exigent qu'ils soient protégés par une règle de secret général. Je vous invite à ne pas l'accepter non plus.
Notre expérience nous a appris que la transparence des rapports de vérification en a amélioré la qualité et a réduit les cas où les vérificateurs internes prennent fait et cause pour les gestionnaires.
La plupart des sociétés d'État et agents du parlement ajoutés à la Loi sur l'accès à la formation en vertu du projet de loi C-2 bénéficieraient d'une règle de secret perpétuel obligatoire concernant toutes leurs activités professionnelles. Bien que l'on ait fait grand cas de l'inscription d'organismes supplémentaires dans la Loi sur l'accès à l'information, cette règle de secret général garantit que le public n'aura pas accès à plus de renseignements qu'en consultant des sites Web. Il aura accès aux informations concernant les dépenses de voyage et les dépenses d'accueil et à des informations administratives générales.
En fait, l'exemption accordée à Postes Canada — et je parle ici des organismes qui ont été ajoutés à la liste à cause du problème des commandites — à VIA Rail, à Exportation et développement Canada et aux autres organismes ajoutés est telle qu'ils pourront soustraire au regard du public tout ce qu'ils traitaient de manière confidentielle dans le passé.
Si les institutions gouvernementales avaient bénéficié de ce genre d'exemption quand la Loi sur l'accès à l'information a été adoptée, il n'y aurait eu aucune transparence. Si l'on assujettit un organisme aux dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, c'est pour qu'il divulgue plus d'informations qu'auparavant, sauf s'il peut invoquer le critère de préjudice. C'est là le critère que le projet de loi C-2 accorde à toutes ces sociétés d'État. Elles pourront interdire au public l'accès à tout ce qu'elles protégeaient dans le passé. De telles vastes zones de secret destinées à enchâsser le statu quo sont absolument contraires au but même de la Loi sur l'accès à l'information et du projet de loi C-2, textes qui sont tous deux destinés à rehausser la responsabilisation du gouvernement.
En ce qui concerne Radio-Canada et Énergie atomique du Canada Limitée, le projet de loi C-2 tente simplement de les soustraire au droit d'accès et à la supervision exercée par le commissaire. Seules des informations administratives générales seront accessibles. Cette zone de secret n'est pas seulement inutilement vaste, elle sera perpétuelle et ne sera liée à aucun critère de préjudice. Ces documents auront le même niveau de protection que les documents confidentiels du Cabinet pour ce qui est du droit du commissaire de les examiner. Autrement dit, en ce qui concerne Radio-Canada et EACL, le projet de loi C-2 immunise leurs décisions secrètes contre tout examen indépendant.
Vous trouverez aux onglets 2 et 3 de notre mémoire les modifications précises que nous recommandons. Nous avons inclus dans notre mémoire, à l'onglet 4, des tableaux indiquant la nature du secret accordé aux agents du parlement. Vous pourrez constater que, durant les enquêtes, tous seront obligés de garder leurs documents secrets en vertu du projet de loi C-2. Après les enquêtes, quatre d'entre eux seront obligés de maintenir le secret et trois devront divulguer leurs documents. Qu'est-ce qui justifie ça? Je n'en ai aucune idée. Quelle différence y a-t-il entre les activités du commissaire à l'information, du commissaire à la protection de la vie privée et du commissaire proposé au lobbying, d'une part, et celles du vérificateur général, du commissaire aux langues officielles, du directeur général des élections et du commissaire à l'intégrité du secteur public? Notre argument est qu'aucune exemption particulière n'est nécessaire car chacun bénéficie déjà dans sa loi organique d'une exemption protégeant ses enquêtes.
Si vous examinez la deuxième page de notre document, la même préoccupation surgit au sujet des exemptions proposées au sujet de la Loi sur la protection de la vie privée, et vous voudrez peut-être en discuter avec le commissaire à la protection de la vie privée. Si quelqu'un adresse à un agent du parlement une demande d'accès à des informations personnelles le concernant et que l'agent veut refuser de les divulguer, il doit appliquer le critère de préjudice. Autrement dit, il faudrait que la divulgation cause un préjudice à ses enquêtes en cours, sauf dans le cas du commissaire à la protection de la vie privée qui sera obligé de refuser de divulguer les renseignements pendant et après une enquête, à moins qu'il s'agisse de documents qu'il a créés après une enquête. Je ne saisis pas bien la justification de cette disposition. Quoi qu'il en soit, je mentionne cela pour signaler qu'il y a des contradictions internes dans la manière dont les agents du parlement sont traités, et aussi qu'il y a trop de secret dans leur cas. Il me semble que les agents chargés de surveiller le système devraient être imputables de leurs actes, par la transparence, tout comme les autres institutions gouvernementales.
L'onglet 5 concerne les exemptions accordées aux sociétés d'État, ce dont je vous ai déjà parlé. Comme je l'ai dit, ces exemptions sont telles que ces sociétés pourront garder en secret à l'avenir tout ce qu'elles traitaient de manière confidentielle dans le passé. En ce qui concerne la Société canadienne des postes, vous verrez à l'onglet 5, dans la colonne intitulée « De catégorie », l'exemption concernant tout document contenant des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui sont traités de façon constante comme étant de nature confidentielle. Il n'y a là aucun critère de préjudice. Il n'est absolument pas nécessaire que la divulgation risque de causer préjudice à l'institution, et vous verrez que l'on a prévu la même chose pour toutes les autres sociétés d'État.
J'en reste là et répondrai avec plaisir à vos questions. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de faire ces remarques, à la fois oralement et par écrit.
Le président : Je vous remercie de cet exposé très complet. Il s'agit à l'évidence d'une question très complexe, qui suscite beaucoup de questions.
Le sénateur Milne : Monsieur Leadbeater, j'aurais beaucoup aimé avoir le texte même de votre exposé, en plus de votre mémoire, car tout ceci est bien complexe. Vous avez fait deux propositions. La première serait d'abolir les exceptions générales figurant dans divers articles allant de 89 à 224. La deuxième serait d'abolir l'article 159 concernant les exclusions prévues pour la Société Radio-Canada et Énergie atomique du Canada, Limitée.
Vous avez dit ensuite que le projet de loi assure le secret à toute une série d'institutions publiques. Pouvez-vous préciser?
M. Leadbeater : La déclaration préliminaire figurant à l'onglet 1 est assez sommaire et je n'ai rien ajouté dans mon exposé oral, mais j'ai essayé d'expliquer nos préoccupations. Je vais en répéter trois éléments.
Le sénateur Milne : Voulez-vous parler des modifications que vous proposez à l'onglet 2?
M. Leadbeater : Oui. Elles figurent à l'onglet 2 et sont présentées de manière plus complète à l'onglet 3 avec leurs justifications. En réalité, les onglets 2 et 3 contiennent la même chose.
Les modifications proposées sont de trois ordres. Premièrement, il y a trop de secret pour les agents du parlement qui n'ont pas besoin d'une règle de secret général obligatoire puisqu'ils bénéficient déjà dans leurs lois organiques d'exceptions fondées sur le critère du préjudice. Autrement dit, s'ils peuvent démontrer qu'une divulgation causerait préjudice à leurs enquêtes et à leur travail, ils devraient déjà pouvoir bénéficier du secret. Il n'y a aucune raison de leur permettre de dire à un demandeur : « Allez-vous-en, je n'ai même pas besoin de penser à un préjudice, je bénéficie d'une exception absolue ».
Deuxièmement, en ce qui concerne les sociétés d'État ajoutées dans la loi, c'est-à-dire la SRC et EACL, elles ne devraient pas bénéficier d'une exception perpétuelle absolue sans critère de préjudice. Certes, elles ont des informations privilégiées à protéger mais elles peuvent le faire sans bénéficier d'une exception au titre de la loi.
Le troisième élément concerne les rapports d'actes répréhensibles, les ébauches de rapport de vérification et les documents de travail des vérificateurs internes. À partir de maintenant, les rapports d'actes répréhensibles du gouvernement du Canada feront l'objet d'une exception obligatoire perpétuelle. Une personne adressant à son supérieur un rapport d'acte répréhensible ne pourra jamais savoir ce qu'en a fait son supérieur. Même avec la Loi sur la protection des renseignements personnels, elle ne pourra pas savoir si elle a fait l'objet de représailles ou si son rapport a nui à sa carrière. C'est inacceptable.
Depuis 1983, lorsque cette loi est entrée en vigueur, tous les rapports d'actes répréhensibles au sein du gouvernement ont été assujettis à la Loi sur l'accès à l'information. Cette loi protège la vie privée des particuliers et protège l'efficacité des enquêtes. Pourquoi a-t-on maintenant besoin d'une règle de secret général?
J'ai déjà dit que les rapports de vérification interne sont un élément essentiel de la chaîne d'imputabilité pour le public. S'ils sont tenus secrets, nous n'aurons plus accès qu'à des rapports de vérification purgés.
Voilà les trois thèmes généraux de nos recommandations. Nous serions très satisfaits si toutes les dispositions concernant l'accès à l'information dans ces trois domaines étaient simplement retirées du projet de loi et que les dispositions actuelles de la Loi sur l'accès à l'information continuaient à s'appliquer. Si vous me demandez pourquoi, selon moi, tant de dispositions contraires à la responsabilisation ont été incluses dans les lois sur la responsabilisation, je vous dirai simplement que c'est peut-être parce que, dans la précipitation avec laquelle la loi a été préparée, quiconque a demandé une exception — Postes Canada, VIA Rail, et cetera — l'a obtenue sans autre forme de procès.
Je ne pense pas que la vérificatrice générale défendrait l'idée que son bureau doive être dispensé à perpétuité de toute règle de transparence, et c'est pourtant ce qui est envisagé dans ce projet de loi. Je ne pense pas non plus que Postes Canada défendrait cette idée. Je ne pense pas que le commissaire à l'information puisse jamais réclamer la même chose, mais c'est pourtant ce qui est prévu dans le projet de loi durant ses enquêtes.
Le sénateur Milne : Je trouve ça incroyable. Je n'avais pas vu cette règle de secret perpétuel en lisant le projet de loi, et j'ai pourtant l'expérience de l'accès à l'information et de certains fonctionnaires décidant allègrement que ce qu'ils font devrait à jamais rester secret. Il a fallu sept ans pour régler cette question au moyen d'une loi. Cette idée de secret perpétuel n'inquiète beaucoup.
M. Leadbeater : Vous voulez parler des dossiers du recensement, si je comprends bien?
Le sénateur Milne : C'est ça.
M. Leadbeater : J'en profite pour vous féliciter de ce que vous avez fait.
Le sénateur Milne : Quand ce projet de loi a été examiné à la Chambre des communes, des modifications ont augmenté le nombre de sociétés d'État qui seraient touchées par la Loi sur l'accès à l'information, et certaines de ces sociétés, pendant les audiences du comité, avaient exprimé des réserves au sujet de leur possibilité de protéger les informations concernant leurs clients, informations qu'elles jugent privilégiées et confidentielles.
Certaines des modifications que vous avez proposées ont-elles été ajoutées au projet de loi par la Chambre des communes? Votre liste est-elle une liste épurée ou mise à jour? Comment réagit votre Bureau à ces préoccupations? Cette idée de secret perpétuel n'inquiète beaucoup et elle est absolument ridicule. Comment peut-on corriger ça?
Vous nous avez remis une liste de deux pages de modifications, ce qui me semble peut-être un peu excessif. Y en a-t- il qui comptent plus que d'autres pour vous?
M. Leadbeater : Je ne saurais vous donner un ordre de priorité à ce sujet. Je crois que la perte de transparence à l'égard des actes répréhensibles du gouvernement est une question absolument cruciale. Il faut absolument récupérer cette transparence.
Si l'on veut assujettir des sociétés d'État à la Loi sur l'accès à l'information, il faut que ça ait un sens. Il faut qu'elles soient obligées d'appliquer le critère de préjudice quand elles ne voudront pas divulguer certains renseignements. C'est ça, l'accès à l'information. L'accès est un droit. Il faut en finir avec cette idée que c'est une faveur ou une prérogative régalienne. Nous en ferons un droit en imposant un critère objectif devant être satisfait si l'on veut garder le secret. C'est indispensable.
En ce qui concerne les agents du Parlement, je pense qu'on enverrait un très mauvais message à la fonction publique en lui disant que les gens censés surveiller ses activités bénéficient d'un droit de secret absolu sur leurs propres activités. Notre vœu est que toutes les dispositions du projet de loi C-2 concernant l'accès à l'information en soient retirées, et je ne pense pas pouvoir vous dire que je serai satisfait si certaines l'étaient et d'autre pas.
Le président : Le sénateur vous a interrogé au sujet de votre comparution devant la Chambre des communes en vous demandant si vous aviez alors proposé des modifications au projet de loi. Certaines de vos propositions ont-elles été retenues?
M. Leadbeater : Nous avons à cette occasion fait les mêmes recommandations que nous venons de faire ici. Si je ne me trompe, une seule modification que nous avions recommandée a été acceptée : l'élimination de la règle du secret absolu pour le Centre national des Arts.
Le président : Des représentants du Centre national des Arts témoigneront plus tard devant notre comité.
Le sénateur Milne : Nous ne devrons pas oublier de leur poser la même question.
Le commissaire à l'information a déclaré que de nombreuses institutions canadiennes exerçant des fonctions d'enquête ou de vérification ont été assujetties à la Loi sur l'accès à l'information. C'est par exemple le cas de la GRC et du SCRS, de la police militaire et d'autres organismes de police ou d'enquête qui sont tenus de respecter cette loi et ne bénéficient pas de cette règle de secret obligatoire général pour tous leurs dossiers d'enquête. Cela étant, pour quelle raison, d'après vous, a-t-on prévu dans ce projet de loi une exception particulière au profit du commissaire aux langues officielles?
M. Leadbeater : Je suppose que tout organisme qui n'est actuellement pas assujetti à la Loi sur l'accès à l'information serait très réticent à le devenir. Je suppose que les organismes dont nous parlons ont demandé à ne pas l'être et ont automatiquement obtenu gain de cause. Au début des années 80, lorsque la loi venait d'entrer en vigueur, tout le monde demandait à en être exempté — par exemple, les services de police, le Bureau du Conseil privé, le Conseil du Trésor — en disant : « Si nous sommes touchés par l'accès à l'information, notre travail deviendra impossible. » Il n'empêche qu'ils l'ont été. Le parlement a fait preuve de bravoure à cette occasion. Quand la loi a été revue, trois ans plus tard, aucun de ces organismes ne s'est manifesté. La police n'avait pas de problème à mener ses enquêtes malgré cette législation, les documents confidentiels du Cabinet étaient protégés, et cetera. La loi avait été incroyablement bien formulée de façon à protéger toutes les informations sensibles. Ce sont ceux qui réclament le secret qui doivent justifier leur demande. Or, aux 13 exemptions existantes, on veut en ajouter 10 autres — et toutes les dix avec des exemptions que j'appelle « de catégorie », c'est-à-dire sans critère de préjudice — dans la précipitation. Ce projet n'a pas été réfléchi et il est totalement contraire au programme électoral du gouvernement et à toutes les propositions de réforme que nous avons pu voir. Quelle est l'explication? À mon avis, les membres du gouvernement font preuve d'une générosité incroyable envers ces institutions qui ont tout simplement demandé une protection.
Le sénateur Milne : Dans le projet de loi, on propose 10 nouvelles exemptions pour des organismes qui bénéficieront donc du secret perpétuel?
M. Leadbeater : C'est exact.
Le sénateur Milne : On n'envisage pas du tout de les obliger à donner accès à leurs informations après une certaine période et à certaines conditions.
Que pensez-vous du fait que l'on veuille accorder ces exemptions alors que l'argument voulant que l'on accorde le secret absolu à de tels dossiers a déjà été présenté et que la Cour suprême du Canada l'a rejeté en 2002 dans l'arrêt Lavigne c. Canada? Pourriez-vous nous parler de l'arrêt Lavigne c. Canada?
M. Leadbeater : Il s'agissait d'une affaire concernant le commissaire aux langues officielles. Un certain Lavigne avait formulé une plainte et avait demandé l'accès au dossier d'enquête une fois que celle-ci serait terminée. Je crois qu'il avait formulé sa demande au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Sa demande a été rejetée au motif qu'y accéder serait préjudiciable aux enquêtes futures si les gens savaient que le dossier d'enquête risquait d'être divulgué. L'affaire a été portée devant les tribunaux et a abouti devant la Cour suprême du Canada qui a jugé que, si le droit d'accès doit avoir un sens — et il y a un droit d'accès en vertu des renseignements personnels et de l'accès à l'information — il doit être assorti d'une démonstration de préjudice. Il ne suffit pas d'affirmer de but en blanc que ce que vous faites exige le secret, vous devez le démontrer. La Cour a rejeté la notion de secret absolu et a ordonné la divulgation. Au fond, les amendements proposés dans le projet de loi sont destinés à tordre le cou à Lavigne c. Canada en accordant à tous les agents du parlement le droit d'invoquer un secret général durant leurs enquêtes sans être obligés de satisfaire au critère de préjudice de Lavigne c. Canada.
Le sénateur Milne : Il est intéressant que la Cour suprême ait déclaré qu'un tel critère de préjudice doit être appliqué et qu'on veuille le faire disparaître avec ce projet de loi.
M. Leadbeater : Le projet de loi revient à dire : « Nous ne voulons pas subir le fardeau du critère de préjudice ».
Le sénateur Milne : L'Association du Barreau canadien pense comme vous que les dispositions du projet de loi sont trop larges, que ces 10 nouvelles exemptions à la Loi sur l'accès à l'information ont une trop grande portée et que les exceptions concernant les sociétés d'État risquent en fait d'annuler complètement l'objectif visé par leur inclusion. Pourquoi les assujettir à la Loi sur l'accès à l'information si les exceptions sont tellement vastes qu'elles reviennent à interdire tout accès à leurs informations?
