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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 9 - Témoignages du 25 septembre 2006 - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 25 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit aujourd'hui à 9 h 39 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Avant de nous attaquer aux questions prévues à l'ordre du jour, je vais céder la parole au sénateur Day, qui voudrait faire quelques commentaires au sujet d'une lettre.

Le sénateur Day : Merci, monsieur le président, et bonjour à tous. Vendredi, le comité a reçu une lettre, déposée auprès du greffier du comité et distribuée à tous les membres, de la part de M. Jean-Pierre Kingsley, directeur général des élections, qui porte sur la production de documents par le Parti conservateur.

Le sénateur Stratton : Excusez-moi de vous interrompre, monsieur le président, mais je crois savoir que le sénateur Day voudrait plutôt parler de la lettre déposée vendredi par M. Steven MacKinnon, directeur national du Parti libéral du Canada. Que je sache, aucune lettre n'a été déposée par M. Kingsley. C'est une distinction qui me semble fondamentale. M. MacKinnon, qui a déposé cette lettre, a refusé de répondre par écrit aux questions qui lui ont été posées par les membres du comité lorsqu'il a comparu le jeudi 7 septembre 2006.

Le sénateur Day : Non, je voulais parler de la lettre de M. Kingsley.

Le sénateur Stratton : Dans ce cas, il faudrait peut-être s'assurer qu'elle a été distribuée à tous les membres du comité et qu'ils ont eu l'occasion de la lire avant d'en discuter.

Le sénateur Day : Bien entendu.

Le président : Je viens d'en parler avec M. Lafrenière, greffier du comité, qui me fait savoir qu'elle n'a pas été déposée officiellement ni anglais ni en français. Sénateur Day, avez-vous des copies en anglais et en français qui pourraient être déposées devant le comité aujourd'hui?

Le sénateur Day : Mes copies sont malheureusement annotées. Elles nous ont été distribuées tard vendredi après-midi, sans doute après la réunion officielle.

Le sénateur Campbell : J'ai une copie non annotée en anglais.

Le président : Je crois que le greffier a une copie des deux versions.

Le sénateur Day : Je propose que nous procédions de la même manière que pour tout autre document, et que l'on distribue en conséquence une copie dudit document à tous les membres. Après la pause, je pourrais peut-être faire mon intervention au sujet de ce document.

Le président : C'est très bien.

Le sénateur Day : Merci.

Le président : Honorables sénateurs, nous en sommes à notre 20e réunion dans le cadre de nos délibérations sur le projet de loi C-2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation. Ce projet de loi est communément appelé la loi fédérale sur la responsabilité.

Comme le savent déjà les sénateurs, les témoins et les citoyens, à la fois ceux qui sont assis dans cette salle et les téléspectateurs qui suivent nos délibérations à la télévision dans toutes les régions du pays, ce projet de loi correspond à un élément central du programme du nouveau gouvernement. Il s'agit d'un des projets de loi les plus importants à être déposés devant le Parlement depuis quelques années. Le comité souhaite que ce projet de loi fasse l'objet d'un examen complet, consciencieux et détaillé comme il se doit. Au cours de plus de 60 heures de réunions tenues jusqu'à présent, le comité a reçu 90 témoins.

Cette semaine, nous allons étudier différents aspects du projet de loi, y compris la dénonciation, les pouvoirs liés à la vérification, et l'approvisionnement. Pour nous aider à entamer notre travail ce matin, nous avons le plaisir d'accueillir M. Edward Keyserlingk, agent de l'intégrité de la fonction publique.

L'agent de l'intégrité de la fonction publique assure aux employés de la fonction publique que toute communication d'actes répréhensibles au travail fera l'objet d'un examen externe indépendant. En plus de faire enquête sur diverses questions de manière équitable et opportune et en toute confidentialité, le Bureau s'efforce de garantir qu'un employé qui divulgue de l'information de bonne foi est protégé contre les représailles.

M. Keyserlingk est accompagné aujourd'hui de M. Pierre Martel, directeur exécutif du Bureau, et de M. Jean-Daniel Bélanger, avocat-conseil.

[Français]

Le comité tient à vous remercier de votre présence. Sans plus tarder, je vous cède la parole, après quoi nous passerons à la période des questions et aux discussions qui, j'en suis sûr, seront très utiles pour les membres du comité.

Vous avez la parole.

[Traduction]

Edward W. Keyserlingk, agent de l'intégrité de la fonction publique, Bureau de l'intégrité de la fonction publique : Merci beaucoup, monsieur le président, et honorables membres du comité de votre invitation et de l'occasion qui n'est donnée aujourd'hui de vous faire part de mes vues sur le projet de loi C-2 en ce qui touche la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles (soit la LPFDAR).

Ma présence devant le comité sénatorial aujourd'hui devrait marquer la dernière fois que je comparais devant le comité en ma qualité d'agent de l'intégrité de la fonction publique, étant donné que mon mandat prend fin à la fin novembre. Je suis donc honoré de participer à vos délibérations au sujet de la loi relative à la divulgation.

[Français]

Je suis depuis longtemps déjà un ardent défenseur d'un vigoureux régime législatif efficace visant la divulgation d'actes répréhensibles dans le secteur public fédéral, régime dirigé par un commissaire indépendant et autonome faisant rapport au Parlement. Il s'agissait d'une recommandation primordiale dans mon rapport annuel au Parlement en 2003.

[Traduction]

L'automne dernier, cette recommandation a porté ses fruits, grâce à l'adoption de la LPFDAR. La LPFDAR compte de nombreux éléments de ce que devrait être une loi sur la divulgation d'actes répréhensibles. Voici les principales dispositions de cette loi : créer le poste du commissaire à l'intégrité du secteur public qui relève du Parlement; étendre le champ de compétence du commissaire à presque tout le secteur public fédéral; doter le commissaire d'importants pouvoirs d'enquête et d'exécution; permettre au commissaire de rendre compte des conclusions des enquêtes et de formuler des recommandations lorsqu'un acte répréhensible est établi; prévoir des mesures législatives pour interdire toute mesure de représailles contre les fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles; et autoriser le commissaire à déposer des rapports annuels et spéciaux devant le Parlement.

Les amendements que propose le projet de loi C-2 visent à donner encore plus de poids aux dispositions législatives de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. Dans l'ensemble, je les vois d'un bon oeil.

Ces dispositions plus vigoureuses permettraient : de garantir aux fonctionnaires l'accès direct au commissaire à l'intégrité du secteur public; d'autoriser le commissaire à recevoir, à mener des enquêtes et à répondre aux plaintes relatives à des mesures de représailles; de mettre sur pied un Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, chargé exclusivement de se prononcer sur les plaintes non résolues à la suite de mesures de représailles traitées par le commissaire à l'intégrité, et de rendre des ordonnances, y compris en cas de dommages pour souffrances et douleurs et de mesures disciplinaires pour les personnes qui ont pris des mesures de représailles ou en ont assuré la direction; et d'assurer aux fonctionnaires, aux témoins et à d'autres personnes qui envisagent de divulguer un acte répréhensible l'accès gratuit à des conseils juridiques. De plus, le projet de loi C-2 permet de protéger l'identité des fonctionnaires et des témoins qui divulguent de l'information dans une enquête; d'habiliter le commissaire à dévoiler les résultats d'une enquête, à formuler des recommandations lorsqu'un acte répréhensible est établi, et de faire rapport de ces questions au Parlement dans les 60 jours; et enfin de prévoir de graves sanctions pour les personnes qui sont reconnues avoir commis des mesures de représailles ou qui ont entravé la tenue d'une enquête.

Malgré les éléments positifs du projet de loi C-2, il existe toujours certaines limites dont les membres du comité voudront peut-être tenir compte. Ces limites, toutefois, n'entravent pas complètement l'efficacité de la loi actuelle et ne devraient pas compromettre son application. Si, pour un motif quelconque, il n'est pas possible de trouver des solutions maintenant, j'ose espérer qu'on en tiendra compte lors de l'examen de la loi dans cinq ans à la lumière de l'expérience acquise jusqu'alors. Je voudrais faire cinq brèves observations à ce sujet, et je serai évidemment à votre disposition par la suite pour approfondir l'une ou l'autre de ces observations en réponse à vos questions.

Le président : Excusez-moi de vous interrompre, mais le sénateur Joyal écoute en français et il est d'avis que vous parlez un peu trop vite pour les interprètes. Je ne vais pas vous couper la parole, mais je vous demande de bien vouloir ralentir un peu.

M. Keyserlingk : Excusez-moi. Tout d'abord, l'ensemble du secteur public fédéral devrait être visé. Les membres des Forces canadiennes et les employés du Service canadien du renseignement de sécurité et du Centre de la sécurité des télécommunications devraient pouvoir s'adresser au Bureau du commissaire, qui joue le rôle d'organe indépendant et impartial, externe à leur organisation, afin de formuler des allégations d'actes répréhensibles ou de déposer des plaintes à la suite de mesures de représailles, et d'avoir recours au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles.

Le deuxième point porte sur la définition du terme « représailles » qui, comme l'a souligné le juge Gomery dans son rapport, devrait être non limitative autant que possible. À l'heure actuelle, la LPFDAR limite la définition à des questions de relations de travail, dont les mesures disciplinaires et les congédiements. Mais ces exemples ne sont aucunement exhaustifs et donc ne représentent pas toutes les formes de représailles ou de rétorsion qui peuvent nuire à un fonctionnaire qui a divulgué de bonne foi des actes au commissaire.

[Français]

Troisièmement, le prochain sujet porte également sur la protection contre des mesures de représailles même si on interdit l'adoption de mesures de représailles contre des fournisseurs du secteur privé et des bénéficiaires de subventions, contrairement à la situation qui s'applique aux fonctionnaires. Ils n'auront pas accès au commissaire à l'intégrité du secteur public pour déposer une plainte à la suite de mesures de représailles et recevoir des ordonnances réparatrices du tribunal. Par soucis d'équité, une telle protection devrait être prévue pour les fournisseurs du secteur privé et les bénéficiaires de subventions s'ils devaient divulguer des actes répréhensibles.

Quatrièmement, ni la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles ni le projet de loi C-2 n'autorisent le commissaire à mener une enquête à l'extérieur du secteur public fédéral. Il pourrait exister des cas où l'information tenue par une organisation ou un individu, à l'extérieur du secteur public fédéral, pourrait contribuer à enrichir une enquête sur des allégations d'actes répréhensibles par un fonctionnaire.

[Traduction]

J'attire aussi votre attention sur un cinquième point qui mérite votre examen. À l'heure actuelle, la LPFDAR et le projet de loi C-2 interdisent au commissaire d'avoir accès à l'information figurant dans des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine et des documents protégés par le secret professionnel. L'assurance de présenter des constatations exactes et concluantes et des résultats équitables dans le cadre d'une enquête est au coeur du mandat du commissaire et exige l'accès à toute preuve nécessaire qui pourrait permettre de jeter la lumière sur des allégations d'actes répréhensibles.

Enfin, je crois qu'il est de la plus haute importance que l'identité des divulgateurs d'actes répréhensibles ainsi que des témoins visés dans le processus d'enquête demeure toujours confidentielle. À défaut de protéger adéquatement l'identité de ces personnes, on pourrait les dissuader de faire des divulgations ou les encourager à divulguer sous le sceau de la confidentialité par crainte de mesures de représailles. Leur identité ne devrait jamais être révélée à la suite d'une demande d'accès à l'information ou en vertu de toute autre mesure législative. Le projet de loi C-2 protège vraiment l'identité de ces personnes contre leur divulgation en réponse à une demande d'accès à l'information, mais il devrait aussi stipuler qu'aucune autre loi du Parlement n'autorisera leur diffusion.

Cependant, à l'égard de toute autre information, je crois que les renseignements recueillis au cours d'une enquête menée par le commissaire devraient être protégés seulement au cours de sa tenue. À l'heure actuelle, le projet de loi C-2 prévoit une exemption générale concernant l'accès avec aucune durée limitée pour tous les renseignements recueillis par le commissariat. Cette protection de l'information est excessive. Cela n'accorde aucun pouvoir discrétionnaire au commissaire de décider, par souci de transparence et d'intérêt public, qu'il est nécessaire de divulguer des renseignements au public au terme de l'enquête.

En conclusion, le projet de loi C-2 prévoit d'importantes modifications qu'il est souhaitable d'apporter à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. La loi qui en découlera sera nettement enrichie par rapport à l'approche d'une politique administrative adoptée depuis les cinq dernières années.

Le Canada fera figure d'exemple en se dotant d'un commissariat à l'intégrité du secteur public chargé de mener des enquêtes et de régler des allégations d'actes répréhensibles, en plus de protéger les fonctionnaires divulgateurs contre les mesures de représailles. J'ai bon espoir que les modifications que propose le projet de loi C-2 permettront à la LPFDAR de gagner encore plus la confiance des fonctionnaires, à qui elle s'adresse après tout, ainsi que celle du public.

Le président : Vous dites qu'il vous est interdit d'accéder à des documents protégés par le secret professionnel. En avez-vous discuté directement avec les représentants de l'Association du Barreau canadien et, dans l'affirmative, quels ont été les résultats de vos discussions en ce qui concerne le secret professionnel?

M. Keyserlingk : Nous n'avons pas eu de rencontre avec eux.

Le président : Vous avez dit au départ que vous allez quitter le poste d'agent de l'intégrité de la fonction publique cette année, et vous avez fait allusion à la définition de « représailles » proposée par le juge Gomery. Vous dites que même le projet de loi C-2 est peut-être un peu limitatif à cet égard. En vous fondant sur votre expérience, pourriez-vous donc nous dire quels éléments précis devraient être inclus dans la définition de « représailles »?

M. Keyserlingk : Merci de me poser cette question. Je recommande que la définition soit entièrement non limitative.

Le président : C'est ce qu'a recommandé le juge Gomery.

M. Keyserlingk : Tout à fait, et ce afin d'englober tout l'éventail des possibilités qui peuvent se présenter, car pour le moment, on parle surtout d'activités liées à l'emploi. Mais nous craignons que les représailles prennent d'autres formes, comme l'ostracisme, par exemple, qui n'est pas un problème directement lié à l'emploi, mais qui devient une réalité. Telle est l'expérience des gens qui divulguent des actes répréhensibles, ou du moins, c'est ce qu'ils nous disent. Le harcèlement psychologique est une autre possibilité, et il est intéressant de noter que cet élément est compris dans la loi québécoise. Il y a aussi la possibilité qu'on ne vous confie pas un travail important auquel vous vous seriez attendu normalement. Cela ne constitue pas une obligation contractuelle, mais il devient clair pour la victime des représailles qu'on ne lui confie plus certaines tâches et il peut alléguer — parfois à juste titre — que c'est du fait d'avoir divulgué des actes répréhensibles. Les représailles touchant la famille constituent également une réalité. Dans certains cas, où le rôle du fonctionnaire dans la divulgation d'actes répréhensibles est mal vu par le ministère, cela peut influer sur l'état de santé de l'intéressé, sur sa relation avec d'autres membres de sa famille, etc. Il y a donc des conséquences moins tangibles que celles qui sont directement liées à l'emploi, mais qui sont toutes aussi réelles pour les fonctionnaires concernés, et c'est pour cette raison que j'estime qu'il est préférable de retenir une définition complètement non limitative, par exemple « tout acte ou omission qui influe de façon négative sur le fonctionnaire ».

Le président : C'est-à-dire directement ou indirectement.

M. Keyserlingk : En effet; directement ou indirectement. On peut conserver les éléments liés directement à l'emploi parce qu'ils sont évidemment tout à fait pertinents, mais ils seraient englobés dans une définition plus générale. On pourrait aussi, à partir du projet de modification se trouvant à l'alinéa 42.1(1)d), où il est question de « toute mesure portant atteinte à son emploi ou à ses conditions de travail, » changer le libellé pour dire « tout acte ou omission qui cause un préjudice au fonctionnaire ». C'est un amendement qu'il serait relativement facile à faire, étant donné que le libellé n'est ni long ni compliqué, et il permettrait de prévoir une plus large définition des représailles.

Je constate avec intérêt, toutefois, que la définition qu'on retrouvait dans la version précédente du projet de loi semblait plus cohérente. Dans cette version-là, les plaintes relatives aux représailles étaient renvoyées aux commissions des relations de travail; mais le texte a été changé si bien que les plaintes sont maintenant renvoyées au commissaire, ou dans l'éventualité où le commissaire ne pourrait pas régler la plainte, au tribunal. L'intention du changement était de dépasser la simple perspective du Conseil des relations de travail, et si tel est le cas, il convient que la définition dépasse également ce contexte précis.

Le sénateur Cowan : Je me demande si le raisonnement au départ n'était pas influencé par le fait que l'organe qui en était chargé au début était le Conseil des relations de travail, ce qui limite nécessairement le champ de compétence des questions davantage liées à l'emploi. Si je comprends bien, vous estimez que ce nouveau tribunal constitue une amélioration par rapport à celui qui existe maintenant. D'après certains témoignages que nous avons reçus, le Tribunal actuel est bien expérimenté dans ce domaine, si bien qu'il n'est pas forcément nécessaire d'en avoir un nouveau, mais selon vous, il vaudrait mieux opter pour un nouveau tribunal.

M. Keyserlingk : Oui, justement parce que les représailles peuvent prendre diverses formes qui vont au-delà du contexte du travail.

Le sénateur Cowan : Vous recommandez donc maintenant que la définition de « représailles » ne soit aucunement limitative, comme l'a recommandé le juge Gomery dans son rapport.

M. Keyserlingk : C'est exact.

Le sénateur Cowan : Est-ce que vous-même ou votre bureau avez été consultés, en prévision du dépôt du projet de loi, au sujet des questions dont nous discutons actuellement?

M. Keyserlingk : Oui, et j'ai essentiellement fait valoir les mêmes arguments devant le comité de la Chambre. Mais comme on n'a pas cru bon de donner suite à la plupart de mes propositions, je fais une deuxième tentative en me présentant devant vous.

Le sénateur Day : Vous dites que vous avez été consulté avant la rédaction du projet de loi, ou du moins après le dépôt du projet de loi.

M. Keyserlingk : Nous avons été consultés au moment où le projet de loi était à l'étude ou en voie de rédaction. En fait, ce n'est pas tellement qu'on a voulu nous consulter; nous avons nous-mêmes décidé de faire parvenir au gouvernement un certain nombre de projets de modification, en nous fondant sur notre expérience; nous avons dit au gouvernement : Voici les dispositions qui devraient se trouver dans ce projet de loi. Donc, ce n'était pas une consultation; c'est plutôt nous qui avons voulu faire savoir au gouvernement ce que ce dernier pouvait faire, à notre avis.

Le sénateur Day : Avez-vous comparu devant le comité de la Chambre chargé d'examiner le projet de loi C-2, au moment où ce dernier en était saisi?

M. Keyserlingk : Nous avons comparu devant le comité de la Chambre après le dépôt du projet de loi, mais nous avions déjà soumis une série de dispositions qui, selon nous, devaient être incorporées dans le projet de loi.

Le sénateur Day : Avez-vous soumis vos propositions à l'examen du comité de la Chambre?

M. Keyserlingk : Non, nous les avons soumises au ministère de la Justice.

Le sénateur Day : Voilà qui est clair.

Le sénateur Cowan : Vous saviez que le gouvernement allait déposer un projet de loi portant sur ces questions et vous vous êtes dit qu'il serait bon que vous fassiez valoir que vos arguments à ce sujet, arguments que vous avez donc avancés devant le comité de la Chambre et maintenant devant nous?

M. Keyserlingk : Oui, cela me semble exact.

Le sénateur Cowan : Pourriez-vous expliquer davantage ce que vous avez dit au sujet de l'élargissement du champ d'application du projet de loi et du fait que, selon vous, certaines plaintes légitimes ne seraient pas protégées en vertu du projet de loi?

M. Keyserlingk : À mon avis, tous les fonctionnaires, quel que soit le contexte de leur travail, devraient avoir accès à un mécanisme ou à un organe extérieur à leur ministère, pour être sûrs que leur plainte fera l'objet d'une enquête indépendante. Ils ne sont pas toujours obligés de s'adresser à un organe extérieur au ministère, mais ils pourront désormais le faire conformément au projet de loi C-2, et ils ne seront même plus obligés de passer d'abord par les mécanismes internes.

Il va sans dire qu'il est préférable de régler ce genre de problème, si possible, au sein du ministère. Mais si les intéressés ne veulent pas faire cela, ou s'ils sont déjà passés par là et ne sont pas satisfaits du processus pour quelque raison que ce soit, ils devraient pouvoir accéder à un organe indépendant. Si cela me semble nécessaire, c'est tout simplement parce qu'il arrivera souvent que les intéressés ne voudront pas passer par le processus interne. Peut-être qu'ils ne feront pas confiance à la personne à qui ils devront s'adresser, ou peut-être qu'ils voudront porter plainte ou formuler une allégation contre cette même personne.

D'aucuns estiment que cela ne devrait pas s'appliquer au Centre de la sécurité des télécommunications, par exemple, étant donné que celui-ci est chargé de questions de sécurité et que cela pourrait éventuellement compromettre le traitement de ces mêmes questions de sécurité.

