Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 8 - Témoignages du 21 septembre 2006 - Séance de l'après-midi
OTTAWA, le jeudi 21 septembre 2006
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêt et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit aujourd'hui à 13 h 50 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Je déclare ouverte cette séance du comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Le sénateur Stratton a demandé la parole.
Le sénateur Stratton : Je tiens à m'excuser auprès des membres du comité. Lorsque j'ai parlé de cette lettre, j'ai supposé que tout le monde l'avait. Je m'excuse d'avoir soulevé la question. Lorsque je l'ai reçue, j'ai supposé que tout le monde l'avait reçue également.
La vice-présidente : Merci beaucoup de cette précision, sénateur Stratton.
Le sénateur Day : La lettre a été envoyée au président. Nous acceptons les excuses du sénateur Stratton, mais je pense qu'il conviendrait que cette lettre soit lue aux fins du compte rendu et qu'elle soit déposée auprès du comité.
La vice-présidente : Bien sûr, sénateur Day. Il s'agit d'une lettre de Steven MacKinnon, directeur national du Parti libéral du Canada. Elle se lit ainsi :
Monsieur,
Lors de ma comparution devant le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, le 7 septembre 2006, j'ai déclaré que je présenterai un mémoire écrit au comité. Après avoir fait le point sur la séance, nous croyons avoir examiné toutes les questions et avoir exprimé toutes nos objections de fond au projet de loi C-2. Par conséquent, nous nous en remettrons au compte rendu et ne soumettrons pas d'autres documents. Nous restons à votre disposition pour le cas où vous souhaiteriez nous consulter de nouveau.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Steven MacKinnon
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêt et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. Ce projet de loi est plus communément appelé loi fédérale sur la responsabilité.
Comme les sénateurs, nos témoins et les membres du public ici présents ou qui nous regardent à la télévision partout au Canada le savent, ce projet de loi représente un élément essentiel du programme du gouvernement et constitue une mesure législative importante. Le comité y accorde la réflexion soignée, exhaustive et détaillée qu'il mérite. À la fin de cette journée d'audience, nous aurons tenu plus de 60 heures de réunion sur ce projet de loi et entendu plus de 90 témoins.
Nos premiers témoins de l'après-midi continueront à traiter de la question de la protection de la vie privée et de l'accès à l'information, que nous avons examinée ce matin.
Je souhaite la bienvenue à Anne Kothawala, présidente et directrice générale de l'Association canadienne des journaux, et à David Gollob, vice-président, Affaires publiques, de l'association. L'Association canadienne des journaux est la voix des quotidiens canadiens, chargés de promouvoir la réputation des journaux comme média important et avantageux pour tous les Canadiens.
L'association défend avec énergie la liberté de la presse et la réforme démocratique. Elle constitue une importante source d'information sur l'industrie, ses tendances et ses pratiques exemplaires.
Je suis heureuse également d'accueillir Stanley Tromp, directeur de la recherche à la B.C. Freedom of Information and Privacy Association. Cette association a deux principaux objectifs : premièrement, défendre et améliorer l'accès du public à l'information; deuxièmement, défendre la vie privée. Le comité vous souhaite la bienvenue, et nous allons débuter par vos exposés.
Stanley Tromp, directeur de la recherche, B.C. Freedom of Information and Privacy Association : Depuis huit ans, je suis directeur de la recherche à la B.C. Freedom of Information and Privacy Association, la FIPA, un groupe sans but lucratif installé dans la ville ensoleillé de Vancouver. Je suis également journaliste pigiste et à ce titre j'ai présenté depuis quinze ans des centaines de demandes d'accès à l'information. Je suis ravi d'être ici. Nous ne sommes pas aussi bousculés que nous l'étions lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes qui a examiné le projet de loi C-2 et le contexte semble moins partisan. Je suis honoré et reconnaissant de cette occasion de comparaître devant vous. Bien que je n'aie rien contre l'idée de réformer le Sénat, je pense depuis longtemps que le travail assidu et les rapports préparés par les sénateurs sont trop méconnus et pas assez appréciés du public.
La transparence au gouvernement est un principe moral de base qui transcende les partis politiques et les idéologies. Nous appuyons les réformes de la Loi sur l'accès à l'information proposées par le juge Gomery, le commissaire à l'information John Reid et le Parti conservateur fédéral pendant la dernière campagne électorale fédérale.
La FIPA exhorte le gouvernement fédéral à remplir les huit promesses de réforme de la Loi sur l'accès à l'information contenues dans le programme électoral du Parti conservateur en 2005 et nous réclamons que la Loi sur la responsabilité, le projet de loi C-2, soit modifiée pour les inclure. Nous avons été consternés de voir qu'on était revenu sur ces promesses. Nous connaissons tous ces huit promesses : elles ont été répétées à l'envie. Dans mon mémoire, je dis que le temps d'examiner la réforme de l'accès à l'information est passé depuis longtemps et qu'il faut maintenant passer à l'action. Un grand nombre d'engagements pris par le premier ministre étaient également recommandés dans un rapport de la Chambre composé de tous les partis en 2001 sur la réforme de l'accès à l'information menée par le député libéral John Bryden et dans le volumineux rapport de 2002 sur le sujet parrainé par le Conseil du Trésor. Après tout ce travail, je suis renversé que le nouveau président du Conseil du Trésor ait fait parvenir un livre blanc rétrograde au comité de la Chambre sur l'éthique, l'information et la vie privée pour qu'on en fasse une étude encore plus approfondie.
Les sénateurs ont une belle occasion d'obliger le gouvernement à tenir ses promesses aux citoyens. Vous pouvez envoyer vos amendements, y compris les huit points de M. Harper, à la Chambre des communes pour qu'ils y soient adoptés. De plus, les sénateurs et les députés peuvent déposer des propositions de loi. Le seul amendement majeur à la Loi sur l'accès à l'information est l'œuvre de la députée libérale d'arrière-ban Colleen Beaumier en 1998 et porte sur le paragraphe 67.1. L'amendement majorait les peines pour destruction irrégulière de dossiers relatifs à l'accès à l'information. Le projet de loi a été adopté, comme pourrait l'être le vôtre, surtout en situation de gouvernement minoritaire. Je vous exhorte à agir et non à réagir, à faire preuve de créativité et pour reprendre le cliché, à sortir des sentiers battus. Si le légiste de la Chambre des communes ou du Sénat vous dit que les amendements sont inadmissibles parce qu'ils débordent du cadre du C-2, j'espère que vous chercherez à obtenir un éventail plus étendu d'avis juridiques.
En ce qui concerne les réformes nécessaires, par exemple, cet ouvrage est le rapport d'un comité de la Chambre des communes composé de représentants de tous les partis chargés d'étudier la réforme de l'accès à l'information. Six des huit membres étaient des conservateurs et le comité était présidé par un conservateur. Il s'appelait Une question à deux volets. Je vous invite à entériner la recommandation no 4.1, qui porte sur ce qui est sans doute le point le plus litigieux de la réforme de l'accès à l'information : le pouvoir du commissaire à l'information de prendre des ordonnances. Le rapport recommande que le commissaire n'ait pas le pouvoir d'ordonner la divulgation des dossiers mais qu'il soit autorisé à prendre des ordonnances sur des questions de procédure ou prétendument secondaires, comme les demandes de report ou l'exonération des droits. Évidemment, je préférerais qu'il ait le pouvoir de rendre publics les dossiers mais il s'agit là d'un compromis temporaire pour rompre l'impasse.
Je ne comprends pas que quiconque puisse s'opposer à un changement si mineur. N'importe quel sénateur pourrait proposer cette disposition dans une proposition de loi ou conseiller à un député comment le faire. Même moi je sais que la politique est une affaire de réalisme et de compromis. D'après moi, la plus grande faille de la Loi sur l'accès à l'information, c'est qu'à peine 49 des 246 sociétés d'État, organismes et fondations, sont visés par la loi. Ces entités remplissent des fonctions publiques essentielles, dépensent 9 milliards de dollars des fonds publics et ne sont pleinement comptables ni à la population, ni même aux parlementaires. La plupart des entités de ce genre sont visées par les lois sur l'accès à l'information en Grande-Bretagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et dans d'autres pays; alors pourquoi pas ici? Ce dilemme ne date pas d'hier. En août 2002, une dépêche de la Presse canadienne disait que le Bureau du premier ministre Chrétien « faisait des heures supplémentaires pour rédiger des amendements qui assujettiraient ces entités à la Loi sur l'accès à l'information », mais cela n'a jamais été fait.
Depuis des dizaines d'années, ces organes quasi gouvernementaux résistent farouchement à cette idée, plaidant que la Loi sur l'accès à l'information compromettrait leurs intérêts économiques et concurrentiels, voire même leur existence. Ces arguments sont tout simplement injustifiés parce que la Loi sur l'accès à l'information renferme déjà les articles 18 et 20, qui les protègent amplement de tout préjudice commercial. D'autres pays ont des lois d'accès à l'information. Si un représentant d'une de ces entités vient ici vous présenter ses arguments, j'espère que vous exigerez de lui qu'il vous explique en quoi exactement les articles 18 et 20 de la Loi sur l'accès à l'information ne suffisent pas paraît-il à les protéger, et qu'il produise des preuves ainsi que des précédents pour étayer ses dires.
Même si ce qu'elle nous affirme est vrai, pourquoi la Société canadienne du sang et l'Organisation de gestion des déchets nucléaires ne sont-elles pas assujetties à la Loi sur l'accès à l'information? Ces deux organismes traitent pourtant de dossiers d'importance vitale pour la santé et la sécurité du public et ce ne sont pas des organismes sans but lucratif. Même le comité Seaborne qui avait créé l'Agence pour la gestion des déchets nucléaires avait recommandé que celle-ci soit assujettie à la Loi, mais ce ne fut jamais le cas. Pourtant, pour utiliser une vieille image, c'est une décision qui devrait aller de soi.
S'agissant des documents du conseil des ministres, il est fondamental de relever ici que la première Loi sur l'accès à l'information, celle de 1982, ouvrait bel et bien les documents du conseil des ministres. Pourtant, comme s'en souviendra peut-être le sénateur Fox, qui, en sa qualité de ministre, avait déposé ce projet de loi en 1982, le conseil des ministres avait à l'époque approuvé une nouvelle mouture du projet de loi C-43, une version qui comportait un amendement important en ce sens que les documents du conseil des ministres étaient exemptés et que le pouvoir d'examen des tribunaux ne valait pas pour les documents du conseil des ministres. À l'époque, les partis d'oppositions avaient donné leur accord à reculons, et comme nous le savons, la loi avait été adoptée. Il ne doit pas en être de même aujourd'hui.
En outre, dans son nouvel ouvrage intitulé Blacked Out : Government Secrecy in the Information Age, le professeur canadien Alasdair Roberts, un expert en la matière, soulève un problème particulier. Il constate en effet que le gouvernement a ce qu'on a appelé un filtre orange qui sert à bloquer les demandes d'accès à l'information présentées par les journalistes et les députés d'opposition qui concerne des documents controversés sur le plan politique et à en retarder l'exécution afin que les responsable des relations publiques puissent organiser une stratégie et tourner une réponse avant leur divulgation.
J'imagine que cette façon de faire est contraire à la volonté du Parlement au moment où celui-ci avait préparé la Loi sur l'accès à l'information, et je vous exhorte à y apporter des amendements afin de mettre un terme à ces agissements intolérables. J'espère également que vous que vous allez protester contre la façon dont le successeur au commissaire à l'information, John Reid, a été choisi ce mois-ci, en l'occurrence par une toute petite annonce faite par le bureau du Conseil privé. Et qui favorise surtout les postulants internes. J'espère que vous pourrez proposer un amendement pour que cela ne puisse se reproduire.
Pour conclure, j'ai déjà parlé au début de l'ouvrage Une question à deux volets.
Ce livre a été publié en 1987, c'est-à-dire il y a près de 20 ans. Il réclame que les organismes quasi gouvernementaux soient assujettis, que tous les dossiers divulgués, hormis ceux du conseil des ministres, le soient de façon discrétionnaire et selon le critère du préjudice, et il réclame un article de loi affirmant la primauté de l'intérêt public et faisant de la divulgation des dossiers un devoir positif.
Voilà autant de questions dont nous nous réclamons encore une fois aujourd'hui. Ce que je crains, c'est que dans 20 ans, comme sous l'effet d'un cercle vicieux, je me trouve encore une fois ici à réclamer les mêmes réformes.
Chaque sénateur pourrait léguer à la population et à ses électeurs ou électrices, quelque chose qui survivrait bien après que nous ayons tous disparus. Le sénateur Fox, nous lui en savons gré, était le ministre qui a piloté l'adoption du projet de loi C-43 en 1982. Il s'agit maintenant, pour un gouvernement qui prône l'ouverture, d'un moment historique. J'espère que vous allez saisir cet instant car il risque de ne plus jamais se reproduire.
Je conclurai par deux extraits du feuilleton britannique bien connu « Yes, Minister », et plus particulièrement d'un épisode intitulé « Open Government ». Sir Humphrey Appleby, le bureaucrate suprême, dit ceci : « J'ai expliqué que nous avions donné au livre blanc le titre de gouvernement ouvert parce que c'est toujours dans le titre qu'il faut se débarrasser des choses difficiles. C'est beaucoup moins dangereux que de le faire dans une loi. » C'est la loi de la pertinence inverse : « Moins on a l'intention d'en faire dans un dossier, plus il faut en parler ».
Anne Kothawala, présidente-directrice générale, Association canadienne des journaux : Je vais à mon tour dire quelques mots :
[Français]
Honorables sénateurs, j'aimerais tout d'abord remercier le président pour cette occasion qui m'est donnée de participer aux audiences de votre comité pour parler des inquiétudes de nos membres concernant le projet de loi C-2. Je suis accompagnée de David Gollob, le vice-président des Affaires publiques de notre organisation.
L'Association canadienne des journaux parle au nom des journaux qui fournissent la nouvelle et l'information à plus de 12 millions d'adultes canadiens chaque jour. Nos membres comprennent 81 quotidiens publiés d'un océan à l'autre dans les deux langues officielles et en chinois.
[Traduction]
Tout comme les Canadiens attendent du Sénat qu'il se livre à une analyse réfléchie des lois, plus ils se tournent vers les journaux pour comprendre et découvrir un contexte. Nos lecteurs comptent sur les articles que nous publions pour faire leur choix en toute connaissance de cause au sujet des décisions prises par le gouvernement. Ils dépendent de nous pour obtenir une information exacte, une information qui ne se limite pas aux faits, mais qui livre également le contexte qui les entoure.
[Français]
Nous partageons l'intérêt de ce comité envers une plus grande transparence et une meilleure imputabilité gouvernementale. Comme vous, nous devons avoir accès aux faits derrière les décisions gouvernementales.
[Traduction]
Les Canadiens veulent savoir, ils veulent une version exacte et non pas la version purgée des services de communications du gouvernement. Comme vous le savez, il arrive souvent que ces versions ne soient pas les mêmes.
Si l'on bloque l'accès à l'information, nous ne pouvons pas faire notre travail. Il s'ensuit que notre système démocratique en souffre. Cela devrait préoccuper tous les Canadiens, sachant surtout ce que nous a appris l'histoire récente. Qu'il s'agisse du scandale du sang contaminé alors que l'on avait déchiqueté des dossiers pertinents ou de l'affaire de la Somalie à propos de laquelle des dossiers avaient été cachés ou encore de l'affaire des commandites où l'on a délibérément omis de constituer des dossiers ou refuser de les présenter, il est évident que l'on ne peut parler de responsabilisation sans transparence.
Le programme électoral du Parti conservateur durant la campagne fédérale de 2006 promettait qu'un gouvernement Harper prendrait des mesures pour empêcher de tels abus de la confiance publique. Le programme conservateur « Changeons pour vrai » donnait un plan détaillé en cinq points concernant la réforme de la Loi sur l'accès à l'information en vue de ramener un sens de responsabilité et de redonner à la population confiance dans notre système de gouvernement.
[Français]
Le noyau de ce plan était formé d'une série de 100 recommandations rédigées par l'honorable John Reid, commissaire à l'information du Canada, à la demande du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes.
[Traduction]
Plutôt que de mettre en œuvre ces recommandations promises dans « Changeons pour vrai », le gouvernement, quand il a pris le pouvoir, a opté pour une démarche double. D'une part des amendements à la Loi sur l'accès à l'information contenus dans le projet de loi C-2, où l'on ne trouvera qu'une des cinq promesses de Changeons pour vrai. Les quatre autres promesses, notamment la promesse de mettre en œuvre les 100 recommandations du commissaire à l'information, ont été littéralement abandonnées. Les réformes promises pour renforcer cette loi, tout comme le document de réflexion préparé par des fonctionnaires pour expliquer dans les détails toutes les raisons pour lesquelles aucun gouvernement sensé ne pourrait mettre en œuvre ce genre de recommandation ont été envoyées à un comité permanent de la Chambre.
Nous craignons ainsi qu'une initiative qui semblait courageuse en vue de ramener la transparence languisse ainsi jusqu'à après les prochaines élections et peut-être indéfiniment. Voici, malgré son nom, des éléments essentiels sans lesquels il n'est pas possible d'envisager d'améliorations dans la responsabilisation restent absents de ce projet de loi fédéral sur la responsabilité.
[Français]
La seule promesse tenue dans le projet de loi C-2 est celle qui étend la loi sur l'accès à l'information aux sociétés de la Couronne, aux fondations et aux agences du Parlement.
[Traduction]
Ce faisant, ceux qui ont préparé ce projet de loi ont également ajouté des exemples et des exclusions qui font douter de l'utilité de ces changements. Dans la plupart des cas, les exemptions limitent ce que l'on peut demander à des questions d'administration générale. Les questions qui intéresseraient davantage les Canadiens — les activités autorisées de la Couronne — sont exclues sans critère de préjudice, sans dérogation pour intérêt public, sans qu'il existe de mécanisme de surveillance ou de révision et pour l'éternité. Ces exemptions et exclusions sont contraire à l'esprit de la Loi sur l'accès à l'information, qui stipule que les exceptions à la transparence doivent être limitées et spécifiques. Cela va à l'encontre du droit de savoir du public. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de modifier le projet de loi C-2.
L'Association canadienne des journaux avait espéré qu'un gouvernement élu avec pour mandat spécifique d'apporter des réformes tant attendues pour renforcer l'accès à la Loi sur l'information, exécuterait son programme. Or, les changements promis ont été jugés par beaucoup comme trop radicaux. Ils obligeraient les organes gouvernementaux à changer leur façon de procéder.
Il semble beaucoup plus facile de changer de gouvernement que de changer le comportement de l'administration.
[Français]
Nous continuons d'espérer que les conservateurs trouveront une méthode plus efficace pour s'assurer de tenir chacune de leurs cinq promesses d'accroître la transparence et l'imputabilité.