M. Leadbeater : Notre argument, qui est aussi celui de l'Association du Barreau canadien et d'autres organisations, est que la nécessité du secret dépend des circonstances. Chaque fois qu'un organisme reçoit une demande d'accès à l'information, il doit se pencher sur les circonstances. La demande concerne-t-elle un vieux document? L'information est-elle désuète? Y a-t-il un intérêt public prédominant? Tous ces facteurs doivent être pris en considération et font partie de ce qu'on appelle le « critère de préjudice ». Nous espérions que toutes les exemptions au droit d'accès seraient assorties de ce pouvoir discrétionnaire de prendre les décisions, du critère du préjudice et d'une disposition d'intérêt public prédominant. Il se peut fort bien qu'Énergie atomique du Canada, Limitée ait une raison commerciale de préserver le secret mais que l'information demandée soit reliée de manière tellement importante à une question de sécurité qu'elle doive néanmoins être divulguée. Avec ce projet de loi, ce ne sera plus possible.
Le sénateur Milne : Je crois comprendre que vous êtes satisfait de la loi actuelle mais votre travail serait-il entravé, en ce qui concerne l'accès à l'information et la divulgation d'informations au public, si ce projet de loi était adopté?
M. Leadbeater : Le public aura accès à moins d'informations qu'à l'heure actuelle de la part des organismes gouvernementaux déjà inscrits et de ceux qui le seront pour la première fois. Il n'aura accès qu'à des informations de caractère administratif général — les dépenses de voyage, les dépenses d'accueil et les budgets. Or, ce sont des informations qui sont déjà disponibles dans les rapports annuels et sur les sites Web. Le public n'aura accès à rien de nouveau.
Le sénateur Milne : Dans ce cas, quelle est la justification de ce projet de loi?
M. Leadbeater : Je ne veux pas faire de spéculations à ce sujet.
Le sénateur Milne : Veuillez m'excuser, je n'aurais pas dû vous poser cette question.
Le sénateur Baker : J'ai deux questions d'ordre général à vous poser. Premièrement, votre Bureau se trouve continuellement devant les tribunaux et, depuis quelques années, surtout devant la Cour suprême, soit pour faire appel soit pour intervenir dans des causes. Je suis sûr que vous en conviendrez. Toutes les décisions rendues à la suite de vos interventions et de vos poursuites devant les tribunaux concernent la rédaction des lois. Vous avez à côté de vous M. Daniel Brunet qui était associé à Clayton Ruby dans une affaire intitulée Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada). Dans cette affaire, vous avez gagné le droit d'accès à certaines informations, contrairement à ce qui était dit dans la loi. Il ne s'agissait pas d'avoir accès à toutes les informations et ce n'était pas ce que vous demandiez. Vous ne demandiez par l'accès à toutes les informations privées des agents de la GRC. Vous demandiez l'accès à certaines informations précises.
Étant donné que vous êtes continuellement devant les tribunaux pour demander l'accès à certaines informations, contrairement aux dispositions explicites des textes de loi, que se passera-t-il, d'après vous, quand ce projet aura été adopté? Est-ce que M. Brunet devra prendre résidence à la Cour suprême du Canada?
La Cour suprême du Canada interprète les lois. Comment le fait-elle? Premièrement, en se demandant quelle était l'intention du législateur. Deuxièmement, quel était le but de l'article mis en cause. Quels sont les détails de l'article? Cela étant, comment répondez-vous à ma question?
M. Leadbeater : Je vais répondre à certains postulats énoncés dans votre question. Nous recevons environ 1 500 plaintes par an dont plus de 99 p. 100 sont réglées à l'amiable et, en moyenne, nous portons devant les tribunaux deux ou trois plaintes par an. Le mécanisme de règlement extrajudiciaire connaît un succès sans parallèle.
Si nous nous retrouvons devant les tribunaux, c'est lorsque le gouvernement intente des procès contre nous comme c'est arrivé, par exemple, quand nous avons lancé des assignations pour obtenir des documents du Bureau du premier ministre ou pour interroger des membres de son personnel exonéré. Nous avons été traînés devant les tribunaux parce que notre pouvoir était contesté. Évidemment, nous nous sommes défendus et nous avons fini par voir les documents et par interroger le personnel exonéré.
Il est inévitable qu'il y ait un certain nombre de poursuites mais il est rare que nous prenions l'initiative de nous adresser aux tribunaux contre le gouvernement. Cela s'explique par le fait que nous réussissons généralement à le convaincre de faire la bonne chose sans devoir aller en justice.
Vous avez aussi mentionné la GRC dans votre question et vous avez dit que le commissaire à l'information intervient dans certaines causes pour convaincre les tribunaux de bafouer les textes de loi. Il n'y aura sans doute pas beaucoup de juges qui seront d'accord avec vous. Je préfère voir les choses de la manière suivante : nous voyons souvent des agents du gouvernement, dans l'espèce le Commissaire de la GRC, interpréter les lois dans leur intérêt en faveur du secret. Si tel est le cas, nous nous adressons au tribunal pour demander au juge de dire qui a raison. Le juge va alors lire la loi et l'appliquer en disant qu'une partie a raison et l'autre, tort. Je suis heureux de pouvoir dire que nous obtenons assez souvent gain de cause. Cela dit, nous ne le faisons pas souvent. Quand nous le faisons, c'est généralement non pas parce que le commissaire interprète une loi de manière abusive mais parce que des agents du gouvernement ne respectent pas leurs obligations en vertu de cette loi.
Si les dispositions proposées entre en vigueur, cela arrivera plus souvent. Nous verrons un grand nombre d'organismes respecter les recommandations sur la manière d'interpréter et d'appliquer les lois mais il y en aura un ou deux par an qui ne le feront pas et qui se retrouveront devant les tribunaux. Je suppose que c'est ce qui arrivera.
Le sénateur Baker : Vous n'avez pas donné la pleine mesure de votre activité en disant qu'il n'est pas très fréquent que vous soyez la partie faisant appel ou participant à la contestation d'une loi. Toutefois, quand d'autres personnes vous présentent une cause, vous l'assumez, comme vous l'avez fait dans l'affaire du commissaire à l'information contre la GRC.
M. Leadbeater : Non, voici ce qui se passe, sénateur. Si nous recommandons à un organisme gouvernemental de divulguer un document et qu'il refuse, nous nous adressons aux tribunaux. Évidemment, le plaignant a lui aussi le droit de s'adresser aux tribunaux. Nous ne le faisons pas au nom du plaignant mais au nom de la loi. Nous pouvons régler l'affaire à n'importe quel moment. Nous ne recevons pas d'instructions du plaignant. Le plaignant peut agir en toute indépendance.
Dans le cas de la GRC, nous avions perdu en première instance et en cour d'appel mais nous avons gagné devant la Cour suprême. C'est comme ça que fonctionne la justice.
Le sénateur Baker : Qui était votre avocat?
M. Leadbeater : Daniel Brunet. C'est M. Clayton Ruby qui a argué devant la Cour suprême.
Le sénateur Baker : M. Brunet semble être toujours là quand il y a un appel. Il n'a pas obtenu gain de cause quand il a essayé d'obtenir des documents du Cabinet expliquant pourquoi le gouvernement paye les avocats de Toronto plus cher que ceux de la Nouvelle-Écosse, du Québec et de la Colombie-Britannique. Je parle ici de l'affaire Babcock c. Canada (Procureur général).
Je voudrais vous poser une question sur un sujet dont vous n'avez pas parlé. Vous avez indiqué plusieurs cas où le secret pourrait devenir un facteur important, ou de nouveaux cas possibles de non-divulgation d'informations.
Que pensez-vous de l'idée de créer un poste du directeur des poursuites pénales? Ce qui me saute immédiatement aux yeux, comme à quiconque examine ce projet de loi, c'est que le procureur général peut donner des instructions au directeur des poursuites pénales. En vertu de l'article 11 du projet de loi sur le directeur des poursuites pénales, la publication peut être retardée ou retenue quand une poursuite est en cours. Il est dit dans cet article que le procureur général ou le directeur peut, s'il juge que l'administration de la justice l'exige, ne pas divulguer cette communication entre le procureur général et le directeur des poursuites pénales au sujet d'une poursuite donnée. Que pensez-vous de cette proposition? Avez-vous eu l'occasion d'y réfléchir? On trouve cette disposition à l'article 11 et au paragraphe 15(3) du projet de loi.
Je vous pose cette question parce qu'on peut envisager que, durant une poursuite, des choses se passent en coulisses entre un ministre et le directeur des poursuites pénales — qui est un sous-ministre — et qu'elles entraînent l'abandon de la poursuite, et que ces choses aient été faites en secret et n'aient pas été publiées dans la Gazette du Canada. Avez-vous analysé cette proposition? Sinon, comment y réagissez-vous, spontanément?
M. Leadbeater : Je vais vous parler de l'effet de ces modifications sur cette question. De par la loi, le directeur des poursuites pénales sera assujetti à la Loi sur l'accès à l'information. Comme on n'a prévu aucune exemption particulière dans son cas, il tombera sous le coup des exemptions générales figurant dans la Loi sur l'accès à l'information. Il s'agit du droit d'accès dont bénéficie le public, nonobstant toutes les autres lois.
L'article 4 de la Loi sur l'accès à l'information donne un droit d'accès à tous les citoyens nonobstant tout autre loi fédérale. Même si l'on dit ici que ces directives devront rester secrètes, on devra d'abord appliquer le critère de préjudice de la Loi sur l'accès à l'information. Autrement dit, on examinera s'il y a un risque de préjudice et l'organisme concerné sera obligé de démontrer qu'il est légitime de maintenir ces directives secrètes, dans ces circonstances particulières.
Le sénateur Baker : Voulez-vous donc dire que cet article va à l'encontre de la loi?
M. Leadbeater : Non.
Le sénateur Baker : Que voulez-vous dire, alors?
M. Leadbeater : Que toutes les dispositions de secret des autres lois ne priment pas sur les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information. La Loi sur l'accès à l'information prime sur les dispositions des autres lois, à moins d'inscription dans une annexe à la loi, concernant par exemple des dispositions de secret d'autres lois, ce qui est le cas de la Loi sur la statistique, pour le recensement, et de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour les informations fiscales personnelles. L'article dont vous parlez au sujet du directeur des poursuites pénales ne fait pas partie de la liste.
Le sénateur Baker : Donc, cet article n'aura aucun effet concret et tout ce que l'avocat de la défense aura à faire sera de lire la déclaration que vous venez de faire devant notre comité pour obtenir une copie de la directive? C'est ce que vous pensez?
M. Leadbeater : Non, je dis que tout dépend des circonstances particulières, de la teneur de la directive et de l'étape où en est rendue la poursuite, mais c'est au directeur des poursuites pénales qu'il appartiendra de démontrer qu'il y aurait un préjudice. Ce ne sera pas automatique.
Le sénateur Baker : Comment cela concorde-t-il avec, disons, une demande en vertu de Stinchcombe?
M. Leadbeater : Les règles de divulgation devant les tribunaux en vertu de Stinchcombe sont totalement indépendantes de la Loi sur l'accès à l'information. Il y a des exigences différentes en matière de divulgation de documents dans des poursuites pénales.
Le sénateur Baker : Je vous pose cette question parce que nous adoptons une loi disant que les informations ne seront pas publiées durant une poursuite. J'aimerais savoir si les informations seront retenues durant une poursuite. Vous dites que ce ne sera pas possible si une demande est formulée au titre de la Loi sur l'accès à l'information.
M. Leadbeater : À mon avis, ce ne sera pas automatique. Si le directeur des poursuites pénales peut démontrer que la divulgation des informations serait préjudiciable à la poursuite, les informations pourront ne pas être divulguées, mais le directeur devra s'acquitter du fardeau de cette preuve.
Le sénateur Baker : On peut donc s'attendre à une longue procédure préalable aux procès en vertu de Stinchcombe.
M. Leadbeater : Non, ce ne sera pas relié à Stinchcombe. Toutefois, il pourrait y avoir une longue procédure devant les tribunaux en vertu de la loi elle-même. Si le directeur des poursuites pénales refuse de divulguer les renseignements mais sans satisfaire au critère de préjudice, le plaignant ou notre bureau pourra porter l'affaire devant les tribunaux et, oui, ce serait long et interminable.
Le sénateur Baker : La raison pour laquelle j'ai posé cette question est que cela constituerait une infraction à l'article 7 de la Charte.
M. Leadbeater : Je ne dirais pas ça de manière aussi absolue. Il y a des privilèges, à la fois au titre des lois et au titre de la common law, qui sont reconnus dans Stinchcombe. Je ne ferai pas une déclaration aussi absolue que celle que vous tentez de me faire prononcer.
Le sénateur Stratton : M. Leadbeater, savez-vous que le ministre a déposé un livre blanc sur toute cette question?
M. Leadbeater : Oui.
Le sénateur Stratton : Il est très facile de dire qu'il y a un problème ici ou là mais, une fois qu'on commence à analyser les choses en profondeur, on réalise que les choses ne sont pas si simples et que c'est un domaine très complexe. Vous en convenez?
M. Leadbeater : Permettez-moi d'ajouter ceci à votre question : le ministre de la Justice a publié un document de réflexion sur la réforme de la Loi sur l'accès à l'information. Je n'ai fait aucune remarque aujourd'hui sur ce qu'il faudrait éventuellement ajouter à cette loi. Tout ce que j'ai dit, c'est que les modifications proposées à la Loi sur l'accès à l'information dans le projet de loi C-2 sont problématiques. Je n'ai pas abordé la question plus générale de la réforme de la Loi sur l'accès à l'information pour y ajouter une clause d'intérêt public prédominant ou un devoir de créer des dossiers. Je sais que l'autre comité de la Chambre des communes sera saisi de cette question et c'est pourquoi je n'ai parlé aujourd'hui que des problèmes que pose ce projet de loi.
Le sénateur Stratton : J'ai fait cette remarque uniquement pour indiquer aux membres du comité que cette question générale est traitée dans un autre processus. Il est facile de dire que telle ou telle chose n'est pas bonne mais, quand on aborde la question d'un point de vue plus global, les détails sont de plus en plus difficiles à saisir.
En vertu de ce projet de loi, de nouveaux organismes publics relèveront de la loi, n'est-ce pas?
M. Leadbeater : Oui.
Le sénateur Stratton : Par exemple, l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public, société d'État commerciale, n'était pas inscrit dans la loi mais il le sera maintenant, tout comme la SRC. Voilà des exemples d'organismes qui n'étaient pas assujettis à la loi dans le passé mais qui le seront à l'avenir. Ce sera aussi le cas d'Énergie atomique du Canada et d'Exportation et développement Canada. Le gouvernement s'efforce de rehausser l'imputabilité de ces organismes en les assujettissant à la loi.
Je ne saurais trop insister sur le fait que, considérant la complexité de toutes ces questions, qu'il s'agisse de commerce ou d'enquête, et notamment en ce qui concerne les exigences de rapports publics, que ce soit sous forme de rapports annuels ou de rapports produit à la fin des enquêtes, cela fait partie de l'argument que vous présentez sur la question de savoir si les informations doivent être rendues publiques pendant une enquête. C'est un argument qui n'a pas sa place ici.
Le président : C'était une question, sénateur Stratton?
Le sénateur Stratton : Ce que je cherche, c'est un accord général sur ce qu'est le but fondamental de ce projet de loi.
M. Leadbeater : Je peux peut-être vous répondre en vous renvoyant à l'onglet 5 de notre mémoire. Les organismes mentionnés dans la colonne de gauche sont ceux qui seront ajoutés à la liste. Je n'ai aucun problème avec le fait qu'on les ajoute, mon problème est qu'on les ajoute d'une manière qui garantit le secret quasi absolu de tous leurs documents, et c'est pourquoi nous avons indiqué les exceptions qui sont prévues.
Dans la colonne « Fondée sur le préjudice » — qui indique si l'on doit avoir démontré un risque de préjudice — vous voyez qu'il n'y a absolument rien, ce qui signifie que tous ces organismes peuvent refuser l'accès aux informations sans avoir à démontrer que la divulgation pourrait leur causer un préjudice.
Je ne suis donc pas d'accord avec vous quand vous dites que ce projet de loi rehaussera l'imputabilité. Non, c'est du vent. Cela revient à faire entrer ces organismes dans la Loi sur l'accès à l'information par la porte principale en les faisant immédiatement ressortir par la porte de service.
Vous m'avez demandé mon avis, le voilà.
Le sénateur Stratton : Savez-vous qu'il y aura dans ce projet de loi une exception obligatoire pour les dossiers obtenus ou créés par les différents agents du Parlement durant une enquête? Les exceptions prévues pour les dossiers obtenus par les agents du parlement durant les enquêtes sont destinées à garantir que les demandes de divulgation de documents provenant d'autres organismes gouvernementaux sont traitées par d'autres organismes, et que les agents ne sont pas utilisés comme mécanisme secondaire d'accès à l'information. Les dossiers créés par le commissaire à l'information, le commissaire à la protection de la vie privée ou le commissaire au lobbying, durant une enquête, feront partie des exceptions pendant la durée des enquêtes, ce qui empêchera toute ingérence dans les enquêtes. Par contre, ils ne seront plus protégés une fois que les enquêtes seront terminées.
Il est clair qu'une vérification ou une enquête pourrait être menacée...
Le président : Sénateur Stratton, avant de vous laisser continuer, plusieurs personnes ne savent pas de quoi vous parlez.
Le sénateur Stratton : Je parle de l'agent. Je donne un aperçu des dispositions pertinentes 16(1), (2), (3), (4) et (5).
Le sénateur Day : L'article 16 du projet de loi ne semble pas porter là-dessus.
Le président : Il ne cite pas la loi, il donne un aperçu de l'article.
Le sénateur Day : Mais il n'y a pas de paragraphes (2), (3), (4) à l'article 16.
Le sénateur Stratton : Je n'ai peut-être pas cité le bon article.
Le président : Voulez-vous parler de la Loi sur l'accès à l'information?
Le sénateur Stratton : Je pense qu'il s'agit de la Loi sur l'accès à l'information, à la page 118.
Le sénateur Day : C'est l'article 144 du projet de loi C-2.
Le sénateur Stratton : Oui, qui renvoie à la Loi sur l'accès à l'information.
Il est clair qu'une vérification ou une enquête lancée par le vérificateur général ou par le commissaire à l'intégrité du secteur public pourrait être menacée si les dossiers créés durant l'enquête ou la vérification devaient être divulgués, même après la fin de l'enquête de la vérification.
Je vais vous donner quelques exemples montrant pourquoi on a prévu ces exceptions et pourquoi cette question est plus complexe qu'on l'imagine.