M. Keyserlingk : Il est proposé que ces organismes définissent leur propre mécanisme, et cela me convient très bien. Chaque ministère devrait établir son propre mécanisme. Nous ne sommes pas tellement préoccupés par les questions de sécurité, car les problèmes que les gens voudraient probablement soumettre à l'examen du commissaire sont plus susceptibles d'être des problèmes administratifs d'un type ou d'un autre; par exemple, des cas graves de mauvaise gestion. Voilà le genre de situation qui se présente typiquement dans les autres ministères.

De plus, le commissaire aurait la cote de sécurité la plus élevée, et pourrait donc traiter tout aspect lié à la sécurité. Pour ma part, j'ai la cote très secret, et on peut supposer que le commissaire aurait la même cote et qu'il serait donc obligé de garder confidentielle ce genre d'information. Le commissaire peut ne pas vouloir s'y impliquer si le dossier a des répercussions sur la sécurité, ce qui risquerait de compliquer l'enquête.

Donc, en principe, je ne vois pas pourquoi les employés du Centre de la sécurité des télécommunications ou les membres des Forces canadiennes n'auraient pas accès à tout ce à quoi ont accès les autres employés du secteur public. Cela ne veut pas dire que le commissaire n'aura pas à faire intervenir son jugement à divers moments quand il s'agira d'accepter ou non un dossier, mais si vous les écartez d'office, vous leur dites en réalité qu'ils ont moins de droits. Par conséquent, ils feront peut-être moins confiance au système et seront plus réticents à divulguer de bonne foi des actes répréhensibles.

Le sénateur Cowan : On pourrait faire en sorte qu'ils soient visés par la loi, tout en prévoyant que le commissaire exerce son propre jugement sur le bien-fondé de la plainte, et ce au cas par cas.

M. Keyserlingk : Mais c'est déjà le cas. Selon ma propre expérience, il y a parfois des raisons pour lesquelles le commissaire décide de ne pas instruire une plainte. Il est possible qu'il ne la juge pas crédible, qu'elle ne relève pas de sa responsabilité, ou encore qu'il soit préférable de passer par un autre mécanisme, selon lui. Tous ces facteurs, qui sont également énumérés dans le projet de loi C-2, sont encore pertinents, quelles que soient les personnes qui bénéficient de la protection.

Le sénateur Nolin : Quand vous dites qu'il serait visé par le projet de loi C-2, cela veut-il dire que quiconque travaillant dans le domaine de la sécurité pourrait s'adresser à vous pour déposer une plainte en vertu du projet de loi C-2?

M. Keyserlingk : Non.

Le sénateur Nolin : Qui serait exclu?

M. Keyserlingk : À présent sont exclus les membres des Forces canadiennes qui portent l'uniforme — mais non pas les civils — et les employés du Centre de la sécurité des télécommunications.

Le sénateur Nolin : Est-ce que cela comprend la GRC?

M. Keyserlingk : Non, la GRC a accès au commissaire, ce qui est intéressant, d'une certaine façon, parce que le fait que la GRC soit visée par le projet de loi C-2 prouve bien le bien-fondé de mes arguments au sujet du Centre de la sécurité des télécommunications.

D'ailleurs, on pourrait avancer le même argument en vue d'exclure la GRC que certains ont fait valoir afin d'exclure le Centre de la sécurité des télécommunications, sauf que nous avons déjà accepté d'inclure la GRC et que la GRC est déjà visée par le projet de loi C-2. Or la GRC traite, elle aussi, des questions de sécurité et surtout des questions policières délicates, mais on n'a jamais jugé que cela pourrait éventuellement justifier de l'exclure. C'est ça la vraie question.

Le sénateur Nolin : Merci.

Le sénateur Cowan : En vous fondant sur votre expérience, expliquez-nous comment on pourrait accorder cette même protection à des entrepreneurs privés et à des bénéficiaires de subventions, et les raisons pour lesquelles vous faites cette recommandation?

M. Keyserlingk : Pour le moment, nous n'avons pas d'expérience de ce genre de chose, étant donné qu'à présent ils n'ont pas le droit de s'adresser à nous.

Le sénateur Cowan : J'essaie de m'imaginer ce qui a suscité vos préoccupations à ce sujet et dans quelles conditions ils pourraient vouloir s'adresser à vous.

M. Keyserlingk : Nos préoccupations découlent du fait que nous autorisons les entrepreneurs privés à déposer de l'information sur d'éventuels actes répréhensibles dans le secteur public mais nous ne leur accordons pas la même protection contre les représailles que nous accordons aux fonctionnaires. Voilà ce qui suscite nos préoccupations.

Le projet de loi C-2 prévoit une infraction criminelle en vertu de laquelle il est interdit d'exercer des représailles contre un entrepreneur ou employé du secteur privé qui divulgue certaines informations et même contre quiconque divulgue des informations et fait ensuite l'objet de représailles.

Selon moi, il est peu probable qu'on ait recours à cette infraction criminelle, dans la pratique, comme les normes de preuve sont élevées et que c'est un domaine assez spécialisé, et par conséquent, il est peu probable, d'après moi, que ce soit une priorité pour la police. Il est approprié de prévoir cette infraction — et comprenez-moi bien : je ne la remets pas en question — mais à mon avis, ce n'est pas une solution; par conséquent, il n'est pas nécessaire d'accorder la même protection à ceux qui travaillent dans le secteur privé.

Ce qui semble confirmer la notion selon laquelle le secteur privé ne devrait pas bénéficier de cette pleine protection, c'est que le projet de loi fait mention de la possibilité que des entrepreneurs ou employés du secteur privé fournissent des renseignements, plutôt que de divulguer des actes répréhensibles. La définition de « représailles » suppose qu'on est fonctionnaire. Le projet de loi est donc cohérent si l'on tient pour acquis que les gens qui travaillent dans le secteur privé ne devraient pas avoir droit à cette protection.

Les nouveaux articles qui font mention de personnes qui ne sont pas fonctionnaires se trouvent à la page 166 du projet de loi C-2, soit aux paragraphes 42(1) et 42(2) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. Dans ces articles, il est question d'accès de la part de personnes qui ne sont pas fonctionnaires et de l'interdiction contre l'exercice de représailles contre elles.

Ces ajouts sont tout à fait les bienvenus, étant donné que j'affirme depuis un moment que nous devrions être prêts à accepter que les renseignements relatifs à d'éventuels actes répréhensibles dans le secteur public proviennent de n'importe quelle source fiable. Cela rejoint d'ailleurs votre question, sénateur — c'est-à-dire que les seules personnes qui pourraient être au courant de la commission d'un éventuel acte répréhensible par un fonctionnaire sont des entrepreneurs du secteur privé qui traitent avec ce fonctionnaire ou avec le ministère. Dans une situation typique, l'acte répréhensible concernerait des contrats, des subventions ou ce genre de choses, et ces éléments sont inclus dans les articles en question.

Le problème qui se pose concerne le fait que ces personnes ne bénéficient pas de la même protection contre les représailles. Nous leur disons essentiellement que nous sommes prêts à recevoir les renseignements qu'elles veulent bien nous donner, mais qu'il n'est pas question de leur accorder la même protection.

Dès lors qu'on parle de la communication de renseignements, comme c'est le cas dans ces dispositions, on cherche évidemment à laisser entendre que la communication de renseignements dans ce contexte n'est pas analogue à la divulgation d'un acte répréhensible. Mais en réalité, c'est la même activité, et on est exposé aux mêmes risques, réels ou perçus. Par conséquent, si nous ne leur assurons pas la même protection, c'est-à-dire une enquête menée par le commissaire sur la possibilité de représailles, et en second lieu, l'accès au tribunal — ce sont les deux options qu'on n'offre pas aux gens qui travaillent dans le secteur privé — nous leur disons essentiellement de prendre tous les risques que suppose la communication de renseignements de ce genre, mais que malheureusement, nous ne sommes pas disposés à les défendre de la même façon ou de leur assurer la même protection.

Le sénateur Cowan : Comme l'objectif consiste à faire découvrir ces actes répréhensibles, il ne convient pas de créer deux catégories différentes ou de prévoir deux types de protection pour le dénonciateur, selon sa situation.

M. Keyserlingk : Exactement. La définition de « représailles » devrait être élargie pour comprendre les plaintes déposées par des citoyens privés ou des personnes qui ne sont pas fonctionnaires. Ces articles devraient donc prévoir que de telles personnes ne se contentent pas de « communiquer des renseignements »; en réalité, ils divulguent des actes répréhensibles de la même façon qu'un fonctionnaire.

L'une des objections qui a été formulée à cet égard concerne la possibilité qu'on ouvre la porte à des plaintes de la part des citoyens privé qui seraient tentés de faire une dénonciation chaque fois qu'ils n'obtiennent pas un contrat ou une subvention. Pour moi, cette objection n'est pas crédible car le commissaire aura toujours la possibilité, conformément à la loi, de décider ou non d'inscrire la plainte; le premier critère est celui de la crédibilité. Ce n'est peut-être pas énoncé dans ces termes précis, mais c'est un critère évident pour tout enquêteur : la plainte est-elle crédible et sommes-nous les mieux placés pour y donner suite, par rapport à quelqu'un d'autre? Parfois quelqu'un d'autre est effectivement plus à même de s'en charger. Il y a peut-être d'autres façons de régler des plaintes d'ordre contractuel. Il est également possible que, si cela concerne un éventuel acte répréhensible de la part d'un fonctionnaire, qu'il est préférable que le commissaire s'en charge.

Le président : Le commissaire aura peut-être besoin de plus de personnel si l'on ouvre ainsi la porte.

M. Keyserlingk : S'il en résulte un déluge de dénonciations, il faudra plus de personnel. Mais on peut difficilement affirmer qu'une telle prédiction est fondée; il reste que c'est une hypothèse possible. Si cela devait se produire, il y aurait un certain nombre de solutions — entre autres, celle consistant à faire davantage intervenir le pouvoir discrétionnaire du commissaire. Mais il est tout aussi plausible que relativement peu de personnes décident de faire une dénonciation. N'oublions pas que ces personnes dépendent des largesses du gouvernement, ou d'une réponse positive à leurs soumissions ou à leurs demandes de subvention, pour gagner leur vie. Ils ne voudront pas prendre un tel risque à la légère, et il va sans dire qu'une situation de ce genre n'est pas sans risque. Il ne me semble donc pas raisonnable de s'attendre à un déluge de dénonciations.

Le sénateur Cowan : Donc, vous permettriez au commissaire d'exercer ses pouvoirs discrétionnaires à cet égard. D'après les faits, ce genre de renseignements est tout aussi susceptible de venir du secteur privé que du secteur public et, si l'objectif consiste réellement à obtenir les renseignements les plus crédibles possible, il ne convient pas de faire une telle distinction.

M. Keyserlingk : Telle est justement ma position.

Le sénateur Cowan : Je vous invite maintenant à regarder la page 172 du projet de loi C-2, et plus précisément, le projet d'article 16.5 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, qui se lit ainsi : « Le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser de communiquer les documents [...] » Vous dites, donc, que même si le travail du commissaire doit rester confidentiel en permanence, il n'y a pas de raison d'accorder ce privilège aux responsables d'institutions fédérales. Le juge Gomery a déclaré que le délai de cinq ans que prévoyait la loi actuellement en vigueur était trop long. Pour une raison qui m'échappe, il est maintenant question de supprimer entièrement cette restriction.

Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez et pourquoi, à votre avis, il convient de faire une distinction entre les documents créés et obtenus par le commissaire dans le cadre d'une enquête, par opposition à ceux obtenus par le responsable d'une institution fédérale?

M. Keyserlingk : Nous parlons de demandes d'information autres que celles qui concernent l'identité, car l'identité doit être protégée en permanence. À ce chapitre, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il serait utile et même important que le projet de loi C-2 précise que « aucune autre loi ne peut annuler l'exemption relative à l'accès aux renseignements personnels ».

À cet égard, une fois l'enquête terminée, le commissaire devrait avoir le pouvoir de diffuser les renseignements concernés en réponse à une demande d'information, pour des raisons de transparence ou dans l'intérêt du public, lorsque le tout est fini. Cela voudrait donc dire après avoir passé toutes les étapes qui suivent le dépôt du rapport, y compris l'éventuelle contestation, etc.

Il s'agit ici d'établir le bon équilibre entre la protection et la confidentialité, d'une part, et la transparence, d'autre part. Personne ne prétend qu'il est facile de trouver le bon équilibre. En l'occurrence, la balance penche trop du côté de la confidentialité, sans risque correspondant pour quelque partie que ce soit. Ainsi le droit du public d'être bien informé est excessivement limité dans ces dispositions.

De par les dispositions du projet de loi, le commissaire est autorisé à faire rapport au Parlement. De fait, le commissaire est tenu de déposer des rapports devant le Parlement et peut, jusqu'à un certain point, déterminer ce qui sera traité dans ce rapport. Le commissaire doit consulter l'institution concernée, mais il peut décider, malgré le refus de cette institution de permettre que les renseignements consignés dans son rapport, de le faire quand même parce que c'est dans l'intérêt public. Or le commissaire devrait jouir de ce même pouvoir discrétionnaire à l'égard des demandes d'accès à l'information non liées à l'identité, une fois l'enquête terminée.

Le sénateur Cowan : Ce serait dans les situations où l'intérêt public l'emporte sur d'autres considérations.

M. Keyserlingk : Je ne dis pas que ces renseignements seront systématiquement diffusés. Par contre, il me semble approprié d'accorder au commissaire le pouvoir discrétionnaire d'examiner la demande d'accès à l'information. Pour le moment, les restrictions sont excessives, à mon avis.

Jean-Daniel Bélanger, avocat-conseil, Bureau de l'intégrité de la fonction publique : M. Keyserlingk fait allusion aux rapports annuels ou spéciaux que le commissaire est autorisé à déposer devant le Parlement. Aux termes de l'article 49 de la LPFDAR, le commissaire peut se prévaloir d'un mécanisme lui permettant de déposer un rapport contenant des renseignements sensibles et de consulter le responsable de l'institution concernée à ce sujet. Mais en fin de compte, si l'intérêt public l'emporte sur l'éventuel préjudice que peut causer la divulgation, le commissaire sera habilité à divulguer l'information en question. Et quand on compare ce mécanisme à celui qui existe relativement aux demandes d'accès à l'information, il ne nous semble pas justifié de ne pas accorder ce même pouvoir discrétionnaire au commissaire dans ce contexte-là.

Le sénateur Cowan : Vous avez fait plusieurs recommandations. Avez-vous des amendements à proposer qui permettraient d'améliorer le projet de loi? Dans l'affirmative, pourriez-vous les fournir au comité?

M. Keyserlingk : Nous en avons un certain nombre, mais nous pouvons certainement essayer d'en préparer d'autres. Par exemple, il y a la question de la définition de « représailles ». Nous avons une définition qui nous semble généralement acceptable, mais sur ces autres questions, nous pourrions certainement nous efforcer de rédiger le texte d'une disposition précise, si vous le souhaitez.

Le sénateur Milne : Monsieur Keyserlingk, je vous demande de vous reporter à votre sixième recommandation concernant la nécessité de garder confidentielle l'identité de l'intéressé. Avez-vous un texte à proposer qui empêcherait que le nom de témoins qui avaient divulgué des actes répréhensibles ne soient communiqué en vertu d'autres lois?

Je pense que cela nous serait bien utile. Quand je regarde ce projet de loi, je m'embrouille beaucoup parce qu'on y traite tellement de mesures différentes.

M. Bélanger : Nous allons examiner la possibilité d'adopter un libellé semblable à celui d'une disposition de dérogation, qui pourrait peut-être se lire ainsi : nonobstant une autre loi du Parlement, l'identité du divulgateur — c'est-à-dire du dénonciateur — doit être protégée.

Le sénateur Milne : Le projet d'article 16.5 visant la Loi sur l'accès à l'information, qui se trouve à la page 172, se lit ainsi :

Le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser de communiquer les documents qui contiennent des renseignements créés en vue de faire une divulgation au titre de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles ou dans le cadre d'une enquête menée sur une divulgation en vertu de cette Loi.

Cela veut donc dire qu'une bonne partie de ces renseignements resteront secrets à tout jamais. Peut-être recommanderiez-vous de remplacer l'expression « est tenu de » par le mot « peut » pour que ce soit facultatif.

M. Keyserlingk : Oui, ce serait une excellente solution.

Je voudrais simplement ajouter que vous avez raison de dire que cela suscite chez nous certaines préoccupations, préoccupations que vous semblez partager, si je ne me trompe pas. À condition que d'autres lois aient préséance sur celle-ci en ce qui concerne la communication de renseignements sur l'identité, cela pourrait décourager les fonctionnaires qui envisagent de faire une divulgation. Les fonctionnaires pourraient se demander si une autre loi en vigueur permettrait éventuellement de ne pas protéger leur identité, même si la Commission est tenue de le faire aux termes de ce projet de loi. Et il est bien possible que ce soit vrai pour certaines lois.

Cela porte nécessairement atteinte à la procédure d'appel que prévoit la loi et à l'efficacité du commissariat si l'on ne précise pas qu'une dénonciation est à ce point sérieuse qu'aucune autre loi n'a préséance.

Le sénateur Milne : Vous avez dit que la GRC est visée par la loi, mais ce n'est pas le cas du SCRS. Je me demande si vous savez si les membres des Forces armées ou d'autres établissements de sécurité à l'étranger sont protégés par une loi sur la dénonciation. Ont-ils accès à ce genre de services? Êtes-vous au courant de la situation dans d'autres pays?

M. Keyserlingk : C'est une bonne question. Nous nous sommes justement penchés sur la question il y a quelque temps et si je ne m'abuse, dans le cas de la plupart des autres pays, l'accès à un agent externe indépendant comme le commissaire n'est pas du tout prévu.

Cependant, nous avons toujours dit que nous souhaitons que notre loi soit aussi parfaite que possible. À certains égards, nous avons tiré les enseignements de l'expérience d'autres pays ou d'autres lois, mais à d'autres égards, nous estimons que le régime n'est pas suffisamment avancé ou transparent.

Le sénateur Milne : Je songe tout particulièrement à la CIA ou au MI-6 au Royaume-Uni. La sécurité constitue-t-elle un obstacle?

M. Keyserlingk : Oui. La position selon laquelle les questions de sécurité l'emportent sur d'autres préoccupations est assez répandue. C'est de plus en plus le cas de nos jours, mais non pas pour les mauvaises raisons. Par contre, il n'est pas approprié à notre avis de faire valoir cet argument pour empêcher ce genre d'accès. Il va sans dire que les questions de sécurité imposent une plus lourde obligation au commissaire du point de vue de la nécessité de faire preuve de prudence, de protéger les renseignements ayant des conséquences au niveau de la sécurité, etc. C'est d'ailleurs l'une des obligations actuelles du commissaire. C'est d'ailleurs l'une des obligations qui me visent à l'heure actuelle. S'agissant de la protection de renseignements liés à la sécurité, j'estime que l'accent doit être mis sur la nécessité de bien exercer son pouvoir discrétionnaire et de protéger les renseignements, et non sur le refus d'autoriser l'accès aux renseignements. Ça c'est une question différente, à mon avis.

M. Bélanger : La définition d'« actes répréhensibles » englobe l'utilisation abusive de deniers publics. Selon nous, si vous êtes membre des Forces armées ou du SCRS et, en tant qu'employé, vous êtes témoin d'actes qui constituent un abus de deniers publics, vous allez le signaler aux autorités. Cela n'a rien à voir avec...

Le sénateur Milne : Mais cela ne se produit jamais dans les Forces armées, bien entendu.

M. Bélanger : Non, jamais.

Le sénateur Milne : Avez-vous une copie du projet de loi? À la page 174, l'article 224 modifie la Loi sur la protection des renseignements personnels; pourriez-vous expliquer au comité, et peut-être au public également, quelle protection est offerte aux citoyens par ces dispositions? Il me semble que cette dernière élimine les droits d'accès d'un particulier qui cherche à savoir quels renseignements sont détenus par le gouvernement à son sujet.

M. Bélanger : Cette disposition s'applique dans le cadre d'une enquête menée par le commissaire. On suppose que lorsqu'il y a divulgation d'actes répréhensibles, le commissaire fait enquête. Donc, cet article prévoit qu'il sera à tout jamais interdit de diffuser quelque renseignement personnel que ce soit qu'il aura recueilli dans le cadre de son enquête.

Le sénateur Milne : À tout jamais?

M. Bélanger : Oui. Tous les renseignements personnels sont protégés. Selon nous, l'identité des personnes qui sont à l'origine de la divulgation d'actes répréhensibles doit être protégée à tout jamais.

Cette disposition a été modifiée par rapport à l'actuelle LPFDAR, laquelle accorde au commissaire le droit de prendre cette décision. Ce texte prévoit la protection des renseignements personnels non seulement des fonctionnaires, mais des simples citoyens.

Le sénateur Milne : Je n'ai rien contre l'idée de protéger les citoyens contre la possibilité que leurs renseignements personnels soient diffusés, mais convient-il vraiment que cette interdiction permanente vise également les fonctionnaires?

M. Bélanger : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question. Cette disposition permet de protéger les renseignements personnels. En tant que fonctionnaire, je peux évidemment demander au commissaire de me communiquer mes propres renseignements personnels. Si je présente une demande, je vais les obtenir. Par contre, si quelqu'un d'autre demande les mêmes renseignements à propos de moi, il ne pourra jamais les obtenir; ils seront à tout jamais protégés.

Le sénateur Milne : Donc, cet article n'a pas pour objet d'empêcher l'intéressé de mettre la main sur ses propres renseignements?