[Traduction]
Nous comprenons que ceci ne relève pas de vous. Toutefois, nous demandons au Sénat d'apporter certains changements aussi simples qu'essentiels à ce projet de loi fédéral afin de limiter le secret gouvernemental et de veiller à ce que les dispositions le protégeant restent, comme cela avait été annoncé, limitées et spécifiques, conformément à l'esprit de la Loi sur l'accès à l'information.
Nous demandons spécifiquement trois choses : que vous transformiez les nouvelles exclusions à la Loi sur l'accès à l'information contenues dans le projet de loi C-2 en exemptions qui pourraient faire l'objet d'un examen de la part du commissaire à l'information. Nous demandons que vous prévoyiez une dérogation générale d'intérêt public pour toutes les exemptions contenues dans ce projet de loi afin que l'intérêt public passe avant le secret gouvernemental. Nous demandons que vous fassiez en sorte que toutes les exemptions à la divulgation — et ceci devrait inclure les vérifications provisoires et les enquêtes en cas de dénonciation, soient justifiées seulement en cas de préjudice éventuel qui résulterait de leur divulgation et ne fassent pas l'objet de règles générales.
L'ACJ espère sincèrement que le Sénat modifiera le projet de loi C-2 pour qu'il assure une plus grande transparence et une plus grande ouverture. Sinon, la Loi sur l'imputabilité ne permettra pas d'atteindre les objectifs visés.
En terminant, j'aimerais signaler que c'est probablement la question qui mérite le plus le second examen objectif du Sénat. Merci beaucoup. Je suis maintenant disposée à répondre à vos questions.
La vice-présidente : Je vous remercie de ces exposés.
Avez-vous eu l'occasion de voir les modifications que nous a proposées hier le Bureau du commissaire à l'information?
Mme Kothawala : Oui.
La vice-présidente : Êtes-vous d'accord avec les modifications proposées?
Mme Kothawala : Oui, nous appuyons ces propositions.
La vice-présidente : Vous les appuyez; ainsi, si elles étaient apportées il ne serait plus nécessaire de transformer les exclusions en exceptions et de les assujettir à un examen par le commissaire à l'information, parce qu'il avait proposé entre autres d'éliminer les dispositions 89, 147, 149, 150, 172 et 179 du projet de loi. Sauf erreur, cela inclut les exclusions.
M. David Gollob, vice-président, Affaires publiques, Association canadienne des journaux : C'est exact. Nous avons suivi de très près les arguments présentés par le commissaire à l'information et ses fonctionnaires; nous avons étudié en détail le rapport spécial déposé au Parlement peu de temps avant que le projet de loi C-2 soit déposé; et nous sommes d'accord avec la majorité des recommandations que le commissaire a formulées depuis le mois d'avril.
M. Tromp : Le commissaire à l'information s'est toujours opposé publiquement à ce que l'on confère des pouvoirs exécutoires au commissaire, et là nous ne sommes pas d'accord. Nous sommes convaincus que le commissaire devrait disposer de pouvoirs exécutoires. C'est le seul point sur lequel nous sommes en désaccord avec le commissaire.
La vice-présidente : Qu'entendez-vous par pouvoirs exécutoires?
M. Tromp : Tout comme les commissaires ont dans les lois provinciales de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de l'Ontario et du Québec; c'est le pouvoir d'ordonner la divulgation de documents et autres procédures administratives.
La vice-présidente : Avez-vous un libellé à nous proposer pour ce genre de modification? Cet amendement aurait un impact quand même considérable.
M. Tromp : Nous sommes encore en train de rédiger un libellé précis article par article mais c'est l'objectif général et en fait, nombre d'autres groupes ont appuyé cette idée, soit que l'on accorde au commissaire des pouvoirs exécutoires.
M. Gollob : Cette question est valable et mérite d'être discutée, mais comme nous sommes conscients du peu de temps dont dispose votre comité, nous avons décidé de concentrer nos efforts aujourd'hui sur les dispositions qui figurent déjà dans le projet de loi. Comme l'a signalé Mme Kothawala, nous vous exhortons à faire disparaître les préjudices qui existent à notre avis dans le libellé actuel de cette mesure législative.
La vice-présidente : Lorsque nous avons demandé aux agents responsables de l'accès à l'information s'ils avaient des exigences minimales qui permettraient d'améliorer cette mesure législative, ils ont simplement proposé d'annuler deux des dispositions du projet de loi, en mentionnant d'abord l'article 150. Je crois que l'autre disposition était l'article 172. Ils ont dit que tout au moins il fallait éliminer ces deux dispositions. Voulez-vous que toutes les dispositions soient abolies ou simplement une ou deux d'entre elles?
Mme Kothawala : L'article 150 porte sur les exclusions. Tout au moins, il faudrait y inclure la primauté de l'intérêt public. Ça c'est un aspect important et critique. Enfin, ce que j'ai présenté dans mes commentaires fait simplement état de ce qui serait à notre avis le minimum. Il faudrait également s'assurer que toutes les exceptions à la divulgation sont justifiées mais seulement si elles sont susceptibles de causer du tort ou un préjudice.
La vice-présidente : Un seuil est déjà établi en ce qui a trait au préjudice.
Mme Kothawala : C'est exact.
La vice-présidente : J'ai posé une question à un de nos témoins ce matin, Ken Rubin, et j'aimerais vous poser la même question. Avez-vous songé, et cette question s'adresse tout particulièrement à Mme Kothawala, au pourcentage du travail des membres de votre association qui seraient touchés de façon négative, si ce projet de loi était adopté sans modification?
Mme Kothawala : C'est le problème avec le système actuel. Sous sa forme actuelle, tout le système d'accès à l'information est fondé sur un régime de plaintes. À l'occasion, tout particulièrement pour les petits médias, les petits journaux des diverses régions, qui ne disposent pas des ressources financières et humaines nécessaires pour franchir toutes les étapes de ce processus d'appel fort long et compliqué, qui prend parfois un an ou deux. Et le gros problème dans toute cette histoire, ce sont les retards. Ça se produit très souvent, lorsque l'on révèle l'identité d'un journaliste qui a présenté une demande, et dans ces circonstances il faut attendre encore plus longtemps avant d'avoir les renseignements demandés. Les retards enterrent un article. Il y a des articles que les journaux essaient de publier, ils veulent procéder à une analyse détaillée : comment les deniers publics sont dépensés, comment le gouvernement utilise des ressources fort limitées. Ces enseignements sont très importants pour les Canadiens parce qu'ils leur permettent de savoir ce que le gouvernement fait. Si nous obtenons les renseignements un an après le moment où on voulait publier l'article, souvent ça ne vaut plus la peine de le publier.
M. Gollob : Vous avez demandé si les membres de notre association sont frappés par des répercussions négatives. Eh bien, cela nuit à l'intérêt public parce que chaque retard décourage les journaux, notamment les petits journaux, comme l'a souligné Mme Kothawala, de se prévaloir de loi et de consacrer du temps à la recherche, parce qu'il faut faire des pieds et des mains pour, au bout du compte, risquer fortement de se voir refuser l'accès à l'information requise. C'est donc dépenser du temps et des efforts en pure perte. C'est là un aspect important de la l'application de la loi. Nous sommes ici aujourd'hui pour dire que la situation n'est pas idéale et pour vous prier de ne pas la rendre pire.
La vice-présidente : Comme vous l'avez signalé dans votre exposé, madame Kothawala, bon nombre des exemptions proposées n'ont pas de limite dans le temps. Vous avez dit que ces questions resteraient privées pour l'éternité. Comment cela peut-il servir l'intérêt public?
Mme Kothawala : Effectivement, c'est ce que nous disons. Cela va même plus loin que l'intérêt public. Il en va de même pour le vérificateur général qui a le pouvoir de ne jamais divulguer l'information qu'il détient. Cela a des répercussions non seulement sur l'intérêt public, mais sur notre histoire collective en tant que nation. N'avoir accès à aucun de ces documents nuit à notre capacité à reconstruire ce qui est arrivé dans notre passé.
C'est, à notre sens, un niveau de secret plus élevé que celui dont jouit le conseil des ministres. Même pour le conseil des ministres, il existe une limite de 20 ans. J'estime quant à moi qu'aucun mandataire du gouvernement ou du Parlement ne devrait bénéficier d'une exemption à tout jamais, supérieure à celle dont bénéficie un membre du conseil des ministres.
La vice-présidente : Vous avez sans doute raison.
Le sénateur Straton : J'aurais une brève question complémentaire. Je ne vais pas m'y attarder car nous allons demander aux fonctionnaires du ministère de comparaître à nouveau pour nous expliquer pourquoi ils souhaitent avoir cette exemption à tout jamais. Il y a de bonnes raisons à cela; nous l'avons constaté lors de témoignages entendus avant les vôtres. Ce que je vous demanderais c'est d'examiner les dépositions et de nous revenir quand vous en aurez pris connaissance, si vous le voulez bien.
Mme Kothawala : Nous le ferons volontiers.
La vice-présidente : Je crois que la déposition portait essentiellement sur la divulgation de secrets de nature économique.
Le sénateur Straton : Oui.
M. Tromp : Puis-je ajouter une chose au sujet des limites de temps? Elles sont trop souvent fixées par excès de prudence. Par exemple, il existe en Colombie-Britannique une limite de 15 ans pour les documents du conseil des ministres. Un mouvement pousse à une réduction de ce délai à 10 ans. Or, j'ai pris connaissance de procès-verbaux de réunions du conseil des ministres de Colombie-Britannique qui remontaient à la fin des années 1980 et les ai trouvé si anodins et si dépourvus d'intérêt que j'ai du mal à comprendre pourquoi quiconque voudrait les tenir secrets et à quelle fin. Je suppose qu'il en serait sans doute essentiellement de même pour les dossiers du gouvernement fédéral.
La vice-présidente : On m'a dit qu'il en était parfois de même pour les audiences des comités.
M. Tromp : Oh sûrement pas.
Le sénateur Joyal : L'idée de protéger l'information à tout jamais me préoccupe également. Je comprends la nécessité de protection quand des brevets sont en jeu, mais il existe, même pour les médicaments, une échéance de 20 ans après laquelle l'information est rendue publique. Il devrait y avoir un délai au bout duquel une information de nature essentiellement publique devient disponible. Prenons un exemple : si le gouvernement décide d'adopter une nouvelle politique importante ou de mettre sur pied un nouveau programme, c'est une décision qui est précédée par toute une série d'étapes; il y a consultation avec différents groupes, réalisation d'études spéciales, témoignage d'experts, options présentées au conseil des ministres, puis documents de travail renvoyés aux ministères... Bref, une vaste quantité d'information. C'est une documentation qui devrait être accessible comme documentation dans une perspective historique. Qu'elle soit tenue secrète un certain temps, je le comprends; mais elle devrait devenir accessible après l'écoulement d'un certain délai. J'ai été ministre de la Couronne et je savais que ce que je disais sur un point particulier, lors d'une réunion du conseil des ministres, deviendrait disponible après 20 ans. Je savais que les gens pourraient revenir sur ce que j'avais dit, peser les arguments et voir si ils étaient bons ou pas, parce que, bien sûr, la situation aurait évoluée avec le temps.
Avec une exclusion générale à tout jamais, on n'établit pas de distinction entre ce qui pourrait être disponible et ce qui pourrait être utile. Or, il y a des leçons à tirer de documents qui ne devraient pas être disponibles immédiatement, mais devraient fournir, éventuellement, matière à réflexion, à analyse et à réévaluation des politiques.
J'ai du mal à comprendre comment on peut défendre une exclusion générale à tout jamais, sauf quand il s'agit de protéger des brevets ou les droits patrimoniaux d'un tiers. Dans ce cas, comme vous l'avez dit, un arbitre indépendant pourrait appliquer le critère du dommage et du préjudice. Je suis bien de votre avis.
Une exclusion à tout jamais et sans limite déplaît à un esprit épris d'équilibre. En lisant votre documentation, notamment celle de M. Tromp, dans l'exposé fait en votre nom par M. Rosenberg, en mai dernier, à la Chambre des communes, j'ai constaté qu'il concluait en soulignant deux points :
Outre ce qui précède, nous désirons que le comité sache que la FIPA est fortement en désaccord avec deux éléments de la Loi sur l'imputabilité :
— la proposition visant à garder secrets de manière permanente tous les documents ayant trait à des enquêtes sur des actes répréhensibles du gouvernement; et
— l'imposition d'une période de secret de 15 sans sur un rapport préliminaire d'une vérification interne ou un document de travail se rapportant à cette vérification.
Ce type de politique du secret est nettement en contradiction avec le droit de savoir du public et nous estimons que ces mesures ne sont pas justifiées. Nous espérons que le comité modifiera les articles pertinents de la loi.
Les deux points soulignés alors s'ajoutent à celui que vous avez défendu cet après-midi, madame Kothawala. Comment pouvons-nous servir les objectifs du gouvernement et établir dans le libellé de la loi un équilibre entre la capacité de mettre en place un système qui protège pendant un certain temps ce qu'il convient de protéger, tout en rendant l'information accessible à un certain point dans le temps? Il me semble important de réfléchir à la proposition, notamment en ce qui concerne les documents relatifs à des enquêtes sur des méfaits gouvernementaux. Si la documentation d'un procès judiciaire devient disponible lors d'une accusation au pénal, — il s'agit d'une documentation très grave, — je ne vois pas pourquoi un système d'enquête administrative ne pourrait pas devenir public après un certain temps, surtout s'il y a un délai au bout duquel toutes les personnes concernées sont décédées, ont pris leur retraite ou quelque chose du genre. La raison rechigne à exclure cette documentation à tout jamais, sans critères pour d'équilibrer. Lorsqu'il reste une personne concernée, elle pourrait recevoir un avis et protester, pour que le dossier reste éventuellement confidentiel; mais il faudrait au moins qu'il existe un système permettant un équilibre entre les deux exigences, ce qui n'est pas le cas avec l'approche proposée.
M. Tromp : Je suis parfaitement d'accord avec vous : c'est un problème. À notre avis, la solution idéale serait l'inclusion dans la loi d'un article imposant la divulgation proactive systématique de tous les documents comme les documents des conseils de ministres, au bout de 20 ans. Je ne vois pourquoi on devrait faire une demande d'accès à l'information pour pouvoir les consulter. Rien n'empêcherait le gouvernement d'afficher ces documents sur Internet. Les autres critères de préjudice continueraient de s'appliquer à ce type de documents, notamment la protection des renseignements privés d'un tiers ou la sécurité nationale, avec parfois une protection s'étendant à plus de 20 ans; mais, en général, aucune raison ne justifie que l'exclusion soit indéfinie. Je ne vois vraiment pas pourquoi cette disposition a été incluse.
Mme Kothawala : Vous parlez de quelque chose qui nous a toujours frappés : l'existence ici d'une philosophie fondamentale, exemplifiée par les mesures législatives existantes et la nouvelle mesure proposée ici, selon laquelle la divulgation n'est pas en fait, une obligation. Il n'incombe pas au gouvernement de dire pourquoi un document ne devrait pas être divulgué. C'est l'inverse. Il est libre de déclarer qu'il y a toute une série de documents qu'il ne va pas divulguer, pour toutes sortes de raisons qui, d'après lui, justifient sa décision. Rien ne contraint le gouvernement à dire exactement pourquoi.
Oui, la sécurité nationale et les transactions commerciales sont des choses très importantes; mais ce sont de fausses pistes, vu qu'il existe déjà, dans la loi actuelle et dans la Loi sur la responsabilité, des dispositions qui accordent une protection adéquate dans ces domaines. Et nous sommes parfaitement d'accord. Loin de nous l'idée de suggérer que de tels renseignements devraient être divulgués au petit bonheur la chance, s'ils ont un quelconque rapport avec la sécurité nationale ou une transaction commerciale. Jamais nous n'avons suggéré une telle chose. En ce qui concerne les documents confidentiels du conseil des ministres, nous ne suggérons pas que tous les Canadiens et les Canadiennes puissent lire ces choses à livre ouvert dès le départ. Nous comprenons que certaines décisions et délibérations doivent se dérouler à huis clos, pour que les parlementaires n'aient pas le sentiment de devoir surveiller ce qu'ils disent et pour qu'il y ait un véritable débat. Jamais nous n'avons suggéré le contraire. Toutefois, il existe un juste milieu entre ce que le gouvernement propose et ce que nous suggérons. Et, à mon sens, notre suggestion est plus proche de ce juste milieu.
M. Gollob : Si vous le permettez, en réponse à la question du sénateur Joyal et aussi à la remarque du sénateur Stratton, que le mot « équilibre » que vous avez utilisé est essentiel. Chaque fois que la Cour suprême a du se prononcer sur des questions qui mettaient en jeu les droits de la liberté de la presse dans une société démocratique, elle a souligné l'importance de tenir compte de ces droits par rapport à d'autres droits. C'est l'esprit de nombreuses décisions de la Cour suprême ayant fait date, comme la décision Dagenais. N'oublions pas non plus, comme l'a rappelé Mme Kothawala, que la Loi sur l'accès à l'information comporte des protections en ce qui concerne les renseignements économiques et confidentiels de divers types, notamment patrimoniaux.
La question est de savoir s'il convient d'avoir un équilibre et une surveillance. Est-ce qu'il convient de peser les mérites d'un ensemble de droits par rapport à d'autres? Le rôle du commissaire à l'information est d'appliquer un critère de préjudice pour savoir si le secret est justifié. Nous pensons que le secret doit être justifié, qu'il doit y avoir un équilibre. Or il n'y a pas d'équilibre dans le cas d'exemptions et d'exclusions globales.
Le sénateur Joyal : Il est difficile de s'enthousiasmer pour le projet de loi que nous avons sous les yeux. Dans le cas d'une exclusion globale, il devrait exister des raisons tellement manifestes que toute personne raisonnable reconnaîtrait. Toutefois, en l'absence de raisons manifestes à première vue, nous devrions nous abstenir d'inclure dans le projet de loi ce type de dispositions. Mieux vaudrait mettre sur pied un système où il est possible de requérir un prolongement de la durée de l'exclusion après nouvel examen. Comme l'a dit M. Tromp rien n'empêche quelque chose qui devrait faire l'objet d'une exclusion pendant les cinq prochaines années d'être rendu totalement accessible dans dix ans, parce que la situation a changé, que les gens en cause sont partis, et cetera. Il y a toute une série de facteurs.
Que se passe-t-il néanmoins, en l'absence d'un système de ce type ou d'une capacité à effectuer un examen d'après des critères raisonnables et d'interjeter appel devant un tribunal? Si l'administration rejette la décision du commissaire, elle peut s'adresser à une cour fédérale et défendre sa cause. Il y aura ainsi différentes couches de décisions quant au caractère raisonnable du maintien du secret, d'après des arguments qui semblent raisonnables à une autorité indépendante. Il me semble que c'est là un système que nous avons toujours voulu établir au Canada, surtout pour maintenir de sains principes d'administration publique ainsi que l'accès à l'information et la capacité de comprendre celle-ci.
Le problème est épineux : éliminer ces articles, comme vous le demandez? Trouver une solution de repli qui serait acceptable à une personne raisonnable, afin de répondre à la fois à vos objectifs et à ceux de l'administration?