En ce qui concerne la Société Radio-Canada, par exemple, dans tout examen de la LAI ou tout examen de son application à la SRC, on a toujours reconnu la nécessité de protéger les sources des journalistes et des émissions télévisées — autrement dit, de protéger les journalistes.
En ce qui concerne Énergie atomique du Canada, le caractère extrêmement sensible de ses informations en matière de recherche et de marketing, et le caractère extrêmement compétitif de son secteur d'activité, font qu'il faut assurer un degré élevé de protection à une partie importante de ses informations. C'est un autre exemple.
Je ne vais pas vous donner toute la liste mais je recommande au comité de bien comprendre la complexité de cette question avant de tirer des conclusions. Nous commençons déjà à traiter d'aspects particuliers du projet de loi et je ne pense pas que ce soit la bonne méthode. Si nous continuons ainsi, nous n'arrivons jamais au bout.
M. Leadbeater : Il ne fait aucun doute que tous les organismes, y compris ceux que l'on veut ajouter, ont des informations sensibles méritant d'être protégées. Le commissaire à l'information ne prétend pas qu'ils devraient être obligés de divulguer absolument tout. Il soutient simplement qu'ils devraient être obligés de se justifier s'ils veulent garder des choses secrètes. Si vous excluez complètement la SRC de la loi, vous n'aurez plus aucune justification ni aucun examen indépendant. Le commissaire à l'information n'aura pas accès aux renseignements. La SRC prendra ses propres décisions sur ce qu'elle voudra bien divulguer et ce sera tout. Même chose pour l'EACL.
Nous savons fort bien que les organismes ont des informations sensibles mais on peut les protéger au moyen d'une exception assortie d'un critère adéquat de préjudice, et nous avons formulé des propositions à cet égard.
Je reviens à ce que je disais dans ma déclaration liminaire. La réforme de l'accès à l'information a fait l'objet d'une audience pancanadienne devant le juge Gomery. Au titre de son mandat, il devait se pencher aussi sur la réforme de la Loi sur l'accès à l'information dans le cadre du régime d'imputabilité dont nous avons besoin. Après avoir tenu des audiences dans tout le pays, il a dit que nous avons besoin d'un critère de préjudice. Il a explicitement mentionné la SRC à ce sujet. Il a dit que la SRC a besoin d'être protégée mais avec un critère de préjudice, et il a ajouté que cela devrait se faire au moyen d'une exemption et non pas d'une exclusion.
Vous ne trouverez dans les études universitaires ou les rapports éclairés publiés au parlement ces dernières années aucune contestation de cette nécessité. Le fait que cela ne figure pas dans ce projet de loi est extrêmement inquiétant aux yeux du commissaire à l'information. Il n'a pas formulé d'hypothèses sur les raisons de cette lacune, il a simplement dit que c'est une terrible erreur. J'implore votre comité de ne pas accepter l'argument que cela pourra être corrigé par le comité de la Chambre des communes. Une fois que le texte aura été adopté, on ne parlera plus de réforme de l'accès à l'information pendant longtemps.
Que ce soit ou non un détail à vos yeux, il est important que le Sénat ne prenne pas à la légère cette abrogation de la notion d'imputabilité.
Le sénateur Milne : Monsieur Leadbeater, je suis heureux que le sénateur Stratton nous ait appris qu'un comité de l'autre Chambre se penche sur toute la question de l'accès à l'information mais vous semble-t-il raisonnable de prévoir des exemptions aussi larges dans le projet de loi C-2, à la fois pour l'article 16 actuel et pour l'article 10 qui est proposé, et peut-être de les retirer dans à peine un mois ou deux?
M. Leadbeater : Dans le document de réflexion que j'ai vu, produit par le ministre de la Justice, on ne propose pas de revoir les dispositions du projet de loi C-2.
Le sénateur Milne : Si le problème n'est pas corrigé maintenant, il ne le sera jamais?
M. Leadbeater : Exactement.
Le sénateur Stratton : Je ne conteste pas qu'il faille le corriger. J'essaye simplement de dire que nous ne devons pas oublier, durant cet exercice, qu'il y a du travail à faire. Si nous constatons qu'on ne fait pas le travail voulu, le Sénat devra peut-être intervenir car il pourrait avoir une contribution importante à apporter, qui serait extrêmement utile.
Le sénateur Cochrane : Vous parliez ce matin d'éliminer les exemptions de la SRC et de l'EACL.
Si un rapport faisant l'objet d'une fuite était communiqué au public par un journal, disons le Toronto Sun, celui-ci ne serait pas obligé de révéler ses sources puisqu'il s'agit d'une entreprise privée, n'est-ce pas?
M. Leadbeater : Non, il n'y serait pas obligé.
Le sénateur Cochrane : Par contre, si le rapport avait été communiqué à la SRC, celle-ci serait obligée de révéler ses sources?
M. Leadbeater : Non, si la SRC était assujettie à notre loi, sans exclusions ou exemptions spéciales, elle serait toujours tenue de protéger les renseignements personnels et, par conséquent, de ne pas divulguer ses sources. Il s'agit là d'une exemption obligatoire figurant dans la loi, à moins qu'il n'y ait un intérêt public prédominant. Toutes les informations personnelles que possède le gouvernement sont sujettes à une exemption obligatoire du droit d'accès, à moins d'intérêt public prédominant. Ainsi, vos informations médicales sont protégées mais, si votre maladie est contagieuse et que vous vous comportez d'une manière qui menace le public, il y a là un intérêt public prédominant et elles pourront être divulguées.
L'idée que l'on a répandu selon laquelle assujettir la SRC à la Loi sur l'accès à l'information l'obligerait à divulguer ses sources est complètement fausse en vertu de la loi existante. Elle n'a aucun fondement juridique, et encore moins avec l'exemption qui est proposée qui serait une exemption selon le critère de préjudice pour protéger ses activités d'information et de programmation.
Je comprends la préoccupation qui a été exprimée mais elle n'est pas du tout justifiée avec la loi actuelle.
Le sénateur Joyal : Messieurs et madame, je vous souhaite la bienvenue. Ma première question porte sur les remarques du sénateur Stratton. Comme le gouvernement a publié un livre blanc qui fait l'objet d'une étude dans l'autre Chambre, ne serait-il pas plus sage d'attendre la fin de cette étude avant de commencer à modifier le projet de loi de manière restrictive?
M. Leadbeater : Je ne sais pas. Si vous me disiez que vous allez retirer tous les articles proposés dans ce projet de loi au sujet de l'accès à l'information pour les soumettre à l'étude de l'autre comité, je serais d'accord avec vous. Par contre, si vous me disiez que vous allez adopter ce projet de loi, avec tous les articles proposés, parce qu'il fera de toute façon l'objet d'une étude dans l'autre comité, je ne serais pas d'accord. Soyons réalistes, ce texte deviendra une loi.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi de préciser la question. Si l'on entreprend un processus d'examen du projet de loi, il est préférable de ne rien changer au projet tant que le processus n'est pas terminé, à moins que l'on ait identifié des carences tellement dommageables qu'il faille les corriger immédiatement parce qu'un tribunal l'a ordonné. Il nous arrive souvent, dans ce comité, d'être saisis d'un projet de loi destiné à corriger certaines choses à la suite d'une décision judiciaire.
M. Leadbeater : Certes.
Le sénateur Joyal : Mon approche consiste à dire que, si nous sommes en plein milieu d'un processus d'examen approfondi — car un livre blanc est un processus d'examen : le gouvernement propose certaines choses et le comité donne son avis — il serait plus logique d'attendre avant d'adopter ces dispositions qui représentent des changements de fond de la loi actuelle.
M. Leadbeater : Sénateur Joyal, je m'en remets à votre savoir stratégique. Je suis loin d'avoir votre expérience en la matière. Tout ce que je peux dire, c'est que nous implorons votre comité de ne pas laisser passer ces dispositions concernant l'accès à l'information. Quant à savoir quelle est la meilleure manière d'arriver à cette fin, vous êtes mieux placés que moi pour en juger.
Le sénateur Joyal : Mon autre préoccupation — et je m'adresse aussi en disant cela au sénateur Stratton — est que si ces dispositions, comme vous l'avez dit, nous mettent dans une situation pire qu'avant Gomery, nous avons l'obligation de les revoir. L'intention du gouvernement — et je n'ai aucune raison d'en douter — est d'apporter des correctifs suite à Gomery. Toutefois, s'il y a dans ce projet de loi des dispositions qui, comme vous l'avez indiqué, auraient empêché M. Cutler, par exemple, d'aller de l'avant, ce serait absolument contraire à l'objectif visé.
M. Leadbeater : Oui.
Le sénateur Joyal : Nous voulons protéger le statu quo dans la mesure où il concerne la position dans laquelle se trouve M. Cutler.
Pouvez-vous nous dire lesquelles des dispositions du projet de loi placeraient un fonctionnaire dans une situation plus difficile s'il voulait révéler des informations au titre de l'accès à l'information, et ceci vaudrait autant pour M. Cutler que pour un journaliste, par exemple, afin de pouvoir combler ces lacunes et d'éviter de rendre la situation pire qu'elle n'est aujourd'hui?
M. Leadbeater : Comme je l'ai dit dans mon exposé, le juge Gomery a formulé beaucoup de recommandations et a notamment dit que M. Cutler et d'autres seraient à son avis dans une situation pire qu'aujourd'hui avec de telles dispositions de secret obligatoire interdisant de révéler des actes répréhensibles internes. Or, c'est ce qu'on trouve à l'article 221. Il avait dit aussi qu'il avait été crucial, pour dévoiler les détails du programme de commandites et aller au fond des choses, d'avoir accès aux ébauches des rapports de vérification interne et aux documents de travail, sous réserve du critère de préjudice. C'est l'article 150 qui est proposé.
Mon opinion personnelle est qu'il ne faut peut-être pas en faire le facteur absolument déterminant mais, si vous voulez définir un tel facteur, ces dispositions sont celles qui vont explicitement à l'encontre de ce que disait le juge Gomery.
Le sénateur Day : Ai-je raison de penser, M. Leadbeater, que le Bureau du commissaire à l'information du Canada sera assujetti à la Loi sur l'accès à l'information si le projet de loi C-2 est adopté?
M. Leadbeater : C'est exact.
Le sénateur Day : Y a-t-il un critère du besoin de savoir? Si quelqu'un demande des informations, lui demandez-vous pourquoi il en a besoin?
M. Leadbeater : Non. La Cour suprême du Canada a déjà donné son avis là-dessus — dans l'affaire de la GRC, je crois. Il est tout à fait inacceptable qu'un organisme gouvernemental demande à une personne les raisons pour lesquelles elle réclame des informations ou ce qu'elle veut en faire.
Le sénateur Day : Donc, n'importe qui, pour n'importe quelle raison, et sous réserve du critère que vous appliquez et des exceptions, peut demander des informations à tous les organismes, commissions, et cetera, figurant à l'annexe 1 de la Loi sur l'accès à l'information?
M. Leadbeater : Oui, sauf à notre Bureau. Selon le projet de loi, nous aurions le droit absolu de refuser purement et simplement, sans donner de raisons, durant toutes nos investigations.
Le sénateur Day : En vertu de la loi actuelle — et je vous demanderai ensuite si cela changerait avec le projet de loi C-2 — quelqu'un a-t-il le droit de demander qui a formulé une demande de renseignements au titre de la Loi sur l'accès à l'information?
M. Leadbeater : Ici encore, tout dépend de la situation. Le nom du demandeur constitue une information personnelle protégée par l'exemption obligatoire.
Comme je l'ai déjà dit, il peut y avoir des cas d'intérêt public prédominant. En outre, si l'affaire est portée en justice, le nom du demandeur sera d'office dévoilé. Normalement, si quelqu'un voulait simplement savoir qui a formulé une demande d'accès à l'information, l'organisme gouvernemental serait tenu de refuser de donner cette information, à moins qu'il n'y ait un intérêt public prédominant.
Le sénateur Day : Qui détermine qu'il y a un intérêt public prédominant?
M. Leadbeater : Il appartient à l'organisme refusant l'accès de se justifier.
Le sénateur Day : Si j'avais demandé des informations au sujet d'un certain ministère et que le chef de ce ministère ou le ministre veuille savoir qui a demandé ces informations, mon nom serait-il divulgué? Pourrait-on savoir que c'est moi?
M. Leadbeater : Cette question est un peu différente. Les noms des demandeurs d'accès peuvent-ils être révélés au sein de l'organisme? Cette question est régie par la Loi sur la protection des renseignements personnels qui dispose que l'information ne peut être divulguée à l'intérieur de l'organisme que pour l'objectif pour lequel elle a été recueillie. Si vous êtes le demandeur, votre nom pourra être divulgué aux responsables des finances parce qu'il figurera sur votre chèque de cinq dollars et que les gens des finances devront pouvoir encaisser ce chèque. Ils verront donc d'office votre nom. Votre nom pourrait aussi être révélé aux gens qui tiennent les dossiers parce que vous pourriez demander les dossiers vous-même et que le ministère devrait faire des recherches pour savoir qui a fait la demande.
À part ces situations, votre nom ne serait pas dévoilé et il ne devrait en aucun cas être révélé au ministre ou à son personnel ni aux cadres supérieurs du ministère, par exemple pour leur permettre de se préparer à répondre aux questions que vous pourriez poser, puisque ce n'est pas pour cette raison qu'il a été obtenu et que cela risquerait de nuire au service qui vous est dû en provoquant plus d'inquiétude — mon Dieu, le sénateur veut savoir ça! — ou moins de transparence.
Nous voyons régulièrement des ministères qui révèlent de manière inappropriée le nom des demandeurs d'accès et nous essayons toujours de tuer ça dans l'œuf en recommandant une meilleure formation et de meilleures procédures. Toutefois, selon la loi actuelle — la Loi sur la protection des renseignements personnels — il ne devrait pas y avoir de divulgation générale à l'intérieur des ministères.
Le sénateur Day : C'est la Loi sur la protection des renseignements personnels plutôt que la Loi sur l'accès à l'information qui régit ces questions et l'exception?
M. Leadbeater : Exactement.
Le sénateur Day : Parce que c'est une question interne à un ministère?
M. Leadbeater : Oui, parce que c'est interne. La divulgation interne relève de l'article 19, l'exemption concernant la protection des informations personnelles.
Le sénateur Day : Si c'était la presse, par exemple, plutôt que le gouvernement qui voulait savoir qui a demandé des informations sur un dossier particulier, cela relèverait de la Loi sur l'accès à l'information?
M. Leadbeater : Oui.
Le sénateur Day : Si un fonctionnaire demandait cette information dans un ministère et qu'il l'a communiquait à quelqu'un d'autre, serait-ce une infraction à la loi actuelle?
M. Leadbeater : Oui.
Le sénateur Day : Si le projet de loi C-2 est adopté, votre Bureau sera assujetti à la Loi sur l'accès à l'information. Y aura-t-il un changement quelconque ou cette exemption générale sera-t-elle suffisante pour protéger les gens invoquant la Loi sur l'accès à l'information?
M. Leadbeater : Cela changera la situation pour nous. Nous aurons une règle de secret général. Jusqu'à présent, nous avons respecté l'esprit de la loi, c'est-à-dire que nous donnons les informations si cela ne cause aucun préjudice à notre travail. Avec le projet de loi, nous aurons l'obligation légale de dire non; nous n'aurons plus la possibilité de dire oui pendant nos investigations. De ce fait, les gens obtiendront moins qu'auparavant de notre Bureau, alors que nous n'étions pas auparavant assujettis à la Loi sur l'accès à l'information. Je soupçonne que c'est la même chose dans la plupart des bureaux du parlement. On donne des renseignements de manière officieuse mais on sera maintenant légalement obligé de refuser de les donner.
Le sénateur Day : Vous avez dit tout à l'heure que vous alliez faire une remarque sur les dispositions du projet de loi C-2 concernant la Loi sur l'accès à l'information mais qu'il y avait beaucoup d'autres choses dont vous vouliez parler. Les choses qui sont mentionnées ici sont-elles le résultat de consultations que vous auriez eues avec le gouvernement avant le dépôt du projet de loi?
M. Leadbeater : Non, le gouvernement n'a pas consulté notre Bureau au sujet du projet de loi C-2.
Le sénateur Day : Avez-vous dit dans une publication quelconque que vous vouliez que votre Bureau soit inscrit à l'annexe 1?
M. Leadbeater : Oui. Dans toutes nos recommandations, y compris dans une proposition de loi sur la transparence gouvernementale que nous avons déposée devant la Chambre des communes l'automne dernier, si je me souviens bien, nous avons dit que le commissaire à l'information estimait crucial d'être lui aussi assujetti à la loi qu'il est chargé d'appliquer car il est gênant de demander aux autres organismes de la respecter sans y être soi-même obligé.
Le sénateur Day : Et cette disposition de refus obligatoire qui figure dans le projet de loi est-elle également une chose que vous aviez demandée?
M. Leadbeater : Non. Comme nous avions compris que le gouvernement craignait que nous soyons obligés de divulguer des dossiers que d'autres ministères nous donnaient, nous avons proposé d'être liés par une obligation de ne pas divulguer les documents obtenus d'autres ministères en renvoyant le demandeur devant le ministère concerné pour qu'il lui adresse sa demande d'accès à l'information. C'est seulement dans cette mesure que nous avons demandé une protection additionnelle par rapport à ce qui existe déjà dans la loi.
Le sénateur Day : Je voudrais passer un autre sujet, celui des autorités portuaires et aéroportuaires. Je ne sais pas comment les décrire car, si on les compare à des sociétés privées, ce sont les régions qui en sont les actionnaires, et leurs conseils d'administration sont nommés en fonction d'une loi.
M. Leadbeater : Oui.
Le sénateur Day : Il y a un ou deux représentants fédéraux, un représentant provincial et des représentants syndicaux. Les sociétés de cette nature sont-elles assujetties à la Loi sur l'accès à l'information?
M. Leadbeater : Certaines autorités aéroportuaires figurent sur la liste, d'autres, non.
Le sénateur Day : Pour quelle raison?
M. Leadbeater : Je ne sais pas s'il y a une raison particulière. On dit simplement dans la loi que toute entité figurant à l'annexe y est assujettie mais il n'existe pas de critères guidant le gouvernement dans le choix des entités qui devraient être inscrites ou non à l'annexe.