M. Bélanger : Non, pas du tout. Il vise à empêcher d'autres personnes d'avoir accès aux renseignements personnels de quelqu'un d'autre.

Le sénateur Milne : Dix mois se sont écoulés depuis l'adoption du projet de loi C-11, mais je crois savoir qu'il n'a toujours pas force de loi. Il n'a jamais été promulgué.

M. Keyserlingk : C'est exact.

Le sénateur Milne : Donc, vous appliquez toujours l'ancienne loi?

M. Keyserlingk : Nous appliquons toujours la politique du Conseil du Trésor, et non une loi. Plusieurs projets de loi ont été proposés, mais ils n'ont pas abouti. Par conséquent, nous continuons à appliquer la politique du Conseil du Trésor sur la divulgation.

Le sénateur Milne : Il n'y a toujours pas de loi?

M. Keyserlingk : Non, il n'y en a toujours pas.

Le sénateur Milne : Et cela fait cinq ans à présent?

M. Keyserlingk : Cela fait exactement quatre ans.

Le sénateur Stratton : Mais que font-ils?

Le sénateur Milne : Je n'en sais rien. Il me semble que M. Gomery a recommandé que plusieurs amendements soient apportés au projet de loi C-11, mais aucun de ces amendements ne figure dans ce projet de loi.

M. Keyserlingk : Je pense que vous avez raison.

M. Bélanger : Oui.

Le sénateur Joyal : Je voudrais souhaiter la bienvenue à nos témoins. Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure l'identité de quelqu'un qui a recours au système est vraiment bien protégée en vertu du projet de loi? En d'autres termes, le fait que la protection de l'identité soit liée aux représailles m'inquiète. En temps normal, si le système fonctionne bien, la possibilité de représailles est minime. Selon moi, ce sont les deux termes d'une même équation.

Si nous créons un système qui empêche ou réprime les représailles par l'entremise d'un tribunal, ce serait pour l'une ou l'autre de ces deux raisons : soit le système n'a pas été suffisamment bien conçu pour bien protéger l'identité du dénonciateur, soit le fonctionnaire a fait sa dénonciation en public.

M. Keyserlingk : Il y a une question qu'il convient de considérer dans ce contexte, notamment la possibilité, dans le cadre d'une enquête, qu'il faille informer le prétendu auteur de l'acte répréhensible de l'identité du dénonciateur pour des raisons de justice naturelle, afin qu'il puisse préparer sa défense. Parfois l'identité du dénonciateur peut être une information pertinente pour la personne qui essaie de savoir comment réagir. Ce n'est pas nécessairement le cas, mais c'est un scénario qui pourrait se présenter, et dans certains cas, il faudrait en informer le dénonciateur.

Ça c'est une façon qui permettrait de connaître l'identité du dénonciateur, mais seulement au sein du cercle de personnes qui doivent être informées afin de préparer une défense. Ce n'est pas le genre d'information qui devrait être largement diffusée avant que l'on ait établi qu'un acte répréhensible a réellement été commis.

Le sénateur Joyal : Et cela se produirait pendant l'enquête?

M. Keyserlingk : Oui. L'autre façon serait celle que vous avez vous-même évoquée, à savoir qu'il arrive parfois que l'identité du dénonciateur sera connue au sein de son ministère parce que le sujet de la dénonciation est à l'origine d'une grande dispute publique au sein du ministère. Dans certains cas, l'identité de l'intéressé est connue au ministère et il peut en découler des représailles; il pourrait s'agir d'une question liée au travail ou d'une des autres questions plus générales que j'ai mentionnées tout à l'heure, mais quelle que soit la raison, l'intéressé aurait eu recours à la procédure interne pour dénoncer les actes en question, auquel cas son identité serait connue.

M. Bélanger : Nous avons traité un certain nombre de cas où les employés avaient fait part de leurs préoccupations à leurs superviseurs, avant de s'adresser à nous. Les superviseurs savaient alors qui était l'auteur de la plainte, et dans une telle situation, quelqu'un peut décider d'exercer des représailles contre l'employé qui est l'auteur de la dénonciation. Dans un monde parfait, si un employé pouvait s'adresser à nous en ayant une garantie d'anonymat, nous pourrions aller voir le ministère ou la société d'État, et lui dire que nous avons reçu certaines allégations, que nous allons faire enquête, et qu'ils n'ont pas besoin de savoir qui est à l'origine des allégations. Dans un monde parfait, nous pourrions alors faire rapport sur les actes répréhensibles concernés.

Le sénateur Joyal : Si je comprends bien, vous pourriez décider, pour vous assurer de la régularité de la procédure, de divulguer l'identité du dénonciateur à l'intéressé ou au ministère?

M. Keyserlingk : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Avez-vous défini une procédure à suivre dans de tels cas? Qui est chargé de prendre la décision?

M. Bélanger : Nous nous contentons d'appliquer les critères de la justice naturelle. Nous sommes bien obligés de tenir compte de ces principes. Lorsqu'une allégation est faite contre une personne, cette dernière a le droit de savoir qui est l'auteur de l'allégation. Il faut révéler cette information à l'accusé pour lui permettre de préparer sa défense. Nous entamons une enquête, mais les procédures d'enquête devront, au cas par cas, tenir compte des règles de la justice naturelle.

Le sénateur Joyal : Mais vous n'avez toujours pas élaboré ces règles?

M. Bélanger : Les règles de la justice naturelle sont bien établies et connues.

Le sénateur Joyal : Avez-vous établi une procédure décisionnelle sur cette base-là? Prenons un exemple précis : supposons qu'une personne souhaite connaître l'identité d'un dénonciateur afin de préparer sa défense. Supposons que vous refusez cette demande et que vous êtes d'avis qu'il ne convient pas de divulguer le nom du dénonciateur. Le ministère peut-il alors s'adresser à la Cour fédérale et demander à la Cour de vous forcer à divulguer son nom?

M. Keyserlingk : Oui.

[Français]

Le sénateur Joyal : Donc, c'est un processus qui est « judiciable » comme tel.

[Traduction]

M. Keyserlingk : Ce que vous dites est juste et, d'ailleurs, c'est tout autant le cas à d'autres étapes du processus; c'est-à-dire qu'à toutes les étapes où une décision est prise qui concerne les parties, l'une ou l'autre, ou les deux, il est possible de contester cette dernière devant un tribunal. Le projet de loi fait évidemment intervenir ces facteurs, par opposition à la procédure légèrement moins formelle à laquelle nous avons recours, puisqu'il s'agit plutôt d'une enquête administrative. D'après nous, ces complications supplémentaires et la possibilité de contester la décision en valent la peine, justement en raison de l'importance d'une procédure régulière et de la nécessité de respecter les droits de toutes les parties.

J'ajouterais aussi, sénateur, que si nous n'avons pas encore été obligés de révéler l'identité d'un dénonciateur, c'est parce que la plupart des cas que nous avons instruits sont ce que nous appelons des cas d'intérêt privé, par opposition à des cas d'intérêt public. Selon nous, le commissariat et surtout le nouveau commissaire devraient surtout s'intéresser à ce que nous appelons les questions d'intérêt public, et moins à des questions d'emploi personnelles. Nous sommes d'avis qu'il faut mettre l'accent sur des situations où une personne s'adresse à nous en nous disant : Je suis témoin d'un acte répréhensible dont je ne suis pas la victime, mais que je déplore étant donné le principe de l'honnêteté de la fonction publique. Le témoin s'adresse à nous pour nous signaler un acte répréhensible commis dans le contexte transparent de la fonction publique.

Dans une telle situation, il est moins probable que l'identité du dénonciateur soit connue et bien entendu, elle devrait être protégée, mais même là on peut se demander si l'auteur d'un prétendu acte répréhensible devrait connaître l'identité du dénonciateur. L'élément le plus important dans ce contexte serait normalement la mesure dans laquelle l'auteur de l'acte avait besoin de connaître l'identité du dénonciateur pour préparer une bonne défense.

[Français]

Le sénateur Nolin : Je veux explorer cette procédure. Lorsque vous recevez une plainte, vous êtes à l'étape d'évaluer la crédibilité de cette plainte; ce n'est pas à cette étape que vous divulguez l'identité du divulgateur. Vous dévoilez le divulgateur lorsque vous avez évalué qu'il y a un fondement à la plainte. J'essaie de faire un parallèle avec le droit criminel : Lorsque les forces policières font leur enquête, aucun droit naturel ne les oblige à divulguer le nom des plaignants et ils vont enquêter aussi longtemps qu'ils le veulent. C'est au moment où on judiciarise l'acte d'accusation qu'il va y avoir une communication de la preuve. Est-ce que c'est un peu le parallèle que vous tentez de faire?

M. Keyserlingk : Exactement, parce qu'on ne veut pas causer de problèmes pour un accusé sans raison.

Le sénateur Nolin : Ou l'inverse : Si le divulgateur dépose une plainte que vous ne jugez pas recevable.

[Traduction]

M. Keyserlingk : Oui, c'est exact. L'un des premiers critères retenus est justement celui que vous évoquez — celui de la crédibilité. On ne parle pas dans ce projet de loi de crédibilité proprement dite, mais on parle de gravité. Nous tenons évidemment compte de l'ampleur de l'activité concernée, de la gravité des actes, et de la crédibilité de l'allégation. Nous demandons s'il est probable que cela se soit produit comme le prétend le dénonciateur. Nous nous demandons également si nous pourrons obtenir des preuves, contrairement à la situation où on a l'impression que le tout sera fondé sur de l'ouï-dire. Parfois on ne sait pas vraiment tout cela avant de commencer à examiner la situation, bien entendu.

Il va sans dire que l'identité du dénonciateur et la possibilité ou non de la révéler au prétendu auteur de l'acte répréhensible n'est pas en cause avant qu'on arrive à une étape où cette question devient pertinente.

[Français]

Le sénateur Nolin : À un moment donné, vous jugez que c'est votre devoir d'assurer au futur accusé une défense juste, pleine et entière.

[Traduction]

M. Keyserlingk : Oui. Vous comprenez certainement qu'il n'est pas question ici de permettre à l'autre partie d'avoir accès à des renseignements liés à l'identité du dénonciateur. En ce qui nous concerne, cette information doit non seulement être protégée mais jouir d'une protection absolue. Nous parlons plutôt de la procédure d'enquête. Ça c'est autre chose et c'est dans ce contexte que cela pourrait se produire. Comme je vous le mentionnais tout à l'heure, cela ne s'est encore jamais produit à notre bureau, mais s'il y a de plus en plus de dossiers qui concernent des questions d'intérêt public, cela pourrait être le cas, étant donné qu'il est moins probable que l'identité de l'intéressé soit déjà connue.

Le président : Docteur Keyserlingk, je vous rappelle que nos prochains témoins, qui sont de la Commission de la fonction publique du Canada, devraient arriver bientôt. Nous n'avons plus que 17 minutes pour cette partie de la réunion.

Sept sénateurs n'ont pas encore eu l'occasion de poser une question. Pourriez-vous donc faire de plus brèves réponses, car je voudrais que tous les honorables sénateurs aient l'occasion de vous interroger. Deux sénateurs ont également demandé un deuxième tour de questions, ce qui en fait neuf en tout pour les 17 minutes restantes. Je suis disposé à prolonger la séance de 10 minutes pour permettre à chacun d'avoir un tour, mais je voulais que vous soyez conscient du fait qu'il nous reste très peu de temps.

Le sénateur Joyal : Dois-je comprendre que vous partez du principe que la confidentialité sera maintenue à moins que, selon votre interprétation de vos obligations en vertu des principes de la justice naturelle, vous estimiez être obligé de divulguer l'identité de l'intéressé?

M. Keyserlingk : Oui.

Le sénateur Joyal : En deuxième lieu, je voudrais revenir sur une question soulevée par l'Association du Barreau canadien dans le mémoire qu'il a présenté à l'autre endroit. Dois-je comprendre que vous n'êtes pas au courant des points abordés dans les recommandations de l'ABC?

M. Bélanger : Non.

Le sénateur Joyal : Je devrais peut-être les mentionner, pour que ce soit consigné au compte rendu, et vous pourrez faire parvenir votre réponse par la suite au greffier du comité.

L'Association du Barreau canadien s'appuie sur la décision rendue en 2001 sur l'affaire Haydon c. Canada pour affirmer que la définition du terme « divulgation protégée » devrait être modifiée. La copie anglaise que j'ai sous les yeux est trop pâle et je vais donc vous la lire en français.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Bélanger, avez-vous la définition d'une « divulgation protégée » devant vous?

M. Bélanger : Oui.

Le sénateur Joyal : Alors, « divulgation protégée » signifie :

Divulgation faite de bonne foi par un fonctionnaire selon le cas :

a) en vertu de la loi;

b) dans le cadre d'une procédure parlementaire;

c) sous le régime d'une autre loi fédérale; et

d) lorsque la loi l'y oblige.

L'attention du Barreau est centrée sur le « d) lorsque la loi l'y oblige ». Le raisonnement du Barreau est le suivant : La décision dans la cause Haydon c. Canada précise que, normalement, en vertu de la common law, un fonctionnaire a une obligation de loyauté à l'égard de son employeur sauf que cette obligation de loyauté peut faire face à des exceptions basées sur l'intérêt public. La définition que l'on trouve dans d), qui textuellement « lorsque la loi l'y oblige », est trop restrictive. Ce devrait être « lorsque la loi le permet ou l'y oblige ».

En d'autres mots, il devrait y avoir une capacité plus large pour un fonctionnaire de faire une dénonciation de malversation. Je vous réfère aux pages 10 et suivantes du mémoire du Barreau. Vous voudrez peut-être réfléchir à cette recommandation faites par le Barreau. Le Barreau nous recommande de modifier d) pour simplement dire « lorsque la loi le permet ou l'y oblige ». Si on en fait qu'une seule obligation, il pourrait y avoir des cas où le fonctionnaire croirait devoir faire la dénonciation, mais qu'en pratique, ce n'est pas une obligation formelle de la loi. Je crois qu'il y a une nuance entre les deux. J'aimerais que vous y réfléchissiez et que vous me fassiez connaître votre avis à ce sujet.

M. Bélanger : À première vue, la proposition me semble très bonne, juste et raisonnable pour étendre la portée de ce qu'est une « divulgation protégée ».

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Je crois savoir que vous comptez faire parvenir au greffier votre opinion officielle à ce sujet.

Ma dernière question concerne vos propos à la page 3 de votre mémoire concernant la définition de « représailles ». Mon propre jugement et mon expérience dans ce domaine m'incitent à accepter votre recommandation, selon laquelle une définition de « représailles » qui se limite aux mesures disciplinaires ou au congédiement ne tient pas compte du véritable fonctionnement d'un ministère au jour le jour. Si la loi précise qu'il est interdit d'imposer des mesures disciplinaires ou de congédier un emploi, il est évident qu'un gestionnaire ne prendra jamais une telle mesure; il fera autre chose, et cette autre chose consisterait à lui rendre la vie impossible.

Dans un autre comité ici au Sénat, nous avons examiné une question sur laquelle s'est penchée la Cour — et il se trouve qu'il y a eu de nombreuses décisions de la Cour fédérale sur la situation précise à laquelle je songe — où les premières allégations concernaient des activités professionnelles qui étaient devenues insupportables après un certain temps. Si nous n'élargissons pas la définition de « représailles » pour inclure ce genre de situation, en réalité nous disons aux gens de faire indirectement ce qu'ils ne peuvent pas faire directement. Une telle situation ne répond pas à l'objet du projet de loi, et j'estime par conséquent que le juge Gomery avait raison de nous demander de trouver une solution.

M. Keyserlingk : C'est très juste, sénateur.

Le sénateur Joyal : Peut-être voudrez-vous réexaminer la question. Elle est importante. Les pratiques dans la fonction publique nous renvoient normalement au contexte que je viens de vous décrire.

M. Keyserlingk : C'est très juste.

Le président : Vous avez déjà évoqué cela en répondant à la question que je vous ai posée au départ.

Le sénateur Andreychuk : J'ai bien compris votre message, et je vais donc limiter mes questions.

Si je peux me permettre de résumer vos témoignages, vous nous dites que le projet de loi est un pas dans la bonne direction, mais qu'il faut y inclure d'autres éléments. À votre avis, convient-il de faire preuve de prudence dans un tel contexte, notamment quand on commence à parler du secteur privé, plutôt que des activités normales de la fonction publique? Êtes-vous d'avis que cette approche prudente est la bonne? Si je vous ai bien compris, vous souhaitez que le gouvernement envisage d'inclure d'autres éléments de façon à assurer la bonne évolution de cette mesure législative.

M. Keyserlingk : La prudence est toujours un excellent principe à retenir lorsqu'on rédige un projet de loi. Comme vous le savez certainement, il s'agit toujours d'établir un juste équilibre entre la prudence et, par exemple, ce qu'on pourrait considérer comme le refus de reconnaître un droit — en l'occurrence, le droit d'accès. Certaines de mes recommandations concernent un droit d'accès à l'information ou encore le droit de personnes travaillant dans le secteur privé d'être pleinement protégées contre les représailles.

Ai-je manqué de prudence? Je suppose que j'ai dû faire des calculs inconscients qui m'ont fait conclure que ce ne serait pas un excès de prudence que d'élargir l'accès à la procédure d'enquête et d'étendre le droit de protection contre les représailles aux personnes qui travaillent dans le secteur privé. J'ai fait ce calcul en me disant, premièrement, ils ont ce droit, à mon avis; et parce que, deuxièmement, pour s'assurer de mener une enquête juste et exhaustive et de tirer des conclusions qui le sont tout autant, il faut bien évaluer les renseignements — renseignements qui peuvent dans certains cas venir de l'extérieur du secteur public — et à défaut de le faire, de deux choses l'une : soit le résultat n'est pas concluant, soit les conclusions sont injustes, car nous pourrions déterminer injustement que le fonctionnaire est responsable, alors que cette responsabilité est peut-être partagée par une autre personne qui ne travaille pas dans le secteur public.

Je suis entièrement d'accord avec vous, sauf que, dans de tels cas, ces propositions ne sont pas à mon avis importantes; elles partent plutôt du principe que si nous souhaitons que notre système soit juste et exhaustif, certains changements s'imposent.

Le sénateur Andreychuk : Faire tomber le secteur privé sous le coup d'une loi me semble un peu différent d'une situation où l'on cherche à accorder certaines protections et certaines possibilités à un fonctionnaire. Si un fonctionnaire divulgue certains renseignements et est frappé ensuite d'ostracisme, ou connaît l'une des autres difficultés que vous avez évoquées — psychologiques ou autres — c'est avant tout son gagne-pain qui est menacé. Dans le secteur privé, le gagne-pain de quelqu'un peut être menacé, mais il ne le sera pas dans la plupart des cas, étant donné que son lien avec le gouvernement ne tient qu'à ce seul acte. Par conséquent, les risques sont plus importants pour un fonctionnaire que pour quelqu'un qui travaille dans le secteur privé.

M. Keyserlingk : Vous avez sans doute raison. Cependant, il convient de se rappeler que si nous souhaitons que l'interdiction des représailles vise les employeurs du secteur privé, c'est justement à cause de la possibilité qu'un employé du secteur privé qui a divulgué certains faits soit la victime de représailles exercées par son propre employeur. Autrement dit, nous ne voulons pas que notre accès à de futurs contrats ou de futures subventions soit compromis, alors que vous avez créé ce risque, et c'est justement à ce moment-là que l'employé du secteur privé peut obtenir la protection qu'il lui faut. Donc, dans certains cas, un emploi dans le secteur privé peut être menacé.

Le sénateur Andreychuk : Je peux concevoir qu'il puisse y avoir un tel cas d'espèce, mais êtes-vous en train de nous dire que ce projet de loi et que cette démarche est la seule façon de régler ce problème, ou faut-il passer par d'autres lois, voire même le droit criminel, pour le régler?

M. Keyserlingk : La loi prévoit déjà une interdiction criminelle contre les représailles. À mon avis, c'est une bonne chose, mais je ne suis pas aussi sûr que ce soit une façon aussi directe et efficace de régler le problème dans la plupart des cas que de permettre à l'intéressé de passer par la procédure d'enquête du commissaire et d'être protégé contre les représailles. Cet accès et cette protection supposent l'exécution d'une enquête par un commissaire dont le poste a été créé à cette fin précise et qui dispose de tous les outils nécessaires pour effectuer le travail — le travail s'articulant exclusivement autour de la question de la dénonciation et de la protection contre les représailles — alors que la police n'est pas formée pour mener ce genre d'enquête et n'y verrait pas quelque chose de prioritaire, à mon avis, étant donné les ressources limitées dont elle dispose.

Le sénateur Andreychuk : Donc, il s'agit de prévoir un choix de mécanismes?

M. Keyserlingk : Oui.

Le sénateur Andreychuk : C'est également notre avis; il devrait y avoir quelque chose. Il s'agit de savoir quels mécanismes il convient d'établir maintenant et lesquels devraient faire l'objet de surveillance.

M. Keyserlingk : Oui.

Le sénateur Andreychuk : Vous voudrez que ces mesures visent le SCRS. Pour en revenir à votre point au sujet de l'expertise qui est nécessaire, une bonne partie du travail du SCRS est fondée sur des opinions et des preuves de seconde main. Les ressources y sont utilisées différemment et pour des fins différentes, par rapport à d'autres organismes et ministères.