M. Tromp : Permettez-moi d'intervenir brièvement pour vous donner le meilleur exemple, à mon sens, de la nécessité de fixer des limites au secret protégeant certains documents. Il s'est tenu dans les années 1970 des réunions du conseil des ministres au sujet de la crise du FLQ et de la Loi sur les mesures d'urgence. Après 20 ans de secret, les médias ont fait une demande d'accès à l'information et ont obtenu le procès-verbal de ces réunions du conseil des ministres. Ils ont révélé que le commissaire de la GRC de l'époque avait recommandé au conseil des ministres de ne pas imposer la Loi sur les mesures d'urgence. C'est à l'encontre de son opinion que cette loi a été imposée. Voilà un point essentiel de notre histoire. S'il était resté secret à tout jamais, nous serions dans l'ignorance de cet important aspect de notre passé.
Le sénateur Joyal : Madame, vous avez déclaré, et je vous cite : « N'empirez pas les choses. » C'est du reste ce que nous a dit cette semaine le représentant du commissaire à l'information qui déclarait que, si certaines des dispositions de ce projet de loi avaient été en vigueur au moment de la Commission Gomery, les journalistes qui faisaient enquête sur la question n'auraient pas eu accès aux documents mêmes qui ont révélé que quelque chose de louche se passait.
Y a-t-il d'autres articles du projet de loi que vous voudriez nous signaler parce qu'ils pourraient à votre avis empirer la situation?
M. Gollob : Les articles qui nous inquiètent le plus sont ceux que nous avons indiqués dans notre document. Nous parlons par exemple d'une ou deux sociétés d'État.
Prenez l'enquête Gomery, certains éléments de preuve ont été présentés au juge — la vérificatrice générale a fait enquête — révélant que VIA Rail avait émis un contrat à un réalisateur de télévision pour faire un film sur Maurice Richard et avait versé de l'argent à cette production.
Le projet de loi, tel qu'il est libellé, assujettirait les sociétés d'État à la Loi sur l'accès à l'information et nous nous en félicitons. Toutefois, il prévoit une exemption qui permettrait à VIA Rail de déclarer, comme il l'aurait fait par le passé au moment de l'affaire des commandites, que la société n'était pas touchée par la Loi sur l'accès à l'information. Aussi, toute demande de journaliste se serait heurtée à un mur. En effet, VIA Rail pourrait traiter le contrat signé pour cette émission sur le hockey comme un document confidentiel et ne pas le divulguer. Un morceau clé du casse-tête des commandites, qui échappait à la divulgation y échapperait toujours.
De même, le rapport provisoire de vérification préparé par un cabinet bien connu pour Travaux publics en 1996 était très sévère dans son examen du programme des commandites, mais ses versions ultérieures ont été édulcorées. Or ce rapport était, à notre avis comme de l'avis des journalistes, essentiel pour comprendre ce qui se passait dans l'affaire des commandites. Je crois qu'hier le sous-commissaire à l'information a déclaré que c'était ce rapport qui était à l'origine de la première enquête de la vérificatrice générale.
Ledit rapport ou tout autre rapport provisoire de vérification de ce genre aurait été accessible en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, sous réserve de preuve de préjudice, mais, à l'avenir, d'après le libellé actuel de ce projet de loi, il ne le serait plus.
La vice-présidente : Êtes-vous en train de nous dire que, si le projet de loi C-2 était adopté tel quel, la Commission Gomery n'aurait pas existé et que toutes ces informations n'auraient pas été rendues publiques?
M. Gollob : Nous disons qu'à l'avenir seule une enquête judiciaire ou une enquête effectuée par un vérificateur général permettra de découvrir de telles informations. Si l'objet de la loi fédérale sur la responsabilité est d'assujettir les sociétés d'État à la Loi sur l'accès à l'information et ainsi d'accroître la transparence, ce sera un échec parce que les exemptions prévues vont à l'encontre de cet objectif.
Le sénateur Joyal : J'essaie de comprendre le point crucial de vos propos quand vous dites que l'on risque d'empirer les choses. Très franchement, nous voulons nous assurer que nous ne nous trompons pas et nous ne voulons pas limiter l'accès des Canadiens aux informations. Nous essayons au contraire d'élargir cet accès. C'est l'objectif général de tous les efforts auxquels nous prenons tous part.
C'est donc là un élément clé sur lequel nous voulons nous pencher. C'est pourquoi je trouve intéressant que vous proposiez de mettre fin à la protection de quinze ans prévue pour les vérifications internes provisoires sans possibilité d'examen par une autorité indépendante. Cela permettrait en effet que quelqu'un de neutre puisse arbitrer en la matière. Ce serait peut-être une façon d'atteindre l'objectif du gouvernement tout en ne lésant pas le droit d'un citoyen ou d'un journaliste d'avoir accès aux documents.
Je comprends pourquoi M. Rubin nous a dit ce qu'il nous a dit tout à l'heure, à savoir que les citoyens canadiens ont le droit d'avoir accès à l'information. Toutefois, comment cela doit-il être géré et garanti. Cela doit-il se faire vite? Quand on voit comment l'administration est structurée, il y a toutes sortes de distinctions entre les ministères et les sociétés d'État qui traitent avec des entreprises commerciales et qui sont en concurrence avec d'autres entreprises semblables. Par exemple, la Fondation sur les bourses du millénaire est en concurrence avec le secteur privé. Il y a des centaines de différences. Ce qui est important, c'est d'envisager un système qui soit juste. En fait, c'est tout ce que nous pouvons faire. Ensuite, il faut que le système fonctionne selon ses objectifs.
Vous avez une longue expérience de cette loi qui touche à vos activités quotidiennes. Avez-vous d'autres suggestions à nous faire?
M. Gollob : Ma principale suggestion — et c'est celle que vous a faite Mme Kothawala — est de considérer l'esprit de la première Loi sur l'accès à l'information. L'idée que les informations gouvernementales devraient être divulgables à moins qu'il y ait une bonne raison de ne pas les divulguer, et que les exceptions doivent être limitées et spécifiques. Aussi, si vous considérez que toutes les informations sont divulgables, à moins que l'on puisse prouver qu'elles ne peuvent l'être, cela signifie que tout devrait pouvoir satisfaire au critère de préjudice. Sinon, il pourrait peut-être y avoir un intérêt public qui justifierait de ne pas divulguer une information. Il peut y avoir une raison de déroger à ce critère. Toutefois, le point de départ, c'est cette loi qui il y a 24 ans aujourd'hui fut un événement historique.
C'est dans ce sens que nous voudrions que vous regardiez. Ne laissez pas le gouvernement décider que telle ou telle information ne peut être divulguée ad vitam aeternam. Obligez-le plutôt à convenir que tel ou tel dossier ne peut être divulgué parce qu'il pourrait causer un préjudice, aller à l'encontre de tel ou tel principe ou avoir telle conséquence négative.
M. Tromp : Il n'est pas toujours nécessaire de continuellement réinventer la roue. À tout le moins la Loi canadienne sur l'accès à l'information devrait suivre les pratiques exemplaires de la Loi sur l'accès à l'information des pays du Commonwealth britannique que sont l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne notamment. Par exemple, pratiquement tous les organismes quasi gouvernementaux sont couverts. Nous pourrions tirer des leçons de leurs expériences et voir que cela marche très bien dans tous ces cas. Cela ne nécessite pas de longues études quand on a déjà de tels précédents.
Le sénateur Joyal : Si je vous comprends bien, monsieur, vous dites que ce que propose le projet de loi, c'est d'exclure toute une catégorie d'information sans avoir la possibilité de faire de distinction entre les parties d'un document qui pourraient être rendues accessibles, à quel moment et dans quelles circonstances, selon l'avis d'un arbitre neutre.
Votre objection fondamentale à ce projet de loi est qu'il contient une catégorie d'information que l'on ne pourra jamais examiner ou faire réévaluer en fonction de certains critères bien établis. C'est bien cela?
M. Gollob : Oui. C'est ce que le sous-commissaire à l'information a qualifié hier d'exemptions dites obligatoires, si je ne m'abuse.
Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, ce genre de choses apparaît dans différentes lois. La Loi sur les secrets officiels, par exemple, stipule que les questions ayant une incidence sur les relations étrangères ou sur la sécurité du Canada peuvent être importantes pour la sécurité et les contacts du Canada ainsi que pour ses relations avec d'autres pays. Ceci est bien entendu; toutefois, lorsqu'il s'agit des questions administratives, à moins que les droits des citoyens puissent être lésés, un arbitre devrait avoir la possibilité d'examiner la question et de soupeser le pour et le contre d'une telle divulgation.
Le sénateur Day : Il est bon d'avoir des témoins qui savent par expérience comment la loi fonctionne. Nous apprécions vos commentaires et suggestions.
J'ai discuté ce matin de la limite de 30 jours, et j'aimerais entendre vos commentaires en ce qui concerne l'article 7 de la loi existante. J'aimerais savoir si nous devons proposer un amendement à cet article. En outre, je me demande si l'expression « en temps utile », qui apparaît à l'article 143 du projet de loi C-2, qui modifie l'article 4 de la loi, est nécessaire.
Tout d'abord, veuillez m'expliquer comment fonctionne cette limite de 30 jours. Vous demandez un document, et d'après l'article 7, on semble dire assez clairement que vous devriez recevoir une réponse du responsable du ministère dans les 30 jours, qui vous fera savoir si les informations sont disponibles ou non. On dit ensuite que si l'accès à cette information doit être accordé, il faut remettre le document à la personne. Si l'on vous dit que vous pouvez y avoir accès, vous faut-il attendre longtemps après cela, ou obtenez-vous le document tout de suite? Si ce n'est pas le cas, qu'est-ce qui se passe?
Mme Kothawala : La question que vous abordez n'a rien à voir avec les cas où l'accès est accordé dans les 30 jours. Vous voulez savoir ce qui se passe dans les cas où l'accès n'est pas accordé au terme des 30 jours pour certaines raisons. On peut alors interjeter appel, et c'est à ce moment que les choses se mettent à tarder. Le commissaire à l'information intervient, et on se rend compte un jour qu'il s'est écoulé pas mal de temps. Si, par exemple, la demande originale provient d'un journaliste qui, comme nous l'avons appris, pourrait être considérée comme délicate, le ministère à qui on a demandé l'information pourrait alors être tenté de tergiverser un peu parce qu'il ne veut pas que cette information sorte. Le ministère doit alors arranger ses affaires, et on va donc tarder un peu à faire le nécessaire.
La question de savoir si l'on doit rendre les informations publiques dans les 30 jours importe peu parce qu'il n'y a pas de sanction si l'on ne respecte pas ce délai.
Le sénateur Day : Sauf que si l'on ne se conforme pas au délai de 30 jours, l'article 9 oblige le ministère à faire savoir au commissaire à l'information qu'il a besoin de plus de temps.
Mme Kothawala : C'est exact.
Le sénateur Day : On a entendu dire ce matin qu'aucun ministère ne veut que le commissaire à l'information vienne renifler chez lui et demande pourquoi il ne fait pas ce qu'il est censé faire. D'après votre expérience, est-ce exact?
M. Gollob : Nous avons porté plainte l'an dernier auprès du commissaire à l'information et allégué que les demandes des médias en vertu de la Loi sur l'accès à l'information faisaient l'objet d'une discrimination systématique. Comme l'expliquait Mme Kothawala, on les met de côté, on les traite séparément, et ces demandes font l'objet d'un examen supplémentaire.
Chaque fois qu'on adresse une demande, on nous répond qu'il faut 30 jours, 60 jours ou 90 jours de plus, peu importe la demande. La règle des 30 jours n'est pas respectée et elle n'est pas prise au sérieux non plus. Et, comme nous en avons fait l'expérience, au terme des 90, 120 ou 180 jours, ou dans le cas du reporter du Globe and Mail Daniel Leblanc, qui avait fait une demande relative au programme des commandites, deux ans, on peut se faire dire que le dossier que l'on recherche n'existe pas, et c'est ce qu'on a répondu à M. Leblanc relativement au rapport qu'il demandait. Dans ce cas particulier, ce rapport n'existait pas parce qu'il s'agissait d'un rapport pour lequel on avait payé et pour lequel aucun travail n'avait été fait, comme on l'a appris.
Essentiellement, nous sommes d'avis que le délai imposé par la loi n'est pas pris au sérieux.
M. Tromp : J'ajouterai brièvement que bon nombre de mes demandes en vertu de la Loi sur l'accès à l'information sont restées sans réponse pendant plus d'un an, et que j'ai interjeté appel auprès du commissaire à l'information, mais il est submergé de travail, sous-financé et il manque de personnel.
L'expression « en temps utile » dans un texte de loi est beaucoup trop vague. Ça peut vouloir dire presque n'importe quoi. La loi devrait préciser le nombre de jours. L'expression « en temps utile » est inutile.
Le sénateur Day : Vous avez déjà répondu à la deuxième partie de ma question. J'aimerais savoir si vous êtes rassuré par l'article 143 du projet de loi C-2, page 117 :
Le responsable de l'institution fédérale fait tous les efforts raisonnables, sans égard à l'identité de la personne qui fait ou s'apprête à faire une demande, pour lui prêter toute l'assistance indiquée, donner suite à sa demande de façon précise et complète...
Est-ce que cela vous donne plus de munitions si on ne répond pas à votre demande, si on ne fournit pas le document voulu? Je sais que c'est vague, mais cela crée une responsabilité de manière générale.
M. Gollob : Imaginez une rue achalandée où tous les conducteurs grillent les feux rouges et qu'on y place une pancarte qui dirait : « Tous les conducteurs feront tous les efforts raisonnables pour s'arrêter dès qu'ils voient un feu rouge. » Quel effet obtiendriez-vous ainsi? J'ai la conviction que si les conducteurs sont persuadés qu'il n'y a aucune sanction si l'on grille un feu rouge, ils ne s'arrêteront jamais. Le libellé sonne bien, mais il faudrait ici une obligation beaucoup plus rigoureuse.
Le sénateur Day : Donc cette modification ne vous sert à rien. Si cette disposition n'existait pas, votre position serait- elle la même?
Mme Kothawala : Oui.
Le sénateur Day : Qu'en est-il de la modification à la définition du mot « document »? Est-ce que cette modification vous met mal à l'aise?
Mme Kothawala : Voulez-vous s'il vous plaît me rappeler de quel article il s'agit.
Le sénateur Day : Il s'agit de l'article 141, page 116 du projet de loi. La nouvelle définition du mot « document » apparaît juste avant le paragraphe (2). Dans l'ancienne définition — la loi existante et la définition existante — le document comprend tous éléments d'information, quels que soient leurs formes et leurs supports, notamment correspondance, notes, livre, plan, carte, dessin ,diagramme, illustration ou graphique, photographie, film, microformule, enregistrement sonore, magnétoscopique ou informatisé, ou toute reproduction de ces éléments d'information.
Cette définition a été réduite de beaucoup, et on en a retranché certains termes, et une interprétation juridique vous porterait à croire qu'on a oublié quelque chose. Les institutions fédérales et les gens ont le droit d'obtenir des documents. Selon la lecture que j'en fais, cette définition limite considérablement le nombre de renseignements qu'on peut demander. Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Gollob : Pouvez-vous préciser votre pensée, sénateur? Est-ce le nouveau libellé que vous trouvez restrictif ou l'ancien?
Le sénateur Day : Je vous ai lu le libellé actuel. Il s'agit de la proposition visant à redéfinir le mot « document » qu'on voit ici à la page 166, définition qui est plus courte, plus facile à dire et à lire, mais elle ne me semble pas aussi englobante que l'ancienne définition. Est-ce une chose que vos collègues avez remarquée et qui vous inquiète?
M. Tromp : Pensez-vous que le nouveau libellé n'inclurait pas les supports que l'on décrivait auparavant? Il serait peut-être utile d'avoir une disposition qui dirait « incluant ces supports mais sans s'y limiter ».
Le sénateur Day : La définition d'avant était très inclusive. Le libellé actuel de la loi dit « comprend » et énumère toutes ces choses, puis elle dit ensuite « comprend » tout autre matériel documentaire, quels que soient leurs formes et leurs supports. La définition s'arrête là.
M. Tromp : Je crois que ces supports pourraient être inclus dans la description de tous éléments d'information.
Le sénateur Day : J'espère que vous avez raison, mais s'ils sont inclus, alors pourquoi les énumérer et ensuite inclure maintenant dans la définition tous ces autres supports et tout autre élément d'information, quelles qu'en soient les formes.
M. Tromp : On songeait peut-être aux nouvelles technologies parce que la Loi sur l'accès à l'information était devenue un dinosaure à l'ère numérique, et il y a de nouvelles technologies informatiques qui ne sont pas encore connues et qui pourraient peut-être être incluses dans cette définition générale. Peut-être que les auteurs trouvaient la définition trop compliquée ou peut-être qu'ils n'avaient pas assez d'imagination pour entrevoir tous les supports qui pourraient exister un jour. Mais ce ne sont que des conjectures de ma part.
Le sénateur Day : C'est maintenant que vous avez la chance de présenter des amendements. Si vous êtes satisfaits du projet de loi, alors nous le sommes nous aussi, mais si vous n'êtes pas satisfaits, alors dites-le-nous. L'heure de la dernière chance approche.
Mme Kothawala : Je comprends cela, mais le vrai problème que nous avons, ce n'est pas la définition, mais beaucoup plus le fait que rien n'oblige à produire ces documents.
Le sénateur Day : Cela me semble essentiel lorsqu'on parle d'accès aux documents, et l'on s'interroge sur la définition de « document ». Cependant, si cela ne vous préoccupe pas, je comprends, et nous allons passer à autre chose.
M. Tromp : Je ne vois pas comment cette définition pourrait exclure l'un des supports qui était décrit dans l'ancienne loi. Je ne vois pas comment cette disposition pourrait exclure l'un d'entre eux.
Le sénateur Day : Merci pour cette réponse.
Vous êtes d'avis que tous les documents, quels qu'ils soient, sont accessibles, à moins qu'un préjudice soit causé, auquel cas ils ne seraient pas accessibles. Cependant, même s'ils ne sont pas accessibles parce qu'ils pourraient causer un préjudice, ils pourraient redevenir accessibles si l'intérêt public l'exige. C'est ce que dit cette disposition, qu'ils peuvent redevenir accessibles. C'est ce que vous avez proposé dans votre exposé. Est-ce que votre conception existe quelque part dans le texte de loi, ou est-ce une nouvelle idée? S'est-on déjà servi de cette idée?
M. Gollob : Nous avons étudié ce texte de loi. C'est un texte complexe qui a été rédigé avec le plus grand soin. Il contient de nombreuses mesures de protection. Même s'il présente des faiblesses et pourrait être amélioré, nous pensons que c'est un texte solide sur le plan structurel.
Il y a un cas où le critère du préjudice est appliqué de manière régulière, et c'est lorsque les exceptions obligatoires ne sont pas des exceptions objectives et ne le sont pas tout le temps. En vertu de la loi, il y a des exceptions auxquelles on applique le critère du préjudice. C'est aussi le cas de plusieurs articles de la Loi sur les conflits d'intérêts. Je ne les connais pas assez pour vous les citer par cœur. L'article 18 de la loi, je crois, est l'un d'entre eux.