Le sénateur Day : Cela m'amène à la partie du projet de loi C-2 disant que le gouvernement fédéral peut fixer des critères pour y ajouter des noms.
M. Leadbeater : Oui.
Le sénateur Day : D'après vous, cela veut-il dire que d'autres sociétés ou d'autres organismes pourraient être ajoutés au projet de loi C-2 par décret exécutif une fois que des critères auront été établis?
M. Leadbeater : Le gouvernement peut ajouter n'importe quand de nouveaux noms à la liste et, dans ce projet de loi, il propose de se donner le pouvoir d'établir des critères. Notre Bureau conteste cette démarche car elle laisse au gouvernement le pouvoir de décider qui devrait être ajouté à la liste alors que nous pensons que les critères devraient être énoncés dans la loi elle-même, que le gouverneur en conseil devrait ne pouvoir ajouter que des organismes répondant aux critères, que quiconque devrait pouvoir adresser une plainte à notre Bureau parce qu'un organisme n'a pas été ajouté à la liste ou qu'on a ajouté un organisme qui n'aurait pas dû l'être, et que le processus devrait permettre le recours aux tribunaux comme c'est le cas pour tous les autres litiges concernant cette loi.
La proposition du projet de loi C-2 consistant à donner au gouvernement le pouvoir d'établir les critères constitue un pas en avant dans la mesure où il serait utile d'avoir des critères, mais elle laisse ce pouvoir au gouvernement alors qu'il devrait appartenir au Parlement.
Le président : Sénateur Day, vos questions sont toujours très pertinentes et en soulèvent beaucoup d'autres dans l'esprit de vos collègues. J'ai maintenant trois sénateurs qui veulent poser des questions supplémentaires aux vôtres.
Le sénateur Day : Je vais prendre ça comme un compliment.
Le sénateur Zimmer : Je tiens tout d'abord à remercier les témoins d'aujourd'hui. Vous recommandations sont claires, concises et fermes.
Avant de poursuivre, je tiens à souligner la présence de M. Dupuis avec qui j'ai travaillé de nombreuses années, avec Jim Richardson, à la Défense nationale. Je suis ravi de vous revoir aujourd'hui, monsieur.
Comme l'a dit le sénateur Day, je suppose que vous avez fait les mêmes recommandations au comité de la Chambre des communes. La question fait suite à celle de l'honorable sénateur. Avez-vous dit la même chose, et aussi fermement? Deuxièmement, estimez-vous avoir passé assez de temps devant ce comité?
M. Leadbeater : Nous avons fait les mêmes recommandations, aussi fermement qu'aujourd'hui et avec la même documentation. Nous pensons avoir été entendus. Toutefois, considérant la simple réalité d'un gouvernement minoritaire, d'un parti libéral sans chef, et cetera, nous comprenons qu'il peut y avoir des choses devant les comités qui ne se produisent pas en situation normale. C'est tout ce que je peux dire en réponse à votre question.
Le sénateur Joyal : En réponse à la question du sénateur Day sur le fait que votre Bureau doit aussi être accessible aux citoyens, n'êtes-vous pas lié par le critère de préjudice? Autrement dit, vous divulguez les renseignements sauf si vous pensez que cela risque de causer un préjudice à la personne faisant l'objet des renseignements.
M. Leadbeater : Pas en vertu de ce projet de loi. Durant nos investigations, il y aura une règle de secret absolu — nous devrons dire non. Après nos investigations, nous retournerons au critère de Lavigne, le critère de préjudice.
Le sénateur Joyal : Ce n'est pas pendant les investigations mais après que vous êtes exposé aux paramètres de la Cour suprême?
M. Leadbeater : Exactement, sauf si le document nous a été fourni par un autre organisme, auquel cas le demandeur sera renvoyé devant cet organisme.
Le sénateur Joyal : Dans ce cas, vous renvoyez la demande.
M. Leadbeater : Le mécanisme dont vous parlez, sénateur, vaut pour le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire à l'information et le commissaire au lobbying qui est proposé. Toutefois, la règle du secret absolu s'appliquant aux autres agents du Parlement, c'est-à-dire au vérificateur général, au commissaire aux langues officielles et au directeur général des élections, s'étendra à perpétuité. Il n'y aura pas de critère de préjudice après la fin des investigations.
Le sénateur Joyal : Pour quelle raison?
M. Leadbeater : Je n'en ai aucune idée.
Le sénateur Day : Avant les questions supplémentaires, nous parlions de l'article 163 du projet de loi, destiné à ajouter ceci :
i) fixer les critères à appliquer pour ajouter des organismes à l'annexe I.
Cette annexe contient une liste d'organismes et de ministères qui sont assujettis à la Loi sur l'accès à l'information.
Vous verrez dans le projet de loi C-2 que, lorsque l'annexe I est modifiée, elle l'est au moyen d'une loi. Ma question était celle-ci : pensez-vous que cet amendement permettra à l'avenir de modifier l'annexe I par décret de l'exécutif plutôt que par une loi?
M. Leadbeater : Ce n'est pas vraiment un changement par rapport à la situation actuelle. Je vérifiai dans la Loi sur l'accès à l'information pour le confirmer.
Je pense que le gouverneur en conseil a le pouvoir d'ajouter des choses à l'annexe d'une loi. Vous n'avez peut-être pas le texte sous les yeux, sénateur.
Le sénateur Day : Je m'en remets à vous à ce sujet. Tout ce que j'ai sous les yeux, c'est le projet de loi C-2.
M. Leadbeater : Le paragraphe 77(2) de la loi dispose que :
Le gouverneur en conseil peut, par décret, ajouter à l'annexe I tout ministère, département d'État ou organisme de l'administration fédérale.
Le sénateur Day : L'ajout de ces divers commissaires ne correspondrait pas à cette définition et ils devront donc être ajoutés au moyen d'une loi. Pourquoi voit-on apparaître la Commission canadienne du blé, à l'article 172?
M. Leadbeater : À mon avis, le gouvernement aurait pu le faire par décret mais d'aucuns estiment, au ministère de la Justice, que cela exige une loi car la Commission canadienne du blé n'est pas un organisme de l'administration fédérale.
Le président : Ce n'est pas vraiment une société d'État.
M. Leadbeater : On dit simplement dans la loi « tout ministère, département d'État ou organisme de l'administration fédérale ». À mon avis, c'est assez large pour englober tous ceux qui ont été ajoutés. Ils auraient pu être ajoutés par le gouverneur en conseil. Il n'est pas inusité de le faire au moyen d'une loi.
Le sénateur Day : Si ce n'est pas inusité, je n'insiste pas.
Il me semble cependant que le Bureau du commissaire au lobbying, dont on propose la création, sera un organisme de l'administration fédérale. Ce sera peut-être plutôt un organisme du Parlement que du gouvernement. Certains avocats rusés pourraient peut-être en tirer argument et, pour éviter les problèmes, il est peut-être plus facile de le faire au moyen d'une loi.
M. Leadbeater : Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit de scélérat dans l'une ou l'autre méthode.
Le sénateur Day : Avez-vous un commentaire sur l'ajout de la Commission canadienne du blé? Votre réaction est- elle positive ou négative?
M. Leadbeater : Nous réagissons positivement à l'ajout. Nous recevons souvent des commentaires de Canadiens qui aimeraient en savoir plus sur les activités de cette Commission mais, jusqu'à présent, nous ne pouvions pas leur répondre.
Le sénateur Day : Le président disait tout à l'heure que, si nous en avions le temps, nous pourrions aborder une question découlant de notre discussion d'hier avec le directeur général des élections. Je ne voudrais pas lui voler la vedette mais je peux annoncer la question que je voudrais poser.
J'aimerais savoir ce que vous pensez du fait que la Loi électorale du Canada existe depuis 1927. Elle contient un mécanisme de divulgation publique. Maintenant, on nous propose le projet de loi C-2 qui, comme vous le dites, aura priorité sur les autres textes comportant des mesures de divulgation et sur les autres lois. Selon le directeur général des élections, s'il existe un besoin de divulgation supplémentaire au sujet des élections et de leur financement, on aurait pu l'établir facilement au moyen de cette loi qui existe depuis longtemps, la Loi électorale du Canada. Nous avons déjà la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'accès à l'information qui comportent des mesures de divulgation au sujet des élections. Qu'en pensez-vous?
M. Leadbeater : Chaque organisme, le nôtre compris, a des dispositions particulières en matière de secret — il y a dans la Loi sur l'accès à l'information des exigences exhaustives en matière de secret — qui passeront toutes après celle de la Loi sur l'accès à l'information. Cela ne veut pas dire que nous ayons recommandé que l'on modifie notre loi avant d'ajouter notre organisme par le truchement du projet de loi C-2.
Je ne suis pas sûr que l'argument de M. Kingsley soit que les modifications au droit d'accès doivent être apportées par le truchement des lois particulières. Toutefois, je peux dire que nous avons souvent proposé au cours des années aux agents du parlement de nous montrer quels documents précis méritent à leur avis une protection supplémentaire à celle qui est offerte par la Loi sur l'accès à l'information. Je crois comprendre que le souci de M. Kingsley concerne des choses telles que les listes d'électeurs et les documents d'élections qui sont définis dans la loi. Les informations personnelles sont déjà protégées en vertu de la loi actuelle. Donc, toute information personnalisée est protégée. Toutefois, le processus électoral serait plus transparent. Souvenons-nous de ce qui est arrivé en Floride lors de l'élection de George Bush contre Al Gore. Des groupes d'intérêt public ont demandé à avoir accès aux bulletins de vote en invoquant leur propre législation sur l'accès à l'information. Ils ont recompté les voix eux-mêmes. La même chose pourrait se produire au Canada, bien qu'elle soit difficile à envisager avec des frais de reproduction de 20 cents par page, sans compter les frais de recherche et de préparation.
Il existe une protection pour les documents électoraux qui ne sont pas personnalisés. Leur divulgation serait obligatoire à moins qu'on puisse démontrer un risque de préjudice au processus au moment des élections, par exemple. Je m'en remets à M. Kingsley pour sa connaissance de sa loi.
C'est quelqu'un que je respecte beaucoup mais, en ce qui concerne sa préoccupation au sujet de la transparence, nous n'avons tout simplement vu aucune preuve qu'il détienne des documents sensibles qui ne pourraient pas être protégés grâce à la loi.
Le sénateur Day : A-t-on besoin de la Loi sur l'accès à l'information quand on a déjà une loi concernant la divulgation des renseignements reliés aux élections?
M. Leadbeater : Je pense qu'il est dit dans la loi actuelle que tous ces documents électoraux doivent rester secrets sauf sur ordre d'un tribunal. Ceci aura priorité sur cela. Nous n'aurions jamais pu assurer la transparence du gouvernement si toutes les dispositions de transparence avaient dû être prises en modifiant des lois individuelles. Notre position en matière de transparence gouvernementale est que l'on définit dans la Loi sur l'accès à l'information les catégories de préjudice qui nous préoccupent — il y en a 13, dont la sécurité nationale, les renseignements personnels et le secret commercial — et que l'on dit ensuite aux autres organismes que cette loi est prioritaire et qu'ils sont tenus de la respecter, quelles que soient les dispositions de leur loi organique et ses règles de confidentialité.
Je sais que cela change les choses pour les organismes mais c'est ce que nous voulons. Nous voulons plus de transparence. Cela semble en tout cas être le but du projet de loi C-2.
Le sénateur Day : Divers groupes et organismes ont été ajoutés à la liste, comme la Fondation pour l'innovation et la Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable. Ces deux Fondations reçoivent de clients ou partenaires potentiels des informations qui sont extrêmement sensibles sur le plan technologique ou commercial. Je suis sûr que toutes ces informations sont extrêmement sensibles et, si elles faisaient l'objet d'une demande d'accès, pourraient causer un préjudice aux clients ayant demandé l'aide ou l'appui du gouvernement.
Pourquoi dites-vous donc qu'une exemption générale ne serait pas justifiée dans un cas comme celui-là et qu'on devrait plutôt appliquer le critère de préjudice quand on sait parfaitement que, dans chaque cas, le résultat du critère sera qu'il ne faut pas divulguer ces informations?
M. Leadbeater : C'est ça la clé : vous ne pouvez pas dire « dans chaque cas ». Si le document est vieux de 100 ans, pouvez-vous vraiment prétendre que la divulgation d'un contrat entre cette institution et ce fournisseur, avec son montant, causera un préjudice? Peut-on dire qu'il est déjà public si l'une des parties a annoncé dans un communiqué de presse qu'elle a obtenu un contrat ou l'aide d'Exportation et développement Canada mais que l'organisme dit quant à lui : « Désolé, je n'ai pas le droit de vous le communiquer »?
Le sénateur Day : On pourrait fixer une limite de temps.
M. Leadbeater : Le temps est un facteur mais il y en a bien d'autres. C'est ça, un critère de préjudice. Ça signifie qu'on se penche sur toutes les circonstances, l'une d'entre elles étant le passage du temps. Je comprends bien que les organismes tremblent à l'idée que leurs anciennes méthodes seront assujetties à la rigueur d'un critère mais n'est-ce pas là ce que nous voulons quand nous parlons d'imputabilité?
Le sénateur Day : En ma qualité d'inventeur et de nouveau chef d'entreprise, je tremble à l'idée que mes concurrents pourront obtenir toutes les informations commerciales en payant cinq dollars et arriver avant moi sur le marché sans que je puisse obtenir le brevet que j'aurais pu normalement obtenir.
M. Leadbeater : Déposez immédiatement votre brevet.
Le sénateur Day : C'est ce que je fais. Je ne veux pas aller dans les détails techniques mais, une fois que l'information est rendue publique, par quelque moyen que ce soit, on perd le droit de demander un brevet.
M. Leadbeater : Vous pouvez appliquer un critère de préjudice. La crainte que des informations sensibles soient divulguées n'est pas justifiée car il faudra clairement passer par le critère de préjudice. Ça fait 23 ans que nous fonctionnons avec cette loi. Le gouvernement du Canada détient des quantités énormes d'informations commerciales privilégiées et sensibles, comme les informations d'EACL que détiennent les organismes de réglementation, le ministère des Affaires étrangères quand il traite avec les acheteurs de réacteurs à l'étranger, et cetera. Ces informations sont sujettes au droit d'accès puisque le gouvernement les détient mais il y a une protection. Je ne sache pas qu'aucun de ces organismes soit venu vous voir ou soit allé devant l'autre comité pour dire : « Au fait, des choses importantes ont été divulguées qui ne devaient pas l'être ». Je ne pense pas que quiconque vous ait dit ça.
Je dis simplement que personne ne conteste que les informations sensibles doivent être protégées, notre désaccord vient du fait que nous soutenons que vous ne pouvez pas décider à l'avance que telle ou telle information doit rester secrète.
Le président : Je dois dire aux honorables sénateurs que nos prochains témoins, qui sont déjà ici, sont des représentants de Technologies du développement durable Canada, Exportation et développement Canada et l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public. Je ne serais pas surpris que certaines des questions suscitées par les interventions du sénateur Day soient reprises par nos prochains témoins.
Je précise aux témoins que nous avons pris un peu de retard à cause d'un rappel au règlement en début de séance. Soyez patients.
Le sénateur Comeau : Je n'ai que quelques questions supplémentaires à poser. La première est une demande d'éclaircissement. En réponse à une question du sénateur Cochrane au sujet de la SRC, je crois vous avoir entendu dire que les informations sensibles ou les sources d'information de la SRC seraient traitées exactement de la même manière que celles de n'importe quel autre organisme.
M. Leadbeater : Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire car les organismes privés ne sont pas touchés par la loi. Je disais simplement que la SRC serait obligée de refuser de divulguer ses sources parce qu'il y a une exemption obligatoire touchant les informations personnelles.
Le sénateur Comeau : Je lisais l'autre jour les témoignages recueillis ici au printemps dans l'autre Chambre. John Reid disait que la Loi sur l'accès à l'information s'applique uniquement aux gouvernements, et c'est aussi ce que vous dites. Elle ne s'applique pas au secteur privé. La question que Tom Lukiwski, de l'autre Chambre, avait posée à M. Reid le 18 mai 2006 était la suivante :
Donc, le Ottawa Citizen ne serait pas obligé de divulguer des informations sur le fait qu'il y a eu une fuite.
John Reid a répondu ceci :
C'est exact mais, s'il s'était agi de la SRC, cela aurait été différent car la SRC est une société d'État.
Donc, dans ce cas, la SRC serait obligée de divulguer l'information, ce que je ne comprends pas vraiment.
M. Leadbeater : Je pense que le commissaire disait que la raison pour laquelle la SRC serait sujette à la Loi sur l'accès à l'information alors qu'un radiodiffuseur privé ne le serait pas est que la SRC reçoit des deniers publics.
La deuxième question est la suivante : une fois qu'elle est sujette à la loi, peut-elle protéger les informations sensibles? Ce qu'a dit le commissaire, et ce que je vous dis aujourd'hui, c'est qu'elle le peut, et nous appuyons l'idée de créer une exemption spéciale dans son cas pour protéger ses activités de programmation et d'information publique, ce qui inclut la protection de ses sources. Toutefois, mon argument est simplement que ses sources peuvent de toute façon être protégées même sans exemption spéciale.
Le sénateur Comeau : Au sujet de la Loi sur l'accès à l'information, vous avez dit dans vos remarques liminaires que vous souhaitiez préciser que les dossiers conservés dans les cabinets des ministres seraient assujettis au droit d'accès. Si je reçois une lettre d'un électeur, personnelle ou non, et que je la communique à un ministre, sera-t-elle sujette au droit d'accès?
M. Leadbeater : Nous pensons que la loi actuelle s'applique aux documents des cabinets ministériels concernant les affaires du ministère mais pas aux documents politiques ou personnels du ministre. Si un électeur écrit au sujet d'une question ministérielle et que vous transmettez la lettre au ministre, elle sera sujette au droit d'accès car ce droit s'applique à ce que les gens disent au ministre sur cette question et elle pourra donc être divulguée, sans informations personnelles d'identification. L'obligation de protéger l'identité de l'électeur existe toujours mais la teneur de la lettre pourra être divulguée si elle concerne les activités du ministère.
Le sénateur Comeau : Si un électeur m'écrit pour réclamer une prolongation du quai de ma communauté, sa lettre pourra être divulguée au nom de la Loi sur l'accès à l'information mais après avoir dissimulé mon nom. C'est ça?