Il me semble qu'un commissariat aurait besoin de compétences très développées pour être en mesure de comprendre tous les enjeux et de ne pas compromettre la sécurité nationale. À l'heure actuelle, nous avons un mécanisme qui prend la forme d'un comité de surveillance du SCRS composé de citoyens, et je pense que ce dernier est sans doute mieux placé que le commissaire pour traiter des questions de ce genre.

Qu'en pensez-vous?

M. Keyserlingk : C'est une observation tout à fait juste. Cependant, il me semble que les comités de surveillance, comme celui chargé du Centre de la sécurité des télécommunications, n'a pas pour principal objectif de découvrir les actes répréhensibles du genre qui pourrait intéresser le commissaire, c'est-à-dire des cas graves de mauvaise gestion, l'utilisation abusive de deniers publics, etc. Comme vous le dites, il s'agit de savoir comment il convient de répartir les ressources disponibles.

Je pense que le commissaire est peut-être mieux placé pour examiner des questions de ce genre, encore une fois parce que c'est le genre d'actes répréhensibles correspondant aux sujets des enquêtes menées habituellement par le commissaire, si bien que l'expertise nécessaire est présente au commissariat. Des cas de ce genre seraient sans doute assez rares, parce que ce genre de problème ne fait pas normalement l'objet de plaintes auprès des comités de contrôle, ces plaintes portant le plus souvent sur des actes dont les citoyens eux-mêmes ont été victimes, par exemple, de sorte que ce genre de problèmes ne pas du tout être en cause. Mais il ne fait aucun doute que cela pose problème.

Le sénateur Day : Bonjour, messieurs, et permettez-moi de vous remercier d'être présents aujourd'hui et de nous aider à comprendre cette partie du projet de loi C-2.

Je voudrais commencer par vous poser une question au sujet de l'article 2001, soit le projet de modification à l'article 19.1 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles; c'est à la page 140 du projet de loi C-2. Le projet de paragraphe 19.1(3) prévoit une dérogation, mais au paragraphe 19.1(2), il est question d'un délai de 60 jours, ce qui me semble excessivement court, surtout en regard des délais de prescription prévus ailleurs dans ce même projet de loi.

Le paragraphe 19.1(3) dit ceci : « si le commissaire estime approprié dans les circonstances ». Malgré cette condition, on prévoit un délai de 60 jours.

M. Bélanger : Dans la LPFDAR, il y avait précédemment un délai de 30 jours pour déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail. Au moins le délai proposé est maintenant de 60 jours, ce qui permet au fonctionnaire concerné de prendre le temps d'examiner les diverses options. Lorsqu'une plainte de représailles est déposée auprès du commissaire, tous les autres recours des fonctionnaires concernés sont suspendus.

Le sénateur Day : Quel serait le meilleur délai à prévoir? Une personne a besoin de combien de temps pour explorer les possibilités qui s'offrent à elle? Si vous pensez faire l'objet de représailles, vous voudrez certainement parler avec votre représentant syndical et avec votre avocat, pour savoir quelles possibilités existent. Un délai de 60 jours est-il raisonnable? S'il est raisonnable, c'est parfait. S'il ne l'est pas, parlons du délai qu'il faudrait prévoir à la place.

M. Bélanger : La dérogation que prévoit le paragraphe 19.1(3) accorde évidemment un certain pouvoir discrétionnaire au commissaire. Il se peut que six mois ou un an plus tard, l'employé en question apprend que tout ce qui lui arrivait était le résultat de l'enquête menée par le commissaire au sujet des actes répréhensibles divulgués par l'employé. Il est possible que l'employé n'ait pas compris précédemment qu'il y avait ce lien de causalité. Donc, en réalité, il n'y a pas de délai fixe, en ce sens que le commissaire a le pouvoir de prendre une décision à ce sujet au cas par cas.

Le sénateur Day : Monsieur Keyserlingk, qu'en pensez-vous?

M. Keyserlingk : Il me semble que le paragraphe 19.1(3) est justement prévu pour cette fin précise; c'est-à-dire que si un délai de 60 jours n'est pas suffisant, quelle qu'en soit la raison, le commissaire peut autoriser une prolongation. À mon sens, la meilleure façon de s'assurer qu'il pourrait y avoir ce qu'on appelle des dépôts tardifs consiste peut-être à ne pas prévoir de délai précis.

Le sénateur Day : C'est-à-dire de prévoir une dérogation sans limite dans le temps?

M. Keyserlingk : En effet.

Le sénateur Day : Le délai me semblait un peut trop court, mais j'accepte votre avis à ce sujet. Je voudrais maintenant passer à un autre sujet, mais je vous remercie pour ces observations.

Maintenant, que pensez-vous de l'idée selon laquelle le tribunal pourrait accorder des dommages-intérêts de 10 000 $ pour souffrances et douleurs? Êtes-vous en faveur?

M. Bélanger : Le Tribunal des droits de la personne peut accorder un montant semblable ou plus élevé encore pour souffrances et douleurs, et donc, ce montant cadre plus ou moins avec la pratique, même s'il serait possible de l'améliorer.

Le sénateur Day : L'idée de prévoir des montants précis dans la loi m'inquiète. Une fois qu'une loi a été promulguée, il faut un certain temps avant de pouvoir la modifier.

Voilà qui m'amène justement à ma prochaine question au sujet des juges. Le projet de loi exige que le tribunal soit composé exclusivement de juges. Que pensez-vous de la possibilité de définir les compétences des membres du tribunal? Y a-t-il une raison pour laquelle les membres doivent nécessairement être des juges? Le projet de paragraphe 21(1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles prévoit que :

L'instruction des plaintes se fait sans formalisme et avec célérité dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.

On y prévoit des juges pour permettre que l'instruction des plaintes soit faite sans formalisme et avec célérité.

M. Keyserlingk : Loin de moi l'idée de critiquer les juges.

Le sénateur Day : Je ne critiquais pas les juges.

M. Keyserlingk : Je comprends. Il me semble que l'inclusion des juges est une façon de faire comprendre à ceux qui estiment qu'ils devraient avoir accès aux tribunaux qu'ils auront justement accès à un tribunal composé de juges. Ce n'est pas la même chose que d'avoir accès à un tribunal civil, comme le souhaiteraient certains; il reste que cette exigence fait ressortir le sérieux du travail du tribunal et c'est justement une bonne façon d'insister là-dessus. Ce n'est pas la seule façon, bien entendu, mais c'est une façon possible. Cela permet d'indiquer que l'irrévocabilité de la décision du tribunal est justifiée dans la plupart des cas, étant donné que ce travail est confié à des juges expérimentés. À mon avis, cela ne compromet aucunement la crédibilité des procédures devant le tribunal.

Le sénateur Day : S'agira-t-il de juges qui sont membres actifs de la magistrature et qui accepteront de faire ce travail en plus?

M. Keyserlingk : Oui, je pense bien.

Le sénateur Day : Ce sont des juges actifs dont la participation aura été approuvée par le juge en chef.

M. Keyserlingk : Ils auront de l'expérience pour ce qui est d'assigner les témoins et d'apprécier leurs témoignages, etc. Ce n'est pas une mauvaise idée, du point de vue de la crédibilité du résultat, de prévoir une procédure de nature judiciaire, même sans formalisme.

Le sénateur Day : Nous avons certaines inquiétudes par rapport à certaines dispositions du projet de loi qui prévoient des compétences bien spécifiques. Selon nous, cela exclurait d'office certaines personnes bien qualifiées. Un tribunal composé de trois personnes pourrait inclure un professeur d'université, par exemple, et un fonctionnaire retraité qui connaît à fond les procédures de la fonction publique, et dont la contribution au travail du tribunal serait très positive. Mais de telles personnes sont exclues d'après ce qui est proposé ici. Il s'agira exclusivement de juges qui sont membres actifs de la magistrature.

M. Keyserlingk : Ils pourront, bien sûr, faire témoigner de telles personnes, et dans bien des cas, ce sera peut-être tout à fait nécessaire. Vous avez parfaitement raison de dire que cette perspective est importante.

Le sénateur Day : Je voudrais revenir au point soulevé par le sénateur Milne, dans sa discussion avec M. Bélanger, concernant la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je ne suis pas convaincu que nous ayons vraiment réussi à faire ressortir l'élément essentiel. Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels vise à autoriser un particulier à s'adresser à un ministère fédéral pour accéder aux renseignements que possède ce dernier à son sujet en vue de les rectifier et de les clarifier.

Il me semble que l'article 22.2 prévoit ceci :

Le Commissaire à l'intégrité du secteur public est tenu de refuser la communication des renseignements personnels demandés au titre du paragraphe 12(1) [...]

Il s'agit d'un article de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Je comprends très bien qu'il faille garder secret le nom du plaignant. On veut éviter la possibilité d'une chasse aux sorcières en sens inverse.

Mais ne doit-on pas supposer que la possibilité de demander à avoir accès à ses propres renseignements personnels, en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, visait à permettre aux personnes qui le désirent de corriger l'information tenue à leur sujet. Ne serait-il pas possible de faire quelque chose ici afin de protéger cet élément positif de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

M. Bélanger : L'expression « renseignements personnels » est une expression très générale. Nous avions à l'esprit l'identité du dénonciateur et la nécessité de protéger son identité.

Le sénateur Day : C'est effectivement important.

M. Bélanger : Une disposition de la LPFDAR autorise le commissaire à protéger les renseignements personnels. L'article 58 de la LPFDAR concerne les renseignements qui peuvent donner lieu à la divulgation de l'identité du fonctionnaire concerné; il porte sur l'identité de l'intéressé.

Dans le projet de loi C-2, le gouvernement cherche à élargir cette protection en prévoyant une exemption générale pour tous les renseignements personnels, quels qu'ils soient. À notre avis, si l'on veut créer une exemption générale, il convient évidemment de protéger l'identité de la personne directement concernée, mais pas nécessairement d'autres renseignements personnels. Nous souhaitons que l'identité des intéressés soit protégée. Par contre, si quelqu'un voulait faire corriger les renseignements conservés à son sujet, cela devrait être permis. Mais personne ne devrait pouvoir connaître l'identité du dénonciateur.

Le sénateur Day : Je suis entièrement d'accord avec vous en ce qui concerne la nécessité de protéger l'identité du dénonciateur. Mes inquiétudes découlent du projet d'article qui se trouve à la page 172, qui semble exclure la possibilité qu'une personne puisse faire corriger ses propres renseignements personnels. Je pense que c'est bien de cela que parlait le sénateur Milne tout à l'heure. Êtes-vous d'accord pour reconnaître qu'il faudrait peut-être réexaminer cet article?

M. Keyserlingk : Ce n'est pas quelque chose que nous avions nous-mêmes remarqué, mais votre observation est tout à fait juste. Il conviendrait de clarifier le texte pour éviter le résultat que vous craignez. Il y a peut-être de bonnes raisons de penser que cette crainte n'est pas justifiée, mais à première vue, elle semble l'être.

Le sénateur Day : À première vue, ce texte semble ne pas cadrer avec les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Cowan : Je crois que le sénateur Andreychuk espérait vous entendre dire que les préoccupations dont vous nous avez fait part pourraient, si l'on voulait faire preuve d'une grande prudence, être gardées pour un autre jour. Quant à moi, j'ai compris plutôt l'inverse. C'est-à-dire qu'à votre avis, il n'est pas nécessaire, pour des raisons de prudence, d'éviter de donner suite aux recommandations que vous faites aujourd'hui, qui pourraient facilement être incorporées dans ce projet de loi par voie d'amendement, et que ce ne serait pas un manque de prudence d'agir ainsi.

M. Keyserlingk : Vous avez raison. J'ai également indiqué dans mes remarques liminaires que si on n'y donne pas suite maintenant il conviendra de suivre la situation au fur et à mesure de l'évolution du rôle du commissaire au cours du délai de cinq ans, au terme duquel il est prévu que la loi soit réexaminée. Comme vous dites, il me semble préférable de régler ces questions maintenant.

Le président : Monsieur Keyserlingk, plut tôt ce matin vous avez dit ceci :

Ces limites, toutefois, n'entravent complètement l'efficacité de la loi actuelle et ne devraient pas compromettre son application.

M. Keyserlingk : C'est exact.

Le sénateur Day : Vous nous avez également dit que vous aimeriez que le projet de loi soit aussi parfait que possible.

M. Keyserlingk : Ce serait l'idéal, oui.

Le sénateur Cowan : Dans ce cas, vous avez répondu à ma question. Merci.

Le sénateur Cowan : L'idée c'est d'obtenir les renseignements nécessaires. La source ne nous intéresse pas autant.

Mon dernier point concerne l'opportunité d'autoriser le commissaire à faire respecter les modalités d'un règlement intervenu entre les parties, alors que ce pouvoir n'est pas prévu dans le projet de loi C-2. Si je comprends bien, le commissaire peut déposer un rapport mais n'a pas le pouvoir de faire respecter les mesures qu'il recommande. Avez-vous une opinion sur la possibilité d'autoriser le commissaire à faire respecter une décision ou un règlement? Pour ma part, je serais très heureux qu'on confère ce pouvoir au commissaire. En même temps, je comprends que cela puisse poser problème. Il y a de bonnes raisons de ne pas prévoir que l'organe qui mène l'enquête soit aussi celui qui décide en définitive du règlement final. C'est un principe de base en droit. Je prétendais autrefois que le commissaire devrait être en mesure non seulement de déposer ses constatations mais de rendre une décision sur la question. J'avoue que je ne suis pas tout à fait mécontent de voir que le pouvoir de rendre une ordonnance se situera à un autre niveau. Cela me semble assez logique, étant donné que cela correspond à la procédure courante et que c'est ainsi que le système devrait fonctionner normalement.

Ce serait plus facile et plus rapide de permettre au commissaire de faire respecter sa décision, mais en même temps, il y a de bonnes raisons de vouloir situer ce pouvoir à un autre palier, étant donné qu'il appartient au commissaire de faire enquête et de présenter ses conclusions.

Le sénateur Milne : On dirait que nous posons tous des questions sur le même sujet. À l'heure actuelle, la politique du Conseil du Trésor permet à un fonctionnaire de s'adresser à l'agent de l'intégrité de la fonction publique pour lui faire part d'allégations de représailles. Le projet de loi C-11, qui a été adopté par la Chambre des communes, aurait fait en sorte que les titulaires du poste d'agent de l'intégrité de la fonction publique auraient été des hauts fonctionnaires du Parlement, à qui un fonctionnaire pourrait s'adresser dans un tel cas. Le projet de loi C-2 modifie cette façon de faire en quelque sorte, puisqu'il semble prévoir que l'agent de l'intégrité de la fonction publique pourra, en vertu de la loi, instruire des plaintes, mais s'il n'y a pas de règlement, le commissaire « peut décider » de renvoyer la question au nouveau Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. Aux termes du projet de loi C-2, le commissaire semble jouir du pouvoir discrétionnaire de renvoyer une question au tribunal. Dans ce contexte, n'y a-t-il pas le danger que le fonctionnaire concerné se trouve dans un vide juridique si le commissaire décide de ne pas renvoyer son dossier au tribunal? Qu'arriverait-il dans un tel cas? Le fonctionnaire pourrait-il s'adresser directement au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs ou cette option serait-elle complètement exclue pour les fonctionnaires?

M. Bélanger : Selon le mécanisme du projet de loi C-2 relativement à la protection contre les représailles, le fonctionnaire dépose une plainte auprès du commissaire et le commissaire décide ensuite s'il y a lieu ou non de la renvoyer au tribunal. Ainsi le fonctionnaire ne pourrait pas s'adresser directement au tribunal; il faudrait qu'il s'adresse au commissaire, qui déposerait une requête devant le tribunal le cas échéant. Ce mécanisme permet de protéger l'intéressé contre les représailles.

Le sénateur Milne : Parce que tout reste secret, le fonctionnaire pourrait être dans l'impossibilité de savoir pourquoi le commissaire a refusé...

M. Bélanger : Non. La décision du commissaire serait communiquée au fonctionnaire avec une explication des motifs du refus. Le fonctionnaire pourrait alors traîner le commissaire devant la Cour fédérale s'il n'était pas satisfait de l'explication.

Le sénateur Milne : Il faudrait qu'il présente une demande de révision judiciaire devant la Cour fédérale.

M. Bélanger : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Vous avez dit que les pouvoirs du commissaire s'appliquent à presque tout le secteur public fédéral. Ses pouvoirs s'appliquent-ils également aux employés du Parlement du Canada?

[Français]

Pierre Martel, directeur exécutif, Bureau de l'intégrité de la fonction publique : Non, cela n'inclut pas les employés de la Bibliothèque du Parlement, du Sénat ou de la Chambre des communes.

Le sénateur Joyal : De quelle manière sont-ils protégés s'ils veulent satisfaire les objectifs de cette loi?

M. Martel : Présentement ils ne sont pas protégés par la loi et ne le seront pas sans des modifications à la loi. La seule protection possible pour ces employés n'existera que par le biais de mécanismes administratifs internes que la Chambre des communes, le Sénat ou la Bibliothèque du Parlement voudront bien se doter.

[Traduction]

Le sénateur Stratton : Monsieur Keyserlingk, on m'a reproché la semaine dernière de ne pas répliquer face à certaines affirmations, mais nous jugions plus approprié d'inviter les responsables en question à comparaître de nouveau devant le comité afin de réfuter certaines affirmations qui ont été faites aujourd'hui. Voilà qui explique pourquoi les sénateurs du parti ministériel n'ont pas fait certaines choses la semaine dernière.

Pour moi, le projet de loi C-2 est analogue à la Loi antiterroriste adoptée il y a quelques années, qui fait actuellement l'objet d'un réexamen. En réalité, il faut adopter le projet de loi sans tarder et surveiller ses effets au cours des cinq prochaines années. Je ne cherche pas à vous faire dire des choses que vous ne souhaitez pas dire, monsieur Keyserlingk, mais vous conviendrez avec moi que si nous devions adopter ce projet de loi sans amendement, nous pourrions alors surveiller son application au cours des cinq prochaines années et la réexaminer au terme de ce délai, tout comme nous l'avons fait pour la Loi antiterroriste. Nous ne savons pas si les craintes exprimées au sujet de ce projet de loi sont justifiées ou non. Certaines le sont, mais d'autres le sont peut-être moins. Êtes-vous d'accord?

M. Keyserlingk : Oui, je suis d'accord. S'il devient impossible, pour diverses raisons, d'apporter des amendements au projet de loi ou si le fait de le modifier risque de compromettre l'application de la LPFDAR, je préférerais que le projet de loi soit adopté dans sa forme actuelle. L'opinion générale au sein de la fonction publique semble être qu'il nous faut une loi efficace. Encore une fois, s'il y a le moindre risque que le projet de loi ne soit pas adopté, je pense que le résultat serait non seulement énormément de déception, mais plus de cynisme, etc. Donc, ma réponse est oui.

Le président : Merci, monsieur Keyserlingk, monsieur Martel et monsieur Bélanger d'être venus nous faire part de vos vues sur cet importante section du projet de loi relative à la dénonciation.

J'ai maintenant le plaisir d'accueillir Mme Maria Barrados, présidente de la Commission de la fonction publique du Canada. La CFP est un organisme indépendant chargé de défendre les valeurs qui sous-tendent une fonction publique professionnelle, y compris la compétence, l'impartialité, et la représentativité.

Mme Barrados a été confirmé dans son poste de présidente de la Commission de la fonction publique du Canada à compter du 21 mai 2004. Elle a été présidente par intérim jusqu'en novembre 2003. De décembre 1993 à cette date, elle a été vérificatrice générale adjointe, chargée des opérations de vérification au Bureau du vérificateur général du Canada. Mme Barrados a de solides antécédents dans le domaine de la vérification, de l'évaluation et de l'analyse statistique, et elle est également très active au sein de la collectivité.

Mme Barrados est accompagnée de M. Peter Edwards, directeur de la Politique stratégique à la Commission, et de M. Gaston Arseneault, avocat-conseil.

[Français]

Je sais que la Commission de la fonction publique a suivi de près les travaux du comité et je tiens à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite nous passerons à une période de questions et de discussions qui seront, je sais, très utile pour les membres du comité.

[Traduction]

Je vous souhaite la bienvenue au comité, madame Barrados. Nous vous invitons à faire vos remarques liminaires et, par la suite, les honorables sénateurs auront des questions à vous poser.

Maria Barrados, présidente, Commission de la fonction publique du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

La Commission de la fonction publique, le CFP, est un élément clé des systèmes de responsabilisation de la fonction publique. Le Parlement nous a donné le mandat de préserver le mérite et l'impartialité dans la gestion des ressources humaines, sans obliger à tenir compte de l'orientation ministérielle. Nous assumons cette responsabilité, d'une part en gérant un système qui permet de déléguer les pouvoirs de dotation et qui offre une responsabilisation efficace, d'autre part en étant un centre d'expertise en ce qui concerne la dotation et l'évaluation.

La nouvelle Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la LEFP, est entrée en vigueur le 31 décembre dernier. Elle confirme à nouveau notre obligation de rendre des comptes au Parlement.

En vertu de cette loi, nous sommes chargés, en tant qu'organisme autonome, de protéger le principe de mérite et d'impartialité. Nous nous sommes engagés à promouvoir une fonction publique compétente, professionnelle et représentative, nommée en fonction du mérite et exempte d'influences politiques et de favoritisme personnel. Notre organisme de surveillance autonome est au service de la population canadienne et du gouvernement depuis des décennies.