Le sénateur Day : J'ai devant moi l'article 18 du projet de loi; il y est question des intérêts économiques du Canada.
M. Gollob : C'est exact. L'article 18 de la Loi sur les conflits d'intérêts est un bon exemple.
Le sénateur Day : Oui, mais est-ce que l'intérêt public prime l'utilisation de cet article?
M. Gollob : Non, l'intérêt public n'intervient pas ici.
Le sénateur Day : Est-ce votre nouvelle idée?
M. Gollob : C'est une chose que nous suggérons et qui a également été recommandée par le juge Gomery et par le commissaire à l'information dans les réformes qu'il propose.
Mme Kothawala : Le premier ministre s'est prononcé explicitement en faveur de cela dans son programme électoral, « Changeons pour vrai ».
Le sénateur Stratton : Qui décide quand l'intérêt public prime?
M. Gollob : Dans le premier cas, c'est le commissaire, mais on fait souvent appel aux tribunaux. Un certain nombre de cas ont abouti devant la Cour fédérale. L'un d'entre eux est celui de Babcock, qui a été cité au Sénat, je crois.
Le sénateur Stratton : Je déteste m'en remettre aux tribunaux. C'est tout.
Le sénateur Day : Mon collègue m'a demandé de reprendre cette question. Elle fait suite à la discussion que vous aviez à propos de la question supplémentaire du sénateur Stratton. Comment pensez-vous que ça va marcher? Est-ce que ce sera le responsable du ministère qui va faire toute la réflexion au départ — « Oui, vous pouvez avoir ceci. Non, vous ne pouvez pas avoir cela parce que cela peut porter préjudice, mais oui, vous pouvez l'obtenir parce que l'intérêt public l'exige » — ou est-ce que ce sera quelqu'un d'autre qui prendra la décision?
M. Gollob : Nous pensons que dans le premier cas, c'est le ministère qui dirait : « Cela répond à notre critère du préjudice. »
Le sénateur Day : Autrement dit, « Vous ne pouvez pas l'avoir ».
M. Gollob : « Vous ne pouvez pas l'avoir; cela vous est refusé. » L'auteur de la demande interjette alors appel auprès du commissaire à l'information. Je crois comprendre que le commissaire à l'information ne peut que décider si la décision répond ou non au critère du préjudice. S'il confirme que c'est le cas, alors bien sûr on vous refusera l'accès au document. Si ce n'est pas le cas, le commissaire à l'information peut alors chercher à régler cette question à l'interne ou il peut s'adresser aux tribunaux.
Ce que nous proposons, c'est que le commissaire à l'information puisse aussi dire : « Oui, cela répond au critère du préjudice. Cependant, l'intérêt public exige que ce document soit rendu public. »
Si tel est le cas, c'est-à-dire que si l'on confère de tels pouvoirs au commissaire à l'information, le ministère aurait quand même le droit d'interjeter appel. Cet appel pourrait également aboutir devant les tribunaux.
Le sénateur Day : Si je vous comprends bien, si le citoyen a besoin d'une disposition dans la loi qui fait en sorte que l'intérêt public prime, il faudrait qu'il puisse débattre de cela en se fondant sur l'intérêt public?
M. Tromp : Oui. J'ajouterai brièvement que la disposition où il est dit que l'intérêt public prime se retrouve dans les lois sur l'accès à l'information de l'Ontario, de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et d'autres provinces, et il s'agit dans tous les cas de bons modèles pour la loi fédérale sur l'accès à l'information.
Le sénateur Day : Voilà qui est utile. Nous en prenons bonne note.
Ma dernière question porte encore sur l'article 18, les exceptions. Disons qu'il y a un document que vous ne pouvez obtenir; le responsable d'une institution fédérale peut refuser de rendre public des documents que l'on a demandés en vertu de la loi, et on énumère ensuite quelques éléments. C'est ce que dit la loi actuelle.
Reportez-vous aux pages 118 et 119 du projet de loi C-2, où l'on vise à modifier l'article 18 et à l'enrichir. Tout au bas, l'article 146 modifie l'alinéa 18(b). Si vous ne voulez pas passer trop de temps à les comparer, vous pouvez me croire, mais ce que je vois comme modification, ce sont les deux dernières lignes. La première partie de l'alinéa 18(b) de l'article 146 dit que le responsable de l'institution fédérale peut refuser la communication de documents si leur divulgation risque vraisemblablement de nuire à la compétitivité de l'institution fédérale. On a ajouté l'élément suivant : « ou d'entraver des négociations — contractuelles ou autres — menées par une institution fédérale ». C'est une excuse de plus pour le gouvernement de ne pas donner suite à votre demande, parce que cela risquerait de lui nuire.
Est-ce une chose que vous avez réclamée? Est-ce un ajout dont le but évident est de prévenir la communication de documents?
M. Gollob : Il y a des exemples clairs où il est dans l'intérêt du public de savoir combien le gouvernement a payé pour tel bien ou service qu'il a acquis par voie de contrat. La reddition de comptes exige entres autres que l'on puisse retracer ces transactions et disposer de preuves documentaires. C'est dans l'intérêt du législateur, et c'est dans l'intérêt du public.
Cependant, il semble qu'on ait ajouté ce libellé afin de protéger les intérêts des sociétés d'état ou de leurs filiales qui sont en affaire. Cependant, à mon avis, le texte de cette modification ne le dit pas avec suffisamment de clarté.
Le sénateur Day : Il est évident que c'est une restriction de plus pour l'accès à l'information.
M. Gollob : Encore là, la question est de savoir qu'est-ce qui ne marche pas et ce qui doit être réparé. Qui a subi des préjudices tels qu'il a fallu modifier la loi? Ce n'est pas nous qui avons réclamé cela. Je n'ai aucun souvenir d'une personne ayant subi un tort ou dont on aurait dit qu'elle a subi un tort du fait de la loi, et il s'agit ici des institutions fédérales, donc quel est le problème que l'on veut régler avec cette disposition? Si l'on ne cherche pas à régler un problème, et que le libellé est plus restrictif, comme vous dites, pourquoi a-t-on ajouté cette disposition?
M. Tromp : J'aimerais ajouter que cette disposition semble tout à fait inutile parce que les articles 18 et 20 de la loi actuelle traitent déjà du fait que l'on peut nuire à la concurrence, et je vous encouragerais à demander à n'importe quel fonctionnaire d'une institution quasi gouvernementale de vous expliquer les raisons pour lesquelles cette disposition est nécessaire. Pourquoi les articles 18 et 20 sont-ils insuffisants? Quel tort ont-ils causé? Peuvent-ils citer des précédents d'autres juridictions? Etc. Et insistez pour voir des preuves en appui à ces affirmations.
Le sénateur Day : Cela reviendrait en fait à amender l'article 18.
Au haut de la page 119, il y a l'autre modification à l'article 18, et il s'agit de l'alinéa 18d). C'est un autre cas où le responsable de l'institution fédérale peut refuser de communiquer un document. Ici, le changement que je vois est à la deuxième ligne : « risquerait vraisemblablement de porter un préjudice appréciable aux intérêts financiers », et l'on parlait autrefois du gouvernement du Canada et on a changé cela pour parler maintenant de « l'institution fédérale ». Une institution fédérale pourrait subir un préjudice appréciable plus aisément que le gouvernement du Canada. Comparativement à l'ancienne loi, il sera plus aisé d'invoquer cette disposition. C'est une autre modification qu'on nous demande de voter. Je veux que vous me disiez si nous devrions voter pour ou contre.
M. Tromp : Est-ce que la définition de « institution fédérale » est claire, et est-ce que toutes les instances quasi- gouvernementales seraient englobées dans cette définition?
Le sénateur Day : On définit « institution fédérale ». C'est une nouvelle définition, comme vous le savez, dans ce texte de loi, et on la retrouve à la page 116. On n'a plus le luxe d'avoir une annexe où l'on énumère toutes ces institutions fédérales. C'était comme cela qu'on faisait avant. En fait, c'est toujours comme ainsi que l'on procède, à moins la modification soit adoptée. Maintenant « institution fédérale » est définie en termes très généraux, et cela se poursuit à la page suivante, la page 117. « Institution fédérale » sera définit par le projet de loi C-2.
Mme Kothawala : Vous avez raison de craindre que l'on pourrait invoquer l'exception plus tôt. Nous partageons cette crainte. On élargi vraiment le filet ici. Le gouvernement fédéral fait aujourd'hui beaucoup de choses sans passer par les sociétés d'États classiques, mais plutôt par des organismes quasi-gouvernementaux. Ces organismes demeurent financés par le contribuable et sont censés se conduire comme des entreprises privées. La question est de savoir si ces institutions se servent des deniers publics et si elles rendent un service au public. Il y a tant de choses que le gouvernement fait maintenant par le truchement de ces organismes quasi-privatisés. Il ne suffit pas de dire que puisque l'activité est quasi-privatisée, on n'a plus l'obligation de dévoiler ce qu'on fait. Que cet organisme s'occupe de sécurité aérienne ou d'autres questions qui relevaient autrefois entièrement du gouvernement, ce n'est pas la définition de l'organisme qui doit déterminer quelles informations doivent être rendues publiques. Ce n'est pas comme cela qu'on doit déterminer si l'on peut avoir accès à ces informations; il ne faut pas se baser sur la définition mais plutôt sur le fait de savoir si l'organisme rend des services au public ou s'il se sert des deniers publics. C'est cela qui doit définir l'accès.
M. Tromp : La définition dans cet article semble totalement insuffisante. Il semble que de nombreuses fondations et d'autres instances quasi-gouvernementales pourraient échapper à cette définition et ne pas être visées, et cela est inacceptable.
Le sénateur Cowan : On a peut-être apporté cette modification parce que c'est le responsable de la décision qui décide de communiquer les documents ou non. Voilà pourquoi c'est limité à l'institution et non au gouvernement du Canada, parce que ce n'est pas le Canada ou le premier ministre qui vont décider au nom du Canada si des documents ont été communiqués ou non. C'est peut-être la raison pour laquelle on a apporté ce changement.
Le sénateur Day : C'est votre opinion. Je ne crois pas que vous puissiez vous prononcer là-dessus, mais je conclurai en disant ceci : nous devons étudier le projet de loi C-2 et nous assurer qu'il accomplit ce qu'il est censé accomplir. Ce qui me préoccupe, c'est qu'on modifie la définition de l'« institution fédérale »; à première vue, tout a l'air bien, parce qu'il faut rendre davantage de comptes et il faut qu'il y ait plus d'organismes et d'institutions fédérales qui soient assujettis à la Loi sur l'accès à l'information. Puis on voit apparaître de nombreuses exceptions, qui causent un tas d'ennuis à l'agent responsable de l'information. Nous avons longuement parlé des exceptions qui visent les nouveaux organismes qui se retrouvent sous ce parapluie. Mais les exceptions dont je viens de parler sont de nouvelles exceptions et de nouvelles restrictions qui s'appliquent à toutes les entreprises et à toutes les institutions fédérales. Ces exceptions ne se limitent pas aux nouvelles sociétés d'États et aux nouvelles fondations qu'on se propose de créer.
Mme Kothawala : Comme je l'ai dit, je crois que vous avez raison de vous en inquiéter, et nous partageons votre préoccupation.
Le sénateur Stratton : J'ai écouté les témoignages ce matin, et c'était très fascinant aussi, surtout celui de David McKie, qui est journaliste à CBC. Il a affirmé qu'il existe un système de traitement des demandes qui semble bien fonctionner, celui du ministère de la Défense. Il a dit que le ministère répondait rapidement aux demandes et qu'il donnait tous les détails voulus. À son avis, il n'y a pas de raison pour laquelle il ne devrait pas en être ainsi partout au gouvernement. Si cela marche dans ce ministère, pourquoi ne pas examiner la question et s'assurer que cette pratique s'étende à l'ensemble du gouvernement, en vertu des règles actuelles? C'est ce qui m'a surpris, à savoir qu'il y a un ministère où ça marche.
Avez-vous déjà adressé des demandes à la Défense nationale? Est-ce vrai que ça marche là-bas, et si c'est le cas, pourquoi ne peut-on pas en faire autant ailleurs au gouvernement?
Mme Kothawala : La Défense nationale est un excellent exemple, mais ce n'était pas le cas avant la Somalie. Je crois que la Somalie a joué un rôle important dans la mesure où les Canadiens se sont mis à dire que ce genre de comportements était intolérable. Le ministère a réagi à cela, mais on ne devrait pas avoir besoin d'un événement aussi marquant pour obliger un ministère à changer ses façons de faire. Malheureusement, cela ne semble pas être l'attitude générale. C'est le point de vue contraire qu'on a, à savoir « voici pourquoi nous n'allons pas vous révéler ces informations ».
M. Gollob : Ce fut un événement marquant, en effet, et l'on pourrait faire valoir que c'est ce qui a opéré un changement au gouvernement. Pourquoi est-ce que cela n'a pas provoqué le changement que vous recommandez, à savoir que c'est tout le gouvernement qui devrait suivre l'exemple de la Défense nationale et que l'on devrait respecter rigoureusement la Loi sur l'accès à l'information? Nous serions heureux qu'un tel changement se produise. Ce serait un grand pas vers la transparence. À la place, on se retrouve avec cette loi qui impose des restrictions à la transparence. Nous prions donc le Sénat de porter son attention sur ces cas, et sur les autres cas dont nous n'avons pas parlé, comme l'exemple cité par le sénateur Day, et il faut s'assurer qu'il appartienne au gouvernement d'être transparent.
Le sénateur Stollery : Je ne dis pas le contraire. Quand on trouve un ministère qui marche et dont la conduite semble satisfaisante, comme c'est le cas de la Défense nationale, on se dit que si ça marche dans ce ministère, c'est que le système est fonctionnel. Le système a déraillé à cause de l'enquête Gomery — et je veux entendre votre avis là-dessus parce que cette affirmation ne fait pas l'unanimité — et si ça marche à la Défense nationale, on peut alors sûrement trouver le moyen de voir à ce que les autres ministères prennent son exemple.
S'ajoute à cela la préoccupation que j'ai exprimée ce matin, à savoir la question de l'intimidation de l'autre côté. C'est toujours une question d'intimidation. Si l'on sait qu'on va être cité, on est très prudent. Si vos propos vont être notés et que vos documents seront rendus publics bientôt, vous serez alors encore plus prudents. Cela devient une question d'équilibre, comme on l'a dit. Cela me trouble, non pas que j'aie un parti pris quelconque, sauf que c'est comme tout le reste, il y a des conversations confidentielles sur certains sujets, où on lance des idées, comme ça, et certaines d'entre elles peuvent sembler parfois assez farfelues. Du moins, c'est ce qui est arrivé lors de certaines rencontres que j'ai eues avec certains de mes collègues. Non pas qu'on ait fait des suggestions qui étaient illégales ou incorrectes, mais dans une discussion, il arrive parfois qu'on dépasse certaines limites.
Pensez-vous que ce genre de mesures risqueraient, pour ainsi dire, d'inhiber les hauts fonctionnaires et les ministres en particulier, et que ceux-ci hésiteraient ainsi à rendre publiques des informations après un bref délai?
M. Tromp : Si vous faites allusion à ce qui se passe dans le secteur privé, c'est un secteur très différent de la fonction publique, où les fonctionnaires s'attendent à plus de transparence. Les étapes et les options envisagées constituent une partie importante des politiques publiques, et la population a le droit de savoir ce qui aurait pu être choisi, et non pas seulement ce qui a été choisi et ce qui sera peut-être choisi de nouveau.
Je crois qu'il n'y a rien à craindre, après quelques années de fonctionnement avec un tel système de transparence. Ils s'habitueraient, ils progresseraient dans ce cadre et ce serait moins inquiétant qu'au départ. Par exemple, au cours des premières années ayant suivi l'entrée en vigueur de la Loi sur l'accès à l'information, on était peut-être préoccupé à l'idée de communiquer des notes de service, des documents et des rapports, mais aujourd'hui tout le monde est habitué. Les mentalités changent.
Mme Kothawala : Lorsqu'il existe une certaine frilosité, et que des éléments essentiels d'information ne sont pas divulgués, la question logique est la suivante : Pourquoi? Qu'est-ce que le gouvernement tente de cacher? Je comprends que l'on puisse s'inquiéter que certaines délibérations et certaines choses puissent être rendues publiques, mais c'est la nature même d'une démocratie et c'est ainsi que fonctionne le gouvernement.
Comme je l'ai dit plus tôt, c'est précisément à cause de ce concept de frilosité qu'il y a des exemptions concernant le secret ministériel, les documents et les délibérations du Cabinet. La confidentialité s'applique pour une longue période. Je pense que ces exemptions sont suffisantes pour répondre à ces préoccupations.
J'aimerais répondre à votre première question, à savoir pourquoi nous n'utilisons pas le ministère de la Défense nationale comme modèle. Évidemment, le cas de ce qui s'est passé en Somalie remonte à un certain nombre d'années, et cela fait maintenant un certain temps que le ministère de la Défense nationale se distingue des autres ministères en ce qui concerne le délai des traitements des demandes d'accès à l'information. Las résultats du ministère sont bons. Toutefois, ce changement n'a pas été suffisamment important pour qu'il se diffuse de façon significative à l'échelle du gouvernement.
Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est le texte de la Loi sur la responsabilité fédérale. Avec ce texte, nous ne pourrons plus présenter le ministère de la Défense nationale comme étant le parfait modèle à suivre en matière de délai de communication des documents, car il y aura des échappatoires et des exemptions qui feront empirer la situation.
C'est ce qui est particulièrement inquiétant avec ce projet de loi. Il était censé réglé des problèmes bien réels au sein du gouvernement.
Les électeurs l'ont clamé haut et fort : Nous voulons qu'Ottawa rende des comptes et fasse preuve de transparence. Le premier ministre a été élu en s'appuyant sur cette plate-forme, mais le projet de loi n'est pas à la hauteur des attentes, surtout pour ce qui est du volet transparence et de la reddition de comptes.
Le sénateur Stratton : Je suppose que les fonctionnaires nous donneront leur point de vue à ce sujet. Ma question est la suivante : Dans la mesure où le ministère de la Défense nationale semble bien fonctionner, pourquoi ne pas l'utiliser comme modèle?
Il me semble que David McKie a présenté les choses de manière claire et concise. Il a expliqué qu'il était pragmatique et qu'il souhaitait des solutions pratiques. Dans ce cas-ci, en plus d'étudier le projet de loi, nous devrions également examiner ce qu'il faut faire pour que le système fonctionne mieux. Au fond, c'est ce sur quoi nous devrions nous concentrer. Êtes-vous d'accord?
M. Tromp : Oui, je suis d'accord. Le ministère de la Défense a de bons résultats. J'espère que vous étudierez leurs manières de fonctionner et que ces pratiques exemplaires feront l'objet d'un texte de loi afin de couvrir tous les ministères du gouvernement et afin de ne pas dépendre des règlements élaborés par le gouvernement du moment.