M. Leadbeater : Oui, n'importe qui pourra savoir que le ministre a reçu une lettre demandant que le quai de votre communauté soit prolongé.
Le sénateur Comeau : Mais les gens qui habitent dans ce coin-là risquent de ne pas être très contents.
M. Leadbeater : C'est peut-être eux qui auront formulé la demande.
Le sénateur Comeau : C'est mon quai.
M. Leadbeater : Ils voudront peut-être savoir qui a l'oreille du ministre.
Le sénateur Comeau : Exactement. Merci.
Le sénateur Milne : Croyez-vous que les tribunaux invalideront les parties de la loi dont nous discutons parce qu'elles sont trop restrictives? Dans un pays démocratique, pensez-vous que les tribunaux invalideront de telles dispositions sur le secret de l'information?
M. Leadbeater : Non. Nous ne pensons pas que ces dispositions puissent être invalidées au titre de la Charte. Il s'agit simplement d'une mauvaise politique.
Le sénateur Milne : Supposez qu'un employé d'un ministre ou un employé du CPM veuille savoir qui a déposé une demande d'information. Y aurait-il là un conflit avec la Loi sur l'accès à l'information actuelle? Y aurait-il encore un conflit après l'adoption des modifications proposées?
M. Leadbeater : Il n'y aurait aucun conflit avec les dispositions actuelles de la Loi sur l'accès à l'information ou avec celles du projet de loi C-2 mais il y en aurait un avec les dispositions actuelles de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Le sénateur Milne : Autrement dit, ces modifications apportées à la Loi sur la protection des renseignements personnels ne protégeraient plus les personnes formulant une demande d'information?
M. Leadbeater : Non, le nom des personnes formulant des demandes resterait protégé, aussi bien au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels que de la Loi sur l'accès à l'information; ce principe ne serait pas touché par le projet de loi C-2. Je ne voudrais certainement pas donner l'impression erronée que les noms des demandeurs d'informations risqueraient d'être divulgués à cause de ce projet de loi. Pas du tout. Un sénateur a demandé tout à l'heure si cette protection subsisterait. Oui, absolument.
Le sénateur Milne : Merci.
Le président : Votre témoignage était très utile, monsieur Leadbeater. Au nom du comité, je tiens à vous remercier beaucoup de votre clarté, de votre franchise et de votre aide. Vous avez été un témoin suprêmement important car les parties du projet de loi C-2 qui touchent votre Bureau avaient besoin d'être éclaircies, et c'est ce que vous avez fait. Merci à nouveau au nom de tous les membres du comité.
Je crois comprendre que nos prochains témoins seront des représentants d'Exportation et développement Canada, suivis de Technologies du développement durable Canada. Nous allons d'abord entendre vos déclarations, après quoi nous passerons aux questions.
[Français]
Eric Siegel, chef de l'exploitation, Exportation et développement Canada : Honorables sénateurs, merci de m'avoir invité à prendre part aux audiences de votre comité aujourd'hui.
[Traduction]
Exportation et développement Canada a demandé à comparaître devant le comité pour dire aux sénateurs que l'approche adoptée dans le projet de loi C-2 au sujet de la Loi sur l'accès à l'information est à notre avis une approche équilibrée, reflétant les préoccupations exprimées par EDC. C'est selon nous une approche réaliste assurant un juste équilibre entre la reddition de comptes au public et les réalités commerciales de nos activités.
EDC s'efforce déjà de divulguer au public des informations sur ses activités. Avec le projet de loi C-2 sous sa forme actuelle, nous pensons pouvoir appuyer les modifications proposées à la loi car elles représentent une évolution importante de notre régime de divulgation.
La divulgation publique est déjà une réalité quotidienne à Exportation et développement Canada. Comme vous le savez, EDC s'est dotée d'une politique de divulgation publique en 2001. Après de larges consultations publiques, nous l'avons révisée et renforcée en 2005 pour tenir compte de divers développement et pour y intégrer les meilleures pratiques internationales en la matière.
EDC fonctionne déjà dans un régime exhaustif de divulgation fondé sur des processus volontaires et sur les vérifications annuelles et ponctuelles effectuées par le vérificateur général du Canada.
Le régime d'imputabilité publique d'EDC doit toujours être fondé sur un juste équilibre entre la divulgation de renseignements et la nécessité de protéger les informations commerciales sensibles dont nous avons besoin pour nous acquitter de notre mandat. Nous croyons que le projet de loi C-2 nous permettra de préserver cet équilibre difficile.
En particulier, avec le projet de loi C-2, la divulgation des dossiers concernant l'administration générale de la Société sera en fait élargie par rapport au régime actuel d'EDC. En même temps, toutefois, le nouvel article 18.1 de la Loi sur l'accès à l'information entérinera la nécessité pour EDC de protéger ses documents concernant des secrets commerciaux et des informations financières, commerciales, scientifiques et techniques.
Permettez-moi de vous donner un exemple. À titre d'assureur important des créances d'exportateurs canadiens de toutes tailles, Exportation et développement Canada a mis au point ses propres systèmes d'évaluation et de cotation des risques de crédit de milliers d'acheteurs internationaux. Ces systèmes sont le moteur dont dépendent les exportateurs pour obtenir des décisions opportunes d'EDC et que nous utilisons pour gérer des milliards de dollars d'exposition aux risques. Ils font partie intégrante de notre arsenal compétitif et, en fin de compte, de celui des exportateurs canadiens. Si ce système, avec ses processus et les informations utilisées pour analyser le risque, n'était pas protégé, EDC aurait immédiatement du mal à continuer ses activités.
De même, l'article 24 donnera aux entreprises canadiennes et à leurs acheteurs et intermédiaires étrangers l'assurance que les informations commerciales confidentielles qu'ils sont tenus de communiquer à Exportation et développement Canada pour obtenir notre appui seront protégées.
En fin de compte, monsieur le président, le maintien de l'équilibre instauré par le projet de loi C-2 est essentiel pour permettre à Exportation et développement Canada de continuer à faire son travail pour les exportateurs et investisseurs canadiens. Le mandat d'EDC est d'appuyer et de développer le commerce international du Canada.
L'an dernier, EDC a facilité pour plus de 57 milliards de dollars de contrats étrangers pour environ 7 000 entreprises canadiennes dont plus de 90 p. 100 étaient des PME. En outre, plus de 60 p. 100 des activités d'EDC sont réalisées en partenariat avec les établissements financiers canadiens ou internationaux. Le résultat est que l'appui dispensé par EDC a engendré quelque 37 milliards de dollars de PIB canadien représentant plus de 450 000 emplois et ce, sans affectations budgétaires du gouvernement. De fait, la Société réalise des profits depuis sa création.
Les clients d'EDC, de tout le pays et de toutes tailles, nous ont dit qu'ils ne pourraient pas travailler avec nous si les informations qu'ils nous confient n'étaient pas protégées. Bien qu'il élargisse sensiblement l'accès public à l'information concernant les questions d'administration générale, le projet de loi C-2 assure la protection essentielle des informations commerciales confidentielles et Exportation et développement Canada travaille actuellement avec diligence pour adapter ses procédures afin d'en respecter complètement les dispositions une fois qu'il aura été adopté.
[Français]
Nous espérons que par ses décisions, le comité permettra à EDC de continuer d'agir dans le meilleur intérêt des entreprises canadiennes et de l'économie canadienne dans son ensemble.
[Traduction]
Merci à nouveau, monsieur le président, de nous avoir donné l'occasion d'exprimer notre opinion et c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, M. Siegel. Nous passerons à la période des questions après avoir entendu les autres témoins.
Vicky Sharpe, présidente-directrice générale, Technologies du développement durable Canada : Monsieur le président, je remercie le comité de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Je voudrais commencer en disant que nous appuyons l'objectif général du projet de loi C-2. Toutefois, nous sollicitons votre appui et votre aide sur plusieurs questions risquant d'entraver considérablement la possibilité pour Technologies du développement durable Canada d'exercer ses fonctions.
Notre organisme a été créé par le gouvernement du Canada pour faciliter la mise en marché des technologies créant des solutions de réduction de la pollution atmosphérique et des gaz à effet de serre, ainsi que l'épuration des eaux et des sols. Ces technologies, une fois adoptées, contribueront à renforcer l'économie du Canada tout en réduisant notre empreinte environnementale.
Nous effectuons cela en dé-risquant les technologies à une étape très cruciale de leur financement et de leur capacité dans la chaîne de l'innovation au Canada. Si vous examinez le diagramme concernant les écarts de financement, vous constaterez qu'il y a beaucoup d'argent à l'étape de la recherche, quand on étudie les concepts. De même, à l'étape de la commercialisation, on trouve l'industrie, car le secteur privé investit dans la mise en marché des technologies.
Par contre, le Canada n'a pas connu autant de succès que certains de ses voisins en ce qui concerne le développement de bonnes idées, leur démonstration et leur mise en marché. C'est à cette étape de pré-commercialisation qu'intervient Technologies du développement durable Canada. Sans son aide, le Canada ne transformerait pas les bonnes idées en profit, lequel est ensuite réinvesti dans la chaîne d'innovation. Ceci est crucial non seulement pour les technologies propres ou de développement durable mais aussi pour tout le fonctionnement de l'innovation au Canada.
Nous travaillons également d'une autre manière très importante. Nous sommes axés sur l'extérieur et nous travaillons avec l'industrie. Nous exerçons un effet de levier considérable avec les deniers publics puisque deux et demi à trois fois plus d'argent vient du secteur privé. Quand nous réalisons un projet pour dé-risquer une technologie, une somme considérable, représentant près de trois fois ce que nous avons investi, doit venir du secteur privé pour que le projet soit réalisé.
Cet effet de levier s'explique par le fait que l'industrie a intérêt à ce que la solution fonctionne, et l'industrie aura aussi quelque chose qui est privé et confidentiel. Je fais simplement allusion au problème et j'y reviendrai en détail plus tard.
Nous sommes un élément important de la chaîne de l'innovation. Nous travaillons avec quelque 2 900 entreprises du Canada et 90 p. 100 des bénéficiaires de notre financement sont des PME. Nous possédons une base de données confidentielles contenant des informations sur les PME, sur leur propriété intellectuelle et sur l'analyse de leurs concurrents, ce dont elles ont besoin pour être compétitives à l'échelle mondiale.
Les PME nous ont demandé environ 2,5 milliards de dollars d'appui au cours des années. Nous n'avons évidemment pas distribué autant d'argent mais vous pouvez voir le potentiel de succès futur pour le Canada dans le secteur des technologies propres à une époque où le monde entier cherche des technologies et des entreprises plus sensibles à l'environnement.
Comme vous pouvez le voir à la page 4, le portefeuille d'investissement montre que nous avons pu attirer quelque 1 200 demandes de tout le Canada et que nous avons investi de l'argent dans 97 projets dans tout le pays et dans un territoire. Ces demandes reflètent les paramètres démographiques des institutions de tout le pays, ce qui reflète une très bonne représentation.
La page 5 montre que notre portefeuille contient des solutions technologiques correspondant à tous les secteurs primaires de notre économie. Il est clair que l'industrie estime qu'il y a une valeur potentielle dans les solutions technologiques, sinon elle n'y mettrait pas d'argent. Je parle ici de la prospection énergétique, du secteur du pétrole et du gaz naturel, de la production d'électricité, de toutes les manières dont nous utilisons l'énergie, aussi bien dans les secteurs commerciaux que résidentiel, et je parle aussi des transports, de l'agriculture, des forêts, avec tous les produits dérivés, et de la gestion des déchets. Il y a là un ensemble exhaustif de solutions que nous plaçons devant vous.
La page 6 contient des informations sur notre structure de gouvernance et de responsabilisation. Qu'il suffise de dire que nous avons un merveilleux conseil d'administration de 15 membres qui sont non seulement des représentants des différentes géographies du pays mais sont aussi des chefs de file dans leurs domaines d'activité respectifs. Ils sont capables d'offrir un soutien et une supervision exemplaires à Technologies du développement durable Canada.
Ceci représente le mécanisme avec lequel nous fonctionnons mais nous rendons des comptes au Parlement par le truchement du ministre des Ressources naturelles, bien que les ministères qui nous donnent de l'argent soient Environnement Canada et Ressources naturelles Canada. Nous travaillons avec eux de manière quotidienne. Il y a là une vaste couverture.
À la page 7, vous trouverez des informations sur notre processus de financement. Il s'agit d'une approche en quatre étapes délibérément conçues pour assurer l'objectivité et éliminer toute occasion d'influence. TDDC n'intervient dans les décisions qu'à la première barrière. Nous utilisons des experts du marché et des secteurs technologiques à la deuxième barrière. La troisième barrière représente les comités d'examen des investissements et des projets dirigés par des chefs de file du secteur du capital-risque qui nous guident sur les bonnes démarches et sur les projets ayant un potentiel de succès commercial. Finalement, le conseil d'administration se situe à la quatrième barrière.
Nous estimons assurer un degré élevé d'imputabilité. Nous sommes l'une des dernières Fondations à avoir été créées et, de ce fait, bon nombre des problèmes qui avaient été perçus au début en matière d'imputabilité ont été réglés, et toutes les dispositions concernant la supervision, l'évaluation et la vérification ont été placées dans notre entente de financement.
En 2005, nous avons fait l'objet d'une vérification de conformité qui a connu beaucoup de succès. On a dit qu'il n'y avait aucune preuve que TDDC ne respectait pas les 98 clauses de son entente de financement ayant fait l'objet d'une vérification. On a dit aussi que nous faisions bien notre travail. Étant donné que notre création était encore récente, nous avons conclu que c'était un rapport remarquable de vérification de conformité.
Nous sommes la première Fondation à avoir fait l'objet d'une vérification du commissaire à l'environnement et au développement durable, du bureau du vérificateur général du Canada. Le rapport sera déposé devant le Parlement dans une semaine environ. Évidemment, je ne peux pas en parler en détail mais je peux dire qu'il est très positif en ce qui concerne le travail de TDDC.
Nous venons aussi de terminer une évaluation intérimaire. Encore une fois, on a constaté un bon travail. Vous pouvez en trouver les détails à la page 8.
Notre Fondation est bien différente des autres. Nous n'œuvrons pas dans le secteur de la recherche mais dans celui de la mise au point et de la démonstration des technologies émergentes.
Le projet de loi C-2 aura une incidence cruciale pour nous. Nous croyons qu'une de ses conséquences imprévues est que certaines Fondations ont été placées dans son orbite parce qu'elles ont un lien législatif. Toutefois, nous avons constaté que certaines Fondations qui n'avaient pas été créées au moyen d'une loi sont touchées par le projet de loi, alors que d'autres qui l'avaient été le sont aussi. On nous a dit que cela s'explique peut-être par la taille de l'organisation et l'ampleur de son financement mais certaines organisations recevant plus de fonds que nous ne sont pas touchées par le projet de loi C-2.
Nous pensons être plus proches d'Exportation et développement Canada et de la Banque de développement du Canada du point de vue de notre modus operandi, parce que notre capacité centrale de fonctionnement dépend de la manière dont nous traitons les informations confidentielles de tierces parties. Le projet de loi montre que l'on a accepté dans une certaine mesure que ces organisations fassent l'objet d'un traitement spécial et nous demandons la même chose.
En ce qui concerne l'objectif global du projet de loi, nous sommes prêts à donner plus d'informations sur nos activités. Par contre, nous demandons des exemptions explicites.
Nous ne pourrons pas exercer notre diligence nécessaire si nous n'avons pas d'informations confidentielles et détaillées à soumettre à l'analyse de nos experts. Quelque 90 p. 100 des organisations avec qui nous travaillons sont des PME. Elles craignent que nous n'ayons plus la possibilité de protéger leurs informations. De ce fait, elles risquent de ne plus être aussi nombreuses à s'adresser à nous. Nous nous attendons à une réduction du nombre de demandes adressées à TDDC et à une réduction de la qualité des informations, ce qui influera sur notre aptitude à prendre des décisions objectives. Je mentionnerai tout à l'heure quelques lettres que nous avons reçues de candidats à ce sujet.
J'ai parlé de l'effet de levier. Le secteur privé n'investit qu'en fonction des possibilités de profit à l'avenir, et cette information doit rester confidentielle. Depuis notre création, nous avons adopté des approches de confidentialité et tout un mécanisme à ce sujet. Nous y étions d'ailleurs tenus de par notre entente de financement. Depuis le début, nous avons pu donner la garantie qu'aucune information confidentielle ne serait divulguée.
Ce qui nous inquiète dans la situation actuelle, c'est que nous ne pourrons plus donner cette garantie. Certes, nous savons qu'il y a des mesures de protection dans le projet de loi mais le fardeau sera déplacé de la personne qui demande les renseignements à la personne qui les fournit. Autrement dit, ce seront désormais TDDC et ses candidats qui devront démontrer le préjudice.
Il s'agit là d'un fardeau lourd pour nos candidats. De plus, nous travaillons avec innovation à une étape où sa valeur future n'est pas certaine. Ce sera une chose très difficile à prouver. Nous avons des situations concernant des secrets commerciaux qui deviennent des informations brevetables dans le cadre du projet réalisé. Des candidats ont exprimé cette vive préoccupation.
Je dois mentionner aussi que nous partageons souvent des informations avec le secteur privé, avec l'approbation des candidats. Certains de nos projets ont été examinés par la BDC. Il serait particulièrement étrange que nous n'obtenions pas d'exemption alors que la BDC en bénéficie. Cela provoquerait une discontinuité dans la protection de cette information à mesure qu'elle circule dans la chaîne de l'innovation.
Nous demandons respectueusement au comité qu'on nous accorde pour nos informations confidentielles une exemption particulière similaire à celle de la BDC et d'EDC. On a reconnu dans la loi que nous ne pouvons pas nous acquitter de notre mandat si nous ne pouvons pas donner une garantie de confidentialité. Les extensions particulières dont bénéficient les deux organismes susmentionnés leur donnent cette garantie. Ils ne dépendent pas uniquement de l'article 20 proposé dans le projet de loi.