Aujourd'hui, j'aimerais vous proposer de faire l'examen d'amendements au projet de loi C-2. Le but est d'ajouter des caractéristiques de ce projet de loi à la LEFP.

Tout d'abord, ces amendements renforceraient le rôle de surveillance que la CFP exerce pour appuyer le Parlement. Ensuite, ils permettraient d'aborder certains éléments de la loi qui auraient pour conséquence de mettre en péril les valeurs fondamentales de mérite et d'impartialité. Les membres du Comité législatif chargé du projet de loi C-2 de la Chambre des communes ont tenu compte de plusieurs de nos suggestions au cours de leur examen du projet de loi. Cependant, les décisions relatives à l'interprétation des règles des comités de la Chambre ont empêché la prise en considération de certaines de ces suggestions. Le projet de loi C-2 modifie la LEFP et les amendements que je propose ici vont dans le sens du projet de loi.

[Traduction]

Le projet de loi C-2 va plus loin que la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Ainsi, il donne l'occasion de clarifier le mécanisme auquel a recours le président ou la présidente de la CFP pour transmettre ses rapports spéciaux au Parlement. La LEFP prévoit qu'un ministre dépose le rapport annuel de la CFP. Les modifications apportées à la LEFP en 2003 ont permis d'ajouter une disposition qui autorise la CFP à présenter des rapports spéciaux au Parlement. Cependant, il n'y a pas de précisions sur le mode de transmission. J'ai présumé que nous pouvions les déposer auprès du président ou de la présidente de la Chambre des communes, et de celui ou celle du Sénat. Toutefois, puisqu'il n'y avait pas de mention spéciale à cet effet dans la Loi, on nous a informés que ce n'était pas possible. On nous a fait savoir que nos rapports spéciaux devaient être transmis par l'entremise du ministre désigné pour le dépôt de notre rapport annuel; en ce moment, il s'agit de la ministre de Patrimoine canadien.

Cette exigence va à l'encontre du principe qui vise à renforcer les liens entre la CFP et le Parlement et à permettre à cette dernière de fournir des conseils indépendants au Parlement en temps opportun. La LEFP prévoit que ces rapports soient transmis rapidement. Pour ce faire, ils devraient être transmis directement de la CFP au Parlement sans subir des retards attribuables à des raisons administratives ou autres. En prenant pour modèle le mécanisme de dépôt dont se sert le commissaire à l'information actuellement, je recommande que le projet de loi C-2 modifie la LEFP afin de lui donner la capacité de transmettre ses rapports directement aux Présidents ou aux Présidentes des deux Chambres pour qu'ils ou elles les déposent.

Le projet de loi C-2 propose de normaliser la méthode de nomination à des postes offrant un appui au Parlement. Notre objectif consiste à harmoniser le processus actuel de nomination du président ou de la présidente de la CFP avec cette disposition. Ainsi je recommande que le projet de loi C-2 modifie la LEFP afin d'assujettir la nomination du président ou de la présidente de la CFP à la consultation des dirigeants de tous les partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes.

Les dirigeants de plusieurs organismes qui appuient le Parlement en effectuant des enquêtes et des vérifications devront, aux termes de l'article 144 du projet de loi C-2, refuser de communiquer, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, les documents obtenus ou créés dans le cadre d'enquêtes, d'examens ou de vérifications. Les vérifications internes sont également protégées. Or il n'est pas clair que nos rapports de vérifications, qui sont déposés au Parlement, soient visés par l'une ou l'autre de ces dispositions. Selon moi, les rapports de vérifications et d'enquêtes définitifs devraient être mis à la disposition du public. La CFP et les organismes ou personnes faisant l'objet d'une enquête ou d'une vérification doivent avoir la garantie que seulement les conclusions qui sont justifiées ou accompagnées d'explications adéquates seront publiées. Puisque la Commission de la fonction publique du Canada est autorisée par la LEFP à mener des enquêtes et des vérifications, je recommande de modifier l'article 144 du projet de loi C-2 de manière à garantir la protection des versions préliminaires de nos documents de vérifications et d'enquêtes.

Dans le même ordre d'idées, les fonctionnaires travaillant pour d'autres organismes qui effectuent des vérifications et des enquêtes, et dont les résultats sont communiqués au Parlement, sont déjà désignés, ou le seront en vertu des articles 2 et 305; ces personnes seront donc désignées comme n'ayant pas qualité pour témoigner ou ne pouvant y être contraintes, et comme bénéficiant de l'immunité en matières civiles et criminelles lors de mesures prises en toute bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions. La CFP effectue, elle aussi des enquêtes et des vérifications, dont les résultats sont déposés devant le Parlement. Les rapports de ces enquêtes et vérifications traitent de questions personnelles et souvent litigieuses pouvant entraîner ultérieurement des poursuites judiciaires. Pour que nous puissions faire notre travail et protéger nos vérificateurs et enquêteurs, je recommande que le projet de loi C-2 modifie la LEFP de manière à leur garantir la même protection.

Je voudrais maintenant aborder deux éléments du projet de loi C-2 qui pourraient avoir pour conséquence d'affaiblir ce que le Parlement nous a demandé de protéger en son nom, soit les principes du mérite et de l'impartialité dans la fonction publique.

L'article 106 officialise ce qui a été fait de tout temps en ce qui concerne la nomination à un poste de sous-ministre ou de conseiller spécial de ministre en conférant au gouverneur en conseil le pouvoir de faire des nominations à de tels postes sans passer par la CFP. Ceci veut donc dire qu'on exempte ces nominations de l'application du principe du mérite. Cependant, cet article pourrait s'appliquer à bon nombre de postes qui n'ont jamais été visés par une telle procédure, étant donné que sont inclus les conseillers spéciaux auprès d'un sous-ministre ou d'un administrateur général. Le fait est que la plupart des postes portant ces titres font partie de diverses catégories qui sont assujetties à la LEFP. En excluant ces nominations de l'application de la Loi, l'article en question risque de compromettre l'application du principe du mérite dans la fonction publique. Je recommande en conséquence que cet article soit modifié de manière à limiter le nombre de postes pouvant être visés par ces dispositions, et ce en supprimant les mots « d'un sous-ministre ou d'un administrateur général ».

Le projet de loi C-2 propose d'éliminer le droit d'être nommé en priorité à certains postes dans la fonction publique. Il s'agit d'une priorité dont certains membres du personnel des cabinets de ministres bénéficient actuellement lorsqu'ils cessent de travailler pour un ministre. Nous appuyons ce changement puisqu'il favorise l'application des principes du mérite dans la dotation des postes. Cependant, si l'on associe ce changement aux restrictions plus rigoureuses qui viseront les activités de membres du personnel exclu après leur départ d'un cabinet de ministre, cela signifie que davantage de fonctionnaires seront peut-être invités à faire partie du personnel exclu. Bien que ce type d'expérience de travail puisse être positif, la CFP s'inquiète de l'incidence sur l'impartialité de la fonction publique de mouvements de personnel non contrôlés entre la fonction publique et les bureaux de ministres.

Nous préférerions que l'on passe par la loi pour régler cette question. Nos discussions avec les représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor laissent entendre que le SCT n'est pas prêt à adopter une politique en bonne et due forme dans ce domaine, même si cela serait possible. À notre avis, cette lacune relativement au cadre de surveillance des mouvements entre la fonction publique et le personnel exclu est contraire à l'esprit du projet de loi C-2, qui vise à promouvoir la responsabilisation au sein du gouvernement. Notre objectif consiste à nous assurer la neutralité politique réelle et perçue de la fonction publique; ainsi nous recommandons de modifier la LEFP afin de veiller à ce que ce genre de mouvements de personnel se fasse seulement au moyen de congés sans solde approuvés par la CFP. Ces mouvements devraient être surveillés; ils devraient d'ailleurs être assujettis à des restrictions en ce qui concerne la période pendant laquelle un fonctionnaire peut travailler au cabinet d'un ministre. Par exemple, la Commission de la fonction publique de l'Ontario exige que les fonctionnaires obtiennent l'approbation de travailler au cabinet d'un ministre, et la nomination doit se limiter à deux années de service.

La CFP constitue une partie importante des régimes de responsabilisation qui sont à la base de notre système de gouvernement responsable. Nos recommandations visent à améliorer cette responsabilisation. En conséquence, j'aimerais soumettre au comité les amendements que nous proposons.

Le président : Ce que vous venez essentiellement de nous dire dans vos remarques liminaires, c'est que vous proposez plusieurs amendements au projet de loi C-2, et à l'exception de l'article 104, où vous proposez de supprimer certains mots, entre autres la mention du conseiller spécial « d'un sous-ministre ou d'un administrateur général ». Mais je vois que vous avez déposé un autre document — une petite annexe.

Le sénateur Stratton : Pour nous permettre de travailler plus efficacement, je voudrais faire une suggestion. Souvent le premier sénateur à poser des questions prend pas mal de temps. Peut-être devrions-nous demander au premier intervenant de prendre moins de temps, pas nécessairement parce que je veux limiter son temps de parole au premier tour, mais tout simplement pour nous permettre à nous tous de poser des questions, au lieu de forcer les quatre ou cinq sénateurs qui restent de poser toutes leurs questions en dix minutes. Pourquoi ne pas demander au premier intervenant de s'en tenir à 30 minutes ou quelque chose de ce genre; sinon, les autres restent sur la touche.

Le sénateur Day : Si nous supprimions la motion du « premier » sénateur à poser des questions de cette affirmation, je pourrais l'accepter, mais en ce qui concerne six membres parmi les huit qui sont présents, nous avons demandé, étant donné la complexité et la diversité de ce projet de loi, qu'un sénateur soit chargé de poser les questions de fond les plus importantes sur chaque sujet que nous traitons. Les autres sont parfaitement disposés à limiter le nombre de questions qu'ils posent afin que le sénateur responsable du sujet en question puisse préparer les questions qui vont suivre.

Ayant émis cette petite mise en garde, je précise que je comprends très bien que le sujet que nous traitons ici est très vaste. Même si nous n'appliquons pas la clôture et aucune limite n'est imposée en ce qui concerne le temps de parole, il existe forcément des limites d'ordre pratique. Si nous pouvons nous entendre pour que le premier sénateur à prendre la parole au nom de notre parti dispose de plus de temps, je peux vous affirmer que les autres accepteront de réduire leur temps de parole.

Le sénateur Andreychuk : Je suis sénateur depuis 13 ans, et c'est bien la première fois que j'entends parler d'une telle procédure. J'espère avoir compris que les sénateurs libéraux acceptent de donner de leur temps de parole aux sénateurs chargés de poser les grandes questions de fond dans un premier temps, mais j'espère que toutes les autres règles s'appliqueront, comme dans d'autres comités. Je ne voudrais pas que cela crée un précédent. J'espère qu'il s'agit d'un arrangement que les sénateurs libéraux ont accepté volontairement.

Le sénateur Campbell : Oui, les sénateurs libéraux ont volontairement accepté de procéder ainsi. Nous étudions ce projet de loi depuis plus de trois semaines, et nous avons toujours suivi la même procédure. Nous avons donc accepté d'écourter notre temps de parole. Par exemple, je n'ai pas du tout demandé à poser des questions aujourd'hui car je voudrais que le sénateur chargé du sujet en question utilise mon temps de parole. Quant à savoir si cela deviendra une règle à l'avenir, je n'en sais rien, mais je peux vous dire que c'est ainsi que nous avons travaillé cette fois-ci, et c'est une méthode qui donne de très bons résultats.

Je suis d'accord pour dire que le premier intervenant parle parfois pendant très longtemps, mais à ce moment-là, les autres sénateurs ne posent pas de questions. Nous devrions à mon avis continuer à appliquer cette formule.

Le président : Merci, sénateur Campbell. Le sénateur Stratton n'est plus ici, mais c'est lui qui a soulevé la question. Je voudrais juste préciser que le comité directeur, composé du sénateur Day, du sénateur Milne et, au départ, du sénateur Joyal et moi-même, s'est rendu compte dès le départ que ce projet de loi est long et compliqué. Les sénateurs qui font partie de l'opposition voulaient désigner un sénateur pour traiter certains aspects du projet de loi. Par exemple, le sénateur Zimmer est un expert dans le domaine du financement électoral et il a donc été chargé de ce dossier; quant au sénateur Joyal, il était chargé des questions liées au commissaire à l'éthique. Telle est donc la procédure que nous avons employée ici en comité.

Malheureusement, le premier intervenant ce matin a abusé de cette formule, et je voudrais par conséquent que nous revenions à l'ancienne méthode, elle a donné de très bons résultats par le passé. Étant donné l'intervention du sénateur Stratton et la réponse du sénateur Day, je pense que nous réussirons maintenant à faire bien fonctionner le système, afin que tous les honorables sénateurs aient la même chance de poser des questions.

Le sénateur Campbell : Je vois mal comment vous pouvez affirmer qu'on a abusé de cette formule aujourd'hui. Pour moi, il n'y avait pas d'abus du tout. Il s'est produit à maintes reprises que le temps de parole du premier intervenant soit tout aussi long, mais il arrive aussi qu'il soit beaucoup plus court. Tout dépend du témoin et de l'information qu'il désire nous transmettre.

Le président : J'ai demandé au témoin précédent s'il serait possible pour lui et les autres de faire de plus courtes réponses, afin que nous ayons plus de temps pour les questions.

Sénateur Cowan, je vous cède la parole puisque c'est vous qui ouvrez la période des questions sur ce sujet.

Le sénateur Cowan : À la page 2 de votre déclaration, au premier paragraphe complet se trouvant au haut de la page, vous indiquez que vous avez fait de nombreuses propositions devant le comité de la Chambre, mais que « les décisions relatives à l'interprétation des règles des comités de la Chambre ont empêché la prise en considération de certaines de ces suggestions ». Que voulez-vous dire par là?

Mme Barrados : Plusieurs de nos propositions ont été déclarées irrecevables à l'étape de la deuxième lecture.

Le sénateur Cowan : En raison du moment où vous les avez déposées?

Mme Barrados : Cela concernait l'interprétation du champ d'application du projet de loi. En faisant valoir les arguments devant le comité de la Chambre, je n'ai pas réussi à convaincre les membres que la Commission de la fonction publique du Canada à bon nombre des rôles et responsabilités de ces autres organismes qui appuient le Parlement. D'ailleurs, mes préoccupations à cet égard sont entières. Il reste qu'il a été décidé que ces modifications dépassaient le champ d'application du projet de loi.

Le sénateur Cowan : Telle était la décision du comité?

Mme Barrados : C'est exact.

Le sénateur Cowan : Pourriez-vous m'aider à mieux comprendre cette notion de protection des projets de rapports? Craignez-vous qu'une version préliminaire contienne des renseignements qui se révèlent incorrects ou incomplets par la suite, et que la divulgation de cette information, avant que l'on puisse la vérifier, cause un préjudice? C'est cela qui vous inquiète?

Mme Barrados : Oui. Énormément d'informations sont recueillies dans le cadre de vérifications et d'enquêtes, y compris sur les déclarations et les opinions de gens. Ensuite il y a un processus de validation qui aboutit à des conclusions. Si de tels documents ne sont pas protégés, ces informations préliminaires seront tout à fait accessibles, alors qu'elles ne le sont peut-être pas toujours exactes; de même, le document qui les contient peut ne pas résister à l'analyse. Quand vous êtes le vérificateur responsable d'une vérification, vous défendez les affirmations du rapport final. Par contre, vous n'allez pas défendre nécessairement les éléments qui ont permis d'en arriver à ce rapport.

Ce qui m'inquiète tout particulièrement, c'est que le projet de loi C-2 est structuré de manière à protéger le Bureau du vérificateur général et ceux qui sont chargés des vérifications internes en général, mais nous ne faisons pas vraiment partie de cette catégorie. Le genre de vérifications que nous effectuons n'est aucunement protégé, alors que d'autres types de vérifications le sont.

Le sénateur Cowan : Je vous demande de vous reporter à l'article 106 à la page 92, dont vous avez également fait mention dans vos remarques liminaires. Votre préoccupation concerne le fait que l'exemption prévue vise les conseillers spéciaux de sous-ministres et d'administrateurs généraux. C'est bien ça?

Mme Barrados : Oui, c'est exact.

Le sénateur Cowan : Mais vous n'avez pas la même inquiétude en ce qui concerne les conseillers spéciaux de ministres?

Mme Barrados : Non, car ce mécanisme permet de faire des nominations dans un cas où aucune loi n'autorise le gouverneur en conseil à faire de telles nominations. D'autres ont peut-être des préoccupations relativement à l'application de cette mesure aux conseillers spéciaux des ministres, mais j'estime que les autres catégories sont de mon ressort et font donc partie de mes responsabilités. Je crains qu'en accordant une exemption aux conseillers spéciaux de sous-ministres ou d'administrateurs généraux, cette disposition finisse par viser un très grand nombre de personnes qui relèvent normalement de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Le sénateur Cowan : Savez-vous en fonction de quel objectif d'intérêt public il a été décidé de modifier le système actuel?

Mme Barrados : Cela m'a laissé un peu perplexe parce que notre travail relatif au projet de loi et nos observations sur les versions préliminaires ont été préparés en français, alors que cela ne figurerait pas dans la version française. On m'avait garanti qu'on ferait cadrer la version anglaise avec la version française. Je n'ai pas beaucoup insisté là-dessus, étant donné qu'on m'avait donné cette assurance.

Mais au moment des audiences et de l'examen article par article du projet de loi, ils ont décidé de faire cadrer la version anglaise avec la version française, plutôt que l'inverse.

Le sénateur Cowan : Vous pensiez que ce serait l'inverse?

Mme Barrados : Voilà.

Le sénateur Milne : Au mois de mai quand vous avez comparu devant le comité de la Chambre, vous avez fait ressortir le fait que le tribunal indépendant créé par le projet de loi C-2 fait double emploi avec les fonctions déjà exercées par les commissions de relations de travail. Il est peu probable que le tribunal puisse disposer de la même expertise que les commissions dans le domaine des relations de travail, expertise que les tribunaux acceptent avec régularité, mais malgré tout, le projet de loi C-2 prévoit qu'un tribunal sera saisi des questions délicates touchant les mesures disciplinaires et les représailles exercées contre des employés. Quant à nous, nous nous demandons s'il est vraiment nécessaire de créer un tribunal pour traiter des questions qui relèvent déjà du ressort d'autres commissions.

Aimeriez-vous nous parler de la déclaration que vous avez faite devant le comité de la Chambre? Êtes-vous toujours de cet avis? Il me semble que ce projet de loi pourrait porter atteinte à la procédure de grief et au droit d'un employé de déposer un grief lié aux mesures disciplinaires — quelque chose qui me semble tout à fait fondamental dans un milieu syndiqué.

Mme Barrados : Je ne me rappelle pas d'avoir fait des déclarations à ce sujet ou d'avoir témoigné sur la question.

Le sénateur Milne : Je cite le compte rendu des délibérations du comité.

Mme Barrados : C'est moi qui ai dit ça?

Le sénateur Milne : Excusez-moi; c'était le président de l'Alliance de la fonction publique du Canada.

Mme Barrados : C'est bien. J'étais inquiète.

Le sénateur Milne : Là on parle de syndicats.

Le sénateur Stratton : Je vous comprends.

Le sénateur Milne : Êtes-vous d'accord là-dessus? Souhaitez-vous réagir?

Mme Barrados : À mon avis, il ne m'appartient pas de commenter cette déclaration. J'essaie de m'en tenir à ce qui est de mon ressort.

Le sénateur Milne : À votre avis, ce projet de loi pourrait-il porter atteinte à la procédure de grief normale dans un milieu syndiqué?

Mme Barrados : Ma grande priorité est la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Plusieurs modifications ont été apportées à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique relativement aux recours. Je n'ai pas vraiment fait une analyse détaillée du projet de loi C-2 du point de vue de la possibilité que ce changement influe sur notre travail. J'ai l'impression qu'il n'aurait aucune incidence, même si l'argument du sénateur est peut-être tout à fait valable.

Le sénateur Milne : Vous avez dit dans votre exposé liminaire que vous voudriez que la Loi sur l'emploi dans la fonction publique soit modifiée pour permettre que vos documents de vérification bénéficient du même traitement dans le projet de loi C-2 que ceux du vérificateur général. La Commission de la fonction publique a-t-elle déjà rencontré des difficultés en ce qui concerne la divulgation des documents de vérification par l'entremise de la Loi sur l'accès à l'information? Pourquoi demandez-vous cette protection supplémentaire?

Mme Barrados : Je ne demande que la protection dont bénéficient déjà tous les autres vérificateurs. Il s'agit de pouvoir défendre ce qu'on avance. Quand nous publions un rapport de vérification qui comporte un certain nombre de conclusions, ce sont les conclusions qui comptent, et non pas les différents éléments d'information qui ont permis de préparer le rapport de vérification.

Nous recueillons toutes sortes d'informations, vraies et fausses, convaincantes ou l'inverse, et nous sommes ensuite appelés à évaluer en profondeur toutes ces informations. Nous n'avons pas à suivre les règles de la preuve ou d'autres règles concernant la procédure à suivre pour recueillir de telles informations. C'est donc un processus très différent. Voilà pourquoi nous cherchons à obtenir cette protection. Je crains que si cette protection n'est pas accordée, les gens seront très réticents à nous dire ce qu'ils devraient nous dire. Pour nous l'objectif consiste à recueillir autant de renseignements que possible. Mais si vous n'arrivez pas à obtenir tous les renseignements et si les gens refusent de vous dire exactement ce qui se passe, selon eux, vous pouvez difficilement effectuer votre travail.