La vice-présidente : Il me reste encore quelques questions avant de conclure.
Monsieur Gollob, il y a quelques minutes, vous avez déclaré avoir le sentiment que ce projet de loi a été bien élaboré. Je suis d'accord avec vous. On y trouve de nombreux éléments positifs. Cependant, cet article semble poser des problèmes.
Ce matin, la commissaire à la protection de la vie privée nous a dit qu'elle n'avait pas été consultée pour ce qui est de la rédaction du projet de loi. Hier, le commissaire à l'information nous a dit qu'il n'avait pas été consulté pour la rédaction du projet de loi. Il nous a fait savoir qu'il avait le sentiment que les dispositions en matière d'accès à l'information de ce projet de loi avaient été rédigées à la hâte et n'avait pas fait l'objet de suffisamment de réflexion. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Gollob : Si vous me permettez de corriger une affirmation, le projet de loi dont j'ai dit qu'il était bien conçu est la Loi sur l'accès à l'information de 1982. Je ne parlais pas du projet de loi C-2.
À mon avis, l'Association canadienne des journaux est tout à fait d'accord avec la position exprimée hier devant vous par le Commissariat à l'information du Canada.
Parmi les préoccupations des autres agents ou fonctionnaires du Parlement qui n'ont peut-être pas été consultés, mentionnons l'extrême précipitation avec laquelle certaines de ces mesures ont été rédigées, et cela me paraît d'ailleurs la seule raison qui puisse expliquer pourquoi le projet de loi n'a pas atteint ses objectifs.
La vice-présidente : Madame Kothawala, aimeriez-vous ajouter quelque chose à cela?
Mme Kothawala : Oui : nous avons beaucoup parlé de ce qui figurait dans la plate-forme et dans le plan en cinq points. Je tiens donc à dire pourquoi nous sommes ici et pourquoi nous sommes à ce point préoccupés.
Le plan détaillé qui faisait partie de la plate-forme affirmait ce qui suit : un gouvernement conservateur mettra en œuvre les recommandations du Commissaire à l'information demandant qu'on refonde la Loi sur l'accès à l'information; donnera au Commissaire à l'information le pouvoir nécessaire pour ordonner la communication des renseignements, étendra la portée de la loi à toutes les sociétés d'État, aux agents du Parlement, aux fondations et aux organisations qui dépensent l'argent des contribuables ou exécutent des fonctions publiques; rendra obligatoire l'examen des secrets du Cabinet par le commissaire à l'information et, enfin, obligera les agents publics à constituer les dossiers étayant leurs démarches et leurs décisions.
Ce à quoi nous tenons avant tout, c'est de savoir ce qui s'est passé. Dans cette liste, le seul point qui nous paraît avoir été atteint est l'élargissement de la portée aux sociétés d'État. Toutefois, ainsi que nous l'avons dit dans nos observations, on reprend d'une main ce qu'on a donné de l'autre. Le projet de loi n'atteint pas les objectifs qu'il s'est fixés. C'est avant tout cela qui nous préoccupe. Le projet de loi fédéral sur la responsabilité était censé couvrir toutes ces choses, mais il n'en traite pas.
La vice-présidente : Il y a aussi lieu de garder à l'esprit que le commissaire à l'information ayant rédigé ce rapport aura quitté son poste d'ici huit jours, et nous ignorons qui sera sont successeur.
M. Tromp : À mon avis, le commissaire à l'information aurait dû être consulté avant la rédaction du projet de loi. Il est troublant de savoir que ses collaborateurs ne l'ont pas été, et pourtant, ce sont eux qui connaissent le mieux ce genre de questions.
La vice-présidente : Madame Kothawala, est-il fréquent qu'en réponse à une demande d'accès à l'information, on présente une liasse d'à peu près 1 000 pages de données imprimées, alors que normalement, on devrait fournir la réponse en une page? C'est ce qu'un de nos témoins nous a dit ce matin.
Mme Kothawala : Oui. Cela nous amène encore une fois au cœur de notre propos. Les réponses de 1 000 pages forcent le demandeur à tout parcourir et à essayer d'en tirer quelque chose, ce qui a tendance à dissuader les journalistes de recourir à la loi. Les journalistes ont manifestement des heures de tombée à respecter lorsqu'ils rédigent un texte. Mais il n'y a pas que la quantité de documents qui les découragent, il y a aussi leur coût. En fin de compte, on utilise ce genre de tactiques assez souvent pour retarder la communication des renseignements ou pour empêcher que cela se fasse.
La vice-présidente : On cherche alors une aiguille dans une botte de foi.
Mme Kothawala : C'est précisément cela.
La vice-présidente : Y aurait-il moyen d'ajouter un article ou d'inclure un recours quelconque afin que les réponses fournies soient plus concises? De toute manière, assez souvent, on demande des renseignements assez précis.
Mme Kothawala : C'est une bonne question. J'ignore toutefois si je suis en mesure de vous répondre, car je dois avouer que je n'avais pas songé à cette question qui demande une formulation très précise.
Toutefois, il y a probablement un moyen à prendre pour corriger ces problèmes. Les gens de l'autre côté nous ont dit avoir souvent l'impression que les journalistes se lancent dans des expéditions de pêche, ils demandent donc une énorme liasse de documents sans savoir ce qu'ils vont chercher. Dans de tels cas, ils vont souvent essayer d'établir des liens entre divers éléments, et c'est précisément ce qui s'est passé avec Daniel Leblanc et l'affaire des commandites. Il y a souvent de bonnes raisons pour lesquelles les journalistes demandent des documents; ils cherchent à mettre en place toutes les pièces du puzzle.
La vice-présidente : On peut couvrir une partie du texte qui a été noirci par un autre texte provenant d'une autre page en espérant que les deux ne correspondent pas.
M. Tromp, votre organisme est-il privé ou a-t-il quelque lien avec le gouvernement de la Colombie-Britannique?
M. Tromp : Notre organisme est un organisme sans but lucratif. Notre ancien président s'appelle David Loukidelis, et il est maintenant le commissaire à l'information de la Colombie-Britannique. Depuis 1990, nous recevons un soutien financier partiel de la part de la Law Foundation of British Columbia.
La vice-présidente : Étant donné que vous recevez un appui financier de la part d'un organisme de droit, la question suivante est peut-être pertinente. Hier, nous avons entendu le témoignage du commissaire à l'information et ce matin, celui de la commissaire à la protection de la vie privée, et les deux ont exprimé des préoccupations assez différentes. Celles de madame la commissaire portaient sur d'autres parties de ce projet de loi. Il me semble cependant que votre organisme s'intéressera aux deux aspects de la même question. Maintenant, au sujet de la question qui nous occupe, avez-vous tenu chez vous de vigoureuses discussions?
M. Tromp : Non, car nous sommes le seul organisme à se consacrer à plein temps à la fois à l'accès à l'information et à la protection de la vie privée. Nous concentrons une bonne part de nos efforts sur des questions portant sur la Colombie-Britannique, et nous nous apprêtons d'ailleurs à lancer une campagne préconisant une plus grande ouverture de la part de ce gouvernement, le 27 septembre. Nous n'avons donc pas longuement délibéré de ces questions. Pour ma part, je me spécialise dans l'accès à l'information, beaucoup plus que la protection de la vie privée, car je suis également journaliste pigiste; et notre groupe est pleinement d'accord avec les arguments que j'ai exposés.
La vice-présidente : S'il n'y a plus de questions de la part des membres du comité, je vais vous remercier très vivement de votre participation. Il a été très éclairant d'entendre les avis de personnes qui ont vraiment besoin d'avoir accès à l'information, qui s'en servent et la diffusent dans le grand public. Nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré.
Nous allons maintenant passer à un autre élément essentiel du projet de loi, soit la déontologie et les conflits d'intérêts.
Nous accueillons parmi nous deux experts renommés. Je suis donc ravi de souhaiter la bienvenue à M. David Smith, à ma droite, qui est professeur émérite à l'Université de la Saskatchewan et auteur de nombreux ouvrages importants portant sur des questions à la fois régionales et nationales. Il a été élu membre de la Société royale du Canada en 1981 et est lauréat de nombreux prix prestigieux.
Nous accueillons également Mme Sharon Sutherland, de l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa. Mme Sutherland a enseigné auparavant aux universités Essex, Dalhousie, Carleton et Queen's. Elle fait aussi partie de la Société royale du Canada. Mme Sutherland s'intéresse à la théorie de la démocratie, aux questions liées au fonctionnement des gouvernements, aux études comparatives des institutions, à la déontologie des titulaires de charges publiques et à la théorie et au comportement organisationnels. Ses publications portent donc sur ces divers sujets.
Mme Sharon Sutherland, professeur, École d'études politiques, Université d'Ottawa, témoignage à titre personnel : Je vous remercie vivement de m'avoir invitée à prendre la parole au sujet du projet de loi C-2. Mes remarques porteront sur la déontologie dans son sens le plus large et elles ne se limiteront donc pas aux dispositions précises du projet de loi.
Dans le petit monde des spécialistes des institutions, on estime qu'il n'est pas vraiment acceptable qu'un gouvernement minoritaire présente un projet de loi qui remodifiera en profondeur la règle du jeu, les règles et le fonctionnement de toutes les institutions et cela, d'entrée de jeu. Je soulève donc cette préoccupation éthique dès le point de départ.
Il y a certainement de bonnes choses dans le projet de loi, ainsi par exemple, l'élargissement des dispositions relatives à l'accès à l'information. Si le nouveau bureau du budget de la Bibliothèque du Parlement devient effectivement un service d'examens fouillés à la disposition des législateurs, ce sera une autre bonne chose de faite. Cela étant dit, après avoir réfléchi au sujet de ce texte législatif et avoir entendu les témoins que votre comité et le comité législatif ont accueils, je ne peux plus dire que je crois que nos hommes et nos femmes politiques, au niveau fédéral, sont capables de respecter notre système de gouvernement, notre projet de gouvernement responsable.
Mon exposé prendra la forme de quatre points qui se chevauchent. L'idée recouvrant tout cela, c'est que le projet de loi C-2 n'est pas un projet de loi conservateur mais bien radical. S'il est adopté, nous allons nous écarter d'institutions soit que nous connaissons, soit que nous pourrions de nouveau connaître pour nous diriger à la place vers une destination inconnue. Évidemment, par souci d'équité, reconnaissons que les institutions fédérales sont devenues de plus en plus ambiguës depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970. Je songe par exemple ici aux réformes de la Chambre des communes qui nous ont quasiment fait abandonner l'étude financière focalisée des prévisions budgétaires, et qui ont aussi menée à la prolifération des hauts fonctionnaires du Parlement.
Ce préambule lugubre ayant été fait, je passe aux explications.
Premièrement, le projet de loi fait totalement abstraction du Parlement ou de la science politique. J'en veux pour preuve que l'on se propose ici de combiner les deux bureaux de l'éthique du Sénat et de la Chambre. Chacun sait que les deux chambres sont souveraines et maîtresses de leurs propres procédures, et qu'une législature ne peut pas lier les mains d'une législature future, et qu'on ne doit même pas essayer. Ce sont les conventions, et non les lois, qui sont les piliers de la Constitution.
Je sais qu'on peut remplacer et modifier les lois, et que les régimes de gestion relèvent de la politique gouvernementale, parce que la façon de faire les choses est du ressort justement de la politique gouvernementale, mais est-ce qu'on veut vraiment passer tout le XXIe siècle à réviser les règles afin de rétablir un équilibre quelconque au sein des institutions représentatives et de la fonction publique? Ne vaudrait-il pas mieux consacrer nos efforts à gouverner et à administrer la politique gouvernementale?
Deuxième chose, mais qui revient à cela, c'est que le projet de loi fait abstraction de la démocratie parlementaire. Jusqu'à présent, aucun légiste ou parlementaire ne semble s'être interrogé sur les liens qu'il y a entre les agents du Parlement et les comités dans les autres Parlements basés sur le modèle de Westminster. Au printemps dernier, le Comité spécial sur l'administration publique de la Chambre des communes britannique s'est penché sur le rôle que jouent les agents du Parlement responsables de l'éthique et des normes. Ces travaux sont pertinents dans le contexte de notre situation et du projet de loi C-2. Le comité a classé ces agents britanniques en trois groupes différents. Il y a d'abord les instances autonomes qui sont établies en vertu de la loi — autrement dit, des instances qui fonctionnent toutes seules. Le second groupe comprend les instances établies en vertu de la loi et auquel on a donné le statut d'agent de la Chambre des communes ou de la Chambre des lords, étant donné que leurs lois habilitantes définissent les comptes qui doivent être rendus au Parlement et à ses comités. Il y a deux agents à la Chambre des communes : le contrôleur et vérificateur général est l'un des deux; l'ombudsman parlementaire est l'autre. Le troisième groupe d'instances regroupe celles qui sont créées en vertu de la prérogative royale, et de manière générale, ces instances rendent des comptes au Comité spécial de l'administration publique. Parmi toutes ces instances, le comité a décidé que le contrôleur et vérificateur général doit servir de modèle à tous les autres agents du Parlement. Celui-ci se distingue du fait qu'il rend directement compte au Parlement. En marge du rôle normal qu'elle joue dans les nominations et les congédiements, la Chambre a créé deux comités spéciaux distincts qui supervisent le contrôleur et vérificateur général. Ces deux comités surveillent ce que fait cet agent, le conseillent sur la facture de ses programmes, approuvent son budget et étudient ce que fait le contrôleur et vérificateur général dans le but de produire des rapports.
Si l'on s'en tient à cette définition, nous, au niveau fédéral, n'avons pas d'agents du Parlement au Canada. Ce qui s'en rapproche peut-être le plus est votre conseiller sénatorial en éthique. Nous avons plutôt des instances autonomes créées en vertu de nos lois. Ces lois disent que ces instances doivent être appelées agents du Parlement. Leur reddition de comptes se limite généralement au devoir qu'ils ont de déposer régulièrement un rapport au Parlement; rien de plus.
À mon avis, il résulte de cette indépendance totale de la Chambre des agents qui prêchent dans le désert et d'autres instances dont les comités ne tiennent aucun compte, ce qui fait que d'autres instances faillent à la tâche; cela fait aussi que d'autres instances sont amenées à redéfinir elles-mêmes leur mandat. Le plus grand danger dont ont fait état les témoins que le comité a entendus tient au fait que ces instances peuvent redéfinir elles-mêmes leur mandat, ce qui peut parfois avoir pour effet de refaçonner les instances démocratiques. Par exemple, du fait qu'il constitue un organisme autonome, notre vérificateur général a redéfini son programme de travail de telle sorte qu'il a pris aujourd'hui la forme d'une entreprise du secteur privé. La vérificatrice générale du Canada l'a dit elle-même :
Mais les entreprises du secteur privé ne sont pas définies par des rituels démocratiques essentiels comme l'octroi de crédits, après quoi on tâche de voir comment les crédits ont été utilisés, et le BVG n'est pas non plus défini par cette tâche.
Ce qui est compromis ici, c'est la mission démocratique de la Chambre des communes : l'exercice de la probité dans l'utilisation des deniers publics et les pratiques gouvernementales. On ne soumet pas ces travaux à une vérification financière détaillée.
J'en viens à mon troisième point. Dans les autres parlements de type Westminster, on s'est idéalement entendu pour procéder à des changements par voie de consultation, et l'on espère ainsi que, si l'on consulte suffisamment, un consensus émergera. Par exemple, le Code de la fonction publique britannique — il s'agit d'un code et non d'une loi — a été façonné par suite de consultations menées par le secrétaire du Cabinet et son groupe, qui ont étudié plus de 2 000 communications. Quand une telle convention n'est pas respectée en Grande-Bretagne, c'est le tollé général, et les députés d'arrière-ban se révoltent. L'étalage de ce savoir encourage le législatif à superviser davantage l'exécutif, même si le gouvernement Blair a fait un usage du pouvoir exécutif que n'imaginait même pas Mme Thatcher, mais le législatif a fait des gains.
Dernière observation, le projet de loi C-2 est muet sur ce que j'appelle l'éthique des relations humaines.
Dans la mesure où ce projet de loi crée un état d'esprit, c'est le châtiment qui est à l'honneur, on crée de nouvelles infractions ou l'on déplace des infractions d'une loi à une autre, ou on les répète dans des lois, ou l'on parle d'actes criminels, ou on nomme des gens, on les blâme et on les couvre de honte.
Est-ce qu'il y a quelqu'un qui s'imagine que ce projet de loi va faciliter le recrutement dans la fonction publique?
Au cœur du scandale des commandites se trouvaient les effets de la réduction des services administratifs dans la fonction publique qu'avait opérée l'ancien gouvernement. Nous ne nous sommes jamais remis de cela, même après 10 ans. Nous n'avons pas rebâti ces services, et je me demande dans quelle mesure la fonction publique fédérale est capable de gérer le changement en 2007, dont le genre de changement qui risque de leur imposer une amende de 500 $ ou 14 ans de prison? Au niveau des amendes et des peines de prison, il y a un écart béant d'une infraction à l'autre.
Je conclurai en disant que j'ai la plus grande sympathie pour le Sénat et la tâche qui l'attend, une très grande sympathie. J'ai jeté un coup d'œil dans Beauchesne avant de venir ici, et j'ai vu à quel point on se méfie des lois omnibus, et j'ai remarqué que la disposition 68(3) du Règlement interdit aux parlementaires de présenter un projet de loi dans une forme incomplète.
Je crois que ce projet de loi est dans une forme incomplète. J'ignore quels changements utiles vous proposez, et je me contenterai de répéter ce que d'autres ont dit. Il y a de grandes lacunes au niveau des définitions, et s'il y a une définition qui manque, c'est celle de la vérification : on ne la définit nulle part, et pourtant l'on accroît de beaucoup les pouvoirs de la vérificatrice générale, même si elle ne veut pas avoir celui de scruter les comptes, mais elle accepte cependant l'immunité parlementaire.
Je crois qu'il faut demander au gouvernement d'énoncer les principes généraux qui inspirent ce projet de loi. À mon avis, ce projet de loi est incomplet, il a été bâclé, et il ne tient aucun compte du milieu institutionnel.
David Smith, professeur émérite, Université de la Saskatchewan, témoignage à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité. La loi fédérale sur la responsabilité qu'on propose est un projet de loi massif qui touche presque toutes les facettes de la gouvernance parlementaire. Si l'on oblige les sous-ministres à rendre des comptes, on risque de modifier le protocole qui fonde la relation entre ministres et sous-ministres depuis la Confédération.
De même, la création d'une commission qui conseillera le gouverneur en conseil sur les nominations, l'introduction d'une soi-disant loi sur les dénonciateurs et les nouvelles restrictions sur les dons aux campagnes électorales, qui comptent parmi les autres exemples d'innovation qu'on trouve dans la loi omnibus, promettent une nouvelle approche au niveau de la gouvernance.