La deuxième exemption que nous demandons est destinée à protéger les méthodes qui nous appartiennent et les noms des experts auxquels nous faisons appel. Comme vous pouvez l'imaginer, il est important pour nous d'obtenir des analyses franches et objectives de nos experts. Dès qu'on saura qui ils sont, ils risqueront de faire l'objet de pressions. Si notre méthode d'évaluation et de cotation des projets, qui est similaire au processus utilisé dans le secteur du capital- risque, est explicitement révélée, les candidats pourront en prendre connaissance et adapter leurs demandes en conséquence, ce qui ne serait pas une bonne chose. En outre, nous avons élaboré un modèle qui nous permet d'expliquer pourquoi nous mettons l'accent sur les technologies. Les résultats de ce modèle sont largement connus au Canada mais la méthodologie d'analyse sur laquelle il repose nous appartient en propre. Comme nous l'indiquons à la page 14 de notre mémoire, nous avons demandé que nos méthodologies particulières et nos examens d'experts soient exemptés.
J'aimerais maintenant citer des extraits d'une lettre exprimant mieux que je ne pourrais le faire les préoccupations de nos candidats. Il s'agit d'une lettre du cabinet de droit représentant M. Rob Bryden de Plasco Energy Group qui gère un projet de gestion de déchets que nous avons financé. Voici l'extrait :
Par conséquent, il semble qu'en donnant des informations à Technologies du développement durable Canada (TDDC), les informations confidentielles de Plasco risquent de ne pas être protégées en vertu des dispositions applicables aux organismes énumérés avec Exportation et développement Canada. Sans cette protection, Plasco placerait ses informations scientifiques ou techniques confidentielles dans le domaine public et risquerait de détruire des droits importants de propriété intellectuelle, notamment des droits de brevets.
Et plus loin :
Si le projet de loi C-2 avait été adopté avant que Plasco ne présente sa demande à TDDC, nous vous aurions conseillé de reporter à plus tard votre collaboration avec TDDC et de ne pas communiquer d'informations privilégiées sur la propriété intellectuelle qui pourraient constituer un obstacle à une demande future de brevet [...]
L'effet des modifications proposées, si elles sont rétroactives, pourrait être de créer des risques semblables. Nous recommandons à Plasco de revoir immédiatement toutes les informations communiquées à TDDC et de demander la protection de brevet pour toute information divulguée qui aurait pu ne pas être incluse dans ses demandes antérieures de brevets.
Le président : Puis-je vous demander de remettre ces lettres au greffier, pour qu'elles fassent partie de notre procès- verbal?
Mme Sharpe : Je serais ravie d'avoir cette possibilité.
Nous pouvons aussi vous en fournir d'autres. Toutes expriment les inquiétudes d'entreprises qui ont consacré beaucoup d'efforts à mettre au point des technologies et des activités commerciales qu'elles estiment être maintenant en danger. Vous pouvez comprendre que cela aura des conséquences sur l'aptitude de Technologies du développement durable Canada à faire son travail. Nous pensons que l'on n'apportera rien de plus à notre transparence ou à notre responsabilisation en dévoilant des secrets de tierces parties. Par conséquent, nous pensons que l'exemption n'irait pas à l'encontre de l'objectif fondamental du projet de loi C-2 et nous nous vous demandons respectueusement d'appuyer notre demande de deux exemptions.
Paul Cantor, président, Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public : Merci, monsieur le président. Je suis accompagné par Gordon Fyfe, président-directeur général de l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public. Vous voyez que notre loi organique prévoit déjà la séparation des fonctions de président du conseil et de président-directeur général.
La première partie de ma déclaration portera sur d'autres questions touchant le projet de loi C-2 et la deuxième, sur l'accès à l'information. Notre position générale est que l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public, que nous appelons Investissements PSP, appuie le projet de loi C-2 tel qu'il a été rédigé et présenté au comité.
Investissements PSP est une société d'État qui a été créée pour gérer les cotisations de retraite des employeurs et des employés de la fonction publique fédérale, de la GRC et des Forces armées. Nous plaçons ces cotisations mais ce n'est pas nous qui en assurons l'administration.
À l'heure actuelle, les cotisations s'élèvent à 4 milliards de dollars par an. L'actif total des régimes atteint environ 30 milliards de dollars et, si la pratique actuelle est maintenue, nous nous attendons à ce que la somme atteigne environ 100 milliards de dollars au cours des 10 à 15 prochaines années. Notre rôle est d'assurer le meilleur rendement possible de cette somme sans encourir de risques excessifs.
La manière dont notre conseil d'administration est choisi nous donne déjà un avantage du point de vue du respect de l'esprit du projet de loi concernant la nomination des administrateurs selon la compétence, la transparence, l'accessibilité et l'indépendance par rapport à l'influence politique. Toutefois, au lieu de confier la nomination de nos administrateurs à un comité de gouvernance composé de membres du conseil d'administration, notre loi nous oblige à constituer un comité des candidatures séparé du conseil et présidé par un membre de la communauté qui est lui aussi indépendant du conseil. Les autres membres du comité des candidatures sont des représentants des employeurs et des employés qui sont nommés par le ministre. Le rôle du comité indépendant des candidatures est de classer les candidats et d'adresser des recommandations aux ministres.
En vertu de notre loi, le comité des candidatures doit proposer des candidats de façon à doter le conseil d'un nombre suffisant d'administrateurs ayant des compétences financières prouvées et une expérience professionnelle pertinente, pour lui permettre d'atteindre ses objectifs. Le comité cherche donc des administrateurs qui non seulement sauront quand agir, parce qu'ils ont l'expertise nécessaire, mais auront aussi la volonté d'agir, grâce a leur expérience en affaires, dans les cas où c'est nécessaire. Savoir quand agir sans avoir la volonté d'agir serait aussi inutile qu'avoir la volonté d'agir sans savoir quand le faire.
Dès sa création, Investissements PSP s'est dotée d'un processus officiel pour évaluer l'efficacité du conseil et pour conseiller le comité des candidatures sur les domaines d'expertise complémentaires à prendre en considération pour permettre au conseil de s'acquitter le plus efficacement possible de son mandat. De plus, nous avons mis sur pied il y a plusieurs années un processus dans lequel le rendement personnel du président du conseil est évalué par les autres administrateurs et, l'an dernier...
Le président : Veuillez m'excuser, monsieur Cantor, mais qu'est-ce que cela a à voir avec le projet de loi C-2?
M. Cantor : J'y arrive. Je dis dans la phrase suivante qu'il y a une question de renouvellement des membres du conseil, d'une part, pour assurer son succès. Et il y a aussi, d'autre part, une question de continuité du conseil pour assurer que celui-ci comprend bien ce qui se passe. En vertu du projet de loi C-2, le mandat des administrateurs passera de trois ans à quatre ans, ce qui nous donne un élément très important de continuité associé aux nominations d'administrateurs. En revanche, le comité des candidatures aura le devoir de produire d'excellents candidats pour s'acquitter de cet engagement de quatre ans.
Par souci de brièveté, monsieur le président, je laisse de côté les passages de mon mémoire concernant les conflits d'intérêts et la gouvernance en invitant les sénateurs à nous poser des questions à ce sujet s'ils le souhaitent. Je passe immédiatement à l'accès à l'information.
À titre de société d'État, nous acceptons pleinement la responsabilité qui nous incombe de fournir autant d'informations que possible aux Canadiens. Pour le moment, nous ne sommes pas assujettis à la Loi sur l'accès à l'information. À la suite de ce projet de loi C-2, nous le serons. En conséquence, toute exemption que nous demandons est marginale à l'information qui sera désormais divulguée par l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public du fait de son assujettissement à la loi. Nous approuvons cette initiative. En réponse, nous avons procédé à une analyse des lignes directrices de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario afin de nous assurer que notre divulgation répond à cette norme.
Par ailleurs, nous produisons actuellement des états financiers trimestriels que nous adressons à nos ministres et nous serons en mesure de respecter les exigences du projet de loi S-217, le projet de loi du Sénat, à cet égard.
Cela dit, l'article 147 du projet de loi nous donnera la possibilité de préserver le caractère confidentiel de nos stratégies de placement et de leur mise en œuvre. De même, la gestion des informations confidentielles qui nous sont communiquées par nos partenaires d'investissement nous oblige à souligner l'importance de la protection prévue par l'article 148 du projet de loi.
Pour bien s'acquitter de son mandat, Investissements PSP ne dépend plus exclusivement, depuis déjà quelques années, des titres cotés en bourse. Une part croissante de nos investissements est maintenant consacrée à l'immobilier, aux placements privés et à l'infrastructure.
Pour les gestionnaires de ces placements privés, nous sommes des investisseurs attrayants car nous pouvons investir pendant au moins 15 ans avant que nos sorties de fonds de retraite commencent à être égales à nos rentrées de fonds provenant des cotisations et des placements. Voilà la phrase clé. Toutefois, dans le monde actuel, les meilleurs placements privés sont extrêmement recherchés. Les partenaires responsables de l'investissement dans des placements privés du monde entier exigent de la confidentialité au sujet de leurs activités. Si Investissements PSP ne peut pas leur garantir cette confidentialité, nous n'aurons pas accès à ces placements.
Cela peut être démontré. Les fonds de placement publics des États-Unis qui ont dû fonctionner avec des dispositions de confidentialité similaires à celles proposées dans le projet de loi C-2 ont été obligés de quitter le secteur des fonds les plus performants. Je tiens à être clair : le problème du critère de préjudice ne se posera jamais dans notre cas car nous n'aurons jamais accès aux placements privés que nous souhaiterions effectuer.
Nous vous avons remis un graphique de Venture Economics qui démontre que, si Investissements PSP ne peut plus avoir accès aux fonds obtenant les meilleurs rendements, nous pouvons nous attendre à gagner 10 p. 100 de moins chaque année avec nos placements dans des fonds privés. Sur ce graphique, les barres rouges reflètent les taux de rendement moyens de tous les fonds, les meilleurs compris. Les barres bleues reflètent les taux de rendement des meilleurs seulement. Si nous ne pouvons pas avoir accès à ces meilleurs, nous n'aurons aucune possibilité sérieuse d'être dans les barres bleues. Nous serons confinés dans les barres rouges.
Je vais accélérer en vous disant, monsieur le président, que, comme Investissements PSP affectera en moyenne 5 milliards de dollars à ces fonds au cours des 10 prochaines années, un taux de rendement inférieur de 10 p. 100 représenterait 500 millions de dollars en moins. Plus l'actif d'Investissements PSP grossit, plus grande est la proportion affectée aux fonds de placement privés, aux fonds immobiliers et aux fonds d'infrastructure pour lesquels ce problème se pose.
Durant les audiences du comité des Communes, plusieurs modifications ont été proposées qui, si elles avaient été adoptées, auraient eu pour effet de limiter l'application des dispositions de confidentialité en fonction d'un critère d'intérêt public et auraient limité la confidentialité à une période de 20 ans ou l'auraient restreinte aux questions environnementales. Chacune de ces modifications, si elle était adoptée, aurait entraîné notre exclusion des grands fonds de placement privés et des fonds de placement immobiliers. Comme je l'ai déjà dit, cela nous coûterait 500 millions de dollars par an. Or, tout manque à gagner nous empêchant de satisfaire nos engagements envers la fonction publique, les Forces armées et la GRC devra être compensé ailleurs. Si l'argent ne provient pas des rendements que nous obtenons sur le marché, il devra provenir du gouvernement canadien et de ses employés sous forme de cotisations accrues. Tel est le choix qu'il faut faire. Notre recommandation est de préserver ces dispositions telles qu'elles ont été rédigées de façon à minimiser le risque d'un tel résultat.
Cela met fin à ma déclaration, monsieur le président, et nous répondrons à vos questions.
Le président : Je vous remercie de ces exposés fort intéressants.
Le sénateur Milne : Je m'adresse immédiatement au dernier témoin, M. Cantor, qui vient d'exprimer son appui au projet de loi. Vous avez dit n'avoir aucun problème avec le projet de loi puis, un peu plus loin, en avoir quand même. Les dispositions dont vous venez de parler ont-elles été intégrées au projet de loi par la Chambre des communes ou ont- elles été laissées de côté? J'aimerais savoir quels sont les dispositions précises qui vous causent des problèmes.
M. Cantor : Le projet de loi tel qu'il a été adopté par la Chambre des communes nous est acceptable.
Les dispositions d'exclusion dont ont parlé nos collègues d'EDC figurent dans le projet de loi tel qu'il a été adopté et constituent les exemptions dont nous avons besoin pour faire notre travail.
Le sénateur Milne : Elles sont donc déjà dans le texte et vous conviennent?
M. Cantor : Elles nous conviennent.
Le sénateur Milne : Vous conviennent-elles aussi, M. Siegel?
M. Siegel : Oui, elles nous conviennent.
Le sénateur Milne : Madame Sharpe, vous avez évoqué deux problèmes fondamentaux. Premièrement, vous avez un problème avec le fait qu'EDC a été exemptée des dispositions du projet de loi alors que vous ne l'avez pas été. Vous pensez que vous devriez être traités de la même manière que le groupe de M. Siegel. C'est bien ça?
Mme Sharpe : C'est ça. La BDC, qui fonctionne également dans un mode de capital-risque, a les mêmes exemptions qu'EDC.
Le sénateur Milne : Savez-vous pourquoi on ne vous a pas accordé les mêmes exemptions? Avez-vous été consultés?
Mme Sharpe : Nous n'avons certainement pas été consultés et nous n'avons été mis au courant que deux semaines environ avant l'envoi du projet de loi au comité parlementaire de la Chambre. Nous avons dû réagir avec précipitation.
Nous avons demandé des explications et nous croyons comprendre que c'est une conséquence imprévue du texte. Nous avons été classés dans les Fondations et les rédacteurs du projet de loi ont voulu inclure le plus possible de Fondations. Nous avons donc été inscrits sur la même liste. Quand nous avons demandé des précisions, on nous a dit : « Vous nous ressemblez. Vous avez été créés en vertu d'une loi. » Toutefois, quand nous avons examiné la liste, nous avons constaté que ce critère n'a pas été appliqué de manière uniforme. On nous a alors dit : « C'est peut-être parce que vous avez beaucoup d'argent » mais Génome Canada, qui n'est pas sur la liste, a 600 millions de dollars de deniers publics. Nous n'avons trouvé aucune décision explicite concernant l'inscription de Technologies du développement durable Canada. Nous ne pouvons donc conclure que c'est une conséquence imprévue d'un principe général. Je précise que le concept général du projet de loi concernant nos activités est acceptable.
Le sénateur Milne : Vous n'avez aucun problème sauf en ce qui concerne vos relations avec les petites entreprises. C'est peut-être parce que vous traitez avec des PME qui ont tendance à passer inaperçues alors que Génome Canada arrive avec quelque chose qui est brevetable?
Mme Sharpe : Peut-être mais nous avons actuellement des projets d'une valeur d'un quart de milliard de dollars et seulement 200 millions de dollars environ d'argent du gouvernement. Nous sommes petits par rapport à ces entités et on n'a pas tenu compte de notre cas. Nous fonctionnons en grande mesure comme une entreprise de capital-risque et on ne comprend pas bien notre approche et notre modus operandi. Nous ne comprenons pas pourquoi et nous n'avons obtenu aucune réponse satisfaisante. Évidemment, nous avons cherché des explications.
Le sénateur Milne : Quels conseils donneriez-vous aux sociétés d'État et aux Fondations comme la vôtre en ce qui concerne la mise en œuvre de ce nouveau régime d'accès à l'information? Je crois comprendre que des témoins d'autres Fondations et de sociétés d'État ont exprimé des réserves à la Chambre des communes sur la manière dont ils seront touchés par ce projet de loi.
Mme Sharpe : Les entités dont vous parlez sont très diverses. Il y a des organisations comme la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire dont les informations confidentielles portent toutes sur des particuliers, leurs revenus, et cetera. Ces informations sont tout naturellement protégées par la Loi sur la protection des renseignements personnels et il lui est facile de dire ce qui est confidentiel et ce qui ne l'est pas. Elle n'a pas demandé d'exemption. La Fondation canadienne pour l'innovation n'en a pas demandé non plus parce que ses informations confidentielles concernent des particuliers — et elles sont alors protégées par la Loi sur la protection des renseignements personnels — ou de la recherche. Elle travaille avec des universitaires dont la vie consiste à publier et à divulguer les résultats de leurs travaux.
Nous, nous sommes atypiques. Nous ne sommes pas comme les autres Fondations. Notre mandat est très différent et nous œuvrons dans un milieu commercial. Comme je l'ai dit, nous sommes en amont de la Banque de développement du Canada. Nous avons financé des entreprises qui sont examinées par la BDC parce qu'elles sont plus proches du secteur privé.
Le sénateur Milne : Si je comprends bien, vous essayez de combler l'écart que vous nous avez montré sur l'un de vos graphiques?
Mme Sharpe : Exactement. Il est très important de combler cet écart. Si nous ne le faisons pas, il n'y aura pas de possibilités pour les entités en aval comme la BDC et le secteur privé.
La propriété intellectuelle dont nous nous occupons, à notre étape, ne peut pas être publiée, sa valeur n'est pas connue et elle n'est pas commerciale. Il est très difficile d'en établir la valeur. De ce fait, nous ne pourrons pas démontrer facilement que la divulgation pourrait causer un préjudice. En tout cas, nous ne pourrons pas le faire seuls. Nous serons obligés de retourner voir les gens qui nous ont fourni des informations afin de déterminer avec eux s'ils estiment que leurs informations devraient ou non être divulguées. Cela imposera un fardeau additionnel à des PME qui estiment déjà être obligées d'assumer un fardeau substantiel de diligence raisonnable. Sans compter qu'elles auront bien de la peine à prouver l'existence d'un préjudice.
Selon les avocats de ces entreprises, quand leur travail est présenté à Technologies du développement durable Canada, il ne peut être considéré que comme un secret commercial et il ne pourrait donc pas facilement être exclu en vertu des dispositions actuelles. Une fois que leur travail a été développé et testé dans le cadre d'un projet que nous avons financé, il devient propriété intellectuelle brevetable. Toutefois, il ne peut faire l'objet d'un brevet que s'il est resté en dehors du domaine public.
Je dois dire que travailler avec les entrepreneurs et les petites entreprises de ce pays a été une expérience extraordinaire. Les efforts qu'ils déploient sont étonnants. Ils consacrent toute leur vie à leur entreprise, en allant même souvent jusqu'à hypothéquer leur maison, et ils consacrent un temps incroyable à développer leurs technologies. Il serait injuste de mettre tout cela en danger. En outre, Technologies du développement durable Canada n'est qu'un élément du tableau, si vous voulez. Notre préoccupation fondamentale ne concerne pas TDDC mais toutes ces entreprises.