Recevons-nous des demandes d'information? Oui, absolument.

Le sénateur Milne : Vous recevez des demandes, mais là nous parlons de vérifications. À l'heure actuelle, la protection dont vous bénéficiez en vertu de la Loi sur l'accès à l'information n'est-elle pas suffisante? Pourquoi avez-vous besoin de la protection supplémentaire que vous demandez dans l'un des nombreux amendements que vous nous avez proposés?

Mme Barrados : Ma position est la même que celle du Bureau du vérificateur général. À mon avis, cela risque de compromettre notre capacité de bien nous acquitter de nos responsabilités. Comme je vous l'ai déjà dit, le projet de loi C-2 prévoit la protection des documents du Bureau du vérificateur général dans le contexte des vérifications externes, et il en va de même pour les vérifications internes, mais notre organisme n'est pas protégé parce que notre principale fonction n'est pas celle de la vérification interne et, n'étant pas directement nommés dans le projet de loi, nous sommes nécessairement exclus de ces mesures de protection.

Le sénateur Milne : Avez-vous rencontré des difficultés par le passé?

Mme Barrados : Oui, tout à fait.

Le sénateur Andreychuk : Vous dites que vous voulez faire protéger les versions préliminaires ou les projets de rapport de vérification, et j'avoue que cela me laisse un peu perplexe, car j'avais cru comprendre que s'il est bien indiqué sur les documents qu'il s'agit d'un projet, de tels documents ne peuvent être communiqués à autrui. Mais vous nous dites que cela s'est déjà produit par le passé? Par exemple, le comité prépare toutes sortes d'ébauches. À l'heure actuelle, nous pouvons nous trouver dans une situation embarrassante s'il y a une fuite, mais il n'arrive pas normalement que les gens commentent les ébauches. Il s'agit d'évaluations continues, comme vous l'avez dit vous-même. D'où proviennent vos craintes et pourquoi voulez-vous surtout protéger les documents préliminaires liés aux vérifications?

Mme Barrados : Selon l'interprétation qu'on m'a donnée des dispositions qui doivent nous servir de guide relativement à la Loi sur l'accès à l'information, je dois leur remettre ces documents, et le fait est que je les ai remis.

Le sénateur Andreychuk : Cela veut-il dire que votre interprétation vous a fait comprendre que vous devez garder tous les documents préliminaires que vous établissez et que vous n'avez pas le droit de vous en débarrasser?

Mme Barrados : Nous devons tenir des dossiers complets. C'est-à-dire que nous devons garder tous les documents; nous n'avons pas le droit de les éliminer. Nous devons garder les ébauches. Nos vérifications portent sur la dotation de postes individuels ainsi que sur les compétences et les qualités des gestionnaires. Ce sont des questions délicates, et par conséquent, on nous demande ces documents et nous les avons fournis jusqu'ici, bien que cela m'inquiète beaucoup. Je n'étais pas d'accord pour le faire, mais on m'a fait comprendre que je n'avais pas le choix.

Le sénateur Andreychuk : Pourriez-vous me dire en vertu de quelles dispositions — non pas du projet de loi C-2 — vous êtes obligés de diffuser ces ébauches?

Gaston Arseneault, avocat général, Commission de la fonction publique du Canada : Je n'ai pas sous les yeux la Loi sur l'accès à l'information, mais s'agissant d'un rapport de vérification, il y a un certain délai pendant lequel vous n'êtes pas obligé de diffuser des documents en prévision du rapport final. Par contre, dès que le rapport final est publié, tous les renseignements pertinents deviennent accessibles, en vertu de la règle générale de l'accès à l'information. Dans ce sens-là, il y a bel et bien une période pendant laquelle vous n'êtes pas obligé de diffuser de tels documents — c'est-à-dire en attendant la publication du rapport final — mais il reste que ces renseignements demeurent dans vos dossiers et devront être diffusés, si quelqu'un les demande, après cette date.

Le sénateur Andreychuk : Où est-ce que la Loi prévoit spécifiquement que vous ne détruisiez pas les ébauches en prévision d'un rapport final?

M. Arseneault : Encore une fois, je n'ai pas sous les yeux la Loi sur l'accès à l'information, mais cette loi prévoit une règle générale selon laquelle tous les renseignements utilisés pendant le processus décisionnel doivent être conservés. Par conséquent, comment peut-on déterminer quelles ébauches il convient de détruire et lesquelles il convient de conserver? En conséquence, tous les renseignements recueillis sont conservés.

Mme Barrados : Dans ce même esprit, j'ai demandé à mon personnel de les conserver. Mais l'éventuelle diffusion de ces rapports m'inquiète. Comme vous le savez, dans le cadre d'une vérification, il s'agit normalement de transmettre l'ébauche du rapport aux intéressés en vue de s'assurer que les renseignements soient exacts avant de publier le rapport officiel. Je dépose mes rapports devant le Parlement, et je m'assure de les faire parvenir aux intéressés au préalable, de façon à vérifier l'exactitude des affirmations, de m'assurer que tout le monde comprend nos affirmations, ou du moins nos explications, et que, s'il y a une erreur, nous l'avons corrigée.

Le sénateur Andreychuk : Je suis toujours aussi perplexe face à l'exigence de conserver des documents qui sont préliminaires. Une ébauche représente les différents éléments qui sont à l'origine du rapport. Il peut y avoir plusieurs ébauches, mais le rapport final présente les véritables conclusions. Comment est-il possible que les ébauches ou les documents préliminaires soient inclus? Je ne comprends vraiment pas.

Mme Barrados : C'est la raison pour laquelle nous demandons cette protection, car d'après l'explication de M. Arsenault, la Loi sur l'accès à l'information prévoit que tout devient public. Il y a des dispositions prévoyant de certaines exemptions; il y a aussi des mécanismes auxquels on peut avoir recours pour ne pas être tenu de divulguer l'information en question. Mais après cette période, les ébauches ne sont aucunement protégées, si bien que nous sommes bien obligés de les diffuser.

Le sénateur Andreychuk : J'aurais pensé qu'une ébauche est automatiquement éliminée dès lors qu'on passe à la version suivante, étant donné que ce sont des ébauches qui reflètent une réflexion qui évolue, par opposition à des faits concrets ou des renseignements venant d'autrui. Pour moi, notre analyse des solutions à ce problème doit porter sur des solutions autres qu'un amendement au projet de loi C-2.

Pourriez-vous me dire depuis combien de temps la Commission de la fonction publique a recours à la pratique de nommer des conseillers spéciaux auprès de sous-ministres ou d'administrateurs généraux?

Mme Barrados : Le recours au gouverneur en conseil et à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique pour faire des nominations constitue une tradition de longue date. Quant à cette tentative de régularisation de la situation, c'est moi qui ai soulevé la question au moment de ma nomination, parce que j'avais de la réticence à soustraire les nominations par le gouverneur en conseil à l'application du principe du mérite. Voilà essentiellement ce que je fais. Je pourrais comprendre qu'il en soit ainsi à l'époque de la loi précédente qui prévoyait un processus long et lourd. Mais j'acceptais difficilement que ce soit le cas en vertu de la nouvelle loi.

J'étais donc contente de voir cette proposition. Je suis tout à fait en faveur de l'objectif que l'on vise ici, c'est-à-dire la régularisation du processus actuel. Mais s'agissant du texte proprement dit, on ratisse un peu trop large étant donné que la plupart des personnes qui peuvent être concernées occupent un poste au niveau du sous-ministre, du sous-ministre délégué, ou de l'équivalent. À un moment donné, on a cherché à examiner la situation de tous ceux qui avaient été nommés de cette façon, et à en résumer leurs titres. Ils ont fini par proposer que ces nominations soient incluses mais, en réalité, tous ces postes sont l'équivalent d'un poste de sous-ministre délégué ou d'administrateur général. L'idée, c'est d'établir un mécanisme permettant au gouverneur en conseil de nommer les titulaires de ces postes de niveau supérieur.

Personne ne souhaite que cette procédure s'applique au sein d'un ministère, mais c'est justement cela que prévoit cette disposition. Pour moi, ce changement présente une menace pour l'application du principe du mérite aux termes de la LEFP.

Le sénateur Andreychuk : Quand vous dites que ce processus est en cours depuis longtemps, que voulez-vous dire au juste? Est-ce qu'il est en cours depuis 10 ans, depuis 20 ans, ou depuis 50 ans?

Mme Barrados : Il faudra que je vous fasse parvenir la réponse. Cela fait au moins 10 ans, mais il faudra que je vous confirme la durée exacte.

Le sénateur Zimmer : Je vous remercie de votre présence ce matin. J'ai une question à poser au sujet des mouvements de personnel entre la fonction publique et les cabinets de ministres, dont les employés font partie du personnel exclu.

J'ai eu la chance de travailler avec le ministre de la Défense nationale pendant les années 1970. Après sept ans, on m'a justement offert cette possibilité. Je n'ai pas accepté. Je suis retourné à Winnipeg pour y travailler.

Je ne suis pas sûr que les règles soient les mêmes, évidemment, mais je me souviens de deux ou trois d'entre elles. La première règle voulait que le personnel exclu soit affecté au cabinet du ministre pendant au moins trois ans. La seconde règle voulait que de tels employés aient les qualifications requises pour occuper les postes en question. Ces conditions existent-elles toujours? Pour moi, le point essentiel est la nécessité d'avoir au moins les mêmes qualifications.

Voici mon autre question : si l'on observait cette règle, le titulaire pourrait-il conserver son poste, même si cette possibilité n'existait plus?

Mme Barrados : D'après la façon dont fonctionne ce système, les personnes qui obtiennent ces postes de cette façon doivent avoir les qualités requises, mais ils ont un statut prioritaire. Cela veut donc dire que la candidature d'aucune autre personne n'est examinée. S'il y a une vacance, les personnes dont le nom se trouve sur la liste de priorité sont les premières à pouvoir accéder à ces postes. Elles sont en tête de liste.

Le changement que propose le projet de loi permet au personnel exclu des ministres de participer aux concours internes. Par conséquent, ils ont un avantage en ce sens qu'ils peuvent participer au processus interne plutôt que d'être considérés comme des personnes extérieures à la fonction publique, bien qu'ils ne soient plus en tête de liste. Ils font partie du groupe de personnes qui doivent se concurrencer l'une l'autre.

Le sénateur Zimmer : Par conséquent, il faut bien qu'ils soient sur un pied d'égalité avec les autres au niveau du concours, sinon leur statut prioritaire disparaît, n'est-ce pas?

Mme Barrados : C'est exact.

Le président : Quand je vous ai présentée tout à l'heure, j'ai dit que le Parlement vous a confirmée dans votre poste de présidente de la Commission de la fonction publique du Canada à compter du 21 mai 2004.

Pour la gouverne des membres du comité et pour les fins du compte rendu, je voudrais que vous nous définissiez les attributions de votre poste et les pouvoirs qui vous sont confédérés. Il semble que vous êtes comme un haut fonctionnaire du Parlement : vous avez certaines fonctions de direction, étant donné que vous êtes la responsable de l'organisation chargée de la dotation des postes au sein de la fonction publique, mais en même temps vous avez un rôle de surveillance, comme d'autres hauts fonctionnaires du Parlement. Par conséquent, votre situation est différente de celle de bon nombre d'autres agents ou fonctionnaires qui ont comparu devant le comité.

Donc, pour la gouverne des membres du comité et les fins du compte rendu, veuillez définir vos pouvoirs, l'étendue de votre autorité et votre rôle.

Mme Barrados : Nous sommes une organisation tout à fait unique. Quand je suis entrée en fonction à la Commission de la fonction publique du Canada, nous avons passé un certain temps à essayer de comprendre notre situation, par rapport aux autres.

Comme vous le savez, j'ai travaillé auparavant au Bureau du vérificateur général, et je connais bien ses pouvoirs. C'est une question qu'il est naturel de se poser, c'est-à-dire comment nous nous situons par rapport aux pouvoirs du vérificateur général.

D'une part, nous avons parmi nos responsabilités celle de la surveillance. Nos liens avec le Parlement sont clairs, et ce par l'entremise du processus de nomination du président. S'agissant de ma nomination, elle devait être examinée par les deux Chambres, et faire l'objet d'un vote dans les deux Chambres. Par conséquent, l'amendement que je demande permettrait de faire en sorte que ce poste soit sur un pied d'égalité avec les autres. Il serait bon que mon successeur puisse tenir des consultations avec les leaders à la Chambre. Sinon, c'est un processus qui peut être pénible.

La différence entre nous et les autres — c'est-à-dire le Commissaire à l'information, le Commissaire à la protection de la vie privée et le vérificateur général — c'est que nous détenons des pouvoirs d'exécution.

Le président : Est-ce en raison de vos responsabilités en matière de dotation?

Mme Barrados : Nous détenons le pouvoir de doter les postes. En vertu du projet de loi C-2, ce régime sera différent, par rapport à ce qu'il a été par le passé.

La dernière modification apportée à la LEFP a fait de nous un organisme plus parlementaire mais a également prévu un système de délégation. À présent nous appliquons un modèle de délégation. Par conséquent, nous ne nous acquittons pas d'autant de tâches qu'auparavant — en réalité, très peu — par rapport au passé. Ce changement nous a transformés en une organisation de type davantage parlementaire. Nous détenons toujours les pouvoirs, mais nous appliquons un système de délégation. Aucun autre ministère n'est semblable à nous.

Certains des nouveaux agents qui appuient le Parlement se sont vu conférer le pouvoir de rendre une ordonnance. En conséquence, la distinction est moins claire entre les organismes qui appuient le Parlement sans avoir le pouvoir de rendre une ordonnance, et ceux qui appuient le Parlement mais détiennent effectivement ce pouvoir. Notre ministère est unique en ce sens que c'est nous avons la capacité d'exécution.

Le président : Diriez-vous que la tâche principale de votre ministère est celle de la surveillance?

Mme Barrados : La nouvelle loi et les modifications apportées à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique font que l'accent est davantage mis sur notre rôle de surveillance.

Comme je vous l'ai déjà dit, en raison du processus de nomination et du fait que nous sommes maintenant censés effectuer des vérifications complètes à l'intention du Parlement, cette modification a changé l'équilibre en ce qui concerne notre façon de faire les choses. Dans le contexte de cette transition et des tâches que nous accomplissons, nous continuons à assurer certains services. La grande différence entre ce qui se faisait autrement et ce qui se fait maintenant, c'est que ces services sont entièrement facultatifs. Par le passé, il fallait absolument passer par la Commission de la fonction publique. À présent, personne n'est obligé de le faire. À mon sens, ce changement reflète l'esprit de ce modèle de délégation que nous appliquons maintenant.

La tradition sous-jacente aux pouvoirs de la Commission de la fonction publique est cette inquiétude de longue date concernant la possibilité d'ingérence politique et de favoritisme. Il en est ainsi depuis 100 ans.

Le président : Une autre grande différence entre vous et les autres, c'est que les rapports de la CFP sont déposés devant le Parlement par l'entremise d'un ministre.

Mme Barrados : C'est exact. Cela rejoint l'un des autres amendements que vous proposez. Au moment où on a apporté des modifications à la LEFP, un article a été ajouté pour permettre le dépôt direct de rapports de ce genre. Il y a déjà beaucoup de dispositions relatives au rapport annuel qui porte sur le processus proprement dit et l'avis à donner, mais un article a ensuite été ajouté pour prévoir que la CFP fasse rapport directement au Parlement dans certaines conditions que je jugeais importantes, et surtout face à une situation urgent.

Le président : Vous dites qu'un article a été ajouté à la loi. Par qui, quand et où cet article-là a-t-il été ajouté?

Mme Barrados : Il a été ajouté au moment où l'on a apporté des modifications à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, dans le cadre de l'étude de la Loi sur la modernisation de la fonction publique adoptée en novembre 2003.

Tout le monde supposait que cela voulait dire que la CFP pourrait déposer directement ses rapports devant le Parlement — les députés à qui j'en ai parlé, moi-même, les personnes à qui j'ai expliqué les changements, et même le ministre de Patrimoine canadien avaient cette interprétation. Mais quand j'ai décidé d'exercer le pouvoir que me conférait cet amendement, après l'entrée en vigueur de la loi, j'ai constaté que c'est l'absence même de certains mots qui rendait cela impossible. De fait, la même erreur de rédaction a été commise dans le projet de loi C-2.

Cette erreur a été corrigée à l'étape de l'examen article par article d'une des autres lois; je pense qu'il s'agissait de la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes. À mon avis, c'était une simple erreur de rédaction.

Le président : Ce double rôle avait entraîné une certaine confusion.

Le sénateur Joyal : Madame Barrados, je voudrais essayer de voir ces questions dans un contexte plus général.

Les médias professionnels spécialisés sont obsédés par la capacité de la Commission de la fonction publique de recruter des jeunes. Il semble y avoir certaines inquiétudes concernant le remplacement du grand nombre de baby-boomers qui prendront leur retraite au terme de leur carrière dans la fonction publique.

Quelles initiatives envisagez-vous de prendre en vue de contrer cette difficulté, dans un contexte où vous êtes susceptibles de subir les conséquences indirectes ou involontaires des objectifs positifs de ce projet de loi pour vos activités en général?

Mme Barrados : De nombreux éléments du projet de loi cadrent parfaitement avec les modifications apportées à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. À mon sens, l'approche consistant à appliquer un modèle de délégation, à établir un régime de responsabilisation, et à prévoir un système robuste de rapports au Parlement cadre tout à fait avec l'esprit du projet de loi C-2. Les amendements que je propose visent à faciliter le travail de la Commission, tout en respectant l'esprit de la loi.

En réponse à votre question sur les difficultés que présente le recrutement des jeunes, je vais publier mon rapport annuel le 3 octobre, et ce rapport présentera des statistiques sur l'intérêt que portent les Canadiens à la fonction publique. Ce que je constate, c'est que les jeunes continuent à s'intéresser vivement à la fonction publique et briguent toujours des postes de fonctionnaires. Nous recevons un très grand nombre de demandes. Ce n'est pas le manque de demandes qui pose problème; c'est plutôt le grand nombre de demandes que je reçois et la nécessité d'être équitable envers tout le monde.

Le défi que nous avons à relever dans la fonction publique est celui de savoir que faire des jeunes une fois que nous les avons recrutés; comment leur permettre de se perfectionner et de s'épanouir? Nous avons un certain nombre de difficultés au haut de la pyramide bureaucratique, où les titulaires ont tous à peu près le même âge et approchent de l'âge de la retraite. Par conséquent, je dirais que la nature du problème est légèrement différente.

Le sénateur Joyal : Qu'allez-vous donc faire à l'égard de la pointe de la pyramide — c'est-à-dire les postes de responsabilité qui sont normalement dotés par des fonctionnaires expérimentés ayant de longs états de service dans la fonction publique?

Mme Barrados : C'est là que les modifications apportées à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ont changé les responsabilités. C'est à l'employeur, c'est-à-dire le gouvernement, de faire sa planification et de bien définir ses besoins. En ce qui me concerne, ce n'est pas mon rôle. L'un des services qui est encore disponible chez nous consiste à aider le gouvernement à trouver des candidats, une fois que les besoins sont bien définis.

À l'heure actuelle, nous faisons des recherches sur la façon de moderniser nos procédures et de mieux rejoindre cette population. Nous serons toujours à la disposition du gouvernement pour fournir des outils, mais il ne nous appartient pas de définir les besoins ou d'élaborer des cours de perfectionnement. Ma responsabilité consiste plutôt à faciliter l'atteinte de ces objectifs-là, tout en respectant l'esprit de la LEFP, et de vous faire rapport ensuite sur le degré de succès de vos initiatives.

Le sénateur Joyal : Mais vous n'êtes pas en mesure de nous expliquer en détail quelle sera votre démarche vis-à-vis du secteur privé dans ce contexte. Si je vous ai bien compris, vous aurez des besoins importants à ce niveau, et vous ne pouvez pas nommer à ces postes des personnes qui n'ont pas les capacités requises, même si vous êtes en mesure de définir et d'évaluer ces capacités. Vous serez bien obligé de vous adresser au secteur privé, et là vous risquez de vous heurter à la perception selon laquelle le contexte dans lequel ces personnes devraient s'acquitter de leurs responsabilités au sein de la fonction publique est différent, si bien que votre capacité de les attirer est également changée.

Qu'allez-vous donc faire pour régler ce problème-là?

Mme Barrados : Il ne fait aucun doute que la fonction publique est différente par rapport au genre de travail qui se fait dans le secteur privé. Mon expérience au Bureau du vérificateur général et mon travail à la Commission de la fonction publique du Canada m'ont clairement fait comprendre cette réalité-là. Pour ceux qui travaillent dans la fonction publique, les responsabilités et obligations sont beaucoup plus nombreuses que dans le secteur privé.

Nous avons eu plusieurs discussions avec certains collègues concernant les moyens à prendre pour faciliter ce mouvement vers le secteur public. Cela n'a pas toujours été facile étant donné que les contextes sont très différents. Pour la fonction publique, le problème actuel est celui que vous décrivez, à savoir que nous avons toujours préparé les gens de l'intérieur de la fonction publique; nous les prenons en charge dès leur entrée en fonction et nous les formons progressivement. Mais nous arrivons à un point où ce ne sera plus possible. Le greffier du Conseil privé est tout à fait préoccupé par la situation. Il s'agit d'une de ses grandes priorités.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous dire de quel volume il s'agira approximativement — c'est-à-dire le nombre de départs par rapport au nombre de postes que vous aurez à doter?