Le président du Conseil du Trésor a dit que cette mutation politique a pour but « d'améliorer la confiance des Canadiens à l'égard de leur gouvernement et des représentants qu'ils ont élus ». On ne peut pas dire en quelques minutes, et sûrement pas dans les quelques minutes à venir, si la promesse ou le but des changements qu'on propose vont se réaliser. C'est pour cette raison que je vais limiter mes observations à trois questions qui sont reliées et qu'on retrouve dans le projet de loi C-2.
Ces questions ont trait aux agents du Parlement, à la création d'un seul commissaire responsable des conflits d'intérêts et de l'éthique pour les deux chambres du Parlement au lieu d'avoir ce qu'on a maintenant, c'est-à-dire un commissaire à l'éthique pour la Chambre et un conseiller sénatorial en éthique, et enfin, la préférence que je subodore dans ce projet de loi pour l'utilisation de règles législatives par opposition aux règles conventionnelles relatives au privilège et à la procédure parlementaires.
Si l'on dit qu'on a pour objectif de gagner la confiance du public, c'est supposer que les Canadiens se méfient de leur gouvernement; et pour renverser cet état de chose, il est nécessaire de créer un régime de gardiens et de lois qui, jusqu'à présent, était essentiellement tacite et se régulait de lui-même.
Il faut dire d'emblée que la question de la confiance ne se pose pas qu'au Canada. C'est exactement le mot que l'on retrouvait dans le titre des conférences Reith de 2002 à la British Broadcasting Corporation, où l'on faisait valoir que la confiance du public dans toutes les autorités — médicales, scientifiques, par exemple, ainsi que politiques — était remise en question. D'ailleurs, la conférencière, Onora O'Neill, qui était alors directrice du Collège Newnham à l'Université de Cambridge, a déclaré à ce propos que la confiance était devenue un cliché à notre époque. En outre, la banalité du diagnostic est renforcée par le remède que l'on privilégie : la transparence. Cependant, il semble y avoir une contradiction entre les buts et les moyens. Comment peut-on obtenir plus de transparence si l'on alourdit la supervision bureaucratique?
Ces jours-ci, les agents du Parlement sont des personnages aimés des médias. Jeffrey Simpson, par exemple, a dit de la vérificatrice générale qu'elle était devenue une héroïne populaire et qu'elle était aimée de l'opposition. À ma connaissance, on n'a pas étudié la perception qu'a le public des agents du Parlement. Mais il faudrait le faire, étant donné que cela révélerait des attitudes à l'égard de la gouvernance parlementaire; et je m'attends malheureusement à ce que ces attitudes ne réjouissent pas les parlementaires. J'imagine que le public dirait que les agents du Parlement surveillent mieux le gouvernement que les parlementaires eux-mêmes.
Au lieu de voir les parlementaires comme étant les responsables de la tâche qu'il faut mener à bien en recommandant des mesures dans la foulée des travaux des agents du Parlement, le public et les médias voient trop souvent les agents comme étant indépendants du Parlement.
Il faut de toute urgence clarifier le sens qu'on donne au mot indépendance dans la mesure où il s'applique aux agents du Parlement. Dans le vocabulaire politique, l'indépendance est devenue un mot en vogue, mais il peut aussi prêter à confusion. Les agents du Parlement, par exemple, ne sont pas indépendants du Parlement, et ce ne sont pas non plus des ombudsmen dans le sens classique du terme. Ils sont au service du Parlement et non du public, ou du moins, ils ne sont pas directement au service du public.
Les termes du projet de loi C-2, en ce qui concerne les agents du Parlement, n'éliminent nullement la confusion à ce propos. En fait, on en rajoute. Par exemple, on ne sait pas si l'on va procéder par vote secret pour choisir les agents du Parlement. On a avancé que cela risquerait de miner l'autorité des agents si l'on savait que l'un d'entre eux n'avait pas le soutien de toute la Chambre. La vraie question est en effet la nomination du candidat, et le soutien que cette candidature recueille parmi les parlementaires.
Qui plus est, à mon avis, il y a quelque chose qui ne tient pas si le principal intéressé ne sait pas comment il a été choisi. Une telle façon de faire perpétue la confusion à l'égard de l'indépendance, et au même moment, on renforce l'américanisation du Parlement, c'est-à-dire un système où la branche législative du gouvernement cherche à freiner l'exécutif.
Enfin, il existe une théorie constitutionnelle, qui est plus américaine que canadienne ou britannique, et selon laquelle les vérificateurs et les agents comme les agents du Parlement sont censés incarner la branche chargée de l'intégrité du gouvernement. Le mot est de Bruce Ackerman, professeur de droit à Yale.
Quelle que soit sa validité dans un autre système politique, la notion d'une branche seule chargée de l'intégrité, qui se sert des agents du Parlement pour la faire respecter, ne correspond pas bien à la Constitution du Canada.
Légiférer en matière de conflit d'intérêt — c'est-à-dire, comme l'a dit un autre témoin, passer d'un régime fondé sur des valeurs à un régime fondé sur des règles — pose des tas de problèmes. Le régime parlementaire trouve son origine dans une tradition orale où l'on hésite à codifier la pratique. Cette inclination est plus qu'une préférence institutionnelle. La loi oblige les trois éléments du Parlement à collaborer. La suprématie parlementaire fait en sorte que la Couronne acquiesce aux vœux de la législature. La loi et la politique sont essentielles dans une démocratie constitutionnelle, mais ce n'est pas la même chose. Codifier ou ériger en loi la pratique ou le privilège parlementaires, c'est confondre les distinctions qui existent dans la mesure où l'on soumet la pratique et le privilège parlementaires à l'examen judiciaire. Dans ce contexte, c'est un principe constitutionnel essentiel qui est en péril. Cela peut vous sembler dramatique, et pourtant c'est une question d'une grande importance mais qui n'est pas bien connue de manière générale. La compréhension de la Constitution du Canada fait sérieusement défaut ici, particulièrement au niveau tacite. Et pourtant, ce principe est au cœur même de la Constitution. On est ici dans le monde de la monarchie constitutionnelle, et c'est aussi le monde du gouvernement parlementaire. Jusqu'à récemment, le fait de légiférer était inconnu des deux. Par exemple, la légalisation des partis politiques commence avec le rapport de la Commission Barbeau des années 1960 et la mise en œuvre des recommandations de la commission, qui nous ont donné les lois sur le financement électoral des années 1970. Ça ne fait pas si longtemps. Il importe peu de savoir si cette légalisation était une bonne chose ou non. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on se retrouve devant quelque chose de différent, dont les conséquences peuvent être vastes et imprévues. De la même façon, la loi fédérale sur la responsabilité aura des conséquences imprévues, et elles seront beaucoup plus vastes qu'on cherche à faire beaucoup plus d'un seul coup.
C'est un exemple qui m'amène à mon troisième et dernier point : la création d'un seul poste de commissaire à l'éthique pour les deux Chambres du Parlement. Pour les tenants de ce changement, il s'agit d'être efficients et de faire des économies. Exception faite des ministres et des secrétaires parlementaires, on amalgame les membres des deux Chambres pour les besoins du contrôle de l'éthique. Cependant, même à son niveau le plus superficiel, cette perception est fausse. Les députés de la Chambre des communes ont des mandats, dans la mesure où leur séjour au Parlement est défini. Ce n'est pas le cas des membres du Sénat. En ce moment, et depuis les quarante dernières années, les sénateurs occupent leur poste jusqu'à l'âge de 75 ans. Les députés représentent des circonscriptions; ce n'est pas le cas des sénateurs. La Chambre se renouvelle à intervalles réguliers. Le Sénat est marqué par la permanence. Sans aller plus loin, les différences entre les deux Chambres sont substantielles lorsqu'il s'agit d'éthique et de conflit d'intérêt. Les députés représentent des électeurs qui ont des intérêts. Cette certitude, et l'incertitude d'une victoire électorale future, place le député dans une position bien différente de celle de son homologue sénatorial. C'est pourquoi ces deux Chambres ne se ressemblent pas dans leur composition; cet aspect est renforcé par leur taille différente. Le Sénat a un tiers des membres de la Chambre et, contrairement à la Chambre des communes, le nombre de membres est plafonné — exception faite de l'article 26 — et cela est renforcé par les perspectives de carrière différentes que chaque chambre offre à ses membres : les députés sont au début de leur carrière politique; les sénateurs sont en fin de carrière.
Ce qui est plus fondamental ici, c'est le fait que l'on confond les différences au niveau du personnel. De même, on ne tient aucun compte de la spécificité organisationnelle et culturelle des deux Chambres du Parlement canadien. Autrement dit, on ne reconnaît suffisamment pas les impératifs du bicaméralisme. Les symboles sont importants en politique, et ce projet de loi témoigne d'un mépris pour le caractère distinct des deux Chambres. Et pourtant, elles sont différentes, tant au niveau de leurs rôles et fonctions qu'au niveau de leurs pouvoirs. En tant que législateurs, les sénateurs œuvrent à partir d'une mémoire plus longue, à partir d'une perspective différente et, d'une manière générale, à partir d'une expérience plus riche que celle de leurs homologues de la Chambre des communes. Le bicaméralisme, c'est le dédoublement : c'est faire les mêmes choses deux fois, et les faire mieux parce qu'elles sont faites deux fois. En effet, cela fait partie de toute notre culture. On emploie des expressions comme « deux têtes valent mieux qu'une », « agir à la hâte pour ensuite se repentir longtemps », et cetera. C'est un élément important de notre formation culturelle. Il s'agit bien de faire les mêmes choses deux fois. Dans un pays comme le Canada où l'on trouve tant de différences sociétales, culturelles, économiques et régionales, tout cela milite en faveur — et c'est l'argument qu'ont retenu les Pères de la Confédération — d'une seconde chambre, distincte de la chambre basse.
Pour ceux qui ne connaissent pas les institutions politiques et la Constitution du Canada, le nombre d'agents responsables de l'éthique peut sembler sans importance. Mais l'argument que je viens de développer nous dit le contraire. Il y a des motifs pratiques et symboliques qui militent contre la nomination d'un seul commissaire à l'éthique pour les deux Chambres du Parlement.
La vice-présidente : Merci, monsieur Smith. Avant de passer à la liste, je tiens à vous rappeler que la disposition relative au vote secret pour élire les agents du Parlement a été retranchée du projet de loi par le Chambre des communes avant qu'il nous soit soumis. Cet aspect du projet de loi n'existe plus.
M. Smith : Je ne le savais pas.
Le sénateur Joyal : Permettez-moi d'ajouter que la Chambre des communes a retiré cette disposition parce qu'après examen, elle a été jugée anticonstitutionnelle.
M. Smith : Je ne m'étais pas rendu compte qu'elle avait été retranchée.
Le sénateur Joyal : C'est à cause d'un article de la Constitution qui prescrit un vote public. Si le vote est secret, il cesse d'être public. Je ne veux pas m'attarder là-dessus, mais cela montre avec quel empressement ce projet de loi a été rédigé, étant donné qu'il contrevenait une disposition de la Constitution qui semble si essentielle, à savoir que la Chambre des communes et le Sénat votent publiquement : c'est dire que quelqu'un, qui avait probablement de bonnes intentions, n'avait pas eu le temps de vérifier la Constitution. Comme vous savez, tous les projets de loi sont censés être vérifiés par le ministère de la Justice. Normalement, ce serait l'une des premières choses à faire dans l'étude d'un avant- projet de loi. Cependant, personne ne s'est arrêté à cela. Cela prouve que ce projet de loi a été écrit à toute vapeur, et c'est pourquoi nous prenons le temps de l'étudier et tâchons de l'améliorer.
J'ai trois séries de questions que vous avez tous les deux abordées. Je le répète, même si l'on avait de bonnes intentions, le projet de loi crée un certain nombre d'agents du Parlement et ajoute beaucoup à l'effectif qu'on a — cinq ou six de plus. Cela étant, le Parlement aura la certitude qu'il ne sera pas seul à exiger des comptes du gouvernement. Ce qui permettra au Parlement de s'occuper d'autres choses. Comme l'a dit Mme Sutherland, le projet de loi ne fait pas le lien entre ces agents et les travaux quotidiens du Parlement. Nous avons toute une série d'exemples où le Parlement reçoit des rapports d'agents en tous genres, comme l'agent responsable des droits de la personne, le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire à l'information; ces rapports restent sur le bureau du Parlement. Dans ses travaux quotidiens, le Parlement n'étudie pas ces rapports pour leur donner suite. Le seul rapport qui suscite de l'intérêt est celui du vérificateur général parce qu'il existe un comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes. Même les travaux du Comité des comptes publics sont structurés — et de nombreuses études le prouvent — d'une manière limitée, et l'efficacité avec laquelle il traite les rapports du vérificateur général est également limitée.
Le projet de loi met en marche une dynamique, si j'en crois ma propre expérience parlementaire, qui fera en sorte qu'on va empiler les rapports sur le bureau de la Chambre des communes et du Sénat, mais ces rapports vont y rester et n'auront pas de suite. Autrement dit, ils ne chemineront pas dans le système. À long terme, la responsabilité de la reddition de comptes appartiendra, comme vous l'avez dit, aux héros populaires. Les Canadiens ne placeront pas leur confiance dans le Parlement mais plutôt dans ces agents. Les parlementaires auront une autre utilité, mais non celle pour laquelle ils sont censés être là.
C'est une dynamique importante que met en marche ce projet de loi — et je reviens constamment à cette question dans notre débat. Cette question n'a pas été murement réfléchie lorsqu'on a rédigé ce projet de loi à la hâte pour améliorer la situation. Étant un habitué du Parlement, je crois que cette dynamique va affaiblir le statut des parlementaires, au profit d'un agent indépendant qui va nous diriger. Cet agent indépendant, ou ces agents, vont assumer la responsabilité du Parlement, mais le Parlement ne donnera pas suite aux paroles de ces agents. Dans le quotidien, il n'y a presque aucun contact entre agents et parlementaires.
Je crois que c'est là un changement très sérieux qu'on apporte au système. Ce n'est pas un changement, comme vous avez eu raison de le faire valoir, qui fera en sorte que le public aura une meilleure opinion de nous. La question est abstraite aujourd'hui, mais après un certain temps, nous modifierons fondamentalement notre démocratie à la Westminster. Est-ce que j'exagère ou est-ce que je mets le doigt sur un vrai problème?
M. Smith : Je suis d'accord avec vous. Vous avez mentionné le mot « abstrait ». On reconnaît la bonne volonté qui inspire ce projet de loi et les préoccupations qui ne se limitent pas à cette loi. Mais les abstractions ne font plus partie du débat politique. Il s'agit ici de confiance. On reste dans l'intangible cependant. On nous dit qu'on n'a plus confiance. Même la reddition de comptes est une abstraction. C'est notre système politique et peut-être d'autres éléments qui personnalisent les abstractions. C'était, à ma connaissance, l'avantage de la démocratie parlementaire; nous avons des députés. C'est ce qui milite aussi en faveur de la pluralité du système électoral. On sait très bien qui est là, et cette personne est responsable ou doit à tout le moins rendre des comptes au public. Bien sûr, les élus ont un rapport direct avec le gouvernement.
Il y a beaucoup à redire du fait que le projet de loi est basé largement sur les abstractions. Cependant, cela n'a rien de nouveau. On voit cela depuis longtemps dans le débat public. Je fais valoir ailleurs — et cela ne vous intéresse sûrement pas — que cela tient aux nombreuses commissions royales que nous avons eues au Canada et qui utilisent souvent des termes comme ceux-là et qui ont dit qu'il manquait quelque chose. Les gouvernements ont dû ensuite façonner des institutions pour combler le manque. Je pense que c'est très difficile à faire étant donné que personne ne sait vraiment comment gagner la confiance du public.
Je ne nie pas que la baisse du taux de participation soit un problème sérieux, surtout chez les jeunes. Oui, c'est grave. À tel point qu'il faut faire davantage pour en déterminer les causes. Pour commencer, il n'y a pas qu'au Canada que cela se produit; ça se passe partout. Dans les pays au sommet de l'échelle, à revenu élevé, fortement scolarisés, à niveau de vie élevé et, j'ajouterais, où l'administration est d'une grande probité. Il y a bien sûr des exceptions, mais il ne s'agit pas d'États faillis.
À quoi cela tient-il? Il ne suffit pas d'ajouter un agent ici ou là ou une étape de plus; c'est beaucoup plus compliqué. Je ne connais pas la réponse. Tout ce que je peux dire, c'est que c'est beaucoup plus compliqué. Peu importe quelles parties de la loi seront appliquées, cela n'aura pas d'effet sur la participation des électeurs. J'en suis absolument sûr, si c'est le but recherché. Cela ne changera en rien les affirmations selon lesquelles la confiance a baissé ou est nulle. Je ne sais pas comment vous savez cela. Vous pouvez poser la question aux gens, mais ce n'est pas un indicateur fiable de la confiance.
Mme Sutherland : Les sondages qui mesurent la confiance ne sont pas très utiles parce qu'ils ne peuvent jamais tenir compte de l'effet de maturation qui vient après avoir vécu avec un système plus longtemps. La baisse de confiance, telle que la mesurent les maisons de sondage — une forme très simple de mesure — peut en fait révéler quelque chose de très positif, comme un relèvement général du niveau de scolarisation. C'est peut-être la mesure du déclin de la vénération aveugle ou du fait de s'en remettre entièrement à quelqu'un d'autre. La baisse de la confiance dans la profession médicale serait en grande partie attribuable à la prolifération de publicités directes de médicaments, et les gens veulent ces médicaments. C'est lié à l'information que l'on trouve sur Internet indiquant que telle ou telle intervention risque de vous paralyser. La baisse de la confiance, comme je l'ai dit, peut être quelque chose de positif.
Au sujet de ce que vous avez dit à propos des mandataires du Parlement, c'est très juste. Le travail qu'ils font n'est pas transformé ou traité par d'autres entités ou par les chambres. Il n'est pas édulcoré et il ne devient pas le travail des institutions. La population a le sentiment que les députés font le travail facile — serrer les mains, demander aux gens de voter pour eux et monter ou dévaler les escaliers — tandis que le gros travail est fait par les mandataires du Parlement. Je pense que c'est un très mauvais message à envoyer à la population canadienne.
Le sénateur Joyal : Monsieur Smith, vous avez étudié le Sénat et la Chambre des communes. Je suis tenté de vous poser la même question de manière différente.
Quelles choses le Parlement devrait-il changer pour continuer de tenir le gouvernement responsable dans l'exécution de ses fonctions fondamentales?
M. Smith : La Chambre des communes?
Le sénateur Joyal : Oui.
M. Smith : Je dirais plus de moyens pour les parlementaires et les comités. Une des faiblesses du régime canadien, c'est la brièveté du mandat des députés : le roulement est élevé. Il me semble que la culture politique de la Chambre des communes a changé au fil des ans. J'ignore s'il y a une panacée, quoique je pense qu'aujourd'hui, à bien des égards, le Parlement est une institution beaucoup plus forte qu'elle ne l'était il y a quelques années, aussi bien le Sénat que la Chambre. C'est peut-être que la population comprend mieux la politique. Cela ne veut pas dire pour autant qu'elle soit satisfaite, mais cela ne veut pas dire non plus qu'elle soit ignorante.