Le sénateur Milne : Vous m'excuserez si je ne pose de questions qu'à Mme Sharpe mais c'est parce qu'elle a proposé des amendements précis.
Technologies du développement durable Canada est-elle enregistrée comme lobbyiste?
Mme Sharpe : Oui.
Le sénateur Milne : Vous êtes une Fondation du gouvernement, n'est-ce pas? Comment pouvez-vous être les deux?
Mme Sharpe : C'est incohérent, vous avez parfaitement raison, mais nous nous sommes informés et on nous a dit que nous devions nous enregistrer comme lobbyiste.
Nous sommes une Fondation indépendante du gouvernement. Certes, nous adressons des rapports exhaustifs au Parlement, et nous sommes tenus de le faire en vertu de notre entente de financement, mais nous sommes indépendants. Je relève d'un conseil d'administration qui exerce une supervision très sévère et rigoureuse de TDDC. Quatre de nos administrateurs ont obtenu l'Ordre du Canada. Je peux vous assurer qu'ils sont extrêmement minutieux pour veiller à ce que la direction s'acquitte de ses obligations.
Nous avons un modus operandi du secteur privé mais nous sommes à la fois dedans et dehors. Il est incohérent de nous traiter d'une certaine manière dans la loi proposée sur la responsabilisation et de nous obliger par ailleurs à être des lobbyistes, et je vous remercie d'avoir soulevé ce lièvre.
Le sénateur Milne : M. Cantor a beaucoup parlé de son conseil d'administration. Madame Sharpe, avez-vous des administrateurs nommés par le gouverneur en conseil?
Mme Sharpe : Oui. Nous avons sept nominations du gouverneur en conseil et les autres administrateurs sont nommés par notre conseil de membres. Dans un sens, notre conseil de membres est une sorte de succédané des actionnaires.
Notre entente de financement contient des exigences précises. L'article 1520 dispose que toutes les décisions prises par Technologies du développement durable Canada, par le conseil et par les comités du conseil, doivent être prises en indépendance et ne pas donner l'impression qu'elles ont été influencées par le gouvernement. Il est bien précisé dans nos critères de gouvernance que nous devons fonctionner de manière indépendante.
Le sénateur Milne : Quel sera l'effet du projet de loi C-2 sur votre conseil?
Mme Sharpe : Il y a un autre aspect très important dont je ne vous ai pas encore parlé. Si le projet de loi sur la responsabilisation est adopté, les administrateurs nommés par le gouverneur en conseil seront considérés comme des titulaires de charge publique principaux. Actuellement, ce sont simplement des titulaires de charge publique. S'ils deviennent des titulaires de charge publique principaux, ils n'auront pas le droit d'avoir d'autres revenus que ceux provenant de leur fonction d'administrateurs de Technologies du développement durable Canada. C'est une règle en vigueur dans beaucoup d'autres Fondations.
Le sénateur Milne : Ils ne pourront plus continuer.
Mme Sharpe : Nous assisterons à la démission collective de nos sept administrateurs nommés par le gouverneur en conseil et ce sera la même chose dans les autres Fondations car ces gens font don de leur temps et de leurs talents à des organismes comme TDDC. Ils reçoivent simplement une gratification de 5 000 $. On ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce qu'ils continuent de rendre service au Canada en faisant partie de tels conseils d'administration. Vous venez de soulever là un problème très sérieux.
Le sénateur Milne : On ne pourra même pas les considérer comme des travailleurs pauvres.
M. Cantor, croyez-vous que vos administrateurs seront placés dans la même situation?
M. Cantor : Nous croyons que nos administrateurs sont des titulaires de charge publique et ne seront donc pas du tout affectés de cette manière.
Le sénateur Milne : Vous croyez qu'ils ne seront pas considérés comme des titulaires de charge publique principaux?
M. Cantor : C'est ce qu'on nous a dit.
Le sénateur Milne : M. Siegel?
M. Siegel : Je pense que seul le président de notre conseil pourrait éventuellement être affecté. Il pourrait y avoir un problème dans son cas s'il était placé dans cette situation.
Le président : M. Siegel, vous êtes-vous penché attentivement sur le problème que vient de soulever le sénateur Milne?
M. Siegel : Je peux peut-être demander à Jim McArdle, notre premier vice-président, de répondre.
Jim McArdle, premier vice-président, Services juridiques et secrétaire, Exportation et développement Canada : À titre de secrétaire de la Société, j'ai dû expliquer aux membres du conseil l'incidence du projet de loi C-2, notamment de la définition d'un titulaire de charge publique principal. La première question pour nous était de savoir si cela aurait une incidence sur tous nos administrateurs. Nous avons interrogé le Conseil du Trésor et divers autres personnes ainsi que notre conseiller interne et avons conclu que les 13 nominations ministérielles ne seraient pas touchées.
Par contre, cela aurait une incidence sur notre président et notre PDG, qui sont deux postes distincts. Le PDG est une personne nommée à temps plein par le gouverneur en conseil et il ne fait aucun doute qu'il serait assujetti à toutes les dispositions du projet de loi concernant les conflits d'intérêts.
Le président, par contre, est nommé à temps partiel par le gouverneur en conseil. En tant qu'avocats, je peux vous dire que nous avons beaucoup de mal à comprendre cette définition et comment elle s'appliquerait à lui. Nous avons demandé des éclaircissements et je crois comprendre qu'il y a encore des discussions internes à ce sujet. Il se peut que la définition s'applique à notre président et nous le tenons informé de l'évolution des discussions car c'est une personne du secteur privé.
Le sénateur Day : Je peux peut-être vous aider. La définition d'un titulaire de charge publique principal dans le projet de loi est qu'il s'agit d'une personne nommée par le gouverneur en conseil qui exerce ses fonctions officielles à temps partiel mais reçoit une rémunération annuelle et bénéficie d'avantages. Donc, toute personne nommée à temps partiel par le gouverneur en conseil et touchant un salaire annuel et des avantages sera considérée comme un titulaire de charge publique principal.
M. McArdle : Le problème que nous pose la définition est que notre président touche des honoraires annuels mais pas d'avantages. Nous nous demandons s'il faut qu'il touche les deux.
Le président : Je suppose que s'il ne touche pas d'avantages, ça veut dire qu'il ne correspond pas à la définition.
M. McArdle : Nous espérons que cette interprétation est la bonne.
Le sénateur Day : Son seul avantage est de faire partie du conseil.
Le sénateur Comeau : Madame Sharpe, j'aimerais en savoir un peu plus sur votre Fondation. Quand a-t-elle été créée et est-elle dispensée d'une surveillance parlementaire?
Mme Sharpe : La Fondation a été créée au moyen d'une loi qui a reçu la sanction royale en juin 2001. Elle n'est absolument pas dispensée de la surveillance parlementaire. Merci de l'avoir demandé. Nous produisons un rapport annuel et un rapport supplémentaire indiquant tous les projets que nous finançons, les sommes que nous accordons et les membres des groupes bénéficiaires. Le rapport est présenté au parlement par le truchement du ministre des Ressources naturelles.
Le sénateur Comeau : Ce qui m'intéresse c'est qu'à la différence d'un ministère qui rend des comptes au parlement, c'est-à-dire à la fois au Sénat et à la Chambre des communes, vous rendez des comptes à un ministre au moyen d'un rapport. Autrement dit, c'est le ministre qui est votre actionnaire, pas le Parlement?
Mme Sharpe : Nous rendons des comptes au ministre par le truchement du parlement.
Le sénateur Comeau : Pas au parlement.
Mme Sharpe : Ça dit que nous rendons des comptes au Parlement par le truchement du ministre des Ressources naturelles. Nous sommes donc redevables devant le parlement.
Le sénateur Comeau : Je suppose que vous recevez un budget annuel du parlement.
Mme Sharpe : Nous ne recevons pas nécessairement un budget annuel. Jusqu'à présent, nous avons reçu trois capitalisations dans le processus budgétaire mais ce financement n'est pas automatique et il n'est pas annuel.
Le sénateur Comeau : Le Parlement peut-il vous convoquer et seriez-vous tenus de lui rendre des comptes sur l'argent que vous dépensez, comme doit le faire un ministère?
Mme Sharpe : Non, je ne comparais pas devant le parlement. C'est le ministre des Ressources naturelles qui comparait devant le parlement et répond à ces questions.
Le sénateur Comeau : Est-ce parce que Technologies du développement durable Canada fait rapport à son conseil d'administration et non pas au parlement? J'essaye de bien comprendre la structure.
Mme Sharpe : Oui. Je fais rapport un conseil d'administration qui fait lui-même rapport au conseil de membres mais tout ce que le conseil d'administration nous demande en matière d'imputabilité est communiqué au parlement par le truchement du ministre des Ressources naturelles.
Par exemple, quand le ministre des Ressources naturelles et le sous-ministre comparaissent devant le Comité permanent des comptes publics, des informations leur sont fournies, tout comme elles le sont lors de l'élaboration du budget du ministère. Ainsi, nos informations contribuent à de nombreux processus ministériels que l'on peut considérer comme étant des éléments de l'appareil de surveillance.
La différence importante est que nous avons le pouvoir de prendre des décisions de financement sans influence indue du Parlement, mais notre système de reddition de comptes est extrêmement détaillé.
Le sénateur Comeau : Mais vous êtes indépendants du Parlement?
Mme Sharpe : Je suis personnellement indépendante du parlement. Toutefois, si vous consultez notre site Web, vous y trouverez les résultats de notre évaluation intérimaire ainsi que toutes nos vérifications financières.
Le sénateur Comeau : Ce ne sont pas des vérifications exigées par le parlement mais plutôt demandées par TDDC, n'est-ce pas?
Mme Sharpe : Elles sont exigées par le Parlement. Nous fonctionnons au moyen d'une entente de financement qui précise ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire en matière de processus, d'approbations et d'utilisation de l'argent. Cette entente de financement est signée par le ministre des Ressources naturelles, le ministre de l'Environnement, le président du conseil et moi-même. Elle est très précise et nous devons produire des rapports d'évaluation, de rendement, et cetera.
Le sénateur Comeau : D'après l'entente?
Mme Sharpe : Conformément à l'entente.
Le sénateur Comeau : Êtes-vous assujettis aux processus de vérification du vérificateur général?
Mme Sharpe : Absolument. Le Bureau du vérificateur général n'effectue pas nos vérifications financières mais je ne pense pas que ce soit une différence importante. Nous utilisons un cabinet comptable d'excellente réputation. Le président de notre comité de vérification et du comité d'investissement des subventions de notre conseil d'administration est David Kerr, qui fut président du conseil de Falconbridge.
Le sénateur Comeau : Je croyais vous avoir entendu dire que le Bureau du vérificateur général effectue vos vérifications mais vous dites maintenant que non.
Mme Sharpe : Le vérificateur général ne se charge pas de nos vérifications financières mais de toutes les autres. En vertu de notre entente de financement, nous avons l'obligation de faire effectuer au moins une fois tous les cinq ans une évaluation de notre rendement et une vérification d'optimisation des ressources. C'est le Bureau du vérificateur général qui s'en charge et c'est en fait de la vérification à laquelle nous venons de participer pendant les 18 derniers mois. Vous recevrez le rapport pertinent du Bureau du vérificateur général le 26 septembre, je crois.
Le sénateur Comeau : C'est une vérification du rendement?
Mme Sharpe : Une vérification du rendement ou de l'optimisation des ressources.
Le sénateur Comeau : Pas une vérification financière?
Mme Sharpe : Ce n'est pas une vérification financière. Nous avons des vérifications de conformité qui peuvent être examinées par les ministères pour s'assurer que nous nous conformons à notre entente de financement, et elles peuvent aussi être effectuées par le vérificateur général.
Le sénateur Comeau : Serait-il juste de dire que Technologies du développement durable Canada est une créature hybride? Étant donné votre méthode de création, vous ne bénéficiez pas des mesures de protection de la Loi sur l'accès à l'information accordées à d'autres agences, par exemple en ce qui concerne les informations privilégiées que vous recevez des PME.
À l'avenir, vous serez assujettis aux dispositions du projet de loi C-2 dont l'objectif est d'assurer la transparence et l'imputabilité envers les contribuables en ce qui concerne la manière dont les parlementaires dépensent les deniers publics. Toutefois, personne n'avait prévu que les hybrides tomberaient dans ce système.
Mme Sharpe : Je pense que vous décrivez bien la situation. En fait, c'est exactement comme cela que nous nous décrivons : un organisme hybride. Nous avons le modus operandi d'une organisation du secteur privé mais les exigences de rapport, d'imputabilité et de transparence d'une organisation du secteur public.
Le sénateur Comeau : Toutefois, sauf vous êtes relativement tenus à l'écart du Parlement à qui le contribuable demande de protéger les deniers publics et de s'assurer qu'ils sont bien utilisés puisque c'est son argent, après tout.
Mme Sharpe : Absolument.
Le sénateur Comeau : Nous accordons les budgets mais, au cours des années, nous avons créé des organisations hybrides qui sont dans une certaine mesure soustraites à notre examen. Dans notre souci de rétablir une certaine cohérence dans les dépenses du gouvernement, nous devrons peut-être nous pencher sur le cas de ces hybrides pour les placer sous une forme de surveillance parlementaire. Si nous devons leur accorder des fonds publics, nous devrons peut-être trouver le moyen de savoir comment exercer un contrôle de leurs dépenses.
Mme Sharpe : Vous abordez une question importante. Le problème est qu'on a eu l'impression jusqu'à présent que nous n'étions pas imputables. Il existe des Fondations depuis longtemps. Bon nombre des préoccupations légitimes soulevées à leur égard ont été réglées par le Conseil du Trésor qui a intégré à notre entente de financement, comme à celles d'autres organisations, une liste d'exigences de rapport et d'imputabilité pour répondre à ces préoccupations.
Le sénateur Comeau : Il y a peut-être encore une divergence d'opinion entre certains membres du Conseil du Trésor et certains parlementaires. Ça pourra faire l'objet d'une discussion à l'avenir.
Mme Sharpe : Nous avons essayé de comprendre quelles informations nous devrions fournir pour rehausser notre imputabilité et notre transparence. Toutes les informations relatives à nos activités sont disponibles sur le Web. Quant à savoir si nous utilisons de manière appropriée le privilège d'investir les dollars du contribuable, toutes ces activités de surveillance ont été appliquées et ont fait l'objet de rapports qui sont disponibles au grand public ainsi qu'aux parlementaires.
Nous ne voyons pas vraiment comment divulguer les informations confidentielles que nous recevons en toute confiance des PME avec lesquelles nous travaillons rehausserait notre imputabilité et notre transparence, mais nous sommes certains que cela leur causerait un préjudice considérable et irait à l'encontre de la raison pour laquelle nous avons été créés. Voilà le problème que nous voulons soulever.
Le sénateur Zimmer : Je tiens à remercier tous les témoins qui se sont adressés à nous ce matin.
Nous avons entendu tout à l'heure un témoignage qui allait dans un certain sens. Maintenant, je constate que le vôtre me force, comme on dit, à faire un deuxième examen réfléchi.
Docteur Sharpe, vous avez beaucoup de succès ce matin. J'ai trois questions à vous poser. Pourquoi les secrets commerciaux des entreprises obtenant l'appui de Technologies du développement durable Canada ne peuvent-ils pas être protégés par des brevets?
Jenifer Aitken, avocate, Technologies du développement durable Canada : On accorde un brevet pour une invention qui est nouvelle. Si l'invention a déjà été divulguée dans le domaine public, le régime des brevets ne s'applique pas. Le problème soulevé par Mme Sharpe dans sa déclaration liminaire est que, s'il y a un risque que les informations de cette nature seront divulguées, il y a un risque qu'elles tomberont dans le domaine public et ne pourront donc plus faire l'objet de brevets.
Le sénateur Zimmer : Madame Sharpe, vous avez également dit que vous êtes actuellement tenus de protéger les informations confidentielles. Pouvez-vous préciser?
Mme Sharpe : Oui. Notre entente de financement contient le mécanisme de contrôle de Technologies du développement durable Canada par le gouvernement du Canada. Cette entente nous dit quoi faire et comment le faire. Elle contient des articles indiquant explicitement que nous devons traiter de manière confidentielle les informations privilégiées des tierces parties et mettre sur pied des processus et des mécanismes pour l'assurer.
C'est ce que nous faisons depuis notre création. Nous apposons des étiquettes sur des dossiers que nous conservons sous clé. Nous avons toutes sortes de procédures. Tout le monde — y compris les représentants du conseil des membres, les administrateurs, les dirigeants, les employés ou les experts — est tenu de signer un accord de non- divulgation. Nous avons tous des ententes de confidentialité. Nous sommes obligés de signer ce document avant de partager n'importe quelle information.
Un autre problème du projet de loi est que nous risquons de ne plus pouvoir garantir la protection des informations que nous avons pu protéger jusqu'à présent.
Le sénateur Zimmer : Vous semblez avoir un système bien bétonné.
Mme Sharpe : En effet.
Le sénateur Zimmer : Demandez-vous à être dispensés des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information?
Mme Sharpe : Non, nous ne demandons pas à être dispensés des dispositions de la Loi. Nous appuyons totalement son objectif général. Nous sommes parfaitement heureux de donner des informations sur nos activités. En revanche, nous demandons deux exemptions seulement qui nous protégeront et nous permettront de faire le travail pour lequel nous avons été créés.
Le sénateur Zimmer : Merci de votre clarté et de votre franchise.
Le sénateur Joyal : M. Siegel, nous avons entendu avant vous un représentant du commissaire à l'information qui nous a donné une recommandation concernant Exportation et développement Canada. En bas de la page 9 de son mémoire, à l'onglet 3, il cite l'article 147 du projet de loi, qui est la disposition que vous dites approuver :
La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 18, de ce qui suit :
18.1(1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser de communiquer des documents qui contiennent des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui appartiennent à l'une ou l'autre des institutions ci-après et qui sont traités par elle de façon constante comme étant de nature confidentielle [...]
b) Exportation et développement Canada [...]
C'est la disposition du projet de loi qui vous concerne. Si j'ai bien compris votre témoignage, vous l'appuyez.