Mme Barrados : Je peux vous donner un exemple. Nous exécutons un programme de recrutement postsecondaire. L'an dernier, nous avons reçu 35 000 demandes de la part de 17 000 personnes — certaines d'entre elles étaient intéressées par plusieurs filières — et nous en avons engagé 550. Voilà le genre de volumes dont il s'agit.

Quant aux postes spécialisés, la situation est différente. Là on n'a pas un volume aussi élevé.

Le sénateur Joyal : C'est ça que je voulais. Certains ont l'impression qu'il faut beaucoup de vérificateurs, étant donné tous les nouveaux postes qui ont été créés dans l'ensemble des ministères. Pourriez-vous m'expliquer l'impact de ce besoin ou du moins me décrire ce besoin au sein du système?

Mme Barrados : Il ne fait aucun doute que nous avons du mal à renforcer notre capacité de vérification. Moi-même je me suis heurtée à ces difficultés. C'est une compétence spécialisée. Quand on reçoit un rapport de vérification, on veut avoir la garantir qu'il respecte les normes et qu'il est exact.

D'après ce que j'ai pu constater, les niveaux d'entrée ne posent pas de problème. La difficulté se situe davantage aux niveaux plus élevés, car là je suis en concurrence avec le Bureau du vérificateur général et les vérificateurs internes. J'ai donc conclu que nous devons nous-mêmes dispenser plus de cours de formation.

Le sénateur Joyal : Ai-je raison de penser que l'atteinte des objectifs de cette réforme pourrait être retardée en raison de la nécessité d'assurer la bonne dotation des postes à ce niveau?

Mme Barrados : Si je me fonde sur ma propre expérience, je peux vous dire que je ne suis pas en mesure de faire effectuer le nombre de vérifications que je voudrais pouvoir présenter au Parlement, à la vitesse qui me convient, car je n'ai tout simplement pas la capacité requise au sein du groupe de la vérification. Il faut que je développe ou que je crée cette capacité, parce que je ne veux pas présenter des rapports incomplets et inexacts.

Le sénateur Joyal : Là vous parlez de votre propre service.

Mme Barrados : Je parle de la Commission de la fonction publique du Canada et notamment de notre responsabilité de surveillance et de contrôle en matière de gestion des ressources humaines, de dotation des postes et de recrutement; c'est cette partie de la vérification qui pose problème pour le moment. Je pense que d'autres connaissent des difficultés semblables, car nous avons tendance à prendre des gens les uns des autres, ce qui n'aide certainement pas.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous au courant de besoins semblables à d'autres niveaux ou dans d'autres secteurs de la fonction publique du Canada?

Mme Barrados : Eh bien, les besoins sont les mêmes, si vous parlez toujours de la fonction de vérification.

Le sénateur Joyal : J'avais compris que la vérification était l'une des fonctions clés.

Mme Barrados : Il y a aussi des problèmes au niveau du recrutement des vérificateurs internes, car certaines dispositions du projet de loi C-2 prévoient des exigences plus rigoureuses en ce qui concerne les vérifications internes. Il y a aussi un certain nombre de dispositions qui imposent aux sous-ministres d'assumer la responsabilité directe de certaines activités. Pour que ce soit possible, il faut avoir la certitude que ces systèmes de gestion fonctionnent bien, et par conséquent, il y a des pressions accrues du côté de la vérification interne.

La vérificatrice générale doit aussi s'assurer d'avoir un personnel suffisant même si les postes au Bureau du vérificateur général sont très prisés. Pour ma part, je constate que je n'arrive pas à recruter des gens aussi rapidement que je le voudrais. J'organise beaucoup de concours et je reçois beaucoup de demandes, mais il devient difficile de trouver des candidats qui possèdent toutes les qualités que je recherche.

Le sénateur Joyal : Existe-t-il un rapport ou une évaluation actualisée des besoins actuels au sein de toute l'administration fédérale? Si on veut que les objectifs de ce projet de loi soient atteints rapidement et efficacement, comme le prévoit tout le monde, dès la promulgation de cette loi, vous devrez répondre des résultats que vous obtiendrez. S'il faut des ressources humaines additionnelles, nous devrions le savoir dès maintenant pour éviter de créer des attentes liées aux objectifs du projet de loi qu'il ne sera tout simplement pas possible de remplir dans les mois ou les années qui viennent.

Mme Barrados : C'est une bonne question et je m'attends à ce que l'employeur assume cette responsabilité, pour ce qui est d'évaluer les ressources et les capacités qui seront requises et de définir un plan d'action en conséquence. La Commission de la fonction publique du Canada constitue l'instrument qui facilitera ce travail, mais il appartient d'abord et avant tout à l'employeur de définir les besoins.

Le sénateur Joyal : Avez-vous reçu des demandes précises du point de vue du nombre de postes et des niveaux d'expérience qui seront nécessaires?

Mme Barrados : Dans le contexte de ce projet de loi, non.

Le sénateur Joyal : Vous avez sûrement fait votre propre évaluation interne, pour être sûre d'être en mesure de vous y conformer, mais avez-vous des renseignements sur les besoins qui pourraient être créés dans l'ensemble de la fonction publique par suite de l'adoption de ce projet de loi?

Mme Barrados : Non. J'ai eu certaines discussions avec le contrôleur général, qui cherche des vérificateurs, et nous avons également déployé certains efforts du côté des agents financiers, afin d'être en mesure de soutenir les différentes activités de recrutement, mais je n'ai encore rien vu concernant les incidences du projet de loi sur les ressources humaines.

Le sénateur Joyal : Qui posséderait ce genre de formation? Serait-ce le Conseil du Trésor?

Mme Barrados : Je crois que ce serait le ministre, ou encore l'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada, qui relève de sa responsabilité.

Le sénateur Joyal : Dans ce cas, nous allons peut-être en parler avec les responsables du Conseil du Trésor.

Le président : Ils vont justement comparaître de nouveau devant le comité.

Le sénateur Joyal : Il serait peut-être bon de leur faire part que nous aimerions examiner cette question avec eux.

Le président : Je crois savoir qu'ils sont au courant de nos délibérations et qu'ils pourront ainsi prendre connaissance de votre question et de la réponse donnée par Mme Barrados.

Le sénateur Day : Nous parlons beaucoup de vérifications et de vérifications internes. Une vérification interne est une vérification de type financier, n'est-ce pas?

Mme Barrados : Non, pas nécessairement.

Le sénateur Day : Et le contrôleur général?

Mme Barrados : Le contrôleur général a la responsabilité des questions financières, mais aussi du cadre de contrôle de la gestion, et cela comprend tout ce qui rentre dans la catégorie des contrôles de gestion ou financiers. C'est-à-dire que l'évaluation ne porterait pas uniquement sur des éléments financiers et pourrait donc tenir compte de l'efficacité des procédures, par exemple. Il pourrait s'agir d'évaluer l'efficacité de l'exécution et les ressources humaines également. Il s'agit d'un cadre de contrôle de la gestion qui forme un tout.

Le sénateur Day : S'agissant des vérifications internes dont vous avez parlé, vous avez des spécialistes à l'interne qui examinent vos activités.

Mme Barrados : C'est exact.

Le sénateur Day : Vous parlez aussi de vérifications du point de vue de votre rôle de surveillance et de contrôle. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent ces vérifications et les raisons pour lesquelles vous estimez que les enquêteurs et vérificateurs devraient être protégés?

Mme Barrados : J'ai un groupe de vérification interne qui examine mes propres contrôles financiers et de gestion. Ce groupe est chargé de déterminer dans quelle mesure je gère bien la Commission.

Le sénateur Day : Parlez-vous d'eux?

Mme Barrados : Non, je ne parle pas d'eux parce qu'ils sont déjà protégés. Leurs documents de travail bénéficient déjà de certaines protections. Je parle plutôt de mon groupe de vérificateurs, c'est-à-dire ceux qui effectuent les vérifications de la conformité à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et qui sont donc chargés de faire rapport au Parlement sur l'application de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et les mesures que nous prenons pour corriger d'éventuels problèmes. Par exemple, nous avons mené des vérifications dans certains petits organismes, comme la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, la Commission des plaintes du public contre la GRC, et le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Nous avons effectué des vérifications, procédé à la délégation des pouvoirs et même modifié ces pouvoirs afin qu'ils puissent bien s'acquitter de leurs responsabilités en matière de gestion. Nous avons établi des rapports, rapports que nous avons déposés devant le Parlement. Ce sont les vérifications parlementaires. Ce sont les vérifications externes que je dois effectuer. Il s'agit de vérifications du système en dehors de la Commission de la fonction publique du Canada.

Le sénateur Day : Merci. C'est bien utile. Ce terme « vérification » est utilisé dans tellement de contextes différents qu'il devient presque impossible de savoir de quoi on parle sans demander une définition à chaque fois. C'est une bonne illustration des raisons pour lesquelles il y a eu un tel élargissement du rôle du vérificateur général au fil des ans.

S'agissant de vos préoccupations relatives aux rapports que vous devez déposer devant le Parlement en raison de votre rôle de surveillance indépendante, je croyais que la Loi sur la modernisation de la fonction publique vous avait conféré ce pouvoir. D'ailleurs, j'ai sans doute déjà déclaré en public que, selon mon interprétation, l'article en question vous confère justement ce pouvoir — autrement dit, que vous n'êtes pas obligée de passer par un ministre, soit le ministre du Patrimoine canadien, ce qui pose également problème. Je me disais que s'il se produisait quelque chose de sérieux qui, d'après vous, mériterait que vous prépariez un rapport dans le courant de l'année, vous pourriez à ce moment-là faire rapport directement au Parlement.

Mme Barrados : C'est ce que pensait tout le monde, et c'est aussi l'impression que j'avais pendant les discussions qui se sont déroulées précédant la confirmation de ma nomination.

Le sénateur Day : Mais vous nous dites qu'à votre avis, c'était une erreur de rédaction.

Mme Barrados : Oui.

Le sénateur Day : Avez-vous demandé conseil au ministère de la Justice à ce sujet? Pourquoi avez-vous tiré cette conclusion-là?

Mme Barrados : Je me suis adressée au greffier de la Chambre en lui disant que je voudrais déposer mon rapport. Elle a appelé l'avocat à la Chambre des communes et il y a eu ensuite de nombreuses discussions entre mes avocats et leurs avocats. Ces derniers ont conclu qu'en l'absence d'un libellé précis m'autorisant à le faire, j'avais deux choix : je pourrais parler au ministère du Patrimoine et lui dire que je voulais que le rapport soit déposé immédiatement, ou encore, je pouvais demander aux leaders à la Chambre de se concerter et de s'entendre pour prendre les dispositions nécessaires.

Nous avions effectué une vérification au sujet de l'Agence spatiale canadienne, et j'étais d'avis que ce rapport devrait être déposé rapidement, étant donné qu'il faisait état de toutes sortes de difficultés et qu'un processus est actuellement en cours en vue de nommer un nouveau directeur. Il n'y a pas eu beaucoup de progrès sur ce plan-là, et j'estimais qu'il serait important que cette information soit diffusée pendant que ce processus était en cours. Le ministre du Patrimoine l'a donc déposé immédiatement. Étant donné tout ce qui se passait à la Chambre, je me disais qu'organiser une discussion sur la question avec les leaders à la Chambre ne correspondrait pas à une bonne utilisation de mon temps ni de celui des leaders, à moins que je ne sois vraiment face à un problème.

Le sénateur Day : Vous voulez dire si vous deviez vous battre pour que cela se fasse?

Mme Barrados : C'est exact. J'ai préféré passer par la filière-là.

Le sénateur Day : Nous vous remercions d'avoir attiré notre attention là-dessus. Cette fois-là, avez-vous cherché à déposer votre rapport en passant par le Président du Sénat?

Mme Barrados : Non. Aurais-je dû le faire?

Le sénateur Day : Je me pose la question. Vous auriez deux options. Vous vous êtes adressée à la Chambre des communes et leurs avocats vous ont dit que ce n'était pas possible. Mais il y a l'autre endroit.

Mme Barrados : C'est un bon conseil que vous me donnez, sénateur. J'aurais dû vous en parler.

Le sénateur Day : Nous avons un avocat différent et les avocats sont souvent en désaccord.

Pourrions-nous aborder brièvement la question du personnel exclu des cabinets de ministres? Je vous renvoie à la page 92 et j'ai à l'esprit vos commentaires sur l'élargissement du champ d'application de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et sur l'amendement proposé au paragraphe 127.1(1) de cette loi qui prévoit que « Le gouverneur en conseil peut nommer les titulaires des postes ci-après et fixer leur traitement [...] » L'alinéa 127.1(1)c) précise que ces postes peuvent comprendre ceux « [...] d'un sous-ministre ou d'un administrateur général ».

De telles personnes, à qui l'on n'a pas appliqué le principe du mérite et toutes les autres règles que vous avez établies pour le recrutement des fonctionnaires, pourrait-on les décrire de la même façon — c'est-à-dire, s'agirait-il de personnel exclu?

Mme Barrados : Non. Le personnel exclu désigne le personnel des cabinets de ministres. Ces employés sont soustraits à l'application de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Ils n'ont aucunement le statut de fonctionnaire et des règles distinctes visent les employés politiques.

Les sous-ministres ne font pas partie du personnel exclu, puisqu'ils sont nommés par le gouverneur en conseil. Ils ont certaines obligations, notamment en ce qui concerne leur participation à des activités politiques, en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, mais leur nomination ne relève aucunement de la Commission de la fonction publique du Canada. Il s'agit d'une prérogative du premier ministre, de concert avec le greffier.

Le sénateur Day : Donc nous parlons de personnes agissant à titre de conseiller spécial auprès d'un sous-ministre; ce projet de loi propose de les inclure. Est-ce que cela s'est déjà fait par le passé?

Mme Barrados : En réalité, cette proposition vise à régulariser une situation qui me mettait mal à l'aise.

La dernière partie de l'alinéa c) me met mal à l'aise. S'il manque quelque chose dans une loi à l'égard de postes de sous-ministres délégués ou de sous-ministres à doter, comme cela s'est produit lors de la réorganisation de DRHC, et de tous ces autres organismes, eh bien, aucune loi ne permet de procéder à ces nominations. Mais il y a bien une loi qui s'applique dans ce contexte, et c'est la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Et pour ce que cela puisse se faire, la Commission de la fonction publique du Canada doit accepter de soustraire ces personnes à l'application de la loi en question, sauf en ce qui concerne la participation aux activités politiques.

Cette situation me mettait mal à l'aise, car je tenais pour acquis que ces nominations étaient fondées sur le principe du mérite et si j'accepte de faire des exceptions, les gens sur la Colline pourraient très bien me dire : Vous avez fait une exception pour ces personnes; à votre avis, leurs nominations étaient-elles fondées sur le principe du mérite?

Je ne voulais pas être obligée de participer à ce genre de discussion. Je trouve que cette solution-là est préférable. Cette proposition régularise la situation par rapport à l'accommodement que nous avions trouvé pour permettre que ces nominations puissent se faire. Je n'ai donc aucune objection à ce qui est proposé.

Par contre, je ne souhaite pas que son application soit trop large, car à ce moment-là, la prérogative du premier ministre et du greffier pourrait potentiellement s'appliquer à un poste au sein de la fonction publique. Voilà qui serait contraire à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et à l'objet même de cette dernière.

Le sénateur Cowan : Donc, si j'ai bien compris les alinéas 127.1(1)a) et 127.1(1)b) ne font que clarifier la situation actuelle?

Mme Barrados : C'est exact.

Le sénateur Cowan : Donc, même si cela vous met mal à l'aise, il ne s'agit pas d'un changement; c'est bien ça?

Mme Barrados : Je suis prête à l'accepter parce qu'on ne me demande plus de soustraire certaines personnes à l'application de la loi. C'est donc acceptable en ce qui me concerne.

Le sénateur Cowan : Avant cela, vous étiez obligée de les soustraire à l'application de la loi?

Mme Barrados : Oui, et cela me met mal à l'aise.

Le sénateur Cowan : Par contre, vous estimez que l'alinéa 127.1(1)c) va un peu trop loin?

Mme Barrados : C'est exact.

Le sénateur Zimmer : Madame Barrados, vous dites que ces nominations peuvent ne pas être fondées sur le principe du mérite, mais si j'ai bien compris, si on a décidé d'exclure ces employés et de leur permettre ensuite de passer dans la fonction publique, c'est parce que quand on travaille au cabinet d'un ministre, il y a toujours la possibilité que le ministre ne soit pas réélu. Afin de compenser ces difficultés, ils ont permis à ces employés d'être exclus. Mais pour en revenir à l'autre question, vous avez dit que les nominations de sous-ministres peuvent ne pas être fondées sur le principe du mérite, mais n'est-il pas vrai que les titulaires doivent tout de même posséder toutes les qualités requises avant qu'on accepte de les nommer?

Mme Barrados : Oui, mais il s'agit de savoir qui prend la décision sur ce qui est approprié ou non. Pour les sous-ministres, cette décision appartient au premier ministre et au greffier. En l'absence de cette disposition, c'était à moi de les exempter, alors que je préfère que la responsabilité continue à relever directement d'eux.

L'autre chose qui m'inquiète en ce qui concerne le personnel exclu, c'est que nous avons resserré les règles visant cette catégorie de personnel en ce qui concerne la possibilité de réintégrer la fonction publique. Nous avons encore certains avantages. Nous avons prévu toutes sortes de restrictions qui prévoient ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas faire dans le domaine du lobbying. Il n'était pas toujours facile de trouver des gens qui acceptent ces postes. Je trouve inquiétant que de plus en plus de fonctionnaires pratiquent de telles activités, alors qu'elles ne sont pas du tout contrôlées. Pour moi, cela représente un risque important. Je propose qu'on apporte un amendement au projet de loi pour régler ce problème, car les règles actuelles se trouvent toutes d'un côté, mais pas de l'autre.

Le sénateur Zimmer : L'amendement que vous proposez ferait ajouter un paragraphe 35.4(2) à l'article 101 se trouvant à la page 91 du projet de loi C-2 et il dit ceci :

[...] la capacité du fonctionnaire d'exercer ses fonctions de façon politiquement impartiale ne sera pas atteinte ou ne semblera pas être atteinte à son retour à la fonction publique.

C'est une évaluation qui est difficile à faire pour des employés qui réintègrent la fonction publique parce qu'il faudra fonder l'évaluation sur leurs activités à ce moment-là. C'est un peu risqué, mais vous devez évaluer la situation au mieux de vos compétences. À mon avis, vous ne pouvez pas faire autrement.

Ma vraie question est celle-ci : si un employé du cabinet d'un ministre a participé à des activités fort politisées et veut réintégrer la fonction publique, que ferez-vous si l'employé en question ne respecte pas les règles à cet égard?

Mme Barrados : La Loi sur l'emploi dans la fonction publique prévoit les mêmes dispositions en ce qui concerne le droit des gens de se présenter aux élections. C'est forcément une activité hautement politique. Selon les règles actuelles, les fonctionnaires doivent obtenir la permission de la Commission de la fonction publique du Canada avant de se présenter aux élections. Cette permission est accordée dans la plupart des cas. Dans certains cas, cette permission n'est pas accordée, et cela a surtout à voir avec le poste que quitte l'employé et le poste qu'il réintègre.

Voilà sur quoi porte la décision. Dans des situations où nous n'avons pas accordé cette permission, c'est parce que l'intéressé s'est arrangé avec le ministère pour faire un autre type de travail au sein de l'organisation, il n'a pas de profil public, il n'assure aucune présence publique, et il peut tout de même répondre aux exigences du ministère. Dans ces cas-là, nous pouvons accepter.

Le sénateur Zimmer : Qu'arrive-t-il si une personne travaille au cabinet d'un ministre comme adjoint seulement, ne se présente pas à des élections, n'a jamais participé à des activités politiques et essaie par la suite de réintégrer la fonction publique?

Mme Barrados : Pour moi, c'est exactement la même chose. Le jugement de la Cour suprême à ce sujet déclarait que les fonctionnaires ont le droit de participer à des activités politiques. Mais ce n'est pas un droit absolu; la décision doit se prendre au cas par cas.

Le sénateur Day : Je voudrais poser une question complémentaire à celle du sénateur Zimmer, et ensuite je reprendrai ma propre liste de questions.

Votre observation me paraît juste en ce sens que si jamais il y a moins de postes de ministres, il est normal qu'un ministre cherche éventuellement un poste dans la fonction publique. Selon la proposition que vous avez faite, la Commission de la fonction publique du Canada serait-elle appelée à appliquer ce critère?

Mme Barrados : Oui.

Le sénateur Day : Et comment peut-on protéger le fonctionnaire contre cet exercice des pouvoirs de la CFP? Y a-t-il déjà un mécanisme? Si vous dites à l'employé : Non, vous ne pouvez pas le faire parce que ce sera mal vu ou parce que ce que le ministre vous demande de faire est trop politique et risque de compromettre l'indépendance de la fonction publique, quel recours existe-t-il pour cet employé qui essuie un refus?

Mme Barrados : Il peut demander une révision judiciaire. Une personne m'a déjà traînée devant les tribunaux.

Le sénateur Day : Est-ce que vous appliquez déjà ce critère?