Dans les assemblées législatives des pays occidentaux, il se fait plus de travail aujourd'hui là et dans les comités que dans les années 1950. La thèse du déclin du pouvoir législatif, qui avait cours dans les années 1950 et 1960, n'est plus vraie aujourd'hui.
Il existe des problèmes particuliers, dont la responsabilité. C'est une abstraction. Il y a certaines choses que les gouvernements doivent faire : ils doivent être productifs et responsables, ils doivent être représentatifs tout autant que responsables et ils doivent être économes ainsi que responsables. Il faut éviter soigneusement que la responsabilité ne devienne pas le seul objectif.
En particulier, je ne suis pas en faveur de l'idée que les sous-ministres soient les administrateurs des comptes. Pour les partisans de cette idée, moi je n'ai jamais vu clairement en quoi cela change vraiment de la situation actuelle. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu des problèmes dernièrement, mais je ne vois pas bien comment on aurait pu éviter qu'ils ne se produisent de toute façon. Je comprends la description qu'ils donnent, mais je ne vois pas en quoi c'est très différent de ce qui existe en Grande-Bretagne ou en Irlande. Cette recommandation précise ne me sourit pas particulièrement. On pourra l'adopter, mais je ne pense pas que cela aura grand effet.
Le sénateur Joyal : Ma deuxième question porte sur la fusion du commissaire à l'éthique, qui est la conséquence d'une confusion à propos de la nature de l'institution. Les témoins ont déclaré que si on veut maintenir une grande probité, le commissaire, mandataire ou conseiller à l'éthique, quel que soit son titre, doit être accessible. La personne doit être disponible pour fournir un contact immédiat et donc établir un degré de confiance. C'est particulièrement vrai au Sénat où, comme vous l'avez dit, les sénateurs sont nommés pour des mandats plus longs et où le roulement est beaucoup moins rapide qu'à la Chambre des communes.
Si l'on veut assurer le bon fonctionnement du Parlement, il faut bien comprendre les principes de l'institution et les incorporer aux lois ou dans les institutions créées pour aider le Parlement à accomplir ce qu'il est censé accomplir pour les Canadiens.
J'essaie de comprendre le raisonnement entre les deux, et je ne veux pas mêler les deux questions, mais cela semble découler de l'idée, dans les deux cas, que tous les parlementaires sont égaux. Désormais, nos mandats seront de huit ans, et nous serons élus, et nous allons donc nous aligner sur les députés; il devrait donc n'y avoir qu'un seul commissaire à l'éthique, un seul ensemble de règles, qui devraient se trouver dans la loi.
Il me semble que si vous changez quelque chose d'aussi fondamental que les principes institutionnels, il faut prendre le temps de réfléchir aux conséquences et non seulement à l'efficacité et aux économies de budget au motif qu'il serait plus facile de n'avoir qu'un seul service qui traite avec tout le monde en même temps. J'ai beaucoup de mal à comprendre comment nous ne comprenons pas les principes des institutions que nous sommes censés rendre vivantes et porter dans nos bras tous les jours grâce au travail que nous faisons. Comment voyez-vous la définition de notre institution par rapport à un poste aussi important, qui doit exercer le privilège des parlementaires?
Mme Sutherland : En ce qui concerne la fusion des deux entités, l'efficacité n'est qu'un prétexte; cela ne me convainc pas parce qu'il y a quantité d'autres entités coûteuses que l'on va ajouter à la Chambre des communes et auxquelles on n'a pas beaucoup réfléchi. Cela s'est fait presque à la légère ou en l'absence, à ce que je vois, de théorie du Parlement. Ils n'ont pas de lien avec les comités, ni ne sont dirigés par eux. Pour moi, prétexter l'efficacité pour fusionner les services de l'éthique du Sénat et de la Chambre ne règle pas le problème.
Le problème, c'est l'incapacité de comprendre que les chambres du Parlement déterminent elles-mêmes leurs procédures et leurs modes de travail et sont responsables de la conduite de leurs propres membres. Cette autoréglementation ne se trouve pas dans le texte. Si cela avait été présent dans l'esprit du gouvernement lorsqu'il élaborait ce qui était sans doute les dispositions principales, et si le principe de l'autoréglementation avait été une idée maîtresse, il n'aurait pas agi ainsi.
Je me souviens avoir regardé un peu la comparution du premier ministre sur CPAC devant un autre comité sénatorial; il a dit vouloir commencer là où c'était possible. Pour moi, cela laisse entendre que quelque part il doit y avoir un plan stratégique composé d'une cinquantaine d'éléments et qu'à l'heure actuelle certains de ces éléments sont entre leurs mains et que c'est pourquoi il agit. Il ne comprend pas que l'on ne peut pas procéder ainsi parce que du moment que l'on a changé la situation, on ne peut pas revenir en arrière sur la question difficile de son programme et que son contexte restera le même. Si cela se peut, je suis encore plus perplexe que vous.
M. Smith : Chaque fois que j'entends un mot comme « efficience » et « économie » quand on parle de fédéralisme ou de bicaméralisme, il y a un problème. Tant le bicaméralisme que le fédéralisme reposent sur la redondance. Il est plus efficace sur un plan, mais ce n'est pas ça le principe. C'est un principe admirable, mais ce n'est pas le principe sur lequel l'institution repose. Il y a toute une théorie dans les questions fédérales américaines par Martin Landau, qui discute de la redondance, et pas seulement dans les politiques. Cela existe dans la conception des avions. Il y a des sauvegardes. Si un moteur fait défaut, l'avion ne plonge pas; un mécanisme prend la relève. Le plus souvent, cela coûte cher, mais cela peut être nécessaire. Le fédéralisme et le bicaméralisme, c'est un peu la même chose. Ce sont des mécanismes de relève. Ils se soutiennent l'un l'autre. Si vous combinez les deux et trouvez qu'il est inefficace d'avoir les deux, je répondrai que c'est le cas, si vous considérez les choses sur un plan, mais ce n'est pas le principe dont il est question.
Pour revenir à ce que disait Mme Sutherland, le principe ou la philosophie politique sur lequel la loi repose est loin d'être clair. Elle a tant d'éléments. En étudier un n'éclaire pas davantage le principe; cela ne fait que soulever d'autres questions. Sur la question particulière de fusionner les deux bureaux, pour ces raisons, je ne suis pas convaincu. Il peut y avoir d'autres arguments, quoi que j'en doute, parce que le bicaméralisme est une caractéristique indispensable du Parlement canadien. Cela fait partie de l'essence même du Parlement et, à mon avis, ce trait doit être renforcé, encouragé et favorisé au lieu d'être affaibli.
Le sénateur Day : J'ai du mal à trouver des questions à poser parce que je souscris tout à fait à vos arguments, et je vous remercie tous les deux de les présenter avec autant de clarté. C'est avec plaisir que je les relirai dans le compte rendu.
J'aimerais que vous développiez votre pensée. À l'origine du conseiller sénatorial en éthique et du commissaire à l'éthique de la Chambre, il ne devait y avoir qu'un seul poste. C'était il y a trois ans. Quasiment comme un seul homme, les sénateurs se sont élevés contre l'idée, affirmant qu'en système bicaméral ils avaient besoin de leur indépendance. Insistant sur leurs différences, ils ont réclamé leur propre régime.
Depuis que nous avons amorcé le débat sur ce projet de loi, des témoins ont dit qu'il ne devrait pas y avoir deux mandataires à l'éthique, mais bien trois. Parce qu'une norme plus rigoureuse et un examen plus attentif doit s'appliquer à l'exécutif, à savoir au premier ministre et à son cabinet, certains ont dit qu'il devrait y avoir un régime d'éthique distinct pour eux, différent de celui de la Chambre et du Sénat.
Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
Mme Sutherland : Avec plaisir. S'il faut réguler la Chambre des communes et le Sénat, il faut en faire autant pour le Cabinet et les ministres. Cela dit, il est curieux que cette régulation se fasse par voie législative en régime parlementaire.
Jusqu'à aujourd'hui, tous les premiers ministres ont déposé un code de conduite. Le premier ministre s'attend à ce que ses ministres respectent le code. Il y a ensuite eu un code de conduite pour les députés et les sénateurs. Il y a aussi des dispositions dans le Code criminel.
Je suis tombée sur le compte rendu du comité spécial chargé de l'administration publique, qui avait entendu Anthony King et David Hine. M. King a enseigné longtemps à l'Université d'Essex. J'y étais étudiante. Je l'ai toujours admiré. David Hine dirige l'unité ou le programme d'éthique à Oxford. Les deux ont dit qu'il appartient au premier ministre de s'assurer que la conduite de ses ministres est conforme à l'éthique. Si le premier ministre y échoue, c'est alors à l'opposition de soulever la question en Chambre. Il vaut mieux laisser les choses se régler dans l'arène politique parce que, de cette façon, cela se règle de façon grossière et approximative. Cela dépend des explications que les gens donnent, de la rapidité avec laquelle ils apprennent et de l'information qu'ils peuvent tirer de la bureaucratie de la Chambre des communes. Il se passe quelque chose, puis il y a un vote et c'est réglé. Le premier ministre décide ensuite si cette personne est un boulet dans son cabinet ou au contraire un atout qu'il tient à conserver. Une solution politique se dégage. Ni M. King ni M. Hine n'étaient en faveur d'un code.
De fait, Anthony King a énuméré neuf points, dont certains sont très amusants. J'en ai tiré l'essentiel, que j'ai apporté ici au cas où quelqu'un voudrait connaître ses sages conseils. Pendant quatre ans, il a siégé au Comité des normes dans la vie publique, le premier, sous la présidence de lord Nolan. Ce qu'ils disent à propos des autres organes est semblable. Ils indiquent que les codes sont suffisants parce qu'ils contiennent un petit nombre de principes et de valeurs. Ils accordent une marge suffisante, qui permet de tenir compte de nouvelles circonstances, et l'entité peut elle- même rendre la justice, si on veut, dans un cas donné.
En Grande-Bretagne, à la Chambre des communes, le régime est différent, comme d'autres témoins vous l'on sûrement dit. Les députés font le tri parmi les cas. Ils excluent les plaintes frivoles. Ils fixent même des peines contre ceux qui déposent trop souvent des plaintes frivoles. L'enseignement que l'on peut tirer de ce qui se fait en Grande- Bretagne et en Australie montre qu'il ne suffit pas de trouver une solution juridique pour déterminer si une situation correspond à telle ou telle règle. La justice, c'est bien plus que cela à cause de tous les autres députés; il peut être dans leur intérêt de se plaindre de quelqu'un. Dans le projet de loi, rien n'est prévu au sujet des plaintes frivoles. C'est comme si l'on croyait qu'un code ou une loi était la même chose.
Si vous regardez ce que M. Chrétien a mis en place lorsqu'il a été élu en 2002, vous verrez que cela ressemble à la loi sur la responsabilité, hormis le fait que les dispositions du texte seront appliquées sous forme de loi.
Désolée si je me suis un peu étendue.
Le sénateur Day : Je vous sais gré de vos explications.
Monsieur Smith, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Smith : Je ne pense pas. Plus on met ces choses dans une loi, plus la tâche est difficile pour la magistrature. L'indépendance de la magistrature est une réalité. On a bien contesté des juges et leur travail à la tête de commission d'enquête, mais c'est parce qu'il s'agissait de sujets controversés. Avec cette loi, ce serait encore davantage le cas. Du point de vue de la magistrature, ce n'est pas une bonne idée. Mais c'est mon idée.
Cela n'encourage pas une saine vie politique non plus. J'ai dû mal à en voir les avantages, sauf que, dans une société moderne, la magistrature — encore une fois, pas dans notre pays — est perçue comme n'ayant pas d'intérêt à préserver. Dans le livre Stealth Democracy, paru aux États-Unis, on interview des Américains. Ils ne font pas de confiance à leurs membres du Congrès, malgré ce que disent les critiques canadiens de notre propre système. Par contre, ils ont confiance en ceux qui ne sont pas élus. Ils font confiance aux juges parce que ceux-ci n'ont pas d'intérêt personnel à protéger. C'est une inversion curieuse.
Le sénateur Day : Il nous faudrait un peu la même chose ici.
M. Smith : Nous savons ce que les gens pensent de la Charte.
Le sénateur Day : Des gens ont dit que le greffier du Conseil privé est en fait le commissaire à l'éthique du premier ministre et de l'exécutif. Traditionnellement, c'est le greffier du Conseil privé qui veille sur l'éthique. Mais ce n'est pas ce qui est proposé ici.
Quand vous avez un code et un système fondé sur des valeurs, vous pouvez incorporer ces principes dans le code, mais les rédacteurs du projet de loi C-2 ont formulé le code sous la forme d'une loi et laissé tomber les principes. Est-ce nécessaire? Cela en fait-il un document encore moins adaptable?
Madame Sutherland, vous avez dit que les codes qui ne se présentent pas sous la forme d'une loi peuvent comporter des principes et constituer un document vivant, adaptable, et que les choses sont beaucoup plus difficiles quand on a affaire à une loi. Cela n'est-il pas encore plus difficile quand vous ne mettez pas ces principes de base?
Mme Sutherland : Je crois que oui. On revient toujours sur l'intention du législateur lorsqu'on étudie des lois, et on parle des intentions que les gens avaient à l'époque, et c'est parfois pour les actualiser. Dans un exercice de ce genre, il est utile de donner aux gens une idée de ce qui constitue la structure de cette très étrange construction. Mais on n'a aucune idée ici de la structure qui donnera sa forme finale au système, ni de son orientation.
Ce qui m'inquiète, c'est que ce projet de loi risque d'imprimer au système une orientation que nous ne pouvons pas prévoir. Nous avons déjà du mal à gérer le système actuel qui est plus simple.
M. Smith : Je ne crois pas que j'aie quelque chose à ajouter. Dans toute organisation, qu'elle soit politique, commerciale ou universitaire, le respect de l'éthique s'obtient par l'exemple et l'encouragement, et non par des sanctions. De toute évidence, dans les cas extrêmes, il faut des sanctions, mais il s'agit d'un spectre, et le châtiment est le dernier recours.
En ce qui concerne la chose politique et le roulement élevé à la Chambre, très souvent, bon nombre des problèmes naissent simplement de l'ignorance ou du manque de compréhension relativement au fonctionnement de l'institution. C'est par l'encouragement et l'exemple qu'on aura de meilleurs députés ou sénateurs. Avec le système qu'on a ici, c'est trop noir ou blanc; c'est trop définitif; et les relations humaines sont exclues.
Mme Sutherland : L'une des leçons que j'ai tirée de l'exemple de l'Angleterre, c'est qu'il n'est pas bon de multiplier les règles parce que cela encourage les gens à croire que tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. En Angleterre, on fait valoir qu'il vaut mieux avoir des principes généraux qui suscitent des débats. Autrement dit, si on légifère tout, les gens se permettent toutes sortes de liberté parce qu'il n'est pas écrit noir sur blanc qu'il est interdit de faire ceci ou cela.
Le sénateur Day : Je vais changer de sujet un peu et répondre à l'une de vos observations concernant l'agent responsable de la reddition de comptes. Certains d'entre nous ont eu la chance d'examiner le modèle en Irlande et au Royaume-Uni. Je ne suis pas convaincu que, avec ce que nous avons ici, si j'en crois les témoignages que nous avons entendus et l'interprétation qu'on a donnée de la tâche de l'agent responsable de la reddition de comptes ici, je ne suis pas convaincu, dis-je, que nous avons le même genre d'institution chez-nous, même si nous employons les mêmes mots, ce qui crée d'autres problèmes d'interprétation.
Je me rappelle que l'un des aspects importants de l'agent responsable de la reddition de comptes, c'était l'indépendance de cet agent en Irlande et au Royaume-Uni. L'agent signe un contrat qui l'engage pour sept ans.
Nous avons remarqué qu'au cours des dix ou douze dernières années, les sous-ministres n'ont occupé leur poste que pour des périodes phénoménalement brèves. Vous avez fait état du fait que les députés ne sont pas en poste longtemps. Nous voyons peut-être ici les symptômes de ce roulement élevé. Bien sûr, l'un des avantages du Sénat tient au fait que les sénateurs occupent leur poste plus longtemps. Le sénateur Joyal a fait remarquer qu'il siège à ce comité depuis huit ans, et pendant ce temps, il a acquis une expertise extrêmement valable.
En êtes-vous au courant? Savez-vous que les sous-ministres sont en poste si peu de temps? À une époque, il s'agissait de 1,7 an.
M. Smith : J'ai vu ce chiffre, même si je n'ai fait aucune recherche statistique. Il est impressionnant que ce soit devenu le cas, pas seulement à l'échelle nationale mais dans bon nombre de provinces, où c'était le contraire à une certaine époque. Il fut un temps où les sous-ministres étaient-là pendant des générations. Même à l'époque, en Saskatchewan, où l'on considérait que la bureaucratie était affaire de favoritisme, ce n'était pas vraiment le cas au niveau supérieur. Le roulement est beaucoup plus élevé depuis quelques années.
Pour ce qui est des relations humaines, je n'ai pas beaucoup travaillé dans ce domaine, mais il me semble que le respect entre le sous-ministre et le ministre doit être très important. C'est essentiel pour le pays, le gouvernement et les personnes concernées. Il est important de se demander dans quelle mesure cette relation va être affectée par les recommandations de changement, comme la création d'un poste d'administrateur des comptes. Je ne vois pas ce que cela pourrait apporter de plus. Je sais ce que les gens disent à ce sujet, toutefois on ne m'a encore rien présenté de convaincant. D'après moi, les inconvénients pourraient être plus importants que les avantages, je ne suis pas convaincu. Voilà mon opinion.
Le sénateur Joyal : Pour en revenir au point soulevé par le sénateur Day, les objectifs du projet de loi et le système qu'il met en place sont contradictoires. Comme je l'ai dit, les objectifs du projet de loi sont la reddition de comptes, la confiance, l'honnêteté, l'intégrité, la transparence et ainsi de suite. Mais dans la pratique, quel genre de fonction publique allons-nous avoir? Demain, quand vous irez donner vos cours, direz-vous à vos étudiants que la fonction publique du Canada va devenir tellement honnête qu'elle sera un phare d'idéalisme pour l'administration publique, ou bien leur direz-vous d'être prudents s'ils deviennent fonctionnaires? Leur direz-vous de se méfier car il y aura des vérifications et qu'ils devront faire rapport? Leur direz-vous que tout sera désormais accessible et que leur créativité sera bridée, qu'ils ne seront plus qu'un numéro dans un système dont la priorité sera de surveiller leurs faits et gestes?
Les objectifs semblent bons, même si vous les remettez en question, monsieur Smith. Mais le résultat final sera différent de celui que laissent entrevoir les objectifs de ce projet de loi. Il est difficile pour nous de voir cela car nous sommes complètement absorbés par les différents articles du projet de loi et par nos efforts pour les comprendre. Nous sommes comme les exégètes du Moyen Âge. Nous scrutons chaque mot et nous essayons de comprendre ce qu'il veut dire par rapport à tel ou tel autre mot, mais ce faisant, nous perdons de vue l'image d'ensemble qui découlera de ce mot et de l'incidence qu'il aura sur le système.