Cela dit, le commissaire a fait des commentaires dans l'autre partie du tableau en disant que cet article devrait être supprimé du projet de loi parce que l'alinéa b) vous protège déjà. Il affirme que le but de l'alinéa b) est d'être le reflet de l'article 20, étant donné que, selon l'article 18.1 proposé, l'information n'est pas nécessairement confidentielle. Il ajoute que, par rapport à l'article 20, les renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques sont des renseignements confidentiels fournis à une institution fédérale par un tiers et sont donc traités comme tels de façon constante par ce tiers.
Autrement dit, le commissaire soutient que vous êtes déjà protégés par l'article 18 de la loi qui entérine le caractère confidentiel des renseignements, alors que ce qui est proposé dans le projet de loi est beaucoup plus large. Il affirme que vous êtes déjà fort bien protégés par la loi et que l'exclusion figurant à l'article 147 vous place dans une situation où la confidentialité sera encore plus renforcée. C'est son argument, exprimé en termes simples. Comment répondez-vous à son analyse de l'article 18?
M. Siegel : Nous ne partageons pas son analyse, sénateur. Nous pensons que le commissaire propose qu'Exportation et développement Canada soit placée dans une situation telle que nous devrons démontrer un préjudice pour obtenir une exclusion. Ce n'est pas tenable pour un organisme comme EDC qui traite des informations commerciales confidentielles et qui, pour bien faire son travail, a besoin d'obtenir de telles informations en donnant l'assurance à leurs détenteurs qu'elles seront protégées.
Pour obtenir une exemption à l'obligation de divulgation, la pratique a été d'imposer des critères très rigoureux et les tribunaux ont démontré qu'ils examinent chaque cas de très près. Il est difficile de démontrer adéquatement le préjudice qui pourrait résulter de la divulgation. Par conséquent, EDC ne pourra pas avec confiance donner à ses clients à l'avance l'assurance que leurs informations resteront confidentielles. Plus vraisemblablement, en fait, ses clients et les institutions financières avec lesquelles nous travaillons seront appelés à fournir des preuves justifiant leur revendication d'exemption. Au fond, EDC devra demander à ses clients de fournir des preuves par affidavit qui seront sujettes à contre-interrogatoire. En fin de compte, la tierce partie risque de devenir elle-même partie à la procédure. Très franchement, les clients étrangers ne connaissent pas le droit canadien et refuseront purement et simplement de se placer dans une situation telle qu'ils risquent d'être assujettis à un processus canadien. Nous ne pensons pas qu'ils autoriseront leurs clients, des exportateurs canadiens, à les placer indirectement dans un tel processus.
Sous sa forme actuelle, le projet de loi prévoit une exemption de catégorie pour ce type d'informations, ce qui permettra à EDC de prévoir plus efficacement ce qui devrait être divulgué ou ne pas l'être. EDC aura toujours le devoir de respecter l'esprit du projet de loi mais nous serons mieux à même d'indiquer avec plus de certitude à nos clients quelles informations seront traitées de manière confidentielle.
Envisagé indépendamment de l'article 24, le nouvel article 18.1 proposé dans le projet de loi, à la page 119, ne fonctionne pas bien. En effet, l'article 24 nous donne la possibilité de continuer à assurer la confidentialité des informations commerciales que nous obtenons. Le nouvel article 18.1 dispose que, si nous créons des dossiers internes avec ces informations, ils seront aussi considérés comme des dossiers confidentiels. Une tierce partie n'acceptera pas de fournir des informations qu'elle juge être des informations commerciales confidentielles au titre de l'article 24 si EDC doit ensuite par inadvertance, en vertu du nouvel article 18.1, démontrer un risque de préjudice pour pouvoir continuer à les traiter de manière confidentielle.
Le sénateur Joyal : Dois-je comprendre que vous ne pensez pas que la loi actuelle vous protège suffisamment dans vos activités ordinaires?
M. Siegel : Nous pensons que le projet de loi C-2, sous sa forme actuelle, accorderait suffisamment de protection à EDC. Le nouvel article 18.1 proposé affectera notre aptitude à traiter continuellement de manière confidentielle les informations qui y étaient traitées de cette manière dans le passé.
Le sénateur Joyal : Le projet de loi vous donne une couverture additionnelle mais le commissaire à l'information soutient que vous êtes déjà couverts, dans une certaine mesure, par l'article 18 de la loi. Vous pouvez déjà refuser de divulguer des informations confidentielles en vertu de l'article 18. Si je comprends bien, la loi vous donne une protection additionnelle. Autrement dit, elle élargit votre aptitude à refuser de divulguer. J'interprète l'extension de la portée du nouveau paragraphe 18.1(1) de la même manière que le commissaire, à moins que je vous comprenne mal.
M. Siegel : À l'heure actuelle, EDC n'est pas touchée par la Loi sur l'accès à l'information. Avec le projet de loi, elle le sera. Le nouvel article 18.1 proposé précise quelles informations seront accessibles — c'est-à-dire les informations administratives générales d'EDC qui devront clairement être divulguées. Nous serons en mesure de protéger la confidentialité des informations financières, techniques, scientifiques ou autres jugées commercialement confidentielles puisqu'il y aura une exemption de catégorie indiquant avec clarté quelles assurances nous pouvons donner à leur sujet.
Le sénateur Joyal : Dans son rapport, M. Cantor, le commissaire soutient également que l'exemption dont vous bénéficierez grâce au projet de loi est trop large. Il affirme qu'elle est excessive car il s'agit d'une exemption obligatoire sans critère de préjudice ni limite de temps.
Je crois comprendre que vous pourriez refuser de divulguer les informations même après 20 ans. Pourquoi tenez- vous tant à une exemption même après 20 ans? Au gouvernement, après 20 ans, les documents du Cabinet deviennent accessibles, tout comme les documents des Archives nationales. Même les documents les plus secrets du pays, qui sont les documents du Cabinet, deviennent accessibles au bout d'un certain temps. Je comprends votre problème en ce qui concerne vos activités ordinaires et la sensibilité des informations dans votre secteur d'activité mais il me semble que tout protéger à perpétuité irait à l'encontre du principe d'imputabilité.
M. Cantor : Je comprends la difficulté de cette question, sénateur. La réponse est double. Premièrement, il est probable que bon nombre des transactions auxquelles nous participons seront encore en vigueur 20 ou 30 ans après. Nous en avons vu une aujourd'hui dans laquelle le propriétaire précédent avait conservé les biens pendant 60 ans, et il n'y a aucune raison que la même situation ne se produise pas avec nous aussi. C'est d'autant plus probable dans notre cas parce qu'il faut beaucoup de temps pour que notre actif atteigne le même niveau que notre passif. L'un de nos avantages compétitifs sur le marché résulte du fait que nous pouvons négocier des transactions d'une durée incroyablement longue que d'autres institutions ne peuvent pas proposer. À notre avis, la période de 20 ans est vraiment arbitraire et nous pensons que beaucoup de choses pour lesquelles nous réclamons la confidentialité seront encore en vigueur après cette période.
La deuxième raison est plus subtile et concerne le fait que, dans chacun de ces cas, nous sommes en concurrence avec d'autres institutions pour trouver les meilleures occasions d'investissement. Notre investisseur nous répondra : « Vous venez peut-être bien d'accepter 20 ans aujourd'hui mais quelle garantie avons-nous que ça ne changera pas dans 10 ans ou dans cinq ans? » Nous pourrons lui répondre en donnant des exemples d'application de la règle de 20 ans dans le contexte législatif canadien mais il dira sans doute alors : « Certes, mais pourquoi prendrais-je ce risque? »
Le sénateur Joyal : Madame Sharpe, vous dites en bas de la page 9 de votre mémoire que vous ne savez pas pourquoi on a décidé que certaines agences seraient protégées et d'autres, non. Si j'avais été la personne au Conseil du Trésor chargée de dresser ces deux listes, j'aurais probablement appliqué des critères administratifs concernant par exemple le fait que l'organisme a ou non une entente avec le Conseil du Trésor, le fait que l'organisme a ou non certaines obligations, la nature des obligations au titre de sa loi organique, et cetera.
Si je vous comprends bien, on ne vous a pas demandé votre avis avant de vous indiquer que vous faisiez partie d'un groupe qui serait assujetti à l'accès à l'information, même si vous recevez autant d'informations sensibles que la BDC et EDC disent en recevoir.
Pouvez-vous nous dire pour quelle raison vous concluez que la décision n'a pas été prise en fonction de critères objectifs ou que le résultat de l'évaluation a fait tomber votre organisme dans une autre catégorie que la BDC et EDC?
Mme Sharpe : Nous croyons que la raison pour laquelle TDDC a été classée dans ce groupe est que les Fondations créées en vertu d'une loi ont toutes étés mises dans le même sac. C'est ce que nous avons entendu dire. Quand nous avons examiné la liste des Fondations incluses et de celles qui ne le sont pas, nous avons constaté que la Fondation Jules et Paul-Émile Léger n'est pas incluse dans le projet de loi C-2 bien qu'elle ait été créée en vertu d'une loi. Cela semble donc contraire à l'explication. De même, la Fondation Pierre Elliott Trudeau a été créée par le truchement de la Loi sur les corporations canadiennes et elle est incluse dans la LAI. L'autre explication était peut-être que cela dépendait du montant d'argent, c'est-à-dire de la taille des différentes organisations. Toutefois, Génome Canada, qui a plus d'argent que nous, n'a pas été incluse.
Malgré nos demandes d'explications, nous n'avons pas pu obtenir de justification logique, ni d'explication des éléments qui contribueraient à rehausser l'imputabilité. Notre conclusion est qu'on a tout simplement décidé d'inclure un plus grand nombre de Fondations et que TDDC a été mise dans le lot par inadvertance, sans prendre la peine de parler avec nous pour tenter de mieux comprendre notre modèle opérationnel — le fait que nous ressemblons plus à la BDC et à EDC. J'ai tenté d'expliquer que notre Fondation est très différente de beaucoup d'autres et qu'elle est sans doute moins bien connue parce qu'elle est plus jeune. Je ne pense pas qu'on ait pris délibérément cette décision dans notre cas. C'est un groupe très hétérogène de Fondations, voilà ce que je veux dire.
Le sénateur Joyal : Même si certaines Fondations ont été laissées de côté?
Mme Sharpe : Oui. Nous ne savons tout simplement pas pourquoi.
Le sénateur Day : Je suis heureux que M. Siegel ait donné son explication au sujet du nouvel article 18.1 et de l'article 24 car j'avais du mal à m'y retrouver. Si je comprends bien ce que vous avez dit, Exportation et développement Canada n'est actuellement pas assujettie au régime d'accès à l'information mais le sera à l'avenir — en vertu de l'article 172, à la page 127 du projet de loi, EDC sera inscrite à l'annexe II. L'annexe II renvoie à l'article 24 de la Loi sur l'expansion des exportations. On trouve à l'annexe II certaines dispositions qui peuvent s'appliquer à toutes les organisations et entités qui y sont énumérées. On peut par exemple prévoir un comité qui se réunira de temps à autre. Je n'ai pas le texte de toutes ces dispositions mais, si ce projet de loi est adopté, vous serez à l'annexe II. Êtes-vous satisfait de la protection que vous offrent ces dispositions?
M. Siegel : Selon le texte actuel du projet de loi, oui.
Le sénateur Day : En outre, quand vous dites « selon le texte actuel », vous aimeriez avoir les avantages du nouvel article 18.1 qui est proposé à la page 119 du projet de loi. L'article 147 du projet de loi C-2 porte création du nouvel article 18.1 où il est dit, sous le titre « Loi sur l'accès à l'information », que « le responsable d'une institution fédérale peut ». Il ne s'agit pas d'une obligation puisqu'on dit qu'il « peut ». Dans d'autres cas, on utilise des verbes d'obligation qui n'accordent aucune latitude. Le nouvel article se lit comme suit :
18.1(1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser de communiquer des documents qui contiennent des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui appartiennent à l'une ou l'autre des institutions ci-après et qui sont traités par elle de façon constante comme étant de nature confidentielle [...]
Les organisations mentionnées dans cet article sont la Société canadienne des postes, Exportation et développement Canada, l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public et VIA Rail mais pas l'organisation de Mme Sharpe. C'est une question dont il faut parler.
Madame Sharpe, vous souhaitez obtenir des choses qui, selon vous, seraient utiles à la Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable. À la page 119, si nous décidions de modifier l'article 147 du projet de loi C-2 pour inclure votre organisation dans le nouvel article 18.1 qui est proposé, ce qui vous permettrait de protéger les informations que vous jugez confidentielles — et vous nous avez expliqué votre méthodologie et la manière dont vous portez ce jugement — et si votre Fondation était ajoutée à l'article 172 de la page 127 pour figurer à l'annexe II plutôt qu'être ajoutée à l'article 166 de la page 126 pour figurer à l'annexe I, cela vous donnerait-il ce que vous souhaitez?
Mme Aitken : La manière dont nous avons formulé l'amendement donnerait le même résultat que pour EDC. C'est le même type d'amendement. Dans son cas, en plus de l'annexe II, il y a un amendement particulier à sa loi organique et l'annexe II y renvoie. Sans cet amendement particulier, la simple inscription à l'annexe II ne changerait rien. Nous avons proposé un nouvel article 20.3 — parce qu'il y a plusieurs amendements proposés au nouvel article 20 — à l'article 148 du projet de loi. Notre proposition consisterait à créer un nouvel article 20.3 au lieu d'une inscription à l'annexe II mais l'effet serait le même.
Le président : Les témoins ont inclus des ébauches d'amendements dans leur mémoire.
Le sénateur Day : Certes, mais j'essaye de faire ça le plus simplement possible, en limitant le nombre d'amendements.
Le sénateur Stratton : Je suis tout à fait d'accord.
Le sénateur Day : Il y a des dispositions à l'annexe II. L'article 24 de la loi dispose qu'on peut prendre des dispositions au paragraphe 24(2). Est-ce en vertu de ces dispositions que nous accordons des privilèges spéciaux supplémentaires à Exportation et développement Canada? L'annexe II n'est qu'une liste.
Mme Aitken : Il y a dans cette liste des numéros d'articles d'autres lois. Dans le projet de loi actuel, à l'article 172, on fait référence au nouvel article proposé de la Loi sur l'expansion des exportations.
Le sénateur Day : La mention « article 24.3 »?
Mme Aitken : Oui. Cet article 24.3 est un nouvel article dont on propose la création à l'article 179 de la loi sur la responsabilisation.
Le sénateur Day : On pourrait inscrire Technologies du développement durable Canada à l'annexe II et il faudrait ensuite faire autre chose, soit par le truchement d'un nouvel article de ce projet de loi, soit par le truchement de 24, et relier une autre disposition similaire à ce qui est fait pour Exportation et développement Canada.
Mme Aitken : Ce qu'il faudrait, c'est modifier la Loi sur la Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable mais vous n'êtes pas saisis de cette loi car le projet de loi sur la responsabilisation modifie la Loi sur l'accès à l'information, pas la Loi sur la Fondation du Canada pour l'appui technologique au développement durable. C'est pour cette raison que nous proposons de modifier la Loi sur l'accès à l'information sans toucher aux autres lois. Après y avoir sérieusement réfléchi, nous avons pensé que ce serait plus compliqué.
Le sénateur Day : C'est très clair. Il faut avoir travaillé chez Borden Ladner Gervais pour comprendre tout ça.
Mme Sharpe : Vous avez raison au sujet de 147. C'est exactement ce que nous cherchons. Toutefois, nous pensons que la solution la plus simple est de modifier l'article 148.
Le sénateur Day : Une autre solution simple serait de ne pas vous assujettir à la Loi sur l'accès à l'information et de vous laisser continuer à faire comme avant.
Mme Sharpe : Je ne pense pas que cela enverrait les bons messages et nous sommes satisfaits d'être placés dans le champ général de la loi.
Le sénateur Day : Y a-t-il dans le projet de loi C-2 quoi que ce soit qui donne plus de pouvoir au vérificateur général? Nous n'avons pas encore parlé à la vérificatrice générale et j'aimerais savoir s'il y a selon vous quelque chose qui lui donne plus de pouvoir de surveillance de vos organismes dont nous devrions être informés et dont vous n'êtes pas satisfaits.
M. McArdle : Nous n'avons pas soulevé cette question parce que nous espérons que ceci sera réglé par voie réglementaire. Le vérificateur général s'occupe déjà des vérifications d'EDC et fait des examens spéciaux et il n'y aura pas de changement à ce chapitre.
Il y a un article qui permet au vérificateur général de suivre la piste de l'argent. L'une des préoccupations est que, si les règlements sont rédigés d'une manière que nous pensons incorrecte, le vérificateur général pourrait avoir le droit de remonter jusqu'aux organismes que nous appuyons, ce qui irait totalement à l'encontre de l'article 24, car il s'agirait d'une information confidentielle. Nous supposons que le règlement pourra être rédigé de façon à éviter cela. Le vérificateur général ne voudrait pas aller jusque-là, mais il y aurait un problème si le règlement était rédigé de manière à lui donner de vastes pouvoirs allant au-delà de l'intention de qui que ce soit.
M. Cantor : La réponse de M. McArdle reflète nos propres préoccupations à ce sujet.
Mme Sharpe : Nous avons aussi obtenu un avis juridique sur cette question et nous craignons que le BVG soit investi du pouvoir de remonter jusqu'aux PME qui reçoivent notre aide financière. Ce serait inquiétant.
Le sénateur Day : Nous en parlerons à la vérificatrice générale.
Il y a finalement dans le projet de loi C-2 des dispositions concernant la gouvernance des sociétés commerciales, et je pense que vous en avez parlé — c'est à l'article 254, quelque part vers la fin, et à l'article 295. Je n'en parlerai pas si vous n'avez pas de problème avec les changements qui y sont proposés. Il s'agit de créer un comité de vérification séparé, avec les règles de vérification typiques, et d'étendre la durée du mandat des administrateurs. Si ça vous convient, ça nous convient aussi. Je vois des signes de bonheur.
Le président : Merci. Cela met fin aux questions que nous avions à poser à ce groupe de témoins. Je vous remercie d'être venus témoigner devant notre comité et d'avoir explicité vos réserves au sujet de ce projet de loi.
La séance est levée.