Mme Barrados : Oui, mais cela concerne la possibilité d'être candidat. Cela n'a rien à voir avec le mouvement entre la fonction publique et les cabinets de ministres. Cela n'est pas de mon ressort. Une centaine de personnes ont fait cela au cours des onze dernières années, et ce n'est donc pas une notion purement théorique. Et c'était avant qu'on établisse toutes ces restrictions. Le même régime s'applique et il est semblable au processus décisionnel concernant la possibilité d'être candidats, en ce sens que ces décisions peuvent faire l'objet d'une révision judiciaire. Cette décision relève de notre responsabilité et il y en a une qui a déjà fait l'objet d'une révision judiciaire.

Le sénateur Day : Il y a au moins un recours, soit la révision judiciaire. Le Secrétariat du Conseil du Trésor a-t-il établi des règles qui sont à la base de l'amendement que vous proposez ici?

Mme Barrados : Lors des discussions préliminaires, on m'a demandé si nous pourrions atteindre notre objectif en établissant une politique en bonne et du forme, et j'ai indiqué que même si je préférerais que cela se fasse par voie législative, une politique permettrait effectivement d'atteindre le même objectif. Je pensais que nous nous étions mis d'accord sur l'idée d'élaborer une politique, mais le Secrétariat du Conseil du Trésor vient de m'informer qu'il ne souhaite pas cela pour le moment et qu'il examinera cette possibilité dans le cadre de son examen permanent des politiques. Voilà pourquoi je m'adresse à vous en proposant une modification législative. Je considère que c'est une lacune et qu'il faut absolument la combler.

Le sénateur Day : Pour le moment, il n'y a rien?

Mme Barrados : C'est exact.

Le sénateur Day : Et comme le Conseil du Trésor vous a fait savoir qu'il ne désire pas prendre des mesures maintenant, vous proposez cet amendement?

Mme Barrados : Oui.

Le sénateur Day : Voici ma dernière question : vous demandez que la Commission soit ajoutée à la liste des organismes énumérés au paragraphe 16.1(1) du projet de loi C-2, à la page 118. La semaine dernière, nous avons longuement discuté de la question de l'accès à l'information. J'ai entendu votre échange avec le sénateur Andreychuk au sujet de cet article, et j'aimerais qu'elle soit présente pour notre discussion, mais de toute façon, le tout sera consigné au compte rendu de la réunion. Les représentants des médias qui ont comparu devant le comité nous ont dit qu'il leur faut absolument pouvoir accéder aux ébauches de différents documents, par opposition au document final seulement, document qui a souvent été épuré en prévision de sa diffusion au public. Pour eux, les ébauches revêtent une importance critique. D'ailleurs, on nous a fait savoir à plus d'une reprise à quel point ces documents sont importants.

Vous souhaitez qu'on ajoute le nom de la Commission à la liste énumérée au paragraphe 16.1(1). Vous aurez remarqué qu'à la deuxième ligne du paragraphe (1), on dit « sont tenus de refuser »; c'est une formulation assez énergique. Certains auraient préféré qu'on dise « peuvent refuser » pour éviter que ce soit automatiquement une obligation.

Vous souhaitez donc qu'on ajoute le nom de la Commission en créant un nouvel alinéa e) après le vérificateur général, de façon à pouvoir refuser de communiquer certains documents. Il y a aussi la nécessité de protéger l'identité des personnes concernées, bien entendu, mais nous n'allons pas aborder ce point.

Le projet de paragraphe 16.1(2) apporte une petite nuance, mais seulement par rapport au commissaire à l'information et au Commissaire à la protection de la vie privée. Une fois que l'enquête, la vérification et toutes les activités y afférentes sont terminés, les documents peuvent être diffusés au public. Souhaitez-vous qu'on ajoute le nom de la Commission au paragraphe 16.1(2) également?

Mme Barrados : L'aspect technique de la rédaction législative est un peu difficile en ce qui me concerne, parce que ce sont des éléments qu'on a ajoutés à la dernière minute. M. Arsenault pourrait peut-être vous parler de l'aspect technique. En ce qui me concerne, il est très important, si je veux bien m'acquitter de mes responsabilités, que les documents que je recueille et que ces ébauches ou versions préliminaires soient protégés.

C'est présenté comme étant quelque chose d'absolu, mais à l'heure actuelle, je n'ai absolument aucun pouvoir discrétionnaire. Je suis obligée de tout communiquer parce que nos activités sont de nature différente et ne corresponde ni à la vérification interne ni à ce qui est décrit ici.

Le sénateur Day : Donc, vous voulez qu'on ajoute le nom de la Commission au paragraphe 16.1(1). Vous avez tout à fait raison de parler de la différence entre « sont tenus de » et « peuvent », mais que pensez-vous de la possibilité d'inclure la Commission parmi les exceptions énumérées au paragraphe 16.1(2)?

Mme Barrados : Je vais demander à M. Arsenault de vous répondre.

M. Arseneault : Le projet de paragraphe 16.1(1) prévoit essentiellement que de tels documents ne doivent pas être communiqués. Le paragraphe 16.1(2) fait une exception pour le Commissaire à l'information et le Commissaire à la protection de la vie privée, puisqu'au terme de la vérification, ils seront tenus de communiquer les documents pertinents.

Le sénateur Day : On peut supposer que cela comprend toutes les ébauches et tous les documents connexes.

M. Arseneault : Je crois savoir que la Commission voudrait que son nom apparaisse à l'article 16.1 mais non au paragraphe 16.1(2).

Le sénateur Day : Même si les médias nous ont dit qu'ils voudraient pouvoir examiner l'ensemble des ébauches et documents de travail, vous préféreriez que de tels documents ne soient pas communiqués au public?

Mme Barrados : C'est exact. En tant que haut fonctionnaire qui doit faire rapport au Parlement, je suis à votre disposition pour répondre aux questions que vous pourriez avoir. Si le Parlement estime que certains documents doivent lui être communiqués pour lui permettre de mieux comprendre une situation particulière, il suffit qu'il nous en fasse la demande.

Le sénateur Day : Oui.

Mme Barrados : La décision de m'engager et de me congédier est du ressort du Parlement. Je suis donc tout à fait comptable envers les parlementaires. Dans des cas extrêmes, qui peuvent se produire dans mon cas mais peut-être moins dans d'autres, on peut renvoyer la question devant un tribunal. Le tribunal peut toujours ordonner le dépôt des documents en question.

Le sénateur Day : Puisque vous parlez du fait qu'il appartient au Parlement de vous engager et de vous congédier, la nomination du président devrait peut-être être faite et officialisée par la Commission à l'aide du grand sceau, après adoption d'une résolution au Sénat et à la Chambre des communes. Ainsi vous auriez une certaine protection.

Dans votre exposé liminaire, vous disiez que vous aviez demandé à consulter tous les partis politiques. Si une résolution devait être adoptée par chaque Chambre du Parlement, cela permettrait dans une très large mesure d'atteindre votre objectif, n'est-ce pas?

Mme Barrados : En ce qui me concerne, cela ne pose pas problème. Je suis passée par le processus parlementaire. Mais je me mets à la place d'un autre qui serait nommé à ce poste. J'ai travaillé pour le vérificateur général pendant 18 ans et j'ai donc passé beaucoup de temps sur la Colline parlementaire. C'est donc un processus que je comprends assez bien. Mais ma suggestion concerne surtout les nominations futures. On a essayé, dans le projet de loi C-2, de proposer quelque chose qui permettrait de régulariser la situation et d'en faire quelque chose de courant. Ce qui est prévu pour les autres, mais pas pour moi, c'est cette consultation obligatoire des leaders à la Chambre. Pour moi, c'est une bonne pratique. Comme c'est prévu pour les autres, cela devrait également être prévu pour le président de la Commission de la fonction publique, car c'est ainsi qu'on réussira à faciliter le processus de nomination.

Le sénateur Milne : Madame Barrados, vous dites que vos vérificateurs ne sont pas protégés lorsqu'ils effectuent des vérifications externes. Sont-ils protégés lorsqu'ils effectuent des vérifications internes?

Mme Barrados : Oui, ils sont protégés contre la possibilité d'avoir à communiquer leurs documents. Mon problème en ce qui concerne les vérificateurs est d'une autre nature.

Le sénateur Milne : Oui. L'article 224 du projet de loi prévoit ceci :

Le Commissaire à l'intégrité du secteur public est tenu de refuser la communication des renseignements personnels demandés au titre du paragraphe 12(1) qui ont été créés ou obtenus par lui ou pour son compte dans le cadre de toute enquête menée sur une divulgation faite au titre de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles ou de toute enquête commencée au titre de l'article 33 de cette loi.

Il me semble que cet article modifie la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette dernière prévoit ceci à l'heure actuelle : sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent ont le droit de se faire communiquer sur demande les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels, et les autres renseignements personnels le concernant et relevant d'une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l'institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

Or le projet de loi C-2 prévoit que le Commissaire à l'intégrité du secteur public sera tenu — c'est donc une obligation — de refuser la communication des renseignements personnels demandés au titre du paragraphe 12(1).

Si j'ai bien compris ce que nous a dit le dernier témoin, cette disposition ne vise que les renseignements personnels concernant le dénonciateur, par exemple, qui voudrait accéder à l'information en vue de corriger un problème, éventuellement. Il me semble, toutefois, que le libellé de cet article est beaucoup plus général et ne s'applique donc pas uniquement aux dénonciateurs. Cela s'appliquera à tout le monde, y compris à vous.

Mme Barrados : M. Arsenault comprend beaucoup mieux les aspects techniques du texte législatif, mais je crois savoir que cela ne concerne que le Commissaire à l'intégrité du secteur public. Certaines difficultés se posent effectivement en ce qui concerne la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais je me disais que dans l'esprit du projet de loi C-2, même si tous n'étaient pas nécessairement convaincus que le projet de loi s'applique à moi, selon moi, je me suis toujours conformée à ses principes, et je demande donc la même protection que celle dont bénéficient les vérificateurs. Je sais que l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels pose problème à certains égards, de l'avis du commissaire à la protection de la vie privée, et je voudrais que la situation soit examinée avant de soulever ces autres questions. Je ne demande donc pas le genre de protection que prévoient les mesures liées à la dénonciation et aux représailles.

Le sénateur Stratton : Merci infiniment de votre présence ce matin. Votre exposé liminaire était excellent.

À votre avis, le projet de loi C-2 devrait-il être adopté?

Mme Barrados : Je me sens un peut tiraillée, face à cette question, parce que je suis à la fois simple citoyenne et présidente de la Commission de la fonction publique du Canada. Il y a certains éléments du projet de loi qui vont m'être utiles, et nous en avons discuté — par exemple, la régularisation du processus visant l'élimination faite par le gouverneur en conseil — et par conséquent, je voudrais que ces dispositions soient adoptées. De même, d'autres éléments y ont été incorporés à la suite du débat à la Chambre qui devraient également être adoptés, à mon avis.

Par contre, si l'on jugeait bon de retenir les amendements que j'ai proposés, cela me faciliterait grandement la tâche.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question, mais je me dois de vous répondre en tant que présidente de la Commission de la fonction publique du Canada.

Le sénateur Stratton : Ce matin, M. Keyserlingk nous a dit que malgré ses défauts, le projet de loi devrait être adopté et qu'il y aurait de toute façon une certaine surveillance, puisque le projet de loi sera réexaminé dans cinq ans. Selon lui, il conviendrait de surveiller l'application de la loi au cours de cette période, comme le fera certainement ce comité. Telle était sa position. Mais je ne cherche pas à faire dire quoi que ce soit à quiconque et je ne vous demande pas une réponse. Il y a une nuance.

Mme Barrados : S'agissant du réexamen dans cinq ans, je crois savoir que cela concerne cet article de la loi en particulier. Je ne sais pas si toute la loi sera réexaminée. Par contre, j'ai suivi de près l'évolution de la situation en ce qui concerne la Commission des nominations publiques, qui touche mes responsabilités. Il est clair que ce domaine est directement lié à mon expertise en matière de sélection et de recrutement de personnel. Or il n'est pas prévu que cet article soit réexaminé.

Pour ce qui est de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, il est prévu qu'elle soit réexaminée dans cinq ans, et c'est une bonne chose.

Le sénateur Stratton : Nous avons certaines inquiétudes en ce qui concerne votre poste actuel, par rapport aux hauts fonctionnaires du Parlement. Vous souhaitez devenir haut fonctionnaire du Parlement. D'après ce qu'on m'a dit, la Commission de la fonction publique du Canada est l'autorité responsable de la dotation des postes dans la fonction publique. Vous, en tant que présidente, exercez des fonctions de direction en plus de jouer un rôle de surveillance. À l'heure actuelle, tous les hauts fonctionnaires du Parlement jouent uniquement un rôle de surveillance. En conséquence, le fait d'inclure dans cette catégorie un organisme qui exerce également des fonctions de direction créerait un précédent. Qu'avez-vous à dire à ce sujet-là?

Mme Barrados : La question n'est pas de savoir si je voudrais ou non être haut fonctionnaire du Parlement. Comme je vous l'expliquais tout à l'heure, il existe tout un éventail d'organismes, mais le nôtre est comme nul autre. Certains d'entre eux n'ont pas de pouvoirs de direction alors que d'autres se sont vu conférer de tels pouvoirs par le projet de loi C-2. Et après, il y a la Commission de la fonction publique du Canada. Je ne demande pas à être traitée comme les autres. Vous aurez remarqué que je n'ai pas demandé qu'on change la procédure à suivre pour le dépôt de mon rapport annuel. Je demande simplement qu'on me permette de mieux faire mon travail et surtout de mieux exercer mes fonctions de vérification externe. Je n'ai demandé aucune des protections prévues à l'égard d'autres aspects de mon mandat. Je suis d'accord pour dire que mon poste est assez particulier, puisqu'il englobe deux séries de responsabilités distinctes, mais la demande que je formule ne vise qu'une seule catégorie de responsabilités.

Le sénateur Stratton : Il sera intéressant de voir la réaction des hauts fonctionnaires à cette demande.

Le sénateur Campbell : Je ne sais pas si je suis d'accord avec le sénateur Stratton qui laissait entendre qu'un des témoins de ce matin aurait dit, en parlant du projet de loi, que c'est un peu comme les Dix commandements donnés sur la montagne : il faut tout simplement l'accepter tel quel. À votre avis, serait-il possible d'améliorer le projet de loi en y apportant certains amendements?

Mme Barrados : Oui, sénateur, et je suis justement devant vous aujourd'hui pour proposer un certain nombre d'amendements. Je ne demande pas qu'on m'accorde un statut qui ne correspond pas à la réalité; je demande simplement qu'on me fournisse les outils qui vont me permettre de mieux faire le travail que le Parlement m'a confié.

Le sénateur Campbell : Et c'est justement ce que le comité voudrait faire.

Le sénateur Joyal : Madame Barrados, ma question concerne la Commission des nominations publiques. Je regarde en particulier les pages 175, 176, et l'article 227 du projet de loi C-2, qui modifie la Loi sur les traitements. La seule mention de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique en ce qui concerne les employés de la Commission concerne le président ou d'autres membres à part entière de la Commission, et le niveau correspondant au poste de président de la Commission. J'essaie de comprendre si le poste du président de la Commission est l'équivalent de celui d'un sous-ministre ou d'un administrateur général, si bien que le titulaire pourrait bénéficier de nominations qui ne sont pas du ressort de la Commission de la fonction publique du Canada.

Mme Barrados : Pour votre gouverne, je devrais préciser que, comme il s'agit d'un projet de loi habilitant, le poste que crée le projet de loi est défini de façon inhabituelle, puisqu'on passe par la Loi sur les traitements. Quoi qu'il en soit, la nature du poste est telle que le gouverneur en conseil peut faire de telles nominations sans passer par moi. Par contre, le projet de loi prévoit — et c'est tout à fait approprié — que les personnes qui travaillent pour la Commission des nominations publiques seront des fonctionnaires qui seront donc du ressort de la Commission de la fonction publique du Canada.

Le sénateur Joyal : Pourrais-je savoir si le salaire du président, qui est établi par le gouverneur en conseil conformément au projet d'article 1.2, serait au même niveau que celui d'un administrateur général ou sous-ministre?

Mme Barrados : Cette décision relève entièrement de la responsabilité du gouverneur en conseil.

Le sénateur Joyal : Si le président touche un salaire équivalent à celui d'un sous-ministre ou administrateur général, son poste pourrait-il tomber dans la catégorie des conseillers spéciaux qui sont nommés par le gouverneur en conseil?

Mme Barrados : Faites-vous allusion à l'autre projet d'amendement?

Le sénateur Joyal : Oui.

Mme Barrados : Il n'est pas nécessaire d'avoir recours à cet autre amendement parce que ce mécanisme est déjà prévu dans la Loi actuelle. Si vous décidiez de ne pas adopter l'amendement qui est proposé, et si le gouvernement voulait nommer le président de la Commission des nominations publiques, il aurait recours au mécanisme qui existe déjà — c'est-à-dire une exemption qui serait donnée par la Commission de la fonction publique du Canada et un décret du conseil. Cela concerne les postes de sous-ministre, de sous-ministre délégué, et d'administrateur général. Au niveau de l'administrateur général, la fourchette salariale est assez large.

M. Arseneault : Il faudrait peut-être préciser qu'en règle générale, la Commission de la fonction publique du Canada a le pouvoir de nommer tous ceux qui occupent des postes au sein de la fonction publique, à moins qu'une autre loi n'accorde ce pouvoir précis à un autre organe. En ce qui concerne la Commission des nominations publiques, le projet de loi prévoit la procédure à suivre pour la nomination du président, et il n'est donc pas nécessaire de faire intervenir l'autre amendement que propose la présidente de la CFP. Ce dernier vise à remplacer le régime prévu lorsqu'aucune loi ne permet de procéder à une certaine nomination, si bien que cette dernière relève automatiquement de la Commission de la fonction publique du Canada. Le poste à pourvoir en l'occurrence ressemble beaucoup à ce qui constituerait normalement un poste d'administrateur général ou de sous-ministre mais, pour diverses raisons, il a été décidé de doter ce poste en suivant une procédure semblable à celle prévue pour ces autres postes, c'est-à-dire par nomination du gouverneur en conseil.

Cette mesure vise à permettre la nomination des sous-ministres et administrateurs généraux, et à cet égard nous demandons justement que cela s'applique dans une situation où aucune autre loi ne prévoit la possibilité de faire la nomination. Il s'agit de couvrir ces cas très rares où la Commission de la fonction publique a dû accorder une exemption pour certaines nominations, étant donné que de telles nominations semblent être de la même nature que celles qui sont normalement faites par le gouverneur en conseil. L'objet de l'amendement consiste donc à combler la lacune qui existe à cet égard. La CFP estime que le libellé actuel est trop général et que par conséquent, presque n'importe quel poste au sein de la fonction publique pourrait être considéré comme un poste de conseiller spécial d'administrateur général; la CFP préfère donc que son application soit plus limitée.

Mme Barrados : Sénateur, est-ce que vous n'avez demandé si le président de la Commission des nominations publiques pourrait éventuellement obtenir des conseillers spéciaux?

Le sénateur Joyal : Oui, ou un administrateur général.

Mme Barrados : Oui, le président de la Commission des nominations publiques pourrait faire en sorte que le poste d'administrateur général soit une nomination du gouverneur en conseil. Si le poste n'était pas précisé dans la loi, on pourrait avoir recours à cette disposition. Le président de la Commission des nominations publiques a également un directeur général qui est l'équivalent d'un sous-ministre.

M. Arseneault : À mon avis, il pourrait obtenir un conseiller spécial, si je me fonde sur la formulation très générale de l'article actuel. Il ne peut y avoir qu'un seul administrateur général.

Le sénateur Joyal : Si je ne m'abuse, l'article 227.1 prévoit que la Commission des nominations publiques pourra passer par le gouverneur en conseil pour faire nommer un administrateur général ou conseiller spécial.

Mme Barrados : La CFP voudrait que les conseillers spéciaux qui sont nommés par le gouverneur en conseil soient au niveau d'un administrateur général ou sous-ministre délégué — c'est-à-dire un poste de haut niveau — mais pas à un niveau inférieur, ce qui serait possible pour un poste de conseiller spécial.

Le sénateur Joyal : Voilà qui répond à ma question.

Le sénateur Cowan : Je regrette que le sénateur Stratton soit déjà parti, mais il a présenté au témoin une certaine version des propos tenus par M. Keyserlingk ce matin. Or à mon avis, le compte rendu permettra de prouver, comme l'a dit le sénateur Campbell, que M. Keyserlingk a bien dit qu'il préférerait qu'on apporte ces amendements au projet de loi puisqu'ils permettraient de l'améliorer. Toutefois, si cela se révélait impossible, pour des raisons qu'il pourrait ignorer, il a dit qu'il souhaite que le projet de loi soit adopté. La version des témoignages de M. Keyserlingk présentée à Mme Barrados par le sénateur Stratton n'était pas tout à fait exacte. Je voulais donc tirer la situation au clair en m'associant aux remarques du sénateur Campbell.

Le président : Madame Barrados, merci infiniment pour vos réponses très convaincantes à des questions difficiles. Vous avez réussi à répondre à certaines questions que plusieurs sénateurs se posaient au sujet sur la Commission de la fonction publique du Canada ainsi que sur son rôle et ses pouvoirs en vertu du projet de loi C-2.

La séance est levée.


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