Pourriez-vous nous donner des conseils quant à la façon de corriger les dynamiques que ce projet de loi pourrait mettre en branle dans le système ainsi que les conséquences indésirées?
M. Smith : Je ne sais pas si c'est possible, mais il faut faire ce dont Mme Sutherland a parlé dans sa déclaration liminaire. Il faut définir les principes que le gouvernement devrait suivre, et voir si ce projet de loi appuie ces principes ou bien si, sans que ce ne soit fait exprès, il crée des obstacles à la mise en œuvre de ces principes. Parlons-nous ici du principe de participation? En quoi est-ce que cela concerne les restrictions s'appliquant au financement des campagnes? Pourquoi inclure ces restrictions dans cette loi? Pourquoi ne pas avoir une loi différente pour les contributions dans le cadre d'une campagne électorale?
Cette loi est trop vaste. Qu'est-ce que ça à voir? Qu'est-ce que ça a à voir avec les hauts fonctionnaires du Parlement? Avec un commissaire aux nominations? Ou encore avec le directeur des poursuites pénales? C'est tellement vaste. Le problème c'est qu'il n'y a pas de cohésion. Je suppose que c'est généralement ce que l'on reproche à des projets de loi omnibus. Les principes qui, si nous comprenons bien, devraient être à l'origine de ce projet de loi, c'est-à-dire la promotion de la participation politique, comme l'ont expliqué les tribunaux dans le cadre de l'affaire Figueroa et d'autres, ou encore le renforcement des institutions parlementaires car elles sont le fondement de la démocratie canadienne, dans quelles mesures ce projet de loi permet-il de les atteindre? Peut-être même qu'il mine ses principes de façon involontaire?
Le problème avec le concept d'un seul haut fonctionnaire du Parlement, c'est que les institutions parlementaires sont l'un des principes fondamentaux du bicaméralisme. Le projet de loi ne tient pas compte de ce principe. Au contraire, il l'affaiblit. Il est important de discuter de cela, et les Canadiens le comprennent.
Je ne sais pas ce qu'on peut dire sur le directeur des poursuites pénales. Pousser les choses aussi loin — si j'ai bien saisi — et je ne suis pas expert juridique — représente un changement fondamental du système actuel. Je sais que certains l'ont critiqué, mais le système actuel fonctionne de cette façon pour de bonnes raisons. Je ne sais pas où se situe le directeur des poursuites pénales dans le système. On aurait tort de dire qu'il s'agit là d'une américanisation ou que sais-je du système — c'est peut-être vrai — mais la loi déplace certainement le siège de l'autorité. N'oubliez pas que notre Constitution est concrétisée par le Parlement.
Mme Sutherland : Je suis d'accord avec M. Smith, et j'aimerais ajouter quelque chose quant à ce projet de loi qui est un projet de loi omnibus. Même s'il s'agit d'un projet de loi omnibus, tous les éléments qu'on y retrouve ont un impact sur la façon dont le gouvernement fonctionne. Les éléments qu'on y retrouve sèment la confusion quant à la façon dont nous serons gouvernés parce que la théorie des institutions — ce nouvel arrangement institutionnel, la nouvelle Jérusalem — n'est pas décrite.
J'ai appris que Kevin Lynch avait prononcé une allocution à l'école d'administration publique de l'Université Dalhousie et il s'est servi de l'expression « les meilleurs et les plus brillants candidats ». À mon avis c'est toujours une chose plutôt étrange à dire, un outil de recrutement plutôt inusité, mais je me demandais si les meilleurs et les plus brillants se rendront tous à Ottawa pour travailler dans une fonction publique où ils devront apprendre que ce qui pourrait leur coûter 500 $ d'amende peut également les envoyer derrière les barreaux pendant un bon nombre d'années.
C'est regrettable pour la fonction publique puisqu'il n'y a aucune cohésion. J'ai recherché cette cohésion, je me suis posé des questions, et je me suis dit que peut-être que tout compte fait, ce projet de loi reflète une perception de la nature humaine. J'ai donc l'impression que la nature humaine est mauvaise chose, et que l'être humain n'est pas perfectible. Il est difficile de penser à des choses comme le leadership lorsque les principes législatifs font état de sanctions. Il est difficile de penser au leadership, à l'innovation et à de nouvelles façons d'assurer une plus grande efficience, et tous ces autres bons vieux thèmes. Le terme populaire « habilitation » ne veut vraiment rien dire... L'autohabilitation et la capacité d'agir. Mais tout cela ne cadre pas avec cette proposition législative parce que la perception de la nature humaine est qu'il s'agit de quelque chose qui doit être restreint, confiné, lié, et que les gens ne devraient pas se comporter comme des êtres humains, parce que lorsqu'ils le font c'est une mauvaise chose. Et ça c'est le principe qui semble caractériser cette proposition.
Pour ce qui est du poste de directeur des poursuites pénales, je me suis demandé si la création de ce poste figure dans le projet de loi parce que cela permettrait tout au moins de centraliser les poursuites pénales pour fraudes à Ottawa, rendant ainsi cette activité plus visible. Dans le bon vieux temps, nous n'avions qu'un nombre limité d'escrocs chaque année, mais soudainement on semble avoir tout un bassin d'escrocs. Ça permettrait de centraliser ce genre de poursuites.
Si vous êtes prêts à modifier d'une telle façon la Constitution, pourquoi ne pas simplement retirer complètement au Cabinet le pouvoir d'intenter des poursuites; excluez le procureur général du Cabinet et rendez ce poste un poste indépendant du gouvernement. Si le principe de l'indépendance généralisée est une bonne chose, pourquoi ne pas rendre les poursuites indépendantes du gouvernement? C'est ce qui s'est produit en Grande-Bretagne. M. Blair a aboli une institution vieille de 1 400 ans lors d'une conférence de presse un vendredi après-midi. Pourquoi ne pas faire de même ici?
La vice-présidente : Ne mettez pas notre premier ministre au défi.
Le sénateur Stratton : Madame Sutherland, je suis d'avis que les institutions ne sont plus ce qu'elles étaient, et je crois que la situation existe parce que dans l'ensemble, les gens ont plus d'éducation. C'est une bonne chose.
Je pourrais rester ici et en discuter avec vous toute la journée. Au point de vue philosophique, je pourrais être d'accord avec vous, mais au point de vue pratique, je ne peux oublier que les parlementaires vivent dans l'arène politique, qu'ils vivent dans le vrai monde actif des parlementaires et que s'il y a quelque chose qui cloche, l'opposition dira qu'il faut absolument agir. C'est justement pourquoi ce projet de loi a été mis de l'avant. C'est la réalité politique.
Par exemple, le sénateur Day et moi sommes allés à Londres et à Dublin et nous avons étudié leur régime d'agent comptable, qui semble fonctionner assez bien. Leurs politiciens et hauts fonctionnaires semblent assez heureux de leur système fondé sur des règles. Si cela semble avoir fonctionné dans ces deux pays, peut-être qu'on devrait l'essayer ici.
Le projet de loi n'est pas parfait, loin de là, en tentant d'essayer quelque chose comme l'agent comptable — et notre Comité des finances a examiné la question et a vu cela d'un œil très positif — je vois qu'il faut qu'on essaie de faire quelque chose. Notre ancienne méthode ne semblait pas fonctionner très bien. Et cependant, quand on se tourne vers Londres et Dublin, cela semble fonctionner. En toute logique, il faudrait dire que nous devrions l'essayer.
M. Smith : Seriez-vous prêt à l'essayer, par exemple à faire l'expérience dans certains ministères pendant des périodes de cinq ans peut-être?
Le sénateur Stratton : Je crois que oui, dans un monde idéal ce serait possible. Peut-être que ce devrait être sujet à révision. Toutefois, dans le monde réel de la politique, il faut faire quelque chose et non pas un essai. Il n'est plus question de cela maintenant, à mon avis.
Mme Sutherland : Convenez-vous que ce serait intelligent d'échelonner les dispositions du projet de loi afin que, pour reprendre le principe du premier ministre, on puisse commencer avec les éléments sur lesquels il est le plus facile d'agir et qu'on mette de côté les éléments moins bien compris jusqu'à la fin. Vous pourriez commencer avec l'agent comptable, ce qui est du nouveau pour le Canada, malgré le fait qu'on l'ait étudié et suggéré à plusieurs reprises. La version préconisée par ce projet de loi est la moins inquiétante jusque-ici. Quand le Comité des comptes publics en a discuté, on a proposé qu'en cas de désaccord entre un sous-ministre et un ministre, un ministre coucherait ses directives sur papier et les enverrait directement au vérificateur général. Je ne sais pas ce qu'il ou elle en ferait par la suite.
Le sénateur Stratton : Il ou elle rendrait le document public.
C'est ce qu'ils font en Angleterre. Cela s'est produit une fois sous la première ministre Thatcher.
Mme Sutherland : Ce qui est beaucoup plus clément dans la disposition de ce projet de loi par rapport à la disposition britannique c'est peut-être qu'elle reconnaît le principe du manque d'expérience dont vous et le professeur Smith discutiez tantôt. Je parle de la courte durée des mandats de sous-ministre dans un poste en particulier, et de la période encore plus courte pendant laquelle un ministre et un sous-ministre pourraient travailler ensemble. On se dit qu'au Canada, on aurait peut-être des difficultés et que les personnes en question n'ayant pas beaucoup d'expérience, un ministre pourrait prendre la question de la délégation de pouvoir très sérieusement et il n'assignerait pas trop de tâches au sous-ministre. Ensuite, il y a des différends, et donc vous allez voir le Conseil du Trésor et c'est réglé soit au niveau du secrétaire soit au niveau du conseil.
Cela semble être une espèce de canadianisation utile parce que c'est plus adapté à nos circonstances. Je ne sais pas si j'ai le droit de vous poser des questions. Est-ce que ça va?
Le sénateur Stratton : Allez-y.
Mme Sutherland : Et si il s'agissait d'une mise en œuvre progressive? Un des grands principes des essais scientifiques, c'est une chose à la fois, jusqu'à ce qu'on comprenne ce que font les deux choses, et par la suite on les met ensemble et on observe les interactions. Peut-être à ce moment-là, on prescrit les deux médicaments en même temps au pauvre patient, mais on ne commence pas en l'assommant. Que diriez-vous d'une mise en œuvre progressive?
Le sénateur Stratton : Dans un monde idéal, je serais d'accord. Néanmoins, ce n'est pas un monde idéal. Nous sommes au Parlement et nous vivons dans la réalité. Le premier ministre a cru bon de choisir cette voie. Il fallait prendre des mesures visibles. Le grand public s'impatientait. Il fallait vraiment agir. Vous n'êtes peut-être pas d'accord — et nous saurons avec le temps si c'est bon ou mauvais — mais en ce qui concerne une mise en œuvre progressive, si on avait eu le bonheur d'une majorité ou d'un deuxième mandat, peut-être qu'on le ferait, mais ce n'est pas le cas.
La vice-présidente : Le sénateur Stratton vient de soulever le fait que nous évoluons dans un système parlementaire. Monsieur Smith, vous avez dit que l'établissement d'un bureau d'intégrité inspiré du modèle américain ne cadre pas bien avec le système de gouvernement britannique. Est-ce que vous signifiez par là que les dispositions du projet de loi rapprocheraient le système parlementaire canadien du système américain?
M. Smith : Je crois que oui. J'ai un très grand respect pour la Constitution américaine, mais seulement dans la mesure où on tend de plus en plus à considérer les hauts fonctionnaires du Parlement comme étant indépendant du Parlement lui-même, du parent. Mais ce ne sont pas des acteurs indépendants, ce sont des mandataires du parent. D'ailleurs, c'est le point de vue non seulement des hauts fonctionnaires mais aussi de la population. Il s'agit d'une incompréhension grave, incompréhension qui est susceptible de se répandre. Le haut fonctionnaire du Parlement a pour rôle de servir le Parlement et, indirectement, la population du Canada, au bout du compte, tout comme le Parlement est au service de la population. Selon moi, les « hauts fonctionnaires du Parlement », du meilleur au pire, s'il y existe une hiérarchie, sont au service du Parlement. En effet, ils ne peuvent rien faire sans l'intervention du Parlement. Ils présentent des recommandations; les députés et les comités décident s'ils vont y donner suite. Il est très important de faire comprendre ce rapport-là. C'est peut-être une tâche impossible, étant donné la tendance actuelle. Cependant, aller dans ce sens-là ne renforcerait pas le Parlement.
La vice-présidente : Monsieur Smith, j'ai bien apprécié votre citation qui disait que mettre le code dans la loi créerait une mauvaise loi et ne serait pas de la bonne politique.
Madame Sutherland, vous aussi, vous avez parlé du code. D'après vous, un code fonctionne bien s'il fait l'objet d'un consensus, et on ne doit pas l'intégrer dans une loi. Le groupe Democracy Watch a comparu devant le comité le 18 septembre dernier. M. Conacher était d'avis qu'un code ne suffit pas et doit être énoncé dans la loi. Il serait donc susceptible de faire l'objet d'un examen judiciaire.
Mme Sutherland : S'il existe une loi permettant la déclaration de culpabilité, on doit prévoir des recours. À cet égard, les dispositions concernant la fonction publique sont étonnantes, puisque celui qui porte plainte peut recevoir de l'aide financière, mais non le gestionnaire qui est accusé et qui veut faire appel de la décision et prouver son innocence. Il semble même qu'il existe une présomption que, si une personne est accusée, il sera prouvé qu'elle est coupable d'une inconduite très grave.
Si Democracy Watch veut que le code soit dans la loi, il devrait prôner aussi un examen détaillé du projet de loi pour s'assurer qu'il existe des recours dans chaque cas et que le régime est toujours juste.
Democracy Watch défend la démocratie et non la gouvernance, la mise en œuvre. Vous connaissez tous le problème des magouilleurs, c'est-à-dire ceux qui se servent d'une règle ou d'un pouvoir afin de faire quelque chose qui n'est pas visé par le pouvoir qui leur a été conféré. Dans la fonction publique, il y a beaucoup d'intervenants : il faut passer par plusieurs personnes, des groupes de travail. Selon les dispositions actuelles, une personne pourrait s'adresser directement à l'agent de l'intégrité, je crois que c'est le titre exact, et le processus serait enclenché. On porterait des accusations, une décision serait prise et la situation déboucherait sur une résolution.
Les dénonciateurs sont protégés aussi, mais la disposition à cet égard ne reconnaît pas le contexte de travail dans toute organisation professionnelle. Si on travaille avec six ou huit autres personnes, il faut évidemment discuter de vos réserves avec elles. Si elles ne sont pas d'accord et si l'employé est dans une situation où on lui demande d'enfreindre la loi, il faut composer avec la réalité et aller de l'avant. Les décisions ne sont pas prises par une seule personne, mais plutôt par des groupes. Pour citer le sénateur Stratton, la codification ne cadre pas avec la fonction publique dans la vraie vie, où on privilégie la collaboration — s'abstenir de se mettre trop en évidence et prôner plutôt le travail en groupe afin de promouvoir le bien collectif.
Le sénateur Day : J'ai une question complémentaire à propos de ce qu'a dit le sénateur Stratton. Je voulais confirmer ce que vous nous aviez dit, en d'autres mots qu'il y a plusieurs recommandations en ce qui a trait à un administrateur des comptes. Il vaut mieux dire en l'occurrence que cela reflète d'un point de vue législatif ce qui se passait auparavant au Canada. Il n'est pas question ici d'un administrateur des comptes inspiré par le modèle britannique ou irlandais. Le danger quand on choisit un terme qui est utilisé ailleurs avec un sens différent c'est que cela a des répercussions et que cela pose problème. Inscrire dans la loi une pratique qui existe déjà mène à d'autres problèmes, comme vous l'avez dit plus tôt.
Puisque vous avez parlé des mandataires du Parlement, je voulais revenir au poste de directeur parlementaire du budget. Pour ce qui est de l'indépendance, du fait d'agir pour le Parlement, cette personne est choisie par le gouverneur en conseil à partir d'une liste de trois personnes soumise par le comité de la Bibliothèque du Parlement. Ce directeur n'est pas choisi par le Parlement pour agir à titre de mandataire du Parlement, et pourtant on appelle cette personne directeur parlementaire du budget. Il y a des problèmes inhérents au fait que l'on choisisse un nom qui ne correspond pas à la réalité.
Mme Sutherland : Je suis d'accord avec vous. Les mots doivent être respectés. Nous ne pourrions pas communiquer les uns avec les autres si nous n'étions pas d'accord sur le sens des mots, et l'idée d'utiliser un terme très actuel porte à confusion.
Pour ce qui est du directeur parlementaire du budget, il nous est resté l'idée qu'il existe un déséquilibre fiscal parce que, du temps de M. Martin, quand il était ministre des Finances, le gouvernement fédéral enregistrait des excédents si énormes que les gens étaient exaspérés par le ministère des Finances. Il a été démontré que cela n'est plus un problème. C'est pour ça que j'ai laissé entendre que ce bureau pourrait bien être transformé en un bureau qui ressemblerait au « scrutiny office », une structure qui existe dans le Parlement britannique et qui appuie les parlementaires dans leur travail. S'il leur faut des faits pour démontrer qu'une politique en particulier ne réglera pas le problème qu'elle est censée régler, ce bureau leur fournit de l'aide.
Si je dis que le directeur parlementaire du budget risque de n'avoir pas vraiment de grands problèmes à résoudre, c'est parce qu'il existe depuis tout récemment des documents qui indiquent que les excédents étaient le résultat direct d'une promesse faite chaque année par M. Martin de ne plus jamais accuser de déficit, et il a utilisé l'expression « contre vents et marées ». Il y avait de la pression sur le ministère des Finances et sur les fonctionnaires travaillant directement avec le ministre, qui ont donc décidé de rassembler tous les facteurs qui allaient se retrouver dans le budget et d'agir avec prudence pour ne jamais plus avoir à se retrouver au bord d'un déficit.
Puisqu'ils n'avaient pas le droit d'accuser de déficit, même pas tous les trois ou quatre ans, même pas un petit déficit, ils ont fini par trop bien faire. Le résultat de tout cela n'a pas été bon pour la cause du fédéralisme au Canada. Les provinces se doutaient bien que le gouvernement fédéral avait une marge d'imposition illimitée et une capacité illimitée d'engranger des fonds, et elles ont pensé qu'il serait bon de diviser ce montant parmi les provinces. La réponse est simple; il faudrait s'entendre pour dire qu'il est acceptable d'avoir un manque à gagner de temps en temps et que l'on juge le ministre des Finances et le ministère en fonction de leur rendement sur plusieurs années plutôt qu'annuellement.
La vice-présidente : Merci de votre comparution, madame Sutherland et monsieur Smith. Vous nous avez présenté des exposés réfléchis et perspicaces cet après-midi.
La séance est levée.